Les Soleils Des Independances 144

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Les soleils des Indépendances

Ahmadou Kourouma

Une chronique littéraire de Jean-Claude Kangomba - Source CEC -

Prix de la revue Etudes françaises de Montréal en 1968 et publié par les Presses de
l'Université de Montréal, Les soleils des Indépendances d'Ahmadou Kourouma ne
fut sérieusement découvert par la critique qu'en 1971 grâce aux éditions du Seuil à
Paris, qui le réédita. Et quel accueil, par la critique, de cette oeuvre qui, d'emblée, fit
hisser son auteur au palmarès de grands écrivains de l'Afrique indépendante !
L'événement est d'autant plus remarquable que pendant le même moment, un autre
écrivain publié chez le même éditeur ?et d'une originalité tout aussi forte-
succombait sous les traits enflammés d'une campagne de diffamation assez
répugnante. Il s'agit du Malien Yambo Ouologuem.

N'empêche, tous les critiques s'accordent à désigner Les soleils des Indépendances
comme un véritable roman de l'heure présente, ayant pour thème non plus la lutte
pour l'indépendance politique mais la critique virulente des régimes politiques
installés dans certains pays africains depuis l'obtention des indépendances. C'est
donc un jugement de ce régime auquel on demande le bilan des actions politiques
menées depuis 1960.

Les soleils des Indépendances est l'histoire de Fama Doumbouya, un prince déchu
du royaume de l'Horodougou lequel, depuis les indépendances, a été partagé entre le
Mali et la Côte-d'Ivoire. La colonisation a fait perdre la chefferie à Fama
Doumbouya au profit de son cousin Lacina. La politique, avec le parti unique, a

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achevé de le dépouiller en ruinant les campagnes et le pouvoir traditionnel. Fama est


un homme aigri, tourné vers le passé, qu'il veut voir rétablir à Togogbala, son village
natal. Il n'a pas compris que désormais, son village natal fait partie d'un pays dont il
n'a pas la carte d'identité nationale. Il en mourra?

Thématiques principales

Ce texte met en scène de nombreux thèmes, mais nous allons nous limiter aux plus
récurrents. Le premier nous semble être celui des exactions coloniales. Fama évoque
cette sombre période avec amertume :
"Il avait vu la colonisation, connu les commandants français qui étaient beaucoup de
choses, beaucoup de peines : travaux forcés, chantiers de coupe de bois, routes,
ponts, l'impôt et les impôts, et quatre-vingts autres réquisitions que tout conquérant
peut mener, sans oublier la cravache du garde-cercle et du représentant et d'autres
tortures" (p. 22).
Il est d'autant plus aigri contre le pouvoir colonial que la chefferie d'Horodougou lui
a échappé au profit d'un de ses cousins à cause "d'un petit garnement européen
d'administrateur, toujours en courte culotte sale, remuant et impoli comme la
barbiche d'un bouc" (p. 23).

Le deuxième thème à épingler est celui de la situation de la femme dans la société

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traditionnelle. Une situation faite de violences continuelles et d'humiliations,


qu'illustre de manière émouvante le destin de Salimata, la femme de Fama
Doumbouya. L'auteur décrit avec force détails la cruelle scène de son excision,
suivie aussitôt de viol par le marabout du village ; son mariage forcé avec Baffi ainsi
que sa fuite éperdue loin de sa terre natale pour échapper à toutes ces horreurs.

Sa rencontre avec Fama aura des allures de rédemption, avant qu'une autre calamité
ne s'abatte sur elle : elle ne peut concevoir. Or l'on sait tout ce que peut endurer une
femme stérile en Afrique?

Mais le thème central de ce récit reste, sans contexte -et comme l'indique le titre-,
celui de la politique et de la gestion des états africains indépendants à partir des
années soixante. Fama commence par évoquer, avec une ironie mordante, sa colère
contre le pouvoir colonial et son enthousiasme dans la lutte pour l'indépendance :
"Les soleils des Indépendances s'étaient annoncés comme un orage lointain et dès
les premiers vents Fama s'était débarrassé de tout : négoces, amitiés, femmes pour
user les nuits, les jours, l'argent et la colère à injurier la France, le père, la mère de la
France" (p. 24).
Mais très vite, il faut déchanter. Le prince des Doumbouya fait le compte, et le butin
est très maigre. Autant dire, rien :
" Qu'apportèrent les Indépendances à Fama ? Rien que la carte d'identité nationale,
et celle du parti unique. Elles sont les morceaux du pauvre dans le partage et ont la
sécheresse et la dureté de la chair du taureau" (p. 25).

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Pire que cela, il sera emprisonné sous un obscur prétexte de "complot contre le
régime" et privé de liberté durant de longues années.

A sa sortie de prison, il a perdu toute illusion sur le présent et désire se réfugier dans
le passé en décidant de rentrer définitivement dans son village natal. Mais il mourra
sans atteindre celui-ci, faute d'avoir compris que les terres malinkés sont désormais
réparties entre deux ou trois états indépendants?

Signalons, pour clore ce propos, l'innovation narrative (oralité) et stylistique (lexique


malinké) qu'inaugure l'ouvrage d'Amadou Kourouma, originalité qui libère son texte
du carcan de l'académisme formel ambiant en introduisant dans la langue française
une série d'apports lexicaux et syntaxiques africains qui rafraîchissent de manière
savoureuse la langue et le ton. Cette pratique, devenue banale aujourd'hui dans la
littérature africaine, a donné lieu à ce qu'on a appelé le corpus des africanismes.

Pour comprendre toute la portée de cette inventivité lexicale, il faut se replacer dans
le contexte de l'époque, où la correction du français était quasiment une exigence de
la Négritude, "pour montrer à ces Blancs instruits à quel point le Nègre pouvait
rivaliser avec eux sur leur propre terrain" ! Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à relire le
Camara Laye de L'enfant noir, ou encore le Cheick Hamidou Kane de L'aventure
ambiguë.

Dans cette perspective, il sera certainement édifiant d'étudier, par exemple, toute

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l'isotopie et l'extension sémantique des mots "bâtard" et "bâtardise" dont l'auteur use
et abuse, tout au long de son récit, avec comme horizon de sens ce constat qui
dérange : l'Afrique des indépendances est un monde "bâtard", né d'un viol perpétré
par l'Occident des capitaines d'industrie sur des populations déjà saignées par
l'esclavage et les guerres intestines.

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