Manuel de Neuropsychologie-2018
Manuel de Neuropsychologie-2018
Manuel de Neuropsychologie-2018
Sylvane Faure
Béatrice Desgranges
Manuel de
neuropsychologie
5e édition
entièrement revue et actualisée
Maquette de couverture :
Atelier Didier Thimonier
Maquette intérieure :
www.atelier-du-livre.fr
(Caroline Joubert)
Composition :
Soft Office
© Dunod, 2018
11 rue Paul Bert – 92240 Malakoff
ISBN 978-2-10-078568-1
Table des matières
Avant-propos à la 5e édition ........................................................................................................................................................ 7
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Manuel de neuropsychologie
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Table des matières
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Avant-propos à la 5e édition1
La première édition du Manuel de neuropsychologie a vu le jour à la rentrée universitaire
de 1996. Notre discipline a connu des changements majeurs depuis cette date. L’évolution
institutionnelle, tout particulièrement à l’Université et dans les hôpitaux, a été spectaculaire.
En France, les formations de troisième cycle dédiées spécifiquement à la neuropsychologie se
comptaient alors sur les doigts d’une main et cette discipline était encore largement méconnue :
elle était très en retrait par rapport à la psychologie cognitive, à la psychologie du développe-
ment, à la psychologie sociale… Pour beaucoup, elle s’apparentait davantage à la médecine
ou à la physiologie qu’à la psychologie. Aujourd’hui, elle est présente, comme les autres, dans
les grandes instances de l’Université et les formations diplômantes relevant peu ou prou du
domaine de la neuropsychologie sont maintenant très nombreuses. Ce manuel s’adresse en
premier lieu aux étudiants de master de psychologie (première ou deuxième année) qui choi-
siront, dans leur parcours, des enseignements de neuropsychologie. Il s’adresse également
aux étudiants de médecine, d’orthophonie, d’ergothérapie (et d’autres disciplines) et aux
professionnels confrontés à des patients atteints de troubles des fonctions cognitives et du
comportement, consécutifs à des atteintes cérébrales et, plus largement, à diverses pathologies
neurologiques, psychiatriques ou développementales. Il sera également utile à tout chercheur
ou étudiant avancé en sciences cognitives, en cela qu’il souhaite intégrer à sa démarche des
connaissances sur le fonctionnement cognitif et cérébral, leurs modifications tout au long de
la vie et sur leurs dysfonctionnements.
Bien évidemment, l’évolution de la neuropsychologie n’est pas seulement institutionnelle :
des changements se sont également produits dans ses méthodes, dans ses champs d’investiga-
tion, dans ses connaissances de façon générale et dans ses modèles théoriques, de même que
dans son périmètre et ses relations avec d’autres disciplines (la psychopathologie, l’épidémio-
logie, la pédagogie, la génétique, etc.). La neuropsychologie est aussi amenée à jouer un rôle
de plus en plus grand dans la société, dans la « vie quotidienne » de tout citoyen. L’évolution
démographique, notamment le vieillissement de la population, et l’incidence accrue des patho-
logies entraînant des troubles cognitifs, est en partie à la source de cette situation inédite. La
neuropsychologie n’est plus seulement présente dans les centres hospitaliers universitaires,
dans les centres de rééducation ou dans les consultations de proximité, elle doit aussi aller à la
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
rencontre des personnels, bien au-delà des seuls neuropsychologues, mais aussi des aidants
« naturels » prenant en charge des patients atteints d’une maladie du cerveau. Cette nécessité
de formation face à des besoins variés (y compris à de nouveaux métiers où l’objectif est la
prise en charge de patients atteints d’une maladie cérébrale) correspond à un phénomène de
société qui n’était pas vraiment identifié il y a une vingtaine d’années.
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Manuel de neuropsychologie
Les différentes éditions de ce Manuel ont cherché à rendre compte de ces évolutions. Pour
ne prendre que quelques exemples, nous accorderons une large place à l’utilisation des tech-
niques d’imagerie cérébrale et aux approches par neurostimulation et nous en donnerons des
illustrations dans des contextes variés. Le chapitre consacré à la neuropsychologie de l’enfant
est augmenté, comme les sections consacrées aux états démentiels, à leurs explorations et à la
prise en charge des patients et de leurs proches. Les parties consacrées à la rééducation et, de
façon plus large, à la prise en charge des patients ont été réactualisées. Ainsi, depuis plus de
vingt ans, ce Manuel accompagne l’évolution de la neuropsychologie, « de l’intérieur », puisqu’il
tient compte des changements institutionnels : dans l’enseignement, dans les pratiques, mais
aussi dans les méthodologies, dans les ruptures théoriques… Plus encore aujourd’hui, la neuro-
psychologie doit être sensible aux changements qui surviennent – parfois rapidement – « de
l’extérieur », autour d’elle et qui tiennent à des évolutions – ou bouleversements – dans les
domaines démographiques, sociaux, technologiques, qui font que sa place par rapport à d’autres
disciplines (biologie, pédagogie, sociologie, sciences cognitives…) et à diverses technologies
(communication, e-santé…) se trouve fortement modifiée. Ces développements nouveaux,
parfois intempestifs, changent la place de la neuropsychologie et la contraignent à des prises de
position face à de nouvelles pratiques, à de nouvelles techniques. La neuropsychologie, fondée
sur les connaissances scientifiques renouvelées et sur des pratiques cliniques diversifiées, doit
contribuer à l’exigence éthique qui accompagne nécessairement ces changements. Yves Joanette
et Ana Inés Ansaldo ont brillamment présenté cette situation inédite dans l’exposé liminaire à la
journée anniversaire de la Société de Neuropsychologie de Langue Française (1977-2017 ; pour
revue, Joanette et Ansaldo, 2018). Nous nous inscrivons résolument dans ce « guide de route ».
Malgré ces évolutions et cette diversification de la neuropsychologie, nous avons souhaité
que cette édition du Manuel reste d’un volume raisonnable, bien adapté à son lectorat et à sa
mission : une vision d’ensemble de la discipline qui renvoie, grâce à une bibliographie choisie,
soit à des ouvrages de référence sur un thème et à des textes pionniers, soit à des articles origi-
naux qu’il nous semble utile de consulter pour approfondir une question.
Nous avons confié la rédaction de certains encadrés à des collaborateurs qui sont des spécia-
listes reconnus du problème traité. Nous les remercions de s’être livrés à ce petit exercice avec
enthousiasme et efficacité. Nous remercions également Philippe Conejero pour son aide à
la réalisation des figures dans ces encadrés. Ce recours à de nombreux encadrés est une des
originalités du Manuel ; il évite une vision trop linéaire d’un sujet et permet d’insister sur de
nouvelles méthodes ou de nouvelles avancées théoriques.
Nos remerciements vont aussi aux collègues et aux étudiants, avec qui nous échangeons en
permanence, aux lecteurs qui viennent d’horizons divers et nous envoient des commentaires ;
tous posent toujours de bonnes questions !
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Chapitre 2
Les méthodes
de la neuropsychologie
Sommaire
1. Les évaluations psychométriques ..................................................................... 49
2. Les évaluations cognitives et comportementales ............................................. 54
3. Les méthodes dérivées de la psychologie expérimentale .................................. 66
4. Les méthodes d’imagerie cérébrale .................................................................. 88
5. Les méthodes par stimulation cérébrale........................................................... 119
6. Le traitement des données ............................................................................... 127
Les nombreuses méthodes de la neuropsychologie poursuivent des objectifs divers : certaines
permettent le recueil d’indices comportementaux, de façon plus ou moins standardisée et en
référence à des modèles théoriques, d’autres donnent accès à des indicateurs de la morphologie
du cerveau ou de son fonctionnement, certaines enfin tentent de concilier ces deux sources
de données. Un neuropsychologue n’utilise parfois que certaines méthodes, privilégie une ou
certaines d’entre elles, mais doit néanmoins connaître les grands principes et la pertinence
de l’ensemble.
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous distinguerons plusieurs méthodes en les situant dans
leur contexte d’utilisation le plus fréquent. Nous mentionnerons leurs origines, leurs inté-
rêts, leurs limites et leurs contributions les plus notables en les illustrant d’exemples. Ainsi,
la section intitulée « Les méthodes dérivées de la psychologie expérimentale » introduit à la
question de l’asymétrie fonctionnelle hémisphérique. Une autre partie fait référence à différents
travaux dans le secteur actuellement très évolutif de l’imagerie fonctionnelle cérébrale. Enfin,
le traitement des données neuropsychologiques fait l’objet d’un développement spécifique.
des rapports qui se sont modifiés au cours du temps. Leur rapprochement s’est concrétisé dans
les études de séries de patients précédemment décrites (chap. 1, section 6). L’un des premiers
objectifs de l’emploi des techniques psychométriques en neuropsychologie a été de contribuer
à la localisation d’une lésion cérébrale focale. Cette application n’est plus d’actualité depuis
l’usage courant de techniques d’imagerie cérébrale morphologique de plus en plus précises (le
scanner X à la fin des années 1970, puis l’IRM).
Avant de décrire l’utilisation actuelle de la psychométrie, il convient de mieux la définir
en la différenciant des autres méthodes d’évaluation neuropsychologique, avec lesquelles elle
ne partage que certains aspects. La psychométrie se caractérise par l’emploi de tests mentaux
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Manuel de neuropsychologie
(ou psychométriques). Il est préférable de conserver ce sens « étroit », en réservant les termes
« tests cognitifs » à des outils développés dans le cadre d’une « approche cognitive » et « tests
neuropsychologiques » à toute procédure d’évaluation comportementale en neuropsychologie.
Un test psychométrique est une épreuve standardisée dans sa consigne, son matériel, ses
conditions de passation et dans l’interprétation des résultats. Il doit présenter des qualités de
fidélité – reproductibilité des résultats d’un examinateur à l’autre et d’un moment à l’autre –, de
validité – mesure spécifique de ce qu’il est censé mesurer – et de sensibilité – capacité à détecter
les individus qui s’écartent significativement de la norme. Le pouvoir discriminant d’un test
est la résultante de sa sensibilité – capacité à détecter tous les sujets s’écartant de la norme –
et de sa spécificité – capacité à ne détecter que ces sujets. Il s’agit toujours d’un compromis
qui dépend de l’objectif du test : la sensibilité sera privilégiée si l’on cherche à repérer tous les
individus « anormaux » et la spécificité, si l’on cherche à repérer uniquement les individus
« anormaux ». Ces notions sont essentielles lors de l’élaboration et de la validation d’un test.
Son utilisation par le neuropsychologue, une fois validé (ou étalonné), se fera de façon standar-
disée. L’étalonnage fournit des données normatives qui permettent de situer un sujet dans une
population de référence. Ces étalonnages sont généralement réalisés par groupes d’âge, plus
rarement en fonction du sexe et du niveau socioculturel. Ces différentes variables permettent
de prendre en compte la variabilité de la population de référence et d’améliorer le pouvoir
discriminant de l’épreuve. La notion de seuil pathologique est essentielle en psychométrie : en
deçà de ce seuil, les performances seront considérées comme un indice de déclin significatif.
Rappelons que ce seuil correspond classiquement à la valeur qui sépare les 5 % de sujets ayant
une note inférieure aux 95 % de sujets ayant une valeur supérieure.
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Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
signifiant qu’il existe un facteur psychologique commun à toutes ces épreuves. Ce facteur
général (ou facteur G) a parfois été assimilé à l’« intelligence ». Quelle que soit sa signification
psychologique réelle, le but des tests d’efficience intellectuelle est d’appréhender le « facteur G »
au moyen de la méthode des échelles composites (le meilleur exemple est l’échelle d’intelli-
gence de Wechsler pour adultes ou WAIS, qui a donné lieu à plusieurs formes révisées) ou de
la méthode du test unique fortement saturé en facteur G (les progressive matrices de Raven par
exemple). Il existe un certain décalage entre la neuropsychologie d’aujourd’hui, ses modèles,
son mode de pensée et les fondements théoriques initiaux de nombreux outils psychométriques
utilisés dans la pratique quotidienne. Ce fossé tend tout de même à se réduire lors de la révision
des différents tests et lors de la publication de nouvelles épreuves élaborées spécifiquement en
référence aux modèles neuropsychologiques actuels.
L’inadéquation entre les fondements théoriques des tests psychométriques et les modèles de
la neuropsychologie pose des problèmes à la fois d’interprétation et de validité de la mesure.
Dans toute situation d’évaluation, il convient de distinguer la performance à une épreuve (ce
qui est réellement mesuré) et les processus cognitifs censés être appréhendés. Un test n’est
jamais « pur », il met toujours en jeu une diversité de processus cognitifs, malgré le soin apporté
à sa construction. Ce décalage n’est pas spécifique aux tests psychométriques classiques ; il
existe, par essence, pour toute épreuve neuropsychologique. Toutefois, des tests élaborés plus
récemment et permettant le calcul de plusieurs scores et indices (et la confrontation de ceux-
ci) sont plus proches des conceptions actuelles du système cognitif et de ses perturbations.
Outre les problèmes théoriques qui cantonnent souvent ce type d’investigation dans un
examen « de surface » sans réelle compréhension des processus impliqués, de nombreux tests
psychométriques souffrent de limites techniques. Les étalonnages réalisés de longue date sont
insuffisants : les normes sont inexistantes pour les classes d’âge au-delà de soixante ans, qui font
pourtant le plus souvent l’objet des investigations neuropsychologiques. De plus, la longueur
des examens et la structure des épreuves (matériel trop complexe, exercices inadaptés) les
rendent difficilement utilisables auprès de patients âgés ou atteints de troubles trop importants.
A contrario, ils s’avèrent parfois trop simples pour mettre en évidence des déficits chez les
personnes de très bon niveau socioculturel. Il convient de tenir compte également de la rareté
des formes parallèles (ou formes « retest »), utiles pour suivre l’évolution d’une pathologie.
Malgré ces réserves, plusieurs situations cliniques justifient l’utilisation des tests psychomé-
triques en neuropsychologie, le principe étant de toujours choisir les versions réactualisées.
La démarche psychométrique n’est pas applicable à tous les patients, notamment ceux qui
présentent des déficits sévères, mais elle reste pertinente dans diverses situations cliniques,
par exemple les évaluations des conséquences de traumatismes crâniens où une mesure de
l’efficience intellectuelle peut s’avérer utile. Elle est même indispensable dans le cadre d’une
expertise médico-psycholégale.
Le diagnostic d’un syndrome démentiel constitue un autre domaine d’application très
fréquent. En effet, certaines pathologies dégénératives du système nerveux central, comme la
maladie d’Alzheimer – cause la plus fréquente de démence – s’expriment dans les modifications
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Manuel de neuropsychologie
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Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
valides, comme le concept de réserve cognitive, pour rendre compte de la façon la plus juste
possible des déficits cognitifs liés à une affection cérébrale. La réserve cognitive est une notion
relativement récente qui explique une partie de la variabilité interindividuelle qui caractérise
les sujets d’une même classe d’âge, en particulier les sujets âgés : certains illustrent le concept
de vieillissement « réussi » tandis que d’autres sont victimes d’un affaiblissement cognitif sans
pour autant être malades. De nombreux facteurs participent à cette réserve cognitive, parmi
lesquels des facteurs cérébraux (quantité de neurones et de connexions disponibles) et des
facteurs environnementaux (niveau d’éducation, niveau socioculturel, insertion sociale, activités
quotidiennes, etc.) qui sont en interaction. Si la notion de réserve cognitive est maintenant
admise par tous, si la nécessité de la prendre en compte dans les bilans cognitifs commence
à être reconnue, la façon de la mesurer reste très sommaire et empirique. En clinique, le seul
indicateur de la réserve cognitive disponible est le niveau d’étude, tandis qu’en recherche, les
principales variables utilisées sont, outre le niveau d’étude, la situation sociale, le quotient
intellectuel et les occupations ou loisirs des sujets, par le biais de questionnaires.
La psychométrie constitue une école de prudence et de critique. Elle est un guide pour le
clinicien non encore rompu à la complexité des investigations neuropsychologiques. Celui-ci
est souvent contraint de puiser dans de nombreuses épreuves, parfois subtest par subtest, au
risque d’un usage non standard des tests qui le prive d’étalonnage. Il peut être amené à créer
de nouvelles épreuves s’il estime que celles qui existent ne lui permettent pas de répondre à la
question posée. Cette démarche reste toutefois exceptionnelle car elle nécessite une longue
phase de mise au point et de validation qui n’est pas du ressort du psychologue clinicien.
À une utilisation stricte des tests psychométriques (qui n’exclut pas une « lecture cognitive »
des résultats), la pratique neuropsychologique associe l’emploi de procédures plus originales
pour s’adapter à la spécificité sémiologique des patients.
La psychométrie permet en outre au clinicien de transmettre des informations générales.
Dans une perspective de recherche en neuropsychologie cognitive, des données psychomé-
triques sont intéressantes car elles contribuent à caractériser l’ensemble de la symptomatologie
du patient, y compris des aspects relégués à l’arrière-plan qui peuvent se révéler pertinents
a posteriori. Les échelles de Wechsler accompagnent ainsi de nombreuses observations neuro-
psychologiques. À l’avenir, cette mission devra être assurée par des épreuves construites en
référence aux modèles du fonctionnement cognitif, et possédant les qualités métrologiques
et de standardisation des tests psychométriques. Des avancées ont lieu en ce sens mais les
opérations de mise au point et de normalisation d’un test sont difficiles et très longues, si bien
que le produit risque d’être rapidement dépassé.
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Manuel de neuropsychologie
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Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
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Manuel de neuropsychologie
la mémoire à court terme, la mémoire à long terme. Chez H.M., comme chez la plupart des
patients amnésiques, les deux premiers compartiments sont préservés alors que le troisième
est perturbé. Cette dissociation simple suggère une distinction fonctionnelle entre mémoire
à court terme et mémoire à long terme.
D’autres arguments expérimentaux appuient cette distinction, comme les effets de posi-
tion sérielle mis en évidence chez des sujets sains. Dans une tâche de rappel libre d’une liste
de mots dépassant l’empan, les sujets rappellent préférentiellement les mots du début de la
liste (effet de primauté) et de la fin de la liste (effet de récence). Les effets de primauté et de
récence reflètent respectivement le fonctionnement de la mémoire à long terme et celui de la
mémoire à court terme.
Un autre argument puissant en faveur de cette distinction est la dissociation inverse à celle
du cas H.M. Il s’agit de l’observation du patient K.F., décrit par Tim Shallice et Elizabeth
Warrington en 1970, chez qui l’empan auditivo-verbal est réduit à deux éléments alors que
l’apprentissage de listes de mots dépassant l’empan est normal. Cette observation conforte la
distinction entre mémoire à court terme et mémoire à long terme, mais remet en cause l’orga-
nisation sérielle du modèle d’Atkinson et Shiffrin. Dans le modèle de Shallice et Warrington, les
systèmes de mémoire à court terme et à long terme sont organisés en parallèle, une architecture
qui permet de rendre compte des doubles dissociations. La conception de l’organisation struc-
turale de la mémoire à court terme (devenue la mémoire de travail) s’est ensuite complexifiée
par un tel jeu de doubles dissociations chez des patients uniques. Certains auteurs ont défendu
d’autres sources d’inférences comme les dissociations au sein de groupes de patients, ou les
associations de symptômes.
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Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
Encadré 7
Modèle cognitif de l’expression écrite
Mot entendu
Voie Voie
phonologique lexico-sémantique
Tampon
graphémique
Système
allographique
Épellation orale
Spécification des
programmes moteurs
graphiques
Code
graphique
Écriture manuscrite
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Manuel de neuropsychologie
situer le niveau du trouble. Ainsi, dans le syndrome du tampon graphémique les erreurs sont
observées dans toutes les modalités : écriture manuscrite, épellation, écriture avec des lettres
mobiles, dactylographie. La situation « stratégique » du tampon graphémique explique ces
perturbations dans les différentes modalités d’écriture, que ce soit pour les mots ou pour les
non-mots. Le système de conversion allographique est au contraire spécifiquement impliqué
dans l’écriture manuscrite. Sa fonction concerne la sélection de la forme générale de la lettre
en tenant compte du type de caractère (cursive ou imprimerie) et de la casse (majuscule
ou minuscule). Un dysfonctionnement du système de conversion allographique donne lieu
à plusieurs types de perturbations : des erreurs de transposition de type ou de casse ainsi
que des anomalies portant sur la forme générale de la lettre pouvant générer là encore des
erreurs de substitution. Dans les troubles du système allographique, l’épellation est normale
de même que l’écriture avec des lettres mobiles mais le patient ne peut évoquer oralement la
forme de la lettre. Enfin, dans le syndrome lié à une perturbation des programmes moteurs
graphiques, les lettres sont mal formées avec des erreurs de traits ; de tels troubles sont habi-
tuellement décrits dans le cadre des agraphies apraxiques. Le domaine de l’agraphie illustre
le cheminement du neuropsychologue. Disposant d’un modèle fonctionnel matérialisé par un
schéma « en flèches et en boîtes », il teste différentes hypothèses concernant les perturbations
du patient au moyen de méthodes adaptées. Le diagnostic cognitif sera porté selon le type
d’erreurs relevées, en fonction du matériel proposé (non-mots, mots irréguliers, plus ou moins
fréquents, etc.) et selon le mode d’écriture. Les épreuves d’épellation orale et l’exploration
avec des lettres mobiles sont cruciales pour préciser le niveau de perturbation. Par ailleurs,
la présence de troubles associés et le niveau antérieur du patient doivent être pris en compte
dans l’interprétation des résultats.
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Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
Encadré 8
Évaluation de la mémoire prospective en réalité virtuelle
Comment proposer des évaluations neuropsy- les participants étaient placés en immersion
chologiques proches des situations de la vie dans une ville virtuelle (Lecouvey et al., 2017).
quotidienne tout en conservant un contrôle Ils se déplaçaient en voiture grâce à un volant
expérimental adéquat ? La réalité virtuelle et à un pédalier, tout en rappelant 9 intentions
est une technique moderne qui paraît consti- apprises antérieurement, soit après qu’un cer-
tuer un bon compromis entre ces deux exi- tain temps s’était écoulé (mémoire prospective
gences. La mise au point d’épreuves basées basée sur le temps, par exemple prendre de
sur cette technique est récente mais en pleine l’essence après quatre minutes), soit lors de
expansion, notamment dans le domaine de la l’apparition d’indices spécifiques (mémoire
mémoire prospective. Ce type de mémoire est prospective basée sur un événement). Dans ce
en effet, compte tenu de son caractère multi- cas, l’indice était soit en lien avec l’action à réa-
déterminé, très adapté à l’utilisation de la tech- liser (par exemple, acheter un carnet de timbres
nique de réalité virtuelle. Nous présentons ici à la poste), soit sans lien avec elle (ex : ache-
deux exemples de cette application. ter un journal à la mairie, figure 1). L’épreuve
Dans une première expérience, menée en col- permettait également de différencier la com-
laboration avec l’université Paris-Descartes et posante purement prospective (qui traduit le
le Centre interdisciplinaire de réalité virtuelle souvenir qu’une action doit être effectuée) et
de l’université de Caen-Normandie (CIREVE), la composante rétrospective (qui correspond
au souvenir de l’action proprement dite).
Figure 1 – Ville virtuelle : à gauche, point de vue du sujet pendant la tâche de mémoire
prospective ; à droite, exemple d’indice pour la tâche de mémoire prospective basée
sur un évènement (indice non lié : acheter un journal à la mairie)
59
Manuel de neuropsychologie
Cette épreuve a été proposée à un groupe de En d’autres termes, lorsque le lien est fort en
sujets jeunes sains et a montré que les perfor- EB, la détection de l’indice suffit pour déclen-
mances étaient les plus élevées dans la condi- cher la récupération automatique de l’intention
tion « indice lié » en comparaison avec les deux grâce aux processus réflexifs-associatifs peu
autres (figure 2, à gauche), un résultat qui s’in- coûteux sur le plan cognitif. En revanche, dans
tègre bien dans le cadre de la théorie réflexive- les deux autres conditions, le rappel de la com-
associative de McDaniel et al. (2004). En effet, posante rétrospective nécessite l’implication
d’après cette théorie, quand l’indice prospectif de processus contrôlés et devient plus diffi-
et l’action sont fortement associés, l’apparition cile pour les sujets âgés. Ce résultat montre
de l’indice déclenche une récupération réflexive donc que le rappel de la composante rétros-
de l’action et facilite ainsi son rappel. Ce résul- pective est plus sensible aux effets de l’âge,
tat est également en accord avec la complexité tout au moins lorsque la force du lien entre
plus importante de la condition de mémoire l’indice et l’intention est faible. Enfin, grâce
prospective basée sur le temps en raison de à une évaluation neuropsychologique complé-
l’implication préférentielle des processus auto- mentaire, nous avons identifié les fonctions
initiés dans cette condition. Nous avons éga- cognitives qui contribuent significativement
lement inclus un groupe de sujets sains âgés aux effets de l’âge sur la mémoire prospective.
et les résultats montrent qu’ils sont moins Ainsi, cette étude a montré que le déclin lié
efficients que les sujets jeunes pour le rappel à l’âge du binding était le meilleur prédicteur
des composantes prospective et rétrospective du déclin de la mémoire prospective dans les
dans les trois conditions (figure 2, à droite). De différentes conditions au cours du vieillisse-
plus, le rappel de la composante rétrospective ment normal, reproduisant ainsi les résultats
est plus difficile que le rappel de la compo- que nous avions obtenus précédemment avec
sante prospective en condition Event-based une épreuve de mémoire prospective de labo-
(EB) avec lien faible et en condition Time-based ratoire (Gonneaud et al., 2011).
(TB), mais pas en condition EB avec lien fort.
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Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
Dans une nouvelle étude, une partie du musée peuvent se déplacer librement autorise la
Mémorial de Caen a été modélisée, grâce à une réalisation d’une grande variété d’intentions.
collaboration scientifique avec cette institu- Il permet également un contrôle accru des
tion et le CIREVE (figure 3). Dans l’épreuve de déterminants de la performance en mémoire
mémoire prospective, les sujets participent prospective : enregistrement des déplacements
à la visite virtuelle d’une partie du musée et du sujet, de la fréquence et de la temporalité
doivent y rappeler des intentions apprises de la consultation d’une horloge et d’une carte
antérieurement. Par exemple, ils doivent se de l’environnement. Cet environnement offre
rendre à la projection d’un film dans l’audito- ainsi des possibilités d’évaluation qui devraient
rium à un horaire prédéterminé, prendre en permettre de mieux comprendre le fonctionne-
photo l’avion exposé dans le hall, ou encore ment de la mémoire prospective en situation
emprunter un livre à la médiathèque. Cet envi- proche de la réalité.
ronnement riche au sein duquel les sujets
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Manuel de neuropsychologie
En 2002, Brooks et ses collaborateurs ont utilisé la technologie de la réalité virtuelle pour
la première fois dans l’étude de la mémoire prospective auprès d’un groupe de traumatisés
crâniens (pour revue, Lecouvey et al., 2012). Les sujets participaient à un déménagement virtuel
à l’intérieur d’un bungalow composé de quatre pièces. Il leur était demandé de déplacer des
objets d’une pièce à l’autre, d’étiqueter « fragiles » cinq objets en verre parmi les 30 présents dans
le bungalow et d’ouvrir la porte aux déménageurs toutes les cinq minutes en appuyant sur un
bouton. Ils devaient également demander à l’expérimentateur de fermer la porte de la cuisine
quand ils quittaient cette pièce afin de ne pas laisser s’échapper le chat. Cette tâche s’est révélée
très sensible aux déficits de mémoire prospective des patients, et davantage dans certaines
conditions que dans d’autres, un résultat qui pourrait difficilement être mis en évidence sans
le recours à la technique de la réalité virtuelle.
Kalpouzos et al. (2010a) ont aussi utilisé la réalité virtuelle en plaçant des sujets en immer-
sion dans un environnement virtuel familier puisqu’il représentait leur ville de résidence
(Umeå en Suède). Les sujets se déplaçaient librement dans la ville virtuelle par l’intermé-
diaire d’un joystick. Cet environnement était composé d’objets interactifs et permettait la
simulation d’événements pouvant servir d’indices prospectifs. Au total, les sujets devaient
réaliser 22 actions en réaction à des indices prospectifs répartis sur cinq routes distinctes.
L’originalité de cette étude était de combiner la réalité virtuelle, l’IRMf, la technique d’eye-
tracking et l’analyse d’un rapport verbal fourni par les sujets. Ces investigations ont permis de
préciser les processus cognitifs en jeu lors du fonctionnement de la mémoire prospective event
based, selon un modèle baptisé PROMEDY (pour PROspective MEmory DYnamic). L’étude
a également contribué à la description des réseaux cérébraux impliqués lors des différentes
phases de la mémoire prospective.
Malgré les progrès réalisés dans le domaine de la réalité virtuelle, et les possibilités qu’elle
offre pour créer des dispositifs intégrant de multiples dimensions, en neuropsychologie, elle
est encore utilisée avec parcimonie, et pour l’instant réservée au domaine de la recherche.
L’un des obstacles à son utilisation est son coût, mais à terme la réalité virtuelle devrait être
applicable dans de nombreuses pathologies si tant est que l’on adapte, lorsque cela est néces-
saire, les tâches proposées afin d’éviter les effets planchers et la mise en échec des patients.
Les patients pourront alors bénéficier de cette technique dans le cadre de bilans et de théra-
peutiques humainement et financièrement moins coûteuses et plus faciles à mettre en place
qu’une rééducation « sur le terrain ». Des scénarios sont maintenant construits pour tester et
entraîner des activités de la vie quotidienne, telles que traverser la rue, conduire une voiture,
préparer un repas, utiliser les transports publics, ou faire des courses au supermarché (pour
revue et applications dans la démence, Déjos et al., 2012).
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Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
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Manuel de neuropsychologie
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Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
Les recherches actuelles montrent que l’on a sous-estimé la prévalence des troubles du
comportement dans la démence sémantique. Or ces troubles ne sont pas semblables à ceux qui
sont observés dans d’autres maladies dégénératives. Ils se caractérisent surtout par une réduc-
tion de l’empathie, un égocentrisme et une indifférence aux autres. Les conduites égocentriques
se manifestent par l’impossibilité des patients à se décentrer d’eux-mêmes lors des interactions
sociales. L’exemple le plus évocateur de cet égocentrisme comportemental se manifeste dans
le discours des patients, que les cliniciens ont qualifié de « monologue égocentré ». L’échelle
d’égocentrisme comportemental a été créée par Bon et al. (2009) afin de mettre en évidence
ces modifications du comportement relativement spécifiques à la démence sémantique. Cette
échelle, en partie inspirée de l’IRI (Interpersonal Reactivity Index, de Davis), est constituée de
trente-six questions explorant quatre types de conduites distinctes :
• le monologue égocentré ;
• le manque d’empathie et l’indifférence affective ;
• les préférences des patients imposées à leur famille ;
• la non-prise en compte des autres dans leurs actions ou dans leurs paroles.
Le conjoint doit remplir cette échelle en tenant compte du niveau d’égocentrisme compor-
temental actuel du sujet.
L’échelle neurocomportementale révisée (NRS-R, pour Neurobehavioral Rating Scale), de
Levin et collaborateurs, a été développée pour mettre en évidence les troubles des patients
victimes d’un traumatisme crânien. Cette échelle évalue les troubles cognitifs, affectifs et
comportementaux des traumatisés crâniens, cotés en quatre degrés de gravité croissante
à partir des données d’un entretien semi-dirigé. L’entretien comporte des questions sur les
plaintes cognitives, l’état psychologique et émotionnel, la conscience des troubles, le compor-
tement et les motivations, et quelques tests très simples et rapides à administrer explorant
l’attention, la mémoire et les fonctions exécutives.
Le retentissement des symptômes cognitifs et comportementaux sur les activités de la vie
quotidienne peut être mesuré à l’aide d’outils spécifiques qui évaluent le degré d’autonomie
des patients dans les activités de toilette, d’habillage ou d’alimentation, ou qui s’intéressent aux
capacités d’adaptation à l’environnement, comme la manipulation du téléphone, la préparation
des repas, etc. (par exemple, Instrumental Activities of Daily Living Scale de Lawton et Brody).
L’échelle de Mac Nair et Kahn est une échelle d’auto-évaluation des difficultés rencontrées dans
la vie quotidienne, qui suppose par conséquent une conscience de ces difficultés. Des échelles
permettent également l’estimation de la qualité de vie des patients souffrant de démence,
comme celle de Logsdon et collaborateurs, validée en France par l’équipe du CHU de Reims.
Au total, le recours aux échelles comportementales présente un intérêt tant lors de la phase
diagnostique que pour établir une prise en charge adaptée et conseiller les familles. Leur
caractère structuré et systématique permet souvent aux proches d’aborder des modifications
comportementales difficiles à évoquer spontanément. Enfin, la confrontation des données
recueillies à l’aide d’hétéro-questionnaires et d’auto-questionnaires permet une bonne appré-
hension des troubles du comportement du patient et de la conscience qu’il en a, détectant
ainsi une éventuelle anosognosie.
65
Manuel de neuropsychologie
66
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
faite d’une simple série d’étapes successives et indépendantes mais repose au moins partielle-
ment sur des processus opérant en parallèle.
Le recours à la chronométrie est complexe dans le contexte de la pathologie, à cause de
l’allongement général des temps de réponse (ce ralentissement peut être moteur et/ou cognitif) :
ce sont plutôt le taux et la nature des erreurs qui sont analysés. Les temps de réponse sont en
revanche les variables dépendantes privilégiées chez le sujet sain, chez qui les erreurs sont rares
et doivent être suscitées par des situations contraignantes, utilisant des stimulations dégradées
perceptivement ou des consignes qui insistent sur la rapidité de la décision.
Les temps de réponse sont analysés dans plusieurs approches comportementales qui
permettent de recueillir chez le sujet normal des données pertinentes pour l’élaboration des
théories sur la spécialisation hémisphérique : les différents types de stimulations en champ
perceptif divisé et la situation de double tâche. Du point de vue technique, le logiciel et le matériel
mis en œuvre pour l’enregistrement des temps de réponse doivent autoriser une précision de
l’ordre de quelques millisecondes : les « effets expérimentaux » sont à cette échelle de temps, qui
correspond à la très grande vitesse de conduction de l’influx nerveux et du transfert d’informa-
tion entre les hémisphères. L’utilisation du clavier pour enregistrer les réponses du participant
ne garantit pas cette précision, puisque sa marge d’erreur est de l’ordre de 4 ms, et il faut avoir
recours à des boîtiers de réponse spécifiques. Il faut aussi être attentif aux particularités de
l’affichage des stimuli liées à l’utilisation de tel ou tel type d’écran et utiliser un écran cathodique
dont on connaît le temps de balayage. Des algorithmes servent à calculer la valeur du temps de
présentation à spécifier dans le script de pilotage de la tâche, en prenant en compte la durée
d’affichage souhaitée et celle du cycle de rafraîchissement de l’écran (le balayage vertical peut
prendre 12 ms). Ces paramètres doivent être rigoureusement réglés pour des expériences qui
utilisent des temps de présentation très brefs qui s’échelonnent entre 50 et 200 ms.
67
Manuel de neuropsychologie
68
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
En résumé, les projections visuelles au travers du chiasma optique sont telles que l’hémichamp
d’un côté du point de fixation visuel est projeté sur le cortex visuel opposé ; l’information prove-
nant du champ visuel gauche projette sur le cortex visuel de l’hémisphère droit, et inversement
pour l’information provenant du champ visuel droit (encadré 9, p. 70). L’ensemble des dispo-
sitifs décrits ci-dessus permet de s’assurer que les stimuli sont présentés binoculairement mais
dans les champs monohémisphériques. La qualité des réponses du sujet ainsi que ses temps de
réponse sont analysés en fonction de l’hémichamp, droit ou gauche, de présentation du stimulus.
69
Manuel de neuropsychologie
Encadré 9
Organisation anatomo-fonctionnelle des voies visuelles
La moitié droite du champ visuel projette sur information apparaissant dans l’hémichamp
les deux hémirétines gauches (hémirétine tem- visuel droit stimule la moitié gauche de chaque
porale de l’œil gauche et hémirétine nasale de œil et est ensuite transmise à l’hémisphère
l’œil droit). Le croisement des voies nerveuses gauche. L’inverse se produit pour l’information
visuelles est tel que les deux hémirétines apparaissant dans l’hémichamp visuel gauche
gauches projettent sur le cortex visuel de l’hé- (traits pleins).
misphère gauche (traits pointillés). Ainsi toute
70
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
Les performances latérales, c’est-à-dire de chacun des deux systèmes champ visuel gauche-
hémisphère droit (cvg-HD) et champ visuel droit-hémisphère gauche (cvd-HG), peuvent être
comparées lors de tâches très variées : si l’on admet que la performance est meilleure lorsqu’un
stimulus a été présenté initialement à l’hémisphère spécialisé pour traiter la tâche et/ou le matériel,
l’examen de la façon dont les réponses diffèrent selon le champ de présentation permet d’inférer
la spécialisation fonctionnelle des hémisphères. Toutefois, les hémisphères sont connectés entre
eux par des faisceaux de fibres, les commissures, dont la principale est le corps calleux. Après
affichage latéralisé d’un stimulus, celui-ci est d’abord analysé par les aires visuelles de l’un ou
l’autre des hémisphères ; le résultat de ces traitements précoces est ensuite utilisé par les étapes
ultérieures requises par la tâche et sera donc partagé par d’autres aires cérébrales, et notamment
celles de l’hémisphère opposé grâce au transfert de l’information via le corps calleux, ceci en 2
à 10 ms selon la tâche (section suivante pour le rôle des connexions inter-hémisphériques dans
d’autres types d’interactions hémisphériques, au-delà des échanges d’information abordés ici).
Ainsi, l’avantage de l’hémichamp droit dans une expérience en champ visuel divisé utilisant
des stimuli verbaux peut refléter deux réalités différentes du point de vue de la spécialisation
hémisphérique (Zaidel, 1999).
• Cette supériorité du cvd-HG sur le cvg-HD peut refléter les effets du transfert calleux dus
à une spécialisation exclusive de l’hémisphère gauche pour les traitements verbaux : dans
le cas d’une stimulation dans l’hémichamp visuel gauche, après les étapes de traitement
perceptif, l’information devrait être acheminée de l’hémisphère droit vers l’hémisphère
gauche pour que les traitements verbaux puissent y être effectués par les systèmes compé-
tents. Cette situation est dite de « relais calleux ».
• Cette même asymétrie peut refléter la différence entre l’efficience relative de traitement de
chacun des hémisphères : chaque hémisphère traiterait les stimuli qui sont présentés dans
le champ visuel controlatéral et qui sont donc reçus initialement par ses aires visuelles
primaires. Il s’agit alors d’une situation d’« accès direct ».
L’approche et les devis expérimentaux sont illustrés dans l’encadré 10 (p. 72) à partir de
performances théoriques et de résultats obtenus chez l’enfant concernant le développement
de la spécialisation hémisphérique pour la lecture.
De très nombreuses études ont été conduites dans ce cadre « structural ». Chez des sujets
droitiers, la supériorité du champ visuel droit pour le traitement des mots isolés est un résultat
robuste, qui reflète la dominance fonctionnelle de l’hémisphère gauche. Elle est plus prononcée
pour la lecture à voix haute que pour les décisions lexicales ou sémantiques. L’hémisphère droit
aurait cependant une contribution spécifique aux traitements lexico-sémantiques, comme en
témoignent les asymétries des effets d’amorçage en fonction de la distance sémantique amorce-
cible. En effet, dans le champ visuel droit, seul un lien amorce-cible fort, direct et littéral facilite
le traitement de la cible tandis que les performances dans le champ visuel gauche sont facilitées
aussi pour des amorces et cibles qui sont faiblement, métaphoriquement ou indirectement reliées.
71
Manuel de neuropsychologie
Ces effets différents de la distance sémantique selon l’hémisphère peuvent être interprétés comme
reflétant deux types distincts d’activation du réseau sémantique à partir d’un mot délivré « en
entrée » : activation faible de champs sémantiques larges autour du mot cible dans l’hémisphère
droit, et activation forte d’un champ sémantique focalisé dans l’hémisphère gauche. Ces traite-
ments complémentaires seraient tous deux requis pour une compréhension normale du discours.
Les travaux faisant référence aux modèles exclusivement structuraux, illustrés par le modèle
« accès direct/relais calleux » de Zaidel (encadré 10 ci-dessous), portent peu d’intérêt au rôle
des mécanismes attentionnels et aux interactions entre les hémisphères dans la conception et
l’interprétation des expériences. D’autres approches dites « dynamiques » questionnent une inter-
prétation uniquement structurale des asymétries. Leurs tenants soulignent qu’une conception
implicite d’indépendance des hémisphères préside souvent aux travaux expérimentaux, ce qui
peut conduire à occulter des faits importants pour l’élaboration des théories (infra, section 3.3).
Encadré 10
L’interprétation des asymétries en champ visuel : accès direct ou relais calleux ?
La tâche de décision lexicale est souvent utili- pour les traitements verbaux (en particulier
sée pour étudier la spécialisation hémisphérique ceux impliqués dans la lecture).
72
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
Les stimuli – mots et non-mots – sont présen- vitesses de transfert calleux différentes pour
tés brièvement à droite ou à gauche d’un point les deux pôles de la dimension psycholinguis-
de fixation centrale. Une des façons d’évaluer tique : ici concret vs abstrait).
la contribution respective des hémisphères Ainsi, une même asymétrie de performances
cérébraux chez des sujets normaux consiste latérales peut refléter différents patrons de
à coupler les stimulations dans chacun des compétence et de contribution des hémis-
hémichamps visuels avec les réponses effec- phères. L’interprétation des performances laté-
tuées de chacune des mains : par exemple le rales et de leurs asymétries fait appel à des
sujet effectue une réponse OUI/NON en pressant devis expérimentaux complexes et repose sur
l’une des deux touches d’un boîtier avec l’index des comparaisons statistiques des TR enregis-
de la main droite ou de la main gauche ; les mou- trés selon l’hémichamp de stimulation où des
vements des doigts sont sous la commande de différences aussi petites que 10 millièmes de
l’hémisphère controlatéral. Les performances secondes sont prises en compte (l’exactitude
commentées ici sont des temps de réponse (TR) doit aussi être analysée mais est moins sen-
mesurés en millisecondes (ms) et présentés en sible que la vitesse). Elle nécessite donc de
fonction de l’hémichamp de stimulation : champ grands échantillons, et des instruments de
mesure extrêmement précis, sachant que la
visuel gauche (cvg) et champ visuel droit (cvd).
marge d’erreur des boitiers de réponse peut
L’hémisphère auquel est adressée initialement
avoisiner quelques millisecondes et que le
l’entrée visuelle est indiqué entre parenthèses
temps de transfert calleux est estimé entre 4
sous le champ (HD ; HG). Une interaction signi- et 8 ms selon les tâches, et montre une grande
ficative entre main de réponse et hémichamp variabilité interindividuelle !
de stimulation sur les TR de décision lexicale
(figure 1 [a]) signalerait un accès direct, que l’on En dépit de cette complexité, ce type d’analyse
ait (comme ici) ou non un effet principal d’avan- garde toute sa pertinence, comme l’illustre
tage d’un hémichamp sur l’autre. l’étude comportementale des bases cérébrales
du développement normal de la lecture (figure 2).
Un effet principal montrant un avantage d’un
hémichamp en même temps qu’un effet prin- L’étude transversale de Waldie et Mosley montre
cipal montrant un avantage pour la main de le passage d’un modèle de type « accès direct »
réponse ipsilatérale au champ (figure 1 [b] : à un modèle « relais calleux » dans le cours du
avantage de l’hémichamp droit et réponses plus développement normal :
rapides avec la main droite) signaleraient un — Chez les plus jeunes (figure 2 [a]), le patron
relais calleux et une spécialisation exclusive de de performances est celui attendu dans une
l’hémisphère opposé à la main et à l’hémichamp situation d’accès direct, avec avantage de la
qui se montrent supérieurs. main de réponse qui est sous le contrôle de
L’interprétation des différences latérales de per- l’hémisphère qui a reçu initialement la stimu-
formances peut être plus simple si une variable lation (par exemple la main droite lors d’une
psycholinguistique a été manipulée (figure 1 [c] : stimulation dans le cvd/HG). Sur le plan statis-
variable Concrétude, mots à référent concret tique, cela se manifeste par une interaction
vs abstrait) et si les effets de cette variable significative entre le facteur Champ visuel (de
diffèrent selon l’hémichamp de présentation présentation du stimulus de la décision lexi-
des mots. Cette interaction signale un « accès cale) et le facteur Main (de réponse). Selon les
direct » : chaque hémisphère traite les stimuli auteurs, à la fois l’HG et l’HD contribuent au
qui lui sont adressés mais applique ses propres traitement des mots dans cette période d’ap-
stratégies de traitement de l’information (cette prentissage de la lecture (les performances
interprétation tient si l’on écarte l’hypothèse de en exactitude, non figurées, ne diffèrent pas
significativement entre le cvg et le cvd).
73
Manuel de neuropsychologie
— Chez les plus âgés (figure 2 [b]) on a affaire un 1er relais calleux pour acheminer l’informa-
à un patron qui signale un « relais calleux», tion de l’HD qui la reçoit vers l’HG qui traite
avec effet simple du facteur Champ, effet la tâche (accès lexical et décision) et contrôle
simple du facteur Main, sans interaction. la réponse motrice ; (2) gauche, il y aurait un
C’est-à-dire que, quel que soit le champ de relais additionnel pour transmettre la déci-
présentation, c’est la main droite, placée sion issue des traitements hémisphériques
sous le contrôle de l’HG, le plus efficient, qui gauches aux centres hémisphériques droits
répond le plus rapidement. Lorsque la stimu- en charge de la réponse motrice. Ces résul-
lation est adressée à l’HD (via le cvg), et que le tats sont en faveur d’une spécialisation
sujet répond avec la main (1) droite, il y aurait exclusive de l’hémisphère gauche.
Les auteurs soulignent la baisse des perfor- de la lecture (âge chronologique de 10 ans) :
mances de décision lexicale dans le champ à mesure que le traitement perceptif des
visuel gauche, de 79 % de réponses correctes à lettres et des mots s’automatise, les aspects
7 ans à 72 % à 12 ans (non figuré). Ils retiennent phonologiques et syntaxiques, qui dépendent
que la contribution de l’HD à la lecture décroît des systèmes de traitement de l’HG, deviennent
après environ 5 ans d’apprentissage formel plus prégnants.
Encadré 11
Deux hémisphères cérébraux, un seul monde visuel : les spécialisations
hémisphériques pour l’appréhension des informations visuospatiales
(Sara Spotorno)
Lorsque nous regardons une scène, nous ne complexes : l’exploration par le regard, l’orien-
ressentons pas d’effort particulier et faisons tation efficace de l’attention et l’intégration
l’expérience de percevoir le monde visuel dans des entrées visuelles avec les connaissances
toute sa richesse et ses moindres détails. Ceci construites sur les scènes préalablement ren-
recouvre en fait plusieurs processus cognitifs contrées, les objets et leurs relations.
74
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
Pour comprendre comment le monde visuel est celle de la mémoire multiforme, de l’encodage
ainsi construit, il faut distinguer représenta- à la récupération de représentations qui per-
tions spatiales catégorielles et coordonnées, mettent de catégoriser et identifier les objets.
traitements aux niveaux global et local, et Enfin, les deux hémisphères du cerveau jouent
identification des objets à un niveau de base un rôle dans la cognition visuospatiale, mais
ou bien exemplaire spécifique. Qui plus est, l’in- leurs contributions diffèrent selon le type de
tervention de l’attention est omniprésente et processus et de représentation considéré.
Stimulus visuel
Représentation sensorielle
1ère étape
Sélection des informations pertinentes pour la tâche
Filtrage
2ème étape
Traitement asymétrique selon la fréquence spatiale
• HD : surtout fréquences basses
• HG : surtout fréquences hautes
Lorsque les stimuli de la tâche sont présen- — supériorité du champ visuel gauche (HD)
tés dans un des hémichamps visuels, et donc pour l’orientation de l’attention spatiale, le
l’information adressée initialement à l’hémis- traitement des fréquences spatiales basses,
phère controlatéral, les asymétries de perfor- de la forme globale et des coordonnées
mances semblent renvoyer à l’existence non spatiales ;
pas d’une distinction fondamentale entre les — asymétrie en faveur du champ visuel
hémisphères (i.e. une supériorité de l’HD pour droit (HG) pour le traitement des hautes
les traitements visuospatiaux) mais plusieurs : fréquences spatiales, du niveau local et des
représentations spatiales catégorielles.
75
Manuel de neuropsychologie
Résolution spatiale
fréquences spatiales basses fréquences spatiales hautes
spécialisation HD spécialisation HG
Discrimination d’objet
Une approche théorique propose que ces dif- faciles à encoder lorsque l’on porte attention
férentes dimensions de différenciation s’orga- à une portion de l’espace assez étendue, tan-
nisent selon une hiérarchie dans laquelle le dis que les relations spatiales catégorielles
traitement des fréquences spatiales jouerait un seraient plus faciles à encoder si l’on porte
rôle fondamental (e.g. Ivry et Robertson, 1998) : attention à une portion relativement petite.
— La spécialisation hémisphérique dans — Enfin, intuitivement, la discrimination
l’analyse des fréquences spatiales serait à la entre les catégories d’objets semble requé-
base de l’asymétrie pour les niveaux global/ rir le traitement des relations catégorielles
local : en effet, les basses fréquences, trai- entre les parties de l’objet, alors que la dis-
tées plutôt par l’HD, véhiculent l’information crimination intracatégorielle (c’est-à-dire le
globale, tandis que les hautes fréquences, niveau de l’exemplaire : i.e. « ma chaise »)
sous la dépendance de l’HG, sont importantes semble nécessiter l’utilisation de relations
pour le niveau local, le traitement des détails. spatiales métriques précises entre les par-
— Ensuite, les représentations des relations ties de l’objet ainsi qu’une estimation cor-
spatiales coordonnées devraient être plus recte de la métrique des différentes surfaces
qui composent l’objet.
76
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
La littérature ne conforte de façon univoque Les auteurs soulignent le rôle important des
ni l’existence d’une telle hiérarchisation des processus descendants (top-down) dans l’ana-
traitements visuospatiaux, ni la spécialisation lyse visuelle (pour revue, Henderson, 2017) et la
hémisphérique pour une gamme particulière de dynamique temporelle des phénomènes, la spé-
fréquences spatiales. Il faut en fait mieux tenir cialisation hémisphérique pour le traitement
compte de la nature de la tâche. L’interaction des fréquences spatiales semblant s’exprimer
entre le type de tâche visuelle (détection vs surtout pour des durées de présentation des
catégorisation) et le contenu en termes de scènes brèves, inférieures à 100 ms.
fréquences spatiales (hautes vs basses) est Il est, toutefois, de plus en plus évident que,
illustrée par l’étude de Coubard et al. (2011) pour comprendre comment le cerveau construit
qui montre que la catégorisation des scènes le monde visuel, il faut éclaircir comment les
naturelles présentées en HFS est meilleure différentes dimensions sont organisées et
dans le cvd-HG que dans le cvg-HD, mais que comment les hémisphères interagissent pour
cet effet n’est pas observé pour la détection. intégrer les résultats de leurs traitements.
L’écoute dichotique a été mise au point par le psychologue Donald Broadbent en 1954 pour
étudier l’attention sélective. Doreen Kimura a adapté en 1961 la technique pour approcher la
latéralité fonctionnelle du cerveau chez des patients cérébrolésés et cette utilisation a ensuite
été étendue aux sujets normaux. Les stimuli, verbaux (syllabes, mots, phrases courtes) ou non
verbaux (sons de l’environnement ou musicaux), sont préalablement enregistrés et, à l’aide de
deux écouteurs, un message différent est diffusé simultanément à chacune des oreilles. Plusieurs
tâches peuvent être demandées au sujet, principalement de répéter ce qu’il a perçu à chaque
essai, ou bien de rappeler les items à l’issue du test. Un avantage des performances pour les
stimuli présentés à une oreille (dans leur détection ou leur identification) est interprété comme
une preuve que l’hémisphère controlatéral est spécialisé pour le traitement requis par la tâche.
• Dans l’expérience princeps de Kimura, les patients entendaient par exemple la suite « 6/9/2 »
dans l’oreille gauche et « 3/8/5 » dans l’oreille droite et devaient ensuite rappeler les items.
La validité de la méthode a été éprouvée auprès de patients chez qui, avant une chirurgie
cérébrale, on avait déterminé la « dominance hémisphérique » pour le langage à l’aide du test
de Wada : ceux qui présentaient une dominance hémisphérique gauche rappelaient mieux le
matériel présenté à l’oreille droite que celui présenté à l’oreille gauche tandis que chez ceux
qui présentaient une dominance hémisphérique droite, cette asymétrie de performances
était en faveur de l’oreille gauche.
• Kimura expliquait ainsi ces avantages latéraux :
• un hémisphère (le gauche chez la grande majorité des droitiers) est spécialisé pour le
langage ;
• les entrées auditives sont mieux représentées sur l’hémisphère controlatéral en raison de
la supériorité anatomique et fonctionnelle des voies auditives controlatérales sur les voies
ipsilatérales (encadré 12, p. 78) ;
77
Manuel de neuropsychologie
Encadré 12
Organisation anatomo-fonctionnelle des voies auditives
Connexion calleuse
HG HD
Voies controlatérales
«PA» «TA»
Les voies auditives centrales sont formées véhicule les messages perçus à chaque oreille
d’une voie prédominante, la voie controlatérale jusqu’au cortex auditif ipsilatéral. Les deux
(traits pleins), qui achemine les influx nerveux aires auditives corticales temporales droite et
liés aux messages présentés à l’oreille droite gauche sont connectées par l’intermédiaire du
jusqu’au cortex auditif gauche et les influx ner- corps calleux (grisé).
veux dus aux messages présentés à l’oreille En situation dichotique, un avantage pour les
gauche jusqu’au cortex auditif droit. La voie stimuli présentés à l’oreille droite est souvent
ipsilatérale, anatomiquement et fonctionnel- constaté (dans la situation schématisée le
lement moins importante (traits pointillés), sujet répondrait plus probablement « TA »).
78
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
79
Manuel de neuropsychologie
certains des doigts ; l’exploration peut être plus passive, par exemple si l’on déplace des formes
et des lettres découpées dans du papier de verre sur le bout des doigts des sujets. Le tableau
de reconnaissance est présenté soit dans la modalité tactile (test unimodal tactilotactile), soit
dans la modalité visuelle (test intermodal tactilovisuel).
Étant donné l’organisation essentiellement croisée des voies nerveuses correspondant aux
segments distaux, les différences observées dans les réponses suivant la main exploratrice sont
attribuées principalement à l’influence de la spécialisation hémisphérique. Ces différences
dans la modalité tactile chez des sujets normaux convergent avec celles mises en évidence
dans les modalités visuelle et auditive, indiquant en effet un avantage du système main droite/
HG pour l’identification tactile de lettres et de formes géométriques faciles à dénommer, et
un avantage main gauche/HD pour l’identification de lignes et la reconnaissance de formes
aléatoires difficiles à verbaliser.
80
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
aussi de reproduire dans des expériences auprès d’adultes sains des analogues expérimentaux
de la situation de dissociation de la pathologie cérébrale. En effet, si deux tâches suffisamment
contraignantes peuvent être réalisées simultanément par des sujets normaux sans que l’on
observe d’interférence, le chercheur peut faire l’hypothèse que des dissociations pourraient
être observées en cas de pathologie.
La stabilité des performances latérales est loin d’être la règle, et des effets de pratique sont
souvent notés dans des tâches verbales : ces variations spontanées révèlent le caractère incom-
plet des modèles structurels de l’organisation du langage dans le cerveau.
Pour expliquer ces variations, quelques travaux considèrent les interactions entre facteurs
attentionnels et/ou d’activation hémisphérique spécifique et facteurs structuraux, comme
déterminants des asymétries de performances. L’idée générale est que les asymétries de perfor-
mances latérales relèveraient des différences de compétences des hémisphères en interaction
avec des biais attentionnels en faveur de l’hémi-espace droit ou gauche ainsi que du niveau
d’activité de chaque hémisphère. Précisément, selon Kinsbourne (2000), lorsque le matériel
est verbal, les attentes ou le fait de traiter un matériel verbal amorcent l’HG, ce qui génère
un biais attentionnel vers l’hémi-espace droit. Ce biais permet une détection plus efficace des
événements qui surviennent du côté controlatéral à l’hémisphère alerté. Lorsqu’une fonction
81
Manuel de neuropsychologie
est mise en jeu au sein d’un hémisphère, l’activité des aires sollicitées se propage à l’ensemble
des aires de l’hémisphère selon un gradient de distance fonctionnelle cérébrale. L’activation
conduit à la disponibilité fonctionnelle accrue des autres fonctions hémisphériques et à un
surcroît d’attention en faveur de l’hémi-espace sensoriel controlatéral à l’hémisphère activé.
Enfin, l’hémisphère le plus activé, sans être forcément le seul compétent, peut entraver la mise
en jeu de son homologue.
• La mise en évidence expérimentale de ces phénomènes d’« activation hémisphérique spéci-
fique » et de leurs effets fait appel au paradigme de doubles tâches présentées en succession
ou en concurrence : à la présentation latérale des stimuli de la tâche lexicale d’intérêt sont
ajoutés divers dispositifs visant à modifier le niveau d’activité hémisphérique :
• Une activation hémisphérique spécifique et ses effets facilitateurs sur le champ perceptif
controlatéral sont recherchés en proposant deux tâches en étroite succession : une
première, non latéralisée, mais dont on attend l’activation spécifique de l’hémisphère le
plus compétent et une deuxième, en champ divisé, qui permet une mesure des perfor-
mances hémisphériques pour un traitement verbal donné.
• Une levée de l’inhibition inter-hémisphérique est recherchée en imposant deux tâches en
concurrence : leur réalisation simultanée peut, pour une faible charge de traitement, être
prise en charge par un seul hémisphère, suscitant une activation hémisphérique spécifique ;
tandis que pour une charge élevée, les ressources hémisphériques peuvent se trouver
dépassées, ce qui devrait conduire à une levée de l’inhibition exercée sur l’hémisphère
controlatéral ou à son « recrutement ».
• Les rares applications de ce paradigme confortent les hypothèses générales de Kinsbourne
en montrant des variations des performances latérales en lien avec l’activation hémisphé-
rique spécifique suscitée par une tâche ajoutée qui « engage » de façon prépondérante un
des hémisphères. Des travaux chez un split-brain (Faure et Blanc-Garin, 1994) et chez des
sujets normaux montrent que les performances lexicales du système cvg-HD, médiocres,
peuvent être améliorées, de façon transitoire. Précisément, une activation spécifique de l’HD
au moyen d’une tâche préalable visuospatiale améliore considérablement les performances
lexicales du champ visuel gauche, qui rivalisent alors avec celles du champ visuel droit. La
surcharge fonctionnelle de l’hémisphère gauche au moyen d’une tâche mnésique verbale
concurrente a des effets analogues.
Ces modifications expérimentales des différences latérales chez un même sujet réalisant
la même tâche incitent à une grande prudence dans l’interprétation des performances laté-
rales en termes de compétences des hémisphères. En particulier, les compétences lexicales
de l’hémisphère droit sont probablement souvent sous-évaluées chez le sujet normal parce
que mises à l’épreuve dans des conditions défavorables à leur expression. L’impact du niveau
d’activité hémisphérique et de l’équilibre d’activation entre les hémisphères sur l’expression
des capacités lexicales de l’hémisphère droit reste malheureusement insuffisamment pris en
compte dans l’étude des troubles du langage, qu’ils surviennent après lésion de l’hémisphère
droit ou de l’hémisphère gauche.
82
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
La logique générale est de présenter simultanément le matériel de la tâche dans les deux
hémichamps mais deux voies différentes sont empruntées selon les phénomènes visés : la
stimulation bilatérale redondante permet de rechercher les signes d’une coopération entre
les hémisphères cérébraux ; la stimulation bilatérale non redondante vise, quant à elle,
à comprendre comment le partage inter-hémisphérique des traitements cognitifs peut opti-
miser la performance.
• La présentation simultanée de deux copies du même stimulus visuoverbal à droite à gauche
du point de fixation du sujet adresse la même information en même temps aux deux hémis-
phères, et la comparaison de cette stimulation bilatérale redondante aux stimulations
unilatérales (cvg ou cvd) permet de rechercher des signes de coopération inter-hémisphérique
dans l’accès lexical. La décision lexicale est à la fois plus rapide et plus exacte lorsque la même
chaîne de lettres est présentée en même temps à droite et à gauche du point de fixation
que lorsqu’elle est présentée dans l’hémichamp qui permet les meilleures performances,
habituellement le champ visuel droit chez les sujets droitiers. Cet avantage de la stimulation
bilatérale redondante (« avantage bilatéral ») est d’une part spécifique aux mots (c’est-à-dire
qu’il n’est pas observé pour les non-mots) et d’autre part n’est pas mis en évidence chez un
patient commissurotomisé. Ceci amène à privilégier une explication en termes de coopé-
ration (plutôt que de compétition) entre les hémisphères :
• les substantifs à référent concret, parce qu’ils ont été acquis dans un contexte plurisen-
soriel, sont sous-tendus par des assemblées de neurones largement distribuées entre les
hémisphères ;
• la représentation correspondante sera plus facilement et rapidement activée lorsque
les deux composantes hémisphériques droite et gauche de l’assemblée transcorticale de
neurones sont stimulées par un mot en entrée ;
• l’avantage bilatéral en décision lexicale résulterait d’une coopération inter-hémisphérique
qui n’est possible que pour les stimuli représentés à long terme dans le lexique et qui sont
inscrits dans des assemblées de neurones transcorticales. Cette coopération repose sur
le corps calleux.
• Un autre éclairage est porté sur les interactions hémisphériques par Marie Banich : la stimu-
lation bilatérale, cette fois-ci non redondante (c’est-à-dire avec présentation simultanée de
stimuli différents à droite et à gauche) est utilisée pour comprendre comment les traite-
ments sont répartis entre les hémisphères en fonction de la difficulté de la tâche, définie
à la fois par la complexité des traitements (charge cognitive) et la demande attentionnelle
(charge perceptive). La tâche classique consiste à décider si, parmi trois lettres présentées
autour du point de fixation, deux sont identiques (par exemple sur le plan physique : [aa] :
oui versus [aA] : non) ; les lettres sont affichées de part et d’autre du point de fixation de
façon telle que dans certains essais les deux items critiques pour la décision sont adressés
l’un à l’hémisphère droit, l’autre à l’hémisphère gauche, tandis que dans d’autres essais, les
83
Manuel de neuropsychologie
deux items sont adressés à un seul hémisphère (le gauche ou le droit). Les résultats indiquent
que la division des entrées entre les hémisphères devient avantageuse pour des tâches rela-
tivement complexes (par exemple décider de l’identité sémantique entre deux lettres), par
rapport à des tâches plus simples (décider si deux lettres sont identiques du point de vue
perceptif). Ainsi, la charge cognitive et/ou la demande attentionnelle constituent deux déter-
minants importants de la façon dont les hémisphères se répartissent les traitements requis
par la tâche. Le partage des traitements entre les hémisphères permettrait d’optimiser la
performance lorsque la complexité des tâches s’accroît. L’interaction inter-hémisphérique
constitue un mécanisme flexible et adaptatif dont le rôle dans la réalisation de la tâche change
de façon dynamique en fonction des demandes de traitement (Weissman et Banich, 2000).
La présentation brève d’une stimulation latéralisée mais cette fois-ci au sein d’une confi-
guration qui fait du sens donne accès à l’engagement des hémisphères cérébraux dans des
conditions plus proches de ce qui se passe hors des situations expérimentales. En effet, les
expériences décrites jusqu’ici utilisent des items très simples (e.g. mots, dessins d’objets, figures
géométriques, etc.) et isolés, privés du contexte que peuvent constituer un texte ou une scène
visuelle. Cette exposition d’items isolés, seulement unilatérale ou bien bilatérale mais redon-
dante, ne permet pas la constitution d’une configuration globale. Cette intégration en une
configuration, dotée d’une signification unitaire qui dérive de ses différentes composantes
physiques et sémantiques, ainsi que de la façon dont elles sont organisées dans la scène visuelle,
est pourtant indispensable pour donner un sens à notre environnement visuel. Pour réduire
le fossé entre laboratoire et vie quotidienne, des travaux en champ visuel divisé (Spotorno
et Faure, 2011) présentent des scènes visuelles complexes, figurant des interactions et des
événements sociaux (par exemple, une jeune fille qui fait ses courses), pour un temps infé-
rieur à 200 ms et en vision centrale. La tâche du sujet est de détecter un changement entre
une première image et une seconde : un objet qui est présent dans le champ visuel gauche ou
dans le droit, tout en étant normalement intégré dans la scène, peut être utilisé pour réaliser le
changement ; par exemple, il peut disparaître dans la seconde image. Cette procédure respecte,
à la fois, les contraintes temporelles et spatiales de la tachistoscopie latéralisée et la nécessité
d’un partage des informations entre les hémisphères pour la construction de la configuration
globale, physique et sémantique de la scène, d’une façon proche de ce qui se passe dans la vie
quotidienne. Ce paradigme original est sensible aux asymétries hémisphériques fonctionnelles,
montrant dans certaines conditions une supériorité de l’HD pour le traitement rapide des
scènes visuelles (encadré 13 ci-contre).
Les méthodes présentées ici donnent accès, certes essentiellement sur la dimension gauche-
droite, aux substrats cérébraux des activités cognitives à partir de l’étude de sujets normaux
et de l’analyse d’indices comportementaux. Ces données peuvent être confrontées à celles de
84
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
la neuro-imagerie et de la pathologie, et depuis peu aux résultats des méthodes par stimula-
tion cérébrale (section 5 de ce chapitre). Ceci constitue une des voies possibles pour tester
« l’obtention d’inférences parallèles » dont Shallice souligne l’importance (1995). Le domaine
de la latéralisation fonctionnelle des circuits cérébraux qui nous permettent de détecter un
changement survenant dans l’environnement visuel illustre cette possibilité d’enseignements
robustes obtenus en confrontant des approches dont les logiques sont très différentes. La
neuro-imagerie montre des activations cérébrales latéralisées à droite pendant des tâches de
détection du changement, sans pouvoir établir forcément le caractère causal ni la nature précise
de l’implication des aires activées. L’analyse conjointe des conséquences des lésions unilatérales
droites et des désactivations réversibles du cortex droit obtenues par neurostimulation chez
le sujet sain indique, elle, que les réseaux hémisphériques droits contribuent effectivement
à la détection du changement. Enfin, les études en champ visuel divisé aident à mieux saisir
« comment » l’hémisphère droit contribue à ces traitements. Avec la manipulation expérimen-
tale rigoureuse de facteurs liés au stimulus (sur les versants physique et sémantique) et des
paramètres temporels (temps d’exposition des stimuli, Stimulus Onset Asynchrony ou SOA),
elles apportent des informations sur les processus élémentaires requis par l’activité (attention-
nels, mnésiques, etc.) et le décours temporel de l’intervention des hémisphères.
Encadré 13
Perception consciente du changement visuel et hémisphères cérébraux
(Sara Spotorno)
La détection du changement (ou change survenir pour une grande variété de stimuli,
detection, Rensink, 2002) renvoie à la percep- allant d’objets très simples à des scènes com-
tion consciente des modifications survenant plexes et dynamiques, et de modifications,
dans l’environnement. Toutefois, si les signaux comme l’ajout, l’élimination, la substitution,
transitoires (e.g. les variations de luminosité) le déplacement d’un objet, ou encore le chan-
qui sont normalement associés à ces modifi- gement de ses propriétés physiques (e.g. la
cations sont perturbés, l’attention n’est pas couleur). Différentes techniques sont utilisées
« capturée » mais doit être focalisée volontai- pour perturber les signaux transitoires. Le
rement sur le changement. Dans ce cas, les plus fréquemment, le changement est réalisé
performances sont souvent faibles, même si pendant une saccade oculaire ou l’intervalle
les modifications sont attendues, amples et temporel entre deux images, pour interrompre
répétées. Cette cécité fonctionnelle au chan- la continuité de la modification. On peut distin-
gement, ou change blindness, implique une guer (figure 1) les méthodes flicker (plusieurs
contribution insuffisante des représentations cycles d’images et de changements par essai
visuelles à la perception consciente, que ce jusqu’à la réponse ou une limite temporelle
soit dû à un problème d’allocation de l’atten- fixée) et one-shot (un seul cycle d’image et de
tion ou aux limites des capacités mnésiques changement).
(Spotorno et Faure, 2011). Le phénomène peut
85
Manuel de neuropsychologie
Figure 1 – Schéma des méthodes flicker (a) et one-shot (b). Exemple d’ajout latéralisé
d’un objet. Dans la version one-shot, suivant les principes de la présentation en champ
visuel divisé (chap. 2, section 3), l’information relative au changement peut être
d’abord reçue seulement par l’hémisphère controlatéral à l’hémichamp visuel
où la modification est réalisée.
Nous avons adapté le paradigme one-shot changement serait alors due à l’impossibilité
pour explorer les contributions respectives de comparer les traces mentales pré/postmo-
des hémisphères cérébraux (Spotorno et Faure, dification, à cause de leur séparation rigide,
2011). L’information concernant le changement d’une surimpression, de difficultés d’accès, ou,
est délivrée de façon sélective à un seul hémis- encore, d’un format non utilisable.
phère, par exemple en ajoutant un objet dans la Plusieurs études soulignent une contribution
moitié droite ou gauche de la scène, comme le dominante de l’hémisphère droit à la détec-
montre la figure 1. L’organisation visuospatiale tion du changement visuel. Les résultats de
et sémantique globale de la scène et la néces- la neuro- imagerie et de l’analyse des dys-
sité d’une coopération interhémisphérique pour fonctionnements temporaires (e.g. stimu-
l’intégration des informations sont ainsi main- lation magnétique transcrânienne, chap. 2,
tenues, comme dans la vie de tous les jours. section 5) ou chroniques (lésions cérébrales
L’exploration des asymétries hémisphériques unilatérales) montrent l’engagement de plu-
se fait dans le cadre d’un débat qui met en sieurs aires organisées en réseau et dotées de
présence deux perspectives théoriques. Selon fonctions spécifiques. Deux régions cruciales
un des points de vue, les représentations inclu- ont été particulièrement étudiées (figure 2). Le
raient à chaque instant des informations très recrutement du cortex pariétal postérieur droit
limitées et nécessaires à la tâche en cours. serait plutôt lié à l’orientation de l’attention
Cette perspective insiste donc sur le rôle dans l’espace visuel et à l’encodage de la scène
crucial de l’allocation de l’attention pour la originale. Le cortex préfrontal dorsolatéral droit
sélection et l’encodage de l’information. Une sous-tendrait, pour sa part, l’élaboration, le
autre approche suggère, au contraire, que les maintien et la mise à jour des représentations
représentations peuvent être riches et détail- relatives à l’identité des objets et à leurs posi-
lées, avec des contributions de la mémoire tions, tout au long des traitements qui per-
à court terme et à long terme. La cécité au mettent in fine la détection du changement.
86
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
Les recherches ont donc mis en évidence une concerne principalement les intervalles courts
implication pariétale postérieure plus précoce (jusqu’à 100 ms). Cela suggère que les régions
et circonscrite que celle préfrontale. Ces dif- ventrales droites, qui contrôlent l’orientation
férences de recrutement selon la dynamique attentionnelle rapide, plutôt automatique
temporelle modulent aussi l’engagement des et dépendante des propriétés des stimuli,
hémisphères et, par conséquent, le patron de auraient, elles aussi, un rôle important dans la
supériorité fonctionnelle inféré à partir des détection du changement visuel. L’allongement
asymétries de performances latérales dans les du temps de traitement de la scène originale
études en champ visuel divisé. En particulier, permettrait, en outre, une contribution plus
la manipulation de la durée de l’intervalle entre efficace de l’hémisphère gauche, grâce à la
les scènes originale et modifiée montre que la mise en place de stratégies de traitement de
dominance fonctionnelle de l’hémisphère droit type verbal.
Figure 2 – Schéma de la face externe de l’hémisphère droit, avec délimitation des aires
de Brodmann (encadré 4, p. 31) et indication des principales régions montrant
une supériorité fonctionnelle relative dans la détection du changement visuel
par rapport aux régions homologues gauches.
Tout indique ainsi que les deux hémisphères différentes et complémentaires sont intégrées
de notre cerveau contribuent de façon unique dans l’appréhension de l’environnement visuel
mais complémentaire à la conscience du chan- (encadré 11, p. 74), une activité au moins aussi
gement visuel. L’enjeu des développements omniprésente et fondamentale que la commu-
à venir de ce domaine est de comprendre nication verbale.
comment ces contributions fonctionnelles
En résumé, fondées sur l’analyse d’indices comportementaux, les recherches en champ divisé
chez le sujet normal ont une place spécifique en neuropsychologie. D’une part, elles permettent
de mesurer finement l’efficacité des traitements hémisphériques, et de distinguer leurs impli-
cations pour des processus élémentaires au sein d’activités complexes par la manipulation
expérimentale de facteurs. D’autre part, elles constituent une voie privilégiée pour à la fois
distinguer les divers modes de relation entre les hémisphères, de l’isolement inter-hémisphérique
au mode coopératif, et étudier les facteurs qui déterminent le passage de l’un à l’autre.
87
Manuel de neuropsychologie
88
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
Les fluctuations de l’activité électrique cérébrale spontanée, telles qu’elles sont mesurées par
les méthodes électroencéphalographiques, résultent de l’association d’un bruit de fond et de la
réponse électrophysiologique spécifique à une stimulation sensorielle ou cognitive. La méthode
des potentiels évoqués vise à extraire cette réponse du signal bruité par un moyennage des
réponses à plusieurs stimulations identiques. Le plus souvent, un potentiel évoqué est repré-
senté, après moyennage, sous forme graphique dont l’ordonnée est exprimée en microvolts et
l’abscisse en millisecondes. L’origine de l’axe des abscisses correspond au début de la stimulation,
et l’abscisse est le délai d’apparition ou « temps de latence » du pic de potentiel par rapport à la
stimulation. L’axe des ordonnées est séparé par une ligne correspondant à 0 microvolt, qui rend
compte des variations de l’amplitude des potentiels. On distingue ainsi des potentiels positifs (P)
et négatifs (N). Le chiffre qui suit ces lettres désigne le temps de latence moyen de ce potentiel
(N 400, P 300, etc.). La résolution temporelle de cette méthode est excellente puisqu’elle est
seulement limitée par la fréquence d’échantillonnage. Deux types de potentiels évoqués sont
décrits : les potentiels sensoriels ou « exogènes » (liés directement aux propriétés de la stimu-
lation), et les potentiels cognitifs dits « endogènes ». Les composantes cognitives sont le plus
souvent tardives (avec l’apparition d’un potentiel évoqué à au moins 100 ms après le début de
la stimulation). Cependant, la distinction entre composantes exogènes et endogènes est parfois
difficile à effectuer, les potentiels cognitifs pouvant se superposer aux potentiels exogènes.
La méthode de mesure des potentiels évoqués est la plus utilisée parmi les méthodes élec-
trophysiologiques actuelles. En neuropsychologie, sa contribution est essentielle dans la
compréhension des mécanismes neurophysiologiques de différents troubles perceptifs. Cette
méthode est également très utilisée dans des recherches en neurosciences cognitives portant
sur des sujets sains (encadrés 14 et 15, p. 90 et p. 91). À partir du signal EEG brut enregistré au
niveau du scalp, cette technique permet d’extraire de l’activité spontanée non liée à la tâche
l’activité évoquée par des processus spécifiques que l’on souhaite étudier, par exemple les
processus mnésiques. Les potentiels évoqués sont obtenus grâce au moyennage de l’activité EEG
mesurée pendant la tâche d’intérêt. Grâce à leur excellente résolution temporelle, ils apportent
des informations précieuses sur la nature et le déroulement des processus mnésiques. Cette
technique permet également de révéler l’existence de modifications ou de réorganisations que
le comportement ne permet pas de mettre en évidence : ainsi, le ralentissement de certains
processus n’entraîne pas toujours un allongement des temps de réponse et le recrutement
d’un plus grand nombre de régions cérébrales ne s’accompagne pas nécessairement d’une
modification des performances. La complémentarité des données comportementales et élec-
trophysiologiques permet donc d’enrichir notre compréhension du fonctionnement cognitif.
89
Manuel de neuropsychologie
Encadré 14
Électro-encéphalographie et cognition (Patrice Clochon)
Dans le vieillissement normal, les performances (EEG) a été enregistrée chez 13 sujets jeunes
en mémoire épisodique évaluées à l’aide de (20-30 ans ; m = 24), 13 sujets d’âge intermé-
tâches de reconnaissance restent préservées diaire (50-64 ans ; m = 58) et 12 sujets âgés (65-
jusqu’à un âge avancé. Cependant, comme cela 75 ans ; m = 70) pendant qu’ils réalisaient une
a été montré dans certaines études, des modi- tâche de reconnaissance constituée de visages
fications de l’activité cérébrale peuvent appa- célèbres. Lors de l’encodage, incident, un trai-
raître bien avant que les premières diminutions tement sémantique était effectué (dire si la
de performances ne soient observées. Par ail- personne est un acteur ou non). En phase de
leurs, plusieurs processus contribuent à la récupération, le paradigme Remember/Know/
performance en reconnaissance : la familiarité, Guess, était proposé afin d’évaluer la qualité
la recollection et des processus de contrôle, subjective du souvenir : les sujets devaient
ayant lieu après la récupération elle-même. Les indiquer s’ils se souvenaient du visage avec
études de potentiels évoqués permettent de un sentiment de reviviscence, témoignant d’un
mettre en évidence les corrélats électrophy- processus de recollection (réponse Remember),
siologiques de ces trois processus. L’objectif s’ils se souvenaient du visage mais seule-
de l’étude réalisée par Guillaume et al. (2009a) ment sur la base d’un sentiment de familiarité
était de préciser l’âge d’apparition des pre- (réponse Know), ou s’ils n’étaient pas certains
mières modifications cérébrales et comporte- de l’avoir vu (réponse Guess).
mentales. L’activité électroencéphalographique
90
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
Alors que la performance n’est pas modifiée et 650 ms, corrélat de la familiarité) n’est pas
avant 65 ans, des changements de l’activité modifié avant 65 ans.
cérébrale apparaissent dès 50 ans. Les effets Ces résultats montrent tout l’intérêt de la
old/new pariétal entre 500 et 800 ms et frontal méthode des potentiels évoqués pour la mise
tardif entre 800 et 1 000 ms (corrélats électro- en évidence de modifications liées à l’âge qui
physiologiques de la recollection et des pro- sont difficiles à objectiver sur le plan comporte-
cessus de contrôles respectivement) sont les mental et leur compréhension : ici, le contraste
premiers à être affectés et la réduction de leur entre processus contrôlés sensibles aux effets
amplitude est corrélée avec l’avancée en âge. de l’âge et processus automatiques, préservés.
En revanche, l’effet frontal précoce (entre 300
Encadré 15
Cerveau, langage et musique (Mireille Besson)
Quels sont les mécanismes neurophysiolo- attendue en fonction de la tonalité de la phrase
giques impliqués dans la compréhension du musicale (diatonique), ou par une fausse note
langage ? Dans quelle mesure ces mécanismes (non diatonique), hors de la tonalité (Besson et
sont-ils similaires à ceux impliqués dans la Faïta, 1995). Les résultats montrent que la pré-
perception de la musique ? Afin de répondre sentation d’une fausse note ne suscite pas l’oc-
à ces questions, nous utilisons la méthode currence d’une composante N400, mais d’une
des potentiels évoqués, qui offre une excel- composante positive dont le maximum d’ampli-
lente résolution temporelle et qui permet de tude se situe 600 ms environ après le début
déterminer dans quelle mesure deux processus de la fausse note, et dénommée P600 (figure 1).
sont similaires ou différents, en étudiant les Ainsi, la composante N400 serait spécifique du
caractéristiques de leur signature sur le scalp. traitement sémantique. Les mécanismes impli-
En 1980, Marta Kutas et Steven Hillyard ont qués dans la compréhension d’un mot seraient
démontré que la présentation d’un mot qui n’est donc qualitativement différents de ceux impli-
pas attendu dans le contexte d’une phrase, tel qués dans la perception d’une fausse note.
le mot « narines » dans la phrase « il porte sa Nous avons ensuite approfondi ces résultats en
fille dans ses narines » suscite l’occurrence utilisant un matériel qui offre une combinaison
d’une variation négative (N) du potentiel cortical parfaite du langage et de la musique : l’opéra
qui atteint son maximum d’amplitude 400 milli- (Besson et al., 1998). Nous avons répertorié
secondes environ après la présentation du mot 200 extraits d’opéra français, que nous avons
inattendu : la composante N400 (figure 1). Les demandé à une chanteuse de chanter a cap-
résultats de nombreux travaux permettent de pella (sans accompagnement instrumental).
penser que la composante N400 reflèterait les Chaque extrait était présenté dans l’une des
processus d’intégration sémantique : moins un quatre conditions expérimentales suivantes : le
mot est attendu dans un contexte linguistique dernier mot était 1) sémantiquement congruent
particulier, plus ample est cette composante. et chanté juste ; 2) sémantiquement incongru
Afin de tester la spécificité linguistique de la et chanté juste ; 3) sémantiquement congruent
composante N400, nous avons présenté des et chanté faux et 4) sémantiquement incongru
phrases musicales, extraites d’air familiers et chanté faux. Ces extraits étaient présentés
(un extrait des Quatre saisons de Vivaldi), et à des musiciens professionnels de l’opéra de
terminées par la note juste, par une note peu Marseille (figure 2).
91
Manuel de neuropsychologie
La présentation d’un mot sémantiquement important de noter que l’effet observé dans la
incongru dans le contexte linguistique sus- condition de double incongruité est égal à la
cite l’occurrence d’une composante N400 somme des effets enregistrés dans les deux
(figure 2A). En revanche, un mot sémanti- conditions de simple incongruité (sémantique
quement congruent chanté faux est associé ou harmonique). Un modèle additif des traite-
à une composante P600 (figure 2B). Le résultat ments sémantique et harmonique rend donc
le plus intéressant est obtenu dans la condi- très bien compte des résultats obtenus, qui
tion de double incongruité : lorsque le mot est permettent ainsi de démontrer que les aspects
sémantiquement incongru et chanté faux, sémantiques du langage seraient traités indé-
on observe successivement une composante pendamment des aspects harmoniques de la
N400 et une composante P600 (figure 2C). Il est musique.
92
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
L’Event Related Desynchronization est caractérisé par une résolution temporelle qui permet
de suivre le décours temporel des modifications électroencéphalographiques, et ainsi de distin-
guer les différentes étapes impliquées dans le processus étudié. De plus, cette méthode intègre
une normalisation en pourcentage des variations électroencéphalographiques par rapport à une
ligne de base : des désynchronisations et des synchronisations qui correspondent respective-
ment à des activations et à des désactivations.
La magnétoencéphalographie n’est pas, à proprement parler, une technique électrophy-
siologique mais permet de mesurer la faible activité magnétique qui est couplée à l’activité
électroencéphalographique. Cette activité est recueillie à l’aide de capteurs magnétiques supra-
conducteurs. L’association de la magnétoencéphalographie avec l’électroencéphalographie
améliore la localisation spatiale des dipôles. Le générateur de l’activité recueillie en surface
93
Manuel de neuropsychologie
étant assimilé à un dipôle de courant équivalent, il est ainsi possible de calculer la position
de ce dipôle de façon à reproduire au mieux l’activité magnétique recueillie en surface. Cette
technique apporte donc une information spatiale de façon indirecte. Elle permet de détecter des
indices complémentaires à l’électroencéphalographie. La magnétoencéphalographie jouera un
rôle important dans les années qui viennent dans les recherches en neurosciences cognitives.
Deux techniques de stimulation corticale sont également utilisées en électrophysiologie.
Leur principe est de provoquer une inactivation transitoire du fonctionnement de la zone
stimulée. La première, la stimulation électrique préopératoire, est réservée aux patients béné-
ficiant de certaines interventions neurochirurgicales. La deuxième technique, la stimulation
magnétique transcrânienne, utilise un champ magnétique intense qui induit dans le cerveau
un champ électrique suffisamment élevé pour activer les neurones du cortex sous-jacent. Elle
permet d’obtenir une stimulation focalisée sur une zone de quelques millimètres (section 5
de ce chapitre).
Enfin, les méthodes d’oculométrie (ou eye-tracking) sont de plus en plus utilisées conjoin-
tement à des investigations en neuropsychologie. Cette technique permet l’enregistrement en
temps réel des mouvements oculaires le plus souvent à l’aide d’une caméra vidéo ou d’un détec-
teur optique enregistrant le reflet émis par un rayon infrarouge projeté sur la cornée oculaire.
Elle vise à recueillir des données sur le diamètre pupillaire et la position spatiale de l’œil, cette
dernière permettant d’obtenir des mesures de fixations (pause de l’œil sur un point d’intérêt)
et de saccades oculaires (passage d’une fixation à une autre) (encadré 16 ci-dessous pour une
présentation, et encadré 46 p. 296 pour une application dans les troubles du spectre autistique).
Encadré 16
Oculométrie et neuropsychologie (Par Sara Spotorno, Anaïs Leroy
et Hanane Ramzaoui)
La méthode dite « d’oculométrie », ou encore des indicateurs variés, précis et dynamiques
eye tracking, consiste en un enregistrement et sur la façon dont nous appréhendons le monde
en une analyse temporelle et spatiale du regard visuel – par exemple sur l’orientation de l’atten-
de l’observateur sous ses différents aspects, tion visuelle lors de différentes activités, de la
principalement fixations (phase de relative sta- tâche expérimentale très épurée de recherche
bilité), saccades oculaires (déplacement rapide visuelle d’une cible au sein d’un ensemble
du regard entre deux fixations) et poursuite de stimuli sans signification à la réalisation
oculaire (lorsqu’on suit des yeux le mouve- d’une activité de la vie quotidienne, comme se
ment d’une cible). L’objectif est de recueillir confectionner un café.
94
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
Le regard, les mouvements oculaires
Les saccades sont des mouvements des yeux interaction, impliquant eux-mêmes de nom-
très rapides (jusqu’à 900°/s) qui déplacent la breuses régions corticales (surtout frontales
région centrale de la rétine (la fovéa), à haute et pariétales) et sous-corticales (le colliculus
acuité visuelle, en moyenne 3-4 fois par supérieur – CS, le thalamus, les ganglions
seconde, entre deux points de fixation dans de la base, le cervelet et la formation réticu-
le champ visuel. Le déplacement peut se faire laire). Notons que les saccades vers la gauche
dans toutes les directions, de façon que nous dépendent principalement de l’hémisphère
puissions percevoir les détails des différentes droit et celles vers la droite dépendent prin-
zones d’intérêt présentes dans une scène cipalement de l’hémisphère gauche : le réseau
visuelle, même si les saccades horizontales du comportement oculomoteur est organisé
sont les plus fréquentes. Durant la saccade, de façon telle que les informations visuelles
aucune information n’est recueillie sur le reçues par le CS de chaque hémisphère sont
stimulus visuel : c’est la suppression sacca- organisées dans des cartes rétinotopiques
dique, qui nous permet de percevoir le monde qui représentent le champ visuel controlatéral
visuel comme stable même s’il se déplace sur (encadré 9, p. 70). L’organisation controlatérale
la rétine. Saccades et fixations sont omnipré- dans l’activité du CS est présente aussi pour
sentes dans notre vie quotidienne ; la plupart les signaux qui contrôlent les saccades : diri-
du temps notre comportement oculomoteur gées vers un côté de l’espace elles sont donc
échappe à notre conscience, mais, comme principalement sous le contrôle des réseaux
nous en faisons l’expérience quotidienne, nous de l’hémisphère opposé grâce à une média-
pouvons aussi utiliser de façon volontaire et tion du CS. Le CS (avec les champs oculaires
consciente les mouvements des yeux dans frontal – frontal eye field (FEF) – et pariétal
beaucoup d’activités, comme pour explorer une qui ont aussi un engagement surtout contro-
pièce à la recherche d’un livre, ou lire ce texte. latéral), constitue l’épicentre de la boucle
Le système cérébral complexe qui contrôle rétino-occipito-pariéto-colliculo-réticulaire qui
les saccades comprend plusieurs réseaux en contrôle les prosacccades (i.e. réflexives vers
une cible) (d’après Faure et al., 2016).
95
Manuel de neuropsychologie
Une caméra à très haute définition filme l’œil de time) et la fin (end time) ; ensuite c’est l’appli-
l’observateur. Ce système d’enregistrement est cation d’algorithmes qui prennent en compte
couplé à une partie informatique, qui pilote la la vitesse (maximale, accélération) qui permet
tâche visuelle (affichage des stimuli à l’écran), de distinguer les saccades et les fixations. Ceci
enregistre les réponses du participant (temps sera traduit en un scanpath, c’est-à-dire une
de réponse et exactitude à la tâche) ainsi que carte de la séquence de fixations (et donc de
les paramètres de son comportement oculomo- celle des saccades) sur l’image.
teur : les coordonnées en x et y, le début (start
Un appareillage qui ressemble à des montures ce qui est nécessaire pour certains individus,
de lunettes est équipé de caméras qui filment ce d’autant plus qu’ils sont âgés. L’appareillage
d’une part les yeux de l’observateur (deux, est relié à un système d’enregistrement des
une pour chaque œil) et d’autre part la scène données et de contrôle (par exemple, pour
visuelle. Des verres, neutres ou correcteurs, l’étape de calibration) en temps réel des coor-
y compris de protection solaire, peuvent par- données spatiales du regard.
fois être ajustés sur le dispositif d’eye tracking,
96
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
naturels et lors de la réalisation d’activités de spectre autistique. Leurs stratégies d’explora-
la vie quotidienne, comme se confectionner un tion visuelle apparaissent « singulières carac-
goûter, cette fois-ci grâce aux dispositifs d’ocu- térisées par un regard se focalisant sur des
lométrie mobile. Cette approche présente une éléments de détails, non pertinents pour la
forte validité écologique et facilite la traduction compréhension d’une scène sociale ou la recon-
des résultats de la recherche en interventions naissance émotionnelle d’un visage […] et ceci
visant à préserver l’autonomie du patient (pour retarderait « le désengagement attentionnel
revue, Ramzaoui et al., sous presse). requis pour accéder à une vision d’ensemble
L’encadré 46 (p. 296) souligne tout l’intérêt d’une information » avec des conséquences sur
de l’oculométrie dans l’étude des particula- l’encodage d’informations en mémoire épiso-
rités des traitements sensoriel et perceptif dique (Rebillard et al., 2017).
chez les personnes souffrant d’un trouble du
97
Manuel de neuropsychologie
désoxyglucose avec le 18F. Plus récemment des traceurs des dépôts amyloïdes sont également
apparus, marqués au 11C ou au 18F.
La TEP permet ainsi d’accéder au métabolisme cérébral du glucose dans des conditions de
repos avec le 18FDG. Cette mesure, utilisant un radio-isotope à la demi-vie longue, reflète donc
une consommation cérébrale moyenne de glucose sur environ une heure chez des sujets ne
recevant, le plus souvent, aucune consigne particulière si ce n’est de rester éveillé.
Une autre utilisation de la TEP est la méthode des activations, qui consiste en des mesures
d’indices de l’activité cérébrale au cours de différentes tâches cognitives. Certaines sont consi-
dérées comme des tâches « de référence », d’autres comme des tâches « expérimentales ». Par
hypothèse, un seul traitement cognitif diffère entre la tâche expérimentale et la tâche de réfé-
rence. Les indices recueillis lors de ces deux mesures sont ensuite comparés : la différence entre
les valeurs recueillies lors de la tâche de référence et celles enregistrées lors de la tâche expéri-
mentale permet d’identifier les aires cérébrales impliquées dans un traitement particulier. Ce
type d’étude exige bien sûr de multiples précautions méthodologiques, et toutes ne peuvent être
développées dans cette section (localisation des différentes structures cérébrales, problèmes
liés à la reconstruction des images, normalisation des données, procédures statistiques). Sur le
plan des paradigmes expérimentaux, une difficulté concerne le choix de la tâche de référence.
Dans beaucoup d’études passées, celle-ci consistait en une mesure « au repos » : le sujet éveillé
est immobile, les yeux fermés et ne doit se livrer à aucune activité particulière pendant toute
la durée de la mesure. Cette condition au repos a conduit à la découverte du réseau par défaut
(infra). La méthode des activations en TEP n’est plus guère employée aujourd’hui, mais elle
a permis des découvertes importantes (encadré 17, ci-dessous).
Encadré 17
La méthode des activations en tomographie par émission de positons (TEP) :
exemple de la perception et de la mémoire musicales (Hervé Platel)
Au moyen de la TEP, Platel et al. (2003) ont étu- critères statistiques (infra). Les aspects épi-
dié les substrats neuronaux sous-tendant les sodiques de la mémoire musicale sont étudiés
composantes sémantiques et épisodiques de la à partir d’une tâche de reconnaissance, la moi-
musique. Le paradigme expérimental comprend tié des items (familier ou non-familier) ayant
3 types de tâches d’activation (une sémantique, déjà été présentée lors de la tâche sémantique.
une épisodique, et une tâche contrôle percep- Afin de « gommer » l’activité cérébrale produite
tive), et deux mesures de repos. Ces tâches ont par les traitements perceptifs, moteurs et les
été réalisées par 9 sujets sains, droitiers, non- aspects décisionnels liés au traitement des sti-
musiciens, possédant une culture généraliste muli, deux tâches contrôles perceptives ont été
et homogène de la musique. proposées durant lesquelles les sujets devaient
Dans la tâche sémantique, le sujet doit répondre juger si les deux dernières notes de mélodies
si chaque extrait présenté lui paraît familier ou familières ou inconnues étaient différentes.
inconnu. La moitié des stimuli correspond à des
mélodies familières sélectionnées sur des
98
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
Le matériel musical créé pour les épreuves Pour la mémoire sémantique, l’identification de
présente les caractéristiques suivantes. Ce mélodies familières, parmi des mélodies incon-
sont 128 mélodies courtes sans orchestration, nues, produit de vastes activations du cortex
jouées par un même timbre d’instrument (flûte frontal médian, ainsi que des activations spé-
traversière). Ces mélodies ont été extraites du cifiques des régions temporales moyennes et
répertoire classique ou moderne, en excluant supérieures gauches (figure 2). Les activations
les chansons (de manière à limiter les associa- médianes du cortex frontal semblent signer le
tions verbales). Soixante-quatre sont des mélo- travail de catégorisation effectué par les sujets
dies « familières » (F), car « statistiquement » et ont déjà été observées dans des tâches
identifiables (ou très familières) avec plus de sémantiques sur des mots et des visages.
70 % de réussite pour un groupe témoin (N = 150) L’activité des régions temporales gauches cor-
apparié avec la population d’étude. Soixante- respond à l’accès en mémoire sémantique des
quatre sont des mélodies « non-familières » mélodies. Pour la mémoire épisodique, la recon-
(NF), car désignées à plus de 80 % comme naissance de mélodies familières ou inconnues
inconnues par le même groupe témoin. Chaque parmi des distracteurs entraîne des activa-
mélodie dure 5 secondes, avec un intervalle de tions bilatérales (plus marquées à droite) des
réponse inter-items de 3 secondes. régions frontales moyennes et supérieures,
Les mesures du débit sanguin cérébral régional ainsi que du précunéus (figure 3). Ce pattern
ont été réalisées avec une caméra TEP de haute est conforme à la littérature d’imagerie fonc-
résolution. Après réalignement et normalisa- tionnelle sur la mémoire qui rapporte l’activité
tion spatiale des images, l’analyse statistique de ces régions lors de tâches de rappel en
de groupe a été effectuée avec la méthode SPM. mémoire épisodique avec du matériel verbal
ou visuo-imagé. Ces résultats sont en accord
Comparées aux mesures de repos, les tâches
avec le modèle HERA proposé par Tulving et
contrôles perceptives suscitent des activations
collaborateurs (1994), postulant une asymétrie
particulièrement amples dans les régions tem-
fonctionnelle en faveur de l’hémisphère gauche
porales supérieures (figure 1). Cette activité,
pour la récupération en mémoire sémantique,
nettement plus marquée dans l’hémisphère
et de l’hémisphère droit pour la récupération
droit, est conforme à la littérature montrant
en mémoire épisodique (figure 4).
une supériorité des régions temporales droites
dans le traitement de la hauteur et de la
mélodie.
100
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
Le principe des études en IRM est le suivant : le sujet est placé dans un champ magnétique
stable puis sont appliquées, grâce à une antenne de radio-fréquence placée autour de la tête du
sujet, des séquences d’excitation/détection particulières des protons de l’eau qui permettent de
cartographier les variations de signal de certains paramètres extrinsèques tels que les temps de
relaxation T1, T2 ou T2*. Selon la séquence IRM utilisée et la contribution respective de l’un
ou l’autre de ces paramètres (on parle alors d’image pondérée), différents types d’informations
peuvent être obtenus : anatomique (image pondérée en T1 ou en densité de protons/T2) ou
fonctionnelle (image pondérée en T2*).
La méthode d’analyse SPM (Statistical Parametric Mapping) a été créée il y a une vingtaine
d’années pour l’analyse, voxel par voxel (c’est-à-dire point par point), sur l’ensemble du cerveau,
des données d’activation en tomographie par émission de positons (TEP). Environ cinq ans
plus tard, la méthode a été adaptée pour les données d’imagerie par résonance magnétique
fonctionnelle (IRMf), et la cartographie cérébrale a connu un essor considérable durant cette
période. Parallèlement, les modifications de la taille des structures cérébrales étaient étudiées
via la méthode des régions d’intérêt (ROIs). Cette méthode consiste à tracer le contour de
structures cérébrales choisies a priori sur toutes les coupes IRM où elles apparaissent afin
de connaître leur taille. Il s’agit d’une méthode précise et directe, mais qui présente les désa-
vantages d’être laborieuse, de nécessiter une expertise anatomique et de faire un choix quant
aux structures à étudier. Ce n’est que depuis le tout début du XXIe siècle que les initiateurs de
SPM ont introduit une procédure permettant l’analyse voxel par voxel des données en IRM
anatomique de l’ensemble du cerveau (encadré 18, p. 102 pour le principe général de cette
méthode appelée VBM – pour Voxel-Based Morphometry).
101
Manuel de neuropsychologie
Encadré 18
Approche VBM : les trois étapes de la procédure basique (Gaël Chételat)
Cette procédure comprend les mêmes étapes de substance grise (SG), de substance blanche
que pour des données TEP : (SB), de liquide cérébro-spinal (LCR) et du reste
— de normalisation spatiale (déplacements du cerveau, permettant d’étudier les modifica-
et déformations des données cérébrales tions de volume au sein de chaque classe. Il
individuelles afin de les faire correspondre faut noter que de nombreuses améliorations
à un modèle commun, appelé template, pour ont été apportées à VBM depuis cette première
permettre des analyses de groupe) ; version simplifiée, et son évolution se poursuit
actuellement. La version appelée « VBM opti-
— et de filtrage spatial (permettant d’aug-
mal » inclut des étapes préalables supplémen-
menter le rapport signal sur bruit).
taires pour la création d’un template spécifique
Elle implique une étape supplémentaire de seg- à la population étudiée, ainsi que pour détermi-
mentation, qui consiste à séparer les données ner des paramètres optimaux de normalisation.
102
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
103
Manuel de neuropsychologie
Encadré 19
Principes de l’imagerie par tenseur de diffusion et prétraitements pour l’analyse
Tract-Based Spatial Statistics (TBSS) (Shailendra Segobin)
Figure 1 – Principes de la DTI (a) Diffusion des molécules d’eau dans les différents tissus
cérébraux. Dans le liquide céphalorachidien (LCR) et la substance grise (SG),
les mouvements sont libres et aléatoires (diffusion isotropique). Dans la substance
blanche, les mouvements sont restreints (diffusion anisotropique). (b) Séquence d’imagerie
par résonance magnétique pondérée en diffusion qui montre une diminution du signal
quand le gradient magnétique appliqué est dans la même direction que le faisceau
de substance blanche en question. (c) Exemple de la modélisation des différentes
molécules d’eau en fonction des tissus biologiques.
104
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) est la technique d’imagerie fonc-
tionnelle actuellement privilégiée en neurosciences cognitives pour explorer les liens entre
cerveau et comportement/cognition. Utilisée dès les années 1990, cette méthode d’étude des
activations cérébrales a rapidement supplanté la tomographie par émissions de positons (TEP),
notamment du fait que c’est une méthode non invasive qui n’implique pas l’injection d’isotope
radioactif et parce qu’elle possède une résolution spatiale et temporelle intrinsèque qui offre
des possibilités d’approches nouvelles. Cette technique permet de cartographier, avec une
résolution de quelques millimètres et en quelques secondes, les modifications hémodynamiques
105
Manuel de neuropsychologie
consécutives à l’activité synaptique engendrée par l’exécution d’une activité mentale. Plusieurs
paramètres peuvent être mesurés comme indicateurs de cette activité cérébrale (volume et
débit sanguin cérébral, oxygénation sanguine, etc.). Les premières images par IRM du cerveau
humain en action (par stimulation du cortex visuel) ont été obtenues par l’étude des variations
fonctionnelles locales du volume sanguin cérébral après injection de gadolinium. La méthode
d’IRMf actuellement privilégiée exploite les propriétés magnétiques intrinsèques du sang et
est connue sous le nom de BOLD (pour Blood-Oxygen-Level-Dependent).
Le principe des études en IRMf est, sur le fond, identique à celle de l’IRM classique (supra).
Les mécanismes à l’origine des variations de l’intensité du signal des images pondérées en T2*
lors d’une activité cérébrale sont connus sous le nom de contraste BOLD qui reflète principale-
ment des variations de la pression partielle en oxygène et donc des variations de concentrations
respectives en oxy- et désoxyhémoglobine (oxy- et désoxy-Hb) (encadré 20, p. 108, figure 1).
Lors d’une activité cérébrale, l’absorption d’oxygène au niveau des capillaires cérébraux trans-
forme la molécule d’oxy-Hb en désoxy-Hb porteuse de deux électrons ferreux non appariés
qui lui confèrent des propriétés paramagnétiques et engendrent une modification de champ
magnétique local en son voisinage. Il en résulte une différence de susceptibilité magnétique
des secteurs intra- et extra-vasculaires qui est à l’origine du contraste BOLD. Contrairement
à ce qu’on pourrait penser, le niveau d’oxygénation du sang ne diminue pas mais augmente.
Ce phénomène d’hyperémie est dû à une augmentation du flux sanguin qui excède largement
les besoins en oxygène et qui, en conséquence, abaisse la concentration relative en désoxy-Hb.
Cet effet BOLD se traduit par des variations d’intensité du signal des images pondérées en
T2* ; ainsi lors d’une activité cérébrale, la concentration en désoxy-Hb diminuant, la valeur de
T2* des protons d’hydrogène des molécules d’eau augmentera car il y aura moins d’inhomo-
généités locales. L’allure temporelle du signal BOLD comporte schématiquement trois parties.
Une activité cérébrale engendre, dans un premier temps, une brève composante « négative »
(pendant environ 2 secondes) de faible amplitude et de latence approximativement égale à 1
seconde (phénomène d’initial dip) qui correspondrait à une diminution de la saturation en
oxygène et pourrait refléter une augmentation de la consommation d’oxygène pas encore
compensée par une augmentation du débit sanguin. Survient ensuite une composante « posi-
tive » de longue durée (de 12 à 15 secondes) et de forte amplitude (Peak) qui est la conséquence
directe de l’hyperémie fonctionnelle. Finalement, une nouvelle brève composante « négative »
(d’une durée d’environ 4 secondes) et de faible amplitude (phénomène d’undershoot) apparaît.
Celle-ci pourrait traduire le fait que le volume sanguin retrouve sa valeur basale plus lente-
ment que l’oxygénation sanguine. Ainsi, le niveau de base d’activité est de nouveau atteint
entre 20 et 30 secondes après la stimulation. La forme de cette réponse BOLD peut varier
selon les régions cérébrales et les individus et la signification de ces différents événements
hémodynamiques est encore l’objet de débats d’une importance essentielle pour interpréter
la source du signal enregistré. De plus, elle peut s’additionner de manière approximativement
linéaire lorsque plusieurs événements (activités cérébrales) se succèdent et est relativement
reproductible et stable pour une région donnée. Afin de mesurer les variations du signal T2*
106
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
dans le temps, un volume cérébral complet doit être acquis dans le temps le plus court possible
(1,5 à 6 secondes selon les séquences et les imageurs), et ce, grâce à l’utilisation d’une séquence
d’acquisition ultrarapide appelée echo-planar (EPI, pour Echo Planar Imaging) basée sur la
commutation très rapide de gradients (modifications) de champ magnétique qui permet la
production d’échos multiples d’un même signal. Au cours d’une série ou séquence d’acquisi-
tions (i.e. RUN), plusieurs volumes cérébraux seront ainsi acquis, chacun divisé en voxel (i.e.
« VOlumetric piXEL ») de taille variable selon les paramètres d’acquisition. Les données recueil-
lies font ensuite l’objet d’un ensemble de traitements et d’analyses statistiques (par exemple
à l’aide du logiciel SPM pour Statistical Parametric Mapping) qui doivent être déterminés au
préalable et qui conditionnent l’élaboration du protocole.
107
Manuel de neuropsychologie
post-hoc de celles-ci selon des critères comportementaux. L’IRMf de type événementiel utilise
les mêmes séquences que l’IRMf en bloc, mais les paradigmes et les méthodes de traitements
sont très spécifiques.
Encadré 20
Principes de l’IRM fonctionnelle et paradigmes expérimentaux (Karine Lebreton)
108
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
109
Manuel de neuropsychologie
Vingt-quatre hommes droitiers, âgés entre 20 analyses individuelles pour chaque sujet (fixed-
et 30 ans, ont participé à cette expérience. Les effect model) puis sur l’ensemble du groupe
modifications du signal BOLD enregistrées pen- (second-level analysis) ont été conduites.
dant la phase 2 du paradigme ont été obtenues Le paradigme mis en œuvre permet d’ana-
à l’aide d’une séquence d’acquisition ultrara- lyser les données comportementales et les
pide echo-planar sur un imageur 3 Tesla Philips. modifications de l’activité cérébrale lors de la
Un seul RUN a été réalisé au cours duquel 446 seconde phase en catégorisant les items cibles
volumes fonctionnels ont été acquis (64 ’ 64 ’ et contrôles en fonction de la performance de
34 ; 3.5 3.5 ’ 3,5 mm3 ; champ de vue = 224 mm, reconnaissance subséquente des sujets. La
temps d’écho = 35 millisecondes et temps de démarche employée permet de déterminer
répétition = 2 200 millisecondes). Grâce au logi- les régions cérébrales dont l’activité lors de
ciel E-prime et au système IFIS de synchroni- l’encodage prédit la qualité de la récupéra-
sation des stimulations avec l’acquisition des tion, révélant ainsi les substrats cérébraux de
données fonctionnelles, les 240 stimuli (mots l’encodage d’une information contextualisée
étudiés en phase 1, mots nouveaux et pseudo- et l’impact de la mémoire perceptive sur ces
mots) étaient délivrés dans un ordre aléatoire processus neuraux. Les résultats montrent
avec un ISI (intervalle interstimuli) variant entre que les mots préalablement amorcés (i.e. qui
3 600 et 4 400 millisecondes. Des images struc- sont traités plus rapidement lors de la tâche
turales pondérées en T1 permettant une loca- de décision lexicale) donnent lieu à plus de
lisation précise des activations ont également réponses Remember et moins d’oublis que les
été acquises. L’ensemble des données a été items contrôles.
traité et analysé à l’aide du logiciel SPM. Des
110
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
Les données d’imagerie fonctionnelle montrent : effective entre ces deux régions est significa-
— que l’effet d’amorçage comportemental tive uniquement pour les items amorcés et
est associé à une réduction de l’activité céré- donnant lieu à une réponse Remember. Ainsi,
brale dans le sillon temporal supérieur gauche cette étude montre, grâce à la mise en œuvre
(phénomène de « répétition suppression ») ; d’un paradigme événementiel et des méthodes
d’analyses qu’il offre, que la formation d’une
— que l’amplitude de la réponse hémodyna-
trace mnésique reposant sur l’association d’une
mique dans l’hippocampe gauche diminue
information et de son contexte de présentation
pour les items amorcés et reconnus avec un
dépend de l’hippocampe mais aussi de régions
souvenir contextualisé (réponse Remember ;
néocorticales qui peuvent moduler l’activité de
figure 2).
cette région clef.
De plus, des analyses supplémentaires spéci-
fiques révèlent que la connectivité fonctionnelle
Les méthodes d’imagerie fonctionnelle cérébrale ont donné lieu à une profusion de travaux
et ont apporté des résultats non négligeables. Certains confortent les connaissances existantes,
111
Manuel de neuropsychologie
d’autres apportent des résultats non attendus et ouvrent de nouvelles voies de recherche. Par
exemple, dans le domaine de la mémoire, une série d’études a mis l’accent sur l’implication du
cortex préfrontal et a postulé un rôle différentiel des deux lobes frontaux. Le cortex préfrontal
gauche serait préférentiellement impliqué dans la récupération en mémoire sémantique et dans
l’encodage en mémoire épisodique, quelle que soit la nature du matériel, tandis que le cortex
préfrontal droit interviendrait dans la récupération en mémoire épisodique. Ce modèle, connu
sous l’acronyme HERA (pour Hemispheric Encoding Retrieval Asymmetry), a été proposé par
Tulving et ses collaborateurs en 1994 sur la base d’une série d’études réalisées en TEP. Il a donné
lieu à différents développements théoriques sur le rôle des lobes frontaux dans la mémoire
épisodique et sur le niveau de conscience qui lui est attaché. Le modèle HERA a initialement
suscité d’importantes polémiques parce qu’en insistant sur cette asymétrie hémisphérique
liée aux processus mnésiques, il semblait aller à l’encontre de l’asymétrie, connue de longue
date, déterminée par le type de matériel : le langage est traité surtout par l’hémisphère gauche
et les visages ou les dessins abstraits, par le droit. Or les auteurs se revendiquant du modèle
HERA montraient des activations préférentielles du cortex frontal gauche lors de l’encodage
non seulement de matériel verbal, mais aussi de matériel non verbal. Grâce à l’accumulation
de données dans ce domaine, à l’heure actuelle, on sait que l’asymétrie hémisphérique dépend
de ces deux dimensions et que les résultats des études dépendent largement de la façon dont la
question est posée et du protocole construit en conséquence. Ainsi, les auteurs qui contrastent
les deux processus mnésiques, l’encodage et la récupération, en maintenant constant le type de
matériel (exemple encodage de mots versus rappel de mots) trouvent des données favorables
au modèle HERA, tandis que ceux qui contrastent du matériel verbal et du matériel non verbal
pour un seul processus (exemple encodage de mots versus encodage de visages) soulignent
plutôt l’asymétrie liée au type de matériel.
De nombreuses études ont également confirmé le rôle de la région hippocampique dans des
tâches impliquant la mémoire épisodique. Les auteurs ont mis l’accent sur l’intervention de
cette structure dans différents processus mnésiques : la détection de la nouveauté, l’encodage
en mémoire épisodique ou encore la récupération des informations. Enfin, quelques résul-
tats orientent plutôt vers un rôle composite de l’hippocampe, selon son axe antéropostérieur
(la partie antérieure de l’hippocampe étant préférentiellement impliquée dans l’encodage en
mémoire épisodique, et la partie postérieure dans la récupération). Cette idée a donné naissance
au modèle HIPER (hippocampus encoding retrieval) proposé par Lepage et ses collaborateurs
en 1998. Le rôle clé de l’hippocampe dans le fonctionnement de la mémoire épisodique a été
très bien illustré par des travaux ayant cherché à identifier les structures essentielles à la
mémorisation au sein de l’ensemble des structures impliquées dans cette fonction. Ainsi, les
paradigmes dits de mémoire subséquente ont montré que le succès du rappel de l’information
était directement lié à l’activité de l’hippocampe : plus cette région est active lors de l’encodage
d’un mot, et plus ce mot a des chances d’être rappelé ensuite. À l’heure actuelle, beaucoup de
travaux s’orientent vers la mise en évidence d’une spécialisation fonctionnelle de plus en plus
fine au sein de la région hippocampique. Des structures différentes au sein de cette région
112
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
La découverte du réseau par défaut est entièrement accidentelle. Les premiers arguments
en faveur de son existence proviennent des études de l’activité cérébrale d’un sujet au repos
en imagerie cérébrale (initialement en TEP, puis en IRMf). Aucune étude n’était explicitement
créée pour étudier l’état de repos, celui-ci ne servant que de condition « contrôle » par rapport
à la tâche expérimentale d’intérêt. Une des premières études ayant examiné la condition de
repos fut celle d’Andreasen et collaborateurs, en 1995, qui visait à mettre en évidence, en TEP,
les régions sous-tendant le rappel en mémoire autobiographique (tâche expérimentale) par
rapport au repos (tâche contrôle 1) et par rapport à une autre tâche contrôle ne requérant
ni repos, ni mémoire épisodique (tâche contrôle 2). Ces auteurs constatent que les mêmes
régions cérébrales sont activées lors de la tâche de mémoire autobiographique et lors du repos
(cortex préfrontal, cingulaire postérieur et rétrosplénial), comparativement à la deuxième
tâche contrôle. Comme le confirmeront les études ultérieures, ces régions représentent les
régions centrales du réseau par défaut, activées lors d’états mentaux non dirigés vers un but.
Deux méta-analyses successives réalisées chacune sur neuf études TEP (Shulman et al., 1997 ;
Mazoyer et al., 2001) vinrent ensuite confirmer l’existence d’un réseau de régions activées
pendant des conditions « passives » par rapport à des conditions « actives » orientées vers un
but et ce, aussi bien dans les domaines verbaux ou non verbaux, que pour des tâches visuelles
ou auditives. Certains chercheurs se sont ensuite concentrés sur l’analyse de la condition
contrôle, par rapport à une tâche expérimentale, et ont mis en évidence des régions spécifi-
quement activées pendant les états passifs de contrôle comparés aux états actifs des tâches
cognitives (Raichle et al., 2001). Le terme « désactivation » est ainsi apparu, par contraste avec
le terme « activation ». Ce dernier correspond à l’activation plus importante de régions pendant
la tâche expérimentale (e. g., lecture, classification d’images) que lors de la tâche contrôle (e. g.,
repos, fixation passive). À l’inverse, les désactivations correspondent aux régions moins actives
pendant la tâche expérimentale que pendant la tâche contrôle. Dans leur papier princeps
« A default Mode of Brain Function », Raichle et al. (2001) proposent le terme de « réseau par
113
Manuel de neuropsychologie
défaut » qui sera ensuite repris par toute la communauté scientifique. Le réseau par défaut est un
système cérébral (comme le système moteur ou le système visuel) qui comprend un ensemble
de régions cérébrales en interaction et fonctionnellement connectées (Buckner et al., 2008).
Une méthode plus moderne qui permet d’identifier les régions du réseau par défaut est fondée
sur la mesure de l’activité intrinsèque du cerveau qui peut être révélée par l’IRMf au repos.
Pendant une acquisition d’IRMf au repos, le participant n’a aucune tâche cognitive particulière
à accomplir, il doit simplement « laisser librement circuler ses pensées ». Même en l’absence
d’une stimulation externe, le cerveau présente une activité spontanée : cette activité cérébrale
intrinsèque entraîne des fluctuations spontanées du signal BOLD. Les patterns d’activité spon-
tanée reflètent la connectivité (directe et indirecte) entre les régions cérébrales. Ces corrélations
de basse-fréquence entre les régions cérébrales sont détectables par l’IRMf et peuvent être
mises en évidence par une approche qui consiste à analyser la connectivité cérébrale fonc-
tionnelle. L’analyse de connectivité fonctionnelle est informative car elle permet de localiser
les régions cérébrales qui interagissent au sein du réseau, en s’affranchissant de l’utilisation de
tâches cognitives expérimentales. Les différentes approches d’identification du réseau par défaut
(IRMf d’activation en bloc ou événementiel et IRMf au repos via la connectivité fonctionnelle)
convergent et montrent sensiblement les mêmes régions. Le réseau est bilatéral et comprend
de nombreuses régions du cortex associatif avec des régions centrales comprenant les cortex
préfrontal médian, cingulaire postérieur/rétrosplénial et le lobule pariétal inférieur, ainsi que la
formation hippocampique et le cortex temporal latéral (encadré 21, ci-contre, figure 1).
Deux méthodes d’analyse de données d’IRMf au repos sont couramment utilisées pour
l’étude de la connectivité fonctionnelle : la méthode des régions d’intêrets (ou seed-based)
et l’analyse en composantes indépendantes (ICA ou Independent Component Analysis), qui
sépare le signal du repos en différentes composantes spatiales et temporelles non superpo-
sées. Il existe également d’autres méthodes que nous n’exposerons pas ici (e. g., la théorie des
graphes, les corrélations partielles, les analyses de cohérence…). Pour la méthode seed-based, le
signal d’un seul voxel ou d’un ensemble de voxels (« cluster »), nommé seed ou région d’intérêt,
est utilisé pour calculer les corrélations avec les autres voxels du cerveau. Cette approche est
précise et détaillée pour révéler la connectivité spécifique d’une région d’intérêt par rapport
à l’ensemble du cerveau. Dans notre étude (Mevel et al., 2010), nous avons choisi comme
région d’intérêt le cortex cingulaire postérieur et montré que l’activité spontanée de cette
région centrale du réseau par défaut était corrélée à l’activité d’autres régions distribuées de
ce réseau. La carte du réseau ainsi obtenue est remarquablement similaire à celle basée sur
une analyse ICA (encadré 21, figure 1).
Le réseau par défaut comprend des régions cérébrales activées lorsqu’un individu est éveillé
et au repos. À ce jour, deux fonctions ont été attribuées à ce réseau. La première est qu’il
sous-tendrait l’activité mentale « interne », i. e. détachée du monde extérieur (rôle d’activité
mentale internalisée). Selon cette possibilité, il jouerait un rôle dans la construction de simu-
lations mentales dynamiques basées sur les expériences personnelles passées, par exemple
lors du rappel de souvenirs, de la projection dans le futur ou de la faculté de reconnaître l’état
mental d’autrui (théorie de l’esprit), et plus généralement lorsqu’on imagine des perspectives
114
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
et scenarios différents du moment présent. Cette possibilité est confortée par le fait que ses
substrats cérébraux sont étroitement liés au système mnésique et que de nombreuses études
détectent les régions du réseau par défaut dans diverses tâches faisant référence à (ou orientées
vers) soi. Ainsi, ce réseau est activé par des tâches de mémoire autobiographique, de projec-
tion dans le futur, ou de théorie de l’esprit (Buckner et al., 2008). La deuxième fonction de
ce réseau serait celle de « sentinelle » ou de veille diffuse, permettant la détection rapide des
stimuli pertinents de l’environnement.
Outre le réseau par défaut, qui est le plus étudié, la méthode des ICA permet de révéler
l’ensemble des réseaux du repos et de caractériser l’architecture intrinsèque des réseaux
à large échelle du cerveau (e. g. réseaux fronto-pariétal, central exécutif, visuel, auditif,
sensori-moteur ; encadré 21, figure 2). Ces réseaux comprennent des régions anatomique-
ment séparées mais fonctionnellement connectées qui présentent des activités du signal
BOLD fortement corrélées. Au repos, le réseau par défaut est activé et corrélé négativement
(ou anticorrélé) aux systèmes cérébraux focalisés sur des signaux externes (e. g. réseaux
fronto-pariétal, central exécutif…) : alors que son activité augmente, celle des systèmes atten-
tionnels orientés vers l’extérieur diminue. Ainsi, le cerveau pourrait basculer entre deux
modes distincts de traitement de l’information, l’un orienté vers des signaux internes, l’autre
orienté vers des signaux externes.
Encadré 21
Le réseau par défaut (Armelle Viard)
Figure 1 – Les régions du réseau par défaut, issues : en haut, d’une analyse ICA ; en bas,
d’une analyse seed-based, à partir du gyrus cingulaire postérieur
(figure adaptée de Mevel et al., 2010).
115
Manuel de neuropsychologie
116
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
Les méthodes d’imagerie fonctionnelle cérébrale ont d’abord été utilisées dans un cadre
médical pour apporter des arguments de diagnostic. De nombreuses études ont ainsi cherché
à mettre en évidence les modifications métaboliques liées à diverses affections neurologiques
(comme la maladie d’Alzheimer) ou psychiatriques (comme la dépression ou la schizophrénie).
Les recherches plus strictement neuropsychologiques se sont développées dans deux grands
secteurs. Le premier concerne la répercussion des lésions cérébrales focales sur les fonctions
cognitives et le métabolisme cérébral. Comme par le passé, les principaux travaux ont d’abord
concerné l’aphasie. Des études ont ainsi montré que la zone hypométabolique était géné-
ralement plus étendue que la région lésée (visualisée par l’imagerie morphologique). Dans
un certain nombre d’observations, cette zone hypométabolique « explique » la sémiologie du
malade : par exemple une aphasie de Wernicke sans lésion morphologique mais avec un déficit
métabolique des centres du langage (dans ce cas, l’aire de Wernicke). Ces nouvelles confron-
tations « anatomo-cliniques fonctionnelles » peuvent être répétées au fil du temps chez un
même patient, permettant ainsi d’étudier les phénomènes de réorganisation et de restauration
après lésion.
Un autre domaine productif a concerné la recherche de corrélations cognitivo-métaboliques
dans les états démentiels. Dans ce cas, l’étude du métabolisme cérébral est réalisée au repos
et les résultats sont mis en correspondance avec des scores cognitifs obtenus en dehors de la
mesure TEP. Les affections neurodégénératives, et notamment la maladie d’Alzheimer, sont
caractérisées par l’occurrence de déficits cognitifs qui peuvent être relativement sélectifs en
début d’évolution et différents d’un malade à l’autre (chapitre 6, section 2). Des études réalisées
dans les années 1980 ont montré qu’il existait de fortes corrélations entre, par exemple, des
indices métaboliques d’asymétrie droite/gauche et des indices cognitifs globaux opposant les
déficits visuoconstructifs et aphasiques. Ces premiers résultats ont posé les jalons pour des
études dans des domaines plus spécifiques comme les troubles de la mémoire (encadré 53,
p. 355).
Le principe de ces travaux consiste à utiliser la double hétérogénéité, cognitive et métabo-
lique, qui caractérise ces affections neurodégénératives. La mise en évidence de corrélations
entre ces deux types de données contribue à préciser les régions cérébrales nécessaires à la réali-
sation d’une tâche cognitive. Outre son intérêt dans la compréhension de certains mécanismes
physiopathologiques des maladies neurodégénératives, cette approche se révèle complémen-
taire de la méthode des activations chez le sujet sain qui permet l’identification des régions
mises en jeu lors d’une tâche mais sans que leur implication soit forcément nécessaire à la
réalisation de cette tâche.
Des études d’activation sont également réalisées chez des patients. Chez les patients victimes
de lésions focales, par exemple après un accident vasculaire cérébral, l’imagerie fonctionnelle
a permis de mettre en évidence la plasticité cérébrale qui sous-tend la récupération spontanée
117
Manuel de neuropsychologie
du langage. Le cortex temporal gauche semble jouer un rôle crucial dans ce phénomène, tandis
que son homologue droit sous-tend des mécanismes compensatoires chez certains patients
mais plutôt délétères chez d’autres (pour revue, de Boissezon et al., 2008). L’imagerie a aussi
démontré la modulation de cette plasticité cérébrale sous l’effet de la rééducation orthopho-
nique. Les modifications induites par la rééducation sont variables selon les thérapies et les
patients, localisées au sein de l’hémisphère gauche ou s’étendant à l’hémisphère droit. À l’avenir,
elle pourrait fournir des indicateurs de l’efficacité de ces interventions, généralement difficile
à mettre en évidence du fait de l’importante variabilité interindividuelle.
Des études d’activation sont parfois réalisées chez un patient unique. Ainsi, l’étude de cas
réalisée par Levine et al. (1998) a permis de préciser les atteintes structurales et fonctionnelles
critiques chez un patient souffrant d’une amnésie rétrograde isolée, à l’aide d’un protocole
d’activation en TEP comportant une tâche d’apprentissage de paires de mots sémantiquement
liés suivie d’une phase de récupération.
Dans les maladies neurodégénératives, de rares études de cas uniques ont été réalisées (par
exemple, chez un patient souffrant de démence sémantique, Maguire et al., 2010). Nous avons
également étudié deux patients souffrant de démence sémantique lors d’une tâche de rappel en
mémoire autobiographique (Viard et al., 2013). Les résultats ont montré que l’hyperactivation
hippocampique bilatérale chez l’un des patients lui permettait de compenser efficacement
l’atrophie dans d’autres régions du réseau de la mémoire autobiographique et d’améliorer ses
performances. Des études de groupes de patients, principalement dans la maladie d’Alzheimer,
ont été réalisées (pour revue, Chhatwal et Sperling, 2012). Les patients atteints d’une maladie
d’Alzheimer présentaient des hypoactivations principalement localisées dans les aires visuelles,
les régions du réseau par défaut et du réseau attentionnel ventral, comparés aux témoins. Et
ils présentaient une hyperactivation dans les régions du réseau fronto-pariétal, du réseau par
défaut, du réseau attentionnel ventral et du réseau somatomoteur, comparés aux témoins (voir
méta-analyse de Li et al., 2015). L’élaboration des paradigmes se heurte à différents problèmes,
dont celui de la différence de complexité des tâches comparativement aux sujets sains contrôles,
mais ces études peuvent apporter des informations inédites. Ainsi, elles montrent régulière-
ment des diminutions d’activation dans des régions normalement impliquées dans la tâche
(par exemple, l’hippocampe lors de l’encodage en mémoire épisodique) et des augmentations
d’activation qui sont interprétées comme des mécanismes compensatoires. Cependant, les
auteurs ne vérifient pas toujours que l’augmentation de l’activation est bien compensatoire,
c’est-à-dire liée à de meilleures performances ni s’il s’agit de véritables augmentations d’acti-
vation. En effet, nous avons vu plus haut que le réseau par défaut devait se désactiver pour
que d’autres structures soient impliquées efficacement dans les tâches. Or, dans certains cas,
cette désactivation est moins importante chez les patients que chez les sujets contrôles, ce qui
aboutit à une plus grande activation, mais dans des régions qui ne sont pas les plus appropriées
(chapitre 6, section 3).
L’IRMf au repos a permis de montrer des perturbations des régions du réseau par défaut
dans plusieurs pathologies. La plus fréquemment étudiée est la maladie d’Alzheimer, mais
118
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
119
Manuel de neuropsychologie
120
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
121
Manuel de neuropsychologie
de celle localisée par la stimulation corticale (Aire de Brodmann 6). C’est donc une même aire
qui est activée lors de l’écriture de mots et dont la stimulation perturbe l’écriture manuscrite.
Les auteurs concluent en faveur de l’existence de programmes moteurs spécifiques à l’écriture
manuscrite et à l’implication d’une petite portion du gyrus frontal moyen située au niveau de
l’aire de Brodmann 6 (le « centre des images motrices graphiques » ou graphemic/motor frontal
area dont Exner avait fait l’hypothèse en 1881). De façon intéressante, ils soulignent que sa
stimulation n’a aucun effet spécifique sur la production écrite chez six autres patients : ce résultat
négatif serait la conséquence d’une réorganisation fonctionnelle due à la présence de la tumeur.
La stimulation cérébrale profonde des ganglions de la base a été mise au point par le profes-
seur A.L. Benabid à l’université de Grenoble dans les années 1980 (pour revue, Benabid et al.,
2009) pour le traitement de différents symptômes de la maladie de Parkinson. La structure
dans laquelle les électrodes reliées à un stimulateur sont le plus souvent implantées est le noyau
sous-thalamique, l’hyperactivité de cette structure étant considérée comme la cause fréquente
de plusieurs symptômes très invalidants. Le noyau ventral intermédiaire et le pallidum interne
peuvent aussi être ciblés. Les effets de la stimulation corticale profonde sont comparables
à ceux d’une lésion, mais sont réversibles et n’apparaissent qu’à des fréquences de stimulation
assez élevées (supérieures à 130 Hz). Ceci suggère aux scientifiques que la stimulation corti-
cale profonde a un effet inhibiteur sur la structure cible. L’hypothèse généralement retenue
est qu’elle inactive les neurones de la structure cible soit par blocage de la dépolarisation, soit
par « libération d’un neurotransmetteur inhibiteur ». L’autre hypothèse est celle de l’activa-
tion cellulaire locale et synchrone d’une vaste population neuronale aboutissant à un message
« non signifiant » (un bruit) qui empêche ainsi l’expression des anomalies du pattern d’activités
neuronales liées à la maladie. La littérature sur les effets observés est marquée par un constat
de grande variabilité selon les équipes. Les synthèses disponibles (par exemple, Péron, 2016)
soulignent que la stimulation chronique du noyau sous-thalamique donne les meilleurs résultats
pour améliorer la motricité du patient, permettant donc de réduire la prise de Lévodopa, ce
qui en retour allège les dyskinésies que ce médicament provoque.
Les indications dans la maladie de Parkinson ont d’abord été réservées aux formes sévères
et résistantes au traitement médicamenteux par L-Dopa. Les bénéfices sur le plan moteur (le
traitement est efficace sur le tremblement essentiel et pour les dystonies) sont dans certains
cas spectaculaires. Les effets sur le statut cognitif et comportemental du patient implanté
font l’objet de discussions et de recherches (pour revue, Péron, 2016). Il n’y a pas d’altération
globale du fonctionnement cognitif mais le langage peut se détériorer (en particulier la fluence
verbale). Les rares études se focalisent sur le fonctionnement exécutif et consistent par exemple
à évaluer celui-ci après suspension du traitement médical et en comparant les scores obtenus
en situation où le stimulateur est en position ON versus OFF. Les résultats apparaissent peu
concluants ; lorsqu’une amélioration est constatée, elle pourrait être attribuée à une levée
de l’inhibition fonctionnelle sur le cortex frontal. Les effets négatifs notés sur le fonctionne-
ment exécutif incitent à une grande prudence dans l’application d’une stimulation corticale
profonde chronique chez les patients âgés. En effet, les fonctions exécutives déclineraient plus
122
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
que la normale chez le patient parkinsonien vieillissant (voir le numéro spécial de la Revue de
neuropsychologie : Thomas-Antérion et Krolak-Salmon, 2010). En outre, des complications
neuropsychiatriques sont possibles (aggravation de l’apathie et signes de dépression). Julie
Péron (2016) prone une prise en charge neuropsychologique qui « devrait consister en une
approche intégrative, prenant en compte le niveau neuronal et cognitivo-comportemental,
mais également psychologique et environnemental, dans une démarche individualisée, adaptée
à chaque patient » bénéficiant d’une stimulation cérébrale profonde.
Les implantations des premières années chez des patients souffrant de la maladie de
Parkinson étaient souvent accompagnées d’effets secondaires graves : dépressions, troubles
anxieux ou du comportement avec agressivité, et modifications de personnalité. Non seulement
les progrès des vingt dernières années ont rendu ces complications de plus en plus rares, mais
ils ont ouvert une nouvelle piste : la neuromodulation des réseaux de la régulation émotionnelle
et du comportement (circuits associatifs et limbiques des noyaux gris centraux) pourrait être
utilisée dans la prise en charge de certains troubles sévères de l’humeur et neuropsychiatriques.
Des bénéfices thérapeutiques ont été enregistrés dans les troubles obsessionnels compulsifs,
la dépression et le syndrome de Gilles de la Tourette, tandis que des travaux exploratoires
démarrent pour les troubles du comportement alimentaire et différentes addictions (pour
revue, Mallet et al., 2008). La possibilité que la stimulation corticale profonde améliore les
performances mnésiques, et donc que, appliquée chez des patients souffrant de troubles de
la mémoire, elle puisse atténuer ceux-ci ou ralentir leur progression, a été découverte fortui-
tement. Depuis cette observation d’une équipe canadienne qui tentait une intervention pour
traiter une obésité pathologique, plusieurs recherches ont exploré cette voie dans la maladie
d’Alzheimer. L’hypothèse est que la stimulation électrique du fornix (une structure du circuit
de Papez) pourrait permettre d’améliorer le fonctionnement de la mémoire. Un essai clinique
conduit pendant un an a consisté à stimuler à haute fréquence et de façon répétée le fornix chez
six patients atteints de la maladie à un stade léger (Laxton et al., 2010). L’hypométabolisme
des cortex temporal et pariétal a régressé en moyenne dans le groupe de patients, et les scores
au MMSE ont augmenté chez deux d’entre eux, tandis qu’ils ont décliné chez trois autres et
stagné chez un dernier. L’intervention n’a pas eu d’effets indésirables. Les auteurs retiennent
l’efficacité potentielle de la stimulation corticale profonde pour traiter le déclin cognitif dans
la maladie d’Alzheimer. Depuis, la revue de Sankar et al. (2015) a établi que, outre la modu-
lation de l’activité des circuits neuronaux, la stimulation cérébrale profonde peut influencer
le cours naturel de l’atrophie cérébrale dans une maladie neurodégénérative. Les résultats en
termes d’effets sur le fonctionnement cognitif sont eux peu robustes mais leur synthèse semble
permettre de retenir des augmentations de volume hippocampiques, bilatéralement, chez les
patients chez qui l’évolution clinique est la meilleure.
123
Manuel de neuropsychologie
124
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
qui semblent donc recruter préférentiellement le cortex préfrontal dorsolatéral gauche, comme
le font des adultes jeunes, mais sans efficacité. De façon contrastée, chez les sujets âgés ayant
maintenu une bonne performance mnésique, les effets de la stimulation sur les cortex préfrontal
dorsolatéral droit et gauche sont identiques. Ces résultats suggèrent que les sujets âgés qui
maintiennent une bonne performance mnésique le feraient en réorganisant les réseaux neuro-
naux de traitement, conformément au phénomène décrit par HAROLD.
Un progrès important depuis la mise au point de la TMS a été apporté par son couplage
avec la neuro-imagerie, en particulier l’IRMf et l’imagerie par tenseur de diffusion (encadré 19,
p. 104). Ces nouvelles approches permettent d’aborder directement la connectivité fonctionnelle
et la dynamique temporelle et spatiale des traitements réalisés par le cerveau. La connectivité
fonctionnelle entre des aires largement distribuées peut être révélée avec l’IRMf grâce au calcul
de corrélations entre les activations locales pendant un scan IRM (mesures du signal BOLD) :
l’analyse de ces patterns de corrélations fournit des mesures de la connectivité « effective »
(fonctionnelle) entre différentes régions du cerveau. Les interactions fonctionnelles entre la
région stimulée et d’autres composantes d’un réseau plus vaste dont elle fait partie peuvent
être étudiées en combinant IRMf et TMS. En effet la stimulation ne modifie pas seulement
l’activité de la zone stimulée mais aussi celle de régions distantes mais interconnectées à celle-
ci. Cette combinaison permet donc de mettre l’accent sur la connectivité fonctionnelle au sein
du cerveau et les interactions causales entre régions au-delà des propriétés fonctionnelles de
chacune d’entre elles.
Même si la TMS a été introduite à la fin des années 1980, ses applications cliniques sont
d’ores et déjà nombreuses. Concernant les troubles cognitifs, des interventions sur l’activité
corticale, via la stimulation, semblent pouvoir faciliter au moins à court terme la performance
dans des tâches langagières ou d’attention. Les mécanismes sous-jacents dans le traitement
de l’aphasie ou de l’héminégligence sont encore peu compris. La stimulation pourrait agir en
activant des réseaux « bloqués » ou bien en supprimant l’influence interférente en provenance
d’autres régions cérébrales. Nous reviendrons sur les applications à la prise en charge des
troubles neuropsychologiques au chapitre 7. En psychiatrie, ce sont principalement les troubles
de l’humeur et les troubles anxieux qui sont ciblés. Les travaux pionniers des années 1990
ont été réalisés par Alvaro Pascual-Leone et son équipe (pour revue, Nitsche et al., 2009).
Par exemple, le traitement de la dépression résistante consiste à stimuler à haute fréquence
(40 Hz) les régions cérébrales préfrontales afin d’en moduler l’activité. Les mécanismes sous-
jacents ne sont pas encore clairs, puisque des régressions significatives des troubles dépressifs
sont enregistrées en lien avec une augmentation de l’excitabilité du cortex préfrontal dorso-
latéral gauche, une réduction de l’excitabilité du cortex frontopolaire droit, ou les deux. Les
applications cliniques de la TMS qui ciblent les troubles obsessionnels compulsifs ou certains
symptômes de la schizophrénie comme les hallucinations auditives sont plus récentes mais
ont déjà enregistré des bénéfices thérapeutiques. Ainsi, pour plusieurs troubles ou maladies,
la période actuelle est celle du passage de la thérapeutique expérimentale par TMS au soin
proposé en routine dans plusieurs services hospitaliers.
125
Manuel de neuropsychologie
126
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
effets sur les performances à des tâches de cognition spatiale chez des sujets sains et aussi, de
façon importante, que la neuromodulation induite pourrait permettre de réduire les mani-
festations d’héminégligence et d’extinction qui sont fréquentes chez les patients porteurs
de lésions de l’hémisphère droit. Le cas de la rééducation de l’héminégligence est traité au
chapitre 7, montrant bien l’intrication des visées fondamentale et clinique.
127
Manuel de neuropsychologie
celle de treize cas cliniques, parue sous la direction de Julie Péron (2018), qui cible les troubles
affectifs et leur impact sur la cognition.
L’objectif est généralement de déterminer si les performances du patient sont anormales,
qu’il s’agisse d’établir un profil neuropsychologique à des fins diagnostiques et/ou de prise
en charge ou de rechercher des dissociations et doubles dissociations (par comparaison d’un
premier cas à un second). Plusieurs articles publiés sur les tests statistiques spécifiques devraient
aider les investigateurs à conduire des études de cas rigoureuses mettant en œuvre les traite-
ments statistiques appropriés (Atzeni, 2009 ; Corballis, 2009 ; Crawford et Garthwaite, 2012).
Ces articles présentent différentes méthodes statistiques inférentielles pour le traitement de
données individuelles et évaluent leurs qualités de plusieurs points de vue : risque de considérer
la performance comme pathologique alors qu’elle ne l’est pas, puissance statistique des tests, etc.
Les auteurs soulignent la nécessité d’adopter les mêmes tâches pour l’étude de patients simi-
laires, et d’utiliser des tests statistiques identiques. Il s’agit de rendre comparables les études,
de faciliter le partage de données « contrôle » et de standardiser les pratiques statistiques. Les
principes et tests statistiques qui y sont présentés sont facilement étendus à l’étude d’une série
de patients dont les performances sont analysées individu par individu (étude de cas multiples).
Les démarches principales pour répondre à la question « les performances sont-elles patho-
logiques ? » sont les suivantes (pour revue, Atzeni, 2009).
Lorsque les performances du patient à un test ou ensemble de tests sont comparées aux
normes obtenues auprès d’un échantillon représentatif de la population, les caractéristiques
suivantes doivent être réunies (Roussel et al., 2009). Le matériel du test, ses modalités de
passation et la cotation des performances doivent être standardisés. Le test doit présenter des
qualités de sensibilité, spécificité et reproductibilité suffisantes et être accompagné de données
normatives qui servent à établir les scores seuils. Cette élaboration de normes est coûteuse
et ses exigences sont difficilement compatibles avec une étude de cas où les épreuves doivent
parfois être construites ad hoc pour évaluer l’intégrité des différentes composantes de traite-
ment impliquées dans une activité cognitive donnée (la question est traitée dans les sections
précédentes ainsi que dans le contexte de la rééducation : chap. 7).
Lorsque les tests ne sont pas normés, les scores du patient peuvent être comparés à ceux
obtenus par un groupe de sujets témoins sains qui lui sont appariés sur plusieurs variables
personnelles et sociodémographiques d’intérêt (âge, sexe, niveau d’études ou niveau sociocul-
turel). La plupart du temps on convertit le score du patient en score z sur la base de la moyenne
et de l’écart-type de l’échantillon contrôle : si z est inférieur à – 1.645 (pour un test unilatéral), on
conclut que le score du patient est significativement inférieur à ceux des contrôles. Cette façon de
procéder soulève plusieurs problèmes. L’effectif de ce « groupe contrôle » est souvent trop faible
(si inférieur à 30), d’une part pour qu’il soit considéré comme un échantillon représentatif de la
population générale et d’autre part, pour autoriser à considérer les mesures de tendance centrale
(la moyenne) et de dispersion (l’écart-type) calculées comme des paramètres de la population.
Dans ce cas, il est nécessaire d’ajuster la valeur seuil pour réduire le risque d’erreur (cette valeur
sera d’autant plus élevée que l’échantillon sera de petite taille). De plus, l’emploi de la moyenne
et de l’écart-type pour déterminer l’indice ou seuil pathologique demande que la distribution
128
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
des valeurs recueillies dans le groupe contrôle soit « normale » (dans l’acception statistique du
terme, c’est-à-dire qu’elle se rapproche d’une distribution gaussienne). Or peu d’études véri-
fient cette qualité : la « normalité » de la distribution est rarement testée alors que c’est une des
conditions d’application des statistiques inférentielles. Enfin, notons que les distributions sont
même le plus souvent asymétriques, comme cela est logique pour des mesures faites auprès de
sujets normaux sur le plan cognitif et qui réalisent de bonnes et très bonnes performances à des
tests conçus pour appréhender le fonctionnement pathologique.
L’examen de la performance du patient en faisant référence à une moyenne et à un écart-
type estimés sur la base d’un petit nombre de sujets normaux s’accompagne d’un risque élevé
de décider que la performance est pathologique alors que ce n’est pas le cas. Les erreurs que
l’on peut commettre en mettant en œuvre une statistique de type score z, test de t de Student
ou autre, pour comparer un patient à un échantillon de sujets sains sont en fait de deux
sortes. L’erreur de type I (ou risque α) correspond à la probabilité de rejeter l’hypothèse nulle
(hypothèse d’absence de différence significative : H0) alors qu’elle est vraie, et donc au risque
d’affirmer la présence d’une pathologie alors que la performance est normale. L’erreur de type II
(ou risque β) correspond à la probabilité d’accepter l’hypothèse nulle alors qu’elle est fausse,
ce qui revient à trancher dans le sens d’une absence de trouble alors que la performance du
patient est pathologique. L’investigateur doit donc mener une réflexion sur le risque d’erreur
acceptable dans la décision à prendre et le type d’erreur le moins dommageable pour le patient
(ou la construction de la théorie).
Le critère peut aussi être une performance située en dessous de la limite inférieure d’un
intervalle de confiance calculé autour de la moyenne de l’échantillon de référence. On cher-
chera par exemple à déterminer les limites de confiance telles que l’on ait 95 % de chances d’y
trouver la moyenne de la population générale, et donc seulement 5 % de chances que celle-ci
soit à l’extérieur de l’intervalle de confiance (IC avec α = .05). Un critère très strict peut être
adopté en considérant comme anormale toute performance inférieure à la plus mauvaise des
performances enregistrées dans l’échantillon de sujets normaux.
Quelle que soit l’approche, la taille de l’échantillon contrôle est un aspect déterminant
car les comparaisons du patient unique à un groupe témoin de petit effectif sont caractéri-
sées par l’augmentation du risque de conclure à la présence d’une performance pathologique
à tort (erreur de type I) : les articles méthodologiques ne fixent pas d’effectif à atteindre mais
soulignent que plus l’échantillon est grand, mieux c’est !
Plusieurs méthodes statistiques dérivées du t de Student ou de l’analyse de la variance
peuvent être utilisées pour tester de façon appropriée la significativité d’une différence entre
les scores d’un individu et ceux d’un échantillon (Atzeni, 2009). La méthode dite « Crawford
et Howell » est une adaptation du test t de Student pour échantillons indépendants pour les
études où des inférences sont faites sur la performance cognitive d’un cas unique sur la base
de la comparaison avec un échantillon de sujets sains. La formule de calcul est donnée dans
–
la figure ci-dessous : X* est le score du patient, et X et S sont respectivement la moyenne et
l’écart-type de l’échantillon contrôle. Si la valeur de t est inférieure à la valeur critique du t
129
Manuel de neuropsychologie
avec n – 1 degrés de liberté (dl) pour un test unilatéral, alors on peut conclure que le score du
patient est suffisamment faible pour rejeter l’hypothèse nulle : on considère que le cas montre
un déficit dans la tâche en question. Cette statistique présente plusieurs avantages. Elle limite
l’erreur de type I. Elle procure plusieurs informations sur la performance du patient. La valeur
de p obtenue constitue (à la différence de la valeur de p pour un score z) une estimation du
degré auquel la performance est anormale. Par exemple, si la valeur de p est .023, alors on
estime que seule 2,3 % de la population contrôle obtiendra un score plus faible. Elle fournit
aussi une estimation de la taille de l’effet.
L’analyse de la variance peut être utilisée dans une étude de cas unique où l’on teste l’effet
de facteurs expérimentaux sur les performances du patient : c’est la statistique F « par items »
et non « par sujets » qui est appliquée. L’analyse de la variance est appropriée aussi pour les
expériences factorielles où un cas unique et un échantillon contrôle sont testés sous différentes
conditions expérimentales (Corballis, 2009) ou dans différentes tâches (dans ce cas il convient
de faire une transformation en score z pour rendre les mesures comparables). Dans le cas le
plus simple, on a un plan avec un facteur intersujets et un facteur intrasujet. Le facteur inter-
sujets « groupe » prend deux modalités : patient versus groupe contrôle. Le facteur intrasujet
« condition expérimentale » prend deux modalités : condition A versus condition B. Une inte-
raction significative entre les facteurs groupe et condition pourrait être interprétée comme
démontrant, par exemple, que le patient obtient des performances significativement anormales
dans la condition B et pas dans la condition A. On pourrait conclure à une dissociation entre
des processus perturbés et d’autres préservés. Cette approche, même lorsque les scores ont
été centrés réduits (transformation z), présente plusieurs limites, notamment un taux d’erreur
de type I élevé (Atzeni, 2009).
Lorsque l’objectif est la mise en évidence d’une dissociation simple, la comparaison intra-
individuelle, c’est-à-dire des performances du patient à différents tests ciblant chacun un
processus, doit forcément être accompagnée de la comparaison à des normes, ou à un groupe
témoin (avec la prudence qui s’impose ; voir ci-dessus), si l’on veut pouvoir statuer de façon
valide sur la présence de la dissociation : les performances du patient à un test A doivent être
à la fois significativement inférieures à celles à un test B et anormales.
La question est souvent de déterminer si deux mesures réalisées chez le même patient
à qui l’on a proposé deux fois la même épreuve diffèrent significativement (par exemple, si les
130
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
scores à une même épreuve proposée avant et après une rééducation sont différents). Le test
de Procock permet de comparer les performances pour un test où le nombre d’essais n’est pas
déterminé (e.g. fluences verbales). Dans la formule ci-dessous, X est le score au prétest et Y le
score au post-test. Le score z final suit la loi normale et a la valeur critique de 1.96 pour un test
bilatéral et de 1.645 pour un test unilatéral. D’autres tests statistiques existent pour comparer
les mesures réalisées à une épreuve qui comporte un nombre d’essais fixe et pour laquelle on
comptabilise par exemple le nombre d’essais réussis (pour revue, Michael, 2007).
131
Manuel de neuropsychologie
nulle et, de plus, la différence dans les performances du patient pourrait être triviale, lorsque
par exemple les performances à la tâche X sont juste sous le seuil pathologique et celles à la
tâche Y juste au-dessus. L’exigence d’une différence significative entre les scores que le patient
obtient aux deux tâches lève les deux difficultés. Ces auteurs ont élaboré plusieurs méthodes
statistiques pour tester cette différence afin de déterminer s’il existe une dissociation ou un
déficit différenciel. De préférence aux différentes adaptations du test t de Student qu’ils ont
mises au point antérieurement, ils préconisent le Revised Standardized Difference Test (RSDT).
Ce test dont la formule peut paraître ardue revient en fait à rapporter la différence entre deux
quantités à l’erreur type (ou standard) de la différence (les logiciels RSDT_EX.exe et dissocs_
ES.exe sont accessibles à partir des pages Internet des auteurs). Son utilisation maintient dans
des limites acceptables l’erreur de type I à la différence de ce qui se passe avec les approches
conventionnelles, aux critères plus laxistes.
Encadré 22
« Fausses » dissociations
De fausses dissociations (simples et doubles) des données fictives, deux profils de perfor-
peuvent trouver leur origine dans des diffé- mances de patients qui évoquent une double
rences de validité interne des mesures. Bates dissociation :
et al. (1991) basent leur démonstration sur
Tâche A Tâche B
Smith 80 % 45 %
Jones 20 % 55 %
Performances (% de réussite)
Cela peut indiquer que les tâches A et B font comparent alors les performances des deux
appel à des mécanismes qui peuvent être patients à celles qui seraient observées dans
doublement dissociés, mais d’autres explica- une population normale.
tions peuvent en rendre compte. Les auteurs
100 –
80 – • Smith
Pourcentage
de réussite
60 – • Jones
• Smith
40 –
20 – • Jones
Dispersion
(moyenne ± 1 écart-type)
0–
A B
Les moyennes aux tâches A et B sont proches, situés à l’intérieur d’un écart-type autour de
mais les dispersions (exprimées en écart-type la moyenne « normale ».
autour des moyennes) sont très différentes, Plusieurs statistiques dérivées du t de Student
suggérant une fidélité interne très différente. ou de l’analyse de la variance peuvent être
Dans la tâche A il y a beaucoup de « bruit », utilisées dans une étude de cas unique (ou
l’écart-type est énorme (va de 20 à 80 % de réus- multiples) pour tester de façon appropriée la
site), tandis que la tâche B est beaucoup plus significavité d’une différence entre les scores
fidèle, avec un écart-type plus serré (45-55 %). d’un patient et ceux d’un échantillon, l’effet de
Ainsi l’apparente double dissociation entre les facteurs expérimentaux sur les performances
patients Smith et Jones peut être obtenue au du patient ou les différences de performances
hasard : dans chaque cas, les patients sont entre les tâches qui ont été proposées (pour
revue, Atzeni, 2009).
Un autre point délicat de l’étude de cas unique réside dans le fait que le nombre de données
prélevées est souvent insuffisant : une épreuve doit comporter un nombre d’items conséquent,
particulièrement si l’on veut montrer que les compétences pour deux tâches sont identiques
ou seulement marginalement différentes. La nécessité de collecter une quantité suffisante de
données amène à répéter les évaluations chez un même patient sur une période étendue. Pour
que les mesures effectuées chez le même patient à différents moments puissent être valable-
ment « moyennées », il faut d’une part que l’épreuve présente des qualités de constance (un
aspect de la fidélité, la corrélation entre deux applications successives du même test à la même
personne), et d’autre part que les performances puissent être considérées comme homogènes.
Or les patients changent, au fur et à mesure qu’ils récupèrent après l’atteinte cérébrale ou bien
avec l’évolution de la maladie neurodégénérative. Ils peuvent mettre en place des stratégies
particulières pour surmonter leur déficit et les atteintes fonctionnelles peuvent évoluer (chap. 7
pour le problème particulier de l’évaluation des effets d’une rééducation).
133
Manuel de neuropsychologie
en présence d’une intelligence préservée ». Les auteurs soulignent que beaucoup d’énergie a été
déployée pour mesurer l’oubli avant que l’on ne découvre que tous les patients amnésiques
n’étaient pas les mêmes. Un nouveau critère de classification s’est imposé lorsque les distinc-
tions théoriques ont conduit à de nouvelles distinctions entre patients selon les processus
mnésiques perturbés (chap. 3, section 9). Cet exemple montre comment des efforts sur le
seul plan des méthodes de recueil et de traitement des données (examen de profils neuropsy-
chologiques multidimensionnels, etc.) ne peuvent être suffisants. La validité des critères de
classification doit être questionnée, les systèmes de classification doivent être le plus précis et
le mieux opérationnalisés possible.
La critique majeure qui est adressée aux études de groupe est que les scores moyens peuvent
ne refléter la performance d’aucun patient particulier inclus dans le groupe. McCloskey (1993)
analyse cette source de difficulté dans l’interprétation des données des études de groupe. La mise
en évidence d’une double dissociation statistiquement significative sur la base d’une comparaison
de deux groupes de patients cérébrolésés et d’un groupe de sujets normaux ne démontre pas
que tous les patients d’un groupe, ni même une majorité d’entre eux, présentent le déficit mais
implique seulement qu’au moins quelques-uns des patients présentent le déficit sélectif. Qui plus
est, poursuit l’auteur, parmi les patients pour qui l’effet de groupe est vrai, les déficits cognitifs
sous-jacents peuvent être hétérogènes. Face à ces problèmes, il faut examiner les patrons de
performances au niveau d’un patient particulier, et là aussi pouvoir déterminer quels sont les
effets statistiquement significatifs ; or la quantité de données collectée pour les individus dans
le cadre d’une étude de groupe est souvent insuffisante pour réaliser une évaluation statistique
au niveau d’un patient particulier. Néanmoins, des inférences importantes peuvent être faites
à partir de comparaisons de groupes de patients. Une illustration intéressante est donnée par
l’étude des systèmes mnésiques non déclaratifs au travers de l’analyse de groupes de patients
atteints de la maladie d’Alzheimer et de patients atteints de la chorée de Huntington (appariés
quant à la sévérité de l’atteinte cognitive) qui a permis de mettre en évidence une double disso-
ciation entre les effets d’amorçage et les performances d’acquisition d’habiletés (Heindel et al.,
1989). Les premiers sont perturbés dans la maladie d’Alzheimer, contrastant avec un respect des
acquisitions de procédures motrices et perceptivo-verbales. À l’inverse, l’acquisition de procé-
dures perceptivo-motrices est perturbée dans la chorée de Huntington, les effets d’amorçage
étant préservés. L’explication possible de la dissociation faisant intervenir des troubles moteurs
dans la chorée de Huntington a pu être écartée, les performances dans la tâche d’acquisition
d’habiletés étant corrélées avec la sévérité de l’atteinte cognitive mais pas avec un score de déficit
moteur primaire. Cette indépendance entre déficit moteur et trouble de l’acquisition d’habiletés
n’aurait pas pu être établie par l’étude d’un patient unique.
Même lorsque les scores moyens reflètent assez fidèlement les performances de la plupart
des patients, ces résumés statistiques masquent souvent des scores extrêmes et des profils
minoritaires qui pourraient être d’un grand intérêt théorique et changer les interprétations
s’ils étaient détectés et analysés. Plusieurs méthodes servent la première étape de mise au
jour des sous-groupes, principalement celles que l’on regroupe dans la famille des « analyses
134
Les méthodes de la neuropsychologie ■ Chapitre 2
135
Chapitre 3
Les grands syndromes
neuropsychologiques
Sommaire
1. Les contextes de la pratique de la neuropsychologie........................................ 139
2. Les aphasies ..................................................................................................... 141
3. Les acalculies ................................................................................................... 155
4. Les apraxies ..................................................................................................... 158
5. Les agnosies ..................................................................................................... 162
6. L’héminégligence .............................................................................................. 173
7. Les troubles du transfert inter-hémisphérique................................................. 184
8. Le syndrome frontal ......................................................................................... 194
9. Les syndromes amnésiques .............................................................................. 207
10. La pathologie neuropsychologique des émotions .............................................. 230
11. Les troubles de la cognition sociale .................................................................. 239
1. Les contextes de la pratique de la neuropsychologie
L’approche clinique est au cœur de la neuropsychologie. De plus, la pathologie constitue
une source d’inférences privilégiée au plan de la recherche, tout en étant mise en relation avec
d’autres données d’origines diverses. Les travaux réalisés en imagerie cérébrale chez le sujet sain
en sont les exemples les plus démonstratifs. Les premiers grands syndromes (aphasie, apraxie,
agnosie) ont été définis à partir de l’examen de malades atteints de lésions cérébrales focales
résultant le plus souvent d’accidents vasculaires, mais aussi de patients souffrant de tumeurs
cérébrales, de traumatismes crâniens et de toutes sortes d’affections (maladies infectieuses,
dégénératives, métaboliques, iatrogéniques) pouvant entraîner des atteintes plus diffuses. La
localisation et la taille des lésions jouent bien sûr un rôle crucial dans l’occurrence et le profil
des différents symptômes mais l’étiologie est également importante, tant dans le tableau initial
que dans l’évolution des troubles. Les accidents vasculaires cérébraux, notamment les infarctus,
donnent lieu à des tableaux cliniques stéréotypés car leur siège est situé dans un territoire rela-
tivement limité. Par exemple, les infarctus de l’artère cérébrale antérieure gauche provoquent
une hémiplégie droite et une aphasie transcorticale motrice. Même si la guérison est souvent
incomplète et peut être influencée par différents facteurs (le tableau clinique initial, l’âge du
patient, la rééducation, l’entourage du malade, etc.), les troubles consécutifs à un traumatisme
crânien ou à un accident vasculaire cérébral, qu’il soit ischémique ou hémorragique, régressent
au cours du temps et surtout dans les premières semaines après la survenue de la lésion.
La dynamique évolutive est inverse dans des affections neurodégénératives, qui entraînent
progressivement un syndrome démentiel constitué, par définition, de plusieurs symptômes
neuropsychologiques. Si les accidents vasculaires cérébraux tendent à devenir moins nombreux
du fait de l’amélioration des techniques de prévention médicale, les pathologies neurodégé-
nératives, dont la prévalence augmente avec l’âge, sont de plus en plus fréquentes en raison
du vieillissement démographique dans nos sociétés. Toutefois, la modification des pratiques
neuropsychologiques n’est pas uniquement tributaire des fluctuations de l’incidence des mala-
dies ou de l’apparition de nouvelles affections comme le SIDA dans les années 1980.
De nouveaux cadres d’intérêts influencent également les pratiques cliniques et de recherche.
Les premiers grands syndromes décrivaient des perturbations de fonctions « instrumentales »
(le langage, la perception). Plus récemment, des investigations cliniques ont concerné la patho-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
logie neuropsychologique de la conscience et des émotions, y compris dans des situations où les
troubles sont très prononcés comme les états de conscience modifiés ou les états démentiels au
stade sévère de l’évolution. De plus, l’approche neuropsychologique, longtemps restreinte aux
troubles acquis de l’adulte, s’étend maintenant à des pathologies psychiatriques (par exemple, la
schizophrénie, la dépression, le trouble de stress post-traumatique…) et neurodéveloppementales
(l’autisme, les dyslexies de développement et plus largement les troubles des apprentissages).
Cette extension du champ d’application de la neuropsychologie doit s’accompagner d’évolu-
tion de ses méthodes et de ses modèles théoriques mais aussi d’une profonde réflexion sur ses
missions et sa pratique au quotidien, incluant la dimension de l’éthique du soin (Eustache, 2012).
139
Manuel de neuropsychologie
Le plan adopté dans cet ouvrage pour traiter de la pathologie résulte d’un choix nécessairement
arbitraire. Du fait de leur importance grandissante et de leur spécificité, la neuropsychologie
de l’enfant puis la neuropsychologie de l’adulte âgé et les syndromes démentiels donnent lieu
à des chapitres séparés. Suivant en cela une terminologie classique, les intitulés de différents
syndromes commencent par un « a » privatif où cette lettre désigne une perturbation liée à une
lésion cérébrale acquise, alors que le préfixe « dys » est utilisé dans les pathologies neurodéve-
loppementales, mais il existe des exceptions provenant généralement de traductions de termes
anglo-saxons où la distinction est moins nette (par exemple la dyslexie profonde).
Les syndromes neuropsychologiques sont présentés ci-dessous de façon distincte pour
des raisons didactiques, mais un même patient peut être atteint simultanément de plusieurs
perturbations cognitives (une aphasie et une apraxie gestuelle), ce qui constitue une infor-
mation essentielle mais complique en même temps l’évaluation et l’interprétation des faits
d’observation. De même, des déficits neurologiques complètent souvent le tableau clinique et
doivent soigneusement être pris en considération par le praticien (par exemple une hémiplégie
droite qui oblige le patient droitier à écrire de sa main gauche non dominante). L’examen
neuropsychologique doit également tenir compte de certains renseignements cruciaux pour
la conduite des investigations et pour l’interprétation des résultats. Tout d’abord, il convient
de connaître au mieux la situation du patient avant l’installation de ses troubles en recueillant
des éléments de son histoire personnelle : son âge, sa latéralité manuelle, son niveau d’études,
sa profession, mais aussi ses intérêts, sa personnalité, son mode de vie, ses compétences parti-
culières (est-il bilingue, artiste ?). Il est tout aussi important d’obtenir des renseignements sur
d’éventuelles modifications récentes du comportement et du mode de vie. Le patient pouvant
n’être que partiellement conscient de ses troubles (l’anosognosie fait partie du tableau clinique
de nombreux syndromes), ce type d’information nécessite la coopération de son entourage.
L’anamnèse doit être complétée par différents examens paracliniques (biologiques, neurora-
diologiques). Ces éléments conduisent à la formulation d’hypothèses qui vont guider l’examen
neuropsychologique, puis s’affiner ou se modifier au fil du temps (compléments d’examen
à visée diagnostique, indication d’une rééducation).
Les investigations et les prises en charge de patients en neuropsychologie nécessitent une
expertise fondée sur une formation de haut niveau en psychologie et de bonnes connaissances
en neurologie, en psychiatrie et en neurosciences. Dans certains syndromes ou domaines d’acti-
vité, la pratique neuropsychologique demande des connaissances plus spécialisées, par exemple
en psycholinguistique pour l’aphasie ou en génétique pour des centres de référence sur certaines
pathologies (maladie de Huntington par exemple). Des connaissances plus approfondies sur la
spécificité des pratiques cliniques sont aussi nécessaires selon le type d’institutions : centre de
rééducation, établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, institut médico-
éducatif, etc. Compte tenu de l’évolution des connaissances et de la diversité des pratiques
cliniques, la formation continue est indispensable pour la pratique de la neuropsychologie.
140
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
2. Les aphasies
L’aphasie est définie comme un trouble du langage acquis secondaire à une affection céré-
brale (Baqué et al., dans Pinto et Sato, 2016). Elle se distingue des retards de langage chez
l’enfant (appelés dysphasies) et des perturbations linguistiques observées dans certaines mala-
dies psychiatriques (par exemple la schizophrénie).
La classification qui suit est fondée, de façon très pragmatique, sur la nosographie clinique
héritée en partie de la tradition de Lichtheim et des écoles classiques d’aphasiologie comme
celles de France et d’Allemagne, et reprise par l’école de Boston. Les terminologies qui en sont
issues ont été consacrées par l’usage et ne sont plus guère remises en cause (aphasie de Broca,
aphasie de Wernicke, aphasie de conduction, etc.). De façon complémentaire aujourd’hui,
cette classification et surtout la description des aphasies s’appuient en même temps sur une
modélisation cognitive. Cette double lecture est particulièrement marquée dans les pathologies
du langage, même si on l’observe également dans d’autres syndromes. Les grands principes de
cette modélisation, appliqués au système lexical, sont résumés dans l’encadré 23 (pour revue,
Viader et al., 2018). L’évaluation la plus répandue, le Boston Diagnostic Aphasia Examination
(BDAE), élaborée dans les années 1970 par Goodglass et Kaplan puis plusieurs fois adaptée
(BDAE-3, Côté, 2008) illustre aussi cette lecture multiple, puisque basée sur une approche
anatomoclinique « classique », cognitive et linguistique afin de diagnostiquer et préciser le
syndrome aphasique ainsi que les processus langagiers sous-jacents perturbés (i.e. le « diagnostic
cognitif »).
Encadré 23
Le système lexical (Jany Lambert)
La modélisation du système lexical postule que schématiquement en systèmes (ou lexiques).
le langage procéderait de deux types de trai- Le système sémantique y occupe une place
tements : un traitement lexical avec activation centrale. Une représentation sémantique
des représentations lexicales quand il s’agit de est assimilée à un ensemble de propriétés
mots connus et un traitement qui procède par sémantiques pouvant être en partie
analyse et mise en correspondance d’unités communes à plusieurs entités conceptuelles.
sous-lexicales pour des non-mots ou des mots Ces propriétés peuvent être de niveau
nouveaux. catégoriel (cerise : fruit), fonctionnelles (se
Le système lexical comporte plusieurs compo- mange cru…) ou perceptives (rond, rouge,
sants autonomes impliqués dans la production sucré). L’organisation du système séman-
et la reconnaissance des mots isolés : tique lexical et de la mémoire sémantique
en général reste encore mal connue. Une
— Des représentations de différentes
représentation lexicale phonologique corres-
natures (sémantique, phonologique, ortho-
pond à une « image sonore » abstraite d’un
graphique) assimilées à des connaissances
mot spécifiant des informations segmentales
stockées à long terme et regroupées
141
Manuel de neuropsychologie
(identité et nombre des phonèmes le phonologiques – mémoire tampon phono-
composant) et des informations métriques logique – ou d’informations graphémiques
(structure syllabique, place de l’accent). – mémoire tampon graphémique.
Une représentation lexicale orthographique — Des mécanismes de conversion trans-
correspond à la forme orthographique spéci- forment des informations acoustico-
fique d’un mot (identité des graphèmes, phonologiques en informations phonologiques
nombre de lettres, structure graphotac- (conversion phonème-phonème en répétition),
tique). Une représentation lexicale ou unité des informations acoustico-phonologiques en
lexicale aurait un seuil d’activation de base informations graphémiques (correspondance
déterminé par des caractéristiques psycho- phonème-graphème en écriture sous dictée),
linguistiques telles que la fréquence d’usage des informations visuographémiques en
ou encore l’âge d’acquisition d’un mot. Ainsi informations phonologiques (correspondance
le mot phonologique « pain » serait-il acces- graphème-phonème en lecture à haute voix)
sible plus facilement que le mot « guêtre » ou encore des informations visuographé-
par exemple. Une notion importante est que miques en informations graphémiques (cor-
ce seuil peut être modifié par des stimula- respondance graphème-graphème en copie).
tions répétées : un mot, même peu fréquent, L’appellation usuelle est restrictive (conver-
va être plus rapidement récupéré s’il a déjà sion phonème-phonème par exemple) alors
été produit quelque temps auparavant (prin- qu’il est admis que ces mécanismes opèrent
cipe d’amorçage général ou de répétition). sur des unités sous-lexicales plus souvent de
La plupart des modèles différencient les la taille de la syllabe que de l’unité phonème
lexiques d’entrée, recrutés dans la recon- ou graphème (Segui et Ferrand, 2000, pour
naissance, des lexiques de sortie, impliqués des données expérimentales).
dans la production, mais cette thèse est
— Des composants « plus périphériques »
parfois controversée. Les lexiques d’entrée
sont également décrits : mécanismes per-
– lexique phonologique d’entrée pour les
ceptifs visuels (analyse visuelle) et auditifs
mots entendus et lexique orthographique
(analyse phonologique), mécanismes impli-
d’entrée pour les mots vus – assurent la
qués dans la production orale (activation
reconnaissance d’une forme linguistique
des programmes articulatoires et exécu-
indépendamment de sa signification. Leur
tion neuromusculaire) et dans la production
activation lors d’une stimulation perceptive
écrite (activation des programmes moteurs
(auditive ou visuelle) suffit à distinguer les
graphiques et exécution neuromusculaire),
mots connus (déjà inscrits dans le lexique)
ou encore système de représentations per-
de non-mots (situation par exemple d’une
ceptives structurales visuelles qui permet la
tâche de décision lexicale). Les lexiques de
reconnaissance d’un objet en tant qu’objet
sortie représentent les formes des mots
familier et qui est recruté lors de l’identifi-
activées en vue de la production : lexique
cation d’images.
phonologique de sortie pour la modalité
orale (évocation spontanée, dénomination Les liens entre ces différents composants,
d’images, lecture à haute voix, répétition) représentés de façon schématique dans la
et lexique orthographique pour la modalité figure, permettent de suivre les étapes du che-
écrite (évocation spontanée, dénomination minement cognitif lors de différentes activités
écrite, épellation orale). verbales (répétition, dénomination, évocation
lexicale, compréhension orale ou écrite, lecture
— Des mémoires tampons (buffers) assurent
à haute voix, copie, etc.).
le maintien à court terme d’informations
142
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Mot entendu Mot écrit
Conversion Conversion
acoustico- Système graphème-
phonologique sémantique phonème
Lexique Lexique
phonologique orthographique
de sortie de sortie
Expression
Écriture
orale
Les apports de l’approche cognitive à l’étude des aphasies sont multiples. Si l’objectif de
l’approche classique était la description sémiologique des perturbations du langage en termes
de types d’erreurs et de syndromes (aphasie de Broca, de Wernicke, etc.) et leur mise en corres-
pondance avec les substrats anatomiques, celui de l’approche cognitive vise l’interprétation des
troubles en termes de déficit des mécanismes (représentations et procédures) spécifiques aux
activités linguistiques. De plus, l’approche cognitive a insufflé à la thérapie une démarche plus
rigoureuse au niveau de la prise en charge des patients en posant des hypothèses sur la façon de
réhabiliter les processus perturbés. Enfin, elle s’est attachée à mettre en place des paradigmes
fiables d’évaluation de l’efficacité de la thérapie susceptibles de répondre à plusieurs questions :
le bénéfice observé résulte-t-il de l’intervention thérapeutique ou de la seule récupération spon-
tanée ? Un type d’intervention thérapeutique est-il plus efficace qu’un autre pour un déficit
143
Manuel de neuropsychologie
144
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
et chez un même malade, l’aphasie peut, au cours de l’évolution, prendre différentes formes
successives. Ainsi, un patient atteint initialement d’aphasie globale, caractérisée par une expres-
sion très réduite confinant au mutisme et de sévères troubles de la compréhension, peut évoluer
vers un tableau d’aphasie de Broca mais aussi, quoique plus rarement, d’aphasie de Wernicke.
Un autre point concerne l’interprétation des déficits. Une perturbation donnée peut relever
de mécanismes différents qu’il conviendra d’analyser en tenant compte des résultats obtenus
à l’ensemble de l’examen neuropsychologique ainsi que de diverses variables psycholinguis-
tiques. Pour cette raison, l’approche classique (syndromique) des aphasies est complétée très
utilement de l’approche cognitive, mais s’appuie aussi sur les travaux de l’imagerie cérébrale
qui ont fourni une vision renouvelée des réseaux cérébraux impliqués dans l’expression et la
compréhension du langage.
Encadré 24
Manque du mot et interprétation cognitive (Jany Lambert)
Le manque du mot est fréquent en pathologie dysfonctionnements localisés à différents
du langage. S’il constitue le signe prédominant niveaux : traitement perceptif visuel et système
de l’aphasie anomique, il est aussi observé dans des représentations perceptives, suspectés si
la plupart des syndromes aphasiologiques. le patient peut dénommer des stimuli dans
Ses manifestations sont cependant variables : d’autres canaux sensoriels, traitement séman-
absence de réponse, pause, emploi de mots tique (système sémantique) ou récupération
« valises » (truc, machin, chose), utilisation par de la forme phonologique (déficit d’accès au
défaut d’un mot générique (légume au lieu de lexique phonologique de sortie).
poireau) ou encore circonlocution fournissant Une perturbation du système sémantique
des informations sur le référent qui montrent est assimilée à une dégradation des repré-
un déficit dans la recherche lexicale. Ce déficit sentations sémantiques, plus exactement
peut éventuellement donner lieu à la produc- à une perte plus ou moins étendue des traits
tion non contrôlée de substitutions lexicales : sémantiques qui constituent un concept. En
erreurs ayant un lien sémantique (tomate) ou raison de la position centrale de cette com-
formel (barreau) avec le mot cible. posante, cette dégradation perturbe le trai-
L’interprétation cognitive fait l’hypothèse tement d’informations perçues (auditives,
que ce signe clinique peut résulter de visuelles, olfactives, etc.) : difficultés ou erreurs
145
Manuel de neuropsychologie
lors de la compréhension verbale (mots enten- la préservation de la compréhension, de la
dus ou écrits), lors de tâches non verbales répétition et de la lecture à haute voix. La pré-
(difficultés à donner la signification d’un des- sence d’erreurs sémantiques est possible : une
sin ou d’une image et à réaliser des tâches de unité lexicale, partageant un certain nombre
catégorisation sémantique à partir d’images). de propriétés, est activée à la place de la
Le déficit se ressent également dans les tâches cible non disponible. Le mécanisme patholo-
de production verbale orale et écrite : manque gique est attribué à une élévation anormale
du mot ne cédant pas à une aide par la clef des seuils d’activation des unités lexicales.
(ou aide) phonémique, définition lacunaire, Théoriquement, la dénomination écrite est pré-
erreur sémantique par activation d’un mot servée (hypothèse d’une activation à partir du
partageant une partie des traits de l’item cible système sémantique indépendante et distincte
(poire-pomme). La récupération partielle des pour les représentations phonologiques et les
propriétés sémantiques est insuffisante pour représentations orthographiques de sortie).
activer une représentation lexicale, qu’elle soit En pratique, elle est souvent altérée (déficits
phonologique ou orthographique. Les atteintes associés ou force d’activation à partir du sys-
montrent parfois des dissociations dont la plus tème sémantique insuffisante pour activer les
fréquente serait une perturbation de la catégo- représentations lexicales, phonologiques et
rie « vivants ou biologiques » et une préserva- orthographiques).
tion de la catégorie « non-vivants ». Des perturbations post-lexicales se manifestent
Un déficit d’accès au lexique phonologique de par des erreurs phonologiques (encodage pho-
sortie prédit un manque du mot pouvant être nologique/mémoire tampon phonologique) ou
facilité par une clef phonémique (c’est-à-dire articulatoires (mécanismes de programmation
le 1er phonème ou la 1re syllabe du mot), la pro- et d’exécution des gestes articulatoires) dans
duction éventuelle de périphrases adaptées, toutes les tâches de production orale.
L’aphasie de Broca, encore appelée aphasie motrice ou aphasie d’expression, présente deux
traits sémiologiques majeurs : le discours est non fluent et les productions sont caractéri-
sées par des troubles articulatoires. Les difficultés sont les plus marquées lors de l’expression
spontanée. La réduction du discours est toutefois variable selon les patients, mais l’expression
peut être limitée à une stéréotypie comme chez le célèbre malade de Broca qui ne produisait
qu’une syllabe, « tan ». L’élocution est toujours laborieuse et souvent dysprosodique : les diffi-
cultés de contrôle de certains paramètres comme la hauteur et l’intensité du son perturbent
le contour mélodique et la place des accentuations dans la phrase. Dans certains cas, ces
modifications évoquent un « accent » étranger : « dysprosodie anglo-saxonne ou germanique ».
Les transformations phonétiques, très importantes dans l’aphasie de Broca, peuvent masquer
des paraphasies phonémiques qui se révéleront au cours de l’évolution. Les termes de désin-
tégration phonétique ou d’anarthrie pure sont réservés aux formes cliniques où prédominent
les troubles articulatoires. Un autre mode évolutif de l’aphasie de Broca est l’agrammatisme :
les phrases sont courtes avec un style « télégraphique » (les mots grammaticaux sont omis, les
verbes sont à l’infinitif). Les études récentes insistent sur les troubles de la compréhension de
146
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
la syntaxe et des morphèmes grammaticaux. Des perturbations de ce type sont aussi mises en
évidence dans les tâches de lecture, contrastant parfois avec une bonne compréhension lexicale.
La réduction lexicale et l’agrammatisme qui caractérisent la production orale se retrouvent
dans l’écriture, parfois de façon plus marquée. Il s’y associe des troubles du graphisme et des
paragraphies (substitutions, ajouts ou transpositions d’une ou de plusieurs lettres).
Les troubles neurologiques associés à l’aphasie de Broca comportent fréquemment une
hémiplégie sensitivo-motrice droite, une apraxie idéomotrice de la main gauche et une apraxie
bucco-faciale (impossibilité d’exécuter volontairement certains gestes bucco-faciaux qui
peuvent cependant être produits de façon automatique ou réflexe). Les lésions responsables
de l’aphasie de Broca concernent classiquement la partie postérieure de la troisième circon-
volution frontale gauche et les régions voisines. Le plus souvent, il s’agit de vastes infarctus
frontopariétaux avec une extension sous-corticale constante.
L’aphasie de Wernicke, encore appelée aphasie sensorielle, est caractérisée par un discours
fluent et parfois logorrhéique, l’absence de troubles de l’articulation, la production de
nombreuses paraphasies et d’importantes perturbations de la compréhension. Une production
abondante et riche en néologismes est appelée « jargonaphasie ». Ce jargon peut être à prédomi-
nance phonémique, sémantique ou mixte. Les troubles de la compréhension du langage parlé
constituent l’une des caractéristiques de l’aphasie de Wernicke (la surdité verbale pure en est
la forme extrême ; chap. 3, section 5). Dans de nombreux cas, la lecture et la production écrite
sont aussi perturbées. Les lettres sont bien formées mais les mots sont émaillés de nombreuses
paragraphies. Il existe différentes formes d’aphasies de Wernicke (Lecours et Lhermitte, 1979) :
dans certaines dominent les troubles de la compréhension orale, dans d’autres les troubles du
langage écrit. Enfin, la « grande aphasie de Wernicke » associe l’ensemble des perturbations
décrites, le patient est anosognosique et difficilement canalisable.
Les déficits neurologiques accompagnant l’aphasie de Wernicke (troubles de la sensibilité,
hémianopsie latérale homonyme) sont souvent peu marqués. Survenant plus fréquemment
chez la personne âgée, elle peut être prise à tort pour un épisode confusionnel ou même un état
psychotique. Les lésions responsables de l’aphasie de Wernicke concernent les parties posté-
rieures des première et deuxième circonvolutions temporales ainsi que les gyri angulaire (aire 39
de Brodmann) et supramarginal (aire 40) de l’hémisphère gauche. Ces deux dernières localisa-
tions concernent les formes d’aphasie de Wernicke avec d’importants troubles du langage écrit.
Ce type d’aphasie est caractérisé par un discours fluent (mais la fluence n’est pas « exagérée »
comme dans les aphasies de Wernicke) et par de nombreuses paraphasies phonémiques que
le patient, conscient de ses troubles, tente de corriger. Une aphasie de conduction peut s’ins-
taller au décours d’une aphasie de Wernicke. Une répétition très perturbée contraste avec
147
Manuel de neuropsychologie
une compréhension correcte. Comme la dénomination, la lecture à haute voix donne lieu à de
nombreuses paraphasies phonémiques mais la compréhension du message écrit est correcte. Le
graphisme est bien préservé mais les troubles de l’expression écrite sont constants et dominés
par les paragraphies phonémiques. Les difficultés concernent surtout l’écriture des non-mots.
Les troubles neurologiques qui accompagnent l’aphasie de conduction sont variés mais
le plus souvent peu marqués (troubles sensitifs, amputation du champ visuel). L’aphasie de
conduction a souvent été attribuée à une interruption du faisceau arqué, qui relie le cortex
temporopariétal au cortex de la troisième circonvolution frontale (l’aire de Wernicke à l’aire de
Broca), mais d’autres lésions ont été décrites, notamment dans la partie postérieure du gyrus
temporal supérieur (aire 20) et/ou du gyrus supramarginal.
L’aphasie globale se traduit par une altération massive de l’ensemble des capacités de langage :
expression orale nulle ou très réduite, compréhension nulle ou réduite à des consignes extrême-
ment simples (« fermez les yeux »), expression écrite limitée à des traits ou à des boucles (loops).
Une hémiplégie droite avec troubles sensitifs et troubles du champ visuel est fréquente. Les
lésions sont presque toujours des infarctus ou des hémorragies très étendus fronto-temporo-
pariétaux gauches.
Les aphasies transcorticales se distinguent des précédentes par la préservation des capacités
de répétition. Cette préservation témoigne du bon fonctionnement de la boucle audi-phonatoire
et de l’intégrité de son support anatomique, formé de l’ensemble aire de Wernicke – faisceau
arqué – aire de Broca, ou zones périsylviennes du langage.
L’aphasie transcorticale motrice, très voisine de l’aphasie dynamique décrite par Luria, est
une aphasie non fluente dont les traits dominants sont le manque d’incitation et la réduction du
langage. Elle peut survenir d’emblée ou succéder à une aphasie de Broca. Les patients présentent
aussi un manque d’initiative, un « adynamisme » dans l’ensemble de leurs activités quotidiennes.
L’expression spontanée est quasi nulle, limitée à quelques syllabes ou mots, parfois écholalique.
Le langage automatique est généralement préservé à condition d’être initié par l’examinateur.
Les capacités à compléter des phrases simples ou des proverbes sont très bonnes. Les déficits
neurologiques associés sont variables avec parfois une hémiplégie droite qui peut prédominer au
membre inférieur et une apraxie idéomotrice. Les lésions responsables de l’aphasie transcorticale
motrice peuvent atteindre le cortex prémoteur et en particulier l’aire motrice supplémentaire
mais aussi le cortex préfrontal de l’hémisphère gauche. La récupération est généralement bonne.
L’aphasie transcorticale sensorielle est caractérisée par un discours fluent et bien articulé,
émaillé de nombreuses paraphasies sémantiques, verbales formelles et plus rarement phoné-
miques. L’abondance des déviations verbales et la dyssyntaxie (utilisation erronée des procédés
syntaxiques et des morphèmes grammaticaux) contribuent à l’incohérence du discours. La
148
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
répétition est correcte et les phénomènes d’écholalie fréquents (le patient répète par exemple la
question posée par l’examinateur). Il n’existe aucun trouble articulatoire. Le « langage automa-
tique » (donner les jours de la semaine, réciter des poèmes surappris) est parfait. En revanche,
la compréhension du langage parlé est médiocre. Les troubles du langage écrit sont voisins
de ceux décrits dans l’aphasie de Wernicke. Les troubles neurologiques associés à l’aphasie
transcorticale sensorielle sont inconstants ; les déficits sensitifs et les amputations du champ
visuel sont les plus fréquents. La localisation des lésions cérébrales responsables de l’aphasie
transcorticale sensorielle n’est pas univoque ; il s’agit généralement de régions voisines de
l’aire de Wernicke. La maladie d’Alzheimer, à un stade intermédiaire de son évolution, peut
comporter une aphasie transcorticale sensorielle.
L’aphasie transcorticale mixte, parfois attribuée à un « isolement des aires du langage », est
une altération très sévère des principales fonctions linguistiques associant les signes des apha-
sies transcorticales motrice et sensorielle. Dans ce tableau très déficitaire, les traits dominants
sont la préservation de la répétition et les conduites écholaliques. Les troubles neurologiques
associés sont importants (hémiplégie droite, déficit sensitif droit, hémianopsie droite) et les
lésions très étendues.
L’aphasie amnésique, appelée aussi aphasie anomique, ne fait pas partie de la classification
de Lichtheim mais elle est toutefois considérée comme une forme classique d’aphasie. Elle est
caractérisée par un manque du mot très prononcé et isolé. La fluence, la prosodie, la syntaxe,
l’articulation sont au contraire préservées. Le patient emploie de nombreuses périphrases ou
des mots « passe-partout » pour pallier le manque du mot, qui est particulièrement net dans
les tâches de dénomination, et cela quelle que soit la modalité : canal visuel, auditif, tactile ou
évocation d’après la définition. Certaines formes d’aphasie amnésique associent une perte de la
signification des mots. L’aphasie amnésique peut résulter de lésions diverses (les mécanismes
cognitifs expliquant les troubles sont également divers). Une maladie d’Alzheimer ou une
tumeur cérébrale peuvent se révéler par une aphasie amnésique. Ce tableau est également
caractéristique de la démence sémantique ; en début d’évolution, le manque du mot est massif,
associé à une perte de la signification des concepts sans autre perturbation cognitive.
Les aphasies sous-corticales ont reçu leur acception moderne, très différente de leur sens
historique (troubles purs ou unimodaux comme l’aphasie motrice pure), avec le développement
des techniques d’imagerie cérébrale morphologique. Celles-ci ont montré qu’une lésion limitée
à une structure sous-corticale de l’hémisphère gauche (le thalamus, les noyaux gris centraux
mais aussi certaines régions de la substance blanche) pouvait entraîner une aphasie (encadré 25,
p. 150). Une perte de l’activation normalement exercée depuis les structures sous-corticales
vers le cortex est le plus souvent invoquée. Selon la localisation des lésions sous-corticales, les
149
Manuel de neuropsychologie
tableaux cliniques sont variés et peuvent correspondre à la typologie classique des aphasies.
Toutefois, certains tableaux aphasiques ne s’intègrent pas aux classifications usuelles. Ces cas
« dissidents » sont caractérisés par une aspontanéité verbale, une diminution du volume vocal
(hypophonie), des paraphasies verbales qualifiées d’étranges et une incohérence du discours.
À ces symptômes aphasiques s’ajoutent des troubles de la mémoire verbale. Cette sémiologie
riche et originale de certaines aphasies sous-corticales souligne les limites de l’interprétation
en termes d’activation sous-cortico-corticale. De nombreux travaux confirment l’implication
des structures sous-corticales dans les aspects les plus élaborés du langage, notamment l’orga-
nisation du discours.
Encadré 25
Une observation d’aphasie sous-corticale (Jany Lambert)
Mme L.Y., 74 ans, droitière, institutrice à la — Parapluie : c’est un chapeau.
retraite, est hospitalisée pour un déficit moteur — Hache : faut que je le mette par ici.
modéré de l’hémicorps droit et une aphasie.
— Berceau : un mouton.
L’examen neurologique a rapporté de plus une
hypoesthésie de l’ensemble de l’hémicorps — Thermomètre : un collant.
droit et une hémianopsie latérale homonyme — Crocodile : ça, c’est un chapeau.
droite. Un scanner cérébral a montré une lésion En revanche, la répétition de mots mono- ou
intéressant le territoire cérébral postérieur plurisyllabiques, de non- mots et même de
gauche remontant jusque dans le thalamus phrases était parfaitement préservée. Lors
ipsilatéral. Le bilan étiologique a conclu à un des échanges conversationnels, une tendance
accident vasculaire cérébral ischémique résul- à l’écholalie apparaissait, L.Y. reprenait les
tant d’un probable embole d’origine cardiaque. termes utilisés par l’examinateur. La compré-
L’examen du langage effectué quelques jours hension était très perturbée. La désignation
après le début des troubles a révélé un tableau d’images dans un choix multiple de 6, incluant
sémiologique évoquant une aphasie transcorti- l’item cible (ex. : tarte), un distracteur pho-
cale sensorielle. L’expression orale spontanée némique (carte), sémantique (gâteau), visuel
était très pauvre avec de nombreuses persé- (disque) et deux distracteurs sans lien (brosse
vérations et des paraphasies phonémiques : à dents, vipère) a donné lieu à 5 erreurs sur
— Quel âge avez-vous ? – 23 ans. 7, dont 1 erreur sémantique, 2 absences de
réponse et 1 désignation d’un item sans lien.
— Êtes-vous mariée ? – Moi ? 33-43.
La compréhension syntaxique étudiée par une
— Habitez-vous à Caen ? – 3 ans-4 ans. épreuve d’appariement phrase/images était
— Avez-vous des enfants ? – Jean-Marie et/ également perturbée (8 erreurs sur 15). La
ãtR watRo tRwatã…/ trente trois trois. lecture à haute voix de mots et de non-mots
Des persévérations et des paraphasies ver- montrait de bonnes performances pour les pre-
bales étaient observées en dénomination miers items présentés puis des persévérations
d’images : avec des néologismes (exemple : garpon’ +, rai-
sin’/gaRpi/, obscurité’/gaR/…).
— Lampe : chapeau.
150
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
L’écriture était impossible et les productions, — Échelle : un morceau de marelle.
même lors de la copie, consistaient en une ité- — Brouette : c’est une église italienne.
ration de jambages non signifiants.
— Téléphone : le compte rendu qui appelle le
L’évolution des troubles du langage oral fil… je ne suis pas pédagogue… ce n’est pas
a conduit à une expression orale plus fluente marqué le pedigree.
mais comportant encore de nombreuses dévia-
Parfois ces paraphasies avaient un lien avec
tions. Il s’agissait de néologismes :
l’item cible : champ sémantique, catégorie, ou
— Un garçon lit un livre : il lit un/savoKna/. traits sémantiques communs :
— Une carotte : un/bu loKatœr/. — Il est à vélo : il est à cheval.
— Une femme âgée qui tricote : c’est une — Parapluie : un chapeau de bébé de
grand-mère qui/aseñ/les boutiques. parapluie.
— Une bougie : un/mozes/. — Sifflet : une sucette d’école.
Quelquefois la patiente produisait des pseudo- — Livre : deux marges de correction.
mots résultant de l’utilisation de morphèmes
— Loup : c’est un chien, mais il est un peu
grammaticaux non appropriés :
plus sévère, non, c’est un Mathieu sevré d’un
— Le deuxième a un service de raisonnerie vol, qu’est tiré d’un vol.
d’italien (en parlant de son fils professeur
— Hirondelle : c’est un berger légendaire qui
d’italien).
représente une buse, quelque chose comme
— Elle s’est mise en routière. ça.
— Elle doit verser un onzière. La patiente corrigeait rarement ses erreurs, elle
Son langage était surtout caractérisé par des exprimait cependant une certaine conscience
substitutions de mots appartenant au lexique. de son trouble linguistique : « un mot est venu
Ces paraphasies verbales n’avaient le plus se loger en désarroi, à défaut de sa présence »,
souvent pas de lien sémantique avec le mot « je mets quand même les accents polis comme
attendu : je sais que j’étais à court de vocabulaire ». De
— J’ai pas mes silex (lunettes). même, lors de tâches d’évocation lexicale dans
un champ sémantique délimité, elle respectait
— Elle baisse le rideau : elle attache ses
difficilement la contrainte mais semblait avoir
fuseaux.
conscience de ses digressions.
— Clés : un petit roulant avec 3 baigneurs.
151
Manuel de neuropsychologie
Ces troubles sont maintenant bien documentés et de nombreux travaux, avec des métho-
dologies diverses, ont permis d’invalider le dogme classique d’une dominance exclusive de
l’hémisphère cérébral gauche pour le langage. Des anomalies de la compréhension et de la
production prosodique ont été décrites chez les patients atteints de lésions hémisphériques
droites. Des travaux suggèrent également que l’hémisphère droit serait particulièrement
impliqué dans le domaine lexico-sémantique, dans la pragmatique des comportements de
communication ainsi que dans la compréhension des métaphores et de l’humour (Champagne-
Lavau et Taché, dans Pinto et Sato, 2016).
De façon générale, au-delà de cette approche sémiologique, la neuropsychologie cognitive
a proposé un cadre interprétatif aux troubles aphasiques. Les perturbations sont rattachées
à des altérations spécifiques des composantes du langage : traitement phonétique, phonolo-
gique, lexical, sémantique (encadré 24, p. 145, pour l’interprétation du manque du mot). Nous
développerons ces conceptions dans le cadre du langage écrit où elles sont largement utilisées.
Les alexies (ou troubles de la lecture consécutifs à une lésion cérébrale acquise) sont obser-
vées en association avec la plupart des aphasies. De plus, l’alexie pure et l’alexie-agraphie ont
été décrites par Dejerine à la fin du XIXe siècle. Dans l’alexie pure (ou alexie sans agraphie), le
trouble de la lecture peut être total mais, généralement, une lecture lettre à lettre est possible. Le
patient peut lire des lettres palpées, ou encore reconstituer des mots à partir de lettres épelées
par l’examinateur. Les mécanismes linguistiques de la lecture sont donc conservés et le déficit
peut être considéré comme de nature agnosique (le patient n’accède pas à l’« image globale »
du mot), même si l’atteinte est parfois limitée aux symboles écrits. Les troubles aphasiques
associés se réduisent généralement à une anomie. Les lésions responsables siègent toujours
dans le lobe occipital de l’hémisphère gauche et s’étendent au splénium du corps calleux.
Ces lésions réalisent une déconnexion entre les informations visuelles et les aires du langage.
Par ailleurs, l’alexie-agraphie résulte, pour Dejerine, de « la perte des images optiques » des
lettres qui retentit sur les modalités réceptives et expressives du langage écrit. L’atteinte de la
lecture y est massive, avec une compréhension nulle et une lecture à haute voix impossible ou
jargonnée. La lésion cérébrale responsable de l’alexie-agraphie intéresse le gyrus angulaire de
l’hémisphère gauche. Ce tableau clinique peut être associé à une aphasie de Wernicke ou à une
aphasie amnésique. D’autres signes d’atteinte pariétale sont fréquents : apraxie constructive,
apraxie idéomotrice, syndrome de Gerstmann (ce dernier associe une agraphie, une acalculie,
une indistinction droite-gauche et une agnosie digitale).
152
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
En dehors de ces conceptions classiques qui restent largement descriptives, l’approche cogni-
tive des troubles du langage écrit a permis de mettre en évidence de nouveaux syndromes
(chap. 1, section 9 et chap. 2, section 2). Deux voies principales de la lecture à haute voix
sont distinguées dans les modèles cognitifs. La voie lexicale, partant du module d’analyse
visuelle, gagne le lexique orthographique d’entrée où est activé le mot présenté, puis le système
sémantique où il est « compris », le lexique phonologique de sortie où est activée sa forme
phonologique et enfin le tampon phonologique, relais obligé de toute expression orale. Par
ailleurs, la voie phonologique relie le module d’analyse visuelle au tampon phonologique en
passant par un module de conversion des graphèmes en phonèmes.
Le trait caractéristique de l’altération de la voie lexicale de la lecture est l’incapacité de lire
les mots irréguliers contrastant avec la préservation de la lecture des mots réguliers et des loga-
tomes. Les erreurs sont appelées « régularisations », les mots sont lus « comme ils s’écrivent »,
c’est-à-dire selon les règles les plus usuelles de transcription graphème-phonème. Les termes
d’alexie lexicale et de dyslexie de surface sont réservés aux atteintes de la voie lexicale.
Inversement, l’atteinte de la voie phonologique de la lecture se caractérise par une impos-
sibilité à lire les non-mots. En effet, la voie lexicale permet uniquement la lecture des mots
figurant dans le lexique, qu’ils soient d’orthographe régulière ou irrégulière. Ce trouble est isolé
dans l’alexie phonologique. Dans la dyslexie profonde, il est associé à d’autres perturbations
de la voie lexico-sémantique.
153
Manuel de neuropsychologie
générale de la lettre selon le type de répertoire acquis) peuvent donner lieu à des mélanges de
lettres appartenant à différents répertoires, à une impossibilité à produire une lettre dans un
répertoire donné (difficultés avec les majuscules ou avec les minuscules), ou à des substitu-
tions de lettres montrant des similarités spatiales ou visuelles. Des déficits peuvent être mis
en évidence dans des tâches de transcodage (produire une lettre dans un répertoire différent :
A → a) ainsi que dans des épreuves d’imagerie mentale testant la connaissance de la forme
de la lettre mais la copie de lettres est préservée. Les perturbations des programmes moteurs
graphiques conduisent au tableau classique d’agraphie apraxique : lettres mal formées sans
déficit de la connaissance de leurs formes ni trouble sensorimoteur. Enfin, la perturbation du
code graphique (appelée encore trouble d’exécution motrice) est la conséquence d’un déficit
de commande musculaire dans ses composantes de paramétrisation et/ou d’initiation. Ces
déficits sont observés par exemple dans la micrographie de la maladie de Parkinson ou encore
dans les atteintes cérébelleuses. Ces modèles cognitifs de l’expression écrite ont le mérite de
la clarté. Dans la réalité, les syndromes correspondant aux déficits des processus centraux
semblent avoir des caractéristiques plus unanimement reconnues que celles des syndromes
périphériques dont les composantes restent mal connues et sources de controverses.
154
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
de prise en charge spécifique. La version abrégée du protocole (MEC-P) apparaît utile pour la
recherche de troubles de la communication chez les patients souffrant de la maladie d’Alzheimer
(Basaglia-Pappas et al., 2014).
3. Les acalculies
L’acalculie désigne la perte de la capacité à comprendre et/ou à produire des nombres et
des symboles arithmétiques et à réaliser des calculs élémentaires. Les troubles du calcul et du
traitement des nombres ont d’abord été considérés comme secondaires à une perturbation du
langage mais, dès 1919, Henschen a montré que les troubles du calcul devaient être distingués
des troubles aphasiques et a proposé le terme d’acalculie.
155
Manuel de neuropsychologie
spatiale, difficultés de comparaison de nombres, etc.), ainsi que des performances de patients
souffrant d’une déconnexion inter-hémisphérique, signalent une implication de l’hémisphère
droit et donc que les deux hémisphères auraient la capacité à manipuler la quantité.
Deloche et al. (1994) ont développé la batterie EC301 pour l’évaluation des difficultés des
patients selon les multiples aspects du traitement des nombres et du calcul et en tenant compte
des effets des facteurs démographiques jusque-là assez négligés (le sexe, l’âge et le niveau
socio-culturel). Différents sous-tests ciblent plus particulièrement le comptage, l’estimation
des quantités, le transcodage, la connaissance des signes arithmétiques et le calcul mental.
Von Aster a mis au point, sur la base de l’EC301, un outil dont l’objectif est d’établir un « profil
mathématique » chez l’enfant (chap. 4, section 2.4, le Zareki-R : Dellatolas et von Aster, 2006).
156
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Encadré 26
Modèle cognitif du traitement des nombres et du calcul de Dehaene
(d’après Dehaene et al., 2004)
L’imagerie cérébrale fonctionnelle chez le chiffres : une représentation analogique des
sujet normal montre que le calcul exact et quantités, une représentation verbale des
l’approximation activent des zones cérébrales quantités (par exemple, les tables de multi-
distinctes : frontales inférieures gauches pour plication seraient mémorisées sous la forme
le calcul, et pariétales, bilatéralement, pour d’associations verbales) et une représentation
l’approximation. Les dissociations et doubles visuelle en chiffres arabes. La partie du modèle
dissociations observées chez les patients souf- qui concerne spécifiquement le traitement des
frant d’une acalculie indiquent elles aussi que chiffres arabes est schématisée ci- dessous
certains aspects du calcul et du traitement (d’après Dehaene et al., 2004).
des nombres seraient sous la dépendance d’un Les régions cérébrales impliquées pour chaque
système cognitif particulier et relativement type de représentation numérique seraient :
indépendant d’autres systèmes de traitement
— pour la représentation visuelle des
verbaux, et reposeraient sur des régions dis-
chiffres arabes, la région occipito-temporale
tinctes de celles qui sous-tendent le langage.
inférieure et médiane bilatéralement ;
Dehaene et ses collaborateurs ont développé
un modèle général du traitement des nombres — pour la représentation quantitative des
qui vise à rendre compte de la nature, du nombres et la comparaison numérique, la
fonctionnement et de la localisation cérébrale région pariétale inférieure bilatéralement ;
des différents types de représentations men- — et pour la représentation verbale des
tales impliquées. Il existerait trois types de nombres, les aires périsylviennes exclusive-
représentations mentales possibles pour les ment dans l’hémisphère gauche.
157
Manuel de neuropsychologie
entrée visuelle
par exemple 6 - 4
forme visuelle
forme visuelle des nombres
des nombres faits comparaisons,
arithmétiques soustractions
sortie phonologique
4. Les apraxies
4.1 Ambiguïtés terminologiques et conceptuelles
L’apraxie est classiquement définie en neuropsychologie comme un trouble acquis de l’exé-
cution intentionnelle d’un comportement moteur finalisé consécutif à une lésion cérébrale, qui
ne peut être expliqué par une atteinte motrice, sensitive ou intellectuelle. Il s’agit donc d’une
pathologie du geste sans déficit sensorimoteur, sans trouble de la compréhension du langage
et sans détérioration mentale importante. Elle correspond ainsi à une rupture entre le but du
mouvement et la réalisation motrice. En suivant cette définition générale, nous aborderons
les formes classiques d’apraxies, puis d’autres formes cliniques parfois situées aux franges
d’autres syndromes. Nous mentionnerons les modèles actuels de l’organisation cognitive du
geste qui permettent de clarifier certaines ambiguïtés terminologiques (Blondel et Eustache,
dans Lechevalier et al., 2008 ; Lesourd et al., 2018). Enfin, les principes de l’examen de l’apraxie
seront exposés.
158
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Elle consiste en une difficulté ou une incapacité à réaliser une suite d’actions orientées
vers un but (allumer une bougie avec une boîte d’allumettes). Selon les auteurs, elle est inter-
prétée comme une perturbation du plan général de l’action à réaliser ou comme un trouble
de l’organisation séquentielle de l’action. L’apraxie idéatoire est d’autant plus marquée que
la complexité du geste est grande mais les composantes élémentaires des mouvements sont
correctement exécutées. L’apraxie idéatoire témoigne donc d’un trouble moteur de niveau
supérieur en rapport avec une perturbation de la conceptualisation de la séquence d’actions
(l’idée du geste). Elle gêne la vie quotidienne du patient. L’apraxie idéatoire s’observe lors de
lésions étendues de l’hémisphère gauche ou des deux hémisphères cérébraux, le plus souvent
d’origine vasculaire ou tumorale. Elle est fréquente également dans la maladie d’Alzheimer.
C’est une perturbation des actes simples intentionnels contrastant avec une préservation
de l’exécution automatique de ces mêmes actions. Les troubles praxiques idéomoteurs sont
observés dans les tâches exécutées sur ordre et sur imitation. Contrairement à l’apraxie idéa-
toire, la perturbation affecte les gestes simples isolés ou des fragments d’une séquence gestuelle,
mais le plan général de l’action est conservé. Ce type d’apraxie, qui répond au principe de
dissociation automatico-volontaire, apparaît en situation d’examen, mais les mêmes gestes
sont effectués sans difficulté dans leur contexte habituel d’exécution. L’apraxie idéomotrice
bilatérale résulte le plus souvent de lésions pariétales gauches. L’apraxie idéomotrice unila-
térale gauche est observée en cas de lésions calleuses. Une déconnexion inter-hémisphérique
peut également entraîner une apraxie diagonistique, où les deux mains semblent présenter
des comportements antagonistes.
Elle affecte la réalisation des mouvements rapides et précis. Elle ne perturbe généralement
qu’un segment musculaire de façon unilatérale (le membre supérieur et ses extrémités). Il
n’existe pas de dissociation automatico-volontaire comme dans l’apraxie idéomotrice. Pour ces
159
Manuel de neuropsychologie
raisons, cette apraxie mélokinétique est considérée par différents auteurs comme un trouble
moteur résiduel (au décours d’une hémiplégie) et non comme une réelle apraxie. Les lésions
responsables de l’apraxie mélokinétique sont généralement situées dans le lobe frontal et
notamment à proximité de l’aire de Broca ou de son homologue droit. Elle est observée dans
des maladies dégénératives comme l’atrophie corticobasale et le syndrome d’apraxie progres-
sive primaire.
Elle consiste en une difficulté à agencer, orienter et disposer des vêtements en relation au
corps propre. Dans les formes légères, l’habillage est réalisé au prix de nombreuses hésitations
et les difficultés n’apparaissent que si les vêtements sont présentés de manière inadéquate. Les
lésions responsables se situent généralement dans les régions pariétales et pariéto-occipitales de
l’hémisphère droit. En outre, ces lésions entraînent fréquemment des désordres visuospatiaux
et des troubles du schéma corporel pouvant aller jusqu’à l’hémiasomatognosie. L’apraxie de
l’habillage est également fréquente dans la maladie d’Alzheimer, dans ce cas, elle est le plus
souvent associée à des troubles praxiques de type idéatoire ou idéomoteur.
L’apraxie bucco-faciale est caractérisée par une dissociation entre l’impossibilité d’effectuer
des activités volontaires (souffler, tirer ou claquer la langue) et la conservation des activités
automatiques et réflexes lors de la réalisation des gestes bucco-faciaux (par exemple la masti-
cation ou la déglutition). Des lésions frontales sont généralement à l’origine de l’apraxie
bucco-faciale ; celle-ci est fréquemment associée à une aphasie de Broca en cas de lésion de
l’hémisphère gauche (chap. 3, section 2).
160
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
pariétales mais aussi frontales. Ces perturbations sont également fréquentes dans la maladie
de Parkinson et la maladie d’Alzheimer. Dans ce dernier cas, l’apraxie constructive se mani-
feste parfois par un phénomène d’accolement au modèle (le patient dessine directement sur
le modèle ou en continuité avec celui-ci ; encadré 51, p. 351, chap. 6).
161
Manuel de neuropsychologie
5. Les agnosies
L’agnosie (terme créé par Freud en 1891) est la perte, liée à une atteinte cérébrale, de la
capacité à identifier les stimuli de l’environnement à travers une modalité perceptive donnée,
en l’absence de trouble sensoriel ou de détérioration intellectuelle notable. Ainsi, un patient
agnosique visuel ne reconnaît pas un stimulus qu’il a pourtant bien vu, un patient qui souffre
d’agnosie auditive ne reconnaît pas un stimulus pourtant entendu.
Des agnosies multisensorielles ont été décrites, mais nous étudierons séparément dans ce
chapitre les agnosies spécifiques à ces deux modalités sensorielles, les agnosies concernant les
autres modalités étant rares.
162
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
En 1890, Lissauer a proposé de distinguer deux formes d’agnosie selon la nature du déficit
fonctionnel responsable des troubles de la reconnaissance : agnosie aperceptive et agnosie
associative.
L’agnosie aperceptive relèverait d’un déficit des processus perceptifs (les processus de plus
bas niveau, sensoriels, étant préservés), empêchant de construire une représentation interne
d’un objet. Certains patients ont des difficultés à reconnaître des objets familiers présentés
sous des angles inhabituels, ou sous forme de silhouette ou d’ombre projetée, alors que leurs
performances sont normales lorsqu’il s’agit d’identifier les mêmes objets présentés dans des
orientations conventionnelles (vue canonique) et sous des formes non dégradées. En réfé-
rence aux modèles cognitifs de la perception visuelle, le déficit fonctionnel touche l’étape de
structuration, alors que l’extraction et l’analyse des traits élémentaires du stimulus se sont
effectuées normalement.
Dans l’agnosie associative, les processus perceptifs seraient préservés, mais la représenta-
tion de l’objet correctement construite n’est pas « associée » aux propriétés fonctionnelles et
sémantiques de l’objet, d’où l’échec à comprendre sa signification. Les patients sont capables
de percevoir les objets en tant que tels, mais ne peuvent ni les nommer ni en démontrer l’usage.
Ainsi, ils n’ont pas de difficulté particulière dans les tâches auxquelles échouent les patients
souffrant d’agnosie aperceptive, comme colorier un objet individuel lorsqu’il est présenté
« mêlé » à d’autres objets, ou copier des dessins, mais ils ne peuvent identifier ces objets. L’étape
de structuration serait préservée.
Les agnosies associatives seraient le plus souvent liées à des lésions des régions occipito-
temporales inférieures de l’hémisphère gauche, tandis que les agnosies aperceptives
surviendraient lors d’une lésion pariétale droite.
La distinction établie par Lissauer est toujours considérée comme recouvrant une certaine
réalité, mais elle est maintenant jugée trop générale. L’étude rigoureuse des patients met en
évidence des atteintes qui peuvent être très sélectives, avec par exemple l’observation de disso-
ciations à l’intérieur de l’étape dite perceptive. Plusieurs formes d’agnosies sont maintenant
distinguées au sein de chacun des types aperceptif et associatif.
Quatre critères doivent être réunis pour poser le diagnostic d’agnosie visuelle :
• le patient présente une déficience de la reconnaissance des stimuli qui lui sont proposés ;
163
Manuel de neuropsychologie
• le trouble se limite à la seule modalité visuelle (par exemple les objets non reconnus par la
vision sont immédiatement reconnus et nommés lorsqu’on les place dans la main du patient
qui a les yeux fermés) ;
• il n’existe pas de déficit visuel élémentaire d’intensité suffisante pour expliquer le trouble
de reconnaissance ;
• le trouble de reconnaissance est observé en l’absence de trouble majeur des autres fonctions
cognitives (langage, mémoire) ou de détérioration intellectuelle globale.
Le trouble agnosique peut toucher sélectivement une catégorie particulière de stimuli visuels.
On peut ainsi observer, isolément ou en association chez un même patient, l’agnosie des objets,
l’agnosie des visages et l’agnosie des couleurs (pour revue, Martinaud, 2012). Le GRETOP
propose une batterie utilisant des visages (Gretop visages « GTV ») et des noms (Gretop noms
« GTN ») dont l’objectif est d’évaluer la reconnaissance des visages ainsi que l’accès aux noms
propres et à la sémantique précise des connaissances sur les célébrités (Puel et al., 2016). La
batterie a été conçue en référence au modèle de Bruce et Young (encadré 28, p. 168, section
5.1.3) pour évaluer l’intégrité des étapes de familiarité (le niveau des « unités de reconnaissance
faciale » ou URF), d’informations relatives à la personne (le niveau des « nœuds d’identité de
la personne » ou NIP) et de dénomination (étape de génération du nom).
164
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Enfin, certaines agnosies visuelles d’objets sont spécifiques à une catégorie sémantique
(encadré 27). Les premières observations mettant en évidence un tel déficit catégoriel sont attri-
buées à Nielsen (1946) et à Hécaen et Ajuriaguerra (1956). Ces auteurs rapportaient un déficit
spécifique de la reconnaissance des objets biologiques. L’existence d’une double dissociation
entre objets biologiques et manufacturés a été depuis confirmée. L’analyse des observations
d’agnosie sémantique de spécificité catégorielle est particulièrement riche d’enseignements
dans la mesure où elle permet d’appréhender le problème de l’organisation de la mémoire
sémantique. Ces déficits catégoriels spécifiques reçoivent des interprétations contrastées, où
s’opposent différents modèles de la reconnaissance des objets.
La lésion la plus fréquemment observée dans l’agnosie des objets intéresse le cortex occipito-
temporal inférieur et moyen, en accord avec d’autres données montrant que cette zone est
impliquée dans le système d’identification visuelle des objets. En outre, comme les expériences
de Mishkin l’ont montré, une lésion du cortex inféro-temporal chez le singe provoque des
effets qui peuvent être assimilables à une agnosie d’objets. Les animaux opérés ne peuvent
plus discriminer les objets (le « quoi ») alors qu’ils restent capables de localiser un objet dans
l’espace (le « où »).
Encadré 27
Une observation d’agnosie sémantique de spécificité catégorielle
(Marie-Noëlle Magnié et Michel Poncet)
Le patient J.M.C. a présenté à 58 ans, dans les agnosie sévère des monuments ainsi qu’une
suites d’un coma post-anoxique, une amnésie agnosie modérée des couleurs. Le patient n’est
bihippocampique et une agnosie sémantique ni aphasique, ni apraxique. Son niveau géné-
des objets. L’imagerie mentale du patient est ral de performance cognitive est inférieur au
sévèrement atteinte, comme en atteste la niveau antérieur présumé, étant donné son
production graphique de mémoire de J.M.C. niveau culturel.
(figure). Il est prosopagnosique et présente une
L’étude des capacités de J.M.C. à reconnaître les joueraient un rôle non négligeable dans la
objets met en évidence une agnosie associa- préservation de la reconnaissance de certains
tive plurimodale caractérisée par une atteinte objets chez ce patient. L’évocation de la mani-
sélective de la reconnaissance de certaines pulation d’un objet permettrait d’accéder à un
catégories d’objets (aucun item reconnu pour certain type de savoir sur l’objet. Lorsque la
les animaux, les végétaux et les instruments manipulation est spécifique, elle permettrait
de musique) contrastant avec la préservation dans certains cas de reconnaître l’objet. Les
relative de la reconnaissance d’autres catégo- objets reconnus seraient ceux pour lesquels
ries (les outils, les ustensiles de cuisine, les l’action jouerait un rôle critique comme le sug-
moyens de transport et les parties du corps). gère la classification des catégories selon la
L’effet catégoriel est observé quel que soit le méthode des nuées dynamiques et l’analyse
mode de présentation des objets, et que la des normes de manipulabilité proposées pour
présentation soit réalisée sous forme d’objets les objets présentés à J.M.C. (Magnié et al.,
réels, d’images d’objets ou du nom de l’ob- 2003). L’action paraît être un élément impor-
jet. Le patron de performances de J.M.C. n’est tant de connaissance de certains objets, parmi
pas compatible avec une dichotomie stricte lesquels les outils de menuisier. À ce titre, il est
entre objets biologiques et objets manufac- important de noter que les performances de
turés. En effet, la reconnaissance d’une caté- J.M.C. pour cette catégorie sont relativement
gorie d’objets manufacturés est sévèrement préservées. À l’opposé, le patient n’a reconnu
atteinte : celle des instruments de musique. En aucun animal, or la plupart des animaux
revanche, la reconnaissance d’une catégorie n’évoquent que peu de gestes. La reconnais-
biologique est étonnamment préservée : celle sance d’une autre catégorie est sévèrement
des parties du corps. L’analyse des résultats atteinte : celle constituée par les végétaux.
réfute le caractère artéfactuel de l’effet caté- L’action ne semble pas constituer un fac-
goriel observé dans le cas J.M.C. De plus, l’étude teur déterminant pour la reconnaissance des
des performances du sujet contrôle, normal de végétaux, qui n’évoquent pour la plupart qu’un
mêmes âges et quotient intellectuel, confirme geste similaire de préhension. Le respect relatif
que l’effet catégoriel observé dans le cas J.M.C. de la reconnaissance des parties du corps ne
ne peut être mis sur le compte du niveau géné- paraît pas étonnant si l’on considère l’impor-
ral de performance cognitive du patient. tance des actions faites sur elles ou avec elles.
Une catégorie pose problème, celle des instru-
J.M.C. présente des capacités remarquables de
ments de musique. Cette catégorie, bien que
reconnaissance des actions, qu’elles impliquent
constituée d’objets manufacturés évoquant
ou non l’utilisation d’un objet. La reconnais-
des actions, donne lieu à de mauvaises per-
sance des actions qu’elles soient représentées
formances lors de l’épreuve de reconnaissance
sous forme d’images ou de mimes ne lui pose
des objets. Le patient est capable de réaliser
aucun problème. Le patron de performances
des gestes adaptés aux éléments constitutifs
montre un meilleur respect de la reconnais-
de ces objets, mais il ne produit pas la manipu-
sance des actions n’impliquant pas l’utilisation
lation spécifique qui constitue le geste d’utili-
d’un objet. Ceci semble suggérer la possibilité
sation de l’instrument. Les performances que
d’une interférence entre la reconnaissance
J.M.C. réalise pour cette catégorie soulignent
de l’objet et celle de l’action proprement dite.
un élément important. Plus que la notion de
J.M.C. est capable d’évoquer un geste adapté
manipulation, c’est la notion d’expériences
de manipulation en présence d’un objet, parfois
sensori-motrices qui semble pertinente. En
alors même qu’il ne l’a pas reconnu.
effet, J.M.C. n’a pas vécu d’expériences sensori-
Les capacités de J.M.C. à identifier les actions motrices avec les instruments de musique.
et à évoquer des gestes adaptés aux objets
166
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Notre étude suggère que les expériences fait du respect du système dorsal de traite-
sensori- motrices pourraient jouer un rôle ment visuel ou système occipito-pariétal.
déterminant dans les capacités de reconnais- Le système dorsal de traitement visuel joue-
sance des objets dans le cadre de l’agnosie rait, selon nous, un rôle critique dans le trai-
sémantique de spécificité catégorielle. tement visuel impliqué dans l’évocation des
Les travaux d’expérimentation animale expériences sensori-motrices liées aux objets.
(Ungerleider et Mishkin, 1982) réalisés chez le Jeannerod et al. (1995) distinguent l’analyse
singe ont permis d’individualiser deux voies de pragmatique d’un objet, qui permet d’extraire
projections cortico-corticales jouant un rôle les attributs pertinents pour l’action et de
dans les processus visuels complexes : un sys- générer la réponse motrice correspondante, de
tème ventral de projection du cortex strié au l’analyse sémantique de l’objet, réalisée dans
cortex inféro-temporal, qui serait impliqué dans le lobe temporal. Les auteurs considèrent que
l’identification des objets, et un système dorsal le système sémantique peut influencer le sys-
de projection du cortex strié aux régions parié- tème pragmatique. Notre étude suggère que
tales postérieures, qui serait impliqué dans la reconnaissance d’un objet pourrait survenir
la perception spatiale et la localisation des grâce au transfert d’informations du système
objets. Les données de la pathologie humaine pragmatique vers le système sémantique. Ce
suggèrent que le système dorsal pourrait sous- travail souligne l’importance de prendre en
tendre les transformations sensori-motrices compte la manipulabilité des objets dans les
nécessaires aux actions visuellement guidées études portant sur le traitement cognitif des
dirigées, par exemple, vers un objet. Le sys- objets, facteur essentiel comme en attestent
tème dorsal pourrait jouer, selon ces auteurs, des données de neuro-imagerie fonctionnelle
un rôle dans le traitement de l’information per- mettant en évidence l’implication de différents
tinente pour l’action, information concernant réseaux de neurones dans la connaissance et
les caractéristiques physiques des objets et la reconnaissance des objets manipulables et
leur orientation. Les capacités préservées chez non manipulables.
des patients tels que J.M.C. pourraient être le
La prosopagnosie est une agnosie visuelle qui affecte sélectivement la capacité d’identi-
fier les visages antérieurement familiers, en l’absence de toute autre altération des fonctions
perceptives élémentaires ou des autres habiletés cognitives. Le patient prosopagnosique est très
gêné de ne plus reconnaître ses proches et il peut même arriver qu’il ne reconnaisse plus son
propre visage dans un miroir. Les mêmes difficultés surviennent lorsqu’il s’agit de dénommer
des photographies de personnes célèbres.
Le visage est une structure relativement simple et symétrique mais c’est aussi un objet qui
change, en fonction de l’humeur de la personne, de sa santé et de son âge. Même si recon-
naître un visage est une activité banale pour un sujet normal, elle implique de nombreuses
composantes cognitives. Différents modèles proposent un traitement sériel de l’information,
dans lequel différents processus se succéderaient pour permettre finalement de reconnaître
la personne et de la nommer (encadré 28, p. 168). Les travaux conduits en référence à ce type
d’architecture fonctionnelle ont permis de préciser les niveaux de traitement perturbés et
ceux épargnés dans la prosopagnosie et ont montré qu’elle n’était pas un syndrome unitaire.
167
Manuel de neuropsychologie
Encadré 28
La reconnaissance des visages
Le modèle du système de reconnaissance des — analyse des traits faciaux, afin de déga-
visages élaboré par Bruce (figure 1) suppose ger les caractéristiques physionomiques dis-
d’abord une analyse perceptive du visage, tinctives et de constituer une représentation
effectuée en deux étapes : unique, indépendante de l’angle de vue, de
— traitement des caractéristiques physiques l’éclairage, et des changements liés aux émo-
du visage, pour extraire une configuration tions, au vieillissement, à un changement de
d’ensemble et diverses propriétés person- lunettes…
nelles « inscrites » sur le visage (âge, sexe,
émotion…) ;
Âge, émotion…
Encodage structural
Invariants physionomiques
Visage particulier
Unités
Visage familier
de reconnaissance faciale
Personne identifiée
Informations biographiques :
sémantiques et Visage identifié
épisodiques
Voix, démarche…
Nom
Cette représentation est mise en relation avec Intervient enfin un traitement sémantique.
les représentations des visages connus stoc- C’est seulement après cet accès aux infor-
kées en mémoire à long terme, les « unités de mations biographiques sur la personne que
reconnaissance faciale ». Si la ressemblance le visage est perçu comme étant celui d’un
entre le percept actuel et une unité de recon- individu particulier, avec son histoire, qu’il est
naissance faciale particulière est suffisante, reconnu, et que la personne à qui il appartient
celle-ci est activée : c’est ce qui suscite le peut être nommée.
sentiment de familiarité et permet au sujet de Ces traitements complexes reposent sur l’acti-
déterminer s’il a déjà rencontré ce visage. vité d’un réseau d’aires distribuées principale-
ment dans l’hémisphère droit.
L’étude des lésions des patients prosopagno- élaborée dans cette aire aux champs récep-
siques et de leurs conséquences fonctionnelles teurs plutôt larges est relativement « gros-
ainsi que des activations dans le cerveau du sière », et cette voie de traitement direct (qui
sujet normal qui traite diverses tâches requé- est en relation avec les aires de traitement de
rant l’analyse du visage a conduit Rossion l’information sémantique personnelle) ne suffit
à proposer le modèle anatomo-fonctionnel pas forcément à l’identification. La représenta-
présenté dans la figure 2 (pour revue, Rossion, tion globale peut alors être affinée au travers
2015). À l’issue du traitement visuel de bas d’interactions avec une aire plus postérieure
niveau dans les aires visuelles primaires, le située dans le cortex occipital inférieur (dite
signal est transmis à une petite aire à la jonc- « aire occipitale des visages », en anglais OFA
tion du lobe occipital et du lobe temporal infé- pour Occipital Face Area) : ses champs récep-
rieur, dans le gyrus fusiforme (appelée aussi teurs sont plus petits que ceux de l’aire située
« aire fusiforme des visages », en anglais FFA dans le gyrus fusiforme, ce qui permet les pro-
pour Fusiform Face Area), où le stimulus visuel cessus d’analyse des traits de détail – yeux,
peut être catégorisé comme étant un visage bouches, etc. – et contribue à l’identification
(détection). Toutefois la représentation globale du visage.
169
Manuel de neuropsychologie
Les observations réalisées par Jean-Louis Signoret (Paris), Michel Poncet (Marseille) et
Justine Sergent (Montréal) chez quatre patients prosopagnosiques ont mis en évidence que les
déficits fonctionnels varient d’un patient à l’autre, « en degré et en qualité ». Deux des patients
(R.M. et P.M.) sont incapables d’extraire à partir des informations faciales les caractéristiques
qui permettent de déterminer le sexe ou d’identifier les émotions, tandis que les deux autres
patients (P.C. et P.V.) y parviennent mais moins efficacement que des sujets normaux. Les
auteurs proposent que R.M. et P.M. souffrent tous deux d’une atteinte des étapes initiales du
système de traitement des visages. Mais, alors que le déficit de R.M. se situerait dès le niveau
de l’analyse structurale (difficultés à reconnaître les émotions, à estimer l’âge, à déterminer le
sexe), celui de P.M. concernerait le niveau ultérieur d’extraction des invariants physionomiques,
avec une incapacité à dégager une configuration faciale propre à chaque visage en dépit d’une
analyse structurale correcte. Les patients P.C. et P.V. présenteraient des déficits des étapes plus
tardives, celles qui donnent le sentiment de familiarité et permettent l’accès aux informations
biographiques sur la personne.
Le déficit prosopagnosique se manifeste de la même façon chez tous ces patients par une
incapacité à identifier les visages de personnes connues mais peut donc avoir des bases fonc-
tionnelles différentes : le traitement des visages peut être perturbé à différents stades dans la
série d’opérations qui doivent être effectuées pour qu’un visage soit identifié. Il est donc impor-
tant, si l’on envisage une prise en charge, de cerner le déficit sous-jacent. Mayer et al. (1999)
conduisent une rééducation chez une patiente, devenue prosopagnosique à la suite de lésions
pariéto-occipitales bilatérales, en référence au modèle de Bruce et Young (1986). Le diagnostic
cognitif incrimine essentiellement un « déficit spécifique de l’analyse des traits internes du
visage ». L’entraînement repose alors tout particulièrement sur des tâches de description et de
sériation de visages sur la base de leurs traits internes. Il s’agit par exemple pour cette patiente
enseignante, qui éprouve des difficultés à reconnaître les enfants de sa classe, d’ordonner cinq
photographies de visages d’enfants selon l’épaisseur des sourcils.
D’autres faits suggèrent que les processus de reconnaissance des visages sont peut-être
encore plus complexes. Par exemple, alors qu’aucun des patients étudiés par Signoret, Sergent
et Poncet ne peut reconnaître les visages de façon explicite, dans des tests implicites qui ne
demandent pas directement d’identifier un visage, leurs performances sont meilleures lorsqu’on
leur présente le visage d’une personne familière que des visages d’inconnus (Sergent et Poncet,
1990). Des indices non comportementaux corroborent ces données. La présentation de visages
familiers, non reconnus en tant que tels par le patient prosopagnosique, donne lieu à une
réponse électrodermale plus forte que celle recueillie pour des visages inconnus. Ces perfor-
mances et ces variations électrophysiologiques témoignent d’une reconnaissance implicite,
toutefois insuffisante pour donner le sentiment de familiarité et accéder au nom.
Les données anatomo-pathologiques et l’imagerie morphologique montrent que la proso-
pagnosie est causée par des lésions occipito-temporales inférieures souvent bilatérales, mais
parfois unilatérales droites. Ces résultats et ceux de la neuro-imagerie fonctionnelle chez le sujet
sain sont très cohérents. L’intégrité du réseau formé principalement par deux aires postérieures
170
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
de l’hémisphère cérébral droit, l’aire fusiforme des visages (FFA pour fusiform face area, dans
le gyrus fusiforme moyen) et l’aire occipitale des visages (OFA pour occipital face area, dans
le cortex occipital inférieur) est indispensable au traitement normal des visages, sans que l’on
puisse ramener celui-ci à la seule activité de ces deux aires (encadré 28, p. 168 et, pour revue,
Rossion, 2015).
Les analyses fines menées auprès de cas relativement rares mais complétées maintenant par
l’apport de la neuro-imagerie ont permis d’affiner les modèles neurocognitifs de la perception
visuelle et ont mis en évidence aussi la spécialisation hémisphérique. Le cortex occipito-temporal
gauche jouerait un rôle prépondérant pour la reconnaissance des objets, l’identification des
couleurs et la lecture, alors que les mêmes structures du côté droit seraient impliquées dans la
reconnaissance des « entités uniques », dont les visages sont les plus représentatifs.
Le Protocole d’évaluation des gnosies visuelles (PEGV ; Agniel et al., 1992) et la Birmingham
Object Recognition Battery (BORB ; Riddoch et Humphreys, 1993) ont en commun de proposer
chacune des sous-ensembles d’épreuves qui permettent d’évaluer distinctement le degré d’inté-
grité des traitements perceptifs (versant discriminatif/perceptif du PEGV) et sémantiques
(versant associatif/sémantique du PEGV). Le Protocole d’évaluation des gnosies visuelles
comporte quatre épreuves. Sur le versant perceptif, il s’agit :
• du test des figures identiques (repérer parmi des distracteurs le stimulus identique au
stimulus cible) ;
• du test des figures enchevêtrées (retrouver au sein d’un choix multiple les éléments qui
constituent la figure cible, figure complexe où se superposent plusieurs dessins d’objets au
trait).
Sur le versant sémantique, le PEGV comprend :
• un test d’appariement fonctionnel entre un dessin d’objet-cible et un dessin d’objet qui
entretient un lien associatif avec la cible (par exemple vis/tournevis) et est présenté parmi
des distracteurs, certains entretenant un lien visuel mais non sémantique avec la cible ;
• un test d’appariement catégoriel (par exemple piano/violon).
La batterie d’évaluation de la perception visuelle des objets et de l’espace (Visual Object and
Space Perception Battery – VOSP ; Warrington et James, 1991) a été conçue pour dépister les
déficits de la perception visuelle et aider à distinguer ceux qui altèrent le traitement des objets
versus de l’espace (soit respectivement, les traitements spécialisés de la voie du « quoi », ventrale,
et de la voie du « où », dorsale). Quatre sous-tests évaluent la perception des objets (dont une
reconnaissance d’objet parmi des non-objets et l’identification d’un objet à partir de sa silhouette).
Les quatre autres évaluent la perception spatiale, avec par exemple une épreuve de discrimination
de positions où le sujet doit pointer le carré qui, parmi les deux présentés, comporte un point en
son centre (tandis que ce point est décalé par rapport au centre dans l’autre carré).
171
Manuel de neuropsychologie
172
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
dans la perception des hauteurs, des rythmes ou des timbres. De telles perturbations des trai-
tements élémentaires peuvent affecter la reconnaissance des mélodies mais aussi la perception
d’autres stimuli sonores en dehors de la perception musicale (comme les voix ou la prosodie).
Enfin, au-delà des perturbations structurales et par domaines, certains troubles de la perception
auditive s’apparentent à ceux décrits précédemment dans le cadre des agnosies visuelles. Ils
s’expliquent alors par des atteintes de niveaux de traitement qui s’appuient sur des modèles
théoriques dérivés de la proposition princeps de Lissauer. De façon relativement sélective, des
patients peuvent présenter des perturbations dans la discrimination de certaines classes de
stimuli sonores (agnosie aperceptive), alors que d’autres se caractérisent par une atteinte de
l’identification (agnosie associative) de certaines catégories de stimuli auditifs.
Étant donné la diversité des troubles centraux de la perception auditive, l’examen d’un patient
susceptible de présenter de telles perturbations est complexe. Des évaluations audiologiques
et psychoacoustiques fines, l’enregistrement des potentiels évoqués auditifs et les résultats aux
tests dichotiques contribuent à préciser l’atteinte physiopathologique. Enfin, l’examen plus
strictement neuropsychologique doit s’adapter aux spécificités du patient, à savoir ses troubles
actuels mais aussi ses compétences et ses intérêts antérieurs (musicien ou non). L’examen de la
perception de la musique et des bruits de l’environnement nécessite l’utilisation de nombreuses
épreuves constituées de séquences sonores enregistrées. Pour l’évaluation de la perception des
sons du langage, des tâches de discrimination et d’identification de syllabes sont proposées
au patient. Les résultats sont interprétés en tenant compte des oppositions minimales (ou
traits phonétiques) qui régissent la structure des phonèmes comme le mode d’articulation
(obstruction ou non du canal de passage de l’air expiré) ou le voisement (présence ou non de
vibrations des cordes vocales).
Les troubles centraux de la perception auditive résultent le plus souvent de lésions bilatérales
des lobes temporaux, soit corticales, soit sous-corticales. Toutefois, des atteintes unilatérales
peuvent entraîner des agnosies auditives relativement sélectives (par exemple certaines formes
de surdité verbale pure après une lésion de l’hémisphère gauche). Ces lésions proviennent
de diverses étiologies, les plus fréquentes étant les accidents vasculaires cérébraux, parfois
constitués en plusieurs temps. De tels troubles centraux doivent également être suspectés
dans les séquelles des traumatismes crâniens. Chez l’enfant, le syndrome de Landau-Kleffner
peut réaliser un tableau d’agnosie auditive relativement pur ; il peut être pris à tort pour un
syndrome autistique.
6. L’héminégligence
Les patients qui souffrent d’héminégligence ont des difficultés à détecter, à identifier, ou
à s’orienter vers des stimuli situés dans la moitié de l’espace controlatérale à l’hémisphère
cérébral lésé. Il s’agit de l’une des entités les plus intrigantes de la neuropsychologie. Le
syndrome d’héminégligence peut se manifester dans les modalités visuelle, auditive ou tactile
173
Manuel de neuropsychologie
174
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Encadré 29
Une observation d’héminégligence gauche (Fausto Viader et Catherine Lalevée)
Un homme de 57 ans, traité pour une hyper- de chaque ligne, et les dernières lettres des
tension artérielle et une hypercholestérolémie, titres de journaux en gros caractères.
est hospitalisé pour une hémiplégie gauche. Le Interrogé sur les raisons de sa présence à l’hô-
matin au réveil, le patient tombe en essayant pital, il affirme qu’il est là pour sa tension, qu’il
de se lever du lit. Son épouse constate alors a fait un malaise. Il assure ne rien ressentir
une déviation de la bouche et une paralysie des d’anormal au niveau de son côté gauche, et
membres gauches, dont le patient lui-même ne se refuse à admettre en particulier la moindre
paraît pas avoir conscience puisqu’il continue paralysie, disant qu’il ne peut se lever à cause
à tenter de se relever sans comprendre pour- des barrières placées le long de son lit, ou à un
quoi il n’y parvient pas. Le médecin appelé autre moment parce qu’on ne l’y a pas encore
constate l’hémiplégie, et fait hospitaliser le autorisé, mais qu’il pourrait marcher s’il le
patient. Dans le service de neurologie, l’examen voulait. Si enfin on lui montre sa main gauche
clinique montre une légère tendance à la som- inerte, il affirme qu’elle appartient au médecin.
nolence, facilement réversible, une hémiplégie Après quelques jours, le patient commencera
gauche totale, une diminution de la sensibilité à admettre un certain degré de faiblesse du
au tact et à la piqûre sur l’hémicorps gauche, côté gauche, disant que sa main est « pares-
et une absence apparente de réaction à toutes seuse », qu’elle ne veut rien faire.
les stimulations visuelles portées sur le côté
L’héminégligence se manifeste également dans
gauche du champ visuel. Le scanner montre
les activités graphiques. Que ce soit dans le
un infarctus cérébral droit dans le territoire
dessin spontané ou copié, on observe des
de l’artère cérébrale moyenne. Le Doppler met
imperfections et des omissions dans la partie
en évidence une occlusion de l’artère carotide
gauche des figures géométriques simples ou
interne droite.
du dessin de la maison ou de la marguerite,
Dès le début de l’hospitalisation, l’attitude du ainsi que dans les tests de barrage. L’écriture
patient retient l’attention. À la moindre sti- est inégalement répartie sur la feuille, occu-
mulation, dès qu’il ouvre les yeux, il oriente pant préférentiellement la partie droite de
son regard, puis sa tête, vers la droite. Prié de celle-ci. Seuls les mots figurant à l’extrémité
regarder vers la gauche, il ébauche un mou- droite d’un texte sont lus.
vement du regard mais celui-ci ne franchit
En une dizaine de jours, l’héminégligence s’at-
pas la ligne médiane, comme si son attention
ténue progressivement. Le patient prend peu
était attirée irrésistiblement vers la droite. Il
à peu conscience de la partie gauche de son
ne paraît pas voir les objets ou les personnes
environnement, ainsi que de son hémiplégie
placés à sa gauche, mais même si l’on place
gauche. Les tests confirment cette améliora-
deux objets dans son champ visuel droit, il
tion. En revanche, le déficit sensitivo-moteur
tourne les yeux vers celui qui est situé le plus
reste important, avec un début d’amélioration
à droite. Devant une image, il n’en décrit que
du membre inférieur mais une persistance de
les détails situés à l’extrême droite. Dans une
la paralysie totale du membre supérieur et de
tâche de lecture, il ne lit que les derniers mots
l’hémianopsie.
175
Manuel de neuropsychologie
Divers déficits sensorimoteurs tels qu’une hémiparésie ou une hémianopsie sont fréquem-
ment associés à l’héminégligence. Cependant, lorsque le trouble se manifeste dans la modalité
visuelle par exemple, le terme d’« héminégligence visuelle » ne doit pas laisser penser qu’il s’agit
d’un trouble sensoriel. Beaucoup de patients héminégligents souffrent aussi d’une hémianopsie :
dans ce cas, un patient souffrant d’une héminégligence gauche est aussi aveugle dans le champ
visuel gauche. Pourtant, l’hémianopsie ne peut pas être considérée comme la cause de l’hémi-
négligence : des patients qui souffrent seulement d’hémianopsie utilisent des mouvements de la
tête et des yeux pour rechercher activement l’information et peuvent ainsi compenser l’ampu-
tation du champ visuel. Bisiach et son équipe ont apporté d’autres arguments concordants,
montrant que des patients héminégligents « ignoraient » aussi une partie d’une scène imaginée.
La relation entre des troubles d’héminégligence et des difficultés de récupération mnésique
particulièrement prononcées a souvent été soulignée, mais cette relation s’avère complexe et
des difficultés attentionnelles plus générales seraient en cause. Des rééducations ont été tentées
dès les années 1960. La méta-analyse réalisée par Azouvi et al. (2017) sur un ensemble d’essais
176
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
contrôlés randomisés conduits auprès de plus de 1 000 patients a permis d’éprouver l’effica-
cité des principales méthodes : par approche descendante, visant à améliorer la conscience
de la négligence, par stimulation sensorielle, selon une approche ascendante, par modulation
des processus inhibiteurs dans le cadre de la compétition inter-hémisphérique (section 6.2.1.
ci-dessous) et enfin par augmentation du niveau d’éveil. Les auteurs concluent à des résultats
encourageants concernant la réduction de la négligence spatiale unilatérale gauche (par lésion
droite) mais à un niveau de preuve faible, avec des essais qui, pour beaucoup, sont de qualité
méthodologique limitée avec des effectifs de petite taille. Les efforts sont, selon eux, de généra-
liser des évaluations en aveugle, et ciblent la généralisation aux activités de la vie quotidienne.
Enfin, le titre de cette section – « L’héminégligence » – pourrait laisser penser que nous avons
affaire à un seul et unique syndrome. Or plusieurs dizaines de décennies de littérature neuro-
psychologique dépeignent au contraire un polymorphisme clinique (Jacquin-Courtois et al.,
2009), voire une « collection hétérogène de symptômes » (Karnath et Rorden, 2012). Ces auteurs
critiquent l’utilisation à tout propos de l’unique terme de « négligence spatiale » pour renvoyer
en fait à une grande variété de perturbations attentionnelles et spatiales. Leur synthèse dégage
une vue cohérente. En soulignant qu’il existe des symptômes centraux et d’autres plus margi-
naux, elle distingue différents syndromes, qu’elle relie à des bases anatomiques. L’association
de symptômes de déviation du regard et de biais dans la recherche visuelle, sans prise de
conscience du trouble, constitue le symptôme majeur de « négligence spatiale » à proprement
parler ; il survient après des lésions des aires périsylviennes plus particulièrement dans l’hémis-
phère cérébral droit. Ce réseau comprend des aires du cortex temporal moyen et supérieur, du
cortex pariétal inférieur et du cortex frontal ventrolatéral. Les manifestations qui apparaissent
« centrées sur l’objet » (ou allocentriques, plutôt que fondamentalement égocentriques comme
dans le symptôme de négligence spatiale tel que défini par eux) seraient dues à des lésions
d’aires plus postérieures. L’extinction survient lors de lésions de la jonction temporopariétale.
177
Manuel de neuropsychologie
théoriques retiennent l’idée générale d’une spécialisation de l’hémisphère droit pour les méca-
nismes attentionnels ou les processus d’activation, expliquant ainsi la plus grande sévérité de
l’héminégligence après une lésion droite.
Kinsbourne suppose que chez les sujets normaux, chaque hémisphère cérébral sous-tend le
déplacement de l’attention dans la direction opposée, aussi bien dans l’hémi-espace controlatéral
qu’ipsilatéral. Une lésion cérébrale unilatérale susciterait un déséquilibre de l’orientation de
l’attention en faveur de la direction opposée à l’hémisphère qui reste indemne : c’est le « biais »
ainsi créé en faveur de la direction ipsilésionnelle qui rendrait compte de l’héminégligence
spatiale. L’auteur souligne enfin que la plupart des situations de test de l’héminégligence ont une
composante verbale (consigne et/ou matériel) qui, selon lui, activerait sélectivement l’hémis-
phère gauche. Ce surcroît d’activation de l’hémisphère gauche aggraverait les troubles après
lésion droite (en accentuant le biais favorisant l’hémi-espace droit) mais tendrait à les compenser
après lésion gauche (en contrebalançant le défaut d’orientation vers l’hémi-espace droit).
Cette hypothèse en termes de déséquilibre de la balance d’activation inter-hémisphérique a été
récemment confortée par les effets des stimulations cérébrales (e. g. par TMS ; chap. 2, section
5) appliquées au niveau des zones pariétales de l’hémisphère gauche versus droit. L’inhibition
de l’hémisphère sain (gauche généralement) et la stimulation de l’hémisphère lésé (droit) ont
les mêmes effets positifs sur l’exploration visuospatiale (pour revue, Kandel et al., 2012).
L’attention n’est pas une fonction unitaire, elle renvoie à différents processus attentionnels.
Pour agir de façon adaptée dans un environnement continuellement changeant, nous avons
besoin de deux mécanismes qui permettent à la fois le maintien d’un comportement dirigé vers
un but en dépit d’événements distracteurs et le traitement d’événements nouveaux et/ou inat-
tendus, qui peuvent se révéler avantageux ou dangereux, afin de répondre de façon appropriée
par des comportements d’approche ou d’évitement respectivement (pour revue, Chokron et
al., 2008). Le modèle neurocognitif aujourd’hui le mieux à même de rendre compte du fonc-
tionnement normal et pathologique de l’orientation de l’attention a été élaboré par Corbetta
et Shulman (2002) à partir des données de la pathologie de l’attention et de la neuro-imagerie
fonctionnelle (encadré 30 ci-contre). Concernant l’héminégligence, les auteurs avancent que
les données lésionnelles, cliniques et expérimentales sont en faveur d’une atteinte du système
attentionnel ventral. D’une part, les lésions qui causent l’héminégligence sont localisées plus
ventralement que les « épicentres » du réseau dorsal, et impliquent très fréquemment la jonc-
tion temporopariétale droite. D’autre part, les patients héminégligents ont des difficultés qui
renvoient plus à un dysfonctionnement du système de détection de cible qu’à une atteinte du
système d’orientation endogène. Ils peuvent en effet diriger volontairement leur attention, et
utiliser des indices cognitifs pour ancrer leur attention dans l’hémi-espace contra-lésionnel
dans la rééducation. L’ensemble des données disponibles est bien en faveur d’une préserva-
tion des fonctions du réseau dorsal et d’un déficit d’orientation automatique en lien avec une
atteinte du réseau ventral.
178
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Encadré 30
Les réseaux cérébraux de l’attention
Le modèle élaboré par Posner distingue consciemment orientée, et non simplement
trois réseaux de régions corticales et sous- capturée par des événements saillants) ;
corticales qui sous-tendent différentes opéra- il est localisé dans le cortex préfrontal et
tions attentionnelles : exerce un contrôle sur le réseau postérieur ;
— le réseau postérieur est responsable de — le réseau de la vigilance permet de main-
l’orientation de l’attention visuospatiale et tenir un état suffisant et soutenu d’éveil et
comprend notamment des aires du cortex comprend des aires frontales et pariétales
pariétal ; dans l’hémisphère droit (HD).
— le réseau antérieur sous-tend les aspects
exécutifs de l’attention (volontairement et
+
(b)
indiçage périphérique
alerter
interrompre
loca liser
0
déseng ager
indiçage correct indiçage incorrect
(cible du côté indicé) (cible du côté non indicé)
déplacer
engag er
inhiber
0 0
179
Manuel de neuropsychologie
800
180
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
aire visuelle frontale
sillon intrapariétal (« FEF » : Frontal Eye Field)
lobule pariétal supérieur
jonction temporopariétale
- gyrus supramarginal
- gyrus temporal supérieur
Cette dichotomie dorsal/ventral ne renvoie pas inattendus suscitent des réponses dans le
simplement à celle entre orientation endogène/ réseau ventral qui varient en fonction de leur
exogène (Corbetta et Shulman, 2002) : le réseau pertinence pour la tâche (orientation contin-
dorsal joue un rôle dans le guidage de l’atten- gente, dépendante de la signification compor-
tion vers des stimuli sensoriels saillants (et tementale du stimulus).
donc dans l’orientation exogène), et des stimuli
Un autre cadre conceptuel met en cause la représentation spatiale plutôt qu’un déficit de
l’attention. Bisiach a demandé à des patients héminégligents de décrire des scènes « imaginées »
(et non réelles).
Dans l’expérience princeps (Bisiach et Luzzati, 1978), les patients devaient donner une
description verbale de la « place de la cathédrale » de Milan, lieu dont les auteurs s’étaient
assurés qu’il était familier pour tous. Ils devaient d’abord s’imaginer faisant face à la cathédrale,
ensuite lui tournant le dos. Les éléments (monuments) négligés, omis, selon un premier point
de vue, étaient correctement décrits lorsque le patient devait décrire la même scène mais
du point de vue opposé. Les patients lésés droits avec héminégligence gauche qui devaient
imaginer et décrire cette scène visuelle familière se montraient incapables de « décrire exac-
tement la moitié gauche des images revisualisées ». À partir de ces données, Bisiach a suggéré
que la négligence pouvait résulter d’une incapacité à former une représentation complète de
l’espace : l’espace serait représenté de façon analogique dans les substrats cérébraux, et l’auteur
181
Manuel de neuropsychologie
retient l’explication selon laquelle « la moitié gauche du cadre des représentations visuelles
est perturbée chez ces malades ».
182
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Cette mesure de l’incapacité est plus sensible que chacun des tests classiques que comporte
la Batterie d’évaluation de la négligence par ailleurs, en particulier ses items relatifs à la négli-
gence corporelle, les collisions lors des déplacements et l’habillage (pour revue, Urbanski et
al., 2007). Enfin, la comparaison de l’auto-évaluation par le patient et de l’hétéro-évaluation
peut mettre en évidence une anosognosie.
De nombreuses tâches visuoperceptives, visuographiques, comportementales et représenta-
tionnelles permettent de mettre en évidence une héminégligence. On distingue classiquement
les épreuves dites « cliniques », dont la cotation est délicate, et les tests qui ont été spécialement
élaborés pour détecter les troubles et en mesurer la gravité.
Parmi les tests cliniques traditionnels, on trouve le dessin « de mémoire » ou d’après un
modèle, ainsi que diverses tâches de lecture et d’écriture. Les tests qui consistent à demander
au patient de dessiner de mémoire – une fleur, une maison, ou encore un cadran de pendule –
donnent lieu à des observations spectaculaires : le patient omet les chiffres situés sur la partie
gauche du cadran de la pendule, ou bien les transpose sur la partie droite.
D’autres tests permettent de quantifier le trouble, notamment ceux dits « de barrage », dont
le principe général consiste à proposer au patient un ensemble de stimuli répartis sur une
feuille de papier et à lui demander une tâche précise. Il est par exemple demandé de barrer des
segments de droite présentant une orientation particulière parmi des segments différemment
orientés, de barrer des H dans un ensemble structuré de lettres (test de barrage de lettres),
d’entourer des « cloches » disposées sur la feuille de papier parmi d’autres images d’objets (test
des cloches ; test de barrage des nounours pour l’enfant ; Laurent-Vannier et al., 2003). Quelle
que soit l’épreuve, le nombre d’items omis, au total, et surtout en fonction de leur position
droite ou gauche sur la feuille, est comptabilisé. Dans le cas le plus fréquent d’héminégligence
par lésion du lobe pariétal droit, les patients « ignorent » les stimuli visuels situés sur le côté
gauche de la feuille. Les épreuves de « barrage » seraient les tests les plus sensibles à la présence
d’une héminégligence, avec une fidélité test-retest variable selon l’épreuve. Dans l’épreuve clas-
sique de bissection de ligne, le patient doit cocher le milieu d’un segment de droite horizontale
de longueur variable. En cas d’héminégligence gauche, la réponse se situe systématiquement
à droite du milieu réel.
Pour certains auteurs il est surtout important de caractériser chaque tâche selon le processus
de traitement de l’espace plus particulièrement requis. Kinsella et al. (1995) distinguent, par
exemple, les tâches d’exploration des stimuli dans l’espace extra-corporel (barrage de formes,
bissection de lignes), et les tâches qui impliquent un traitement de la représentation interne
de l’espace ou d’imagerie (dessin de mémoire d’objets figuratifs symétriques – un cadran de
pendule – et épreuve de labyrinthe tactile).
L’héminégligence ne se manifeste pas toujours de la façon spectaculaire illustrée par l’en-
cadré 29 (p. 175). Elle peut être réduite à un phénomène d’extinction qui apparaît souvent au
cours de la récupération : le patient détecte un stimulus isolé dans l’hémichamp controlatéral
à la lésion mais échoue en cas de double stimulation simultanée, et ce phénomène peut survenir
indépendamment ou en association dans les modalités visuelle, auditive ou tactile. Toutefois,
l’extinction a aussi été mise en évidence en l’absence d’héminégligence et pourrait constituer
183
Manuel de neuropsychologie
un trouble indépendant de cette dernière. Le test clinique de l’extinction est constitué par
la situation de « confrontation ». Dans la modalité visuelle, le sujet est assis en face de l’exa-
minateur et a pour consigne de fixer du regard le nez de celui-ci ; l’examinateur rapproche
lentement ses deux mains levées jusqu’à ce que celles-ci entrent dans le champ visuel du sujet ;
celui-ci doit pointer de la main lorsqu’il détecte un mouvement de l’index gauche ou droit de
l’examinateur, ou des deux côtés à la fois.
L’héminégligence est souvent accompagnée d’une méconnaissance par le patient de ses
propres troubles. Celui-ci ignore non seulement sa négligence visuospatiale, ce qui l’empêche
d’effectuer les mouvements d’orientation du regard nécessaires (comme le ferait un patient
hémianopsique), mais parfois aussi le déficit sensitivo-moteur associé. Ainsi, un patient atteint
d’une lésion cérébrale droite étendue qui le rend hémiplégique ignore l’existence de sa para-
lysie, affirme qu’il est hospitalisé pour une raison accessoire, soutient qu’il est capable de
marcher, d’utiliser normalement son bras gauche. Cette anosognosie peut présenter tous les
degrés d’intensité, d’une simple minimisation du déficit à un déni de toute pathologie. Dans
certains cas, l’anosognosie s’accompagne d’une hémiasomatognosie, dans laquelle le patient
ne reconnaît pas pour sien son hémicorps paralysé, attribuant celui-ci à une autre personne
que l’on aurait placée dans son lit, ou bien à l’examinateur.
Parmi les troubles cognitifs parfois associés, il faut encore mentionner le délire spatial, au
cours duquel le patient affirme se trouver dans un lieu différent, pouvant varier d’un moment
à l’autre. Il se représente parfois ce lieu, voire les personnes qui s’y trouvent (médecins, personnel
soignant) comme des répliques du lieu et des personnes véritables (reduplication). Enfin, on
peut observer une impersistance motrice : c’est l’impossibilité de maintenir une attitude imposée
pendant l’exécution d’une activité mentale (garder les yeux fermés pendant la conversation) ; ce
trouble est considéré comme la traduction d’une défaillance de l’attention soutenue.
184
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
La plupart des aires corticales des deux hémisphères cérébraux sont reliées par différents
faisceaux de fibres nerveuses, les commissures – le corps calleux et la commissure antérieure
principalement –, qui comprendraient au total plus de deux cents millions de fibres (encadré 2,
p. 17). Le corps calleux, de loin la plus importante de ces commissures inter-hémisphériques,
comprend quatre régions anatomiques, qui sont distinguées d’avant en arrière, le rostrum, le
genou, le tronc et le splénium, et qui relient respectivement les aires corticales droite et gauche
du lobe frontal, du lobe pariétal, du lobe temporal et du lobe occipital.
Ronald Myers et Roger Sperry ont montré d’abord chez l’animal, dans les années 1950,
que la section du corps calleux, qui n’a pas d’effet visible sur le comportement des animaux
ainsi opérés à des fins expérimentales, pouvait entraîner des modifications importantes dans
la perception et l’apprentissage. « Chaque hémisphère séparé semble alors avoir son propre
système cognitif ou sa sphère mentale indépendante, c’est-à-dire ses propres processus percep-
tifs, d’apprentissage, de mémoire […]. C’est comme si chaque hémisphère séparé n’était pas
averti de ce dont l’autre fait l’expérience […]. De ce point de vue-là, c’est comme si les animaux
avaient deux cerveaux séparés » (Sperry, 1961, p. 1749).
Ici prend son origine l’expression de « cerveau dédoublé », ou split-brain. Dans les
années 1960, Joseph Bogen et Philip Vogel ont réalisé des sections chirurgicales des commis-
sures inter-hémisphériques comme traitement de dernier recours chez des patients souffrant
d’épilepsie sévère et résistante à tout autre traitement. L’interruption plus ou moins complète
des connexions entre les deux hémisphères a pour but d’empêcher la propagation de la crise
épileptique d’un hémisphère vers l’autre, c’est-à-dire à l’ensemble du cerveau via notamment
le corps calleux. Roger Sperry et Michael Gazzaniga ont publié dès 1962 les premiers résultats
des observations réalisées chez ces patients commissurotomisés et décrivent le syndrome
de déconnexion inter-hémisphérique. La présentation latéralisée de stimuli (palpation d’un
objet d’une seule main, présentation d’un mot ou d’une image dans un hémichamp visuel)
permet d’étudier le fonctionnement d’un hémisphère alors qu’il est relativement isolé de l’autre
(l’information perceptive est reçue par un seul hémisphère et ne peut être transférée à l’autre).
La stimulation en champ divisé produit souvent de grandes différences de performances. Les
chercheurs américains s’intéressent alors aux capacités cognitives des patients split-brain.
À peu près à la même époque, des observations concordantes réalisées chez des patients
ayant souffert de lésions non chirurgicales du corps calleux (encadré 31, p. 186, pour une
illustration) ont été publiées.
185
Manuel de neuropsychologie
Encadré 31
Élaboration des données perceptives dans un cas de disconnexion
inter-hémisphérique (Jeanine Blanc-Garin)
La patiente, Liliane, présente une disconnexion d’expression orale peuvent, chez les gauchers,
inter-hémisphérique en lien avec une lésion être régis par l’hémisphère droit, mais l’activité
calleuse par accident vasculaire cérébral. de dénomination est le plus souvent contrôlée
Son comportement dans les tâches que par le gauche (Hécaen et Lanteri-Laura, 1983).
nous lui avons proposées montre les carac- C’est cette organisation que Poncet et al. (1978)
téristiques décrites classiquement chez les supposent chez Liliane.
patients split-brain, en particulier les faits de Pour la plupart des split-brain droitiers, la
dissymétrie hémisphérique : chaque hémis- sollicitation d’un système sensoriel du côté
phère utilise son mode de traitement spéci- gauche, lié à l’hémisphère droit, ne permet pas
fique pour capter des données sensorielles et une expression orale alors que les gestes de
élaborer des représentations. Cependant cette pointage parmi plusieurs objets montrent que
jeune fille (17 ans) étant gauchère, on peut pré- le traitement perceptif aboutit à une identifi-
sumer une organisation cérébrale des capa- cation correcte. En revanche, dans une telle
cités langagières différente de celle que l’on situation, Liliane peut parler, mais ne parvient
décrit comme normale chez les droitiers. Nous pas à dénommer.
savons que plusieurs aspects des fonctions
186
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Dans la situation d’exploration unimanuelle, « une bouteille »). Le traitement perceptif est
des comportements très différents sont donc adéquat puisque l’étiquette verbale est
constatés selon la main en action et l’hémis- juste, mais il semble « flou » et insuffisant,
phère ainsi sollicité. l’objet n’est pas individualisé et, comme
La main gauche explore rapidement et, après y insiste Liliane, l’image visuelle ne peut être
quelques secondes, Liliane sourit en disant : « je construite ; surtout il est accompagné de per-
sais ce que c’est, je vais vous le dire », mais elle plexité. Plusieurs fois même, un sentiment
ne parvient pas à énoncer le nom. Elle répond d’incertitude est suivi d’une vraie dénégation
sans erreur aux questions sur les caracté- du nom (correct) qui vient d’être prononcé : pal-
ristiques de matière ou de forme ; si nous lui pant une pile de lampe de poche, elle énonce
proposons un terme inadéquat, elle le refuse immédiatement « une pile » puis, se ravisant,
violemment, avec une mimique de contrariété. « est-ce une pile ? non, ce n’est pas une pile ; je
Elle cherche du regard un objet semblable (poin- ne sais pas ce que c’est ». Ce type de compor-
tant par exemple vers une lampe pour indiquer tement est aussi observé chez Liliane dans des
une ampoule électrique). Parfois elle mime le épreuves auditives (écoute dichotique) et il est
geste et énonce l’utilisation : « c’est pour servir classique dans les cas de callosotomie. Il est
le thé » (pour une théière). Elle distingue clai- interprété comme un effet d’inhibition exercé
par un hémisphère qui empêche le fonctionne-
rement des flacons de taille semblable mais
ment de l’autre et « prend le dessus ».
de forme différente et énonce leur usage :
« c’est pour le parfum » ou « on peut mettre de Ces quelques faits nous autorisent à inférer un
l’éther ». Ces identifications descriptives, par schéma d’organisation cérébrale qui constitue
le geste ou la parole, sont toujours exactes, une réalisation individuelle, propre à Liliane. Ce
rapidement exprimées et avec une mimique de schéma ne peut être généralisé aux gauchers,
satisfaction. Les substantifs, quoique peu nom- mais il obéit à des lois générales ; et l’analyse
breux, ne sont pas absents des verbalisations, des données comportementales permet de
mais ils ne sont pas immédiatement fournis et nourrir le contenu de quelques notions clas-
ne correspondent pas à une dénomination de siques en neuropsychologie :
l’objet. Liliane indique souvent sa certitude et — l’organisation cérébrale du langage :
la présence d’une image visuelle (« je sais, je moins focalisée dans l’hémisphère gauche,
le vois »), seul manque le nom. plus « distribuée », chez les gauchers que
Le même exercice avec la main droite déclenche chez les droitiers ;
un comportement bien différent. Le plus sou- — la dissymétrie hémisphérique : ici, l’accès
vent, la prise en main sans vraie exploration lexical est réalisé à partir de l’hémisphère
est accompagnée d’une mimique maussade. gauche, l’élaboration de l’image visuelle
Aucune indication n’est fournie spontané- à partir du droit. Chez le normal, les construc-
ment ; aux questions concernant des caracté- tions imagées sont plus probablement régies
ristiques sensorielles (dur/mou, lourd/léger), par des contrôles complexes des deux
les réponses sont bonnes, mais concernant la hémisphères ;
forme ou l’utilisation, elle répète « je ne vois — l’intégration inter-hémisphérique : elle est
pas, je ne sais pas ». Parfois au début, et de défectueuse en l’absence de corps calleux.
plus en plus fréquemment au long de l’entraî- Chaque hémisphère traite alors les données
nement, elle énonce très rapidement le nom ; indépendamment et les informations élabo-
celui-ci est toujours correct, mais correspond rées sont ignorées par l’autre ; le conflit peut
souvent à une catégorie assez large, peu pré- être résolu par la dominance momentanée de
cise (pour les divers flacons elle dit toujours l’un qui inhibe l’autre.
187
Manuel de neuropsychologie
Jusqu’aux travaux de Sperry, Bogen et Gazzaniga, tout concourait à occulter le rôle du corps
calleux dans le comportement et la cognition, comme le montrent les travaux d’Akelaitis dans
les années 1940. Cet auteur a en effet souligné que l’examen poussé d’une vingtaine de patients
commissurotomisés ne mettait en évidence aucun trouble important. Il est possible que les
résultats négatifs observés par Akelaitis soient dus à l’utilisation de tests inadéquats dans la
mise en évidence du syndrome de déconnexion calleuse. C’est en effet dans des situations
expérimentales où l’information à traiter est délivrée à un seul hémisphère cérébral que se
manifeste la condition de « cerveau dédoublé » (chap. 2, section 3). Il faut aussi prendre en
compte le fait que les recherches d’Akelaitis étaient antérieures aux expérimentations chez
l’animal et manquaient de ce fait d’une « grille de lecture » pour décrypter le syndrome de
déconnexion inter-hémisphérique dont certains traits étaient cependant déjà mis en lumière.
Lors d’un examen superficiel, la section complète du corps calleux chez l’homme ne produit
pas de perturbation fonctionnelle évidente. Il n’y a pas de baisse de l’efficience cognitive géné-
rale (des améliorations sont même notées lorsque l’épilepsie est bien contrôlée). La conversation
et le comportement général sont normaux, et la plupart des patients ont repris leurs études et
une vie quotidienne autonome (mais plus rarement une occupation professionnelle, surtout
si celle-ci est très exigeante). Toutefois, immédiatement après l’intervention chirurgicale,
certains ne peuvent répondre à une commande verbale en utilisant leur main gauche, et des
conflits inter-manuels (apraxie diagonistique) sont parfois décrits par les patients dans leurs
activités de tous les jours. Cependant ces signes discrets ont tendance à régresser rapidement,
quelques jours ou semaines après l’opération. Une des rares plaintes qui persiste plus tardi-
vement concerne des difficultés de mémoire à court terme. Celles-ci seraient plutôt liées à la
section de la commissure antérieure qui unit les cortex temporaux des deux hémisphères ;
elles sont plus rares chez des patients dont seul le corps calleux a été sectionné. Ces troubles
de mémoire à court terme sont parfois attribués à la coexistence d’atteintes de structures
corticales (extra-calleuses).
Le syndrome de déconnexion inter-hémisphérique n’est mis en évidence que dans des situa-
tions de test particulières, où les deux hémisphères doivent partager l’information, et persiste
pendant des années : plusieurs patients opérés à Los Angeles ont été suivis pendant plus de
vingt ans après la callosotomie. Nous résumons ici les traits typiques du syndrome de décon-
nexion inter-hémisphérique tels qu’ils ont été décrits chez des sujets droitiers présentant une
spécialisation hémisphérique gauche pour le langage (pour revue, Faure et Lechevalier, dans
Lechevalier et al., 2008).
188
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Le premier ensemble de signes reçoit une explication unitaire : lorsque les stimulations sont
adressées à l’hémisphère droit, leur transfert jusqu’aux régions spécialisées pour les traitements
verbaux dans l’hémisphère gauche est rendu impossible par l’interruption des connexions
entre les hémisphères.
Les patients sont incapables de dénommer des objets placés dans leur main gauche, tandis
que la réponse est correcte et immédiate pour les mêmes objets explorés de la main droite.
L’écriture manuscrite est préservée de la main droite, mais très perturbée voire impossible
de la main gauche. Lors de l’écriture, la « commande » cérébrale de la main gauche – dont
les mouvements fins sont sous la dépendance de l’hémisphère droit – est déconnectée des
régions de l’hémisphère gauche qui prennent en charge les aspects linguistiques de l’activité.
Ce mécanisme réalise un tableau d’agraphie aphasique dans lequel toutes les formes d’écriture,
y compris la dactylographie, sont perturbées. L’agraphie apraxique unilatérale, dans laquelle
les lettres sont déformées, mais où la frappe à la machine est préservée ainsi que la possibilité
de composer des mots à l’aide de lettres mobiles, relève d’un mécanisme très différent.
Lorsque des stimuli différents sont présentés simultanément aux oreilles gauche et droite,
le test met en évidence de très bonnes performances pour les mots présentés à l’oreille droite
(controlatérale à l’hémisphère habituellement spécialisé pour le langage), tandis que le patient
ne peut répéter les mots présentés à l’oreille gauche (ce dont il est tout à fait capable en écoute
monaurale). Cette extinction totale du stimulus présenté à l’oreille gauche a reçu plusieurs
interprétations. La plus souvent retenue est que le message auditif transmis de l’oreille gauche
à l’hémisphère droit ne peut plus ensuite atteindre l’hémisphère gauche pour y être décodé, car
la voie calleuse est interrompue (encadré 12, p. 78). C’est l’interruption de la partie postérieure
du tronc du corps calleux – juste en avant du splénium – qui serait la cause de l’extinction de
l’oreille gauche.
Des dessins d’objets et des mots présentés en tachistoscopie et champ visuel divisé (encadré 9,
p. 70) sont parfaitement dénommés et lus lorsqu’ils apparaissent dans le champ visuel droit
du patient, tandis que le test met en évidence une incapacité à nommer les dessins et à lire
les mots qui sont présentés dans le champ visuel gauche. L’image d’un objet projetée dans le
champ visuel gauche peut être analysée mais la dénomination, qui implique le partage des
189
Manuel de neuropsychologie
informations résultant de cette analyse (forme, couleur, sémantique) avec l’hémisphère gauche,
est impossible. C’est le splénium du corps calleux qui relie les aires corticales postérieures et
assure normalement le transfert des informations visuelles d’un hémisphère vers l’autre.
Sur ordre, et quelquefois aussi sur imitation, le patient ne peut réaliser de la main gauche
des gestes intentionnels simples, comme mimer l’utilisation d’un marteau.
D’autres signes sont observés dans des tâches réalisées par l’hémicorps droit, qui se trouve
déconnecté de l’hémisphère droit.
En dépit de l’utilisation de la main dominante – droite – par exemple pour recopier un dessin
géométrique, certains patients ont des productions rappelant celles de patients porteurs de lésion
pariétale droite. Le trouble visuoconstructif unilatéral (désorganisation du dessin) résulterait de
l’interruption des connexions entre les centres de commande motrice de la main droite (situés
dans l’hémisphère gauche) et le cortex pariétal droit, spécialisé pour l’appréhension de l’espace.
L’activité coordonnée des deux mains est fréquemment perturbée (ainsi que la coordination
visuomanuelle). Le conflit inter-manuel, dans lequel la main gauche contrarie l’action de la
main droite, peut être un des rares signes gênants dans la vie quotidienne. Il peut être rapproché
de ce que certains vivent comme un « conflit interne » : le patient F.D.G., décrit par Michel
Habib, raconte avoir eu l’intention de se rendre dans une pièce de son appartement mais s’être
retrouvé ailleurs, ou encore avoir saisi un couteau alors qu’il avait l’intention d’attraper une
casserole. Ces observations de comportements antagonistes entre les deux mains ont alimenté
les débats sur l’existence d’une « volonté » duale chez le split-brain.
190
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
191
Manuel de neuropsychologie
La sclérose en plaques est une maladie de la substance blanche caractérisée par une démyé-
linisation. Le corps calleux est souvent le siège de plaques démyélinisées qui sont visibles sur
des coupes sagittales en IRM anatomique. Les publications sont rares, mais des études de
cas montrent que ces atteintes calleuses peuvent occasionner certains des traits typiques du
syndrome de déconnexion inter-hémisphérique. Varley et al. (2005) ont décrit le cas d’un
patient atteint de sclérose en plaques chez qui l’un des premiers troubles cognitifs était une
agraphie unilatérale ; l’imagerie anatomique objectivait une lésion de la partie centrale du corps
calleux. Soulignons enfin qu’une corrélation inverse entre la durée de la maladie et la surface
sagittale du corps calleux a été notée. On peut donc s’attendre à ce que la communication entre
les hémisphères se détériore avec la progression de la maladie et le suivi des patients devrait être
attentif aux éventuelles conséquences sur les capacités d’attention : les travaux expérimentaux
chez les sujets normaux ont démontré l’implication des connexions inter-hémisphériques dans
la gestion et le maintien de l’attention.
192
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
a motivé la commissurotomie. D’autre part, il est possible que l’approche traditionnelle des faits
de déconnexion inter-hémisphérique ait conduit à sous-estimer les capacités langagières de
l’hémisphère droit chez le sujet split-brain. En effet, des données expérimentales suggèrent que
les performances lexico-sémantiques très pauvres qui sont recueillies à partir de stimulations du
système champ visuel gauche/hémisphère droit (ou main gauche/hémisphère droit) pourraient
être imputées à un défaut d’activation des sous-systèmes de traitement de l’hémisphère droit,
plutôt qu’à l’absence de compétences lexico-sémantiques (chap. 2, section 3).
Un ensemble de difficultés d’interprétation inhérentes aux caractéristiques des patients
split-brain « chirurgicaux » doit être considéré lorsqu’on tente de généraliser à la population
normale les différences de fonctionnement hémisphériques mises en évidence par leur étude.
Tout d’abord, ces patients n’ont pas un cerveau « normal » : les commissures qui unissent
normalement les deux hémisphères ont été sectionnées afin de traiter une épilepsie sévère
chez des sujets qui présentent un trouble du fonctionnement cérébral souvent depuis leur
petite enfance. Certains ont ainsi connu des conditions anormales de développement de la
spécialisation hémisphérique ; il est donc possible que certaines fonctions qui n’ont pas pu
être prises en charge dans l’hémisphère où siège le foyer épileptogène se soient déplacées vers
l’autre hémisphère dans le cours du développement. Enfin, même si le cerveau d’un patient
split-brain peut être considéré comme normal « au départ » (comme ce peut être le cas dans
des syndromes de déconnexion d’origine lésionnelle spontanée), il ne l’est évidemment plus
après l’interruption chirurgicale des commissures inter-hémisphériques.
Le corps calleux a tour à tour été considéré comme quantité négligeable – il aurait servi
à maintenir les deux parties du cerveau –, ou bien comme « siège de l’âme » en vertu de son
caractère unique et de sa position médiane. Les neuropsychologues attribuent actuellement
à cet énorme faisceau de fibres non seulement une fonction de transmission d’information
entre les hémisphères, mais aussi un rôle dans la régulation de l’activité du cerveau. Levy (1985,
dans Faure et Lechevalier, dans Lechevalier et al., 2008) souligne aussi le rôle crucial du corps
calleux dans l’organisation développementale du cerveau, notamment dans la mise en place de
la spécialisation hémisphérique, et dans la régulation des fonctions d’éveil et d’attention par le
jeu d’influences excitatrices et inhibitrices d’un hémisphère sur l’autre. L’auteur a développé
le concept d’« intégration collaborative ». Le cerveau normal est un système intégré ; lorsque
certaines de ses parties se retrouvent isolées, il est possible qu’elles n’opèrent plus comme
elles le faisaient auparavant.
193
Manuel de neuropsychologie
8. Le syndrome frontal
8.1 Lobe frontal et syndrome frontal
Les lobes frontaux (situés en avant des scissures de Rolando et au-dessus des scissures de
Sylvius) représentent environ un tiers de la masse des hémisphères cérébraux et constituent la
partie la plus récente du cerveau humain. Chaque lobe frontal peut être divisé en trois zones
anatomo-fonctionnelles distinctes. L’aire motrice primaire (comprenant la circonvolution fron-
tale ascendante), située immédiatement en avant de la scissure de Rolando, est impliquée dans
la commande de la motricité élémentaire de l’hémicorps controlatéral. L’aire prémotrice sous-
tend l’organisation et le contrôle des mouvements fins et séquentiels. En plus de la difficulté
d’exécuter des actions séquentielles, le syndrome prémoteur est caractérisé par un réflexe de
préhension (ou grasping) qui consiste en une flexion réflexe pathologique des doigts déclenchée
par un stimulus tactile. L’aire prémotrice comprend l’aire motrice supplémentaire, qui joue
un rôle majeur dans l’initiation du mouvement. Des lésions de l’aire motrice supplémentaire
de l’hémisphère gauche provoquent en outre des troubles du langage pouvant aller jusqu’au
mutisme. La troisième grande région des lobes frontaux est le cortex préfrontal, partie la plus
antérieure, qui comprend environ un quart de la masse corticale. Ce cortex préfrontal gouverne
les aspects les plus élaborés du comportement. Dépourvu, contrairement aux autres lobes, de
connexions directes avec les voies sensorielles ou motrices, le cortex préfrontal présente surtout
des connexions importantes avec les autres structures corticales et les structures sous-corticales
comme le thalamus. Ces dernières exercent une influence activatrice sur le cortex préfrontal et
des lésions de ces formations sous-corticales (focales ou plus diffuses comme dans les « démences
sous-corticales ») peuvent se manifester par un syndrome frontal. Un jeu complexe de boucles
activatrices et inhibitrices reliant notamment les noyaux du thalamus et diverses régions du
cortex préfrontal régule ainsi les fonctions intégratrices dévolues à ces dernières. Le terme de
« syndrome frontal » désigne en fait les troubles liés à des lésions ou à des dysfonctionnements
du cortex préfrontal qui font l’objet de cette section. Trois régions sont différenciées au sein du
cortex préfrontal : la région dorsolatérale située sur la face convexe des hémisphères, la région
frontomédiane située sur la face interne, et la région orbito-frontale ou ventrale.
Différents travaux utilisant notamment l’expérimentation animale ou l’imagerie cérébrale
chez l’homme ont cherché à délimiter plus précisément les différentes zones fonctionnelles
du cortex préfrontal. Ces études ont montré que le cortex préfrontal et le syndrome frontal
étaient beaucoup moins homogènes qu’on ne l’avait supposé durant de nombreuses années.
Dans la suite de ce chapitre davantage situé dans une perspective clinique, nous décri-
rons les troubles consécutifs à des lésions ou dysfonctionnements des lobes préfrontaux, en
mentionnant les localisations cérébrales présumées. Nous développerons ensuite le concept
de fonctions exécutives et les principaux modèles qui s’y rattachent.
194
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
195
Manuel de neuropsychologie
psychomotrice évoquant un état maniaque. Les conduites sont impulsives et puériles avec une
tendance exagérée aux pitreries et aux calembours. Une désinhibition verbale conduit, dans
certains cas, à des propos grivois. Sur le plan alimentaire, un comportement de gloutonnerie
est observé parfois indépendamment du contexte moriatique.
Ceux-ci diffèrent selon le tableau clinique présenté : logorrhée dans le cadre d’une excitation
pseudo-maniaque (lésions orbito-frontales), réduction du discours avec adynamisme dans
le versant opposé (lésions dorsolatérales). La latéralisation gauche des lésions joue un rôle
dans l’occurrence et la sévérité des troubles du langage observés dans les syndromes frontaux.
Les déficits plus strictement aphasiques consécutifs à des lésions frontales gauches (comme
l’aphasie de Broca) sont développés dans le chapitre 3, section 2. Il convient de les différen-
cier des troubles du langage observés chez les patients atteints de lésions préfrontales. Deux
perturbations méritent d’être soulignées. Ces patients présentent une réduction de la fluence
verbale, en particulier dans les tâches d’évocation lexicale qui consistent à produire le maximum
de mots en un temps donné (généralement une ou deux minutes) en suivant une contrainte
sémantique (par exemple des noms d’animaux) ou orthographique (mots commençant par
196
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
une lettre donnée). Cette baisse de la fluence verbale (qui n’est pas spécifique aux syndromes
frontaux) est interprétée comme un déficit des stratégies d’exploration du lexique et de la
mémoire sémantique. Par ailleurs, une deuxième caractéristique des troubles des conduites
verbales est la préservation d’un langage « automatique » contrastant avec des difficultés pour
générer des productions verbales plus contraintes : formuler des phrases en utilisant des mots
fournis par l’examinateur, organiser un récit sur un thème précis. Les productions du patient
peuvent aboutir à des constructions très éloignées du récit attendu et sans ligne directrice.
Les troubles de la mémoire consécutifs à une lésion frontale ont été longtemps sous-estimés.
Ils ont toutefois été signalés, à des degrés variables, dans différents cadres pathologiques (par
exemple dans les traumatismes crâniens), mais des critiques méthodologiques ont été formu-
lées, concernant notamment la non-prise en compte des lésions associées à d’autres structures
cérébrales. Actuellement, les troubles de la mémoire font partie intégrante du syndrome frontal,
mais on les distingue nettement de ceux caractérisant les syndromes amnésiques.
Des troubles de la mémoire à court terme ont été décrits avec une baisse de l’empan et de
l’effet de récence. Le déficit est encore plus net dans des épreuves mettant en jeu l’administrateur
central de la mémoire de travail (infra) comme le paradigme de Brown-Peterson qui consiste
à rappeler, après un délai n’excédant pas vingt secondes occupé par une tâche interférente, une
triade de lettres ou de mots. Une sensibilité accrue aux interférences a souvent été invoquée
pour rendre compte des troubles mnésiques consécutifs aux lésions frontales. Des perturbations
attentionnelles et de gestion des ressources en mémoire de travail ont également été avancées.
Concernant la mémoire à long terme et plus précisément la mémoire épisodique, le fait le
plus constant est le déficit dans les tâches de rappel libre et parfois de rappel indicé, contrastant
avec des performances normales dans des tâches de reconnaissance. Ce résultat est généra-
lement attribué à un défaut des stratégies de récupération : le patient présente des difficultés
à mettre en place des indices de récupération de l’information ainsi qu’à extraire des éléments
pertinents du contexte. Il éprouve aussi des difficultés particulières lorsqu’il doit évaluer l’ordre
et la fréquence d’apparition des stimuli. Ce trouble de l’organisation temporelle des infor-
mations pourrait, dans certains cas, être à l’origine d’une amnésie de la source : le patient
ne peut évoquer où ni quand une information a été mémorisée alors que celle-ci n’est pas
oubliée. Les troubles de l’organisation temporelle peuvent également apparaître dans les récits
autobiographiques.
Différents auteurs ont souligné une concordance entre la latéralité des lésions et le profil des
perturbations mnésiques en fonction du matériel utilisé (par exemple, troubles de la mémoire
pour les informations verbales en cas de lésions gauches). Plus récemment, Tulving et al. (1994)
ont proposé le modèle HERA (Hemispheric Encoding/Retrieval Asymmetry) à partir d’une revue
de travaux utilisant l’imagerie fonctionnelle cérébrale (chap. 2, section 4). Selon ce modèle,
le cortex préfrontal gauche jouerait un rôle préférentiel dans la récupération d’informations
197
Manuel de neuropsychologie
sémantiques et dans l’encodage en mémoire épisodique alors que le cortex préfrontal droit
interviendrait surtout dans la récupération d’informations épisodiques. Au-delà de ce modèle,
de nombreux travaux suggèrent que les lobes frontaux jouent un rôle crucial dans la recherche
en mémoire. Dans la plupart des paradigmes, il est toutefois difficile de distinguer la compo-
sante strictement mnésique de la participation des fonctions exécutives.
De façon générale, les travaux réalisés en imagerie cérébrale fonctionnelle ont souligné
l’implication du cortex préfrontal dans la mémoire. Lepage et al. (2000) ont ainsi proposé l’exis-
tence de sites REMO (pour Retrieval Mode) localisés principalement dans le cortex préfrontal
droit et mis en jeu quand le sujet s’engage dans une activité de récupération en mémoire,
qu’elle soit ou non suivie de succès. Cette contribution du cortex préfrontal s’oppose à celle
de la région hippocampique, qui est liée à l’ecphorie, c’est-à-dire l’accès réussi et quasi auto-
matique aux informations en mémoire. Dans ce cadre, des troubles massifs de la mémoire
épisodique s’expliquent parfaitement par une atteinte bilatérale de la région hippocampique
ou des structures associées. Des observations, plus rares, d’amnésies consécutives à des lésions
(ou à des dysfonctionnements) du cortex préfrontal, prédominant parfois sur la composante
rétrograde, ont été décrites. Elles incriminent le plus souvent le cortex préfrontal droit et, plus
précisément, le faisceau unciné qui relie le cortex préfrontal au cortex temporal (par exemple,
Levine et al., 1998 et encadré 32).
La métamémoire est une autre fonction en partie dévolue au cortex frontal. Il s’agit d’une
construction théorique complexe qui comprend les connaissances dont le sujet dispose sur
le fonctionnement de la mémoire et sur son propre fonctionnement mnésique (pour revue,
Perrotin et Isingrini, 2016). La métamémoire s’inscrit dans le cadre plus général de la métacogni-
tion, qui fait référence aux connaissances sur les processus cognitifs et à toute activité cognitive
en termes de contrôle et de régulation qu’un individu peut exercer sur son propre fonction-
nement cognitif. Le concept de métamémoire recouvre également les stratégies de contrôle
et de régulation des processus cognitifs qui sont mises en jeu lors de la réalisation d’une tâche
mnésique. Des paradigmes, ciblant des mécanismes distincts, ont été élaborés pour évaluer la
métamémoire et ses altérations dans différentes pathologies. Cette évaluation est importante
sur le plan clinique, notamment chez les patients qui présentent à la fois des troubles mnésiques
et exécutifs, car l’altération de la mémamémoire peut entraver l’efficacité d’une rééducation qui
necessite une prise de conscience, par le patient, de ses difficultés cognitives.
Encadré 32
L’amnésie rétrograde isolée : trouble de mémoire organique ou fonctionnelle ?
(Pascale Piolino)
La perte d’identité est l’un des phénomènes sans amnésie antérograde, s’est intensifiée,
les plus fascinants d’atteinte de la mémoire soulevant plusieurs questions, notamment
humaine. Depuis quelques années, l’étude de sur son origine organique ou fonctionnelle
l’amnésie rétrograde isolée (ARI), c’est-à-dire (psychogène).
198
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
L’amnésie rétrograde peut-elle vraiment être isolée ?
Les pertes de mémoire consécutives à des plus rarement une période très spécifique de
lésions cérébrales sont le plus souvent carac- la vie. Dans les cas extrêmes, l’amnésie des
térisées par une amnésie à la fois antérograde souvenirs et des connaissances autobiogra-
et rétrograde. Dans certains cas, l’amnésie phiques crée une perte totale de l’identité per-
antérograde semble régresser, mais pas l’am- sonnelle. L’existence de troubles rétrogrades
nésie rétrograde. Cette perte peut concerner isolés suggère une relative indépendance
sélectivement la mémoire des épisodes per- entre les mécanismes d’amnésie antérograde
sonnels (ARI épisodique), ou bien affecter plus et rétrograde. Toutefois, il est difficile d’écarter
largement les connaissances sémantiques tout trouble antérograde car les études, pour la
personnelles. En outre, l’ARI peut présenter plupart, comparent des déficits antérogrades
un gradient temporel de Ribot (relative pré- et rétrogrades avec des méthodes d’évaluation
servation des informations anciennes), ou bien différentes, ce qui peut biaiser les résultats.
concerner l’ensemble des périodes de la vie,
cérébral à l’origine des blocages mnésiques ou des modifications du comportement et une
bien en interférant avec les systèmes exécu- indifférence affective envers ses proches. En
tifs frontaux, inhibant ainsi la récupération des revanche, les capacités d’apprentissage sont
souvenirs et parfois des connaissances séman- relativement préservées. Très rapidement, le
tiques personnelles. Ainsi, on peut distinguer patient C.L. s’est adapté à sa nouvelle vie sans
trois types d’ARI psychogènes selon leur degré passé et a réacquis les habiletés procédurales
de liaison avec des facteurs organiques : et réappris des connaissances sémantiques.
— l’ARI purement psychogène consécutive Une deuxième évaluation neuropsychologique,
à un événement fortement émotionnel ou réalisée 18 mois après la perte d’identité,
stressant sans lésion cérébrale, ce qui n’ex- montre que la mémoire de travail, le système
clut pas l’existence d’un dysfonctionnement de représentations perceptives la mémoire pro-
cérébral ; cédurale et les capacités d’apprentissage épi-
— l’ARI qui se produit en présence d’une sodique sont préservés. L’étude comparative
pathologie cérébrale mais où les facteurs des composantes rétrograde et antérograde
psychologiques sont plus à même d’expliquer indique que la mémoire sémantique (générale
l’importance des troubles que les facteurs et personnelle) et la mémoire épisodique auto-
organiques ; biographique sont massivement perturbées
— l’ARI consécutive à un traumatisme crâ- dans l’aspect rétrograde. En revanche, dans
nien mineur. l’aspect antérograde, la mémoire sémantique
est préservée ainsi que la mémoire épisodique,
Cette complexité de la question de l’origine des
bien que la reviviscence des détails épiso-
troubles est illustrée par le cas du patient C.L.
diques (réponses « se souvenir ») associée au
(Piolino et al., 2005) qui, 8 mois après un léger
rappel en fonction des périodes testées de la
traumatisme crânien, présenta soudainement
plus récente à la plus ancienne diminue anor-
une perte totale d’identité.
malement avec l’intervalle de rétention.
C.L. est un homme de 42 ans dont la vie fami-
En résumé, C.L. présente, 18 mois après sa perte
liale et professionnelle est « sans problème ».
d’identité, une amnésie rétrograde épisodique
Lors d’une fête, il est victime d’un traumatisme
et sémantique massive, disproportionnée
crânien sans gravité mais qui le laisse assez
vis-à-vis de l’amnésie antérograde. Le profil
déprimé. Huit mois plus tard, un traitement
de l’ARI de C.L. ne semble pas résulter de la
antidépresseur lui est prescrit avec une hospi-
mise en œuvre de processus psychologiques
talisation d’une semaine. Tout se passe norma-
conscients de simulation : en effet, les éléments
lement au retour de C.L. dans sa famille. Mais
évoqués dans la littérature comme manifesta-
le lendemain matin, on le retrouve en pleurs
tion d’une exagération de perte de mémoire ne
devant le pas de sa porte ne reconnaissant
sont pas présents (par exemple, performances
personne et ne sachant plus qui il est.
en reconnaissance inférieures au rappel libre,
Un premier examen révèle une amnésie effet d’amorçage anormal, inconstance des per-
d’identité totale en l’absence de lésion céré- formances…). Par ailleurs, les bénéfices secon-
brale manifeste (IRM normale). C.L. présente daires sont difficiles à établir chez ce patient,
aussi une amnésie sémantique (atteinte du qui a perdu son travail et n’a reçu aucune
sens des mots, connaissances didactiques), indemnisation ou prise en charge.
une amnésie procédurale (habillage, rasage…),
200
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
L’IRM ne révèle aucune anomalie anatomique rétrograde sémantique. Ainsi, nous proposons
alors que la TEP au repos indique un hypométa- que le patient C.L. présente un profil particulier
bolisme ([18F] fluoro-2-deoxy-D-glucose ; figure) d’atteinte mnésique, d’origine mixte, à la fois
localisé dans la région frontale inférieure (BA 11) organique et psychogène. En effet, certains
de l’hémisphère droit. Cette région cérébrale éléments sont en faveur de facteurs psycho-
coïncide avec l’une des régions citées dans gènes contribuant au moins partiellement
la littérature sur les ARI organiques et impli- à l’ARI de C.L. :
quées dans l’établissement et le maintien — le délai de 8 mois entre le traumatisme
de la mémoire épisodique dans un mode de crânien et la perte d’identité ;
récupération lié à la reviviscence du contexte
— une perte de mémoire qui semble dispro-
d’encodage (conscience autonoétique). De plus,
portionnée par rapport au dysfonctionne-
cette région frontale inférieure est impliquée
ment cérébral observé ;
dans les processus émotionnels, la régula-
tion comportementale et la prise de décision. — la présence d’une dépression et d’événe-
En référence au modèle HERA selon lequel il ments potentiellement stressants tels que
existe une asymétrie hémisphérique des pro- l’hospitalisation ;
cessus de récupération, le cortex frontal droit — le réapprentissage sélectif des
étant impliqué dans la mémoire épisodique informations.
et le cortex frontal gauche dans la mémoire En somme, des processus psychologiques
sémantique, le dysfonctionnement frontal inconscients ont pu participer à l’installation
droit est compatible avec le profil d’amnésie et au maintien de la perte d’identité ou à l’in-
épisodique autobiographique, mais ne per- tensification de la perte de mémoire après le
met pas d’expliquer l’importance de l’amnésie traumatisme crânien.
201
Manuel de neuropsychologie
Shallice et ses collaborateurs ont ainsi proposé un modèle de traitement hiérarchique des
activités mentales organisé en trois niveaux de contrôle attentionnel. Le premier est un réper-
toire de schémas d’action déclenchés de façon automatique lors de situations routinières ne
202
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
demandant qu’un contrôle attentionnel minimal. Le deuxième niveau est le système résoluteur
de conflits intervenant dans les activités semi-automatiques. Il permet la sélection du schéma
le plus approprié à la situation parmi plusieurs en compétition. Enfin, le système attentionnel
superviseur (ou SAS) intervient lorsqu’une activité nouvelle ou complexe nécessite l’élaboration
de stratégies sollicitant l’initiative du sujet. Il permet de faire face à des situations nouvelles en
utilisant des connaissances antérieures, d’élaborer des stratégies, de planifier les différentes
étapes d’une action et d’inhiber des réponses non pertinentes. Ce SAS serait sous-tendu par le
cortex préfrontal. Son dysfonctionnement n’aurait pas de retentissement dans la réalisation de
tâches familières et routinières ; en revanche, les difficultés apparaîtraient au cours d’activités
plus complexes, qui nécessitent des stratégies élaborées et la planification des actions. Le SAS
joue un rôle clé dans la mémoire de travail, instance qui permet le maintien et la manipulation
d’informations pendant la réalisation de tâches cognitives.
Le modèle de mémoire de travail de Baddeley (1993) n’est pas à proprement parler un modèle
de fonctions exécutives, mais les fonctions qu’il attribue à l’administrateur central justifient ce
rapprochement théorique. L’administrateur central, de capacité limitée, est considéré comme
un système de contrôle attentionnel mais il est également impliqué dans la sélection des straté-
gies cognitives. Il coordonne l’activité des systèmes satellites suivants : la boucle phonologique
et le calepin visuospatial. La première est spécialisée dans le stockage temporaire de l’informa-
tion verbale. Le calepin visuospatial, pour sa part, est responsable du stockage à court terme
de l’information visuospatiale mais aussi de la génération et de la manipulation des images
mentales. Baddeley a proposé de formaliser l’administrateur central de la mémoire de travail sur
la base du modèle de contrôle attentionnel de l’action élaboré par Shallice et ses collaborateurs.
Deux évolutions importantes sont venues compléter le modèle de mémoire de travail de
Baddeley, notamment ses liens avec les fonctions exécutives et avec les systèmes de mémoire
à long terme. Le premier apport consiste en une formalisation des fonctions exécutives sur la
base d’analyses statistiques structurales (Miyake et al., 2000). Les propositions qui découlent de
ces travaux permettent de clarifier le fonctionnement de l’administrateur central et de guider
son évaluation. Les auteurs ont retenu trois fonctions fréquemment décrites dans la littérature :
la flexibilité mentale, la mise à jour de l’information ainsi que l’inhibition de réponses domi-
nantes. Ils ont montré qu’elles pouvaient être distinguées, mais qu’elles partageaient aussi des
caractéristiques communes. Leurs résultats suggèrent également que la capacité à coordonner
deux activités simultanément est indépendante des autres fonctions exécutives étudiées.
La deuxième grande innovation apportée au modèle de mémoire de travail est proposée
par Baddeley (2000) ; elle fait suite à une réflexion approfondie sur le modèle initial et sur
un certain nombre de phénomènes qui n’y trouvent pas une explication satisfaisante (pour
revue, Eustache et Desgranges, 2012). Plusieurs constats expérimentaux ont amené Baddeley
à postuler l’existence d’un nouveau système temporaire de stockage, s’ajoutant à ceux proposés
203
Manuel de neuropsychologie
Selon ce modèle, les fonctions exécutives sont impliquées dans la réalisation de tâches
complexes qui nécessitent la collaboration et la coordination de plusieurs fonctions cognitives,
sous le contrôle du lobe frontal. Le contrôle frontal est fractionné en trois niveaux. Le premier
niveau inclut les « systèmes fonctionnels postérieurs », automatisés et indispensables à une bonne
adaptation dans la vie quotidienne. Le second niveau est constitué des « fonctions exécutives »
proprement dites qui sollicitent et coordonnent les fonctions cognitives nécessaires à l’accom-
plissement de tout acte finalisé. Les fonctions exécutives sont particulièrement impliquées dans
les nouveaux apprentissages et deviennent de moins en moins importantes au fil de l’appren-
tissage, pour devenir inutiles lorsque l’acte est automatisé. Lorsqu’une routine est établie, elle
est transférée aux systèmes fonctionnels postérieurs et les fonctions exécutives ne sont plus
sollicitées à moins qu’une modification de la situation nécessite une adaptation du comporte-
ment. Le troisième niveau, la métacognition, représente la fonction mentale la plus évoluée et
abstraite. La métacognition est la conscience intégrée de soi en interaction avec l’environnement.
Ce modèle se distingue des autres par l’importance qu’il accorde à l’élément affectif, qui est
ici un facteur déterminant de la prise de décision : la notion de « marqueur somatique » fait
référence aux informations neurovégétatives et émotionnelles issues d’expériences antérieures
et réactivées dans des situations similaires, afin de guider le comportement du sujet. Le cortex
frontal, plus précisément sa partie ventromédiane, permet de faire le lien entre des situations
particulières et des états émotionnels spécifiques. Une situation est « marquée » comme positive
ou négative selon ses conséquences immédiates, et ce marquage permettra ensuite de réagir
efficacement en évitant les situations désagréables ou dangereuses ou au contraire en choisis-
sant la meilleure solution parmi plusieurs possibilités. Le marqueur somatique joue donc un
rôle facilitateur ou inhibiteur dans les prises de décision.
204
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Un modèle du fonctionnement frontal a été plus récemment proposé par Koechlin et ses
collaborateurs (Koechlin et Summerfield, 2007). L’organisation du contrôle de l’action y est
décrite selon un axe hiérarchique antéropostérieur au sein du cortex préfrontal. Les méca-
nismes de contrôle de l’action se répartissent en trois niveaux distincts, selon la nature de
l’information à contrôler et la région du cortex préfrontal impliquée :
• le contrôle sensoriel, sous la dépendance du cortex prémoteur, est impliqué lorsque la réponse
motrice appropriée est du type stimulus-réponse (le téléphone sonne, je réponds, il s’agit
d’une réponse de routine) ;
• le contrôle contextuel, sous la dépendance du cortex préfrontal latéral postérieur, guide la
sélection de la réponse appropriée parmi plusieurs possibilités, en fonction du contexte
dans lequel survient le signal sensoriel (je suis chez un ami, je ne réponds pas au téléphone,
tenant compte du contexte, j’inhibe ma tendance à répondre) ;
• le contrôle épisodique, qui dépend du cortex préfrontal latéral antérieur, implique la prise en
compte, non pas du contexte immédiat, mais d’une information passée (l’ami est occupé, il
m’a demandé de répondre, information dont le souvenir guide le comportement) ;
• un quatrième niveau peut être individualisé, le contrôle branching (ramification), le plus
élaboré, qui dépend du cortex préfrontal latéral polaire, la partie la plus antérieure du
cerveau. Il suppose la prise en compte d’une information supplémentaire, un sous-épisode
imbriqué dans l’épisode principal (l’ami attend un appel important à une heure précise,
c’est lui qui doit répondre).
Les différents niveaux de contrôle reçoivent l’information sur les stimuli, le contexte et les
épisodes des aires associatives postérieures. Ce modèle permet de faire des prédictions sur
les troubles cognitifs et comportementaux provoqués par des dysfonctionnements du cortex
frontal. Il est également utilisé pour rendre compte des activations observées chez le sujet lors
de la réalisation de différentes tâches exécutives.
205
Manuel de neuropsychologie
Le Wisconsin Card Sorting Test est le plus connu d’entre eux. Il est sensible car il explore de
façon globale les fonctions exécutives. Le patient doit trouver successivement trois critères de
classement de figures géométriques dessinées sur une série de cartes (forme, couleur, nombre).
Lorsqu’il découvre un critère, le patient doit le maintenir durant six réponses consécutives,
puis en trouver un autre et le maintenir à nouveau six fois. Les patients atteints d’un syndrome
frontal ont des difficultés à trouver un critère et surtout à en changer : ils ont tendance à persé-
vérer sur le même critère. Ce test a cependant été critiqué pour sa nature multidéterminée, et
s’il reste intéressant pour mettre en évidence un dysfonctionnement de type frontal, il ne peut
renseigner sur la cause de ce dysfonctionnement.
D’autres tests lui sont alors préférés, qui ciblent des fonctions plus spécifiques. Ainsi, diffé-
rents tests se présentant sous forme de labyrinthes, de puzzles ou de « casse-tête » (la « tour
de Londres ») sont plus particulièrement destinés à la mesure des capacités d’anticipation et
de planification.
Le test de Stroop évalue la possibilité d’inhiber des interférences. Il s’agit d’une épreuve
constituée de trois séquences. Dans la première (word), le patient doit lire des noms de couleur
le plus rapidement possible. Dans la seconde séquence (color), il doit dire la couleur de l’encre
avec laquelle des croix sont imprimées. Enfin, dans le dernier subtest (word, color), le patient
doit dénommer la couleur de l’encre avec laquelle le nom d’une autre couleur est écrit, sans
se préoccuper du contenu sémantique. Le patient doit alors inhiber la tendance automatique
à lire le mot écrit (qui est aussi un nom de couleur).
Le test de Hayling, adapté de Burgess et Shallice, vise également à évaluer les processus
d’inhibition, le sujet devant compléter des phrases telles que « Le fermier doit traire les… » par
un mot aussi inattendu que possible.
Le Trail Making Test est volontiers utilisé pour évaluer la flexibilité mentale, le sujet devant
relier des lettres et des chiffres dans l’ordre, mais en alternant les deux (1-A-2-B-3-C, etc.).
Le test « plus-minus » (Miyake et al., 2000) permet aussi une mesure de la flexibilité mentale.
Dans un premier temps, le sujet est entraîné à faire une série d’additions sur des nombres
à deux chiffres, puis il est entraîné à faire une série de soustractions, et enfin, il doit alterner
les additions et les soustractions.
Enfin, la troisième fonction exécutive répertoriée par Miyake, celle de mise à jour, peut
être évaluée à l’aide de la tâche de running span proposée par Morris et Jones en 1990 dans
laquelle le sujet entend des séquences de consonnes de longueur différente (4, 6, 8 ou 10),
de manière aléatoire, et doit rappeler dans l’ordre les 4 (ou 3, selon les populations de sujets
testées) dernières consonnes de chaque séquence. Le n-back évalue aussi cette capacité de mise
à jour : on présente oralement au sujet une suite d’items (chiffres ou lettres) et il doit détecter
si le dernier item entendu est identique à celui qui a été présenté dans la position spécifiée par
le n (si n = 2, en avant-dernière position). Dans ces deux tests, le sujet doit continuellement
« mettre à jour » sa mémoire de travail pour fournir les bonnes réponses.
Des procédures expérimentales dérivées de travaux chez l’animal (notamment chez le singe),
parfois validées avec des méthodes d’imagerie fonctionnelle cérébrale, sont censées renseigner
206
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
207
Manuel de neuropsychologie
L’intérêt porté aux syndromes amnésiques n’est pas dû à leur fréquence car ce sont des
pathologies relativement rares et, pour certaines formes cliniques, exceptionnelles. La perti-
nence théorique de leur étude est liée à la sélectivité des perturbations observées. En effet,
les syndromes amnésiques sont caractérisés par des troubles de la mémoire isolés ou tout au
moins disproportionnés par rapport à d’autres désordres éventuels des fonctions cognitives.
Les syndromes amnésiques sont consécutifs à des lésions cérébrales et doivent être différenciés
des amnésies fonctionnelles (ou psychogènes ; encadré 32, p. 198). Ils se distinguent également
des amnésies associées à d’autres perturbations cognitives et comportementales dans le cadre
d’un syndrome démentiel.
Si les syndromes amnésiques sont rares, les troubles mnésiques constituent un motif de
consultation très fréquent : plainte mnésique du sujet âgé, symptôme révélant une dépression ou
un début d’affection neurodégénérative (chap. 6), séquelle de traumatisme crânien où le déficit
mnésique peut être associé à un syndrome frontal et à d’autres troubles neuropsychologiques…
Il convient donc de différencier les syndromes amnésiques, toujours organiques, où le déficit
mnésique, isolé, est particulièrement invalidant, des amnésies qui peuvent être fonctionnelles
ou organiques, n’affecter qu’un certain type de matériel, ou encore s’inscrire dans un tableau
neuropsychologique plus complexe. Enfin, les troubles de la mémoire constituent un terme
générique qui s’applique autant aux « désordres bénins » des sujets âgés qu’aux perturbations
de la mémoire s’inscrivant dans des tableaux sémiologiques très divers.
Les investigations ont d’abord porté sur les syndromes amnésiques du fait de la sélectivité
des troubles s’inscrivant bien dans la logique d’une recherche de « syndrome cognitif » (chap. 1,
section 9 et chap. 2, section 2). Les modélisations et les méthodologies ont ensuite été utilisées
dans d’autres contextes pathologiques comme les syndromes démentiels ainsi que dans le
vieillissement normal.
208
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
209
Manuel de neuropsychologie
travaux ont cherché à préciser la nature du trouble mnésique en termes d’encodage, de stockage
ou de récupération et les résultats diffèrent en fonction du syndrome exploré.
En dehors de nombreux traits communs, la sémiologie diffère en effet selon l’étiologie et la
localisation des lésions. Deux syndromes amnésiques permanents paraissent bien individua-
lisés : le syndrome amnésique diencéphalique (les lésions atteignent les corps mamillaires et/
ou les noyaux dorsomédians du thalamus) et le syndrome bi-hippocampique (la destruction
touche la région hippocampique). Dans ces deux syndromes, les lésions sont nécessairement
bilatérales sans pour autant être symétriques, leur point commun étant d’interrompre le circuit
hippocampo-mamillo-thalamo-cingulaire ou circuit de Papez. Cette classification restrictive
ne rend pas compte de l’ensemble des formes cliniques puisque les étiologies et les lésions
responsables sont très variées. Enfin, l’ictus amnésique, bien différent du fait de la brièveté de
l’épisode, occupe une place originale au sein de la neuropsychologie de la mémoire.
Il a pour prototype le syndrome de Korsakoff dont l’étiologie la plus fréquente est l’éthylisme
chronique provoquant une carence en vitamine B1. Le syndrome de Korsakoff alcoolo-carentiel
fait généralement suite à une encéphalopathie aiguë de Gayet-Wernicke caractérisée par un état
confusionnel, des troubles oculo-moteurs et de l’équilibre. Après dissipation de l’état confu-
sionnel, les troubles mnésiques sont au premier plan associant une amnésie antérograde et une
amnésie rétrograde massive, cette dernière pouvant s’étendre sur plusieurs années ou dizaines
d’années. Une préservation des souvenirs très anciens est toutefois observée. Les autres éléments
du syndrome de Korsakoff sont la désorientation temporospatiale, les fabulations parfois défi-
nies comme une libération anarchique des souvenirs et les fausses reconnaissances. Celles-ci
consistent en l’attribution d’une identité erronée à une personne non connue du malade. Les
fabulations et les fausses reconnaissances, rarement spontanées, sont plutôt induites par des
questions de l’examinateur. Elles tendent à devenir moins fréquentes au cours de l’évolution,
parallèlement à un appauvrissement des contenus mentaux. Le patient atteint d’un syndrome
de Korsakoff est anosognosique. Enfin, et cet élément sémiologique remet quelque peu en
cause le caractère sélectif des déficits mnésiques dans le syndrome de Korsakoff, l’occurrence
de troubles des fonctions exécutives est très fréquente. De même, l’imagerie cérébrale montre
que les atteintes morphologiques et fonctionnelles sont loin d’être limitées aux régions diencé-
phaliques, mais concernent un vaste réseau cérébral (Pitel et al., 2009a et encadré 33, ci-contre).
210
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Encadré 33
Analyse en IRM par tenseur de diffusion dans le syndrome de Korsakoff
(Anne-Lise Pitel)
Notre étude a appliqué la technique de l’IRM blanche (FA réduite) notamment dans le corps
par tenseur de diffusion afin d’examiner l’inté- calleux, le cingulum, le fornix et les pédon-
grité des faisceaux de fibres blanches chez des cules cérébelleux moyens et supérieurs chez
patients Korsakoff. Les résultats indiquent une les patients comparativement aux sujets
altération de la microstructure de la substance contrôles.
L’amnésie de type diencéphalique peut aussi s’observer chez des patients atteints de lésions
thalamiques ou d’une tumeur au niveau du troisième ventricule. Le cas le plus connu est le
patient N.A., devenu amnésique en 1960 après un accident lors d’une passe d’arme au fleuret.
Ce patient ne présentait cependant pas les troubles additionnels caractéristiques des patients
atteints du syndrome de Korsakoff : l’amnésie antérograde portait principalement sur du maté-
riel verbal et son amnésie rétrograde était moins prononcée.
Ce syndrome est représenté classiquement par le patient H.M., devenu amnésique à la suite
d’une résection bilatérale de l’hippocampe et du gyrus para-hippocampique destinée à traiter
une épilepsie pharmaco-résistante (Scoville et Milner, 1957). Le syndrome amnésique était
définitif et particulièrement pur, sans autre trouble intellectuel ni de la personnalité. L’amnésie
antérograde était totale mais l’amnésie rétrograde était limitée à trois ans, donc moins impor-
tante que dans le syndrome amnésique diencéphalique (la durée était en fait sans doute plus
longue que celle mentionnée dans les publications car l’amnésie rétrograde n’avait pas été
évaluée avec des épreuves aussi exigeantes que celles utilisées aujourd’hui). H.M. ne présentait
ni fabulation, ni fausse reconnaissance, ni anosognosie. Ce patient a fait l’objet de nombreuses
211
Manuel de neuropsychologie
études de neuropsychologie cognitive qui ont joué un rôle moteur dans la description des
capacités préservées dans le syndrome amnésique.
Certaines encéphalites nécrosantes et lésions vasculaires, tumorales ou traumatiques sont
également susceptibles d’entraîner des états similaires. Toutefois, ces pathologies n’entraînent
habituellement pas de troubles aussi sévères et aussi purs que ceux du cas H.M.
Le patient H.M. occupe une place singulière en neuropsychologie de la mémoire car non
seulement il est l’exemple type du syndrome amnésique et la preuve des capacités mnésiques
préservées dans ce type de pathologie, mais il est aussi à la source de travaux qui ont orienté
très sensiblement certains modèles théoriques de la mémoire. Ainsi, la distinction entre
mémoire déclarative et mémoire procédurale (infra) s’appuie largement sur la sémiologie
cognitive du patient H.M. Même si cette distinction s’est révélée d’un grand intérêt et si la
« pureté » du syndrome ne peut être remise en cause, le cas H.M. associait des troubles de la
mémoire épisodique et de la mémoire sémantique (au moins dans le versant antérograde).
Cette association a conduit au concept de mémoire déclarative et, pour Squire et ses collabo-
rateurs, à la non-pertinence théorique de la distinction entre mémoire épisodique et mémoire
sémantique. Cette opposition était au contraire défendue ardemment par Tulving à partir de
divers arguments expérimentaux et cliniques. Dans le domaine des syndromes amnésiques,
des observations de troubles sélectifs de la mémoire épisodique ont été décrites. Même si
celles-ci sont très rares, elles présentent un intérêt théorique indéniable ; elles complètent
et relativisent en la situant davantage dans une perspective historique la portée du cas H.M.
(Tulving, 2004, pour une description et une discussion du patient K.C., qui présentait un
syndrome amnésique restreint à la composante épisodique, tant dans la dimension rétrograde
que dans la dimension antérograde).
L’ictus amnésique survient chez des personnes d’une soixantaine d’années ou davantage et se
traduit par un trouble soudain, massif et isolé de la mémoire. Sa durée est brève (en moyenne
quatre à sept heures), n’excédant pas vingt-quatre heures. Le mécanisme physiopathologique
demeure inconnu même si l’hypothèse la plus probable est d’ordre vasculaire. Un terrain
psychopathologique anxio-dépressif a été mentionné dans certaines formes cliniques. L’ictus
amnésique idiopathique doit être distingué des amnésies transitoires symptomatiques qui
peuvent révéler un accident vasculaire, une épilepsie ou encore les effets secondaires de certains
médicaments (en particulier les benzodiazépines). L’ictus amnésique et l’amnésie transitoire
symptomatique ont souvent été confondus jusqu’à l’établissement de critères diagnostiques
reconnus. Du fait de sa brièveté, l’ictus amnésique ne constitue pas un modèle pathologique
commode. Cependant, étudié dans le cadre de protocoles prospectifs, ce trouble de la mémoire
massif et fugace, exempt par conséquent des phénomènes de réorganisation qui caractérisent
les syndromes amnésiques permanents, contribue de façon originale à la neuropsychologie
de la mémoire (Quinette et al., 2006). De plus, le fait que le patient soit son propre contrôle
212
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
dans l’ictus amnésique (après retour à la normale, l’évolution étant favorable) est une situation
rarement observée en neuropsychologie et particulièrement précieuse dans un domaine comme
la mémoire, caractérisé par une grande variabilité interindividuelle.
213
Manuel de neuropsychologie
214
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
systèmes distincts pour en rendre compte, même s’il convient de préciser la place de ces
concepts au sein des théories structurales de la mémoire. La mémoire explicite est mise en jeu
lors du rappel volontaire et conscient d’informations. Elle est évaluée au moyen des épreuves
classiques de rappel libre, de rappel indicé et de reconnaissance qui requièrent la récupéra-
tion consciente d’une information présentée antérieurement. Au contraire, le fait que des
expériences préalables facilitent la performance dans des tâches qui ne nécessitent pas leur
récupération consciente ou intentionnelle est une expression de la mémoire implicite. Son
évaluation repose sur la recherche des effets d’amorçage qui sont préservés dans les différents
syndromes amnésiques. Dans les paradigmes utilisés, le traitement initial d’un stimulus-amorce
biaise, et en général facilite, le traitement ultérieur d’un stimulus-cible qui peut être identique
au précédent (amorçage par répétition) ou apparenté. Différentes formes d’effets d’amor-
çage (perceptifs et sémantiques) ont été décrites selon le lien unissant le stimulus-amorce et
le stimulus-cible et selon le type de traitement effectué sur les items. Pour Tulving (1995),
ces effets d’amorçage seraient sous-tendus par des systèmes de mémoire distincts. Les effets
d’amorçage de type sémantique seraient sous la dépendance de la mémoire sémantique alors
que les effets d’amorçage de type perceptif impliqueraient l’existence d’un système de repré-
sentations perceptives (ou PRS pour Perceptual Representation System).
215
Manuel de neuropsychologie
p. 217). Le modèle proposé par Squire et ses collaborateurs, à forte implication neurobiolo-
gique, rend compte des principales dissociations observées dans les syndromes amnésiques
et plus largement dans la pathologie neuropsychologique mais explicite peu les liens entre
les différents systèmes. Le modèle de Tulving suppose que les systèmes de niveau supérieur
sont emboîtés et donc dépendants des systèmes de niveau inférieur. Cette organisation exclut
certaines dissociations et de façon générale les doubles dissociations. Aucun modèle ne rend
actuellement compte de l’ensemble des situations pathologiques.
Tulving (1995, 2004) a proposé le modèle SPI (pour sériel, parallèle, indépendant), toujours
fondé sur une organisation hiérarchique de cinq systèmes mais en insistant sur les aspects
fonctionnels. L’encodage se ferait de façon sérielle, du PRS vers les autres systèmes de repré-
sentation, situés plus haut dans la hiérarchie. Les représentations seraient stockées en parallèle
dans les différents systèmes et la récupération s’effectuerait de façon indépendante. Cette
adaptation du modèle permet ainsi de rendre compte de certaines données occultées par le
modèle strictement hiérarchique, par exemple des troubles de la récupération en mémoire
sémantique sans troubles de la récupération en mémoire épisodique. Si ce modèle SPI est
intéressant sur plusieurs points, il n’aborde pas certaines relations entre les systèmes de
mémoire. Ainsi, la mémoire procédurale, système d’action, n’est pas intégrée à cette organi-
sation structuro-fonctionnelle. Pourtant, il s’avère essentiel de bien spécifier la coopération de
différents systèmes cognitifs lors de l’acquisition d’une procédure. Un point original du modèle
de Tulving est la place de la mémoire sémantique dans cette organisation hiérarchique. Alors
que l’acquisition en mémoire sémantique est souvent considérée comme postérieure à l’acqui-
sition en mémoire épisodique, ce modèle insiste au contraire sur le passage nécessaire de la
mémoire sémantique à la mémoire épisodique. De nombreuses données maintenant disponibles
montrent la possibilité de former de nouvelles connaissances en mémoire sémantique sans
recours à la mémoire épisodique. En revanche, la place de la mémoire de travail est bien moins
spécifiée, et les liens qu’elle entretient avec les systèmes de mémoire à long terme devront être
clarifiés. Enfin, ce modèle ne renseigne pas sur la dynamique des représentations épisodiques
et leurs modifications au cours du temps (pour revue, Eustache et Desgranges, 2012).
216
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Encadré 34
Les conceptions multisystèmes de la mémoire
Mémoire
Lobe temporal
interne Striatum Néocortex
diencéphale
Mémoire épisodique
Mémoire de travail
Mémoire sémantique
Système de
représentations
perceptives (PRS)
Mémoire procédurale
Nous avons proposé un nouveau modèle, MNESIS (pour Modèle néo-structural inter-
systémique), qui prend en compte ces différentes limites (encadré 35, p. 219). Il comprend cinq
systèmes de mémoire, comme le modèle SPI de Tulving (1995) dont il est dérivé, mais il intègre
des interactions nouvelles entre les systèmes. Les trois systèmes de représentation à long terme
(mémoire perceptive, mémoire sémantique, mémoire épisodique) sont présentés en respectant
l’organisation globale proposée par Tulving. Le terme de mémoire perceptive est préféré à celui
217
Manuel de neuropsychologie
218
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Encadré 35
MNESIS
En mettant l’accent sur les relations entre les systèmes, MNESIS vise à mieux rendre compte
du caractère dynamique et reconstructif de la mémoire humaine. Dans cette perspective, il est
nécessaire de comprendre l’évolution des traces mnésiques au cours du temps, ce que proposent
les théories de la consolidation : la théorie dite standard, proposée initialement par Squire et
219
Manuel de neuropsychologie
ses collaborateurs (Squire et Alvarez, 1995), et la « théorie des traces multiples » de Nadel et al.
(2000). Ces théories possèdent des points communs, mais divergent essentiellement sur le rôle
du lobe temporal interne en fonction de la nature des représentations en mémoire. Le modèle
standard de Squire propose que l’hippocampe et les structures adjacentes jouent un rôle lors
de l’encodage mais que leur contribution aux processus de consolidation et de récupération
décroisse progressivement et ne concerne donc qu’une période de temps limitée. Selon ce
modèle, les connexions temporaires hippocampo-néocorticales sont progressivement rempla-
cées par des connexions durables cortico-corticales. De façon schématique, la contribution
hippocampique diminue avec le temps alors que celle des aires néocorticales augmente. Le lobe
temporal interne ne serait qu’un dépositaire temporaire du lien entre les traces mnésiques dans
le système de mémoire déclaratif. La théorie des traces multiples, quant à elle, suppose que le
lobe temporal interne joue un rôle permanent dans la récupération des souvenirs, même très
anciens, pourvu qu’ils soient vraiment épisodiques, c’est-à-dire riches en détails contextuels.
Dans ce cas, le lobe temporal interne joue un rôle non plus temporaire mais permanent dans
la consolidation et la récupération des souvenirs. Au contraire et en accord cette fois-ci avec
le modèle standard, le lobe temporal interne joue un rôle temporaire dans la consolidation
des connaissances sémantiques qui deviennent, progressivement, dépendantes du néocortex.
Enfin, les conceptions actuelles de la mémoire autobiographique permettent une vision
plus conforme à la réalité de la mémoire humaine. Alors que jusque dans les années 1980, très
peu d’auteurs s’intéressaient à la mémoire autobiographique, trop complexe à étudier et dont
l’évaluation était difficile à standardiser, ce domaine est devenu un secteur très productif ces
dernières années, permettant des développements théoriques nouveaux intégrant la modéli-
sation de la mémoire et celle de l’identité. La mémoire autobiographique est d’ailleurs définie
comme un ensemble d’informations et de souvenirs particuliers à un individu, accumulés
depuis son plus jeune âge, et qui lui permettent de construire un sentiment d’identité et de
continuité (Piolino et al., 2009). Martin Conway (Conway et al., 2004), a proposé un modèle
formalisant les relations entre représentations mnésiques et identité (ou self). La mémoire auto-
biographique est la mémoire à long terme qui permet d’encoder, de stocker et de récupérer des
informations dont le self est le sujet central : il s’agit, en raccourci, de la « mémoire du self ». Ce
lien bidirectionnel entre représentations autobiographiques et self (l’autobiographie nourrit le
self et le self oriente et façonne le contenu de la mémoire autobiographique) constitue la spéci-
ficité des principales conceptions de la mémoire autobiographique. Le modèle de la « mémoire
du self », élaboré par Conway, met l’accent sur les processus de reconstruction du souvenir
autobiographique et s’appuie sur l’interaction de trois composantes : le self à long terme, le
système de mémoire épisodique et le self de travail. Le self à long terme est une structure
dépositaire de connaissances sémantiques personnelles à différents niveaux d’abstraction qui
comprend le self conceptuel et la base des connaissances autobiographiques. Le self concep-
tuel regroupe les connaissances sémantiques personnelles les plus abstraites qui spécifient les
scripts personnels (les habitudes), les catégories d’appartenance et les schémas socialement
établis, les images de soi possibles ou désirées, qui génèrent ainsi les attitudes, les valeurs et les
croyances de l’individu. Il peut ainsi être décrit sous forme de règles qui orientent les contenus
220
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
221
Manuel de neuropsychologie
individuelle, où les remaniements sont constants, résulte donc autant des interactions avec
les autres que de l’histoire vraiment personnelle, intime, du sujet. En ce sens, s’imbriquent
l’identité personnelle et l’identité collective (Malle et al., 2018 ; encadré 36).
Encadré 36
La mémoire autobiographique, à la frontière entre mémoire individuelle
et mémoire collective
La mémoire collective comprend à la fois la et de l’éducation, transcende ce partage. Les
mémoire partagée, c’est-à-dire la mémoire d’in- mécanismes de consolidation/reconsolidation,
dividus en relation les uns avec les autres, et observés à la fois dans la mémoire individuelle
la mémoire culturelle, formée du grand récit. La et dans la mémoire collective, présentent un
mémoire autobiographique se construit au tra- certain nombre de similitudes. Ainsi un événe-
vers des interactions entre les connaissances ment a plus de chance d’entrer et de perdurer
individuelles préexistantes, stockées dans dans la mémoire s’il a un sens et une utilité,
différents systèmes de mémoire (épisodique, au niveau individuel comme au niveau collectif.
sémantique, etc.), et celles des autres. La Les multiples flèches illustrent les interactions
mémoire culturelle, s’exprimant et se façon- constantes entre ces différentes composantes
nant dans des moments particuliers comme de la mémoire ainsi que son caractère dyna-
les commémorations et sous l’effet des médias mique et reconstructif.
222
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Différentes batteries de tests permettent de chiffrer l’intensité des troubles lorsque la patho-
logie est connue et de suivre l’évolution du patient. Ces épreuves psychométriques reposent
sur le rappel libre, le rappel indicé ou la reconnaissance d’un matériel présenté antérieurement
(listes de mots, de figures, etc.). Classiquement, elles sont considérées comme des tâches de
mémoire épisodique. Elles sont toutefois réductrices eu égard à la définition de la mémoire
épisodique qui insiste sur la capacité de « voyager mentalement dans le temps », de se repré-
senter consciemment les événements passés et de les intégrer à un projet futur (Tulving, 2004 ;
Wheeler et al., 1997).
La batterie d’efficience mnésique (BEM 144) de Signoret (1991) constitue un exemple de
ce type d’épreuve standardisée. L’une de ses originalités est d’être composée de deux séries
d’épreuves indépendantes construites de façon strictement parallèle. La première comprend du
matériel verbal et la seconde du matériel visuo-imagé peu verbalisable, de difficulté équivalente.
Chaque série comporte un rappel immédiat et différé, un apprentissage sériel et associatif et
une tâche de reconnaissance différée. Les différents scores obtenus permettent de calculer le
taux d’oubli et d’analyser le trouble de la mémoire (perturbation de l’encodage, de la récupé-
ration) pour différentes formes de matériel.
Les échelles de mémoire de Wechsler constituent d’autres épreuves « classiques » de la
neuropsychologie. Plusieurs éditions en langue française se sont succédé depuis plus de
trente ans. Une quatrième version de l’Echelle Clinique de Mémoire de Wechsler, publiée en
langue française en 2012 aux éditions ECPA, permet une évaluation des capacités mnésiques
des sujets de 16 à 90 ans. L’administration débute par un examen cognitif rapide, permettant
de dépister en quelques minutes les difficultés du sujet. Il est composé d’items évaluant l’orien-
tation temporelle, le contrôle mental, le dessin d’une horloge, le rappel incident, l’inhibition et
la production verbale. La MEM-IV comprend deux batteries, l’une pour les personnes âgées de
16 à 69 ans (11 subtests) et l’autre pour les personnnes âgées de 65 à 90 ans (8 subtests) avec un
temps d’administration plus court et aucune manipulation de matériel. Cette échelle permet
une évaluation des compétences mnésiques mises en jeu dans la vie quotidienne et plusieurs
223
Manuel de neuropsychologie
subtests sont nouveaux : Examen cognitif du sujet, Addition Spatiale, Mémoire de Symboles,
Dessins I et II, tandis que 6 subtests ont été conservés de la version précédente (MEM-III) avec
des modifications : Reproduction visuelle I et II, Mémoire Logique I et II, Mots Couplés I et II.
De nombreuses épreuves d’apprentissage de mots sont utilisées en neuropsychologie mais
rares sont celles à être éditées en langue française sous la forme de tests psychométriques
(avec un matériel standardisé, des résultats normatifs, etc.). Le CVLT (pour California Verbal
Learning Test), devenu Test d’apprentissage et de mémoire verbale (Poitrenaud et al., 2007) et
l’épreuve de Grober et Buschke, devenue RL-RI 16 (pour Rappel libre rappel indicé de 16 items ;
Van der Linden et al., 2004) constituent de ce point de vue des exceptions. Cette dernière est
particulièrement indiquée en clinique, notamment pour le diagnostic d’un syndrome démentiel.
Le paradigme repose sur les principes de la profondeur et de la spécificité de l’encodage selon
lesquels le traitement sémantique des items à mémoriser est le plus approprié, et l’efficacité
des indices en rappel dépend des conditions dans lesquelles l’information a été encodée. La
version publiée en langue française comprend 16 mots appartenant à 16 catégories séman-
tiques différentes. Ces mots donnent lieu à un encodage profond et à différentes conditions
de récupération. Elle a été validée au sein du GRECO auprès de 500 sujets âgés de 19 à 89 ans
appartenant à 3 niveaux socio-culturels différents. Cette épreuve dispose d’une version paral-
lèle et, depuis peu, d’une troisième liste permettant de répéter les évaluations en évitant l’effet
re-test (Stoykova et al., 2013). En dépit de ces différents aspects intéressants en pratique clinique
et bien que ce test soit très utilisé en consultation mémoire, il présente certaines limites, notam-
ment chez les personnes de haut niveau d’éducation chez qui on observe un effet plafond, ou
chez les personnes ayant des troubles du langage ou celles possédant un faible niveau socio-
culturel (Becquet et al., 2017).
Dans ce contexte, d’autres épreuves ont vu le jour telles que le rappel indicé de 48 items
(RI-48 ; Adam et al., dans Van der Linden et al., 2004) également fondé sur le principe de
spécificité d’encodage et conçu pour éviter l’effet plafond. De même, des épreuves ont été
spécialement développées pour pouvoir être proposées à des sujets ayant un faible niveau
socio-culturel et ceux ne maîtrisant pas la langue française (Dessi et al., 2009). Dans l’objectif
de compenser les effets de la langue et du niveau socio-culturel en tenant également compte de
potentiels troubles visuels dans les populations gériatriques, Noël et al. (2014) proposent une
épreuve de mémoire auto-initiée (MAI). Lors de la tâche, le sujet initie lui-même le matériel
verbal qu’il va devoir mémoriser, ce qui permet de s’assurer que les items correspondent à sa
culture et à son niveau d’éducation mais également de favoriser la mobilisation attentionnelle
lors de l’encodage. Lors de cette tâche, le sujet doit produire un exemplaire de 6 catégories
différentes à 3 reprises sans être prévenu qu’il devra rappeler les mots par la suite. Un rappel
indicé lui est proposé au bout de 20 minutes. Ce test a été validé chez 84 sujets âgés de 71 à
96 ans, ce qui permet de le proposer à des populations très âgées.
Outre la question du matériel, les tests classiquement utilisés tels que le RL/RI-16 présentent
l’inconvénient, de par leur longueur, d’être mal vécus par certains patients qui peuvent se trouver
en échec. Certains auteurs ont cherché à compenser cet aspect en créant des épreuves réduites
224
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Même si leur utilité clinique est indéniable, les tests psychométriques présentés précédem-
ment évaluent très imparfaitement (ou très partiellement) la mémoire épisodique. Ce problème
est important car ce système est altéré dans de nombreuses situations pathologiques (tout
225
Manuel de neuropsychologie
Elle est déterminante dans différentes situations cliniques. Ainsi, la mise en évidence d’une
perturbation de la mémoire sémantique peut constituer un argument diagnostique en faveur
d’une maladie d’Alzheimer. Par ailleurs, la mémoire sémantique est ou non perturbée dans un
syndrome amnésique et le résultat peut conditionner le choix d’un mode de prise en charge
226
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
thérapeutique. De nombreuses épreuves sont utilisées pour mettre en évidence des perturba-
tions de la mémoire sémantique, même si certaines de ces tâches ne sont pas spécifiquement
dédiées à l’exploration de cette fonction. Les plus classiques sont les tests de dénomination et
de désignation d’images, de fluence verbale, de complètement de phrases et de vocabulaire.
L’analyse qualitative des erreurs s’avère pertinente pour orienter vers une perturbation de la
mémoire sémantique : production de réponses superordonnées (animal pour chat) et de para-
phasies sémantiques en dénomination d’images, réduction de la fluence verbale plus marquée
pour les critères catégoriels (évoquer des noms d’animaux) que pour les critères orthogra-
phiques (évoquer des mots commençant par une lettre donnée). Dans ces tâches de fluence
verbale, l’analyse des regroupements sémantiques peut être informative. Le Pyramids and Palm
Trees Test, qui consiste à juger du lien sémantique existant entre des images, a été spécifique-
ment construit pour explorer les troubles de la mémoire sémantique ; il a fait ses preuves dans
différents cadres pathologiques (par exemple Hodges et Miller, 2001) et une adaptation de ce
test a été réalisée par le GRESEM, groupe de travail sur l’évaluation de la mémoire sémantique.
Quelles que soient les épreuves proposées, l’interprétation des résultats reste parfois difficile,
même si des perturbations sont constatées. Elles peuvent en effet signifier une dégradation des
représentations sémantiques ou une difficulté d’accès à ces représentations. Shallice (1995)
a proposé des critères plaidant en faveur d’une perturbation des représentations sémantiques :
constance des erreurs lors d’examens répétés ou d’une épreuve à l’autre (le « chat » n’est ni
dénommé, ni désigné, ni évoqué dans une tâche de fluence verbale), absence de facilitation
par des indices sémantiques, atteinte préférentielle des items peu fréquents, perte sélective des
attributs spécifiques des concepts (un chat voit la nuit, mange des souris) avec préservation
des caractéristiques générales (un chat est un animal). Si la plupart des épreuves de mémoire
sémantique portent sur des mots, certaines explorent d’autres types de connaissances, comme
les visages connus (familiers ou de personnages célèbres). Leur évaluation est particulièrement
pertinente dans les maladies dégénératives comme la démence sémantique (par exemple le test
SEMPER – pour sémantique des personnes – de Laisney et al., 2009). Les épreuves mentionnées
ci-dessus nécessitent une attention soutenue et une recherche active en mémoire alors que
d’autres épreuves impliquent au contraire un accès automatique aux représentations lexico-
sémantiques : ce sont alors les effets d’amorçage qui sont analysés.
Ils peuvent être de deux types : sémantiques (sous-tendus par la mémoire sémantique) ou
perceptifs (sous-tendus par le système de représentations perceptives). Des paradigmes très
diversifiés sont utilisés pour mettre en évidence les effets d’amorçage mais ils présentent des
caractéristiques communes.
Lors de la phase d’étude, un stimulus est présenté et une tâche d’orientation est demandée
au patient (il ne s’agit pas d’une consigne de mémorisation). Puis, après un délai généralement
bref, le patient doit effectuer une tâche : il s’agit alors de la phase de test sur le stimulus ou
227
Manuel de neuropsychologie
un stimulus apparenté. À aucun moment, le sujet ne doit avoir conscience de se livrer à une
activité mnésique. L’effet d’amorçage est mis en évidence par le fait que les items présentés
lors de la phase d’étude sont traités différemment des items nouveaux lors de la phase de test.
Le protocole le plus commun pour évaluer ces effets d’amorçage est le complètement
de trigrammes. Lors de la phase d’étude, le sujet doit effectuer une tâche d’orientation qui
attire son attention sur l’une des caractéristiques des mots. Lors de la phase de test, les trois
premières lettres de ces mots ainsi que des trigrammes nouveaux sont proposés au sujet, qui
doit les compléter pour former « le premier mot qui lui vient à l’esprit ». Les sujets sains comme
les amnésiques restituent préférentiellement les mots de la liste initiale. En revanche, s’il est
demandé explicitement de rappeler cette liste de mots en utilisant les trigrammes comme des
indices (rappel indicé), les patients amnésiques obtiennent des performances nettement infé-
rieures à celles des sujets sains. Le paradigme de complètement de trigrammes met à la fois en
jeu les effets d’amorçage sémantique et perceptif. La variation des consignes permet d’orienter
vers l’un ou l’autre type d’amorçage. Ainsi, le traitement sémantique lors de la phase d’étude
(générer des phrases à partir de mots-amorces) renforce l’implication des effets d’amorçage
sémantique. Au contraire, un traitement superficiel (compter les voyelles dans le mot) est plus
à même de susciter des effets d’amorçage de type perceptif.
Des effets d’amorçage sémantique sont également mis en évidence quand le traitement d’un
mot est facilité (lecture, décision lexicale) par la présentation préalable d’un mot lié sémanti-
quement (lion – tigre).
Les effets d’amorçage de type perceptif sont évalués dans le cadre de paradigmes d’iden-
tification perceptive. Lors de la phase d’étude, des images d’objets sont présentées au sujet
puis, lors de la phase de test, ces images sont présentées sous une forme dégradée ou très
rapidement (à l’aide d’un tachistoscope). L’effet d’amorçage se traduit par le fait que le sujet
est capable de dénommer les images, dans ces circonstances difficiles, seulement lorsqu’elles
ont été présentées (sous leur forme complète) lors de la phase d’étude.
L’évaluation des effets d’amorçage, après une période d’engouement dans les années 1990,
suscite maintenant moins d’intérêt de la part des cliniciens et des chercheurs. D’une part, la
mise au point des paradigmes s’est révélée complexe et l’importante variabilité inter-individuelle
rendait difficile l’identification d’un seuil pathologique et, d’autre part, les résultats obtenus
à ces épreuves contribuent peu à l’établissement du diagnostic, tout du moins pour les effets
d’amorçage perceptifs qui sont très souvent préservés.
228
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Encadré 37
Évaluation de la mémoire procédurale
L’une des épreuves de mémoire procédurale et de la police est évidemment très important,
perceptivo-verbale les plus couramment uti- les lettres majuscules étant par exemple beau-
lisées est la tâche de lecture en miroir qui coup plus faciles à identifier que les lettres
consiste à lire, lors de plusieurs essais répartis minuscules. L’acquisition de la procédure se
en au moins deux sessions, des mots fréquents traduit par la chute du temps de lecture des
présentés en miroir (infra). Le choix de la casse mots.
229
Manuel de neuropsychologie
L’apprentissage d’une procédure cognitive est Hubert et al. (2007), un minimum de quarante
couramment évalué à l’aide de la résolution essais semble nécessaire pour mettre en évi-
de problèmes, comme la tour de Hanoï (supra) dence les trois phases de l’apprentissage et
ou la tour de Toronto dont les règles sont donc que les sujets accèdent à la phase auto-
similaires : le sujet doit déplacer les palets, nome (voir courbe d’apprentissage). Les per-
un seul à la fois, d’une tige à l’autre et sans formances sont évaluées en termes de temps
jamais mettre un palet sur un palet de plus et de nombre de mouvements. La chute du
petite taille (ou sur un palet plus clair pour la nombre de mouvements et du temps requis
tour de Toronto). Le nombre de palets déter- pour atteindre la solution au cours des essais
mine la complexité de la tâche. Le nombre reflète l’acquisition de la procédure cognitive
d’essais est également très important : selon (infra).
phase
cognitive
phase associative phase autonome
230
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
231
Manuel de neuropsychologie
232
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
images à connotation émotionnelle sont mieux mémorisés que les items neutres (encadré 38,
p. 234). Par exemple, les souvenirs flashes sont des souvenirs d’événements publics qui ont
marqué le sujet et dont il peut ensuite rappeler non seulement les détails, mais aussi les circons-
tances de l’événement, le lieu où il se trouvait et ce qu’il faisait, ce qu’il a éprouvé à ce moment
(les événements du 11 septembre 2001 aux États-Unis, les attentats du 13 novembre 2015
à Paris et sa proche banlieue).
Les études de patients présentant des lésions amygdaliennes et les études de neuro-imagerie
apportent des résultats convergents quant à l’importance de l’amygdale et des structures
limbiques associées dans l’encodage, la consolidation et la restitution des informations émotion-
nelles. Les patients avec lésion de l’amygdale – bien que manifestant toujours une réactivité
physiologique et subjective face aux stimuli émotionnels – ne bénéficient plus de la charge
émotionnelle des stimuli pour leur mémorisation. En accord avec les études neuropsycholo-
giques, un grand nombre de travaux de neuro-imagerie indiquent une corrélation positive entre
l’activation de l’amygdale face à un matériel émotionnel, c’est-à-dire lors de son encodage en
mémoire, et la reconnaissance ultérieure de ce matériel.
Cette persistance et cette précision des souvenirs émotionnels par rapport à des événements
plus neutres peuvent être expliquées par une série de facteurs. Lors de la rencontre avec un
stimulus émotionnel, la capture attentionnelle exprimée est très importante, contribuant ainsi
à la solidité de sa mémorisation et à une élaboration accrue, qui plus est lorsque l’information
est importante pour l’identité du sujet. L’importance de cette capture attentionnelle concer-
nant les stimuli émotionnels a notamment été démontrée à l’aide du paradigme de Stroop
émotionnel, où le temps mis pour donner la couleur d’un mot émotionnel est généralement
supérieur à celui d’un mot neutre. Cette capture attentionnelle et la perception accrue des
stimuli émotionnels qui en résulte seraient directement liées à l’influence de l’amygdale qui
exerce une action prioritaire sur l’encodage des événements émotionnels.
Les études de neuro-imagerie ont constamment montré l’implication et le rôle modulateur
de l’amygdale dans l’encodage, le stockage et le rappel des souvenirs émotionnels négatifs
et, mais moins fréquemment, positifs. Il s’agit simplement d’un rôle modulateur, en ce sens
que l’amygdale n’est pas nécessaire à la formation des souvenirs épisodiques des événements
neutres ou émotionnels, mais plutôt qu’elle permet de renforcer les souvenirs émotionnels
dépendants de l’hippocampe.
Les études récentes de neuro-imagerie ont permis de repréciser les nombreuses connexions
de l’amygdale et les rôles spécifiques d’autres structures limbiques comme le cortex cingulaire
antérieur, l’aire septale, l’insula, l’hypothalamus ou le cortex orbito-frontal. Des études cliniques
et neurophysiologiques ont en effet cherché à préciser les relations entre le système limbique et
les lobes frontaux, notamment la région orbito-frontale. L’importance des connexions reliant
ces structures ainsi que la sémiologie de certains syndromes frontaux suggèrent qu’une des
fonctions principales des lobes frontaux « consiste à moduler et à contrôler les mécanismes
émotionnels hébergés par le système limbique » (Gainotti, dans Seron et Jeannerod, 1998,
p. 478). La théorie des marqueurs somatiques de Damasio soutient l’idée d’un rôle important
du cortex orbito-frontal dans les processus de prise de décision, et plus précisément dans
233
Manuel de neuropsychologie
Encadré 38
Amygdale et mémoire des émotions (Bénédicte Giffard)
L’amygdale améliorerait la consolidation des émotionnelles stockées dans d’autres régions
événements émotionnels en modulant, via cérébrales. En revanche, lorsque les informa-
l’action des hormones de stress, le stockage tions traitées sont neutres d’un point de vue
des informations dans d’autres régions céré- émotionnel, elles sont stockées sans qu’il y ait
brales. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’événements émo- activation de l’amygdale et des structures
tionnels, le système hormonal interagit avec le limbiques associées. Ce modèle explique pour-
complexe amygdalien ; plus précisément, les quoi, en cas d’administration d’un ß-bloquant
hormones de stress activent les récepteurs comme le propranolol ou en cas de lésion de
ß-adrénergiques contenus dans l’amygdale l’amygdale, les performances de mémoire épi-
basolatérale, ce qui permet ainsi à l’amygdale sodique ne sont pas améliorées pour les stimuli
de moduler la consolidation des informations émotionnels.
234
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
235
Manuel de neuropsychologie
par des prises de conscience de leurs handicaps (difficultés d’expression verbale, d’utilisation
de la main droite, etc.). Les patients atteints de lésions droites ne paraissaient pas eupho-
riques ou agités, mais indifférents à leurs handicaps et aux situations d’échec lors de l’examen
neuropsychologique. Ces manifestations d’indifférence après lésion droite sont des conduites
inappropriées, résultant du fait que l’hémisphère lésé ne peut plus jouer son rôle critique
dans l’élaboration des conduites émotionnelles. Gainotti va même plus loin en proposant que
les deux hémisphères cérébraux participeraient de manière complémentaire aux comporte-
ments émotionnels. L’hémisphère droit serait impliqué dans un contrôle primaire et végétatif
des émotions, ce contrôle étant sous-tendu par une analyse globale du contexte environne-
mental. Quant à l’hémisphère gauche, plus rationnel, il serait impliqué dans la régulation et le
contrôle intentionnel de l’expression émotionnelle et il permettrait aussi de donner du sens aux
émotions. Cependant, l’expression végétative de l’émotion pourrait être dominante pour les
informations négatives, et l’expression plus intentionnelle et consciente de l’émotion pourrait
être dominante pour les informations positives, ce qui pourrait expliquer qu’une asymétrie en
fonction de la valence est souvent observée !
L’un des modèles qui offre un éclairage nouveau sur la question de la latéralisation des
émotions a été proposé par Richard Davidson (2003). Il suppose que l’asymétrie émotionnelle
dépend des comportements d’approche et de retrait liés aux émotions. Les émotions sont
ici considérées en termes de tendance à l’action associée : le système d’approche facilite les
comportements dirigés vers un but et génère certaines formes d’affect positif, tandis que le
système de retrait facilite l’évitement d’une stimulation aversive et génère certaines formes
d’affect négatif. Il existe manifestement un chevauchement partiel entre l’hypothèse de la
valence positive/négative et celle des comportements approche/retrait, mais avec des diffé-
rences qui sont fondamentales (par exemple, la peur et la colère sont toutes deux des émotions
négatives, mais la première est généralement associée au système de retrait, et la deuxième
au système d’approche). Sur la base de mesures électrophysiologiques auprès de sujets sains
mais aussi de patients dépressifs, Davidson et son équipe ont pu déterminer que l’expression
et l’expérience émotionnelles seraient sous-tendues par les régions cérébrales antérieures
avec, plus précisément, le côté gauche pour les conduites d’approche et le côté droit pour les
conduites de retrait ; le traitement perceptif des émotions dépendrait quant à lui des régions
postérieures, avec une supériorité de l’hémisphère droit, et ceci, indépendamment de la valence
émotionnelle ou du système d’action associé à l’émotion.
Enfin, une étape supplémentaire a depuis quelques années été franchie grâce à l’utilisation
des techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle. Les études d’imagerie, qui représentent
aujourd’hui une littérature assez considérable dans ce domaine, apportent à ce champ de
recherche une précision indéniable, au moins à deux niveaux : d’une part, elles permettent
de tester les hypothèses d’asymétrie avec une résolution spatiale sensiblement améliorée par
rapport aux observations de patients cérébrolésés ainsi qu’aux mesures EEG. Les émotions
liées à l’approche (particulièrement la joie et la colère) sont préférentiellement associées à une
activation de l’hémisphère gauche, et plus particulièrement des régions corticales antérieures.
236
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
L’activité liée aux émotions négatives ou de retrait serait au contraire beaucoup plus symé-
trique. D’autre part, les études en imagerie fonctionnelle permettent plus aisément de prendre
en compte les émotions spécifiques (joie, colère, peur, etc.) sans se restreindre à la simple
opposition entre émotion positive et négative ou émotion liée à l’approche et au retrait. Les
premiers travaux ont renforcé l’idée que des structures spécifiques sous-tendaient des émotions
spécifiques : l’amygdale pour la peur, l’insula pour le dégoût, le striatum ventral pour le plaisir,
le cortex cingulaire antérieur pour la tristesse. Cependant, d'autres études montrent que ces
régions participent au traitement de plusieurs émotions, suggérant qu’elles codent pour des
composantes plus élémentaires, même si elles interviennent de façon privilégiée pour certaines
(Pichon et Vuilleumier, 2011). Pour reprendre l’exemple de l’amygdale, elle joue un rôle dans le
traitement de la peur et de l’anxiété, dans l’évaluation du danger, mais aussi dans des fonctions
plus « élaborées » comme l’aversion d’une perte monétaire, la confiance accordée à un inconnu,
la régulation de l’espace interpersonnel, intervenant par conséquent dans le comportement
social et les prises de décision. Si l’amygdale joue un rôle préférentiel dans le traitement des
émotions négatives, elle semble aussi être impliquée dans le traitement d’émotions positives,
conduisant à l’idée plus globale de son implication dans l’estimation de la valeur d’un stimulus
pour l’individu.
Des avancées considérables ont été réalisées ces dernières années, qui contribuent ainsi à une
connaissance de plus en plus fine du rôle des hémisphères cérébraux et du système limbique
dans les conduites émotionnelles et de la neuropsychologie des émotions en général. Certaines
recherches se développent également en psychopathologie et utilisent en outre, pour certaines
d’entre elles, les méthodes d’imagerie fonctionnelle cérébrale. Les données recueillies apporte-
ront sans nul doute un éclairage enrichissant et novateur à la neuropsychologie des conduites
affectives et de ses pathologies.
237
Manuel de neuropsychologie
post-traumatique est estimée à 1,9 sur la vie entière des personnes et à 0,9 sur les douze derniers
mois vécus. Des approches modernes associant psychopathologie, neuropsychologie et neuro-
imagerie ont profondément changé la compréhension de ce syndrome et la dernière version
du DSM (le DSM-5) place en son centre des modifications de la mémoire.
Dans cette dernière version, le trouble de stress post-traumatique appartient à la catégorie
des « troubles reliés aux traumatismes ou au stress ». Il constitue la conséquence psychopatho-
logique la plus fréquente et la plus spécifique de l’exposition à un événement traumatique. Le
syndrome de répétition, qui est au cœur de la symptomatologie, se traduit par des reviviscences
involontaires qui se manifestent au travers de souvenirs intrusifs, de rêves d’angoisse ou d’hal-
lucinations. Ceux-ci provoquent un état de détresse dans lequel le patient revit certains aspects
sensoriels et émotionnels de l’événement traumatique comme s’ils se reproduisaient dans le
présent. En conséquence de cette situation, le syndrome d’évitement se traduit par des efforts
du patient pour échapper à tout ce qui peut lui rappeler l’événement traumatique. Le trouble
de stress post-traumatique est aussi marqué par une altération négative de la cognition et de
l’humeur, qui peut s’observer au travers de difficultés à rappeler certaines caractéristiques de
l’événement traumatique, des croyances négatives sur soi et sur le monde et par un émousse-
ment affectif. Enfin, un état d’hypervigilance, des réactions de sursaut exagérées, des troubles
du sommeil et des comportements agressifs sont fréquemement associés au syndrome. Le
diagnostic de trouble de stress post-traumatique est posé si ces symptômes persistent au-delà
d’un mois, c’est-à-dire après la période de stress aigu, et s’ils entraînent une altération du fonc-
tionnement social et professionnel. Des comorbidités sont fréquemment observées comme les
comportements d’addiction, les crises de panique et les phobies.
Dans le syndrome de trouble de stress post-traumatique, l’atteinte de la mémoire est carac-
térisée à la fois par des éléments d’hypermnésie et par une diminution de certaines capacités
mnésiques : la vivacité de certains éléments du souvenir traumatique contraste avec la difficulté
des patients à rappeler de façon volontaire d’autres détails de l’événement. Un point crucial
est l’incapacité qu’ont ces patients à se distancier mentalement de l’événement traumatique,
à l’intégrer dans une succession chronologique et à lui faire perdre son caractère d’immédia-
teté. La théorie proposée par Chris Brewin insiste sur le déséquilibre qui se met en place dans
ce syndrome entre un encodage excessif des informations perceptives (sensations, émotions)
et une faible représentation du contexte (temps, espace) de l’événement traumatique. Ainsi,
le système de mémoire perceptive, qui met en jeu notamment l’amygdale, encode les aspects
perceptifs et émotionnels dans un cadre de référence « égocentré », c’est-à-dire avec sa propre
place dans la scène. Au contraire, le système de mémoire contextuel, qui dépend notamment de
l’hippocampe, encode le contexte spatial et temporel de l’événement dans un cadre de référence
« allocentré », c’est-à-dire extérieur au sujet lui-même. Contrairement aux informations percep-
tives, les aspects contextuels de l’événement peuvent être rappelés de façon intentionnelle
et consciente et sont facilement verbalisables. Selon cette conception, qui s’intégre bien aux
connaissances issues de la neuropsychologie et de la neuro-imagerie, le « souvenir traumatique »
n’est accessible que de façon involontaire au travers d’images perceptives très détaillées qui font
238
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
revivre au sujet les aspects émotionnels de l’événement traumatique comme si la menace était
réellement présente. Ce cadre théorique justifie certaines approches thérapeutiques qui visent
à distancer le patient du souvenir traumatique en tentant d’atténuer ses aspects émotionels
exacerbés et son caractère d’immédiateté.
Pour conclure cette section sur les émotions, nous renvoyons le lecteur à la page 249, pour
des informations sur les épreuves de reconnaissance d’émotions à partir d’expressions faciales.
Malgré l’intérêt particulier porté à la cognition sociale, aucun consensus n’existe concernant
les processus constituant ce domaine ni sur les relations entretenues entre eux. De façon géné-
rale, la cognition sociale est définie comme l’ensemble des aptitudes, expériences émotionnelles
et sociales régulant les relations entre les individus et permettant d’expliquer les comportements
humains. Certains auteurs distinguent quatre domaines généraux (la perception des indices
239
Manuel de neuropsychologie
240
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
241
Manuel de neuropsychologie
La distinction entre la théorie de l’esprit affective et l’empathie cognitive s’appuie sur l’ob-
servation de dissociations entre différentes conditions pathologiques. Certaines affections en
psychiatrie peuvent être associées à des déficits d’empathie cognitive et à une préservation
de la théorie de l’esprit, ce qui est le cas par exemple pour la psychopathie. De manière très
pragmatique, c’est la réponse émotionnelle mise en jeu par l’empathie qui distinguerait ces
deux composantes. Distinguer la théorie de l’esprit de l’empathie semble pertinent d’un point
de vue conceptuel et empirique, même s’il semble que ces deux processus fonctionnent de
concert afin de produire une réponse adaptée lors des situations sociales.
La connaissance des règles sociales est nécessaire pour une conduite adaptée dans le monde
social. Dana Samson a proposé que les processus inférentiels soient guidés par des représenta-
tions stockées en mémoire à long terme sur la théorie de l’esprit et les connaissances sociales
(Samson, 2009). Les expériences passées pourraient permettre de mémoriser de nombreuses
représentations sur les événements sociaux, soit des savoirs sociaux, mais également de générer
des séquences d’activités nommées « scripts » ou « schémas » permettant la mise en œuvre de
comportements adaptés en fonction des différentes situations.
Le terme de connaissances sociales fait à la fois référence à des connaissances déclaratives
et à des connaissances procédurales, pouvant s’exprimer et être utilisées de manière explicite
ou implicite. Les connaissances déclaratives comprennent un vaste stock de connaissances et
de faits sur des schémas sociaux acquis, les relations interpersonnelles et les situations sociales.
Les connaissances procédurales incluent les règles, habiletés et stratégies, acquises grâce à nos
expériences passées et stockées en mémoire. Ces connaissances sociales procédurales sont
utilisées quotidiennement dans les relations sociales, sans pour autant être verbalisées.
Les normes sociales sont cruciales pour créer et maintenir des relations sociales, parce
qu’elles spécifient ce qui est acceptable dans un certain groupe social. La transgression de ces
normes sociales peut induire des émotions comme l’embarras ou la culpabilité.
Concernant les bases cérébrales des connaissances sociales, les pôles temporaux joueraient
un rôle essentiel dans l’accès aux scripts sociaux et aux connaissances sociales conceptuelles.
Plus spécifiquement, les connaissances sociales feraient intervenir un réseau fronto-temporal,
au sein duquel la partie supérieure du lobe temporal antérieur droit jouerait un rôle essentiel.
242
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
La théorie de la modularité, initiée par Fodor, propose que les différentes fonctions cognitives
sont organisées sous la forme de modules propres à chaque domaine, construits et fonctionnant
de manière autonome. Cette conception modulaire du fonctionnement cognitif a été appliquée
à la théorie de l’esprit et différents arguments ont été avancés en faveur de cette conception.
En effet, il s’agit d’une fonction universelle, présente dans toutes les cultures, dont le dévelop-
pement et l’acquisition suivent des étapes hiérarchisées et stéréotypées. Un autre argument
réside dans l’observation de dissociations entre des atteintes de la théorie de l’esprit et celles
d’autres fonctions cognitives.
Cependant, différents résultats suggèrent que la théorie de l’esprit n’est pas une fonction
cognitive totalement autonome, mais plutôt une fonction plus générale, dépendant d’autres
fonctions cognitives comme les fonctions exécutives, le langage ou la mémoire. Certains auteurs
envisagent l’attribution d’états mentaux comme le résultat de processus de raisonnement
généraux. Cette conception s’appuie sur les études ayant montré des corrélations entre les
différentes fonctions cognitives, mais aussi sur celles en neuro-imagerie ayant mis en évidence
que des substrats cérébraux similaires étaient impliqués à la fois dans des tâches de théorie de
l’esprit et pour des épreuves liées à d’autres fonctions cognitives.
243
Manuel de neuropsychologie
Selon cette hypothèse, la compréhension des états mentaux d’autrui serait fondée sur des
processus automatiques qui permettent à l’individu de se placer directement dans la situation
de celui qu’il observe. Autrement dit, un raisonnement analogique interviendrait pour inférer
un état mental. Finalement, ces théories rendent compte de notre compréhension sociale par
un processus de simulation imaginaire via les expériences subjectives directes et des réplica-
tions des raisonnements et prises de décision d’autrui. Utiliser le processus de simulation afin
d’inférer des états mentaux implique la mise en place de différents prérequis. L’individu doit
avoir accès à ses propres états mentaux, les identifier et être capable de se projeter dans la
même position qu’autrui. Le mécanisme de simulation suppose que l’individu ait préalablement
fait l’expérience d’une situation similaire. Dans ce sens, avoir la capacité d’utiliser ses propres
désirs et croyances pour en attribuer à autrui nécessiterait un apprentissage.
La vision simulationniste a été renforcée grâce à la découverte du rôle fonctionnel des
neurones miroirs de la zone F5 du cortex moteur du primate. Lorsqu’un primate effectue une
action, ces neurones s’activent et cette même activation s’effectue chez un congénère obser-
vant la situation. Chez l’homme, divers comportements, comme l’imitation, la compréhension
d’intentions et d’actions suggèrent l’existence de neurones miroirs (Rizzolatti et Craighero,
2004). L’existence des neurones miroirs chez l’homme, mise en évidence dans des études
d’imagerie cérébrale, souligne l’habileté du cerveau à reproduire les différents éléments d’une
situation, via sa simulation, et ce dans le but de comprendre le ressenti d’autrui.
Le débat entre ces deux approches du fonctionnement de la théorie de l’esprit est loin d’être
clos. Tenant compte des limites de chacune des approches, certains auteurs se positionnent
dans le cadre d’une théorie mixte nommée « simulation-théorie », où la théorie de l’esprit
est envisagée comme un domaine composite faisant aussi bien intervenir des processus de
simulation que des processus de raisonnement. La composante théorique et les processus
simulationnistes seraient sous-tendus par des substrats cérébraux différents. La première
impliquerait le cortex cingulaire antérieur, alors que la jonction temporo-pariétale droite sous-
tendrait la seconde. En se fondant sur des données comportementales et des observations de
patients présentant des lésions cérébrales, les chercheurs ont alors développé de nouveaux
modèles du fonctionnement de la théorie de l’esprit et des différents processus intervenant
pour inférer un état mental.
La modélisation cognitive de la théorie de l’esprit a émergé dans les années 1990 avec les
travaux de Baron-Cohen et ses collaborateurs et de Leslie et ses collaborateurs. Plus récem-
ment, des modèles neurocognitifs s’intéressant aux mécanismes et au fonctionnement de la
244
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
théorie de l’esprit en lien avec les sous-bassement neuronaux ont été proposés (Samson, 2009 ;
Abu-Akel et Shamay-Tsoory, 2011). Par ailleurs, il existe un intérêt grandissant quant au rôle
du contexte sur les différents processus de la cognition sociale et plus particulièrement sur
l’inférence d’états mentaux (Baez et Ibanez, 2014).
245
Manuel de neuropsychologie
Modèles multidimensionnels
246
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
soi et autrui est un mécanisme nécessaire à l’empathie et à la théorie de l’esprit). Les processus
peuvent avoir une relation de causalité (la reconnaissance d’émotions permet l’empathie) ou
fonctionner indépendamment. Enfin, plusieurs processus peuvent contribuer au fonction-
nement d’un autre processus (les interactions sociales sont liées aux processus de théorie de
l’esprit et d’empathie).
Dans la modélisation de Happé et al. (2016), la perception sociale constitue le processus de
base, duquel dépend le fonctionnement de l’ensemble des processus. À un deuxième niveau,
sont distinguées les sous-composantes nécessaires au fonctionnement de l’empathie (recon-
naissance d’émotions et contagion émotionnelle), de la compréhension des fausses croyances
(représentation de la croyance d’autrui et représentation de sa propre croyance) et de l’imitation
(reconnaissance de l’action et imitation automatique). Ensuite, interviendrait un mécanisme
commun aux trois processus qui serait la distinction entre soi et autrui, permettant enfin à ces
processus de fonctionner.
En neurosciences, le rôle du contexte a rarement été exploré et peu de modèles se sont
intéressés à sa place au sein de la cognition sociale. Le contexte a été défini comme un facteur
ayant un effet sur un événement cognitif, se manifestant lorsque le facteur contextuel est
modifié. Ibanez et Manes (2012) considèrent que le contexte est un facteur intrinsèque aux
processus de cognition sociale. L’essence même d’un comportement social réside en son émer-
gence dans un contexte comprenant un ensemble de significations sociales, d’autant plus que
les comportements sont généralement guidés par les normes sociales qui sont sensibles au
contexte. En l’absence du contexte, les stimuli seraient donc ambigus, car la signification d’un
stimulus dépend du contexte dans lequel il émerge. Ibanez et Manes (2012) suggèrent que
l’ensemble des processus constituant la cognition sociale, des processus basiques de recon-
naissance d’émotions aux processus plus complexes de théorie de l’esprit, seraient sensibles
aux effets du contexte. Par exemple, pour la théorie de l’esprit, ces auteurs suggèrent qu’un
état mental est plus facilement inféré lorsqu’il est intégré à un contexte. Le postulat central de
leur modèle Social Context Network est que les indices contextuels vont rendre possible l’évo-
cation d’expériences passées permettant la mise en œuvre d’interactions entre ces expériences
passées et des situations spécifiques. Ils proposent alors qu’un réseau fronto-temporo-insulaire
serait en charge de traiter les informations sociales contextuelles. Différentes aires frontales
interviendraient dans la prédiction et l’utilisation des contextes sociaux, en mettant à jour
les informations contextuelles disponibles dans l’environnement et en récupérant les repré-
sentations liées à des contextes sociaux précédemment expérimentés et stockés en mémoire.
Nous avons récemment proposé un modèle de cognition sociale qui intègre les principaux
processus impliqués dans la compréhension ou la production d’un comportement à partir
d’une situation sociale (Duclos et al., 2018 ; encadré 39, figure 2, p. 258).
247
Manuel de neuropsychologie
Le paradigme de fausses croyances est certainement le plus répandu pour évaluer la compo-
sante cognitive de la théorie de l’esprit. Alors que la plupart des épreuves évaluant cette fonction
peuvent être réalisées grâce à d’autres habiletés, à ce jour, seul le paradigme de fausses croyances
impose d’adopter la perspective d’autrui pour résoudre la tâche, car il est le seul à mettre en jeu
deux états mentaux. Ce paradigme permet d’évaluer l’habileté d’une personne à comprendre
qu’une autre personne possède une croyance différente de la sienne et qui est contraire à la
réalité. Il s’agit d’une histoire présentant une situation du quotidien mettant en scène plusieurs
personnages, parmi lesquels le personnage principal prend connaissance de la situation, puis
248
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
en son absence la situation est modifiée, l’amenant à se construire une représentation erronée
de la réalité, une fausse-croyance. La tâche du participant consiste à attribuer la représentation
en accord avec la situation perçue par le personnage, sachant que celle-ci est différente de la
réalité et de sa propre connaissance. Le participant doit être en mesure de différencier sa propre
connaissance de l’histoire et donc sa croyance dite vraie croyance, de celle fausse du personnage.
De manière intéressante et dans le but d’évaluer la théorie de l’esprit tout en limitant l’inter-
vention de la mémoire de travail, l’épreuve TOM-15 (Desgranges et al., 2012) est constituée
de quinze histoires (huit avec des croyances de premier ordre et sept avec des croyances de
second ordre) et d’une tâche de compréhension (encadré 40, figure 1, p. 259). Chaque histoire
est présentée sur une planche avec des dessins illustrant l’histoire et accompagnée d’une légende
verbale. La question se trouve sur la même planche, permettant de réduire l’intervention d’autres
fonctions cognitives. ToM-15 présente l’avantage de disposer de données normatives, et la passa-
tion est peu coûteuse en temps, permettant ainsi son utilisation en pratique clinique courante.
249
Manuel de neuropsychologie
alors que, pour les secondes, la consigne stipule simplement de reconnaître l’émotion exprimée.
Concernant le type d’émotion, les émotions complexes feraient intervenir les processus de
théorie de l’esprit de manière privilégiée.
L’épreuve la plus utilisée est le test Reading the Mind in the Eyes élaboré par Baron-Cohen
et ses collaborateurs. Dans la version initiale, la tâche consiste à choisir, parmi deux adjectifs,
celui correspondant le mieux à l’état mental exprimé. Une nouvelle version, composée de 36
items, a été proposée en 2001, où le sujet doit déterminer l’émotion exprimée en choisissant
parmi quatre adjectifs. Par ailleurs, un glossaire comprenant les définitions des adjectifs utilisés
a été ajouté, afin de restreindre les erreurs liées à la compréhension du label et ainsi contrôler
un éventuel trouble sémantique. Cette épreuve ne propose que des émotions complexes, dans
le but d’effectuer une évaluation spécifique de la théorie de l’esprit. Celles-ci, contrairement
aux émotions basiques, impliqueraient des processus de raisonnement plus conséquents et
prendraient tout leur sens dans un contexte.
En parallèle, le Face Test a été proposé en 1997, dans lequel la tâche consiste à déterminer l’état
mental exprimé par une seule et même actrice à partir de la présentation de son visage en entier
ou uniquement à partir de la présentation de son regard ou de sa bouche. Dans cette épreuve,
des émotions basiques et des émotions complexes sont proposées. Grâce à la présentation de
différentes parties du visage, cette épreuve permet de souligner que certaines parties du visage
facilitent la reconnaissance d’émotions. Par exemple, la colère se reconnaît très bien à partir de
l’unique présentation du regard alors que le dégoût est plus aisément reconnaissable à partir
de la seule présentation de la bouche. De manière intéressante, les différentes études utilisant
cette épreuve ont permis de conclure qu’une émotion pouvait être inférée à partir de l’unique
présentation du regard mais pas de la bouche. Cette version est considérée comme étant la
plus sensible et la plus fiable pour évaluer la théorie de l’esprit affective (Olderbak et al., 2015).
Il est important de souligner qu’au sein des différents travaux de la littérature ayant utilisé
ces épreuves, des terminologies similaires sont employées pour désigner des épreuves diffé-
rentes. De plus, la variation dans la version de l’épreuve peut conduire à des différences de
performances. Il faut donc bien prendre en considération la version de l’épreuve choisie. Une
version en langue française (québécois) a été validée et des normes sont à disposition sur le site
de l’Autism Research Center (www.autismresearchcentre.com) (Prevost et al., 2014).
Un débat existe concernant les processus de théorie de l’esprit évalués avec ces épreuves.
Il a été proposé que ces épreuves fassent uniquement intervenir le processus de décodage car
la spécificité des expressions faciales est que l’information est directement disponible dans
l’environnement, ne nécessitant pas l’intervention de raisonnement sur des états mentaux
inobservables. Mais la présence d’émotions complexes dans certaines épreuves pourrait impli-
quer l’intervention de processus plus complexes de raisonnement. Cependant, les épreuves
constituées de photographies ne permettent pas de s’assurer que le sujet utilise les processus
d’inférence sur les états mentaux affectifs. Par ailleurs, les photographies apportent un côté
figé à l’expression de l’émotion, bien loin de la vie quotidienne.
250
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Les états mentaux étant par nature inobservables, il existe peu de tâches évaluant spécifique-
ment le processus de décodage d’états mentaux cognitifs. La tâche de Yoni est une adaptation
de la tâche du jugement de préférence de Baron-Cohen et collaborateurs. Elle consiste à déter-
miner l’état mental d’un personnage représenté sous la forme d’un smiley, en se fondant sur
la direction de son regard et sur son expression faciale. Différentes variables sont manipulées
dans cette épreuve, la complexité des représentations (1er ordre ou 2e ordre) et le type d’émotion
(joie, tristesse ou neutre). Afin d’illustrer le fait que Yoni est en train de penser, des phylactères
sont placés au-dessus du smiley, illustrant le niveau de la représentation. Les yeux du smiley
peuvent être dirigés dans différentes directions, correspondant à la place des différents stimuli,
sur lesquels peuvent porter l’inférence (des objets ou des visages). La tâche du sujet consiste
à pointer le stimulus correspondant à la phrase écrite (ex : « Yoni aime… ») Si le visage de Yoni
est souriant et dirigé vers le chocolat, alors le participant doit pointer le chocolat). Elle présente
donc l’avantage d’évaluer les processus de décodage et d’inférence d’états mentaux cognitifs
dans la même épreuve. De plus, cette tâche permet une moindre intervention de la composante
verbale, même si celle-ci reste nécessaire afin de comprendre les questions.
Une version de cette tâche incluant un contexte social a également été construite, afin d’éva-
luer la théorie de l’esprit plus proche de la réalité (Duval et al., 2011a, 2012). Le personnage,
Tom, représenté sous forme d’un smiley, se trouve dans différentes situations et l’expression de
son visage indique s’il aime ou pas certains éléments, ce qui doit guider le participant à répondre
à la question posée (encadré 40, figure 2, p. 260). De plus, dans une tâche proposant les mêmes
stimuli (sans le personnage), le participant doit indiquer ses propres préférences, ce qui permet
de déterminer si ses erreurs reflètent sa difficulté à inhiber sa propre préférence pour prendre
en compte celle du personnage. Notons que l’attribution d’émotions à partir de la présentation
d’un smiley pourrait faire appel à d’autres processus que ceux employés pour reconnaître une
émotion à partir d’un visage, sachant que le visage est un stimulus traité quotidiennement
et de manière plutôt automatique, et que l’analyse visuelle d’un smiley pourrait requérir une
analyse plus consciente, car ce n’est pas un stimulus traité aussi fréquemment. A contrario,
l’identification de l’émotion est simplifiée par le fait que le smiley n’exprime que deux états
mentaux affectifs différents (« content » versus « pas content »).
Différents travaux ont utilisé l’épreuve des faux pas sociaux qui met en jeu les dimen-
sions cognitive et affective de la théorie de l’esprit. Un faux pas peut se définir comme une
maladresse embarrassante dans un contexte social. Pour cette épreuve, il s’agit de paroles
prononcées par un protagoniste qui n’auraient pas dû être dites dans ce contexte, car elles vont
blesser son interlocuteur, sans que le protagoniste se rende compte de sa maladresse. Cette
épreuve est constituée de vingt histoires que le participant doit lire, dans la moitié desquelles
251
Manuel de neuropsychologie
un des protagonistes commet une maladresse sociale non intentionnelle. Les autres histoires
ne présentent pas de faux pas social. La tâche du participant consiste à détecter les maladresses
sociales non intentionnelles et à déterminer la réaction émotionnelle de la personne victime
de ces maladresses, par exemple confondre ouvertement une petite fille avec un petit garçon,
parce que celle-ci a les cheveux courts. Cette épreuve requiert d’être capable de distinguer deux
états mentaux distincts. La théorie de l’esprit cognitive intervient lorsque le participant doit
comprendre que le discours d’un protagoniste est déplacé par rapport à la situation, alors que
la théorie de l’esprit affective intervient lorsqu’il s’agit de saisir que le discours du protagoniste
est blessant pour son interlocuteur. Pour chaque histoire, une question contrôle est proposée,
afin de s’assurer que le participant a bien retenu les éléments permettant de déterminer le carac-
tère non intentionnel de la maladresse sociale. Cette épreuve présente l’avantage de proposer
une évaluation multidimensionnelle de la théorie de l’esprit dans un contexte social. De par
l’évaluation conjointe de la composante affective et de la composante cognitive, elle évalue des
aspects subtils de la théorie de l’esprit et permettrait de mettre en évidence des troubles qui ne
se manifestent pas dans d’autres tâches. Toutefois, les histoires sont complexes et, bien qu’elles
soient laissées sous les yeux du participant qui doit répondre aux questions, des difficultés
langagières et mnésiques peuvent contribuer à de mauvaises performances.
Des tâches constituées de vidéos ont également été construites afin d’évaluer les capacités
de théorie de l’esprit dans un contexte plus écologique. L’épreuve du MASC (Dziobeck et al.,
2006) évalue l’inférence d’états mentaux à partir de la présentation d’un film d’une durée de
15 minutes. Cette épreuve évalue la théorie de l’esprit cognitive et affective, avec quarante-cinq
questions portant sur les pensées, intentions et émotions des personnages. Différentes variables
sont prises en compte dans cette tâche, notamment la complexité de l’émotion (basique ou
complexe), ainsi que le type de raisonnement impliqué (fausses croyances de 1er et de 2e ordre).
Même si la cotation initiale ne prévoit pas de faire une distinction en fonction de la nature de
l’état mental, Montag et collaborateurs (2011) ont proposé une procédure de calcul des sous-
scores pour les états mentaux cognitifs et affectifs. Bien que présentant l’avantage de proposer
une évaluation proche de la réalité, cette tâche peut s’avérer très complexe. Elle requiert en
effet l’intégration simultanée d’informations contextuelles visuelles et langagières. De plus, des
facteurs inhérents à l’épreuve pourraient influencer les performances, notamment la manière
de jouer et le doublage des acteurs. Par ailleurs, la longueur du film pourrait générer de la
fatigabilité chez certains participants.
252
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Bien que la théorie de l’esprit et l’empathie soient deux concepts proches et souvent
confondus, différents travaux ont spécifiquement étudié ces deux dimensions de la cognition
sociale et créé des épreuves évaluant les différentes composantes de l’empathie. Deux ques-
tionnaires sont principalement employés pour évaluer l’empathie. Le premier, développé par
Baron-Cohen et Wheelwright (2004), permet le calcul d’un quotient d’empathie. Ce question-
naire comporte soixante questions, quarante concernant des comportements empathiques
(ex. « Il est pour moi facile de me mettre à la place de quelqu’un d’autre ») et vingt questions
contrôles (ex. « Je préfère les farces aux jeux de mots »), où le sujet doit s’évaluer sur une échelle
de Likert en quatre points. S’agissant d’une autoévaluation, ce questionnaire pourrait ne pas
refléter les véritables capacités des patients qui ne sont pas toujours conscients de leurs troubles.
Le second est l’Interpersonal Reactivity Index (IRI, Davis, 1983). Il est composé de quatre
sous-échelles : la prise de perspective, le souci empathique, la détresse personnelle et l’imagi-
nation. L’échelle de prise de perspective évalue la capacité à adopter spontanément le point de
vue d’autrui, sans évaluation de l’engagement affectif. L’échelle de souci empathique mesure
la capacité à éprouver de la compassion et de la sympathie pour autrui lorsqu’il est en souf-
france. L’échelle de détresse personnelle est une mesure de la difficulté à gérer ses émotions
face à une personne souffrant, soit une mesure de l’ampleur de la contagion émotionnelle.
L’échelle d’imagination évalue la propension à se mettre à la place d’un personnage de fiction.
L’intérêt de proposer plusieurs échelles est d’évaluer avec précision les difficultés pouvant être
rencontrées par le patient au quotidien. Malgré l’existence de ces quatre échelles, beaucoup
d’études proposent simplement l’échelle de prise de perspective et celle de souci empathique,
afin d’évaluer respectivement la dimension cognitive et affective de l’empathie. Cette utili-
sation repose majoritairement sur des raisons théoriques, considérant l’empathie comme
composée d’une dimension cognitive et affective. Afin de disposer d’une évaluation externe
des habiletés des patients, certains auteurs ont modifié le questionnaire afin qu’une hétéro-
évaluation puisse être réalisée.
Nous avons développé une échelle d’égocentrisme comportemental, en partie inspirée de
l’IRI (Bon et al., 2009). Elle est constituée de trente-six questions explorant quatre types de
conduites distinctes :
• le monologue égocentré ;
• le manque d’empathie et l’indifférence affective ;
• les préférences des patients imposées à leur famille ;
• la non-prise en compte des autres dans leurs actions ou dans leurs paroles. Le conjoint doit
remplir cette échelle en tenant compte du niveau d’égocentrisme comportemental actuel
du sujet.
253
Manuel de neuropsychologie
Même si l’empathie est le plus souvent évaluée à l’aide de questionnaires, des tâches évaluant
les capacités d’empathie à partir d’un contexte ont été proposées, dont l’épreuve Empathy
for pain (Decety et al., 2012). Cette épreuve est constituée de cent cinquante stimuli où des
acteurs réalisent une action engendrant de la douleur dans des contextes différents. La tâche
propose trois conditions, une condition où l’action est effectuée de manière intentionnelle,
une où l’action est réalisée de manière accidentelle et une condition constituée de situations
contrôles où les acteurs ne font aucune action particulière. Les visages des acteurs ne sont pas
visibles, ce qui ne fournit pas d’indice concernant l’émotion ressentie.
La tâche du participant consiste à juger, via des échelles, de l’intentionnalité du personnage
et de la gravité de l’acte en répondant à six questions. Les deux premières questions évaluent la
dimension cognitive de l’empathie. Ces questions portent sur l’intentionnalité, la première sur
l’intentionnalité de l’action et la seconde sur l’intentionnalité de l’acteur. Les deux questions
suivantes évaluent la dimension affective de l’empathie, avec une question relative au souci
empathique vis-à-vis de la victime et une seconde sur le degré d’inconfort vis-à-vis de la situa-
tion. Enfin, les deux dernières questions évaluent la sensibilité à la moralité, où le sujet doit tout
d’abord juger du caractère approprié ou non de l’action et enfin proposer une punition vis-à-vis
de l’action. De manière intéressante, cette tâche permet d’évaluer les capacités d’empathie tout
en examinant la sensibilité des participants au contexte. Les capacités de mémoire de travail
semblent être très sollicitées dans cette épreuve afin d’intégrer l’ensemble des éléments de la
scène. Composée de 150 stimuli, cette épreuve est de passation longue et sollicite les capacités
attentionnelles de manière importante. Une version composée de vingt-cinq stimuli a plus
récemment été proposée, permettant d’être utilisée plus facilement avec des patients (Baez et
al., 2014), mais la réduction du nombre d’items rend les analyses des résultats moins fiables.
L’intérêt pour les connaissances sociales est récent en comparaison aux autres domaines
de la cognition sociale. Dans le but d’évaluer la connaissance des règles sociales, des auto-
questionnaires à compléter par les participants ont été construits. Le Moral Behavioural
Inventory (MBI ; Mendez et al., 2005) est un questionnaire en vingt-quatre items portant sur
les connaissances morales, où le sujet doit juger sur une échelle la gravité d’une action (mentir
pour obtenir un rabais ou pour vendre une voiture défectueuse). Tous les items illustrent
des comportements qui ne respectent pas les règles sociales. Le Social Norms Questionnaire
construit par Katherine Rankin propose une évaluation en vingt-deux items de la connais-
sance des règles sociales, pour lesquelles il n’existe aucune interdiction formelle, mais qui sont
communément admises. La tâche du sujet consiste à déterminer si le comportement présenté
est socialement acceptable ou non (ex. dire à un inconnu que l’on n’aime pas sa coupe de
cheveux). Les items employés dans ce questionnaire ne fournissent toutefois pas beaucoup
d’éléments contextuels, ne permettant pas une évaluation précise de l’utilisation de ces règles
254
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
sociales dans la vie quotidienne. De plus, le choix de réponse proposé est binaire, ce qui limite
la qualité de l’évaluation et la sensibilité de l’outil. Ces questionnaires ont été construits en
langue anglaise et à des fins de recherche. Il n’existe pas à ce jour de validation en langue
française ni de données normatives pour ces outils. Nous avons élaboré une tâche évaluant les
connaissances sociales. Elle est composée de quarante-quatre images dont la moitié représente
une situation de rupture d’une règle sociale (par exemple, téléphoner dans une église), et l’autre
moitié représente des situations analogues sans rupture de règle (téléphoner dans une gare).
Les participants doivent détecter les items avec rupture de règles, identifier le personnage
responsable et justifier leur réponse (encadré 40, figure 3).
Dans la tâche des jugements moraux et conventionnels, dix-huit scénarios correspondant
à des situations sociales sont présentés (Blair et Cipolotti, 2000). La moitié des stimuli repré-
sentent des situations avec une transgression morale (ex. un enfant court vers un autre enfant et
le frappe au visage) et, pour l’autre moitié, des situations avec une transgression conventionnelle
(ex. un enfant se lève et sort de la classe au milieu d’une leçon). Pour chaque histoire, quatre
questions sont posées aux participants. Les deux premières traitent respectivement du carac-
tère permissible et de la gravité de la transgression. Pour la troisième question, le participant
doit justifier sa réponse. Enfin, une question portant sur la connaissance de la règle sociale est
proposée. Cette épreuve évalue simultanément des règles sociales conventionnelles et morales,
mais aucune situation sans rupture de règles sociales n’est proposée, ce qui pourrait introduire
un biais dans la mesure où toutes les situations sont préalablement jugées comme induisant
un comportement négatif.
Malgré l’intérêt de ces épreuves, plusieurs limites peuvent être relevées. La première concerne
leur format de présentation, qui fait principalement intervenir la composante langagière. Or
le langage est souvent altéré dans les affections neurologiques et l’évaluation pourrait ainsi ne
pas refléter les véritables capacités des patients. Une seconde limite concerne le manque de
données normatives disponibles en langue française. La plupart des épreuves ont été construites
dans un but de recherche et non avec l’objectif de proposer une évaluation en pratique clinique
courante. Enfin, un échec pour les épreuves évaluant les connaissances sociales peut refléter
l’altération de différents processus. Il peut s’agir soit d’une perte des connaissances sociales
per se, soit d’une utilisation inappropriée de ces connaissances.
Récemment, des batteries de tests évaluant la cognition sociale ont été publiées en langue
française afin d’explorer les différentes composantes de la cognition sociale (pour revue, Duclos
et al., 2018 et Table 1). Ehrlé et collaborateurs (2011) ont développé une batterie d’épreuves
centrée principalement sur la composante émotionnelle de la cognition sociale. Cette batterie
inclut le test du regard de Baron-Cohen, ainsi que trois épreuves utilisant le set d’Ekman et
Friesen, évaluant respectivement la reconnaissance d’émotions, la discrimination d’émotions
et l’intensité de l’émotion. Une tâche de discrimination de genre est proposée en tant que
255
Manuel de neuropsychologie
tâche contrôle. La théorie de l’esprit est évaluée avec l’épreuve des faux pas sociaux, la tâche
d’attribution d’intentions et la tâche des cartoons. Les connaissances sociales sont évaluées avec
la tâche des situations sociales et une tâche de jugements moraux. Des données normatives en
langue française ont été recueillies chez 155 sujets sains âgés de 20 à 69 ans. Plus récemment,
Etchepare et al. (2014) ont proposé la batterie PECS-B (pour Protocole d’évaluation de la cogni-
tion sociale de Bordeaux) disposant de données normatives récoltées auprès de 109 sujets âgés
de 18 à 59 ans. Cette batterie propose le Face Test, le test du regard, le test d’attribution d’inten-
tions, le test des faux pas sociaux ainsi qu’une épreuve de fluence émotionnelle (consistant
à fournir le plus de mots à connotation émotionnelle en un temps donné). Deux questionnaires
évaluant respectivement la conscience émotionnelle et l’alexithymie font également partie de
cette batterie. Enfin, la batterie Social Cognition and Emotional Assessment (Funkiewiez et al.,
2012) vise à évaluer la cognition sociale en employant cinq épreuves, une épreuve de reconnais-
sance d’émotions construite à partir du set d’Ekman et Friesen, l’épreuve des faux pas sociaux,
une épreuve de discrimination visuelle, une tâche comportementale contrôle et une échelle
d’apathie. Une version courte de cette batterie a été publiée, le Mini-Social Cognition and
Emotional Assessment (Mini-SEA) (Bertoux, 2014). Dans cette version, seules deux épreuves
sont proposées, l’épreuve des faux pas sociaux et la tâche de reconnaissance d’émotions, qui
seraient les épreuves les plus sensibles dans le cadre du diagnostic différentiel entre la maladie
d’Alzheimer et la démence fronto-temporale.
256
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Encadré 39
Cognition sociale : modèles et structures cérébrales
257
Manuel de neuropsychologie
258
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
Encadré 40
Exemples d’épreuves de cognition sociale
Les histoires proposées sous forme de trois erronée sur l’état effectif du monde. Elles sont
images illustrent des situations qui engendrent toutes basées sur le même principe :
pour l’un des personnages une croyance
259
Manuel de neuropsychologie
la première image décrit une situation impli- est porteur de croyances erronées sur son
quant un personnage qui prend connaissance environnement.
d’un certain nombre d’informations ; A. Exemple de fausse croyance de 1er ordre
— à l’insu du personnage, la situation évolue ; B. Exemple de fausse croyance de 2e ordre
— on questionne alors le sujet sur les
réactions attendues du personnage qui
Figure 2 – Exemples de dessins utilisés dans le test de Tom (Duval et al., 2011a).
260
Les grands syndromes neuropsychologiques ■ Chapitre 3
A : Tom est invité chez des amis pour le goûter Dans les deux cas, la bonne réponse se trouve
et le participant doit déterminer ce qu’on va lui parmi des distracteurs : un choix plausible
proposer, sachant que l’illustration montre que mais qui ne correspond pas au goût de Tom,
Tom aime les gâteaux. un choix qui correspond à son goût, mais n’est
B : Tom veut partir en vacances en Amérique du pas adapté au contexte, et un choix inadapté
Sud et n’aime pas les bateaux. Le participant pour ces deux points.
doit déterminer le mode de transport le plus
approprié.
Figure 3 – Épreuve des connaissances sociales (Laisney et al., sous presse). L’épreuve est
composée de 22 items pour lesquels l’un des personnages ne respecte pas une règle sociale
(A) et de 22 items pour lesquels il n’y a pas de rupture de règle sociale (B).
261
262
Tableau 1 – Évaluation des différents domaines de la cognition sociale
Reconnaissance
Ekman et Friesen, 1976 110 visages exprimant des émotions basiques BCS
d’émotions faciales
Ekman et Friesen, 1976 35 visages exprimant des émotions basiques SEA
20 photographies du visage d’un acteur
PECS-B
Faces test, Baron-Cohen et al. exprimant des états mentaux basiques
ou sociaux
20 photographies de la région des yeux PECS-B
TDE affective Test du regard d’un acteur exprimant des états mentaux BCS
basiques ou sociaux
15 histoires avec des croyances de premier
TDE cognitive ToM-15 ou de second ordre avec une tâche Desgranges et al., 2012
de compréhension
30 bandes dessinées composées de 3 images BCS
Attribution d’intentions avec une condition TDE et une condition PECS-B
contrôle
SEA
TDE affective 10 histoires avec des faux pas sociaux
Tâche des faux pas sociaux PECS-B
et cognitive et des histoires contrôles
BCS
Connaissances 9 situations sociales avec des comportements
Situations sociales BCS
sociales adaptés et non adaptés
(BCS : Batterie de Cognition Sociale. SEA : Social cognition and Emotional Assessment. PECS-B : Protocole d’Évaluation de la Cognition
Sociale de Bordeaux).
Chapitre 4
La neuropsychologie
de l’enfant
Sommaire
1. Le cadre général de la neuropsychologie de l’enfant ........................................ 265
2. Les troubles des fonctions cognitives chez l’enfant ......................................... 270
3. Les syndromes neurodéveloppementaux .......................................................... 293
4. Spécificités de l’évaluation et de la prise en charge ......................................... 299
5. De la neuropsychologie de l’enfant à la neuro-éducation .................................. 302
1. Le cadre général de la neuropsychologie de l’enfant
Les premiers manuels en français consacrés à la neuropsychologie de l’enfant sont parus seule-
ment au début des années 2000 (Lussier et Flessas, 2001, réédité en 2009 et 2017 ; puis Hommet
et al., 2005 ; Lehalle et Mellier, 2005 ; Poncelet et al., 2009 ; Vauclair, 2004). Nous renvoyons le
lecteur à ces ouvrages de référence et à ceux plus récents (dont celui issu du Forum de la SNLF
2017, dirigé par Roy et al., 2018), ainsi qu’au chapitre précurseur de De Schonen et collabo-
rateurs (dans Seron et Jeannerod, 1998). Nous nous limiterons à une présentation forcément
schématique des troubles acquis ou neurodéveloppementaux des grandes fonctions cognitives
– langage, mémoire, attention, calcul et praxies – chez l’enfant. Les spécificités de l’évaluation
et de la prise en charge chez l’enfant seront aussi abordées. Nous avons adopté un découpage
qui prend en compte essentiellement celui des grandes fonctions cognitives et aborde principa-
lement les troubles acquis, mais nous y traiterons aussi, lorsqu’il s’agit du langage, des dyslexies
développementales. Il nous est aussi apparu nécessaire d’individualiser les principaux troubles
neurodéveloppementaux qui occasionnent des atteintes cognitives et doivent être connus en
tant que tels : l’autisme et le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité.
Un intérêt particulier pour l’enfant ne s’est fait jour que tardivement en neuropsychologie.
Les premiers travaux ont appliqué à l’analyse de cas d’enfants présentant des troubles du langage
les concepts et les méthodes élaborés par l’aphasiologie de l’adulte. Par la suite, les principales
investigations ont été longtemps restreintes à l’étude de la pathologie acquise des fonctions
cognitives consécutive à une lésion cérébrale chez l’enfant, après une période de développement
normal plus ou moins longue. Au contraire, un grand nombre de troubles neuropsychologiques
qui sont étudiés aujourd’hui renvoient à des perturbations qui apparaissent dans le cours du
développement « sans cause apparente » ou pathologies neurodéveloppementales.
L’état de l’art récent et exhaustif dressé par Lussier et al. (2017) dans la 3e édition de
Neuropsychologie de l’enfant et de l’adolescent distingue plus précisément :
• Les troubles neurodéveloppementaux :
• les troubles du langage oral et dysphasies ;
• les troubles praxiques et visuospatiaux ;
• le syndrome des fonctions non verbales ;
• les troubles du spectre de l’autisme ;
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
• le syndrome dysexécutif ;
• le syndrome Gilles de la Tourette ;
• le trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité.
• Les troubles spécifiques des apprentissages :
• les troubles spécifiques du langage écrit (dyslexie et dysorthographie) ;
• les troubles spécifiques du calcul et la dyscalculie.
• Les troubles neuropsychiatriques :
• TDA/H complexe ;
• les problèmes de comportement ;
265
Manuel de neuropsychologie
• les troubles disruptifs du contrôle des impulsions et des conduites – selon le DSM-5 ;
• les troubles dépressifs ;
• les troubles anxieux ;
• les troubles obsessionnels compulsifs ;
• les troubles liés à des traumatismes ou à des facteurs de stress ;
• les troubles du spectre de la schizophrénie et autres troubles psychotiques ;
• les autres troubles du développement (syndrome d’alcoolisation fœtale, neurofibromatose
ou syndrome de Turner).
Comme les auteures le notent, un manuel généraliste comme notre ouvrage ne peut proposer
un traitement suffisamment approfondi et exhaustif de cette « neuropsychologie pédiatrique »
ou « neuropsychologie développementale », selon leurs termes : un domaine vaste maintenant,
et qui, comme le manifeste particulièrement la longue rubrique des troubles neuropsychia-
triques, exige une formation spécifique et des compétences plurielles.
Les objectifs particuliers de la neuropsychologie de l’enfant sont d’élaborer des modèles
spécifiques et de mettre au point les évaluations et prises en charge adaptées à l’enfant lors
de difficultés diverses, que celles-ci surviennent en lien avec une atteinte cérébrale (troubles
acquis) ou sans cause neurologique objectivable, tout du moins avec les moyens d’investiga-
tion usuels. Cette démarche implique de décrire les aspects développementaux des relations
cerveau-cognition, c’est-à-dire comment s’édifient l’appareil cognitif et les structures céré-
brales ainsi que leurs relations complexes. Plus précisément, pour comprendre comment
l’enfant acquiert une fonction particulière, il faut en identifier les différentes étapes, déter-
miner leur chronologie d’apparition ainsi que les contraintes cérébrales dans lesquelles elles
se construisent. Comme nous le verrons dans un premier temps avec l’exemple du langage, ces
différentes connaissances sont indispensables pour aborder de façon pertinente les troubles
neuropsychologiques survenant chez l’enfant. La neuropsychologie du développement précoce
des fonctions exécutives, en plein essor, propose maintenant des modèles développementaux
détaillés. Un des modèles influents, élaboré par Adèle Diamond (2014), a pour hypothèse
centrale que les aspects de niveau supérieur, comme la flexibilité ou la planification, s’édifient
sur l’efficience des processus de mémoire de travail et d’inhibition. Ces modèles guident les
évaluations et s’en enrichissent (pour revue, Roy, 2015).
De Souza et Karmiloff-Smith (2011) soulignent que les modèles de la cognition adulte,
dominés par une architecture modulaire, ne peuvent pas être appliqués in extenso au dévelop-
pement normal ou atypique, même s’ils constituent une référence utile. Lussier et al. (2017)
insistent sur les risques inhérents à la transposition des données de la neuropsychologie adulte
à celle de l’enfant. Le cerveau est chez l’enfant hautement interconnecté et c’est seulement
dans le cours du développement que les réseaux neuronaux se spécialisent de façon croissante
et deviennent ainsi relativement modulaires. Les modèles de la neuropsychologie de l’enfant
postulent qu’en cas de développement atypique, même lorsque les performances sont dans la
normale, elles sont souvent sous-tendues par des processus cognitifs et neuronaux différents.
En d’autres termes, le processus graduel de modularisation relative peut échouer à se mettre en
place dans les troubles neurodéveloppementaux. Ceux-ci doivent être compris dans le contexte
266
La neuropsychologie de l’enfant ■ Chapitre 4
Encadré 41
Le développement cérébral (Bérengère Guillery-Girard)
Le développement cérébral est un processus années de vie suivie d’un élagage influencé à la
complexe et prolongé qui débute dès la troi- fois par l’expérience et l’environnement. Les
sième semaine de gestation et se poursuit études longitudinales montrent que le volume
jusqu’à l’âge adulte, ce qui le rend particuliè- cortical de substance grise fait plus que dou-
rement plastique. L’être humain est l’une des bler lors de la première année. L’augmentation
espèces pour lesquelles le cerveau présente de la surface corticale est plus marquée dans
une importante immaturité à la naissance. Le les régions temporales supérieures, parié-
cerveau connaît des modifications tout au long tales, post-centrales et occipitales, sans doute
de la vie avec une première phase de matu- en lien avec le développement des fonctions
ration qui se prolonge jusqu’à une vingtaine sensorielles qui est important à cette période.
d’années. La période prénatale est caractéri- Lors de la seconde année, l’augmentation est
sée par une série de processus, neurulation, plus modeste et concerne préférentiellement
prolifération, migration, développement dendri- les régions impliquées dans la planification
tique, différentiation et apoptose, permettant motrice, le traitement visuo-spatial et atten-
la transformation du tube neural en une série tionnel (régions frontales supérieures, tempo-
de réseaux neuronaux formant le système rales inférieures et pariétales). Par ailleurs, le
nerveux central. De la même façon, le déve- volume régional de substance grise tend à aug-
loppement postnatal suit une séquence par- menter en phase prépubertaire dans les régions
ticulière caractérisée par une augmentation frontales et temporales pour se réduire après
des connexions cortico-corticales de courte la puberté de façon marquée. La période puber-
distance, une rapide synaptogénèse associée taire et ses modifications hormonales ont un
à un développement dendritique, un phéno- impact significatif sur la maturation cérébrale,
mène de myélinisation et développement des et notamment sur les régions cérébrales impli-
réseaux locaux permettant progressivement quées dans la mémoire, comme l’hippocampe,
une spécialisation cérébrale. Les change- et dans le traitement émotionnel sous-tendu
ments au cours du développement diffèrent par l’amygdale. Ainsi le volume de la partie
selon le sexe, suggérant ainsi que la puberté antérieure de l’hippocampe tend à diminuer,
(notamment les aspects hormonaux) joue un alors que celui de la partie postérieure tend
rôle important dans le développement cérébral à augmenter. D’autres études montrent que
(figure). même si les différents sous-champs hippocam-
Une phase de croissance dendritique et de pro- piques sont identifiables dès la naissance, le
lifération synaptique s’opère lors des premières volume de ces sous-champs varie en fonction
de l’âge et influence le développement cognitif.
267
Manuel de neuropsychologie
Par exemple, les modifications du volume de développement lentement. Une étude menée
CA3 et du gyrus denté au cours du développe- sur 202 participants âgés de cinq à 30 ans
ment ont un impact direct sur le fonctionne- (Lebel et al., 2008) a montré qu’à 18-20 ans, la
ment de la mémoire épisodique (Postel et al., plupart des fibres blanches sous-corticales et
2017). Cette diminution du volume de substance des principaux faisceaux associatifs ont atteint
grise est due principalement à une diminution un plateau. Toutefois, d’autres faisceaux reliant
massive du nombre de synapses (élagage notamment les régions fronto- temporales
synaptique) et des ramifications axonales, ainsi impliquées dans la régulation émotionnelle,
qu’à une myélinisation axonale intra-corticale les stratégies de mémorisation et les activi-
croissante. Cet élagage, observé à un niveau tés mentales en référence à soi, poursuivent
neuronal, a un impact sur l’organisation hié- encore leur maturation après 25 ans. La matu-
rarchique et la connectivité interrégionale au ration des faisceaux de substance blanche
sein des réseaux corticaux et sous-corticaux. associée à la myélinisation progressive sont
Contrairement à la substance grise, la matu- donc indispensables à la mise en place de
ration de la substance blanche continue pen- capacités de contrôle cognitif stables (Dégeilh
dant les quatre premières décennies de vie, et al., 2016).
avec un pic autour de la quarantaine, lorsque Les études en neuro-imagerie fonctionnelle
la vitesse de certaines habiletés motrices fines chez l’enfant sont encore peu nombreuses
est optimale. Toutefois, les modifications sont mais en plein essor. Même si les bases phy-
importantes dès les premières années post- siologiques de cette approche sont identiques
natales. Là encore, il existe des modèles chez l’adulte et chez l’enfant, il est indispen-
régionaux spécifiques de maturation. Ainsi, sable de tenir compte de facteurs spécifiques
les faisceaux moteurs et sensoriels sont glo- de la maturation cérébrale postnatale chez ce
balement matures plus tôt et poursuivent leur dernier.
268
Évolution des volumes de substance grise et de substance blanche chez les garçons (courbes bleues)
et les filles (courbes rouges) de 4 à 18 ans (inspiré de Brain Development Cooperative Group, 2012).
La neuropsychologie de l’enfant ■ Chapitre 4
269
Manuel de neuropsychologie
2.1 Le langage
Les troubles du langage chez l’enfant, qu’ils soient acquis à la suite d’une lésion cérébrale
après une période de développement langagier normal ou qu’ils apparaissent dans le cours du
développement sans que l’on puisse les relier à une cause organique précise, suscitent beaucoup
de travaux à visée fondamentale et clinique.
Il s’agit d’« un trouble du langage consécutif à une atteinte du système nerveux central et
survenant chez un sujet ayant déjà acquis un certain niveau de connaissance verbale » (Van
Hout et Seron, 1983). L’aphasie acquise chez l’enfant est ainsi clairement distincte, d’une part
des aphasies « congénitales » – dans lesquelles la lésion cérébrale est pré- ou périnatale –,
d’autre part des dysphasies développementales sans lésions objectivables. Le tableau clinique
de l’aphasie acquise chez l’enfant est classiquement résumé ainsi :
• la compréhension du langage reste relativement préservée ;
• les troubles prédominent sur le versant de l’expression : la fluence est le plus souvent réduite,
la perturbation pouvant aller de troubles articulatoires jusqu’au mutisme ;
270
La neuropsychologie de l’enfant ■ Chapitre 4
• le discours est agrammatique (les troubles syntaxiques sont les plus persistants) ;
• jargon ou loghorrée sont rares.
Dans les cas de lésions précoces, le caractère relativement mineur des signes aphasiques et
le fait que le pronostic soit beaucoup plus favorable que chez l’adulte, avec récupération des
troubles du langage rapide et souvent complète, sont soulignés. Une sémiologie comparable
en nature et en sévérité à celle rencontrée chez l’adulte n’apparaîtrait qu’en cas d’atteinte
postérieure à la puberté. Le pronostic est donc meilleur pour les lésions acquises précocement :
deux mécanismes distincts sont envisagés pour rendre compte de ces possibilités de récupé-
ration fonctionnelle. Lorsque les lésions dans l’hémisphère gauche sont limitées, les fonctions
langagières peuvent être prises en charge par les aires gauches adjacentes, intactes. Si les lésions
gauches sont plus étendues, l’hémisphère droit, principalement au niveau des aires homoto-
piques aux aires périsylviennes gauches, prendrait en charge le langage. Dans certains cas, cette
réorganisation des réseaux de l’hémisphère droit serait susceptible de nuire au développement
des fonctions qu’il sous-tend normalement (Rosa et Lassonde, dans Hommet et al., 2005).
Ce « transfert de fonction » a été étudié dans le cadre de l’hémisphérectomie quelquefois
pratiquée comme traitement de crises épileptiques généralisées (exérèse chirurgicale de l’hé-
misphère cérébral siège du foyer épileptique). Lorsque celle-ci est réalisée chez de jeunes
enfants, elle permet d’étudier le développement cognitif avec un « hémisphère unique ».
Patterson et al. (1989) ont analysé les performances de lecture d’une jeune patiente, N.I.,
chez qui une hémisphérectomie gauche avait été pratiquée à l’âge de 15 ans, deux années après
l’installation des crises d’épilepsie. La période de développement précoce normal autorise les
auteurs à penser qu’une latéralisation fonctionnelle typique avait pu se mettre en place. Après
l’opération, N.I. est décrite comme aphasique, ses performances en lecture sont très faibles
et ressemblent à celles de patients adultes qui présentent une dyslexie profonde (acquise).
Elle reconnaît parfaitement des lettres, mais les dénomme avec difficulté et ne peut réaliser
des tâches phonologiques. Elle discrimine bien des mots fréquents et des non-mots mais ses
performances de décision lexicale chutent pour des mots moins fréquents. Dans des épreuves
d’appariement mot-image, elle manifeste une compréhension des mots mais seulement pour
les plus familiers et concrets.
Ce tableau clinique sévère contraste avec celui d’Anna, décrit par Vargha-Khadem et al.
(1985), qui a subi une hémisphérectomie gauche à l’âge de 10 ans et montre des capacités
langagières remarquablement préservées. Pour les auteurs, le facteur crucial expliquant cette
préservation est la précocité de la lésion : chez Anna, l’atteinte neurologique (AVC gauche)
est prénatale et s’est manifestée à l’âge de six mois. Ce n’est pas tant l’âge auquel intervient
l’hémisphérectomie qui compte, que l’âge de début des lésions cérébrales (dans l’épilepsie,
l’âge de début des crises) et « le temps laissé à la réorganisation du langage dans l’hémisphère
droit ». Plus ce temps est long, meilleures seraient la réorganisation anatomo-fonctionnelle
et les performances.
L’étude du développement normal des asymétries hémisphériques apporte des données
complémentaires à celles issues de l’analyse des pathologies acquises chez l’enfant. Plusieurs
approches comportementales permettent l’étude des localisations et des latéralisations
271
Manuel de neuropsychologie
fonctionnelles cérébrales chez l’enfant normal : l’étude de la latéralité manuelle, l’analyse des
asymétries de performances en champ perceptif divisé (tachistoscopie en champ visuel divisé,
écoute dichotique, perception dichaptique) et des interférences lors de doubles tâches (chap. 2,
section 3). Les travaux, en accord avec les résultats issus de la neuro-imagerie fonctionnelle et
des potentiels évoqués cognitifs, sont en faveur d’une latéralisation fonctionnelle assez précoce
pour certaines composantes de traitement.
Liégeois et de Schonen (2002) ont analysé les réponses de dénomination d’images chez des
enfants âgés de 2 à 6 ans, dans différentes conditions de présentation : une seule image, soit
à droite soit à gauche du point de fixation, ou bien deux images différentes de part et d’autre
du point de fixation. Leur étude réplique tout d’abord les résultats de la littérature en montrant
que l’avantage hémisphérique gauche pour les traitements cognitifs requis par la dénomination
peut être observé au tout début de leur développement, c’est-à-dire à l’âge de 2 ans. Elle indique
ensuite que les connexions inter-hémisphériques pour ce type de traitements seraient fonction-
nelles dès 2 ans (le transfert des données somesthésiques arriverait à maturité plus tardivement).
Il faut noter ici que d’autres traitements langagiers, par exemple l’accès lexical sans production
comme dans la tâche de décision lexicale, se développeraient de façon plus équitable dans
l’hémisphère gauche et dans l’hémisphère droit, avec toutefois la mise en place d’une asymétrie
semblable à celle décrite chez l’adulte – supériorité fonctionnelle et contrôle hémisphérique
gauche – dès le début de la deuxième décennie (Waldie et Mosley, 2000 : encadré 10, p. 72).
Les techniques de neuro-imagerie non invasives comme l’IRMf et les potentiels évoqués
indiquent une spécialisation et une latéralité cérébrales initiales, en tout cas très précoces (dès
les premiers mois de vie), pour les premiers niveaux de traitement du langage, en particu-
lier la perception des phonèmes. Dans sa synthèse, Dehaene-Lambertz (dans Hommet et al.,
2005) souligne l’existence de réseaux pré-contraints génétiquement, qui permettent à l’enfant
« d’aller chercher dans son environnement l’input adéquat », mais qui sont aussi plastiques.
Des contraintes éthiques limitent le champ des techniques de neuro-imagerie utilisables chez
l’enfant, mais l’approche comportementale est, elle aussi, limitée, en particulier avant que
l’enfant maîtrise le langage. Pour l’étude du très jeune enfant, plusieurs techniques éprouvées
ont été empruntées à la psychologie du développement, comme l’analyse de la succion non
nutritive, de la poursuite oculaire, du réflexe d’orientation ou de l’habituation. En règle géné-
rale, l’analyse chronométrique est utilisée avec précaution car les temps de réponse sont très
longs et montrent une grande variabilité.
L’étude du développement normal des asymétries hémisphériques semble indiquer une laté-
ralisation gauche plus précoce que ce qui apparaît à la lumière des conséquences des pathologies
acquises chez l’enfant (outre les caractéristiques de l’aphasie par lésion gauche chez l’enfant,
il faut relever que des troubles du langage par lésion de l’hémisphère droit sont plus fréquents
chez l’enfant que chez l’adulte). En fait, les deux approches éclairent des facettes différentes
du développement neuropsychologique, et l’étude des troubles acquis met en évidence les
capacités remarquables de réorganisation fonctionnelle et cérébrale (pour revues, De Agostini,
2002 ; Rosa et Lassonde, dans Hommet et al., 2005).
272
La neuropsychologie de l’enfant ■ Chapitre 4
Encadré 42
Remédiation des difficultés dans l’apprentissage de la lecture
(Bruno de Cara et Monique Plaza)
Lire est un processus intermodal qui requiert — de la récupération rapide d’informations
une prise en compte et un traitement simulta- issues de chacun des systèmes.
nés d’éléments visuo-graphiques et auditivo- Intéressons-nous, dans un premier temps, à la
verbaux. Nous présentons ici deux exemples de vitesse de dénomination et de lecture. Ces
remédiation visant à améliorer la fluence dans mesures correspondent au temps nécessaire
la lecture. La fluence est définie ici comme la pour mettre en correspondance un stimulus
capacité à lire un texte rapidement, sans effort, visuel (image ou séquence de lettres) et la pro-
sans à-coups, de façon automatisée, en ne por- duction d’un mot. La vitesse de dénomination
tant aucune attention au décodage. La fluence est précocement corrélée aux capacités de
permet la compréhension, but ultime de la lec- lecture, notamment dans les langues à ortho-
ture. La fluence de lecture naît : graphe régulière. Néanmoins, il a été constaté
— du développement en mémoire d’une dans plusieurs systèmes linguistiques (anglais,
représentation phonologique, orthogra- allemand, espagnol, finnois, hébreu, chinois,
phique, sémantique et syntaxique de haute français) que les capacités phonologiques et
qualité ; la vitesse de dénomination sont des variables
— d’un bon niveau de connexion entre les corrélées de façon indépendante aux capacités
informations visuelles et linguistiques ; de lecture. En effet, la vitesse de dénomination
273
Manuel de neuropsychologie
est le produit d’un ensemble de processus de Ce dernier groupe atteint, selon les auteurs,
bas et de haut niveaux (perceptifs, attention- « d’un double déficit » présente un niveau
nels, mnésiques, articulatoires, lexicaux) qui se de lecture plus faible que les deux premiers
coordonnent et se chevauchent. Ainsi, en utili- groupes atteints d’un seul déficit. Les entraîne-
sant la méthode de la double dissociation d’un ments envisagés pour ces lecteurs présentant
point de vue clinique, Wolf et al. (2000) font un double déficit reposent sur un travail simul-
la distinction entre trois types d’apprentis- tané à partir de mots pivots analysés du point
lecteurs en difficulté selon la nature des de vue phonologique, sémantique, morpholo-
troubles : gique, puis retravaillés en contexte de phrases
— troubles phonologiques ; et de textes (Programme RAVE-O : Retrieval,
Automaticity, Vocabulary Elaboration,
— troubles en dénomination rapide ;
Orthography ; Wolf et al., 2009, figure 1).
— troubles combinés en conscience phono-
logique et dénomination rapide.
274
La neuropsychologie de l’enfant ■ Chapitre 4
Changement dans les scores standardisés du Quotient
de lecture à voix haute en fluence et compréhension
(Gray Oral Reading Test 3, Wiederholt & Bryant, 1992)
82
Pré-test
Score Standard
79
Post-test
76
73
70
68
Contrôle Phonique seul RAVE-O
Modèle d’intervention
Figure 1 – Exemple de mot pivot et effet du Programme RAVE-O
sur un test de lecture orale (adapté de Wolf et al., 2009).
Au- delà de la vitesse de dénomination, la sujet. Les résultats ont montré une améliora-
vitesse de lecture est au centre de l’automa- tion du score de compréhension dans la condi-
tisation du processus de lecture. Un certain tion de vitesse de lecture accélérée par rapport
nombre de remédiations vise à développer le à la condition de vitesse de lecture habituelle
meilleur compromis entre vitesse de lecture seulement chez les normo-lecteurs (tandis que
et compréhension. À titre d’exemple, le para- la différence n’était pas significative chez les
digme de l’accélération forcée mis au point dyslexiques). Pour l’auteur, l’accélération de la
par Breznitz (2001) incite le lecteur à augmen- lecture permettrait de rendre plus efficients
ter sa vitesse de lecture par le prélèvement la mémoire de travail, le recours à l’informa-
d’indices visuels partiels. Dans une première tion orthographique et la prise en compte du
phase de l’expérience, 52 enfants dyslexiques contexte. Pour les enfants dyslexiques, l’accé-
(âge moyen : 9 ans 1 mois) et 52 enfants normo- lération de la lecture produirait une améliora-
lecteurs (âge moyen : 6 ans 9 mois), appariés en tion seulement sous condition de saturation
âge de lecture, ont été invités à lire une série de la voie phonologique. En effet, en éliminant
de 6 récits à leur vitesse de lecture habituelle. le fonctionnement lent et coûteux de leur voie
Dans une deuxième phase, 6 autres récits ont phonologique, les lecteurs dyslexiques com-
été présentés selon un défilement plus rapide penseraient leurs difficultés phonologiques
correspondant à une accélération de 20 % par (et diminueraient ainsi les erreurs liées au
rapport à leur vitesse de lecture habituelle. Le décodage) en se focalisant davantage sur les
texte s’effaçait automatiquement, lettre par indices orthographiques et contextuels.
lettre, selon la vitesse accélérée de chaque
275
Manuel de neuropsychologie
Une réplication partielle du paradigme de temporelle. À la fin de chaque récit, une série
l’accélération forcée a été proposée à des de questions à choix multiples évaluait la com-
enfants normo-lecteurs de CE1 et CM1 (De Cara préhension du récit. Les résultats ont montré
et Plaza, 2010). Les textes étaient cryptés. Une une supériorité du guidage visuo-attentionnel
fenêtre mobile permettait un guidage visuo- par rapport à l’absence de guidage. Le guidage
attentionnel de l’enfant lors du défilement contrôlé par l’enfant s’est révélé plus efficient
du texte (figure 2). Dans une première phase que le guidage accéléré, sauf chez les élèves
(guidage contrôlé), l’enfant lisait une série de CM1 où guidage contrôlé et guidage accéléré
de 3 récits à sa vitesse de lecture habituelle ne se sont pas distingués (figure 2).
en contrôlant lui-même le déplacement de
la fenêtre mobile. Dans une deuxième phase
Julie et Valérie ### ###### ### #######
(guidage accéléré), une série de 3 autres récits
était présentée mais, cette fois-ci, la fenêtre
se déplaçait automatiquement selon une ##### ## ####### ont trouvé ###
accélération de 20 %. Enfin, dans une dernière
phase (sans guidage), prise comme condi-
##### ## ####### ### ###### une
tion contrôle, 3 textes étaient présentés, de
vieille valise
façon standard, sans guidage, ni contrainte
276
La neuropsychologie de l’enfant ■ Chapitre 4
277
Manuel de neuropsychologie
sont marquées pour la lecture des mots irréguliers, pour lesquels une représentation doit
être récupérée en mémoire à long terme.
• L’atteinte peut être mixte, l’enfant présentant des difficultés décrites dans les deux formes
phonologique et de surface. Les études de cas mettent en évidence des dyslexies mixtes
à prédominance phonologique et d’autres à prédominance lexicale (voir les cas décrits par
Lussier et al., 2017).
Encadré 43
Dyslexie de surface et dyslexie phonologique : comparaison de deux cas
(Sylviane Valdois)
De nombreuses recherches ont démontré deux cas présentés ont été évalués sur la base
l’existence de sous-types de dyslexies déve- des mêmes épreuves, ce qui permet de mettre
loppementales et ont analysé différentes nettement en évidence les performances très
observations de dyslexies de surface et de contrastées de ces sujets.
dyslexies phonologiques (Valdois, 1996). Les
Les résultats présentés dans le tableau 1 confirme largement la spécificité des difficul-
montrent que Maxime obtient les scores les tés de ces deux jeunes gens. L’épreuve met
plus faibles en lecture de mots irréguliers alors en effet en évidence des performances très
que Frédéric ne rencontre de difficultés qu’en faibles en écriture sous dictée de mots irré-
lecture de non-mots. guliers pour Maxime alors que les difficultés
L’examen des performances obtenues en de Frédéric ne concernent que la production
production écrite de mots isolés (tableau 2) écrite de non-mots.
279
Manuel de neuropsychologie
280
La neuropsychologie de l’enfant ■ Chapitre 4
Les travaux princeps de Galaburda, Geschwind et leurs collaborateurs dans les années 1980
indiquaient une symétrie du planum temporale (alors que normalement cette aire est plus
développée dans l’hémisphère gauche) ainsi que des anomalies cellulaires plus particulièrement
dans le cortex frontal inférieur de l’hémisphère gauche (pour revue Habib, dans Lechevalier
et al., 2008). Les recherches utilisent maintenant la neuro-imagerie fonctionnelle mais celles
menées auprès d’enfants dyslexiques sont rares. Elles ont mis en évidence une activation et
une connectivité anormales au sein des systèmes postérieurs et périsylviens du langage dans
l’hémisphère gauche. L’incertitude persiste sur l’interprétation à donner lorsque les résultats
montrent chez les dyslexiques une incidence plus grande que la normale de symétrie ou d’inver-
sion de l’asymétrie habituelle (celle-ci étant caractérisée par des activations à prédominance
gauche pour les traitements phonologiques et syntaxiques). Deux hypothèses explicatives sont
explorées. Ces « anomalies » pourraient renvoyer à un développement défectueux de l’asymé-
trie anatomique entre les hémisphères. Toutefois, les activations dans l’hémisphère droit et/
ou dans les régions frontales, supérieures à celles enregistrées chez le normo-lecteur, seraient
plutôt dues à des phénomènes compensatoires. Ces activations « atypiques » refléteraient des
tentatives de compenser l’échec de mise en œuvre des processus automatiques sous la dépen-
dance des aires corticales postérieures gauches (pour revue, Démonet et al., 2004).
La dysorthographie développementale correspond à des troubles d’apprentissage de la
langue écrite apparaissant au début de la scolarité chez des enfants normalement intelligents
et indemnes d’atteinte sensorielle ou motrice pouvant expliquer les difficultés. Dyslexie et
dysorthographie sont fréquemment associées chez un même enfant mais des troubles spéci-
fiques de l’apprentissage de l’orthographe sont décrits.
La dysphasie de l’enfant, ou « trouble spécifique du langage », touche le langage oral
(Majerus et Zesiger, dans Poncelet et al., 2009). Le diagnostic est confirmé si les difficultés
se maintiennent chez un enfant au-delà de l’âge de 6 ans. Il en existerait différents types,
mais la dysphasie se caractérise principalement par des troubles phonologiques et morpho-
syntaxiques. Un dysfonctionnement de la boucle phonologique de la mémoire de travail,
fortement impliquée dans l’acquisition de nouveaux mots, est souvent incriminé dans les
difficultés d’apprentissage du vocabulaire des enfants dysphasiques. Ces difficultés langa-
gières peuvent entraîner un certain « retrait social », ce qui en retour va limiter les occasions
de développer les compétences langagières.
2.2 La mémoire
Jusqu’à une date récente, les travaux consacrés à la neuropsychologie de la mémoire chez
l’enfant étaient peu nombreux. Ils ont d’abord concerné le très jeune enfant et les processus
mnésiques « de plus bas niveau ». À quelques exceptions près, et même dans des pathologies
où les déficits de la mémoire sont fréquents et parfois handicapants comme l’épilepsie tempo-
rale ou les séquelles de traumatismes crâniens, la description de ces troubles mnésiques est
281
Manuel de neuropsychologie
282
La neuropsychologie de l’enfant ■ Chapitre 4
Jon bénéficie de l’aide procurée par la reconnaissance par rapport au rappel libre mais aussi
de l’effet de répétition de l’item (les performances sont meilleures si le stimulus est présenté
plusieurs fois) et d’un délai de rétention court. Tous ces éléments indiquent que Jon améliore
ses performances dans des conditions qui favorisent la mise en œuvre d’une restitution basée
sur un sentiment de familiarité et donc de la mémoire sémantique. De même, en électrophy-
siologie, lors de la réalisation de ces tâches de reconnaissance, il n’a été mis en évidence qu’un
type d’onde (la composante N 400 ; encadré 15, p. 91) caractéristique des processus de fami-
liarité et non les composantes plus tardives qui témoignent des processus de recollection. En
outre, des investigations utilisant l’IRM fonctionnelle suggèrent qu’un phénomène de plasticité
cérébrale, chez Jon, a permis la création d’un réseau cérébral différent de celui des témoins,
sous-tendant une forme primaire de mémoire épisodique, qualifiée « d’événementielle » et
reposant en partie sur la mémoire sémantique.
Cette réorganisation cérébrale, insuffisante pour assurer un fonctionnement normal de la
mémoire épisodique, pourrait expliquer la moindre sévérité de l’amnésie dans certaines tâches
par rapport au syndrome amnésique survenant chez l’adulte.
Les enfants souffrant d’une épilepsie temporale (surtout si elle est bilatérale) peuvent
présenter des troubles mnésiques massifs. La jeune patiente K.F. est particulièrement démons-
trative à cet égard (Martins et al., 2006). À l’âge de cinq ans, elle avait présenté un état de mal
épileptique dans un contexte fébrile et développé ensuite une épilepsie bi-temporale associée
à une atrophie bi-hippocampique. À ses sept ans, un bilan neuropsychologique avait mis en
évidence des capacités cognitives très déficitaires (QI de 60) mais un bon niveau de langage.
Ses capacités mnésiques étaient en revanche extrêmement limitées. Ainsi, K.F. était incapable
de reconnaître la pièce dans laquelle avait eu lieu l’évaluation et qu’elle venait de quitter.
Elle a bénéficié d’une procédure permettant de lui faire apprendre huit concepts nouveaux,
distribuée au cours de plusieurs sessions. L’apprentissage portait sur le nom du concept (par
exemple « macareux »), sa catégorie superordonnée (oiseau) et trois caractéristiques spécifiques
(il fait son nid dans des terriers de lapin…). Plusieurs méthodes de facilitation ont été intro-
duites telles que la méthode d’apprentissage sans erreur et une méthode dite « d’estompage
des indices », qui consiste à présenter les noms amputés d’abord d’un (« macar… »), puis de
plusieurs (« mac… ») phonèmes. Dans cette étude, l’acquisition de ces nouveaux concepts et
le souvenir épisodique correspondant aux différentes sessions d’apprentissage ont été évalués
de façon concomitante. K.F. a acquis les nouveaux noms associés à leurs catégories générales
et à leurs caractéristiques spécifiques (encadré 44, p. 284) et cela, en dépit d’un oubli à mesure
en mémoire épisodique.
283
Manuel de neuropsychologie
Encadré 44
Acquisition de connaissances sémantiques dans l’amnésie développementale
(Bérengère Guillery-Girard)
Un paradigme original a été élaboré pour tes- spécifiques (l’endroit où vit le macareux, com-
ter l’acquisition et la rétention des connais- ment il se reproduit et la couleur de son bec).
sances ainsi que l’intervention potentielle de la À gauche, les courbes montrent que la jeune
mémoire épisodique. L’apprentissage porte sur patiente K.F. est capable d’acquérir de nou-
huit concepts nouveaux (voir exemple) compre- veaux concepts, même si cet apprentissage
nant un nom (macareux), une catégorie supe- reste inférieur à celui d’un groupe contrôle.
rordonnée (oiseau) et trois caractéristiques
Ce résultat montre que l’on peut élaborer des procédures permettant à ces enfants d’acquérir
de nouveaux concepts. K.F. apprend sans doute grâce à un mode « lent », et plus coûteux en
termes cognitifs, qui s’appuie sur les structures para-hippocampiques et néocorticales, assurant
la sémantisation d’informations extraites de leur contexte (Pitel et al., 2009b). Sur un plan
théorique, ces travaux s’intègrent à la position forte de Tulving selon laquelle l’acquisition de
connaissances sémantiques (l’encodage en mémoire sémantique) est possible sans recours à la
mémoire épisodique (la dimension hiérarchique du modèle SPI, encadré 34, p. 217). Tout en la
confortant, ces études amènent à nuancer cette proposition. Les rétroactions proposées dans
MNESIS (encadré 35, p. 219) entre la mémoire épisodique et la mémoire sémantique sont une
façon de représenter l’apprentissage « rapide », ou tout du moins une contribution à ce mode
d’apprentissage, médiatisé par le système hippocampique.
284
La neuropsychologie de l’enfant ■ Chapitre 4
Les travaux sur les syndromes amnésiques de l’enfant ont ainsi permis de mieux comprendre
les interactions entre mémoire épisodique et mémoire sémantique. Toutefois, au cours de la
prime enfance, des formes moins élaborées de mémoire se succèdent, en lien avec la maturation
cérébrale. Durant les deux premières années de vie, les compétences mnésiques sont inférées
à partir de certaines réponses comportementales en utilisant des paradigmes spécifiques pour les
enfants de cet âge. En conformité avec les hypothèses hiérarchiques du modèle SPI, les premières
manifestations mnésiques impliquent la mémoire implicite (terme utilisé ici dans le sens de
mémoire perceptive). Dès la naissance, cette forme de mémoire sous-tendrait les capacités de
discrimination de la voix de la mère et de préférence pour la nouveauté. Chez les enfants plus
âgés, cette mémoire peut être évaluée à l’aide d’une tâche d’identification progressive de dessins
fragmentés. L’effet d’amorçage est révélé par une identification plus facile des dessins vus au
préalable in extenso que des dessins nouveaux. Plusieurs études s’accordent sur le fait que l’ampli-
tude de cet effet varie peu, entre trois ans et l’âge adulte, tout du moins pour du matériel simple.
Cette première forme de mémoire serait accompagnée, entre six et douze mois, d’une forme
de mémoire explicite qui n’aurait pas encore toutes les caractéristiques de celle des adultes.
Elle permettrait le rappel conscient d’événements uniques et de courte durée et serait sollicitée
dans diverses épreuves de reconnaissance et d’imitation de séquences d’actions. Ces tâches
sont considérées comme sous-tendant un apprentissage à long terme, explicite, impliquant la
mémoire déclarative. Elles ne mettent pas en jeu la mémoire épisodique telle que nous l’avons
définie précédemment. Les progrès portent ensuite sur l’accroissement du délai de rétention,
la complexité des séquences mémorisées, la flexibilité de la mémorisation des informations.
Endel Tulving et ses collaborateurs (Wheeler et al., 1997) ont rappelé que c’est autour de
huit mois que le jeune enfant parvient à se représenter un objet et à agir sur le monde qui
l’entoure, au-delà de la perception première de cet objet, ce qui correspond au stade piagé-
tien de la permanence de l’objet. À partir de cette étape, l’enfant est capable d’incrémenter
des connaissances sur le monde, fondements de sa mémoire sémantique. Cette évolution
correspond à l’émergence de la conscience noétique, puisque l’enfant commence à manipuler
des représentations et acquiert des capacités de rappel pour certains types d’événements. Le
terme de mémoire événementielle est parfois utilisé pour qualifier cette forme de mémoire qui
n’implique pas encore la conscience autonoétique. Celle-ci signifie que le sujet est conscient
qu’un événement a été vécu. Cette capacité de reviviscence semble concomitante de la mise
en place de la « théorie de l’esprit », qui permet à l’enfant de distinguer ses états mentaux de
ceux d’autrui et de faire des inférences sur les connaissances d’autrui.
L’apparition du langage au cours de la seconde année permet l’utilisation de paradigmes
de plus en plus complexes. Les changements les plus remarquables sont observés entre deux
et six ans, et les capacités continuent d’augmenter jusqu’en cours d’adolescence, comme le
montrent les performances aux épreuves de reconnaissance et de rappel indicé. Toutefois, de
nombreuses tâches n’impliquent que la mémorisation d’informations factuelles et ne peuvent
285
Manuel de neuropsychologie
être considérées comme des épreuves de mémoire épisodique stricto sensu, puisque l’accès
à des représentations perceptives ou sémantiques suffit pour générer des réponses correctes.
La distinction entre mémoire événementielle et mémoire épisodique tient à la prise en
compte de deux caractéristiques essentielles : les capacités de rappel du contexte d’encodage
et l’état de conscience associé à la récupération. Les capacités de rappel indicé et de rappel
libre continuent de progresser jusqu’à la fin de l’adolescence, en lien avec la maturation des
fonctions exécutives, qui favorisent la mémorisation par la mise en place de stratégies effi-
caces. Dans de nombreux travaux, la mémoire qui est étudiée chez les enfants pourrait être
qualifiée de episodic-like, comme dans les comportements observés chez certains animaux.
Elle n’est toutefois pas épisodique, au sens plein du terme, puisque sa composante la plus
spécifique, le sentiment de reviviscence de la situation d’encodage, n’est pas intégrée dans
l’évaluation. La conscience autonoétique semble être lente à émerger, puis à atteindre ses
compétences optimales. Ce concept va bien au-delà de l’acquisition de la conscience de soi
attestée par la reconnaissance dans le miroir. À partir de quatre ans environ, la conscience
de soi commence à s’étendre au-delà du temps présent. De grandes quantités d’informations
peuvent alors être acquises, des scripts formés, des événements du passé encodés et récu-
pérés, mais l’accès à ces représentations se fait encore sans réelle impression de reviviscence.
À partir de l’âge de cinq ans, les enfants parviennent à distinguer l’origine de leurs représenta-
tions parmi plusieurs sources internes ou externes et parviennent à différencier leurs propres
états mentaux de ceux des autres. Le paradigme Remember-Know (chapitre 3, section 9), qui
demande à l’enfant de décider s’il se souvient vraiment de l’événement ou s’il sait seulement
qu’il s’est produit, peut être utilisé à partir de cet âge. Les travaux montrent que l’accès aux
représentations mnésiques est, au cours de la période scolaire, de plus en plus fréquemment le
fruit d’une véritable recollection (réponses Remember) et de moins en moins celui d’un simple
sentiment de familiarité (réponses Know). L’implication de la mémoire sémantique serait donc
progressivement complétée par celle de la mémoire épisodique, mais cette évolution est lente,
débutant vers l’âge de quatre ans et se poursuivant jusqu’à 14 ans au moins.
Dans certaines études qui évaluent la mémoire autobiographique, l’enfant est invité à vivre
pendant plusieurs minutes un événement au déroulement standardisé, puis il est interrogé sur
le souvenir qu’il en a plusieurs jours après. Ces travaux soulignent la propension aux distorsions
de la mémoire chez le jeune enfant et la façon dont les productions peuvent être influencées
par le type de questions posées. Trois périodes majeures sont distinguées dans le développe-
ment de la mémoire autobiographique : l’amnésie infantile « proprement dite », « l’amnésie de
l’enfance », puis la période où le fonctionnement de la mémoire autobiographique se met en
place progressivement jusqu’à l’adolescence. L’amnésie infantile recouvre les deux premières
années de vie et est caractérisée par une absence quasi totale de souvenirs autobiographiques.
Les enfants évoquent des bribes de souvenirs, sous forme d’actions, de comportements, de
sentiments ou d’expériences sensorielles isolées. Entre deux et six ans, période de « l’amnésie
de l’enfance », les enfants fournissent peu de souvenirs et relatent le passé essentiellement en
réponse aux sollicitations des adultes. Des événements uniques du passé peuvent être évoqués,
286
La neuropsychologie de l’enfant ■ Chapitre 4
mais les narrations sont centrées sur les faits et comportent peu de détails spécifiques. Entre
sept et dix ans, les enfants rappellent des souvenirs assez riches, mais encore incomplets. Si
les activités et le thème général de l’action sont presque toujours mentionnés, les autres infor-
mations (personnes présentes et contexte spatio-temporel) le sont beaucoup plus rarement.
Plus précisément, la capacité à appréhender le temps implique de nombreuses habiletés, lentes
à atteindre leur niveau de fonctionnement optimal et opérationnelles seulement à l’adolescence.
Les recherches cognitives sur le développement des capacités mnésiques ont ainsi permis
d’en préciser le décours, révélant la transition de processus implicites vers des processus expli-
cites, et du rappel de connaissances à celui de souvenirs. Les travaux récents révèlent que la
mémoire épisodique testée « en laboratoire » et la mémoire autobiographique ne sont pas
parfaitement fonctionnelles avant l’adolescence, en lien vraisemblablement avec la maturation
des lobes frontaux. Les travaux d’imagerie cérébrale structurale (encadré 41, p. 267) apportent
une dimension nouvelle en permettant de préciser les trajectoires développementales de la
substance grise et de la substance blanche. Cette maturation se poursuit tardivement, pendant
l’adolescence et au-delà. Au moins pour la substance grise, les études s’accordent sur une
évolution non linéaire avec un profil de développement différent selon la région considérée. Ces
travaux, associés à ceux d’imagerie fonctionnelle, devraient nous aider à comprendre les liens
entre développement cérébral et développement cognitif. De plus, l’implication de différents
paramètres physiologiques, comme les modifications hormonales et neurochimiques, tout
particulièrement au cours de l’adolescence, donne lieu actuellement à de nombreux travaux.
Il s’agit d’un secteur en plein essor qui devrait connaître de multiples applications.
La perception visuelle et l’orientation de l’attention dans l’espace visuel jouent un rôle fonda-
mental dans le développement cognitif. Cette place, en comparaison de celle reconnue au
langage, n’a été prise en compte qu’assez récemment. Les liens entre les difficultés de perception
visuelle ou les troubles de l’attention visuospatiale et le risque de retard scolaire ou la survenue
de véritables difficultés d’apprentissage de la lecture sont pourtant maintenant établis (pour
revue, Vilayphonh et al., 2009). Cette équipe est à l’origine de la première batterie d’évalua-
tion de la cognition visuelle chez le jeune enfant. Elle comprend principalement des tests de
poursuite visuelle, de mémoire visuelle des formes et des lettres, des épreuves classiques de
barrages, de figures enchevêtrées et de bissection de ligne, et une évaluation du traitement
visuel de scènes (histoires en images). L’outil permet de dépister différents troubles neurovisuels
(d’origine neurologique et non périphérique, auquel cas on parle de trouble ophtalmologique)
287
Manuel de neuropsychologie
288
La neuropsychologie de l’enfant ■ Chapitre 4
Même si la maturation du cortex frontal est particulièrement tardive, une atteinte précoce
peut occasionner un dysfonctionnement exécutif. Ces troubles sont étudiés dans le contexte de
lésions consécutives à un traumatisme crânien, en lien avec l’épilepsie ou encore dans le trouble
déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité. Trois catégories de difficultés cognitives
sont distinguées, selon les modèles de référence pour le fonctionnement exécutif : les difficultés
de planification, de flexibilité mentale et d’inhibition.
Les outils d’évaluation de ces trois composantes majeures du fonctionnement exécutif sont
principalement des adaptations des tests mis au point pour l’adulte (pour revue, Roy, 2015).
L’inhibition est évaluée avec le test de Stroop et ses variantes, ainsi que les tâches de go/no
go, la résolution de problèmes et la planification, avec la figure de Rey et la Tour de Londres,
et la flexibilité cognitive au moyen du Wisconsin Card Sorting Test et du Trail Making Test.
Des progrès ont permis des évaluations plus écologiques. La BADS-children (Emslie et al.,
2003) a été élaborée pour solliciter ces différentes composantes des fonctions exécutives dans
des situations qui miment celles de la vie quotidienne de l’enfant et en privilégiant l’aspect
ludique. Dans le test du ZOO issu de la BADS-C (validation en cours par Allain et collabora-
teurs pour les 7-16 ans), l’enfant doit tracer un trajet sur un plan de zoo dans le but de visiter
six lieux sur les douze possibles en respectant des règles (restrictions sur le nombre de fois
que certains chemins peuvent être empruntés et points de départ et d’arrivée déterminés).
L’enfant doit prévoir l’ordre dans lequel il va se rendre dans les différents lieux pour limiter les
erreurs. L’inventaire de la BRIEF (Behavioral Rating Inventory of Executive Function ; version
française Roy et al., 2013) est un questionnaire destiné aux parents qui procure une mesure
du fonctionnement exécutif d’enfants et adolescents âgés de 5 à 18 ans dans les contextes
quotidiens de l’école ou de la maison.
2.4 Le calcul
La dyscalculie développementale (ou « trouble spécifique des apprentissages avec déficit
de calcul », selon le DSM-5) se définit comme un trouble de l’apprentissage de l’arithmétique
(calcul et traitement des nombres ; chap. 3, section 3 et encadré 26, p. 157) qui apparaît chez
un enfant ayant une intelligence normale et qui a bénéficié d’une scolarité appropriée ainsi que
d’un contexte social équilibré, sans trouble sensoriel pouvant expliquer le trouble d’acquisi-
tion. Environ 5 % des enfants d’âge scolaire souffriraient d’un tel trouble développemental de
l’apprentissage de l’arithmétique (Lussier et al. (2017) retiennent comme « valide », en dépit
des différences de critères entre études, un taux de prévalence de 3 à 5 %).
On rencontre une dyscalculie développementale, associée ou non à d’autres troubles cognitifs
(du langage, du traitement de l’espace, de l’attention…), dans différentes pathologies d’ori-
gine génétique comme le syndrome de Williams, le syndrome de l’X fragile ou le syndrome
de Turner (infra). S’il existe certainement des facteurs environnementaux, l’implication des
289
Manuel de neuropsychologie
facteurs génétiques est soulignée par le fait que si un des jumeaux d’une paire homozygote
est affecté, l’autre l’est dans environ 70 % des cas (Dehaene et al., 2004). Selon l’équipe de
Dehaene, le déficit primaire serait une perturbation de la perception des nombres, en lien avec
un développement anormal du lobe pariétal (chap. 3, section 3 pour l’implication de la région
pariétale dans le calcul).
La Batterie pour l’évaluation du traitement des nombres et du calcul chez l’enfant de von
Aster (Zareki-R : Dellatolas et von Aster, 2006, pour la version française) est un outil de dépis-
tage conçu à partir de la batterie adulte EC301 et donc en référence à une approche cognitive
du calcul et de ses troubles (chap. 3, « Les acalculies »). L’objectif est d’établir un « profil mathé-
matique » chez l’enfant de 6 à 11 ans et demi. Un ensemble d’épreuves permet de couvrir tout le
champ de la capacité à utiliser les nombres et à effectuer des calculs élémentaires : dénombre-
ment, comptage oral, dictée et lecture de nombres, calcul mental, positionnement de nombres
sur une échelle, mémorisation et répétition orale de chiffres, comparaison de deux nombres
à l’oral et à l’écrit, estimation de quantités, problèmes arithmétiques présentés oralement.
290
La neuropsychologie de l’enfant ■ Chapitre 4
Encadré 45
La dyspraxie développementale (Orianne Costini, Arnaud Roy et Didier Le Gall)
La dyspraxie est un trouble neurodéveloppe- mais est référencée comme « handicap » par
mental qui entrave l’exécution et l’automati- la maison départementale des personnes
sation des gestes volontaires. La dyspraxie handicapées (circulaire interministérielle du
ne possède pas de statut propre au sein des 31 janvier 2002).
manuels diagnostiques classiquement utilisés,
INCLUSION EXCLUSION
§ Trouble durable de la § Troubles moteurs ou sensoriels
conceptualisation, de la planification, élémentaires
et de la coordination volontaire § Déficience intellectuelle
− des séquences de mouvements qui § Troubles de la relation ou
sont nécessaires pour réaliser une communication
action nouvelle, orientée vers un
§ Affection médicale générale (IMC,
but précis,
lésion cérébrale, ...)
− et qui permettent une interaction
adéquate avec l’environnement. § Carences pédagogiques
Trouble constructif dans une copie de la Figure de Rey par un enfant de 9 ans
diagnostiqué « dyspraxique » et ne présentant pas de perturbation des gnosies visuelles
et spatiales ni de trouble exécutif par ailleurs.
291
Manuel de neuropsychologie
Le trouble d’acquisition de la coordination la coordination motrice importants. La concep-
(ou TAC) est défini selon les critères diagnos- tion du TAC demeure toutefois problématique
tiques du DSM-IV (tableau 1). Une conférence de de par sa dimension athéorique, le manque
consensus internationale en 1994 (pour revue, d’opérationnalisation des critères diagnos-
Costini et al., 2013) préconise l’adoption de ce tiques, et l’absence de notion de durabilité
terme pour décrire les enfants avec troubles de des troubles.
Tableau 1 – Critères diagnostiques du trouble d’acquisition
de la coordination selon le DSM-IV
A. Les performances dans les activités de la vie quotidienne nécessitant une bonne cooordination
motrice sont nettement au-dessous du niveau escompté compte tenu de l’âge chronologique
du sujet et de son niveau intellectuel.
B. Interférence significative avec la réussite scolaire ou les activités de vie courante.
C. La perturbation n’est pas due à une affection médicale générale et ne répond pas aux critères
de Trouble Envahissant du Développement.
D. S’il existe un retard mental, les difficultés motrices dépassent celles habituellement associées
à celui-ci.
Repose sur les « gestes » = ensemble de mouvements Repose sur le « mouvement » = sous la commande
permettant la réalisation d’un projet moteur finalisé motrice des muscles, pré-câblée génétiquement
(avec ou sans signification)
Apprentissage explicite avec engrammation cérébrale Maturation naturelle des systèmes sensori-moteurs (via
stimulation, entrainement)
= inscription cérébrale d’une pré-organisation de
l’action (spécifiquement humain ; dimension culturelle) Niveau 1 : motricité pré-câblée et capacités
antigravitaires
Maturation dans l’ensemble des activités de la vie Coordination motrice fonctionnelle vers 4 ans
quotidienne et scolaire vers 11 ans
292
La neuropsychologie de l’enfant ■ Chapitre 4
3.1 L’épilepsie
L’épilepsie recouvre plusieurs formes mais qui ont toutes un même mécanisme sous-jacent,
qu’elles soient associées ou non à des lésions structurales : une anomalie du fonctionnement
d’une population de neurones (décharge épileptique) provoque une crise épileptique (quelque-
fois cette décharge épileptique n’est objectivée qu’à l’électroencéphalographie sans traduction
dans le comportement). Dans la moitié des cas, l’épilepsie apparaît avant l’âge de 12 ans, avec
une incidence qui va en diminuant avec l’âge. On distingue classiquement trois principales
formes d’épilepsie chez l’enfant (pour revue, Poncelet et al., 2009) :
• l’épilepsie symptomatique, qui se définit par la présence de lésions mises en évidence par la
neuro-imagerie (accident vasculaire cérébral, tumeur, dysplasie corticale…) ;
• la forme cryptogénique, où une lésion peut être suspectée sur la base de la présence de
troubles cognitifs et autres manifestations cliniques mais n’est pas objectivée ;
• l’épilepsie idiopathique, qui concerne plus d’un tiers des épilepsies de l’enfant puis disparaît
à l’adolescence, serait d’origine génétique. En fait, cette catégorie d’épilepsie sans cause
identifiable renvoie elle-même à plusieurs formes : épilepsie-absence, partielle-idiopathique,
syndrome Pointes Ondes Continues (POCS) et syndrome de Landau-Kleffner.
Les troubles cognitifs les plus fréquents intéressent la mémoire, comme nous l’avons exposé
plus haut dans la section consacrée au développement mnésique, et le langage. Concernant les
troubles du langage, ils sont au cœur du tableau du syndrome de Landau-Kleffner. Il s’agit d’une
aphasie acquise en lien avec l’épilepsie : les difficultés sévères de compréhension du langage dans
la modalité auditive, qui vont retentir sur l’ensemble de la communication verbale, contrastent
avec un développement intellectuel normal dans la sphère non verbale et sont associées avec
une épilepsie dans la plupart des cas.
Le traitement de l’épilepsie chez l’enfant est souvent chirurgical : il s’agit de prévenir les
conséquences délétères de l’activité épileptique fréquente et sévère sur le développement
cérébral et cognitif. À ces risques s’ajoutent ceux liés aux médicaments anti-épileptiques eux-
mêmes. Dans les épilepsies focales il est en effet possible de supprimer par la chirurgie le
tissu-foyer d’origine de l’épilepsie ou bien d’empêcher la propagation de la décharge épileptique
à l’hémisphère sain en ôtant l’hémisphère siège de la lésion (hémisphérectomie) ou en l’isolant
de l’hémisphère sain (commissurotomie ; chap. 3, section 7).
293
Manuel de neuropsychologie
294
La neuropsychologie de l’enfant ■ Chapitre 4
le niveau intellectuel et le degré d’autonomie atteints par ces personnes. Il faut donc parler de
« spectre de l’autisme », plutôt que d’autisme, et distinguer 5 sous-types qui selon l’auteur relè-
veraient d’une continuité : autisme de bas niveau, autisme de haut niveau, syndrome d’Asperger,
autisme savant et enfin « trouble envahissant du développement non spécifié ». Aucune classifi-
cation n’est consensuelle et le DSM-5 ne distingue plus l’autisme de haut niveau du syndrome
d’Asperger.
Un échantillon d’une centaine d’adolescents autistes a fait l’objet d’une analyse approfondie
des forces et faiblesses sur le plan cognitif (Charman et al., 2011). La batterie couvre six grands
domaines cognitifs : théorie de l’esprit, traitement des visages/émotions, fonctionnement
exécutif, traitement perceptif, mémoire et attention, et « cohérence centrale » (c’est-à-dire les
capacités de synthèse perceptive). Les auteurs soulignent sur la base de la littérature et de leurs
propres résultats que plusieurs idées couramment admises doivent être revues à la lumière
des travaux des 20 dernières années, qui ont conduit à reconnaître l’hétérogénéité étiologique,
comportementale et cognitive. Environ 50 % de ces personnes (et pas 75 %) ont une déficience
intellectuelle au sens d’un QI ≤ 70. Les scores s’étendent dans leur échantillon de 50 à 130 (une
efficience intellectuelle inférieure à 50 rend impossible l’évaluation cognitive telle que prévue).
Non seulement le profil de supériorité du quotient intellectuel verbal (QIV) sur le quotient
intellectuel de performance (QIP) n’est pas retrouvé mais c’est plutôt l’équilibre qui est la règle
générale. Les auteurs critiquent aussi la démarche qui consiste à exclure les comorbidités alors
que celles-ci font partie du syndrome ; elles concernent en effet une personne sur trois. L’étude
conclut que « les troubles du spectre autistique sont rencontrés aussi bien chez des individus
ayant un QI faible qu’élevé, sont associés avec des profils d’habiletés cognitives très variés, diffi-
ciles à caractériser, et peuvent aussi être associés à un développement langagier retardé » (p. 13).
Ces publications majeures et les travaux récents mettent en exergue l’apport important
des outils théoriques et méthodologiques de la neuropsychologie cognitive, avec ceux de la
psychologie du développement. Il s’agit de comprendre ce qu’est l’autisme bien sûr, et aussi de
contribuer à établir les évaluations du fonctionnement cognitif qui permettront de cibler les
remédiations les plus appropriées. De plus, l’évaluation cognitive détaillée (et pas seulement la
mesure de l’efficience intellectuelle globale) pourrait améliorer la démarche diagnostique. Le
diagnostic repose en effet actuellement sur le recueil d’informations comportementales et ayant
trait au développement de l’individu ; les mesures cognitives sont moins susceptibles d’être
influencées par des facteurs situationnels – comment l’enfant se sent ce jour-là, et comment
il se comporte dans un scénario social particulier – et sont beaucoup plus faciles à coter et
objectives que l’observation du comportement de l’enfant (Charman et al., 2011). En effet,
certaines revues ou méta-analyses récentes permettent aujourd’hui de préciser les profils de
perturbation cognitive dans l’autisme, concernant par exemple les fonctions exécutives (Lai et
al., 2017), la mémoire de travail (Y. Wang et al., 2017) ou encore la mémoire autobiographique
(Wantzen et al., 2016) et la théorie de l’esprit (Wantzen et al., 2018).
Les particularités des traitements perceptifs, notamment dans la modalité visuelle, sont
maintenant au centre de la neuropsychologie des TSA (voir la contribution de l’étude du
comportement oculomoteur, encadré 46, p. 296).
295
Manuel de neuropsychologie
Encadré 46
Exemple d’application de l’oculométrie (eye-tracking) dans l’étude des stratégies
d’encodage en mémoire épisodique dans les TSA (Bérengère Guillery-Girard)
Cette technique permet d’étudier les proces- plus éloignés. Cela montre que les participants
sus perceptifs et leur impact sur la cognition. avec TSA parcourent l’image de manière plus
Elle est particulièrement pertinente dans atypique que les contrôles. Par ailleurs, plus
l’autisme qui se caractérise par une percep- le coefficient autistique est élevé, plus le par-
tion atypique. En effet, la 5e version du DSM ticipant parcourt l’image de manière différente
inclut les particularités du traitement perceptif par rapport au groupe.
comme un nouveau critère diagnostique qui Nous avons ensuite analysé les données d’ex-
jouerait un rôle dans le phénotype comporte- ploration oculaire lors de l’encodage en relation
mental et cognitif autistique. La majorité des avec les performances mnésiques recueillies
travaux utilisant l’oculométrie dans l’autisme lors de la phase de reconnaissance. Il existe
ont été réalisés sur l’exploration de visages et un effet significatif du groupe sur le nombre
de scènes sociales. Nous avons étendu cette de fixations, les participants avec TSA réalisant
approche à l’étude de la mémoire (Rebillard et moins de fixations que les contrôles. Par ail-
al., 2017). Pour cela, nous avons élaboré une leurs, les participants TSA produisent moins de
tâche de mémoire épisodique afin d’identifier fixations lorsqu’ils font un jugement incorrect
l’influence des stratégies d’exploration oculaire par rapport à un jugement correct.
à l’encodage sur les performances mnésiques
Ce travail démontre donc que les personnes
évaluées ultérieurement lors d’une tâche de
avec TSA ont des stratégies d’exploration beau-
reconnaissance.
coup plus hétérogènes que leurs pairs ayant
Cette étude porte sur 88 participants (66 un développement typique et que cette hété-
contrôles et 22 sujets TSA, âge moyen 18,44 rogénéité est liée à la sévérité de leurs symp-
+/– 4,05 ans). L’épreuve de mémoire compre- tômes. De manière générale, ils ont un nombre
nait deux phases : une phase d’encodage et de fixations oculaires inférieur aux contrôles,
une phase de reconnaissance (figure 1) pen- ce qui est encore plus marqué pour les items
dant lesquelles les fixations oculaires ont qui ne seront pas ultérieurement reconnus.
été enregistrées (figure 2). Une analyse mul- Aussi, cette étude montre tout l’intérêt d’uti-
tidimensionnelle du parcours visuel des par- liser l’oculométrie pour évaluer les liens entre
ticipants a permis de projeter l’ensemble des perception et cognition. Dans le cas présent,
participants dans un espace à plusieurs dimen- la fixation doit être considérée comme un mar-
sions. La figure 3 montre cette projection dans queur de la qualité de l’encodage en mémoire
un espace à deux dimensions : les contrôles épisodique.
apparaissent au centre alors que les TSA sont
296
La neuropsychologie de l’enfant ■ Chapitre 4
297
Manuel de neuropsychologie
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La neuropsychologie de l’enfant ■ Chapitre 4
299
Manuel de neuropsychologie
dans les syndromes génétiques. Les épreuves ont été conçues de façon à fournir les éléments
indispensables à la mise en place d’une rééducation ou d’une remédiation (pédagogie adaptée ;
encadré 42, p. 273), en permettant notamment de délimiter les capacités préservées et pertur-
bées chez l’enfant pour chaque grand domaine : langage, mémoire et apprentissage, attention
et fonctions exécutives, sensorimotricité et traitements visuospatiaux. La Nepsy-II (Korkman
et al., 2012) étend d’une part l’évaluation à la perception sociale, et d’autre part la tranche d’âge,
à l’âge de 16 ans et 11 mois (pour revue, Guillery-Girard et al., 2018, dans Roy et al., 2018).
La référence aux modèles à double voie de la lecture et de l’écriture (encadré 7, p. 57) pour
établir le profil cognitif de l’enfant dyslexique est insatisfaisante, car ce sont des modèles du
système cognitif du lecteur expert et ils ne rendent pas compte de l’ontogenèse des processus
en jeu. Ce recours aux modèles neuropsychologiques de l’état mature est cependant jugé le
plus approprié car ils sont plus précis que les modèles développementaux en ce qui concerne
les différentes composantes cognitives.
Ce manque de références théoriques pertinentes pose particulièrement problème lorsqu’une
rééducation doit être entreprise. La première étape de « diagnostic cognitif » (chap. 7) doit
permettre de déterminer pour chaque enfant l’origine des difficultés d’apprentissage de la
lecture et/ou de l’écriture. Il est maintenant admis qu’il existe plusieurs formes de dyslexies
développementales, avec des déficits cognitifs sous-jacents différents, et qu’un traitement
unique applicable à tous les cas n’existe pas (Valdois et al., 2004). L’évaluation initiale doit
donc guider le choix de la méthode rééducative la plus appropriée à chaque cas.
300
La neuropsychologie de l’enfant ■ Chapitre 4
celles fondées sur l’évaluation de l’adulte, et d’autre part un même déficit primaire n’entraînera
pas les mêmes troubles chez l’enfant et chez l’adulte.
Un déficit primaire peut retarder l’acquisition d’autres mécanismes cognitifs. Il est impor-
tant de pouvoir distinguer un retard d’apprentissage et une déviance due à un déficit cognitif.
L’approche habituelle considère que l’on a affaire à un simple retard d’acquisition lorsque l’en-
fant obtient des performances similaires à celles d’un enfant normo-lecteur plus jeune, tandis
qu’on parlera de déviance si les performances se distinguent clairement de celles d’enfants plus
jeunes et ne correspondent à aucun profil développemental normal.
Sylviane Valdois relève les limites de cette définition et propose de parler de retard en cas de
développement lent, le suivi devant montrer alors que les difficultés s’atténuent avec le temps,
et de réserver le terme de déviance aux cas de handicaps à long terme.
1. http://www.cognisciences.com/accueil/outils/article/odedys-version-2.
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Manuel de neuropsychologie
302
La neuropsychologie de l’enfant ■ Chapitre 4
303
Chapitre 5
La neuropsychologie
de l’adulte âgé
Sommaire
1. Modifications cognitives ................................................................................... 307
2. Modèles explicatifs du déclin des performances cognitives dans le vieillissement
normal .............................................................................................................. 323
3. Variabilité interindividuelle et réserve cognitive.............................................. 325
4. Les études d’imagerie cérébrale chez le sujet sain âgé .................................... 329
Pendant des décennies, les travaux portant sur la cognition chez les sujets âgés ont insisté
sur le déclin des capacités cognitives, et surtout mnésiques, trouvant un écho dans les plaintes
spontanées des sujets âgés et dans les craintes suscitées par la médiatisation de la maladie
d’Alzheimer. Les études plus récentes ont cependant montré que le vieillissement était carac-
térisé par une double variabilité : entre les individus et selon les diverses fonctions cognitives
étudiées. Cette variabilité se manifeste y compris dans le domaine de la mémoire : la mémoire
épisodique est la plus sensible aux effets délétères du vieillissement, la mémoire de travail l’est
à un degré moindre, alors que la mémoire procédurale, la mémoire sémantique et la mémoire
perceptive sont relativement préservées.
L’objet de ce chapitre est de décrire le fonctionnement des différents systèmes de mémoire
au cours du vieillissement, puis celui d’autres fonctions cognitives, comme le langage et les
fonctions exécutives. Ensuite, nous détaillerons les deux principales approches qui cherchent
à rendre compte des effets de l’âge sur la cognition : l’approche globale et l’approche neuropsy-
chologique. Un autre thème, qui donne lieu à de nombreux débats, concerne les facteurs qui
pourraient optimiser le fonctionnement cognitif au cours du vieillissement. Dans ce cadre, nous
définirons les concepts de réserve cognitive et de vieillissement « réussi ». Nous terminerons
par les études d’imagerie cérébrale réalisées chez le sujet âgé et leur apport à la compréhension
du vieillissement cognitif.
1. Modifications cognitives
1.1 Mémoire épisodique
Selon la conception des niveaux de traitement proposée par Craik et Lockhart en 1972, la
persistance de la trace mnésique est fonction de la profondeur de traitement, les niveaux de
traitement profond étant associés à des traces mnésiques plus élaborées et plus résistantes
dans le temps. Or les sujets âgés ont des difficultés à utiliser spontanément des stratégies de
traitement sémantique au moment de l’encodage. Ceci a été démontré dans des études qui
demandent aux participants de mémoriser des séries de mots appartenant à différentes caté-
gories sémantiques, les mots étant présentés dans le désordre. Les sujets jeunes regroupent les
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
mots par catégorie sémantique dès le premier rappel, tandis que les sujets âgés le font moins
spontanément. En outre, les tests de reconnaissance avec distracteurs sémantiques entraînent
plus de fausses reconnaissances chez les sujets âgés que chez les jeunes, ce qui pourrait provenir
d’un encodage insuffisamment précis et distinctif. L’encodage chez les sujets âgés se ferait à un
niveau relativement global, leur permettant de rejeter des distracteurs non liés sémantiquement,
alors que la possibilité de discriminer correctement des items proches sémantiquement exige
un encodage plus élaboré et plus coûteux en ressources attentionnelles.
Toutefois, des aides fournies par l’expérimentateur lors de l’encodage permettraient de
réduire, voire d’éliminer, les différences liées à l’âge. La compensation serait d’autant plus
307
Manuel de neuropsychologie
efficace que la consigne demande explicitement un traitement sémantique (par exemple, faire
une phrase avec le mot ou donner un synonyme). Cependant l’effet délétère de l’âge sur la
récupération d’informations encodées après un traitement profond pourrait persister chez les
sujets les plus âgés, comme le suggèrent les études ayant inclus un groupe d’âge intermédiaire en
plus des sujets jeunes et âgés classiquement comparés. Par exemple, dans l’étude de Kalpouzos
et al. (2009b), les sujets d’âge intermédiaire profitent des aides et obtiennent des performances
équivalentes à celles des jeunes, alors que si les plus âgés améliorent leurs performances,
celles-ci restent inférieures à celles des autres groupes. Outre les difficultés à mettre en œuvre
spontanément des stratégies de traitement sémantique des items à mémoriser, des différences
de stratégies d’encodage en fonction de l’âge ont parfois été mises en évidence. Par exemple,
si l’on autorise les sujets à répéter l’apprentissage autant de fois qu’ils le jugent nécessaire, on
observe que les sujets âgés font moins d’essais que les jeunes, ce qui suggère une mauvaise
évaluation de leurs capacités mnésiques (ou métamémoire). Ce concept recouvre les connais-
sances que l’on possède sur la mémoire en général et sur le fonctionnement de notre propre
mémoire en particulier (Perrotin et Isingrini, 2016). Enfin l’hypothèse d’un déficit d’encodage
du contexte a été proposée pour expliquer le déclin mnésique lié à l’âge : les sujets jeunes
encodent les items cibles et les informations associées à ces items (la voix de l’examinateur, la
couleur de l’encre, ou le graphisme selon le mode de présentation, orale ou écrite), de façon
automatique et ils pourront ensuite s’appuyer sur ces éléments qui forment le contexte pour
récupérer les items cibles. Les sujets âgés, quant à eux, éprouvent des difficultés à encoder ces
informations contextuelles et ne peuvent pas s’en servir comme indices de récupération. En
réalité, les sujets âgés ont des difficultés à restituer non seulement les informations cibles mais
encore plus le contexte dans lequel elles étaient présentées.
Le stockage, ou maintien des informations en mémoire, est possible grâce à la consolidation
de l’information encodée. Les capacités de stockage peuvent être évaluées en calculant un
taux d’oubli entre deux sessions de récupération d’informations. Cette phase de stockage est
moins étudiée que l’encodage et la récupération, considérés comme plus sensibles aux effets de
l’âge. Les études portant sur le stockage ne montrent généralement pas de différence de taux
d’oubli en fonction de l’âge lorsque le délai est court, ce qui correspond à la situation habituelle
d’évaluation de la mémoire. En revanche, à partir d’un délai d’environ 24 heures, les informa-
tions encodées en mémoire sont oubliées plus rapidement chez les sujets âgés que chez les
sujets jeunes. Par ailleurs, de nombreuses études ont montré l’importance du sommeil dans la
consolidation des informations épisodiques, particulièrement le sommeil lent profond, même
si le sommeil paradoxal intervient également dans ce processus, en favorisant la consolidation
des aspects spatiaux du souvenir et des détails contextuels. Or, le vieillissement s’accom-
pagne de modifications importantes du sommeil, notamment une réduction du sommeil lent
profond, ce qui pourrait contribuer à diminuer l’efficacité des processus de consolidation chez
les sujets âgés. En effet, des auteurs ont montré que plus la nuit est occupée par du sommeil
lent profond, plus les performances de rappel le lendemain sont élevées. Cette étude a été la
première à démontrer l’existence chez le sujet âgé de troubles de la consolidation mnésique
liés à la réduction du sommeil lent profond (pour revue, Malle et al., 2015).
308
La neuropsychologie de l’adulte âgé ■ Chapitre 5
En situation de récupération, les diminutions de performances chez les sujets âgés par
rapport aux jeunes varient selon les modes de rappel. De façon générale, la diminution est
d’autant plus importante que le support environnemental est faible, c’est-à-dire que le sujet
dispose de peu d’aide externe et qu’il doit s’appuyer sur des processus auto-initiés. Ainsi, la
situation de rappel libre est celle qui entraîne le plus de difficultés chez les sujets âgés, alors
qu’en reconnaissance, leurs performances sont souvent équivalentes à celles des jeunes.
C’est l’argument principal invoqué pour appuyer l’idée de déclin des mécanismes de récupé-
ration. Cette interprétation est cependant à considérer avec précaution. En effet, la complexité
de ces deux types de tâches est souvent inégale, la reconnaissance étant généralement plus
facile que le rappel libre et suscitant souvent des effets « plafond » chez les sujets jeunes, qui
peuvent masquer des différences entre les groupes. Quelques auteurs ont tenté de résoudre
ce problème en égalisant la difficulté des deux types de tâches (par exemple en introduisant
un délai uniquement pour la tâche de reconnaissance) et ils ont retrouvé une absence d’effet
de l’âge sur les performances en reconnaissance. Toutefois des différences de performances
peuvent être observées dans certaines conditions, par exemple si l’on prend en compte le
nombre de fausses reconnaissances (les sujets âgés ont tendance à reconnaître, à tort, des items
non présentés, surtout s’ils sont proches des items cibles) ou au-delà d’un certain âge (environ
70 ans). De plus, ce profil de performances (rappel libre perturbé et reconnaissance préservée)
pourrait provenir d’un encodage insuffisant, avec une trace mnésique trop peu distinctive pour
être réactivée lors du rappel libre, mais suffisante pour la reconnaissance.
En effet, la récupération peut s’appuyer soit sur des processus automatiques, soit sur des
processus contrôlés. Dans le premier cas, elle aboutit à un sentiment de familiarité, suffisant
dans la situation de reconnaissance, contrairement au rappel libre. Il s’agit d’une récupéra-
tion de l’information mais non de son contexte spatio-temporel. Le sujet « sait » que l’item
faisait partie de la liste d’étude ou qu’il connaît l’information mais il ne peut fournir les détails
du contexte d’acquisition. Au contraire, lorsque le sujet peut récupérer l’information et son
contexte, il a le sentiment de « se souvenir » et pas seulement de « savoir ». Cette distinction
entre les deux types de récupération est très importante pour pouvoir déterminer la cause
d’un déclin mnésique. Elle peut se faire à l’aide du paradigme Remember/Know, initialement
proposé par Tulving, qui permet d’étudier la conscience associée à la récupération de l’infor-
mation. Avec ce paradigme, le sujet est invité à déterminer lui-même s’il se souvient vraiment
de l’item ou s’il sait simplement qu’il faisait partie de la liste. Les réponses « je me souviens »
relèvent de la mémoire épisodique (reconstruction consciente de l’événement) tandis que les
réponses « je sais » relèvent plutôt de la mémoire sémantique (sentiment de familiarité). Dans
le vieillissement normal, les réponses « je me souviens » diminuent avec l’âge, contrairement
aux réponses « je sais », qui sont soit stables, soit en augmentation avec l’âge, permettant ainsi
de compenser la diminution des premières. Ainsi, les effets de l’âge affectent les processus de
récupération contrôlée, mais non les processus de récupération plus automatiques, fondés sur
le sentiment de familiarité.
L’étude de la mémoire autobiographique épisodique, lorsqu’elle porte sur plusieurs périodes
de vie, montre une supériorité des performances pour la période la plus récente, c’est-à-dire un
309
Manuel de neuropsychologie
effet de récence qui infirme la loi de Ribot selon laquelle ce sont les souvenirs anciens qui sont les
mieux rappelés. En outre, on retrouve chez tous les sujets l’amnésie de l’enfance (pratiquement
pas de souvenirs avant l’âge de 6 ans), le pic de réminiscence pour les souvenirs encodés dans la
période 20-30 ans (très nombreux souvenirs vivaces de premières expériences) et la « fonction
de rétention », traduisant un déclin des souvenirs pour les années précédant la période de l’effet
de récence. Si cette distribution temporelle se retrouve chez tous les individus, la comparaison
de sujets d’âge différent montre que le nombre de souvenirs strictement épisodiques diminue
avec l’âge. De plus, les sujets âgés ont besoin de plus d’indices et d’incitations pour parvenir
à l’évocation d’un souvenir spécifique et fournissent moins de détails phénoménologiques que les
sujets jeunes. La diminution du nombre de souvenirs épisodiques est compensée par des rappels
plus ou moins génériques, possibles du fait de la préservation de la composante sémantique de
la mémoire autobiographique. Ceci, ajouté à la persistance de certains souvenirs strictement
épisodiques, assure aux sujets les plus âgés un sentiment de continuité et d’identité normal.
La mémoire prospective permet de se souvenir des activités à effectuer, participant ainsi
au « voyage dans le futur », l’une des dimensions de la mémoire épisodique. Les données de la
littérature sur les effets de l’âge sur cette mémoire ne sont pas parfaitement consensuelles, avec
des résultats divergents selon que l’évaluation se déroule en laboratoire ou en milieu naturel, et
que les tâches soient de type time-based ou event-based. Ainsi, en milieu naturel, les personnes
âgées ont tendance à obtenir des performances équivalentes, voire supérieures à celles des sujets
jeunes, contrairement à l’évaluation avec des tâches expérimentales, qui mettent en évidence
des effets délétères de l’âge. Ce résultat n’est pas parfaitement compris, mais il pourrait être dû
à des différences de motivation ou de stratégies entre les groupes, les sujets âgés utilisant davan-
tage d’aides externes en milieu naturel que les jeunes. Par ailleurs, les épreuves de laboratoire
montrent des différences selon la tâche employée. En effet, classiquement, les tâches de type
time-based (récupération fondée sur l’estimation et le contrôle du temps) montrent un effet
délétère de l’âge sur la mémoire prospective alors que les tâches event-based (quand un indice
externe, un événement, induit la récupération) rapportent des effets de l’âge moins importants.
Ces résultats sont en accord avec le fait que les premières sont plus coûteuses en ressources
attentionnelles et en processus auto-initiés que les secondes, où l’événement déclencheur peut
être assimilé à un indice qui facilite la récupération du souvenir que quelque chose doit être fait,
même si ce qui doit être fait reste à déterminer (Lecouvey et al., 2015a et 2015b).
Cependant, de rares études ont montré le résultat inverse, c’est-à-dire un effet de l’âge plus
prononcé sur les tâches event-based (par exemple Gonneaud et al., 2011). En outre, des disso-
ciations ont été observées au sein de ces épreuves, selon la complexité de la tâche en cours, les
effets de l’âge étant plus marqués lorsque cette tâche est complexe que lorsqu’elle est simple.
De plus, l’existence ou non d’un lien entre l’indice et l’action à réaliser (exemple « acheter un
carnet de timbres à la poste » versus « acheter des lunettes à la fontaine ») détermine aussi des
effets différents. De plus, on parle d’indice focal quand la tâche en cours et la tâche prospec-
tive font appel à des processus similaires (par exemple signaler les personnes se prénommant
Paul lors d’une dénomination de visages célèbres). Le terme d’indice non focal correspond,
310
La neuropsychologie de l’adulte âgé ■ Chapitre 5
à l’inverse, aux situations dans lesquelles tâche en cours et tâche prospective requièrent des
processus cognitifs différents (par exemple signaler les visages ayant des lunettes lors d’une
dénomination de visages célèbres). Lorsque l’indice est non focal, l’effet de l’âge en mémoire
prospective est plus fort que lorsqu’il est focal, probablement du fait de l’implication plus
importante des fonctions exécutives dans ce cas. En effet, des liens ont été mis en évidence
entre la mémoire prospective et le fonctionnement exécutif, la mémoire de travail, la vitesse
de traitement et la mémoire épisodique rétrospective, le poids et la nature de ces différentes
fonctions étant différents selon les paradigmes de mémoire prospective (encadré 47).
Encadré 47
Influence des fonctions exécutives sur le déclin cognitif lié à l’âge
Le vieillissement normal s’accompagne d’un condition basée sur un événement, ils devaient
déclin des fonctions exécutives et le cortex appuyer sur une touche spécifique lorsqu’ils
préfrontal, l’une des régions qui sous-tendent voyaient des nombres supérieurs à 100 et pour
ces fonctions, est sensible aux effets de l’âge. la condition basée sur le temps, ils devaient
L’hypothèse exécutivo-frontale postule que ces appuyer sur une touche spécifique toutes les
atteintes ont des répercussions sur le déclin 3 minutes. Par ailleurs, différentes fonctions
d’autres fonctions cognitives, telles la mémoire cognitives étaient évaluées (mémoire épiso-
épisodique, la mémoire prospective et la théo- dique, fonctions exécutives, attention, mémoire
rie de l’esprit. de travail…). Les résultats montrent un effet
Dans l’étude de Gonneaud et al. (2011), la délétère du vieillissement sur la mémoire pros-
mémoire prospective a été examinée chez pective, cet effet étant plus marqué lorsque la
72 sujets sains âgés de 18 à 84 ans répartis récupération est basée sur un événement que
en 3 groupes (jeunes, intermédiaires et âgés). lorsqu’elle est basée sur le temps (figure 1). En
Les sujets étaient impliqués dans une tâche de réalité, cet effet semble indirect et s’explique
calcul mental (ou tâche en cours) et devaient par l’implication de processus exécutifs, qui
effectuer en parallèle une action supplémen- sont distincts en fonction du type de tâche
taire, soit à l’apparition d’un indice/événe- (binding ou capacité d’association en mémoire
ment (event-based), soit en fonction d’une de travail dans le premier cas et inhibition dans
durée (time-based). Plus précisément, pour la le second ; figure 2).
311
Manuel de neuropsychologie
312
La neuropsychologie de l’adulte âgé ■ Chapitre 5
Figure 2 – Effets de l’âge sur les performances aux épreuves de mémoire prospective :
analyses de médiation. Les chiffres indiquent les valeurs des corrélations (* : p < 0,05 ; ** :
p < 0,01 ; *** : p < 0,001). Les lignes en pointillés indiquent les corrélations entre l’âge
et les performances de mémoire prospective, après contrôle de l’influence
des autres fonctions cognitives : elles ne sont plus significatives,
ce qui montre bien que cet effet est indirect.
Dans le domaine de la théorie de l’esprit, Duval des yeux adapté de Baron-Cohen et al. (1997).
et al. (2011a) ont évalué, chez 70 sujets sains Les résultats de cette étude ont révélé un effet
âgés entre 21 et 83 ans, la théorie de l’esprit significatif de l’âge sur les deux dimensions
cognitive, à l’aide du test d’attribution d’inten- (figure 3), ainsi que sur les autres fonctions
tions de Brunet et al. (2000) et d’un test origi- cognitives évaluées (les fonctions exécutives
nal de fausses croyances (encadré 40, p. 259), et la mémoire épisodique).
et la théorie de l’esprit affective, avec le test
Figure 3 – Effet significatif de l’âge sur les performances aux épreuves de théorie
de l’esprit cognitive (fausses croyances) et affective (test des yeux).
313
Manuel de neuropsychologie
Figure 4 – Effets de l’âge sur les performances à l’épreuve des fausses croyances :
analyses de médiation. Les chiffres indiquent les valeurs des corrélations (* : p < 0,05 ;
** : p < 0,01 ; *** : p < 0,001). Les lignes en pointillés indiquent les corrélations entre
l’âge et les performances de théorie de l’esprit, après contrôle de l’influence des autres
fonctions cognitives : dans le cas des fausses croyances de premier ordre, elles ne sont plus
significatives (en haut) et dans le cas des fausses croyances de second ordre, elles le restent.
314
La neuropsychologie de l’adulte âgé ■ Chapitre 5
Cependant, l’effet direct de l’âge n’est mis en Un autre exemple de la façon dont les chan-
évidence que sur la théorie de l’esprit cognitive gements liés à l’âge dans le contrôle exécutif
de 2e ordre, et un effet indirect, médié par les influencent les effets du vieillissement sur la
fonctions exécutives, a été mis en évidence cognition concerne le raisonnement arithmé-
sur la théorie de l’esprit cognitive de 1er ordre tique (pour revue, Hinault et Lemaire, 2016). En
(figure 4). Aucun effet direct de l’âge n’a été effet, quand elles accomplissent des tâches
observé sur la théorie de l’esprit affective. de résolution de problèmes arithmétiques, les
Dans l’ensemble, cette étude atteste d’un personnes âgées utilisent moins de stratégies
impact négatif de l’âge sur la théorie de l’esprit que les jeunes adultes et ne sélectionnent pas
et montre que cet effet s’explique en grande les stratégies les plus pertinentes. Ces modi-
partie par les effets de l’âge observés sur les fications sont en lien avec la diminution des
fonctions exécutives. performances d’inhibition, de flexibilité cogni-
tive et de mémoire de travail.
315
Manuel de neuropsychologie
316
La neuropsychologie de l’adulte âgé ■ Chapitre 5
auparavant (relativement à des dessins nouveaux). Quelques études ont rapporté un déclin, et
l’une des hypothèses proposées pour expliquer ce résultat est que les sujets, lors de la phase de
test (en présence des dessins dégradés), se rendraient compte que le matériel a déjà été traité lors
de la phase d’étude (dessins entiers) et s’engageraient dans des stratégies de rappel volontaire,
impliquant donc la mémoire épisodique, ce qui favorise les sujets jeunes. Quand des précau-
tions sont prises pour réduire au maximum la participation de cette mémoire, notamment
en administrant les épreuves d’amorçage avant toute tâche qui pourrait évoquer une activité
mnésique et en choisissant des consignes qui orientent vers un traitement non mnésique (par
exemple, « dites-moi si ces dessins sont orientés vers la droite ou vers la gauche »), les scores des
sujets les plus âgés sont comparables à ceux des jeunes. Des effets de l’âge pourraient cependant
apparaître s’il existe un délai entre la phase d’encodage et la phase de test. Quoi qu’il en soit,
lorsqu’un effet de l’âge est mis en évidence sur l’amplitude de l’amorçage, cet effet est minime
par rapport à celui qui affecte la mémoire épisodique.
317
Manuel de neuropsychologie
été utilisées pour évaluer la mémoire procédurale. Dans une étude où l’on mesurait le temps de
lecture de mots inversés et de mots dégradés présentés brièvement, les performances des sujets
âgés étaient inférieures à celles de sujets jeunes, mais, là aussi, les conditions expérimentales
influent sur les résultats de l’étude : les différences entre les groupes disparaissaient lorsque
des informations perceptives supplémentaires étaient fournies aux sujets âgés. La nécessité
d’opérer des traitements perceptifs complexes pourrait donc expliquer les difficultés des sujets
âgés à effectuer certains apprentissages procéduraux. Enfin, l’acquisition de procédures cogni-
tives a été évaluée à l’aide de différentes versions de l’épreuve de la tour de Hanoï (encadré 37,
p. 229). Des effets de l’âge ont été rapportés avec une version complexe de cinq disques qui
met en jeu la mémoire de travail et les fonctions exécutives, dont l’affaiblissement avec l’âge
interfère avec l’acquisition de la procédure. Avec des versions plus simples, il n’y a plus d’effet
significatif de l’âge sur l’amélioration des performances avec la pratique.
Beaunieux et al. (2009) ont cherché à mieux comprendre la dynamique de l’apprentis-
sage procédural et la participation d’autres composantes cognitives à la mise en place de la
procédure chez des sujets d’âges différents. La mémoire déclarative, la mémoire de travail et
les capacités perceptives et psychomotrices étaient évaluées en parallèle avec les capacités
à résoudre le problème de la tour de Hanoï. Il n’existait pas d’effet de l’âge sur l’amélioration
des performances au fil des essais, mais il existait une différence en termes de temps mis
à résoudre le problème et de nombre de mouvements nécessaires avant d’arriver à la solution,
au détriment des sujets âgés. De plus, ceux-ci présentaient un ralentissement de la dynamique
de l’apprentissage, parvenant plus tard que les jeunes à la « phase procédurale » qui signe
l’automatisation de la procédure et constitue la dernière étape de l’apprentissage. Au terme des
sessions d’apprentissage, les sujets âgés semblaient encore se situer dans la phase dite cognitive
de l’apprentissage procédural, nécessitant le recours à la mémoire déclarative et à la mémoire
de travail, alors que les sujets jeunes avaient automatisé la procédure.
En résumé, les divergences de la littérature concernant les effets de l’âge sur la mémoire
procédurale proviennent essentiellement des tâches utilisées, de leur niveau de complexité ou
de la mise en jeu de composantes cognitives non procédurales. Ces composantes interviennent
surtout au début de l’apprentissage, jusqu’à ce que la procédure soit automatisée, ce qui néces-
site en général de très nombreux essais, plus nombreux que les essais pratiqués dans les études
classiques sur l’apprentissage procédural. Les effets de l’âge se manifestent donc lors de l’ap-
prentissage des procédures, et ce d’autant plus qu’elles impliquent d’autres processus cognitifs,
phase qu’il faut bien distinguer de la mémoire procédurale, qui elle, résiste aux effets de l’âge.
318
La neuropsychologie de l’adulte âgé ■ Chapitre 5
319
Manuel de neuropsychologie
1.7 Langage
La plupart des études portant sur le déclin du langage dans le vieillissement normal
comparent des sujets d’âges très différents parfois séparés de plusieurs décennies ; il est donc
difficile de déterminer avec précision le début d’un éventuel déclin. Cependant, il n’existe
pas d’altération majeure du langage liée au vieillissement et le déclin, modeste, affecte essen-
tiellement les capacités de production alors que les capacités de compréhension sont plutôt
préservées (Abrams et Farell, 2010). Une revue récente (Deschamps et al., dans Pinto et Sato,
2016) suggère que le vieillissement s’accompagne de modifications de la voix, de la percep-
tion de la parole (notamment dans le bruit) et de sa production (augmentation des erreurs
articulatoires). Enfin, tandis que certains auteurs concluent à la préservation du traitement
320
La neuropsychologie de l’adulte âgé ■ Chapitre 5
syntaxique, d’autres montrent une altération, en lien avec le déclin de la mémoire de travail.
Les aspects lexicaux et sémantiques sont, en revanche, préservés.
Dans le domaine de la production, le manque du mot, l’incapacité à produire le bon mot
au bon moment, « l’avoir sur le bout de la langue » sont des expériences dont la survenue
s’accroît avec l’âge. Ce phénomène est interprété comme un échec de l’encodage phonologique
secondaire au défaut d’activation de la représentation phonologique d’un mot correctement
sélectionné. Il affecte surtout les mots de basse fréquence et plus particulièrement les noms
propres. L’hypothèse du défaut d’activation de la représentation phonologique est étayée par
les différences entre sujets jeunes et âgés concernant les mots qui font défaut : difficultés pour
les sujets âgés à fournir le nombre de syllabes, la première et la dernière lettre, production
d’un mot inapproprié. Trouver la première syllabe, ou fournir une série de mots phonologi-
quement proches, est un moyen habituel de résolution du manque du mot mais ce mécanisme
facilitateur devient moins efficace au-delà de 80 ans. La dénomination d’images est moins
précise et moins rapide chez les sujets âgés mais cet effet ne se manifeste guère avant 70 ans.
Il reflète également la difficulté à accéder à la représentation phonologique du mot. Il existe
une grande variation interindividuelle dépendant de la richesse du stock lexico-sémantique
susceptible d’avantager certains individus âgés, notamment pour des items de basse fréquence,
pour lesquels ils peuvent avoir une plus grande familiarité.
Concernant la compréhension, les sujets âgés gardent d’excellentes capacités mais quelques
difficultés peuvent survenir, particulièrement lorsque la tâche nécessite la mobilisation d’un
maximum de ressources cognitives, ce qui est le cas dans des situations d’interférence : bruits
de fond ou double conversation, débit rapide, voix et accents inhabituels, contexte inattendu,
phrases longues ou de structure syntaxique complexe ou ambiguë. Des difficultés peuvent
aussi survenir pour le traitement de textes longs, lus ou entendus, où interviennent la mémoire
épisodique et la mémoire de travail : beaucoup de détails spécifiques sont omis mais la compré-
hension globale du texte est préservée. La compréhension des mots ne se modifie pas avec l’âge,
comme l’indiquent les effets d’amorçage et les performances obtenues à des tâches de décision
lexicale. Ces capacités préservées s’appuient sur la robustesse des connaissances sémantiques
et leur accroissement est possible même à un âge très avancé.
Dans le domaine de l’écriture, les sujets âgés se plaignent habituellement d’hésitations
concernant l’orthographe. Cette plainte est corroborée par le constat d’un déclin de l’ortho-
graphe. En revanche les performances des sujets âgés sont équivalentes à celles des sujets
jeunes dans des tâches de détection de fautes d’épellation ou d’orthographe. On retrouve ainsi
la dichotomie entre préservation des mécanismes de perception et atteinte des processus de
production. Ces résultats méritent néanmoins d’être nuancés car des différences entre sujets
jeunes et âgés ne sont mises en évidence que pour les individus de faible niveau orthographique,
les sujets âgés de bon niveau gardant des performances orthographiques équivalentes à celles
des jeunes. Par ailleurs, l’écriture sous dictée de phrases comportant un homophone dont
l’orthographe est déterminée par le contexte montre que les sujets âgés commettent moins
d’erreurs que les jeunes. Parallèlement, pour l’écriture spontanée d’un homophone présenté
321
Manuel de neuropsychologie
seul, les sujets âgés privilégient l’écriture du mot le plus couramment employé au détriment de
l’autre moins fréquent mais de forme orthographique canonique et inversement chez les sujets
jeunes, ce qui souligne encore une fois la solidité et le rôle prépondérant des représentations
sémantiques chez les sujets âgés.
En conclusion, le langage peut être considéré comme une fonction peu affectée par les effets
du vieillissement mais son exploration doit tenir compte du niveau socioculturel. Au total, en
dépit de quelques difficultés de production, les sujets âgés sont considérés comme meilleurs
narrateurs et meilleurs lecteurs que les sujets jeunes (Abrams et Farell, 2010) : récits plus inté-
ressants, plus vivants, structures narratives plus complexes, débit moins rapide, prosodie plus
marquée. Il faut souligner la solidité du système lexico-sémantique, stock lexical et connais-
sances sémantiques pouvant s’enrichir tout au long de la vie. Les processus phonologiques et
orthographiques sont en revanche plus fragiles, ce qui explique l’accroissement avec l’âge du
manque du mot, des lapsus et des fautes d’orthographe. Mais il s’agit davantage de difficultés
d’accès que d’une dégradation des représentations phonologiques et orthographiques, ce qui
peut s’expliquer par le déclin d’autres fonctions cognitives, particulièrement les processus
dépendant des fonctions exécutives : vitesse de traitement des informations, mémoire de travail,
processus d’inhibition.
322
La neuropsychologie de l’adulte âgé ■ Chapitre 5
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Manuel de neuropsychologie
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La neuropsychologie de l’adulte âgé ■ Chapitre 5
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Manuel de neuropsychologie
l’effet de l’âge sur l’apprentissage d’une liste de mots et sur la capacité d’inhiber les mauvaises
réponses est plus important lorsque le niveau scolaire est faible. Plusieurs auteurs ont montré
que des sujets en bonne santé, de bon niveau culturel, actifs sur le plan intellectuel et bien
intégrés socialement avaient plus de chances d’échapper à la détérioration intellectuelle et au
déclin de la mémoire.
Ceci rejoint le concept de réserve cognitive, proposé par Stern il y a une quinzaine d’années,
dont on s’accorde à reconnaître l’impact sur le fonctionnement cognitif des sujets, mais qui
est difficile à appréhender, et plus encore à mesurer (pour revue, Kalpouzos et al., 2008). La
réserve cognitive est définie comme la capacité d’un individu (âgé dans ce cas) à optimiser ses
performances en recrutant le même réseau cérébral que les sujets jeunes, mais de façon accrue
ou bien en recrutant un réseau différent, reflétant le recours à des stratégies cognitives alter-
natives. Deux types de réserve ont été distingués : la réserve statique, ou réserve cérébrale, qui
dépend de la quantité de neurones et connexions disponibles ainsi que de facteurs génétiques,
et la réserve dynamique, que l’individu se constitue lui-même au cours de sa vie, sous l’influence
de son niveau socioculturel, de son insertion sociale et de ses activités quotidiennes. Les prin-
cipales variables utilisées aujourd’hui pour estimer la réserve cognitive d’un individu sont son
niveau d’étude, sa situation sociale, ses occupations ou loisirs. D’autres facteurs sont parfois
pris en compte comme le quotient intellectuel, le niveau de dépression, et des mesures relatives
à la santé physique de l’individu. De plus, des facteurs génétiques, par exemple la présence de
l’allèle e4 du gène codant l’apolipoprotéine (facteur de risque de la maladie d’Alzheimer), sont
considérés comme des facteurs importants dans la réserve cognitive. Si le niveau d’éducation est
un élément déterminant dans la construction de la réserve cognitive, d’autres variables jouent
un rôle tout au long de la vie et peuvent avoir un effet protecteur contre le déclin cognitif lié
à l’âge ou l’apparition des symptômes cognitifs liés à la maladie d’Alzheimer (Boller et Belleville,
2016). Les recherches en épidémiologie ont montré que plusieurs facteurs constituants de la
réserve cognitive sont modifiables et peuvent ainsi jouer un rôle dans la prévention du déclin
cognitif : l’activité physique, l’alimentation, l’obésité, le diabète, l’hypertension artérielle, les
déficits sensoriels, les loisirs, l’environnement social et l’éducation (pour revue, Amieva, 2018).
Le sexe peut également influencer les modifications mnésiques liées à l’âge. Les plaintes
concernant les fonctions cognitives et, plus particulièrement, la mémoire, augmentent de façon
significative chez les femmes au moment de la ménopause. Cet effet du sexe sur le fonctionne-
ment cognitif, et plus particulièrement sur la mémoire, au cours du vieillissement, a été observé
et parfois interprété comme la conséquence de la diminution des œstrogènes à cette période
de la vie. Ainsi, une étude réalisée en 2003, par Kramer et collaborateurs rapporte qu’avant
50 ans, la mémoire épisodique verbale décline avec l’âge chez les hommes mais pas chez les
femmes alors que les sujets plus âgés présentent un déclin quel que soit leur sexe. Certaines
études ont montré des performances mnésiques plus basses chez des femmes ménopausées
que chez des femmes non ménopausées. Les différences sont toutefois peu importantes et n’ont
pas systématiquement été retrouvées. Ainsi, l’étude longitudinale Betula réalisée en Suède
a montré un avantage pour les femmes dans le domaine de la mémoire épisodique verbale et
326
La neuropsychologie de l’adulte âgé ■ Chapitre 5
de la fluence sémantique, tandis que les hommes se révélaient plus performants dans des tâches
visuospatiales, mais ces différences étaient stables sur une période de dix ans et identiques
dans tous les groupes d’âge.
Parallèlement, des études se sont attachées à étudier l’effet de traitements hormono-
substitutifs sur la cognition. Les résultats sont controversés. Toutefois, de façon intéressante, les
études ayant observé un effet bénéfique du traitement hormono-substitutif sur la cognition sont
celles qui ont utilisé une évaluation de la mémoire alors que la plupart des études ne rapportant
pas d’effet bénéfique ne l’avaient pas évaluée. Des études longitudinales ont également rapporté
une amélioration des fonctions cognitives globales, et plus particulièrement de la mémoire après
traitement hormono-substitutif, mais elles concernaient un nombre assez restreint de sujets.
À l’inverse, un essai clinique réalisé aux États-Unis chez plus de 4 500 femmes âgées de 65 ans
et plus (Women’s Health Initiative Memory Study : WHIMS) n’a pas mis en évidence d’effet des
œstrogènes sur les fonctions cognitives par rapport au placebo. Cependant, dans cette étude,
comme dans d’autres n’ayant pas observé d’effet, le traitement était administré par voie orale,
tandis que les études ayant montré un effet bénéfique des œstrogènes sur la cognition ont
utilisé des traitements administrés par voie transdermale ou intramusculaire. De plus, dans
l’étude WHIMS, les femmes étaient âgées de 65 à 79 ans, donc un nombre important d’entre
elles présentaient des risques de maladies cardiovasculaires et cérébrovasculaires ayant pu
altérer leurs performances cognitives indépendamment de leur statut hormonal. Les données
concernant les effets du traitement chez les femmes au moment de la ménopause et en bonne
santé sont encore insuffisantes. Les traitements hormono-substitutifs pourraient avoir un
effet protecteur, pour autant qu’ils soient administrés à des femmes jeunes et en bonne santé ;
ils pourraient au contraire entraîner des effets délétères chez des femmes âgées. Cette idée
s’accorde avec celle de l’existence d’une période critique : un traitement à base d’œstrogènes
serait bénéfique pour les femmes au moment de la ménopause, mais ceci reste l’objet de débats.
Enfin, le type de matériel utilisé peut influencer les performances des sujets, non seulement
sa connotation affective (supra), mais aussi le fait qu’il s’agisse de stimuli verbaux ou visuospa-
tiaux. La comparaison des effets de l’âge sur la mémoire verbale et la mémoire visuelle a parfois
montré des diminutions de performances plus importantes dans le domaine visuospatial,
conduisant à l’hypothèse d’une plus grande sensibilité au vieillissement de l’hémisphère droit
(right hemi-aging). En réalité, ces résultats proviennent vraisemblablement d’une différence
non contrôlée entre du matériel verbal acquis de longue date et donc plus résistant aux effets
de l’âge et du matériel visuospatial, plus récemment acquis et donc plus fragile. Les études
qui contrôlent ce facteur concluent plutôt à une absence de différence dans l’évolution des
performances avec l’âge. Par ailleurs, cette hypothèse n’est pas non plus étayée par les données
de l’imagerie cérébrale.
La compréhension des effets de l’âge sur la mémoire nécessite par conséquent une approche
multifactorielle où différentes variables doivent être prises en compte à la fois. L’âge exerce une
influence négative sur certains systèmes de mémoire, et cette influence dépend non seulement
du type de test mais aussi d’autres variables individuelles que l’âge. Enfin, si la diminution
327
Manuel de neuropsychologie
avec l’âge de certaines performances ne fait pas de doute, il est nécessaire de comprendre les
mécanismes de facilitation ou de compensation (notamment l’importance du support environ-
nemental et des connaissances préalables). Le fait de percevoir sa propre mémoire comme une
fonction que l’on peut contrôler est considéré, depuis les travaux de Margie Lachman et ses
collaborateurs, comme un prédicteur de meilleur vieillissement de la mémoire (un individu qui
pense qu’il est possible d’améliorer sa mémoire serait enclin à des comportements favorables
à un maintien en bonne santé, ou bien utiliserait des stratégies cognitives efficaces lui permet-
tant de maintenir ses performances, des comportements qui au total favorisent le maintien
des capacités mnésiques avec l’avancée en âge). Les recherches ont effectivement établi que
les personnes qui ont de plus fortes perceptions de contrôle obtiennent de meilleures perfor-
mances à des tests de mémoire épisodique rétro- et prospective que ceux avec de plus faibles
perceptions de contrôle, et que ceci serait soutenu par l’utilisation de stratégies plus efficaces
(par exemple dans une tâche de mémoire prospective, surveiller le temps qui passe). Toutefois,
l’âge ne semble pas moduler la relation entre contrôle perçu et performance mnésique, en ce
qu’une perception forte de contrôle sur le fonctionnement est liée à une meilleure efficience
– dans une même mesure – à tous les âges de la vie (pour revue, Maggio et al., 2018).
La notion de « vieillissement réussi » est volontiers employée pour qualifier ce qui se passe
chez les personnes âgées dont le fonctionnement cognitif est remarquablement préservé. Ce
terme semble avoir été proposé en 1961 et repris en 1987 par Rowe et Kahn, qui l’ont opposé
au vieillissement habituel ou normal, et au vieillissement pathologique (pour revue, Martineau
et Plard, 2018). Cependant, ce que recouvre ce terme demeure imprécis et on trouve beaucoup
d’autres termes dans la littérature sur ce sujet (optimal, heureux, sain, productif, hautement
fonctionnel…) qui reflètent bien ce flou conceptuel. Malgré cela, la notion de vieillissement
réussi suscite beaucoup d’intérêt dans la communauté des chercheurs ainsi que dans la société
en général. Les études des facteurs prédictifs d’un tel vieillissement, réalisées à partir de grands
échantillons de sujets, ont souligné l’importance du niveau d’éducation, de la bonne santé, d’une
nutrition de bonne qualité, de l’exercice physique (Audiffren et al., 2011) et intellectuel et du
maintien des liens sociaux. Les informations collectées dans le cadre de l’enquête internationale
SHARE (Survey on Health, Ageing and Retirement in Europe) ont montré que le fait de rester
en activité, ainsi que la pratique d’une activité non professionnelle ou d’activités physiques
sont favorables à la constitution de la réserve cognitive (Adam et al., 2013 ; Amieva, 2018).
Des chercheurs s’intéressent aussi à l’effet de l’entraînement cognitif et de l’activité physique
sur les performances cognitives de sujets sains âgés (pour revue, Bherer, 2015). Les résultats
des études d’entraînement cognitif suggèrent que malgré l’amélioration des performances
dans les tâches entraînées, les effets de transfert semblent limités. Les études d’intervention
sur l’exercice physique montrent généralement des améliorations significatives de la capacité
physique, dans certains domaines cognitifs et de la qualité de vie. Dans l’ensemble, les résultats
renforcent l’idée que la plasticité cognitive et cérébrale, induite par l’entraînement cognitif ou
l’activité physique, est préservée chez les sujets âgés.
328
La neuropsychologie de l’adulte âgé ■ Chapitre 5
329
Manuel de neuropsychologie
résultats de l’étude de Kalpouzos et al. (2009a) sont donc en accord avec le fait que l’encodage
est mieux préservé chez les sujets âgés que la récupération. Enfin ce résultat est très différent
de celui qui est observé dans la maladie d’Alzheimer (chap. 6, section 3). Les effets de l’âge sur
les autres structures cérébrales sont moins clairs, même si l’atteinte du néocortex pariétal est
maintenant admise, en parallèle sans doute avec l’intérêt que suscite le rôle de cette structure
dans le fonctionnement cognitif, en particulier attentionnel et mnésique.
330
La neuropsychologie de l’adulte âgé ■ Chapitre 5
Encadré 48
La mémoire prospective chez les sujets âgés : étude en IRMf
Gonneaud et al. (2017) ont réalisé une étude de Cependant, ces activations ne sont pas com-
mémoire prospective en IRMf d’activation chez pensatoires car elles ne sont pas corrélées
des sujets jeunes et âgés. La tâche comprenait aux scores de mémoire prospective. De plus,
deux conditions : une condition event-based la comparaison des conditions time-based et
et une condition time-based. Chez les sujets event-based ne fait ressortir aucune diffé-
jeunes, les analyses ont montré, d’une part, rence d’activation (figure 1). Ces résultats sont
des réseaux cérébraux communs aux deux en faveur de l’hypothèse de dédifférenciation,
tâches et, d’autre part, des réseaux spécifiques selon laquelle les personnes âgées activent
pour chaque tâche. Les sujets âgés présentent moins de réseaux spécifiques, reflétant des
les mêmes activations que les sujets jeunes, difficultés à mettre en place des mécanismes
mais aussi des activations supplémentaires. cognitifs propres à la tâche.
331
Manuel de neuropsychologie
Cabeza et ses collaborateurs (2002) ont testé ces deux hypothèses en comparant l’activité
cérébrale de sujets jeunes, de sujets âgés présentant les mêmes performances que les jeunes, et
de sujets âgés présentant des scores inférieurs à ceux des jeunes à une tâche de récupération
en mémoire épisodique. Chez les sujets jeunes, seul le cortex préfrontal droit est activé, en
accord avec le modèle HERA. Chez les sujets âgés, l’activation bilatérale s’observe uniquement
chez ceux qui ont des performances similaires à celles des jeunes, favorisant ainsi l’hypothèse
de la compensation.
En réalité, les deux hypothèses, compensation et dédifférenciation, ne sont pas exclusives
et il est possible que les modifications physiologiques du cerveau qui accompagnent le vieillis-
sement provoquent une désorganisation neurocognitive, avec diminution de la spécificité des
réseaux neuronaux et mise en jeu de réseaux supplémentaires, potentiellement efficaces. Les
processus compensatoires et les mécanismes neurocognitifs déficitaires pourraient d’ailleurs
être sous-tendus par des parties différentes du cortex frontal. En outre, le recrutement de
régions supplémentaires chez les sujets âgés n’est pas nécessairement synonyme de processus
compensatoires. Leur statut compensatoire doit être attesté par des performances cognitives
normales. Enfin, comme le souligne le modèle CRUNCH (Compensation-Related Utilization
of Neural Circuits Hypothesis ; Reuter-Lorenz et Cappell, 2008), la complexité de la tâche
doit être prise en compte pour bien comprendre ces phénomènes : l’augmentation de cette
complexité entraîne une augmentation de l’activation cérébrale qui peut être efficace, mais si
elle est trop importante, les capacités de mettre en œuvre des ressources supplémentaires se
trouvent dépassées et les performances des sujets sont faibles.
La modification des profils d’activation chez les sujets âgés comparativement aux jeunes ne
se limite pas à des activations supplémentaires du cortex frontal. En effet, une diminution des
activations corticales postérieures a également été mise en évidence et la conjonction des deux
phénomènes a conduit à l’élaboration d’un nouveau modèle, dénommé PASA, pour Posterior-
Anterior Shift in Aging (Davis et al., 2008). Les études en IRMf de Ansado et collaborateurs
(2012, 2013) indiquent que les modifications compensatoires peuvent prendre des formes
diverses et impliquer de très vastes réseaux cérébraux (encadré 49).
Encadré 49
Déploiement des mécanismes neurocognitifs adaptatifs avec l’âge
et réorganisation cérébrale (Jennyfer Ansado et Yves Joanette)
Nous proposons ici un paradigme qui permet de neurocognitifs adaptatifs qui permettent au
mieux comprendre la nature des mécanismes cerveau de faire face à l’accroissement de la
qui sous-tendent la réorganisation cérébrale demande cognitive lors du vieillissement nor-
dans le vieillissement normal. Inspiré de cer- mal, et avance des hypothèses explicatives
tains modèles (Stern, 2009 ; Reuter-Lorenz et sur le phénomène de réorganisation cérébrale
Capell, 2008), il se focalise sur les mécanismes « PASA » (Davis et al., 2008).
332
La neuropsychologie de l’adulte âgé ■ Chapitre 5
Jusqu’à récemment, le domaine du vieillisse- différemment en fonction de son efficience, de
ment était dominé par une vision uniquement sa capacité et des exigences de la tâche. Alors
défectologique, ne permettant pas une compré- que les individus jeunes recruteraient en géné-
hension fine des mécanismes à l’œuvre dans ral cette capacité pour faire face à l’accrois-
le vieillissement normal. Plus récemment, les sement de la demande cognitive, elle serait
quelques études réalisées en neuro-imagerie mise en œuvre chez les âgés dès les faibles
dans le contexte de l’attention visuelle sélec- niveaux de demande pour aider à faire face au
tive s’ajoutant à celles, plus nombreuses, vieillissement. Dans le cas de la compensation
portant sur l’ensemble de la sphère cogni- neurale, ces patrons reposeraient sur la capa-
tive, ont permis d’identifier deux phénomènes cité de certains sujets à compenser la défail-
de réorganisation cérébrale dans le vieillis- lance des réseaux habituellement requis, liée
sement normal. Le premier, situé sur l’axe au vieillissement, en sollicitant d’autres straté-
interhémisphérique, se caractérise par une gies cognitives qui reposent sur le recrutement
bi-latéralisation de l’activité cérébrale impli- d’autre(s) région(s) ou réseau(x) plus efficaces
quant le recrutement de la région homologue pour réaliser la tâche. Toutefois, aucune étude
située dans l’autre hémisphère et traduirait de n’avait exploré au sein d’une même cohorte les
la sorte une réduction de la latéralisation céré- relations entre les modes d’adaptation et la
brale fonctionnelle avec l’âge (HAROLD, Cabeza dimension sur laquelle ces mécanismes pour-
et al., 2002). Le second (PASA, Davis et al., 2008) raient s’illustrer.
se traduit par l’accroissement de l’engagement Pour remédier à cette absence nous avons
des cortex frontaux et préfrontaux illustrant élaboré un paradigme d’étude qui prend en
un renversement sur l’axe intra-hémisphérique considération conjointement ces quatre fac-
dans le sens postéro-antérieur. Toutefois, teurs (figure) et nous l’avons appliqué dans
même si l’on assiste à l’établissement d’un cer- le cadre de deux études menées en IRMf dans
tain consensus dans la littérature concernant notre laboratoire. Conformément à notre
la description de ces phénomènes de réorga- paradigme, ces deux études ont exploré au
nisation cérébrale dans le vieillissement nor- sein d’une même cohorte de participants
mal, la nature des mécanismes sur lesquels ils âgés les relations entre les mécanismes neu-
reposent reste controversée et peu comprise. raux d’adaptation (compensation neurale vs.
Le modèle de la réserve cognitive (Stern, réserve neurale) et la dimension hémisphérique
2009), qui propose deux modes d’adaptation (intra-hémisphérique vs. inter-hémisphérique)
à la complexité, celui de la réserve neurale sur laquelle ces mécanismes pourraient s’il-
et celui de la compensation neurale, offre un lustrer. Dans ces deux études, la complexité
cadre théorique qui englobe et articule ces de la tâche a été manipulée afin de forcer le
deux situations. Dans le cas de la réserve cerveau à déployer ses mécanismes adap-
neurale, le réseau neurocognitif préexistant tatifs lors d’une tâche d’appariement de
commun à tous les individus et qui sous-tend lettres impliquant particulièrement le réseau
la réalisation d’une tâche pourrait s’exprimer fronto-pariétal.
333
Manuel de neuropsychologie
Réorganisation cérébrale
Intra-hémisphérique Inter-hémisphérique
(PASA) (HAROLD)
Dans la première étude (Ansado et al., 2013), phénomène PASA et à l’hypothèse de la com-
trente-deux participants ont réalisé une tâche pensation neurale. En condition de charge éle-
d’appariement de lettres basée sur une simi- vée se déploie alors le mécanisme de réserve
litude perceptive (A-A) selon un devis événe- neurale commun aux deux groupes d’âge et
mentiel en IRMf. Cette tâche comportait deux qui s’illustre principalement par le recrutement
niveaux de charge attentionnelle. Le faible des régions pariétales. Ainsi, en engageant le
niveau comportait un dispositif de trois lettres cortex pariétal postérieur connu pour être res-
(i.e. 1 lettre cible et 2 lettres distractrices) alors ponsable du déploiement de l’attention spa-
que le niveau de charge élevé comportait tiale, l’ensemble des participants montrent une
cinq lettres au total (i.e. 1 lettre cible et 4 lettres manière commune de faire face à la difficulté
distractrices). Les résultats ont montré que les de localiser la lettre correspondant à la lettre
participants âgés recrutent plus que les jeunes cible parmi un nombre élevé de distracteurs.
les gyri frontaux supérieurs dès le faible niveau
de charge attentionnelle conformément au
334
La neuropsychologie de l’adulte âgé ■ Chapitre 5
La deuxième étude (Ansado et al., 2012) exa- de compensation neurale en engageant mas-
mine aussi les mécanismes neurocognitifs sivement les régions frontales pour faire face
adaptatifs dans le vieillissement normal selon à l’accroissement de la charge attentionnelle.
le même protocole attentionnel (niveau de Ces deux études confirment ainsi la validité
charge faible et niveau de charge élevé) que et l’intérêt de notre paradigme d’étude des
l’étude précédente mais à un niveau plus mécanismes neurocognitifs adaptatifs avec
complexe de l’attention sélective du fait qu’il l’avancée en âge puisqu’il a permis de relier,
implique une opération d’appariement basée pour la première fois dans la littérature, le
sur le nom de la lettre (i.e. appariement nomi- phénomène PASA au mécanisme de compensa-
natif, a-A). Les résultats confirment aussi la tion neurale. Ainsi, l’action compensatoire qui
présence du phénomène PASA et l’hypothèse repose sur l’engagement des régions frontales
de la compensation neurale dans le cas de apparaît comme le moyen le plus efficace de
l’appariement plus complexe. En effet, dès la faire face au vieillissement et à l’accroissement
condition de faible charge, les participants de la demande cognitive. Toutefois, la prépon-
âgés recrutent les régions frontales bilatérales dérance de l’implication du mécanisme de
pour accomplir la tâche, alors que les jeunes compensation neurale n’exclut pas le recours
recrutent exclusivement les régions bilatérales à la réserve neurale puisqu’on observe que ces
occipitales. Les résultats montrent également deux mécanismes peuvent être impliqués de
une amplification du phénomène PASA face manière concomitante face à l’accroissement
à l’accroissement de la charge attentionnelle : de la demande cognitive au sein du phénomène
les âgés recrutent alors plus les régions fron- PASA. En outre, d’autres travaux doivent être
tales et les jeunes recrutent davantage les menés selon ce paradigme pour explorer plus
régions occipitales. Ainsi, dans la situation de en détail le versant interhémisphérique des
charge attentionnelle élevée, les participants mécanismes neurocognitifs adaptatifs.
âgés sollicitent exclusivement le mécanisme
335
Manuel de neuropsychologie
jeunes (Daselaar et al., 2006). Ceci est cohérent avec le rôle de l’hippocampe dans les aspects
les plus élaborés de la mémoire épisodique ainsi qu’avec leur sensibilité aux effets de l’âge. En
revanche, l’activité d’une région voisine de l’hippocampe, le cortex rhinal, est plus intense chez
les sujets âgés que chez les jeunes, là encore en accord avec le fait que cette région sous-tend
un autre aspect de la mémoire, moins fragile, le sentiment de familiarité.
Ainsi les études d’imagerie fonctionnelle ont permis de mettre en évidence des modifications
des patterns d’activation liées à l’âge, souvent interprétées en termes de mécanismes compen-
satoires. De tels résultats suscitent un engouement compréhensible, même s’ils ne sont pas
encore parfaitement compris à l’heure actuelle.
336
La neuropsychologie de l’adulte âgé ■ Chapitre 5
capacités d’« échafaudage » (scaffolding). Les résultats de la littérature montrent cependant que
ces mécanismes compensatoires sont efficaces seulement jusqu’à un certain âge. Enfin, la notion
de réserve cognitive est déterminante dans ce domaine et explique une part importante de la
variabilité interindividuelle. Une réserve cognitive élevée chez les sujets âgés pourrait être à la
base des capacités à engager des processus de compensation neurocognitifs, mais des études
supplémentaires sont nécessaires afin de préciser les éléments favorisant cette réserve. Il est
nécessaire également de disposer d’un moyen fiable d’évaluer la réserve cognitive. À ce jour, la
plupart des travaux ont utilisé le niveau d’éducation comme indicateur, ce qui est insuffisant
pour mesurer un phénomène aussi complexe. Des facteurs comme les activités intellectuelles,
de loisir, les interactions sociales et l’exercice physique sont parfois pris en compte par le biais
de questionnaires.
Pour conclure ce chapitre, il nous paraît important de souligner que le vieillissement normal
se démarque du vieillissement pathologique, en particulier de la maladie d’Alzheimer, par un
grand nombre d’éléments. Le contraste existe sur le plan cognitif, où le déficit de la mémoire
épisodique n’est « authentique » que chez les patients Alzheimer. La différence est nette égale-
ment sur le plan cérébral, particulièrement au niveau de l’hippocampe et du cortex cingulaire
postérieur (préservés dans le vieillissement normal, altérés dans la maladie d’Alzheimer,
encadré 50, p. 330). Pourtant, il n’est pas rare de trouver encore l’idée d’un continuum entre
vieillissement normal et pathologique. Bien sûr, l’âge est le principal facteur de risque de la
maladie d’Alzheimer, mais il s’agit bien d’une maladie, dont les caractéristiques sont de mieux
en mieux connues, à défaut de son étiologie. Enfin, il ne faut pas considérer le vieillissement
comme synonyme de déclin, et il est important de mettre en lumière les capacités cognitives
qui résistent bien aux effets du temps. Dans cette perspective, il faut se garder des stéréotypes
négatifs sur le vieillissement, stéréotypes qui peuvent conduire le chercheur à rechercher plus
volontiers des effets délétères que des effets positifs, et qui peuvent également influencer
les performances obtenues par les sujets âgés lorsqu’ils sont placés dans une situation de
comparaison avec des sujets jeunes. En effet, comme le soulignent Marquet et al. (2016), « la
stigmatisation liée à l’âge (âgisme) est un phénomène répandu dans les sociétés industrielles
contemporaines dans lesquelles les personnes âgées sont spécialement perçues comme incom-
pétentes. Or ces stéréotypes peuvent conduire à surestimer les effets de l’âge sur les capacités
cognitives des personnes âgées ». Ce phénomène serait lié à la menace du stéréotype « qui appa-
raît lorsqu’une personne âgée, en situation de test, court le risque de confirmer un stéréotype
négatif vis-à-vis de son groupe d’âge ».
337
Manuel de neuropsychologie
Encadré 50
Contrastes entre vieillissement normal et maladie d’Alzheimer
338
Chapitre 6
Démences
et syndromes
démentiels
Sommaire
1. Introduction à la neuropsychologie des démences ............................................ 341
2. La maladie d’Alzheimer : maladie de la cognition .............................................. 343
3. L’imagerie cérébrale dans la maladie d’Alzheimer ............................................ 352
4. Les démences fronto-temporales ..................................................................... 363
5. Démences corticales et démences sous-corticales........................................... 371
6. L’examen neuropsychologique des patients déments ....................................... 373
1. Introduction à la neuropsychologie des démences
Le concept de démence est polysémique et il est important d’en avoir conscience, surtout
quand il est utilisé auprès de non-spécialistes. Dans le domaine médical, le terme de démence,
pris dans un sens descriptif, fait référence à un syndrome comportant une altération progres-
sive de la mémoire et de l’idéation, suffisamment marquée pour retentir sur les activités de la
vie de tous les jours, apparue depuis au moins six mois, et un trouble d’au moins une fonction
instrumentale comme le langage ou le calcul. Dans la nosographie médicale, les démences
représentent une classe d’affections de causes diverses, par exemple les démences vasculaires
ou dégénératives, la maladie d’Alzheimer étant la plus connue d’entre elles.
En revanche, dans le langage courant mais aussi juridique, le terme de démence reste syno-
nyme, comme par le passé, d’aliénation mentale (« un individu en état de démence »). Ce sens,
qui peut être celui perçu par les familles des patients, est très éloigné de la signification actuelle
du terme dans le vocabulaire scientifique et médical. De plus, même parmi les spécialistes,
qu’ils soient neurologues, psychiatres ou gériatres, les conceptions oscillent entre deux pôles qui
font référence, explicitement ou non, à deux grandes théories psychologiques de l’intelligence.
Selon la définition encore prépondérante jusqu’à il y a une trentaine d’années, la démence
était considérée comme une faillite globale des fonctions intellectuelles (en rapport avec une
atrophie cérébrale diffuse). Elle correspond actuellement à la convergence de plusieurs déficits
pouvant affecter la cognition de façon modulaire. Cette conception a conduit à l’établissement
de critères de diagnostic dans les années 1980, critères qui se sont révélés déterminants pour
mettre en place une recherche pluridisciplinaire cohérente. Celle-ci s’est organisée après la
prise de conscience du problème de santé publique qu’allaient poser, dans un proche avenir,
différentes affections pouvant conduire à un syndrome démentiel. Les critères de cette époque
tendaient à assimiler, plus ou moins implicitement, le diagnostic clinique d’une maladie (par
exemple la maladie d’Alzheimer) et le processus physiopathologique sous-jacent. De plus, le
diagnostic était effectué au stade de démence.
Les critères de diagnostic ont été reprécisés pour différentes affections (maladie d’Alzheimer,
démences fronto-temporales, etc.). Dans ces nouveaux critères (par exemple Jack et al., 2011
pour la maladie d’Alzheimer), la distinction est faite entre le processus physiopathologique
sous-jacent et le diagnostic clinique, les deux pouvant être en désaccord. Un autre élément
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
nouveau et important est l’intégration du fait que la maladie d’Alzheimer est un processus
très lent, qui se développe des années et même des décennies avant l’expression clinique de
la maladie. Trois grands stades sont ainsi définis : le stade présymptomatique, le stade symp-
tomatique prédémentiel et le stade démentiel. Ces distinctions prennent tout leur sens avec
le développement de biomarqueurs (dosages de protéines dans le liquide cérébro-spinal, et
techniques d’imagerie cérébrale comme l’imagerie par résonance magnétique, la tomographie
par émission de positons, etc.), de plus en plus à même d’apporter des éléments de diagnostic,
y compris aux stades les plus précoces de la maladie. Certes, ces critères distinguent très
soigneusement les situations de recherche (l’utilisation des biomarqueurs en neuro-imagerie
341
Manuel de neuropsychologie
342
Démences et syndromes démentiels ■ Chapitre 6
ont apporté des données novatrices en neuropsychologie avec d’importantes implications sur
l’organisation des fonctions cognitives et leurs bases cérébrales.
Diverses affections conduisant à un état démentiel ont été décrites au début du XXe siècle. À la
fin des années 1970, sans lien de cause à effet entre les deux événements, la prise de conscience
du problème de santé publique posé par les états démentiels a coïncidé avec l’essor de la neuro-
psychologie cognitive. Ses conceptions modulaires ont été appliquées à l’étude d’affections qui
semblaient, à l’époque, synonymes d’affaiblissement intellectuel global. Dans des domaines
comme la mémoire ou le langage, les modèles cognitifs ont permis de décrire les profils neuro-
psychologiques de différents états démentiels. Réciproquement, les perturbations particulières
(certains troubles de la mémoire sémantique et implicite) observées dans les affections neuro-
dégénératives et rarement rencontrées dans des pathologies par lésion focale ont permis des
avancées théoriques. Toutefois, ces approches modulaires ont délaissé, dans un premier temps,
l’analyse de certains secteurs où elles s’avéraient moins pertinentes : par exemple, les troubles
de l’humeur et de la personnalité. Aujourd’hui, ces éléments sont pris en compte, tout parti-
culièrement dans certaines formes d’affections comme les démences fronto-temporales, qui
constituent la deuxième cause de démence dégénérative primaire après la maladie d’Alzheimer.
L’approche cognitive a ainsi permis de dépasser l’acception globale du terme de démence qui
uniformise de multiples affections sans les différencier. Elle autorise une nouvelle sémiologie
adaptée à la description de diverses maladies, mais aussi à l’analyse des perturbations présentées
par un patient singulier.
La neuropsychologie du vieillissement pathologique constitue depuis une trentaine d’années
un domaine particulièrement actif de la recherche. Dans ce chapitre, nous décrirons les prin-
cipales maladies neurodégénératives en insistant sur les aspects neuropsychologiques, mais
en abordant aussi l’imagerie cérébrale, qui a beaucoup contribué à la compréhension de ces
maladies, notamment en mettant en évidence les atteintes structurales et fonctionnelles, et en
démontrant, de façon plus inattendue, des mécanismes de compensation.
343
Manuel de neuropsychologie
à un stade infra-démentiel, c’est-à-dire chez des patients avec Mild Cognitive Impairment
(MCI) ou « déficit cognitif léger ». Ces patients présentent des déficits cognitifs subtils ou isolés
pouvant évoluer pendant plusieurs années, avant que le diagnostic de maladie d’Alzheimer
puisse être établi, chez certains d’entre eux, selon les critères actuels. Même si ce concept fait
l’objet de critiques, l’étude de ces patients, notamment des patients « MCI amnésiques », qui
présentent une perte de mémoire objectivée par des performances déficitaires aux tests de
mémoire épisodique, a fait avancer les connaissances sur la maladie d’Alzheimer, en particulier
sur les marqueurs prédictifs de l’évolution vers cette maladie.
344
Démences et syndromes démentiels ■ Chapitre 6
345
Manuel de neuropsychologie
346
Démences et syndromes démentiels ■ Chapitre 6
347
Manuel de neuropsychologie
Enfin, l’acquisition et la rétention de nouvelles procédures ont été étudiées à l’aide de tâches
perceptivo-motrices et perceptivo-verbales. Les résultats des études de groupes de patients
montrent une préservation de la mémoire procédurale perceptivo-motrice mais sont plus
discutés concernant les procédures perceptivo-verbales (comme la lecture en miroir, où la
complexité de la tâche semble un déterminant important). L’apprentissage de procédures
cognitives a été très peu étudié. Les rares travaux dans ce domaine indiquent que si la mémoire
procédurale, par elle-même, n’est pas perturbée dans les premiers stades de cette maladie, la
présence de divers troubles cognitifs (mémoire épisodique, mémoire de travail, etc.) gêne les
premières phases de l’apprentissage, avant que celui-ci soit automatisé (Beaunieux et al., 2012).
En revanche, les procédures acquises de longue date, comme jouer d’un instrument de musique,
faire des puzzles ou jouer au bridge, sont relativement résistantes à la maladie.
Au total, la mémoire épisodique, la mémoire de travail et la mémoire sémantique sont
des systèmes de mémoire de haut niveau qui sont précocement perturbés dans la maladie
d’Alzheimer. En revanche, les systèmes de plus bas niveau, comme la mémoire perceptive
(qui sous-tend les effets d’amorçage perceptif) et la mémoire procédurale, qui mettent en
jeu des processus automatiques, sont plus résistants, tout du moins aux premiers stades de
l’affection. En dehors de leur intérêt scientifique, les évaluations des effets d’amorçage et de
la mémoire procédurale sont de peu d’utilité pour le diagnostic de maladie d’Alzheimer car
si des études expérimentales ont montré leur préservation dans des groupes de patients, leur
exploration en clinique se heurte à l’absence d’épreuves standardisées ainsi qu’à l’existence
d’une grande variabilité interindividuelle chez les sujets contrôles. En revanche, une telle
exploration peut se révéler pertinente pour personnaliser la prise en charge du patient et
aménager son environnement quotidien.
Les troubles de la mémoire ne sont pas l’apanage de la maladie d’Alzheimer, ni même des états
démentiels. Il est important d’en faire une analyse approfondie qui contribuera au diagnostic,
permettra d’apprécier leur sévérité et d’évaluer les capacités perturbées et préservées. Mais
cette maladie comporte d’autres troubles cognitifs, variables d’un patient à l’autre surtout au
début de l’affection, et leur examen est également déterminant à des fins de diagnostic et de
prise en charge.
348
Démences et syndromes démentiels ■ Chapitre 6
349
Manuel de neuropsychologie
de gestes corrects parmi des distracteurs peuvent être perturbées. Toutes ces perturbations
sont volontiers mises sur le compte de l’apraxie idéomotrice, qui se caractérise par l’incapacité
d’exécuter un geste sur demande, alors que le patient peut effectuer ce même geste spontané-
ment. Ce terme fait référence à une terminologie ancienne mais toujours employée. Pourtant,
les déficits de reconnaissance s’inscrivent dans le cadre de troubles du système conceptuel, tel
qu’il est défini par le modèle de Roy et Square (1985), qui distinguent système conceptuel et
système de production. Le premier fournit la représentation abstraite de l’action et le second
permet sa réalisation effective. Le système conceptuel est évalué au moyen d’épreuves de
détection de gestes corrects parmi des réalisations erronées alors que l’évaluation du système
de production invite le patient à exécuter certains gestes, le plus souvent sur imitation. Dans la
maladie d’Alzheimer, le système conceptuel est plus souvent perturbé que le système de produc-
tion. L’apraxie de l’habillage constitue également une perturbation fréquemment observée aux
stades relativement avancés de l’évolution.
L’apraxie constructive est un syndrome fréquent et souvent précoce dans la maladie
d’Alzheimer. Elle peut se manifester dans l’exécution du dessin sur ordre oral, ce qui reflète
souvent des troubles de conceptualisation (par exemple le dessin d’une horloge) ou bien prédo-
miner en copie, voire prendre la forme d’un phénomène d’accolement au modèle, ou closing-in
(encadré 51 ci-contre). Des troubles visuoconstructifs ont aussi été mis en évidence dans des
groupes de patients MCI.
Les troubles gnosiques peuvent prendre des formes diverses et affecter toutes les modalités
sensorielles. Un épisode de prosopagnosie constitue parfois un premier motif de consultation.
L’attention, en particulier visuospatiale, est souvent altérée précocement. Ces déficits
entraînent des perturbations des capacités de recherche visuelle. Celles-ci sont maintenant
étudiées au moyen de l’enregistrement des mouvements oculaires lors de la recherche d’items
simples (formes géométriques) dans des configurations assez pauvres (paradigme de recherche
visuelle classique) mais aussi de plus en plus au sein de scènes visuelles de la vie de tous les
jours et/ou lors de la réalisation d’activités de la vie quotidienne, comme se confectionner un
goûter. Dans ce dernier cas, on utilise des lunettes (ou eye-tracking-glasses : encadré 16, p. 94)
qui filment et la scène visuelle et les yeux du sujet. Cette approche (section 4.1) présente une
forte validité écologique et facilite la traduction des résultats de la recherche en interventions
visant à préserver l’autonomie du patient (pour revue, Ramzaoui et al., sous presse).
350
202 MANUEL DE NEUROPSYCHOLOGIE
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Manuel de neuropsychologie
352
Démences et syndromes démentiels ■ Chapitre 6
Encadré 52
Analyse en neuro-imagerie morphologique : application à l’étude de l’atrophie
dans la maladie d’Alzheimer (Gaël Chételat)
Les études ayant utilisé la technique VBM pour antérieur, du gyrus fusiforme, du thalamus et
quantifier l’atrophie de la substance grise dans de l’hypothalamus.
la maladie d’Alzheimer confirment l’existence Cette approche VBM a également été utili-
d’une atrophie majeure et prédominante de sée chez des patients MCI (Mild Cognitive
la région temporale interne (ou région hippo- Impairment), qui présentent des déficits iso-
campique, incluant l’hippocampe, l’amygdale, lés de la mémoire épisodique sans atteinte
et le gyrus para-hippocampique), rapportée des autres fonctions cognitives, et dont le
précédemment de façon systématique avec risque de développer la maladie d’Alzheimer
l’approche des régions d’intérêt. De plus, les est plus important que celui de la population
auteurs décrivent pour la première fois le pro- âgée saine. Même si tous les patients MCI ne
fil d’atrophie dans le reste du cerveau, souli- développent pas la maladie, l’étude de cette
gnant notamment l’implication du néocortex population de patients est un moyen intéres-
temporal, du cortex cingulaire postérieur et du sant et particulièrement porteur pour étudier le
précunéus adjacent, des régions temporopa- stade pré-démentiel de la maladie. Ces études
riétale et périsylvienne, de l’insula, du noyau ont permis de mettre en avant la similitude
caudé et du thalamus (par exemple Baron et al., entre le profil d’atrophie observé dans la mala-
2001). Une atrophie est parfois rapportée, mais die d’Alzheimer et celui mis en évidence chez
de façon moins marquée, au niveau du cortex des patients MCI (figure ci-après).
préfrontal, du putamen, du cortex cingulaire
353
Manuel de neuropsychologie
Profils d’atrophie chez les patients MCI par rapport à des témoins appariés,
et chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer par rapport aux patients MCI
(d’après Chételat et al., 2002).
354
Démences et syndromes démentiels ■ Chapitre 6
Encadré 53
Neuro-imagerie fonctionnelle dans la maladie d’Alzheimer :
hypométabolisme et corrélations cognitivo-métaboliques
L’utilisation de la tomographie par émission limitées à la région hippocampique, région
de positons (TEP) au repos dans la maladie impliquée dans le fonctionnement normal de
d’Alzheimer permet de quantifier les modifica- la mémoire et cible privilégiée des dégéné-
tions fonctionnelles dues à la perte neuronale rescences neurofibrillaires dans la maladie
ou à des dysfonctionnements synaptiques. débutante (figure 2, haut). Pour le groupe de
Ces modifications touchent essentiellement le patients obtenant les scores les plus bas au
cortex temporopariétal et le gyrus cingulaire MMS (figure 2, bas), les corrélations sont très
postérieur (figure 1). différentes et concernent le néocortex tempo-
L’approche des corrélations cognitivo- ral gauche, région impliquée dans le fonctionne-
métaboliques permet de mieux comprendre les ment de la mémoire sémantique. Ces résultats
troubles cognitifs et les mécanismes compen- suggèrent qu’au début de la maladie, le fonc-
satoires qui surviennent dans cette pathologie, tionnement de l’hippocampe, bien qu’altéré,
en identifiant les régions cérébrales respon- sous-tendrait les performances mnésiques
sables de ces phénomènes. Ainsi, nous avons résiduelles, alors qu’ensuite, d’autres aires
examiné l’effet de la sévérité de la démence seraient recrutées pour tenter de compenser
en ciblant notre travail sur l’évaluation de la la progression des lésions hippocampiques.
mémoire épisodique, qui est le système mné- Nos résultats confirment donc le rôle clé des
sique le plus perturbé. Au total, 40 patients, lésions hippocampiques dans la survenue des
répartis en deux sous-groupes de 20 patients troubles précoces de la mémoire épisodique
chacun, établis selon le score obtenu au MMS, dans la maladie d’Alzheimer. Ils renseignent
ont été étudiés. Les corrélations entre les également sur la nature des mécanismes
scores recueillis à un test classique de rappel compensatoires permettant aux patients plus
d’histoire et les valeurs métaboliques ont été atteints de fournir une réponse à un test clas-
calculées à l’aide du logiciel SPM (Statistical sique de mémoire épisodique. Ces mécanismes
Parametric Mapping), permettant de prendre semblent reposer en partie sur les structures
en compte l’ensemble du cerveau. dévolues à la mémoire sémantique.
Pour le groupe de patients les moins atteints
sur le plan cognitif, les corrélations sont
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Manuel de neuropsychologie
356
Démences et syndromes démentiels ■ Chapitre 6
357
Manuel de neuropsychologie
l’existence de liens entre les anomalies de chacune de ces deux structures et le cingulum, fais-
ceau de substance blanche qui les connecte. En outre, ces liens suggèrent des relations de cause
à effet, puisque l’atrophie hippocampique initiale est reliée au degré d’évolution de l’atrophie
du cingulum au cours du suivi de 18 mois, et que l’atrophie initiale du cingulum est elle-même
reliée au degré d’évolution du métabolisme au sein du cortex cingulaire postérieur (pour revue,
Villain et al., 2010). Quant à la relative préservation du fonctionnement de la région hippo-
campique, elle pourrait résulter d’une compensation fonctionnelle liée à la plasticité élevée
de cette région. Cette idée trouve un certain support dans les travaux d’imagerie cérébrale en
activation avec des tâches de mémoire épisodique : les patients MCI présentent souvent des
activations hippocampiques plus importantes que les sujets sains (infra). Les auteurs inter-
prètent ces activations accrues comme une réponse compensatoire à la survenue de la maladie.
Du fait de la perte importante de neurones et de synapses, l’activité des neurones restants serait
augmentée, expliquant ainsi la préservation relative des mesures fonctionnelles effectuées
dans l’hippocampe à ce stade précoce de la maladie. Si la nature exacte de ce phénomène reste
à déterminer, sa découverte a engendré non seulement de nouvelles recherches, mais aussi
l’espoir que cette plasticité cérébrale serait mise à profit pour élaborer des thérapeutiques
à même de lutter contre le processus dégénératif.
358
Démences et syndromes démentiels ■ Chapitre 6
facteurs méthodologiques qu’aux critères de recrutement des sujets, l’âge et l’allèle APOE4 étant
les facteurs les plus influents. Plusieurs études ont montré le caractère prédictif de la charge
amyloïde sur l’évolution clinique ultérieure des sujets sains et des patients MCI, mais on ne
peut affirmer, aujourd’hui, que tous les individus ayant un profil amyloïde-positif ont ou auront
une maladie d’Alzheimer. En outre, la mise en évidence d’un tel résultat chez un sujet sain,
par exemple dans le cadre d’un protocole de recherche, soulève des questions d’ordre éthique,
dont le chercheur doit tenir compte, en distinguant bien la recherche de l’évaluation clinique.
Encadré 54
Imagerie multimodale dans la maladie d’Alzheimer
L’utilisation conjointe de différentes tech- l’hippocampe, l’atrophie est majeure tandis que
niques d’imagerie (IRM, TEP avec le FDG ou le l’hypométabolisme est modéré et les dépôts
Florbetapir) permet de comparer la topographie Aβ ne sont pas détectés. Au contraire, dans
des différentes anomalies cérébrales qu’elles le cortex préfrontal, les dépôts Aβ sont parti-
révèlent : respectivement atrophie, hypométa- culièrement importants alors que l’atrophie et
bolisme et dépôts β-amyloïdes (ou Aβ). l’hypométabolisme le sont moins. Ces discor-
Certaines régions présentent ces trois types dances semblent indiquer que la présence de
d’anomalies : c’est le cas dans le cortex temporo- dépôts Aβ dans une région cérébrale n’est ni
pariétal, le cortex cingulaire postérieur et le nécessaire, ni suffisante pour provoquer une
précunéus. En revanche, dans d’autres régions, atteinte de la structure ou du fonctionnement
il existe des discordances dans la topographie du cerveau.
de ces anomalies cérébrales. Notamment, dans
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Manuel de neuropsychologie
361
Manuel de neuropsychologie
Un autre résultat émerge des études d’activation : une augmentation des activations chez les
patients par rapport aux sujets sains âgés, principalement dans le cortex frontal. Ce résultat
a d’emblée été considéré comme un support potentiel des mécanismes compensatoires. Cette
idée était plausible, d’une part parce que le cortex frontal est atteint plus tardivement que
le cortex associatif postérieur dans cette maladie et, d’autre part, parce que cette région est
impliquée dans la mise en œuvre des ressources attentionnelles et des fonctions exécutives,
qui seraient davantage sollicitées chez les patients que chez les sujets âgés sains pour effec-
tuer la même tâche. Dans les premières études, les « mécanismes compensatoires » étaient
postulés mais leur efficacité n’était pas établie. Quelques études ont conforté cette hypothèse
en montrant, d’une part, une corrélation négative entre le volume hippocampique et l’activité
corticale au sein du lobe frontal (moins l’hippocampe est gros et plus l’activité frontale est forte)
et, d’autre part, des corrélations positives entre les activations frontales et les performances
mnésiques (plus les activations sont élevées, meilleures sont les performances). L’imagerie
fonctionnelle permet donc de montrer qu’en dépit d’atteintes structurales majeures, les patients
recrutent des réseaux supplémentaires qui, à défaut de compenser les performances défi-
cientes, témoignent d’une plasticité et une adaptation cérébrales longtemps ignorées dans les
pathologies neurodégénératives. Concernant la mémoire épisodique, au stade précoce de la
maladie (MCI), la région hippocampique semble être le siège de modifications fonctionnelles
compensatoires, tandis qu’à un stade plus avancé, les mécanismes compensatoires seraient
pris en charge par des régions néocorticales, principalement frontales, parfois pariétales. Ceci
suggère que les mécanismes compensatoires seraient sous-tendus par des régions appropriées
à un stade très précoce de la maladie, mais par d’autres régions lorsque les patients présentent
des troubles répondant aux critères de maladie d’Alzheimer.
362
Démences et syndromes démentiels ■ Chapitre 6
Cependant, compte tenu des contraintes expérimentales imposées par de tels protocoles, il
est, à l’heure actuelle, difficile d’imaginer leur faisabilité en routine. C’est donc l’utilisation de
l’imagerie morphologique en IRM qui reste la plus facile à mettre en œuvre. Sa contribution
devrait s’intensifier avec l’automatisation de techniques de traitement d’image permettant de
quantifier l’atrophie cérébrale dans des régions jouant un rôle crucial dans la survenue des
troubles cognitifs. Parmi les autres méthodes, l’imagerie amyloïde grâce à la TEP pourrait
jouer un rôle important sur le plan clinique, en particulier en cas de diagnostic difficile, ou
pour les cas de formes jeunes de démence, même si le coût et la disponibilité de cette tech-
nique en limiteront l’usage.
363
Manuel de neuropsychologie
la démence sémantique et l’aphasie primaire progressive non fluente. Enfin, Hodges et ses
collaborateurs ont distingué deux variantes dans la DFT : la variante frontale (ou comporte-
mentale) de la DFT (vf-DFT) et la variante temporale, encore appelée démence sémantique.
364
Démences et syndromes démentiels ■ Chapitre 6
présentait aussi des troubles du caractère, était devenu irritable et peu concerné par les autres.
De façon étonnante, il ne présentait pas de véritable détérioration cognitive ; en revanche il
éprouvait des difficultés importantes pour résoudre les tâches de théorie de l’esprit, comme
les fausses croyances de premier et de second ordre, ou pour la détection de « faux pas », qui
permettent de juger des capacités à attribuer des états mentaux cognitifs et affectifs (chap. 2,
section 2, et encadré 40, p. 259).
Ces résultats ont été reproduits par la suite par différents auteurs sur de plus grands
échantillons de patients (pour revue, Duclos et al., 2015). Un lien objectif entre les troubles
comportementaux présentés par ces patients et leur difficulté de mentalisation a été mis en
évidence, même s’il est peu probable que ce déficit de la théorie de l’esprit soit responsable de
tous les changements comportementaux observés dans la vf-DFT.
Des troubles modérés du langage et de la mémoire sémantique (manque du mot, paraphasies
sémantiques, fluence verbale diminuée) complètent souvent le tableau clinique (pour revue,
Laillier et al., dans Pinto et Sato, 2016). Les troubles de la mémoire épisodique, évalués avec
les épreuves usuelles de rappel libre et reconnaissance d’items, ne sont pas au premier plan,
mais ils ont sans doute été sous-estimés dans la mesure où selon le consensus de Lund et
Manchester, des troubles mnésiques majeurs et précoces sont considérés comme un critère
d’exclusion. Il est maintenant admis que ces troubles de mémoire peuvent en fait survenir,
selon les patients, à différents stades d’évolution de la maladie. Il s’agit avant tout de déficits
des stratégies d’encodage et de récupération, lesquels se répercutent dans les scores aux tests
classiques de mémoire épisodique, mais aussi aux questionnaires de mémoire autobiographique
(Pasquier et al., 2001 ; Matuszewski et al., 2006).
Les différents symptômes de la maladie ont été mis en relation avec les anomalies cérébrales
structurales et fonctionnelles qui prédominent dans le cortex frontal. L’atteinte du cortex
préfrontal (qui s’étend souvent au pôle temporal) est bien mise en évidence par les examens
en IRM et en TEP. L’étude multicentrique de Salmon et collaborateurs (2003) est intéressante
car elle montre que l’atteinte métabolique dans le cortex ventromédian frontopolaire est la
seule qui soit retrouvée chez chacun des patients inclus dans l’étude. Une étude a utilisé les
deux méthodes de neuro-imagerie dans le même groupe de patients atteints de vf-DFT, en
comparaison d’un groupe de patients atteints de maladie d’Alzheimer (Kanda et al., 2008). Les
profils d’atrophie et d’hypométabolisme dans ces deux pathologies sont différents, caractérisés
par une bonne concordance dans le premier cas avec une atteinte de la partie antérieure du
cerveau, et une discordance dans le second (supra). Cette concordance des anomalies céré-
brales structurales et fonctionnelles dans la vf-DFT a été retrouvée dans l’étude de Buhour et al.
(2016 ; encadré 55, p. 366). Les études d’imagerie fonctionnelle au repos ont souligné l’atteinte
du réseau de la saillance, qui joue un rôle dans la sélection des données de l’environnement,
interne ou externe, qui sont signifiantes pour le sujet à un moment et dans un contexte donnés.
Des études ont cherché à comprendre les répercussions de ces atteintes sur les symptômes
et montré que l’atteinte du cortex orbito-frontal expliquait préférentiellement les troubles du
comportement, et celle du cortex préfrontal dorsolatéral, les déficits des fonctions exécutives.
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Manuel de neuropsychologie
Encadré 55
Anomalies cérébrales dans un groupe de patients atteints de démence
fronto-temporale, en comparaison avec un groupe de sujets sains appariés
366
Démences et syndromes démentiels ■ Chapitre 6
367
Manuel de neuropsychologie
Encadré 56
Troubles sémantiques (Jany Lambert)
Madame N.S., 74 ans, droitière, présente des — connaissances sémantiques (Desgranges
troubles cognitifs mis en évidence au cours et al., 1994) : 8 erreurs portant sur les attri-
d’une hospitalisation pour une crise d’asthme. buts spécifiques ;
La patiente n’émet aucune plainte. L’examen — épreuves d’appariements fonctionnels
médical, neuropsychologique, orthophonique – modalité verbale : mots entendus 31/40
et l’imagerie (IRM : atrophie du lobe temporal et mots écrits 31/40 ; modalité non verbale :
antérieur et externe, largement prédominante images : 26/40.
à gauche) conduiront au diagnostic de démence
La définition de mots entendus, portant sur les
sémantique.
items non correctement dénommés à l’épreuve
Le langage spontané ou conversationnel est du Lexis, confirme l’existence d’un déficit
fluent, très informatif. La répétition est bonne. sémantique sévère : 3/26. La patiente dit ne pas
En revanche la patiente présente des scores savoir ce que signifie le mot. Ses définitions
faibles en fluence verbale (9 noms d’animaux sont très lacunaires et elle commet des erreurs
et 9 mots commençant par P en 2 minutes) et même au niveau de la catégorie :
en dénomination :
— Faon : peut-être un objet.
Dénomination (Lexis : de Partz et al., 1999) :
— Igloo : je ne vois pas du tout.
28/64 (m = 58,5 ; DS = 3,21).
— Couette : je ne sais pas.
Les erreurs consistent surtout en des absences
de réponse et quelques erreurs visuoséman- — Guitare : un instrument de musique… (ne
tiques et d’identification visuelle. sait pas faire le geste d’utilisation). C’est en
métal.
— Faon : un animal… c’est une petite… c’est
pas un petit mouton ? — Truelle : oui j’ai connu ça…
— Lama : c’est pas une chèvre mais… — Lama : un objet ?
— Guitare : un violon. — Tenailles : c’est pour tenir quelque chose ?
Pour ranger ? (matière ?) C’est en plastique ?
— Truelle : une pelle… on rassemble du sable.
— Glands : une découpe dans les objets.
— Journal : un cahier.
— Éléphant : un animal… dans les forêts… les
— Tomate : une pomme… une cerise ? Non.
champs… (vit en Normandie ?) Oui.
— Hamac : … à mettre ce qu’on cueille.
— Cagoule : ça me dit quelque chose.
— Bison : un animal… pas un éléphant ?
— Baleine : un objet pour mesurer peut-être.
La compréhension orale est altérée : désigna-
— Hibou : un animal… je ne le vois pas.
tion du Lexis : 28/64 (m = 61,4 ; DS = 1,51).
— Kangourou : c’est un fruit… j’ai peur de me
L’évaluation complémentaire du traitement
tromper… c’est rond…
sémantique montre aussi d’importantes
perturbations :
368
Démences et syndromes démentiels ■ Chapitre 6
L’altération de la mémoire sémantique de ces patients est associée à une atteinte bilatérale et
asymétrique du lobe temporal, le plus souvent au détriment de l’hémisphère gauche (Bejanin et
al., 2017, encadré 57). Cette asymétrie a été rapprochée de dissociations entre des connaissances
relatives aux objets et celles associées aux personnes : les patients présentant une atrophie du
lobe temporal prédominant à gauche obtiennent de meilleures performances pour les visages
que pour les noms, alors que le profil inverse est observé pour les patients avec une atteinte
prédominante du lobe temporal droit.
Encadré 57
Anomalies cérébrales dans un groupe de patients atteints de démence
sémantique, en comparaison avec un groupe de sujets sains âgés
369
Manuel de neuropsychologie
épisodique repose nécessairement sur le système sémantique. Ces auteurs proposent une hypo-
thèse alternative qu’ils nomment modèle à entrées multiples, selon laquelle l’information en
provenance du système perceptif (ou de représentations perceptives) peut entrer directement
en mémoire épisodique, ce qui explique les performances de reconnaissance normales chez
les patients atteints de démence sémantique. Cependant, l’épreuve de mémoire utilisée est
fort éloignée du concept de mémoire épisodique et la réussite aux tâches de reconnaissance
par les patients pourrait être liée à la mise en jeu de processus de plus bas niveau, comme le
sentiment de familiarité. Dans des publications ultérieures, Hodges et ses collaborateurs ont
utilisé des tâches de mémoire plus complexes que la reconnaissance d’images et ont montré
que des patients atteints de démence sémantique peuvent acquérir des éléments d’un souvenir
épisodique (la source de l’événement, l’association de deux stimuli). Dans un article publié
en 2009, ils vont encore plus loin en démontrant des performances normales à des tâches de
mémoire qui s’approchent de plus en plus de la notion de mémoire épisodique : les patients
étaient d’abord examinés à l’aide de tâches de mémoire sémantique (par exemple, placement
de monuments célèbres sur des cartes de géographie) et se montraient capables de raconter
le lendemain ce qu’ils avaient vécu avec l’examinateur, ainsi que le moment et le lieu précis où
l’événement s’était produit. Selon les auteurs eux-mêmes, ces résultats ne sont pas forcément
incompatibles avec le modèle SPI, mais ils suggèrent que la formation d’un souvenir épisodique
ne nécessite pas forcément une mémoire sémantique normale. Encore une fois :
• les tests employés ne répondent sans doute pas complètement aux critères de la mémoire
épisodique puisque la conscience n’était pas examinée ;
• la mémoire sémantique des patients n’est certainement pas abolie ;
• cette expérience ne permet pas de savoir si de tels souvenirs sont durables ou non.
Il n’en reste pas moins que ces données sont très intéressantes pour mieux comprendre
les relations entre mémoire épisodique et mémoire sémantique, et questionner le modèle de
Tulving.
L’étude des changements du comportement a longtemps été négligée dans la démence
sémantique, du fait de la prédominance des troubles sémantiques. Pourtant les recherches
actuelles montrent que ces patients présentent une tendance au repli sur soi, un manque d’in-
térêt pour les autres, une réduction significative de l’empathie et des difficultés à se comporter
de manière appropriée lors des interactions sociales. Les conduites égocentriques des patients,
qui se manifestent par leur impossibilité à se décentrer d’eux-mêmes lors des interactions
sociales, ont conduit Serge Belliard à proposer le terme d’égocentrisme comportemental
(chap. 2, section 2). Ces modifications pourraient s’expliquer en partie par des troubles de
la théorie de l’esprit dont les patients n’ont pas pleinement conscience (Duval et al., 2012 ;
Bejanin et al., 2017).
370
Démences et syndromes démentiels ■ Chapitre 6
371
Manuel de neuropsychologie
premier plan et attribués, en majeure partie, à un déficit de l’encodage. En effet, les perfor-
mances sont très faibles, non seulement dans les tâches de rappel libre, mais également de
rappel indicé et de reconnaissance. Dans les démences sous-corticales, les performances
sont également faibles en rappel libre mais nettement améliorées par des indices et dans les
tâches de reconnaissance. Les troubles mnésiques « authentiques » de la maladie d’Alzheimer
s’opposent donc aux troubles de la mémoire « apparents » des démences sous-corticales, les
perturbations étant liées dans ce cas à un déficit des stratégies de récupération. Une autre
distinction pertinente a été mise en évidence dans le domaine de la mémoire implicite. Les
patients atteints de maladie de Huntington ont une préservation des effets d’amorçage mais
une mémoire procédurale perturbée, ce qui constitue le profil inverse de celui observé dans
la maladie d’Alzheimer. Sur le plan théorique, cette opposition a conduit à différencier deux
formes de mémoire implicite et à préciser les structures cérébrales qui les sous- tendent :
régions néocorticales associatives pour les effets d’amorçage, striatum pour l’acquisition et
la rétention de procédures. Toutefois, ces résultats schématiques méritent d’être nuancés de
plusieurs façons (supra pour l’amorçage perceptif dans la maladie d’Alzheimer). En effet, les
performances varient selon les populations de patients et les épreuves proposées. Dans un
certain nombre d’études, les performances des patients parkinsoniens s’écartent de celles des
autres patients atteints de démence sous-corticale. De plus, des patients parkinsoniens non
déments conservent des capacités normales d’acquisition d’une procédure perceptivo-verbale
(la lecture en miroir) alors que l’acquisition d’une procédure perceptivo-motrice est perturbée.
Enfin, toutes les études révèlent d’importantes variations interindividuelles. La signification
réelle de cette hétérogénéité pouvant conduire à des doubles dissociations au sein d’une
même affection constitue l’un des enjeux majeurs de la recherche pour les années à venir.
Elle pourrait refléter l’existence de différentes formes de ces maladies dont il conviendra de
définir les caractéristiques cognitives et neurobiologiques.
Même si le concept de démence sous-corticale a d’abord été décrit pour rendre compte des
troubles cognitifs de la maladie de Huntington (pour revue, Caillaud et al., 2015), de la paralysie
supranucléaire progressive, puis de la maladie de Parkinson (avec les réserves mentionnées plus
haut), d’autres auteurs l’ont étendu à des affections très diverses, comme la démence vascu-
laire ou les séquelles des infarctus thalamiques, métaboliques comme la maladie de Wilson,
démyélinisantes comme la sclérose en plaques ou la démence du SIDA. Dans ce dernier cas
et dans d’autres, comme dans l’hydrocéphalie à pression normale, le concept est intéressant
dans une perspective clinique car il correspond à des troubles potentiellement réversibles.
Toutes ces pathologies ne peuvent pas être décrites de façon extensive dans le cadre de ce
manuel. Il faut souligner l’intérêt historique de la distinction entre démences corticales et
démences sous-corticales. Sa pertinence clinique est une étape initiale permettant de retrouver
une ressemblance entre certaines modifications cognitives et comportementales. Toutefois, la
diversité des lésions, des conséquences neurochimiques et des modes évolutifs propres à chaque
maladie nécessite une approche neuropsychologique spécifique et souvent comparative.
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Démences et syndromes démentiels ■ Chapitre 6
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Manuel de neuropsychologie
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Démences et syndromes démentiels ■ Chapitre 6
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Manuel de neuropsychologie
journalier, d’évaluer certes les déficits mais surtout de repérer les capacités préservées et la
façon de les optimiser et de les mettre en valeur dans les différentes activités menées avec les
patients. Cette évaluation « en situation » porte sur les différentes fonctions cognitives qui sont
classiquement du ressort de la neuropsychologie (mémoire, langage, etc.) mais elle s’étend à la
façon dont le patient vit sa situation dans l’institution et sa maladie, pouvant mettre en évidence
une anosognosie et des modifications de l’identité personnelle et de la conscience de soi. Ces
aspects sont importants à prendre en compte dans le projet thérapeutique pour un patient
donné ainsi qu’à un niveau institutionnel plus large. Cette dimension de l’évaluation est aussi
essentielle à considérer sur un plan éthique dans le mode de prise en charge à proposer à ces
patients et la façon de les y impliquer.
Dans tous les cas, l’examen d’un patient dément ou susceptible de l’être est une démarche
complexe qui exige une grande expertise et une formation spécifique. Le patient est mis en
situation d’échec, même s’il n’est pas conscient de ses troubles. Un choix soigneux dans les
épreuves utilisées et une stratégie d’examen adéquate doivent permettre de minimiser un
sentiment d’échec, par exemple, en proposant des tâches de reconnaissance, mieux réussies
ou perçues comme telles, en fin d’évaluation. Un examen neuropsychologique approfondi est
pourtant indispensable car porter un diagnostic de syndrome démentiel, ou de maladie entraî-
nant des déficits cognitifs, est une décision lourde de conséquences qui doit s’appuyer sur des
données convergentes. Le diagnostic ne doit pas être porté hâtivement et, dans certains cas, les
données de l’examen neuropsychologique sont insuffisantes pour conclure. Il convient alors
d’effectuer des examens répétés à quelques mois d’intervalle. Ces examens répétés permet-
tront de différencier, à terme, des patients qui vont évoluer vers un état démentiel des patients
présentant seulement une plainte et des troubles mnésiques isolés.
Quelle que soit la situation, des investigations plus approfondies sous forme d’une analyse
cognitive sont pertinentes si elles peuvent déboucher sur une prise en charge du patient et des
conseils aux soignants et aux proches du malade. L’information et le conseil aux familles consti-
tuent l’aspect complémentaire de ces consultations auprès des patients. Parmi leurs multiples
vocations, les associations de familles comme France-Alzheimer jouent un rôle fondamental
dans cette action de soutien psychologique.
376
Chapitre 7
Rééducations neuropsychologiques
et prises en charge des patients
et de leur entourage
Sommaire
1. Cadre général de la rééducation en neuropsychologie ...................................... 380
2. L’approche cognitive en rééducation ................................................................ 383
3. Quelques guides pour la pratique...................................................................... 394
4. La prise en charge des démences ..................................................................... 399
5. Vers une neuropsychologie de la vie quotidienne.............................................. 402
6. Rééducation et imagerie cérébrale fonctionnelle ............................................. 404
7. Entraînement, rééducation et stimulation cérébrale ........................................ 407
8. En guise de conclusion ...................................................................................... 409
L’ouvrage d’Eustache et al. (1997) situait la problématique de la rééducation neuropsy-
chologique dans ses contextes historique, de santé publique et théorique, plaidant pour une
rééducation ancrée dans le contexte général de la neuropsychologie d’inspiration cognitive. Le
livre édité par Azouvi et al. (1999) illustre les concepts et les méthodes de l’approche cognitive
en rééducation. La synthèse publiée par Adam et al. (2009) s’inscrit dans le même esprit en
choisissant d’illustrer les outils théoriques et méthodologiques qui sont maintenant large-
ment partagés dans la discipline au travers d’études de cas de patients souffrant de troubles
du langage, de la mémoire, de l’attention et des fonctions exécutives, qu’il s’agisse d’enfants
ou d’adultes, et dans le cadre de pathologies acquises, développementales ou en lien avec des
maladies neuropsychiatriques. Les auteurs soulignent aussi les évolutions marquantes, en
particulier l’approche écologique en évaluation et rééducation, et la question des aides aux
accompagnants et soignants de patients souffrant de la maladie d’Alzheimer (pour revue,
Coppalle et al., sous presse). Ce dernier point est crucial car il ouvre le cadre des prises en
charge à l’entourage du patient : « l’aide aux aidants » des malades souffrant d’une pathologie
démentielle en est une illustration démonstrative. Enfin, ce domaine relativement nouveau de
la prise en charge des patients atteints d’un syndrome démentiel, y compris à un stade sévère,
s’accompagne nécessairement d’une réflexion éthique à laquelle notre discipline doit apporter
une contribution spécifique (Eustache, 2012).
Dans la période qui a débuté après la « révolution cognitive », dans les années 1980, une
évolution importante a été suscitée par l’adoption de la référence au cadre conceptuel de la
Classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps (CIDIH). Une approche
nouvelle en rééducation neuropsychologique s’est ainsi dessinée, moins centrée sur l’existence
des déficits en eux-mêmes et plus sur la personne soignée et les conséquences fonctionnelles
de ces déficits.
Initialement, les rééducations neuropsychologiques ont porté sur les troubles acquis du
langage oral et écrit mais les domaines d’application couvrent maintenant la quasi-totalité
de la sphère cognitive : les troubles acquis du langage, de la mémoire, de l’attention, et du
fonctionnement exécutif (pour revue, Adam et al., 2009). Certains secteurs ont émergé récem-
ment, comme la rééducation des troubles de la mémoire prospective, un aspect de la mémoire
humaine très sollicité dans la vie de tous les jours, ou encore la remédiation neuropsycholo-
gique des difficultés de cognition sociale (e.g. Bocoyran et Joyeux, 2016). Ce chapitre présente
le cadre général des pratiques rééducatives et des prises en charge en neuropsychologie ainsi
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
379
Manuel de neuropsychologie
380
Rééducations neuropsychologiques… ■ Chapitre 7
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Manuel de neuropsychologie
382
Rééducations neuropsychologiques… ■ Chapitre 7
si cette approche cognitive n’est pas toujours utilisée dans sa forme d’origine, qui prônait des
principes difficilement défendables (par exemple l’absence de référence au cerveau ; chap. 1
section 9 et chap. 2, section 2), ses apports sont majeurs et elle constitue aujourd’hui la prin-
cipale référence théorique, tout en étant complétée dans le domaine de la recherche par des
travaux novateurs utilisant l’imagerie cérébrale fonctionnelle et la stimulation cérébrale (pour
revue, Naeser et al., 2012).
383
Manuel de neuropsychologie
• Évaluation post-traitement : la ligne de base est ré-administrée, des progrès ont-ils été
accomplis ? À quelle hauteur ? Quelle en est la nature ? Et notamment jusqu’à quel point les
bénéfices sont-ils généralisables à divers types de matériels et à diverses situations ?
• Suivi : y a-t-il maintien des bénéfices à moyen et à long termes, et à quelle ampleur ?
Encadré 58
Rééducation d’une dysorthographie de surface
L’utilisation de stratégies de traitement de — rendre optimale la procédure d’écriture la
l’information disponibles mais « inhabituelles » mieux préservée – c’est-à-dire la procédure
est un des moyens de réorganisation ou de phonologique – en réapprenant au patient
restauration de la fonction défaillante. Une un certain nombre de règles de conversion
illustration intéressante en est donnée par de dépendantes du contexte. La première étape
Partz et al. (1992) qui décrivent, pour un cas de de la rééducation vise donc le réapprentis-
dysorthographie de surface, le réapprentissage sage de règles ;
des conventions orthographiques au moyen, — permettre le réapprentissage des conven-
notamment, d’une stratégie d’imagerie mentale tions orthographiques pour un ensemble de
visuelle. mots à orthographe ambiguë et irrégulière.
Le patient L. P. souffre de perturbations Il s’agit donc dans un deuxième temps du
importantes de l’orthographe et de la lecture : réapprentissage d’items spécifiques, de
l’analyse cognitive se concentre sur les per- connaissances.
turbations de l’écriture et permet de conclure Pour ce qui concerne la première étape de
à une perturbation de la voie lexicale d’écri- renforcement de la procédure phonologique
ture. Les troubles sont mis en évidence dans d’écriture, les auteurs ont réappris à L. P. des
différentes tâches, d’écriture spontanée, de règles, par exemple la règle de conversion des
dictée, d’épellation orale, ou de copie diffé- phonèmes /s/ et /z/ en SS et S comme dans
rée. Les réponses erronées produites par L. P. « poisson » vs « poison ». À l’évaluation post-
respectent dans 93 % des cas la phonologie thérapie, L. P. écrit parfaitement des mots fré-
du mot cible – il écrit par exemple « fame » quents susceptibles de telles erreurs, tandis
pour « femme », « taust » pour « toast » – et que la ligne de base pour les mots irréguliers
relèvent donc principalement d’une régula- et ambigus reste inchangée.
risation orthographique. Les erreurs restant
La deuxième étape vise le réapprentissage
constantes d’une séance à l’autre, les auteurs
des mots irréguliers et ambigus. La procédure
font l’hypothèse d’une « perte des représenta-
choisie s’appuie sur l’imagerie mentale : il s’agit
tions orthographiques (lexique orthographique
d’aider L. P. à retrouver une information verbale
de sortie) » plutôt que d’une « difficulté d’accès
qu’il va réapprendre – les conventions ortho-
à ces représentations par ailleurs intactes ».
graphiques – à partir d’une information imagée.
C’est le réapprentissage des représentations L. P. est d’abord entraîné à générer des images
orthographiques des mots irréguliers et ambi- mentales (après présentation visuelle de l’objet,
gus sur le plan orthographique qui est visé par puis sans ce support, en réponse aux questions
la rééducation. Précisément, il s’agit de : de l’expérimentateur, sur la forme, la couleur
384
Rééducations neuropsychologiques… ■ Chapitre 7
de l’objet…). L’activité d’imagerie est ensuite uti- Lors de chaque séance de rééducation cinq
lisée pour le réapprentissage orthographique. mots environ sont travaillés de la façon
À chaque mot incorrectement orthographié suivante :
par L. P. est associé un dessin présentant un — L. P. doit copier le mot écrit avec le dessin
lien sémantique direct avec la signification intriqué dans celui-ci ;
du mot à écrire et s’adaptant à la forme des
— L. P. doit reproduire le même mot-dessin
lettres ambiguës : c’est la phase d’apprentis-
après un délai de 10 secondes (s’il échoue la
sage des mots écrits avec dessins incorporés.
copie est à nouveau proposée) ;
Sur 120 mots sélectionnés au départ, 60 sont
entraînés par la technique d’imagerie (30 sont — L. P. doit écrire le mot-dessin sous dictée.
imagés par le patient lui-même, 30 autres par
le thérapeute), 60 servent de contrôle.
Des progrès sont mis en évidence après comparées : 47 % de réussite pour les mots non
quelques mois d’application de la thérapie. Les entraînés, contre 57 % pour les mots ayant fait
performances d’écriture pour trois ensembles l’objet d’une méthode d’apprentissage tradi-
de mots de difficulté similaire mais entraî- tionnelle et 77 à 83 % pour les mots travaillés
nés selon trois méthodes différentes sont avec la stratégie d’imagerie mentale.
385
Manuel de neuropsychologie
Une rééducation peut avoir pour objectif de rétablir le fonctionnement normal du ou des
composants déficitaires lorsque, à l’issue de l’évaluation initiale, le thérapeute estime qu’il est
possible de faire réapprendre au patient les conduites perturbées et de l’aider à réactualiser des
conduites normales (qui s’appuient sur les composants mis en œuvre dans le fonctionnement
normal) au moyen de stimulations répétées.
Dans le domaine des troubles mnésiques, cette dernière option apparaît peu pertinente : les
spécialistes de la rééducation de la mémoire soulignent l’absence de bénéfice lié aux prises en
charge non spécifiques, c’est-à-dire qui consistent à essayer de restaurer la fonction mnésique
au moyen d’exercices mnésiques répétitifs. Ce type d’approche ne prend pas suffisamment en
compte la diversité des troubles de la mémoire. Les développements récents montrent l’intérêt
d’une rééducation adaptée spécifiquement à chaque patient souffrant de troubles mnésiques,
notamment en fonction du diagnostic cognitif, et qui s’appuie sur les capacités d’apprentissage
implicite souvent mieux préservées que les capacités explicites aussi bien dans les syndromes
amnésiques que dans la maladie d’Alzheimer.
Cette option correspond à l’hypothèse selon laquelle la conduite déficitaire ne peut plus être
rétablie dans ses modes de fonctionnement antérieurs : la rééducation vise alors à permettre au
patient d’accéder aux mêmes fonctions mais en les faisant s’appuyer sur une organisation diffé-
rente des processus. La rééducation de l’alexie pure (défaut d’identification visuelle) consiste
ainsi à réorganiser la lecture en entraînant le patient à identifier la lettre sur afférence gestuelle
(tracé du contour de la lettre). Les exemples de prises en charge des troubles de la mémoire
s’appuyant sur les systèmes de mémoire préservés s’inscrivent aussi dans ce contexte (infra).
386
Rééducations neuropsychologiques… ■ Chapitre 7
387
Manuel de neuropsychologie
Plusieurs attitudes peuvent être adoptées face à la récupération spontanée : dans certaines
situations, n’entreprendre la rééducation que lorsque les déficits semblent ne plus régresser
spontanément, ce qui est rarement possible en pratique clinique ; plus fréquemment, adopter
un plan d’étude qui permettra de distinguer les effets de la récupération spontanée de ceux
du traitement. Plusieurs étapes et aspects du devis de rééducation doivent alors être soigneu-
sement conçus et planifiés.
388
Rééducations neuropsychologiques… ■ Chapitre 7
positif du traitement n’établit pas son inefficacité pour chaque patient. L’approche de groupe
a donc ses détracteurs, notamment car elle ne permet pas de mettre en place les ajustements
nécessaires à un patient particulier. Malgré ces réserves, elle conserve sa légitimité, en particu-
lier car elle fournit des arguments pour les autorités sanitaires et sociales chargées de préconiser
tel ou tel type de prise en charge dans un contexte plus large de santé publique.
Étant donné leur intérêt pour la recherche mais aussi pour la rééducation des patients dans
la pratique clinique, les « plans » ou devis applicables à une étude de cas (unique ou multiple)
sont présentés ci-dessous. Les traitements statistiques appropriés, qui sont moins couram-
ment enseignés que ceux applicables aux comparaisons intergroupes (même s’ils ne présentent
aucune difficulté particulière), ont été introduits au chapitre 2 (section 6).
L’étape qui suit le « diagnostic cognitif » est l’établissement de la ligne de base prétraitement :
une mesure des performances du patient à différentes épreuves (le contenu précis de la ligne de
base varie selon le type de trouble et les objectifs de l’intervention) est effectuée préalablement
à toute intervention, et le même ensemble de tests sera proposé à nouveau au patient à l’issue
de celle-ci. La ligne de base est donc une composante cruciale pour l’évaluation de l’efficacité
de la rééducation. Plusieurs démarches permettent de départager les effets de la récupération
spontanée de ceux de l’intervention. Il est quelquefois préconisé de ne démarrer l’intervention
que lorsque les performances n’évoluent plus spontanément alors que les mesures de ligne de
base sont répétées (à quelques jours ou semaines d’intervalle) : le fait que la ligne de base soit
stable indique que les progrès liés à la récupération spontanée sont épuisés. Un traitement
administré de façon précoce a toutefois plus de chances d’être efficace, il convient donc de
privilégier des devis de mise en œuvre de l’intervention qui permettent de distinguer les progrès
qui seraient dus à la récupération spontanée de ceux dus spécifiquement à la rééducation.
Les lignes de base multiples sont un des moyens de s’assurer que les gains enregistrés dans
le cours de la rééducation sont dus à celle-ci et non à la récupération spontanée. Une activité
cognitive particulière (lecture, écriture) fait l’objet de l’intervention tandis que d’autres sont
seulement évaluées régulièrement : les effets de la récupération spontanée sont mis en évidence
si les performances qui ne font pas l’objet de l’intervention s’améliorent, parallèlement à celles
qui sont rééduquées. Jacquemin et al. (1991) distinguent lignes de base multiples entre diffé-
rentes fonctions et lignes de base multiples entre différents items à réapprendre : le choix
entre les deux méthodes dépend du type de stratégie de rééducation qui a été décidé pour le
patient. Les lignes de bases multiples entre situations permettent l’évaluation de l’efficacité
d’une intervention qui vise à faire acquérir à un patient un comportement donné dans des
conditions ou situations variées. Cette démarche peut être utilisée pour évaluer les effets de
389
Manuel de neuropsychologie
l’utilisation d’un aide-mémoire sur la communication chez des patients atteints de la maladie
d’Alzheimer. Pour chacun des trois patients pris en charge par l’équipe de Bourgeois (1990), un
« carnet de communication » est élaboré, comprenant des photographies et des phrases rela-
tives à trois thèmes de conversation : « vous, votre journée, votre vie ». Lors de l’intervention, le
patient et un partenaire (bénévole formé ou thérapeute) sont placés en situation de conversation
et le partenaire explique comment utiliser le carnet et encourage le patient. L’intervention est
initiée séquentiellement pour chaque patient. Pendant le traitement, les patients produisent
plus d’énoncés reliés au thème de la conversation que lors des mesures de ligne de base répétées
qui montraient une performance pauvre et stable. Le maintien des progrès – amélioration du
contenu et de la qualité des conversations – liés à l’aide pour un thème donné (e.g. « votre vie »)
est évalué pendant le traitement des thèmes suivants. Lorsque l’intervention est suspendue, les
performances dans les thèmes préalablement traités se maintiennent au niveau atteint pendant
l’intervention. Les effets spécifiques de la prise en charge sont mis en évidence dans cette étude
par une amélioration de la conversation pour un thème donné tandis que les performances
pour les thèmes non encore traités restent faibles et stables.
Parmi les devis d’application de l’intervention elle-même, les plus fréquemment utilisés sont
de type ABA et cross-over (de Partz, dans Seron et Jeannerod, 1998, pour une présentation
générale des méthodes d’évaluation des effets des rééducations).
Le devis dit « ABA » ou « ABAB » consiste à introduire, après établissement de la ligne de
base, le traitement (phase A) et à le suspendre ensuite pour un temps variable (phase B) : les
performances sont alors à nouveau évaluées et le neuropsychologue note s’il y a arrêt des
progrès. Le traitement est alors repris (A) et le neuropsychologue note s’il y a reprise des
progrès. Lorsque les performances suivent ce schéma, les progrès enregistrés peuvent être
attribués à un effet spécifique du traitement.
La plupart de ces devis classiques comportent à un moment ou à un autre le retrait plus ou
moins total de l’aide. Cette interruption fait l’objet de nombreuses critiques, car si les perfor-
mances chutent, cela peut placer le patient en situation d’échec, et l’aggravation de troubles
dépressifs en réaction à une régression des performances peut compromettre tout bénéfice
ultérieur du traitement. Plusieurs solutions permettent de pallier cet inconvénient.
Des protocoles ingénieux ont été conçus pour qu’une partie de l’aide introduite soit conservée
au moment de l’évaluation des effets du traitement : c’est le cas par exemple avec la « méthode
d’estompage des indices » appliquée à des tâches proches des activités quotidiennes. Dans
cette méthode mise au point par Glisky et al. (1986), une tâche particulière est sélectionnée,
pour laquelle des consignes et des indices très détaillés sont initialement fournis au patient. La
démarche consiste à retirer progressivement des éléments de l’aide jusqu’à ce que le patient
puisse réaliser la tâche avec un minimum d’indices (infra).
L’alternance de différents types d’aide limite le risque de « retour à zéro » en cas de retrait
de l’aide. Le devis dit du cross-over « consiste à faire se succéder dans un ordre prédéterminé
des programmes de rééducation qui portent sur différents aspects des déficits. À chaque
changement de programme, les différentes lignes de base seront réadministrées de manière
390
Rééducations neuropsychologiques… ■ Chapitre 7
à évaluer les effets spécifiques de chacun d’eux » (de Partz, dans Seron et Jeannerod, 1998).
Le profil de performances suivant démontre de façon assez claire un effet spécifique de l’aide
utilisée : amélioration significative dans une tâche X mais pas dans une tâche Y lorsque le
traitement visait les processus requis par la tâche X ; et profil inverse lorsque la tâche Y a été
visée par le traitement.
L’évaluation des effets rééducatifs peut aussi avoir recours à la comparaison de deux straté-
gies d’aide différentes chez un même patient (Lambert, 2004). Le paradigme temporel successif
consiste à appliquer chez un même patient deux méthodes de rééducation en succession.
Cependant, l’interprétation d’un paradigme temporel successif est délicate lorsque les perfor-
mances du patient sont instables. Si des progrès sont enregistrés lors de l’introduction de
la deuxième méthode d’aide, il reste encore à écarter un effet possible de la récupération
spontanée. Un devis de type « traitements rapidement alternés » permet de contourner cette
difficulté. Le Dorze et al. (1994) ont utilisé cette méthode pour évaluer les effets respectifs de
deux aides dans un cas d’anomie : aide sémantique vs aide formelle-sémantique. Au sein d’une
même séance, « le type de technique est alterné pour chaque nouveau stimulus : si la technique
d’aide sémantique est fournie pour le premier stimulus, le second […] reçoit la technique d’aide
formelle-sémantique, et ainsi de suite jusqu’à ce que tous les stimuli soient traités. De cette
façon, aucune technique n’est favorisée » (p. 134). Cette alternance rapide des traitements
permet des comparaisons plus fiables que l’application successive de deux stratégies différentes.
Doit-on attendre ou pas une généralisation des effets d’une rééducation ? La réponse à cette
question dépend de l’objectif poursuivi.
Si l’intervention vise le réapprentissage de connaissances spécifiques – par exemple l’or-
thographe de certains mots –, il n’y a pas de raison théorique d’attendre une généralisation
des effets de l’intervention à des items qui n’auraient pas été traités. Par exemple, la tech-
nique de « récupération espacée » est souvent utilisée pour faciliter l’acquisition et la rétention
à long terme d’informations nouvelles ou « oubliées » par le patient. Un item cible – un stylo
– est présenté au patient, qui doit le nommer ; s’il échoue, le thérapeute donne le nom, que
le patient doit répéter immédiatement ; cinq secondes après, la cible est présentée à nouveau
et si l’essai de dénomination est réussi, l’intervalle de rappel est augmenté ; après un échec, il
est diminué ; les intervalles de rappel sont ainsi progressivement augmentés dans une séance
(encadré 59, p. 392). La dénomination est évaluée une première fois lors de l’établissement de
la ligne de base ; des items (par exemple des dessins d’objets du DO 80, proposés par Deloche
et Hannequin) pour lesquels le patient échoue de façon répétée et n’est aidé ni par indiçage
sémantique, ni par indiçage phonétique, sont sélectionnés. Parmi ces items, certains serviront
d’items « cibles », c’est-à-dire qu’ils seront travaillés en séance de rééducation ; d’autres consti-
tueront des items « contrôles ». Le neuropsychologue peut alors considérer une généralisation
des effets de l’intervention sous deux angles :
391
Manuel de neuropsychologie
• on attend une généralisation de la dénomination pour un même objet dans des formats diffé-
rents de présentation mais dans une même modalité (dessin au trait, dessin couleur, photo) ;
• en revanche, d’un point de vue théorique, l’intervention ne doit pas faciliter la dénomina-
tion d’objets non traités : dans l’exemple de la prise en charge du manque du mot, les effets
spécifiques de l’intervention sont démontrés par l’absence de généralisation des progrès de
dénomination aux items non entraînés.
Si la rééducation repose sur la mise en place d’une stratégie particulière de traitement de
l’information, une généralisation des progrès à des items qui n’ont pas été « travaillés » dans
le cadre de la thérapie est attendue.
Seron (2000) expose de façon détaillée et illustrée les différentes modalités de contrôle des
effets de généralisation ou de transfert, selon notamment que la rééducation est de type « item
spécifique » ou qu’elle vise à restaurer un mécanisme de traitement.
Encadré 59
La technique de récupération espacée
Dans la prise en charge d’une anomie, la rétention imposé entre la présentation d’un
technique de récupération espacée consiste item à dénommer et le moment où le patient
à allonger progressivement le délai de doit donner sa réponse.
Les intervalles de rétention courts sont occu- dans les syndromes amnésiques que dans la
pés à une conversation tandis que pour des maladie d’Alzheimer. On s’efforce, dès le pre-
intervalles de plusieurs minutes une activité, mier essai, d’éviter la production d’une réponse
non reliée à la prise en charge, est proposée erronée (apprentissage sans erreur).
au patient (par exemple un exercice ludique). Si la dénomination est correcte, l’intervalle de
La récupération espacée utilise les capacités rétention à l’essai suivant est augmenté ; si le
d’apprentissage implicite souvent mieux pré- patient échoue, on ramène l’intervalle à celui
servées que les capacités explicites aussi bien qui avait permis précédemment une réussite.
392
Rééducations neuropsychologiques… ■ Chapitre 7
Dans la figure ci- dessous qui présente un rétention est ramené pour l’essai 6 à 4 minutes
patron de performances théorique, le patient (le délai qui avait permis une réussite à l’essai
ne parvient pas à donner le mot cible attendu 4). On reprend ensuite l’allongement progressif
(par exemple « cerise ») à l’essai 5 ; l’intervalle de des intervalles.
Récupération espacée
1000
900
800
700
600
Intervalle sec.
500
400
300
200
100
0
1 2 3 4 5 6 7 8
Essais
Une rééducation neuropsychologique a d’autant plus de chances d’être efficace qu’elle est
individualisée, précoce, intensive et poursuivie assez longuement.
Démarrer la rééducation aussi tôt que possible après l’installation des troubles permet à la
fois de ne pas laisser s’installer les situations d’échec, avec leurs retentissements négatifs sur le
statut émotionnel du patient, et de mettre à profit la période de plasticité cérébrale maximale
(avec des possibilités de réorganisation des réseaux neuronaux ; infra, sections 6 et 7). Cela
n’exclut pas qu’une rééducation puisse être efficace même tardivement dans le cours de la
récupération, parfois quelques années après l’installation des troubles (pour revue, Anglade
et al., 2014). Les séances devraient être quasi quotidiennes, le programme rééducatif pouvant
combiner séances de travail avec le thérapeute et réalisation d’exercices par le patient seul
ou aidé de son entourage. Le recours à un programme d’exercices de remédiation piloté par
ordinateur peut constituer un complément intéressant à condition que cela implique directe-
ment le rééducateur. Ces préconisations générales sont complétées dans la section suivante de
recommandations plus spécifiques à la prise en charge des troubles cognitifs les plus fréquents.
393
Manuel de neuropsychologie
394
Rééducations neuropsychologiques… ■ Chapitre 7
communication, une grille d’observation du discours conversationnel, ainsi que des évaluations
spécifiques de la dimension lexico-sémantique, de la prosodie émotionnelle et linguistique en
compréhension et expression, et des aspects pragmatiques (interprétation d’actes de langage
indirects et de métaphores). Les objectifs généraux de l’intervention sont essentiellement de
« maximiser l’efficacité de la communication » et d’« assister le patient et sa famille dans les
ajustements communicationnels ». Sur ce dernier point, l’équipe souligne la pertinence d’allier
approches psycholinguistique et pragmatique. Les troubles du patient s’expriment de façon
variable selon les stratégies conversationnelles de l’interlocuteur et un cadre de conversation
très structuré (avec tours de parole) peut minimiser les sources de difficultés. Des objectifs
thérapeutiques plus précis sont poursuivis selon la nature du déficit sous-jacent : par exemple
si le thérapeute retient l’hypothèse d’une limitation des ressources cognitives disponibles,
l’intervention visera la mise en place de stratégies adaptatives pour le patient. L’intérêt de cette
évaluation dans le contexte de troubles cognitifs (MCI) ou de maladie d’Alzheimer a été mis en
évidence par Basaglia-Pappas et al., 2014 (section sur les troubles de la communication, p. 150).
Tompkins (2012) prend en compte dans sa synthèse les données théoriques et empiriques
sur ces troubles de la communication, passe en revue les différentes hypothèses et propose
un cadre conceptuel pour les prises en charge qui se situe dans la même optique que celle de
l’équipe de Montréal mais souligne qu’il faut incorporer dans la réflexion le lien étroit entre
les troubles cognitifs non langagiers des cérébrolésés droits – attention, mémoire, fonction-
nement exécutif – et leurs difficultés de communication. Sa synthèse établit que la plupart des
interventions ciblant spécifiquement un trouble – interprétation des métaphores ou aprosodie
expressive – visent à restaurer la fonction, c’est-à-dire ciblent le déficit lui-même. Par exemple,
pour les troubles d’expression de la prosodie émotionnelle, une des orientations rééducatives est
de type cognitive-linguistique et consiste à restaurer les associations entre les représentations
des émotions : étiquette verbale écrite-expression faciale et prosodie.
Les troubles du langage et de la communication (et dans une moindre mesure les troubles des
autres fonctions cognitives) bénéficient aujourd’hui de perspectives thérapeutiques ouvertes par
les stimulations cérébrales non invasives. Ces techniques de neurostimulation visent à modi-
fier l’activation d’une zone circonscrite du cortex ou d’un réseau cortical. Elles peuvent être
utilisées conjointement avec des rééducations du langage, ainsi qu’avec des techniques de
neuro-imagerie fonctionnelle qui facilitent notre compréhension des mécanismes de réorga-
nisation cérébrale sous-jacents à la récupération fonctionnelle. Ces approches novatrices, qui
sont encore du domaine de la recherche, seront abordées à la fin de ce chapitre.
395
Manuel de neuropsychologie
recherche s’est intensifiée et les méthodes sont maintenant fondées sur le plan théorique, avec
trois grandes orientations :
• la facilitation du fonctionnement mnésique et l’utilisation des capacités résiduelles ;
• le recours aux systèmes mnésiques préservés, comme la mémoire perceptive ou la mémoire
procédurale ;
• l’utilisation d’aides externes et l’aménagement de l’environnement.
La première méthode vise à optimiser l’encodage et la récupération des informations, par
exemple en suscitant un traitement sémantique des items à mémoriser, en encourageant l’orga-
nisation de ces items lors de l’encodage, en renforçant l’encodage par l’établissement de liens
avec les connaissances préexistantes ou en favorisant la similitude des situations d’encodage
et de récupération. Dans le cas où les traitements sémantiques ne sont pas faciles à mettre en
œuvre, avec des items non signifiants, des méthodes sont préconisées pour établir des liens
entre ces items et des items signifiants, par exemple en recourant à des moyens mnémotech-
niques ou à des procédés d’imagerie mentale, comme dans l’exemple célèbre de l’apprentissage
du nom de Xavier Seron (Seron devient « rond », associé à une caractéristique distinctive du
visage, la calvitie de forme circulaire).
La deuxième approche exploite la préservation de la mémoire procédurale et de la mémoire
perceptive. Elle ne vise pas à restaurer la fonction, mais à améliorer l’autonomie des patients en
faisant en sorte que ces systèmes de mémoire, généralement mieux préservés dans les amnésies,
contribuent à la tâche à réaliser. L’intérêt est d’utiliser ces méthodes dans des secteurs qui sont
utiles au patient dans la vie quotidienne (maîtriser l’utilisation d’une technique particulière,
s’orienter dans un lieu familier, retenir certains noms ou apprendre ou réapprendre certains
concepts). Différentes techniques permettent d’exploiter les capacités mnésiques préservées : la
méthode de l’estompage, la méthode de la récupération espacée, la méthode d’apprentissage sans
erreur, qui peuvent parfois être utilisées conjointement (Martins et al., 2006 pour une application
chez l’enfant). Dans la méthode de l’estompage, des indices sont fournis au patient pour faciliter
la récupération de l’information et ces indices sont progressivement estompés (Schacter, 1999,
pour l’histoire détaillée de Barbara, capable, grâce à cette méthode, d’apprendre du vocabulaire
informatique lui ayant permis d’exercer un emploi à temps plein dans le domaine). Le principe
de la méthode de la récupération espacée est de faire varier le délai entre l’encodage et la récu-
pération, en l’allongeant progressivement, mais en tenant compte des capacités des patients : si
le patient échoue à un délai donné, on raccourcit ce délai, et inversement (encadré 59, p. 392).
La méthode d’apprentissage sans erreur a été développée dans la perspective de limiter le risque
pour les patients amnésiques de commettre des erreurs, dans la mesure où, une fois commises,
les erreurs sont difficiles à inhiber. Les patients sont donc exposés à la réponse correcte autant
de fois que nécessaire, et invités à ne répondre que s’ils sont sûrs de leur réponse. Elle s’est avérée
efficace chez des patients amnésiques pour apprendre à programmer un agenda électronique,
à utiliser un téléphone portable, à apprendre des connaissances complexes, comme du vocabu-
laire informatique (Glisky et al., 1986), des procédures de traitement de texte (Van der Linden
et Coyette, 1995), ou de nouveaux concepts (Pitel et al., 2009b).
396
Rééducations neuropsychologiques… ■ Chapitre 7
La troisième grande orientation dans la prise en charge des patients repose sur le recours
à des aides externes : carnet mémoire, calendrier, listes, téléphone programmé, agenda électro-
nique, etc. Cette méthode est très utilisée pour tenter de pallier les troubles de mémoire. Elle
nécessite parfois un long apprentissage et peut être facilitée par l’adjonction de la technique
de l’apprentissage sans erreur : il s’agit de forcer le patient à effectuer le geste adéquat et de
l’empêcher d’encoder des gestes erronés. Ce type d’aide semble particulièrement pertinent
dans la prise en charge des troubles de la mémoire prospective (pour revue, Fish et al., 2010).
L’aménagement de l’environnement peut prendre la forme de calendriers, de plannings affichés
au mur, de flèches, d’indices colorés sur les endroits à retenir, de lignes sur le sol, etc.
Ces différentes méthodes peuvent être employées de façon concomitante et supposent une
prise en charge individualisée, adaptée aux besoins spécifiques et aux capacités préservées du
patient. La méta-analyse de Cicerone et ses collaborateurs (2011) souligne également la néces-
sité d’adapter la stratégie de rééducation à la sévérité des troubles mnésiques : entraînement
visant la mise en place de stratégies compensatoires pour des patients avec troubles mnésiques
modérés ; techniques d’apprentissage sans erreur pour l’apprentissage de connaissances ou
habiletés spécifiques chez des patients qui présentent des troubles sévères ; et utilisation d’aides
externes pour des patients avec troubles mnésiques modérés à sévères.
Enfin, si la majorité des travaux et des pratiques cliniques dans le domaine de la rééducation
ciblent la mémoire épisodique, il existe également des procédures qui s’appliquent à la mémoire
de travail (par exemple, Vallat-Azouvi et al., 2009).
397
Manuel de neuropsychologie
stimulation d’un côté du corps (le côté contra-lésionnel, en règle générale le gauche) : stimu-
lation vestibulaire calorique, vibration musculaire de la nuque ou d’un membre. Les effets
positifs de réduction de la négligence pour le côté controlésionnel sont souvent limités dans
le temps : ils cessent à l’arrêt de la manipulation ou peuvent persister quelques heures voire
quelques journées (pour l’adaptation prismatique).
Ces rééducations classiques en neuropsychologie pourraient, dans un avenir proche, être
complétées en pratique clinique courante par des programmes de stimulation du cerveau.
Dans le domaine de la stimulation magnétique transcrânienne appliquée à la prise en charge
de l’héminégligence, deux abords thérapeutiques semblent permettre de faire régresser ce
symptome. L’activation de l’hémisphère lésé (le droit le plus souvent) a les mêmes effets posi-
tifs que l’inhibition de l’hémisphère sain. Cette stimulation de l’hémisphère sain, le gauche
généralement, visant à rétablir l’équilibre d’activation au sein du réseau neuronal qui sous-tend
l’orientation de l’attention, améliore aussi l’exploration visuospatiale (pour revue, Kandel et
al., 2012). Le cas du traitement de l’aphasie non fluente chronique par stimulation magnétique
transcrânienne offre une illustration du rationnel et des techniques de ces nouvelles approches
thérapeutiques. Tout le monde s’accorde à reconnaître l’ubiquité des processus de contrôle et
d’organisation dans nos activités quotidiennes. Un syndrome dysexécutif peut être une source
de handicaps majeurs chez de nombreux patients mais il a été jusqu’à récemment peu pris en
compte en rééducation, et les travaux portant spécifiquement sur la prise en charge des troubles
des fonctions exécutives sont assez récents. Les programmes de prise en charge spécifique
combinent des rééducations cognitives (e.g. interventions sur les stratégies de résolution de
problèmes) qui ciblent le niveau du déficit et de l’incapacité, et des interventions plus globales,
qui ciblent in fine le bien-être et la réintégration sociale et professionnelle du patient, c’est-
à-dire visent à réduire le handicap. Ces approches dites « holistiques » (pour revue, Mazaux et
al., 2006) sont centrées sur la personne du patient : son identité, ses besoins, ses attentes. Leur
efficacité implique une prise de conscience de soi et des conséquences de sa pathologie par le
patient. Outre les interventions cognitives classiques, elles reposent sur une prise en charge
psychodynamique au niveau de la personne, des relations interpersonnelles et des interactions
sociales. La littérature relate des améliorations du statut des patients sur les plans cognitif
(mémoire, attention, résolution de problèmes), métacognitif, de la prise d’initiative et de la
planification. Mazaux et al. (2006) soulignent en outre les effets bénéfiques sur l’humeur des
patients, qui sont plus à même de mobiliser leurs ressources résiduelles et de mettre en place
des stratégies adaptées.
398
Rééducations neuropsychologiques… ■ Chapitre 7
de traitement perturbées, a été un facteur de progrès majeurs. Plusieurs auteurs ont insisté
dès les années 1990 sur la nécessité d’une théorie de la rééducation. Ils pointent les limites de
l’apport de la psychologie cognitive, dont les modèles portent essentiellement sur le système
cognitif parvenu à l’état stable, et soulignent les manques théoriques en ce qui concerne l’ap-
prentissage et le réapprentissage. Alan Baddeley plaide pour que la neuropsychologie aille
au-delà de l’identification des sous-systèmes hypothétiques de l’architecture fonctionnelle
(les « boîtes ») : il faut qu’elle propose aussi des modèles des processus sous-jacents et s’inter-
roge sur la façon dont les systèmes fonctionnels peuvent être changés par l’expérience. Une
théorie de la rééducation doit disposer d’un modèle du changement et des moyens d’obtenir
ce changement. Même si les réponses à ces questions théoriques et pragmatiques sont loin
d’être immédiates, les méthodes issues des neurosciences cognitives (stimulation cérébrale,
neuro-imagerie fonctionnelle) pourront apporter des éléments en soulignant aussi la diversité
et la complexité des mécanismes en cause.
399
Manuel de neuropsychologie
ré-apprentissages de connaissances utiles au patient sont possibles dans l’activité clinique. Une
des approches privilégiées est la technique de récupération espacée, appliquée dans le syndrome
amnésique par Schacter et ses collaborateurs et dans la maladie d’Alzheimer par Camp et
ses collègues (pour revue, Erkes et al., 2009 et encadré 59, p. 392). L’objectif est d’amener le
patient à acquérir des connaissances spécifiques. Par exemple, en présence d’un manque du
mot sévère qui handicape lourdement les capacités de communication, la prise en charge peut
viser l’apprentissage du nom ou des prénoms des personnes de l’entourage, du numéro d’une
chambre en institution ou de la localisation d’objets usuels comme les lunettes. La technique
de l’apprentissage sans erreur est également préconisée dans cette maladie et s’avère efficace,
par exemple pour l’apprentissage de l’utilisation d’un téléphone portable ou d’un agenda.
Bier et al. (2008) ont proposé à un groupe de 15 patients à un stade débutant de la maladie
cinq méthodes différentes d’apprentissage de cinq associations noms-visages : la récupération
espacée, l’estompage des indices, l’apprentissage sans erreur, et deux méthodes d’apprentis-
sage par essais et erreurs, l’une avec des instructions explicites et l’autre avec des instructions
implicites de mémorisation. Les cinq méthodes se sont révélées efficaces de façon équivalente.
Cependant l’analyse des profils individuels a montré que la méthode de récupération espacée
avait permis au plus grand nombre de patients d’obtenir des performances identiques à celles
des sujets sains contrôles.
La stimulation cognitive est une approche thérapeutique de groupe qui vise à stimuler les
capacités cognitives et les repères spatio-temporels, et à ralentir la perte d’autonomie des
patients. Les activités proposées sont des exercices diversifiés et ludiques (jeux de société,
exercices de langage, de mémoire, etc.) ou des simulations de situations de vie quotidienne.
« Elle peut être proposée aux différents stades de la maladie d’Alzheimer et adaptée aux troubles
du patient. »
« La prise en charge orthophonique est recommandée, particulièrement dans les maladies
avec atteinte du langage au premier plan (démence sémantique, aphasie primaire progressive).
Cette prise en charge vise à maintenir et à adapter les fonctions de communication du patient
(langage, parole et autres) et à aider la famille et les soignants à adapter leur comportement
aux difficultés du malade. » Son objectif principal « est de continuer à communiquer avec lui,
afin de prévenir d’éventuels troubles du comportement réactionnel. Elle peut être prescrite
à différents stades de la maladie, l’approche thérapeutique devant être évolutive et s’adapter
aux troubles du patient, à son comportement, à sa motivation, à son histoire personnelle et
aux possibilités de coopération avec l’entourage ».
« L’exercice physique (et notamment la marche) pourrait avoir un effet positif non seulement
sur les capacités physiques et la prévention du risque de chutes, mais aussi sur certaines mesures
cognitives, d’aptitudes fonctionnelles et certains aspects du comportement. L’intervention de
kinésithérapeutes, de psychomotriciens et d’ergothérapeutes peut être sollicitée. »
Une prise en charge psychologique et psychiatrique peut également être proposée « dès
l’annonce du diagnostic et tout au long de l’évolution de la maladie. Elle s’adresse également
à son entourage s’il le souhaite ». Les principaux objectifs sont « d’aider le patient à faire face
400
Rééducations neuropsychologiques… ■ Chapitre 7
401
Manuel de neuropsychologie
certaines études suggèrent qu’elle exerce un effet bénéfique sur le rappel de souvenirs auto-
biographiques et les capacités de communication ainsi que sur le comportement des patients,
notamment en réduisant l’anxiété, la dépression, l’agitation et l’agressivité. La musique semble
également être un moyen favorisant l’acquisition de nouvelles connaissances chez des patients
à un stade sévère de la maladie (Platel, 2011 ; Guétin et al., 2013).
Beaucoup d’études portent sur de petits échantillons, et manquent de rigueur dans le design
expérimental (absence de véritable groupe contrôle, absence de randomisation, manque de
mesure de l’efficacité à long terme). Ces limites ont conduit Hélène Amieva et Jean-François
Dartigues à mettre en place l’étude ETNA3 (évaluation de trois thérapies non médicamenteuses
dans la maladie d’Alzheimer), visant à évaluer l’efficacité à long terme des interventions non
médicamenteuses sur un grand groupe de patients (Amieva et al., 2016). L’objectif principal de
cette étude était de déterminer si ces thérapies permettent de retarder l’entrée dans la phase
modérément sévère à sévère de la maladie, sur une durée de deux ans. L’étude ciblait deux
stratégies thérapeutiques de groupe : la stimulation cognitive et la thérapie par réminiscence,
qui consiste à susciter l’évocation de souvenirs autobiographiques en proposant des thèmes
appropriés, comme le mariage ou la naissance des enfants. Cette approche n’a pas pour objectif
de faire recouvrer la mémoire, mais de renforcer l’estime de soi des patients et leur sentiment
d’identité. La troisième approche reposait sur une prise en charge individuelle pouvant intégrer
les deux premières, au gré du thérapeute et en fonction des réactions du patient. Ces groupes
ont été comparés à un groupe ne bénéficiant pas de prise en charge non médicamenteuse. Au
total, 653 patients ont été inclus dans l’étude, grâce à la participation de 40 centres hospita-
liers en France. Les résultats ne montrent aucun effet bénéfique des thérapies de groupe. En
revanche, la réadaptation cognitive individualisée s’est avérée efficace dans la mesure où elle
a conduit à une moindre invalidité fonctionnelle et à un retard de six mois dans l’institution-
nalisation des patients (Amieva et al., 2016). Le choix de ces approches semble d’autant plus
judicieux que les résultats les plus encourageants fournis par des études contrôlées concernent
la réhabilitation cognitive individualisée, les thérapies par réminiscence et les interventions
destinées aux aidants familiaux qui proposent en parallèle une intervention aux patients (pour
revues, Dorenlot, 2006, et l’Expertise collective Inserm – Inserm, 2007).
402
Rééducations neuropsychologiques… ■ Chapitre 7
et possibilités de réinsertion socioprofessionnelle). « Il est ainsi évident que les objectifs d’un
traitement seront toujours in fine à mesurer à l’aune de la dimension la plus globale […]. Un
traitement efficace est, de ce point de vue, un traitement qui permet d’améliorer la situation
de la personne considérée dans sa globalité » (Seron, 1995, p. 255).
La prise en compte du cadre théorique constitué par la Classification internationale des
déficiences, incapacités et handicaps (CIDIH) a modifié les pratiques cliniques en neuropsycho-
logie. La distinction notionnelle entre déficit, incapacité et handicap a en effet des implications
fondamentales en matière d’évaluation des conséquences fonctionnelles des troubles cognitifs
et de rééducation neuropsychologique (pour revues, Seron, 1995 ; Ruff, 2003). Le déficit renvoie
à la perturbation (plus ou moins totale) d’un composant de traitement de l’information dans le
système cognitif et occasionne des troubles, ou incapacités, dans certaines tâches et/ou activités
spécifiques, et le handicap renvoie aux conséquences de ces incapacités dans la vie du patient
(familiale, sociale, professionnelle). Ainsi, un déficit cognitif sévère peut n’occasionner qu’un
handicap relativement léger si la prise en charge est adaptée.
Les conséquences fonctionnelles des troubles cognitifs sont mal appréhendées par la plupart
des tests. Ruff (2003) prend l’exemple des troubles des fonctions exécutives pour souligner que,
plus encore que pour d’autres domaines cognitifs comme le langage ou la mémoire, les scores
d’un patient aux tests exécutifs (par exemple le Wisconsin Card Sorting Test) ne permettent pas
d’évaluer directement les conséquences fonctionnelles, c’est-à-dire les difficultés quotidiennes
de résolution de problème du patient, son handicap. Il faut donc porter les efforts sur l’élabo-
ration de tests ayant une validité écologique, c’est-à-dire permettant d’approcher le handicap.
Ce niveau du handicap – « expression sociale de la maladie » (Rode et al., 2005) – est le plus
difficile à évaluer car les multiples facteurs, environnementaux (facteurs socioculturels) et
personnels (niveau antérieur, motivation, perception de ses déficits et de leurs conséquences,
attentes, habitudes de vie…), sources de handicap, sont difficiles à prendre en compte. Cela
nécessite des outils d’évaluation des conséquences fonctionnelles des déficits. Les tests
« mimant » des activités quotidiennes dans leur complexité, comme le test des commissions
(ou « errances multiples ») ou le test des six éléments, ainsi que le recours à la réalité virtuelle
(chap. 2, section 2), s’inscrivent dans cet objectif mais ne sont pas suffisants, et plusieurs échelles
conçues spécifiquement pour mesurer le retentissement fonctionnel des déficits ont été mises
au point. Un grand nombre d’échelles de ce type sont recensées dans la synthèse de Rode
et collaborateurs (2005) : échelles globales d’évaluation des incapacités, échelles génériques
d’évaluation de la qualité de vie, et de nombreuses autres spécifiques au traumatisme crânien,
à l’AVC, à la sclérose en plaques et aux troubles cognitifs les plus fréquemment rencontrés selon
la pathologie. Les auteurs discutent plus particulièrement des questionnaires d’auto-évaluation,
qui occupent une place particulière. En effet, le patient est placé au centre de l’évaluation
neuropsychologique dans cette nouvelle approche qui combine l’abord cognitiviste et la prise
en compte des facteurs environnementaux et personnels. De plus en plus souvent, deux évalua-
tions de l’importance des difficultés dans la vie quotidienne sont proposées ; l’une au patient
(auto-évaluation), qui est susceptible de sous-évaluer ses difficultés s’il est anosognosique, et
403
Manuel de neuropsychologie
l’autre à une personne de l’entourage (hétéro-évaluation). La différence entre les deux mesures
permet d’estimer le niveau de conscience des troubles qu’a le patient. L’étude de Thomas-
Antérion et al. (2005) montre que les patients ayant subi un traumatisme crânien dont les
séquelles sont les plus sévères jugent leur situation plus satisfaisante que les patients dont les
déficits sont plus légers.
Le recours aux technologies mobiles offre l’avantage de recueillir des informations en vie
quotidienne. Elles permettent de s’affranchir du cadre du laboratoire qui contraint la recherche
clinique et ne permet pas l’étude des phénomènes sur de longues durées. La faisabilité, la validité
et l’utilité de ces nouvelles méthodes ont été démontrées ces dernières années (Moore et al.,
2017 ; Jollivet et al., 2018). Elles consistent à recueillir des informations sur les situations de
vie et à proposer des questionnaires et mesures cognitives à plusieurs moments de la journée
sur une ou plusieurs journées grâce à des smartphones. L’analyse de ces données permet non
seulement d’étudier le décours et les variations du fonctionnement cognitif mesuré mais aussi
de rechercher des liens entre ce fonctionnement et les différentes informations recueillies. Une
des applications les plus attendues pour ces méthodes repose sur leur capacité à nous informer
sur les liens dynamiques entre le fonctionnement cognitif et les comportements quotidiens de
l’individu. Les résultats obtenus permettront également de proposer des guides pour la prise
en charge des patients.
L’activité des neuropsychologues sera de plus en plus tournée vers la sensibilisation de
l’entourage familial ou professionnel du patient aux nombreux facteurs qui peuvent « alourdir »
le handicap : réalisation simultanée de plusieurs activités, présence de nombreux éléments
« distracteurs », nouveauté de l’activité, etc. La formation et le soutien de l’entourage familial
et des soignants ont été abordés dans la section sur la prise en charge des troubles dans la
maladie d’Alzheimer (pour revue, Adam et al., 2009).
404
Rééducations neuropsychologiques… ■ Chapitre 7
« chronique ». La comparaison des activations liées à une tâche de dénomination entre les
enregistrements pré et post-thérapeutiques révèle les changements suivants :
• une implication des aires péri-lésionnelles dans l’HG (cortex insulaire antérieur, portions
du gyrus temporal supérieur et du gyrus supramarginal) ;
• des activations des aires homologues dans l’hémisphère droit (HD) mais qui étaient déjà
présentes en pré-thérapie et dans un contexte de performances très faibles.
La rééducation est basée sur l’apprentissage des aspects phonologiques du mot à dénommer
(apprentissage « par cœur » de dessins représentant les positions articulatoires nécessaires
à la production orale des syllabes qui composent les mots cibles). Elle est donc orientée sur
l’élaboration phonologique des stimuli à dénommer : les régions cérébrales adjacentes à celles
dévolues normalement au traitement phonologique sont engagées. Selon ces études, la réacti-
vation d’aires péri-lésionnelles dans l’HG jouerait un rôle prépondérant dans l’amélioration de
l’anomie. Le deuxième mécanisme permettant l’amélioration des performances langagières est
le transfert des habiletés linguistiques vers des régions cérébrales qui ne font pas partie norma-
lement de ce système, notamment vers des aires homologues (aux aires gauches du langage)
dans l’HD. Ce mécanisme serait surtout possible pour les traitements lexico-sémantiques.
Les rares études comportementales (notamment en champ visuel divisé) indiquent une
participation accrue de l’HD en comparaison du fonctionnement normal dans une phase initiale
de récupération de certaines capacités lexico-sémantiques et le rôle de l’HG dans la récupé-
ration de l’expression orale. La participation de l’HD à la récupération de l’aphasie apparaît
contrainte par de nombreuses conditions. Elle serait d’autant plus effective dans une période
critique post-ictus et dépendrait aussi de la localisation, de l’étendue et de la permanence de
la lésion. Une préservation des réseaux « épicentres » du langage occasionnera un recrute-
ment HD minimal et inversement. Enfin, cet engagement différentiel des hémisphères semble
pouvoir être modulé par la méthode rééducative spécifique (pour revue, Anglade et al., 2014).
Cette synthèse insiste sur l’intérêt du couplage des rééducations neuropsychologiques avec la
stimulation cérébrale, illustré plus bas, section 7. Plusieurs publications soulignent l’intérêt
d’approches véritablement transdisciplinaires, comme illustré par l’articulation d’une réédu-
cation spécifique du langage, par Semantic Feature Analysis dans l’étude de Mina et al. (2015)
et de principes issus des neurosciences, ici de « neuroplasticité dépendante de l’expérience »,
dont les effets sont éprouvés, en outre, par la neuro-imagerie. Les précurseurs dans le domaine
sont Friedeman Pulvermuller et ses collaborateurs. Cette équipe a mis au point le programme
CIAT (pour Constraint-Induced Aphasia Therapy), qui s’adresse à des patients souffrant d’une
aphasie chronique et a été conçu à partir de quelques principes issus des neurosciences cogni-
tives. L’apprentissage est favorisé par une pratique répétée et intensive (l’apprentissage survient
lorsque des neurones se déclenchent en même temps ; plus souvent c’est le cas, meilleur est
l’apprentissage) : l’entraînement du langage proposé par le CIAT est très intensif, plusieurs
heures par jour pendant deux semaines.
405
Manuel de neuropsychologie
Les réseaux du langage et de l’action sont fortement interconnectés dans le cerveau : le fait
d’entendre un mot active automatiquement le système moteur, et le fait de réaliser l’action
correspondante peut faciliter la compréhension du mot. Le CIAT entraîne le langage dans le
contexte d’actions.
Au total, dans ce programme, le langage est utilisé dans des situations de communication,
en l’occurrence des jeux – souvent de cartes – qui amènent les participants en petits groupes
à utiliser des habiletés langagières de base ou plus élaborées comme formuler une demande,
répondre à une question, etc. Les patients en groupe s’entraident ; des ajustements indivi-
duels sont proposés en fonction des besoins de chacun. Un essai randomisé a montré que le
programme avait permis une amélioration du langage chez 9 aphasiques chroniques qui, entre
2 et 11 ans après leur AVC, souffraient toujours d’une aphasie non fluente par lésion gauche.
L’étude en potentiels évoqués cognitifs chez ces mêmes patients avant et après l’interven-
tion met en évidence une augmentation de la réponse neurophysiologique à des mots tandis
que celle à des pseudo-mots ne se modifie pas (Pulvermüller et al., 2005). Ce changement
neurophysiologique spécifique aux mots est corrélé positivement à la performance langagière
(mesurée avec le Token Test). Enfin, l’augmentation de l’activité cérébrale liée spécifiquement
aux mots est mise en évidence dans les hémisphères gauche et droit, suggérant que des réseaux
neuronaux distribués dans les deux hémisphères constituent le substrat de la réorganisation
du langage dans l’aphasie chronique. L’interprétation avancée par les auteurs est la suivante :
les mots de la langue sont représentés dans le cortex par des assemblées transcorticales de
neurones, comprenant des cellules étroitement confinées aux aires périsylviennes gauches pour
les mots fonctionnels, grammaticaux, et largement distribuées dans les deux hémisphères pour
les substantifs. En lien avec la thérapie, les systèmes neuronaux du langage renforcent leurs
connexions internes, ce qui permet leur activation plus rapide et plus forte après l’interven-
tion qu’avant et facilite l’accès au lexique (Pulvermüller, 2001, pour la théorie des assemblées
transcorticales de neurones ; chap. 2, section 3).
Les résultats issus des études en neuro-imagerie ne permettent pas de conclure quant à la
question des réorganisations cérébrales dans le décours d’une aphasie. Certains travaux mettent
en évidence de nouvelles activations dans l’hémisphère droit après rééducation et en lien avec
une amélioration du langage, d’autres des activations de l’hémisphère gauche. Il semble donc
que ce soient les régions indemnes, péri-lésionnelles, dans l’hémisphère gauche ou bien les
aires homologues dans l’hémisphère droit, ou les deux, qui sous-tendent la récupération de
l’aphasie (non fluente dans la plupart des études). De plus, il est possible que des mécanismes
différents soient à l’œuvre chez les patients, selon le niveau de déficit dans le système verbal, et
que la contribution de l’hémisphère droit soit d’autant plus importante que la lésion est étendue
dans l’hémisphère gauche. Depuis les années 2000, les travaux utilisant la stimulation cérébrale
se sont multipliés et apportent des éléments de réponse, notamment pour ce qui concerne
les mécanismes fins des réorganisations des réseaux neuronaux qui sous-tendent le langage.
406
Rééducations neuropsychologiques… ■ Chapitre 7
407
Manuel de neuropsychologie
la facilite, et discutent des rôles respectifs de ces deux parties de l’homologue de l’aire de
Broca dans l’HD au sein des réseaux du langage. Toutefois, les résultats sont répliqués dans
une autre étude combinant TMS, rééducation du langage et TEP : les patients placés dans la
condition de « suppression de la pars triangularis » dans l’hémisphère droit et qui bénéficient
d’une rééducation améliorent plus leur production langagière que ceux qui reçoivent une
stimulation du vertex et la rééducation. Ces derniers, qui sont dans une condition contrôle
pour la TMS, conservent après l’étude une activation latéralisée dans l’hémisphère droit pour
la production de verbes tandis que les premiers ne montrent plus cette asymétrie droite et
améliorent davantage leur langage.
Le neurofeedback est une technique non invasive de modulation volontaire par le sujet de
son activité cérébrale. Il utilise des mesures de l’activité cérébrale en temps réel par imagerie par
résonance magnétique (IRMf-TR) ou électro-encéphalographie (EEG). C’est ce « biofeedback
EEG » qui est le plus fréquemment utilisé pour mesurer les fréquences des ondes cérébrales
allant de 1 hertz à plus de 100 hertz, en fonction des processus cognitifs ciblés et pour restituer
au sujet, en temps réel sur un écran couplé au système d’analyse des ondes, des informations
relatives à la dynamique de ses processus cognitifs en lien avec son activité cérébrale. La
méthode est de plus en plus utilisée dans les pratiques cliniques pour rechercher une modu-
lation plus adaptée des processus cognitifs défaillants en facilitant le contrôle endogène de
l’activité cérébrale, potentiellement avec une bonne sélectivité et moins d’effets indésirables que
les thérapies médicamenteuses. À chaque séance, l’activité cérébrale est modulée et le cerveau
intègre et consolide cet apprentissage pendant le sommeil. Avec l’entraînement, cette modu-
lation de l’activité cérébrale par le sujet, qui devient acteur de sa prise en charge, peut avoir
des effets à long terme grâce à la plasticité cérébrale permettant la création ou le renforcement
de nouvelles connexions entre neurones tandis que d’autres sont éliminées. Son efficacité est
établie dans la prise en charge des déficits des processus attentionnels, avec des effets positifs
sur le contrôle attentionnel dans le traitement du trouble de l’attention avec ou sans hyperac-
tivité, ainsi que de plusieurs troubles de l’humeur comme la dépression et le trouble anxieux.
Des applications visant des troubles neuropsychologiques acquis, hors du champ des troubles
neurodéveloppementaux et/ou neuropsychiatriques, sont apparues très récemment, permet-
tant chez certains patients cérébrolésés une amélioration des troubles moteurs et/ou cognitifs
(pour revue sur le neurofeedback par IRMf-TR, Wang et al., 2017).
Une approche très intégrative consiste à coupler rééducation neuropsychologique, stimu-
lation cérébrale et neuro-imagerie. L’enjeu de cette approche « multi-méthodes » (pour revue,
Hartwigsen et Saur, 2017), qui sera peut-être difficile à atteindre tant l’approche implique de
moyens et de compétences divers et éventuellement coûteux, est d’individualiser des protocoles
combinant les effets de la stimulation cérébrale à ceux de la rééducation neuropsychologique
et d’en préciser avec la neuro-imagerie la dynamique temporelle en termes de plasticité et de
réorganisation des réseaux cérébraux au fil de la récupération fonctionnelle.
408
Rééducations neuropsychologiques… ■ Chapitre 7
8. En guise de conclusion
Ce dernier chapitre consacré aux rééducations neuropsychologiques et aux prises en charge
des patients dans leur environnement, lequel comprend leurs proches, soignants ou aidants
naturels, constitue une bonne illustration de la neuropsychogie actuelle incluant ses évolutions
les plus récentes. Il se termine par les derniers développements des neurosciences cognitives
appliquées à des situations cliniques visant à restaurer les fonctions cognitives : l’imagerie
fonctionnelle et la stimulation cérébrale. Ces méthodes sont abordées à plusieurs endroits
de cette 5e édition du Manuel, tant leurs apports sont essentiels aujourd’hui en neuropsycho-
logie. D’autres approches, encore limitées au domaine de la recherche, comme les interactions
homme-machine, viendront à terme enrichir les possibilités de prises en charge des patients
souffrant d’un handicap.
Pour autant, ce chapitre insiste sur l’importance des rééducations d’inspiration cognitive
qui, partant de l’aphasie, sont appliquées maintenant à l’ensemble des troubles neuropsycholo-
giques, développementaux ou acquis consécutifs à des lésions cérébrales focales ou survenant
dans le cadre de pathologies neuropsychiatriques. Les pratiques de la neuropsychologie sont
très diversifiées et c’est l’une de ses richesses mais cette approche demande une formation de
grande qualité. L’incidence grandissante des pathologies neurodégénératives et plus largement
des syndromes démentiels, liée au vieillissement de la population, est l’un des principaux chan-
gements de ces dernières années. Un chapitre complet leur est consacré et cette thématique
est aussi largement abordée dans ce dernier chapitre consacré aux rééducations et aux prises
en charge. La neuropsychologie se doit d’innover et de s’adapter à de nouvelles situations
cliniques, à des techniques parfois très étrangères à ses pratiques et à de nouvelles demandes
sociétales. Des avancées dans un domaine soulèvent des questions parfois inédites auxquelles
il convient de répondre avec pertinence, dans l’intérêt du patient et de ses proches. Ainsi, dans
le domaine des états démentiels, nous avons souligné l’importance du diagnostic précoce et
de la place de la neuropsychologie à l’heure des biomarqueurs. De même, la neuropsycho-
logie des démences à un stade sévère constitue une nouvelle pratique, qui nécessite d’innover
dans les procédures d’évaluation, dans les modes de prise en charge et dans leurs objectifs,
très différents d’autres situations cliniques. Elle confronte le neuropsychologue à une relation
avec un patient aux prises avec un fonctionnement cognitif profondément modifié et aussi
avec une institution où il doit savoir apporter un éclairage utile au quotidien. L’expression
de « neuropsychogie de la vie quotidienne » prend ici tout son sens. Elle doit mettre en avant
la dimension éthique formulée dans des questions concrètes (Eustache, 2012) : comment se
comporter devant un patient singulier et comment aménager l’environnement d’un malade
vivant en institution chez lequel le sentiment d’identité se trouve « décalé » par rapport à son
identité réelle (par exemple un patient qui croit être âgé de plusieurs décennies de moins que
son âge réel) ? Comment peut-on intégrer cette personne dans une réflexion la concernant
directement ? En d’autres termes, quelle est la meilleure façon de reconnaître l’autre dans son
aptitude à la responsabilité ? Quelles méthodes neuropsychologiques sont pertinentes pour
409
Manuel de neuropsychologie
de tels patients ? Les conditions mêmes de passation des tests neuropsychologiques sont-elles
adaptées à ces patients ? Comment rendre compatibles la situation d’évaluation et la relation
de soin dans ce contexte et au quotidien ? Sont-elles vraiment compatibles ? Les finalités de
l’une et de l’autre sont-elles toujours clairement explicitées ? Autant de questions, et tant
d’autres, qui sont aussi des guides pour la recherche clinique en neuropsychologie et pour
une réflexion sur l’évolution de notre discipline. Les situations, en partie nouvelles, décrites
tout au long de ce Manuel, soulignent le niveau d’exigence de la neuropsychologie. Elle est
d’une part scientifique et doit résolument le demeurer, y compris en participant au progrès
des connaissances, et d’autre part elle tire sa spécificité d’une relation de soin singulière entre
un clinicien, spécialiste des troubles cognitifs et comportementaux, et un patient qui en est
affecté. Quelles que soient les évolutions des connaissances et des techniques, la mission et
même la raison d’être des neuropsychologues est de pouvoir concilier les développements les
plus modernes des applications scientifiques et la qualité de la relation de soin menée en pleine
connaissance de la situation du patient et de ses aspirations, dans la perspective de modifier le
cours de la maladie en lien avec l’entourage et les différents dispositifs de soins.
410
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Index des notions
435
Manuel de neuropsychologie
Classification internationale des diagnostic cognitif 37, 54, 383 égocentrisme comportemental 370
Déficiences, Incapacités et diagnostic précoce 409 électroencéphalographie 45, 88, 90
Handicaps 379, 403 diaschisis 22, 357 émotions 230, 239, 318
compensation 331 disconnexion inter-hémisphérique empan 315
complètement de trigrammes 228 186 encéphalopathie aiguë de Gayet-
comportements d’utilisation et dissociation 37, 54, 55, 128, 130, 131, Wernicke 210
d’imitation 196 132, 215 encéphalopathie de Marchiafava-
connectivité fonctionnelle 125 DMS48 373 Bignami 31, 191
conscience autonoétique 213, 221, dominance cérébrale 29 encodage 307
226, 285, 345 données normatives 128 épilepsie 293
conscience de soi 213, 218, 376 Double Memory Test 373 épilepsie temporale 282
conscience noétique 213, 226, 285 dyscalculie 273, 289 episodic-like 286
consolidation 218, 219, 234, 308 dyslexie 273, 300 épreuve de Grober et Buschke 224
consultations mémoire 343 dyslexie de surface 153, 277, 278 épreuves de barrage 183
corps calleux 30, 78, 185, 187 dyslexie développementale 277 erreurs de régularisation 57
corrélations cognitivo-métaboliques dyslexie phonologique 277, 278 erreurs non phonologiquement
117, 335, 355 dyslexie profonde 38, 153 plausibles 153
cortex frontal 194, 329 dysorthographie 273, 281 erreurs phonologiquement
cortex orbito-frontal 233 dysorthographie de surface 384 plausibles 153
cortex préfrontal 112, 194 dysphasie 141, 273, 281 étalonnage 50
cortex temporopariétal 354 dysphasies développementales 270 étude de cas unique 25, 127
courant globaliste 21 dyspraxie 290, 291 études de groupes 25, 127, 133
courant néolocalisationniste 32 dyspraxie diagonistique 188 évaluations psychométriques 49
dysprosodie 146 Event Related Desynchronization
D dyssyntaxie 148 88
dédifférenciation 331 Event Related Potentials 88
déficit cognitif léger 344 E Extinction 189
dégénérescence lobaire fronto- échelle de dysfonctionnement
temporale 363 frontal 64 F
dégénérescences neurofibrillaires échelle de Mattis 52, 374 fabulations 210
353 échelle d’intelligence de Wechsler faisceau arqué 148
degré d’éveil 231 pour adultes 51 faisceau unciné 198
délire spatial 184 échelle neurocomportementale fausses-croyances 313
démence 341 révisée 65 fausses reconnaissances 210
démence frontale 363 échelles comportementales 63 fidélité 50
démence fronto-sous-corticale 371 échelles de mémoire de Wechsler flexibilité mentale 203
démence fronto-temporale 64, 341, 223 fluence verbale 196, 316, 346
363 écholalie 149 fonction de rétention 310
démence présénile 352 écoute dichotique 77, 187, 189, 191 fonctions exécutives 194, 202, 210,
démences corticales 371 ecphorie 198 286, 287, 311, 322, 348
démence sémantique 65, 149, 363, écriture 121 France-Alzheimer 376
367 EEG quantitative 88 fréquences spatiales 76
démence sous-corticale 194, 371 effet de primauté 56
dénomination 54, 321 effet de récence 56, 310 G
dépression 63 effets d’amorçage 227, 372 Gestalttheorie 23
désintégration phonétique 146 effets de position sérielle 56 gradient de Ribot 199, 345
désorientation temporospatiale égocentrisme 65 grasping 194
210, 346 égocentrisme cognitif 367 gyrus cingulaire postérieur 354
436
Index des notions
437
Manuel de neuropsychologie
O Q stimulation dichaptique 79
stimulation électrique peropératoire
œstrogènes 326 questionnaire TEMPau 226
94
orthophonie 381
R stimulation en champ perceptif
P réalité virtuelle 58, 59
divisé 67
stimulation galvanique vestibulaire
paléo-mammalien 232 récupération 309
126
paradigme de Brown-Peterson 197, récupération fonctionnelle 271
stimulation magnétique
315, 346 récupération spontanée 383
transcrânienne 94, 120, 124, 407
paradigme Remember-Know 226, rééducation 118, 131, 223 stimulation transcrânienne par
286, 345 rééducation cognitive 383 courant direct 120, 126
paragraphies 147 rééducation neuropsychologique stimulation vestibulaire galvanique
paralysie supranucléaire 379, 409 126
progressive 371 réflexe de préhension 194 Stimulus Onset Asynchrony 85
paraphasies 54, 144, 147 régularisation 153 stockage 308
paraphasies sémantiques 346, 349 réseau par défaut 357 stratégies de récupération 197
patient H.M. 55, 211, 214 réserve cognitive 53, 325, 333 surdité corticale 172
patient K.C. 212 retard mental 299 surdité verbale 147, 172
patient K.F. 56 rétrocontrôle 202 surdité verbale pure 20
patient Phineas Gage 195 revalidation cognitive 399 symptômes psychotiques 63
persistance rétinienne 68 reviviscence 218, 221 syndrome amnésique 113
perte d’identité 198 Revue de Neuropsychologie 12 syndrome amnésique de l’enfant
phasie transcorticale sensorielle running span 206 282
148 syndrome amnésique
phrénologie 13 S diencéphalique 210
pic de réminiscence 310 saccade oculaire 68 syndrome aphaso-apraxo-agnosique
Pittsburg compound B 119 scanner 33 344
planification 202 sclérose en plaques 191 syndrome bi-hippocampique 210
planum temporale 28, 281 sclérose latérale amyotrophique syndrome cognitif 208
plasticité cérébrale 358 375 syndrome d’Asperger 295
potentiels évoqués 88, 90, 172 self 220 syndrome de déconnexion inter-
présent psychologique 218 sémantisation 218, 284, 345 hémisphérique 26, 30, 184
principe de fractionnement 37 sensibilité 50, 128 syndrome de Gerstmann 152
principe de modularité 37 sentiment d’identité 345 syndrome de Klüver et Bucy 232
principe de transparence 37 seuil pathologique 50, 128 syndrome de Korsakoff 208, 210
profondeur de traitement 307 sites REMO 198 syndrome de Landau-Kleffner 173,
prosopagnosie 43, 167 Société de Neuropsychologie de 293
prothèse mentale 387 Langue française 12 syndrome de l’X fragile 299
protocole d’évaluation des gnosies sommeil 308 syndrome de Turner 299
visuelle 171 souvenirs émotionnels 233, 319 syndrome de Williams 299
protocole Montréal d’Évaluation de souvenirs flashes 233 syndrome du tampon graphémique
la Communication 394 spécialisation hémisphérique 26, 57
psychologie associationniste 18 66, 67, 71, 184, 193, 235 syndrome dysexécutif 202, 398
psychologie des facultés 13 spécificité 50, 128 syndrome frontal 194, 202, 233
psychométrie 49 split-brain 30, 81, 184, 186 syndromes amnésiques 197, 207
psychopathologie cognitive 39 stéréotypie 146 syndromes neurodéveloppementaux
Pyramids and Palm Trees Test 227 stimulation cérébrale 119, 383, 407, 293
409 syndromes périphériques 57
stimulation cognitive 400 système allographique 58, 153
438
Index des notions
439
Table des encadrés
411
Manuel de neuropsychologie
412
Table des encadrés
413