La Pluralité Des Méthodes Sociologiques
La Pluralité Des Méthodes Sociologiques
La Pluralité Des Méthodes Sociologiques
Contents
1 Science sociologique et sociologie des sciences 2
1.1 Science et sociologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
1.1.1 Qu’est-ce qu’une science ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
1.1.1.1 K. Popper et la falsifiabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
1.1.1.2 T. Kuhn et les paradigmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
1.1.1.3 G. Bachelard et le fait scientifique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.1.1.4 I. Lakatos et le notion de programme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.1.2 La scientificité de la sociologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.1.2.1 La démarche scientifique en sociologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.1.2.2 Sur quoi porte la sociologie? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1.1.2.3 Garantir la scientificité de la sociologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
1.1.2.4 Des lois en sciences sociales? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
1.1.3 Connaissances ordinaires et sociologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.1.3.1 L’influence de T. Schulz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.1.3.2 N. Elias: engagement et distanciation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.1.3.3 Les croyances, dissonance cognitive, et prophéties auto-réalisatrices . . . . . 8
1.2 La sociologie de la connaissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.2.1 La science en tant qu’activité sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1.2.1.1 La thèse de R. K. Merton . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1.2.1.2 Les scientifiques: entre idéologues et utopistes ? . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1.2.1.3 L’approche de P. Bourdieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.2.1.4 La demande sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.2.2 La logique de la production scientifique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
1.2.2.1 Le programme fort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
1.2.2.2 Le programme dur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.2.2.3 Une tentative de rationalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.3 Les méthodes sociologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.3.1 Les méthodes quantitatives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.3.1.1 La quantification en sociologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
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1.3.1.2 Les enquêtes par questionnaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
1.3.1.3 Les enquêtes par sondage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
1.3.1.4 Le traitement de données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
1.3.2 Les méthodes qualitatives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
1.3.2.1 Le terrain en sociologie et l’objectivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
1.3.2.2 L’ethnographie et ses limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1.3.2.3 L’entretien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Les études d’épistémologie et de philosophie de science s’attachent généralement à dégager des critères
objectifs visant à délimiter les règles de l’activité scientifique.
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1.1.1.3 G. Bachelard et le fait scientifique
G. Bachelard (La formation de l’esprit scientifique, 1938) met en évidence les obstacles épistémologiques à
la science, en particulier la confusion entre savoir scientifique et savoir immédiat. La production du savoir
scientifique procède d’une rupture radicale avec les représentations sociales communément admises. Ainsi,
«le fait scientifique est conquis, construit, constaté» :
Pour lui, réel est toujours réticent à dévoiler les connaissances. Il donne l’exemple de la théorie de la relativité
en physique. La doctrine relativiste est apparue vraie (point de vue théorique) avant d’apparaître comme
réelle (point de vue empirique). Par conséquent, c’est la science qui instruit la raison.
G. Bachelard souligne également l’importance de l’erreur (tâtonnements, hésitations) qui fait partie inté-
grante de la démarche et de l’esprit scientifique. «L’esprit scientifique se constitue sur un ensemble d’erreurs
rectifiées». Le scientifique doit traquer les erreurs et s’émanciper des croyances de son temps pour mener
une «psychanalyse de la connaissance objective» qui lui fournit une piste pour interroger, en s’armant d’un
sens critique, les «vérités» établies du moment.
La sociologie en tant que discipline tend depuis son apparition faire œuvre de connaissance objective sur le
monde social. A. Comte avait pour but de faire de la sociologie une physique sociale.
E. Durkheim (Les règles de la méthode sociologique, 1895) a pour projet scientifique de faire de la sociologie
une science expérimentale. Il propose de suivre une méthode bien précise: définition de l’objet, observation,
classification et administration de la preuve. L’objet de la sociologie est le fait social, qui ne peut pas se
confondre avec d’autres phénomènes (biologiques ou psychologiques par exemple). La phase d’observation est
capitale afin de rompre avec les prénotions. En effet, la réalité observée n’est pas transparente à l’observateur;
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elle peut être affectée par les des préjugés de son temps, de son milieu ou encore de son sexe, et ce faisant
il doit prendre le plus de distance. Ainsi, sa formule célèbre «traiter les faits sociaux comme des choses»
reflète bien l’idée de prévention contre l’opinion (la chose est un objet extérieur, pas affectée par l’individu).
Pour parvenir à se détacher de l’opinion, E. Durkheim recommande de commencer l’investigation par l’étude
de phénomènes sociaux cristallisés, possédant une certaine force objective comme une règle de droit par
exemple. Il ne nie pas que les représentations individuelles puissent avoir un intérêt, mais conseille de s’y
intéresser plus tard une fois que l’édifice de la sociologie en tant que science soit bâti.
Après avoir observé la réalité sociale, le sociologue doit classer les faits. Il estime que la description (telle
que la monographie) est insuffisante, si elle ne permet pas de procéder à des comparaisons entre les différents
phénomènes observés. Le classement des faits autorise le sociologue à recourir à la démarche comparative
qui emprunte à la méthode expérimentale. Il peut ainsi analyser les types de société afin de mieux saisir,
pour chacune d’entre elles, leurs principes de fonctionnement.
Le sociologue fournit ensuite une explication du phénomène étudié en écartant les causes relevant d’un autre
ordre (biologiques, psychologiques, . . . ) afin de pouvoir expliquer «le social par le social»: le sociologue doit
expliquer un phénomène social en trouvant une cause sociale à ce dernier.
E. Durkheim utilise la méthode des variations concomitantes comme un substitut à l’expérimentation (on
peut difficilement faire des expériences en sociologie, à l’inverse des sciences naturelles) afin de rendre envis-
ageable la comparaison de données. Les relations statistiques doivent être interprétées, et les interprétations
validées par des faits. On peut se référer à son analyse du suicide. Il établit une corrélation positive entre
niveau d’éducation de la société et taux de suicide, qui s’explique par l’individualisation croissante au sein
d’un pays.
Pour autant, E. Durkheim écrit: «Mais si nous considérons les faits sociaux comme des choses, c’est comme
des choses sociales». En effet, pour lui, les réalités sociales ne sont pas assimilables tout entière à des réalités
objectives en raison de leur historicité (elles sont tributaires d’un espace et d’un temps donné). En outre,
les représentations individuelles et collectives s’incorporent aux «choses sociales» elles-mêmes. E. Durkheim
essaie de concilier la rigueur scientifique des sciences naturelles et la spécificité des objets de la sociologie.
On réduit souvent à tord l’opposition méthodologique entre E. Durkheim et M. Weber à une dichotomie
«Expliquer versus Comprendre». On cherche à expliquer en trouvant des causes sociales, ou bien on cherche
à comprendre les motivations des actions individuelles. M. Weber a pourtant, en définitive, une conception
de la sociologie pouvant être proche de Durkheim sur certains points. La sociologie peut établir des liens de
causalité entre des phénomènes sociaux. Cependant, la sociologie ne saurait se réduire à cette finalité.
M. Weber insiste l’importance de construire des modèles (idéal-type), des représentations simplifiées de la
réalité, notamment en catégorisant les groupes, les individus ou encore les actions, pour comprendre les
phénomènes sociaux et les déterminants de l’agir individuel. De la même façon, E. Durheim considère dans
Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912) que pour comprendre le fait religieux, le sociologue doit
se placer en face de la religion dans l’état d’esprit du croyant afin de pouvoir réellement le comprendre.
• L’approche de E. Durkheim: on s’intéresse aux faits sociaux, qui sont caractérisés par l’extériorité et
la contrainte. On fait l’hypothèse d’un déterminisme social. Et le social se joue principalement au
sein des groupes (classes, castes, tribus, familles, foules, . . . ). L’appartenance au groupe inculque aux
individus des habitudes, donne lieu à des conduites et à des représentations qu’ils n’auraient pa s’ils
étaient isolés dans d’autres groupes. Ces phénomènes collectifs expérimentent la vie du groupe en tant
ue groupe. Cela ne se ramène pas à la somme des activités individuelles.
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• L’approche de M. Weber: la sociologie doit s’attacher à comprendre les activités sociales (comporte-
ments humains dotés d’un sens subjectif et orientés vers autrui) par interprétation, afin de les expliquer
causalement. Peu importe le comportement humain, l’essentiel est de le comprendre socialement.
• L’approche de G. Simmel: le société est le produit d’actions réciproques entre individus, qui résultent
de certaines pulsions ou de certains buts. G. Simmel distingue la matière de la vie sociale et les formes
de la vie sociale (contenu et contenant). Par exemple, l’intérêt fait partie de la matière de la vie
sociale, mais qu’il peut prendre des formes diverses (concurrence et relations de marché, organisation
planifiée, . . . ). Dans Philosophie de l’argent (1900), G. Simmel considère que la sociologie a pour
objectif principal l’étude des «formes abstraites» du social (la concurrence par exemple). Il souhaite
dépasser l’opposition entre la recherche de lois sociales universelles et la compréhension de processus
historiques concrets et singuliers.
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à imiter les sciences de la nature en méconnaissant la spécificité de son objet. Pour lui, la sociologie doit
s’émanciper aussi de la philosophie classique dont sont issus la plupart de ses concepts (individu, société,. . . )
que des sciences de la nature.
• les lois conditionnelles (si A alors B). On peut tester ces hypothèses, mais le problème est d’isoler des
artificiellement deux phénomènes qui peuvent dépendre d’autres causes.
• les lois structurelles (comme le cercle vicieux de la pauvreté de Nurkse – cf. cours développement).
Permettent de comprendre la dynamique des phénomènes sociaux, mais peuvent être facilement con-
tredites du fait de leur généralité
• les lois du troisième type portent sur les formes du changement social (la succession des paradigmes
scientifiques chez T. Kuhn), mais elles supposent de pouvoir construire un schéma universel indépen-
damment du contexte historique.
• les lois du quatrième type portent sur les causes et les facteurs du changement (la présence de A
implique B obligatoirement). Ce sont des relations qui sont difficiles à prouver, dont la vérité est peu
susceptible d’être valable dans le temps.
Néanmoins, l’approche en terme de lois sociologique est critiquée. K. Popper (Misère de l’historicisme, 1944-
1945) désigne l’historicisme comme le fait d’assigner une direction précise aux processus historiques, censés
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respecter des lois de successions, dégagées le plus souvent a posteriori ou a priori (l’histoire selon Marx,
la loi des trois états de Comte, . . . ) Le sociologue risque ce faisant d’énoncer par avance la finalité d’un
phénomène sans vraiment le comprendre (danger téléologique). Pour R. Boudon, il vaut mieux modéliser
pour comprendre que d’énoncer des lois pour prédire car les réalités sociales sont trop complexes.
A. O. Hirschmann (1984) s’est interrogé sur la validité des lois en sciences sociales, en particulier celles
sur la place de l’économie de marché dans la société capitaliste. Il montre que la pluralité des théories
est essentielle, et que celles-ci doivent être confrontées entre elles, et avec la réalité, sans pour autant n’en
retenir qu’une. Chaque théorie peut être valide dans un certain contexte. Ce faisant, les sciences sociales
ne peuvent pas prétendre à la prévisibilité ou à l’universalité. Pour G. Simmel (La différenciation sociale,
1894), la sociologie ne doit pas tomber dans l’a-priorisme, c’est-à-dire l’idée selon laquelle les connaissances
obéiraient à des principes universels. Pour N. Elias, les sciences sociales dans leur ensemble, et la sociologie
en particulier, sont des disciplines historiques, dont les concepts sont profondément ancrés dans leur temps.
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explicative certaine, notamment parce qu’elles renforcent certaines croyances préexistantes.. La mise à dis-
tance commence à partir de la Renaissance où la maîtrise de la nature permet de mieux l’analyser conduit
à l’abandon des explications de type magico-mythique. Cette maîtrise fait partie de l’évolution centrale en
cours qui est l’autocontrôle croissant des pulsions permis par l’instauration du savoir-vivre et le contrôle
central par l’État. Cet autocontrôle conduit à enfouir les engagements émotionnels au plus profond de la
personnalité. Le danger tient pour le scientifique à ce qu’il soit influencé par son engagement sous couvert de
distanciation (arguments méthodologiques par exemple). Le plus grand danger pour les sciences sociales est
de se soumettre au diktat des mathématiques et des sciences empiro-physiques dont le prestige découle de
leur fort niveau de distanciation. Cependant, les méthodes de ces sciences ne sont pas réplicables, pour N.
Elias, lorsqu’on analyse des ensembles à fort degré d’organisation et comprenant de nombreuses interactions.
• Pour autant, même si les explications de type magico-mythiques sont vouées à disparaître avec le
processus de distanciation, elles ont une valeur intrinsèque d’un point de vue social et comme objet
d’étude. Une étude consacrée aux croyants en l’existence des soucoupes volantes aux Etats-Unis et
en France (P. Lagrange, 1990) démontre que ces adeptes n’ont de cesse d’apporter des preuves afin
d’élargir le cercle des croyants et convaincre le sceptiques de ce qu’ils avancent. Ils approchent une
démarche relativement rationnelle et scientifique,reproche à la presse le sensationnalisme de leurs thèses
tout en rejetant la conception officielle de la science, trop étroite à leurs yeux. L’auteur montre que
l’opinion des sceptiques ne diffère des «soucoupistes» que par son orientation, non par des procédures
d’étayage. La sociologie ne doit donc pas écarter ces attitudes, mais s’y intéresser d’un point de vue
social.
• L. Festinger et al. (L’échec d’une prophétie. Psychologie sociale d’un groupe de fidèles qui prédisaient
la fin du monde, 1956) ont montré que l’invalidation d’une croyance partagée par un groupe social ne
suffisait pas nécessairement à provoquer son abandon pur et simple, car la croyance semble plus forte
que la réalité. Ces auteurs ont analysé la réaction des membres d’une secte face à l’échec de la prophétie
qui prédisait la fin du monde. Au lieu de disloquer la secte ou d’abandonner les convictions, l’épreuve
de la réalité va resserrer les liens et conforter les croyances, au-delà d’une période passagère de doute.
Festinger parle alors de dissonance cognitive: lorsqu’un individu ou un groupe se trouvent exposés à des
messages ou des discours contredisant leurs croyances, ils tendent à éviter cette situation déstabilisante
en refusant de s’exposer, par exemple, à des interactions dissonantes. La communauté a rationalisé
le non-événement au lieu d’accepter son irréalité. Le sociologue doit donc examiner attentivement la
logique des croyances.
• Pour W. I. Thomas (sociologue de l’école de Chicago), les agents sociaux adoptent un comportement
spécifiue, non pas en fonction du caractère objectif de la situation, mais à partir des représentations
qu’il s’en font. D’où le fameux théorème de Thomas (énoncé par R. K. Merton): «Quand les hommes
définissent des situation comme réelles, elles sont réelles dans leurs conséquences». R. K. Merton a pro-
longé cette analyse avec la notion de prophétie autoréalisatrice, pour comprendre les effets produits par
les phénomènes de croyance collectives. Une prophétie autoréalisatrice énonce qu’en certaines circon-
stances des croyances collectives, même fausses, sont susceptibles d’engendrer leur propre réalisation.
Par exemple, lorsqu’une rumeur infondée de banqueroute survient et qu’elle atteint un nombre suffisant
de personnes, les épargnants peuvent être pris de panique et changer leur comportement (retirer leurs
dépôts), et conduire in fine à la faillite bancaire.
La sociologie des sciences est fondamentalement attachée à l’idée que la production de connaissances scien-
tifiques est une activité sociale comparable aux autres, et relevant d’une analyse sociologique.
E. Durkheim (Les formes élémentaires de la vie religieuse, 1912) montre que la religion est l’une des premières
activités réflexives de l’Homme. Elle a participé à l’élaboration de catégories mentales à l’aide desquelles
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les hommes construisent des savoirs. Ainsi, la catégorie de temps ne peut pas avoir une origine purement
individuelle. En effet, le temps est relatif pour chaque individu. Or, pour pouvoir organiser la société il a fallu
construire une forme abstraite et stable permettant de mesurer et d’exprimer le temps de façon objective.
Le temps, en tant qu’il est partagé par l’ensemble de la société, est une création collective et une institution
sociale.
R. Merton, Aspects sociologiques du développement scientifique dans l’Angleterre du XVIIe siècle, 1935. Il
met en évidence que les découvertes scientifiques du XVIIe siècle en Angleterre étaient davantage liée aux
valeurs du protestantisme et à la curiosité qu’à la recherche d’un intérêt économique quelconque.
R. K. Merton fonde l’analyse classique de la sociologie des sciences, en soulignant l’importance des dispositifs
institutionnels qui garantissent à eux seuls l’autonomie de la science. Il envisage la science comme une
structure sociale normée définie par quatre critères:
• l’universalisme, soit l’établissement de résultats objectifs, universels, et valides quel que soit celui qui
les énonce
• le communalisme fait des résultats scientifiques des biens collectifs partagés par l’ensemble de la com-
munauté
• le désintéressement tend par la publicité des résultats à interdire les comportements fondés sur la
tricherie par exemple
• le scepticisme systématique selon lequel les résultats doivent être examinés avec circonspection et
critique par la communauté avant d’être admis.
Le respect de ces normes mises en évidence par l’institution scientifique vise à garantir, à la fois l’autonomie
de la science en tant qu’activité sociale, mais également la valeur des résultats aux elle parvient. Mettant
l’accent sur les dispositifs et les conditions sociales de l’activité sociale, Merton accorde, en revanche, peu
d’intérêts aux contenus, c’est-à-dire aux théories scientifiques en elles-mêmes, ainsi qu’à leur inscription
sociale.
K. Mannheim (Idéologie et utopie, 1929) distingue les connaissances scientifiques «universelles» (théories et
propositions vraies sans conteste) et les connaissances scientifiques «relationnelles» (qui prêtent à discussion).
Il sur le conditionnement social (l’appartenance à une classe social, une génération, un courant de pensée)
de toute proposition scientifique. Si les connaissances universelles peuvent être influencées socialement,
cela n’enlève rien à leur véracité. En revanche, pour les connaissances relationnelles, elles méritent d’être
relativisées dans la mesure où elles peuvent se confondre avec l’idéologie ou l’utopie.
Seuls certains individus placés dans une position particulière, ne disposant pas d’intérêts sociaux spécifiques
à défendre sont en mesure d’accéder plus aisément que d’autres à la vérité scientifique («les intellectuels sans
attaches»). L. Feuer montre que la position marginale d’Einstein dans le milieu universitaire de son époque
a constitué un atout décisif pour ses travaux, car il a pu se donner la liberté de formuler des hypothèses
audacieuses.
J. Ben-David (The Scientist’s Role in Society, 1971) identifie un ensemble de conditions sociales qui facilitent
le progrès des connaissances. Ce n’est qu’au moment où l’utilité sociale de la science est reconnue que les
savants obtiennent l’autonomie nécessaire à leurs travaux. Cependant, le développement de la science au
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cours du XXe siècle s’est fait dans un cadre étatique et national. Les scientifiques ont du se tourner vers les
Etats pour obtenir les moyens financiers nécessaires. En conséquence, les recherches ont été orientées vers
certaines voies privilégiées (recherche militaire, santé).
La démocratie libérale est-elle aujourd’hui plus en phase avec les valeurs de la science et crée-t-elle des con-
ditions plus propices à son développement? Pour Y. Gingras (Sociologie des sciences, 2017): «le développe-
ment de la recherche en Union soviétique tout en comme en Chine montre assez clairement que c’est moins
la démocratie libérale en elle-même qui est gage du développement des sciences que les valeurs culturelles
dominantes de la société, comme la croyance au progrès et surtout les services pratiques qu’elles peuvent
rendre à la société, ou du moins à ses dirigeants et ses groupes dominants».
Pour P. Bourdieu (Les usages sociaux de la science, 1997), le concept de champ permet d’analyser la vie
scientifique, et permet de dépasser l’opposition entre Merton et Mannheim. Les évolutions de la science
résultent d’abord du degré d’hétéronomie ou d’autonomie du champ scientifique, c’est-à-dire le pouvoir dont
les agents qui le composent disposent pour fixer leurs activités scientifiques selon une logique commandée
par les raisons du champ, et non par des intérêts extérieurs.
Le champ possède une certaine structure qui l’organise, le hiérarchise et fixe les rapports de force qui s’y
exercent.
P. Bourdieu considère qu’il faut envisager le champ scientifique sous le prisme du capital scientifique (défini
comme l’ensemble des productions, des innovations, de l’autorité, de la réputation et du prestige que détient
un scientifique). Il précise que le capital scientifique est à la fois une reconnaissance des compétences
scientifiques, mais également définit les règles et les régularités du jeu scientifique (il est plus réputé par
exemple de publier dans une revue américaine célèbre que dans une petite revue française).
Les luttes au sein du champ scientifique sont menées par les agents en fonction de leur habitus et les capitaux
dont ils disposent. On distingue deux espèces de capital: un capital scientifique pur et un capital scientifique
institutionnalisé (qui est donné par les organisations auxquelles on appartient, par le prestige des titres ou
des postes). Pour P. Bourdieu, dans un champ scientifique authentique, «on peut engager librement des
discussions libres et s’opposer violemment à n’importe quel contradicteur avec les armes de la science, parce
que la position que l’on occupe ne dépend pas de lui ou parce que l’on peut obtenir une autre position
équivalente ailleurs». En gros, lorsque les chercheurs sont libres et qu’ils n’ont rien à craindre des autres
chercheurs, on peut commencer à faire de la vraie science.
Cette autonomie n’est cependant jamais réalisée une fois pour toutes, dans la mesure où l’hétéronomie menace
toujours de poindre, de manière directe ou, le plus souvent, indirecte: de l’interdiction de l’enseignement de
certaines disciplines dans les pays autoritaires aux censures plus douces visant à restreindre ou supprimer
certains crédits financiers ou, au contraire, orienter les recherches vers les attentes commanditaires publics
ou privés
La «demande sociale» peut affecter les résultats scientifiques, voire la conception des objets par le socio-
logue. Par exemple, les conditions de financement peuvent illustrer l’existence d’attentes extra-scientifiques
(le sociologue est sommé de «résoudre» un problème social). Par exemple, à partir des années 1930, le
financement de la fondation Rockfeller de l’Université de Chicago oriente les sociologues de cette dernière
vers des travaux de recherche très empiriques, en lien avec la résolution de problèmes sociaux. Ils répondent
en partie à leurs commanditaires publics et privés, qui ont un agenda politique ou mercantile en tête. La
sociologie américaine est donc ancrée dans « l’ingénierie sociale» jusqu’aux années 1960.
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1.2.2 La logique de la production scientifique
Une autre manière de s’interroger sur la science en tant qu’activité sociale consiste à s’interroger sur les
logiques de la production scientifique. En quoi consiste l’activité scientifique au quotidien?
B. Barnes et D. Bloor (Sociologie de la logique: les limites de l’épistémologie, 1976) analysent la science
comme une pratique ordinaire, et s’intéressent à comment se «fabrique» la science. Ils ont établit «le
programme fort», reposant sur quatre principes:
• le principe de causalité vise à s’intéresser aux conditions qui donnent naissance aux croyances ou aux
stades de connaissance observés;
• le principe d’impartialité doit conduire à traiter de la même façon les diverses théories scientifiques
étudiées, qu’elles soient jugées «vraies» ou «fausses»;
• le principe de symétrie amène à recourir aux mêmes types d’explications pour expliquer les théories
«vraies» et «fausses».
• le principe de réflexivité: les principes énoncés s’appliquent à la sociologie elle-même, sans quoi elle
serait en contradiction avec ses propres théories
Le principe d’impartialité a été critiqué pour son relativisme: cela revient à mettre toutes les théories
sur un pied d’égalité. En réalité, B. Barnes et D. Bloor qu’il ne faut pas prendre comme acquis une théorie
scientifique, mais la remettre dans le contexte de son acceptation, et détailler particulièrement les controverses
auxquelles elle a donné lieu, et comment elle a fini par s’imposer. Cela permet non seulement de rendre
justice aux théories vraies mais rejetées faute de pouvoir s’imposer à un moment donné (on peut penser à
Copernic), mais aussi de comprendre la façon dont les scientifiques parviennent à imposer leur vision.
Ils observent que les croyances en certains domaines varient, et que la conviction d’une croyance est circon-
stancielle à son usage. En gros, la vérité est définie par le succès de l’application d’une théorie. Plus une
théorie correspond à la réalité, plus elle sera vraie. Les théories scientifiques apparaissent dès lors comme
des outils conventionnels permettant aux hommes de faire face à l’environnement et de s’y adapter. Mais
alors pourquoi les notions de vérité, de vrai et de faux demeurent elles aussi importantes ?
Selon B. Barnes et. D. Bloor, elles remplissent une fonction de discrimination permettant aux hommes de
classer leurs croyances. Elles remplissent également une fonction rhétorique puisque ces notions jouent un
rôle central dans les argumentations.
• S. Shapin et S. Schaffer (Léviathan et la pompe à air. Hobbes et Boyle entre science et politique, 1993)
montrent, sur la base du programme fort, comment Robert Boyle en dépit d’avoir découvert la pompe
à air s’est heurté à l’hostilité de T. Hobbes, philosophe, et a vu sa découverte scientifique rejetée dans
un premier temps.
Ainsi, lors d’une controverse, ce qui est considéré comme vrai va dépendre de la position institutionnelle, des
ressources économiques, cognitives, sociales et aussi symboliques du chercheur. Si une controverse scientifique
engage deux chercheurs inégalement dotés en capital scientifique, elle risque d’être vite réglée. A moins
que la doctrine d’un chercheur soit d’une force extraordinaire. L’autorité est davantage chose sociale que
scientifique.
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1.2.2.2 Le programme dur
B. Latour et S. Wooglar (La vie de laboratoire. La production de faits scientifiques, 1979) adoptent une
perspective relationniste. Ils cherchent à comprendre comment le savant , au-delà de son mérite scientifique,
parvient à emporter l’adhésion par des stratégies de valorisation (présentation des travaux, recherche d’un
public intéressé à sa réussite), et s’appuie sur des matériaux qui valident sa théorie en lui conférant la
possibilité d’applications nouvelles.
La persuasion d’un scientifique ne va pas nécessairement dépendre de sa force logique, ou même de son
autorité. Elle va reposer davantage sur la constitution d’un réseau de chercheurs et d’acteurs qui vont
adhérer à la théorie proposée. La constitution de ce réseau va passer par un exercice de «traduction»
(concept de M. Callon) de la théorie en divers langages et diverses preuves pratiques pour faire adhérer le
plus grand nombre.
Ainsi, B. Latour (Les microbes, 1984) a montré comment Pasteur a réussi à convaincre la communauté
médicale du rôle joué par les microbes dans les maladies infectieuses à partir des années 1880, c’est-à-dire à
partir du moment où les premières vaccinations ont pu indirectement apporter un commencement de preuve
de la validité de l’hypothèse de la contagion.
J-M Berthelot (Pour un programme sociologique non réductionniste en étude des sciences, 2002) donne des
principes pour fonder une sociologie des sciences non relativiste. Il faut admettre, selon lui, que tout en
étant sociale, l’activité scientifique est spécifique dans la mesure où elle se soumet à des règles de pertinence
déterminée. Si le social est partout autour et dans l’activité scientifique, il ne pénètre pas un noyau de
connaissance uniquement régi par la logique et la rationalité. La stabilité, l’uniformité et l’invariance du
monde physique permettent de trouver et de vérifier des lois physiques qui, bien que n’épuisant pas les faits,
peuvent en donner de solides explications.
• La démarche quantitative repose sur un souci exigeant de scientificité. Les statistiques sont un outil
d’objectivation, au service de l’analyse du fait social dans la vision durkheimienne. E. Durkheim (Le
suicide, 1897) s’intéresse au taux de suicide, d’un point de vue statistique. Il compare les différents aux
de suicide selon le genre, la religion, la situation familiale et la classe d’âge. Il trouve, par exemple, qu’à
âge égal, les hommes mariés sont moins suicidaires que les célibataires. Et qu’en général, les femmes
sont moins suicidaires que les hommes. Pour R. K. Merton, le recours aux données statistiques peut
conduire le chercheur à porter son attention sur un phénomène qui n’entrait pas dans ses préoccupations
initiales, c’est la sérendipité.
• Cependant, le recours aux statistiques repose sur la confiance accordée aux données recueillies. Or,
comme le montrent M. Halbwachs (Les causes du suicide, 1930), ou C. Baudelot et R. Establet
(Durkheim et le suicide, 1984), les données utilisées par Durkheim souffraient de biais, en partic-
ulier pour pouvoir effectuer des comparaisons internationales. En effet, la classification d’une mort
comme un suicide est variable selon les pays, et les époques. Par exemple, D. Merillé a montré que les
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différences de taux de suicide entre milieux urbains et ruraux peuvent être expliqués par les différences
de comportement entre la police et la gendarmerie: la police (opérant en zone urbaine) transmet moins
régulièrement ses chiffres que la gendarmerie (opérant en zone rurale). Ce faisant, une donnée statis-
tique est construite socialement. Il faut donc effectuer une sociologie de la statistique pour objectiver
socialement la donnée à la disposition du chercheur.
• Certaines statistiques peuvent participer à la construction d’une réalité sociale, le chômage par exem-
ple. C’est avec la crise de 1929 (et le chômage de masse) que les statistiques du chômage commencent
à être publiées. Aujourd’hui, c’est un exercice journalistique fréquent de commenter les chiffres du
chômage dans la presse. Or, les deux organismes qui produisent des statistiques du chômage (Pôle
Emploi, INSEE) ont des définitions différentes, conduisant à des différences statistiques dans les don-
nées. Pour A. Desrosières (Histoire sociale et statistiques, 1989) , les agrégations sont justifiées si elles
créent des choses lesquelles il est possible d’agir (le taux de chômage en l’occurrence). De plus, avec
l’indemnisation du chômage par l’État à partir de la fin du XIXe, cette agrégation s’est révélée d’autant
plus nécessaire. Les statistiques naissent donc d’un certain contexte social.
• Dans une conception nominaliste, M. Weber considère qu’il est possible de considérer les faits sociaux
comme des choses, et utiliser les statistiques pour mettre en évidence des liens, mais que cela ne suffit
pas. Les statistiques permettent surtout d’étayer des raisonnements. Les sociologues doivent tout
de même enquêter d’une façon plus qualitative pour mieux comprendre les phénomènes sociaux. Par
ailleurs, les statistiques peuvent être difficiles à interpréter. C. Baudelot et R. Establet (Avoir trente
ans en 1968 et 1998, 2000) montrent qu’il est difficile de savoir si les différences de salaires de début de
carrière entre pères et fils pour les cohortes entrées sur le marché du travail après la crise des années
1970 est liée à un effet d’âge (plus on est jeune, moins on est payé), un effet de génération (certaines
générations sont mieux payées que d’autres en raison du contexte socio-économique dans lequel elles
évoluent).
• Dans une conception relativiste, les faits sociaux ne sont pas des choses. Les statistiques sont des
artefacts, et dénaturent la réalité sociale. Les statistiques conduisent à plaquer la vie sociale des outils
d’enregistrement, qui sont indépendant à la pratique sociale des membres d’une collectivité.
Le sondage est une technique particulièrement bien adaptée aux enquêtes sur des populations vastes qu’il
serait trop fastidieux ou trop coûteux d’interroger de façon exhaustive. En effet, l’analyse statistique montre
que si l’on dispose d’un échantillon suffisamment étendu et représentatif de cette population mère, les résultats
fournit par l’échantillon seront très proches que ceux qu’auraient fournis la population totale.
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Il y a deux méthodes pour constituer un échantillon représentatif (reconstruire la population, mais en minia-
ture): la méthode aléatoire sur un échantillon assez grand (on pioche des gens au hasard de sorte à répliquer
la population générale), ou alors la méthodes des quotas en sélectionnant l’échantillon de sorte à répliquer
en pourcentage les caractéristiques de la population générale.
Le sondage s’appuie sur un questionnaire dont la qualité conditionne les résultats étant donné le nombre de
personnes interrogées. Certaines questions d’opinions peuvent également donner lieu à de la gêne et de la
dissimulation, ce qui biaise les réponses.
Pour P. Bourdieu (L’opinion publique n’existe pas, 1984), les sondages d’opinions sont des producteurs
d’opinions. En effet, des personnes sont sommées d’avoir un point de vue sur une question à laquelle elle
n’ont pas réfléchi, ou qui ne les concerne pas de la même façon. Or, on traite les réponses de la même manière.
Dans un travail ultérieur, il souligne que les questions posées par les enquêteurs sont biaisés par des intérêts
politiques ou mercantiles afin d’influencer les résultats de l’enquête, et de légitimer certaines idées par ces
sondages (cf. les sondages sur les élections). Pour P. Champagne, l’agrégation d’opinion privées ne doit pas
être confondues avec une opinion publique, c’est-à-dire une opinion rendue publique médiatiquement et qui
expose l’individu l’exprimant.
Les sociologues ont plusieurs façon de traiter les données. Ils peuvent établir des corrélations entre des
variables. Les variables peuvent être construites à partir des réponses à des questions d’une enquête (la
satisfaction dans la vie par exemple). La question est de distinguer corrélation de causalité. Deux phénomènes
peuvent être corrélés parce qu’ils sont influencés par une variable caché. On utilise la méthode de régression
linéaire pour prendre en compte toutes les variables cachées possible, et être sûr de l’association entre deux
variables (on dit qu’on utilise des variables de contrôle). La régression peut aussi permettre de comparer les
différences entre deux groupes similaires en tout point à l’exception d’un facteur (le niveau de satisfaction
dans la vie par exemple).
Lorsque qu’il y a de nombreuses variables, on peut effectuer une analyse factorielle pour effectuer des re-
groupements. En rassemblant les variables les plus corrélées entre elles, et en les distinguant des plus
indépendantes, on identifie les variables discriminantes. On peut passer par exemple de 30 variables à 4
variables. En psychologie, c’est à partir de longs questionnaires de personnalité que l’on a pu réduire la
personnalité à 5 dimensions.
Les méthodes qualitatives souffrent, a priori, d’un manque de crédibilité vis-à-vis des techniques quantita-
tives. Les démarches qualitatives partant de l’analyse où les chercheurs sont engagés directement pâtissent
parfois d’un certain discrédit auprès des sociologues eux-même, notamment l’enquête de terrain.
B. Malinoswki (Les Argonautes du pacifique occidental, 1922) a partagé la vie des indigènes de Mailu en 1915,
et des îles du Trobriand entre 1915 et 1918. Il estime qu’une culture ne se donne à voir l’observateur que
si celui-ci s’y intègre pleinement. De plus, passer par des intermédiaires n’est pas nécessairement possible
car tout n’est pas dicible, et certaines pratiques pourraient échapper à l’observateur. De plus, gagner la
confiance de la population étudiée permet d’accéder à beaucoup plus d’informations, et plus facilement.
P. Bourdieu insiste sur la nécessité d’entreprendre une objectivation participante. Si le sociologue doit mettre
à distance son objet afin d’éviter d’y importer ses propres croyances, il ne peut faire abstraction du fait que sa
simple présence est de nature à influencer le comportement des indigènes. C’est le paradoxe de l’observateur
(W. Labov).
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1.3.2.2 L’ethnographie et ses limites
Le recours à l’ethnographie tend à devenir une méthodologie légitime qui se déploie sur des objets variés,
comme un stade de foot ou le parlement européen. On distingue l’observation directe (à l’image de E.
Goffman qui a observé un asile sous le poste fictif d’assistant de direction) et l’observation participante
(H. Becker et les fumeurs de marijuana). Cette distinction est juste une différence de degré dans le niveau
d’interaction avec la population observée.
Quelles sont les difficultés soulevées par cette démarche d’enquête?
• L’enquêteur peut être maladroit dans ses interactions avec la population enquêtée.
• L’enquête peut être pris dans problèmes éthiques, notamment s’il doit dissimuler son identité alors
même qu’il s’intègre fortement à la vie d’un groupe.
• L’objectivation peut être mise à l’épreuve si le sociologue est pris par l’empathie
• Il faut parvenir à articuler les «concepts indigènes» (ceux issus de la population enquêtée) et les
concepts «savants» (ceux issus de l’analyse sociologique) pour parvenir à rendre compte de la réalité
sociale.
• l’ethnographe fait face à trois univers sociaux: l’univers professionnel et académique, l’univers enquêté
et son univers social personnel. Il doit parvenir à s’extraire de l’ethnocentrisme.
1.3.2.3 L’entretien
L’entretien directif, semi-directif ou libre sont des formes d’entretien qui repose sur un échange entre un
sociologue et un/des enquêté/s. Ces entretiens peuvent être dirigés par le sociologue ou être soumis au flux
de la conversation. La réussite de ce mode d’enquête repose sur la qualité de l’échange, et la capacité du
sociologue à faire parler l’enquêté.
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