Les Espions de La Terreur - Matthieu Suc
Les Espions de La Terreur - Matthieu Suc
Les Espions de La Terreur - Matthieu Suc
MÊME AUTEUR
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Les relais en Europe
Anis Bahri et Réda Kriket : les deux Franciliens ont réuni un arsenal encore
plus important que celui dont bénéficiaient les commandos du 13 Novembre.
Réda Bekhaled : à peine sorti de l’adolescence et cloîtré derrière son écran
d’ordinateur à Vaux-en-Velin, il réalise son djihad en menant des enquêtes de
personnalité en France.
Bilal Chatra : sur ordre d’Abdelhamid Abaaoud, il sillonne l’Europe pour
trouver les routes où faire passer les commandos de l’EI.
Hicham el-Hanafi : prospecte en Europe pour recruter des kamikazes et
préparer de nouveaux attentats.
Khalid Zerkani alias Papa Noël : le recruteur de Molenbeek fait office de
référent Belgique de l’EI. A embrigadé trois futurs membres des commandos du
13 Novembre.
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1. Des pseudos ont été substitués aux réelles identités, assujetties au secret-défense, des officiers de renseignement
français.
Première partie
Le FBI du califat
I
À dix-neuf ans, Jejoen Bontinck envisage le djihad sur le mode du joli cœur.
En Belgique, ce membre de l’association islamiste Sharia4Belgium apprend les
sourates propres à réconforter les sœurs heurtées par l’hostilité d’une population
qui, pensent-elles, les rejette à cause de leur voile. Après quelques belles paroles
valant, selon lui, échange des consentements, ce métis aux traits fins et aux
lèvres charnues fait croire à certaines qu’ils sont déjà mariés selon les
conventions de l’islam dans la seule intention de coucher avec elles. Alors
forcément, une fois en Syrie, la réalité de la guerre fait contraste.
Au départ, pourtant, les apparences sont trompeuses. Quand Bontinck
débarque au Levant, en mars 2013, il atterrit dans une villa à Kafr Hamra, à une
dizaine de kilomètres au nord-ouest d’Alep. Le quartier général du Majlis Shura
al-Mujahideen, un groupe de combattants qui fleure bon le système D. Un arrêt
de la cour d’appel d’Anvers décrira un mouvement djihadiste « sans structure de
commandement, sans système de discipline interne, incapable de contrôler un
territoire, de définir une stratégie militaire ou d’exécuter des actions militaires
lourdes ». Le chef, le cheikh Abou al-Athir, pallie tant bien que mal le manque
d’organisation, achète parfois les armes (les munitions sont toujours à la charge
des moudjahidines), paye les factures en cas de maladie. Pour le reste, on pille,
on kidnappe, on rackette. Le groupe vivote.
Mais le cheikh est un homme charismatique, dont la barbe et la tignasse
noires se confondent pour manger un visage seulement éclairé par un regard que
certains qualifient d’habité. Sa maigreur — « c’était le plus maigre de nous
tous », dira Bontinck — trahit les cinq années passées à Sednaya, la sinistre
geôle où le régime syrien torture ses prisonniers islamistes. Surtout, cheikh Al-
Athir a une idée : il faut profiter du vivier constitué par l’afflux d’Occidentaux
venus vivre leur guerre d’Espagne musulmane. Il décide de diviser le Majlis
Shura al-Mujahideen en deux katibat1. D’un côté, les Ansar, les locaux. De
l’autre, les étrangers réunis sous l’étendard de la katibat al-Muhajireen, la
brigade des émigrés. « Il a vu que beaucoup de frères venaient d’Europe et qu’il
pouvait les utiliser, les mélanger avec les locaux, racontera un djihadiste
néerlandais. Et ceux qui venaient étaient enthousiastes, parce qu’il les traitait
bien. » Approvisionné en jeunes Allemands, Belges, Français et Hollandais, le
Majlis Shura al-Mujahideen gonfle de quelques dizaines d’hommes à une grosse
centaine.
Quand Jejoen Bontinck est conduit à la villa où Al-Athir loge avec ses
hommes, il découvre, éberlué, un jardin aussi grand que la moitié d’un terrain de
football, une piscine couverte et, à l’intérieur, des téléviseurs à écran plat, une
PlayStation. Et une règle de vie commune : pas d’armes dans le salon. Les
kalachnikovs s’entreposent sur le mur d’entrée de cette pièce. Pour éviter les
disputes, les noms de leurs propriétaires sont gravés sur la sangle de chaque fusil
d’assaut. Aux côtés de l’arme de Bontinck, celles d’au moins deux des piliers
belges des commandos qui, deux ans plus tard, ensanglanteront les rues de Paris
et Bruxelles : le coordinateur Abdelhamid Abaaoud et l’artificier Najim
Laachraoui, qui séjournent eux aussi, en ce mois de mars 2013, dans la maison
de Kafr Hamra.
Une certaine torpeur règne dans la villa. Les djihadistes se lèvent pour le
fajr, la prière de l’aube. Puis certains se recouchent, et ainsi filent les journées.
Cette oisiveté n’est pas pour déplaire à Jejoen Bontinck. Mais un jour, on lui
suggère de devenir inghimasi, un soldat qui s’infiltre dans les lignes ennemies
les armes à la main et une ceinture explosive autour de la taille. Contrairement
au kamikaze, l’inghimasi a une chance de revenir vivant, mais la probabilité
reste faible. « On pouvait soumettre sa candidature […] via son propre émir,
dira-t-il. Au moment approprié, on appelait la personne concernée et on te
donnait une cible, à savoir un endroit où il y avait beaucoup d’ennemis. Aucune
formation n’était prévue. »
Le fait est que Jejoen Bontinck a modérément envie de mourir. Et
modérément envie de s’entraîner aussi. Au bout d’un mois à traîner la patte au
muaskar, le camp d’entraînement situé à des kilomètres de la confortable villa, il
entend retourner au plat pays. Cela tombe bien. Dans la tente qu’il partage avec
d’autres apprentis djihadistes belges, un gamin originaire de Vilvorde lui fait une
confidence : lui aussi « en a marre », il veut « rentrer à la maison ».
Et il a un plan.
Quelques jours plus tard, le samedi 20 avril 2013, les deux hommes
attendent le coucher du soleil pour prendre leurs jambes à leur cou. Le frère de
Vilvorde embarque, pour tout bagage, un sac à dos contenant une arme de poing.
Sur le chemin, il demande à Jejoen :
— Quand on sera rentrés en Belgique, tu pourras me donner des garanties ?
— Comment ça ?
— Tu travailles pour l’État, non ?
Jejoen nie.
— Je n’ai pas envie de finir en prison, insiste le frère de Vilvorde.
Au bout d’un moment, une voiture s’approche des fuyards. Lentement, très
lentement. Elle finit par se garer. En descendent des hommes. Encagoulés et
armés. Jejoen Bontinck est menotté. Les mains derrière la nuque, le natif de
Vilvorde est, lui, couché dans le véhicule. Il hoche la tête, pas trop inquiet.
Les fugitifs sont ramenés au camp d’entraînement où cheikh Al-Athir,
appuyé sur des béquilles, les attend. Il souffre de sept côtes cassées, séquelles du
dernier combat. Il frappe à la tempe Jejoen, qui tombe à la renverse. Le cheikh se
saisit de l’arme de poing qui devait servir à l’évasion. Il fait monter une balle
dans la chambre du pistolet automatique. Il pointe le canon sur Jejoen Bontinck à
genoux devant lui. Jejoen ferme les yeux. BANG ! Jejoen rouvre les yeux. Il se
touche la poitrine. L’arme avec laquelle ils étaient censés fuir était chargée à
blanc.
« Alors, tu es mort ? » s’esclaffe Abou al-Athir.
Le frère de Vilvorde est, lui aussi, hilare. Jejoen comprend enfin : son
complice d’évasion lui a tendu un piège.
Cela fait plusieurs jours que les moudjahidines nourrissent des doutes sur
Jejoen. Juste avant sa tentative d’évasion, la police fédérale belge a cueilli
plusieurs membres de Sharia4Belgium, accusés de participer à une filière
d’acheminement de combattants en Syrie. Bontinck serait-il responsable de cette
vague d’arrestations ? Les hommes d’Al-Athir savent qu’il a communiqué avec
son père depuis la Syrie. Lors d’un appel téléphonique, il lui a indiqué qu’il
dormait dans une villa. En retour, son géniteur lui a adressé un SMS suspect en
anglais :
The Israelis are coming back.
« Les Israéliens reviennent. »
Alors, pour l’amener à se dévoiler, les djihadistes ont orchestré une très
classique opération de contre-espionnage. Dans son Manuel secret de
manipulation mentale et de torture psychologique rédigé en 1963, la CIA décrit
comment « piéger une source qui dissimule des informations » : « Un officier
traitant jusqu’alors inconnu […] s’entretient avec la source de façon à la
convaincre qu’elle discute avec quelqu’un appartenant à son propre camp. Elle
est alors interrogée à propos de ce qu’elle a dit aux Américains et de ce qu’elle
leur a caché. Une évasion mise en scène, manigancée par un mouchard,
permettra de créer les conditions de la supercherie. » Cinquante ans plus tard,
Jejoen Bontinck, victime de la même recette, est conduit, sous bonne garde, au
cachot.
Dans le cachot du camp d’entraînement, Bontinck, lui, est à bout. Les pieds
attachés à l’aide d’une sangle de kalachnikov, frappé aux jambes avec un
morceau de bois, il ne sait plus quoi répondre à ses geôliers qui le renvoient sans
cesse au SMS envoyé par son père. Bontinck plaide le contresens : « Il s’agit
d’un diamant de mon père qui avait été volé pendant un braquage à l’aéroport de
Zaventem ! »
Une explication confuse qui ne convainc pas. Le lendemain, les tortionnaires
le réinterrogent avec un couteau sous la gorge. Des djihadistes allemands
bodybuildés le fouettent jusqu’au sang. Un an plus tard, un ex-otage de l’État
islamique se remémorera le dos de Jejoen « couvert de cicatrices ». L’eau froide
versée sur ses plaies n’apaise pas la brûlure.
Le 9 août 2013, Bontinck est transféré à Alep, où il se voit confié au
nouveau responsable de la sécurité récemment nommé par Abou al-Athir : Abou
Obeida al-Maghribi.
Le véritable interrogatoire va pouvoir commencer.
1. Bataillons.
2. Gouverneur.
3. Province.
II
Pendu au téléphone, à l’arrière d’un break Opel filant dans les environs
d’Atmeh, ce 13 mars 2013, l’Italien Federico Motka a bien repéré les deux
voitures noires aux vitres teintées qui les suivent, lui et son collègue anglais
David Haines. Il fait signe au chauffeur d’accélérer sur le chemin de traverse,
pour rentrer plus vite au bureau d’Acted, leur ONG française.
L’Italien et l’Anglais sont venus en mission dans cette petite bourgade de
deux mille habitants qui, en un rien de temps, a grossi de vingt mille âmes, avec
ses camps de réfugiés tout autour et ses pelotons de soldats de l’Armée syrienne
libre, conduisant la rébellion contre le régime d’Assad. Mais Atmeh est aussi une
zone de transit, une zone à haut risque. Les djihadistes qui atterrissent à
l’aéroport d’Hatay, en Turquie, y passent pour rejoindre leurs katibat sur le front
syrien. Et un bon millier de moudjahidines gravitent dans les parages.
On est à moins de trois kilomètres de la frontière turque et les deux véhicules
sombres leur collent à présent au train. En plein désert. Le plus près des deux
accélère, dépasse le break et pile en travers de la route. Federico Motka et David
Haines n’ont pas le temps de bouger que quatre hommes encagoulés pointent
leurs AK-47 sur eux tandis qu’un autre arrache le fusil d’assaut que l’interprète
des deux humanitaires gardait entre ses jambes.
« Ils sont en train de nous enlever ! Mon Dieu, ils sont en train de nous
capturer ! » s’époumone l’Italien à l’intention de son supérieur, à l’autre bout du
fil.
Les otages sont sortis du break et balancés dans le coffre de l’une des
voitures, où Federico Motka pianote aussitôt des textos de détresse. Qui
n’atteindront jamais leurs destinataires.
Au fond du coffre, il fait une chaleur infernale, et tout tourne dans la tête de
Federico. À chaque check-point, il entend ses ravisseurs crier Allahû Akbar.
Quelle imprudence les deux humanitaires ont-ils bien pu commettre ? Jamais ils
n’auraient pu imaginer que leur enlèvement était en fait programmé dès leur
arrivée, trois jours plus tôt.
De retour d’un camp de réfugiés, ils s’étaient arrêtés manger un sandwich
dans le centre-ville d’Atmeh. L’échoppe, recommandée par un membre de
l’équipe, se situe au bord d’un rond-point à côté d’une mosquée. Ils ont commis
l’erreur de s’attabler derrière la vitrine du restaurant, ignorant que, depuis la rue,
des djihadistes ne perdaient pas une miette de ce qu’ils mangeaient, des
vêtements qu’ils portaient, immortalisant la scène avec quelques photos.
Quatre mois plus tôt, un autre binôme, cette fois de journalistes, l’Américain
James Foley et le Britannique John Cantlie, avait été kidnappé dans des
circonstances similaires : sur la route, après un arrêt dans un cybercafé, à moins
de quarante minutes de la frontière turque. Et par les mêmes hommes. Durant un
peu plus de un an, au moins vingt-trois étrangers tomberont dans le même
piège : le business des otages est pensé pour financer le djihad syrien.
* * *
Après deux heures de route, les voitures des ravisseurs s’arrêtent. Les
hommes en noir en font descendre Federico Motka et David Haines, devant une
maison perdue dans la campagne. Ils leur confisquent passeports, téléphones,
tablettes et appareils photo. Ils les déshabillent, les menottent et les enferment
dans une pièce faisant office de cellule.
« Attendez ici. Demain, on va vous interroger », ordonne un djihadiste, avant
de jeter un œil au passeport de David Haines et de lancer : « Welcome to Syria,
you mutt ! »
Une expression typiquement anglaise que l’on pourrait traduire par
« Bienvenue en Syrie, chien ».
Le lendemain matin, Motka et Haines sont amenés dans deux pièces
séparées. Devant eux, trois moudjahidines encagoulés portant des Glock à la
ceinture. Ils parlent un anglais sans fautes, avec un accent cockney, ce qui laisse
supposer qu’ils ont grandi dans les quartiers populaires de Londres. Plus tard,
entre eux, les otages les surnommeront « les Beatles ». Il y a George, Ringo et
John. Ce dernier est le plus grand et le plus posé d’entre eux. Il n’a pas encore
fait parler de lui en tant que « Jihadi John », le bourreau de l’État islamique
s’illustrant dans d’insoutenables vidéos de décapitation.
Un gros bonhomme habillé d’un épais manteau noir s’avance devant
Federico. Son interrogatoire va commencer. C’est George qui traduit les
questions posées par ce vétéran du djihad irakien, que ses hommes appellent
respectueusement « Cheikh ». Les otages l’appelleront entre eux « Number
One ». Les enlèvements, ce serait son idée. L’homme, qui arbore au poignet une
volumineuse montre en or, est un amateur de bonbons, de fusils d’assaut et de
torture. Une fois son cheptel d’otages constitué, il ambitionne de toucher cent
millions d’euros de rançon. Mais avant de toucher l’argent, il faut d’abord
s’assurer de l’identité des prisonniers.
Par principe, les moudjahidines envisagent tout Occidental comme un
espion, a fortiori s’il se présente comme travailleur humanitaire ou journaliste.
Des métiers qui offrent de solides couvertures pour les services de
renseignement souhaitant infiltrer des agents dans des territoires hostiles. Cette
méfiance ne date pas d’hier. À Kandahar, en mai 2001, Oussama Ben Laden
avait réuni des dignitaires talibans et des islamistes pakistanais et ouzbeks afin
de décider un contrôle plus étroit des ONG présentes en Afghanistan, imposant
notamment à tous les travailleurs humanitaires de signer une charte de bonne
conduite. Tout manquement à cette charte entraînerait un « châtiment
islamique » qualifié d’« exemplaire ».
Face à Federico Motka, Number One fait une sale tête. Il s’étonne que les
humanitaires ne soient pas rentrés dans le pays avec un permis délivré par
Damas et demande à l’Italien de détailler sa mission, ainsi que l’activité de son
ONG. Il va poser les mêmes questions à David Haines, dans la pièce d’à côté,
histoire de voir si les versions se recoupent.
— Qui vous a capturés, d’après toi ? demande-t-il à Federico Motka.
— Un groupe islamique, répond l’Italien.
Number One le relance : de quel côté se range l’otage ? Celui de l’Armée
libre ou du régime d’Assad ?
— Nous sommes neutres, répond Federico. Nous sommes du côté de ceux
qui ont besoin d’aide humanitaire et qui ont tout perdu à cause de ce conflit. Ça
ne nous intéresse pas de savoir à quel camp politique ils appartiennent.
Une déclaration qui n’a pas l’heur de convaincre Number One. « Ils
insistaient, ils me poussaient, se souviendra l’otage. À un moment donné, j’ai dû
donner une autre réponse, sinon la situation aurait dégénéré. »
Alors, Motka lâche :
— L’Armée libre ! Nous sommes pour la révolution !
À ces mots, Number One se lève et s’en va, laissant à George le soin
d’achever l’interrogatoire. Pendant la nuit, Federico voit surgir Ringo et John.
Qui le rouent de coups, parce qu’il n’aurait pas été respectueux avec le cheikh.
Les semaines qui suivent ne sont plus que brimades et sévices. Les geôliers
se déchaînent. Le colérique George, avec sa peau dévorée par l’acné et ses poils
au menton, se révèle être le leader des Beatles. Ringo, même s’il participe à la
valse des coups, est aux yeux des otages le plus réfléchi, le plus cultivé. Et,
comme son modèle original, « le seul qui était capable d’un peu d’humour ».
L’été 2013 s’annonce. Federico Motka et David Haines sont retenus depuis
quatre mois par leurs ravisseurs. Comme nombre de djihadistes, les Beatles et
leur cheikh décident de quitter le Jabhat al-Nosra, dont ils font partie, pour rallier
l’étendard de l’État islamique.
Un beau matin, un ordre arrive. Ils doivent conduire leurs otages à Alep.
L’EI a décidé de réunir tous ses prisonniers dans une prison installée dans les
sous-sols d’un hôpital.
III
* * *
Sous l’autorité d’Abou Obeida, les gardiens francophones constituent le gros
des effectifs de la prison de l’État islamique. Trois d’entre eux sont appelés à
passer à une sordide postérité : les Français Salim Benghalem, premier Français
à entrer dans la liste des terroristes les plus recherchés par les États-Unis, et
Mehdi Nemmouche, futur tueur présumé du Musée juif de Bruxelles, ainsi que le
Belge Najim Laachraoui, futur artificier des attentats du 13 Novembre à Paris et
du 22 Mars à Bruxelles. D’autres membres des commandos des attentats de Paris
et Bruxelles seront suspectés d’avoir séjourné à l’hôpital ophtalmologique
d’Alep et travaillé sous les ordres d’Al-Maghribi.
De tous les geôliers, ce dernier se révèle le moins féroce, le plus civilisé.
« Particulièrement intelligent par rapport aux autres », il est toujours « très
calme, jamais agressif », confiera Édouard Élias aux policiers. « Il était obsédé
par les détails, a fait installer des ventilateurs aux fenêtres, veillait à ce que nos
cellules soient toujours éclairées de manière à pouvoir nous surveiller en
permanence », témoignera Nicolas Hénin. Une gageure. Les coupures
d’électricité sont monnaie courante en zone de guerre et offrent un repos aux
yeux fatigués des otages.
Avec Bontinck, Abou Obeida souffle le chaud et le froid. Un jour, il lui
annonce que tout « est presque prêt », sous-entendu pour son exécution. Des
papiers compromettants auraient été retrouvés dans ses affaires… Une autre fois,
il lui promet qu’il va, au contraire, être libéré, avant de le faire réintégrer sa
cellule au bout de longues heures à patienter sur un banc dans un couloir de la
prison.
* * *
Derrière ses bonnes manières, Abou Obeida al-Maghribi traque les taupes.
Au journaliste Didier François, il demande : « Est-ce que tu es un agent de la
DST4 ? Est-ce que tu travailles pour les services de renseignement français ? »
Le reporter de guerre a, dans la mémoire de son téléphone, les numéros
personnels de François Hollande et du patron de la DGSE. Il lui assure que c’est
dans le cadre de son travail. « Réfléchis bien ! Je viendrai dans quelques jours et
j’aimerais que tes déclarations évoluent… »
Abou Obeida renvoie le journaliste en cellule et convoque le photographe
Édouard Élias, qui faisait équipe avec lui avant leur capture. Au cours de
l’interrogatoire, il lui demande si Didier François connaît le président de la
République française, s’il fréquente le chef des services secrets français : « J’ai
toujours été correct avec toi, je ne t’ai jamais battu, alors ne me mens pas… »
Ébranlé, Édouard Élias ne sait plus quoi répondre.
Au gré des interrogatoires et des confidences de certains djihadistes, les
prisonniers de l’hôpital ophtalmologique d’Alep complètent l’énigmatique
portrait de celui qui les passe à la question. Abou Obeida al-Maghribi serait un
ingénieur diplômé, néerlandais d’origine marocaine, marié à deux femmes, la
première un temps coincée en Turquie, la seconde née en Syrie. Il aurait trois
enfants, dont le plus âgé aurait sept ans, venus le rejoindre « pour défendre la
cause ».
Mais, s’il est présenté aux otages comme le responsable de la prison et du
tribunal d’Alep pour le compte de la Dawla, ses prérogatives iraient bien au-
delà. Selon Nicolas Hénin, il serait l’émir des Marocains au sein de
l’organisation terroriste et à la tête de quatre mille hommes. Signe de
l’importance d’Al-Maghribi, un tireur d’élite originaire du Val-de-Marne,
Abdelmalek Tanem, confie à un interlocuteur, au téléphone, être préposé à la
sécurité d’Abou Obeida : « À part l’entraînement, je ne fais pas grand-chose.
[…] Je suis plutôt accompagnateur avec Abou Obeida. Je suis plutôt garde du
corps, tu vois ? Donc, ça veut dire que je peux pas trop aller à droite à gauche »,
se désole l’homme d’action.
Les moyens déployés pour protéger Abou Obeida al-Maghribi trouvent en
réalité leur justification dans une note émanant du Service des renseignements
intérieurs néerlandais : à Alep, le chasseur de taupes serait en fait « l’émir des
Amniyyin », le chef régional des espions de l’État islamique.
1. En arabe, l’État islamique se dit Dawla Islamiya. Ses membres le désignent par le diminutif Dawla, signifiant « État ».
3. Mécréants.
4. Ancêtre de la DGSI.
IV
Guantánamo-sur-Euphrate
Le soir venu, Salim Benghalem traverse la cour où paissent des agneaux, des
brebis, des chèvres, des chevaux ; il prête une oreille distraite aux
bombardements lointains, qui ne cessent de se rapprocher. Le natif de Bourg-la-
Reine, âgé de trente-cinq ans, grimpe au premier étage de son logement de
fonction. Des bureaux qu’il a aménagés. Il dépose son pistolet au-dessus de
l’armoire, où l’y attendent des armes américaines et turques, des AK-47 et AK-
46, et des grenades. Le plus souvent déchargés et toujours en hauteur, à cause
des enfants. Tous les matins, Salim Benghalem part. Tous les soirs, il rentre. « Tu
vois, c’est comme si j’allais travailler ! » explique-t-il à son épouse Kahina.
Durant la journée, Benghalem officie en tant qu’adjoint d’Abou Obeida al-
Maghribi à l’hôpital ophtalmologique d’Alep. Parti quelques années plus tôt
avec Chérif Kouachi au Yémen, où il avait été missionné par un hiérarque d’Al-
Qaïda pour participer au futur massacre de Charlie Hebdo — mission qu’il avait
refusée —, Benghalem assure la logistique dans la prison d’Alep. Et participe
aux interrogatoires. « Il m’a dit qu’ils avaient le droit de frapper. “Deux, trois
patates”, mais pas de tortures, détaillera sa femme. Ils n’avaient pas le droit
d’égorger. »
Une vision des choses que ne partagent pas les otages, qui, depuis leur
cellule, entendent les hurlements des autochtones victimes de séances de torture
qui commencent vers 20 heures pour s’achever vers 4 heures du matin. Les
coups de matraque succèdent aux coups de chaîne. Des câbles électriques tressés
sont détournés de leur usage premier, des noyades simulées, des décharges
électriques administrées. « Les prisonniers syriens étaient terrifiés de se faire
torturer par des djihadistes qui leur hurlaient dessus en français, racontera
Nicolas Hénin. J’ai clairement entendu les cris des suppliciés et les vociférations
en français des tortionnaires. »
Les détenus occidentaux savent que, tôt ou tard, ce sera leur tour.
Et leur tour, c’est un bandeau imprégné de gaz lacrymogène sur les yeux
durant quatre jours. Des ongles arrachés à la pince. Des coups portés avec un
tuyau d’arrosage ou des joints d’étanchéité. Et divers objets introduits dans
l’anus. Dans le but de leur « faire cracher la vérité », de leur faire avouer une
collaboration avec les services de renseignement.
Poussé à bout, l’un des otages européens tentera de se suicider avant d’être
sauvé par ses tortionnaires. Une fois remis, il s’adonnera au jogging pour
survivre, s’entraînant à un « marathon en cellule ». Sept mille fois le tour de son
cachot.
Un autre va avoir droit à un traitement particulier.
* * *
* * *
L’Anglais Jihadi John, lui, n’est pas issu d’un univers à la Dickens. Né au
Koweït, Mohamed Emwazi, de son vrai nom, a grandi dans une famille unie
dans les beaux quartiers de Londres. « Assidu, travailleur, charmant » selon un
ancien professeur, ce timide collégien finit diplômé de l’université de
Westminster en programmation informatique. Mais celui qui aime les fringues de
marque a déjà cédé aux sirènes de l’islam radical. Il célèbre l’anniversaire du 11
Septembre et part pour un safari en Tanzanie, dans le secret espoir de rallier les
Shebabs somaliens.
Quatre ans plus tard, il pose finalement ses valises en Syrie. Obsédé par la
taille du pistolet-mitrailleur Uzi qu’il porte à la cuisse, le gaucher anglais ne se
mélange pas aux autres, hormis ses fidèles Beatles. Méprisant, il détourne le
regard pour ne pas avoir à dire bonjour aux djihadistes qu’il croise sur la route
d’Alep. Il se révèle nettement moins réservé lorsqu’il s’agit de tabasser les
otages ou de les étrangler jusqu’à l’évanouissement. Il ne rechigne pas non plus
à pratiquer le waterboarding, la simulation de noyade.
Une certaine inimitié existe entre Nemmouche et Emwazi : le comportement
de Nemmouche exaspère le taciturne Jihadi John, qui le juge, selon des notes des
services de renseignement, « trop expansif » et « pas assez professionnel ».
Mehdi Nemmouche entreprend par exemple de filmer, avec son téléphone
portable, des otages en train de satisfaire leurs besoins aux toilettes. Il faudra
l’intervention d’un djihadiste irakien pour l’en empêcher. Une autre fois, avec
des geôliers francophones, Nemmouche fait s’agenouiller un otage, lui pose un
sabre sur la nuque et fait mine de lui trancher la gorge, hilare. « C’est la vie
d’artiste, mec. Elle est belle, elle est triste… » Nemmouche aime également
fredonner : « Renart sacripant, renart chenapan », le générique du dessin animé
Moi Renart, ou encore Douce France de Charles Trenet, et les titres de Charles
Aznavour…
Au final, issus de milieux différents, Nemmouche et Emwazi révèlent le
même penchant criminel. Quelques mois plus tard, l’un comme l’autre
projetteront de déplacer cette violence dans leurs pays d’origine.
* * *
1. Mis en examen, Mehdi Nemmouche n’a pas encore été jugé pour le rôle dont il est accusé de geôlier des otages
français.
2. Pénitencier à l’ouest de Bagdad. La diffusion de photographies montrant des détenus irakiens torturés et humiliés par
des militaires américains provoque un scandale international et deviendra un argument de recrutement pour les djihadistes.
V
Patrick Calvar prend place face aux députés qui composent la commission
d’enquête parlementaire relative aux attentats de 2015. Nous sommes six mois
après les attaques qui ont fait cent trente morts dans les rues de Paris.
Longtemps, le patron de la DGSI n’a été pour les médias qu’une ombre chinoise.
Puis sa silhouette, massive, s’est esquissée dans la cour de la place Beauvau,
s’est précisée à l’arrière-plan lors des réunions de crise, au lendemain des
attentats ou bien au cours de voyages officiels. Là où certains hauts
fonctionnaires arrivistes jouent des coudes, on le retrouvait en queue de cortège
de la délégation, le plus loin possible du ministre de l’Intérieur et des objectifs.
Patrick Calvar est un maître espion et, comme tout maître espion, moins on
parle de lui, plus il est heureux. Il fuit la presse, a fait passer le message par les
communicants de Beauvau aux caméramans et photographes qu’il ne fallait pas
immortaliser son image, ce qui est illusoire quand on a le titre de directeur
général et que l’on dirige le principal service de renseignement intérieur français.
Son audition devant la commission d’enquête parlementaire se déroule à
huis clos. Ce Breton né à Madagascar est là pour répondre de la connaissance
que son service avait de ce qui se préparait en Syrie. « Les attentats de 2015
représentent un échec global du renseignement », concède-t-il. Avant d’ajouter :
« Nous devons, par conséquent, nous interroger sur les raisons pour lesquelles
nous n’avons pas pu l’empêcher. »
Il a bien sûr déjà son idée sur la question et esquisse l’une des principales
difficultés rencontrées par les services occidentaux : le renseignement humain.
« Il est particulièrement difficile, comme vous pouvez l’imaginer, de trouver des
volontaires pour nous aider en se rendant en Syrie ou en Irak… »
Le rapporteur de la commission d’enquête le relance sur une éventuelle
faillite dans le suivi des djihadistes français. Patrick Calvar lui répond par une
autre question : « Que sait-on de ce qui se passe à Raqqa1 ? Voilà le
problème… »
Ce problème porte un nom : l’Amniyat.
Un an plus tard, un second haut gradé de la lutte antiterroriste me reçoit dans
son bureau. Je l’interroge sur la déclaration de Patrick Calvar. Il comble les trous
dans les propos tenus, a minima, par le patron de la DGSI devant la
représentation nationale : « Le problème n’est pas tant d’infiltrer quelqu’un,
mais comment va-t-il nous faire le retour des informations glanées ? Le
téléphone ou Internet ? Ce n’est même pas la peine d’y penser. Il nous reste la
vieille méthode des boîtes aux lettres mortes, mais c’est compliqué. Il faut
reconnaître que les services secrets de l’EI sont performants. Ils font du bon
renseignement en amont, auscultent les volontaires à leur arrivée. Leurs cadres
sont très intelligents… »
* * *
* * *
* * *
Sur sa page Facebook, l’homme a donné comme identité « Abou Djihad al-
Mouhajir » et précisé « Travaille chez État islamique d’Irak et du Shâm ». À
quatre reprises, il s’est rendu en Syrie. Il se promène en Europe avec des
versions numériques du Manuel du petit terroriste et du Manuel de survie en
garde à vue. Ce qui ne l’empêche pas, dans une cellule de la prison de Mons où
il est entendu par la police fédérale belge, de pleurnicher. Non pas que les
enquêteurs reproduisent les pratiques qui ont cours dans la salle de torture de
l’hôpital ophtalmologique d’Alep. Non, s’il pleurniche, c’est que, depuis sa
prison wallonne, Abou Djihad a peur des djihadistes en Syrie. Il implore les
policiers de ne pas laisser approcher, au palais de justice, l’un de ses anciens
complices, lui aussi incarcéré. Et indique qu’il souhaite ne jamais avoir à croiser
dans la prison d’autres suspects dans des dossiers de terrorisme.
Abou Djihad al-Mouhajir craint pour sa vie. « Sur ce que je suis en train de
vous dire, j’ai l’impression de ne pas me sentir en sécurité, par rapport à ce que
j’aimerais vous raconter, car ces personnes sont dangereuses. » Il n’ignore rien
des capacités d’investigation de la Dawla en Belgique. Elles s’incarnent, selon
lui, en un homme : Khalid Zerkani. Ce recruteur ventripotent de Molenbeek,
surnommé « Papa Noël », a embrigadé trois futurs terroristes des attentats du 13
Novembre, dont le coordinateur Abdelhamid Abaaoud et l’artificier Najim
Laachraoui.
Papa Noël est très actif. Les enquêteurs belges vont déterminer que, sur une
période de seulement dix jours, il a eu quarante-sept contacts avec des numéros
syriens et quatre-vingt-neuf avec des numéros turcs. Il est « la source » de l’État
islamique à Bruxelles. Abou Djihad est bien placé pour le savoir. Lors de son
dernier séjour syrien, il a été un temps suspecté d’être un espion à la solde de la
Sûreté de l’État belge. Les djihadistes francophones qui l’interrogeaient lui ont
annoncé qu’ils allaient prendre contact avec « Khalid » pour avoir des
informations à son sujet…
Quatre ans après son audition par la police fédérale, Abou Djihad est
toujours vivant, et en prison. Les spadassins de l’Amniyat n’ont pas réussi à
l’atteindre. Mais la peur non feinte d’un homme ancré de longue date dans la
cause djihadiste, lui-même proche d’Abaaoud et dont les frères, tout comme lui,
ont combattu en Syrie, témoigne du mythe à la Keyzer Söze répandu chez les
déçus de l’État islamique : les services secrets de l’EI n’ont pas de frontières et
sont capables de vous atteindre n’importe où, quelle que soit la protection
policière dont vous bénéficiez.
Outre-Manche, un revenant britannique explique à son officier traitant que
des espions sont dépêchés pour suivre les procès terroristes au Royaume-Uni et
savoir ainsi qui a dit quoi… En Autriche, un moudjahid qui serait rentré chez lui
avec dans son bagage les ordinateurs portables de plusieurs djihadistes fait
l’objet d’une surveillance par des sympathisants de l’EI. Lorsque son cas est
évoqué pendant une réunion de travail en Syrie, des Amniyyin se veulent
rassurants auprès de leurs interlocuteurs : « On sait où il vit [en Autriche]. Nous
avons des gars qui jettent un œil sur lui… » Un Allemand ayant participé à cette
réunion et étant rentré à son tour en Europe se met à paniquer après avoir fait
d’abondantes déclarations aux forces de l’ordre de son pays : « ILS ont un
service secret aux États-Unis ! En Australie ! Au Canada ! ILS ont des gens en
Asie du Sud-Est ! ILS ont des gens partout ! […] Bien sûr que j’ai peur ! Même
si je suis à la maison maintenant, il peut encore m’arriver quelque chose. […]
Demain, ils peuvent frapper à la porte de ma mère. Ou de ma femme. Ou de ma
belle-famille… »
* * *
À bien y regarder, les espions djihadistes sont pourtant loin d’être eux-
mêmes infaillibles. En Europe, Papa Noël, le référent Belgique de l’EI, va
tomber parce qu’il essaye de convaincre un fidèle, au cours d’une fête de
mariage, que le djihad est une obligation et qu’il est « taillé pour le rôle ». Le
fidèle se révélera être un agent de la Sûreté de l’État belge.
Et puis, en Syrie, il arrive que les djihadistes accusés d’espionnage s’en
sortent. Ainsi, l’odyssée de Jejoen Bontinck s’achève à un arrêt de bus, à la
frontière de l’EI. Dans les couloirs de l’hôpital ophtalmologique d’Alep, Abou
Obeida a tranché : le jeune Flamand n’est pas un infiltré, seulement un lâche. Il
lui ordonne d’effectuer un ribat, un tour de garde. Le minimum syndical de tout
moudjahid. Mais personne ne vient le chercher au rendez-vous supposé qu’a fixé
Abou Obeida. Alors, Bontinck prend ses cliques et ses claques.
De retour en Belgique, il aspire à ouvrir un fast-food halal et pleure
beaucoup en audition. « C’est sans fin : en Syrie on croyait que j’étais un
espion », et en Belgique « le juge d’instruction croit que je suis un terroriste,
mais en réalité je suis une victime », se lamente-t-il.
* * *
Forte des leçons d’Ali Mohamed, Al-Qaïda se dote d’un service de contre-
espionnage en 1998. « Nous devons désormais disposer de rapports quotidiens
sur les activités dans chaque camp, dit un ex-garde du corps yéménite du chef
qaïdiste. Nous devons également collecter le maximum d’informations sur tous
les membres. » Cinquante frères sélectionnés pour leur aptitude au
renseignement suivent un stage. Ils sont ensuite placés dans différents secteurs,
pour informer de ce qui s’y passe. Et malheur à ceux qui se font prendre. « Avant
notre arrivée au camp, un homme présenté comme un espion avait été exécuté,
déclare le Français Mourad Benchellali. Ils l’avaient relâché sur une colline et lui
avaient ensuite tiré dessus au lance-roquettes RPG… » En tout cas, c’est ce qui
se murmure parmi les nouvelles recrues.
À l’automne 1998, des bulletins sont placardés sur tous les bâtiments d’Al-
Qaïda en Afghanistan. Ils rappellent de « ne pas parler de nos activités et aux
djihadistes de faire attention à leur environnement proche ».
Les services de renseignement occidentaux vont mettre des années à
percevoir cette préoccupation constante des djihadistes. Dans les notes que la
DGSE consacre aux camps d’entraînement qaïdistes durant les mois qui
précèdent le 11 Septembre sont soulignés des éléments comme les cours sur les
produits toxiques ou les stages d’initiation aux explosifs — en résumé,
l’attention est portée sur tout ce qui permet de réaliser un attentat. Jamais sur les
enseignements en matière d’espionnage et de contre-espionnage.
Al-Qaïda a appris à ses dépens que ses membres devaient se méfier de tout
le monde, y compris de leur famille. En 1994, alors que l’organisation terroriste
a ses quartiers à Khartoum, au Soudan, le renseignement égyptien attire deux
garçons de treize ans, le fils du comptable de Ben Laden et celui d’un dignitaire
qaïdiste. Les agents les droguent, puis les sodomisent. Des photos sont prises.
Sous la menace de voir ces clichés divulgués à leurs familles, les enfants sont
contraints de placer des micros dans leurs propres foyers. Deux bombes
destinées à Ayman al-Zawahiri leur sont confiées, mais les attentats sont déjoués
et les enfants espions, appréhendés. Zawahiri instaure un tribunal de la charia.
Plusieurs terroristes s’y opposent, estimant que juger des enfants serait contraire
à l’islam. Mais Zawahiri n’en a cure. Il fait abattre les deux garçons, condamnés
pour sodomie et trahison, filme les aveux et l’exécution, et distribue les bandes
en guise d’avertissement à tous ceux qui envisageraient de le trahir.
L’épisode laisse des traces. Désormais, Al-Qaïda veillera à justifier, à travers
des exemples puisés dans la vie du Prophète, l’espionnage, le contre-espionnage
et l’élimination des « espions des vicieux croisés », y compris quand les taupes
sont de confession musulmane.
* * *
* * *
* * *
* * *
* * *
1. Maison d’hôte.
2. Un explosif.
3. La DShK est une mitrailleuse antiaérienne russe surnommée, du fait de son abréviation, « Douchka », signifiant
« chérie ».
IX
Un taf particulier
Certains n’ont pas besoin de passer par les camps d’entraînement pour
intégrer les forces spéciales. Le 5 juillet 2013, Abdelmalek Tanem, le sniper du
Val-de-Marne, passe un coup de fil à un djihadiste rentré en France. Il lui raconte
qu’avec Mehdi Nemmouche ils ont été sélectionnés pour faire partie « des trois
Français choisis parmi les dix », une troupe d’élite destinée à commettre des
coups tordus. Abou Obeida, le maître espion de l’hôpital ophtalmologique
d’Alep, vient de leur annoncer la nouvelle.
— C’est pour faire quoi ? l’interroge son interlocuteur.
— Assassinat, attraper des gens, tout ça…, détaille Abdelmalek Tanem. Ils
ont pris dix voyageurs, ils les ont choisis, tu vois, genre jeune, sportif, tout ça.
— Ce n’est pas pareil que le front ? Genre : c’est plus des opérations
spéciales ? C’est ça, non ?
— Oui.
* * *
* * *
1. Un djihadiste belge désignera Tyler Vilus comme membre du bataillon Saqr Wahid, une unité d’élite subordonnée au
Jaysh al-Wilayah. L’historien « Historicoblog », les experts du Centre d’analyse du terrorisme et du Geneva Centre for Security
Policy ont été sollicités dans le cadre de cette enquête. Aucun n’a connaissance d’une unité de combattants de l’EI appelée Jaysh
al-Wilayah. L’hypothèse la plus vraisemblable réside dans une erreur de retranscription, le djihadiste belge parlant du Jaysh al-
Khilafa.
X
Fitna, Fitna !
Cela devait être une photo pour l’Histoire. La preuve par l’image d’un Yalta
du djihad francophone.
La lumière du soleil éclaire le salon à l’orientale à travers les persiennes. Les
tapis se superposent. La plupart des invités portent des treillis militaires. On
devine un blessé couché dans le coin droit de l’image, sa jambe dépasse d’une
couverture. Les AK-47 reposent le long des murs ou à même le sol. Nous
sommes bien au sein d’un conciliabule de guerriers. On affiche de grands
sourires. On discute avec son voisin de droite ou de gauche. Parfois avec les
deux. Tout va bien. En apparence.
Hilare, Mourad Farès pianote sur son téléphone portable. Ce Savoyard arrivé
en Syrie il y a à peine un an est devenu l’un des principaux recruteurs français. Il
passe son temps sur les réseaux sociaux et accorde une interview au magazine
VICE. Dans la djihadosphère francophone, il est ce qui se rapproche le plus de la
définition de célébrité.
Nous sommes le 7 décembre 2013 et c’est lui qui est à l’origine de cette
réunion. Avec quelques amis, il s’est déplacé à Hraytan, une commune en
périphérie d’Alep, pour exposer son projet. Son public ? Une dizaine de Français
et des Belges. Dont deux personnages parmi les plus influents dans la
communauté francophone en Syrie, ou du moins les plus actifs sur les réseaux
sociaux : Abou Shaheed, l’un des émirs français de la katibat al-Muhajireen, la
brigade des émigrés, « un gros bonnet de l’État islamique ». Et Tyler Vilus, qui
exerce sur tous son charme et son influence. Quelques mois plus tôt, il a suffi à
Vilus d’un seul coup de fil pour convaincre Mourad Farès de rallier l’État
islamique plutôt que le Jabhat al-Nosra, comme c’était sa première intention. À
l’arrivée de Farès en Syrie, Vilus lui a donné rendez-vous à l’hôpital
ophtalmologique d’Alep. Le Savoyard le rencontre alors pour la première fois au
sous-sol, là où sont emprisonnés les otages occidentaux.
À Hraytan, un combattant immortalise la scène. Il postera la photo de groupe
deux jours plus tard, sur Facebook. Ce qui énervera certains participants à la
réunion, qui ne s’affichent jamais de la sorte « puisqu’ils comptaient, pour
certains en tout cas, rentrer pour commettre des attentats », racontera le
photographe.
Puis viennent les choses sérieuses. Mourad Farès détaille son idée. Il veut
que tous les francophones dispersés dans les diverses brigades de l’État
islamique se réunissent pour former la première « katibat des Français ». En
dehors du giron de l’État islamique. Depuis quelques jours, Farès fait le tour des
popotes, rencontre une cinquantaine de djihadistes pour les convaincre de quitter
l’EI, trop radical à son goût, et leur vendre son rêve.
Mourad Farès veut rattacher sa katibat des Français au Jabhat pour suivre les
recommandations du successeur de Ben Laden. Abou Shaheed, Tyler Vilus et
leurs hommes (au rang desquels figurent Mehdi Nemmouche et Abdelhamid
Abaaoud, tous les deux absents ce jour-là) acquiescent. Ils vont réfléchir, mais
cela semble bien engagé. On se salue, on se quitte bons amis.
Une semaine plus tard, Mourad Farès doit réceptionner dix Strasbourgeois
qui ont prétexté des vacances à Dubaï auprès de leurs familles. Des jeunes,
justement, à propos desquels le Renseignement territorial du Bas-Rhin observe
qu’ils « menaient auparavant pour la plupart une vie normale, avec des loisirs
faits de pratique sportive, sorties en discothèque, et même consommation
d’alcool et de tabac ». L’exemple « le plus frappant » : celui du cadet de la
bande, un certain Foued Mohamed-Aggad, « qui ne pratiquait que peu la
religion » et, un mois avant de partir, serait « devenu agressif dans ses
attitudes », s’enfermant dans sa chambre « pour naviguer sur Internet et écouter
des récitations coraniques ».
Ces Strasbourgeois, Farès veut les prendre en main dès leur arrivée à Alep,
afin d’éviter qu’ils ne prêtent allégeance à l’État islamique. Mais il se fait
doubler par le passeur, qui lui avait pourtant été recommandé par Tyler Vilus.
Lorsque Farès se présente pour rencontrer ses recrues, on lui fait des difficultés.
Et quand il parvient enfin à les voir, il est trop tard. Les Alsaciens se sont
engagés auprès de la Dawla.
Plus rien ne retient alors Mourad Farès au sein de l’État islamique. Il se rend
à Kafr Hamra, dans un entrepôt qui fait office de centre administratif de
l’organisation terroriste, pour annoncer qu’il va rompre son serment
d’allégeance. On lui répond de repasser le lendemain.
Lorsqu’il se présente, méfiant, avec une heure d’avance au rendez-vous au
siège administratif de l’EI, il aperçoit un pick-up dans lequel se trouvent quatre
Français et Belges, ceux-là mêmes à qui il a proposé la semaine dernière, lors de
la réunion secrète, de quitter l’EI.
— Qu’est-ce que vous faites là ? leur demande-t-il.
— On rend visite à une connaissance…
Ils font la conversation, l’air de rien. Mourad Farès aime de moins en moins
ce qui se passe. Il ne le sait pas encore, mais la rencontre, en effet, n’est pas
fortuite. Les Francophones sont venus raconter les propos que Farès leur a tenus
pour les convaincre de quitter l’EI.
Le Savoyard ne peut plus reculer. On l’appelle. Il pénètre seul dans
l’entrepôt.
* * *
Abou al-Athir, le gouverneur d’Alep, accueille Mourad Farès à l’intérieur.
Déboulent des hommes encagoulés et armés. Il ne s’agit pas du tout d’une
entrevue pour régler un problème administratif. Mais d’un procès. Avec pour
juge, selon Farès, l’« émir des services secrets ». Non pas Abou Obeida, mais un
homme encore plus haut placé au sein de l’Amniyat, peut-être le chef suprême,
en tout cas « l’un des dix plus hauts personnages de l’EI ». Ledit émir est
accompagné de Français membres de son service, parmi lesquels Salim
Benghalem.
— Tu as un gros problème avec l’aqida1, l’admoneste l’émir. Cela fait un
moment qu’on est sur toi, qu’on te surveille, qu’on surveille tes propos, tes
comportements. On se demande si tu ne travailles pas pour les services français.
Comment dois-je comprendre qu’après avoir observé le fonctionnement de la
Dawla tu cherches désormais à en partir ?
Mourad Farès bafouille une explication. Il n’est pas entendu.
— Tu es un semeur de troubles ! Tu pousses les autres à vouloir partir !
L’émir de l’Amniyat énumère les différentes visites rendues par Farès et les
siens aux autres groupes de francophones. Farès comprend enfin. Lorsque Abou
Shaheed et Tyler Vilus ont donné leur accord, à la fin de la réunion qu’il avait
organisée pour créer une katibat de Français, il s’agissait en fait d’une ruse. Les
deux hommes se sont empressés de transmettre l’information à l’Amniyat, qui a
instruit un dossier contre lui.
Après le départ de Farès, Tyler Vilus va prendre sous sa coupe le plus jeune
de la bande de Strasbourgeois qu’il a subtilisée au Savoyard : Foued Mohamed-
Aggad, mentionné dans le rapport du Renseignement territorial du Bas-Rhin.
Deux ans plus tard, ce jeune radicalisé achèvera sa carrière de djihadiste au
Bataclan.
1. L’idéologie.
XI
La retraite de Syrie
* * *
* * *
Destination Riverside
La Toyota Hilux avance dans la nuit noire, phares éteints. Les otages
entassés à l’arrière du pick-up, ouvert aux quatre vents, ne distinguent ni la route
ni ce qui se dit dans la cabine entre Najim Laachraoui et son chauffeur. En
revanche, ils perçoivent leur inquiétude.
Ils sont huit à être menottés à l’arrière, dont les Français Édouard Élias,
Didier François, Nicolas Hénin, l’Anglais John Cantlie et l’Américain James
Foley. La vingtaine d’autres otages européens a été jetée à l’intérieur d’un
camion de déménagement bâché, entre des paquets de dattes, des piles de
couvertures, des tonneaux de produits inflammables et des cartons remplis de
détonateurs.
L’EI a chargé Najim Laachraoui d’amener à bon port ses précieux otages
occidentaux. Mais il fait nuit noire. Et dans sa course cahotante sur des pistes
secondaires, le pick-up finit par perdre le camion qui transporte le reste des
otages.
Le Belge de vingt-deux ans n’entend pas décevoir la confiance que l’EI a
placée en lui. Scientifique de formation, il n’était encore qu’un simple lieutenant
six mois plus tôt. Mais celui qui a, selon Nicolas Hénin, « des traits fins qui font
penser à une statue grecque » et « une culture religieuse solide » s’est finalement
substitué à Abou Obeida, affecté ailleurs. Ceinture noire de karaté, Laachraoui a
toujours été très pieux. « Un jour, on avait vu à la télévision que quelqu’un avait
brûlé le Coran aux États-Unis ou au Danemark et Najim avait pleuré toute la
journée », se souvient son père, qui tentera de le raisonner une fois Najim en
Syrie. En vain. « Lorsque je lui demandais de revenir à la maison, il
raccrochait… »
Mais sur la piste du convoi perdu, le jeune Laachraoui ne sait plus où il faut
tourner dans la nuit. C’est là qu’intervient le chauffeur du pick-up. Devant les
otages, celui qui porte des lunettes de vue — chaque jour un modèle différent —
ne s’exprime qu’en arabe. Il a pour kounya Abou Ahmed al-Iraki, ce qui laisse
entendre des origines locales. Mais il cache son jeu. Au moment où le chauffeur
rassure Laachraoui dans l’habitacle, un des journalistes perçoit ses mots : « Ça
va aller, mec, ça va aller. » Abou Ahmed vient de parler en français.
Comme souvent avec les membres de l’Amniyat, les apparences s’avèrent
trompeuses. Abou Ahmed ne serait pas qu’un simple chauffeur. « Je pense qu’il
avait un rôle plus important, estimera le journaliste Didier François. Lorsque
Laachraoui était énervé car il semblait perdu, [lui] était plus calme et semblait
prendre le contrôle de la situation. »
L’otage français ne croit pas si bien dire. Un an et demi plus tard, celui qui
se fait appeler Abou Ahmed al-Iraki pilotera depuis la Syrie les attentats de Paris
et de Bruxelles, au cours desquels Najim Laachraoui, l’artificier du commando,
appliquera à la lettre les instructions de celui qui était son chauffeur.
* * *
Le pick-up se gare dans un champ, à côté d’un village. Après deux jours de
route, tout le monde doit patienter, le temps que le camion des otages et les
autres véhicules qui constituent le convoi arrivent. Des dizaines de 4x4 remplis
d’hommes en armes les rejoignent. Des poids lourds, des berlines, des
camionnettes aussi. Dans le lot, il y a même une ambulance jaune avec conduite
à droite. Par curiosité, un moudjahid l’ouvre. Le nécessaire médical a été
remplacé par sept pains d’explosifs reliés par des fils et fixés tous ensemble par
du scotch. « On m’a expliqué que cela faisait boum et que les explosifs étaient
destinés à être utilisés lors d’un attentat suicide… », dira-t-il. La caravane repart
avec son millier de soldats, ses émirs de l’EI et son ambulance piégée.
Le jour, les camions s’arrêtent en plein désert, le plus loin possible de toute
habitation. Ceux qui n’arrivent pas à dormir s’abîment dans la contemplation du
paysage aride, fait de terre et de cailloux, et de quelques oliviers. Au loin, on
aperçoit des puits de forage. La caravane redémarre au coucher du soleil et
interrompt sa course à l’aube. Une prudence nécessaire : les territoires traversés
sont contrôlés par divers groupes rebelles en guerre avec l’EI. Mais le convoi
bénéficie de la complicité de certains membres de ces mêmes groupes,
probablement des espions infiltrés de l’Amniyat, qui leur remettent des
étendards de leur mouvement pour faciliter le passage de certains check-points.
Dans un des pick-up qui roulent à la queue leu leu, Foued Mohamed-Aggad
et ses amis strasbourgeois tout juste arrivés en Syrie le mois d’avant. Ils font le
voyage à l’arrière, leurs AK-47 pointés vers le ciel. L’un d’eux filme la scène à
l’aide de son téléphone et demande aux passagers :
— Un p’tit mot pour les Français ?
— Les Français, j’ai rien à leur dire ! Restez où vous êtes ! répond l’un des
Alsaciens.
— Faites des manifestations pour les jeunes qui partent en Syrie, propose un
autre.
— C’est Allah qui recrute, s’amuse un troisième.
— Allahû Akbar ! concluent-ils tous en chœur.
Au bout d’une odyssée qui les verra parcourir deux cent cinquante
kilomètres en six jours, le contingent de djihadistes voit poindre, au sortir d’une
autoroute, Raqqa. Une ville de province dans l’est de la Syrie, assez quelconque,
mais devenue la capitale de l’État islamique. Les drapeaux noirs sont de sortie.
Les moudjahidines à l’arrière des pick-up se tiennent droits, gonflent le torse,
comme s’ils revenaient d’une victoire. Les automobilistes raqqaouis les
accueillent avec des coups de feu tirés en l’air. Un signe de bienvenue.
Les djihadistes sont hébergés dans des baraquements ceinturés d’un grillage
à proximité d’une usine de poulets. Un ponte de la Dawla prononce un discours
sur le parking face à cinq cents hommes. La plupart des Français ne
comprennent pas un mot de son arabe dialectal. Ceux qui se sont battus ont droit
à trois jours de perm dans le centre-ville, les autres restent dans leurs
cantonnements. Pendant ces soixante-douze heures, l’EI gère les nouvelles
affectations. L’organisation terroriste est en train de répartir ses forces. Des
Français partent en Irak. La plupart sont envoyés toujours à l’est mais en Syrie, à
Shaddadi.
* * *
Les otages, eux, ne s’arrêtent pas à Raqqa. Le 25 janvier 2014, on les dépose
une dizaine de kilomètres plus loin devant une maison cossue, coincée entre une
piscine et un cimetière sur les rives de l’Euphrate. D’où le surnom qu’ils
donneront à leur nouvelle prison, « Riverside ».
Le lendemain matin, Najim Laachraoui reçoit un par un chaque otage pour
inscrire sur un registre toutes les informations personnelles nécessaires, adresses,
numéros de téléphone des membres de la famille. Il faut relancer le processus de
négociation. Les détenus portent leurs tenues orange. Jusqu’à ce qu’une
épidémie de poux ne contraigne leurs geôliers à leur donner d’autres vêtements.
Fin janvier, les otages ont droit à la visite d’un Levantin au visage rond
portant une grosse montre et plus de bagues qu’il n’a de doigts : c’est le retour
de Number One, le supérieur des Beatles, celui qui a planifié la campagne
d’enlèvements. Abou Ahmed, le chauffeur, l’accompagne, faisant office de
traducteur quand Number One entreprend de disserter sur la religion avec les
Français.
Les Beatles ont suivi leur chef et sont là, eux aussi. Ceux qui ont kidnappé
les journalistes anglo-saxons et l’Italien Federico Motka logent dans un bâtiment
non loin de là. Jihadi John est chargé d’organiser les preuves de vie et les
négociations auprès des familles des détenus. La décision a été prise par Abou
Bakr al-Baghdadi lui-même, sans que l’on sache si les deux hommes se sont
rencontrés.
Quand il a fait ses adieux à ceux qu’il gardait prisonniers dans les sous-sols
de l’hôpital ophtalmologique d’Alep, Abou Obeida a confié aux otages que,
concernant les négociations, « il y avait des hauts et des bas ». Là, tout semble
s’accélérer. Peut-être parce que l’EI a un impérieux besoin de liquidités avant de
partir à la reconquête des territoires perdus. Entre les mois de mars et juin 2014,
quinze otages occidentaux, dont les quatre journalistes français et l’Italien
Motka, seront ainsi libérés pour un montant moyen de plus de deux millions
d’euros, selon les témoignages d’anciens prisonniers et de leurs proches récoltés
par le New York Times. Mais les otages britanniques et américains restent aux
mains des Beatles ; le moral en berne, ils regardent partir leurs compagnons
d’infortune.
* * *
1. Maison.
XIII
Le 28 mars 2014, Tyler Vilus partage sur son compte Facebook un reportage
de BFMTV utilisant une vidéo « volée dans le téléphone [d’un] frère ». « Ils ont
trouvé un beau cadeau, ironise-t-il dans son commentaire. Si vous saviez tout ce
qu’on fait, mdrrr. Ce n’est qu’une petite partie qu’on voit là… Venez nous rendre
visite. » Vilus précise qu’au moment où la vidéo a été tournée il se trouvait « au
bout de la route filmée ».
La scène remonte à un mois plus tôt. Un 4x4 bleu sans plaque
d’immatriculation déboule dans le cadre, s’arrête au niveau de la caméra,
probablement un téléphone. Debout à l’arrière du pick-up, quatre djihadistes
armés. Leurs visages sont floutés, mais pas celui du chauffeur, emmitouflé dans
un gilet en laine épaisse. Il adresse un large sourire à l’objectif. Sous son pakol1,
un nez prononcé et des lèvres charnues.
Abdelhamid Abaaoud ricane.
— Avant on tractait des jet-skis, des quads, des motocross, des grosses
remorques remplies de bagages et de cadeaux pour aller en vacances, lance-t-il.
Avant de désigner de la tête l’arrière du véhicule :
— Tu peux filmer ma nouvelle remorque !
La caméra pivote et l’on découvre, relié au pick-up à l’aide d’un câble en
acier, un enchevêtrement de sept ou huit cadavres. Le 4x4 reprend sa route et
traîne les défunts à travers champs jusqu’à une fosse commune.
Le carnage de Hraytan, le 12 février 2014, a fait une centaine de morts.
L’État islamique est de retour dans la région d’Alep. Sa réponse après la
débandade de janvier se veut impitoyable. Une cinquantaine de Français et de
Belges sont en première ligne. Parmi eux, Abaaoud s’en donne à cœur joie. Et,
dans le sillage de ses mentors français Tyler Vilus et Abou Shaheed, il monte en
grade.
* * *
* * *
* * *
La réalité syrienne se révèle moins glorieuse que les rêves épiques de jeunes
gens au sortir de l’adolescence. La guerre n’a rien de romantique. De retour d’un
combat, un djihadiste s’époumone auprès d’un proche : « Je suis dégoûté, j’ai
tout perdu : mes clés de voiture et de maison ! Elles étaient accrochées à la
ceinture d’explosifs, elles sont tombées… » Un autre combattant pleure un frère
d’armes abattu après s’être « trompé de route » : « Il a pris tout droit, il devait
tourner à droite en face. Les chiens, ils ont tiré quand il était près. Il en a pris une
dans la tête et au ventre. »
Abou Shaheed a beau s’enthousiasmer de ses exploits guerriers sur les
réseaux sociaux, les membres de son groupe ne sont pas convaincus de ses
talents de meneur d’hommes. Une fois à Raqqa, Abaaoud et consorts le lâchent
et sont affectés à une équipe de Libyens, la katibat al-Battar (en référence à
l’épée du prophète). Abou Shaheed, émir déchu, finit par rejoindre lui aussi,
simple soldat, cette katibat.
De nouveau réunis, sous l’étendard d’al-Battar, les francophones qui
obéissaient aux ordres du Varois sont envoyés à la fin du printemps 2014 à Deir
ez-Zor, où l’État islamique et l’armée de Bachar al-Assad se disputent un
aéroport militaire. En soi, Deir ez-Zor n’est qu’une triste ville de béton isolée
derrière un bout de désert. Mais, au-delà de l’aéroport, toujours stratégique, la
région regorge d’exploitations pétrolières. Le conflit qui s’y déroule, selon le
journaliste David Thomson, constitue « la bataille de Stalingrad de l’État
islamique », qui remporte la victoire aux termes d’une boucherie.
Abou Shaheed est l’un des premiers à tomber, le 30 mai 2014, d’une balle en
plein cœur. Deux semaines plus tôt, il avait meublé la maison où il accueillait sa
famille. Il abandonne les premiers rangs du djihad francophone à d’autres.
Le Cannois Rached Riahi est, lui, blessé aux jambes et au dos. Au téléphone,
sa mère se lamente : « Il a une tache provoquée par une bombe et des éclats dans
le corps. » Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, l’armée syrienne
riposte aux attaques djihadistes à Deir ez-Zor par des bombardements et
l’utilisation de gaz de chlore. Les analystes de la DGSI estiment que « les
taches » mentionnées par la mère du Cannois ont pu être occasionnées par du
gaz de chlore ou du gaz moutarde. À la fin de sa convalescence, un mois plus
tard, il est de retour à Deir ez-Zor, où la bataille continue à faire rage. Au
moment où Abdelhamid Abaaoud devient un émir au sein de la katibat al-Battar.
Désormais, cent soixante-dix francophones œuvrent sous ses ordres.
Abaaoud planifie les combats sous la férule de l’émir militaire d’al-Battar, un
vétéran algérien ayant vécu en France. Un homme aussi respecté que discret.
Dans quelques mois, celui-ci soufflera dans l’oreille du futur calife Abou
Bakr al-Baghdadi l’idée de créer un bureau des opérations extérieures au sein de
l’Amniyat. Il sera dédié à la perpétration d’attentats en Europe. Lorsque ce
bureau verra le jour, les anciens d’al-Battar tiendront les premiers rôles.
1. Béret afghan.
2. Un explosif.
XIV
* * *
Dans les territoires contrôlés par l’État islamique, la vie est relativement peu
chère — un poulet coûterait l’équivalent de trois euros. Mais les prix flambent
sur le moindre produit d’importation. Avec quelques compensations pour l’élite
djihadiste. Le facteur allemand servant dans les forces spéciales se souvient
avoir eu droit à de la viande de mouton tous les jours, après la chute de Kobané.
En revanche, les djihadistes ont interdiction de se connecter à Internet ou de
contacter leurs familles : « S’ils nous trouvaient dans un cyber, ils nous mettaient
en prison, témoignera un Français. Ils ne voulaient pas qu’on sorte le soir, il y
avait des couvre-feux, c’était très strict. »
Mais pour Foued Mohamed-Aggad, Samy Amimour, Rached Riahi et le
frère de Réda Bekhaled, ce n’est pas un problème. Ils font probablement eux-
mêmes partie de la police islamique et peuvent tous se prévaloir de l’amitié de
Tyler Vilus, qu’une note d’un service de renseignement présente comme le
référent de l’Amniyat en ville.
* * *
À al-Bab, Salim Benghalem se révèle être, selon la DGSI, « un tortionnaire
sadique » répondant aux surnoms d’Assam al-Jazzar, Azzam le Boucher, et
Dhabbah al-Kafara, l’égorgeur de mécréants… Fin septembre 2014, il devient le
premier Français placé sur une liste désignant les terroristes les plus dangereux
aux yeux du département d’État américain. L’ex-petite frappe de la région
parisienne est, selon les États-Unis, devenu l’un des bourreaux de l’État
islamique en Syrie.
Un échange Skype avec Kahina, son épouse, le 26 juin 2014, donne un
aperçu d’une journée bien remplie selon les critères du shérif d’al-Bab :
— Aujourd’hui, j’ai eu une super journée, on a fait cinq perquis’, se réjouit
celui qui, en France, était un repris de justice. On a arrêté le plus gros vendeur
d’héroïne de la région, on a récupéré de l’héroïne. Ce soir, on doit faire la suite.
— Vous la détruisez ?
— Oui, juste le juge doit la voir [avant que la drogue ne soit brûlée].
— Ah OK, et il y a quoi d’autre ?
— Ensuite, on a coupé la tête d’une personne qui a insulté Allah. Et on a
arrêté une personne qui a aidé une autre à fuir. […] Un coup de sabre et voilà,
plus de tête. Et toi, ta journée ?
— Ah, c’est chaud ! Ça ne te dégoûte pas, au début ? Moi, je ne sais pas,
j’aurais envie de vomir ou de tomber dans les pommes.
— Non, pas du tout.
— Sûr qu’il y a des frères qui ne doivent pas supporter.
— Les frères kiffent, ça se fait en public, s’enthousiasme Salim avant de
conclure : Là, on va aller manger chez un chef d’une tribu.
Le lendemain, Benghalem se vante d’avoir participé à la crucifixion d’un
individu ayant volé un musulman. Le voleur était « un frère [qu’il connaissait]
vraiment », mais qu’importe. « Qu’Allah accepte nos actes », déclare-t-il.
Même son épouse finira par le reconnaître : « Il était devenu insensible à la
mort. » Kahina prend peur. Elle lit le testament de Salim, qui lui enjoint de
prendre soin des enfants. Kahina lui demande pourquoi, s’il voulait mourir, il l’a
épousée. Salim lui répond que « le geste de mourir est plus grand lorsque les
biens terrestres sont plus importants ». Par conséquent, la récompense divine
n’en sera que plus grande.
Dans le ciel, justement, on entend des avions survoler la ville.
* * *
Les exactions commises à Shaddadi ne diffèrent guère de celles qui se
pratiquent à al-Bab. Une vidéo montrerait l’Amniyyin Tyler Vilus en train de
donner des coups de fouet. Un djihadiste lyonnais, qui travaille sous ses ordres
au sein de la police islamique, avoue à un proche qu’il s’est livré à des
exécutions sommaires. Foued Mohamed-Aggad apparaîtrait, lui, sur une vidéo,
en train d’égorger un prisonnier. Un voleur qui aurait tué un enfant se retrouve
crucifié dans le souk de la ville.
Le 11 juin, deux semaines avant que Salim Benghalem n’expose à sa femme
son activité policière, Tyler Vilus poste un message évocateur des pratiques qu’il
considère comme « efficaces » pour faire régner l’ordre : « Lorsqu’on coupe des
têtes rapide, pose la tête sur le dos avant de partir. » Efficace, effectivement. Sur
une photo, on le voit assister au premier rang à une exécution publique. Deux
hommes sont à genoux, les yeux bandés, dans leur tenue orange, des pistolets sur
la nuque. Vilus, spectateur impassible, presque indifférent à la mort qui
s’annonce, apparaît casquette vissée sur la tête et treillis couleur sable, à côté
d’un djihadiste portant une veste du PSG.
* * *
* * *
Tyler Vilus aime trop les armes. Sur Facebook, sa mère affiche son arsenal.
Sept fusils d’assaut, de marques et de calibres divers, adossés au canapé du
salon. Mais il est dangereux de les laisser traîner à la maison. Un jour, Tyler
annonce à sa mère sur Skype : « Au fait, Asma vient de tirer sur Inès ! »
La cohabitation entre ses deux épouses a dégénéré. Mais, à l’en croire, ce ne
serait qu’un accident. « J’ai entendu le coup de feu. La balle est entrée et sortie
sans rien toucher. Même pas de point de suture ! Une qui tombe dans les
pommes, l’autre qui a un trou dans le bras… Bon, elles vont bien quand même. »
Les Amniyyin comme Vilus n’ont aucun mal à prendre une ou plusieurs
épouses. Une convertie reconnaît être tombée sous le charme depuis la France
d’un membre de l’Amniyat qui lui avait montré sa kalachnikov devant sa
webcam. Doctorante en science des religions à l’université de Fribourg,
Géraldine Casutt dialogue, dans le cadre de sa thèse qui leur est consacrée, avec
les femmes qui gravitent dans la mouvance djihadiste. « Il existe une typologie
des maris recherchés, constate-t-elle. Le membre des services secrets, le
bourreau, voilà ce qui constitue pour beaucoup le fantasme. Le djihadiste de
base, ça ne leur suffit pas. Il faut trouver l’homme tellement dangereux qu’il est
craint au sein même de l’EI. Elles nourrissent l’illusion d’être la seule avec
laquelle il serait gentil. Méchant à l’extérieur, un agneau à la maison. » Partager
sa vie et un toit avec un agent secret du califat comporte toutefois certains
risques.
* * *
Raqqa Parano
* * *
* * *
* * *
* * *
On frappe à la porte.
— Qui est là ? demande l’habitant.
— Dawla Islamiya ! répond le membre des forces spéciales de l’autre côté
de la porte, tandis que des hommes encagoulés de noir ceinturent la maison.
Pour interpeller les espions présumés, l’Amniyat convoque les forces
spéciales du califat, et les habitants n’ont d’autre choix que de les suivre.
Certains, parfois, tentent leur chance et essaient de fuir. On leur tire dessus. « La
feuille de route nous ordonnait de seulement les blesser », précisera un Allemand
ayant participé à une quinzaine d’opérations policières de ce type. Quand la cible
est réputée dangereuse, les forces spéciales donnent l’assaut, sans s’annoncer.
Un peu plus loin dans la rue, le délateur — un prisonnier ou un informateur
spontané — patiente sous bonne garde dans une jeep noire.
Le suspect interpellé de gré ou de force est ensuite conduit dans une prison
dans laquelle même les forces spéciales mobilisées pour l’interpellation n’auront
plus le droit de lui adresser la parole. Sur la porte de la prison, on peut lire
« AMNI ».
* * *
* * *
Tandis qu’en place publique on exécute, et que dans les vestiaires on torture,
des vétérans du djihad et de jeunes recrues prometteuses travaillent dans des
appartements discrets à proximité du stade à la réponse que doit apporter l’État
islamique aux bombardements de la coalition internationale. Ils songent à une
série d’attentats.
Deux semaines après que Foued Mohamed-Aggad a été pris pour cible dans
une boulangerie de Raqqa, Tyler Vilus évoque les bombardements sur son
Facebook. « Cette nuit, à 4 heures du matin, le silence a été déchiré par le bruit
de l’apostasie et de la mécréance, de la faiblesse, de la traîtrise et de la lâcheté.
Une odeur nauséabonde. […] Les représentants de la mécréance et leurs alliés
essaient de contrôler le ciel sans penser qu’Allah est plus haut que leurs avions et
que, par Sa grâce, ils continueront de s’écraser. Qu’Allah accepte nos frères
tombés parmi les oiseaux verts du paradis ! »
Le membre du service secret djihadiste appelle à la riposte sur le sol même
de ceux qui mènent les attaques : « Je demande à Allah de me permettre de voir
mes frères et sœurs d’Europe perpétrer des attentats terroristes sur le territoire
européen, ressentir la fierté que nous avait fait ressentir Mohamed Merah. »
1. Premier des cinq piliers de l’islam et profession de foi musulmane : « J’atteste qu’il n’y a de dieu que Dieu et
Mohamed est son Prophète. »
XVII
Toujours très actif sur les réseaux sociaux en cette fin d’été 2014, Tyler Vilus
poste, le 20 août, une vidéo intitulée Message à l’Amérique. Et il la commente :
« Comme j’aime trop notre émir1 [des croyants] ! Qu’Allah le préserve, cette
dernière vidéo est magnifique ! »
Sur les images, on voit l’intervention télévisée de Barack Obama annonçant
le déclenchement des frappes aériennes en Irak. Puis on bascule sur une
séquence en plein désert. Sur une butte, un homme en tenue orange, à genoux.
Debout, à ses côtés, un individu encagoulé de noir, portant un treillis de la même
couleur. Seule la sangle marron de son holster d’épaule détonne.
Un micro-cravate fixé au col de sa tunique, l’homme à genoux prend la
parole pour dire que le gouvernement américain est son véritable assassin. Le
journaliste James Foley, l’un des otages enlevés par les Beatles, s’adresse
maintenant à son frère militaire dans l’US Air Force. Il évoque l’Irak bombardé.
« Je suis mort ce jour-là. Quand tes collègues ont lancé ces bombes sur ces gens,
ils ont signé mon arrêt de mort. »
Plan suivant. Un couteau apparaît dans la main gauche de l’homme en noir,
qui pose sa main droite sur l’épaule de l’otage à genoux. L’homme s’exprime en
anglais avec un accent cockney, menace l’Amérique qui ose s’en prendre à l’État
islamique. Puis, sans précipitation, le bourreau accomplit sa sale besogne.
La vidéo reprend l’imagerie (un homme en noir et une victime en orange,
dans l’immensité du désert) qui, dix ans plus tôt, avait assuré la renommée d’Al-
Qaïda en Mésopotamie (matrice de l’État islamique) et de son leader, Abou
Moussab al-Zarqaoui, surnommé « le cheikh des égorgeurs ». Dans les semaines
qui suivront l’assassinat de James Foley, au moins vingt-sept otages, selon le
décompte des autorités américaines, seront décapités, le plus souvent par le
même Britannique à l’accent cockney : Jihadi John, l’un des trois Beatles.
* * *
* * *
* * *
« Il est mort. Pour nous, il est mort. Cela ne fait aucun doute. »
Printemps 2018, une terrasse, quelque part en Europe. J’ai rendez-vous avec
un membre de sa famille. Abou Obeida al-Maghribi s’appelait, de son vrai nom,
Mohamed Amine Boutahar. Et, comme l’avaient deviné les otages, il était
hollandais d’origine marocaine. Né le 4 avril 1983 à Rabat, Boutahar était le fils
de l’ex-consul du Maroc à Bois-le-Duc2. D’ailleurs, jusqu’à son départ pour la
Syrie le 1er avril 2013, il travaillait lui-même en tant que collaborateur du
consulat à Utrecht. « Cette affaire a plongé le consulat […] dans l’embarras,
commentera le service régional de renseignement du Brabant. Pour les autorités
marocaines, c’est une affaire pénible qu’un […] collaborateur et fils d’un ancien
consul […] combatte actuellement en Syrie. »
La personne rencontrée est formelle : la photo d’un cadavre postée sur les
réseaux sociaux djihadistes censée illustrer l’exécution d’Abou Obeida ne
correspond pas à celui qu’elle désigne par son second prénom : Amine. Pour
autant, il ne saurait être question, selon elle, de remettre sa mort en cause.
D’abord parce que la première femme d’Amine a téléphoné en septembre
2014 à la mère de celui-ci pour lui annoncer : « Notre prochain rendez-vous sera
désormais au paradis. » Ensuite parce que, deux ans plus tard, la veuve a rappelé
pour annoncer : « Au fait, je vais me remarier. » Et que, dans ce laps de temps,
Amine ne s’est jamais manifesté. Pas même auprès de sa mère, « sa confidente,
sa meilleure amie ».
Né après quatre filles, Amine était « le garçon désiré », celui à qui on cède,
on pardonne toutes les foucades, toutes les voitures embouties (il en a eu deux à
son compteur). Aux otages de l’hôpital ophtalmologique et peut-être aux autres
djihadistes, il faisait croire qu’il était ingénieur de formation. Mohamed Amine
Boutahar était en réalité diplômé de l’école buissonnière, n’ayant jamais validé
aucun cursus, même s’il était inscrit dans les meilleures écoles françaises
d’Allemagne puis des Pays-Bas.
Musulmans très pieux « mais modérés », le père barbu et la mère voilée
tiquent quand Amine s’attarde à la mosquée plus que de raison. Cela fait
mauvais genre, estime le père, pour un fils de consul. Amine s’inscrit pourtant
dans une madrassa, une école coranique, à Rabat. Il apprend à lire l’arabe
littéraire, ambitionne de devenir imam. Mais même à la madrassa, où il est pour
une fois assidu, on se moque. On le traite de fils à papa parce que, tous les soirs,
un chauffeur vient le chercher.
De retour aux Pays-Bas, il fait la connaissance d’une psychologue pour
enfants et l’épouse. Ils ont très vite deux premiers enfants. Amine doit se trouver
un emploi.
Le père le pistonne pour intégrer le consulat d’Utrecht. « On a trop de
Boutahar », lui répond-on. Alors le paternel, qui s’apprêtait à être nommé
ambassadeur, accepte de partir en retraite anticipée. Et Amine est embauché. Il
classe les archives, colle des timbres, traîne sa langueur.
Arrive la guerre en Syrie. Durant six mois, il va participer à des
entraînements paramilitaires avec des aspirants djihadistes dans la forêt
d’Utrecht. Après plusieurs séjours « pour faire de l’humanitaire », dit-il, Amine
rejoint le Majlis Shura al-Mujahideen d’Abou al-Athir. Sans sa femme et ses
enfants qu’il a refusé d’amener avec lui. Comme s’il voulait les préserver.
Mais son épouse est têtue. Quand elle apprend qu’il est sur le point de se
marier avec une Syrienne blonde aux yeux bleus, elle part le rejoindre avec les
enfants. Trop tard. Amine se fait désormais appeler Abou Obeida, en référence à
Obeida, le prénom choisi pour le bébé qu’il vient d’avoir avec la Syrienne. Par la
suite, il tentera de nouveau de faire partir sa famille néerlandaise, mais son
épouse s’obstinera à rester à ses côtés.
Des enfants tout sourire en train de déguster des glaces ou de chevaucher des
poneys. Loin de l’image véhiculée par les reportages consacrés à Alep sous les
bombes, Amine envoie au pays des photos riantes. Il appelle tous les deux mois,
depuis un toit, car la connexion est mauvaise. Parlant à sa mère, il prétend faire
office d’imam dans une mosquée. Il lui cache sa réelle activité : diriger une
prison dans les sous-sols d’un hôpital ophtalmologique.
Lui qui, plus jeune, dans la bibliothèque de ses parents, s’absorbait dans la
lecture de Tazmamart cellule 10, le livre d’un survivant du bagne secret dans
lequel le roi Hassan II du Maroc enfermait les auteurs d’un coup d’État, se
retrouve du côté des geôliers qu’autrefois il réprouvait. Début 2014, le ton
toujours si posé d’Abou Obeida se voile de tristesse alors qu’il téléphone à sa
mère : « Ce n’est pas si facile », lui explique-t-il. « On avait l’impression qu’il
n’était plus convaincu du bien-fondé de ce qu’il faisait », m’explique mon
interlocuteur.
Les dernières photos envoyées par son épouse hollandaise montrent les
enfants, habillés de tenues traditionnelles afghanes, en train de jouer avec des
kalachnikovs en plastique. Abou Obeida a-t-il l’impression de revivre les pages
lues de Tazmamart cellule 10 ? Commence-t-il à douter, comme d’autres, du
bien-fondé des exactions commises par l’État islamique ?
Lors de ses auditions, le facteur allemand qui avait intégré les forces
spéciales a raconté les confidences d’un émir canadien désabusé : « Il m’a dit
que, s’il avait su ce qui se passait ici, il ne serait jamais venu. C’était la première
fois que quelqu’un me disait qu’il doutait du système : “Maintenant c’est trop
tard pour moi. J’ai tellement [commis de crimes] que, si je rentre au Canada, je
vais être en prison pour la vie. Je ne peux pas y retourner… ” »
Si Mohamed Amine Boutahar faisait, lui aussi, partie du lot de ces
désenchantés du califat, cela expliquerait qu’il ait pu être recruté par le MI6.
Peut-être a-t-il également été missionné, lui le fils de diplomate, dès l’origine,
pour infiltrer d’abord une madrassa marocaine, ensuite les milieux islamistes
radicaux hollandais et enfin les groupes djihadistes syriens. Peut-être est-il l’un
de ces nombreux héros oubliés de la guerre secrète que se livrent les services de
renseignement occidentaux et l’Amniyat.
Au bout de deux jours d’entretien, j’ai abandonné le membre de la famille
Boutahar à ses interrogations, et moi aux miennes. D’après mon interlocuteur, le
père d’Amine n’a jamais cherché à savoir, n’a jamais posé la moindre question.
Depuis la mort de son fils, celui qui a sacrifié sa carrière de diplomate s’est
refermé sur lui-même. Il vit cloîtré dans sa villa de Rabat, où les onze chambres
ne résonnent plus de rires d’enfants et restent inoccupées. L’une a été aménagée
en studio de peinture pour la mère, une autre en salle de prière pour le père.
2. ’s-Hertogenbosch en néerlandais.
XVIII
La pédagogie de la terreur
* * *
* * *
Dans l’unique café d’al-Bab, un homme aux jambes plâtrées a ses habitudes.
Pendu à son talkie-walkie, il donne ses ordres en arabe. Salim Benghalem a
survécu au bombardement de son commissariat.
Après l’exécution d’Abou Obeida, le Français a fini par accepter le poste de
celui qui fut son mentor. Benghalem chapeaute plusieurs commissariats de la
région. Signe de son importance, il bénéficie de sa propre voiture, un modèle
automatique. Ce qui lui permet, malgré la broche dans sa jambe, d’effectuer de
réguliers allers-retours à Raqqa pour rendre compte à ses supérieurs. Il y va aussi
parce qu’il réalise des missions ponctuelles pour la branche des opérations
extérieures de l’Amniyat. Ce qui l’accapare de plus en plus. Lors d’une fête
organisée à son domicile en l’honneur d’un de ses collaborateurs, Benghalem
confie à un Français de passage qu’il va « prochainement quitter ses fonctions »
à al-Bab.
Toujours à al-Bab, en septembre 2014, deux djihadistes allemands croisent
Abdelhamid Abaaoud et son unité de francophones. Comme en atteste l’un des
Allemands qui a partagé un repas dans un appartement avec le Belge et ses
hommes, dont certains ont des jambes amputées. « Il avait toujours quelque
chose d’intéressant à dire, témoigne-t-il. Lorsqu’il parlait, les gens
l’écoutaient. »
À la même période, le Strasbourgeois Foued Mohamed-Aggad se trouve, lui
aussi, à al-Bab. Il est passé y déposer son épouse, avant de partir « on ne sait pas
où » selon la mère de l’Alsacien.
Abdelhamid Abaaoud, Salim Benghalem, Jihadi John, Najim Laachraoui,
Foued Mohamed-Aggad, Mehdi Nemmouche, Tyler Vilus. Le puzzle est en
place.
Débarrassés de la férule d’Abou Obeida, encouragés par Abou Lôqman, un
Britannique et des francophones s’apprêtent à basculer dans la branche des
opérations extérieures de l’Amniyat. Ils se sont fait les dents dans le contre-
espionnage djihadiste, ils ont abandonné tout respect de la vie humaine dans des
combats sans pitié. Depuis des années, ils ne rêvent que d’une chose : marquer
d’un sceau sanglant leur détestation du mode de vie occidental, celui dans lequel
ils ont grandi. Ils sont prêts à enfin passer à l’acte. Ils n’attendent qu’un ordre.
Celui-ci intervient le 22 septembre 2014. Le porte-parole de l’organisation
terroriste, Abou Mohamed al-Adnani, déclare dans un message audio : « Si vous
pouvez tuer un incroyant américain ou européen — en particulier les méchants et
sales Français […] —, alors comptez sur Allah et tuez-le de n’importe quelle
manière. […] Frappez sa tête avec une pierre, égorgez-le avec un couteau,
écrasez-le avec sa voiture, jetez-le d’un lieu en hauteur, étranglez-le ou
empoisonnez-le. »
1. Son véritable patronyme.
Interlude
Le 17 août 2015
Madame,
Je vous écris pour vous signifier que je ne souhaite plus être auditionné. À la
lecture de cette présente, vous pouvez considérer que vous savez tout sur mes
tribulations djihadistes. […] J’aimerais aussi vous rappeler que j’ai des
informations concernant DAESH mais que, le temps passant, certaines positions
de Dawla ont dû évoluer et je crains que certaines indications deviennent
désuètes. Quoi qu’il en soit, il me reste beaucoup à vous dire et des
renseignements vérifiables. Si toutefois vous vous décidiez à accepter ma
collaboration, je n’accepterai en contrepartie que ma libération et le nécessaire
pour refaire ma vie en Corée ou au Qatar, ce qui est peu au vu des risques
encourus. […] Dans l’attente d’une réponse, je vous prie d’agréer mes
salutations distinguées.
Monsieur Moreau
Seconde partie
9 janvier 2015
1. Plus de trois ans après les faits, celui-ci n’a pas pu être identifié. Les noms d’Abdelhamid Abaaoud, de Salim
Benghalem et d’un proche de Coulibaly ayant rejoint la Syrie une semaine avant la tuerie de l’Hyper Cacher ont été avancés
sans que rien l’établisse judiciairement.
II
Trois jours après l’Hyper Cacher, les « amis1 » attendus en vain par Amedy
Coulibaly perdent patience à quatre cents kilomètres de la porte de Vincennes.
« Pachtoune », un ancien conducteur de tramway de Bruxelles, fait partie de
la cellule de Verviers, une commune-dortoir des environs de Liège. On lui « fait
une surveillance », et ça l’agace. Il a envie d’aller trouver les policiers qui le
suivent « pour leur dire de faire leur boulot correctement ». Surtout, « ça le
retarde de un ou deux jours… »
Le coche parisien étant raté, les terroristes envisagent de s’attaquer à des
commissariats de police sur le territoire belge. L’État islamique mandate la
cellule de Pachtoune, dont les membres sont rompus à la clandestinité et
multiplient les mesures de sécurité. Ils changent régulièrement de véhicules, de
téléphones portables. Pachtoune excelle dans l’art de la « contre-filoche » — en
argot policier, les techniques déployées par les délinquants pour repérer les
surveillances policières. Au volant de sa Renault Mégane de location, il change
parfois subitement d’itinéraire, multiplie les demi-tours intempestifs.
De nombreux djihadistes sont rompus à ces techniques. Durant le procès des
attentats de Toulouse et Montauban, le directeur départemental du renseignement
intérieur à Toulouse dira notamment de Mohamed Merah : « Il vit cloîtré mais
reste d’une vigilance extrême, ouvre les volets pour observer la rue, descend sur
le parking inspecter les véhicules. Il utilise le téléphone de sa mère, privilégie les
cabines téléphoniques. Au volant, Merah use de tous les codes pour casser les
filatures. Dans la répétition des mesures de sécurité, il applique une sorte de
catéchisme appris. Comme tout clandestin, comme tout homme déjà versé dans
la lutte armée. »
* * *
* * *
Abdelhamid Abaaoud a un bon réflexe en cloisonnant son réseau, en isolant
ceux qui sont susceptibles de faire l’objet d’une surveillance policière. Mais il
fait une erreur. Il n’envisage pas que, le problème, c’est lui.
Un analyste de la direction du renseignement de la DGSE a étudié un flot de
communications entre l’Europe et la Syrie, il en a tiré une conviction. Son
service a contacté le parquet de Paris, la DGSI et les autorités belges : Abaaoud
serait en Grèce et animerait une plate-forme de transit de djihadistes. Il est déjà
arrivé que des candidats au djihad rejoignent la Syrie via Athènes. Sauf que là,
prévient la DGSE, « cela va dans l’autre sens » : cette fois, des moudjahidines
rentrent en Europe.
La police belge travaille déjà sur la cellule de Verviers, il s’agit désormais de
localiser Abdelhamid Abaaoud. Son téléphone borne dans un quartier d’Athènes.
Il faut affiner la géolocalisation, trouver où il loge.
Mais, le 15 janvier, le bel ordonnancement de cette enquête internationale est
bousculé. Dans la planque de Verviers, sonorisée par les forces de l’ordre, un
complice surnommé « le Gros » arrive. Avec les deux membres d’al-Battar
envoyés par Abaaoud, on les entend manipuler des armes, envisager de scier un
canon. Les terroristes se gargarisent de leur future action.
— Impossible de ne pas avoir du flic à Molenbeek !
— Je t’en massacre un !
— Ce sera une grosse fête !
L’attentat est imminent, les autorités belges décident d’y couper court. Tout
de suite.
* * *
* * *
1. Les policiers et magistrats français considèrent, sans pouvoir l’établir judiciairement, que les Belges de Verviers
s’apprêtant à passer à l’acte une semaine après l’Hyper Cacher étaient les « amis » qui devaient épauler Amedy Coulibaly dans
son « travail ».
Padre
Tout n’est pas perdu. Les enquêteurs récupèrent, dans le disque dur d’un
ordinateur qu’Abdelhamid Abaaoud a abandonné dans sa fuite, la capture
d’écran d’un dessin montrant un homme aux cheveux longs en train de pousser
un chariot. À côté du chariot, une flèche indique : « BOMBE ». Il s’agit d’un
plan d’attaque de Zaventem, l’aéroport de Bruxelles. Un plan qui sera appliqué à
la lettre un an plus tard, dans ce même aéroport, par des complices d’Abaaoud.
Le matériel informatique saisi permet aussi d’éclairer le rôle d’Abaaoud au
sein de l’organisation terroriste : celui d’un « sous-officier sur le terrain », me
résumera un magistrat français. En tant que tel, il a des comptes à rendre à ses
supérieurs hiérarchiques. Le Belge prend régulièrement contact sur Skype avec
un certain Amirouche, basé à Istanbul, afin de l’informer des avancées du projet
d’attentat de la cellule de Verviers. Abaaoud, qui sur certaines messageries prend
pour pseudo « Mon Fils », évoque également un certain « Padre ». Un jour,
Abaaoud annonce à l’un des deux membres d’al-Battar présents dans la
planque : « Padre, il dit que, dès que vous êtes dix, tu préviens ! »
Huit autres combattants exfiltrés de Syrie devaient rejoindre les deux déjà
logés à Verviers…
Padre et Amirouche sont les pseudos des véritables commanditaires de
l’attentat déjoué de Verviers. Abdelhamid Abaaoud n’est que leur relais sur le
terrain. Et, comme vont bientôt le découvrir les services de renseignement
occidentaux, les deux hommes ne sont pas de jeunes écervelés partis en Syrie au
sortir de l’adolescence, mais des quadragénaires vétérans du djihad algérien,
rompus, depuis vingt ans, à la clandestinité.
En attendant, les policiers belges interrogent les proches des terroristes. Le
28 février, ils entendent un vieux copain du coordinateur de la cellule de
Verviers.
— Connaissez-vous le dénommé Abdelhamid Abaaoud ?
— Oui, c’est un chouette gars. Je le connais depuis plus de dix ans. À
l’époque, c’était un bon ami. Je traînais tout le temps avec. C’est un gars du
quartier. Mais avec qui j’avais plus d’affinités.
— Saviez-vous qu’il allait partir en Syrie ?
— Je ne sais pas comment l’expliquer, mais on s’est perdus de vue avec les
années. Mais j’avais un pressentiment, car la prison, selon moi, l’avait changé.
— Avez-vous déjà parlé de djihad avec Abdelhamid Abaaoud ?
— Non, jamais.
— Que pensez-vous d’Abdelhamid Abaaoud ?
— En dehors du djihad, c’est quelqu’un de bien. Maintenant, je ne tolère pas
ce qu’il fait.
À l’issue de son audition, le témoin signe son procès-verbal.
Salah Abdeslam.
IV
Le classeur vert
Comme on le lui a appris, l’apprenti terroriste chiffre une première fois son
message, puis une seconde, avant d’envoyer sa production sur une boîte de
stockage : « J’aurais besoin de quelques réponses pour le bon déroulement,
inch’Allâh ! […] J’aurais besoin que le frère me ramène une arme que je dois
garder avec beaucoup de balles (je ne veux pas être une cible facile)… »
Et, pour se rassurer, il souhaiterait qu’« Abou Omar1 ou Amirouche restent
en contact permanent avec [lui] ».
Le jeune homme a rencontré Abaaoud, Amirouche et un certain Abou
Mouthana au cours de deux séjours en Turquie en octobre 2014 et début février
2015. Lors de la seconde rencontre, Mouthana le mandate pour commettre un
attentat contre la gare de Villepinte.
De retour dans l’Hexagone, l’apprenti terroriste va repérer les lieux. Mais le
projet initial est vite écarté. « Pour la station du RER, je suis parti une fois il y a
deux ou trois semaines. Le matin, je suis resté jusqu’à 8 h 45 et, la plupart,
c’était des Arabes », indique-t-il dans un message.
Abou Mouthana le relance : « Salam mon frère, j’espère que tu vas bien.
Nous, ça va, mais ici on traverse une période difficile, on a besoin de quelque
chose pour nous soulager. Il faut travailler par la volonté d’Allah. Essaye de
trouver une bonne église avec du monde et aussi regarde pour que tu puisses
repartir rapidement et facilement. Quand tu auras trouvé, fais-moi signe pour que
je t’explique la suite. »
L’apprenti terroriste est encore hésitant. « C’est difficile, akhy2, pour repartir.
Les bonnes églises ou paroisses sont toutes près d’un commissariat ou d’une
gendarmerie et l’église, ça prend plus de temps pour les tuer… »
Puisqu’il rechigne à passer à l’action, les commanditaires le délaissent, ne
répondent plus à ses mails. Alors, l’apprenti terroriste panique : « Je t’en supplie,
mon frère, réponds-moi ! Où est Abou Mouthana ? Qu’est-ce qui lui arrive ? Il
m’a fixé un rendez-vous depuis déjà une semaine et il n’est plus apparu… »
Abou Mouthana finit par reprendre contact avec lui. Après avoir eu peur
d’être abandonné, le jeune djihadiste donne désormais des gages de bonne
volonté. Il propose de s’en prendre à la basilique du Sacré-Cœur, il a même des
conseils à donner aux « frères qui vont taper en même temps » que lui. Par
exemple, un train dans lequel ils peuvent « tuer au minimum 160 personnes, au
max 400, cette opération demandera deux frères, pas plus ». Mais ses
commanditaires n’en démordent pas. Cela doit être un lieu de culte anonyme.
Alors, le dimanche 12 avril 2015, l’apprenti terroriste s’en va repérer l’église
Sainte-Thérèse à Villejuif, dans le Val-de-Marne.
Deux jours plus tard, Abou Mouthana lui envoie un message chiffré
détaillant ses instructions pour récupérer, sur un parking d’Aulnay-sous-Bois, les
gilets pare-balles et les armes cachés dans une voiture volée : « OK, akhy,
maintenant fais bien attention : tu vas trouver dans cette rue une sandwicherie
qui est dans un angle, ça s’appelle Atmosphère, je crois. Une fois que tu as
trouvé la sandwicherie, tu traverses la grande route et tu vas juste en face, tu vas
trouver une cité. Tu rentres à l’intérieur, tu vas trouver des places pour garer les
voitures, normalement il y a un terrain de foot. Tu regardes parmi les voitures
qui sont garées là, proches de la grande route et tu cherches une Renault
Mégane, soit le dernier modèle, soit le modèle juste avant. Une fois que tu as
trouvé la voiture, tu regardes sur la roue avant droite, tu vas trouver les clés
posées dessus. Dès que tu as les clés, tu ouvres, tu récupères le sac et tu vas le
ranger dans ta voiture. »
Le samedi 18 avril, le jeune djihadiste fait un dernier repérage devant
l’église Sainte-Thérèse de Villejuif. Le lendemain matin, il esquive les caméras
de vidéosurveillance à la sortie de son domicile, monte dans sa voiture et
s’apprête à passer à l’acte.
* * *
2. « Frère ».
3. Après avoir indiqué au Samu avoir été victime d’une agression, Sid-Ahmed Ghlam est revenu sur ses déclarations en
garde à vue.
Protocole fantôme
* * *
* * *
Sur l’unique photo que les services de renseignement ont de lui, l’homme a
l’air de sortir à peine de l’adolescence, arbore une barbe de trois jours, les
cheveux sagement coiffés. C’est Monsieur Tout-le-Monde.
* * *
1. Groupe islamique armé, organisation terroriste qui cherchait à renverser le gouvernement algérien dans les années
1990 et au début des années 2000.
VI
28 juillet 2014. Cela fait deux mois que Nemmouche croupit dans une
cellule du quartier d’isolement de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy. Sur le point
d’être extradé vers la Belgique, le numéro d’écrou 84972 s’ennuie dans sa
cellule jusqu’à ce qu’un détenu, alors en cour de promenade, se colle contre le
mur, au pied du bâtiment. Le taulard, incarcéré pour être allé combattre en Syrie,
entame avec Nemmouche une très longue conversation.
Les deux détenus, qui ont pour ami commun Salim Benghalem, ignorent
qu’un surveillant écoute à la porte de la cellule du terroriste et retranscrit leurs
propos. Son résumé finira dans un rapport de l’administration pénitentiaire, signé
de la main du directeur de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy.
Au cours de cette conversation très écoutée, Mehdi Nemmouche raconte
comment il a détecté la surveillance policière dont il aurait fait l’objet en
feuilletant… le Guide du routard.
Flash-back. Après son séjour d’une année en Syrie et un passage en Turquie,
Nemmouche s’envole le 21 février 2014 pour la Malaisie. Il y séjourne un mois
et demi, effectuant de courtes escales à Singapour et à Bangkok, avant d’atterrir
à Francfort et de se perdre dans la nature jusqu’à la tuerie du Musée juif.
Depuis sa cellule, Mehdi Nemmouche narre par le menu à son auditeur un
épisode de son périple à Singapour. Il y a rencontré « un Japonais » — le
terroriste désigne là un Asiatique francophone — qui l’aurait, selon ses dires,
« roulé ». Le Japonais, soi-disant un étudiant en médecine âgé de vingt et un ans,
l’invite à passer la soirée au casino.
Là, il se serait montré insistant. D’abord pour regarder le passeport de
Nemmouche, au prétexte qu’il n’en a jamais vu de français. Le terroriste
obtempère, tout en prenant soin de masquer son identité. Ensuite, le Japonais
l’interroge sur les visas algériens, libanais et turcs tamponnés dessus, lui
demandant ce qu’il est allé faire dans ces pays. Nemmouche prétend être un
commerçant dans le textile et se rendre là où les tissus sont le moins chers.
Face à ces questions, l’ancien braqueur de supérettes reconverti en terroriste
a alors le sentiment d’avoir été piégé par un policier. Aussi, lorsqu’en fin de
soirée le Japonais cherche un moyen de rester en contact, Nemmouche lui refile
une fausse adresse mail, avec la ferme intention de ne plus jamais revoir
l’étudiant en médecine trop intrusif.
Le lendemain, le djihadiste, en train de prendre en photo une des plus belles
mosquées de Singapour, se retrouve nez à nez avec le Japonais. Interloqué,
Nemmouche lui demande ce qu’il fait là, l’Asiatique répond que la mosquée
figure parmi les monuments recommandés par le Guide du routard. Nemmouche
va vérifier, il se procure un exemplaire du Routard consacré à Singapour : c’est
faux, la mosquée en question ne figure pas dans les pages du guide touristique…
L’histoire de l’étudiant en médecine fait penser à une légende mal fagotée
d’un espion pas très discret. Touriste solitaire et suspect, Mehdi Nemmouche a-t-
il fait l’objet d’une filature de l’Internal Security Department (ISD), les services
de renseignement intérieur de Singapour ? Ou a-t-il été pris en charge par des
services occidentaux en tant que djihadiste connu et répertorié1 ? Son identité
avait-elle été donnée par la taupe Abou Obeida ?
Nemmouche est en tout cas persuadé d’avoir démasqué un agent secret.
Après avoir pris ses distances avec ledit étudiant, il rallie l’Europe et commet
son attentat.
* * *
* * *
* * *
Sur le point d’entamer son périple asiatique qui devait le conduire incognito
jusqu’au Musée juif de Bruxelles, Nemmouche a téléphoné durant vingt-quatre
minutes à Abaaoud, comme le feront plus tard les membres de la cellule de
Verviers.
Et puis il y a cette écoute téléphonique, le 5 juillet 2013, au cours de laquelle
Abdelmalek Tanem2, le garde du corps d’Abou Obeida, annonce à un ami en
France, concernant Nemmouche toujours en Syrie à ce moment-là :
« Finalement, son truc, il est retardé à largement plus tard. Tu vois ? »
À l’autre bout du fil, l’interlocuteur s’inquiète : le retour de Nemmouche en
Europe pour commettre « son truc » semble compromis. Le principal intéressé
s’invite dans la conversation en prenant le téléphone des mains du garde du
corps. « Tout ce que je t’ai dit, quasiment tout, c’est auto-annulé, explique
Nemmouche. Tout ce dont on avait parlé, il n’y a pas réellement de date, tu
vois. »
Mehdi Nemmouche devra effectivement patienter plusieurs mois avant
d’obtenir la permission de commettre son attentat en Europe.
Toujours en ce mois de juillet 2013, une conversation entre Tanem et un
autre islamiste resté en France laisse entendre que le projet de renvoyer des
moudjahidines en Europe est validé par les plus hautes autorités de
l’organisation terroriste. Le garde du corps demande à son ami s’il connaît
quelqu’un qui fait des faux passeports. L’ami lui répond que « c’est coûtant »,
cinq mille euros… Tanem se moque du prix : « Ce n’est pas grave, c’est un ordre
de l’émir des croyants ! »
Abou Bakr al-Baghdadi. Le chef suprême de l’État islamique. Le futur
calife.
On est en plein cœur de l’été 2013. Ces djihadistes français, ceux que l’on
retrouve geôliers des otages occidentaux à l’hôpital ophtalmologique d’Alep,
peinent alors à joindre les deux bouts. Mais, dès lors que l’on agit sur ordre de
l’émir des croyants, payer cinq mille euros pièce n’est pas un problème.
Dans le même registre, l’ex-otage Federico Motka racontera, lors de son
audition par les carabiniers italiens, qu’un interrogateur de la Dawla posait plein
de questions sur les réfugiés qui demandaient l’asile politique en Europe,
cherchant à savoir comment fonctionnait la procédure. Ainsi, un an avant le
début des bombardements de la coalition, un an avant que le porte-parole Al-
Adnani ne menace l’Occident, l’État islamique se renseignait déjà sur la façon
dont il pourrait faire passer les frontières à ses tueurs.
Enfin, de retour en France, Mourad Farès, ce Savoyard dissident de l’EI,
rapportera une entrevue avec un Saoudien chargé de recruter, de former et de
renvoyer chez eux des moudjahidines étrangers en vue de constituer des cellules
dormantes prêtes à commettre des attentats. Le Saoudien lui aurait ordonné de ne
parler à personne de ce « projet secret ». On est à l’automne 2013.
1. Deux services français disposent d’une antenne à Singapour : la DGSE, les services secrets extérieurs, et la Direction
de la coopération internationale (DCI), l’organe rattaché au ministère de l’Intérieur, gérant les officiers de liaison de la police
française dans les ambassades à l’étranger. Jointe, la DGSE, comme à son habitude, refuse de commenter une éventuelle
opération extérieure. Cependant, un connaisseur du dossier assure que « la DGSE n’a rien à voir avec ça et, de toute manière, la
scène décrite par Mehdi Nemmouche ne correspond pas aux modes opératoires d’approche ». La DCI, elle, fait valoir que ce ne
sont « ni ses méthodes ni son métier ». Contacté par l’intermédiaire de l’ambassade, le porte-parole du ministère de l’Intérieur
de Singapour nous fait savoir qu’il « s’abstient de tout commentaire sur le sujet […] évoqué ».
2. Voir première partie, chapitre VIII, « C’est pas le Club Med, ici ! »
VII
C’est une petite échoppe ayant pignon sur rue, juste en face du tribunal
islamique de Raqqa. Chez Abou Sayf, spécialité cuisine marocaine. Aux
fourneaux, un Nantais d’origine coréenne. Nicolas Moreau fait tourner sa
boutique malgré les aléas de la guerre.
Conséquence des bombardements, le store ne ferme plus. Les coupures
d’électricité sont fréquentes. Les panneaux publicitaires commandés ne seront
jamais livrés et le petit personnel ne brille pas par sa compétence.
Il faut croire que ce qui se trouve dans l’assiette est bon, car les djihadistes
s’entassent dans l’échoppe. Des Saoudiens, des Américains, des Anglais. Et
surtout des Français et un Belge.
Abdelhamid Abaaoud vient manger tous les jours chez Moreau, la nourriture
lui rappelle la vallée du Souss d’où est originaire sa famille au Maroc. Parfois, il
vient avec deux Tunisiens « dont l’un parlant très bien le français ». Les deux
hommes sont chargés d’envoyer des clandestins « pour attaquer la Belgique,
voire la France », à en croire Moreau lorsqu’il se confiera à la DGSI. Nicolas
Moreau évite de préciser s’il connaît l’identité des individus qui accompagnent
Abaaoud. Mais sa description du Tunisien parlant le français ressemble à s’y
méprendre à celle qu’il fera d’un autre client de son restaurant, un homme qui se
déplace dans un véhicule réservé selon lui aux seuls émirs de l’EI. Une Kia
blanche.
* * *
Autrefois, le propriétaire du véhicule était plutôt beau garçon. Avec ses traits
fins, ses cheveux en arrière et sa barbe noire, il faisait penser à Che Guevara.
Aujourd’hui, celui qui descend de sa Kia blanche s’est épaissi, sa chevelure a
cédé la place à une calvitie. Court sur pattes, il impressionne néanmoins
toujours. Les muscles n’ont pas disparu derrière l’embonpoint naissant. Au
contraire, plus le temps passe, plus il est râblé.
« Il fait très peur, il est vraiment impressionnant, confiera l’épouse d’un
djihadiste au journaliste David Thomson. Il doit peser cent dix kilos, mais ce
n’est que du muscle. »
Un consultant en informatique un temps tenté par le djihad se souviendra de
ce terroriste « figurant dans la top list du FBI », qui s’arrête en voiture devant les
cafés, commande une boisson chaude et repart aussitôt servi, ne consommant
jamais sur place.
Son visage ne passe pas inaperçu.
« Tout le monde parle de lui comme si c’était je ne sais pas qui, poursuivra
l’épouse de djihadiste. C’est un exemple. Ils savent qu’il a fait des opérations
importantes. »
La propagande de l’EI le met en avant. Dans une vidéo, il a menacé la
Tunisie. Dans un magazine, il a menacé la France.
À Raqqa, tout le monde connaît Boubakeur el-Hakim.
* * *
Né le 1er août 1983 à Paris, le petit Boubakeur est un enfant des Buttes-
Chaumont, ce quartier du XIXe arrondissement niché sur les flancs d’une
colline. À lui seul, il se retrouve à l’origine de la filière ayant hérité du nom du
quartier, au sein de laquelle on retrouvera impliqué Chérif Kouachi et inquiété
son frère Saïd, les futurs auteurs du massacre de Charlie Hebdo. Dans cette
bande de copains d’enfance qui se radicalise, El-Hakim est le petit dernier, il a
un an de moins que les autres.
Et pourtant c’est lui qui part le premier. Dès 2003, ce vendeur chez
Monoprix se rend en Irak, alors que le pays est sur le point d’être envahi par les
États-Unis. Lorsqu’un journaliste de LCI visite un camp d’entraînement de la
légion étrangère de Saddam Hussein, Boubakeur, tout juste âgé de vingt ans,
vêtu d’une veste militaire de l’armée irakienne et coiffé d’un béret, défie les
États-Unis : « Je viens de France, on va tuer les Américains ! On va tuer tout le
monde, nous ! Allahû Akbar ! »
À Falloujah, le fief d’Abou Moussab al-Zarqaoui, le sanguinaire chef d’Al-
Qaïda en Mésopotamie, Boubakeur el-Hakim supervise les différents groupes de
volontaires français et tunisiens. Dans une note qu’elle lui consacre le 26 mai
2005, la DST, l’ancêtre de la DGSI, relevait déjà qu’il connaissait beaucoup de
monde en Syrie et franchissait aisément la frontière irakienne.
El-Hakim pose des mines de quatre-vingts kilos enfouies dans le sol, qu’il
déclenche au passage de convois américains. Il reçoit les félicitations d’un imam
radical de Falloujah, le cheikh Abdullah al-Janabi, qui, dix ans plus tard, sera un
des prédicateurs les plus appréciés de l’État islamique.
Sa détermination ne peut pas être remise en doute. Il a été élevé dans cette
optique. Lorsque son propre frère, qu’il avait convaincu de le rejoindre, est tué
dans des bombardements américains en 2004, leur mère téléphone au domicile
d’un autre membre de la filière des Buttes-Chaumont et s’enthousiasme :
« Bonne nouvelle : mon fils est mort en martyr ! »
Une autre fois, elle a prédit : « Mes enfants sont destinés à cela. »
* * *
* * *
* * *
Une fois leur déjeuner avalé dans le restaurant de Nicolas Moreau,
Abdelhamid Abaaoud et son supérieur hiérarchique, Boubakeur el-Hakim,
retournent à leur bureau. Un bureau spécial et très confidentiel.
Entendue en avril 2015, l’épouse du repenti précité avouera : « Ils ont la
haine contre la France, la France est devenue pire que les États-Unis. Je sais
qu’ils vont attaquer la France, mais je ne sais pas quand, ni où, ni comment. »
VIII
* * *
Au courant du rôle joué par cet Abou Ahmed au sein des services secrets
djihadistes, mais ne l’ayant pas encore identifié, la DGSI produit, le 12 janvier
2015, trois photos correspondant à des djihadistes français ayant pour kounya
Abou Ahmed et les présente aux ex-otages français. En vain. Le contre-
espionnage n’a pas envisagé que l’individu puisse être belge et n’a pas inclus
Oussama Atar.
Quelques semaines plus tard, lors de ses communications avec Abdelnasser
Benyoucef, l’étudiant Sid-Ahmed Ghlam, en train de préparer son attentat de
Villejuif, s’enquiert des frères voulant rejoindre la Syrie mais n’ayant ni
passeport ni argent. « Je pense qu’Abou Ahmed t’en a déjà parlé, aidez-les »,
demande-t-il.
Abdelnasser Benyoucef et Oussama Atar réunis dans un même message…
Les deux terroristes s’apprécient, de même que Boubakeur el-Hakim, « un grand
ami » de l’Algérien Benyoucef, selon un Français les ayant croisés tous les deux.
Avec Samir Nouad, l’ancien des GIA, ces quatre hommes font tourner le bureau
des attentats.
Benyoucef en a eu l’idée, Atar le dirige, El-Hakim chapeaute les projets
d’attaques visant l’Europe et le Maghreb tandis que Nouad apporte son savoir-
faire en matière de logistique. Du moins, en théorie. L’organisation du bureau
évolue au gré des éliminations de certains de ses cadres, de la promotion des
autres.
« On n’arrivera jamais à établir judiciairement qui fait quoi, m’avouera un
magistrat. C’est une structure mutualisée avec quatre ou cinq vétérans en
responsabilité qui se repassent les dossiers d’attentat, en fonction de leurs
emplois du temps respectifs. »
Comme dans n’importe quel bureau, dans n’importe quelle entreprise.
Devant le juge d’instruction menant l’enquête sur les attentats du 13
Novembre, Bernard Bajolet, alors patron de la DGSE, évoquera « un processus
itératif dont les acteurs subordonnés peuvent changer d’un projet à l’autre ».
Malgré la masse des djihadistes menaçant la France et ses alliés, ceux qui
organisent depuis la Syrie les attentats en Europe constituent un tout petit noyau.
Dans une note transmise à l’automne 2016 à l’Élysée, les services de
renseignement soulignent qu’« entre janvier 2015 et avril 2016 Abdelnasser
Benyoucef, Boubakeur el-Hakim et Samir Nouad sont tous apparus impliqués
dans les projets planifiés depuis la zone syro-irakienne ayant visé l’Europe ».
Pour réaliser leurs sinistres desseins, ces vétérans s’appuient sur la jeune
génération, ceux qui ont fait leurs armes dans les environs de l’hôpital
ophtalmologique d’Alep et qui, ensuite, ont officié sous les ordres d’Abou
Lôqman, le nouveau chef de l’Amniyat.
Il y a ceux que la DGSE qualifie de « managers opérationnels », chargés de
la formation des futurs terroristes et de leur suivi une fois qu’ils seront sur le
terrain. Au premier rang de ces « managers » : les Belges Abdelhamid Abaaoud
et Najim Laachraoui, le Britannique Jihadi John et le Français Salim Benghalem,
de plus en plus sollicité par le bureau des opérations extérieures, où il a ses
entrées.
Parmi les petites mains du bureau, il y a également GTA Gourmat, le livreur
de pizzas de Malakoff, qui rêvait « de tuer tout ce qui bouge », mais aussi
plusieurs jeunes venus de Trappes qui devaient participer au commando de
Verviers, mais n’avaient pas réussi à rallier la Belgique. L’un d’eux est
surnommé « Lassana Diarra » à cause de sa ressemblance avec le joueur de foot.
Le Strasbourgeois Foued Mohamed-Aggad fréquente la bande. De même que
Maxime Hauchard. Après avoir survécu à l’enquête de personnalité menée
auprès des siens en Normandie, Hauchard a été remarqué lors de sa participation
à un camp d’entraînement par Abdelhamid Abaaoud et Jihadi John. Maintenant,
il fait office de garde du corps pour les plus hauts dignitaires du califat et
fréquente Boubakeur el-Hakim et GTA Gourmat. Il finit par intégrer l’Amniyat
et son bureau des opérations extérieures.
* * *
1. Détachement sécuritaire.
2. Dans l’univers du renseignement, l’officier traitant ou « OT » désigne un membre d’un service secret chargé de diriger
un ou plusieurs agents œuvrant clandestinement à l’étranger.
* * *
* * *
* * *
3. Au cours du procès devant la cour d’assises spéciale de Paris, Me Antoine Vey, un des avocats d’Abdelkader Merah, a
plaidé que son client « a depuis toujours l’envie de tout lire — TOUT LIRE — quand cela concerne la religion ».
4. Antonio Ferrara, le roi de la belle, avec Brendan Kemmet, Éditions du Cherche Midi, 2008 et 2012.
X
À la table du calife
1. Jusqu’ici, les médias présentaient cet artificier sous son identité d’emprunt d’Ahmad Alkhald. Sa véritable identité est
Obeida Walid Dibo et sa kounya Abou Mahmoud al-Chami.
XI
* * *
DGSE — CONFIDENTIEL DÉFENSE — Le 19 février 2016
— No 83645 — LA CHAÎNE DÉCISIONNELLE DE
PROJECTION DE LA MENACE DE L’ÉTAT ISLAMIQUE
Les enseignements tirés des récents attentats perpétrés hors du
Levant par 1’État islamique (EI) ont permis de valider
l’existence d’une chaîne décisionnelle structurée, responsable
des opérations extérieures de l’organisation terroriste.
Les points communs entre les dernières opérations extérieures
permettent d’apporter des éclairages sur la chaîne décisionnelle
de ces attentats :
— lien de commandite impliquant le haut commandement de
l’organisation ;
— existence d’échelons de supervision opérationnelle ;
— centralisation de la planification des opérations.
La multiplication et la professionnalisation des projets
opérationnels de l’État islamique résultent de la consolidation
progressive de l’ossature formée par les cadres intermédiaires
de l’organisation.
* * *
La sœur de l’émir
* * *
D’un an son aînée, Khadija a toujours entretenu des relations orageuses avec
le terroriste. Le chat et la souris, en pire. Bien au-delà des classiques querelles
entre frère et sœur. Durant leur jeunesse aux Buttes-Chaumont, Khadija était la
seule de la famille à résister à l’emprise du jeune Boubakeur, en train de se
radicaliser. Il ne supportait pas sa façon de s’habiller, son addiction à la cigarette.
Alors il la frappait. L’adolescente enchaînait les mains courantes au
commissariat, demandait à être placée en famille d’accueil, sa mère refusait.
Lorsque Boubakeur cognait Khadija, leur mère criait sur les deux adolescents —
lui pour qu’il arrête, elle parce qu’elle l’avait bien cherché —, puis s’isolait pour
prier.
Durant l’incarcération d’El-Hakim, de retour d’Irak, sa sœur passe sept ans à
faire des allers-retours en prison. Il lui impose de venir à trois parloirs par
semaine. Il est trimballé dans différentes prisons, au gré des incidents qu’il y
provoque. Elle le suit dans son tour de France carcéral. Durant les parloirs, El-
Hakim lui parle de cuisine, de ménage. De tout et de rien. « Des discussions
auxquelles on ne s’attend pas avec lui. J’aurais aimé qu’il reste comme ça… »,
regrettera-t-elle.
Une fois libéré, il recommence à la frapper. Puis El-Hakim s’en va vivre sa
vie de terroriste, d’abord en Tunisie, ensuite en Syrie.
Khadija s’imagine en avoir fini avec lui jusqu’à ce que sa mère lui propose
un séjour en Algérie. On est en février 2015, le massacre de Charlie Hebdo
commis par les frères Kouachi a remis la filière des Buttes-Chaumont et sa
figure tutélaire, Boubakeur el-Hakim, sur le devant de la scène. La mère a besoin
de vacances mais, après deux jours passés en Algérie, elle veut rallier la Turquie.
À leur descente d’avion, Khadija, sa mère et sa fille sont prises en main par des
individus. S’ensuit un périple à travers la Turquie et diverses planques de l’EI.
Sa mère lui explique que Boubakeur a été blessé lors d’un combat. « Je vais voir
ton frère ! Maintenant, soit tu viens avec moi, soit tu ne viens pas… »
Khadija ne veut pas la suivre. Un membre de l’escorte lui explique qu’elle
est libre de rebrousser chemin, mais que sa fille, elle, restera avec eux. Khadija
demande à parler à Boubakeur, on lui apporte un talkie-walkie.
« J’ai demandé pour quelles raisons il m’enlevait ma fille. Il m’a répondu
que, si ma mère m’avait dit où elle allait, je ne serais jamais venue avec elle. Ma
mère n’aurait jamais fait le voyage seule et Boubakeur la voulait auprès de lui.
Quant à ma fille, pour lui, elle était la propriété de l’État islamique, c’était un
objet. Je ne pouvais rien négocier. »
Alors, une fois de plus, Khadija obéit à son petit frère. Elle entre en Syrie et
retrouve l’émir à la Kia blanche soi-disant blessé. Il se porte comme un charme.
El-Hakim a tout programmé, sa sœur doit épouser un de ses bons amis,
l’émir des ghanimas1, l’homme chargé de la redistribution du butin après une
nouvelle conquête de l’EI. Un poste envié. Mais Khadija refuse
« catégoriquement ». Alors elle passe ses journées chez El-Hakim avec sa mère
et sa fille. La maison est encore en construction, très humide, un seul étage est
terminé. Une cuisine américaine donne sur un petit salon où Khadija dort en
compagnie de sa mère et de sa fille. Boubakeur et sa nouvelle femme occupent
la chambre.
L’émir à la Kia blanche n’est jamais là. Il part tôt et rentre tard. Il a de hautes
responsabilités. Tant et si bien que, lorsque le petit frère de Khadija et
Boubakeur, lui aussi djihadiste, lui aussi en Syrie, enfile par mégarde la veste et
le pantalon de treillis d’El-Hakim, il est prié de rentrer dare-dare à la maison. On
ne porte pas inopinément la tenue d’un émir de l’Amniyat.
Les soirées télé chez les El-Hakim sont monotones. Boubakeur branche une
clé USB sur son ordinateur et commente les dernières vidéos de décapitation.
Tous les soirs. Sa mère, sa femme et sa sœur doivent assister au macabre
spectacle. Khadija ne le supporte pas.
« Il faut que tu t’endurcisses ! Tu devrais assister à une exécution en vrai »,
préconise-t-il.
Un jour, Khadija retrouve sa fille livide, tremblant de la tête aux pieds. Elle
lui demande ce qui se passe. La petite lui répond qu’elle ne veut plus voir ça.
Arrive El-Hakim, fier de lui. « Ta fille est une peureuse. Elle est irrécupérable,
comme sa mère… »
L’enfant regarde, terrorisée, l’ordinateur éteint. Son oncle vient de lui
montrer une vidéo de décapitation. Elle a quatre ans.
C’en est trop. Khadija décide de fuir le califat durant le sommeil de son
frère. Ce sera, on l’a vu, un échec.
* * *
Dans la voiture qui ramène Khadija et sa fille à Raqqa après leur tentative
d’évasion, Boubakeur el-Hakim ne pipe mot.
De retour à la maison ce 17 juin 2015, premier jour du ramadan, El-Hakim
demande à tout le monde de sortir. Le terroriste reste seul avec sa femme et sa
sœur.
« Qu’est-ce que tu as foutu ? » demande-t-il à Khadija.
Elle lui dit avoir voulu s’enfuir.
El-Hakim veut savoir qui l’a aidée à quitter Raqqa. Une femme seule avec
son enfant ne peut sortir de la ville sans une aide extérieure. Khadija ne répond
pas.
Boubakeur a sur lui un gros trousseau de clés, il le lui jette à la figure avant
de lui sauter à la gorge. Il l’étrangle.
« Tu as sali mon honneur ! »
El-Hakim, qui a revendiqué l’assassinat de deux hommes politiques en
Tunisie, qui a planifié l’attentat du musée du Bardo, qui participe à la conception
du scénario du 13 Novembre, n’est pas capable de garder sa propre sœur sous
son toit. Pire, elle a bénéficié de complicités pour s’échapper, elle est forcément
« une traîtresse travaillant pour la France ». Et cela se sait, tout le monde en
parle à Raqqa. Alors El-Hakim resserre son emprise sur le cou de sa sœur.
Sa femme s’interpose.
Khadija en profite pour s’échapper dans la pièce d’à côté. Elle tente de
bloquer la porte, qui ne résiste pas aux coups de boutoir de celui qui depuis
quinze ans se façonne un corps pour la guerre. Boubakeur jette à terre son aînée,
lui administre une série de coups de rangers à la tête. La jeune femme saigne du
nez, elle voit trouble.
Le terroriste dégaine son pistolet automatique et le colle contre la tempe de
sa sœur. Son épouse crie dans la pièce d’à côté, El-Hakim lui ordonne de partir
sous peine de s’en prendre à elle aussi.
Khadija l’implore de régler leur différend devant le tribunal islamique. Il lui
hurle : « Moi qui voulais te faire honneur en te tuant en privé, tu veux être tuée
en public ! »
Il ne décolère pas et lui promet que ce seront ses propres balles qui
exécuteront la sentence. Mais l’émir de l’Amniyat n’a pas prévu qu’un juge
puisse se mettre en travers de son chemin.
Le lendemain, au tribunal islamique, un magistrat lui reproche d’avoir frappé
sa sœur, d’avoir voulu se faire justice lui-même. C’est difficile à cacher : Khadija
a dû être hospitalisée en urgence et s’est fait poser une attelle à la jambe droite.
« Je vais te marier », annonce le juge à la jeune femme, lui expliquant que
c’est la meilleure solution, la seule lui permettant d’échapper à son frère et de
conserver la garde de sa fille.
Khadija accepte.
Pour que sa sœur ne tente pas de fuir de nouveau le califat, Boubakeur el-
Hakim diffuse le signalement de sa nièce à tous les postes-frontières. Puis,
débarrassé de ce fardeau, il peut de nouveau se concentrer sur le grand projet du
bureau des attentats.
L’usine à kamikazes
* * *
Amedy Coulibaly et Sid-Ahmed Ghlam ont réalisé leurs attentats, les gamins
de fort Béar ont essayé. Des guerriers expérimentés se portent à leur tour
volontaires pour une opération inghimasi en France. Comme l’Alsacien Foued
Mohamed-Aggad, qui annonce depuis plusieurs mois à ses parents qu’il va
« partir pour ne pas revenir » et qu’« avoir un martyr dans la famille doit être un
honneur et pas une tristesse »… Et il en arrive encore.
Tel Réda Hame. Cet habitant du XVIIe arrondissement de Paris ayant fait de
la maintenance informatique dans une filiale spatiale du groupe Airbus n’a
rejoint le califat que le 4 juin 2015. Dès le lendemain soir, on vient le chercher à
l’endroit où dorment les recrues. Une camionnette bâchée le conduit à toute
vitesse dans les rues de Raqqa jusqu’à un luxueux 4x4 blanc aux vitres teintées.
« Monte devant », lui ordonne le chauffeur.
Visage dissimulé sous un foulard marron, son arme de poing rangée dans un
holster d’épaule, Abdelhamid Abaaoud demande à Réda Hame si ça
l’intéresserait de partir à l’étranger.
« Par exemple, imagine un concert de rock dans un pays européen, si on te
passe de quoi t’armer, est-ce que tu serais prêt à tirer dans la foule ? »
Réda Hame hésite. Abdelhamid Abaaoud veut faire vite. Il recherche des
nouveaux arrivants dont le visa turc est encore valide.
De sa voix grave et autoritaire, il déroule son argumentaire.
« Il m’a dit que celui qui fonce seul face à l’ennemi sans se retourner, il a la
récompense de deux martyrs, racontera Hame. Il m’a dit que, si sa tête
ressemblait à la mienne, il aurait pris mon passeport et il y serait allé lui-même,
quitte à désobéir à son émir, tellement la récompense était grande. Il m’a dit que,
si je refusais, j’allais le regretter. Il a ajouté que, si beaucoup de civils étaient
touchés, la politique étrangère de la France changerait. »
Alors Réda Hame lui répond simplement : « OK. »
* * *
À quelques kilomètres de là, un Algérien de vingt-sept ans est quant à lui
conduit au rez-de-chaussée d’un immeuble de cinq étages situé dans un quartier
résidentiel, probablement Thakanah, là où se cache le bureau des opérations
extérieures.
Dans l’appartement, un Saoudien aux cheveux noirs descendant jusqu’aux
épaules sur son abaya blanche, et un homme habillé d’un pantalon noir, d’une
chemise afghane de la même couleur et d’une veste sans manches grise. Un
Glock dépasse de sa ceinture. Il s’agit d’Abou Ahmed, alias Oussama Atar, le
responsable de l’Amn al-Kharji.
Ils se mettent à deux pour convaincre le gamin.
« Ils m’ont flatté, ils m’ont dit qu’ils m’avaient choisi parce que j’étais
quelqu’un de bien. »
Atar et le Saoudien évoquent la destination : la France.
« Ils ne m’ont pas dit exactement ce que je devais y faire, mais j’ai compris
qu’ils avaient l’intention de commettre quelque chose de pas bien… »
L’Algérien accepte.
« Abou Ahmed me disait que je devrais me suicider en France, racontera un
Pakistanais recruté dans le même appartement. Il me racontait que la vie actuelle
ne ressemble à rien. Il me disait qu’une vie paisible m’attendrait au paradis si je
mettais fin à ma vie. »
L’un des deux Allemands apostrophés par les Amniyyin qui leur ont
demandé de commettre un attentat dans leur pays décryptera le principal ressort
psychologique utilisé par les agents secrets djihadistes :
« Ils font en sorte que les gens se sentent coupables. Ils leur disent : “Qu’est-
ce qui ne va pas chez vous, frères ? Qu’est-ce qui vous est arrivé ? Si vous ne
voulez pas donner votre vie en Syrie, alors donnez au moins votre vie en
Europe !” Et les plus jeunes tombent dans le panneau. »
Le Marocain Ayoub el-Khazzani n’a pas eu besoin d’être convaincu. Lors
d’une sortie hors du camp d’entraînement, il découvre une mosquée détruite, lui
dit-on, par les bombardements américains.
« Ça m’a révolté, ça m’a détruit de l’intérieur… », expliquera-t-il.
El-Khazzani s’isole pour prier. Cette dévotion ne passe pas inaperçue. En fin
de journée, un homme encagoulé l’invite à le suivre, mais le prévient : « Mon
frère, tu vas voir des choses que tu n’imagines pas ! Surtout, ne t’énerve pas ! »
À l’issue de la visite du musée des horreurs qu’est devenu Raqqa, le
Marocain déclare à son guide qu’il est prêt à mourir. « Désormais, tu dois me
considérer comme un objet et faire de moi ce que tu veux. »
Le soir, l’Amni revient et lui annonce qu’il a été choisi pour suivre un
entraînement personnalisé.
* * *
Les inghimasi appelés à déferler sur l’Europe ont droit à des entraînements
individualisés, dans les environs de Raqqa ou à Deir ez-Zor, là où la katibat al-
Battar a établi son siège.
Ayoub el-Khazzani apprend à manier fusil d’assaut kalachnikov et pistolet
Glock dans des ruines à Deir ez-Zor. Il fait feu sur des cibles peintes à même les
décombres. Le dernier des quatre jours de cette formation express, on l’emmène
sur le front. À distance raisonnable. « Ils voulaient que je sache ce qu’était le
combat, mais ils n’ont pas voulu me mettre sur le champ de bataille », dira-t-il. Il
faut préserver le kamikaze.
La formation, similaire, du Français Réda Hame dure trois jours, dans un
parc à l’abandon. Abdelhamid Abaaoud lui apprend à tirer au coup par coup,
puis en rafale. À la fin du stage, Abaaoud donne à son élève un pistolet et une
grenade. Le Belge dessine des silhouettes dans une maisonnette au fond du parc.
« Il m’a demandé de jeter la grenade à l’intérieur, d’attendre l’explosion,
puis d’entrer et de tirer sur les cibles », se souviendra le spécialiste de la
maintenance informatique. Il fait chaud, Hame est fatigué. Il jette sa grenade,
croit entendre une petite explosion, entre dans la maison. « J’ai tiré dans trois
cibles, puis la grenade a explosé… »
Réda Hame saigne du bras, de la jambe. Abdelhamid Abaaoud lui fait un
garrot avant de le conduire à l’hôpital à Raqqa.
Le test n’a pas été concluant, il sera tout de même suffisant. Il faut précipiter
le mouvement, toujours en raison de l’expiration des visas.
* * *
* * *
1. Voir première partie, chapitre VIII, « C’est pas le Club Med, ici ! ».
XIV
1. Dans le jargon du renseignement, une « boîte aux lettres morte » désigne la cache grâce à laquelle un officier traitant
et son agent communiquent sans avoir à se rencontrer.
XV
Le siège 24 A
* * *
2. Contacté, David Thomson n’a pas souhaité s’exprimer. À l’automne 2017, il avait reconnu dans Le Monde « avoir été
prévenu de la commission d’un attentat », mais « conteste la formulation de la citation telle que rapportée dans le dossier ».
Effectivement, dans les documents judiciaires que j’ai pu consulter, il ne s’agit que d’un résumé de la conversation. Les propos
exacts des deux interlocuteurs n’ont jamais été retranscrits, à ma connaissance.
3. Français ou frères.
XVI
* * *
Les jours suivants, Abrini poursuit ses pérégrinations, cette fois dans le stade
de football de Manchester United où ce fan revendiqué du Barça prend
néanmoins plusieurs photos.
Sur son profil WhatsApp, on le voit entouré de deux artistes de rue déguisés
en Iron Man, le super-héros de la galaxie Marvel. Devant eux figure un seau sur
lequel un prix est affiché en livres sterling. Derrière, des publicités en anglais. La
panoplie du touriste est complète, la légende du clandestin, forgée.
Le 16 juillet, le commerçant de Molenbeek quitte l’Angleterre. Sans
antécédent judiciaire, inconnu des services de renseignement. Invisible.
* * *
* * *
En juin 2016, dans le bureau d’une juge d’instruction belge, Abrini laissera
percevoir ses convictions. Il justifiera la politique mise en œuvre par ses amis de
l’Amniyat : selon lui, ce sont « des gens qui ont voulu défendre ceux qui se
faisaient massacrer », qui ont voulu « défendre la veuve et l’orphelin ». Et qui,
pour parvenir à ce noble but, ne reculent devant rien. « Bien sûr, il y a d’autres
choses. C’est la vie, madame. Ce n’est pas Alice au pays des merveilles… »
Ces « autres choses », ce sont les attentats.
* * *
Deux mois après le rendez-vous du parc de Small Heath, la DGSE émet un
message CONFIDENTIEL DÉFENSE : « Des renseignements indiquent la
projection en France d’opérationnels basés en Grande-Bretagne » afin de mener
des attaques similaires à celles de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher.
Bientôt, les services de renseignement vont récolter un indice
supplémentaire du lieu où ces attaques pourraient se dérouler.
2. On notera que Souleymane correspond au prénom de son frère mort en Syrie.
XVII
L’éclaireur
Une épaisse tignasse, des pommettes hautes, des lèvres bien dessinées, Bilal
Chatra est un joli garçon. Excepté cette acné qui lui ravage le visage. Mais c’est
de son âge. Bilal Chatra n’a que dix-neuf ans.
L’Algérien pourrait passer pour un de ces adolescents obsédés par l’idée de
ressembler aux gravures de mode. Si ce n’est qu’il partage le quotidien frugal
des migrants et que, lorsqu’il atterrit, le 16 juillet 2015, dans un centre de
rétention administratif en Hongrie, la première chose qu’il fait est de se
connecter à Facebook. Et d’échanger avec Abdelhamid Abaaoud.
Chatra sillonne l’Europe depuis un mois sur ordre de l’Amni belge. C’est
dans un camp de réfugiés en Turquie, à la fin de l’année 2014, qu’Abaaoud a
repéré le jeune homme absorbé par sa prière. Séduit par sa piété, il l’a pris sous
sa coupe. Selon le Marocain Ayoub el-Khazzani, qui va partager le quotidien de
ces deux hommes, l’orphelin Bilal est pour Abaaoud « comme un fils qu’il avait
guidé dans le droit chemin ». Le terroriste joue au père de substitution, veille à
encadrer son jeune protégé. « Abou Omar m’a dit que c’était un petit, en âge et
dans la tête », complétera El-Khazzani.
* * *
Si Bilal Chatra est jeune et influençable, il est aussi débrouillard. Ayant joué
les passeurs pour financer son propre voyage en Europe, il a des relations et sait
comment s’y prendre. Il est parvenu à infiltrer sur le Vieux Continent les deux
terroristes de la cellule de Verviers. Épaté, Abaaoud l’a recruté et envoyé cette
fois en Syrie, à Deir ez-Zor, afin qu’il suive une formation de sniper au sein de la
katibat al-Battar. Au bout de six mois, le Belge a fait de nouveau appel au jeune
homme. Il a une mission à lui confier. Avec un double objectif.
Il s’agit d’abord d’aider Ayoub el-Khazzani. Coincé en Turquie, le Marocain
n’arrive pas à prendre son vol pour l’Albanie. À deux reprises, on lui a refusé
l’embarquement à cause de son passeport suspect. Bilal Chatra ne se pose pas de
questions. Il rejoint El-Khazzani en Turquie et lui promet qu’il va lui « ouvrir la
voie pour rentrer en Europe ».
Face à la crise humanitaire en cours, la Macédoine a décidé de délivrer des
documents de circulation valables soixante-douze heures permettant aux
migrants de rejoindre la frontière hongroise, et donc l’espace Schengen, depuis
la Grèce. Toujours à l’affût de l’actualité, le bureau des opérations extérieures de
l’Amniyat entend profiter de cette aubaine. Abaaoud a donc ordonné à Chatra
d’explorer les différents pays que traverse la route des Balkans afin de vérifier
les possibilités de contrôle, de sécurité et d’infiltration pour les combattants de
l’EI.
Alors, quotidiennement, le jeune Algérien zélé envoie à Abaaoud et El-
Khazzani, via Facebook, ses rapports sur les passages de frontières ouverts, les
temps d’attente, les horaires de trains, de bus et de bateaux, ainsi que les
chemins de départ et d’arrivée à pied. Il transmet également les photos des routes
empruntées. Quand Chatra arrive à Thessalonique, non loin de la frontière
macédonienne, Abaaoud lui demande d’interroger de vrais réfugiés à propos de
leurs expériences de voyage, de leurs itinéraires, son éclaireur en questionne pas
moins de cinquante…
Bilal Chatra ne chôme pas. Jusqu’à ce que sa route s’arrête en Hongrie parce
qu’il a refusé de donner ses empreintes digitales. Mais le jeune homme continue
à faire ses rapports à son mentor depuis le centre de rétention.
« Ce n’était pas une prison normale mais plutôt un camp, expliquera-t-il.
Nous avions quelques ordinateurs à disposition qui nous permettaient de
communiquer avec notre famille et nos amis. » Son ami à lui est membre du
bureau des attentats de l’État islamique.
Le 4 août 2015, au bout de dix-huit jours, Chatra est relâché. Et sa première
pensée d’homme libre est pour Abaaoud.
« Dis-moi ce que je dois faire maintenant, mon ami », lui écrit-il.
Le Belge lui répond de se rendre à Vienne, où Ayoub el-Khazzani lui
annonce le lendemain, à la gare ferroviaire de la capitale autrichienne, une
grande nouvelle : Abdelhamid Abaaoud est en Europe. Bilal Chatra tombe des
nues. Bien sûr, il savait qu’El-Khazzani suivait son itinéraire, mais il imaginait
Abaaoud toujours à Raqqa. L’Amni a menti à son protégé pour éviter que le
jeune homme, alors toujours détenu par les Hongrois, sache qu’il avait quitté la
Syrie…
Bilal et Ayoub prennent un train pour Munich, puis un bus pour Cologne.
Dans la soirée du 6 août, un homme arrête sa Golf grise devant eux1. De nuit, il
les conduit à travers l’Allemagne et la Belgique et les dépose à Bruxelles.
Là, ils retrouvent Abaaoud.
* * *
Le terroriste recherché par toutes les polices pour son rôle de coordinateur de
la cellule de Verviers trouve refuge à Bruxelles, dans l’arrière-boutique d’un café
où l’on s’adonne au trafic de drogues. L’établissement est tenu par la famille
d’un ancien complice de Khalid el-Bakraoui, du temps où celui-ci donnait dans
le braquage avec son frère Ibrahim. Depuis, les Bakraoui se sont radicalisés et
vouent un culte à leur cousin… Oussama Atar, le chef du bureau des opérations
extérieures du califat.
Une quinzaine de jours avant qu’Abaaoud ne vienne se cacher chez eux,
Khalid el-Bakraoui s’est rendu seul à Venise pour y prendre, en toute discrétion,
le premier avion pour Athènes, et rencontrer Abaaoud. Deux jours plus tard, il
est rentré à Bruxelles en prenant soin de passer cette fois par Düsseldorf. Son
frère Ibrahim a fait le même aller-retour à Athènes, via une étape à Paris.
Ils ont maintenant tout le loisir de discuter avec Abaaoud sur leurs terres
bruxelloises.
Lunettes de soleil sur le nez, barbe de trois jours, chemise noire par-dessus
un pantalon clair, un élégant vacancier surgit sur l’escalator. Il traîne derrière lui
une valise à roulettes, regarde un plan, s’assoit en attendant la prochaine rame.
Elle arrive. Il la prend. À la station suivante, il change de voiture. Le touriste
quitte le métro à la station Clemenceau, fait le reste du chemin à pied et se
présente un quart d’heure plus tard devant la gare du Midi. Il se dirige vers les
guichets, achète un billet, un aller simple, et s’en retourne vagabonder en ville. À
16 h 30, il est sur le quai de la gare. À 16 h 36, Ayoub el-Khazzani monte dans le
Thalys.
1. À partir des données GSM du téléphone du chauffeur ayant transporté Bilal Chatra et Ayoub el-Khazzani, la justice
suspecte qu’il s’agissait de Mohamed Bakkali, un des logisticiens du 13 Novembre. Il logera les terroristes dans différentes
planques bruxelloises.
2. El-Khazzani racontera cela en 2016, lors d’un interrogatoire, mais ne précisera pas comment l’EI était au courant de la
présence des militaires à bord du train.
XIX
Les infiltrés
Une nuit à patienter sur la plage turque et puis, juste avant le lever du soleil,
une voiture s’approche sur le sable. À l’aube de ce samedi 3 octobre 2015, les
passeurs sortent du véhicule un Zodiac qu’ils gonflent sur place. La cinquantaine
de migrants qui patientaient dans l’obscurité s’entassent maintenant dans l’esquif
de neuf mètres de long. Parmi eux, quatre terroristes qui ont chacun dû payer
mille cent dollars leur place. Ils sont les derniers d’une équipe d’une quinzaine
de moudjahidines aguerris envoyés par l’État islamique au lendemain de
l’attaque ratée du Thalys.
* * *
Il n’y a pas de capitaine à bord du Zodiac. Pour réduire les coûts, les
passeurs n’engagent pas de marin, ils confient à un migrant le soin d’assurer la
navigation, en échange de la gratuité de sa place. Le pilote est guidé par d’autres
passagers qui se repèrent à l’aide de leurs téléphones portables. Le choix de celui
qui tient la barre est plus ou moins heureux. Aussi, les passeurs recommandent
d’investir dans de bons gilets de sauvetage. Les terroristes ont chacun le leur, ils
ont également acheté une sacoche étanche pour y mettre leur bien le plus
précieux : le téléphone qui leur permet de rester en liaison avec Abou Ahmed,
alias Oussama Atar, le chef du bureau des opérations extérieures, lequel leur
communiquera depuis Raqqa les personnes à contacter et le but de la mission
une fois qu’ils seront arrivés en France.
Ils lui envoient des messages codés via Telegram : « Bien, mon oncle, je suis
en chemin » « Le médicament n’est pas bien ici, tu sais, et toi, comment vas-tu,
mon ami ? » Ou encore « Ma tante te transmet mille bises ». Après « Mon fils »,
« Padre » ou « Papa », les clandestins du califat utilisent maintenant les oncles et
tantes comme noms de code. « Abou Ahmed m’avait dit au départ de Syrie de
l’appeler “mon oncle” et de rédiger des messages comme si j’étais de sa famille
pour que cela passe inaperçu dans le cas où nos messages seraient découverts »,
expliquera l’un des terroristes.
Partis de la base française d’Al-Dhafra, aux Émirats arabes unis, deux Rafale
larguent sept bombes de deux cent cinquante kilos, dans la nuit du 8 au 9
octobre, sur un bâtiment dans la périphérie de Raqqa. Le lendemain, le ministre
de la Défense Jean-Yves Le Drian explique que le camp d’entraînement visé
constituait « une menace » pour la France et l’Europe. Comme le révélera alors
Le Monde, le raid aérien avait pour cible le Français Salim Benghalem.
Cela fait rire l’intéressé qui, depuis la Syrie, suit de près l’actualité le
concernant. Dans la même conversation où il se moque de ces frappes françaises
ayant manqué leur cible, il raconte à son petit frère qu’il est au courant du
reportage que l’émission Enquête exclusive lui consacre. Et, lorsque son
interlocuteur lui fait remarquer que les médias n’utilisent plus son portrait
anthropométrique, mais des captures d’écran d’une vidéo de propagande de l’EI,
Benghalem fanfaronne : « J’aime trop la photo. Trop beau moi. »
* * *
* * *
* * *
* * *
En cette fin octobre, les services de renseignement européens sont sur les
dents. La DGSE épluche le contenu des divers comptes Facebook de Mohamed
Abrini, un personnage auquel s’intéressent également les services secrets anglais
depuis son passage à Manchester. De leur côté, les services belges surveillent
depuis trois semaines les publications de Najim Laachraoui sur les réseaux
sociaux et fouillent le domicile bruxellois de Khalid el-Bakraoui, qui vient de se
rapprocher de ses contacts dans le grand banditisme pour récupérer « autant de
chargeurs de kalachnikov que possible »…
Les services pressentent l’architecture de l’équipe qui s’apprête à commettre
l’attentat le plus sanglant en France depuis la Seconde Guerre mondiale, mais ils
ignorent encore tout de ses têtes pensantes et se trompent toujours sur le lieu où
est censé se trouver Abaaoud. Le 3 novembre 2015, la DGSE écrit qu’il « se
déplacerait souvent entre Deir ez-Zor et la ville de Mayadin ».
* * *
C’est sous une pluie battante qu’Osama Krayem monte avec sa valise dans
l’autocar, muni de faux papiers belges, lui qui n’est pas encore recherché et dont
aucun service de renseignement européen ne connaît l’existence alors qu’il est
allé en Syrie et qu’il a combattu sous le drapeau noir de la Dawla. À la frontière,
il est contrôlé par des militaires hollandais. Sans être inquiété. Il baguenaude
durant deux heures dans les coursives de l’aéroport, mais ne trouve pas les
consignes adéquates.
De retour à Schaerbeek dans la soirée, il en informera Ibrahim el-Bakraoui.
Mais on n’en est pas encore là.
* * *
* * *
* * *
Vendredi 13
Une explosion sur la scène. Samy Amimour a été touché par un commissaire
entré seul dans le Bataclan ensanglanté, la ceinture du kamikaze s’est actionnée.
À l’étage, le plus petit des deux terroristes survivants — « sec avec plus de
cheveux et plus de barbe », dira un de ses otages — dispose trois hommes
derrière la porte qu’il vient de fermer, trois devant les fenêtres et les autres
devant la cage d’escalier. Ce terroriste, c’est Foued Mohamed-Aggad. Il ordonne
aux otages face aux fenêtres de commenter ce qu’ils voient. Il veut savoir où en
est la progression des policiers arrivés en renfort. À intervalle régulier,
l’Alsacien s’intercale entre ses boucliers humains et lâche une rafale de
kalachnikov par une fenêtre.
Foued a confisqué les téléphones portables. Le sien, il l’a jeté dans une
poubelle à côté de la salle de concert après avoir envoyé un texto à 21 h 42 à un
correspondant en Belgique, l’avertissant : « C’est parti, on commence. » À
quelques pâtés de maisons de là, le commando des terrasses s’est entretenu avec
un autre numéro belge. Et l’équipe qui s’attaque au Stade de France avec un
troisième. Chaque équipe a un numéro dédié et, semble-t-il, un officier traitant à
qui rendre des comptes.
Cheveux très courts et barbe rase, le second terroriste restant s’approche de
Mohamed-Aggad dans le couloir du Bataclan. La colonne d’assaut de la BRI est
à la porte du couloir.
— Est-ce que tu comptes appeler Souleymane1 ? interroge le tueur à la barbe
rase.
— Non, on va gérer ça à notre sauce. Mais parle en arabe ! s’énerve Foued
Mohamed-Aggad.
La conversation, tendue, se poursuit alors dans une langue que ne
comprennent pas les otages.
Soudain, les policiers enfoncent la porte. Les terroristes ripostent, s’abritent
derrière leurs otages. Des grenades sont lancées. Les terroristes et les otages sont
sonnés. Les policiers progressent. Et, au fur et à mesure de leur progression,
évacuent les otages du Bataclan. Face à eux, le premier terroriste actionne sa
ceinture explosive en se jetant en direction de la colonne d’assaut de la BRI.
L’effet de souffle sonne son complice qui esquisse un geste vers sa propre
ceinture. Les policiers le tuent.
C’est fini.
1. Abou Souleymane est la kounya d’Ibrahim el-Bakraoui, qui, depuis Bruxelles, semble être le référent du commando
du Bataclan.
XXIV
Le jour d’après
Le premier coiffeur ne fait pas les colorations, alors, tant pis, il perd un
client. Salah Abdeslam poursuit son chemin dans les rues de Laeken, une petite
commune en périphérie de Bruxelles. Le second coiffeur fera l’affaire. Le
terroriste s’assoit dans un fauteuil en cuir brun, usé jusqu’à la corde.
Quelques heures plus tôt, à 5 h 30 du matin, dans la nuit du 13 au 14
novembre, il se cachait encore dans une cage d’escalier de Châtillon quand deux
amis, qu’il avait appelés à son secours, sont venus le chercher depuis la
Belgique.
Emmitouflé dans sa doudoune, sa capuche sur la tête, Abdeslam rejoint le
véhicule, essoufflé et en nage. Le fait de se retrouver dans l’habitacle ne le calme
pas. Il pleure, il crie. Il explique qu’il fait partie des dix qui ont commis les
attentats à Paris, mais que son détonateur n’a pas fonctionné, et pourtant il
voulait mourir. Il a abandonné sa ceinture explosive défectueuse dans une
poubelle à Montrouge.
Durant le trajet vers la Belgique, Salah Abdeslam rappelle à ses amis de
respecter le code de la route, de rouler doucement sur la bande de droite, de ne
pas doubler les autres véhicules. Il leur demande de suivre « les panneaux de
signalisation verts et non les bleus », cherche à tout prix à éviter les contrôles de
police sur l’autoroute. Mais ses amis se perdent et finissent par rejoindre l’A2.
Où ils se font contrôler à trois reprises. Les gendarmes vérifient l’identité des
trois passagers, remarquent que le chauffeur vient de fumer un joint. « Ce n’est
pas bien de consommer de la drogue mais, aujourd’hui, ce n’est pas la
priorité… »
Le coffre ne contient ni arme ni explosif. Alors les gendarmes laissent
repartir Salah Abdeslam, dont le nom n’est pas encore accolé au massacre qui
vient de survenir dans la capitale.
Arrivé à Laeken, Salah Abdeslam va d’abord faire son marché. Pour cent
euros en liquide, il achète un jean noir, un pull gris, un bonnet noir, une veste
gris et noir. Il se change dans la camionnette du commerçant avant de partir en
quête d’un coiffeur. Quand enfin il trouve son bonheur chez un quinquagénaire
grisonnant, il se fait raser la barbe, raccourcir sérieusement les cheveux et raser
un trait sur le sourcil.
« Une vingtaine de minutes plus tard, Salah avait changé », constatera un de
ses amis qui l’attendait à l’extérieur.
De son côté, Mohamed Abrini avouera avoir, en compagnie des survivants
de la cellule Abaaoud, porté « une perruque horrible » : « Dans toutes les caches,
il y avait des perruques. On mettait ça souvent pour sortir. C’était grossier mais
apparemment plus c’est grossier, plus ça passe. »
* * *
Une fois coiffé et habillé, Salah Abdeslam se fait déposer dans un quartier de
Schaerbeek, une autre commune en périphérie de Bruxelles, où se cache le reste
de la cellule terroriste qui a assuré la logistique du massacre et attend à son tour
de passer à l’acte.
Sur la route, il a ressassé l’attentat. Il a avoué à ses amis avoir tenu une
mitraillette, avoir fait feu, avoir tué. Ce qui ne l’empêche pas, quand il parle de
son frère Brahim, mort en actionnant sa ceinture explosive, de réclamer
vengeance :
« Ils vont payer pour la mort de mon frère ! »
XXV
Le cadavre est celui d’un terroriste de sexe masculin âgé de vingt-huit ans. À
la peau très mate, aux cheveux châtain foncé, aux moustache et barbe brunes
coupées court. À l’intérieur de la salle d’autopsie de l’institut médico-légal
(IML) dans le XIIe arrondissement de Paris, un gendarme, deux médecins
légistes, un technicien de la police scientifique et une photographe de l’identité
judiciaire encerclent le corps qui repose sur un chariot. Il est 8 h 40 en ce
vendredi 20 novembre 2015 et le docteur Antoine T. commence « les opérations
d’autopsie requises ».
On procède au déshabillage du cadavre référencé « IML-2587 ». On enlève
les restes d’un pantacourt zippé, on ôte les lambeaux d’un T-shirt de l’équipe de
football allemande avec ses trois étoiles de champion du monde surplombant
l’aigle qui figure sur l’écusson au niveau du cœur. Le défunt ne pèse plus que
soixante-douze kilos. Sans compter la cinquantaine de boulons que l’examen
radiologique révèle, logés dans ses reins, son estomac, son pancréas, ses
intestins.
Dans la mythologie djihadiste, une odeur de musc enveloppe les frères
tombés au combat. À en croire leurs compagnons d’armes, ils souriraient encore,
sereins par-delà la mort. IML-2587 ne sourit pas. Sa mandibule est absente.
Seules quatre dents subsistent. L’œil droit manque. L’une de ses joues a disparu.
La boîte crânienne, béante, est vidée de son contenu. Le tronc n’est pas mieux
loti. La cage thoracique est détruite, la paroi abdominale a disparu, les viscères
mis à nu.
Ci-gît Abdelhamid Abaaoud.
Le 13 Novembre, un badaud filmait sur son téléphone portable un homme
vêtu de noir et portant des chaussures orange en train de fusiller sans
précipitation les clients de la Belle Équipe, rue de Charonne. Auprès de sa
cousine et d’une amie de celle-ci, venues à sa rencontre lors de la cavale qui s’en
est suivie, Abaaoud fanfaronne : « Les terrasses, c’était moi ! »
Il revendique aussi la bagatelle de dix attentats réussis. Et dit projeter de s’en
prendre à un centre commercial et à un commissariat du quartier d’affaires de la
Défense. Mais Abaaoud n’a pas le temps de passer à l’acte.
Son odyssée macabre s’achève le 18 novembre dans le bruit et la fureur lors
d’un assaut mal maîtrisé du RAID, au troisième étage d’un immeuble délabré de
Saint-Denis. Le corps du petit bourgeois de Molenbeek défiguré et éventré
repose dans un salon au design moyen-oriental tandis que sa cousine, qu’il a
entraînée dans sa chute, étouffe sous les décombres, son corps lui aussi perforé
de boulons.
À l’institut médico-légal de Paris, à l’issue des trois heures durant lesquelles
il a assisté à la dissection de ce qui reste de l’enveloppe terrestre du terroriste,
l’adjudant gendarme écrit, sous la dictée du médecin légiste, que le décès
d’Abaaoud est « la conséquence d’un polytraumatisme gravissime et
instantanément mortel ». Épargné par les mille cinq cents coups de feu des
tireurs d’élite du RAID, il a été tué par l’effet de blast provoqué par la ceinture
explosive d’un complice. L’autopsie d’Abaaoud est achevée, on ne peut plus rien
lui faire. L’inverse n’est pas vrai.
L’énigme de ce crime de masse que constitue le 13 Novembre a été aussitôt
résolue et les tueurs ont été tués. Contrairement à ce qu’avait escompté l’État
islamique, l’attentat, succès militaire, se traduit par une défaite politique. Les
bombardements de la coalition continuent de plus belle et le califat, de jour en
jour, s’effrite.
Pourtant, en France, en Europe, le trouble à l’ordre public perdure. D’entre
les morts, Abdelhamid Abaaoud revient nous hanter.
* * *
Les forces de l’ordre vont mettre facilement la main sur les deux premiers.
L’examen de la liste de réfugiés passés par l’île de Leros révèle qu’un Algérien
de vingt-neuf ans et son complice pakistanais accompagnaient deux des
kamikazes du Stade de France. Coincés trois semaines sur l’île grecque à cause
de leurs faux papiers, ils ont repris leur périple à travers l’Europe, mais n’ont pas
pu rejoindre le reste de l’équipe à temps. Les deux hommes se trouvent dans un
camp de réfugiés en Autriche, ils communiquent toujours avec leur officier
traitant à Raqqa. Le 11 décembre, ils ont échangé un message codé avec « Mon
oncle » sur Telegram. Ils l’interrogent à propos des attentats. « L’oncle » fait le
surpris : « Il s’est passé quelque chose en France ? »
L’homme est très prudent.
« Il n’a rien laissé transparaître », se souviendra l’un des deux terroristes.
Identifiés, les deux hommes sont interpellés alors qu’ils se trouvent toujours
en Autriche. Après avoir tenté durant plusieurs jours de faire croire à sa légende
de migrant, l’Algérien demande à parler aux enquêteurs de la police régionale de
Salzbourg. Il est réentendu le 25 janvier 2016.
« Lors de mes premières auditions, je n’ai pas toujours dit la vérité, déclare-
t-il. […] Il est arrivé beaucoup de choses et je veux dire la vérité. Je ne veux plus
rien avoir à faire avec les gens dont je vais parler. Je souhaite dire la vérité sur
tout. Mais j’ai besoin d’aide. Les gens à qui j’ai affaire sont dangereux. Abou
Ahmed croit que je suis en route pour la France. »
Abou Ahmed. Cet Algérien de vingt-neuf ans met, pour la première fois, un
nom, ou plutôt une kounya, sur le commanditaire des attentats qui ont frappé
Paris et fait cent trente morts le 13 Novembre 2015.
Durant cinq auditions étalées sur trois mois, l’Algérien va détailler comment
il a été sélectionné, quel a été son entraînement, qui sont les cadres du bureau
des opérations extérieures qu’il a croisés, comment il a rallié l’Europe. Mais la
peur l’habite. Mi-mars, il craque.
« De toute façon, l’État islamique me tuera, que ce soit en Algérie ou
n’importe où ailleurs. »
Toujours cette conviction, chez les djihadistes, que l’Amniyat n’a pas de
frontières.
Marcus
* * *
* * *
* * *
* * *
Le 11 juin 2016, Saleh Alghadban se fait agresser par d’autres détenus dans
la cour de promenade du centre pénitentiaire de Beauvais. Ils lui reprochent
d’avoir insulté l’islam, ne supportent pas sa conversion au catholicisme : Saleh
Alghadban s’est tatoué des croix sur le bras au stylo à bille et s’est choisi un
prénom chrétien, Marcus.
Depuis, « Marcus » écrit des lettres, en arabe, pour réitérer son désir de
coopérer avec la police française. Il y avoue avoir été l’émir d’une katibat de l’EI
basée à Raqqa, évoque des cellules djihadistes en Allemagne, en Belgique et aux
Pays-Bas, divers projets d’attentats dans des capitales européennes. L’examen de
sa téléphonie révélera d’ailleurs que Bilal Chatra, le passeur d’Abaaoud en
Europe, lui servait d’intermédiaire pour contacter d’autres personnes non
identifiées.
Les révélations d’Alghadban vont permettre d’empêcher au moins un
attentat. Dès le lendemain de sa reddition, les magistrats français ont alerté leurs
homologues allemands et hollandais. Après quatre mois de surveillance, trois de
ses complices seront interpellés le 2 juin. En revanche, le reste de la cellule
dormante n’a pas pu être identifié.
Saleh Alghadban est extradé le 29 septembre. Les autorités allemandes
souhaitent l’entendre dans le cadre du projet d’attentat à Düsseldorf. Comme les
Français, les Allemands doutent de la sincérité de la démarche d’Alghadban, qui
prétend désormais avoir raconté des balivernes aux services secrets français.
Pourtant, l’un de ses complices reçoit l’ordre de découvrir coûte que coûte ce
qu’il a bien pu révéler aux services de renseignement occidentaux.
Aux yeux de l’État islamique, le Syrien était bien quelqu’un d’important et
sa reddition n’était pas programmée.
1. Créée par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve en 2015, cette structure rattachée directement au cabinet du
ministre a fusionné avec l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) en 2018.
2. Ils seraient cinquante-neuf un an plus tard, selon un nouveau décompte de l’EMOPT. « Il y a différents degrés de
radicalisation, les métiers liés au nucléaire ne sont pas une préoccupation majeure, tempérera un ponte des services de
renseignement. Bien sûr, nous surveillons cela, mais nous n’avons pas détecté d’individus extrêmement dangereux. Et, au
moindre doute, les habilitations sont retirées. »
XXVIII
* * *
* * *
* * *
2. L’ordinateur de Laachraoui sera retrouvé dans une poubelle au lendemain des attentats de Bruxelles. La justice belge
fera le rapprochement entre les intitulés des sous-dossiers et le déroulé du 13 Novembre : « Omar » était le surnom
d’Abdelhamid Abaaoud, le leader du commando qui a pris pour cible les terrasses des cafés parisiens. Le Bataclan a été attaqué
par des kamikazes français, Foued Mohamed-Aggad, Samy Amimour et Ismaël Omar Mostefaï. Deux des hommes qui se sont
fait exploser au Stade de France étaient des ressortissants irakiens. Reste une zone d’ombre quant aux groupes « Schiphol » et
« métro ». S’agissait-il de chemins de fuite envisagés ou de cibles qui devaient être frappées ? Le 13 Novembre, Osama Krayem
et un complice étaient allés faire soi-disant un repérage à Schiphol, l’aéroport d’Amsterdam. « Nous ne pouvons évidemment
passer à côté du parallélisme avec les attentats de Bruxelles au cours desquels un aéroport ainsi qu’un métro ont été frappés »,
écriront les magistrats belges.
3. Il s’agit d’Abou Mahmoud al-Chami, l’artificier du bureau des légendes djihadistes rentré en Syrie après avoir
confectionné les ceintures explosives utilisées par les terroristes le 13 Novembre.
XXIX
* * *
* * *
* * *
Avec son crâne rasé et sa parka à capuche, l’avocat Sven Mary annonce
devant les caméras, le dimanche 20 mars 2016, que son client Salah Abdeslam
« coopère avec la justice belge ». Sous-entendu, qu’il divulgue des noms et des
détails sur l’organisation des attentats. « Je veux bien l’emmener sur la route du
repentir », assure de bonne foi l’avocat.
La veille, après une hospitalisation express en raison de sa blessure à la
jambe, Abdeslam a été transféré au siège de la police fédérale belge pour y être
entendu pour la première fois.
— Quel a été votre rôle lors des attentats de Paris ?
— J’ai loué des voitures ainsi que des hôtels. J’ai fait ça suite à la demande
de mon frère Brahim. Lors des attentats, j’avais une ceinture explosive.
Toutefois, je n’ai pas voulu la faire exploser, assure-t-il, contrairement à ce qu’il
a raconté au salafiste molenbeekois. Lors de la soirée des attentats, je devais me
rendre au Stade de France pour me faire exploser avec mes complices. Mais j’ai
renoncé lorsque j’ai stationné le véhicule. J’ai déposé mes trois passagers, puis
j’ai redémarré. J’ai roulé au hasard, je me suis stationné quelque part, j’ignore
où.
Les policiers lui présentent maintenant un album photographique de ses
complices présumés toujours dans la nature.
À propos de la photo numéro 1, Abdeslam déclare :
« C’est Mohamed Abrini, c’est mon voisin. Il n’a rien à voir avec les
attentats de Paris. Il n’a rien fait. Il a été à Paris pour m’accompagner avant les
faits, lorsque je m’y suis rendu pour louer l’hôtel. J’ignore où il se trouve. »
À propos de la photo numéro 2 :
« Je ne le connais pas. Je ne l’ai jamais vu. Vous me donnez son nom :
Khalid el-Bakraoui. Je vous confirme que je ne le connais pas. »
À propos de la photo numéro 4 :
« Je n’ai jamais vu cette personne. Vous me donnez son nom : Ibrahim el-
Bakraoui. Je vous confirme que je ne le connais pas. »
La « collaboration » d’Abdeslam avec la justice se limite seulement aux faits
qu’il ne peut nier. Il minimise son rôle, feint de ne pas connaître ceux avec
lesquels il a partagé des planques depuis plusieurs mois. Et, contrairement à ce
qu’annonçait son avocat, il va, à partir du 22 mars, refuser de répondre à la
moindre question. Ce jour-là, son audition dure moins de dix minutes. « Je
demande à faire usage de mon droit au silence », répond-il à la première
question.
Et il ne déviera plus de cette ligne de conduite. En avril 2017, il écoutera
ainsi en silence les quelque cent cinquante questions d’un des juges français
chargés du dossier des attentats de Paris. En février 2018, pendant son procès à
Bruxelles, lors duquel il est accusé d’avoir tiré sur un policier avec son complice
lors de leur fuite de la planque de Forest, il refuse également de répondre aux
questions, déstabilisant son propre avocat. Me Sven Mary sera contraint de
réclamer un délai pour préparer sa plaidoirie.
Alors pourquoi le terroriste fait-il croire lors de sa première audition, au
lendemain de son arrestation, qu’il va aider la justice ? Sans doute parce que
Salah Abdeslam, en faisant dire qu’il collabore, est, par la voix de son avocat (et
à l’insu de celui-ci), en train d’adresser un message à un public d’initiés.
XXX
* * *
* * *
Dans les heures qui suivent l’explosion de Zaventem, les médias diffusent
les images des trois terroristes en train de pousser leurs bagages remplis
d’explosifs, comme d’innocents vacanciers sur le départ. Des informations dont
Mehdi Nemmouche, le tueur présumé du Musée juif de Bruxelles, ne perd pas
une miette depuis sa cellule du quartier de haute sécurité de Bruges. Le soir, il
communique les informations à Salah Abdeslam, placé à l’isolement.
« Brahim et Sofiane sont morts ! » crie-t-il depuis sa cellule, laissant
entendre qu’il connaissait lui aussi Ibrahim el-Bakraoui et Najim Sofiane
Laachraoui, et ce avant que leurs identités n’aient été rendues publiques.
Nemmouche précise qu’une troisième bombe a été retrouvée intacte à
l’aéroport et conclut : « Maintenant il reste Abrini ! »
Si la police a diffusé la photo des trois terroristes de Zaventem, c’est
justement dans l’espoir d’identifier celui que la presse va surnommer « l’homme
au chapeau », le djihadiste qui se cache derrière un chapeau noir et des lunettes
de soleil et qui, à la dernière minute, a pris la fuite. Mehdi Nemmouche,
incarcéré depuis deux ans, n’éprouve aucune difficulté pour le reconnaître
malgré son déguisement…
* * *
Raqqa, on a un problème
Deux jours plus tôt, la DGSI a arrêté son complice présumé Réda Kriket à
Boulogne-Billancourt, dans les Hauts-de-Seine. Kriket, un ancien braqueur
francilien, s’est radicalisé à Bruxelles au début des années 2010 au contact de
« Papa Noël », le même prédicateur qui a enseigné sa conception de l’islam à
Abdelhamid Abaaoud et Najim Laachraoui. D’après le témoignage d’un infiltré
de la Sûreté de l’État belge, Kriket finançait, avec le fruit de ses braquages, le
départ « sur zone » de nombreux combattants.
Au cours de sa garde à vue, les enquêteurs de la DGSI conduisent Kriket à
Argenteuil, dans le Val-d’Oise. Les policiers ouvrent la porte d’un appartement
qui servait de planque au braqueur djihadiste. Ils s’apprêtent à lancer Fox ou
Calypso, leurs chiens spécialisés dans la détection d’armes et d’explosifs. « Vous
avez trouvé le jackpot. N’envoyez pas le chien, il va mourir », prévient Réda
Kriket.
À l’intérieur de l’appartement, cinq kalachnikovs, un pistolet-mitrailleur,
sept armes de poing, de nombreuses munitions, 1,3 kg d’explosif industriel, un
détonateur à seringue rempli de poudre avec alimentation électrique prêt à
l’emploi, onze mille billes métalliques, quelques centaines de grammes de TATP,
de nombreux composants chimiques et toute la documentation nécessaire à la
confection de nouveaux explosifs.
« Il y avait là un arsenal supérieur à celui du 13 Novembre », me confiera un
magistrat.
Au surlendemain des attentats de Bruxelles, la saisie interpelle.
Dans les premières heures de sa garde à vue, Réda Kriket a expliqué avoir
loué l’appartement d’Argenteuil à la demande d’un tiers dont il n’a pas révélé
l’identité. Mais les enquêteurs ont une idée très précise du complice présumé de
Kriket. Ils savent qu’une semaine plus tôt un certain Anis Bahri a acheté un
stock de munitions avec Kriket.
Anis Bahri et Réda Kriket dorment en prison3, mais l’État islamique connaît,
en cette fin du mois de mars 2016, un coup dur d’une tout autre ampleur. Le
second garant de Bahri n’est plus.
En Algérie, où elle réside, l’épouse d’Abdelnasser Benyoucef reçoit un appel
qui l’informe de la mort de son mari, début avril 2016. Depuis, elle porte le
deuil. D’après la CIA, l’émir militaire de la katibat al-Battar, le fondateur du
bureau des opérations extérieures de l’Amniyat, aurait été victime d’un attentat
suicide en Syrie.
1. Jusqu’au début de l’été 2016, l’État islamique disposait d’une implantation solide en Libye, notamment dans son fief
de Syrte. L’un des objectifs de cette présence consistait à acquérir une nouvelle base de projection vers l’Europe. Au plus fort de
sa présence sur le territoire, plus de trois mille cinq cents hommes composaient les forces de l’EI, autour d’un noyau dur de
vétérans libyens du djihad syro-irakien, principalement des hommes de la katibat al-Battar.
Le cousin
Pendant que les forces de l’ordre sont obsédées par le bon déroulement de
l’Euro et la sécurisation de ses « fan zones », la France est frappée par l’État
islamique. Trois jours après le coup d’envoi de la compétition de foot, le 13 juin
2016, un djihadiste tue à coups de couteau un couple de policiers à son domicile
de Magnanville, dans les Yvelines. Dans une vidéo de revendication publiée par
l’organe de communication du califat, le tueur de flics, qui quelques années plus
tôt s’entraînait en égorgeant des lapins en forêt, lit une déclaration écrite à
l’avance. Ses nombreuses hésitations laissent penser qu’il n’en est peut-être pas
l’auteur. L’assassin appelle ses successeurs à occire de nouveau des policiers, y
compris musulmans. « Et même s’ils s’appellent Mohamed ou Aïcha, tuez-
les ! »
Les mots ne sont pas les mêmes, mais ils reprennent une idée exprimée dès
2013 par Tyler Vilus sur les réseaux sociaux : « T’égorges le premier flic que tu
croises. Si c’est un arabe c’est mieux et une femme arabe c’est le top. »
Quinze jours après la fin de l’Euro, deux terroristes de dix-neuf ans à peine
poignardent à mort le père Jacques Hamel, quatre-vingt-cinq ans, devant l’autel
de son église à Saint-Étienne-du-Rouvray, en Seine-Maritime. Ces deux attentats
ont pour dénominateur commun d’établir une connexion avec ce qu’un gradé de
la DGSI me décrit alors comme « notre nouvel ennemi public numéro 1 »,
Rachid Kassim.
Ce djihadiste venu de Roanne était ami sur Facebook avec le tueur de
policiers de Magnanville et en contact direct sur Telegram avec l’un des deux
assassins du prêtre de Saint-Étienne-du-Rouvray. Une série de messages audio,
le 20 juillet 2016, donne une idée des objectifs politiques poursuivis par l’État
islamique. Kassim préconisait par exemple au futur tueur du père Hamel de ne
« pas forcément se focaliser sur les juifs ».
« Tu sais pourquoi je te dis ça ? Parce que quand tu tapes la synagogue, les
gens, ils pensent tout de suite au conflit israélo-palestinien, alors que là le conflit
contre la France, c’est que non seulement ils soutiennent justement Israël, mais
qu’ils combattent eux-mêmes, ils bombardent, ils veulent faire un truc de fou, tu
vois ? Ils veulent amener leur porte-avions Charles-de-Gaulle ! Donc, la boîte de
nuit c’est toucher au symbole français. Ça veut dire toucher à tout et c’est la
merde. Franchement, c’est le mieux ! »
Pour cela, Kassim entend faire passer un message sans ambiguïté. « Tu dis
que tu prêtes allégeance à Abou Bakr al-Baghdadi, tu parles du sujet là que je
t’ai dit parce que c’est très, très important. Et en concluant, en gros, tu dis : “Tant
que vous n’arrêtez pas vos avions, tant que vous continuez de bombarder”, tu dis
qu’on va intensifier les attaques. »
* * *
Huit mois plus tôt, le 3 mars 2016, Salah-Eddine Gourmat, alias GTA, s’est
montré directif lorsqu’il a pris contact sur Telegram avec un sympathisant de
l’État islamique basé en France et qui a promis d’aider la cause1. « On veut
quatre kalach ! Et, avec chaque kalach, quatre chargeurs et des munitions ! »
Le sympathisant se veut rassurant. Il connaît un copain qui lui-même connaît
un marchand d’armes dans son quartier. Ce dernier vend des kalachnikovs aux
équipes de braqueurs.
« Il faut absolument que tu y ailles tout seul et que tu les achètes, ordonne
Gourmat. Ensuite, on verra comment faire pour les récupérer chez toi. »
Le sympathisant s’inquiète, il n’y connaît rien en armes et ne voudrait pas se
faire abuser lors de l’achat. Il préférerait être accompagné de son interlocuteur.
« J’ai des instructions, je ne peux pas me permettre de te rencontrer, désolé.
Va falloir que tu les achètes tout seul », lui répond Gourmat, qui envoie au
néophyte une vidéo cryptée montrant comment démonter et monter un AK-47.
Le salafiste prévient un peu plus tard qu’il a vu le marchand d’armes. Ce
dernier proposerait les quatre kalachnikovs et seize chargeurs garnis pour douze
mille euros.
Le 15 mars, Gourmat est aux abonnés absents.
« Tu es là ? » tente le salafiste en début d’après-midi.
En temps normal, Gourmat se connecte à partir de 15 heures sur Telegram.
À 17 h 56, il donne un fugace signe de vie.
« Ouais, attends, je vais te répondre. Juste je suis occupé. »
D’habitude, l’achat des quatre kalachnikovs est une priorité pour lui. Pas ce
jour-là. Quelques heures plus tôt, la police belge est tombée, presque par hasard,
sur la planque de Salah Abdeslam et de ses complices, qui ont fait feu. Deux
hommes seraient en fuite, annoncent les médias. À Raqqa, le bureau des
opérations extérieures est sur le pont.
Une semaine plus tard, Gourmat recadre le salafiste. Celui-ci lui a envoyé les
coordonnées GPS de l’endroit en forêt où, avec un complice, il a enterré toutes
les armes. Sans en parler à son émir.
« Akhy, il y a certaines choses qu’on doit remettre au clair : tu aurais dû me
consulter avant d’aller enterrer les affaires. Tu t’es précipité et maintenant on va
devoir refaire les choses correctement. 1) Tu dois enterrer trois kalach et en
garder une pour toi. 2) Il faut que personne ne connaisse l’endroit où tu les as
enterrées (même pas ton pote qui t’a aidé à porter), par conséquent, il va falloir
que tu changes d’endroit. Je ne peux pas me permettre que quelqu’un d’autre que
toi et moi connaisse la planque : c’est notre méthodologie de travail. […] Une
fois que tu as fait ça, tu nous transmets les informations. Ensuite il faudra que tu
passes à l’action SEUL. »
Mais le salafiste ne témoigne pas d’un enthousiasme débordant à l’idée de
déterrer les armes de guerre.
Gourmat le relance dans la nuit.
« Tu es un soldat du califat ! Sache que tout soldat doit obéissance à son
émir. Il se peut que je te demande de faire telle ou telle chose, sache que ce sont
des commandements qui te viennent d’en haut et non pas le fruit de mes désirs
personnels. »
Rien n’y fait.
Les armes restent enterrées sous un arbre de la forêt de Montmorency.
* * *
Dans la mythologie grecque, Ulysse est ce héros qui donna son nom au
voyage long de dix années qu’il entreprit pour rejoindre son foyer et sa bien-
aimée. Il est aussi celui qui inventa le cheval de Troie permettant, par la ruse, de
triompher d’une guerre qui n’en finissait pas. C’est en référence à ce dernier fait
d’armes qu’Ulysse est le nom de code donné, sur les procès-verbaux, au
cyberpatrouilleur chargé d’infiltrer le bureau des opérations extérieures de
l’Amniyat. Sa cible, Salah-Eddine Gourmat, est baptisée Priam, du nom du roi
de Troie qui laissa entrer le cheval de bois rempli de soldats grecs dans sa cité.
Quand Gourmat contacte sur Telegram le sympathisant recruté par les
Amniyyin du premier échelon, il ne s’imagine pas que l’individu, effrayé par la
tournure qu’ont prise ses conversations avec les djihadistes, est déjà allé sonner à
la porte de la DGSI. L’homme est salafiste, certes, et il désapprouve les lois de la
République, mais il n’entend pas être impliqué dans un projet d’attentat. Le
contre-espionnage se procure alors les identifiants et les codes de ses comptes en
relation avec les membres de l’EI. Démarre ce que le jargon administratif
désigne sous l’expression d’« enquête sous pseudonyme ».
Et c’est donc à Ulysse, un agent de la DGSI, que Gourmat passe la
commande de quatre kalachnikovs et d’autant de chargeurs, et qu’il révèle
certaines des façons d’opérer de l’Amniyat.
En 2013, le « magazine du salafi moderne » se retrouvait dans les
ordinateurs de nombreux islamistes français. Son auteur y présentait « les 10
étapes pour démasquer facilement un infiltré ». Depuis, plusieurs tutoriels de
l’EI ont répété les consignes de sécurité afin d’éviter pareil désagrément. En
cette occasion, le propre service secret du califat s’est cependant fait berner.
Pourtant, comme à leur habitude, les Amniyyin ont mené une enquête sur
leur nouvelle recrue. Un jour, Gourmat pose dans la conversation une question
piège :
— Quand tu es venu avec ta famille en Turquie, il s’est passé quoi en
France ?
— Je n’ai jamais été en Turquie avec ma famille, répond Ulysse,
parfaitement au courant du passé de celui dont il emprunte l’identité.
La légende d’Ulysse tient bon. L’opération d’infiltration peut se poursuivre.
* * *
* * *
* * *
La cible des terroristes présumés n’a pas pu être déterminée, même si des
consultations de sites Internet permettent de déduire que le Palais de Justice de
Paris ou le 36, quai des Orfèvres étaient notamment envisagés.
Un des gardés à vue s’offusque quand on lui demande pourquoi il a tapé
dans un moteur de recherche « bâtiment de la DGSE ». « Pourquoi on n’a pas le
droit de taper “bâtiment de la DGSE” ? C’est interdit ? ! s’insurge-t-il. Je ne vais
pas perpétrer un attentat dans un endroit où les gens sont armés jusqu’aux
dents. »
Entendu dans le bureau d’à côté, l’un de ses complices explique pourtant que
« le but était de se faire tuer par des policiers ou des militaires ».
Depuis que la presse a révélé que la DGSE était impliquée dans le
bombardement d’un camp d’entraînement où étaient censés se trouver
Abdelhamid Abaaoud et Salim Benghalem un mois avant le 13 Novembre,
l’Amniyat s’intéresse en effet au « bureau des légendes » français. Salim
Benghalem a notamment consulté depuis la Syrie une édition numérique du
Figaro Magazine consacrée à la DGSE et rappelant où loge le service secret.
* * *
2. Concernant les techniques d’enquête abordées dans les deux chapitres consacrés à cette affaire, celles qui ont été
laissées dans l’ombre, et les raisons de ces choix, voir les sources en fin d’ouvrage.
XXXVI
* * *
Cherchez la femme !
Les agents de la DGSI ont retrouvé Tarik Jadaoun incarcéré dans une prison
irakienne, sept mois après l’avoir cherché dans un train en région parisienne. Le
6 mai 2017, un « service partenaire » avait signalé au contre-espionnage français
que le Belge Jadaoun pourrait rejoindre l’Hexagone pour y perpétrer un attentat
commandité par l’État islamique. La fiche de police de ce natif de Verviers ainsi
que celles des deux autres djihadistes censés l’accompagner avaient été aussitôt
diffusées sur Twitter par un journaliste habitué du genre. Ce qui avait occasionné
l’évacuation de la gare du Nord, une guichetière de la SNCF croyant, à tort,
avoir reconnu les visages des terroristes.
La publication d’une vidéo montrant Jadaoun en Irak deux semaines plus
tard avait alors suscité des sueurs froides au sein de la lutte antiterroriste. Était-
ce un nouveau piège des survivants de l’Amniyat ? Un leurre visant à masquer la
présence réelle en Europe de Tarik Jadaoun, que la presse belge présentait
comme « le nouvel Abaaoud » ?
Mais non, Tarik Jadaoun était bel et bien présent en Irak. Caché dans le
quartier al-Farouk dans la vieille ville de Mossoul libérée de l’emprise de l’État
islamique, il s’est rendu aux forces irakiennes, au petit matin du 12 juillet 2017.
Sans arme, ni document compromettant, Jadaoun se présente comme un modeste
infirmier du califat mais, quoi qu’il dise, il ne peut camoufler son passé. En trois
ans, il a menacé la Belgique, participé à des exécutions et entraîné au combat des
enfants âgés de huit à treize ans. Interrogé par la CIA, il reconnaît lui-même
avoir été en contact avec les futurs auteurs des attentats de Magnanville et de
Saint-Étienne-du-Rouvray. Il semble avoir travaillé pour la cellule de
recrutement en Europe de terroristes, au même titre que Rachid Kassim et
Maxime Hauchard.
Après les Irakiens, les Américains et les Belges vient le tour des Français,
qui l’interrogent, au mois de novembre, à propos d’un ressortissant djihadiste de
seconde zone. Tarik Jadaoun leur répond qu’il a beaucoup mieux à raconter. Si
ça intéresse les renseignements, il est susceptible de communiquer des
informations sur Tyler Vilus.
* * *
Demain
* * *
La tragédie de Cassandre
* * *
LES SURVIVANTS
Abou Bakr al-Baghdadi
À l’heure où ces lignes sont écrites, le calife est en vie et dirige toujours
l’État islamique. Dans un message de cinquante-cinq minutes diffusé le 22 août
2018 sur Telegram, Abou Bakr al-Baghdadi a appelé à poursuivre le djihad
malgré les défaites.
Salah Abdeslam
Condamné à vingt ans de réclusion criminelle en Belgique pour son
implication dans la fusillade de Forest en mars 2016. Au cours de son procès,
Salah Abdeslam a refusé de s’exprimer sur les faits, contestant la légitimité du
tribunal.
« Jugez-moi, je n’ai pas peur de vous et de vos associés. Je ne mets ma
confiance qu’en Allah, a-t-il expliqué. Mon silence ne fait pas de moi un
criminel et un coupable. […] Il y a des preuves tangibles dans cette affaire, je
veux qu’on me juge pour ça. Pas pour satisfaire l’opinion publique et les médias.
[…] Les musulmans sont jugés et traités de la pire des manières,
impitoyablement, sans présomption d’innocence. »
Il est toujours mis en examen pour sa participation aux attentats du 13
Novembre.
Contacté par mail, l’avocat de Salah Abdeslam n’a pas donné suite.
Mohamed Abrini
Mohamed Abrini est mis en examen pour sa participation aux attentats du 13
Novembre à Paris et à ceux du 22 Mars à Bruxelles.
Anis Bahri & Réda Kriket
Suspectés d’avoir projeté un attentat en France, Anis Bahri et Réda Kriket
sont mis en examen pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle » et
« infraction à la législation sur les armes en bande organisée ». En garde à vue,
Réda Kriket avait assuré à propos de l’arsenal trouvé dans sa planque que
« beaucoup de choses devaient servir à du banditisme ». Anis Bahri conteste
toute participation à un projet terroriste. Après son interpellation aux Pays-Bas,
il avait tenté de s’opposer à son extradition, assurant avoir peur d’une
condamnation à la perpétuité et de « traitements inhumains » dans les prisons
françaises.
Contactés, les avocats d’Anis Bahri et de Réda Kriket n’ont pas donné suite
à nos appels.
(Les) Beatles
Début 2018, les deux derniers Beatles ont été capturés en Syrie. Alexanda
Amon Kotey et El Chafee el-Cheikh faisaient partie de ce groupe de bourreaux
britanniques qui aurait, selon l’estimation des États-Unis, assassiné vingt-sept
otages occidentaux ou asiatiques.
Réda Bekhaled
Courant novembre 2018, Réda Bekhaled doit être jugé par une cour d’assises
spéciale, en compagnie de ses cinq frères et sœur. Trois d’entre eux, toujours
présumés en Syrie, devraient être absents. Réda est accusé d’avoir incité et
facilité le départ de Français, dont plusieurs filles mineures, vers la Syrie, mais
aussi d’avoir projeté un attentat en France.
Au cours de l’instruction, Réda Bekhaled a expliqué qu’il comptait
commettre un braquage, et non un attentat. Contacté, son avocat, Me Florian
Lastelle, prévient que « la thèse de l’accusation sera fermement discutée » et met
en garde « contre la présentation qui est faite de ce jeune homme avant tout
procès, il y a beaucoup de choses à dire sur son histoire, sa personnalité, la
réalité n’est pas aussi simple ».
Jejoen Bontinck
Condamné à quarante mois de prison avec sursis pour son implication dans
le groupe Sharia4Belgium, qui réclamait ouvertement l’instauration de la charia
en Belgique, y compris par la violence.
Bilal Chatra
Le 29 avril 2016, le jeune Algérien a été arrêté à Aix-la-Chapelle pour
escroquerie. Il est en prison quand les services de renseignement allemands
alertent la justice : Bilal Chatra serait impliqué dans trois projets d’attentats
menés par Abdelhamid Abaaoud. Extradé en France, Bilal Chatra est mis en
examen pour « complicité de tentatives d’assassinat terroriste » et « association
de malfaiteurs terroriste criminelle » dans le dossier de l’attaque ratée du Thalys.
Mourad Farès
S’est rendu à la DGSI en août 2014. En attente de son procès pour le rôle de
recruteur qu’il a joué auprès de nombreux candidats au djihad.
Sid-Ahmed Ghlam
L’étudiant en électronique reconnaît sa participation à un attentat, mais
assure que ce serait un certain Abou Hamza qui aurait tué Aurélie Châtelain dans
sa voiture à Villejuif, avant de prendre la fuite. Contrairement à ce qu’indique
une expertise balistique, Sid-Ahmed Ghlam se serait, selon ses déclarations,
volontairement tiré une balle dans la jambe : « […] Si je ne le faisais pas et que
je me rendais directement à la police, je ne savais pas ce qu’ils allaient me faire
ou à ma famille. » Il est toujours mis en examen pour l’assassinat d’Aurélie
Châtelain. Contacté, Me Christian Benoît, l’avocat de Sid-Ahmed Ghlam, n’a
pas souhaité s’exprimer.
Hicham el-Hanafi
Mis en examen dans le cadre du projet d’attentat dit de Strasbourg-Marseille,
Hicham el-Hanafi conteste les faits qui lui sont reprochés.
Réda Hame
Mis en examen, Réda Hame a reconnu avoir été mandaté par Abdelhamid
Abaaoud pour commettre un attentat lors d’un concert mais assure avoir
abandonné ce projet.
Mehdi Nemmouche
Mis en examen en Belgique comme auteur présumé de la tuerie du Musée
juif de Bruxelles, et en France pour son rôle présumé de geôlier des otages
occidentaux, Mehdi Nemmouche conteste les faits.
Contacté par mail, l’avocat de Mehdi Nemmouche n’a pas donné suite.
Rached Riahi
Condamné en son absence à vingt ans de réclusion criminelle en juin 2017
dans le procès de la filière Cannes-Torcy. Présumé décédé depuis plusieurs
années, il a repris contact avec sa famille au printemps 2018.
Abdelmalek Tanem
Abdelmalek Tanem a été interpellé le 29 avril 2014 en Espagne alors qu’il
s’apprêtait à rejoindre l’Algérie. Le garde du corps d’Abou Obeida a fui la Syrie
au printemps 2014. « Il nous a laissés tomber », tempête alors Salim Benghalem.
« Je sais que Malek était terrifié lorsqu’il est arrivé à Istanbul, car il avait peur
des représailles. Salim m’a dit qu’il avait fait quelque chose de grave, il ne m’a
pas dit quoi », expliquera l’épouse de Benghalem.
Le 7 janvier 2016, Abdelmalek Tanem a été condamné à neuf ans de prison
pour sa participation à une filière d’envoi de djihadistes. Dans le courant de l’été
2018, il a été placé en garde à vue. Il est suspecté d’avoir été l’un des geôliers
des otages occidentaux. Faute d’éléments concrets, il n’a pas été mis en examen
dans ce dossier.
(La cellule de) Verviers
Les survivants de la cellule de Verviers ont été condamnés en juillet 2016 à
des peines de prison allant de cinq à seize ans d’emprisonnement. Celui qui se
faisait appeler Pachtoune a écopé de la plus grosse peine.
Tyler Vilus
À l’heure où ces lignes sont écrites, le rôle de Tyler Vilus dans la cellule des
attentats de Paris n’a pas été établi judiciairement. En revanche, il a été mis en
examen, en juillet 2017, pour « direction d’une organisation terroriste ». Un chef
de mise en examen passible de trente ans de prison.
Interrogé par un juge d’instruction qui lui a demandé s’il était « l’un des
leaders francophones de l’organisation », Tyler Vilus a nié.
— J’ai été un membre de l’État islamique, mais je n’ai pas participé à des
actions qui étaient combattantes. J’étais dans les médias. Mon rôle consistait à
écrire dans les journaux tenus par l’État islamique et à m’occuper des sites. […]
Pour être clair, j’allais sur les zones de combats avec les combattants, mais je ne
combattais pas moi-même. Je m’occupais de tout ce qui était lié à la couverture
médiatique de l’événement : je prenais des photos, j’écrivais des articles en
français, etc.
— Quel est votre regard sur les attentats récemment survenus à Paris et à
Saint-Denis ?
— Ma religion, l’islam, interdit à tout musulman de tuer des innocents.
Contacté, son avocat Me Louis-Romain Riché a répondu par mail qu’il ne
souhaitait pas s’exprimer « dans la mesure où l’instruction est toujours en cours
et de ce fait la présomption d’innocence doit être respectée. »
Khalid Zerkani
Condamné au printemps 2016 à quinze ans de réclusion criminelle pour son
rôle de recruteur dans les filiales d’envoi de djihadistes en Syrie.
LES SOURCES
* * *
* * *
Écoutes téléphoniques
Écoute entre la sœur de Rached Riahi et une amie, 5 mai 2013.
Écoutes téléphoniques entre Abdelmalek Tanem et le logisticien de la filière
d’envoi de djihadistes du Val-de-Marne, les 3, 4 et 18 juin, les 1er, 5, 14 et 26
juillet et les 5 et 8 août 2013.
Écoute téléphonique entre Abdelmalek Tanem, Mehdi Nemmouche et Mehdi
I., 5 juillet 2013.
Écoute téléphonique entre Salim Benghalem et un candidat au djihad, 7
juillet 2013.
Écoute téléphonique entre Salim Benghalem et le logisticien de la filière
d’envoi de djihadistes du Val-de-Marne, 8 août 2013.
Écoute téléphonique entre Imad D. et Jean-Michel Clain, 24 octobre 2014.
Écoute téléphonique de la mère de Foued Mohamed-Aggad avec son autre
fils les 17 et 20 novembre 2014, avec sa propre sœur le 22 novembre 2014 et une
personne non identifiée le 27 janvier 2015.
Écoute téléphonique entre la mère de Foued Mohamed-Aggad et sa propre
sœur, 23 mars 2015.
* * *
* * *
* * *
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Articles de l’auteur
Le matériau de certains des chapitres avait déjà été publié, ces articles sont
référencés ici :
« Le djihad par intérim », M, le magazine du Monde, 28 juin 2014.
« Les confidences de l’émir déchu des frères Kouachi », Mediapart, 8 janvier
2016.
« La vérité sur l’assaut du RAID à Saint-Denis », Mediapart, 31 janvier
2016.
« Ces terroristes qui menacent la France : la chaîne de commandement qui
conduit aux attentats », Mediapart, 23 mars 2016.
« James Bond contre Système D », Mediapart, 15 mai 2016.
« La gestion chaotique des sources humaines », Mediapart, 22 mai 2016.
« Paperasse et politique du chiffre », Mediapart, 1er juin 2016.
« Le tueur de policiers voulait frapper la France depuis 2011 », Mediapart,
14 juin 2016.
« Qui était vraiment le porte-parole de l’État islamique tué en Syrie ? »,
Mediapart, 31 août 2016.
« Mehdi Nemmouche, le djihadiste qui parlait trop », Mediapart, 7
septembre 2016.
« Attentats de Nice et Magnanville : la filiale d’Al-Qaïda qui inspire les
terroristes », Mediapart, 3 octobre 2016.
« Saint-Étienne-du-Rouvray : ces petits riens qui font un attentat », avec
Michel Deléan, Mediapart, 11 novembre 2016.
« La difficile traque des commanditaires du 13-Novembre », Mediapart, 13
Novembre 2016.
« Boubakeur el-Hakim, vie et mort d’un émir français », Mediapart, 14
décembre 2016.
« Attentat de Nice : le terroriste a pu procéder à onze repérages », avec Ellen
Salvi, Mediapart, 23 décembre 2016.
« Les notes cachées sur les frères Kouachi », Mediapart, 7 janvier 2017.
« Un cerveau des attentats européens tué en Syrie », Mediapart, 9 mai 2017.
« Le commando du 13-Novembre avait fait des repérages à Manchester »,
Mediapart, 23 mai 2017.
« Comment l’État islamique combat en Irak et en Syrie », Mediapart, 19 juin
2017.
« Révélations sur les services secrets de l’État islamique », Mediapart, 18
août 2017.
« Quand l’État islamique recherche la taupe d’Alep », Mediapart, 24 août
2017.
« Le bureau des légendes djihadistes », Mediapart, 6 septembre 2017.
« Services secrets de l’EI : la cinquième colonne du djihad », Mediapart, 26
septembre 2017.
« La lutte antiterroriste, principale accusée du procès Merah », Mediapart, 30
septembre 2017.
« Procès Merah : les déficiences du “FBI à la française” », Mediapart, 22
octobre 2017.
« L’État islamique en 2018, vu par les services secrets », Mediapart, 4
février 2018.
« Les enfants tueurs de l’État islamique », Mediapart, 5 mars 2018.
« Vie et mort “présumée” d’un petit commis de la torture », Mediapart, 28
mai 2018.
* * *
PROLOGUE :
* * *
* * *
CHAPITRE I :
L’AGENT PROVOCATEUR
DU CAMP D’ENTRAÎNEMENT
Jean-Charles Brisard et Kevin Jackson, « The Islamic State’s External
Operations and the French-Belgian Nexus », Combatting Terrorism Center
(CTC) de West Point, 10 novembre 2016.
Entretiens, le 25 janvier 2018 et le 6 février 2018, avec « Historicoblog », un
agrégé d’histoire qui, sur son blog à l’origine sur l’histoire militaire, analyse les
vidéos de l’État islamique.
P. 30 : « Il a vu que beaucoup de frères venaient d’Europe et qu’il pouvait
les utiliser, les mélanger avec les locaux. Et ceux qui venaient étaient
enthousiastes, parce qu’il les traitait bien. » : James Harkin, Hunting Season,
Hachette Books, 2015.
P. 33 : « piéger une source qui dissimule des informations » : Kubark, le
Manuel secret de manipulation mentale et de torture psychologique de la CIA,
Zones, 2012.
CHAPITRE II :
SOUS LA COUPE DES BEATLES
Rukmini Callimachi, « The Horror before the Beheadings », New York
Times, 25 octobre 2014.
James Harkin, Hunting Season, op. cit.
CHAPITRE III :
LE MAÎTRE ESPION DE L’HÔPITAL OPHTALMOLOGIQUE
Entretien avec Nicolas Hénin le 2 mai 2017.
CHAPITRE IV :
GUANTÁNAMO-SUR-EUPHRATE
Parce que certains ex-otages ont choisi de ne pas tout dire à leurs proches
des sévices qu’ils ont subis, parce que les actes de torture sont dégradants, mais
qu’ils disent quelque chose de ceux qui les commettent, j’ai décidé de raconter
certaines séances de torture, mais de rendre anonymes les otages qui en ont été
victimes.
Entretien avec Nicolas Hénin le 2 mai 2017.
Entretiens avec des ex-otages requérant l’anonymat, en mai et en novembre
2017.
Entretiens avec des magistrats en mai et juin 2018.
Le parcours de Mohamed Emwazi a été reconstitué à partir de :
Dominic Casciani, « Islamic State : Profile of Mohamed Emwazi aka “Jihadi
John” », BBC, 13 Novembre 2015.
Robert Verkaik, Jihadi John, The Making of a Terrorist, Oneworld, 2016.
P. 53 : « Assidu, travailleur, charmant » : Philippe Bernard, « “Jihadi John” :
comment le timide collégien est devenu bourreau de l’EI », Le Monde, 6 mars
2015.
P. 55 : Le descriptif des pratiques d’interrogatoire de la CIA provient de :
Second rapport sur les « détentions secrètes et transferts illégaux de détenus
impliquant des États membres du Conseil de l’Europe », Union européenne, 11
juin 2007 ; de Techniques d’interrogatoire à l’usage de la CIA, éditions des
Équateurs, 2009 ; de Kubark, le Manuel secret de manipulation mentale et de
torture psychologique de la CIA, Zones, 2012.
CHAPITRE V :
LE SERVICE DE VÉRIFICATION DES SOURCES
Audition de Patrick Calvar devant la commission d’enquête parlementaire
relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme
depuis le 7 janvier 2015, 24 mai 2016.
Entretien avec un haut gradé de la lutte antiterroriste, courant mai 2017.
P. 59 : le détail des missions du département contre-espionnage de l’Amniyat
provient de : Aymenn al-Tamimi, « The Islamic State’s Security Apparatus
Structure in the Provinces », The Archivist, 2 août 2017.
P. 65 : l’anecdote des espions envoyés suivre les procès terroristes en
Grande-Bretagne est tirée de : Robert Verkaik, Jihadi John, The Making of a
Terrorist, op. cit.
CHAPITRE VI :
UNE TERREUR DÉCENTRALISÉE
Aymenn al-Tamimi, « The Islamic State’s Security Apparatus Structure in
the Provinces », The Archivist, op. cit.
L’histoire et toutes les citations concernant Haji Bakr proviennent de :
Christoph Reuter, « The Terror Strategist : Secret Files Reveal the Structure
of Islamic State », Der Spiegel, 18 avril 2015.
P. 69 : L’existence et les missions des quatre branches de l’Amniyat ont été
révélées par : Michael Weiss, « Confessions of an ISIS Spy », The Daily Beast,
15 novembre 2015.
P. 68 : Les anecdotes sur les espions chauffeurs de taxi ou gérants d’hôtel et
l’infiltration au musée de Mossoul sont tirées de : Vera Mironova, Ekaterina
Sergatskova et Karam Alhamad, « ISIS’ Intelligence Service Refuses to Die »,
Foreign Affairs, 22 novembre 2017.
CHAPITRE VII :
LE PÈRE FONDATEUR
DES SERVICES SECRETS DJIHADISTES
La carrière de l’agent double Ali Mohamed a été reconstituée à partir du
livre référence sur Al-Qaïda, La Guerre cachée, du journaliste du New Yorker
Lawrence Wright (Robert Laffont, 2007), et de la biographie très complète que
consacre le Combating Terrorism Center de West Point à Ali Mohamed.
L’histoire du contre-espionnage enseignée dans les camps d’Al-Qaïda a été
racontée à partir notamment de :
Entretien avec Mourad Benchellali en juin 2017.
Entretien avec un vétéran d’Afghanistan en juillet 2017.
Entretiens au printemps 2017 et le 20 avril 2018 avec Kevin Jackson,
directeur d’études au Centre d’analyse du terrorisme (CAT).
P. 74 : L’épisode des deux enfants compromis par les services secrets
égyptiens est tiré de La Guerre cachée, de Lawrence Wright, complété avec les
récentes révélations du livre L’Histoire secrète du djihad, de Lemine Ould
M. Salem (Flammarion, 2018).
P. 73 : « Nous devons désormais disposer de rapports quotidiens sur les
activités dans chaque camp… » : Nasser al-Bahri, Dans l’ombre de Ben Laden,
Michel Lafon, 2010.
P. 75 : Les prescriptions aux membres d’Al-Qaïda proviennent du tutoriel de
propagande « Guidance on the Ruling of the Muslim Spy » signé Abou Yahya
al-Libi, diffusé sur Internet en juillet 2009.
CHAPITRE VIII :
« C’EST PAS LE CLUB MED, ICI ! »
Rukmini Callimachi, « How a Secret Branch of ISIS Built a Global Network
of Killers », New York Times, 3 août 2016.
Entretiens avec « Historicoblog », op. cit.
Entretien avec « Abou Mahdi al-Swissry », 23 mai 2018.
CHAPITRE IX :
UN TAF PARTICULIER
Procès de la mère de Tyler Vilus devant la seizième chambre du tribunal
correctionnel de Paris, 3 et 4 octobre 2017.
Entretiens avec plusieurs sources judiciaires et policières, courant 2017 et
2018.
Entretiens avec « Historicoblog », op. cit.
Les conversations Skype entre Tyler Vilus et sa mère ont été révélées dans :
Soren Seelow, « Tyler Vilus, l’ombre des attentats du 13-Novembre », Le
Monde, 4 octobre 2017 ; Soren Seelow, « Christine Rivière, au nom du fils et du
djihad », Le Monde, 4 octobre 2017.
CHAPITRE XII :
DESTINATION RIVERSIDE
P. 105 : Le montant des rançons payées pour les otages occidentaux a été
révélé par : Rukmini Callimachi, « The Horror before the Beheadings », New
York Times, op. cit.
P. 106 : Les circonstances de la mort de Haji Bakr sont tirées de : Christoph
Reuter, « The Terror Strategist : Secret Files Reveal the Structure of Islamic
State », Der Spiegel, op. cit.
CHAPITRE XIII :
L’ÉTAT ISLAMIQUE CONTRE-ATTAQUE
Audiences du procès de la filière djihadiste de Cannes-Torcy, cour d’assises
de Paris, du 18 avril au 22 juin 2017.
CHAPITRE XV :
LES SHÉRIFS DU SHÂM
Procès de la mère de Tyler Vilus devant la seizième chambre du tribunal
correctionnel de Paris, op. cit.
Entretien avec Géraldine Casutt, 9 mai 2018.
CHAPITRE XVI :
RAQQA PARANO
Audition de Christophe Gomart devant la commission d’enquête
parlementaire relative aux attentats de 2015, 26 mai 2016.
Asaad Almohammad, Anne Speckhard, et Ahmet S. Yayla, « The ISIS
Prison System : Its Structure, Departmental Affiliations, Processes, Conditions,
and Practices of Psychological and Physical Torture », International Center of
Studies of Violent Extremism (ICSVE), 10 août 2017.
Entretien avec un haut responsable de la lutte antiterroriste, courant mai
2017.
Entretien avec « Abou Mahdi al-Swissry », op. cit.
P. 134 : Les anecdotes sur les enfants espions dans les salons de coiffure et
les primes de cinq mille dollars aux indicateurs : Vera Mironova, Ekaterina
Sergatskova et Karam Alhamad, « ISIS’ Intelligence Service Refuses to Die »,
Foreign Affairs, 22 novembre 2017.
P. 135 : « Les femmes ont droit à un quartier spécifique » : Édith Bouvier et
Céline Martelet, Un parfum de djihad, Plon, 2018.
CHAPITRE XVII :
LA DÉFECTION
DE MOHAMED AMINE BOUTAHAR
Entretiens menés avec de haut gradés et des officiers de renseignement, ainsi
que des magistrats de la lutte antiterroriste, dans le courant de l’année 2016 et au
printemps 2017.
Entretiens avec un membre de la famille de Mohamed Amine Boutahar, les
21 et 22 mai 2018.
Entretien avec Éric Rochant, 28 mai 2018.
P. 141 : « agent du MI6 » : Kim Sengupta, « Inside Isis : How UK Spies
Infiltrated Terrorist Leadership », The Independent, 19 octobre 2016.
P. 141 : « le service de renseignements d’un pays européen d’où était
originaire un otage qui a été détenu en même temps que James Foley » : Guy
Van Vlierden, « Terrorist That Imprisoned James Foley Now Executed
Himself ? », emmejihad.wordpress.com, 28 août 2014 ; Guy Van Vlierden,
« Abu Ubaida al-Maghribi, the Dutch Imprisoner of James Foley & Co — His
True Identity Revealed — His Death Detailed — His French Successor
Named », emmejihad.wordpress.com, 12 janvier 2017.
CHAPITRE XVIII :
LA PÉDAGOGIE DE LA TERREUR
« Abu Luqman … Changing the Name with Changing the Mission Entrusted
to Him by ISIS », Raqqa is Being Slaughtered Silently, 13 avril 2015.
Hédi Aouidj, « La couveuse de Daech », revue XXI, printemps 2016.
Audition de Patrick Calvar devant la commission des affaires étrangères de
l’Assemblée nationale, 14 février 2017.
Témoignage d’Abou Soufayya al-Yamani, non daté.
* * *
Seconde partie : La CIA des terroristes
CHAPITRE I :
9 JANVIER 2015
Élise Vincent, « Charlie Hebdo : les dernières zones d’ombre de l’enquête »,
Le Monde, 4 janvier 2016.
CHAPITRE II :
NOTRE AGENT À VERVIERS
Audition de Bernard Bajolet devant la commission d’enquête parlementaire
relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme
depuis le 7 janvier 2015, 25 mai 2016.
Rapport de la commission d’enquête parlementaire relative aux moyens mis
en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015,
Sébastien Pietrasanta, 5 juillet 2016.
Entretiens avec un syndicaliste policier et un haut gradé de la lutte anti-
terroriste, printemps 2017.
Entretien avec une source judiciaire en mai 2018.
P. 163 : L’anecdote de l’analyste de la direction du renseignement de la
DGSE qui étudie les communications entre divers djihadistes belges : Vincent
Nouzille, Erreurs fatales, Fayard, 2017.
CHAPITRE V :
PROTOCOLE FANTÔME
Jacky Durand, « Gang de barbus braqueurs de DAB », Libération, 24
novembre 2004.
« Fausse prise d’otage pour vrai butin : le procès de cinq islamistes
présumés », Jeune Afrique, 15 juin 2010.
« Vrai-faux braquage sur fond de terrorisme islamiste : 18 mois à 12 ans »,
AFP, 1er juillet 2010.
Entretiens avec des hauts fonctionnaires de différents ministères, printemps
2018.
CHAPITRE VII :
L’ÉMIR À LA KIA BLANCHE
Entretien avec un ancien membre de la filière des Buttes-Chaumont,
automne 2015.
Entretien avec un ex-détenu incarcéré en même temps que Boubakeur el-
Hakim, printemps 2016.
P. 190 : « Il fait très peur, il est vraiment impressionnant » ; « Tout le monde
parle de lui comme si c’était je ne sais pas qui. C’est un exemple. Ils savent qu’il
a fait des opérations importantes » : David Thomson, Les Revenants, Seuil/Les
Jours, 2016.
CHAPITRE VIII :
LE BUREAU DES LÉGENDES DJIHADISTES
Résolution concernant les membres de l’État islamique, conseil de sécurité
de l’ONU, 29 février 2016.
Romain Boutilly, « Oussama Atar, soupçonné d’être le coordinateur des
attentats de Paris, est “un bouc émissaire”, selon sa sœur », France Info, 8
novembre 2016.
Entretien avec Kevin Jackson, op. cit.
Entretiens avec « Historicoblog », op. cit.
Entretiens avec des magistrats et des officiers de renseignement.
CHAPITRE IX :
LE DJIHAD SELON JASON BOURNE
Entretien, au printemps 2015, avec un islamiste condamné dans un dossier
terroriste.
Entretien avec Yves Trotignon, le 3 mai 2017.
P. 204 : « On consacre des journées entières à étudier les habitudes de nos
cibles. […] Tous les nouveaux arrivants suivent ce stage qui leur apprend
également à rédiger des lettres codées. » : Nasser al-Bahri, Dans l’ombre de Ben
Laden, op. cit.
CHAPITRE X :
À LA TABLE DU CALIFE
Entretien avec des officiers de renseignement, de haut gradés des services et
des magistrats, printemps 2018.
P. 209 : « Selon des services de renseignement de pays sunnites de la région
[…] Plusieurs capitales européennes et moyen-
orientales seraient visées. » : Intelligence Online, 18 novembre 2015.
CHAPITRE XI :
« ON A BIEN PROGRESSÉ SUR LE SUJET »
Entretien avec « Jacques », septembre 2014.
Audition de Patrick Calvar devant la commission d’enquête parlementaire
relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme
depuis le 7 janvier 2015, op. cit.
Audition de Bernard Bajolet devant la commission d’enquête parlementaire
relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme
depuis le 7 janvier 2015, op. cit.
CHAPITRE XIII :
L’USINE À KAMIKAZES
Soren Seelow, « Est-ce que tu serais prêt à tirer dans la foule ? », Le Monde,
6 janvier 2016.
P. 227 : L’appartement des émirs de l’Amniyat et l’identification, présumée,
de Salim Benghalem aux côtés d’Abdelhamid Abaaoud ont été révélés dans :
Soren Seelow, « Sur la piste d’“Hamza le sniper” », Le Monde, 11 novembre
2017.
CHAPITRE XIV :
« SPY-PHONE » ET BOÎTE AUX LETTRES MORTE 2.0
Entretien avec un analyste informatique des services de renseignement,
printemps 2017.
CHAPITRE XV :
LE SIÈGE 24 A
Procès de la mère de Tyler Vilus devant la seizième chambre du tribunal
correctionnel de Paris, op. cit.
Entretiens avec plusieurs sources judiciaires et policières, courant 2017 et
2018.
Les messages de Tyler Vilus ont été révélés dans : Soren Seelow, « Tyler
Vilus, l’ombre des attentats du 13-Novembre », Le Monde, op. cit.
CHAPITRE XVI :
L’HONORABLE CORRESPONDANT ANGLAIS
Procès de Nicolas Moreau devant la seizième chambre du tribunal
correctionnel de Paris, op. cit.
P. 241 : « Le bourreau de l’EI annonçait qu’il allait bientôt retourner en
Grande-Bretagne en compagnie du calife » : Omar Wahid, « Jihadi John — I
Will Be Back to Britain… and Will Carry On Cutting Heads Off », Mail Online,
22 août 2015.
P. 242 : « Nous voulons faire quelque chose au Royaume-Uni. Quelque
chose de grand. » : Robert Verkaik, Jihadi John, The Making of a Terrorist, op.
cit.
CHAPITRE XVII :
« UN CONCERT, PAR EXEMPLE »
Entretien avec un officier de renseignement, automne 2015.
CHAPITRE XVIII :
L’ÉCLAIREUR
Soren Seelow, « Sur la piste d’“Hamza le sniper” », Le Monde, op. cit.
Entretien avec des sources judiciaires, printemps 2018.
CHAPITRE XX :
UNE PRIORITÉ URGENTE DU SERVICE
Le récit des bombardements français effectués ou envisagés en 2015 a été
reconstitué à partir de : François Clemenceau, « En Syrie, la frappe de la France
visait des djihadistes français », Le Journal du Dimanche, 11 octobre 2015 ;
Jacques Follorou, « Syrie : Salim Benghalem, la cible des frappes françaises à
Rakka », Le Monde, 17 octobre 2015 ; Vincent Nouzille, Erreurs fatales,
Fayard, 2017 ; Vincent Nouzille, « La guerre secrète des services français pour
neutraliser les djihadistes de l’État islamique », Le Figaro, 13 avril 2018.
CHAPITRE XXI :
LE TAXI DES ATTENTATS
L’information concernant la fouille du domicile de Khalid el-Bakraoui est
tirée de : Saim Saeed, « Brussels Bomber’s Home Was Searched Days before
Paris Attacks : Report », Politico, 3 mars 2018.
P. 261 : « À chaque fois qu’on rentrait dans ce café, il y avait des discours de
l’État islamique, c’est-à-dire des appels à la guerre », Envoyé spécial et
Complément d’enquête, 19 novembre 2015 ; Youssef Ait Akdim (au Maroc),
Ariane Chemin et Élise Vincent, « Les Abdeslam, frères de sang », Le Monde,
23 novembre 2015.
CHAPITRE XXII :
LE « BESOIN D’EN CONNAÎTRE »
DES SOLDATS DU CALIFAT
P. 267 : Le récit de la mort de Jihadi John est reconstitué à partir de : Robert
Verkaik, Jihadi John, The Making of a Terrorist, op. cit.
CHAPITRE XXVII :
MARCUS
Entretien avec un islamiste ayant voulu devenir indicateur, printemps 2016.
Entretiens avec des agents et un ex-agent de divers services de
renseignement français, printemps 2016 et courant 2017.
Soren Seelow, « Le djihadiste “repenti” de Paris qui a permis de déjouer un
attentat en Allemagne », Le Monde, 2 juin 2016.
Entretien avec Yves Trotignon, op. cit.
Jörg Diehl et Fidelius Schmid, « Le Ministère public porte plainte contre une
cellule terroriste supposée à Düsseldorf », Der Spiegel, 8 mars 2017.
CHAPITRE XXVIII :
LE CHARME DISCRET DU DUPLEX CONSPIRATIF
Le scénario du 13 Novembre tel que contenu dans l’ordinateur de Najim
Laachraoui a été révélé par : Élise Vincent, « 13 Novembre : l’enquête dévoile
un projet terroriste de grande ampleur », Le Monde, 5 octobre 2016.
CHAPITRE XXX :
LE RÉVEIL DES AGENTS DORMANTS
DU CALIFAT
P. 311 : L’analyse du succès d’une cellule djihadiste parvenant à perpétrer
deux tueries de masse en Europe est tirée de : David Gartenstein-Ross et
Nathaniel Barr, « Recent Attacks Illuminate the Islamic State’s Europe Attack
Network », The Jamestown Foundation, 27 avril 2016.
P. 310 : La conversation entre Mehdi Nemmouche et Salah Abdeslam a été
révélée par : Fabrice Grosfilley avec Patrick Michalle, « Mehdi Nemmouche a
été capable de reconnaître les kamikazes de l’aéroport », RTBF, 24 mai 2016.
CHAPITRE XXXI :
RAQQA, ON A UN PROBLÈME
L’implication de Boubakeur el-Hakim avait été révélée par l’auteur :
« Boubakeur el-Hakim, vie et mort d’un émir français », Mediapart, 14
décembre 2016. Des détails complémentaires ont été apportés par : Soren
Seelow, « Reda Kriket : les mystères d’une enquête à tiroirs », Le Monde, 17 mai
2017.
Entretiens avec plusieurs agents de la DGSI, printemps et automne 2016.
Entretien avec un magistrat belge, printemps 2017.
Entretiens avec plusieurs sources judiciaires, printemps et été 2018.
CHAPITRE XXXII :
OPÉRATION BLEU DE MÉTHYLÈNE
P. 320 : « Les Américains ont eu l’information grâce à une écoute du
Koweïtien Khalid Cheikh Mohamed… » : Jacques Follorou, Simon Piel,
Matthieu Suc, « Frère Djamel Beghal, mentor en terrorisme », Le Monde, 30
janvier 2015.
CHAPITRE XXXIII :
LE COUSIN
P. 323 : Les éléments de réponse de Rachid Kassim sur sa famille et son
cousin sont tirés de : Amarnath Amarasingam, « An Interview with Rachid
Kassim, Jihadist Orchestrating Attacks in France », jihadology.net, 18 novembre
2016.
CHAPITRE XXXVII :
… MAYADIN NON PLUS
Entretien avec un haut gradé de la lutte antiterroriste, op. cit.
Hassan Hassan, « Insurgents Again : The Islamic State’s Calculated
Reversion to Attrition in the Syria-Iraq Border Region and Beyond », Combating
Terrorism Center de West Point, 21 décembre 2017.
Entretiens avec des magistrats et des officiers de renseignement, courant
2018.
P. 349 : Le récit de la mort d’Abou Lôqman a été reconstitué à partir de :
Margaret Coker, « Five Top ISIS Officials Captured in U.S.-Iraqi Sting », New
York Times, 9 mai 2018 ; et des tweets du journaliste italien Daniele Ranieri les
23 et 25 avril 2018.
P. 349 : L’annonce de la mort de Salim Benghalem à sa famille a été révélée
par : Catherine Fournier, « Le djihadiste Salim Benghalem, considéré comme
l’un des commanditaires des attentats de 2015, est annoncé mort par sa famille »,
France Info, 23 mai 2018.
P. 349: Les détails de la bataille où aurait trouvé la mort Salim Benghalem
ont été puisés dans : « La bataille d’al-Boukamal », historicoblog4.blogspot.com,
28 novembre 2017.
CHAPITRE XXXVIII :
CHERCHEZ LA FEMME !
Guy Van Vlierden, « Belgian IS Terrorist Tarik Jadaoun Exposed As
Executioner in Mosul », emmejihad.wordpress.com, 22 mai 2017.
Guy Van Vlierden, « Confessions of Belgian IS Terrorist Tarik Jadaoun in
Iraq », emmejihad.wordpress.com, 5 janvier 2018.
CHAPITRE XXXIX :
DEMAIN
P. 357 : La rencontre en Libye entre le futur auteur de l’attentat de
Manchester et des membres de la katibat al-Battar a été révélée dans : Rukmini
Callimachi et Eric Schmitt, « Manchester Bomber Met with ISIS Unit in Libya,
Officials Say », New York Times, 3 juin 2017.
ÉPILOGUE :
LA TRAGÉDIE DE CASSANDRE
Entretiens avec diverses sources judiciaires, courant 2017 et 2018.
Procès de Nicolas Moreau devant la seizième chambre du tribunal
correctionnel de Paris, op. cit.
Mathieu Delahousse, « La tour Eiffel était visée : dans les secrets d’un
attentat déjoué », L’Obs, 20 juin 2018.
BIBLIOGRAPHIE
Ce livre n’aurait jamais vu le jour sans Mediapart. D’abord bien sûr parce
que son idée et son titre sont tirés d’une série d’articles parus à l’automne 2017,
consacrés au sujet des services secrets djihadistes. Ensuite parce que plusieurs
passages du livre sont puisés dans mes articles publiés depuis trois ans. Enfin, et
surtout, parce que Mediapart m’accorde une liberté rare et un luxe de moyens
pour mener mes enquêtes. Alors un très grand merci à Edwy Plenel et François
Bonnet pour m’avoir embauché et pour tout le reste, à Carine Fouteau, Stéphane
Alliès et Michaël Hajdenberg pour poursuivre l’aventure, et à l’ensemble de
l’équipe parce que c’est un bonheur quotidien de travailler en son sein.
Un merci tout spécial à Fabrice Arfi, qui s’est enthousiasmé le premier pour
le sujet, me poussant, quand j’envisageais de ne produire qu’un court article, à
en faire un livre.
Chez HarperCollins, je suis sous la coupe d’un gang de femmes : Sabrina
Arab, Delphine Saubaber et Hélène Vaveau, qui ont supporté mes emportements,
m’ont repêché quand je me noyais sous la charge de travail et ont par leurs
suggestions, leurs corrections, amélioré significativement le manuscrit.
Ce livre doit également beaucoup à mes confrères Wassim Nasr et Guy Van
Vlierden, qui m’ont apporté leurs éclairages et ont rectifié mes erreurs. Fins
connaisseurs des réseaux djihadistes, de leurs doctrines et de leurs propagandes,
Jean-Charles Brisard, président, et Kevin Jackson, directeur de recherches au
Centre d’analyse du terrorisme (CAT), Jean-Paul Rouiller, du Geneva Centre for
Security Policy (GCSP), et Yves Trotignon, professeur à Sciences Po, m’ont
guidé dans mes recherches à propos de la littérature terroriste et de certaines
communications de l’État islamique. L’agrégé d’histoire qui se cache sous le
pseudo d’« Historicoblog » a développé un savoir encyclopédique sur la façon
dont l’État islamique conduit ses guerres, mais également sur la géographie du
califat, ce qui a été plus que précieux pour moi qui n’ai jamais mis les pieds en
Syrie ou en Irak.
Enfin, merci à tous ceux qui restent en marge de ces pages, magistrats, haut
et petits gradés des services de renseignement, anciens des services français ou
d’ailleurs, avocats, proches de djihadistes, ex-djihadistes, victimes de l’État
islamique, qui ont pris le temps et pour certains le risque de me parler.
Quant à mes proches, ayant subi, comme pour chaque livre, mes absences,
mes silences, c’est fini. Je reviens.
© 2018, Matthieu Suc.
© 2018, HarperCollins France SA.
ISBN 979-1-0339-0318-5
HARPERCOLLINS FRANCE
83-85, boulevard Vincent-Auriol, 75646 PARIS CEDEX 13
Tél. : 01 42 16 63 63
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Cette œuvre est une œuvre de fiction. Les noms propres, les personnages, les lieux, les intrigues, sont soit le fruit de l’imagination de
l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des
entreprises, des événements ou des lieux, serait une pure coïncidence.