Plantes Drogues

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Tout savoir

sur les plantes


qui deviennent
des drogues
pavot coca, cannabis, peyotl, khat, psilocybe, ...
Les plantes
qui deviennent
des drogues
Éditions Favre
Siège social
29, rue de Bourg- CH-1002 Lausanne
Tél.: 021 312 17 17 - Fax: 021 320 50 59
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Tél. et Fax : 01 42 22 01 90
Dépôt légal en Suisse en avril 2002.
Tous droits réservés pour tous pays. Toute reproduction, même partielle, par
tous procédés, y compris la photocopie est interdite.
ISBN : 2-8289-0686-8
© 2002 by Éditions Favre SA, Lausanne
Couverture : JPPiantanida , MGraphic
Photos : toutes les illustrations proviennent d'une collection de photographies
de l'auteur.
Prof. K. Hostettmann

Les plantes
qui deviennent
des drogues

FAVRE
Dans la même collection, entre autres :
Tout savoir sur les plantes médicinales des montagnes,
Prof. K. Hostettmann.
Tout savoir sur le pouvoir des plantes, sources de médicaments,
Prof. K. Hostettmann.
Tout savoir sur les aphrodisiaques naturels,
Prof. K. Hostettmann.
Tout savoir sur la voix,
Dr M.-L. Dutoit-Marco.
Tout savoir sur le cancer,
Dr Ph. Lagarde.
Tout savoir sur le dopage,
Dr Michel Bourgat.
Tout savoir sur l'érotisme,
Dr Georges Abraham.
Tout savoir sur l'art-thérapie,
Prof. Richard Forestier.
Tout savoir sur la diététique gastronomique,
Dr Agnès Amsellen.
Tout savoir sur les vertus du vin,
Corinne Pezard.
Tout savoir sur les traitements antivieillissement,
Prof. J . Proust.
Tout savoir sur vo tre écriture,
René Vaucher.
Tout savoir sur les progrès du laser en esthétique,
Dr B. Hayot.
Tout savoir sur le génie génétique,
Ph. Gay et J. Neirynck.
Tout savoir sur le pied,
Roselyne Landsberg.
Tout savoir sur le maquillage permanent,
E. Habnit.
Avant-propos

Aussi loin que l'on puisse remonter dans l'histoire, l'homme a


cherché dans les plantes sa nourriture, mais aussi ses remèdes. Au
cours des siècles, il a appris à ses dépens à discerner les plantes
toxiques des plantes comestibles et des espèces bénéfiques pour sa
santé. Le savoir ainsi accumulé s'est transmis de génération à généra-
tion sur tous les continents. Dans sa quête de nouvelles sources d'ali-
ments, l'homme a aussi fait la connaissance d'espèces végétales agis-
sant sur son esprit, son psychisme, lui donnant l'impression d'avoir
reçu des forces surnaturelles ou des dons lui permettant d'entrer en
communication avec les dieux. Ces plantes qui agissent sur le cerveau
et par conséquent sur le psychisme (plantes psychotropes) ont très vite
fasciné l'homme. Elles lui permettaient de se surpasser et d'échapper
pour un moment à la vie et à la misère quotidienne, mais les rêves sont
courts. Et le retour sur terre est d'autant plus brutal ! Alors l'homme a
envie de recommencer et de vivre à nouveau cette expérience. Cette
envie de recommencer peut devenir irrésistible. On appelle drogues ou
stupéfiants les substances psychotropes qui engendrent la dépendance,
l'accoutumance et la toxicomanie. Ce dernier terme désigne<< un état
d'intoxication périodique ou chronique engendré par la consommation
répétée d'une drogue qui se manifeste par un invincible désir ou un
besoin de continuer à consommer la drogue et de se la procurer par
tous les moyens ; une tendance à augmenter les doses ». Ces critères
ont été définis en 1957 par un comité d'experts de l'ONU (Pelt,
1983).

La dépendance psychique dépend de la dose et est très différente


d'un individu à un autre. Quant à la dépendance physique, elle se
manifeste brutalement lorsque l'individu privé de drogue peut mourir.

Heureusement, elle n'est induite que par des dérivés de l'opium,


comme par exemple l'héroïne. À cause de l'accoutumance engendrée

7
par la consommation de drogues, de nombreux gouvernements ont
fixé une liste des substances classées comme stupéfiants, dont la pré-
paration, la mise sur le marché et la consommation sont interdites.

Dans le présent livre, les plantes et leurs principaux constituants


psychotropes interdits par la loi sont traités d'une manière scientifique
et historique. Mais pas seulement les plantes, mais aussi les cham-
pignons hallucinogènes qui ont un passé fascinant puisqu'ils étaient
vénérés par les Aztèques et les Mayas bien avant 1' arrivée des conqué-
rants espagnols en Amérique centrale au XVI• siècle. Au milieu de ce
siècle, les nouveaux maîtres interdirent aux Indiens l'utilisation de ces
champignons. Cette première interdiction n'empêcha pas le culte de
ces champignons de perdurer et vers la fin du XX• siècle, le nombre
d'adeptes de psilocybes et d'autres espèces hallucinogènes n'a jamais
été aussi grand et atteint plusieurs millions dans le monde. Le 24
janvier 2002, en Suisse, l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) et
Swissmedic, Institut suisse des produits thérapeutiques ont fait le com-
muniqué de presse suivant :

Mesures contre les drogues dangereuses pour la santé

«La consommation de certaines drogues telles que le GHB 1 et les


champignons hallucinogènes représente un grand danger dans les soi-
rées. En conséquence, l'OFSP a complété la liste des substances pro-
hibées ou strictement contrôlées, en y faisant notamment figurer le
GHB, les champignons hallucinogènes et le cactus peyotl. La
mesure est entrée en vigueur le 31 décembre 2001 ».

Cette nouvelle interdiction montre la grande actualité du sujet à un


moment où la presse relate presque quotidiennement des événements
liés au cannabis, à sa possible dépénalisation, à l'emprisonnement de
ceux qui produisent un chanvre avec une teneur trop élevée en THC.
Cette plante, que nos ancêtres les plus éloignés utilisaient pour ses
fibres dans la fabrication des cordes, est devenue au début du III" millé-
naire la drogue interdite la plus consommée dans le monde.

Le lecteur qui n'a pas de formation scientifique ou médicale tré-


buchera parfois sur un terme qu'il ne connaît pas, mais cela ne l'em-
pêchera nullement de comprendre le message contenu dans ce livre,
dont la lecture est facilitée par de nombreuses anecdotes historiques. Il
est important de mieux connaître les drogues pour évaluer les risques
engendrés par leur consommation.

8
Je tiens à remercier le 0' Christian Terreaux pour l'aide apportée
dans la recherche de nombreux documents et pour la lecture critique
du manuscrit, ainsi qu'à Chantal Terreaux pour la saisie de ce dernier.
Enfin, mes remerciements s'adressent aussi à mon épouse Maryse
pour ses encouragements et son aide dans la préparation du
manuscrit.

Lausanne , février 2002


Prof. K. Hostettmann

1 GHB = acide gamma-hydroxybutyrique, un produit de synthèse appelé aussi Liquid


Ecstasy.

9
Introduction

Les plantes psychotropes sont très nombreuses et loin d'avoir


livré tous leurs secrets. Parmi celles qui sont connues et bien docu-
mentées, un certain nombre a été placé par les ministères de la Santé
ou autres organismes d'État responsables de la Santé publique sur la
liste des drogues prohibées. Malgré ces interdictions, la consommation
de drogues est en nette augmentation dans le monde. Ainsi, le canna-
bis reste malgré tout la drogue interdite la plus consommée dans le
monde. On estime qu'en Suisse 500 000 personnes consomment
occasionnellement ou régulièrement du cannabis. En France, ce chiffre
est de l'ordre de 5 à 7 millions de personnes. Les drogues ont suscité
depuis toujours et elles continueront à susciter de nombreuses passions
pendant les années à venir. Certains considèrent les drogues, qu'elles
soient d'origine végétale ou issues de la chimie de synthèse, comme un
moyen précieux pour accéder à des niveaux de conscience supérieure,
de se surpasser et aussi de fuir la réalité du présent, de rompre le
triste déroulement du quotidien et d'oublier, ne fut-ce que pour un
instant, la misère de la vie quotidienne. Notre but n'est pas de faire une
apologie des drogues et de leurs effets, bien au contraire. Le but n'est
pas non plus d'être moralisateur, mais de présenter le cheminement
historique d'une plante, de son usage traditionnel à la découverte de
ses constituants psychotropes. Le mot drogue fait peur et à juste titre
lorsque l'accoutumance est induite par la consommation de plantes ou
de ses difficultés et les conditions misérables de leur existence. Des
œuvres littéraires, musicales ou picturales ont aussi été réalisées sous
l'emprise de drogues. D'autres considèrent les drogues comme des
substances magiques conduisant l'être humain à la déchéance, comme
des ennemis de l'individu et de la société, comme responsables de
l'augmentation de la criminalité et qu'il faut par conséquent les éradi-
quer de la planète à tout prix. Ni les uns, ni les autres ne détiennent la
vérité. La drogue peut devenir un vrai fléau et le nombre de personnes
qui ont eu leur vie détruite par sa consommation est immense. Mais il

11
y a des fléaux qui ont engendré autant de dégâts et de souffrances
que les drogues prohibées, à savoir l'alcool en premier lieu et aussi
le tabac, qui peuvent provoquer eux aussi une dépendance. Il faut
encore citer les stimulants d'origine naturelle comme les plantes qui
contiennent la caféine, à savoir le café, le thé, la noix de cola, le maté
ou encore le guarana. Les accros du café vont jusqu'à siroter une
dizaine ou même plus de tasses par jour et les accros du maté ne
peuvent plus s'en passer en Uruguay, en Argentine ou dans d'autres
pays d'Amérique latine. Pour certains, même le chocolat peut devenir
une drogue. Mais le café et le chocolat n'engendrent que des petits
problèmes de santé qui ne sont en aucun cas comparables à ceux
produits par les stupéfiants.

Dans ce livre, ce sont les drogues prohibées qui ont été traitées
avec quelques plantes psychotropes importantes comme par exemple
certaines espèces de la famille Solanaceae qui font beaucoup parler
d'elles depuis quelques années.

Les stupéfiants (drogues) d'origine naturelle dont la préparation,


la mise sur le marché et la consommation sont interdites sont les sui-
vants :
- le cannabis, sa résine et ses constituants psycho-actifs (THC)
- le coca, ses feuilles et ses constituants (cocaïne, ecgonine)
- le pavot, son concentré de paille, l'opium, la morphine, l'héroïne,
etc.
- le khat, ses feuilles et ses constituants (cathinone)
- le cactus peyotl et le cactus de San Pedro et leur constituant
(mescaline)
- les champignons hallucinogènes des genres Psilocybe, Conocybe,
Panaeolus et Stropharia et leurs constituants psychotropes
(psilocine et psilocybine)
- l'ibogaïne, un alcaloïde psychotrope isolé d'espèces africaines du
genre !baga.

Bien que le LSD ou diéthylamide de l'acide lysergique, interdit


dans la plupart des pays, ne soit pas un produit naturel, nous l'avons
inclus dans ce livre étant donné qu'il dérive d'un constituant de l'ergot
de seigle, un champignon qui parasite cette céréale.

Dans cet essai, nous avons voulu montrer le rôle important joué
par les plantes psychotropes dans l'histoire des civilisations anciennes
jusqu'à notre propre civilisation. La démarche qui a conduit de l'usage

12
traditionnel, des siècles en arrière, jusqu'à l'identification des substan-
ces actives et de leurs propriétés pharmacologiques est simplement
fascinante. Les plantes peuvent tuer ou guérir, tout dépend de la dose,
comme 1' a si bien dit Teophrastus Bombastus von Hohenheim
(1493-1541), alchimiste et médecin suisse, plus connu sous le nom de
Paracelse : «Tout remède est un poison, aucun n'en est exempt. Tout
est question de dosage ».

Ce principe est plus que jamais de grande actualité à une époque


où beaucoup de personnes pensent que tout ce qui est naturel est for-
cément bon. Ces personnes oublient que les poisons les plus violents
et les drogues se trouvent aussi dans la Nature. Ces dernières ont fas-
ciné l'homme depuis le début de son histoire et elles continueront
encore de le fasciner pendant des siècles. En effet, sur les quelque
400 000 plantes qui existent sur la Terre, environ 10 % ont été étu-
diées sur les plans phytochimiques et pharmacologiques. Parions que
parmi les espèces qui restent à investiguer, certaines vont dévoiler des
propriétés psychotropes puissantes et encore inconnues. Mais cessons
de rêver et apprenons à connaître celles qui nous entourent et qui sont
accessibles.

13
Les plantes qui deviennent des drogues

Du cannabis au THC
Depuis les temps les plus reculés, l'homme a utilisé les fibres du
chanvre pour en faire des cordes et des ficelles. C'est peut-être l'une
des premières plantes cultivées par l'homme car des évidences archéo-
logiques montrent que vers 8000 ans avant J .-C., dans le territoire de
l'actuelle Turquie, le chanvre faisait partie de l'agriculture primitive de
cette époque (Clarke, 2000). On utilisait alors les fibres de cette plan-
te pour en faire des habits, des récipients divers et surtout les cordages
indispensables à la navigation. D'autres indices archéologiques font
remonter l'utilisation des graines de chanvre dans l'alimentation
humaine sous forme d'huile en Chine à environ 6000 ans avant J.-C.
Le nom scientifique du chanvre est Cannabis sativa L. qui appar-
tient à la famille Cannabaceae. Dans cette famille botanique, on trou-
ve une autre plante bien connue, le houblon ou Humulus lupulus L. ,
utilisé non seulement pour aromatiser la bière, mais aussi pour ses pro-
priétés sédatives. De plus, le houblon contient des flavonoïdes aux pro-
priétés œstrogéniques. Sur le plan botanique, les Cannabacées sont
assez proches des Urticacées, dont le principal représentant est l'ortie
ou Urtica dioica L. À remarquer qu'il n'est donc pas étonnant que les
feuilles du chanvre présentent une certaine ressemblance avec celles
de l'ortie. La taxonomie du chanvre a été l'objet de nombreux désac-
cords : certains spécialistes en ont fait diverses espèces, sous-espèces
et variétés. Le célèbre botaniste genevois Augustin Pyrame de
Candolle (1778-1841), auteur de la Théorie élémentaire de la
botanique publiée en 1813, s'intéressa à la classification du chanvre
et distingua une dizaine de sous-espèces et variétés, dont Cannabis
sativa ssp. indica et Cannabis sativa var. indica. Pendant longtemps,
l'appellation Cannabis sativa fut donnée au chanvre à fibres , pauvre
en substance active appelée THC, et l'appellation Cannabis sativa var.
indica au chanvre à résine riche en THC. Cette dernière variété est
plus connue sous le nom de chanvre indien ou chanvre à drogue. Il est
cependant pratiquement impossible de distinguer ces deux types de
chanvre par des critères morphologiques. Actuellement, on parle
plutôt de races chimiques (en anglais chemotypes) car le seul moyen
de les différencier est de déterminer quantitativement la teneur en
THC. Cette teneur dépend de facteurs endogènes, mais aussi de
facteurs exogènes comme par exemple, la composition du sol,
l'ensoleillement, le moment de la récolte. Il est bien connu qu'un

14
Du cannabis au THC

chanvre qui pousse dans un pot sur un balcon peu ensoleillé sera
nettement moins riche en THC qu'une plante poussant en pleine
nature à un endroit bien exposé au soleil. Dans ces conditions, la
plante peut atteindre une hauteur de 2 à 4 mètres.

De l'utilisation traditionnelle du chanvre


De nombreux récits historiques attestent de l'utilisation du
chanvre en médecine. La plante est probablement originaire de l'Asie
centrale, puis a été transportée en Chine et en Inde pour aboutir en
Europe. Cependant, des graines de Cannabis sativa furent trouvées
dans des tombes de l'époque néolithique en Allemagne, dont l'âge est
estimé à 5500 ans avant J.-C. Mais leur rôle exact n'est pas connu.
Des textes chinois datant d'environ 1500 ans avant J.-C. mentionnent
l'emploi du chanvre dans le traitement des douleurs rhumatismales, des
maux de tête et de bien d'autres affections. En Inde, on l'utilisait pour
ses propriétés excitantes et des textes en sanscrit écrits entre 2000 et
1400 avant J. -C. le mentionnent sous le nom de bhang considéré
comme l'herbe sacrée. Plus tard, dans ce pays, dans le système de
médecine ayurvédique, le cannabis fut utilisé pour le traitement des
maux de tête d'origine névralgique et de la migraine. Selon l'historien
grec Hérodote (484-420 avant J.-C.), ce sont les Scythes qui introdui-
sirent le chanvre dans la région méditerranéenne avant la guerre de

Cannabis sativa L.

15
Les plantes gui deviennent des drogues

Troie au XIII• siècle avant J. -C. Ces redoutables guerriers qui ravagè-
rent de nombreux pays du Proche-Orient avaient l'habitude d'inhaler
la fumée obtenue en déposant des graines de chanvre sur les cailloux
ou ardoises chauffés au rouge vif (Girre, 1997). Selon Mann (1996),
peu après l'inhalation, « les Scythes ravis crièrent de joie '' et deve-
naient alors plus aptes au combat. De récentes preuves archéologiques
semblent prouver l'existence de cette pratique qui n'a pas disparu de
nos jours. En effet, récemment, l'auteur du présent livre a été sollicité
par un avocat pour réaliser l'identification de graines et de résidus de
feuilles d'une plante. Le client de cet avocat, en instance de divorce, se
battait pour obtenir la garde de son enfant âgé de 18 mois. Il avait
observé à plusieurs reprises que son épouse, d'origine nord-africaine,
mettait les graines et les feuilles de cette plante sur une plaque chauf-
fée au rouge de la cuisinière électrique. L'enfant était maintenu pen-
dant plusieurs minutes au-dessus de la plaque et forcé de respirer la
fumée ainsi dégagée. Très rapidement, celui-ci tombait dans une
profonde léthargie et sa maman n 'avait plus besoin de s'occuper de lui.
L'analyse microscopique et phytochimique révéla que la plante n'était
rien d'autre que Cannabis sativa L. avec une teneur élevée en THC.
La garde de 1'enfant fut attribuée au père ...
Le chanvre était aussi connu dans l'Égypte ancienne où il était
administré aux patients pour diverses indications sous forme orale, par
voie anale et vaginale, ainsi que par fumigation (Russo, 2001). Des

Graines de chanvre

16
Du cannabis au THC

résidus de cannabis furent trouvés par exemple dans la tombe du pha-


raon Ramsès II (1304-1236 avant J.-C.). Dioscoride (!"'siècle après
J.-C.), auteur du célèbre traité sur les plantes médicinales De Materia
Medica, décrit les propriétés analgésiques du cannabis. Des prescrip-
tions à base de chanvre furent élaborées par Galien (131-201), père
de la pharmacie. Les médecins du Moyen Âge en Europe se sont inspi-
rés des recettes de Galien. Au XII" siècle, la célèbre abbesse et guéris-
seuse allemande Hildegard von Bingen (1098-1179) a écrit dans son
livre intitulé Physica : "Celui qui a un cerveau vide et des maux de tête
peut manger le cannabis et ses maux de tête seront atténués. Celui qui
a une tête saine et un cerveau plein ne sera pas affecté par lui ».

Des textes arabes attestent des propriétés inébriantes des feuilles


de chanvre dès le IXe siècle et Avicenne (en arabe Ibn Sina) (980-1037),
célèbre médecin et philosophe, écrit que le chanvre agit sur le cerveau
et combat les douleurs chroniques. En 1090, un musulman d'origine
persane Hassan Ibn Al-Sabbah fonde l'Ordre des Ismaéliens, une sorte
de secte secrète où les membres furent soumis à une discipline de fer.
Ces derniers furent des combattants voués à des missions de sacrifice
(Pelt, 1983 et Russo, 2001). Avant chaque mission, on leur adminis-
trait un breuvage très euphorisant formé de résine de cannabis. Les
membres de cette secte furent ainsi dopés pour mieux combattre les
croisés qui portèrent secours aux chrétiens d'Orient et voulaient
reprendre le Saint-Sépulcre aux musulmans. Leur habilité au combat
et leur cruauté inspirèrent la terreur aux croisés et bientôt ces guerriers
musulmans furent connus sous le nom d'assassins en Europe. Étymo-
logiquement, le mot assassin dérive de l'arabe haschischin qui veut
dire mangeur de haschisch. Ce dernier terme désignant la résine obte-
nue à partir du chanvre (Clarke, 2000). Marco Polo (1254-1324), de
retour à Venise en 1295, contribua à répandre en Europe les exploits
et les méfaits de la secte des Assassins ou mangeurs de haschisch. Dès
lors, les propriétés surprenantes du chanvre furent de mieux en mieux
connues en Europe. Ainsi François Rabelais (1494-1553) cite le can-
nabis dans son livre Horribles et épouvantables faits et prouesses du
très renommé Pantagruel en donnant une bonne description bota-
nique et l'usage médicinal de la plante. Une description encore plus
détaillée est donnée dans Le Tiers Livre publié en 1546 et officielle-
ment condamné dans la même année. Dans ce livre, Rabelais estime
que le chanvre doit être nommé roi du royaume végétal et lui attribue
le nom de Pantagruélion (Hadengue et al., 1999). Il le recommande
pour soigner divers maux :

17
Les plantes gui deviennent des drogues

<< Je laisse à vous dire comment le jus d'icelle, exprimé et instillé

dedans les aureilles, tue toute espece de vermine ... La racine d'icelle,
cuicte en eaue, remollist les nerfs retirez, les jointures contractes ... Si
promptement voulez guerir une bruslure, soit d'eaue, soit de feu,
applicquez y du Pantagruelion crud .. . »
Cependant, il a fallu attendre la campagne d'Égypte de Napoléon
(1769-1821) qui eut lieu en 1798-1799 pour rendre la consommation
du cannabis très populaire en Europe. Le chanvre poussant en Égyp-
te, pays de soleil, était très riche en résine et la population en était très
fervente. Ce qui incita Napoléon à promulguer un décret en 1798,
interdisant la consommation du cannabis. Paradoxalement, malgré
cette interdiction, ce sont les soldats de Napoléon de retour en France
qui propagèrent la consommation du chanvre dans la plupart des pays
européens, à l'exception de l'Angleterre. Dans ce pays, ce sont les sol-
dats et « les médecins de retour de mission en Inde qui introduisirent la
plante et le vice •• (Mann, 1996). La consommation de chanvre et
produits dérivés connut une sorte d'apogée culturelle au milieu du
XIXe siècle lorsque le peintre Gustave Moreau (1826-1898), l'écrivain
Théophile Gautier (1811-1872) et le poète Charles Baudelaire (1821-
1867) fondèrent Le Club des Haschischins. D'autres célébrités en
devinrent membres comme par exemple Honoré de Balzac (1799-
1850). Tous ces personnages illustres étaient convaincus que leurs
performances artistiques étaient améliorées par la consommation de
cannabis. Baudelaire était aussi un grand amateur d'opium et a fait
part de ses expériences dans Les fleurs du mal et Les paradis artifi-
ciels (voir chapitre consacré au pavot et à l'opium). Au XIXe siècle, la
liste des écrivains qui ont goûté au cannabis et qui en vantent les effets
est très longue. Nous citerons ici encore Arthur Rimbaud (1854-1891),
Gérard de Nerval (1808-1855), Alexandre Dumas père (1802-1870),
George Sand (1804-1876) et Alfred Jarry (1873-1907). Le lecteur
intéressé trouvera de multiples renseignements dans l'excellent ouvra-
ge publié par Hadengue et al. (1999), intitulé Le livre du Cannabis ,
qui est une véritable anthologie de textes sur le cannabis depuis les
pharmacopées des plus anciennes civilisations jusqu'aux écrits des
auteurs de la fin du xxe siècle.

Du haschisch à la découverte du THC


Dans le langage courant, le terme de haschisch est synonyme de
résine de cannabis. Cette dernière est obtenue par friction des sommi-
tés fleuries de la plante femelle . Sur les petites feuilles de ces sommi-

18
Du cannabis au THC

tés (parties inférieures) se trouvent de multiples petites glandes gorgées


de résine. Lorsqu'elles sont mûres, ces petites glandes sphériques libè-
rent par simple pression la résine qui est très gluante. La récolte de la
résine peut se faire par simple friction manuelle des sommités de la
plante fraîche, geste ressemblant un peu à celui de la traite des vaches.
Il est évident que des résidus de résine resteront collés aux mains.
D'après certains auteurs, les propriétés psychotropes du cannabis ont
été découvertes par hasard lorsque l'homme dans les temps reculés, à
la quête de nourriture, récoltait les graines de chanvre manuellement.
Il devait fatalement aussi ingérer des restes de résine !
Il est plus facile de récolter manuellement la résine le matin tôt
lorsque la plante est encore humide par la rosée. Cette méthode arti-
sanale ne donne guère un bon rendement. Actuellement, il existe d'au-
tres méthodes pour obtenir plus rapidement la résine tant recherchée.
La plante séchée est passée sur des tamis de granulométries diverses.
Alors qu'il faut compter une heure pour obtenir quelques dizaines de
grammes de haschisch par friction manuelle, dans le même laps de
temps, la méthode de tamisage fournit plus d'un kg de résine (Ratsch,
1999 ; Clarke, 2000). Il est clair que la substance active du cannabis
ne se trouve pas seulement dans les glandes à résine où sa concentra-
tion est élevée, mais dans toutes les parties aériennes de la plante.
L'herbe séchée est souvent appelée marijuana . C'est le nom que lui
donnaient les travailleurs immigrés mexicains qui introduisirent la dro-
gue vers 1920 aux États-Unis. Le haschisch, selon le mode de prépa-

Chanvre séché ou marijuana

19
Les plantes gui deviennent des drogues

ration et la façon de le sécher, peut être de couleur jaunâtre, brune ou


brun-noir.
Une plante avec une histoire aussi longue et tumultueuse suscita
l'intérêt des phytochimistes et les publications relatives au contenu chi-
mique du cannabis sont très nombreuses. Disons d'emblée que plu-
sieurs centaines de constituants divers ont déjà été isolés et identifiés
dans le chanvre. Il s'agit d'huile essentielle formée de nombreux
terpénoïdes volatils, de flavonoïdes , de composés azotés, de sucres,
d'acides gras et surtout d'une classe de substances d'un type structural
tout à fait particulier : les cannabinoïdes. Ce sont des molécules terpé-
niques possédant une fonction phénol. Près de 80 cannabinoïdes
différents ont été identifiés jusqu'ici, dont les quatre principaux sont :
- le tétrahydrocannabinol ou THC
- l'acide tétrahydrocannabinolique ou acide THC
- le cannabinol ou CBN
- le cannabidiol ou CBD.
La substance la plus connue est sans le moindre doute le THC qui
est souvent cité par la presse orale ou écrite. L'activité psychotrope du
cannabis est liée au seul THC qui est considéré comme le principe actif
de la plante. Il n 'est pas exclu que des cannabinoïdes présents seule-
ment en traces soient intéressants aussi. Mais ils n'ont pas encore pu
être testés, faute de substances en quantité suffisante.
Malgré le fait que le THC possède un groupement phénol, c'est une
substance lipophile qui arrive à passer facilement la barrière hémato-
encéphalique. Ce qui n'est pas le cas pour l'acide tétrahydrocannabi-
nolique (acide THC) qui est beaucoup plus polaire à cause de la pré-
sence de la fonction acide carboxylique. Il est important de retenir que
l'acide THC (non-actif) peut être transformé par simple chauffage en
THC (actif) par une réaction de décarboxylation {perte de COz). Le
chanvre contient du THC, mais aussi de l'acide THC, en proportions
très variables. Un échantillon peut contenir beaucoup de THC et très

COOH -C02
...
CsH11
Acide THC (inactif) THC (actif)

20
Du cannabis au THC

peu d'acide THC. L'administration


orale de cet échantillon induira un effet
psychotrope. Au contraire, un autre
échantillon sera riche en acide THC et
SPAGHEnl pauvre en THC. La consommation de
cet échantillon par voie orale ne pro-
voquera aucun effet. Par contre si l'on
fume ce dernier échantillon, la chaleur
de la combustion transformera 1' acide
THC en THC actif qui lui est capable
de passer rapidement dans le circuit
sanguin et produire l'effet recherché.
Cette transformation est représentée
dans la figure page précédente.
La transformation chimique sus-
mentionnée explique clairement pour-
Spaghettis à base de chanvre quoi le cannabis est le plus souvent
fumé.
Cependant, une grande prudence s'impose car lorsqu'on est en
présence d'échantillons de haschisch ou de marijuana le rapport
THC/acide THC n'est pas connu. Ce dernier ne peut être établi que
par une analyse chimique. Les consommateurs de cannabis par voie
orale dans le doute prennent la précaution de passer leur drogue pré-
férée au four, en faisant par exemple des biscuits ou autres pâtisseries.
La chaleur du four transformera l'acide THC en THC actif ! L'auteur
de ce livre connaît personnellement un jeune homme, qui après avoir
fumé quelques joints , a préparé une tisane de haschisch en versant de
l'eau bouillante sur une barre de drogue. Même en buvant quelques tas-
ses de ce breuvage, aucun effet ne fut remarqué. Ce qui n'est pas sur-
prenant étant donné que le THC et les autres cannabinoïdes ne sont
que peu solubles dans l'eau. Le jeune homme trouva au fond de la
théière la barre de haschisch, un peu ramollie, mais pratiquement
intacte. Il décida alors de la manger. Erreur fatale ! L'échantillon était
très riche en THC et la quantité ingérée de l'ordre de 1,5 à 2 gram-
mes. Véritable bombe à retardement. Quelques heures après l'inges-
tion, l'apprenti-sorcier se réveilla avec des visions atroces et on le
retrouva nu dans les rues de sa petite ville en train de se taillader les
avant-bras avec un couteau de cuisine. L'effet provoqué ressemblait à
celui induit par le fameux LSD et pendant plusieurs mois encore, le
jeune homme eut des cauchemars horribles et la tentation de se suici-
der. Il s'agit ici d'un cas grave d'overdose.

21
Les plantes qui deviennent des drogues

Il est intéressant de noter que le fameux THC et les autres can-


nabinoïdes sont des terpènes-phénols alors que toutes les autres
substances psychotropes d'origine naturelle sont des alcaloïdes (com-
posés basiques contenant de l'azote). La pharmacologie du THC a été
le sujet de nombreuses études (Dewey, 1986). On sait que cette
substance se lie à des récepteurs spécifiques situés dans le système Hm-
bique et interagit aussi avec d'autres récepteurs influençant la concen-
tration de neurotransmetteurs comme l'adrénaline, la noradrénaline et
la sérotonine. Le THC est métabolisé au niveau du foie en dérivés
hydroxylés, puis carboxylés. Ces métabolites sont excrétés par l'urine
où ils peuvent être détectés très facilement, même en concentrations
très faibles. La présence des métabolites du THC peut être déterminée
encore une semaine après la prise de la drogue. Le consommateur
régulier de cannabis (2 à 3 joints par semaine) sera testé positif sans
interruption. L'induction de l'état euphorique qui est l'effet principal
correspond à l'absorption de 25 à 50 ).!g (microgrammes) de THC par
kilo de poids corporel par voie pulmonaire ou bien de 50 à 200 ).!g par
voie orale (Mann, 1996). Mais la dose dépend avant tout de l'individu.
Il n'est pas rare qu'en fumant un haschisch de bonne qualité (qui peut
contenir jusqu'à 25 %de THC), l'absorption de 10 mg de THC est
atteinte. L'effet recherché, le sentiment d'euphorie ou high survient
presque immédiatement et atteint son sommet après une quinzaine de
minutes. Cet état peut durer jusqu'à 3-4 heures. Les doses utilisées par
voie orale sont généralement plus élevées et correspondent souvent à
une vingtaine de mg de THC. La manifestation de l'effet est beaucoup
plus lente et le sommet ne sera atteint qu'après 2-3 heures. Chez la
plupart des personnes, on observe une sensation de bien-être et une
douce euphorie. Chez d'autres, plutôt un effet de sédation. La per-
ception sensorielle, c'est-à-dire la perception des distances, des for-
mes, des couleurs et des sons est modifiée, surtout intensifiée. Laper-
ception du temps est également altérée, ainsi que la mémoire à court
terme. Ce qui se manifeste par des phrases courtes, la parole lente et
des mots complètement hors du propos en cours. Le THC perturbe
aussi la coordination motrice et il est fortement recommandé de ne pas
prendre le volant après avoir consommé du haschisch ou de la mari-
juana. D'après certains spécialistes, une diminution de l'aptitude à
conduire un véhicule peut être suspectée lorsque les taux sanguins sont
supérieurs à 5 mg/1. D'autres placent cette limite encore plus bas. De
plus en plus, l'abus de cannabis est rendu responsable d'accidents de
la circulation. L'alcool et le cannabis ne font pas bon ménage et il est
exclu de conduire si on a consommé les deux produits. Le THC pro-

22
Du cannabis au THC

voque aussi quelques effets physiques comme la sécheresse buccale,


l'accélération du rythme cardiaque et l'augmentation de l'appétit.
Seules des doses très élevées en THC provoquent des hallucinations
accompagnées d'anxiété, de sentiment de panique et de syndromes
délirants. Ces hallucinations peuvent induire le besoin de se suicider.
Mais tout dépend de la personne. Un individu psychologiquement fra-
gile réagira plus violemment à une dose forte qu'un homme équilibré.
Il faut remarquer qu'en cas de surdosage, les phénomènes hallucina-
toires peuvent être revécus soudainement et ceci bien longtemps après
la prise. On appelle ce phénomène le flash back, bien connu dans le
cas du LSD (Bruneton, 1999).
L'utilisation, même répétée, de cannabis ne provoque pas de
dépendance physique. Une dépendance psychique peut s'installer lors
d'un usage répété sur une longue période avec l'irrésistible envie de
recommencer. Dans ce cas, généralement, ce ne sont pas les doses qui
sont augmentées, mais la fréquence des prises. Cette dépendance est
liée aux antécédents du consommateur. Une controverse existe dans la
littérature scientifique au sujet du comportement des individus devenus
dépendants du cannabis : la drogue provoque-t-elle à long terme l'a-
pathie, la difficulté de concentration et la démotivation ? L'utilisation
chronique de hautes doses peut conduire à des problèmes bron-
chiques, à une diminution de la spermatogenèse et finalement à l'im-
puissance.
Au vu de 1'accoutumance induite par le cannabis chez beaucoup
de consommateurs, la production, la mise sur le marché et l'usage du
cannabis, de sa résine, du THC et de ses dérivés sont interdits dans de
nombreux pays, y compris la France et la Suisse. Cependant, la cultu-
re, l'importation et l'exportation de variétés de chanvre dépourvues de
propriétés stupéfiantes sont autorisées. Aux yeux du législateur,
dépourvu de propriétés stupéfiantes implique un cannabis dont la
teneur en THC ne dépasse pas 0 ,3 o/o. Cette autorisation concerne le
chanvre cultivé pour ses fibres, pour l'alimentation ou comme ingré-
dient de produits cosmétiques. De plus en plus d'agriculteurs se sont
tournés vers la culture du chanvre et le fameux 0,3 o/o de THC à ne pas
dépasser a fait la une de la presse suisse en novembre 2001. En effet,
un agriculteur suisse du Valais a été emprisonné et toute sa récolte sai-
sie par les forces de l'ordre parce que le chanvre produit sur son
domaine, contenait, paraît-il, 4 o/o de THC.
Le cannabis est donc une drogue illicite. Pour combien de temps
encore ? On n'en sait rien. Mais des débats politiques sont en cours

23
Les plantes gui deviennent des drogues

pour changer la loi et dépénaliser l'usage du cannabis. De nombreux


scientifiques estiment qu'il est inadmissible de mettre en prison des
gens qui cultivent ou qui consomment du cannabis. Nous ne citerons
ici que le célèbre professeur français Léon Schwartzenberg qui a lancé
une pétition pour la législation du cannabis le 17 juin 1994 à Paris
dans laquelle on peut lire 2 :
'' ... constatant les dégâts effarants de sa prohibition en particulier
1'absurdité de sa répression qui mène des milliers de personnes en pri-
son, nous tenons à faire savoir calmement, mais solennellement, que
nous avons soit consommé du cannabis, soit aidé à en faire usage.
Les données médicales et scientifiques établissent clairement qu'il
existe des différences entre les produits inscrits sur la liste des stupé-
fiants.
L'alcool et le tabac sont sanitairement et socialement plus dange-
reux : le cannabis et ses dérivés doivent être immédiatement retirés du
tableau de stupéfiants.
Leur prohibition tient à l'affirmation jamais prouvée que les dro-
gues douces mènent aux drogues dures ... ,,

Un examen microscopique permet l'identification immédiate du chanvre,


mais ne donne aucune indication sur la teneur en THC

2 Texte tiré de l'ouvrage de T. Hadengue, H. Verlomme et Michka intitulé Le livre du


Cannabis, Georg Éditeur, Genève 1999, p. 195.

24
Du cannabis au THC

Les avis sur le sujet restent partagés et pour le moment, le can-


nabis reste une drogue illicite. De ce fait, ceux qui en détiennent ou qui
en vendent sont pourchassés par la police. Il est très facile d'identifier
le cannabis. Un échantillon suspect, par exemple un mégot de ciga-
rette, sera pulvérisé, puis observé au microscope. La recherche de
poils caractéristiques appelés poils cystolithiques trahit la présence de
chanvre dans n'importe quel mélange. Cependant, cette identification
rapide ne donne aucune indication sur la qualité du cannabis et sa
teneur en THC. Celle-ci est déterminée par des analyses faisant appel
aux techniques chromatographiques. L'un des meilleurs détecteurs de
cannabis reste le chien et la plupart des corps de police disposent
d'animaux spécialement dressés pour déceler le chanvre. D'une
manière générale, le chien possède un odorat plus sensible que
l'homme. Cette propriété est mise à contribution depuis longtemps
lors de la chasse pour débusquer le gibier, pour rechercher des
personnes disparues ou encore pour trouver les truffes. Dans le cas du
cannabis, il faut savoir que l'odeur typique de la drogue n'est pas due
au fameux THC qui est pratiquement inodore, mais à son huile
essentielle qui est très riche en terpènes divers. Parmi ces derniers,
c'est le caryophyllène époxyde qui a retenu l'attention des dresseurs de
chiens. En effet, cette substance caractéristique du cannabis et de sa
résine, le haschisch, semble particulièrement bien convenir aux chiens
(Stahl et Kunde, 1973). Un chien dressé est capable de déceler 1 f..lg
(millième de milligramme) de caryophyllène époxyde, ce qui
correspond à environ 1 à 2 grammes de haschisch bien camouflé dans
une valise de cuir par exemple. Le caryophyllème époxyde n'est pas
caractéristique uniquement du chanvre. On le trouve par exemple aussi
dans le houblon ou Humulus lupulus L. qui appartient à la même
famille botanique que Cannabis sativa L. Des expériences ont montré
que les chiens réagiront aussi en présence de houblon.
Pourrait-on utiliser des cochons pour détecter le cannabis ? La
question peut se poser étant donné que ces animaux son utilisés, tout
comme les chiens, pour trouver les truffes enfouies dans le sol. La
réponse est clairement non. Des chercheurs allemands ont mis en évi-
dence dans la truffe noire (Tuber melanosporum Vitt.) une substance
volatile de structure chimique proche de celle de la testostérone appe-
lée S-androst-16-én-3a-ol (ou plus simplement androsténol). Cette
substance avait été précédemment identifiée dans la salive du cochon
mâle ou verrat avec deux autres composés analogues (Claus et al.,
1981). Ces substances sont synthétisées dans les testicules et transpor-
tées dans la salive du verrat en période précopulative. Leur rôle est

25
Les plantes qui deviennent des drogues

d'attirer et d'exciter la femelle ou truie. Ces substances sont donc des


phéromones sexuelles ou messagers chimiques doués d'un effet stimu-
lant. On n'utilise pour rechercher la truffe que des cochons femelles.
Donc la truie qui détecte la truffe qui peut se trouver jusqu'à un mètre
de profondeur dans le sol reconnaît en elle l'odeur attirante du verrat.
Elle réagit à son arôme par un comportement d'accouplement. Son
impétuosité à creuser le sol sous les chênes truffiers entraîne parfois la
détérioration des filaments formant le mycélium (Langley Danysz,
1982). Le chien est sensible à l'arôme des truffes et peut être dressé
aisément de manière à la reconnaître. La truffe est réputée depuis
l'époque de Jules César (1er siècle avant J.-C.) pour ses propriétés
aphrodisiaques. D'après son contenu chimique, elle est plutôt un
aphrodisiaque pour la femme étant donné que l'homme sécrète en état
d'excitation sexuelle dans sa transpiration axillaire des phéromones
sexuelles proches des constituants volatils de la truffe ! (Hostettmann,
2000).

Des médicaments à base de cannabis ?


De plus en plus de scientifiques pensent que le potentiel théra-
peutique du cannabis et de son constituant principal le THC est
immense , mais malheureusement inexploité pour le moment. En
2000, une association a été fondée sous le nom de Inte rnational
Association for Cannabis as Medicine , dont le siège est à Cologne,
en Allemagne. Cette association de scientifiques de diverses disciplines
et de médecins se bat pour la reconnaissance des dérivés du cannabis.
En 2001, elle a créé un périodique intitulé Journal of Cannabis The-
rapeutics. Le D' C. Ratsch, grand connaisseur et auteur de plusieurs
livres très intéressants sur le sujet, est lui aussi un avocat de la cause du
cannabis. Il a publié en 1998 un livre intitulé Hanf ais H e ilmitte f3 ou
le chanvre comme médicament.
Parmi les nombreuses potentialités thérapeutiques que représen-
tent le chanvre et ses constituants, il faut citer les propriétés anti-
émétiques du THC qui ont conduit aux États-Unis au développement
d'un médicament utilisé sous forme orale pour combattre les nausées
et les vomissements fréquents occasionnés par la chimiothérapie anti-
cancéreuse. Toujours aux États-Unis, le THC est disponible pour une
autre indication, à savoir l'anorexie accompagnée d'une perte pondé-

3 Ce livre a été publié chez AT Verlag, Aarau, Suisse.

26
Du cannabis au THC

rable considérable chez les patients sidéens. De nombreuses études ont


aussi été réalisées pour évaluer l'activité analgésique du THC et de
ses dérivés notamment dans le domaine des douleurs cancéreuses
chroniques. Cette activité a pu être confirmée, mais la survenue
d'effets secondaires lorsque les doses deviennent plus élevées limite
son application thérapeutique dans cette indication (Escher et al.,
1999). Un autre champ d'utilisation pourrait être le traitement de la
migraine et des évaluations sont actuellement en cours aux États-Unis
(Russo, 2001). De nombreux analogues structuraux ont été synthétisés
et expérimentés. Parmi ces derniers, la nabilone pourrait alléger
sensiblement les souffrances des patients atteints de sclérose en
plaques et augmenter leur tonus musculaire. Mais ces observations
devront encore être confirmées par des études cliniques. Bien d'autres
potentialités thérapeutiques sont encore citées, notamment l'effet
bénéfique du THC et du cannabidiol (CBD) sur les séquelles consé-
cutives à une attaque cérébrale (Ratsch, 1998). Le corps médical est
parfois encore un peu sceptique et estime que « 1'élargissement de
toutes ces indications nécessite encore un important travail de
recherche permettant de conclure non seulement à l'efficacité du THC
et d'autres cannabinoïdes, mais également à un rapport risque/
bénéfice favorable » (Escher et al., 1999). Cette question importante
trouvera sans doute une réponse dans un proche avenir, car les
recherches sur les utilisations thérapeutiques potentielles du chanvre
sont de plus en plus nombreuses.

27
Les plantes gui deviennent des drogues

La feuille de coca et la cocaïne


La feuille de coca provient du cocaïer, un arbuste originaire de
l'Amérique du Sud. Il appartient au genre Erythroxylum (Erythroxyla-
ceae) qui compte plus de 300 espèces différentes. Les rameaux de ces
arbustes sont généralement de coloration rougeâtre (d'où le nom géné-
rique erutros-xu/on). D'ailleurs en allemand, la famille s'appelle
Rotholzgewachse. Parmi toutes les espèces du genre Erythroxylum,
seules deux exhibent des propriétés hallucinogènes dues à la présence
d'un alcaloïde important, la cocaïne. Il s'agit en premier lieu de Ery-
throxylum coca Lam. fréquent dans les Andes péruviennes, bolivien-
nes et équatoriennes et de Erythroxylum novogranatense (Morris)
Hieron que l'on trouve en Colombie, au Venezuela et dans d'autres
pays encore. Les autres espèces sont dépourvues de cocaïne ou en
contiennent des quantités si faibles qui ne provoquent guère d'effet
psychotrope marqué. Une espèce du Brésil, Erythroxylum catuaba
A.J. Da Silva, dépourvue de cocaïne, est utilisée depuis très longtemps
par les populations indigènes comme aphrodisiaque. Cette plante est
à l'heure actuelle investiguée à l'Institut de Pharmacognosie et Phyto-
chimie de l'Université de Lausanne. Une affaire à suivre.

La plante sacrée des Incas


Des preuves archéologiques font remonter l'usage des feuilles de
coca à environ 3000 ans avant J .-C. (Karch, 1998). En effet, dans plu-
sieurs tombes précolombiennes, des paniers de feuilles de coca étaient
rangés autour des squelettes et momies. Il existe aussi des peintures
murales et des poteries datant d'environ 1000 ans après J.-C. qui
représentent des hommes à la joue distendue, comme celle des Indiens
du XXI• siècle quand ils mâchent des feuilles de coca. Cette période
correspond à l'apogée de la civilisation inca. De nombreux signes indi-
quent clairement que les Incas vénéraient la coca qui jouait un rôle fon-
damental dans les cérémonies religieuses. Ils cultivaient la plante pour
la production des feuilles qui étaient mâchées pour lutter contre la faim
et la fatigue et surtout pour survivre dans les hauts plateaux andins à
l'atmosphère pauvre en oxygène. La coca était aussi utilisée lors de
rites sexuels. Les Européens firent leur première rencontre avec la
coca en 1533, au Pérou, quand un détachement espagnol sous le
commandement du conquistador Francisco Pizzaro (1475-1541)
conquit l'empire des Incas et s'empara de sa capitale Cuzco.

28
La feuille de coca et la cocaïne

Les indigènes, terrorisés par les armes à feu, ne purent résister à


l'envahisseur et 160 soldats espagnols massacrèrent plus de 10 000
Incas ! Après l'effondrement de l'empire, quelques chefs indiens se
retirèrent dans les montagnes pour fonder, probablement à cette
époque, la cité de Machu Picchu. De nombreux touristes du monde
entier visitent actuellement les ruines impressionnantes de cette der-
nière cité inca située dans un cadre grandiose. Ce site archéologique
unique peut être atteint à partir de Cuzco par train, puis par bus ou
aussi, pour les gens pressés, par hélicoptère.
Dès la prise de Cuzco, le clergé espagnol condamna l'utilisation
de la coca, plante jugée démoniaque, nocive et porteuse d'illusions dia-
boliques. Ceci suggère clairement que les facultés psychotropes de
cette plante étaient déjà connues. Le gouvernement de la Nouvelle-
Espagne interdit l'utilisation de la coca jusqu'en 1569 (Ratsch, 2001).
À cette date, la condamnation fut levée à la demande des militaires qui
se rendirent rapidement compte que les Incas, leurs nouveaux sujets,
travaillaient plus en mangeant moins sous l'emprise de la coca. Dans
les récits de l'époque, on trouve cette phrase rapportée dans l'excel-
lent livre de John Mann intitulé Magie, Meurtre et Médecine (Mann,
1996) : " Cette herbe est tellement nutritive et fortifiante que ces
Indiens travaillent des journées entières sans rien d'autre >> . Les Espa-
gnols furent les premiers à bénéficier des propriétés remarquables de la
feuille de coca en transformant les Incas en esclaves forcés de travailler

Feuilles de coca

29
Les plantes gui deviennent des drogues

dans les mines d'argent et les mines d'or, l'esprit anéanti et la faim
supprimée par la coca. La plante divine, dont l'usage était réservé à des
cérémonies religieuses et à des classes sociales privilégiées, est ainsi
devenue une plante profane. Des chroniqueurs de l'époque ont établi
un lien entre la feuille de coca et des pratiques sexuelles, jugées
contre nature, très fréquentes chez les habitants de la côte de l'océan
Pacifique. Dans le Guide mondial des aphrodisiaques (Müller-Ebeling
et Ratsch, 1993), on trouve cette citation de l'époque : " Les femmes
se livraient à la sodomie, c'est-à-dire à la copulation anale, avec leur
époux et d'autres hommes, même lorsqu'elles allaitaient leurs propres
enfants ». Dès lors, dès le début du XVII• siècle, l'Inquisition considéra
la vénération de la coca comme un signe de sorcellerie et interdit son
usage. Cependant, les indigènes ne respectèrent pas cet interdit et
lorsque le Pérou et la Bolivie se séparèrent de l'Espagne pour devenir
indépendants, l'usage de la coca se normalisa pour devenir légal.
Signalons enfin une publication parue en 1992 (Balabanova et
al., 1992) qui rapporte que dans les cheveux et les os de momies égyp-
tiennes datant d'environ 1000 ans avant J.-C., on a trouvé de la cocaï-
ne, de la nicotine et du tétrahydrocannabinol ou THC (le principe actif
du haschisch). La présence de cocaïne semble bien étrange, car les
deux espèces du genre Erythroxylum qui contiennent la cocaïne ne
poussent que sur le continent américain. Les auteurs de cette publica-
tion se sont-ils trompés ou alors existait-il des contacts entre les
anciens Égyptiens et les Incas d'Amérique du Sud ?

La coca à la conquête du monde


D'après diverses sources, les feuilles de coca atteignirent en 1580
pour la première fois le sol européen. C'est le médecin espagnol
Nicolas Monardes qui en rapporta du Pérou en vantant ses effets. Il en
fit goûter aux dignitaires de la cour. Ces derniers firent la grimace et
déclarèrent que cette plante n'était bonne que pour des sauvages, et
non pas pour des êtres civilisés, des chrétiens (Stein, 1986). Cepen-
dant, la réputation de la coca se répandit assez rapidement en Europe.
L'écrivain et poète anglais, Abraham Cowley (1618-1667) la rendit
célèbre en décrivant ses effets dans son Book of Plants. C'est le bota-
niste français Joseph de Jussieu (1704-1779) qui introduisit en 1735
le premier cocaïer en France, à son retour d'une expédition au Pérou
avec le savant Charles Marie de la Condamine (1701-1774). Dès lors,
la plante devint de plus en plus populaire. En 1863, le chimiste d'ori-
gine corse Angelo Mariani commercialisa un extrait de feuilles de coca
dans du vin doux sous le nom Vin tonique Moriani à la coca du

30
La feuille de coca et la cocaïne

Culture de coca en Bolivie (Photo M. Hamburger)

Pérou. La publicité pour ce breuvage célèbre mentionnait que le vin


tonique << fortifie et rafraîchit corps et cerveau, restaure santé et vitali-
té ». Les célébrités de 1'époque furent de grands consommateurs de cet
élixir, en particulier la Reine Victoria d'Angleterre (1819-1901) et le
Pape Léon XIII (181 0-1903). Les Américains rétorquèrent en mettant
sur le marché en 1886 le Coca-Co/a, l'une des boissons les plus popu-
laires du monde. Sa formule fut inventée par J.S. Pemberton, phar-
macien à Atlanta, dans l'État de Georgie. La publicité était basée sur
des slogans de ce type << un tonique efficace pour le cerveau et une cure
pour toutes les affections nerveuses qui offre les vertus de la coca sans
les vices de l'alcool». La formule exacte du Coca-Cola n'a jamais été
divulguée. Cependant, on sait que cette boisson est formée d'un extrait
de feuilles de coca et d'un extrait de noix de cola, le tout additionné
d'eau gazeuse. D'où le nom de Coca-Cola. Les noix de cola ou fruit de
Cola nitida (Vent.) Schott et End!. (Sterculiaceae) proviennent d'un
arbre poussant dans les régions équatoriales de l'Afrique occidentale.
Ses noix séchées contiennent jusqu'à 2,5% de caféine, ainsi que des
polyphénols. Lorsqu'on prit conscience de certains dangers liés à la
consommation de cocaïne, cette substance principale des feuilles
de coca fut éliminée de la formule initiale du Coca-Cola en 1904. À
l'heure actuelle, cette boisson ne contient donc plus de cocaïne, mais
de la caféine en quantités non-négligeables provenant de 1'extrait des
noix de cola.

31
Les plantes gui deviennent des drogues

La découverte de la cocaïne
et de ses propriétés
La cocaïne pure, l'alcalo"ide principal de la feuille de coca, fut isolée
pour la première fois en Allemagne en 1860 par Niemann et Wohlen
(Hess, 2000). Mais il a fallu attendre 1898 jusqu'à l'établissement
de sa structure correcte par Richard Willstatter (1872-1942) qui en
réalisa aussi dans la même année la synthèse. Signalons que les
travaux de ce chimiste allemand furent couronnés par 1'attribution du
Prix Nobel de Chimie en 1915. La feuille de coca contient de nomb-
reux autres alcaloïdes. La teneur en alcaloïdes totaux varie entre 0,5 et
1,5% selon l'espèce, la variété et l'origine géographique. La cocaïne
(30 à 50 %) est un alcaloïde tropanique (voir chapitre consacré aux
psychotropes des Solanaceae) possédant deux fonctions esters (méthyl-
benzoyl-ecgonine). À l'état de base libre, la cocaïne est volatile.
La cocaïne a fasciné les hommes depuis sa découverte jusqu'à nos
jours. Le célèbre psychiatre autrichien Sigmund Freud (1856-1939) lui
consacra une monographie intitulée Über Coca qui rendit la substan-
ce très populaire. On peut y lire : " Quelques instants après la prise
nasale de cocaïne, on devient hilare et léger. On ressent aussi une cer-
taine insensibilité dans les lèvres et le palais ... ", Freud écrivit aussi que
la cocaïne augmente les ardeurs sexuelles. Par la suite, la réputation de
la cocaïne comme drogue de plaisir sexuel s'affirma. Certaines études
prétendent que l'homme peut augmenter la durée de l'érection et avoir
des orgasmes répétés et que même la femme frigide peut atteindre

Feuilles séchées de coca

32
La feuille de coca et la cocaïne

l'orgasme grâce à la cocaïne (Hostettmann, 2000). Lorsque des effets


secondaires et la dépendance induite par la cocaïne furent connus,
Freud prit ses distances avec cet alcaloïde. Ce fut cependant un de ses
assistants, Carl Koller qui fut le premier en 1884 à démontrer l'effica-
cité de la cocaïne comme anesthésique local. Grâce aux travaux expé-
rimentaux de Koller sur des animaux et sur lui-même, la cocaïne devint
un anesthésique local de premier choix, notamment en chirurgie
faciale et oculaire. Il s'agit d'un anesthésique de surface qui bloque les
échanges ioniques au travers de la membrane neuronale. Aujourd'hui,
la cocaïne a été remplacée par des substances de synthèse auxquelles
elle a servi de modèle chimique. Les propriétés anesthésiques locales
de la cocaïne étaient certainement connues des indigènes avant l'arri-
vée des conquérants espagnols. En effet, on a retrouvé des crânes
trépanés dans des tombes incas ; or la trépanation est une opération
quasi irréalisable sans le secours d'un anesthésique puissant (Stein,
1986). Un autre indice se trouve dans les descriptions, faites par les
conquérants, d'orgies sexuelles auxquelles se livraient les Indiens de la
côte du Pacifique. Ils utilisaient des objets de forme phallique pour
introduire des préparations à base de feuilles de coca dans l'anus des
femmes avant de s'adonner à la sodomie. L'action de la cocaïne sur le
sphincter anal est connue. L'effet anesthésiant provoquera un
relâchement et facilitera la pénétration qui ne sera pas douloureuse.
D'après Christian Ratsch (Ratsch, 1998), la cocaïne et les préparations
à base de cette substance sont des aphrodisiaques particulièrement
appréciés dans les milieux homosexuels et par les adeptes de la
sodomie. La cocaïne fut également utilisée en application locale sur le
gland du pénis pour lutter contre l'éjaculation précoce.
Au niveau du système nerveux central, la cocaïne induit une
stimulation adrénergique en bloquant la recapture des catécholamines
(en particulier la dopamine). Elle se manifeste par une sensation
d'euphorie avec stimulation intellectuelle, désinhibition et
hyperactivité. Elle induit aussi un certain nombre d'effets secondaires
comme l'hyperthermie, la mydriase (dilatation de la pupille), et la
vasoconstriction qui peut mener à une hausse de la tension et
l'augmentation du rythme cardiaque.

De 1' utilisation traditionnelle


des feuilles au crack
À l'époque précolombienne, la feuille de coca était une drogue
masticatoire et elle continue de l'être. Actuellement encore, les Indiens

33
Les plantes qui deviennent des drogues

des hauts plateaux andins, les descendants des Incas, mâchent réguliè-
rement des feuilles de coca. Il est fascinant de remarquer que sans
connaître la nature chimique de la substance active, les Indiens masti-
quent les feuilles en présence de cendres de plantes diverses ou parfois
de chaux ou de bicarbonate de sodium. Ces additifs sont basiques et
servent à mieux extraire les alcaloïdes de la plante en les transformant
en alcaloïdes bases lipophiles. Sous cette forme, les substances actives
pourront très rapidement passer dans le circuit sanguin à l'intérieur de
la cavité buccale. De plus, sous l'effet de la base et sans doute aussi des
enzymes de la salive, une grande partie de la cocaïne sera hydrolysée
en ecgonine qui produit un effet similaire à celui des amphétamines.
Les Indiens d'aujourd'hui consomment beaucoup de feuilles de coca
pour supporter l'altitude, améliorer 1'endurance, supprimer la faim et
se procurer une sensation de bien-être pour échapper temporairement
à la misère de leur existence quotidienne.
La saveur de la feuille de coca est faiblement amère. La mastica-
tion entraîne assez rapidement une augmentation de la salivation et une
sensation d'anesthésie de la langue et des muqueuses buccales. Les
connaisseurs peuvent évaluer la qualité de la coca selon la rapidité avec
laquelle cet effet anesthésiant se produit (Ratsch, 2001). L'effet stimu-
lant de la cocaïne est généralement perceptible après 5 à 10 minutes et
dure environ 45 minutes. Il disparaît très rapidement. L'effet coupe-
faim peut être expliqué en partie par une anesthésie des nerfs de l'es-
tomac inhibant ainsi la sensation de faim. Une étude a montré que la
mastication de 20 g de feuilles de coca (soit environ 48 mg de cocaïne)
conduit rapidement à un taux plasmatique en alcaloïde de 150 ng/ml.
La cocaïne, métabolisée en ecgonine est encore présente dans le sang
après 7 heures (Holmstedt, 1991). À signaler que la mastication de la
coca en présence d'une base peut à long terme conduire à des lésions
de la muqueuse buccale et à une détérioration des dents.
Les feuilles de coca peuvent également être utilisées pour faire des
infusions appelées mate de coca en Bolivie et au Pérou. Bien que la
cocaïne soit peu soluble dans l'eau, une partie passe néanmoins dans
l'infusion. Traditionnellement, le mate de coca est employé lors de dia-
bète, de surcharge pondérale, de troubles de la digestion et lors d' épui-
sement. L'indication principale est cependant la lutte contre le mal
d'altitude. Il semble, d'après certaines études, que la cocaïne favorise
l'assimilation de l'oxygène plus rare dans l'air en haute altitude. Cette
infusion de coca est particulièrement appréciée des touristes qui débar-
quent à 1' aéroport de La Paz (altitude 4000 mètres) ou de Cuzco (alti-
tude 3500 mètres) et permet de compenser le manque d'oxygène.

34
La feuille de coca et la cocaïne

Depuis la découverte de la cocaïne en 1860, bien des choses ont


changé. L'isolement de cet alcaloïde à l'état pur est relativement aisé.
Une extraction acide-base classique permet l'obtention de l'ensemble
des nombreux alcaloïdes de la plante, dont la cocaïne (un di-ester de
l'ecgonine}, d'autres esters de l'ecgonine et de l'ecgonine elle-même.
Cet ensemble d'alcaloïdes est alors saponifié (hydrolyse basique}, ce qui
conduit à un produit majoritaire, l' ecgonine. Par deux estérifications
successives, on aboutit à de la cocaïne pratiquement pure, sans avoir
recours à des techniques de séparation chromatographique. Ce pro-
cessus est tout à fait réalisable dans un laboratoire de brousse équipé
modestement. Le solvant lipophile utilisé pour l'extraction des alcaloï-
des libres sous forme de base est tout simplement l'essence.

La réputation des effets remarquables des feuilles de coca en


Europe et aux États-Unis incita immédiatement les hommes à consom-
mer sous diverses formes la cocaïne pure dès qu'elle devint disponible.
La plante sacrée des Incas, désormais transformée en poudre blanche
et cristalline, devint (( une drogue de plaisir )) au début du xxesiècle et
fut consommée surtout dans les milieux aisés en Amérique du Nord
et en Europe. D'ailleurs, encore actuellement, la consommation de
cocaïne a lieu souvent dans un milieu fermé, privilégié socialement.
Mais revenons au début du xxesiècle où la cocaïne fut également mas-
sivement utilisée en chirurgie. Les médecins se rendirent rapidement
compte de ses effets secondaires et en firent état dans la presse. La
presse fustigea bien entendu aussi l'utilisation de la cocaïne comme sti-
mulant, euphorisant et aphrodisiaque et mit en évidence des relations
entre l'usage de la cocaïne et certains types de comportements antiso-
ciaux. Le coup de grâce fut donné en 1908 par le New York Times
qui publia une série d'articles sur tous les crimes dont la source est
apparemment l'usage de la cocaïne. Faute de pouvoir enrayer ce nou-
veau fléau, une loi fut passée en 1914 qui classa la coca et la cocaïne
aux côtés de drogues déjà interdites comme l'opium, la morphine et
l'héroïne. Cette classification légale, mais guère basée sur des critères
scientifiques, dure encore (Stein, 1986). Les pays européens suivirent
immédiatement l'exemple américain et interdirent à leur tour l'usage
de la coca, de la cocaïne et de ses dérivés en les classant dans la liste
des stupéfiants. En France et en Suisse, ils y figurent toujours. Avant
la première guerre mondiale (1914-1918), on pouvait se procurer des
produits à base de coca (vin Mariani, par exemple) et de la cocaïne
librement. De nombreux écrivains et artistes en vantent les bienfaits.
Nous citerons ici Marcel Proust (1871-1922) dans son roman À la
recherche du temps perdu, Émile Zola (1840-1902) dans Le Docteur

35
Les plantes gui deviennent des drogues

Pascal, le sculpteur Auguste Rodin (1840-1917), les compositeurs


Charles Gounod (1818-1893), créateur de Faust et d'autres opéras, et
Jules Massenet (1842-1912), auteur de Manon et du Jongleur de
Notre-Dame, ainsi que le romancier britannique Arthur Conan Doyle
(1859-1930), dont les romans policiers ont pour héros Sherlock
Holmes. L'écrivain britannique Robert Louis Stevenson (1850-1894)
a écrit son très célèbre roman Dr. Jekyll and Mr. Hyde en six jours et
six nuits seulement et ceci naturellement avec l'aide de la poudre blan-
che magique. Le compositeur et chef d'orchestre allemand Richard
Strauss (1864-1949) a créé son opéra Arabella sous l'influence de la
cocaïne (Ratsch, 2001). La liste des adeptes célèbres de la coca est
encore bien longue !

Ainsi, dès la fin de la guerre 1914-1918, la coca et la cocaïne


devinrent illicites, ce qui engendra un trafic de drogue sans précédent
qui ne cesse d'augmenter encore maintenant.

La cocaïne que 1'on trouve dans le marché parallèle est souvent


coupée par des produits inertes. En 1999, une dose se négociait entre
CHF 30.- et CHF 150.- et le prix d'un kilo de cocaïne variait entre CHF
4 500.- et CHF 80 000.-, selon un communiqué de presse de l'Office
Fédéral de la Police (OFP) à Berne. Cette cocaïne se trouve générale-
ment sous forme de chlorhydrate. Elle est habituellement finement
pulvérisée et sniffée. L'effet se manifeste dans un délai de quelques
minutes et entraîne une sensation d'euphorie, une stimulation intellec-
tuelle, une sensation de puissance, une disparition de la fatigue. L'effet
dure entre 30 et 45 minutes, mais après ce délai, on observe souvent
des troubles de la perception, une irritabilité, un épuisement physique
et parfois une dépression. Chez quelques sujets, la prise de cocaïne
provoque des maux de tête, parfois des crises convulsives et des hallu-
cinations. Il faut signaler encore des troubles du rythme cardiaque. La
consommation régulière et de longue durée mène à l'hypertension
grave et peut provoquer des lésions au niveau des cloisons nasales. Les
surdosages se manifestent par un coma convulsif et des troubles
cardiaques sévères. Signalons enfin que la cocaïne et l'alcool ne font
pas bon ménage et représentent un cocktail explosif (Giroud et al. ,
1993). En 1979, un groupe de chercheurs a pu mettre en évidence
dans l'urine de toxicomanes habitués à consommer conjointement de
l'alcool et de la cocaïne, la présence d'homologues éthylés de la
cocaïne. Visiblement, les estérases du foie transestérifient la cocaïne en
présence d'alcool éthylique en éthylcocaïne, appelée aussi coca-
éthylène (benzoyléthylecgonine), substance particulièrement toxique !

36
La feuille de coca et la cocaïne

La consommation du mélange cocaïne et alcool est avant tout


motivée par le désir d'éprouver des sensations nouvelles encore plus
fortes et par l'espoir de prolonger les effets ressentis. Mais, elle est
vraiment dangereuse et devrait être évitée à tout prix. Signalons aussi
qu'il existe des procédés analytiques efficaces et très sensibles pour
mettre en évidence la cocaïne et ses métabolites, ainsi que les dérivés
éthylés de la cocaïne. Des conducteurs de voiture, qui ont provoqué
des accidents ou qui avaient un comportement bizarre au volant, ont
vu leurs urines analysées, suite à leur arrestation afin de mettre en évi-
dence la cocaïne et 1'éthylcocaïne et leur sang prélevé pour déterminer
le taux d'alcool. Avis aux amateurs ! Signalons aussi aux amateurs de
cocaïne que récemment des méthodes très efficaces et sensibles ont
été développées pour déceler, à des concentrations très faibles, la
présence de cette substance interdite dans quelques milligrammes de
cheveux (Quintela et al. , 2000).

La cocaïne, sous forme de chlorhydrate, est parfois aussi utilisée


par voie intraveineuse. L'effet euphorique est alors très rapide et très
marqué, mais la chute est d'autant plus grande. La cocaïne est égale-
ment fumée . La forme la plus dangereuse de ce mode d'administration
est le crack. Cette forme est apparue sur le marché de la drogue en
1980 à New York. En 1986, on comptait plus de 3 millions de
consommateurs de crack aux États-Unis. Son arrivée massive en Euro-
pe est signalée dès 1989. Le crack, c'est de la cocaïne presque pure
sous forme de base libre. La cocaïne base est obtenue en mélangeant
la forme habituelle qui est le chlorhydrate avec de l'hydrogénocarbo-
nate de sodium. Lorsque l'on fume ce mélange, l'excès de ce sel pro-
voque des craquements lors du chauffage qui sont dus au phénomène
de déshydratation . L'origine du mot crack est expliquée par ces bruits.
La cocaïne base étant beaucoup plus lipophile que le chlorhydrate, elle
est capable de pénétrer extrêmement rapidement dans le circuit san-
guin. Fumer de la cocaïne base produit des effets immédiats et telle-
ment intenses que certains toxicomanes les ont décrits comme « un
orgasme de toutes les cellules du corps » (Mann, 1996). Lorsqu'elle est
sniffée, la cocaïne parvient relativement lentement et surtout progres-
sivement jusqu'au cerveau. Injectée dans les veines, son effet est accru
et beaucoup plus rapide. Fumée sous forme de crack , l'effet de la
cocaïne est foudroyant et en quelques secondes, le flash est maximal.
La concentration plasmatique devient immédiatement très élevée. Le
drame, c'est que l'euphorie et le sentiment de puissance ne durent que
quelques minutes, un quart d'heure tout au plus, et que la descente res-
semble à l'enfer. L'angoisse est insupportable. On ne mange plus, on

37
Les plantes qui deviennent des drogues

ne dort plus et d'atroces fourmillements donnent l'impression d'être


dévoré par des millions d'insectes (Lestienne, 1996). La vie se résume
alors à un violent désir de recommencer et à une recherche compulsi-
ve de nouvelles doses. La dépendance psychique est ainsi rapidement
installée. Lors de chaque flash, l'organisme est soumis à rude épreuve
car la tension artérielle est extrême et le rythme cardiaque trop élevé.
Assez vite apparaissent alors des comportements schizophréniques, de
véritables désirs paranoïaques avec, à la clef, des tendances suicidaires
ou des crises de violence incontrôlées. Malgré cela, les adeptes du
crack sont de plus en plus nombreux car il est plus facile de fumer que
de s'injecter la cocaïne ou l'héroïne : pas de risque d'infection, pas de
veines abîmées et pas de transmission du SIDA. Aujourd'hui, le crack
est devenu un des principaux problèmes en matière de drogues,
malgré les dangers et les ravages qu'il provoque.
La coca a une très longue histoire et fascine 1'homme depuis près
de 5000 ans. La plante sacrée des Incas, interdite au XVI• siècle par
les conquérants espagnols, puis au début du xx· siècle par les États-
Unis, puis par de nombreux autres pays, n'a jamais eu autant d'adep-
tes. On estime actuellement le nombre de consommateurs réguliers
aux États-Unis à 10 millions ! (Lestienne, 1996). De nombreux artis-
tes, écrivains et compositeurs à la fin du XIX• siècle et au début du xx•
siècle ont consommé le fameux vin tonique Mariani à la coca du Pérou
ou de la cocaïne purifiée. Dans la musique moderne, les effets de la
coca et de la cocaïne sont souvent chantés. Par exemple, Marcel
Fankhauser a dédié un hymne à la coca intitulé Treasure of the Incas
dans son CD Jungle Lo Lo Band et le chanteur reggae Dillinger,
originaire de la Jamaïque, a glorifié la cocaïne dans son CD tout
simplement intitulé Cocaine . Plusieurs chanteurs rock ont également
vanté les effets de la cocaïne (Ratsch, 2001). La coca et la cocaïne
continueront de fasciner l'homme, mais il faut impérativement
s'abstenir de la consommer sous forme de crack. Essayer une fois le
crack, c'est engendrer l'irrésistible envie de recommencer ! Quant à
l'injection de la cocaïne par voie intraveineuse qui trouve actuellement
de plus en plus d'adeptes, elle est très dangereuse. L'effet recherché
est très rapide, mais de courte durée. De ce fait, il n'est pas rare que
certains accros de la cocaïne s'injectent jusqu'à 10 ou 20 doses par
jour ! Bonjour les dégâts pour les veines et les risques d'infection !
À l'heure actuelle, il n'existe pas de programme de substitution pour la
cocaïne ...

38
le pavot : de l'opium à la morphine et à l'héroïne

Le pavot : de l'opium
à la morphine et à l'héroïne
Il existe plusieurs espèces différentes de pavots, mais la plante la
plus célèbre et la mieux étudiée est sans aucun doute Papaver somni-
ferum L. (Papaveraceae), appelé aussi pavot somnifère. Comme son
nom l'indique, ce pavot induit le sommeil et ses propriétés narcotiques
furent connues depuis l'Antiquité. On peut distinguer plusieurs sous-
espèces et variétés, à savoir Papaver somniferum var. album D.C. ou
pavot aux fleurs blanches, Papaver somniferum var. songaricum
Basil, Papaver somniferum var. somniferum Basil et Papaver som-
niferum L. ssp. setigerum (D.C.) Corb. Certains auteurs estiment que
cette dernière sous-espèce devrait être classée en espèce car selon eux,
elle est la forme ancestrale du pavot somnifère qui est le seul pavot qui
contient de la morphine. Papaver bracteatum Lindl. est d'un grand
intérêt car cette espèce contient des morphinanes comme la thébaïne,
mais pas la morphine. Le célèbre pavot aux pétales d'un rouge éclatant
qui pousse dans nos régions ou
coquelicot a pour nom scienti-
fique Papaver rhoeas L. Dans
les montagnes suisses et françai-
ses, on peut trouver encore
Papaver dubium L. qui existe
sous forme de deux sous-espèces
aux pétales rouges, Papaver
occidentale (Mark.) Hess et Lan-
doit aux pétales blanches et le
magnifique pavot d'Islande aux
fleurs jaunes d'une beauté extra-
ordinaire ou Papaver croceum
Ledebour. Cette dernière espèce
peut être admirée dans les zones
arides au sommet du Mont
Ventoux dans le Vaucluse qui
culmine à 1909 mètres d'alti-
tude. À signaler encore le pavot
de Californie aux pétales de
couleur orange ou Eschscholtzia
californica Cham., dont on Papaver somniferum L.

39
Les plantes gui deviennent des drogues

commence à apprécier 1'effet sédatif sur le système nerveux central. Dans


la famille des Papavéracées, on peut encore citer la chélidoine ou herbe
aux verrues (Chelidonium majus L.) au latex jaune très fréquente chez
nous (Hostettmann, 2001) et la sanguinaire ou Sanguinaria canadensis
L. au latex rouge vif très commune aux États-Unis et au Canada.

Champ de coquelicots (Photo A. Marston)

Le pavot velu d'Islande

40
le pavot : de l'opium à la morphine et à l'héroïne

Le pavot de Californie

De l'usage traditionnel du pavot et de l'opium


Lorsque l'on évoque le pavot somnifère, la plupart des gens pen-
sent immédiatement à l'Orient, au fameux Triangle d'Or, à l'Iran ou
encore à l'Afghanistan. Cette plante ne semble cependant pas être
d'origine asiatique comme on l'affirme souvent, mais à tort. De nom-
breux indices archéologiques démontrent que le pavot somnifère était
une plante cultivée au nord de l'Italie, en Suisse et au sud de l'Allema-
gne à l'époque néolithique. En effet, des graines de pavot, des capsu-
les et même des restes de gâteaux aux graines de pavot ont été retrou-
vés lors de fouilles archéologiques effectuées aux abords de lacs suis-
ses, dans des restes de villages lacustres datant d'environ 2000 ans
avant J. -C. Les anciens habitants des maisons à pilotis utilisaient les
graines de pavot et l'huile tirée des graines à des fins alimentaires.
Connaissaient-ils déjà les vertus thérapeutiques et psychotropes du
pavot ? On ne peut l'affirmer. Des preuves paléobotaniques trouvées
dans le Land du sud-est de l'Allemagne, Baden-Württemberg, font
remonter l'utilisation du pavot dans cette région à 4600-3800 avant
J. -C. Certains chercheurs pensent que l'homme du Neandertal vers
40000 avant J .-C. utilisait déjà le pavot. Mais ceci est le sujet de contro-
verses. Ce qui est sûr, ce sont les premières mentions écrites de l'utili-
sation du pavot en médecine qui ont été trouvées sur des tablettes sumé-
riennes datant de la fin du N e millénaire avant J.-C. en Mésopotamie.

41
Les plantes gui deviennent des drogues

Cette region, située entre le Tigre et l'Euphrate, correspond à la


majeure partie de l'actuel Irak. Visiblement, le pavot était beaucoup
utilisé dans cette région, surtout à l'époque assyrienne avant la chute
de Ninive en 612 avant J.-C. et celle de Babylone en 539 avant J.-C. ,
comme en attestent les nombreuses représentations de capsules de
pavot sur des bas-reliefs assyriens que l'on peut admirer au Musée du
Louvre à Paris ou au British Museum de Londres. Des preuves
archéologiques montrent que des cultures de pavot existaient vers
1300 avant J .-C. dans l'ancienne Égypte aux alentours de la ville de
Thèbes. Les Grecs aussi connaissaient bien le pavot puisque certaines
de ses propriétés sont mentionnées par Homère (VIIIe siècle avant
J.-C.) dans ses célèbres ouvrages /'Iliade et l'Odyssée. Ainsi, dans cette
dernière œuvre, il cite un breuvage à base de vin et d'opium qu'il dési-
gne sous le nom de nepenthes (du grec ne qui veut dire : pas dans le
sens de la négation et penthos que l'on peut traduire par chagrin, souci
ou inquiétude). Ce breuvage fut donné aux guerriers avant la bataille
pour atténuer la sensation du danger (Hesse, 2000). Hippocrate (460-
377 avant J.-C), le plus grand médecin de la Grèce antique utilisait le
pavot comme narcotique. Alexandre le Grand (356-323 avant J.-C.)

Stèle assyrienne, Palais Royal de Khorsabad (700 av. J.-C.), au British Museum
de Londres - Détail des capsules de pavot

42
le pavot : de J'opium à la morphine et à l'héroïne

introduisit le pavot en Perse (l'actuel Iran) vers 330 avant J .-C. Ce n'est
qu'après la mort de Mahomet en l'an 632 de notre ère que le pavot fut
introduit par des marchands arabes en Inde, en Malaisie et en Chine. Les
habitants de ces pays se mirent rapidement à le cultiver, en particulier
les Chinois qui l'utilisèrent d'abord comme somnifère, puis comme anti-
diarrhéique. Cependant, d'après d'autres sources (Ratsch, 2001), le
pavot était connu dans certaines régions de Chine et était utilisé comme
narcotique lors d'interventions chirurgicales. La capsule de pavot a
fasciné l'homme depuis des millénaires car l'incision de ces dernières
libère un abondant latex blanc. D'ailleurs dans la mythologie grecque, la
capsule de pavot est le symbole de Morphée, dieu des songes.
Qu'est-ce que c'est que l'opium dont on parle tant? Tout d'abord
le mot opium vient du grec opos qui vent dire suc de plante ou de opion
qui veut dire latex (donc suc blanc de pavot). L'incision des capsules de
pavot mûres, c'est-à-dire pratiquée après la chute des pétales, libère un
exsudat laiteux (latex) qui durcit en séchant et devient brun foncé après
12 à 24 heures. On récolte ce latex séché, qui n'est rien d'autre que
l'opium, par grattage des capsules. La première description détaillée de
l'obtention de l'opium se trouve dans le monumental traité De Materia
Medica de Dioscoride, médecin grec (1•' siècle de notre ère) où sont
consignées plus de 500 plantes à usage thérapeutique. Une capsule
fournit en moyenne 20 à 50 mg d'opium brut. Pour obtenir un kilo
d'opium, il faut donc au minimum 20000 capsules de pavot.

Le latex blanc qui s'écoule, c'est l'opium

43
Les plantes gui deviennent des drogues

L'opium fut beaucoup utilisé à l'époque romaine et en particulier


à l'époque où règne l'empereur Néron (37-68). À la demande de son
souverain paranoïaque, Andromaque, médecin de la cour, doit com-
poser un remède qui rende son maître invulnérable. Andromaque part
de l'idée que, pour se mettre à l'abri des poisons, il faut habituer
l'organisme humain à en absorber des quantités faibles au début, puis
de plus en plus élevées. Il prépara une savante mixture dans laquelle
figure le venin de la vipère, l'opium, la gentiane, le gingembre et bien
d'autres ingrédients.
Cette mixture devint très célèbre sous le nom de thériaque
d'Andromaque (nom abrégé de Theriake antidotos, littéralement remède
contre les bêtes malfaisantes, selon Delaveau, 1982). On ne saura jamais
si cette mixture fut efficace car Néron se donna la mort en 68 après
J. -C., après avoir été proclamé ennemi public par le Sénat ! La thériaque
resta cependant célèbre et sa composition exacte (64 ingrédients) fut
donnée par Galien (131-201), père de la pharmacie (Penso, 1986).
L'opium fut administré de différentes manières, notamment par
voie orale d'abord, sous forme d'extraits ou de teintures, de tisanes ou
même absorbé tel quel. Les Romains en faisaient un breuvage avec du
vin doux pour induire le sommeil et les rêves. En Inde, le vin fut
remplacé par de l'eau de vie. Pour les infusions et décoctions, on
utilisait de préférence les capsules fraîches du pavot, mais aussi les
capsules séchées et l'opium. On ajoutait souvent du jus de citron en
abondance, probablement pour transformer les alcaloïdes en sels et les
rendre ainsi plus solubles dans l'eau (Ratsch, 2001). L'opium fut aussi
utilisé sous forme de suppositoires.
D'où est venue l'idée de fumer de l'opium ? Elle est en relation
avec l'arrivée du tabac en Chine. Ce sont les marins portugais qui
introduisirent le tabac dans ce pays et l'habitude de le fumer, à partir
de la fin du XV• siècle. Cette herbe nouvelle fut fortement appréciée
des Chinois et fumer du tabac devint un véritable fléau. En 1644, un
empereur chinois en interdit l'usage. Dès lors, la population se tourna
vers l'opium. La demande fut très forte et ce sont les Portugais qui
amenèrent l'opium de l'Inde directement en Chine, via le port de
Macao. Mais très rapidement, les cultures de pavot devinrent abon-
dantes en Chine. Cependant, en 1729, un empereur chinois interdit
la consommation d'opium. Dès lors, ce furent les Britanniques qui
contrôlèrent le trafic d'opium de leurs comptoirs indiens en organisant
la contrebande. Celle-ci conduisit à la Guerre de l'Opium (1839-1842)
qui fut le point de départ de l'ouverture forcée de la Chine aux nations
occidentales. Malgré les interdictions, les Chinois ont toujours fumé de

44
le pavot :de l'opium à la morphine et à l'héroïne

L'opium, le latex séché devenu brun

l'opium et les fumeries mystérieuses sont décrites dans de nombreuses


œuvres littéraires, dont par exemple La Condition Humaine et Les
Conquérants d'André Malraux (1901-1976). Il semble que la première
expérience ne soit pas agréable et se termine souvent par des nausées,
parfois des vomissements, des maux de tête et un sommeil lourd. C'est
probablement la raison pour laquelle Jean Cocteau (1889-1963)
conseillait « d'approcher l'opium comme il convient d'approcher les
fauves : sans peur» ; mais ensuite, ajoute-t-il « la substance grise et la
substance brune font les plus beaux accords». L'opium stimule l'ima-
gination et engendre une douce euphorie. L'effet est en relation direc-
te avec le degré d'intellectualité du fumeur (Pelt, 1983). Ainsi la même
quantité d'opium procure aux fins lettrés chinois des jouissances intel-
lectuelles qui resteront toujours méconnues du pauvre coolie qui fume
à ses côtés. Après les premières pipes, les nerfs se détendent, la volon-
té s'amollit, l'agressivité disparaît, le désir de communiquer et de bou-
ger, ainsi que la libido sont atténués. Jean-Marie Pelt, dans son bel
ouvrage Drogues et Plantes magiques publié en 1983, rapporte les
impressions de quelques fumeurs d'opium célèbres. Nous ne citerons
ici que le poète français Charles Baudelaire (1821-1867), qui, à la
recherche de sensations rares, écrit en 1857 dans Les Fleurs du Mal :
11 L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes
Allonge l'illimité,
Approfondit le temps, creuse la volupté,
Et des plaisirs noirs et mornes,
Remplit l'âme au-delà de sa capacité. ''

45
Les plantes gui deviennent des drogues

Cette œuvre magistrale lui valut une condamnation pour immoralité.


L'opium était connu dès l'époque de la Grèce antique pour ses
propriétés analgésiques. Son utilisation pour le traitement de la dou-
leur ne devint cependant populaire qu'au XVI• siècle grâce au médecin
et alchimiste suisse Theophrastus Bombastus von Hohenheim, mieux
connu sous le nom de Paracelse (1493-1541). Il donna le nom de lau-
danum (du latin laudare qui veut dire louer) à divers types de prépa-
rations à base d'opium. Parmi les effets secondaires, il faut citer l'inhi-
bition du péristaltisme intestinal qui conduit à la constipation chez les
fumeurs ou consommateurs réguliers d'opium. Cet effet peut aussi
avoir des avantages et pendant longtemps, on trouvait dans nos phar-
macies des teintures d'opium pour combattre les diarrhées et on peut
encore en trouver.
Fumer régulièrement de l'opium conduit à la dépendance (opio-
manie). Dans le monde occidental, c'est le Congrès américain qui inter-
dit en premier l'usage de l'opium à des fins non-médicales en 1905,
suivi très rapidement par d'autres pays. En France, une législation très
restrictive fut mise en place en 1908. Toutes ces législations ne purent
pas empêcher la culture illicite du pavot qui a encore de beaux jours
devant elle, malgré les nombreuses mises en garde des pouvoirs publics,
du monde scientifique et médical. Des études épidémiologiques, réali-
sées par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dans les provinces
du nord de l'Iran, ont montré que l'incidence du cancer de l'œsophage
chez les personnes des deux sexes était nettement plus élevée que par-
tout ailleurs dans le monde. Dans ces régions, de nombreuses person-
nes fument régulièrement de 1' opium et mangent même les résidus de
calcination que l'on trouve au fond des pipes. Une relation a pu être éta-
blie entre l'ingestion de pyrolysats d'opium et la grande incidence de
cancers de l'œsophage. Dans un centre de recherche de Lyon, des
pyrolyses contrôlées d'opium et de son alcaloïde principal, la morphi-
ne, ont été réalisées. Des produits de dégradation très cancérigènes ont
pu être caractérisés, alors que la morphine elle-même ne possède aucu-
ne activité de ce type (Hewer et al., 1978).

De la découverte de la morphine et de ses


propriétés et de sa transformation en héroïne
Un produit comme l'opium attira très rapidement l'attention des
chimistes qui entreprirent l'analyse de ce latex séché du pavot. Selon
les sources consultées, il existe quelques divergences au sujet de la
découverte de la morphine, alcaloïde principal de l'opium. Ainsi, dans

46
le pavot : de l'opium à la morphine et à l'héroïne

la littérature scientifique française, il est souvent mentionné que la mor-


phine a été découverte en 1804 ou 1806 (?)par Charles Seguin, chi-
miste des armées de Napoléon. Ce dernier eut le tort de ne publier que
très partiellement ses résultats, ce qui lui valut d'être doublé par le
pharmacien allemand Sertürner.
Actuellement, la plupart des scientifiques accordent la paternité
de la découverte de la morphine à Friedrich Wilhelm Adam Sertürner
(1783-1841). Il délaya l'opium dans de l'acide, puis neutralisa la solu-
tion obtenue par de l'ammoniaque pour obtenir un précipité qu'il puri-
fia encore (Sertürner, 1805). Cette première publication scientifique
n'eut pas beaucoup de succès et ce n 'est qu'à partir de 1817 que le
monde scientifique et médical prit conscience de l'importance de cette
découverte. En effet, Sertürner publia un deuxième article très complet
dans lequel il nommait la substance principale de l'opium Morphium
du dieu grec Morphée (Sertürner, 1817). Quelques années plus tard, le
chimiste français Louis Joseph Gay-Lussac (1778-1850) transforma le
nom de la substance isolée en Morphinum, dont dérive directement le
nom actuel de morphine (Hesse, 2000). Sertürner isola, en plus de la
morphine, d'autres substances, dont l'acide mécanique qui ne possède
pas de propriétés pharmacologiques intéressantes, mais qui est typique
pour l'opium et sert encore actuellement comme marqueur d'identité.
La structure correcte de la morphine ne fut établie qu'en 1925 et la
première synthèse totale réalisée en 1952. Cette dernière est très
compliquée et implique de nombreuses étapes. De ce fait , elle n'est
pas rentable économiquement et les tonnes de morphine utilisées
annuellement proviennent toujours de la culture du pavot somnifère.
L'opium contient en moyenne environ 10 % de morphine, mais la
teneur peut être bien plus élevée et atteindre parfois jusqu'à 20 %.
Actuellement, pour l'obtention industrielle de la morphine, on extrait
toutes les parties aériennes séchées du pavot - capsules y compris - car
la paille (tiges et feuilles séchées) de pavot contient environ 0,8 à 1 %
de morphine. Il n'est donc plus nécessaire de passer par l'opium pour
accéder à la morphine. On estime la production illicite de morphine à
environ 400 tonnes pour l'année 2000. Quant aux graines de pavot qui
sont traditionnellement utilisées en Europe centrale et surtout en Alle-
magne dans la fabrication de pains et de gâteaux, elles ne contiennent
que très peu de morphine. L'ingestion des graines, dans les conditions
usuelles de consommation, n'engendre aucun des symptômes caracté-
risant la prise de morphine ou substances analogues (Bruneton, 1999).
La morphine est un alcaloïde, dont la structure est assez compli-
quée. C'est une molécule pentacyclique qui possède 5 centres asymé-

47
Les plantes gui deviennent des drogues

triques et un groupe hydroxyle phénolique. La morphine endort la dou-


leur et elle fut préconisée sous forme de sirop ou de gouttes dans le trai-
tement des douleurs chroniques et des états d'agitation. Cependant l'ef-
ficacité très grande de la morphine dans le soulagement de la douleur
ne fut vraiment reconnue à sa juste valeur qu'après l'invention de la
seringue hypodermique en 1853. Ce type de seringue permet l'injec-
tion d'un médicament en solution dans les tissus cellulaires sous-cutanés
à l'aide d'une aiguille. La première utilisation massive de la morphine
eut lieu sur les champs de bataille (chirurgie de guerre) pendant la guer-
re de Sécession aux États-Unis entre 1861 et 1865 qui causa 670 000
morts. Elle rendit aussi d'inestimables services pendant la guerre franco-
prussienne de 1870 pour le traitement des blessés : les chirurgiens uti-
lisaient la morphine à doses massives pour effectuer des amputations,
ignorant tout de son aptitude à créer la dépendance. Des cas de mor-
phinomanie furent d'abord signalés en Allemagne, puis un peu partout
en France dès 1880 (Pelt, 1983). La vogue de la morphine se répandit
surtout dans les milieux mondains de l'Europe et des États-Unis. L'ac-
coutumance qu'elle induit et son passé sulfureux la font mettre au ban
des médicaments « politiquement corrects » dans les années 1914-
1920, tant aux États-Unis qu'en France (Potier et Chast, 2001).
La morphine inspira les chimistes qui en firent de nombreux déri-
vés hémi-synthétiques. Sans aucun doute, le plus célèbre de ces déri-
vés est la diacétyl-morphine que l'on peut obtenir très facilement en
faisant réagir la morphine avec l'anhydride acétique . Cette substance
fut préparée pour la première fois à Londres en 1874. En 1898, elle
fut commercialisée par la firme pharmaceutique allemande Bayer,
pour le traitement de la toux et des douleurs. Ce dérivé diacétylé de la
morphine fut tellement efficace pour calmer les douleurs des grands
tuberculeux incurables à cette époque qu'il fut considéré comme un
médicament héroïque, d'où son nom tristement célèbre d'héroïne !
Non seulement on venait de trouver un nouvel analgésique, mais on
s'aperçut que les morphinomanes traités à l'héroïne abandonnaient
progressivement l'usage de la morphine. En 1900, une revue médica-
le publia le titre suivant : <<La morphine remplacée par l'héroïne, plus
de toxicomanes ! •• Dès lors, elle envahit le monde, mais personne ne
se rendit alors compte qu'elle pouvait créer une forte dépendance !
Ce n'est qu'en 1903 que l'on prit vraiment conscience de la
dépendance induite par l'héroïne chez des milliers de personnes aux
États-Unis et des ravages pour la santé qui en découlent. En 1923, tous
les narcotiques induisant une accoutumance furent interdits aux États-
Unis. Ce fut le point de départ d'un marché noir illicite qui perdure et
qui a un grand avenir devant lui. En effet, l'administration d'héroïne, la

48
le pavot : de l'opium à la morphine et à l'héroïne

plupart du temps par injection intraveineuse, provoque une sensation


très intense et rapide de plaisir total. Mais le flash ne dure que très
peu de temps et l'envie de recommencer est induite immédiatement.
L'héroïne est plus lipophile que la morphine, son effet est plus rapide
et sa toxicité nettement plus élevée. Le manque se fait vite sentir et les
injections devront être renouvelées toutes les deux ou trois heures. Le
besoin de se procurer la drogue devient obsessionnel et conduit très vite
à la criminalité ou à la prostitution. De plus, le besoin d'augmenter les
doses a été assez rapidement mis en évidence. Chez un adulte qui n'a
jamais touché la drogue une dose de 100 mg peut déjà être mortelle,
alors qu'un drogué, après un certain temps, a besoin d'une dose de 1 g
en 24 heures ou même plus. À la différence de la plupart des autres
drogues, l'accoutumance à l'opium, à la morphine et à l'héroïne n'est
pas seulement psychique, mais devient une dépendance physique. La
meilleure volonté n'arrive plus à réprimer l'état de besoin. Il va de soi
que les injections répétées abîment les veines, provoquent des infections
et favorisent les transmissions d'hépatites et du virus HIV. Certaines
personnes fument aussi l'héroïne, parfois en association avec de la
cocaïne. Cette combinaison, connue sous le nom de speed-ball dans le
milieu des toxicomanes, a un effet particulièrement fulgurant. L'arrêt
brutal de la prise d'héroïne provoque l'anxiété accompagnée souvent de
vomissements, de fortes transpirations, des crampes, des insomnies.
L'organisme en manque réclame brutalement la drogue. La thérapie de
désintoxication consiste à diminuer graduellement les doses ou à rem-
placer l'héroïne par une substance aux effets secondaires moins néfas-
tes. Plusieurs molécules sont proposées pour lutter contre la pharma-
codépendance à l'héroïne et autres dérivés de l'opium (Magistretti,
1992). Il s'agit en premier lieu de la méthadone, une substance synthé-
tisée en Allemagne durant la seconde guerre mondiale et qui peut être
administrée par voie orale. L'utilisation de cette molécule est considé-
rée comme un traitement d'appoint important, mais la réinsertion du
toxicomane implique surtout aussi un soutien psychologique efficace.
D'autres substances sont également proposées, comme par exemple le
LAAM (L-a -acétyl-méthadol) qui permet de supprimer les symptômes
de sevrage pour une durée de 72 heures, au lieu de 24 heures environ
en réponse à la méthadone. Curieusement, l'ibogaïne, un alcaloïde
indolique, elle-même considérée comme psychotrope, est susceptible
d'être utilisée dans le traitement de la dépendance aux opiacées et éven-
tuellement à la cocaïne. L'ibogaïne provient de l'iboga, un arbrisseau
d'Afrique, dont le nom scientifique est Tabernanthe iboga H. Bn.
(Apocynaceae). Au Gabon, des préparations à base de la racine
d'iboga sont utilisées pour augmenter la résistance à la fatigue et

49
Les plantes gui deviennent des drogues

comme aphrodisiaque. À doses élevées, ces préparations stimulent le


système nerveux central et provoquent des hallucinations.
À signaler que le pavot contient d'autres alcaloïdes qui ont une
structure chimique proche de celle de la morphine et qui appartiennent
à la classe des morphinanes. La plus connue est la codéine qui peut
aussi être préparée à partir de la morphine par méthylation sélective.
En fait, des milliers de tonnes de morphine, substance principale de la
plante, sont transformées chaque année en codéine. Cette substance
est bien connue du grand public car elle entre dans la formulation de
nombreuses spécialités pour le traitement de la toux. De nombreuses
molécules à la structure proche de la morphine ont été obtenues par
hémi-synthèse. Elles ont donné des médicaments intéressants pour
traiter la douleur et la toux, sans induire de dépendance. Une autre
substance du type morphinane mérite encore d'être citée ici. Il s'agit
de la thébaïne ou diméthylmorphine . Elle n'est pas d'un grand intérêt
thérapeutique, mais peut être utilisée pour la préparation de la codéi-
ne par déméthylation sélective. Un alcaloïde d'un autre type est aussi
présent dans le pavot et l'opium, à savoir la papavérine. Sa structure
chimique est plus simple et elle peut être préparée aisément par syn-
thèse chimique, au contraire des morphinanes. C'est un excellent spas-
molytique qui peut être utilisé lors de spasmes de l'estomac, de l'intes-
tin et de la vésicule biliaire . Son effet sur le système nerveux central est
faible. Elle a aussi prouvé son efficacité en cas de dysfonctionnement
érectile (impuissance). Il suffit d'injecter une solution de chlorhydrate de
papavérine directement dans un des corps caverneux du pénis.
L'érection ne va pas tarder et elle peut durer longtemps, voire trop
longtemps (crise de priapisme). Le mode d'application rebute bien des
hommes et depuis l'arrivée du célèbre Viagra®qui est administré par
voie orale, la papavérine n'a guère d'avenir pour le traitement de l'im-
puissance. Le pavot, dont les graines entraient dans la nourriture quo-
tidienne des lacustres de l'époque néolithique, a surtout fasciné l'hom-
me par ses propriétés narcotiques et analgésiques déjà connues des
Sumériens et des Grecs anciens. L'opium, le latex séché des capsules,
est devenu au cours des siècles la drogue de l'Orient. De la douce
euphorie induite par l'opium, on passe à une étape supérieure avec
l'utilisation de la morphine. Malgré la dépendance qu'elle provoque,
cette substance extraordinaire reste 1'anti-douleur efficace qui soulage-
ra encore longtemps de nombreuses personnes qui souffrent énormé-
ment, notamment les cancéreux en phase terminale. L'Homme,
apprenti-sorcier, a créé à partir de la morphine l'héroïne qui ne se
trouve pas dans le pavot. Son utilisation abusive et incontrôlable conti-
nuera hélas à faire de nombreux ravages dans les années à venir.

50
Le khat, l'amphétamine naturelle de la corne de l'Afrique

Le khat, l'amphétamine naturelle


de la corne de 1'Afrique
Un stimulant beaucoup utilisé dans une grande partie de l'Afrique
est considéré comme la drogue masticatoire de ce continent. On l'ap-
pelle aussi kat, cath, cat, tschat, tschât ou encore tschai. Il s'agit des
feuilles de Catha edulis Forsk., un arbuste appartenant à la famille
Celastraceae. Cette famille botanique est peu connue chez nous car en
Europe, elle n'est représentée que par un seul genre, le genre Euony-
mus, dont l'espèce la plus commune est Euonymus europea L. (syn.
Evonymus europaeus L.). Cet arbuste haut de 1 à 5 mètres est connu
sous le nom de fusain ou de bois carré. Ses fruits sont très beaux et se
présentent sous la forme de capsule rose foncé à quatre loges s'ouvrant
sur quatre graines de couleur orange intense. On trouve encore une
autre espèce en Europe centrale et méridionale, à savoir Euonymus
latifolia (L.) Miller. Mais revenons à Catha edulis Forsk. , un arbuste
dont la taille est de 1 à 2 mètres dans les zones arides et bien plus éle-
vée dans les zones tropicales, où il peut atteindre 10 mètres de hauteur.
Le khat est parfois dénommé thé des Abyssins pour marquer son ori-
gine éthiopienne qui pourrait se situer dans la région du Lac Tana et des
sources du Nil Bleu. La plante s'est répandue jusqu'en Afrique orienta-
le (Kénya et Tanzanie), dans la péninsule arabique, au Yémen et jusqu'à
Madagascar. La plante est fort demandée et cultivée en Éthiopie, au
Soudan, en Tanzanie, à Madagascar et même en Afghanistan. La plan-
te fait peu de graines. De ce fait, pour la propagation de la culture, on
coupe des branches d'une plante adulte dont on met l'extrémité coupée
dans de l'eau jusqu'au développement de racines. Le khat aime le
même climat que le caféier ou Coffea arabica L. (Rubiaceae) qui est
aussi d'origine éthiopienne. À noter que le genre Catha ne comprend
que très peu d'espèces, probablement trois seulement, dont Catha
transvaalensis Codd., Catha abbottii Van Wyk et Prins et Catha spi-
nosa Forsk. (syn. Maytenus parviflora (Vahl) Sebsebe). Ces trois espè-
ces ne semblent pas contenir de substances psycho-actives.

De 1' utilisation traditionnelle du khat


à l'identification de ses principes actifs
Le khat est mentionné pour la première fois dans un traité sur les
plantes médicinales datant de 1222. Il est également cité dans un livre
d'histoire arabe du XIVe siècle « il ne porte pas de fruits et on en mange

51
Les plantes qui deviennent des drogues

les feuilles qui ressemblent aux petites feuilles de l'oranger. Il élargit la


mémoire et ramène dans le présent ce qui était oublié. Il rend joyeux
et diminue l'envie de manger, de faire l'amour et de dormir. . . ))
(Ratsch, 2001). En Ethiopie et dans d'autres pays de la corne de l'A-
frique, le khat est utilisé par les derviches lors de guérisons impliquant
la religion. Les feuilles sont mastiquées longuement et la salive abon-
dante obtenue crachée sur les malades avant les prières et incanta-
tions. Au Yémen, l'utilisation rituelle du khat est très importante et a
lieu lors de fêtes religieuses, de mariages, d'ensevelissements et autres
manifestations importantes et constitue un élément de renforcement
des liens sociaux. Très souvent le khat est mâché par les hommes pour
réduire la fatigue et lutter contre le sommeil. Pour augmenter encore
son action, ils boivent du café très fort.
Il est important de noter que seules les feuilles fraîches sont utili-
sées, le plus rapidement possible après la récolte et pas après 48 heu-
res. Plusieurs tonnes de feuilles fraîches sont acheminées journelle-
ment d'Éthiopie à Djibouti, puis vers l'Europe. Dans la République de
Djibouti, le khat est consommé par plus de 80 % des hommes. Il pos-
sède la vertu de stimuler celui qui « broute la salade )), pour reprendre
l'expression familièrement utilisée dans ce pays. Traditionnellement,
les feuilles sont mâchées pendant une dizaine de minutes sans adjonc-

Marchands de Khat au Yémen (Photos M. Hamburger)

52
Le khat, l'amphétamine naturelle de la corne de l'Afrique

tion d'autres substances. On en prend le plus grand nombre possible


dans la bouche. Elles sont très souvent recrachées, parfois aussi ava-
lées. On gardera le plus longtemps possible le suc de la plante dans la
bouche pour augmenter l'effet. Lors d'une cérémonie du khat, chaque
participant utilise 100 à 400 grammes de feuilles fraîches. On peut
aussi faire des infusions, voire des décoctions. Parfois les feuilles sont
séchées et consommées, après pulvérisation, avec des épices diverses.
L'usage du khat en médecine traditionnelle n'est pas très courant.
Dans certains pays africains, il est préconisé pour le traitement des
maux d'estomac et de la mélancolie. Ce terme pourrait signifier
dépression. On prétend aussi que la consommation régulière du khat
protège l'homme de la malaria ... ce qui reste à prouver !
Comme l'emploi des feuilles de Catha edulis Forsk. permet de
lutter contre la fatigue et que la plante provient initialement d'Éthiopie,
pays d'origine du café, on a admis que cette plante contenait de la
caféine. Ce qui n 'a jamais été prouvé. En 1973, des investigations
phytochimiques sérieuses ont abouti à l'isolement et à la détermination
de structure de la substance active du khat. Dans la feuille fraîche, le
constituant majoritaire est la cathinone, dont le nom scientifique est
(S)-a-aminopropiophénone. Cette substance est transformée lors du
séchage de la plante (réaction de réduction) en cathine ou (S,S)-(+)-
norpseudo-éphédrine et en petites quantités en (R,S)-(-}-noréphédrine .
Pharmacologiquement, la cathinone possède une activité amphétamine-
like, c'est-à-dire que l'action est comparable à celle induite par la
consommation d'amphétamine, substance très connue pour stimuler
l'activité cérébrale, diminuer le sommeil et la faim. Les effets sur le sys-
tème nerveux central sont en partie dépendants de l'environnement
socioculturel du sujet. Ils sont marqués par une sensation d'euphorie,
de confiance en soi, de surcroît d'énergie et d'un apaisement des sen-
sations de faim et de fatigue. Comme tous les excitants, le khat a été
considéré comme un aphrodisiaque. Mais attention ! La consomma-
tion régulière sur une longue période conduit à une réduction de la viri-
lité, voire à l'impuissance, au point que les femmes refusent d'épouser
les consommateurs invétérés (Pelt, 1983). Ce qui explique le pourcen-
tage élevé d'hommes célibataires au Yémen. D'autres effets secondai-
res peuvent apparaître comme l'insomnie et la nervosité. La consom-
mation du khat induit une faible dépendance psychique, mais pas de
dépendance physique. La cathine, abondante dans les feuilles séchées,
mais présente également en faibles quantités dans les feuilles fraîches,
est un excellent coupe-faim. Des préparations à base de cette subs-
tance ont été commercialisées comme anorexigène . Comme toutes les

53
Les plantes qui deviennent des drogues

plantes supérieures, le khat contient aussi des flavonoïdes et des tanins.


La teneur en tanins est assez élevée et provoque la constipation chez
les consommateurs réguliers.
L'utilisation de khat est très fréquente et le nombre de consom-
mateurs journaliers de feuilles fraîches de Catha edulis Forsk. est esti-
mé à 2 à 8 millions dans le nord-est de l'Afrique et au Yémen (Bren-
neisen et Elsohly, 1992). Le khat est parfois appelé drogue de l'Islam
car ce sont surtout les populations de religion musulmane qui en
consomment. Comme nous l'avons mentionné plus haut, les feuilles
fraîches sont actives et non les feuilles séchées. De ce fait, juste après
la récolte, les feuilles sont emballées le plus souvent dans des feuilles
fraîches de bananier pour les maintenir en bon état pendant le
transport. Le khat est massivement cultivé en Éthiopie et acheminé
vers Djibouti pour l'exportation vers l'Europe. En effet, ce sont les
immigrés de la corne de 1'Afrique qui en sont les plus friands consom-
mateurs. La mastication des feuilles de khat entraîne une diminution de
la faim et peut conduire à la malnutrition, surtout dans les milieux défa-
vorisés, avec toutes ses conséquences. Dans certains pays, comme
Djibouti ou le Yémen par exemple, les ouvriers au revenu plutôt
modeste dépensent souvent plus de la moitié de leur salaire pour
l'achat de khat. Une botte de 250 g de drogue coûte le même prix
qu'un kilo de viande de mouton. Alors que les hommes broutent le
khat qui leur coupe l'appétit, les femmes et les enfants n'ont que très
peu d'argent pour acheter de la nourriture. La conséquence est la mal-
nutrition pour toute la famille avec un affaiblissement général de
l'organisme, d'où une recrudescence très grande de la tuberculose.
À signaler enfin que la cathinone et le khat figurent sur la liste des
stupéfiants, dont la production, la mise sur le marché et l'emploi sont
interdits, dans la plupart des pays d'Europe, y compris la Suisse et la
France. Cette substance stimulante n'est pas présente dans les espèces
européennes de la famille des Célastracées, Euonymus europea L. par
exemple. Les autres espèces du genre Catha n'en contiennent pas
non plus. Elle est donc limitée uniquement à Catha edulis Forsk., le
khat.

54
Le peyotl : du cactus hallucinogène à la mescaline

Le peyotl : du cactus
hallucinogène à la mescaline
Ce sont les conquérants espagnols de l'Amérique du Sud qui
observèrent que les Indiens des zones désertiques du Mexique consom-
maient les parties aériennes d'un petit cactus de différentes manières,
dont la mastication de tranches séchées au soleil. La première mention
écrite est due à un moine franciscain qui relate en 1560 les traditions
ancestrales du Mexique et l'utilisation d'un cactus appelé peyotl qui
provoque une ivresse comparable à celle causée par un excès de vin.
Plus tard, les conquérants expérimentèrent les effets de ce cactus eux-
mêmes. Sa mastication provoquait des visions colorées, ce qui valut au
peyotl d'être qualifié de plante « qui fait les yeux émerveillés >> (Pelt,
1983).
La dénomination scientifique de cette plante magique connut de
nombreuses péripéties et a été longuement controversée. Il en résulte
une liste impressionnante de synonymes. Son premier nom fut Peyote
zacatecensis imaginé par un botaniste espagnol en 1615. Au milieu du
XIX• siècle, le botaniste français et grand connaisseur de cactus, Antoine
Charles Lemaire (1800-1871) l'appela Echinocactus williamsii. Le
botaniste allemand Paul Christoph Hennings (1841-1908) 1' appela
Anhalonium lewinii. Enfin, en 1894 le taxonomiste américain John
Merle Coulter (1851-1928) le plaça dans le genre Lophophora et
le nom scientifique généralement admis est devenu Lophophora
williamsii (Lemaire ex Salm-Dyck) Coulter (Ratsch, 2001).

De 1' utilisation traditionnelle


à la découverte de la mescaline
De nombreuses évidences archéologiques indiquent que le peyotl
jouait un rôle important dans les rites religieux des populations indien-
nes du Mexique et de l'extrémité sud des États-Unis (État du Texas).
Des fouilles récentes ont permis de découvrir des morceaux de peyotl
dans des cavernes et des grottes desséchées au Texas, près de la fron-
tière mexicaine. La datation de ces restes de plantes par la méthode
au carbone 14 montre qu'ils sont âgés d'au moins 6000 ans. Au nord-
est du Mexique, des restes de peyotl datant d'environ 2000 ans avant
J .-C. furent trouvés dans une tombe. Toujours au Mexique, dans une

55
Les plantes gui deviennent des drogues

tombe plus récente (900 ans après J.-C.) localisée au fond d'une caver-
ne, des restes de cactus furent découverts récemment. L'analyse phy-
tochimique de ces morceaux de peyotl a permis de montrer que ces
derniers contenaient encore de la mescaline et d'autres alcaloïdes
(Bruhn et al., 1978). La découverte de ces vestiges archéologiques ne
permet pas de conclure à quelle fin les hommes des époques concer-
nées utilisaient le peyotl. On en sait plus par les récits datés de 1560
du moine franciscain Bernardino de Sahagun qui fut chargé par le
clergé espagnol d'observer la façon de vivre des indigènes peu après la
conquête du Mexique. D'après Delaveau (1982), qui cite une traduc-
tion française du texte de Sahagun, les effets du cactus sont décrits :
« Ceux qui le consomment ont des visions épouvantables ou comiques,
et cette ivresse dure 2 à 3 jours avant de se dissiper. Cette plante sert
de nourriture aux Chichimèques, les soutient et leur donne courage
pour ne craindre ni combats, ni soif, ni faim, et ils disent qu'elle les
préserve de tout danger ». Chichimèques est le nom donné par les
Aztèques à des tribus nomades vivant au nord du Mexique. Les
Aztèques connaissaient bien le peyotl, dont le nom dérive de leur
langue. Étymologiquement, il pourrait avoir son origine du mot

Le cactus peyotl (Photo G. Muller, Jardin botanique de Lausanne)

56
Le peyotl : du cactus hallucinogène à la mescaline

peyona-nic qui veut dire stimuler (Ratsch, 2001). Le peyotl fut la plan-
te sacrée des Aztèques et sa cueillette fut l'objet d'une célébration
rituelle. Lors de la fête traditionnelle du peyotl, tous les membres de la
tribu en consommaient, enfants et femmes enceintes compris. Il y avait
des incantations autour d'un feu faites par des chamans qui communi-
quaient avec les dieux à l'aide du cactus. Le peyotl n'était pas seule-
ment une plante sacrée, mais aussi une plante médicinale. La consom-
mation de peyotl désinhibe et peut conduire parfois à des comporte-
ments sexuels que certains jugeront anormaux, contre-nature. Les mis-
sionnaires espagnols, arrivés peu après les conquistadors, ne man-
quèrent pas de remarquer les coutumes des indigènes mangeurs de
peyotl et furent frappés de stupeur et d'horreur. Ils en informèrent
immédiatement le clergé qui ordonna à la Sainte Inquisition de faire
cesser au plus vite ces cultes démoniaques. La répression fut terrible et
dura quatre siècles, jusqu'à la fin de la domination espagnole. Mais les
Indiens résistèrent et surent conserver leurs coutumes. L'usage du
peyotl traversa la frontière et au cours des siècles s'implanta toujours
plus dans le continent nord-américain. En plus des Indiens du Texas,
les populations autochtones du Nouveau-Mexique, de l'Arizona, de
l'Oklahoma et de l'Utah devinrent des fervents adeptes du célèbre cac-
tus, notamment les Apaches, les Comanches, les Cheyennes et les
Kiowas. Ce qui déplut fortement aux églises protestantes des Blancs
qui firent pression sur le gouvernement des États-Unis. Au début du
xxe siècle, plusieurs États prirent des mesures draconiennes pour
interdire l'importation des cactus des Aztèques. Dès lors, un immense
trafic de contrebande s'installa ... Il faut mentionner que christianisme et
peyotl ne furent pas incompatibles. Une secte d'inspiration chrétienne
vénérant le Christ et le peyotl fut fondée au milieu du XIXe siècle. Elle
est connue sous le nom de Native Ame rican Church et compte enco-
re maintenant plusieurs millions d'adeptes au sud des États-Unis. En
1995, le Président Bill Clinton a émis un décret autorisant les mem-
bres de cette église à utiliser du peyotl ! (Schultes et Hofmann, 1998).
Il faut mentionner qu'en dehors des rites religieux, le peyotl a joué
depuis la nuit des temps un rôle important dans la médecine tradition-
nelle des Indiens du Mexique et des États-Unis. En usage interne, on
l'utilisait pour soigner la fièvre et les douleurs articulaires. En usage
externe, on appliquait des tranches de cactus fraîchement coupées sur
les tempes lors de maux de tête et sur la peau lors de coups de soleil.
Le cactus magique attira rapidement les phytochimistes qui pro-
cédèrent à son analyse dès la deuxième moitié du XIXe siècle. Les pre-
miers résultats furent publiés en 1884 et en 1888 par des chercheurs

57
Les plantes gui deviennent des drogues

américains. La chair du cactus contient de nombreux alcaloïdes, dont


le principal fut nommé mescaline (probablement à cause de la déno-
mination en langue anglaise du cactus séché : mescal button). La
teneur en alcaloïdes dans la plante séchée est très variable et peut aller
de 0,4 à 3, 7 o/o. La mescaline semble être la seule substance qui pos-
sède un effet psychotrope. Sa structure chimique est curieusement très
proche d'un neurotransmetteur que l'on trouve dans le cerveau
humain, à savoir la noradrénaline. La mescaline provoque une distor-
sion de la perception des formes, une fantastique intensification des
couleurs, des hallucinations auditives et un net ralentissement de la
perception du temps. Elle entre dans la catégorie des psychodyslep-
tiques, tout comme le très célèbre LSD, un dérivé hémi-synthétique
préparé à partir de l'acide lysergique, un constituant de l'ergot de
seigle (voir chapitre De l'ergot de seigle au LSD). Les symptômes
physiques qui accompagnent les hallucinations sont la mydriase (forte
dilatation de la pupille), ce qui explique sans aucun doute l'appellation
des Aztèques " La plante qui fait les yeux émerveillés » , mais aussi la
tachycardie, une sensation de variation de température, des nausées et
parfois de l'agitation et de l'anxiété.
La mescaline, selon le dosage, a des vertus thérapeutiques, aphro-
disiaques et psychédéliques (hallucinations et exacerbation des sensa-
tions). L'intensité et la nature de ces derniers effets dépendent de l'en-
vironnement psychosocial, de la sensibilité et de l'intellectualité du
sujet. L'effet psychédélique se manifeste généralement 45 à 120 minu-
tes après la consommation de peyotl ou de mescaline pure. La plupart
du temps, les nausées apparaissent avant les visions. Celles-ci peuvent
durer de 6 à 9 heures et sont parfois suivies de maux de tête. Il faut
absorber entre 200 et 500 mg de mescaline pour obtenir des effets
psychédéliques marqués. Certains iront jusqu'à prendre des prises ora-
les de 700 à 800 mg, ce qui peut provoquer des hallucinations extrê-
mement intenses, un comportement complètement irrationnel, voire
des angoisses terribles et le besoin de se suicider. Lorsque dans un
groupe de quelques personnes, la décision est prise de consommer de
la mescaline (ou du LSD), il est impérativement recommandé qu'une
personne au moins s'abstienne de tenter l'expérience afin de rester
complètement lucide pour surveiller le comportement des autres.
Signalons que 27 g de peyotl séché contiennent environ 300 mg de
mescaline. Cette substance a été testée en psychiatrie, mais on ne lui
a guère reconnu de vertus thérapeutiques exploitables. Dans la plupart
des pays, dont la Suisse et la France, elle figure sur la liste des
substances dont la production, la mise sur le marché et l'emploi sont

58
Le peyotl : du cactus hallucinogène à la mescaline

Le cactus de San Pedro (Photo 1. Chevalley,


prise au Jardin botanique de Genève)

interdits. En Suisse, le cactus vient d'être placé sur cette liste. Il faut
dire qu'il n'est pas facile de s'en procurer et il faut en consommer des
grandes quantités. Il existe cependant des adeptes sous nos latitudes et
il n'est pas rare que le peyotl disparaisse des serres tropicales de nos
jardins botaniques. Pour empêcher le vol de ce cactus, certains respon-
sables de jardins de plantes n'ont pas hésité à l'exposer, mais protégé
par des verres blindés ! La mescaline se trouve dans d'autres cactus, le
plus célèbre étant le cactus de San Pedro ou Trichocere us pachanoi
Britton et Rosé. Ce cactus est abondant au Pérou et pousse à une alti-
tude de 2000 à 3000 mètres. C'est le cactus sacré des chamans qui
l'utilisent lors de rites psychédéliques. Il est également employé comme
tonique et aphrodisiaque dans la médecine traditionnelle péruvienne.
Des contradictions existent dans la littérature scientifique quant à sa
teneur en mescaline. Certains parlent de 300 mg par 100 g de cactus
séché. Un autre cactus appartenant au même genre est également

59
Les plantes gui deviennent des drogues

fréquent au Pérou. Il s'agit de Trichocereus peruvianus Britton et


Rosé qui contient autant de mescaline que Lophophora williamsii, le
peyotl. À signaler que le cactus de San Pedro est considéré comme un
stupéfiant en Suisse depuis le 1er janvier 2002.
D'une manière générale, on peut dire que le cactus sacré des
Aztèques et son principe actif, la mescaline, ne sont pas des drogues
très utilisées en Europe. L'efficacité de la mescaline est faible par rap-
port à celle du LSD. Pour avoir un effet similaire à celui provoqué par
300 mg de mescaline, il suffit de consommer 300 1-1g (microgrammes)
de LSD, c'est à dire 1000 fois moins. Mais sur ce point, il existe des
divergences dans la littérature scientifique car dans certaines publica-
tions, il est indiqué que le LSD est environ 10000 fois plus actif que la
mescaline (Potier et Chast, 2001). Malgré cela, il ne faut surtout pas
négliger les effets du peyotl et de la mescaline. Parmi les grands
adeptes de la mescaline, on trouve l'écrivain britannique Aldous
Huxley (1894-1963), devenu célèbre par son roman de science-fiction
Brave new world (Le meilleur des mondes) publié en 1932. Après
avoir consommé de la mescaline, Huxley décrit ses aventures
visionnaires dans deux livres parus entre 1950 et 1960, à savoir The
doors of perception et Heaven and hel/. Il goûta aussi au LSD et à la
psilocybine et vit dans les hallucinogènes un moyen de se surpasser. Le
poète et peintre français d'origine belge, Henri Michaux (1899-1984)
décida d'absorber de la mescaline pour expérimenter ses effets sur sa
créativité. Il en résulta des dessins curieux et des œuvres telles que
Misérable miracle (1955) et Connaissance par les gouffres (1961).
Le romancier suisse d'origine allemande, Hermann Hesse (1877-
1962), prix Nobel de littérature 1946, aurait selon diverses sources,
écrit son roman Steppenwolf (1927) sous l'influence de la mescaline,
substance devenue disponible à l'état pur dès la fin du XIXe siècle
(Ratsch, 2001).

60
Les champignons hallucinogènes

Les champignons
hallucinogènes
Non seulement les plantes supérieures peuvent posséder des pro-
priétés psychotropes, voire hallucino~ènes, mais aussi toute une série
de champignons d'origines diverses. A noter d'emblée que le plus célè-
bre de tous les champignons, à savoir l'amanite tue-mouches, appelée
aussi fausse oronge, ou Amanita muscaria (L. ex Fr.) Hooker (Agari-
caceae) est à classer dans la catégorie des espèces hallucinogènes. Qui
ne connaît pas le plus symbolique de tous les champignons avec son
magnifique chapeau rouge piqueté de petites verrues blanches ? Même
les enfants en bas âge font sa connaissance dans les livres de contes.
Ce champignon est commun en Europe. On le trouve aussi dans les
steppes et les forêts froides d'Asie, ainsi qu'au Canada et aux États-
Unis. En Amérique centrale et en particulier au Mexique pousse un
champignon qui était vénéré des Aztèques et connu sous le nom teo-
nanacatl. Il s'agit de Psylocybe mexicana Heim (Strophariaceae) et
d'autres espèces appartenant aux genres Conocybe, Panaeolus,
Stropharia et Psilocybe. À signaler que l'on peut aussi trouver des
espèces du genre Psilocybe en Europe qui sont très recherchées des
amateurs de sensations fortes, en tout premier lieu Psilocybe semi-
lanceata (Fr. ex. Secr.) Kumm.

L'amanite tue-mouches, le plus célèbre


de tous les champignons
Ce champignon légendaire , appelé aussi fausse oronge ou agaric
moucheté, fascine l'homme par sa beauté depuis la nuit des temps.
Son nom scientifique est Amanita muscaria (L. ex Fr.) Hooker. Il fait
partie de la grande famille des Agaricacées. D'après Pelt (1 983), la
dénomination de tue-mouches remonte à une tradition lointaine selon
laquelle le suc du champignon mélangé à du lait serait fatal aux mou-
ches et autres insectes. Des évidences scientifiques confirment cette
tradition car le champignon sécrète un acide gras qui attire les mou-
ches et une autre substance, l'acide iboténique qui les tue. Toujours
d'après Pelt (1983), une autre explication est aussi proposée : on attri-
buait autrefois les désordres mentaux à la fâcheuse déambulation d'un
insecte dans le cerveau. Comme le champignon attire effectivement les
mouches et que celui qui le mange montre souvent des signes de

61
Les plantes qui deviennent des drogues

démence, il a maintenant une mouche dans le cerveau ! La plupart des


scientifiques, y compris l'auteur du présent livre, préfèrent la première
explication de l'origine du nom vernaculaire de ce champignon.
L'amanite tue-mouches, considérée souvent comme un porte-
bonheur, est un champignon spectaculaire à la fois par sa taille et par
sa couleur. Il peut atteindre 25 cm de hauteur et le chapeau jusqu'à
20 cm de diamètre. La cuticule de ce dernier est d'un rouge éclatant,
parsemée d'une sorte de grosses pustules blanches. Les lamelles sont
blanches, ainsi que le pied qui se termine par un anneau sous le cha-
peau. Lorsque le champignon est délavé par des pluies abondantes, le
chapeau devient alors jaune orangé. On peut dès lors confondre l'ama-
nite tue-mouches (fausse oronge) avec l'oronge vraie, appelée aussi
amanite de César ou Amanita caesarea {Scop. ex Fr.) Pers. ex Schw..
Cette dernière espèce est très recherchée par les vrais amateurs de
champignons pour sa chair excellente qui s'accommode de toutes sor-
tes de préparations. Il existe encore beaucoup d'espèces dans le genre
Amanita , mais nous ne citerons ici que deux d'entre elles qui sont
responsables chaque année de nombreux cas d'intoxication. En parti-
culier, l'amanite panthère ou Amanita pantherina (OC. ex Fr.) Secr.
Ce champignon contient aussi des substances que l'on retrouve dans
l'amanite tue-mouches. Il est consommé parfois dans le but de provo-
quer des hallucinations et une sensation de bien-être. L'ingestion de

L'amanite tue-mouches

62
Les champignons hallucinogènes

plus de 100 grammes de champignons frais est mortelle. Environ 7 %


de toutes les intoxications par des champignons en Europe sont dues à
l'amanite panthère (Roth et al., 1990). Après un temps de latence d'en-
viron 30 minutes, les premiers symptômes apparaissent déjà : maux de
ventre et vomissements, suivis de tachycardie, de vertiges, d'ivresse
avec hallucinations, d'euphorie, puis de dépression. Ces symptômes
durent entre 10 et 15 heures. Pour la thérapie, il est recommandé d'ab-
sorber du charbon actif pour éliminer les toxines et de provoquer le
vomissement. L'amanite panthère peut être confondue avec l'oronge
vineuse, connue aussi sous le nom d'amanite rougissante ou Amanita
rubescens (Pers. ex. Fr.) S.F. Gray, qui est un comestible fort apprécié.
Mais attention, cette dernière espèce ne doit pas être consommée crue.
Elle contient en effet une substance hémolytique (qui détruit les globu-
les rouges du sang) qui est modifiée en substance inactive à une tem-
pérature supérieure à 60°C (Chaumeton et al., 2000).
Le champignon le plus dangereux sous nos latitudes est sans le
moindre doute l'amanite phalloïde ou Amanita phalloïdes (Vaill.)
Secr. Il contient de nombreuses toxines appartenant à la classe des
cyclopeptides qui sont extrêmement hépatotoxiques (toxiques pour le
foie). L'ingestion d'un seul champignon, connu aussi sous les noms
d'oronge verte ou d'oronge ciguë verte peut provoquer la mort. Les
substances les plus toxiques sont les amatoxines, dont la teneur est de
l'ordre de 4,4 mg/25 g de champignons frais. La dose létale calculée
pour l'homme est de 0,1 mg par kg de poids corporel (Roth et al. ,
1990). Le temps de latence est assez long et les premiers symptômes
apparaissent entre 5-24 heures après l'ingestion. Ils sont violents :
coliques abdominales douloureuses, vomissements répétés, diarrhées
liquides très intenses. La personne intoxiquée doit être amenée dans
les plus brefs délais dans un hôpital, si possible dans une division spé-
cialisée en toxicologie. Dès que l'on soupçonne une intoxication par
l'amanite phalloïde, il faut boire beaucoup (par exemple du thé}, pro-
voquer le vomissement et avaler du charbon actif (10 g en suspension
dans l'eau). Les amatoxines ne sont pas détruites par la cuisson. De
plus, elles sont solubles dans l'eau. Cela signifie en clair que si parmi
les convives, une personne ne mange pas de champignons, mais seu-
lement la sauce, elle sera aussi intoxiquée. Une plante peut éventuel-
lement apporter un certain soulagement. Il s'agit du chardon Marie ou
Silybum marianum (L.) Gaertner (Asteraceae) connu pour ses effets
bénéfiques sur le foie . Cette espèce, connue pour ses vertus thérapeu-
tiques dès le Moyen Âge contient une substance, la silybine, aux
propriétés hépatoprotectrices reconnues. Le temps de survie a été très
nettement amélioré chez des animaux de laboratoire auxquels la

63
Les plantes gui deviennent des drogues

silybine a été administrée avant 1' amanite phalloïde ou les amatoxines


pures. Un effet de protection du foie est évident. Malgré cela, les
constituants du chardon Marie ne constituent pas un véritable antido-
te à une intoxication par l'amanite phalloïde. En effet, des lésions bio-
chimiques du foie ont lieu bien avant que n'apparaissent les premiers
symptômes d'une intoxication et ces lésions sont, dans la majorité des
cas, irréversibles. Si l'on se rend compte que l'on a ingéré l'amanite
phalloïde avant que n'apparaissent les premiers symptômes d'une
intoxication, une injection intraveineuse de silybine peut parfois enco-
re sauver la vie (Hostettmann, 1997).

De 1' usage traditionnel de l'amanite


tue-mouches
La première mention de l'utilisation rituelle de l'amanite tue-mou-
ches est faite par le Polonais Adam Kamienski en 1658 qui fut prison-
nier de guerre d'un tsar russe en Sibérie de l'ouest. Il était tellement fas-
ciné par ce qu'il a vu qu'il a soigneusement répertorié ses observations,
dont voici un extrait : « Certains indigènes mangeaient régulièrement ce
champignon et ils devinrent plus ivres que s'ils avaient bu de la vodka.>>
(Rosenbohm, 2000). Un récit beaucoup plus détaillé est dû au colonel
suédois Filipp Johann von Strahlenberg, qui au retour d'une expédition
dans la presqu'île de Kamtchatka en 1730, fit part des observations sui-
vantes : « Lors de festivités, ils mettent de l'eau sur ces champignons et
les cuisent. Ils boivent ensuite le liquide pour s'enivrer. Les plus pauvres
qui ne peuvent s'offrir ce champignon s'amassent autour des huttes des
riches. Lorsque ces derniers sortent pour uriner, les pauvres tendent un
bol en bois et boivent avec avidité cette urine dans laquelle se trouve
encore la force du champignon car il serait dommage qu'un liquide si
puissant tombe en vain sur le sol>>. (Rosenbohm, 2000). Bien d'autres
récits sont encore rapportés, voici un extrait de celui de Georg Steller
datant de 1774 qui a vécu pendant plusieurs années dans la tribu des
Koryaks en Sibérie du nord-est : « Les champignons sont séchés, puis
mangés en larges morceaux et ingérés à l'aide d'eau froide. Au bout
d'une demi-heure environ, la personne est complètement intoxiquée et
fait l'expérience d'extraordinaires visions. Ceux qui ne peuvent pas
payer le prix plutôt élevé des champignons boivent l'urine de ceux qui
en mangent, à la suite de quoi ils sont tout autant intoxiqués, voire plus.
L'urine paraît plus puissante que le champignon lui-même et ses effets
perdurent jusqu'au quatrième ou cinquième homme>>. (Mann, 1996). Il
faut mentionner qu'à cette époque le commerce des amanites tue-mou-
ches était florissant. Elles provenaient de la Russie centrale et pouvaient

64
Les champignons hallucinogènes

atteindre un prix exorbitant en Sibérie. Les indigènes de cette région


n'hésitaient pas échanger un renne contre un seul champignon ! (Pelt,
1983). Mais les plus grands utilisateurs de l'amanite tue-mouches furent
les chamans, à la fois prêtres et guérisseurs, qui pour entrer en com-
munication avec le monde des esprits consommaient le champignon
lors de cérémonies rituelles. Lorsque l'état d'extase était atteint, les cha-
mans donnaient leur consultation en interprétant les rêves de leurs
patients ou en prédisant l'avenir. Les chamans prétendaient aussi
qu'eux seulement pouvaient manger le champignon et que les autres
personnes seraient mortellement intoxiquées. Le champignon fut éga-
lement consommé dans certaines régions de Norvège, mais il s'agissait
probablement de l'amanite panthère qui provoque un effet similaire.
D'après Pelt (1983), l'amanite tue-mouches est aussi utilisée par les
Indiens d'Amérique, notamment du nord-ouest du Canada et de l'État
du Michigan. Le champignon est consommé par des chamans dans des
conditions similaires à celles observées en Sibérie, ce qui rappelle les
origines asiatiques de certaines populations amérindiennes qui traversè-
rent il y a plusieurs milliers d'années le détroit de Béring. Au XVIIe siè-
cle, en Allemagne, l'amanite tue-mouches était considérée comme un
champignon satanique. Le culte de l'amanite tue-mouches pourrait, d'a-
près certains chercheurs, avoir son origine dans l'Inde antique. Dans
l'ancienne mythologie indienne, le nom Soma désigne le dieu de la
Lune, mais aussi une boisson toxique préparée à partir d'une plante
sacrée. D'après R.G. Wasson (1896-1986)4 , le fondateur de l'ethno-
mycologie, l'amanite tue-mouches et le célèbre Soma de l'Inde ancien-
ne ne font qu'un (Jürgenson, 2000). Aujourd'hui encore, ce champi-
gnon trouve des consommateurs réguliers malgré les effets secondaires
qu'il induit. Ces habitués de l'amanite tue-mouches, sans connaître sa
composition chimique, savent cependant que l'on retrouve des principes
actifs intacts dans l'urine. Dès que les effets de l'ingestion du champi-
gnon s'estompent, ils récupèrent et consomment leur propre urine ou
l'offrent à un autre amateur qui s'enivrera à son tour, et ainsi de suite.

Les constituants de l'amanite tue-mouches


et leur mode d'action
Un champignon aussi mystérieux que célèbre ne pouvait qu'inspi-
rer les chimistes qui entreprirent très tôt déjà l'investigation de ses
constituants. Ce qui frappa dans l'amanite tue-mouches, c'est avant

4 Auteur du livre célèbre Soma, divine mushroom of immortality publié en 1973


chez Harcourt Brace Jovanovich.

65
Les plantes gui deviennent des drogues

tout son chapeau de couleur rouge brillant et d'un éclat extraordinaire.


Ce sont des pigments appartenant à la classe des bétalaïnes qui
contiennent un ou plusieurs atomes d'azote. On les a appelés musca-
flavine, muscaaurine et muscapurpurine. Les pigments colorés d'autres
champignons comme la chanterelle par exemple, sont des caroténoï-
des alors que les pigments de la plupart des fruits comme la myrtille,
le raisin rouge, par exemple, sont de nature phénolique (anthocyano-
sides). Mais les bétalaïnes sont aussi les substances qui donnent la cou-
leur à la betterave rouge. Ces substances ne sont pas responsables de
l'effet psychotrope de l'amanite tue-mouches. Des alcaloïdes ont été
isolés de ce champignon, dont le plus connu est sans aucun doute la
muscarine. Sa structure fut établie en 1953 par le Professeur C.-H.
Eugster de l'Université de Zürich. Cette substance et ses diastéréoiso-
mères jouent un rôle important dans la neurotransmission et provo-
quent des effets semblables à ceux de l'acétylcholine, mais ne permet-
tent pas d'expliquer les effets provoqués par l'ingestion de la fausse
oronge. Il faut retenir d'autres alcaloïdes, en particulier l'acide iboté-
nique, le muscimol et la muscazone qui interfèrent avec le neurotrans-
metteur acide y-aminobutyrique (GABA). Ce sont des antagonistes du
GABA. L'acide iboténique est la substance la plus importante du point
de vue quantitatif, mais pas la plus active. Par décarboxylation (élimi-
nation d'une molécule de C02), cet acide est transformé en muscimol,
considéré comme le produit le plus actif. Le séchage du champignon
induit cette transformation chimique. En clair, l'activité psychotrope est
nettement plus marquée lorsque l'on consomme le champignon séché.
Ce qui explique l'intérêt croissant pour l'amanite tue-mouches séchée
qui trouve de plus en plus d'adeptes. Aux États-Unis, par exemple, au
cours des dix dernières années, l'amanite tue-mouches séchée est
devenue le champignon psychotrope le plus fumé. Elle est facile à trou-
ver, ne coûte pas cher et lorsqu'elle est fumée, elle ne provoque pas de
problèmes gastro-intestinaux comme c'est le cas lors de l'ingestion du
champignon. À remarquer cependant que l'effet psychotrope estrela-
tivement faible lorsque l'on fume l'amanite tue-mouches séchée.

Nous avons signalé précédemment que lorsque le champignon est


mangé, l'urine du consommateur est très recherchée car elle provoque
des effets puissants. L'acide iboténique se retrouve en partie dans l'u-
rine et d'après certains chercheurs, est métabolisé en muscimol, subs-
tance encore plus active. L'acide iboténique a été identifié en 1964 par
le chimiste japonais Takemoto qui lui a donné son nom. Il faut dire que
l'amanite tue-mouches et d'autres espèces du genre Amanita ont joué

66
Les champignons hallucinogènes

un rôle important dans la culture japonaise où elles sont connues


sous le nom de tengu take (take signifie champignon). L'une de ces
espèces Amanita strobiliformis (Paul.) Quelet s'appelle ibo tengu
take, d'où le nom d'acide iboténique.
Dans certains livres sur les champignons, il est indiqué que l' ama-
nite tue-mouches devient comestible si on la débarrasse de la peau
rouge de son chapeau. Des évidences scientifiques récentes montrent
que la chair du chapeau et les lamelles blanches contiennent nettement
plus de substances hallucinogènes que la peau du chapeau (Bresinsky
et Besl, 1985). L'amanite tue-mouches est curieusement très riche en
vanadium et une substance contenant cet élément a été isolée en
1972. Elle a reçu le nom d'amavadine et se présente à l'état pur sous
forme de cristaux bleus (Bayer et Kneifel, 1972).
Le champignon le plus connu, mystérieux, porte-bonheur, malé-
fique aussi, a inspiré de nombreux écrivains, poètes, peintres et autres
artistes. Le fameux peintre Hieronymus Bosch (1450-1516), célèbre
par son triptyque La tentation de Saint-Antoine, en fut un adepte.
Des historiens d'art affirment que plusieurs de ses remarquables
tableaux ont été peints alors qu'il était sous l'emprise de l'amanite
tue-mouches. C'est le cas notamment du Portement de croix et de
L'enfer. Par sa beauté incomparable, l'amanite tue-mouches fascine
les hommes et elle les fascinera encore longtemps. Ses propriétés
hallucinogènes en ont fait un champignon sacré chez les uns, malé-
fique chez les autres. Il apparaît dans de nombreux contes pour
enfants, en particulier dans ceux de Jakob Grimm (1785-1863) et
Wilhelm Grimm (1786-1859) connus dans le monde entier sous le
nom des frères Grimm. Blanche-Neige, personnage de l'un de leurs
contes est empoisonnée par sa marâtre et ne se réveillera qu'après
l'arrivée du Prince charmant. D'après certains experts, le poison aurait
pu être l'amanite tue-mouches, qui peut selon la dose, plonger le
consommateur dans une sorte de sommeil artificiel (Bauer et al. , 2000).
L'amanite tue-mouches ne provoque guère d'intoxications mor-
telles, mais son ingestion cause des troubles gastro-intestinaux sévères.
Malgré l'effet euphorique, voire hallucinogène qu'elle induit, il vaut
mieux renoncer à sa consommation. Séchée et fumée, elle est moins
dangereuse, mais l'effet recherché par certains est plutôt faible. Ce
champignon célèbre n'a pas encore livré tous ses secrets. Des analy-
ses plus détaillées de sa composition chimique permettront peut-être
de mieux comprendre les mystères qui l'entourent encore.

67
Les plantes gui deviennent des drogues

Le teonanacatl des Aztèques


et autres champignons hallucinogènes
du genre Psilocybe et genres apparentés
L'utilisation rituelle de champignons hallucinogènes était couran-
te en Amérique centrale dans les civilisations précolombiennes. Lors
de fouilles archéologiques effectuées autour des ruines de temples
mayas au Guatemala et dans la presqu'île du Yucatan au Mexique, de
nombreuses sculptures en pierre représentant des champignons ont
été trouvées. Elles datent d'environ 1000 avant J.-C. Une de ces pier-
res fongiformes trouvée au Guatemala pourrait même dater de 2000
ans avant J.-C. Au XVIe siècle, Bernardino de Sahagun, un chroni-
queur qui participait à l'expédition du conquérant espagnol Hernando
Cortés (1485-154 7) décrivit les cérémonies rituelles chez les Aztèques
impliquant l'utilisation d'un champignon sacré, le teonanacatl qui veut
dire en langue aztèque « chair des dieux >>. Le clergé espagnol et les
missionnaires catholiques combattirent violemment le culte du champi-
gnon et les rites des indigènes. Ceux qui participaient aux cérémonies
interdites par Cortés furent systématiquement tués et les statues de
champignons et autres représentations« païennes>> détruites. L'empe-
reur aztèque Moctezuma organisait chaque année la « Fête de la Révé-
lation>> où l'on offrait à des initiés des champignons hallucinogènes qui
étaient consommés crus. Le texte qui décrivait cette cérémonie parti-
culière a été confisqué par l'Église catholique et ne fut plus jamais
retrouvé. Moctezuma fut tué en 1520 et l'empire aztèque détruit en
1521. Malgré la terrible répression, le culte du champignon n'en a pas
moins persisté dans la clandestinité. La plupart des Indiens, devenus
chrétiens au cours des siècles, gardèrent l'utilisation rituelle du champi-
gnon. Les cérémonies religieuses devinrent un curieux mélange impré-
gné d'éléments empruntés à la messe catholique (autel pour Jésus
Christ, images de la Vierge Marie) et le rite traditionnel (objets en
forme de champignons et consommation de champignons).
L'identification des espèces de champignons impliquées fut diffi-
cile. On la doit avant tout au célèbre mycologue américain Richard
Gordon Wasson (1898-1986), fondateur de l'éthnomycologie. Après
avoir étudié l'utilisation rituelle de l'amanite tue-mouches chez les
populations de la Sibérie orientale, Wasson s'intéressa au culte secret
des champignons pratiqué en Amérique centrale et au Mexique. Dans
la nuit du 29 au 30 juin 1955, Wasson a pu participer à une cérémo-
nie secrète qui eut lieu à Huautla de Jiménez, dans la province mexi-
caine d'Oaxaca (Ratsch et Liggenstorfer, 1998). Il fut sans doute le

68
Les champignons hallucinogènes

premier homme blanc autorisé à participer à une telle cérémonie pen-


dant laquelle il a pu déguster le champignon sacré grâce à la prêtresse
et guérisseuse d'Oaxaca Maria Sabina. Ce personnage hors du com-
mun organisait régulièrement des cultes rituels tels qu'ils furent prati-
qués probablement depuis l'époque aztèque. En autorisant Wasson a
participer à l'un de ces cultes, le monde entier découvrit les vertus du
champignon divin, devenu champignon magique. Maria Sabina devint
célèbre par les articles et les livres de Wasson, en particulier lorsque ce
dernier publia son article intitulé « Seeking for the Magic Mushroom ••
dans le magazine Life du 13 mai 1957 (Stamets, 1999). Des millions
de personnes découvrirent alors enfin le nom scientifique du cham-
pignon sacré des Aztèques identifié avec l'aide du mycologue français
Roger Heim (1900-1979) en 1956, lorsque ce dernier accompagna
Wasson au Mexique. Tous les champignons sacrés furent classés dans
le genre Psilocybe (Strophariaceae) et le plus important d'entre eux,
Psilocybe mexicana Heim, fut mis en culture dès cette date au
Museum d'Histoire Naturelle à Paris. L'investigation chimique et phar-
macologique de ce champignon fut confiée à Albert Hofmann,
chimiste suisse né en 1906, devenu célèbre par la découverte des
propriétés hallucinogènes extraordinaires du LSD en 1943. Comme
Hofmann avait déjà testé le LSD sur lui-même, il accepta de consom-
mer la dose généralement utilisée par les Indiens du Mexique, c'est-à-
dire environ 2,4 grammes de Psilocybe m exicana séchés, sous strict
contrôle médical. C'est ainsi qu'Hofmann a décrit les effets ressentis
(d'après Mann, 1996) :
«Trente minutes après l'ingestion des champignons, le monde exté-
rieur commença à subir d'étranges transformations ... Que mes yeux
soient ouverts ou fermés, je ne voyais que motifs et couleurs mexicains.
Lorsque le médecin supervisant 1'expérience se pencha sur moi pour
contrôler ma tension, il se transforma en prêtre aztèque ... Au paroxysme
de l'intoxication ... les motifs abstraits changeaient rapidement de couleur
et de forme et atteignirent un degré tellement alarmant que je craignis
d'être déchiré au cœur de ce tourbillon de formes et de couleurs, et de
m'y dissoudre. Le rêve s'acheva au bout d'environ six heures ••.

De l'identification des substances actives


du teonanacatl
Après cette expérience incroyable, Hofmann se mit au travail et
isola du champignon deux substances qu'il nomma psilocine et psilo-
cybine. Elles dérivent de l'acide aminé tryptophane et sont classées

69
Les plantes gui deviennent des drogues

dans les alcaloïdes indoliques. La substance principale est la psilocybi-


ne dont la structure chimique est 4-phosphoryloxy-N,N-diméthyltryp-
tamine. Lorsqu'elle est pure, elle se présente sous forme de cristaux
blancs qui sont solubles dans l'eau. Cette substance est accompagnée
dans le champignon de la psilocine ou 4-hydroxy-N,N-diméthyltrypta-
mine. Elle est moins stable que la psilocybine car il lui manque le grou-
pe acide phosphorique. Elle est facilement oxydable et conduit alors à
des produits de couleur bleue. Lorsque l'on écrase un peu le champi-
gnon lors de sa cueillette, on peut observer une coloration bleuâtre de
la chair à l'endroit contusionné, signe visible de la présence des subs-
tances psychotropes. La détermination de structure de ces substances
fut publiée pour la première fois en 1958. La psilocybine est active par
voie orale à raison de 100 à 150 11g par kg de poids corporel. Elle ne
provoque que peu d'effets physiques, à part la mydriase (dilatation de
la pupille) et la myorelaxation, mais des effets psychiques importants :
après une phase d'agitation, de vertiges et d'anxiété, les hallucinations
apparaissent. Elles sont avant tout visuelles avec déformation des
contours, accentuation des couleurs, distorsion de la perception du
temps et de l'espace. L'intensité des effets dépend de la personnalité
du sujet de et son environnement (Bruneton, 1999). Hofmann a aussi
réalisé la synthèse totale de la psilocybine et rapporte qu'au lieu de
manger une demi-douzaine de champignons au goût assez amer, on
peut obtenir le même effet en absorbant 10 mg de psilocybine pure.
En 1969, il se rendit au Mexique en compagnie de Wasson et ren-
contra la chamane Maria Sabina, devenue entre-temps très célèbre
grâce aux nombreux articles de Wasson. Il put participer à une célé-
bration rituelle où le champignon sacré fut consommé. Il profita de dis-
tribuer des pilules contenant chacune 30 mg de psilocybine pure aux
convives présents. Maria Sabina, très sceptique, déclara qu'il manquait
à la pilule l'esprit du champignon. Plusieurs personnes ingérèrent en
même temps le champignon et d'autres la pilule. L'effet se manifesta
plus rapidement chez les consommateurs de champignon car une par-
tie du principe actif passait déjà dans le circuit sanguin via les muqueu-
ses buccales lors de la mastication. L'effet se manifestait plus tard chez
les consommateurs de la pilule car la libération du principe actif ne
pouvait avoir lieu que dans l'estomac. En fin de compte, Maria Sabina
déclara que la pilule avait la même puissance que le champignon et que
les effets provoqués étaient finalement identiques. Avant de quitter la
chamane, Hofmann lui fit don d'un flacon de pilules et Maria Sabina
ravie expliqua qu'elle pourrait dorénavant donner des consultations
même durant les saisons où le champignon ne pousse pas (Hofmann,
1998). La preuve était faite que la psilocybine était bien la substance

70
Les champignons hallucinogènes

active du champignon. Dix ans plus tard, Hofmann isola encore deux
substances du champignon, à savoir la baeocystine et la norbaeocys-
tine, qui semblent être des précurseurs biogénétiques.
À signaler que par la suite, d'autres dérivés de la N,N-diméthyl-
tryptamine ont pu être identifiés dans diverses plantes tropicales pré-
sentant des propriétés hallucinogènes. Et pas seulement dans les plan-
tes ! Une substance de structure chimique très proche de celles de la psi-
locine et de la psilocybine a été trouvée dans les sécrétions de la peau
du crapaud commun Bufo vulgaris L. Il s'agit de la 5-hydroxy-N,N-
diméthyltryptamine qui reçut le nom de bufoténine. Cette substance n'a
guère de propriétés hallucinogènes, car elle est relativement polaire,
mais son homologue méthylé, ou 5-méthylbufoténine, est plus lipo-
phile et pénètre plus facilement dans le circuit sanguin pour provoquer
des hallucinations intenses. Elle a été identifiée dans les sécrétions de
deux glandes situées à la base de la nuque d'un crapaud commun de la
rivière Colorado, en Arizona, dont le nom latin est Bufo alvarius. Ces
sécrétions, lorsqu'elles ont été séchées, contiennent 15% de 5-méthyl-
bufoténine. C'est la raison pour laquelle ce crapaud est très recherché.
Capturé vivant, il est « trait » une fois par jour par un massage de ses
deux glandes qui fait jaillir un jet de sécrétion que l'on recueille et sèche.
Ces sécrétions séchées sont alors fumées, parfois mélangées à d'autres
plantes hallucinogènes. L'effet provoqué est instantané, extrêmement
puissant, mais de courte durée (10 minutes environ). Absorbées par

Bufo Marinus (Photo 1. Chevalley, prise à Ophiofarm, Servion)

71
Les plantes qui deviennent des drogues

Certains aiment le lécher. .. (Photo 1. Chevalley, prise à Ophiofarm, Servion)

voie orale, ces sécrétions induisent des problèmes gastro-intestinaux qui


sont absents lorsqu'on les fume. En Arizona, une secte appelée Church
of the Toad of Light (toad veut dire crapaud) a été créée il y a une
vingtaine d'années, dans laquelle on vénère les sécrétions de Bufo
alvarius (Ratsch, 2001). La presse mondiale rapporte depuis une
vingtaine d'années qu'aux États-Unis et en Australie, le léchage de
crapaud (toad lickin') permet de se droguer. Il s'agit d'un crapaud
d'origine américaine (Amérique centrale), Bufo marinus. Les sécrétions
de ce crapaud contiennent la bufoténine et des molécules proches, mais
aussi des catécholamines comme la dopamine et l'adrénaline, ainsi que
la sérotonine. Lécher ce crapaud provoque des hallucinations impor-
tantes, mais elles sont précédées de nausées, voire de vomissements.
Les hallucinations ressemblent à celles induites par le LSD, mais sont
moins intenses et durent moins longtemps. Les sécrétions de ce
crapaud sont aussi séchées et fumées (Ratsch, 2001). Bufo marinus a
été introduit en Australie où il est devenu très fréquent et souvent
utilisé dans le but de se droguer. Ce qui a incité les autorités du
Queensland à déclarer la bufoténine et ses dérivés comme substances
interdites. Chez nous, Bufo marinus peut être acheté et certaines
personnes le chérissent comme animal domestique !
Il est prudent de signaler à ceux qui seraient tentés de lécher des
crapauds que les espèces communes de chez nous ne contiennent guère

72
Les champignons hallucinogènes

de substances hallucinogènes dans les sécrétions de leur peau, mais des


substances de défense toxiques. Ce qui explique que nos crapauds ne
sont jamais attaqués par des chiens, des chats ou autres animaux.
Il faut encore remarquer que le fameux teonanacatl des Aztèques
n'est pas un champignon bien défini, mais représente plutôt un ensem-
ble de champignons aux propriétés hallucinogènes. Il s'agit d'autres
espèces du genre Psilocybe comme par exemple Psilocybe aztecorum
Heim, mais aussi d'espèces appartenant à d'autres genres, en parti-
culier les genres Panaeolus, Conocybe, Inocybe et Stropharia.

Les champignons hallucinogènes de chez nous


Suite aux écrits de Wasson dans les années 1956-1960, le monde
prit conscience du pouvoir hallucinogène puissant du champignon
sacré des Aztèques. Les Américains les premiers furent fascinés par les
effets rapportés dans la presse et devinrent dès lors des amateurs pas-
sionnés de champignons. On rechercha bientôt des espèces du genre
Psilocybe un peu partout, y compris dans les parcs publics des gran-
des métropoles américaines. Beaucoup d'adeptes firent aussi le dépla-
cement au Mexique.
On sait maintenant que la répartition des champignons hallucino-
gènes a lieu sur pratiquement toutes les parties du globe. En Europe
aussi, ils sont nombreux. On trouve différentes espèces des genres Psi-
locybe (Strophariaceae), Stropharia (Strophariaceae), Panaeolus
(Coprinaceae) et Inocybe (Cortinariaceae) qui contiennent la psilocy-
bine. D'après Guzman (1983), il existe dans le monde 144 espèces du
genre Psilocybe , dont 81 sont hallucinogènes. Parmi ces dernières,
une demi-douzaine d'espèces se trouvent en Europe. L'espèce la plus
commune et la plus recherchée des amateurs de sensations fortes est
sans aucun doute Psilocybe semilanceata (Fr.) Kummer. C'est un petit
champignon au chapeau en forme de cloche d'un diamètre de 0,5 à
2,5 cm et de couleur brune. Sa surface brillante est assez gluante et
collante. Il possède des petites lamelles de couleur brun-olive. Le pied
est très fin avec un diamètre de l'ordre de 0,75 à 2,5 mm. Sa hauteur
est de 4 à 10 cm. La poudre de spores est brun foncé à pourpre. Les
spores facilement observables au microscope sont de forme elliptique
(12-14 11m x 7-8 !lm). Ce champignon pousse de préférence dans
l'herbe et particulièrement en automne dans les pâturages où ont
séjourné des bovins, des moutons ou des chevaux. On peut le trouver
occasionnellement sur le gazon des parcs publics ou autour d'immeu-
bles. Psilocybe semilanceata ressemble beaucoup à une espèce

73
Les plantes gui deviennent des drogues

Psilocybe semilanceata, le champignon hallucinogène le plus commun (Photo M. Wilhelm)

proche Psilocybe strictipes Singer & Smith que les amateurs n'arrivent
guère à différencier. Les deux espèces deviennent bleues à l'endroit où
elles ont été touchées. Il s'agit d'un indicateur de la présence de psilo-
cine et de psilocybine. Psilocybe sem ilanceata présente une teneur
assez variable en psilocybine, de l'ordre de 0,1 jusqu'à 2 %, tandis que
la psilocine ne s'y trouve qu'en traces. Il contient aussi de la baeocys-
tine. Ce champignon est fréquent dans les régions alpines jusqu'à
1500 mètres d'altitude. Il est aussi facile à trouver dans les pâturages
de l'arc jurassien. Le champignon peut être consommé frais. Il faut
alors en ingérer une poignée (environ 30 à 40 g). Lorsqu'il est séché,
la dose est de l'ordre de 2-3 grammes à consommer avec beaucoup
d'eau. Parfois, le champignon séché est pulvérisé et mélangé à diver-
ses boissons ou absorbé sous forme de tisane. Lors du séchage, des
précautions sont à prendre car la psilocybine est détruite à une tem-
pérature supérieure à 50°C (Ratsch, 2001). Ce petit champignon est
devenu en moins de 20 ans, la drogue d'origine mycologique la plus
consommée en Europe. Dans de rares cas et lors d'un surdosage, cer-
tains consommateurs ont montré des tendances suicidaires. À part
cela, les accidents graves sont plutôt rares et sont dus à la confusion
avec d'autres champignons, par exemple avec Inocybe geophylla
(Sow. ex Fr.) Kummer qui contient de la muscarine et qui est très
toxique. Les psilocybes sont souvent consommés en groupe lors de
soirées raves et technos par exemple. Ils ont inspiré aussi un certain
nombre de musiciens et de compositeurs contemporains. Particulière-

74
Les champignons hallucinogènes

ment impressionnante est la chanson Mangez-moi, Mangez-moi, de


Billy Zekick que l'on peut trouver dans un album (CD) de Billy Zekick
et les Gamins en Folie, sorti en 1993. Cet album (CD) est toujours en
vente chez les bons disquaires. La réaction est très différente d'un indi-
vidu à l'autre. Alors que certains sombrent dans une douce euphorie,
d'autres sont totalement agités ou pris de panique et d'autres encore
sont complètement fous de joie. À la fin de l'expérience, la plupart
d'entre eux ont envie de recommencer.
D'autres espèces du genre Psilocybe sont aussi souvent utilisées
chez nous, en particulier Psilocybe cyanescens Wakefield, Psilocybe
cubensis (Earle) Singer, Psilocybe coprophila (Bull. ex Fr.) Kummer et
Psilocybe rhombispora (Britz.) Sace. (syn. Psilocybe phyllogena
(Peck) Peck). À part les psilocybes, il y a encore bien d'autres champi-
gnons hallucinogènes qui contiennent la psilocine et la psilocybine.
Nous ne citerons ici que les espèces les plus fréquentes que l'on trou-
ve dans le commerce parallèle des champignons hallucinogènes. Il faut
en effet savoir que la psilocine et la psilocybine figurent sur la liste des
substances classées comme stupéfiants dans la plupart des pays de
l'Europe, notamment la Suisse et la France. Pour ce dernier pays, on
peut se référer à l'Arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des subs-
tances classées comme stupéfiants publié le 7 juin 1990 dans le Jour-
nal Officiel de la République française . Il n'est pas rare que la police
pourchasse des cueilleurs de champignons en automne et confisque la
récolte suspecte. Attention aux amateurs, car depuis le 1er janvier
2002, les champignons hallucinogènes (espèces des genres Psilocybe,

Psilocybe rhombispora (Photo F. Patané)

75
Les plantes qui deviennent des drogues

Psilocybe coprophila (Photo M. Wilhelm)

Psilocybe cyanescens (Photo A. Riva)

76
Les champignons hallucinogènes

Stropharia coronilla (Photo Valobonsis)

Conocybe, Stropharia, Panaeolus) figurent sur la liste des stupéfiants


prohibés en Suisse. La police a maintenant des bases légales pour
intervenir et procéder sans doute à plus de contrôles.
Parmi les champignons hallucinogènes contenant la psilocine et la
psilocybine, on trouve encore Stropharia caerulea Kriesel (syn. Psilo-
cybe caerulea (Kriesel) Noordeloos, Panaeolus papilionaceus (Bull. ex
Fries) Quelet, Panaeolus cyanescens Berkeley & Broome (syn. Cope-
landia cyanescens (Berk. & Br.) Sace.) et Inocybe haemacta (Berk. &
Coole) Saccardo. Bien que cette dernière espèce contienne la psilocy-
bine et la baeocystine et de ce fait induit des hallucinations, il est forte-
ment recommandé de s'abstenir de la récolter et de la consommer car
elle peut être facilement confondue avec d'autres espèces du genre
Inocybe, dont certaines sont extrêmement toxiques et complètement
dépourvues de constituants psychotropes (Stamets, 1999).
La consommation de champignons hallucinogènes est devenue un
phénomène à la mode depuis la découverte, dans les années soixante,
des propriétés psychotropes importantes d'espèces du genre Psilocybe
par Wasson. En réalité, elle n'est pas très dangereuse en soi, mais
représente tout de même un risque pour la santé pour les sujets en proie
à des difficultés d'ordre psychologique (les déprimés, les paranoïaques,
etc.). Et surtout, il ne faut pas confondre les espèces, ce qui peut

77
Les plantes qui deviennent des drogues

entraîner des intoxications graves. Enfin, champignons hallucinogènes


et alcool ne font pas bon ménage. Il est fascinant de relever que le
champignon sacré des Aztèques et le culte dont il a fait l'objet n'a été
identifié que dans la deuxième moitié du XX• siècle. Pendant longtemps,
on a pensé que le culte rituel des champignons sacrés se confinait à
l'Amérique centrale et aux civilisations mayas et aztèques. On sait
maintenant que des champignons qui étaient vraisemblablement des
psilocybes, étaient aussi utilisés dans les anciennes cultures
européennes et notamment dans la Grèce antique. En 1977, Wasson a
émis l'hypothèse que le culte de Déméter, déesse de la fertilité et
divinisation de la terre nourricière qui était célébré à Eleusis, une ville de
l'Attique et les mystères qui entouraient ce culte étaient liés à
l'utilisation de champignons psycho-actifs. On a en effet retrouvé des
bas-reliefs datant d'environ 400 ans avant J.-C. où l'on voit la déesse
Déméter remettre un champignon à sa fille Perséphone. Ce
champignon ressemble étrangement à un psilocybe ! (Stamets, 1999).
Inocybe haemacta
(Photo M. Aeberhard)

Stropharia caerulea
(Photo M. Wilhelm)

78
Les champignons hallucinogènes

Panaeolus cinctulus (Photo M. Wilhelm)

Panaeolus papilionaceus (Photo Valobonsi)

79
Les plantes gui deviennent des drogues

De l'ergot de seigle au LSD


On appelle ergot de seigle un champignon inférieur qui parasite
les graines de seigle ou Seca/e cereale L. (Poaceae). Cependant, il est
trouvé occasionnellement comme parasite sur près de 400 autres
espèces de la famille Poaceae (syn. Gramineae). Son développement
est plus important lorsque la saison est humide. Lorsque les spores
atteignent l'épi de seigle, il se forme des filaments qui au cours de la
maturation de la céréale se transforment en amas mycélien. Ces fila-
ments élaborent aussi de petites spores qui sont transportées par le
vent, la pluie et les insectes d'un épi à l'autre et très vite un champ
entier est contaminé. Lorsque le seigle arrive à maturité et sèche,
l'amas mycélien ne produit plus de spores et devient un tissu plus
dense qui durcit. C'est sous cette forme que le champignon devient
bien visible car il se présente maintenant comme une excroissance
dans l'épi de couleur violet-noir, qui mesure de 1 à 4 cm de longueur
pour un diamètre de 2 à 6 mm et qui est amincie aux extrémités. Sa
forme évoque l'ergot de la
patte du coq que certains ont
appelé Seca/e cornutum. Ces
ergots peuvent passer dans la
farine de seigle. Ils peuvent
aussi se détacher et tomber
sur le sol où ils passent l'hiver.
Au printemps, ils germent et
émettent des spores qui, en
contaminant le seigle, enclen-
cheront à nouveau le cycle
(Pelt, 1983). Cette excrois-
sance bizarre des épis de
seigle suscita dès le début du
XVII• siècle l'intérêt des natu-
ralistes et leurs explications
furent aussi farfelues que
confuses. L'hypothèse qu'il
s'agit d'un champignon fut
émise pour la première fois
en 1711 et confirmée par la
suite par le célèbre botaniste
Épi de seigle avec 1'ergot genevois Augustin Pyrame de

80
De l'ergot de seigle au LSD

Candolle (1778-1841). La preuve définitive de la nature fongique de


l'ergot de seigle fut apportée par Louis-René Tulasne (1815-1885) qui
en étudia la reproduction (Delaveau, 1982) et lui donna son nom défi-
nitif de Claviceps purpurea (Fr.) Tulasne qu'il classa dans des Ascomy-
cètes, dans l'ordre des Clavicipitales et dans la famille Clavicipitaceae.

De 1' utilisation traditionnelle de 1' ergot


de seigle aux intoxications massives par
de la farine de seigle contaminée
Les premières mentions de l'utilisation de l'ergot de seigle se trou-
vent dans des textes chinois datant d'environ 500 ans avant J .-C. C'est
en obstétrique que l'ergot de seigle fut appliqué dans le but de déclen-
cher l'accouchement. Cette indication fut reprise au Moyen Âge, sur-
tout en Allemagne où on l'appelle encore aujourd'hui Mu tte rkorn. Au
XVIe siècle, dans la plupart des pays d'Europe centrale et en France,
l'ergot de seigle fut utilisé sous le nom de pu/vis ad partum par les
sages-femmes pour accélérer l'accouchement ou lors d'accouchements
difficiles. On savait que cette poudre d'ergot provoquait de fortes
contractions de l'utérus. Hélas, souvent trop fortes qui entraînaient
l'asphyxie du fœ tus et même la rupture de l'utérus. Certains médecins
et sages-femmes sceptiques l'appelèrent pu/vis ad mortem !

Ergots de seigle séchés

81
Les plantes gui deviennent des drogues

De nombreux accidents ternirent la réputation et son emploi fut


interdit en Allemagne en 1778 (Delaveau, 1982). Malgré cette
interdiction, l'ergot de seigle continua d'être utilisé largement par les
avorteuses ou faiseuses d'anges. Il fut réhabilité par un article célèbre
publié en 1808 par une immigrante allemande aux États-Unis et
intitulé « Account of the Pu/vis Parturiens, a remedy for quickening
childbirth ''· Dans la première édition de la Pharmacopée américaine
publiée en 1820, se trouve une description de l'ergot de seigle et des
indications pour son emploi.
L'ergot de seigle est tristement célèbre pour les intoxications mas-
sives produites par l'ingestion de pain de seigle contaminé. D'après
Ratsch (2001), la première mention de ces intoxications se trouve dans
le poème philosophique Denatura rerum de l'auteur romain Lucrèce
(98-55 avant J.-C.). Plusieurs historiens se sont efforcés d'identifier la
cause de très nombreuses épidémies qui ont frappé l'Europe dès le
haut Moyen Âge. D'après les descriptions des symptômes, il ne pou-
vait s'agir que d'intoxications provoquées par l'ergot de seigle
auxquelles le nom d'ergotisme fut donné. Mais à l'époque, les causes
de ces intoxications qui se transformèrent en véritables épidémies
n'étaient pas encore connues et demeuraient très mystérieuses. En
plus de la peste, il y eut un nouveau fléau auquel fut donné le nom de
ignis sacer ou Feu sacré. Mais il fallut 700 ans encore avant que
l'agent responsable de ce mal ne fut identifié : l'ergot de seigle et ceci
au XVIIe siècle seulement.
Une terrible épidémie eut lieu à Paris en 945, une plus importante
encore au sud de la Lorraine en 1089, qu'un chroniqueur de l'époque
décrivit de la manière suivante :
« ... on vit beaucoup de malades, les entrailles dévorées par l'ar-
deur du Feu sacré, avec des membres ravagés, noircissant comme du
charbon, qui, ou bien mourraient misérablement, ou bien conservaient
la vie en voyant leurs pieds ou leurs mains gangrenés se séparer
du reste du corps. Mais beaucoup souffraient d'une contraction des
membres qui les déformait >> 5 .
En 1090, encore une épidémie de Feu sacré, cette fois dans le
Dauphiné. Le désarroi s'empare des foules. Contre une si terrible
maladie, on ne peut rien ... sauf s'en remettre à Dieu ou à l'un de ses

5Texte tiré de l'excellent livre de Jean-Marie Pelt, Drogues e t plantes magiques ,


Éditions Fayard, Paris, 1983, p. 222.

82
De l'ergot de seigle au LSD

saints. Et le saint fut Saint Antoine (251-356), dont la tradition veut


qu'il ait été longtemps obsédé par de violentes tentations sous formes
de visions, mais auxquelles il ne succomba pas. Dans le langage cou-
rant, le terme de tentations de Saint Antoine est encore utilisé. Pour-
quoi ce saint fut-il choisi ? Tout simplement parce que les reliques de
son corps, après maintes tribulations, échouèrent en 1083 en l'église
paroissiale de la Motte-au-Bois, dans le Dauphiné. Cette église devint
un lieu de pèlerinage pour les nombreux malades et après une guéri-
son miraculeuse, un ordre fut créé en 1093 pour porter secours aux
malades atteints du Feu sacré. Saint Antoine en devint naturellement
le patron et l'ordre fut dénommé Ordre des Antonins. À partir de cette
époque, le Feu sacré fut connu aussi sous le nom de Feu de Saint
Antoine (Schultes et Hofmann, 1980). Deux types de Feu sacré furent
décrits, le type gangrène et le type convulsion. Dans le premier cas, la
gangrène s'établit dans un pied, un peu moins souvent dans une main,
avec une sensation de chaleur intense, d'où l'origine de l'expression
Feu sacré ou Feu de Saint Antoine. Cette gangrène conduit à la momi-
fication, voire jusqu'à la perte de l'extrémité des membres. De nom-
breux peintres furent inspirés par les ravages de ces épidémies et des
scènes avec des personnages amputés ont été réalisées par exemple
par Bruegel L'Ancien (1525 ou 1530-1569) et son fils (1564-1638).
La forme convulsive du Feu sacré se caractérise par des atteintes du
système nerveux qui se manifestent par des convulsions des membres
et de tout le corps, du délire et des hallucinations. Les causes de l'épi-
démie furent enfin connues en 1777 où plus de 8000 personnes sont
décédées en Sologne lors d'une épidémie de Feu sacré du type gan-
grène. L'abbé Teissier publia en 1777 ses observations qui établirent
que l'ergot du seigle était responsable des épidémies de Feu sacré. Il
administra de la poudre d'ergot à des canards et des porcs et observa
la même pathologie que celle des êtres humains intoxiqués (Delaveau,
1982). Mais il est utile de rappeler qu'avant la publication de l'abbé
Teissier, une première mise en garde contre l'utilisation de l'ergot
de seigle avait déjà été lancée en 1 7 68 dans un traité de matière
médicale en Autriche. Elle est tirée du livre de Delaveau (1982) et
reproduite ci-après :
« Secale cornutum venenum est, gangraenam cito inducens, in
variis Academiarum Actis infame declaratum. "
Ce qui veut dire « Le seigle cornu est un poison, entraînant rapi-
dement une gangrène ; il est déclaré très dangereux dans plusieurs
actes des académies». Dès 1777, on prit soin d'éliminer l'ergot des

83
Les plantes gui deviennent des drogues

graines de seigle avant de les moudre pour faire de la farine et les


intoxications devinrent sporadiques. La dernière grande intoxication
collective touchant près de 30 000 personnes eut lieu au sud de la
Russie dans les années 1926-1927. Un empoisonnement collectif, qui
eut lieu en 1951 à Pont-Saint-Esprit en France, fut attribué à tort à
l'ergot de seigle. Des analyses toxicologiques démontrèrent que les
grains de seigle étaient contaminés par un pesticide à base de mercure.
À l'heure actuelle, on peut consommer du pain de seigle et autres déri-
vés de cette céréale sans crainte car les fongicides ont permis l'élimina-
tion du champignon. L'utilisation de fongicides, des règles de culture
strictes et le contrôle du grain réduisent pratiquement à zéro le risque
d'intoxication. Cependant, en 1985, le cas d'une fillette de treize ans
eut un certain retentissement. Hospitalisée suite à des maux de tête et
des troubles de la vision, elle vit son état s'améliorer spontanément
après quelques jours d'hospitalisation. Elle quitta la clinique sans qu'un
diagnostic précis n'ait pu être posé. Intrigués par la soudaine amélio-
ration de l'état de la fille, les parents et les médecins cherchèrent
d'éventuelles différences entre son alimentation à la maison et à la
clinique. Ils s'aperçurent que durant son hospitalisation, l'enfant avait
dû renoncer à son traditionnel birchermuesli matinal. Les soupçons se
portèrent sur celui-ci qui fut analysé. Les céréales provenaient de
cultures biologiques et contenaient du seigle fortement contaminé en
ergot. Il ne faut bien entendu pas généraliser ce cas, mais il faut se
rendre compte que si des résidus de pesticides représentent une
source de dangers, des substances naturelles peuvent constituer
également de sérieuses menaces pour la santé publique.

De 1' identification des constituants


de 1' ergot de seigle à la découverte du LSD
L'ergot de seigle, reconnu comme responsable d'intoxications ali-
mentaires massives se caractérisant par une gangrène de l'extrémité
des membres et reconnu aussi comme adjuvant de l'accouchement,
attira bien entendu l'intérêt des chimistes qui se mirent à étudier sa
composition. L'histoire de l'obtention des constituants purs de l'ergot
de seigle est très longue et surtout marquée de querelles et de rivalités
entre scientifiques. Nous nous abstiendrons de citer toutes ces querel-
les qui contribuèrent malgré tout à percer les mystères de 1'ergot. Tous
ces travaux préliminaires furent repris par G. Barger et F.H. Carr à
Londres qui annoncèrent en 1905 l'isolement du premier constituant
pur. Ils lui donnèrent le nom d'ergotoxine. Il s'avéra par la suite que

84
De l'ergot de seigle au LSD

l'ergotoxine était en réalité un mélange de trois alcaloïdes. Ces études


furent réalisées dans les laboratoires de la firme pharmaceutique
Sandoz à Bâle par l'équipe du Professeur Arthur Stoll. Ce même Stoll
avait précédemment déjà isolé en 1920 la première substance
vraiment pure de l'ergot qui fut nommée ergotamine, un alcaloïde.
Dans les années trente, deux chercheurs du Rockfeller lnstitute à New
York, W.A. Jacobs et L.C. Craig ont réalisé une dégradation chimique
de tous les constituants alcaloïdes de 1'ergot et sont arrivés à la
conclusion qu'ils contenaient tous une unité structurale commune qu'ils
appelèrent acide lysergique. Cette molécule devait par la suite jouer un
rôle très important. En 1943, Stoll et son collaborateur Albert
Hofmann arrivèrent à scinder l' ergotoxine en ses trois constituants :
l'ergocristine, l'ergocornine et l'ergocryptine. Hofmann explique qu'il
a choisi le nom d'ergocryptine (du grec kryptos qui veut dire caché)
pour cette dernière substance qui était restée dissimulée pendant
longtemps dans la phase liquide que les chimistes appellent eaux-
mères, alors que les deux autres substances étaient cristallisées.
Plusieurs dizaines d'alcaloïdes furent finalement identifiés. Dès lors, il
était possible d'évaluer l'activité pharmacologique de chacun d'eux. La
plupart de ces alcaloïdes qui sont du type indolique présentent une
analogie structurale avec certains neurotransmetteurs comme la
noradrénaline, la dopamine et la sérotonine. Leur chimie et leur
pharmacologie sont très complexes et ne peuvent être abordées dans
le cadre du présent livre. Le lecteur intéressé trouvera plus de
renseignements dans le livre de Bruneton (1999), par exemple. Il est
cependant utile de rapporter ici que l'ergotamine, même à faibles doses,
provoque la vasoconstriction. C'est certainement cette substance qui est
responsable de la gangrène provoquée chez les personnes intoxiquées
par l'ergot de seigle. À faibles doses cependant, l'ergotamine est un
médicament efficace pour le traitement de la migraine. Elle est utilisée
le plus souvent sous forme orale en association avec la caféine, ce qui
améliore sa résorption digestive. Il existe aussi des dérivés de
l'ergotamine comme la dihydroergotamine qui est utilisée pour la
même indication et qui reste d'une grande actualité. Les alcaloïdes
issus de l'ergotoxine ont conduit au développement d'une préparation
connue sous le nom d'Hydergin , un médicament pour activer la
circulation cérébrale et périphérique et améliorer les fonctions
cérébrales dans la lutte contre les séquelles du vieillissement. Un autre
alcaloïde, l'ergométrine provoque des contractions de l'utérus et
permet d'expliquer pourquoi l'ergot de seigle a joué un grand rôle
pendant des siècles lors d'accouchements et d'avortements !

85
Les plantes gui deviennent des drogues

Des dérivés de l' ergométrine ont aussi été réalisés, comme par
exemple, la méthylergométrine, qui est encore utilisée aujourd'hui
pour le traitement des hémorragies de la délivrance et du post-partum
et en cas d'atonie de l'utérus après expulsion de l'enfant (Bruneton,
1999).
L'acide lysergique, élément structural commun de tous les alcaloï-
des de l'ergot, fut évidemment une molécule clef pour les chimistes qui
entreprirent d'en faire des nombreux dérivés afin d'en tester les activi-
tés pharmacologiques et biologiques. En 1938, Albert Hofmann était
chargé par la firme Sandoz de préparer des dérivés hémi-synthétiques
de l'acide lysergique. Parmi les nombreux dérivés envisagés, il décida
de synthétiser le diéthylamide de l'acide lysergique car une molécule
présentant une grande analogie structurale était connue comme sti-
mulant de la circulation sanguine et comme stimulant respiratoire (ana-
leptique), à savoir le diéthylamide de l'acide nicotinique, célèbre dans
le monde entier sous le nom de Coramine. Cette nouvelle substance
reçut le nom de LSD-25 parce qu'il s'agissait du 25e dérivé de l'acide
lysergique dans la série des amides. LSD est l'abréviation de Lyserg-
saure-diathylamid qui veut dire diéthylamide de l'acide lysergique
(Hofmann, 2001). Cette substance fut alors remise au Professeur
Ernst Rothlin, chef de la division de pharmacologie de Sandoz, qui la
soumit à différents tests. Un effet important sur l'utérus fut observé lors
d'expériences in vivo sur différents animaux, mais cet effet était tout
de même plus faible que celui induit par certains alcaloïdes naturels de
l'ergot.
De plus, les animaux sous narcose montraient une agitation assez
inhabituelle. La substance fut éliminée des tests et tomba dans l'oubli
pour près de cinq ans. Au printemps de l'année 1943, Hofmann réali-
sa à nouveau la synthèse du LSD-25 et lors de la purification et de la
cristallisation de la substance, il ressentit tout d'un coup des sensations
inhabituelles. Il rédigea par la suite un rapport qu'il transmit à son
supérieur, le Professeur Arthur Stoll :
« Vendredi dernier le 16 avril 1943, je me suis vu contraint
d'interrompre mon travail au laboratoire et de rentrer chez moi car
j'étais dans un état d'agitation étrange, associé à un léger vertige. Arri-
vé à la maison, je me suis couché et suis tombé rapidement dans un
état d'ivresse qui n 'était pas désagréable car mon imagination devint
extrême. J'étais allongé dans la pénombre, les yeux fermés et j'avais
l'impression d'être aveuglé par la lumière du jour. Soudain, apparurent
une quantité incroyable d'images colorées, fantastiques, extraordinai-

86
De l'ergot de seigle au LSD

rement mouvantes, comme un kaléidoscope de lumières différentes.


Cet état disparut au bout de trois heures ... ». Ce texte est tiré du livre
de Hofmann (2001) et traduit de l'allemand par l'auteur du présent
livre . Hofmann avait l'intime conviction que ces symptômes étranges
ne pouvaient être qu'en relation avec la manipulation du LSD-25.
Habitué à travailler proprement, il n'a cependant pas exclu que ses
doigts puissent avoir été en contact avec une goutte ou quelques gout-
tes de solution lors de la cristallisation de la substance. Pour en avoir
le cœur net, il décida trois jours plus tard d'absorber une quantité
connue (250 microgrammes) de LSD-25 afin de noter minute après
minute les symptômes de l'intoxication. Malgré la dose très faible,
dictée par la prudence la plus élémentaire, les symptômes ressentis
furent beaucoup plus intenses que la première fois et les troubles de la
vision persistaient jusqu'à la 6• heure : mélange de halos colorés avec
prédominance du bleu et du vert, alternance et coexistence d'images
réalistes et fantastiques, déformation de l'environnement. Il n'y avait
maintenant plus aucun doute possible : le LSD est un hallucinogène
d'une puissance extraordinaire qui allait entrer dans l'histoire. Des
doses plus faibles, de l'ordre de 50 microgrammes seulement, suffi-
saient pour déclencher des hallucinations. Les responsables des labo-
ratoires Sandoz décidèrent de ne pas divulguer les effets terrifiants du
LSD, conscients des conséquences possibles de leur découverte à
l'époque où l'Allemagne nazie conduisait des recherches secrètes pour
la mise au point de nouvelles armes chimiques (Pelt, 1983). Ce n'est
qu'après la seconde guerre mondiale que les résultats des expériences
et observations de Hofmann furent publiés.
On pensa que le LSD pouvait trouver une application en psy-
chiatrie et de nombreuses études furent réalisées, tout d'abord dans le
domaine de la toxicologie. La toxicité de la substance fut évaluée sur
divers animaux dont la souris, le rat, le lapin, le chimpanzé et même
l'éléphant ! On administra à un éléphant adulte 297 mg de LSD. Il
mourut quelques minutes après (Hofmann, 2001). Un seul éléphant fut
utilisé dans cette expérimentation qui montra que le plus grand animal
terrestre est environ mille fois plus sensible au LSD que la souris. Il va
de soi que de nos jours, il n'est plus possible de faire de telles expé-
riences sur des éléphants. Il est intéressant de remarquer que non seu-
lement le grand pachyderme fut la victime du LSD mais aussi... des
araignées ! À des doses faibles, ces dernières tissèrent des toiles de
manière encore plus régulière, plus géométrique et plus exacte. Mais à
des doses plus élevées, la construction des toiles devint bâclée, chao-
tique et rudimentaire. Le LSD fut aussi expérimenté sur des patients

87
Les plantes gui deviennent des drogues

de cliniques psychiatriques. Après de nombreuses études, Sandoz mit


sur le marché des dragées contenant 25 microgrammes de LSD pour
le traitement de psychoses sous strict contrôle médical. L'information
sur le médicament qui accompagnait l'emballage précisait que le
patient peut tomber dans un état d'ivresse et que l'antidote est la chlor-
promazine (50 mg en injection intra-musculaire). Ce médicament fut
assez vite retiré du marché. Très vite, le LSD n'était plus entre les
mains de membres du corps médical. Une immense publicité pour le
LSD a été faite dans les années 1960-1970 par le Dr Timothy Leary,
assistant en psychologie à l'Université de Harvard à Cambridge, près
de Boston. Après avoir goûté au champignon sacré des Aztèques (voir
chapitre consacré aux champignons hallucinogènes), Leary entreprit
une série d'expérimentations avec le LSD. Mais très rapidement,
l'expérimentation scientifique tourna en LSD-parties où les étudiants
participant à l'étude ne recherchaient que de nouvelles sensations et
aventures. Leary fut exclu de l'Université de Harvard et devint le
messie du mouvement psychédélique et s'installa au Mexique. Il fut
aussi co-fondateur du mouvement Hippie. Après avoir été expulsé du
Mexique, Leary s'installa en Inde et fonda une sorte de communauté
religieuse qu'il dénomma League for Spiritual Discovery, dont les
initiales donnent LSD. Suite à la publicité tapageuse faite par Leary
pour le LSD, des milliers, voire quelques millions de personnes dans le
monde furent tentées d'expérimenter ce nouveau produit miraculeux.
Les effets du LSD sur le psychisme sont extrêmement marqués et c'est
sans aucun doute le plus puissant psychodysleptique connu (environ
5000 fois plus actif que la mescaline, principe actif du peyotl). Rappe-
lons que ces effets se traduisent par une altération des perceptions des
formes, des couleurs, des sons, une déformation de la perception du
temps, la perte de la personnalité, l'émergence de souvenirs oubliés et
la liste pourrait être encore allongée. L'absorption de LSD provoque
aussi des effets physiologiques comme la mydriase (dilatation de la
pupille), la tachycardie et des tremblements. L'état psychologique du
sujet est déterminant dans l'apparition de réactions indésirables suite à
l'usage de cette substance. Un individu équilibré avec une forte per-
sonnalité ressentira moins d'effets secondaires qu'un sujet en proie à
des difficultés psychologiques de tout genre. Parmi ces effets, il faut
citer l'anxiété, une modification de la personnalité, la persistance d'un
tableau psychotique et surtout la récurrence spontanée, parfois pen-
dant une longue période de 1' expérience psychédélique sans ingestion
de la drogue (Buneton, 1999). Le LSD induit l'accoutumance, mais
pas de dépendance physique, comme l'héroïne par exemple. Sa

88
De l'ergot de seigle au LSD

production, sa mise sur le marché et son emploi sont interdits en


France, en Suisse et dans la plupart des pays. Il existe un marché
illicite de LSD et il n'est pas trop difficile aux initiés de se procurer cette
drogue. À ceux qui seraient tentés de faire l'expérience, il faut rappe-
ler que le LSD est le plus puissant de tous les hallucinogènes et que des
quantités aussi faibles que 50 J..Lg (microgrammes) sont suffisantes pour
produire un effet important. Celui qui achète une dose de LSD ne
saura pas la qualité du produit et la quantité dans la dose. Il s'expose
à des risques importants, voire mortels. Claviceps purpurea (Fr.)
Tulasne, ce champignon qui parasite le seigle a été responsable
d'innombrables intoxications alimentaires au cours de l'histoire.
Certains de ses constituants ou dérivés hémi-synthétiques sont devenus
des médicaments, notamment pour le traitement des crises de migrai-
nes, pour soigner les hémorragies pendant ou après l'accouchement
ou encore pour améliorer l'insuffisance vasculaire cérébrale. Mais l'un
de ces dérivés hémi-synthétiques, le LSD, est devenu une drogue
dangereuse à utiliser, qui fascine encore de nombreuses personnes. Le
Dr Albert Hofmann qui a découvert le LSD l'a bien compris et l'a
appelé LSD- mein Sorgenkind , ce qui veut dire LSD-l'enfant qui me
donne des soucis. Toutes les personnes intéressées par le LSD, pour
en savoir plus, devraient lire l'ouvrage d'Albert Hofmann intitulé LSD
- Mein Sorge nkind: Die Entdeckung einer « Wunde rdroge 116 •

6 La zeédition de ce livre a été publiée en 2001 aux Éditions Klett-Cotta, Stuttgart.

89
Les plantes gui deviennent des drogues

La chique de bétel, drogue


masticatoire stimulante
de l'Asie
La chique de bétel, la drogue masticatoire la plus importante de
l'Asie à laquelle s'adonnent plus de 250 millions de personnes, fait
appel à deux plantes bien distinctes. La substance psycho-active pro-
vient des fruits d'un palmier, Areca catechu L. (Palmae), appelé aussi
aréquier. C'est un arbre élancé dont le tronc se termine par un bou-
quet de grandes feuilles pennées. C'est la graine qui forme l'un des
constituants de la chique de bétel. Elle se présente sous forme ovoïde
et a un diamètre de 2 cm environ. Elle est très dure et sa couleur est
brunâtre. L'arbre est cultivé en Inde, au Pakistan, au Sri Lanka, au
Bangladesh, au sud de la Chine et dans pratiquement tous les autres
pays du Sud-Est asiatique, ainsi qu'en Afrique de l'Est et à Madagascar.
À l'état sauvage, on le trouve encore sur la côte de Malabar en Inde.
À signaler que la famille Palmae (syn. Arecaceae} compte plus de 200
genres et environ 3000 espèces différentes. Parmi les palmiers les plus
connus figurent Cocos nucifera L. ou cocotier, Phoenix dactylifera L.
ou palmier dattier et encore Saba/ serrulata Rohm & Schult. (syn.
Serenoa repens (Bartram} Small), appelé palmier-scie ou palmier de
Floride, qui a conduit au développement de médicaments pour lutter
contre l'hyperplasie bénigne de la prostate.
L'autre ingrédient de la chique de bétel, et qui lui a donné son
nom, est Piper betle L. (Piperaceae). C'est un poivrier dont l'origine
se situe en Malaisie, ou selon les sources, sur l'île de Java en Indoné-
sie. Il est actuellement cultivé dans tout le Sud-Est asiatique, aux Iles
Seychelles, à l'Ile Maurice, en Afrique orientale (surtout en Tanzanie}
et à Madagascar. Ce sont les feuilles fraîches de ce poivrier particulier
qui sont utilisées dans la chique de bétel. Elles sont de couleur vert
intense, brillantes et en forme de cœur. Elles peuvent être confondues
facilement avec des feuilles d'autres espèces du genre Piper, et en par-
ticulier avec celles de Piper nigrum L. Ce sont les fruits de cette
dernière espèce qui donnent le poivre, appelé aussi roi des épices.
Comme il existe souvent des confusions relatives au terme poivre, il
nous paraît utile de préciser ici les différentes appellations :
- le poivre vert : c'est le fruit entier, cueilli vert, de Pipe r nigrum L.
- le poivre blanc : c'est le fruit récolté à pleine maturation de Pipe r

90
La chique de bétel, drogue masticatoire stimulante de l'Asie

nigrum L. Les baies sont trempées dans l'eau pendant plusieurs


jours, puis débarrassées du péricarpe et de la partie externe du méso-
carpe. Après séchage leur couleur est blanc-gris
- le poivre noir : c'est le fruit de Piper nigrum L. récolté à maturité,
de couleur rouge. Après séchage, la couleur de ces fruits est brun-noir.
En résumé, les trois poivres mentionnés ci-dessus proviennent tous
de la même plante. Il existe encore le poivre de Cayenne ou piment qui
provient de plantes appartenant à une autre famille botanique, les Sola-
nacées. Il s'agit de Capsicum annuum L. et de Capsicum frutescens
L. La coloration rouge-orange de ce
« poivre >> est due à la présence de
caroténoïdes qui ne sont pas respon-
sables de la saveur piquante qui elle
provient de la capsaïcine, un amide,
dont la teneur peut atteindre 1 %
dans les fruits . Enfin, il faut encore
mentionner le poivre rose, qui lui non
plus, n'a rien à voir avec les espèces
du genre Piper. Il s'agit de fruits
d'espèces du genre Schinus (Anacar-
diaceae), dont par exemple Schinus
terebinthifolius Raddi d'origine tro-

Le palmier Areca catechu et ses fruits

91
Les plantes qui deviennent des drogues

picale (Brésil, Ile de la Réunion, Ile Maurice, etc.). Sa consommation


exagérée peut, selon certaines publications scientifiques, entraîner des
risques pour la santé. Ce faux poivre est à utiliser avec modération.
Le genre Piper compte encore bien d'autres espèces aux proprié-
tés pharmacologiques intéressantes. Parmi elles figure Piper methysti-
cum Forst., plus connu sous le nom de kawa, qui est originaire des îles
du Pacifique sud. Cette plante utilisée traditionnellement par les habi-
tants de ces îles est devenu l'anxiolytique végétal du début de ce millé-
naire (voir chapitre consacré au kawa). Dans son encyclopédie des plan-
tes psycho-actives qui est un livre absolument remarquable, Ratsch
(2001) cite encore Piper auritum H.B.K. , le poivre d'or, originaire de
l'Amérique centrale. Cette plante était utilisée dans la médecine tradi-
tionnelle des Mayas avant l'arrivée des conquérants espagnols. Elle est
particulièrement riche en safrol, substance qui est utilisée comme ma-
tière première pour la synthèse de dérivés proches de l'amphétamine.

De 1' utilisation traditionnelle de la chique


de bétel et de ses ingrédients
Comme nous l'avons vu, l'ingrédient psycho-actif de la chique de
bétel est la noix d'arec, la graine du palmier Areca catechu L. Cette
dernière est citée dans une liste de médicaments établie au VIlle siècle

La graine de palmier ou noix d'arec

92
La chique de bétel, drogue masticatoire stimulante de l'Asie

Feuilles de Piper betle au marché d'Ubud (Bali)

par l'Impératrice Komyo et déposée dans un temple à Nara, au Japon


(Penso, 1986). La noix d'arec fut utilisée dans la médecine arabe puis-
qu'elle est citée dans le célèbre ouvrage Quanum fi'tibb ou Canon de
la médecine du grand médecin Hussein Ibn Abdullah Ibn Sînâ (980-
1037) qui passa à la postérité sous le nom d'Avicenne. Plus tard, ce
sont les grands explorateurs comme Marco Polo (1254-1324) et Vasco
de Gama (1469-1524) qui firent connaître la noix d'arec et son utili-
sation traditionnelle sous la forme de chique de bétel en Europe. Dans
la médecine ayurvédique indienne, les graines de Areca catechu L.
sont utilisées pour le traitement de problèmes de la digestion, comme
tonique du système nerveux et comme aphrodisiaque. En Inde tou-
jours, la noix d'arec était aussi utilisée pour éliminer le ténia ou ver soli-
taire. Jusqu'au milieu du xx· siècle, elle figurait dans les pharmaco-
pées européennes (en Suisse, dans Ph. Helv. V) et était préconisée
comme vermifuge, aussi en médecine vétérinaire. Quant à l'autre
ingrédient de la chique de bétel, les feuilles de Piper betle Forst., elles
sont citées comme remèdes pour faciliter la digestion et contre les
affections des voies respiratoires supérieures dans plusieurs systèmes
de médecine en Inde et en Asie du sud-est.
L'utilisation rituelle de la chique de bétel pourrait être originaire
de l'île de Penang en Malaisie. Elle est citée dans des écrits chinois du
Il" siècle après J. -C., ainsi que dans les traités de médecine indienne

93
Les plantes qui deviennent des drogues

datant du début de l'ère chrétienne. On utilise la noix d'arec coupée en


fines tranches ou pulvérisée avec de la chaux, des cendres de bois ou
des coquillages calcinés et pulvérisés. Le tout est enroulé dans une
feuille fraîche de Piper betle Forst. et mastiqué longuement. Pour
améliorer le goût, des épices sont assez souvent ajoutées comme par
exemple la cardamone, le tamarin ou le clou de girofle. La mastication
provoque une salivation assez importante de coloration rouge. Ce qui
oblige les consommateurs qui sont très nombreux de cracher souvent.
L'auteur du présent livre, en visite à Karachi, capitale du Pakistan, il y
a quelques années, a été frappé par les taches rouge-brun provoquées
par les crachats dans les lieux publics et les trottoirs de la ville. À cet
effet, il est intéressant de mentionner que très récemment le gouver-
nement du Myanmar (anciennement Birmanie) a édicté une loi interdi-
sant la vente de bétel dans la capitale Yangon (anciennement Rangoon)
et ceci non pas pour des raisons pharmacologiques, mais à cause des
copieuses expectorations rouges des fréquents utilisateurs qui ruinent
l'apparence des rues de la ville. Cette loi a été adoptée car les touris-
tes étaient choqués par ces vilaines taches rouges (Perrine, 1996).
L'investigation phytochimique de la noix d'arec a conduit à l'iso-
lement et à la détermination de structure de divers alcaloïdes, dont les
principaux sont l'arécaïdine et l'arécoline. L'alcaloïde le plus important
est l'arécoline qui est un parasympathomimétique. Il provoque une
vasodilatation, une stimulation du péristaltisme intestinal et une aug-
mentation des sécrétions, notamment de la salivation. La mastication
en présence de chaux ou d'autres éléments basiques permet à l'alea-
bide sous forme de base libre de passer rapidement dans le circuit san-
guin via les muqueuses de la bouche. La mastication prolongée pro-
voque un effet stimulant, voire euphorisant, un peu similaire à celui
induit par l'alcool. La noix d'arec contient aussi beaucoup de tanins, y
compris des tanins condensés appelés phlobaphènes qui sont de cou-
leur rouge. Ce sont eux qui donnent la coloration rouge à la salive.
Mais ils sont aussi très astringents et la mastication de la noix d'arec
seule n'est pas très agréable. C'est sans doute la raison pour laquelle
on utilise la feuille de Piper betle L. Ce poivrier ne contient pas les
substances piquantes typiques du poivre (fruits de Pipe r nigrum L.),
mais une huile essentielle au goût assez agréable qui possède des subs-
tances aromatiques, légèrement anesthésiantes, rendant ainsi la masti-
cation de l'ensemble plutôt agréable. Une chique de bétel comprend
en général un quart ou une demi-noix d'arec. Une dose unique assez
forte représente environ 4 grammes de noix d'arec pulvérisée. Il faut
faire attention car la consommation de 8 à 10 grammes de poudre de

94
La chique de bétel, drogue masticatoire stimulante de l'Asie

la graine de Areca catechu peut provoquer une intoxication mortelle.


L'alcaloïde arécoline pur provoque à une dose de 2 mg un effet
stimulant puissant. Une dose unique de 5 mg ne doit en aucun cas
être dépassée (Ratsch, 2001).
Les consommateurs réguliers de la chique de bétel auront leurs
dents fortement abîmées par le contact quotidien avec une base. Pire
encore, ils risquent d'attraper un cancer de la bouche car les alcaloïdes
de la graine d'arec sont transformés sous l'effet de la base en nitrosa-
mines cancérigènes. La consommation de tabac étant fréquemment
associée à celle du bétel, le potentiel cancérigène de la chique de bétel
est encore augmenté (Bruneton, 1999). La chique de bétel n'induit
pas une forte dépendance psychique. La noix d'arec ne se trouve sur
aucune liste de stupéfiants interdits par la loi. Elle est en vente libre
dans tous les pays asiatiques, ainsi qu'en Europe.

95
Les plantes gui deviennent des drogues

Le kawa, la drogue
euphorisante des îles
du Pacifique
Le kawa ou Piper methysticum Forst. fait partie des Pipéracées,
la famille du poivrier. Il s'agit d'un arbuste poussant en épais buissons,
à larges feuilles alternes, dont la couleur est souvent rougeâtre. Les
fleurs blanches sont groupées en inflorescences mâles et femelles. Le
fruit est une petite baie, plus petite que celle du poivre noir ou Piper
nigrum L. On utilise surtout les rhizomes charnus de forme cylin-
drique, atteignant six à douze centimètres de diamètre, entourant de
longues racines tortueuses et enchevêtrées.

De 1' utilisation traditionnelle du kawa au


développement d'un anxiolytique végétal
Cette plante joue depuis très longtemps un rôle unique dans la vie
sociale de nombreuses communautés des îles du Pacifique. Les pre-
miers explorateurs européens qui visitèrent ces îles ont rencontré des
sociétés dans lesquelles boire du kawa, breuvage traditionnel, faisait par-
tie intégrante de la vie religieuse, politique et économique. L'explora-
teur britannique James Cook (1727-1779), connu sous le nom de Capi-
taine Cook, apporte avec le botaniste Johann Georg Forster (1754-
1794) qui l'accompagnait dans son expédition, la plante en Europe.
Leur récit datant de 1777 donne une description de la plante, du rituel
de son utilisation par les populations indigènes et des effets observés.
La préparation traditionnelle commence par la mastication des rhizo-
mes (ce qui provoque une abondante salivation) par les hommes réunis
en demi-cercle. Ces derniers crachent la bouchée, salive comprise dans
un récipient. De l'eau chaude est alors versée sur la masse imbibée de
salive. Après filtration, on obtient le kawa-kawa prêt à l'emploi qui sera
distribué aux autres convives. L'introduction de règles d'hygiène a peu
à peu remplacé l'imprégnation salivaire par une simple cuisson à l'eau.
Il faut cependant remarquer que les enzymes de la salive jouent sans
doute un rôle important pour libérer les substances psychotiques de la
plante. La dose habituelle , le contenu d'une demi-noix de coco, induit
chez le consommateur un état de bien-être et rend la fatigue supporta-
ble. En augmentant légèrement la dose, on parvient à un repos tran-

96
Le kawa, la drogue euphorisante des îles du Pacifique

quillisant et à une induction d'un état de somnolence. On peut tomber


ensuite dans un lourd et long sommeil. Toutefois, des doses plus impor-
tantes peuvent causer agitation et agressivité, une humeur querelleuse,
voire un comportement d'ivrogne (Lebot et al., 1992). Selon des Euro-
péens buvant régulièrement du kawa-kawa, une consommation raison-
nable s'accompagne souvent de rêves animés et érotiques. Une plante
avec de tels effets ne pouvait qu'éveiller l'intérêt des scientifiques. De
très nombreuses études chimiques et pharmacologiques relatives à
Piper methysticum ont été effectuées aux cours des 150 dernières
années. En 1857 déjà, une substance cristalline fut isolée des rhizomes
et appelée kawaïne. Sa structure fut élucidée bien plus tard avec d'au-
tres substances analogues présentes dans la plante. Ces substances sont
des lactones dérivées de l' a-pyrone et connues maintenant sous le nom
de kawalactones. Elles présentent des propriétés neurosédatives, myo-
relaxantes, spasmolytiques, anti-convulsivantes, anti-inflammatoires et
analgésiques. Des tests pharmacologiques ont démontré que les extraits
de kawa et la kawaïne induisent le sommeil en agissant au niveau du sys-
tème limbique. Des études cliniques ont mis en évidence une action

Feuille de kawa (Photo Pharmaton SA, Lugano)

97
Les plantes gui deviennent des drogues

sédative et tranquillisante comparable à celle des benzodiazépines.


Cependant, aucune interaction avec les récepteurs aux benzodiazépines
n'a pu être observée. Le mode d'action des extraits de kawa et des
kawalactones n'est pas encore entièrement élucidé.
Les médicaments, toujours plus nombreux, à base d'extraits de
kawa sont standardisés en garantissant ainsi une teneur constante en
principes actifs. Ils sont très utilisés lors d'états d'anxiété et de tension
nerveuse. Dans l'information destinée aux patients, que l'on trouve
dans tout emballage de médicaments, on peut lire, en plus de l'indica-
tion mentionnée ci-dessus : « de par son effet tranquillisant, anxiolytique
et relaxant, le médicament améliore la capacité de résistance au stress
psychique, favorise l'harmonie intérieure et normalise l'humeur ». On
trouve également sur le marché des spécialités contenant une combi-
naison d'extraits de kawa et de millepertuis ou Hypericum perforatum
L. (Hypericaceae). Le potentiel économique du kawa est immense. Des
cultures à grande échelle de Piper methysticum ont été entreprises
dans différentes îles du Pacifique, notamment à Tonga et aux Fidji, pour
satisfaire aux demandes des firmes pharmaceutiques. Des contrôles de
qualité sérieux doivent être réalisés sur la matière première pour éviter
des falsifications.
Lorsqu'une plante médicinale jouit soudainement d'un succès aussi
retentissant, des controverses naissent. Ainsi, en 1989, un article
publié dans un magazine à Suva, la capitale des îles Fidji, et intitulé

Culture de kawa (Photo Pharmaton SA, Lugano)

98
Le kawa, la drogue euphorisante des îles du Pacifique

Récolte du rhizome (Photo Pharmaton SA, Lugano)

« Can kawa kill? >> créa la stupéfaction. D'après cet article non signé,
un homme serait décédé à Vanuatu des suites d'une consommation
régulière de kawa. Cette affirmation était basée sur une publication
scientifique australienne dans laquelle on peut lire « L'utilisation du
kawa peut causer la malnutrition et la perte de poids, des dysfonctions
hépatiques et rénales ... Il apparaît que les effets toxiques du kawa sur
le foie sont plus considérables que ceux de l'alcool ». Les auteurs de
cette publication avaient observé l'état de santé d'aborigènes, qui sont
devenus des consommateurs de kawa durant une certaine période.
Une enquête eut lieu à Vanuatu pour établir les causes du décès.
L'homme décédé était aussi un consommateur d'alcool et de tabac et
la relation cause à effet n'a finalement pas pu être établie. Le ministè-
re de la Santé de Vanuatu déclara que le kawa n'était pas impliqué
dans le décès. Suite à cette polémique, de nombreuses études toxico-
logiques ont été entreprises. Elles ont montré que le kawa n'est pas
dangereux, mais qu'il faut en consommer des doses modérées. Par
ailleurs, le kawa peut renforcer l'effet d'autres substances agissant sur
le système nerveux central telles que l'alcool, les barbituriques et les
psychotropes (Lebot et Lévesque, 1997).
Le kawa est une composante très importante des pharmacopées
traditionnelles de plusieurs sociétés des îles du Pacifique. Il est utilisé
depuis des siècles par la moitié de la population seulement. En effet,
la consommation de kawa est réservée généralement, voire exclusi-

99
Les plantes gui deviennent des drogues

vement, aux mâles. Des enquêtes montrent que statistiquement les


hommes des îles du Pacifique ne sont pas plus malades que les
femmes et indiquent que la consommation rituelle du kawa ne mène
pas aux effets secondaires graves que certains lui attribuent.
Dans le monde occidental, la popularité des produits naturels et
des médicaments à base de plantes prend une importance toujours
plus grande. En même temps, les Européens et les Américains du Nord
consomment des quantités toujours plus importantes de tranquillisants
et d'anxiolytiques pour le traitement du stress systémique lié au mode
de vie occidental. Il n'est donc pas étonnant que le kawa, originaire des
belles îles du Pacifique, fasse rêver et que la consommation de médi-
caments à base de cette plante va nettement augmenter. Certains par-
lent déjà de kawa, a world drug et le comparent aux boissons stimu-
lantes comme le thé, le café et le cola. Cependant, récemment, des
effets secondaires sur le foie ont été observés chez les consommateurs
réguliers d'anxiolytiques à base de kawa. En Suisse, des phytomédica-
ments à base de cette plante ont été retirés du commerce. En France,
ils ont été carrément interdits.

Conditionnement
du rhizome
(Photo Pharmaton SA,
Lugano)

100
Belladone, stramoine, mandragore et autres constituants des onguents des sorcières

Belladone, stramoine,
mandragore et autres
constituants des onguents
des sorcières

Les sorcières ont fasciné l'homme durant des siècles. Elles ont été
considérées comme des femmes sauvages, dotées d'une certaine
sagesse, capables de venir à bout de tous les obstacles. Elles suscitèrent
l'admiration et l'envie, la convoitise et la peur, car elles devaient cer-
tainement être en contact avec Satan. En Europe occidentale et cen-
trale, le balai est devenu le symbole des sorcières. Chaque enfant sait
que les sorcières volent sur un manche de balai et de préférence la nuit,
lors de la pleine lune. Pourquoi les sorcières volent-elles sur le manche
d'un balai ? Avaient-elles un pouvoir magique, faisaient-elles appel à
des forces surnaturelles? L'explication est à trouver dans les plantes.
C'est entre le XI• et le XVII" siècle que les sorcières connurent leur
apogée. Mais c'est aussi durant cette période qu'elles furent persécu-
tées, torturées, puis brûlées vives. Il appartenait à l'Inquisition, un tri-
bunal spécial institué par le Pape Innocent III en 1199, de traquer les
sorcières, de les soumettre à la question par la torture et de les châtier.
Ce .n'est qu'au XVIII• siècle que l'Inquisition a été officiellement sup-
primée. Plusieurs documents rédigés par les Inquisiteurs rapportent les
modes d'application des onguents ou baumes des sorcières. Selon
Mann (1996), la première mention date de 1324 où les inquisiteurs
affirment avoir trouvé « un onguent avec lequel la sorcière graissait une
canne sur laquelle elle se déplaçait au travers de tout élément ». La pré-
paration pour le sabbat des sorcières, une sorte d'assemblée nocturne
qui se tenait le samedi à minuit et paraît-il sous la présidence de Satan,
consistait à s'enduire le corps avec ces onguents. Au cours des siècles,
sous la torture des inquisiteurs, plusieurs sorcières ont donné la
composition de ces onguents. Les plantes citées sont nombreuses et la
composition très diverse. Cependant, il est des plus intéressants de
remarquer que quelques espèces appartenant à la famille Solanaceae
sont toujours présentes. Quant au lubrifiant utilisé pour la préparation
de l'onguent, c'était du saindoux (graisse de porc) ou de la graisse
d'oie, selon les régions.

101
Les plantes gui deviennent des drogues

Les espèces de la famille Solanaceae


utilisées par les sorcières
Les Solanacées forment une grande famille botanique dans
laquelle on trouve des plantes aussi diverses que la pomme de terre, la
tomate, l'aubergine, le piment ou poivre de Cayenne, le tabac, la bella-
done, la stramoine ou datura, la jusquiame, la mandragore et bien d'au-
tres encore. Ce sont ces quatre dernières espèces qui sont le plus sou-
vent citées par les sorcières, dont les noms scientifiques sont les sui-
vants: belladone ou Atropa bel/adonna L. , stramoine ou Datura stra-
monium L., jusquiame noire ou Hyoscyamus niger L. et mandragore
ou Mandragora officinarum L. La plante la plus connue chez nous est
sans aucun doute la belladone qui est assez répandue dans les clairiè-
res et au bord des chemins forestiers. L'espèce est vivace et peut
atteindre une hauteur de 150 cm. Ses feuilles larges sont ovales et
pétiolées. Les fleurs sont solitaires, campanulées, de couleur pourpre
ou violacée. Le fruit , très caractéristique, est une baie noire luisante de
la taille d'une petite cerise (en allemand, la plante s'appelle Tollkirsche;
Kirsche = cerise). Ce sont ces magnifiques fruits noirs qui attirent les
enfants et qui sont la cause de nombreuses intoxications. Dix à quinze
fruits représentent une dose mortelle pour l'homme. La plante est déjà
décrite par les Égyptiens, les Grecs et les Romains, mais son nom

Fleur de belladone

102
Belladone, stramoine, mandragore et autres constituants des onguents des sorcières

Fruits de belladone

actuel est dû au pharmacologue italien Pietro Andrea Mattioli, grand


passionné de botanique, qui écrivit en 1554 à Venise un commentaire
sur l'œuvre du célèbre Dioscoride. C'est dans ce texte que la plante
apparaît sous le nom de Atropa bel/adonna car le suc des fruits frais ,
appliqué dans les yeux, faisait dilater la pupille en rendant les femmes
plus belles. Bella donna signifie en italien belle femme (Penso, 1986).
Quant au nom latin du genre Atropa, il rappelle la toxicité de la plan-
te. Il dérive de Atropos qui était celle des trois Parques (divinités du
Destin) qui tranchait le fil de la vie. À signaler que dans la liste des plan-
tes médicinales décrites par Dioscoride et dont 54 sont incluses dans la
liste des plantes médicinales essentielles publiées en 1978 par l'Orga-
nisation Mondiale de la Santé, figurent la belladone et la jusquiame. Ce
sont donc des plantes qui ont une très longue histoire. À doses faibles,
la belladone fut utilisée pour ses propriétés sédatives et spasmolytiques.
Cependant, dans l'Antiquité, ces diverses espèces de la famille des
Solanacées furent surtout connues comme poisons redoutables. Dans
l'ancienne Rome impériale où les assassinats furent nombreux à la
cour, on a souvent fait appel aux fruits de la belladone que l'on mélan-
geait aux aliments. Mann (1996) rapporte que lorsque Cléopâtre déci-
da de se suicider à la suite de la défaite de son amant Marc Antoine
lors de la bataille d'Actium en 31 avant J.-C., elle expérimenta le
niveau de toxicité de différents extraits végétaux sur ses esclaves. Elle
observa que les extraits de belladone et de jusquiame avaient un effet

103
Les plantes gui deviennent des drogues

rapide, mais douloureux. Elle essaya aussi un extrait concentré de


noix vomique ou Strychnos nux-vomica L. (Loganiaceae) riche en
strychnine, qui agissait vite, mais provoquait un rictus du visage du
mort. Finalement, elle opta pour le venin de la vipère aspic qui
provoque une mort rapide et apparemment indolore.
Une autre plante botaniquement proche de la belladone est la
stramoine ou Datura stramonium L. Cette plante annuelle de trente
centimètres à un mètre de hauteur, dégage une odeur âcre désagréa-
ble. Ses fruits épineux offrent quelques ressemblances extérieures avec
ceux du marronnier d'Inde ou A esculus hippocastanum L. (Hippo-
castanaceae). C'est la raison pour laquelle la stramoine est souvent
appelée pomme épineuse. Elle est d'origine asiatique et fut introduite
en Europe au cours du XVI• siècle. Mais il existe d'autres espèces du
genre Datura au sud de l'Europe, en Asie et surtout en Amérique lati-
ne. La stramoine, à faible dose, est considérée comme aphrodisiaque
et hallucinogène. Les graines et les fruits sont particulièrement véné-
neux. À dose toxique, ils induisent une insensibilité totale et une mort
presque indolore. Malgré leur très grande toxicité, les préparations à
base de stramoine peuvent être utilisées à d'autres fins, voire devenir
des médicaments efficaces. Au cours des siècles, l'homme a appris que
tout dépend de la dose. Ainsi, Mann (1996), dans son remarquable
livre intitulé Magie, Me urtre et Médecine - Des plantes et de leurs

La stramoine commune, appelée aussi pomme épineuse

104
Belladone, stramoine, mandragore et autres constituants des onguents des sorcières

usages7 , rapporte que d'après


certains historiens, les défaites de
1'armée de 1'empereur romain
Marc Antoine, en 36 avant J.-C. ,
sont imputables aux effets
toxiques d'une plante qui appar-
tiendrait au genre Datura. Pen-
dant la campagne contre les Par-
thes d'Asie mineure, les soldats
romains, complètement affamés
et n'ayant plus rien à manger, se
nourrirent de plantes inconnues.
Parmi ces dernières se trouva
« une plante qui les tua après les
avoir rendu fous ''. À dose plus
faible, les extraits de stramoine
peuvent conduire à une soumis-
sion presque totale. En Inde, à
partir du XVIe siècle, les prosti-
tuées pratiquaient une espèce de
La jusquiame
vengeance sur leurs clients en les
droguant à l'aide d'extraits de Datura de façon à réduire leurs exigen-
ces. Lors de la colonisation au XVII" siècle des territoires qui forment
les États-Unis actuels, un cuisinier militaire servit en 1676 à la troupe
une salade de feuille de pomme épineuse à Jamestown en Virginie.
Les soldats furent atteints de délire et se comportèrent comme des
idiots (Ratsch, 2001).
La jusquiame ou jusquiame noire (Hyoscyamus nige r L.) a la
réputation de pousser à des endroits insolites comme des chemins
abandonnés, des anciens cimetières. Cette plante connue déjà dans la
Grèce Antique, a une longue histoire. On attribuait à la jusquiame le
pouvoir de rendre les gens prophétiques et l'on prétendait que les prê-
tresses de l'oracle de Delphes avaient inhalé de la fumée de jusquiame.
Non seulement on consommait la jusquiame, mais très rapidement,
l'homme comprit que l'on peut aussi la fumer et que dans ce cas, ses
effets se manifestent bien plus rapidement. Dès le Moyen Âge, la jus-
quiame a joué un rôle important dans les coutumes et traditions ger-
maniques. En allemand, la plante s'appelle Bilsenkraut, autrefois

7 Publié chez Georg Éditeur S.A., Genève .

105
Les plantes qui deviennent des drogues

Pilsen ou Pilsenkrut. Les anciens Germains l'utilisaient aussi pour


aromatiser la bière, invention égyptienne, et rendre ses consomma-
teurs euphoriques. Cependant, à partir de 1516, l'utilisation de la jus-
quiame dans le brassage de la bière fut interdite en Allemagne (Ratsch,
1998). Le nom de la bière Pilsen est lié à la jusquiame. En Allemagne
toujours, la jusquiame était abondamment fumée dans les maisons de
bain où la nudité totale était de rigueur et les orgies sexuelles couran-
tes, comme en attestent des représentations datant du XVIe siècle.
La mandragore, ou Mandragora officinarum L., plante assez
bien répandue autour du bassin méditerranéen, a éveillé la curiosité de
l'homme depuis la nuit des temps. Elle est entourée de beaucoup de
mystères et elle est devenue l'objet de nombreuses légendes. La sil-
houette anthropomorphe de sa racine a inspiré les interprétations les
plus délirantes. Selon la théorie des signatures proposée pour la pre-
mière fois par Théophraste (372-287 avant J.-C.), philosophe grec,
puis reprise par le médecin et alchimiste suisse Paracelse (1493-1541),
les propriétés curatives ou magiques d'une plante peuvent être décelées
dans sa forme. Ainsi, une plante ayant une ressemblance humaine
favorise la reproduction d'une telle forme, d'où l'association tradition-
nelle de la mandragore à la fertilité chez la femme. Administrée à un
homme, elle est aphrodisiaque. Les vertus de la mandragore sont
même déjà citées dans l'Ancien Testament. Rachel, l'épouse de Jacob,

La mandragore en fleurs

106
Belladone, stramoine, mandragore et autres constituants des onguents des sorcières

incapable de devenir enceinte, consomma cette racine providentielle.


La recette lui fut donnée par sa sœur Léa et peu de temps après naquit
Joseph, par la grâce de ce traitement miraculeux. Cet événement ren-
dit la racine très célèbre et même le Cantique des Cantiques ne tarit
pas d'éloges à l'égard des merveilles que procure cette plante, dont la
senteur seule suffit à réveiller le désir (Ky et Drouard, 1992). La légen-
de raconte que vers minuit, la mandragore pousse des gémissements
sous la terre, qui permettent de repérer l'endroit où elle se cache. Un
cérémonial précis fut édicté : l'homme ne devait jamais arracher la
racine avec ses mains, sinon il mourait sur-le-champ. Il devait attacher
un chien noir à la partie supérieure de la racine et exciter l'animal en
jouant du cor jusqu'à ce que la mandragore se soulève de terre. Le
chien mourait alors empoisonné à la place de l'homme. Cette scène a
été reproduite dans les codex médicaux et les herbiers du Moyen Âge
jusqu'au xvr· siècle. La mandragore poussait là OÙ le sperme humain
était tombé sur le sol. Elle était, paraît-il, abondante sous les gibets où
l'on pendait les criminels. La strangulation peut en effet provoquer une
ultime érection et une éjaculation. Hippocrate mentionne que la
plante est narcotique et Dioscoride la préconise comme anesthésique
lors d'interventions chirurgicales. Néanmoins, on n'ignorait pas non
plus la redoutable toxicité de cette plante. La rivalité entre Rome et
Carthage donna naissance aux guerres puniques. Lors de la seconde
guerre punique (218-201 avant J .-C.), de nombreux soldats romains
furent empoisonnés, car dans un camp abandonné par le général
Hannibal (247-183 avant J.-C.), celui-ci laissa à l'ennemi des am-
phores de vin aux racines de mandragore.

Au XV· siècle, parmi tous les motifs d'accusation dont fut victime
Jeanne d'Arc (1412-1431), l'un d'eux, le plus grave, était d'avoir atta-
ché à sa cuisse gauche une racine de mandragore. On prétendait que
cette dernière servait à ensorceler les soldats anglais. Cette décou-
verte fortuite aurait été faite, selon le procès-verbal établi par les
Anglais, au cours d'un examen de contrôle gynécologique visant à
savoir si la Pucelle d'Orléans était vraiment vierge, comme on le pré-
tendait. On connaît la suite : Jeanne d'Arc fut brûlée vive sur la place
du Vieux-Marché à Rouen. Lors de la Renaissance italienne, les
empoisonneurs célèbres comme César Borgia, qui mourut en 1507
après avoir commis de nombreux crimes, utilisèrent massivement la
racine de mandragore fermentée. Ceci montre bien la toxicité de cette
plante lorsqu'elle est consommée par voie orale à des doses même pas
très élevées.

107
Les plantes gui deviennent des drogues

Les onguents des sorcières livrent


enfin leurs secrets
Les quatre plantes les plus utilisées par les sorcières ont fait l'objet
de nombreuses investigations phytochimiques. Elles se caractérisent
toutes par la présence d'alcaloïdes du type tropane. L'alcaloïde princi-
pal est l'atropine qui fut isolée pour la première fois en 1819. Mais il a
fallu attendre jusqu'en 1883 pour connaître sa formule chimique et jus-
qu'en 1959 pour en déterminer la configuration absolue (Hesse, 2000).
L'atropine s'avéra être un mélange racémique de (-)-hyoscyamine et de
(+)-hyoscyamine. Elle est formée pendant le séchage de la plante car
lorsqu'elle est fraîche, elle contient surtout de la (-)-hyoscyamine. Un
autre alcaloïde important est la scopolamine qui est moins toxique que
l'atropine, mais plus lipophile. De ce fait, elle aura plus d'affinité pour le
système nerveux central et passera plus facilement la barrière hémato-
encéphalique. La présence de ces deux alcaloïdes dans les plantes utili-
sées par les sorcières permet d'expliquer scientifiquement pourquoi
elles volaient sur le manche d'un balai. Pour la préparation du sabbat,

Sorcière volant sur


le manche d'un balai
(Photo tirée de Martin le
Franc, Les Champions des
Dames, 1451)

108
Belladone, stramoine, mandragore et autres constituants des onguents des sorcières

les sorcières appliquaient l'onguent contenant les extraits ou jus pressés


des plantes dans la graisse de porc ou d'oie sur toutes les parties du
corps dénudé par massage et friction. De nombreux peintres ont repro-
duit de telles scènes souvent empreintes d'un certain érotisme, comme
par exemple Francisco Goya (1746-1828), Albrecht Dürer (1471-
1528), Hans Holbein le Jeune (1497 ou 1498-1543) et bien d'autres
encore (Kaufmann, 2000). Les sorcières ont dû savoir exploiter judi-
cieusement le pouvoir de ces plantes car on sait aujourd'hui que la
combinaison des alcaloïdes de ces plantes avec la graisse ou l'huile en
facilite l'absorption par les conduits de transpiration et par les orifices
du corps comme le vagin ou le rectum. Les sorcières appliquaient
l'onguent sur la peau de tout le corps, mais se frottaient sous les
aisselles et en introduisaient dans le vagin et dans l'anus (Müller-Ebeling
et al., 2001). On sait aussi qu'elles en enduisaient le manche du balai
avant de le chevaucher. Bien qu'étant partiellement habillées, les
sorcières ne portaient pas de sous-vêtements (slips). Le contact de la
vulve avec le bâton graissé permettait aux alcaloïdes, et en particulier à
la scopolamine plus lipophile, de pénétrer rapidement dans le circuit
sanguin via les muqueuses vaginales, puis de gagner le cerveau.
L'atropine plus toxique pénétrait plus difficilement. Ce mode d'applica-
tion original évitait le passage par le système gastro-intestinal réduisant
sensiblement, voire supprimant ainsi les risques d'intoxication.
L'absorption par voie orale de ces mélanges de plantes aurait, à coup
sûr, tué ces sorcières. Selon les doses, la scopolamine provoque des
hallucinations avec la sensation de lévitation, la sensation de voler !
Après les hallucinations et les effets enivrants survenait une phase
de transition qui menait de la conscience à la narcose, parfois profon-
de, mais au cours de laquelle survenaient encore des hallucinations.
L'effet narcotique des onguents de sorcières employés à haute dose
était connu depuis fort longtemps. Ainsi vers 1400, des délinquants
condamnés à mort à Montpellier ne furent pas exécutés, mais livrés
aux médecins de l'Université. Enduits complètement de jus de plantes,
ils furent soumis à la vivisection et ne manifestaient aucun signe de
douleur... (Hesse, 2000). Au XIXesiècle, des chercheurs voulant expé-
rimenter une recette de sorcières découverte dans un document du
XVII" siècle, s'enduisirent tout le corps d'une pommade préparée avec
des proportions bien définies de belladone, de jusquiame et de stra-
moine. Ils sombrèrent assez rapidement dans un sommeil qui dura plus
de 24 heures et pendant lequel ils eurent des visions fantastiques
(Girre, 1997). Ce sommeil peut être profond et d'une longue durée,
semblable à la mort et même un sommeil mortel pour certains !

109
Les plantes gui deviennent des drogues

À Haïti, par exemple, des espèces du genre Datura entrent dans la


composition des potions utilisées dans le culte vaudou pour zombifier
des personnes (Ratsch, 2001).
La méthode d'application des plantes des sorcières via la peau et
les muqueuses a conduit au développement des médicaments trans-
dermiques. Ainsi la scopolamine est actuellement utilisée sous forme
de patch (emplâtre adhésif contenant le principe actif) à placer par
exemple derrière 1'oreille pour la prévention du mal de mer et des
maux de voyage en général. Les plantes des sorcières ont aussi contri-
bué au succès du débarquement allié du 6 juin 1944 sur les plages de
Normandie. Les alcaloïdes tropaniques étaient alors considérés
comme l'un des meilleurs médicaments pour lutter contre le mal de
mer et plusieurs kilos d'alcaloïdes ont été distribués à bon escient aux
soldats alliés avant leur départ d'Angleterre ou pendant la traversée de
la Manche (Delaveau, 1982).
Ces alcaloïdes provoquent aussi des effets secondaires. Étant
donné les nombreux cas d'intoxications par la belladone, la stramoine
et les plantes similaires, nous donnerons ici les symptômes provoqués
par l'ingestion de cette plante. Après un délai très court, on remarque
une rougeur du visage, une sécheresse de la bouche et des muqueuses,
une grande soif, une accélération marquée des pulsations cardiaques et
de la mydriase (dilatation de la pupille). Tout ceci est suivi d'hallucina-
tions et de délire, accompagné de fatigue, d'hyperthermie, de difficul-
tés de miction et d'incoordination motrice, puis le coma s'installe. Le
traitement comprendra l'administration de tanins ou de charbon actif
et un lavage d'estomac. Dès les premiers symptômes, il faut appeler
d'urgence un médecin (Bruneton, 1999).
Les propriétés de la belladone de dilater la pupille , déjà connues
à l'époque de la Renaissance italienne, ont permis aux pharmacolo-
gues de développer des collyres à base d'atropine utiles pour les exa-
mens oculaires. Il existe aussi des collyres à base de scopolamine.
Cette substance plus lipophile pénètre mieux dans le tissu oculaire et
est utilisée lors de la chirurgie de la cataracte.
Il est intéressant de remarquer que les fruits et les graines d' espè-
ces du genre Datura étaient aussi connus en Inde au début de notre
ère. Dans la 7• partie du Kâma-Sûtra (Danielou, 1992) qui est consa-
crée aux pratiques occultes, on trouve des descriptions extrêmement
intéressantes de techniques d'envoûtement comme moyens de séduc-
tion : «si un homme s'enduit le pénis avec du Datura , du poivre noir
(Maricha) et du poivre long (Pippali) écrasés et mêlés à du miel, son

110
Belladone, stramoine, mandragore et autres constituants des onguents des sorcières

usage permet d'envoûter et d'asservir les partenaires ». En d'autres ter-


mes, pour rendre une femme docile et entièrement soumise, il suffit,
sans qu'elle le sache, de s'enduire le pénis de miel bien coulant, auquel
on aura ajouté des graines pilées de stramoine, et de procéder à l'ac-
te sexuel. Au cours de ce dernier, la scopolamine va pénétrer par les
muqueuses vaginales dans le circuit sanguin et agir très rapidement au
niveau du cerveau. Il est intéressant de remarquer ici l'analogie avec
l'utilisation du manche de balai par les sorcières dans l'Europe du
Moyen Âge!
La technique d'envoûtement du Kâma-Sû tra décrite ci-dessus
pourrait se retourner contre l'homme, qui deviendra alors l'arroseur
arrosé. En effet, en enduisant son pénis avec du miel et des graines
pilées de pomme épineuse, une partie de la scopolamine risque de
pénétrer aussi dans le circuit sanguin de l'homme par le méat urinaire
et la peau du gland, qui est très délicate et perméable, surtout chez le
sujet non-circoncis. Il est cependant évident que c'est la femme qui
recevra, lors de la pratique de cette technique, la dose la plus élevée de
scopolamine. À notre avis, cette pratique, même si elle est connue
depuis les tous premiers siècles après J.-C., présente passablement des
dangers et ceci pour les deux partenaires (Hostettmann, 2000).

La trompette des anges,


une plante dangereuse
Malgré les mises en garde et les nombreuses intoxications impu-
tables à la stramoine, cette plante continue de fasciner, à l'aube du
XXI• siècle, des milliers d'hommes dans le monde. Ainsi, on trouve sur
Internet des recettes à base d'espèces du genre Datura d'origine
latina-américaine pour préparer des boissons aphrodisiaques et hallu-
cinogènes. Il s'agit souvent de Datura suaveolens Humb. & Bonpl. ex
Willd. appelé aussi trompette des anges à cause de la forme allongée
de ses fleurs blanchâtres qui ressemblent à une trompette. Cette
plante, originaire du Mexique, est devenue une plante ornementale
courante chez nous. Par le terme trompette des anges, on désigne
aussi des Solanacées dont les fleurs sont très semblables à celles de
Datura suaveolens, mais qui appartiennent au genre Brugmansia,
originaire d'Amérique du Sud et d'Amérique centrale. D'ailleurs
certains auteurs appellent Datura suaveolens Brugmansia suaveolens
en estimant qu'il s'agit de synonymes. Mais, par exemple, Brugmansia
versicolor Lagerheim est aussi désignée sous le nom de trompette des
anges à cause de la forme caractéristique de ses fleurs.

111
Les plantes gui deviennent des drogues

La trompette des anges

Suite à la publication de nombreuses recettes à base de trompette


des anges, cette plante intéressa un certain milieu et connut un grand
succès. On peut la trouver chez la plupart des horticulteurs et dans les
rayons plantes et fleurs des supermarchés. Cette espèce est connue
pour contenir dans tous ses organes, y compris dans les fleurs , des
quantités appréciables de scopolamine. Elle contient cependant aussi,
comme les autres espèces de la famille Solanaceae que nous avons
citées, de l'atropine. C'est pratiquement toujours cette dernière sub-
stance qui est responsable des intoxications graves, voire mortelles.
Nous citerons ici quelques cas récents d'intoxications graves en
Suisse dues à la consommation de boissons à base de trompette des
anges:
1993: 6 cas 1994: 9 cas
1995: 19 cas 1996: 26 cas
1997: 29 cas 1998: 67 cas
Parmi ces derniers cas figure pour la première fois un cas mortel.
En effet, en juillet 1998, une jeune femme de 20 ans est décédée à
Zürich suite à la consommation d'un breuvage magique à base de
trompette des anges. Visiblement, le mode d'utilisation des plantes à
scopolamine par les sorcières du Moyen Âge était nettement moins
dangereux que celui préconisé par les recettes modernes que l'on trou-
ve sur Internet !

112
Belladone, stramoine, mandragore et autres constituants des onguents des sorcières

La teneur très élevée en scopolamine de la trompette des anges


explique son utilisation de plus en plus fréquente par des criminels qui
arrivent à mettre très rapidement leurs victimes en état de soumission
totale pour mieux les dévaliser ou les violer. Nous citerons des faits
rapportés très récemment dans la presse. En Colombie surtout, et dans
d'autres pays latino-américains, des voleurs utilisent des extraits
d'espèces du genre Datura, riches en scopolamine, très fréquentes en
Amérique du Sud, pour fabriquer une poudre très fine qui est vapori-
sée sur le visage de la victime. Cette poudre provoque un état de sou-
mission qui peut être total et une amnésie facilitant le vol ou le viol et
empêchant l'identification a posteriori de l'agresseur. Signalons enfin
que pendant la seconde guerre mondiale, la scopolamine pure était fré-
quemment utilisée par les Allemands lors d'interrogatoires de prison-
niers. Injectée directement dans le sang, elle était considérée comme
un " sérum de vérité » et rendait les prisonniers dociles et entièrement
soumis.
Les propriétés incapacitantes des plantes des sorcières contenant
la scopolamine ont une longue histoire et ont permis à certains de
gagner des guerres. Nous citerons juste encore un dernier exemple
rapporté par Hesse (2000). Lors de l'invasion de l'Écosse par les
Danois sous le commandement de leur roi Swen au XI• siècle, le roi
écossais Duncan 1•r utilisa des plantes de la famille Solanaceae pour
intoxiquer l'ennemi. Faisant semblant de faire la paix, il offrit aux
Danois assiégés dans une ville du pain et un breuvage à base d'orge
contenant du jus de plantes. Connaissant très bien les effets de ces
plantes et leur temps de latence, il ordonna à un moment donné à ses
troupes de pénétrer dans la ville qui n'offrait plus aucune résistance. La
plupart des Danois étaient dans un état de profond sommeil et d'au-
tres erraient ivres dans les rues et furent tués. Duncan 1er fut assassiné
en 1040 par Macbeth. L'histoire de ce dernier inspira une tragédie à
William Shakespeare (1564-1616).
À signaler enfin que les sorcières ne faisaient pas seulement appel
aux plantes, mais aussi aux champignons, dont l'amanite tue-mouches,
et aux crapauds. Il est intéressant de relever ici que l'amanite tue-
mouches et les sécrétions de la peau de certains crapauds contiennent
des substances fortement hallucinogènes (voir chapitre consacré aux
champignons hallucinogènes).

113
Les plantes gui deviennent des drogues

Autres plantes hallucinogènes


La liste des plantes qui peuvent induire des hallucinations est très
longue. Nous nous contenterons de citer quelques espèces qui font
régulièrement parler d'elles. Une liste plus complète peut être trouvée
dans le livre de C. Ratsch Enzyklopéidie der psychoaktiven
Pflanzen 8 .

La noix de muscade
Pourquoi citer ici cette épice bien connue utilisée pour agrémen-
ter les mets ? Elle a la réputation d'être psychotrope et, à doses éle-
vées, de provoquer des hallucinations. Elle est assez souvent utilisée
comme substitut d'autres drogues, en particulier le cannabis, par des
adolescents et dans le milieu carcéral. Son emploi n'est pas sans dan-
gers. Elle provient du muscadier ou Myristica fragrans Houtt. (Myris-
ticaceae). Il s'agit d'un arbre pouvant atteindre vingt mètres de hauteur.
Originaire de l'archipel des Moluques, le muscadier est cultivé actuelle-
ment en Malaisie, au Sri Lanka, en Indonésie et dans les Cara"tbes,
notamment à l'île Grenade. Le fruit du muscadier se trouve dans le dra-
peau de ce pays. La graine est enveloppée d'une arille de couleur oran-
ge. Après la récolte, l'arille est séparée du noyau et séchée au soleil
pendant une à deux semaines. Elle est connue sous le nom de macis

Noix de muscade et son macis

114
Autres plantes hallucinogènes

La noix de muscade doit être râpée juste avant l'emploi

et est utilisée comme condiment, tout comme la graine connue sous le


nom de noix de muscade. L'épice est arrivée en Europe à l'époque des
Croisades (XI•-XIII" siècle). Hildegard von Bingen (1098-11 7 9), deve-
nue sainte Hildegarde, décrit son effet sur le cerveau et écrit qu'elle
rend gai celui qui la consomme. Au XIX• siècle, un pharmacologue a
testé sur lui-même l'effet de trois noix de muscade. Il tomba très rapi-
dement dans un sommeil profond entrecoupé de rêves et de visions,
puis d'agitation musculaire et de vertige. Plusieurs prisonniers qui utili-
sent la noix de muscade pulvérisée comme drogue de substitution ont
fait mention d'hallucinations visuelles et auditives (Ratsch, 2001).
La noix de muscade contient une huile essentielle formée de ter-
pènes lipophiles, mais aussi de dérivés aromatiques comme la myristi-
cine (5 à 10 %) et le safrol (1 à 3 %). Ces produits sont assez volatils,
c'est la raison pour laquelle l'épice est vendue entière et râpée sur les
mets juste avant l'emploi. L'activité psychotrope est due à la myristici-
ne, qui à faibles doses, est euphorisante chez certaines personnes, par
simple inhalation de l'odeur dégagée par la noix fraîchement râpée.
Par voie orale, à doses élevées, elle peut provoquer des hallucinations.
Mais elle devient alors dangereuse. Plusieurs cas d'intoxication par
ingestion de doses fortes (5-15 grammes) de muscade ont été décrits
(Bruneton, 1999). Il vaut mieux y renoncer. L'arille séchée, le macis,

8 Publié chez AT Verlag, Aarau 2001 , 5• édition, 940 pages.

115
Les plantes gui deviennent des drogues

est parfois fumée en lieu et place du cannabis. Signalons en passant


que la noix de muscade a la réputation d'être un aphrodisiaque, soit en
usage interne, soit par application locale. D'après Swahn (1993), un
moine(!) du xvr· siècle attribuait à la muscade un pouvoir des plus inté-
ressants : « ... tout homme enduisant d'huile de muscade une certaine
partie de son anatomie voyait ce membre rester actif plusieurs jours».
Une autre épice bien connue est aussi hallucinogène à doses éle-
vées. Il s'agit du safran ou des stigmates séchés des fleurs de Crocus
sativus L. (Iridaceae). Le prix du safran est extrêmement élevé car il
faut environ 100'000 fleurs pour en faire un kilo. À doses modérées,
le safran excite, rend gai et peut provoquer le fou rire.
À fortes doses, il est narcotique et peut provoquer des hallucina-
tions. Il est également abortif. Une dose de 15 g peut être mortelle.
Mais vu le prix du safran, des accidents graves sont très rares et son
rôle comme stupéfiant est marginal, la cocaïne pure étant meilleur
marché que cette épice.

L'ayahuasca, le breuvage magique


des Indiens de l'Amérique du Sud
Cette drogue rituelle utilisée dans la région amazonienne provient
de l'écorce de tronc et branches, ainsi que des feuilles séchées d'une
liane géante Banisteriopsis caapi (Spurce ex Grisebach) Morton (Mal-
pighiaceae) et d'autres espèces du genre Banisteriopsis. C'est le bota-
niste anglais Richard Spruce (1817-1893) qui explora une partie du
bassin de l'Amazone qui a fait les premiers récits de son usage. Au Bré-
sil, le breuvage est simplement appelé caapi. Pour le préparer, les par-
ties végétales sont broyées et macérées pendant plusieurs heures dans
l'eau froide. Le breuvage ainsi préparé est généralement réservé aux
hommes. Son effet est terrifiant, selon Mann (1996): « ... soudain, le
panorama de ténèbres devient une vaste spirale mouvante. On est pro-
pulsé, hurlant, dans cette spirale, dans une expérience terrifiante ... >>.
Les hallucinations sont accompagnées d'une diminution du pouls, de
nausées, puis de diarrhées. Elles permettent aux chamans d'entrer en
communication avec les dieux et les esprits et de faire des prophéties.
La plante contient des alcaloïdes indoliques du type harmane, dont la
structure ressemble en partie à celle de la sérotonine, un neurotrans-
metteur que l'on trouve dans le cerveau humain. Elle est parfois mélan-
gée ou contaminée avec Psychotria viridis Ruiz et Pavon qui appar-
tient à la famille Rubiaceae . Cette plante provient de la forêt amazo-

116
Autres plantes hallucinogènes

nienne très dense et contient surtout des dérivés de la N, N-diméthyl-


tryptamine, dont la structure est proche de celles des constituants des
psilocybes, champignons hallucinogènes puissants. Le mélange des
deux plantes forme alors un cocktail de substances hallucinogènes qui
garantit une plus longue durée et des effets beaucoup plus intenses que
l'utilisation de Banisteriopsis caapi seul. Le consommateur peut deve-
nir complètement déchaîné et très agressif. Heureusement que ces
plantes ne sont pas faciles à trouver sur le marché des stupéfiants ...

L'iboga, la plante hallucinogène


de 1'Afrique équatoriale
L'iboga est un arbuste d'Afrique équatoriale d'une hauteur de
1 mètre à 1,50 mètre. Il est fréquent au Gabon, au Congo, au
Cameroun et jusqu'en Angola. Il est cultivé en Afrique de l'Ouest. Son
nom scientifique est Tabernanthe iboga Bail!. Il appartient à la famille
Apocynaceae, dans laquelle on trouve par exemple la pervenche. C'est
l'écorce de racine qui est utilisée pour ses propriétés psychotropes.
C'est la plante sacrée des Pygmées qui symbolise la force de la forêt.
Elle permet aussi d'entrer en communication avec les esprits des
ancêtres et de ce fait, elle est utilisée lors de cérémonies religieuses.
Elle a été décrite comme la cocaïne d'Afrique car elle apaise la faim
et la fatigue . L'écorce de racine est souvent mâchée par les chasseurs
qui font des longues traques de gibiers pour rester éveillé et pour lutter
contre la fatigue .
La racine séchée et pulvérisée est souvent mélangée à un aliment
car son goût est très amer. Une cuillère à thé de poudre d'iboga induit
une euphorie des plus agréables, mais 10 g de poudre provoquent des
visions et des hallucinations psychédéliques qui ressemblent un peu à
celles causées par l'ingestion de LSD. Les principes actifs sont des
alcaloïdes indoliques, dont le principal, isolé pour la première fois en
1901, a été appelé ibogaïne. À doses modérées, 2 à 10 mg par kg de
poids corporel, cette substance est un stimulant. À doses plus élevées,
30 à 40 mg par kg de poids corporel, l'ibogaïne induit des hallucina-
tions. Des doses encore plus fortes provoquent des manifestations de
paralysie, voire la mort par arrêt respiratoire. Un usage chronique peut
conduire à la dégénérescence du système nerveux central. C'est la rai-
son pour laquelle dans certains pays, dont la Suisse, la consommation
et la vente d'ibogaïne sont interdites. Curieusement, cette substance
qui est un stupéfiant présente un potentiel assez grand pour lutter
contre la dépendance induite par l'héroïne et même la cocaïne.

117
Les plantes gui deviennent des drogues

Des brevets ont été déposés pour cette indication et des tests à gran-
de échelle sont en cours aux États-Unis, en Israël et aux Pays-Bas
(Perrine, 1996).

L' ololiuqui, le liseron hypnotique


des Aztèques
Ololiuqui est un mot aztèque qui désigne les graines de plantes
sacrées employées au cours de pratiques religieuses bien avant l'arrivée
des conquérants espagnols au Mexique et en Amérique centrale. Il
s'agit avant tout d'espèces de la famille Convolvulaceae, la famille du
liseron, et en particulier de Turbina corymbosa (L.) Raf. (syn. Rivea
corymbosa (L.) Hall., syn. lpomoea corymbosa (L.) Roth.). En 1790,
des chroniqueurs espagnols ont écrit à son sujet : « . .. il existe une herbe
nommée serpent vert et qui donne une semence nommée ololiuqui.
Cette graine obnubile et trouble les sens ; ceux qui en mangent parais-
sent avoir des visions et assister à des choses terrifiantes )) (Pelt, 1983).
Les graines ressemblent à des lentilles. Fraîches, elles sont pilées et
additionnées d'eau ou de pulque (boisson fermentée préparée à partir
d'agave). Plusieurs dizaines de graines sont nécessaires pour provoquer

Riuea corymbosa

118
Autres plantes hallucinogènes

La liqueur du peuple Maya

un effet hypnotique, voire hallucinogène. L'investigation phytochimique


de ces graines a révélé la présence de l'amide de l'acide lysergique (ergi-
ne) et d'autres dérivés de ce célèbre acide, dont le diéthylamide n'est
rien d'autre que le trop célèbre LSD ! La consommation des graines
n'induit cependant pas des visions psychédéliques comme le LSD
(Ratsch, 2001). Les graines de Turbina corymbosa sont difficiles à trou-
ver et ceci même au Mexique ou au Guatemala. Cependant, l'ololiuqui
est assez fréquemment proposé à la vente, mais il s'agit le plus souvent
de graines d'espèces du genre Ipomoea ou d'autres Convolvulacées qui
ne contiennent pas de substances psychoactives. Une célèbre liqueur
appelée Xtabentum est préparée dans la presqu'île du Yucatan et
contient paraît-il Turbina corymbosa , qui est dénommé xtabentum par
les Mayas. L'auteur du présent livre en a dégusté une quantité appré-
ciable à Merida, mais n'a pas ressenti d'effets particuliers ... sauf ceux de
l'alcool ! Signalons enfin que les graines de Ipomoea violacea L.
contiennent aussi des dérivés de l'acide lysergique. Elles sont assez
recherchées et connues sous le nom de morning glory seeds.

La sauge divinatoire
La sauge ou Sa/via officinalis L. est une plante médicinale aro-
matique et la tisane qu'on peut en faire est connue de tous. Elle fait par-
tie de la famille Lamiaceae (syn. Labiatae). Mais il est intéressant de
noter que le genre Sa/via compte plus de 700 espèces distribuées dans
les zones tempérées et tropicales des deux hémisphères. Au sud du
Mexique, dans la province d'Oaxaca, les Indiens Mazatèques utilisent

119
Les plantes gui deviennent des drogues

Sa/via divinorum Epling & Jativa, connue localement sous le nom de


hierba de la Virgen ou hierba de la Pastora dans les rites divinatoires
et pour soigner différentes affections, dont les maux de tête, les rhu-
matismes, l'anémie et pour réanimer malades et moribonds. La plante
était déjà connue des Aztèques qui lui donnèrent le nom de pipiltzit-
zintli. Elle était probablement utilisée comme substitut des champi-
gnons hallucinogènes (psilocybes) quand ces derniers n 'étaient pas dispo-
nibles (Schultes et Hofmann, 1980). Les feuilles séchées peuvent être
fumées ou consommées fraîches. Dans ce cas, elles sont sucées longue-
ment ou mâchées. L'effet apparaît après une dizaine de minutes et dure
environ 30 minutes si on utilise au moins une dizaine de feuilles. Lorsque
la plante séchée est fumée, l'effet psychotrope est beaucoup plus
rapide : légère euphorie, puis visions étranges et très différentes de cel-
les provoquées par les autres hallucinogènes naturels (Ratsch, 2001). Les
principes actifs sont des diterpènes qui ont été dénommés salvinorines.

Le yopo
Le terme yopo désigne les graines de diverses espèces de la famille
Leguminosae, dont l'espèce type est Anadenanthera peregrino (L)
Speg. Cet arbre, d'une hauteur de 5 à 15 mètres, se trouve au Brésil,
en Colombie et au Venezuela. Ses graines revêtent un grand intérêt
ethna-pharmacologique et ont été utilisées à l'époque précolombienne.
La première mention a été faite en 1560 par un missionnaire espagnol
en Colombie : « Les Indiens qui prennent du yopo deviennent somno-
lents tandis que dans leurs rêves, le Diable leur montre toutes les vani-
tés et corruptions qu'il désire leur faire voir. >> (Mann, 1996). Les grai-
nes séchées sont finement pulvérisées, additionnées de cendres de bois
ou de coquilles d 'escargots pulvérisées, et généralement légèrement
torréfiées. L'ajout de cendres ou de coquilles d'escargots rend le tout
basique et libère les principes actifs qui sont des alcaloïdes. La poudre
est alors administrée par prise nasale. Ces graines contiennent des déri-
vés de la N,N-diméthyltryptamine, dont la 5-méthyl-bufoténine qui est
une molécule particulièrement active. L'effet est pratiquement immé-
diat, mais est de courte durée (10 à 15 minutes). Il se caractérise par
des hallucinations avec déformation des objets et une perte de la facul-
té de coordination. La dose est de l'ordre de 1 gramme de poudre.
Parfois, la poudre est appliquée par voie orale et les alcaloïdes
lipophiles passent rapidement dans le circuit sanguin via les muqueuses.
Les hallucinations sont de type psychédélique et ressemblent beaucoup
à celles induites par le LSD.

120
Autres plantes hallucinogènes

La peau de banane ?
Entre 1960 et 1970, divers articles furent publiés sur les vertus
psychédéliques de la peau de banane, le fruit du bananier ou Musa x
paradisiaca L. ou Musa x sapientum L. (Musaceae) qui sont des
hybrides (Krikorian, 1968). Dans ces articles, il était fait mention que
fumer la peau séchée de la banane bien mûre provoquait les mêmes
effets que fumer du cannabis. Le chanteur rock Donovan a contribué
massivement à répandre cette rumeur par sa célèbre chanson Mellow
Yellow , ainsi que l'édition d'avril 1967 du Time Magazine dans
laquelle est paru un article intitulé " Tripping on babana peels » (Ratsch,
2001). L'affaire prit une telle ampleur que le gouvernement des États-
Unis forma un groupe d'experts pour déterminer si la peau de banane
doit être placée dans la liste des stupéfiants. Qu'en est-il ? La pelure de
banane contient de la dopamine (environ 70 mg/100 g) qui est un
neurotransmetteur présent dans le cerveau humain. Lors du vieillisse-
ment de la banane, la peau devient brune, puis noire . Lors de ce phé-
nomène, la dopamine est transformée en noradrénaline, un autre
neurotransmetteur. La peau de banane contient aussi la sérotonine
(5-hydroxytryptamine), encore un neurotransmetteur. Il est possible
que la présence de ces neurotransmetteurs induise un effet stimulant,
voir euphorisant. Mais il faudrait alors fumer plusieurs dizaines de
grammes de peau de banane séchée ! Épisodiquement, les rumeurs
sur les vertus psychotropes de la peau de banane resurgissent, mais
l'efficacité réelle de cette « drogue >> reste douteuse.

La peau de banane qui noircit : certains la fument

121
Bibliographie

Bibliographie

Ouvrages généraux consultés


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128
Les plantes gui deviennent des drogues

Index des noms latins


Aesculus hippocastanum 104 Maytenus parviflora 51
Amanita caesarea 62 Musa x paradisiaca 121
Amanita muscaria 61 Musa x sapientum 121
Amanita pantherina 62 Myristica fragrans 114
Amanita phalloides 63 Panaeolus cyanescens 77
Amanita rubescens 63 Panaeolus papilionaceus 77
Amanita strobiliformis 67 Papaver bracteatum 39
Anadenanthera peregrino 120 Papaver croceum 39
Anhalonium lewinii 55
Papaver dubium 39
Areca catechu 90, 93
Atropa bel/adonna 102, 103 Papaver occidentale 39
Banisteriopsis caapi 116, 117 Papaver rhoeas 39
Brugmansia suaveolens 112 Papaver somniferum 39
Brugmansia versicolor 112 Peyote zacatecensis 55
Bufo alvarius 71, 72 Phoenix dactylifera 90
Bufo marinus 72 Piper auritum 92
Bufo vulgaris 71 Pipe r betle 93, 94
Cannabis sativa 14, 25 Piper methysticum 92, 96, 97, 98
Capsicum annuum 91 Piper nigrum 90, 91 , 94, 96
Capsicum frutescens 91 Psilocybe aztecorum 73
Catha abbottii 51 Psilocybe caerulea 77
Catha edulis 51 Psilocybe coprophila 75
Catha spinosa 51 Psilocybe cubensis 75
Catha transvaalensis 51 Psilocybe cyanescens 75
Chelidonium majus 40
Psilocybe mexicana 69
Claviceps purpurea 81, 89
Cocos nucifera 90 Psilocybe phyllogena 75
Coffea arabica 51 Psilocybe rhombispora 75
Cola nitida 31 Psilocybe semilanceata 61 , 73
Copelandia cyanescens 77 Psilocybe strictipes 74
Crocus sativus 116 Psychotria viridis 11 6
Datura stramonium 102, 104 Psylocybe mexicana 6 1
Datura suaveolens 112 Rivea corymbosa 118
Echinocactus williamsii 55 Saba/ serrulata 90
Erythroxylum catuaba 28 Sa/via divinorum 120
Erythroxylum coca 28 Sanguinaria canadensis 40
Erythroxylum novogranatense 28 Schinus terebinthifolius 91
Eschscholtzia californica 39 Secale cereale 80
Euonymus europea 51, 54 Secale cornutum 80, 83
Euonymus latifolia 51 Serenoa repens 90
Evonymus europaeus 51
Silybum marianum 63
Humulus lupulus 14, 25
Hyoscyamus niger 102, 105 Stropharia caerulea 77
Hypericum perforatum 98 Strychnos nux-vomica 104
Inocybe geophylla 74 Tabernanthe iboga 49, 117
Inocybe haemacta 77 Trichocereus pachanoi 59
Ipomoea corymbosa 118 Trichocereus peruvianus 60
Ipomoea violacea 119 Tuber melanosporum 25
Lophophora williamsii 55, 60 Turbina corymbosa 118, 119
Mandragora officinarum 102, 106 Urtica dioica 14

130
Index général

Index général
acide iboténique 66, 67 coquelicot 39
acide lysergique 85, 86, 119 crack 33, 37, 38
acide méconique 4 7 diacétyl-morphine 48
acide tétrahydrocannabinolique 20 diéthylamide de l'acide lysergique 86,
acide THC 20, 21 119
acide g-aminobutyrique 66 dopamine 33, 72, 85, 121
agaric moucheté 61 ecgonine 12, 32, 34, 35
amanite de César 62 ergométrine 85
amanite panthère 62, 63, 65 ergot de seigle 12, 80
amanite phalloïde 63, 64 ergotamine 85
amanite rougissante 63 ergotoxine 84, 85
amanite tue-mouches 61, 64, 65, 68, éthylcocaïne 37
113 fausse oronge 61, 66
amatoxines 63, 64 feuille de coca 28
amavadine 6 7 GABA 66
amphétamine 34, 51, 53, 92 haschisch 17, 18, 30
androsténol 25 héroïne 7, 35, 39, 46, 88, 117
arécaïdine 94 5-hydroxy-N,N-diméthyltryptamine 71
arécoline 94 hyoscyamine 108
atropine 108, 109 iboga 12, 49, 117
ayahuasca 116 ibogaïne 12, 49, 117
belladone 101, 104, 109, 110 jusquiame noire 102, 105, 109
bufoténine 71 , 72, 120 kat 51
cactus 8, 12, 55 kawa 92, 96
cactus de San Pedro 12, 59 kawaïne 97
caféine 12, 31, 53, 85 kawa-kawa 96
cannabidiol 20, 26 kawalactones 97
cannabinol 20, 30 khat 12, 51, 53, 54
cannabis 8, 11, 116, 121 LAAM 49
cat 51 laudanum 46
cath 51 LSD 12, 21 , 58, 69, 72, 80, 84, 117,
cathine 53 119, 120
cathinone 12, 53, 54 mandragore 101, 107
CBD 20, 26 marijuana 19, 21
CBN 20 marronnier d'Inde 104
champignons 8, 12, 61, 88, 113, mate de coca 34
116, 120 mescaline 12, 55, 88
champignons hallucinogènes 8, 12, méthadone 49
61, 88, 113, 117, 120 5-méthylbufoténine 71 , 120
chanvre 8, 14 millepertuis 98
chanvre à drogue 14 morphine 12, 35, 39, 46-50
chanvre à fibres 14 muscaaurine 66
chanvre à résine 14 muscade 114, 116
chanvre indien 14 muscaflavine 66
chardon Marie 63, 64 muscapurpurine 66
chélidoine 40 muscarine 66, 74
chique de bétel 90 muscazone 66
coca 12, 28 muscimol66
cocaïne 28, 31, 32, 49, 116, 117 myristicine 115
codéine 50 N,N-diméthyltryptamine 71, 117, 120

131
Les plantes gui deviennent des drogues

Index général (suite)

nicotine 30 San Pedro 59


noix d'arec 92 sanguinaire 40
noix de cola 12, 31 sauge divinatoire 119
noix de muscade 114, 115
scopolamine 108, 109, 110, 111,
noix vomique 104
noradrénaline 22, 58, 85 112
ololiuqui 118, 119 sérotonine 21, 72, 85, 116, 121
opium 12, 18, 35, 39 silybine 64
papavérine 50 speed-ba/1 49
pavot 12, 18 stramoine 101, 104, 110, 111, 112
pavot de Californie 39, 41 teonanacatl 61
pavot d'Islande 39, 40
peau de banane 120, 121 tétrahydrocannabinol 20, 30
peyotl 8, 55, 88 THC 12, 14, 18, 20, 30
poivre 90, 91, 96 thébaïne 39, 50
poivre d'or 92 trompette des anges 111
poivre rose 91 tschai 51
psilocine 12, 69, 70
psilocybe 12, 61, 68, 73, 120 tschat 51
psilocybine 12, 60, 70, 73 tschât 51
safran 116 Vin tonique Moriani 30
safrol 92, 115 yopo 120

132
Table des matières

Table des matières

Le pavot: de l'opium à la morphine et à l'héroïne 39

Le khat, l'amphétamine naturelle de la corne de l'Afrique 51

Le peyotl : du cactus hallucinogène à la mescaline 55

Les champignons hallucinogènes 61

La chique de bétel, drogue masticatoire stimulante de l'Asie 90

Le kawa, la drogue euphorisante des îles du Pacifique 96

Belladone, stramoine, mandragore


et autres constituants des onguents des sorcières 101

Ouvrages généraux consultés 123

Références bibliographiques 125

135
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Tout savoir sur les plantes
qui deviennent des drogues
Depuis la nuit des temps, l'homme a été fasciné par les plantes, d'abord pour
se nourrir, ensuite pour se soigner. Au cours de son histoire, l'homme remarqua
aussi que certaines espèces végétales agissaient sur son esprit, son psychisme
et lui permettaient de s'élever au-dessus de sa condition, de planer et parfois même d'entrer en
communication avec les dieux. Ces plantes qui contiennent des substances psychotropes sont appelées
drogues. Ce mot fait peur car il évoque souvent des stupéfiants qui engendrent la dépendance. Il est
vrai que la consommation de plantes qui provoquent le bien-être, l'euphorie, le sentiment de se
surpasser ou des hallucinations aboutit, une fois l'effet recherché touchant à sa fin, à l'irrésistible
envie de recommencer.
Toutes les civilisations de tous les continents ont découvert et utilisé des plantes psychotropes tout
au long de leur histoire: le pavot et le bétel en Asie, la coca en Amérique du Sud, le peyotl, en Amérique
centrale, le cannabis en Arabie et en Europe et le khat en Afrique. En plus des plantes supérieures, il
faut mentionner les champignons hallucinogènes comme l'amanite tue-mouches ou les psilocybes.
Des substances chimiquement proches de celles des psilocybes se trouvent dans la sécrétion de la
peau de quelques espèces de crapauds, ce qui conduit certains amateurs à lécher ces batraciens! Un
autre champignon, l'ergot de seigle, a conduit à la découverte du lSD.
Les plantes psychotropes ont permis à des personnalités (écrivains, poètes, compositeurs, peintres)
de se surpasser et de devenir célèbres. Mais l'état de dépendance induit par chaque drogue et ses
conséquences sont aussi discutés et commentés. L'attrait des drogues au début de ce nouveau
millénaire est toujours aussi grand et des millions de personnes en consomment chaque jour dans le
monde entier.
L'histoire des drogues est présentée dans ce livre d'une manière scientifique, mais accessible à tous
avec de nombreuses anecdotes, comme celle des plantes qui permettaient aux sorcières du Moyen-
Âge de voler sur un manche de balai ou celle des personnes qui se droguent en buvant l'urine de
consommateurs d'amanites tue-mouches.
Cette mise au point recense les principales drogues d'origine naturelle, leur histoire, le hasard de
leur découverte et les dangers que peut représenter leur utilisation. Ce livre est un avertissement
destiné aux jeunes tentés d'expérimenter des nouvelles sensations, à ceux qui ont goûté aux
drogues, aux parents, aux enseignants et éducateurs car il contient de nombreuses informations très
utiles. Il s'adresse aussi aux médecins, biologistes, pharmaciens et à toute personne désireuse de
s'informer sur un sujet qui concerne chacun. Le livre est illustré par de nombreuses photographies
en couleur des plantes traitées.

Le professeur Kurt Hostettmann est docteur en chimie, professeur et chercheur. Il s'intéresse aux
plantes utilisées dans la médecine traditionnelle de divers pays. Sa renommée est internationale et
ses ouvrages ont été traduits dans diverses langues.

18,20 € prix France TIC

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