2001 Liturgie, Interprete de L 'Ecriture 1
2001 Liturgie, Interprete de L 'Ecriture 1
2001 Liturgie, Interprete de L 'Ecriture 1
INTERPRÈTE DE L'ÉCRITURE
1
LES LECTURES BmLIQUES
POUR LES DIMANCHES ET FÊTES
CONFÉRENCES SAINT-SERGE
XLVIII' SEMAINE D'ÉTUDES LITURGIQUES
Paris, 2S - 28 Juin 2001
éditées par
A.M. TRlACCA et A. PISTOIA
A23 MA
BLANCHARD Y.-M. - BOBRINSKOY B. - CARBONNIER-BURCKHARDT M.
CERNOKRAK N. - FLEINERT-JENSEN F. - GAGNEBIN L. - GARNIER S.
GETCHA J. - HAROUTIOUNIAN-THOMAS G. - JANERAS S. - JEANLIN F.
LONGEAT J.-P. - LOSSKY A. - METZGER M. - POLFLlET J. - RENOUX C.
TRIACCA A.-M.
@
EDIZIONI LITURGICHE
BIBLIOTHECA « EPHEMERIDES LITURGICAE »
«SUBSIDIA »
----------119----------
© Centre Liturgico Vincenziano, 2002
ISBN 88-7367-007-5
CL V-EDIZIONI LITURGICHE
Via Pompeo Magna, 21 - 00192 Roma
II
ORIGINES
III
IV
ENJEUX THÉOLOGIQUES
psalmique dit aussi: «Ignitum verbum Umm sen'i tui, Domine, diligamus,
quod in nabis ... et scientiae lumen accendat »5. En effet, ['amour, la vénéra-
tion, ['utilisation, la prière de la même parole de Dieu constituent les carac-
téristiques communes à toute tradition liturgique d'hier et d'aujourd'hui.
Cela est d'autant plus vrai que la Liturgie de la Parole est si intimement
unie à la Liturgie du Sacrement qu'elle constitue un seul acte de culte, dans
la mesure où elle souligne le parallélisme entre table de la parole de Dieu et
table eucharistique. Des deux procède - de façon différenciée - la nourriture
spirituelle du croyant pour sa vie chrétienne.
De là découle l'importance accrue accordée à la parole de Dieu dans la
célébration liturgique. Parler donc de la "célébration" de la parole de Dieu
équivaut à parler non seulement d'une des présences les plus significatives
du Christau milieu de nous (cf ci-dessous 1.1.), après la présence euchari-
stique et celle au sein de nos frères, mais aussi de la nourriture intérieure de
notre foi, de la vitalité lumineuse et spécifique provenant de la parole de
Dieu que l"'intelligence de l'Église", avec sa croissance quotidienne dans
la ''foi priée ", découvre et approfondit toujours davantage (cf plus bas
1.2.).
La présence du Christ dans la parole de Dieu est unique parce que c'est Lui
qui parle quand dans l'Église on lit la Sainte Écriture.
La proclamation de la Sainte Écriture, qui dépend aussi de la diversité
des actions liturgiques (il est clair qu'un sacrement n'est pas un sacramen-
tal) et de l'efficacité graduelle dans le "coeur" des auditeurs et des partici-
pants, n'invalide pas la réalité de la présence du Christ. Une telle présence
est efficace en vue de la réalisation du "mysterium salutis" avec la double
dimension descendante ou de sanctification Chomines sanctificat) et ascen-
dante ou de culte (Patri cultum tribuit perfectum). Dans ce sens, la parole de
Dieu dans l'action liturgique assume pleinement la finalité propre aux deux
dimensions, qui sont précisément la sanctification et le culte: réalités qui
sont toujours filtrées par l'action liturgique et qui sont implicitement com-
prises dans le dynamisme de la parole de Dieu. Celle-ci toutefois, dans la
réalisation concrète de l'économie du salut, postule, exige et conduit à l'acte
de la célébration.
8 Augustin exprime la même idée quand il affirme: « Praedicauerunt [sc. Apostoli] uer-
bum ueritatis. et genuerunt ecc1esias, non sibi. sed illi » (AUGUSTINUS HIPPONENSIS, Enar-
raliones in Psalmum 44, 23 [::: CCL 38. 510]). Yoir aussi TERTULLIANUS, De praescriptio-
ne haereticorum 20,1-9 (= CCL 1. 201-202); 21,1-7 (= CCL 1,202-203); 22, 8·10 (= CCL
1.204).
12 ACHILLE M. ffiIACCA
9 Voir A.M. TRIACCA, L'azione silenziosameme efficace dello Spiriro Santo nella procla-
mazione della Parola di Dio, in Liturgia 16 (1982) 294-301.
PRÉSENTA TIQN 13
Axiomes irremplaçables
Les rechel'ches ultérieures, qu'on souhaite voir réalisées par des per-
sonnes plus compétentes que l'auteur de ces lignes, ne doivent pas se départir
des axiomes suivants, dont la liste est indicative et non exhaustive:
1) Tandis que la parole de Dieu convoque l'assemblée liturgique pour
la célébration, celle-ci invoque l'Esprit Saint par lequel le Christ est pré-
sent, elle évoque le mystère dont onfait le mémorial et elle provoque l'enga-
gement et la responsabilité dans la vie du fidèle.
2) Le rôle de la parole de Dieu dans l'action liturgique est de faire du
vécu du fidèle une "parabole évangélique" afill que la célébration assume
un où, un comment, un quand existentiels et salvifiques.
3) La "récupération" biblique de la Liturgie postule et exige une "ré-
cupération" liturgique de la Bible. Cela reviellt à dire que:
4) La spiritualité du peuple de Dieu vit de la parole de Dieu célébrée
et de la Liturgie dans laquelle on "professe", on "confesse", on "célèbre"
le coeur du Mystère du Christ qui est le mystère pascal. Ainsi:
5) La Table de la parole de Dieu et la Table liturgique ne sont pas
concurrentielles, mais complémentaires. Avec la "table dévotionnelle", elles
constituent - paifois - une concurrence indigeste, même si la "table
dévotionnelle" doit contribuer à susciter le désir des deux autres.
6) Il est urgent par conséquent de concevoir une mystagogie ambiva-
lente qui introduise aux mystères célébrés et en premier lieu aux mystères
PRÉSENTATION
Principes inéluctables
Il est certain que, dans SOlI impact sur la célébration, la parole de Dieu
conduit soit au dépassement "tricotomique" radical que d'aucuns vou-
draient relever entre "parole" - "célébration" [= sacrement] - "vie", soit
à la suppression des exégèses trop érudites, ou réductives, ou intimistes, ou
hérétiques. En effet si l'on tient compte des principes que l'on va énoncer, et
si l'on se rappelle qu'ils sont connexes et se compénètrent, alors on pourra
arriver plus facilement à des exégèses hannonieuses, vitales et vivifiantes.
1) Principe de la continuité de la présence des mystères entre l'événe-
ment historique concentré dans l'Écriture Sainte et le mémorial liturgique
qui la célèbre et la rend présente.
2) Principe de la relation mutuelle entre la formulation inspirée de la
parole de Dieu et l'histoire du salut à rendre accessible aux personnes
moyennant la célébration.
3) Principe de l'assemblée liturgique constituée et tissée par l'Esprit
Saint, "mémorial" des assemblées cultuelles historico-salvifiques par lequel
dans l'assemblée la parole de Dieu retrouve le locus où elle peut développer
et réaliser les contenus qu'elle véhicule.
4) Principe de la centralité du Christ qui confère une valeur totale à la
parole de Dieu, dont l'unité christologique fait polariser et converger le
sens premièrement et f01ulamentalemel1t vers le Christ, à qui appartient la
célébration parce qu. 'il est le "Ministre" Suprême et Éternel.
5) Pn"ncipe du "caractère concret de l'Église" par lequel la parole de
Dieu dans l'action liturgique atteint la plénitude de sa signification au point
16 ACHILLE M. TRIACCA
Achille M. TRIACCA
Épiphanie du Seigneur 2002
14
11 vaut la peine de rappeler ce qu'a écrit Grégoire le Grand à ce propos (nous souli-
gnons): ({ Scia enim quia plerurnque multa in sacro eloquio, quae saIlLI' intellegere non potui,
('oramfratribw.' meis positWi inrellexi. Ex quo intellectu et hoc quoque intellegerc studui, ut
scirem ex quorwn mihi merito intellectus daretur. Patet enim quia hoc mihi pro illis dmur qui-
bus mihi praesentibus datur» (GREGORlUS MAGNUS, Homiliae in fijezechielem 2, 2, 1
[= CCL 142,225]). D'habitude les commentateurs les plus avisés voiem dans le cnramfratri-
bus meis positll.\". intellexi... une portée herméneutique de la Parole émanant du contexte com-
munautaire, lequel contexte se trouve évidemment dans l'assemblée liturgique.
l
PRÉSENTATION DES TRADITIONS
LITURGIQUES
LE SYSTEME DES LECTURES BIBLIQUES
DU RITE BYZANTIN
1. Prolégomènes
2 Ibid., p. 138 (voir note 40). Il est prévu de lire à ce moment, entre Pâques et la Pente-
côte, les Actes des Apôtres, et les autres dimanches de l'année, les sept épîtres catholiques, les
quatorze épîtres pauliniennes et l'Apocalypse de Jean (cf. Typikon, Moscou, 1904 (repr. Graz,
1964), chap. 2, 1er N.B., p. 5v.
LE SYSTEME DES LECTIJRES BIBLIQUES DU RITE BYZANTIN 27
b) Les Lectionnaires
Le fait qu'i! y ait trois types de lectures bibliques dans le rite byzantin
a amené la création de trois types de lectionnaires différents: le Prophé-
tologe ("pO~T]nKov), l'Apôtre (ànocnoÀoç) et l'Evangéliaire (EùayyÉÀtOv).
Le Prophétologe contenant les lectures prophétiques des Vêpres est un
livre maintenant disparu dans l'usage actuel du fait que le texte des lec-
tures prophétiques se trouve imprimé dans les Ménées, le Triode ou le
Pentecostaire qui sont maintenant utilisés pour ces lectures. Mais il n'en
demeure pas moins qu'il a existé, et l'étude des Prophétologia peut
s'avérer très utile pour déterminer l'histoire du système byzantin de
lectures bibliques'.
De leur côté, le livre de l'Apôtre et l'Evangiliaire contiennent les
lectures néo-testamentaires et peuvent être organisés de deux manières.
Il y a ce qu'on appelle d'une part les «Lectionnaires» à proprement
parler ou «Aprakos » qui présentent le texte des lectures en fonction des
jours et solennités de l'année, bref, d'après leur usage liturgique, et
d'autre part les livres de l'Apôtre et les Tétra-évangiles liturgiques qui
présentent le texte complet tel qu'il apparaît dans une édition courante
du Nouveau Testament, en indiquant cependant dans les marges les dif-
férentes sections de lectures, le début et la fin <Je la péricope et éven-
tuellement les passages à omettre, l'indication du jour de l'année ou de
la solennité fêtée, et les phrases introductives.
En effet, dans le rite byzantin, pour les lectures du Nouveau Testa-
ment, à côté des références habituelles à partir du numéro de chapitre et
des numéros de versets, il existe en plus un système de numérotation par
péricope. Ainsi, l'évangile de Matthieu est divisé et numéroté en 116 pé-
ricopes, celui de Marc en 71 péricopes, celui de Luc en 114 j>éricopes et
celui de Jean en 67 péricopes. Le livre de l'Apôtre est divisé quant à lui
dans son ensemble en 335 péricopes.
Comme ces péricopes sont destinées à une lecture liturgique et puis-
qu'elles sont tirées souvent hors du contexte dans lequel elles se trouvent
dans le corps du Nouveau Testament, les phrases introductives sont es-
sentielles. Elles précisent qui parle à qui, à quelle occasion, à quel en-
droit. Le plus souvent on trouve: « En ce temps là ... », « Le Seigneur dit
à ses disciples », «Le Seigneur dit aux Juifs qui étaient venus à lui »,
«Le Seigneur dit: », «Le Seigneur dit cette parabole ... ». Le texte est
parfois adapté en fonction d'une lecture orale: les pronoms remplacés
par des noms, le temps des verbes adapté. Quant aux phrases concluant
les péricopes, elles peuvent également être parfois adaptées ou ampli-
fiées pour un meilleur effet". Par exemple, la péricope évangélique du
28e dimanche après la Pentecôte sur les invités au banquet qui se déro-
bent (Le 14, 16-24) se conclut par le verset tiré du texte parallèle de Mt
22, 14 «< Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus » ) qui a ainsi été
ajouté au texte de Luc. Ce sont quelques libertés textuelles que prennent
les lectionnaires byzantins pour une meilleure transmission orale du
texte, mais qui risquent de surprendre et décourager les biblistes non
avertis!
Contrairement à l'organisation du lectionnaire hiérosolymitain qui
présente une année type depuis la Nativité du Christ, les lectionnaires
byzantins sont divisés en trois parties. Les péricopes des aprakoi seront
donc réparties dans trois parties, alors que l'index des Tetraévangiles et
des Apostoloi complets sera divisé en trois sections. La première partie
est appelée « synaxaire » et comporte les lectures du cycle mobile (lié à
la fête de Pâques). Il couvre toutes les semaines de l'année en commen-
çant par le dimanche de Pâques et se terminant par le Grand Samedi.
Notons au passage que cette première partie commence par Pâques, alors
que dans les Typika, cette partie commence par le Triode de Carême. La
seconde partie est appelée « ménologe » et consiste en un calendrier des
fêtes et des saints commémorés pour les 12 mois de l'année. On trouvera
donc dans cette partie les lectures bibliques propres au sanctoral (cycle
fixe) pour les cas où elles sont prévues. Enfin, une troisième partie com-
porte les lectures dites «générales », c'est-à-dire pour différentes cir-
constances et pour différents ordres de saints. C'est là que l'on trouvera
par exemple la lecture prévue pour le baptême, pour les défunts, pour la
dédicace d'une église, pour un saint hiérarque, etc. Généralement, on
trouve dans les Tetraévangiles une annexe avec le texte des péric opes de
la Grande Semaine. Cela s'explique du fait que plusieurs péricopes
évangéliques de la Grande semaine sont «composites », c'est-à-dire que
la péricope est constituée d'un montage de différents versets tirés des
quatre évangiles, et ainsi la lecture de ces péricopes s'avère pratique-
ment impossible à partir du texte des quatre évangiles. C'est pourquoi il
s'est avéré utile de joindre en annexe le texte composé, tel qu'il apparaît
dans les Aprakoi.
la K. ALAND and B. ALAND, The text of the New Testament, Grand Rapids, MT. 1987, p.
166.
30 ARCHIDIACRE lOB GETCHA
11 Le Typikon de la Grande Eglise, éd. par J. MATEOS. Tome II: Le cycle des fêtes mo-
biles, Rome, 1963, OCA 166, p. 96 et suivantes.
LE SYSTEME DES LEC111RES BmLIQUES DU RITE BYZANTIN 31
12 Au début du siècle, c.R. GREGORY, à la fin du premier volume de son Texkritik des
Nellen Testamentes, Leipzig, 1900, a répertorié et fait une description sommaire des lection-
naires grecs relatifs au Nouveau Testament et a tenté de reconstituer le tableau des lectures. A.
RAHLFS a fait la même chose pour les lectures de l'Ancien Testament dans l'Eglise grecque
dans les Nachric:heen von der Kgf. Gesellsc:haft der Wissenschaften zu Gottingen (Phil. histo.
Klasse), 1915, Heft l, pp. 28-136. Quelques articles plus récents témoignent des travaux plutôt
philologiques d'éminents biblistes: A. WIKGREN, « Chicago Studies in the Greek Lectionary
of the New Testament », dans Biblical and Patristjc Studies in Memory of Robel1 Pierce Ca-
sey, Freiburg (1963) 96-121; J. DUPLACY, « Les lectionnaires et l'édition du Nouveau Testa-
ment grec », Mélmlges bibliques en hommage ait R. P. Béda Rigaux, Gembloux, 1970.
13 c.-R. GREGORY, Texkritik des Neuen Testamentes, Bd. 1., Leipzig, 1900, p. 336.
14 A. WIKGREN, « Chicago Studies in the Greek Lectionary of the New Testament »), Bi-
blical and Patristic Srudies in Memory of Robel1 Pierce Casey, Freiburg, 1963, pp. 120-121;
B. METzGER, « Greek Lectionnaries and a Critical Edition of the Greek New Testament )),
Die alten Übersetzungen des Neuen Testaments, die Kirchenvaterzitate und LektiolUlTe, Ber-
lin, 1972, pp. 495-496.
15 K. ALAND and B. ALAND, The Text of the New Testament. An introduction to the Critical
Editions and to the Theory and Practice of Modem Textual Criticism, Leiden. 1987, p. 165.
16 Nous sommes redevables, pour la présente étude, aux travaux de quelques liturgistes
qui se sont intéressés à la question. Une étude qui demeure une référence est celle du P. Alexis
KNIAzEFF, « La lecture de l'Ancien et du Nouveau Testament dans le rite byzantin », La
Prière des Heures, Paris, 1963 (=Lex Orand; 35), pp. 201-251, qui reprend surtout les tra-
vaux sur les lectures de la sainte Quarantaine de l'éminent liturgiste russe l Karabinov dans
son étude historique du Triodion: Postnaia Triod' - Istoric/leskiy obzor, Saint-Pétersbourg,
1910. Ces deux études ont été bien résumées par le hiéromoine Macaire de Simonos-Petra
dans sa thèse: (Gérard Bonnet), ln. mystagogie du temps liturgique dans le Triodion. Mémoire
dactylographié, Sorbonne, E.P .H.E, Ve Section, Paris, 1977, pp. 167-190. L'étude de jeunesse
du P. P.-M. Gy: « La question du système des lectures de la liturgie byzantine », Mel·cellanea
Uturgica in onore di Sua Emillenza il cardinale Giacomo Lercaro, Rome, 1967, pp. 251-261
32 ARCHIDIACRE lOB GETCIIA
est intéressante surtout par les questions qu'elle pose. Finalement, une étude plus récente, te-
nant compte de l'évolution des connaissances sur l'histoire de la liturgie, du Prof. A.
Pentkovsky de l'Académie de Théologie de Moscou s'avère très utile: A. PENTKOVSKY,
« Lekcionarii i chetvcroevangelia v vizantiyskoy i slavianskoy liturgicheskikh tradiciakh »,
Evangelie Dt loanna v slaviansko)' tradicii, Saint-Pétersbourg, 1998, appendice 1, pp. 3-54.
Notons, enfin. le livre de G. BARROIS, Scripture Readings in Orthodox Worship, Crestwood,
NY, 1977, qui est davantage un ouvrage de vulgarisation qu'une étude historique de la question.
17 R. TAFT, Le rite byzantin, Paris, 1996, pp. 61-62.
18 Lire à ce sujet: M. SKABALLANOVICH, Tolkovyj Tipikon, l, Kiev, 1910, pp. 395-396;
M. ARRANZ, Kak molilis' Bogu drevnie vizalltiycy, Saint-Pétersbourg, 1979, pp. 19-20; T.
POTT, La réforme liturgique byzantine, Rome, 2000, pp. 108-113.
19 Ibid., pp. 117-120; 1. KARABINOV, Postnaia Triod' - Istoricheskiy obzor, Saint-Pétersbourg,
1910, pp. 77, 122-196.
20 Il s'agit d'un conunentaire de la liturgie voyant dans toutes les actions liturgiques une
représentation icônique de la vie du Christ. Le tout premier commentaire de ce type, antérieur
à la réforme studite, est L'histoire ecclésia.çrique du patriarche Germain 1er de Constantinople
(715-730).
21 A ce sujet lire: T. POTT, « Le rite de la prothèse et la suspension de son évolution »), La
réforme byzantine, pp. 170-196.
22 M. ARRANZ, cc Les grandes étapes de la liturgie byzantine: Palestine-Byzance-Russie »,
Liturgie de l'Eglise particulière et liturgie de l'Eglise universelle, Conférences Saint-Serge,
XXIIe semaine d'études liturgiques, CLV-Edizioni Liturgiche, Rome, 1976 (= Bibliotheca
If Ephemeride~' Liturgicae » - « Subsidia » 7), p. 52.
LE SYSTEME DES LECTURES BIBLIQUES DU RITE BYZANTIN 33
deux versions les plus anciennes qui nous sont parvenues sont d'une part
le manuscrit de Patmos, publié par A. Dmitrievsky", datant de la fin du
IXe-début du Xe siècle, et le manuscrit de Jérusalem, publié par J. Ma-
téos 24 et datant du milieu du Xe siècle.
Le cycle mobile d'après le Typikon de la Grande Eglise se di vise en
quatre parties: de Pâques à la Pentecôte; de la Pentecôte au Nouvel An
(23 septembre); du Nouvel An au dimanche du Carnaval (ù1tô!Cpero), et
enfin, du dimanche du Carnaval au Grand Samedi. A partir de Pâques il
est prévu de lire l'évangile de Jean; à partir de la Pentecôte - l'évangile
de Matthieu; après le Nouvel An -l'évangile de Luc, et enfin, pendant la
période du Triode, l'évangile de Marc 25. Le Typikon de la Grande Eglise
apparaît ainsi, d'après le grand titre de la partie mobile, COmme le
« Canon de la Sainte et Grande Eglise de Dieu pour les lectures des Ac-
tes, de l'Apôtre, de l'Evangile et des Prophètes »26.
Les lectionnaires byzantins du VIlle-XIVe siècles sont habituelle-
ment classés en deux catégories: les « complets» (type 1 e) contenant,
pour la période allant de la Pentecôte au Carême, des lectures pour cha-
que jour de la semaine, et les « courts» (type 1esk) ne contenant, pour la
même période, que les lectures des samedis et des dimanches".
Pour ce qui est des évangéliaires, les deux types de lectionnaires ont
les mêmes lectures tirées de l'Evangile de Jean pour la période de Pâ-
ques à la Pentecôte. Mais pour ce qui est de la période entre la Pentecôte
et le dimanche du Carnaval, les lectures contenues par le type 1 e pour
les jours de la semaine ne sont pas toutes les mêmes, et c'est pourquoi
on classe les lectionnaires de type 1 e en trois sous-types: !C, a et ~. Le
sous-type !C, pour les lectures de semaine entre la Pentecôte et le Nouvel
An prévoit une lecture continue de Matthieu pendant Il semaines, après
quoi Marc est lu pendant 5 semaines. Après le Nouvel An, on lit Luc
pendant 12 semaines, puis on lit de nouveau Marc pendant 6 semaines.
De son côté, le sous-type a prévoit de lire, entre la Pentecôte et le Nou-
vel An, l'évangile de Matthieu pendant 9 semaines, après quoi Marc est
lu pendant 8 semaines. Après le Nouvel An il y est prescrit de lire Luc
pendant Il semaines, puis de reprendre Marc pour les semaines restan-
tes". Quant au sous-type ~, il ressemble au système du sous-type a, mais
les péricopes de Marc se retrouvent placées toutes ensemble après les
péricopes de Luc".
L'existence de deux grands types de lectionnaires (l e et 1 esk; com-
plets et courts) n'est pas étonnant. En effet, jusqu'à la réforme du pa-
triarche Philothée de Constantinople au XIVe siècle suite à laquelle
l'office asmatique est tombé en désuétude, il y avait à Constantinople et
partout dans l'empire, et de même chez les Slaves, deux types d'office
différents: l'un était celui des églises séculières qui suivaient le Typikon
de la Grande Eglise. et l'autre était celui des monastères qui suivaient
]' ordo studite ou sabaïte. Or, les Pères M. Arranz et J. Matéos expliquent
qu'à la Grande Eglise de Constantinople, on ne célébrait pas la liturgie
eucharistique quotidiennement, mais seulement les jours de fêtes du Sei-
gneur et des saints, pendant le temps pascal, les samedis et les diman-
ches, pour les commémorations de saints à caractère stationnaI et les
jours de jeûneJO • Cela explique la nécessité de prier pour les catéchumè-
nes aux Vêpres d aux Matines asmatiques, et la raison pour laquelle ces
deux offices peuvent être considérés comme les pivots de la prière
communautaire des anciens Byzantins 31. D'autre part, cela explique
pourquoi le Typikon de la Grande Eglise n'avait pas besoin de prévoir
de lectures pour les jours de semaine entre la Pentecôte et le Carême,
puisque si une liturgie eucharistique était célébrée un de ces jours-là, on
lisait les lectures prévues par le ménologe ou la lecture « générale » ap-
propriée". A partir de ces faits, on peut imaginer que les lectionnaires
complets (1 e) se rattacheraient d'avantage aux offices des monastères
alors que les lectionnaires courts (1 csk) se rapporteraient aux offices des
cathédrales et des églises séculières.
Or, si la liturgie quotidienne dans les monastères de Constantinople
est le résultat de la réforme studite ayant préconisé l'ordo palestinien à
maine qui suit ce dimanche dans le Triodioll. Il en est de même pour les
paraboles du Bon Pasteur (1er dimanche), du Juge inique et du Publicain
et du Pharisien (évangile du 3e dimanche), du Bon Samaritain (évangile
du 4e dimanche), du Riche et de Lazare (évangile du Se dimanche) qui
se trouvent toutes traitées par les stichères idiomèles du Triodioll pour la
semaine qui suit ces dimanches. De plus, un canon leur est réservé dans
l'office du dimanche respectif et dans la semaine qui suit, pour certains
de ces thèmes''. Toute cette hymnographie appartient sans doute à la
couche palestiilienne du Triodion. Néanmoins, si l'on considère saint
Théodore le Studite, et son frère Joseph, comme les rédacteurs du Trio-
dion au IXe siècleJ7 , on pourrait penser qu'ils aient tous deux connu le
système de lecture hiérosolynlitain et qu'ils l'aient peut-être eux-mêmes
pratiqué, à moins qu'ils n'aient importé de Palestine un archétype du
Triodion à Constantinnople, ou encore, que la rédaction finale du Trio-
dion n'ait été faite en Palestine, comme semble le penser G. Berton-
nière38 .
~6 Lire à ce sujet: G. BERTONIERE, The Sundays of Lem in the Triodion - The Sunday.\·
witlwut a Commemoration, Rome, 1997 (OCA 253), pp. 45-49, 65-78, 79-98, 141-144; Hié-
romaine Macaire (Gérard Bonnet), La mystagogie du temps liturgique dam; le Trjodion. Mé-
moire dactylographié, Sorbonne, E.P.H.E, Ve Section, Paris, 1977, pp. 188-190.
37 KARABINOV, Postnaia Trlod' -I.\'toricheskiy obzor, p. 77, 122 et suivantes.
38 BERTONIERE, The Sundays of Lent in the Triodion - The Sundays without a Comme-
moration, p. 144.
39 Sévère d'Antioche, homélies 63 (PO t. 8, rase. 2, pp. 285-313), 83 (PO t. 20, fasc. 2,
pp. 399-420) ct 115 (PO t. 26, fase. 3, pp. 307-324).
40 Sévère d'Antioche, homélies 66 (PO t. 8, fasc. 2, pp. 331-349), 85 (PO t 23, fase. 2,
pp. 25-38), 103 (PO t. 22, fase. 2, pp. 289-302), 117 (PO t. 26, fase. 3, pp. 339-356).
41 Sévère d'Antioche, homélies 23 (pO t. 37, fasc. l, pp. 114-133) et 43 (PO t. 36, fasc.
l, pp. 74-95).
42 Sévère d'Antioche. homélie 46 (PO t. 35, fasc. 3, pp. 288-303).
43 Sévère d'Antioche, homélie 16 (PO t. 38, fase. 2, pp. 438-445).
38 ARCHIDIACRE JOB GETCHA
EVANGILES DE LA RESURRECTION
a) De Pâques à la Pentecôte
53 Le Codex Arménien Jérusalem 121, éd. par A. RENaux, Il. PO XXXVI, 2, No 168,
pp. 316-317.
42 ARCHIDIACRE JOB GETCHA
temple païen dédié à Zeus, qui fut supprimé au Xe siècle suite à un at-
tentat en ce lieu contre l'empereur Léon VI". De plus, notons que le Ty-
pikon de la Grande Eglise, bien qu'il ne mentionne plus la station, en
garde des caractéristiques en mentionnant un tropaire et des antipho-
nes". Le 6e dimanche de Pâques, on revient du chapitre 10 au chapitre 9
de Jean pour lire la péricope de l'aveugle-né, à l'origine du thème de ce
dimanche dans le Pentecostaire. Enfin, les péric opes du 7e dimanche de
Pâques - le discours pastoral de Paul aux prêtres de l'Eglise d'Ephèse
(Ac 20,16-17; 28-36) et la prière sacerdotale du Christ (ln 17, 1-13) ont
été choisies pour la commémoration, ce dimanche-là, des 318 Pères ré-
unis au Concile de Nicée (en 325).
b) De la Pentecôte au Nouvel An
56 Syméon MAGISTER, PG 109, 765 BC; Les Parastaseis Syntomoi Chronicai (vers 750)
in Scriptures Originum Constantinopolitarum l, Ill, Leipzig, 1901, p. 214-215. Nous sommes
redevables, pour ces information, au mémoire de mal'trise dactylographié soutenu à l'E.P.H.E.
par S. GARNIER, La Mi-Pentecôte dans la liturgie byzantine du VIe-Xe siècles, p. 136.
57 Le Typikon de la Grande Eglise. Tome II, pp. 120-121.
58 P.-M. Gy, ( La question du système des lccrures de la liturgie byzantine », pp. 254-255.
44 ARCHIDIACRE lOB GETCHA
sans toutefois modifier l'ordre des lectures de ]' Apôtre; d'autres encore
observent le "saut de Luc" en adaptant les lectures de l'Apôtre - chose
qui n'a aucun fondement historique mais qui se pratique depuis quel-
ques années dans l'Eglise de Russie. De plus, puisque les Orthodoxes
se partagent deux calendriers (dont la différence est de !3 jours), le
"saut de Luc" peut se produire chez les uns une ou deux semaines plus
tôt que chez les autres. Ainsi, on peut en arriver de nos jours jusqu'à 6
organisations différentes des lectures depuis l'Exaltation jusqu'au dé-
but du Triode - cas extrêmement confus! On pourrait se demander s'il
ne serait pas plus simple de s'en tenir à l'ordre des dimanches par rap-
port à la Pentecôte, fêtée le même jour par tous les Orthodoxes, ce qui
permettrait d'avoir chez tous les Orthodoxes les mêmes lectures pour
tous les dimanches de l'année.
La question du "saut de Luc" mise à part, il n'en demeure pas moins
que pour tous ces dimanches de cette troisième période de l'année, on lit
l'évangile de Luc. En semaine, on lit Luc jusqu'à la 2ge semaine après la
Pentecôte (l2e semaine de Luc) incluse, et on reprend la lecture de Marc
à partir de la 30e semaine après la Pentecôte (!3e semaine de Luc). En
ce qui concerne les lectures de l'Apôtre, on lit les samedis et les diman-
ches les 1ère et 2e épîtres aux Corinthiens, Galates, Ephésiens, Colossiens,
1ère à Timothée et 1ère aux Thessaloniciens selon une distribution très
particulière. En semaine, la lecture est beaucoup plus suivie: on termine
la lecture de ]' épître aux Ephésiens, puis on passe aux épîtres aux Philip-
piens, Colossiens, Thessaloniciens, à Timothée, à Tite, aux Hébreux, puis
aux épîtres catholiques. A ce titre, on peut faire la même remarque que
pour la période précédente, à savoir que le choix des lectures des same-
dis et des dimanches est indépendant (et sans doute antérieur) au choix
des lectures en semaine qui a essayé de clore la lecture continue de la to-
talité des épîtres en comblant les vides qui existaient entre les lectures
des samedis et des dimanches.
Outre le "saut de Luc", il existe aussi ce qu'on appelle le "saut du
Baptême du Christ". Ce saut s'explique du fait que le nombre de se-
maines d'un cycle pascal à un autre n'est pas toujours le même. Les
lectionnaires byzantins prévoient 33 semaines après la Pentecôte, avant
la reprise du cycle du Triode suivant. Mais il peut y avoir jusqu'à 38
semaines entre la Pentecôte et la reprise du cycle du Triode. Il faut
donc remplir des vides par des lectures. Pour ce faire, on répète les
dernières lectures prévues, à partir de la semaine qui suit le dimanche
après la Théophanie, en rattachant la dernière semaine de lectures pré-
vues (33e semaine après la Pentecête ou 16e de Luc) au cycle du
Triode.
LE SYSTEME DES LECTURES DIBLIQUES DU RITE BYZANTIN 47
d) Lectures du Triode
Pour la période du Triode", on doit distinguer les semaines préparatoi-
res à la sainte Quarantaine et la Quarantaine elle-même. La période prépa-
ratoire est constituée de trois semaines. Elle commence par le dimanche
du Publicain et du Pharisien où on lit 2 Tim 3, 10-15 et Le 18, 10-14, péri-
cape qui a donné le nom au dimanche. Pendant la semaine qui suit, on
continue de lire la 2e épître catholique de Pierre et la 1ère épître catholi-
que de Jean, et l'évangile de Marc. Le samedi, on lit une péricope de la 2e
épître à Timothée et une de Luc, alors que le dimanche, ont lit 2 Tim 2,
10-15 et la péricope du Fils Prodigue (Le 15, 11-32) qui a donné le nom à
ce dimanche. Dans la semaine qui suit (semaine du carnaval ou de
l'Ù1tOKpero), on poursuit la lecture des épîtres catholiques et l'évangile de
Marc. Le samedi du carnaval, on lit 1 Co 10, 23-28 (au sujet des aliments
offerts en sacrifice) et Le 21,8-36 (sur les signes précédant la parousie du
Christ). Le dimanche du carnaval, on lit 1 Co 8, 8-9, 2 (au sujet des ali-
ments que nous prenons) et la péricope sur le jugement dernier (Mt 25,
31-46), thème de ce dimanche. Enfin, les lectures de la semaine des laita-
ges ou de la tyrophagie sont tirées des épîtres catholiques et de la fm de
l'évangile de Luc, à l'exception du mercredi et du vendredi qui ont déjà
un ordo de carême" et où on lit à sexte et aux vêpres des lectures tirées de
l'Ancien Testament (Joël et Zacharie) en prévision du jeûne qui va com-
mencer. Le samedi des laitages, on lit Rm 14, 19-23 (au sujet des ali-
ments) et Mf 6, 1-13 (sur l'aumône et la prière), et le dimanche, Rm 13,
11-14,4 (au sujet de l'abstinence de nourriture) et Mt 6, 14-21 (au sujet du
jeûne). Ces dernières lectures sont plutôt des lectures choisies en rapport
avec le jeûne qui est sur le point de commencer. Avec la semaine des laita-
ges s'achève pratiquement la lecture continue de l'intégralité du Nouveau
Testament, car sauf les samedis et les dimanches qui sont les seuls jours de
la sainte Quarantaine où l'on célèbre une liturgie pleine", et la Grande Se-
maine, on ne lit plus le Nouveau Testament pendant la sainte Quarantaine.
Pour les samedis et les dimanches du Carême, les lectures du Nou-
veau Testament sont tirées de l'épître aux Hébreux et de l'évangile de
qué au tout début, le choix des lectures peut être fait pour différentes rai-
sons: récit ou mention de ]' événement ou personnage célébré, par typo-
logie ou encore en fonction d'une station lorsque nous sommes à
]' origine, en présence d'une liturgie stationnale.
80 Voir A. KNIAZEFF, Ln Mère de Dieu dam l'Eglise Orthoduxe, Paris, 1990, p. 172.
LE SYSTEME DES LECTURES BIBLIQUES DU RITE BYZANTIN S3
7. Conclusions
1 Le travail de base pour l'étude de l'Ordo lectiont/III mi.l:me (désormais abrégé OLM) est
la lhèse de Elmar NÜBOLD, Entstehllng und Bewertllng der neuen Perikopenordnung des
Romischen Rirus for die Meflfeier ail Sonn-und Fe:ittagen, Paderborn, 1986,451 p.
58 JORIS POLFLIET
2 Entre autres à Maria Laach (1951), Lugano (septembre 1953), Leuven (septembre 1954)
et Assise (septembre 1956). Cf. E. NOBOLD, (J.{:" pp. 46-81.
3 Plus de 150 vota (propositions de points à mettre à l'ordre du jour, provenant de l'Eglise
universelle, à propos desquels le concile aurait à discuter) demandaient une nouvelle ordon-
nance des lectures.
4 Cf. Dei Verbum les n C 21, 24, 25, 26.
5 Nous nous basons sur les schemata 40,101, 110, 127, 148, 165 et 176, que nous avons
pu consulrer dans les archives du Centre National de pastorale liturgique à Paris.
LES LECTURES BIBLIQUES POUR LES DIMANCHES ET LE FÈrE 59
terminés seulement par des critères exégétiques, mais "par le but pro-
prement liturgique et pastoral".
Le projet de lectionnaire répondant à ces principes fut publié en
juillet 1967; il fut envoyé aux conférences épiscopales et à environ 800
experts'. Il fut adapté en fonction de leurs observations. Le travail du
Coetus XI fut couronné par la publication de l'Ordo lectionum missae, le
5 août 1969 10 .
franç. dans Lectionnaire pour le.'i messes du dimanche, Desclée-Mame, Paris, 1995, et de ma-
nière plus accessible dans Parole de Dieu et année liturgique, CLD, Chambray-les-Tours. 1998.
LES LECTURES BIBLIQUES POUR LES DIMANCHES ET LE FÊTE 61
C'est alors que la célébration liturgique elle-même, qui trouve avant tout
dans la parole de Dieu son appui et son soutien, devient un événement
nouveau: elle enrichit cette parole elle-même d'une signification et d'une
efficacité nouvelles. Ainsi, dans la liturgie, l'Eglise suit-elle fidèlement
la manière de lire et d'interpréter l'Ecriture qui fut celle du Christ, lui
qui, depuis l"'aujourd'hui" de sa venue, exhorte à scruter attentivement
toutes les Ecritures.
!3 Cf. na 45: ({ Dans la liturgie de la Parole, par la foi qui naît de ce qu'on entend,
aujourd'hui encore l'assemblée des chrétiens reçoit de Dieu la parole de l'Alliance, à laquellc
elle doit répondre par la foi, pour devenir davantage, de jour en jour, le peuple de la Nouvelle
Alliance ». Cf. aussi Praenoranda, n 12.
D
62 lORIS POLFLlET
14 Cf. aussi le nO 10, qui propose une formulation similaire sur le lien étroit entre la parole
de Dieu et l'eucharistie: « Dans la parole de Dieu l'Alliance divine est annoncée, et dans
l'Eucharistie la nouvelle et éternelle AIIiance est renouvelée. Là, l 'histoire du salut est
évoquée dans le son des paroles, ici elle est montrée dans les signes sacramentels de la
liturgie ». Le rôle de la liturgie de la Parole paraît moins fort ici qu'au n° 7 sur l'actualisation
de l'histoire du salut par la proclamation de l'Ecriture.
15 N° 59: « .. .on a voulu composer et confectionner un seul Lectionnaire, riche et abon-
dant, en plein accord avec la volonté et les directives du Concile, tout en tenant compte, pour
son établissement, de certaines requêtes et usages des Eglises particulières et des assemblées
célébrantes ». .
16 N° 58: « L'organisation des lectures que présente le Lectionnaire du Missel romain a
été conçue, suivant l'esprit même du 2" Concile du Vatican, dans un but avant tout pastoral ».
17 Cf. n° 63 (possibilités de choix), 76 (élimination de lectures trop difficiles), 77
(omission de versets), 78, 79 (choix de deux au lieu de trois lectures), 80 (lectures brèves), 81.
LES LFCTURF..s BIBLIQUES POUR LES DlMANCHES ET LE ffTE 63
18 Dans cette partie, nous reprenons pour la plupart le texte des Praenotanda, en le
résumant parfois.
64 lORIS POLFLIET
• Une relation d'un autre genre entre les lectures d'une même
messe, relation "thématique", apparaît à l'Avent et au Carê-
me, c'est-à-dire aux temps qui ont une coloration et un carac-
tère particuliers.
• Au contraire, pour les dimanches du Temps ordinaire, qui
n'ont pas de caractère particulier. les textes de l'Apôtre et de
l'Evangile se présentent sous forme de lecture semi-continue:
on peut ainsi suivre dans son enchaînement la pensée de
l'Apôtre dans son message à une Eglise donnée, ou les étapes
de la vie du Seigneur teUes que les présente un Evangile
donné: Matthieu pendant l'année A, Marc pendant l'année B,
Luc pendant l'année C, tandis que la lecture de l'Ancien
Testament s'harmonise avec l'Evangile (na 67).
Après ces principes généraux, suivent encore des règles plus généra-
les que l'on a adoptées pour]' établissement des lectures:
- Certains livres de la Bible ont été réservés à des temps détenni-
nés, en raison de leur nature même, et dans la ligne de la tradition litur-
gique: les Actes des Apôtres sont lus au Temps pascal, l'Evangile de
Jean aux dernières semaines de Carême et au Temps pascal. La lecture
d'Isaïe, surtout dans sa première partie, est assignée traditionneUement
au temps de l'Avent. Cependant, certains textes de ce livre le sont au
temps de Noël, ainsi que la première lettre de saint Jean. (na 74)
- Pour la longueur des textes, on a essayé de s'en tenir à une juste
moyenne, en distinguant toutefois les récits et les textes de grande den-
sité doctrinale. Pour quelques textes assez longs, on a prévu deux for-
mes, une longue, l'autre brève. (na 75)
- L'élimination des textes trop difficiles, ]' omission de certains ver-
sets, le choix éventuel de la Conférence épiscopale de ne garder que
deux lectures, et la proposition de lectures brèves, sont motivées pour
des raisons pastorales. (na 76, 77, 78, 79, 80)
Aux numéros 92-110, les Praenotanda ajoutent enfin une description
du lectionnaire, en signalant les accents importants et la dynamique que
l'on veut réaliser pendant les différents temps de l'année liturgique. Dans
la motivation du choix des péric opes apparaît clairement le souci du rap-
port entre les lectures bibliques et l'année liturgique.
Pour les Evangiles, les 2' et 3' dimanches rapportent les apparitions
du Seigneur resscuscité (au 2' dimanche, on lit chaque année le ~écit de
l'apparition à Thomas huit jours après Pâques). Au 4' dimanche sont
attribuées les lectures sur le Bon Pasteur. Du 5' au 7' dimanches, les
Evangiles sont tirés du discours après la Cène et de la prière sacerdo-
tale.
La première lecture n'est pas tirée de l'Ancien Testament: la tradi-
tion universelle est de ne pas le lire en ce temps qui évoque la nouveauté
absolue du Christ. On lit donc les Actes des Apôtres, en trois séries pa-
rallèles sur les trois ans, évoquant ainsi chaque année la ·vie, le témoi-
gnage et le développement de l'Eglise primitive.
La lecture de l'Apôtre est tirée pour l'année A de la 1" lettre de Pier-
re, pour l'année B de la ]" lettre de Jean, pour l'année C de l'Apocalyp-
se. Ces textes semblent bien convenir à l'esprit de foi joyeuse et de
ferme espérance propre à ce temps.
LES LECTURES BIBUQUES POUR LES DIMANCHES ET LE FÊTE 67
a) Un succès oecuménique
19 Cité par Horace T. ALLEN. « The Ecumenical Imporl of Lectionary Reform» dans
Shaping English Liturgy, 1990, p. 365.
LES LECTUREs BIBLIQUES POUR LES DIMANCHES ET LE FÊTE 69
une répartition inégale entre les différents genres: près de la moitié des
péricopes (48,5 %) est tirée des prophètes (et la moitié provient d'lsa:ie);
un quart des lectures est extrait du Pentateuque. Les livres historiques et
la littérature sapientielle sont bien moins représentés (respectivement 14
et 12,5 %). Enfin, le rapport que l'on a voulu mettre entre la première
lecture el l'évangile n'est pas toujours réussi; parfois il se révèle artifi-
ciel, parfois il ne porte pas sur l'essentiel de la lecture choisie.
c) Questions fondamentales
23 Cf. entre autres Erich ZENGER, «Das Erste Testament zwischen Erfül1ung und
VerheiBung » dans Chri:"lologie der Liturgie (1995) 36: « La plupart du temps, les textes vété-
rotestamentaires sont choisis à partir de l'Evangile, selon les principes de "promesse-ac-
complissement", respectivement de typos et d'antitypos. De cette manière, on inculque
semaine après semaine à la communauté chrétienne l'idée suivante: "Jésus et le Nouveau Tes-
tament accomplissent, dépassent et abolissent "Ancien Testament". Aussi la mise-en-scène
liturgique souligne l'infériorité de l'Ancien Testament ».
LES LECTURES BIBLIQUES POUR LES DIMANCHES ET LE FÊTE 71
entre les deux Testaments? Dans quelle mesure les chrétiens peuvent ou
doivent-ils lire le Premier Testament à travers le prisme du Second? Il
est cependant regrettable que dans la discussion sur le lectionnaire ces
questions soient posées souvent sans nuances. Eugene J. Fisher traduit
bien, selon nous, la manière de penser de divers critiques:
Est-ce que nous pouvons proclamer la Bible hébraïque comme Parole de
Dieu dans ses propres termes, demande-t-iI, ou est-ce qu'il faut continuer
à supposer qu'elle a été rendue superflue par les écrits apostoliques?".
Le dilemme ainsi posé est faux, car il ne fait pas droit aux interrela-
tions complexes entre les deux Testaments. Il est évident que le Premier
Testament garde pour les chrétiens une valeur propre. La question de
fond n'est donc pas: «Est-ce que l'Ancien Testament a une valeur pour
les chrétiens? », mais bien: «Quelle valeur prend ['Ancien Testament à
partir du moment où il en existe un Nouveau? »". Une lecture chrétienne
du Premier Testament n'a ni la possibilité ni le droit de faire abstraction
du Second, qui se présente d'ailleurs lui-même comme une réinterpréta-
tion des traditions anciennes à partir de l'expérience de l'événement
christique.
Outre cette remarque sur l'interprétation chrétienne du Premier Tes-
tament, nous tenons encore à noter deux points auxquels on accorde trop
peu d'attention dans la discussion sur J'Ordo lectionum missae. Il faut
d'abord observer un manque de clarté dans le contenu du terme
"typologie"; nombre d'auteurs s'interrogent sur la typologie à l'oeuvre
dans le lectionnaire, mais ils ne disent pas clairement ce qu'ils entendent
par ce terme. Parfois le mot désigne seulement le principe de choisir la
première lecture en fonction de l'évangile. En d'autres cas, il reçoit un
sens beaucoup plus riche, en référence à l'explication patristique de
l'Ecriture". En tout cas, ce manque de clarté terminologique n'aide pas à
déterminer dans quelle mesure le nouveau lectionnaire est "typologique".
quand on considère le peu de temps dont les rédacteurs ont disposé pour
le réaliser. Un certain nombre de ces défauts pourront d'ailleurs être
améliorés sans trop de mal.
La discussion sur l'Ordo lectionum missae ne peut cependant pas en
rester aux questions "techniques" et se limiter à la résolution de problè-
mes particuliers. La réflexion doit tout autant se pencher sur le statut et
le rôle propre d'un lectionnaire. Celui-ci se situe en effet au croisement
de deux pôles essentiels de la foi chrétienne: l'Ecriture, dans laquelle
l'Eglise trouve sa source et la règle la plus haute de sa foi, et la liturgie,
dans laquelle l'Eglise célèbre ce que l'Ecriture annonce. L'expérience a
fait prendre meilleure conscience que toute sélection des lectures com-
porte déjà une interprétation de l'Ecriture:
Un lectionnaire, c'est, par définition, un choix de péricopes, c'est-à-dire
une sélection, une priorité accordée à tels textes plutôt qu'à d'autres. Les
lectionnaires présentent donc la Bible telle que l'Eglise la reçoit au-
jourd'hui, telle qu'elle en fait la lecture, à proprement parler. L'hermé-
neutique, consciente ou inconsciente, y est inscrite inévitablementZ9 •
Joris POLFLIET
secondes lectures des dimanches "per annum" ), Ibidem, pp. 129-140, qui propose de relier
thématiquement la deuxième lecture aux deux autres; Claude WIENER, « L'élaboration du
lectionnaire dominical et la consultation de 1967 ») dans La Maison-Diell 166 (1986) 45.
29 P. DE CLERCK, «Au commencement était le Verbe» dans w Maison-Dieu 189 (1992) 38.
LES LECTURES BIBLIQUES DU CUL TE
DANS LA TRADITION LUTHERIENNE
comme une nouvelle liberté et non pas comme une nouvelle loi. Cette li-
berté signifiait cependant qu'il ne fallait pas se précipiter, mais tenir
compte des faibles et prendre le temps nécessaire pour bien expliquer ce
qu'on voulait faire.
Ce souci pédagogique amena Luther à formuler ses idées par écrit.
D'abord, en 1523, par quelques pages intitulées Von Ordnung Gottes-
diensts in der Gemeine'. Ici Luther parle d'abord des matines et des
vêpres quotidiennes, surtout destinées aux prédicateurs et aux étu-
diants. Pour les matines, il préconise la lecture de l'Ancien Testament,
de la Torah et des livres historiques, volontiers comme lectio continua.
Pour les vêpres, il recommande les prophètes, mais aussi des textes du
Nouveau Testament. Mais partout il faudra commenter ce qui a été lu
et non pas se contenter de la lecture. Quant au culte dominical, il parle
de la messe et des vêpres. Dans le premier cas, on doit prêcher sur
l'évangile habituel, et dans le second cas sur l'épître, même si d'autres
textes ne sont pas exclus. Notons à ce propos que la tradition luthé-
rienne n'a jamais eu peur d'utiliser le mot messe. Alors que les luthé-
riens allemands parlent du service divin, Gottesdienst, les Scandinaves
ont gardé le terme Grand' Messe, H~jmesse ou Hogmessa, pour dési-
gner le culte principal. En ce qui concerne les vêpres, le mot n'est plus
utilisé, mais dans les villes, les luthériens ont gardé un culte dans
l'après-midi, souvent sans sainte Cène.
Toutefois, ces quelques explications n'étaient pas suffisantes et à la
demande du pasteur de Zwickau, Nicolas Hausmann, Luther rédigea à la
fin de l'année 1523 un petit écrit intitulé Formula missae et communio-
nis (Clemen 2, pp. 427-441, WA 12, pp. 205-220). L'intention déclarée
était de garder ce qui était bon: « quod bonum est, tenebimus » (Clemen
2, p. 429), à condition que la parole de l'Evangile ne soit pas occultée.
Luther parle de nouveau des lectures quotidiennes du matin et du soir,
avec quelques petites modifications par rapport au premier écrit (le matin
des textes du Nouveau ou de l'Ancien Testament, le soir de l'Ancien
Testament), mais il expose surtout le déroulement du culte dominical. Le
plus intéressant pour notre sujet est ici ses remarques sur les épîtres. Ce
n'est pas encore le moment, dit-il, de changer la lecture des épîtres,
« quando nulla impia legitur» (Clemen 2, 430), mais il fait remarquer
qu'il est rare que les passages dans lesquels la foi est enseignée soient
lus. Il s'agit plutôt d'extraits de caractère moral et exhortant qui, par la
force des choses, soulignent les œuvres.
la. CLEMEN (cd.), Luthen Werke il! Auswahl2, pp. 424-426, Weimarer Ausgabe (WA)
12, pp. 35-37.
LES LECl1JRES BIBLIQUES DU CULTE DANS LA TRADITION LUTIIERIENNE 77
3 H. YON SCHADE - F. SCHULZ (ed.), Periknpen. Gestalt und Wandel des gortesdienstli-
chen Bibelgebrauchs. lm Aufrrag der Lutherischen Liturgi.Khen Konferenz, Hambourg, 1978
(= Rejhe Guttesdiem't Il), p. 24. note 32.
LES LECTURES BIBLIQUES DU CULTE DANS LA TRADITION LUTHERIENNE 79
côté de ces lectures fixes, on propose un texte de prédication qui est tiré
d'une des six séries et qui, par conséquent, deux fois au COurs de ce cycle
de six ans, coïncide avec l'épître ou l'évangile propres au jour. Dans les
cas où le texte de prédication ne figure pas parmi les trois textes fixes, la
pratique liturgique pennet de le lire à la place d'un de ces textes.
L'Eglise évangélique luthérienne de France (EELF), qui regroupe les
deux inspections de Paris et de Montbéliard, s'est par contre associée au
nouveau cycle catholique avec les années A, B et C, en lui apportant
toutefois quelques modifications telles qu'on les trouve dans le plan de
lectures bibliques publié sous les auspices de la Fédération protestante de
France. Cette pratique liturgique est partagée avec d'autres Eglises pro-
testantes de France ainsi qu'avec, par exemple, l'Eglise évangélique lu-
thérienne d'Amérique (ELCA).
c) Pays scandinaves. On voit donc qu'aujourd'hui on ne peut plus
parIer d'un ordre de lectures bibliques commun au luthéranisme. Cette
évolution avait déjà commencé dans la dernière moitié du 19"~ siècle, où
non seulement les Allemands, mais aussi les luthériens nordiques avaient
adopté d'autres listes de péricopes. C'était le cas de l'Eglise de Suède
qui, bientôt suivie par l'Eglise de Norvège et l'Eglise de Finlande, pro-
posa deux autres séries. L'Eglise du Danemark, assez conservatrice dans
le domaine liturgique, a dû attendre 1897 pour qu'une deuxième liste,
composée d'épîtres et d'évangiles, soit introduite à côté de la liste classique.
Au 20'~ siècle, l'Eglise de Suède vota en 1942 une révision assez
conséquente des trois listes en vigueur, et au Danemark il ·fut proposé en
1958 une troisième série qui est restée sans suite - peut-être parce que
les meilleurs cantiques danois sont souvent liés aux textes de la liste
classique et s'il était déjà assez difficile de trouver des chants correspon-
dants à la deuxième série, il serait encore plus difficile d'en trouver pour
une troisième. Si cette observation est correcte, eUe illustre bien
l'interaction entre lectures et chants dont il était question auparavant.
Pourtant, le débat danois concernant les lectures bibliques continua et
inspirée par la discussion au sein de la Fédération luthérienne mondiale
dans les années 1970 à la suite de la réfonne catholique sur les péricopes
(réfonne qui attirait beaucoup de Iiturgistes luthériens), une commission
proposa en 1982 un nouvel ordre de lectures qui comprenait notamment
un texte de l'Ancien Testament comme première lecture, un certain
nombre de textes de prédication facultatifs tirés surtout des épîtres de la
deuxième série et - la chose la plus originale - un renvoi de l'épître de la
série classique à la fin du culte, juste avant la bénédiction. De cette pro-
position ne fut finalement retenue que la lecture d'un texte de l'Ancien
Testament dans les deux séries, et quand la reine du Danemark autorisa
LES LECllJRES BIBLIQUES DU CULTE DANS LA TRADITION LU1HERlENNE 81
Flemming FLEINERT-JENSEN
LA TRADITION DES LECTURES BIBLIQUES
DANS LE CULTE REFORME
1. Formation
! La 1e épître de Paul à Timothée, celle aux Galates, la 2e à Timothée, les deux épîtres de
Pierre, l'épître aux Hébreux (1522).
2 lV. POLI.ET, Huldrych Zwingli, biographie et théologie, Labor et fides, Genève, 1988,
p.19.
3 J.D. BENOIT, Introduction à la liturgie de l'Eglise réfannée de France, Berger-Levrau1t,
Paris, 1956, p. 128. - Cf. le témoignage de Gérard Roussel, dans sa lettre à Nicolas Le Sueur,
évêque de Meaux (HERMlNJARD, Correspondance des réfomwteurs, l, p. 412-413): ({ le mi-
nistre monte en chaire et d'abord lit, de façon que tous comprennent, l'&riture qu'il veut ex-
pliquer; ensuite, il l'explique plus abondamment, amenant tous les autres passages de la bible
qui s'y rapportent, de façon cependant que soit sauvegardée l'analogie de la foi ... » (cité par
J.D. BENOIT, op. cil., p. 126).
LA TRADITION DES LECTIJRES BIBLIQUES DANS LE CULTE RÉFORMÉ 85
Il En semaine, Calvin a ainsi prêché à Genève 200 sermons sur le Deutéronome, du mer-
credi 20 mars 1555 au mercredi 15 juillet 1556, puis 343 sermons sur EsaIe, du jeudi 16 juillet
1556 au samedi 26 août 1559~ et d'encha:iner avec le livre de la Genèse. Le dimanche, de
juillet 1559 à février 1564, il a prêché sur la "concordance évangélique", c-à-d. les évangiles
synoptiques. A partir de 1549, les sermons de Calvin ont été transcrits systématiquement puis
copiés; à partir de 1558, certains ont été imprimés en recueil (sennons sur la le épître aux Co-
rinthiens, ch. 10 et Il: 1558; la le épître à Timothée: 1561; l'épître aux Ephé.\·îens: 1562;
l'épître aux Ga/ates: 1563; Job: 1563; Daniel, ch. 5-12: 1565, Deutéronume: 1567).
12 Dans sa forme versifiée par Clément Marot et Théodore de Bèze, la lotalité du psautier
- achevé en 1561 - était en outre chantée par l'assemblée dimanche après dimanche, deux fois
au cours de l'année. Telle était du moins la pratique à Genève jusqu'au début du XVIlle siècle
(Le Psautier de Genève, 1562-1865, Catalogue de J'exposition de Genève, BPU, 13 mars-13
ju;n 1986, 1986, P 79).
13 Sur la justification de cette pratique. voir Antoine Du Pinet, La conformité des f."'gli.H!S
réformées de France et de l'Eglise primitive en pulice et cérémunies ... , Jean Martin, Lyon,
1564. p. 151.
LA TRADITION DES LECTURES BmUQUES DANS LE CUL TE RÉFORMÉ 87
Et Calvin de riposter, dans un texte de 1556: d'une part les péric opes en
usage dans la chrétienté ne sont pas toutes uniformes, celles en usage à
Hambourg ne sont pas universelles (l'uniformité dans l'Eglise romaine
ne sera obtenue qu'avec le Missel romain de 1570); d'autre part, dit-il, le
seul avantage des péricopes imposées est de faciliter la tâche des prédi-
cateurs luthériens paresseux, qui utilisent tous des sermonnaires sur les
péricopes des Evangiles (les Pastille). L'important, explique Calvin, est
que la doctrine de l'Evangile demeure libre et entière, « comme les apô-
tres nous l'ont transmise », pour l'usage du peuple". Le réformateur ex-
prime là le souci d'une transmission de l'Ecriture tout entière au peuple,
sans en rien cacher qui soit réservé aux prêtres. Il sous-entend aussi que
la pratique des péric opes a été une dégradation de la pratique originelle
de la lectio continua. Pire, dira son disciple Zanchi: une invention ro-
maine, papiste". Avant Calvin, un théologien de Marbourg, Andreas
Hyperius, avait déjà utilisé l'argument historique pour justifier une prati-
que qui paraissait si révolutionnaire. Dans son célèbre ouvrage sur l'art
de composer les sermons", il présente la lecture de la sainte Ecriture, qui
constitue la première partie de la "prédication sacrée", comme une
« louable coustume de la synagogue », reprise par l'Eglise primitive l7 •
Le modèle réformé des longues lectures de l'Ecriture dans le culte
s'est répandu au cours de la seconde moitié du XVIe siècle dans toutes
les Eglises marquées par l'influence de Calvin, en particulier dans les
Eglises réformées de France qui ont adopté en bloc la liturgie de Genève.
Partout ont été reçues les deux règles présidant à cette lecture de
l'Ecriture, selon Hyperius: première règle: seuls les livres canoniques
sont lus dans les « sainctes assemblées »"; seconde règle: en raison de
17 Sur la pratique de la lecture de l'Ecriture dans le culle des Eglises réformées françaises,
quelques détails sont donnés par Antoine Du Pinet. « Les ministres portent ordinairement leur
Bible en la chaire, pour y lire le texte qu'ils délibère-nt interpréter au peuple et sur iceluy
l'exhorter. La cérémonie en est prinse en sainct Luc}) (Luc 41l6-21: Jésus dans la synagogue
de Nazareth), « Aujourd'huy. les ministres ... lisant le texte ... ~ont debout ct à teste descou-
verte ... Le texte leu, ilz se couvrent la tesle ... pour la necessité corporelle. Et mutefois, il y a
des ministres de bonne complexion qui prcschent à teste nuë) (op. cif., p. 151),
18 Pour l'Ancien testament, il s'agit du canon hébraïque: les livres "apocryphes" inclus
dans la Septante et dans la Vulgate ont été rejetés du canon dès la le éd, de la traduction de la
Bible de Luther en 1534 (ces livres y figurent cependant, regroupés à la suite de l'Ancien
Testament); les réformés ont suivi Luther, déclarant que les livres apocryphes, doctrinalement
peu sûrs, ne peuvent être "lus aux Eglises" (cf. COl1fes~'ioll helvétique posférieure, 1566, ch. 1),
88 MARiANNE CARBONNIER-BURKARD
2. Adaptation
temps, une première partie étant présidée par un "lecteur", l'autre par le
ministre. Le lecteur (ancien ou diacre ou maître d'école ou étudiant en
théologie) monte en chaire, dit l'invocation, puis commence la lecture de
l'Ecriture, un chapitre pris dans le Nouveau testament, souvent précédé
d'un autre pris dans l'Ancien Testament. Aucun plan de lecture fixe
n'est prévu. D'un dimanche à l'autre, d'un mercredi ou jeudi à l'autre, la
lecture est en principe continue". Après le chant d'un psaume, le pasteur
monte à son tour en chaire et commence le prêche selon l'ordre prévu
dans la Fonne des prières: confession des péchés, suivie d'une prière,
puis lecture de la "portion d'écriture" sujet de la prédication. Les deux
actions, les deux lectures, se succèdent sans être organiquement liées.
Ainsi deux séries de lectio continua, celle du lecteur et celle du pasteur,
coexistent de dimanche en dimanche.
Cependant, comme l'admet le synode national de Charenton en
164423 , si la leclio col1linua reste le principe, elle n'est pas une règle
contraignante: le ministre est libre de l'interrompre pour de multiples
raisons, les unes périodiques, les autres plus exceptionnelles:
- dimanches de cène (Noël, Pâques, Pentecôte, automne: à chaque
fois la cène était célébrée deux dimanches de suite, pour tenir compte
des malades, des gens en voyage ... ) et dimanches de préparation à la
cène (les deux dimanches précédant la cène").
- dimanches et jours de fête dans l'Eglise catholique: l'obligation
légale en France de chômer les jours de fête de l'Eglise romaine et la
pression de l'environnement festif ont conduit souvent les pasteurs à une
commémoration du jour par une lecture et une prédication appropriée (le
récit des Rameaux par exemple pour le dimanche précédant Pâques, les
récits de l'enfance de Jésus, pour les jours de la circoncision, de
l'Epiphanie ou de la Purification de la Vierge).
- dimanches d'ouverture de synodes provinciaux ou nationaux,
dans les villes où ils se réunissent.
- jours de jeûne extraordinaire en temps d'affliction collective (ac-
cidents spectaculaires ayant affecté collectivement l'Eglise: inondation,
naufrage, peste, à partir des années 1660: suppression d'exercice du
culte, rasement de temples ... ): les lectures sont alors des chapitres entiers
22 Depuis le synode national de Sainte-Foy, 1578, les ministres ont pour règle de prêcher
sur un texte de l'Ecriture sainle qu'ils "!>'uivront ordinairement" (Dicipline ecclésia,\,tique des
Eglises réfannées de Frallce, 1666, ch,l, art. 12).
- Jean AYMON. Taus le!>' synudes natiunaux des E.R.F" Charles Dela, La Haye, 1710. t.
JI. p. 661.
23
24 Voir la Furme des prières .... (Calvini Opera, vol. VI, col. 193),
90 MARIANNE CARBONNlER-BURKARD
25 Voir l'Ordre qui a esté donné au Lecteur pour ce qui devoit estre leu et chanté le jour
du JtÎ.ne célébré à Charentoflle 19 d'avril 1658.
26 C'est le cas de Charles DrelincouTt, peu avant de mourir: Je dimanche 27 octobre 1669,
il interrompt sa !eelia continua de la le épître de Pierre, pour prêcher sur les versets 9 et 10 du
Psaume 51, ( Dieu le Illy ayant mis au coeur ». (DemièTes heures de M. Drelincourt, Genève,
1670, p. 8).
27 Ainsi Jean Daillé, sur l'épître aux PhiIippiens (ch. 3 et 4), Charenton, 1647, Genève,
1660; sur l'épître aux Colossiens, Charenton, 1648; sur la le épître à Timothée, Genève, 1661;
sur la 2e à Timothée, Genève, 1659; sur j'épître aux Corinthiens (ch. 10), Genève, 1667; Jean
Mestrezat, sur la le épître de Jean, Genève, 1651; sur l'épître aux Hébreux (ch. 3 à 6), Ge-
nève, 1653; Michel Le Faucheur, sur j'épître aux Ephésiens (ch. 4), Charenton, 1641; et sur
les Actes (ch. 1 à Il), Genève, 1663 ...
28 Ainsi Samuel Durand, 1623; Pierre Dumoulin, 1625; Jérémie Viguier, 1647; Jean Daillé,
1653 et 1654; Charles Drelincourt, 1658, 1660; Jean Mestrezat. 1658; Raymond Gaches,
1660; Michel Le Faucheur, 1660; Jean Delangle, 1666; Pierre Dubosc, 7 vol., 1692-1701...
29 Jean Daillé, Genève, 1657, 2e éd. 1658.
30 Par exemple Jean Daillé, Genève, 1653.
31 Ainsi Jean Daillé, dans un sermon du Vendredi - Saint: « Au lieu que nos adversaires
s'arrestent à la simple histoire de la passion du Seigneur, en représentant toutes les circonstan-
ces et les amplifiant d'une manière propre à attendrir le coeur de leurs auditeurs et à en tirer
des larmes, nous au contraire <... > considérons la croix du Seigneur, non simplemenE comme
l'instrument de sa mort, mais comme le trophée de sa victoire n. (Vingt sermom < ... > sur
divers textes deJ'Ecrirure, < ... >, Genève, 1653, p. 171).
LA TRADITION DES LECTURES smUQUES DANS LE CULTE RÉFORMÉ 91
31 La liste de ces "solennités" est ceBe même des "fêtes de Christ" (le 1er janvier étant
fête de la circoncision) approuvées par la Conft!s!>'iorl helvétique postérieure, 1566 (ch. XXIV).
33 Traité de la compositio/l d'un sermon, in: Oeuvres p(}.~thumes ... , t. l, Amsterdam, 1690,
ch. m, p. 187-190.
34 Antoine Le PAGE, Sermons el prière.l· pour aider à la consolation de.\'fidèles de France
persecurez. Abraham Acher, Rotterdam, 1698. [28]-t400p. Mêmes conseils de Jean Claude
(Pratique chrétienne de la religion "', Genève, 1685, nombreuses rééditions jusqu'en 1779).
35« Le rétablissement de l'Eglise» (sur Esaïe 62, v. 6-7); «Jésus naissant et adoré par
les mages» (sur Matthieu 2 v. 1-2); « La foy victorieuse du Déluge» el « Le riche héritage»
(sur Hébreux 11 v. 7); « Christ le conducteur annoncé par l'ange »(sur Dalliel9 v. 25), « La
perte irréparable» (sur Matthieu 16 v. 26) (up. dt.).
92 MARIANNE CARBONNIER·BURKARD
3. Révision
36 Esaü! chap. 40 à 66; Jérémie chap. 50-51, Ezechiel chap. 35 à 37, Daniel chap. 1 à 6,
Abdias, Nahum chap. 2, Aggée chap. 1-2, Zacharie chap. 8 à 14, Malachie chap. 3-4, Genèse,
chap. 12 à 50, Exode chap. l à 18. JOJué, JugeJ~ Samuel, EJ'ther, Esdras, Nehemie (Instruction
pour les exercices de piété ... , in: Lettres et opuscules de feu M. Broussan, Utrecht, 1701, p.
220).
37 Ce sermon porte J'indication: « prononcé le 26 mars 1690, le 7 janvier et le 21 octobre
1691, le 18 mai 1692» (La manne mystique du désert, Amsterdam, Henri Desbordes, 1695).
LA TRADITION DES LECTURES BIBLIQUES DANS LE CULTE RÉFORMÉ 93
veut construire une liturgie qui retrouve « la forme du culte des premiers
chrétiens », en sélectionnant «ce qui a été d'un usage ancien et géné-
ral ». Partant de ce principe, un de ses principaux soucis est de « rétablir
la lecture de l'Ecriture sainte dans le culte public», abusivement sup-
plantée par le sermon. Ostervald constate en effet que cette lecture est
expédiée, par un lecteur, au tout début du service, « en sorte que le peu-
ple n'y apporte que très peu d'attention et de respect »".
La liturgie pour l'Eglise de Neuchâtel, qui paraît en 171339 , présente
ainsi deux innovations du point de vue des lectures bibliques. Sans tou-
cher aux services de prédication, dont le principal est celui du dimanche
matin, elle prévoit des services du matin et du soir les jours de semaine,
comportant prières, cantiques et surtout lecture de chapitres de l'Ecritu-
re, sans prédication, mais avec une brève explication. Il ne s'agit pas là
de services mineurs: « ce sont les ministres qui le célèbrent ». Le plan de
lecture permet de lire au cours de l'année, parallèlement, tout l'Ancien
Testament, de la Genèse à Malachie'", et deux fois le Nouveau Testa-
ment. En semaine, la [eclio continua reste donc la règle.
Cependant, à plusieurs reprises au cours de l'année, il y a solution de
continuité: pour les temps de "fête" (semaines autour de Noël, du Jour de
l'an, de Pâques, de l'Ascension, de Pentecôte, Fêtes de Septembre), « on
lit des chapitres qui conviennent à ces temps-là et l'on fait alors deux
lectures ». Ostervald ajoute à ce sujet: « c'est ce que l'on appelait autre-
fois "l'Epître et l'Evangile, et l'on s'est conformé pour cela, autant
qu'on l'a pu, à l'usage ancien de l'Eglise, qui a fait depuis longtemps un
choix sage et judicieux... " »41. La table des lectures liées à ces "circons-
tances", qui figure en tête de la liturgie, ne manifeste guère ce souci affiché
de retour à la tradition de l'Eglise: rares sont les lectures qui coïncident avec
les péric opes du lectionnaire romain; d'ailleurs au lieu de péricopes de 5
à 10 versets, ce sont des chapitres ou larges sections de chapitres, se sui-
vant d'un jour à l'autre de la semaine de fête.
L'Eglise de Genève subit l'attraction du nouveau modèle, mais,
l'emprise de la tradition calvinienne restant forte, les débats ont été longs
et laborieux avant l'introduction officielle de ces innovations dans la
42 Lel' Prière j' ecclésiastiques et les Liturgies du Baptême, de la Sainte Cène et du Ma-
riage. Revues par les Pasteurs et les Professeurs de l'Eglise et de J'Académie de Genève, Ge-
nève, 1724; cette liturgie est revue et éditée, à partir de 1743, sous le titre: La liturgie ou la
manière de célébrer le service divin dans l'Eglise de Genève ... - Les débats à Genève ont été
éclairés par Maria-Cristina PITASSI, "De l'instruction à la piété: le débat liturgique à Genève
au début du XVIIIe siècle", in Edifier ou instruire? ... Les avatars de la liturgie réformée du
XV! au XVlIf siècle. Champion, Paris, 2000, pp. 91-109.
43 Lo. liturgie ou la manière de célébrer le service divin dans l'Eglise de Genève .... H.A.
Gosse, 1754, Genève, Avertissement.
44 Cahier supplémentaire, paginé 101-128.
4S Liturgie pour les protestans de France ou prières pour les familles des fidèles privés
de l'exercice public de leur religion .... M.M. Rey, Amsterdam, 1758. Autres éd.: 1768, 1769,
1771, 1783. - Sur cette liturgie, voir Y. KRuMENACKER, ''La liturgie, un enjeu dans la renais-
sance des Eglises françaises au XVIIIe siècle", in Edifier ou instrui.re? ... op. cit .. p. 1215.
LA TRADITION DES LECTURES BIBLIQUES DANS LE CULTE RÉFORMÉ 95
•••
Au terme de cette enquête, des constantes apparaissent à travers
l'histoire dans l'usage des lectures du culte chez les réformés: outre
l'exclusivité donnée aux textes canoniques et à l'usage de la langue vul-
gaire, socle commun des traditions luthérienne, anglicane et réformée,
deux traits sont plus spécifiquement constitutifs d'une tradition réfor-
mée: la liberté à l'égard de la tradition des péric opes fixée par Rome et la
visée d'une appropriation communautaire, pour tous les fidèles, de la
totalité de l'Ecriture, Ancien et Nouveau Testament.
Marianne CARBONNIER-BURKARD
Faculté libre de théologie protestante de Paris
II
ORIGINES
LES PREMUERS SYSTÈMES DE LECTURE
DANS L'ORIENT CHRÉTIEN,
JÉRUSALEM, ÉDESSE, ANTIOCHE,
ET LA SYNAGOGUE
l - JÉRUSALEM
Par l'importance de son cursus de lectures établi pour une année li-
turgique complète, le Lectionnaire de Jérusalem, traduit du grec en ar-
ménien au début du Ve siècle', constitue un document de choix pour
l'étude de la lecture de la Bible dans la liturgie'. Par son ancienneté,
puisque l'on en perçoit quelques éléments dans les Homélies sur Samuel
qu'Origène prêcha dans la Ville Sainte entre les années 238-242', dans
les Catéchèses de Cyrille de Jérusalem, l' ltinerarium Egeriae, les Ho-
méliesfestales et les Homélies sur Job d'Hésychius de Jérusalem', il pré-
sente un point de départ solide pour tenter de rejoindre, en amont des
Ille-Ve siècles où furent composées les oeuvres précédentes, les premiers
lectionnaires chrétiens.
5 Voir notre article "Origène dans la liturgie de Jérusalem", dans Adamantius 5 (1999)
97-52.
fi Voir notre contribution à l.LJ. Lecture des Épîtres Catholiques dans l'Église ancienne,
sous la direction de C.-B. AMPHOUX - J.P. BOUHOT, Lausanne, 1996 (= Hhwire du Texte Bi-
blique 1). pp. 55-74
7 Sans rejeter les essais entrepris pour découvrir des « couches») successives ou des
« livrets » à l'intérieur du Lectionnaire de Jérusalem, il est préférable de recevoir le texte dans
sa globalité. tel qu'il nous est connu au début du Ve siècle par sa version arménienne; les hy-
pothèses de M.F. LAGES, L'évulution du carême à Jérusalem avant le V~ siècle, dans Revue
des Études Annéniewzes, Nouvelle Série VI (1969) 67-102 (dés. REArm.), et de J.F.
BALDOVIN, I7le Urban Charac:ter of Christian Worship, Rome, 1987 (= Orientalia Christiana
Analecta 228 (dés. OCA, pp. 45-104), qui portent sur une partie ou sur un aspect de ce texte
concordent difficilement parfois avec le reste du texte.
S Pour ne pas multiplier les notes qu'appellent ces allusions aux péricopes du carême,
nous renvoyons UDe fois pour toutes à PO 36, 2, à partir de la page 238.
LES PREMIERS SYSTÈMES DE LECTURE DANS L'ORIENT CHRÉTIEN 101
9 Dans ses Homélies sur Job, prononcées vraisemblablement à l'issue de l'assemblée des
vendredis de carême, Hésychius de Jérusalem (éd. et trad. Ch. RENaux, PO, 1. 42, l, et 1. 42,
2, Turnhout, 1983), fait de Job un type du Christ.
10 Cette semaine rut vraisemblablement le début du carême, à une époque antérieure, et
c'est pourquoi elle revêtait un caractère spécial (cf. A. BAUMSTARK, « Das Alter der Peregri-
natio Aetheriae )}, dans Oriens Christianus, N.S. 1 [1911} 32-76; désorm. OC).
Il Ce sont ces lectures de J Samuel qu'Origène commente dans l'assemblée liturgique
(voir l'article cité note 5).
12 Une lecture évangélique, car ces jours-là il y avait eucharistie, fait suite à ces textes
vétérotestarnentaires.
13 On notera cependant que lors de la vigile de l'Épiphanie cinq lectures tirées du pro-
phète Isaïe se succèdent également (cf. PO 36, 2, pp. 210-213); il s'agit là manifestement
d'une anthologie de textes, choisis en raison de leur adaptation à illustrer, dans une vigile de
caractère inhabituel, la naissance du Christ célébrée le 6 janvier.
14 Ces deux péricopes sont lues aussi à la suite selon la version géorgienne du Lection-
naire de Jérusalem (cf. M. TARCHNISCHVllJ, Le Grand lectiollnaire de l'Église de Jérusalem,
Ve- Vllle siècle, [= Corpus Scriptorum Christiallorum Orientalium 188-189], nn° 722-723, dés.
CSCQ) et égaJement dans le rite latin; dans le rite byzantin, elles sont séparées par plusieurs
autres péricopes (cf. J. MATEOS, Le Typicoll de la Grande Église, t. II, QCA 266, Rome, 1963,
pp. 84-87; dés. le Typic(m).
102 CHARLES RENOUX
II - ÉDESSE
Avant d'en venir à Édesse, il eût fallu, sans doute, se tourner aupara-
vant vers Antioche qui aurait exerçé « une sorte de patronage »16 sur la
cité mésopotamienne, puisque Palut, son évêque de 192 à 209, Y serait
venu pour être ordonné, si l'on en croit la Doctrine d'Adda;'" Mais
l'absence à Antioche, au IVe-Ve siècle, de cursus connu des lectures in-
vitait à interroger d'abord Édesse où, à la même époque, aurait existé un
« lectionnaire » qui, selon plusieurs travaux dont nous allons faire état,
serait à la base du système de lecture des Églises syro-orientales.
19 Cf. F.C. BURKITI, « The early Syriac Lectionnary System )), dans Proceedings of the
British Academy X (192).1923) 301·338 (désormais BL 14528).
20 Sa localisation réelle est en effet incertaine; on parlera ici, pour faire court, du
« document d'Édesse)) ou du « document syriaque ».
21 Nichtevangelische, pp. 84-85, et (( Neuerschlossene Urlcunden altchristlicher Perikopen-
ordnung des ostaramaischen Sprachgebietes », dans OC, S. 3, vol. 1 (1927) 1-22.
22 « The Chaldean Lectionary System of the Cathedral of Kokhe », dans Orientalia
Christiana Periodica 33 (1967) 583-616.
23 (( Ein jakobitisches Doppellektionar des Jahres 824 aus Harran in den Hss Add. 14,485
bis 14,487 }), dans Kyriakon Festschrift J. Q1Ulsten, Münster, 1970-1972, t. 2, pp. 768-799.
24« The Development of Syriac Lectionary Systems: a Discussion of the Opinion of P.
Kannookadan », dans The Harp 10 (March 1997) 9-24.
25 BL 14528, pp. 316-318, où F.C. Burkitt amalgame les données de dix-sept lectionnai-
res pour les péricopes de l'Ancien Testament, et de vingt-deux pour celles du Nouveau, afin de
combler ces lacunes. Ces manuscrits de provenances diverses ne peuvent être représentatifs
d'un unique lectionnaire; ce sont de toute évidence des témoins d'usages, d'époques et de
lieux différents.
26 The East Syrian LectiOtulry. An flistorico-Lilurgic:al Study, Rome, 1991.
27 Cf. PO 36, 2, pp. 210-211, où figure la lecture de Le 2, 1-20.
D
28 Cf. CSCO 188-189, nn 2-5, et le Typicon, t. l, pp. 154-159 où l'on retrouve He l, Ps
109 et Le 2.
29 Le terme "dimanche" n'apparaît pas dans le manuscrit (cf. BL 14528, p. 306, en bas: 2
R 4, 8-37, et lectures suivantes), mais en raison du nombre des péricopes et de leur nature
(Actes, alleluia, etc ... évangile), il est probable qu'il s'agit d'un dimanche.
104 CHARLES RENOUX
30 Cf. Ch. RENaux, « Les premières manifestations liturgiques du culte des saints en Ar-
ménie, dans Saints et Sainteté dans la Liturgie ), Conférence Saint-Serge 1986, Rome, 1987
(:::;: Bibliotheca« Ephemerides Liturgicae» - <t' Sub.l'idia» 40; désonn. BEL), pp. 291-303.
31 L'écriture estrangelô du document, en raison de laquelle il a été daté du VIe s~ècle. fut
en usage en effet jusqu'au XIIIe siècle (cf. 1. ASSFALG - P. KRÜGER, Kleines Worterbuch de.\·
christlichen Orients, Wiesbaden, 1975, Syrische Schrift, pp. 340-342). Est-il vraiment aussi
ancien?
32 Jean le Baptiste (le lundi), Pierre et Paul (le mardi), les apôtres (le mercredi), les évê-
ques (les jeudi), Étienne (le samedi); pour le vendredi, dont le canon des lectures possède la
même structure que celui des jours précédents, aucun saint n'est mentionné.
33 Fidèle vivant dans la continence (cf. A. GUILLAUMONT, «Monachisme et éthique ju-
déo-chrétienne », dans Recherches de Science Religieuse 60 (1972) 199-218).
34ef. LACTANCE, De morte penecutorum, c. XLIV, éd. et trad. J. MOREAU, Sources
Chrétienlles39 (dés. SC), Paris, 1954, t. l, p. 127, et L 2, pp. 433-436.
3S Cf. Ch. RENoux, ({ Les Hymnes du iadgari pour la fête de J'Apparition de la Croix, le 7
mai », dans Studi sull'Orienre Christiano, 4, 1, Rome. 2000, pp. 93-102.
" Cf. PO 36.2, pp. 332-335.
37 Trois semaines de carême seulement (Grande semaine comprise), fête des saints évê-
ques à une date inhabituelle, mélange de données rubricaIes de diverses sources pOUf la fête du
7 mai, commémoraisons de saints inhabituelles dans la semaine de Pâques, présence de béné-
dictions rituelles dans un « lectionnaÎce ), etc ...
LES PREMIERS SYSTÈMES DE LECTURE DANS L'ORIENT CHRÉTIEN 105
2. Une compilation
Face à ce document, les avis des historiens sont partagés. Pour F.C.
Burkitt, il s'agit d'un authentique lectionnaire liturgique", dans lequel A.
Vallavanthara et P. Kannoodakan voient l'archétype du lectionnaire des
Églises syro-orientales40 ; pour M. Merras, il aurait été composé entre 351
et 390, ce qui est tout à fait impossible". Contrairement à ces auteurs, A.
46 Ce voyage de Rabbula dans la Ville Sainte est admis par son dernier biographe, G.G.
BLUM, Rabbula von Edessa, Leuvain, 1969 (CSCO 300), pp. 21-22 et 26.
"Cf. BL 14528. pp. 323-324.
48 Cf. The East Syrian Lectionary, pp. 129-155.
49 Ce nom a été conservé dans le Lectionnaire de Jérusalem, tant dans sa version armé-
nienne, hovanoc'n (cf. PO 36, 2, p. 210), que dans sa vetsion géotgienne, samc'q'sod (cf.
CSCQ, 188-189, n" 3).
50 Cf. BL 14528. p. 306; cette rencontre montre, une fois de plus, que les usages de Jéru-
salem ont servi d'exemple à la liturgie d'autres Églises, et que ce ne sont pas les pèlerins de
ces Églises qui les ont implantés à Jérusalem.
51 Ibidem, pp. 308-309.
52 Et les péricopes syriaques de cet Office reflètent le dernier état du Lectionnaire de Jé-
rusalem, celui du manuscrit Paris 44 (cf. PO 35, 1), pp. 182-184.
!O8 CHARLES RENOUX
4. L'intérêt typologique
Dans les travaux publiés sur ce texte syriaque, un point n'a pas en-
core été étudié, et on ne peut ici que l'effleurer: l'intérêt typologique de
ses péricopes. À la suite de saint Paul (l Co 10, 6.11), les Pères de
l'Église ont enseigné que les écrits de l'Ancien Testament, et cela vaut
aussi pour les textes bibliques lus dans la liturgie, constituaient une pé-
dagogie qui préparait à l'économie révélée par ceux du Nouveau Testa-
ment, en même temps qu'ils servaient à éclairer le contenu du Mystère
chrétien. Le document édessénien offre ainsi une importante carrière à
explorer, avec ses deux cent soixante-dix péricopes vétéro-testamentaires
qui colorent la célébration des différentes retes. Prenons comme exemple
les lectures affectées au dimanche de la Pentecôte, une section courte qui
ne comporte que neuf textes de l'Ancien Testament":
1. Job 32, 33, 6: le premier discours d'Élihou: C'est l'inspiration du
Puissant qui rend intelligent.
2. Daniel, 1-21: le type du Juif, fidèle à la Loi.
3. Joël 2, 21-32: Je répandrai mon esprit sur toute chair.
4. Juges 13, 2-25: dès son enfance, Samson est agité par l'esprit du
Seigneur.
5. 1 Samuel 16, 1-13: {'esprit du Seigneur fondit sur David oint par
Samuel.
6. Jérémie 31,27-37: Dieu instaurera une nouvelle alIiance.
7. Isaïe 48, 12-49, 13: le Seigneur m'a envoyé avec SOIl esprit, le Sei-
gneur a racheté Jacob.
8. Genèse II, 1-9: la tour de Babel.
9. Exode 19, 1-20, 17: l'alliance du Sinaï, le décalogue.
53 Cf. BL 14528, pp. 313-314, et PO 36, 2, pp. 332-335; et là encore, le texte syriaque re-
produit J'ordre des lectures du plus récent témoin du lcctionnaire hiérosolymitain. Même
constatation pour les textes de la dédicace d'un autel (BL 14528, p. 313, et PO 36, 2, pp.
366-367).
"Cf. BL 14528. p. 312.
LES PREMIERS SYSTÈMES DE LECruRE DANS L'ORIENT CHRÉTIEN 109
III - ANTIOCHE
Antioche, qui dans les premiers siècles eut un droit de regard sur
Édesse", aurait-e!le influencé ses rites66 ? Les oeuvres, les lettres et les
fragments d'écrits des premiers Pères et évêques d'Antioche (Ignace,
Théophile, Sérapion, Paul de Samosate, Eustathe) sont malheureusement
dépourvus de toute information sur la lecture des Écritures dans la liturgie.
Pour avoir quelques aperçus, avant Sévère d'Antioche dont les Homélies
Cathédrales prêchées de 512 à 518" offrent une foule de renseigne-
ments, il faut attendre Jean Chrysostome et les Constitutions Apostoli-
ques; les indications liturgiques de ces dernières, leurs allusions à la vie
quotidienne et divers indices chronologiques les situent à Antioche, en
380, nous assure leur dernier éditeur'.
Les six passages des Constitutions Apostoliques qui font allusion aux
lectures de la liturgie" ne mentionnent celles-ci que de manière générale.
Le passage le plus développé - Constitutions Apostoliques, livre II, 57, 5
- précise qu'on « lira les écrits de Moïse et de Josué, fils de Nun, des Ju-
ges et des Règnes, des Chroniques et du Retour d'exil 70 , ensuite les écrits
de Job et de Salomon et des seize prophètes »71 que suivront la psalmo-
die, les Actes, les Épîtres de Paul et les Évangiles. Ce texte semblerait
confirmer le « document édessénien » précédent, non par l'ordre de lec-
ture des livres bibliques ici tout à fait régulier, mais par le nombre des
péricopes, une douzaine, si l'on en compte une de chacun des livres bi-
bliques énumérés. Cependant, dans les autres passages des Constitutions
Apostoliques, le compilateur ne mentionnant que la Loi, les Prophètes et
les Évangiles, il faut prudemment envisager, comme l'a suggéré M. Metz-
ger, que ce soit pour une vigile dominicale composée de lectures bibliq-
ues qu'un si grand nombre de péricopes ait été prescrit".
67 voir l'index complet de ces Homélies prêchées entre ces deux dates dans la Patr%gla
Orientalis, t. 29. Paris, 1960. pp. 50-62. Comme à Jérusalem et à Édesse, on lit la Genèse en
carême.
68 Cf. M. METzGER. Les Constitutions Apostoliques, t. l, Paris, 1985 (SC 320), pp. 55-57.
69 Ibidem. t. Il, Paris, 1986 (SC 329), p. 82.
70 Sans doute les livres d'Esdras et de Néhémie qui appartiennent à la période du retour
des Juifs de la captivité de Babylone; deux livres qui, avec les Chroniques. ne sont pas lus dans
les lectionnaires syriaques anciens (cf. l'index de F.C. BURKTIT. BL 14528, pp. 324-331; voir
aussi A.J. MACLEAN, East Syrian Daily Offices, London, 1894, pp. 284-286; A. V(')(')BUS, The
Lectionary of the Monatery of 'Aziza'el in Tur'Abdùz, Me.\'Opotamia [CSCO 466], pp.
333-336), conformément aux manuscrits massorétiques syriaques (cf. Cl. VAN PUYVELDE,
« Orientales de la Bible (Versions), VI. Versions syriaques ». dans Dictiunnaire de la Bible,
Supplément, 1. 6, Paris, 1960, coll. 837-884).
71 Ibidem, pp. 312-313. Après ce passage et avant l'allusion à la psalmodie des hymnes de
David, on lit cette recommandation étrange: {( Après les lectures proclamées deux par
deux ... ». Le matin du vendredi-saint. à Jérusalem, l'Office comprenait aussi des lectures faites
deux par deux. mais là il s'agit d'un texte de l'Ancien Testament suivi d'un texte du Nouveau,
structure destinée à montrer l'accomplissement des prophéries de la Passion (cf. PO 36, 2, pp.
280-293).
72 Ibidem, p. 82. La mention d'Esdras et de Néhémie, si ce sont ces deux livres qui sont
désignés par ceux du « Retour d'ex.il », exclut d'ailleurs que le système de lecture des COllsti-
tution.\· Apustoliques soit celui des lectionnaires syra-orientaux anciens qui ne font pas appel
aux deux livres qui relatent la restauration du Judaïsme après l'exil (voir supra note 70).
112 CHARLES RENOUX
IV - LA SYNAGOGUE
BI Cf. F. BLANCHETlÈRE, Enquête sur les racines juives du mouvement chrétien (30-135),
Paris. 200 1. pp. 82·151.
82 Cf. A.F. KLIN and G.J. RElNlNK, Patristic Evidence for Jewish-Christian Sects, Lei-
den, 1973 (= Supplements to Novum Testamentum 36); F. BLANCHETIÈRE et M.D. BERR, Aux
Origines juives du Christianisme, Jérusalem, 1993; F. BLANCHETIÈRE, Enquête, pp. 329-338.
83 Cf. Ac 2, 46; 3, 1.
84 Cf. K. HRUBY, « La Synagogue dans la littérature rabbinique », dans L'Orient Syrien 9
(1964) 511; S.C. MIMOUNI. Le Judéo-Christianisme ancien. Es.mi.\· historiques, Paris, 1998,
pp. 139·152.
85 Cf. K. HRUBY, La Synagogue, pp. 473-514.
86 Cf. Ch. PERROT, La lecture de la Bible. Les anciennes lectures paiestinienne.\· du Shab-
bat el des/ête.I·, Hildesheim, 1973, pp. 37-52,141-168 (désormais lLz lecture); voir aussi C.W.
DUGMORE, « The Influence Background ta Christian Worship», dans JONES-WAINWRIGHT-
y ARNOLD, The Study of Liturgy, London, 1978, pp. 39-51; R.T. BECKWITH, dans lnfluence.\'
juives sur le culte chrétien, Louvain, 1981 (= Textes et Études Liturgique.\· 4), pp. 102-104;
L.A. HOFFMAN, « The lewish Lectionary, the Great Sabbath and the Lenten Calendar», dans
J.N. ALEXANDER, Time and Commullity, Washington, 1990, pp. 3-20.
87 Cf. R. DUVAL, Histoire d'Édesse, politique, religieuse et littéraire jusqu'à la première
croisade, Paris, 1892, p. 108; E. KIRSTEN, Edessa, coll. 552-597; lB. SEGAL, Edessa. The
Ble-l":,,·ed City, Oxford, 1970, pp. 41-43; F. BLANCHETIÈRE, Enquête, pp. 225-227. Selon J.B.
Segal, les violences contre les Juifs devinrent très fortes à Édesse au IVe-Ve siècle; il semble
donc nécessaire que l'adoption d'usages liturgiques juifs soit antérieure à cette période. Pour
L.W. BARNARD, Studies in Church Hisrory and Parristics, Thessalonique, 1978
(= ANAAEKTA BAATMQN 26). pp. 194-207, la chrétienté d'Édesse à ses origines aurait été
pénétrée d'influence juives, comme semblent l'attester encore au IVe siècle les Démom·tra-
tions d'Aphraate.
88 Cf. J.B. SEGAL, The Ble:,,·sed City, pp. 62-109.
114 CHARLES RENOUX
si en ses murs une nombreuse population juiveSQ qui vécut en bonne in-
telligence avec les chrétiens", jusqu'au IVe siècle, époque où se déve-
loppe la polémique anti-juive, comme le laissent entendre les Homélies
contre les Juifs de Jean Chrysostome",
98 Cf. Ch. PERROT, La lecture, pp. 27-29; P. BRADSHAW, La liturgie chrétienne, pp. 46-48.
99 Cf. M. SMITH, Clement of Alexandria and a Secret Gospel of Mark, Cambridge
(Mass.), 1973.
100 P. CARRINGTON, The Primitive Calendar: a Study in the Making of the Markan Gos-
pel, Cambridge, 1952, avait déjà proposé une hypothèse semblable (cf. P. BRADSHAW, La li-
turgie chrétienne, pp. 46-47).
101 Cf. Th. 1. TALLEY, The Origim of the Liturgical Year, New York, 1986, pp. 203-214
(trad. française. Paris, 1990, pp. 224-234).
102 Cf. A. JAKAB, « Une lettre "perdue" de Clément d'Alexandrie? (Morton Smith et
l' « Évangile Secret» de Marc) ), dans Apocrypha, Revue Internationale des Littératures Apo-
cryphes 10 (1999) 7-15, p. 10, notes 11-15. En 1995, l'exégète anglais G. STANTON, dans son
livre traduit en français sous le Litre Parole d'Évangile? Un éclairage nouveau sur Jésus et le.~
Évangiles, Paris, 1997, pp. 119-121, écrivait: « cet ouvrage pourrait être un faux de la fin du
Ile siècle, voire même un faux: du XXe siècle ».
103 Cf. A. LE BOlJl..l...UEC, « La Lettre sur 1'''Évangile Secret" de Marc et le Quis Dives
Salvetur », dans Apocrypha 7 (1996) 27-41, et A. JAKAB, Une lettre « perdue », pp. 7-15.
104 Cf. J. MAnus, Le Typicon, t. 2, Rome, 1963 (OCA 166), pp. 20-21.
105 De Mc 2, 23-3, le premier samedi de carême, le Typicon revient à Mc l, 35-44. le
deuxième samedi, puis à Mc 2, 1- J2, le deuxième dimanche; les péricopes des troisième et
116 CHARLES RENOUX
quatrième samedi et dimanche sont effectivement en lecture continue; mais le cinquième sa-
medi le Typicon prévoit Mc 2, 14-17, et le dimanche qui suit, Mc 10, 32-45 (ibidem. pp.
i8-57).
106 Voici la liste de ces péricopes, dans l'ordre où elles se présentent dans le Typicon de la
Grande Égli.\'e: Mc 2, 23-3, 5,le vrai jeûne et le vrai sabbat; Mc 1,35-44, la prière et la purifi-
cation du péché; Mf..: 2, 1-12. "tes péchés te sont remis"; Mc 7, 31-37. guérison d'un
sourd-muet; Mc: 8, 34-9, l, suivre Jésus; Mc 9, 17-37, expulsion de j'esprit muet, le Fils de
l'Homme va être livré; Mc 2, 14-17, la vocation de Lévi, ce sont les malades qui ont besoin de
médecin; Mc lO, 32-45, "nous montons à Jérusalem". - Sévère d'Antioche prêcha constam-
ment, entre 512 et 518, le deuxième dimanche de carême sur Le lO, 25-28 (la question du lé-
giste à Jésus pour obtenir la vie éternelle), ct le troisième sur Le lO, 29-37 (la parabole du bon
Samaritain) (cf. PO 23, Paris, 1932, pp. 100- 119, et PO 29, Paris, 1960, pp. lO2-122); remar-
quons, en passant, qu'à la même époque on lit Luc à Jérusalem durant les dimanches de ca-
rême, selon la version géorgie'iIne du Lectionnaire de Jérusalem (cf. CSCO 188-189, nn°
361-524). L'année liturgique d'Antioche ayant eu de nombreux points communs (mais aussi
des divergences, reconnaissons-le) avec celle de Constantinople, il est légitime de s'interroger
sur l'antiquité du système de lecture qui fait lire Mc 2,1-12, et Mc 8, 34-9, l, les deuxième et
troisième dimanches de carême à Constantinople, selon le Typicon de la Grande Église (éd. 1.
MA1EOS, t.H, pp. 30-31 et 38-39). De quelle époque date l'organisation du cycle des lectures
quadragésimales du Typicon? L'année liturgique byzantine fut en effet transformée, après Sé-
vère d'Antioche, au VIe et au VIle s., et son calendrier modifié; « le rite byzantin devint impé-
rial» (cf. R.F. TAFT, The Byzantine Rite, a short HislrJry, Collegeville, 1992, pp. 18-19 et
28-29, trad. franç. Le Rite byzantin. Brefhistorique, Paris, 1996, [Liturgie 8], p. 17 et 30; A.
EHRHARD, Überlieferung und Bestand. der hagiographischen und homileti.\·chen Literatur der
griec:hischell Kirche l, Leipzig, 1937 [Texte und Unter.l'uchungell 50J, pp. 32-33. Sur
l'hypothèse d'une très ancienne lecLUre continue de Marc en carême, qui viendrait conftrmer le
contenu d'un « Évangile secret de Marc », pèse donc l'hypothèque de l'inconnu des origines
du système des lectures du Typicon de la Grande tglise.
107 Quant à la finale de l'hypothèse de l'auteur -le dernier sanledi de carême serait une
commémoraison de la résurrection de Lazare, importée de Constantinople à Jérusalem -, elle
fait fi trop rapidement des dispositions de la célébration de ce samedi dans la Ville Sainte et
s'appuie sur un sermon de Jean Chrysoslome qui n'a pas été prononcé ce dernier samedi de ca-
rême, mais le lundi de la Grande semaine (cf. Ch. RENaUX, ({ Le manuscrit arménien Paris
44 »), dans Revue del' Études Arméniennes 26 (1996-1997) 193-214).
108 Cf. S.C. MALAN, The Holy GOlpel and Versicles for every SUliday and uther FeaJl
Day in the Year, al' used in the Coptie Church, London, 1874, pp. 38-55, où la lecture de Marc
n'est pas attestée; pour le dimanche des Palmes, pas de lecture de Marc dans le codex Scaligeri
du XIIIe s. (cf. A. BAUMSTARK, «Das Leydener griecbisch-arabische Perikopenbuch für die
Kar-und Osterwoche », dans OC, Neue Serie, Bd 4 (1915) 39-58, ct H.J. DE JONGE, « Joseph
Scaliger's Greek-Arabic Lectionary », dans Quaerendo 5/2 (1975) 143-172; voir aussi, pour
les lectionnaires du début de l'année liturgique jusqu'à Pâques, les manuscrits tardifs analysée
par A. MAr, Scriptorum Velerum Nova Collecrio, l. IV, Rome, 1831, pp. 15-34, dans lesquels
figurent quelques péricopes de Marc, en lecture non-continue et parmi d'autres empruntées
LES PREMIERS SYSTÈMES DE LECTlIRE DANS L'ORIENT CHRÉTIEN 117
aux trois évangiles; et, la période du carême n'ayant pas été étudiée par u. ZANETIl (Les Lec:-
ti(mnaires coptes annuels, Basse-Égypte, Louvain-La-Neuve, 1985), ajouter les manuscrits de
lectionnaires tardifs du carême conservés à la Bibliothèque Vaticane (cf. A. HEBBELYNCK - A.
VAN LANTSCHOOT, Codices Coptic:i, t. I. Codices captici Vatic:ani, Vatican, 1937, pp.
113-114,122-123,642-643 et 655-656) où n'apparaissent pas de lecture de Marc.
109 Cf. les tables des lectures de Ch. PERROT, pp. 41-87, et celles du Lectionnaire de Jé-
rusalem. PO 36, 2, pp. 375-377; les incipit et desinit des lectures des deux systèmes ne corres-
pondent pas toujours, puisque ceux des péricopes juives étaient variables (voir supra, note 93).
110 Cf. Ch. REXOUX, « Jérusalem dans le Caucase: Anton Baumstark vérifié », à paraître
dans OCA.
\LI Voir, par exemple, l'abondante utilisation d'Isaïe, à des périodes différentes toutefois,
dans la liturgie juive d'avant Roch ha-chanah, d'après la Pesiqm de-Rav Kahmza (un recueil
d'homélies juives du Ve siècle) et le Lectionnaire de Jérusalem en carême (cf. S. VERHELST,
« Une homélie de Jean de Bolnisi et la durée du carême en Syrie-Palestine », dans Questions
Liturgiques 78 (1997] 201-220).
118 CHARLES RENOUX
gésimale préparant à Pâques J2l : Exode 13, 17 (le Cantique de Moise, dans
BL 14528, LA et LG); Exode 24, 1 (la conclusion de l'Alliance, dans BL
14528); Exode 34, 1 (le renouvellement de l'Alliance, dans BL 14528);
Nombres 9, 1 (la date de Pâque, dans BL 14528); Deutéronome 16, 1 (les
fêtes de pèlerinage, dans BL 14528); Josué 5 (la circoncision des 1s-
raëlites à Guilgal, dans BL 14528); Juges 5 (le Cantique de Débora, dans
BL 14528); Ézéchiel 37, 1-14 (la vision des ossements, dans BL 14528,
LA et LG); Malachie 3, 10 (le culte pour Dieu, dans BL 14528 et LG).
Les lectures de la Pentecôte de la liturgie juive"', Exode 19, 1-20 (l'Al-
liance du Sinai), Deutéronome 5, 6-6, 9 (le Décalogue)!", et Ézéchiel 1
(la vision de la Gloire) sont aussi au programme du document syriaque.
Si l'on avait étendu l'enquête à toute l'année liturgique, beaucoup
d'autres ressemblances seraient à signaler 125 , et celles-ci s'augmenteront
sans doute encore, au fur et à mesure que seront entrepris des travaux de
liturgie comparée sur la base des listes de lectures et des homéliaires des
anciennes synagogues de Palestine126.
***
À la fin de cet exposé, qui n'a eu aucun mérite à relever quel-
ques-unes des rencontres existant entre lectures de la liturgie juive et des
liturgies chrétiennes anciennes d'une part, et d'autre part entre les cursus
de lectures de Jérusalem, d'Édesse et d'Antioche, une question encore
sans réponse se pose cependant. Les relations constatées entre ces systè-
mes sont-elles le résultat d'une entreprise concertée et voulue?
Jusqu'à maintenant, nous n'avons aucun document qui laisse enten-
dre que les Judéo-chrétiens, quittant leurs synagogues, aient transféré ou
imposé dans les assemblées chrétiennes les rites qu'ils observaient aupa-
ravant; les recherches en cours sur le judéo-christianisme ne révèlent au-
122 Pour les références ci-dessous, on se reportera aux index du document d'Édesse lBL
14528, pp. 324-331), de la version arménienne du Lcctiollnaire de Jérusalem, PO 36, 2
(= LA), pp. 375-377, et de sa version géorgienne, CSCO 205 (= LG), pp. 125-132.
123 Cf. Ch. PERROT, La lecture, pp. 238-245.
124 Pour A. BAUMSTARK, « Neuerschlossene li, OC, 1lI Serie 1 (1927) 1-22, cette péri-
cape, placée à l'Ascension dans le document syriaque, aurait glissé d\! la Pentecôte à
l'Ascension, lorsque cette fête ful séparée de cene du cinquanLième jour.
125 On remarquera, par exemple, l'abondance dans BL 14528 et la versiou géorgienne du
uctionnaire de Jéru.mlem, lors des périodes les plus anciennes de l'année liturgique, des lec-
tures de Jusué, de 1-2 Samuel, de Juges et de Proverbes, qui figurent aussi dans les listes jui-
ve::. de péricopes. D'où proviennent ces choix?
l26 Voir les articles cités auparvant (p. 16 et p. 19) de N.G. COHEN et de S. VERHELST,
ainsl que l'article « Homilétique» du Dictiomwire Encydopédique du Judaïsmt! publié sous la
direction de G. Wigoder, Paris, 1993, pp. 530-533.
120 CH ARLES RENOUX
cun texte liturgique que l'on puisse clairement identifier, et encore moins
dans le domaine des lectionnaires, comme provenant d'une liturgie ju-
déo-chrétienne 127 • Mais puisque la Sagesse, qui est à l'origine de l'inspi-
ration de la liturgie juive, est aussi celle qui inspira les rédacteurs des
lectionnaires chrétiens, ceux-ci, sans qu'ils aient eu connaissance
d'usages de synagogues, ont pu faire référence aux mêmes textes qui
étaient tout naturellement appelés par la célébration qu'ils organisaient.
Il est tout à fait plausible, en effet, que l'on ait pensé spontanément pour
les fêtes de l'Épiphanie, de Pâques, de la Pentecôte, au récit de la créa-
tion, au sacrifice d'Abraham, au passage de la Mer Rouge, à Jonas, au
don de la Loi au Sinai, aux trois jeunes gens dans la fournaise. Appliquer
cette logique à tous les cas de rencontres serait cependant, comme l'a
écrit le Père Louis Bouyer à propos des relations entre liturgie juive et
liturgie chrétienne, « imaginer que la liturgie chrétienne a surgi par une
sorte de génération spontanée, sans père ni mère comme Melchisé-
dech )}!28. Il reste encore cependant à découvrir les voies par lesquelles se
seraient effectués ces transferts.
La raison des rencontres entre lectionnaires de Jérusalem, d'Édesse et
d'Antioche semble moins obscure. A. Baumstark n'avait sans doute pas
tort de penser que les anciennes communautés chrétiennes d'Orient et
d'Occident connaissaient leurs usages respectifs et s'en inspiraient!". Et,
malgré les doutes que l'on a émis, sans preuves, quant à l'influence des
rites hiérosolymitains sur ceux des autres Églises, on peut affirmer que
les usages liturgiques de la Ville Sainte des IVe-Ve siècles connurent un
grand rayonnement!30; l'hymnographie hiérosolymitaine, conservée dans
des textes géorgiens qui la localisent clairement par leurs allusions aux
Lieux Saints, en apporte une nouvelle preuve, puisque l'on retrouve
nombre de ces strophes dans les hymnaires arménien et byzantin !JI.
127 Les essais de F. Manns de trouver des origines judéo-chrétiennes à divers textes du
rite romain en faison des rencontres de thèmes et de vocabulaire (cf. Ephemerides Liturgic:ae,
t,lOI, 1987, el années suivantes) ne nous paraissent guère concluants, car les liturgies chré-
tÎennes ont la même source que la liturgie juive: les livres de la Bible. - Nous n'avons pas eu
connaissance des Actes du Colloque sur le judéo-christianisme tenu à l'École Biblique de Jé-
rusalem enjujJJet 1998.
128 L. BOUYER, Eucharistie, Paris, 1966, p. 21.
129 Cf. A. BAUMSTARK, Liturgie comparée. Principe~· et méthodes pour l'élude historique
des Liturgies chrétiennes, 3e éd. revue par Dam BOITE, a.s.h., Chevetogne, 1953, p. 140.
no Ibidem, pp. 6-7 et 154-158.
13I Cf. Ch. RENOUX, Les hymnes de la Résurrection 1. Hymnographie liturgique géor-
gienne, Paris, 2000, pp. 28-45 et 49-57.
LES PREMIERS SYSTÈMES DE LECTIJRE DANS L'ORIENT CHRÉTIEN 121
Charles RENOUX
Abbaye d'En Ca/cat
L32 Le Christ ressuscilé serait-il perçu comme la Sagesse qu'illustre ce poème sous la fi-
gure d'une femme?
FO~SRITUELLESDESLECTURESBIBLIQUES
l'autel comme figure de son lieu véritable dans l'Autel céleste, ainsi que
cela est figuré iconographiquement dans l'''étimasie'', c'est-à-dire dans la
représentation de 1'2vangéliaire sur l'Autel céleste (Voir par exemple
Apoc. V, 8). Tout cela souligne la centralité non seulement de la lecture
de l'Evangile, mais aussi de la vénération de l'Evangéliaire lors de la
célébration eucharistique.
Pour en mesurer toute l'ampleur, il nous faut remonter au premier
acte solennel de la "Petite Entrée" du clergé avec l'Evangéliaire porté
solennellement par le diacre. Cette Entrée est celle de l'Evangéliaire, et
aussi de l'assemblée tout entière, comme le dit la prière de l'entrée
("notre entrée") Cette Entrée revêt son sens plénier lors de la liturgie
épiscopale, car c'est à ce moment-là que l'évêque entre au sanctuaire. De
plus, cette Entrée est précédée d'un rite de vénération de l'Evangéliaire
par l'évêque, l'Evangéliaire étant tenu par le diacre face à l'évêque qui
s'incline devant lui. Le grand liturgiste Joseph-André Jungmann avait
déjà souligné le lien organique existant entre l'entrée avec l'Evangile et
la lecture évangélique proprement dite'. À son tour, le P. Juan Mateos
confirme ce lien organique'
Il était important de rappeler ces particularités de la célébration pon-
tificale, car elles situent mieux la centralité de l'Evangile dans son vrai
espace liturgique. Tout cela nous permet de surmonter la soi-disant di-
chotomie entre la Parole et l'Eucharistie. Nous pouvons réellement par-
Ier d'une double et indivisible présence réelle du Christ à la fois dans
l'Evangile et dans l'Eucharistie, présence toujours précédée, pénétrée et
suivie de la grâce illuminante et sanctifiante de l'Esprit Saint. Remar-
quons enfin le parallélisme et l'analogie des prières des deux "entrées".
Dans la première: « que notre entrée soit aussi l'entrée de tes saints an-
ges » et dans la seconde: « le Roi de toutes choses est invisiblement pré-
sent, escorté par les armées des anges ».
Passons maintenant aux rites proprement dits qui précèdent la lecture
de l'Evangile.
Nous rencontrons de bonne heure, nous signale Jungmann, la tendance à
rehausser autant que possible la lecture de l'Evangile6.
De plus, écrit-il,
le mouvement du diacre pour se rendre à l'endroit où devait se lire
l'Evangile fut peu à peu transformé, par un somptueux cérémonial, en
une véritable procession7 , que ce soit dans l'Ordo romain, ou dans la li-
turgie gallicane, ou, nous l'avons vu, la petite entrée des liturgies byzan-
tines, DU une procession dans la liturgie copte8.
9 On la trouve également comme 9< prière des matines, lue de DOS jours à vois basse par le
prêtre devant les portes royales pendant la lecture de l'hexapsa1me. Cette prière avait certai-
nement primitivement sa place à YOix haute avant la lecture de l'Evangile aux matines.
10 Op. cit., p. 75.
Il Op. cir., p. 118.
12 Op. cir., p. 139.
13 Op. cit., p. 141.
14 Op. cir., p. 76.
128 DORIS BOBRTNSKOY
1. Parole de Dieu
3. Lecture fondamentale
4. Interprétation
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y A-T-IL UN RITE REFORME
DE LA LECTURE BIBLIQUE DANS LE CULTE?
1. Introduction
annonce l'Evangile, Dieu est réellement présent, aussi présent que dans
la célébration des sacrements l .
3. Le rite est toujours transmis par d'autres avant nous. A cet égard,
il ne nous appartient pas, il nous précède et nous dépasse. Nous en som-
mes les dépositaires, et non véritablement les propriétaires et les initia-
teurs. Le rite est reçu. li est inscrit dans une tradition. Il obéit d'autre part
à une sorte de règle du jeu. Le mot rite vient d'ailleurs d'une racine in-
do-européenne et du sanscrit désignant ce qui est conforme à l'ordre.
Dans une telle perspective, il est évident que la lecture de la Bible au
cours du culte n'a rien de facultatif et obéit à une tradition qui est même
un des axes particulièrement important de l'histoire du culte protestant.
Les Réformateurs n'ont-ils pas tout fait pour remettre en honneur la lec-
ture de la Bible pendant le culte? A cet égard, la lecture de la Bible est
un rite, un moment tout spécialement prescrit par la tradition protestante
et l'on ne voit pas ce qui pourrait menacer une telle réalité, sans menacer
du même coup la spécificité - même du culte protestant.
firme par exemple: «Une bonne lecture suppose (.. .) une certaine len·
teur, et souvent des ponctuations sous forme de silences' ». Ce qui nom
intéresse le plus dans cette citation, c'est le mot "suppose"; il dit claire·
ment que cette lecture n'est pas faite n'importe comment et obéit à un
code implicite. mais bien réel.
Il n'existe plus aujourd'hui une seule version, toujours la même, de
la Bible utilisée pour son usage liturgique. Ce fut longtemps la version
Ostervald puis la version Synodale ou Segond; il y a là (en gros depuis le
milieu du XXe siècle), par l'abandon de cette traduction toujours sem·
blable, sorte de Vulgate ou de Bible de Luther (en allemand) et connue
presque par coeur par beaucoup de fidèles et pour de nombreux passa·
ges, la perte d'un élément proprement rituel de cette lecture.
On pourra souligner alors l'importance, de nos jours, de traductiom
audibles, compréhensibles, faites pour être lues à haute voix (comme la
Bible en français courant, par exemple) et pour des auditeurs qui ne sonl
pas, nécessairement, surtout à l'heure actuelle, des habitués du culte el
des familiers des Ecritures.
Tous les liturgistes insistent encore sur un autre point qui fail
l'unanimité: une lecture de la Bible dans le culte, quel qu'en soil
l'auteur, demande une formation exigeante: la bonne volonté n'est pa~
suffisante et l'improvisation n'est pas de mise dans un culte où la Bible
occupe une place décisive'. Une sonorisation d'ailleurs, loin de palliel
certains défauts, comme on le pense parfois, les met au contraire en évi·
dence et les augmente.
taine. Qui pourrait le nier dans la mesure où ces réalités sont des expres-
sions habituelles, générales et presque toujours présentes au moment de
la lecture biblique? Cela dit, trop de prédicateurs et lecteurs n'ont aucun
sens de ces grandeurs visuelles; Bruno Bürki a parfaitement raison
d'écrire à ce sujet:
De petites choses sont importantes parce qu'elles donnent la tonalité de
toute la cérémonie. Pensons au livre que l'on emploie pour la lecture li-
turgique. Il faut que ce soit une belle Bible que le peuple puisse voir. La
petite Bible de poche du pasteur ou un vieux livre en mauvais état ne
sont pas à leur place ici 8.
Cette remarque, hélas, n'est que trop juste; les protestants réformés
ont toujours tendance à faire fi de tout ce qui est visuel dans le culte;
c'est très certainement une réaction à ce que ce dernier pourrait avoir de
précisément .,. rituel. Cette attitude est par là très significative, mais le
déni peut se confondre avec une mise en relief: on montre d'autant plus
que l'on veut cacher ou ignorer.
rents. On l'appelle le plus souvent, chez les réformés français plus parti
culièrement, prière d'illumination; on y demande en effet à Dieu son Es
prit pour qu'il éclaire notre lecture des Écritures. Les luthériens, eux
préfèrent les termes de collecte ou de prière de collecte; Richard Paquie
écrit à son sujet:
La collecte n'a toute sa signification, à cette place, que si elle demande
sous des formes diverses, la grâce nécessaire pour comprendre la Paroli
divine qui va être lue9 •
14 Ibid., p. 147.
y A-T-IL UN RIlC REFORME DE LA LECTURE BIBLIQUE DANS LE CULTE? 143
que" ont combattu pour redonner une place importante aux lectures bi-
bliques au cours du culte. L'usage voulait en effet, trop fréquemment,
que l'on ne lise plus que le texte sur lequel portait le sermon; ce texte
devenait ainsi, trop souvent, une sorte de texte-prétexte, la lecture de la
Bible n'étant plus ce temps fort et cette riche réalité qu'elle devrait être,
mais seulement une espèce de prologue à la prédication, voire de
faire-valoir de cette dernière. Les lectures bibliques n'avaient par consé-
quent plus alors de valeur propre Cet effort de revalorisation (chez un
Frédéric Ostervald au XVIIIe siècle à Neuchâtel, un Eugène Bersier au
XIXe siècle à Paris ou un Richard Paquier au XXe siècle à Lausanne, par
exemple) est d'autant plus significatif que tous les acteurs de ce
"renouveau" ont simultanément lutté pour redonner une place centrale à
la cène. Mais on peut légitimement se demander aujourd'hui si cette
place importante reconnue à la lecture de la Bible dans le culte dominical
n'est pas sérieusement menacée_
2. Les textes bibliques sont souvent mal lus, mais surtout, et même
quand ils sont bien lus, mal écoutés. Dans une étude qu'il consacre pré-
cisément à « Crise et renouveau des lectures bibliques », Klauspeter Bla-
ser se demande, aux premières lignes de son article, si cette lecture des
Écritures n'est pas finalement devenue «un acte liturgique parmi
d'autres, un rite qu'on subit sans être concerné »1'. La lecture biblique
serait donc devenue dans le culte réformé un rite avec tous les défauts du
ex opere operato que les réformés ont si souvent reproché à la pratique
catholique de l'eucharistie. C'est un comble! Bernard Reymond, pour sa
part, se demande aussi si, tout compte fait, la lecture de la Bible dans le
culte n'est pas victime d'un authentique et malheureux "ritualisme"16,
que l'on a pourtant si vivement combattu quand il s'agissait de
l'eucharistie. Nous serions alors dans la situation de l'arroseur arrosé!
Chassez le ritualisme, il revient au galop, pourrait-on dire.
3. Peut-être n'est-il pas inutile ici d'insister sur le fait que ni la pré-
dication ni la lecture de la Bible n'échappent aux pièges du rite, et qu'il
n'y a aucune raison que les protestants soient miraculeusement préservés
de ceux-ci. Pourquoi la routine et le formalisme ne menaceraient-ils ja-
mais ce qui concerne la liturgie de la Parole, mais, mystérieusement, les
seuls sacrements?
15 K. BLASER, « Crise ct renouveau des lectures bibliques », op. cit., p. 59. C'est nous qui
soulignons ici le mOl « rite ».
16 B. REYMOND, Liturgie.\· en chantier, op. cir., p. 56.
144 LAURENT GAGNEBIN
Laurent GAGNEBIN
1 Cette numérotation des dimanches, traditionnelle dans les livres liturgiques byzantins,
inclut comme point de départ le dimanche de Pâques. Pour les lectures évangéliques et les au-
tres éléments liturgiques destinés à les accompagner, voir IIêV'rT/lCOamP10V Xap.uoauvov, Athènes,
1959, p. 71s et 128s; Pentecostaire, trad. D. Guillaume, Rome, 1978, t l, p. 183s et t. II, p. 5s.
2 Le terme Cinquantaine désigne ici l'intervalle de 50 jours entre Pâques et Pentecôte, à
distinguer de la fête de Pentecôte, le dernier jour de la période; les deux traduisent le grec
1tEvtT\ICOOTTÎ. Sur le sens du terme grec et ses possibles traductions, voir R. CABIÉ, La Pente-
côte. L'évolution de la cinquantaine pascale au cour.f des cinq premiers siècles, Tournai,
1965, pp. 77-78.
3 Lu le Se dimanche de Pâques.
4 Lu le mercredi de la Mi-Pentecôte, entre les 4e et Se dimanches, respectivement du Pa-
ralytique et de la Samaritaine; sur la fête de la Mi-Pentecôte, voir dans ce même recueil
l'étude de S. Garnier.
5 Les lectures continues de livres bibliques par la liturgie, avec omissions et inversions de
péricopes, sont une pratique familière du rite byzantin. Pour une présentation générale du
148 ANDRÉ LOSSKY
système des lectures, voir l'exposé de l'Archidiacre Job (Getcha), dans ce même recueil. Sur.1es
écarts que fait la Iilurgie byzantine par rapport à la lecture continue d'un livre biblique, voir aussi:
Père A. KI\'IAZEFF, « La lecture de l'AT et du NT dans le rite byzantin »), Mgr CASSIEN, Dom
BOITE, La prière des Heures, Paris, 1963 (=: Lex Orœuf; 35) [= recueil des communications de la
Se Semaine d'Études liturgiques de S. Serge, tenue en 1961], pp. 212-213.
(5 D'après Le Typic011 de la Gratule Église. Ms Sainte-Croix ,,0
40, Xe !J.·iècle, 1. MATEOS (éd. et
tra,).), tome II, Rome, 1963. (= Orientalia Christiana Analecta 165-166), pp. 118-119 et 124-125.
Avant ce document, les témoins anciens de la liturgje de Jérusalem que sont les Lcctionnaires armé-
men et géorgien proposent pour le temps pascal une autre organisation des lectures. La lecture con-
tinue de l'ÉvangjIe de Jean entre P"aques et Pentecôte est aussi attestée par les lectionnaires byzantins
anciens, quasi-contemporains du Typicon ci-dessus, comme l'indique A. PENTKOVSKI, Evangelie of
IOaJma v slavianskoj traditsii. Prilozhenie l, S. Petersbourg, 1998, pp. 4-5.
7 Renseignements rassemblés, avec références patristiques, par M. SKABALIANQVITCH, Tol-
kovyj Tipikon lu Typiwn expliqué}, t l, Kiev, 1910, pp. 179-180. Sur le choix d'une lecture à
J'initiative du président, cet auteur mentionne d'autres exemples chez S. Jean Chrysostome: le pré-
dicateur indique le passage qu'il va commenter, pour que les auditeurs puissent le lire à l'avance.
8 Pratique attestée dès le 4e s. par S. Jean Chrysostome et S. Augustin; le premier des
deux explique cet usage par le fait que les Actes relatent des miracles et prodiges destinés à
PÉRICOPES JOHANNIQUES LUES EN TEMPS PASCAL 149
- Versets psalmiques
L'usage grec actuel prescrit les versets habituels des dimanches 13 ,
pour les tons de ces jours-là, respectivement 3e. et 1er plagajl'. Mais
l'usage grec ancien, conservé aussi dans le slave actuel, offre des versets
spécifiques". L'ancienneté de cet usage par rapport à l'autre peut être
supposée en raison d'une plus large attestation, et aussi de l'utilisation,
dans quelques pièces hymnographiques, de certaines de ces expressions
psalmiques. Contrairement à la fête de la Mi-Pentecôte, il n'est pas pres-
crit de lectures de l'A. T. pour les dimanches où sont lus les récits de gué-
rison étudiés ici.
Dans les Typica grecs anciens", on trouve comme versets accompa-
gnant l'Alléluia pour le dimanche du Paralytique (ton 1er plagal): Ps 88,
versets 2-3 (LXX), et pour celui de l'Aveugle (ton 4e plagal): Ps 1I8,
versets 132-133". Ces versets psalmiques sont choisis intentionnelle-
ment, en relation thématique avec l'épisode évangélique lu aussitôt après
le chant de l'Alléluia. Ainsi, le dimanche du Paralytique, les versets in-
sistent sur la miséricorde éternelle du Seigneur, chantée par le psalmiste;
cette louange est replacée par la tradition liturgique dans la bouche du
paralytique guéri, et à travers lui dans celle de tout croyant: la guérison a
été opérée pour que le guéri puisse glorifier le Seigneur. Pour le diman-
che de l'Aveugle, les versets évoquent le thème du regard de Dieu, signe
de sa miséricorde envers sa créature, et des pas de l'homme, dirigés par
Dieu. L'aveugle a recouvré la vue grâce à ce regard de Dieu, et certaines
hymnes insistent aussi sur la vue qui permet d'éviter les obstacles, afin
de pouvoir marcher selon les voies de Dieu. Ainsi, dans les deux cas,
l'utilisation liturgique de ces versets psalmiques en offre une interpréta-
tion en fonction du thème de la guérison ' •.
- Compositions hymnographiques
Ces commémorations de guérisons miraculeuses étant placées entre
Pâques et l'Ascension, des textes célébrant la résurrection du Seigneur
15 Comme on va le voir, le choix de ces versets est une pratique sabaïte; la tradition stu-
dite offre ici d'autres versets: voir Le Typicoll du monastère S. Sauveur à Messine, M. Arranz
(Ed.), Rome, 1969 (QCA. 185), p. 263 et 270.
16 Selon la rédaction dite de Jérusalem, mss des 12-13e 55, classification opérée par A.
DMITRlEVSKY, Opisanie liturgitcheskikh rukopiseï [Description des manu.çcrit.ç liturgiques}, t.
m, TU1ZlIID: II, Petrograd, 1917, fepf. Hildesheim, 1965, pp. 1-70; les passages concernant nos
péricopes n'ayant pas été transcrits par A. Dmitrievsky, J'identification des versets menlionnés
résulte d'une consultation de quelques Typica sur microfilms; une comparaison avec le Typi-
con grec imprimé, mentionné à la note suivante, montre que le choix des versets est le même
dans tous ces documents de tradition sabaïte.
17 TUID"-oV, Venise, 15451= editio princeps], p. l19v et 121.
19 Sur les rclations entre A.T. et N.T. et leur expression lilurgique, voir aussi: Père Alexis
KNIAZEFF, « Quand le Christ a fait disparaître le voile ». Eulogia. Miscellallea in Dllore di P.
BI~T(.:kard NeullheU:ier OSB, Rome. 1979, spécialement pp. 195-198.
PÉRICOPES JOHANNIQUES LUES EN TEMPS PASCAL 151
sont chantés chaque jour de cette période. À ces hymnes pascales vien-
nent se joindre d'autres strophes, moins nombreuses, et qui commentent
spécifiquement nos deux récits de miracles. Ainsi, pour chacun des deux
dimanches, du Paralytique et de l'Aveugle, le Pentecostaire fournit à
Vêpres quelques stichères accompagnant les Psaumes du lucernaire, un
pour la litie et un aux apostiches, et à Matines, un canon à huit odes
(avec omission habituelle de la 2e ode), les 2 ou 3 derniers trop aires de
chaque ode étant consacrés au thème de la guérison célébrée, un tro-
paire-cathisrne après la 3e ode, un kondakion (fonne abrégée: prooimion
et 1er ikos) après la Ge, puis une ou deux strophes d'exapostilaire et
quelques stichères pour les Psaumes des laudes. Parmi toutes ces compo-
sitions, le Pentecostaire n'offre pour la plupart des stichères, aucun nom
d'auteur; leur caractère anonyme les rend très difficilement datables ou
localisables; seuls les canons sont mentionnés comme l'oeuvre de S. Jo-
seph de Thessalonique, dit aussi l'Hymnographe (+ 883)". Pour le di-
manche de l'Aveugle, le kondakion et l'ikos sont sans nom d'auteur dans
le Pentecostaire, mais on peut les identifier avec le début d'un poème de
S. Romain le Mélode20.
c) Interprétation théologique
Les expressions analysées ci-dessous constituent l'intérêt principal
de l'hymnographie byzantine, souvent construite, comme ici, autour d'un
texte biblique. On les trouvera regroupées selon les thèmes suivants:
- création et guérison;
- thèmes christologiques (Incarnation; noms donnés au Sauveur);
- interprétation sacramentelle;
- une guérison intégrale de la personne, corps et âme;
- son sens comme participation à la résurrection;
- la glorification comme son but;
- enfin, la portée sotériologique de cette célébration de guérisons
miraculeuses; à travers les personnages guéIis jadis, ces actes concernent
en effet le croyant d'aujourd'hui, qui à leur suite demande aussi d'être
relevé, éclairé et guéri.
Ces hymnes nous offrent « un commentaire théologique de faits
scripturaires ,,34, et plus précisément ici une méditation sur le sens des
guérisons, pour leur actualisation.
- Christologie
Le fait de l'Incarnation est évoqué dans une strophe citée ci-dessus,
précisant que c'est la Parole du Christ qui relève le paralytique; après
avoir façonné l'homme, le Christ est venu en sa miséricorde, pour guérir
les malades". Cette hymne associe étroitement la création avec
39 Autres références hymnographiques à la voix (qxovrt) ou Parole Choyeç) qui guérit: Pa-
ralytique, Vêpres, apostiches, à Gloire; Matines, canon, odes 1 et 7; tropaire-cathisme, ikos;
laudes, stichère à Gloire.
40 Dimanche de l'Aveugle, canon des Matines, ode 1; cf. aussi ibid., ode 5; stichère des
laudes.
41 Paralytique, Vêpres, lucernaire, stichère 1; apostiches, stichère à Gloire.
42 Ibid, lucernaire, stichère à Gloire.
43 Paralytique, Vêpres, stichère de litie.
44 Aveugle, Vêpres, lucernaire, slichère 2.
45 Aveugle, canon des Matines, ode 1.
46 Ibid, Vêpres, Apostiches, à Gloire .
.17 Par exemple: Paralytique, Vêpres, lucernaire, stichères 1 et 2; Matines, ode 1; konda-
kion et ikos; Aveugle, canon des Matines. ode 6; laudes, stichère à Gloire.
48 Paralytique, Vêpres, stichère de litie.
49 Paralytique, Matines, canon, ode 4.
50 Vêpres, stichère de litie.
156 ANDRÉ LOSSKY
modèle qu'est appelé à suivre, pour le réaliser à son tour, tout être hu-
main.
Dans les hymnes du dimanche de l'Aveugle, on trouve des expressions
analogues: le Christ est apparu «marchant sur terre et portant chair ,,",
«enfanté de la Vierge ,,". Plusieurs hymnes emploient pour le Christ le
verbe venir (ËÀ8E1V), et insistent, avec ce vocabulaire ou un autre, sur la
venue du Christ sur terre, comme un effet de la miséricorde divine".
- Interprétation sacramentelle
Les actes de guérison sont placés dans une perspective sacramentelle,
déjà suggérée dans le 4e Évangile". La guérison du paralytique est com-
parée à un baptême; son effet thérapeutique est mentionné sans détail,
mais concerne un grand nombre de personnes, en comparaison avec la
guérison d'un seul malade à la fois, opérée par l'archange dans la pis-
cine". Dans les hymnes du dimanche de l'Aveugle, l'ablution à la pis-
cine de Siloé reçoit aussi une connotation baptismale, exprimée par
l'emploi du terme d'illumination, car l'aveugle est gratifié du don de la
lumière"; il est aussi question de la guérison comme illumination de
l'âme, dans un contexte en relation avec le thème de la nuit, dont
l'association est habituelle avec le 5e cantique (ls 26), appartenant aux
éléments fixes des Matines et évoquant la veille nocturne pour la prièr"".
Le verbe Xp(çEtV (fil 9, 6), pour l'onction des yeux de l'aveugle avec la
boue, est repris souvent dans les hymnes, et suggère aussi un acte sacra-
mentel procurant la guérison".
- Guérison totale
Plus que dans les récits johanniques, les hymnes insistent sur le ca-
ractère total des guérisons: celles-ci s'opèrent aussi bien sur l'âme que
sur le corps. Ainsi, lorsque le paralytique se déclare non concerné par la
piscine, en raison de son incapacité à s'y rendre", cette explicitation du
texte évangélique suggère peut-être le fait que dans cette piscine,
l'archange ne guérissait que le corps. Le Christ, source de guérison"', est
le Médecin des âmes et des corps", ou encore, la guérison est celle de
l'âme". De même, l'aveugle est illuminé en son âme"; d'autres expres-
sions de la même célébration demandent le don non pas d'une vue cor-
porelle, mais de sagesse et de connaissance; l'aveugle est privé de la vue
des sens et de celle de l'âme"; la guérison est celle des yeux spirituels",
ou encore elle est double, concernant non seulement les yeux corporels
de l'aveugle, mais aussi ceux de son âme". Ces formulations s'appuient
sur une conception ascétique très répandue dans le monde byzantin, se-
lon laquelle aux sens corporels correspondent des sens spirituels, ici les
yeux de l'âme, qui permettent de percevoir les réalités divines, au-delà
d'une vision sensible67 •
L'acte de guérison constitue une transformation intérieure, qui con-
cerne la totalité de la personne, conformément à la conception biblique
de l'être humain, selon laquelle l'âme est étroitement unie au corps, sans
préexistence de l'un par rapport à l'autre. Une bonne formulation de
cette conception unifiée de l'être humain se trouve, par exemple, chez S.
Justin: « C'est l'homme entier que Dieu a appelé à la vie et à la résurrec-
tion, et non une partie de l'homme. C'est l'intégralité de l'homme qui est
appelée, c'est-à-dire J'âme, mais aussi le corps »68,
- Guérison et résurrection
La place de ces lectures entre Pâques et Pentecôte confère au récit de
guérison du paralytique une interprétation pascale. Cette relation se
trouve déjà dans le récit scripturaire lui-même, notamment grâce au vo-
cabulaire: le Christ ordonne en effet au paralytique de se relever ("",IPE,
ln 5, 8), et les hymnes reprennent un terme synonyme: «Tu as relevé
(ùvÉcr'ITJ,yaç) le paralytique par ta Parole »". On trouve une même asso-
ciation entre guérison et résurrection dans une hymne comparant le pa-
ralytique à un mort non enseveli (èhaCjloç vEKpaç), son grabat à un tom-
beau, sa maladie à une mort, et par conséquent sa guérison à une
résurrection70 • Celle-ci est également suggérée par les thèmes du renou-
vellement du paralytique" et de l'illumination de l'aveugle", sans ou-
blier le contexte plus général de la place de ces thèmes dans la période
pascale, où le Christ ressuscité est célébré par des hymnes appropriées,
utilisées tous les jours et non les seuls dimanches. Les hymnes analysées
ici, célébrant plus spécialement les guérisons, sont tirées de leur contexte
où elles alternent avec d'autres, consacrées à la résurrection, et dont
l'étude dépasse notre cadre73 •
68 Fragments 8~9, cités par Q. CLEMENT, Sources. Les mystiques chrétiens des origines.
Textes et commentaires, Paris, 1982, p. 77; sur J'union âme-corps, voir autres auteurs et com-
mentaires ibid., pp. 76-78.
69 Vêpres, lucernaire, stichère 1; cf. aussi Matines, ikas; terme de ln 5, 8 repris dans les
Matines: canon, ode 5; kondakion; même verbe employé à propos de]a résurrection de Lazare.
cf. Jn 12, 1.
70 Vêpres, lucernaire, stichère 2.
Matines, laudes, stichère à Gloire.
71
Vêpres, stichère de litie; Matines, ode 5.
72
73 Voir par exemple un commentaire d'une partie de ces hymnes dans notre étude « Le
canon des Matines pascales byzantines, ses sources bibliques et patristiques», L'hymnogra-
phie, conférences S. Serge, XLVle sem. d'études liturgiques, Paris, 29 juin - 2 juillet 1999,
Rome, 2000, p. 257s.
74 Vêpres, lucernaire, finales des stichères 1 et 2~ Matines, canon, odes 7 et 9.
PÉRICQPES JOHANNIQUES LUES EN TEMPS PASCAL 159
Conclusion
André LOSSKY
Ladornac (Dordogne)
1
1
"TESTAMENT" ET "TALENT",
DEUX PÉRIC OPES ÉVANGÉLIQUES
DE LA LITURGIE DE JÉRUSALEM
Il Y a des passages des évangiles que l'on connaît par une sorte de
titre qui reflète leur contenu. Ainsi, par exemple: la multiplication des
pains, le discours des adieux, le discours eschatologique, le sermon de la
montagne, etc. Mais dans plusieurs documents de l'ancienne liturgie de
Jérusalem il y a deux cas dans lesquels un seul nom désigne une péri-
cope. Les deux cas appartiennent à la Semaine Sainte, et plus concrète-
ment au Jeudi Saint (c'est le cas du Testament) et au Mardi Saint (c'est
le cas du Talent).
D'après la pèlerine Égérie, laquelle nous décrit la liturgie vécue par
elle dans les anées 381-384, le soir du Jeudi Saint', une fois la Liturgie
eucharistique finie, avant le renvoi,
mittet vocem archidiaconus et dicet: « Hora prima noetis amnes in eccle-
sia, quae est in Eleona, conueniamus, quoniam maximus labor nabis
instat hodie nacte ista », [ ... ] Et sic unusquisque festinat reuerti in do-
mum suam, ut manducet, quia statim ut manducauerint, arones uadent in
Eleona in ecc1esia ea, in qua est spelunca, in qua ipsa die Dominus euro
apostolis fuit. Et ibi usque ad hora noetis forsitan quinta semper aut ymni
aul antiphonae apte diei et loco, simili ter et lectiones dicuntur; interpo-
sitae orationes fiunt; laca etiam ea de euangelio leguntur. in quibus Do-
minus allocutus est discipulas eadem die sedens in eadem spelunca, quae
in ipsa ecclesia est2•
Égérie ne nous dit pas quelle était cette lecture évangélique, mais
elle signale que ce sont les paroles que Jésus adressa à ses disciples ce
même soir et dans ce même lieu. Cette péric ope nous est indiquée avec
précision par l'ancien lectionnaire de Jérusalem du début de V siècle, le
lectionnaire arménien: Jean 13, 16-18, P. Cette péricope sera maintenue
telle quelle dans les lectionnaires postérieurs, géorgiens, grecs ou
grec-arabes, de tradition hiérosolymitaine, et elle va être conservée in-
1 Pour l'office de vigile qui remplit la nuit du Jeudi au Vendredi Saint, voir S. JANERAS,
Le Vendredi-Saint dans la lnu/ition liturgique byz.antine. Structure et histoire de .I·es offices,
Rome, 1988 (= Studia Aflselmiana 99; Analecta Lilurgica 13), pp. 51-113.
2/ t inerarium Egeriae, 35, 1; éd. P. MARAVAL, Égérie, Journal de voyage, Paris, 1982
(SC 296). pp. 278-280.
] Éd. A. RENaux, Le codex arménien Jérusalem 121. Il. Éditiol! comparée du texte et
des deux al/tres ntllllu.H.'rits, Paris, 1971 (PO XXXVI, 2), num. XXXIXrer, p. 273.
164 SEBASTIÀ JANERAS
tacte dans la série plus longue (onze évangiles au lieu de sept) de la tra-
dition sabaïte, que]' on trouve déjà dans le Typion de l'Anastasis et qui
s'est perpétuée dans le rite byzantin.
Cette péricope, qui contient le discours de Jésus après la Cène, reçut
dans la tradition le nom de Testament. Ce n'est pas le cas du lectionnaire
arménien, ni non plus de la tradition arménienne postérieure'. Ce nom
manque aussi dans le Typikon de ]' Anastasis (le ms. Jérusalem
Sainte-Croix 43), lequel dit seulement: Kat ÀÉyel 6 IWtpu;PXT]ç ta
eùayyÉÀlOv a Kata 'IoxivvT]V'. Le titre Testament apparaît pour la première
fois dans le lectionnare géorgien: anderdzi. Il faut dire que, des quatre
manuscrits de l'édition de Tarchnischvi1i, seul le manuscrit Sinaï 37 pos-
sède cette appellation: Evangelium loannis Capitis CXXV. Sanctum
Testamentum'. Dans la deuxième partie du même manuscrit Sin. 37, qui
constitue l'Appendice l de ]' édition de Tarchnischvili, on trouve à nou-
veau, en tête de la première péricope: 1. Evangelium. Testamentum'.
Nous devons y ajouter les manuscrits géorgiens Sinaï 38 et 63 (ce-
lui-ci originaire de Saint Sabas, d'après Bernard Outtier'), lesquels ont
tous les deux le terme Testamentum pour cette péricope'. Ce même titre
apparaît encore, par exemple, dans les manuscrits grecs Sinaï 210 et 211,
où on lit: 'H J.leyoÀT] 8l(le~KT]'o Et dans cinq tétraévangiles arabes aussi du
Sinaï, signalés par Gérard Garitte, nous lisons encore Lectio Testamenti
(wasiyya) en tête de cet évangile".
num. 9. Les mss. sont les suivants: Sin. ar. 54, 79, 72, 74 et 97. Garitte transcrit les rubriques
du Sin. 72, et puisqu'il ne signale des variantes des autres manuscrits, il faut supposer que
cette rubrique se trouve aussi dans les autres.
12 G. GARfITE, Un évangéliaire grec-arabe du )( siècle (cod. Sin. ar. 116), dans Studia
codicologica, Berlin, 1977 (= Texte und Untersuchungen 124), p. 219, num. 69.
13 GARrITE. Un index géorgien, p. 383, num. 269.
14 LG467.
15 LG 856 apparat.
16 LG 867.
17 LG 875.
lB LG 888, 893. 896 et 891-897 apparat.
166 SEBASTlÀ JANERAS
"LG 167.
"LG 1492.
21 Cf. A. DMITRlEVSKD, Opisanie liturgiceskildz rukopisej khranjascikhsja v Bibliotekakh
pravoslavnago Vostoka. 1. Kyiv, 1895, p. 550.
22 Éd. de M.l. Saliveras, Athènes, s.a., p. 359.
23 Constantinople 1906, p. 164.
24 TpUPÔlOV x:amvuK'tu,ôV. Rome, 1879, p. 665.
25 Tptq,olOV lca1"aV\nmICOV, Athènes, 1960, p. 390.
26 Vol. 2, Rome. 1974, p. 1080.
"TESTAMENT' ET "TALENT', DEUX PÉRICOPES ÉVANGÉLIQUES 167
***
La deuxième péricope que je voulais examiner correspond, dans sa
forme plus longue, à Matthieu 24, 1 [ou 3] - 26, 2, passage évangélique
qui est connu comme le "discours eschatologique". Dans la tradition de
Jérusalem et postérieure cette péric ope est appelée Talent (en géorgien:
k'ank'ari). Cette lecture évangélique était faite, à Jérusalem, le soir du
Mardi Saint, et aussi à l'Éléona. Écoutons encore une fois la pèlerine
Égérie:
Omnes ilIa hora noctu uadent in ecc1esia, quae est in monte Eleona. In
qua ecclesia eum uentum fuerit, intrat episcopus intra spelunca, in qua
spelunca solebat Dominus docere discipulos. et accipit codicem euange-
Iii, et stans ipse episcopus leget uerba Domini, quae scripta sunt in euan-
gelio in cata Matheo, id est, ubi dicit « Videte, ne quis uos seducat ». Et
omnem ipsam allocutionem perleget episcopus 32 .
37 On notera que c'est le manuscrit de Paris qui a les renvois, tandis qu'il ne possède pas
le titre Talentum le Mardi Saint.
38 LG 185. Pour le Sin. géorg. 12, Outtier (p. 168, num. 13) renvoie à cet endroit du LG.
Faut-il supposer que ce ms. a aussi le renvoi au Talentum?
39 LG 962. Il n'est pas clair si le manuscrit de Lathal a le même fragment. Par contre, ici
on a le témoignage du lectionnaire hanmeti de Graz (VII" s.).
40 LG 1451. Pour le Sin. géorg. 54, Outtier (p. 86, num. 40) renvoie à cet endroit du LG.
Faut-il supposer que ce ms. a aussi le renvoi à Talentum?
41 LG 1304.
42 GARfITE, Un évangéliaire, p. 223, num. 98. Cette indication doit se référer à la para-
bole des dix vierges (Mt 25,1-13). En effet, dans la lecture du Mardi Saint, à cet endroit (Mt
25, 1), on lit: elç "f'lval"KQÇ, ou, dans la rubrique arabe: Legitur ad virgines (GARITTE, ibid., p.
219, num. 69).
43 Ibid., p. 222, num. 91. Avant cet évangile (aliud), le manuscrit indique une autre péri-
cape, au choix: ln 1, 43-51. La rubrique grecque dit: Ei.ç àpxayyÉÀo"UÇ, et la rubrique arabe:
Legitur ad Michaelem allgelum. Comme dans le cas précédent, le Mardi Saint il y a une rubri-
que avant 25, 31: Elç apxayyé.Ào\lç, ou, dans la rubrique arabe: Legitur ad Michaelem allgelum
(ibid., p. 219, num. 69).
170 SEBASTlÀ JANERAS
bien que la péricope Mt 24, 1-26, 2, et donc la parabole des talents, est
toujours lue le soir du Mardi Saint, à vêpres. Et parmi les pièces de chant
des offices, à l' orthros et à vêpres, lesquelles commentent les divers pas-
sages de cette péric ope, il y en a trois qui se réfèrent à la parabole des
talents. Voici le dernier apostiche de vêpres:
Voici que le Seigneur te confie son talent, ô mon âme~ reçois avec
crainte cette faveur; fais-lui porter intérêt pour Celui qui te J'a donné~
distribue-le aux pauvres et acquiers-toi un ami dans le Seigneur. afin
d'être à sa droite lorsqu'il viendra dans la gloire. et afin que tu entendes
cette bienheureuse parole: «Entre, serviteur, dans la joie de ton Sei-
gneur »44.
* **
Un mot maintenant sur celui qui lit ces péricopes évangéliques. Dans
l'ancienne liturgie de Jérusalem, telle que nous est exposée par Égérie, la
lecture de l'évangile du Mardi Saint, dans la grotte de l'Éléona, était
faite par l'évêque lui-même. Rappelons les mots d'Égérie:
Intrat episcopus iTItra spelunca. in qua spelunca soIebat DomiTIus dacere
discipulos, et accipit codicem euangelii, et stans ipse episcopus leget
uerba Domini, quae scripta sunt in euangelio45 .
***
En finissant mon exposé, je voudrais signaler la différence entre les
deux termes: Testament et Talent. Celui-ci est plutôt anecdotique: il in-
dique le contenu d'une de ses parties. Par contre, le premier terme, Tes-
tament, a un tout autre sens, que je crois plein de signification et de
compromis en ce qui nous concerne.
Jésus vient de laisser à ses disciples son mémorial dans le repas eu-
charistique. Avant d'aller à la mort et quitter ce monde, il fait son testa-
ment. Il leur donne le commandement nouveau de l'amour, il leur pro-
met l'envoi et la présence de son Esprit Consolateur qui va les guider
vers la vérité pleine. En plus, il prie pour eux afin qu'ils soient un
comme lui et sont Père sont un.
Je crois que le titre Testament donné par la tradition liturgique à
cette péricope a un sens oecuménique de première importance. L'unité
des chrétiens n'est pas seulement un désir de Jésus exprimé en prière à
son Père, mais elle est aussi le testament que le Seigneur nous a laissé.
Et nous, qui sommes les héritiers et les bénéficiaires de ce testament,
nous sommes obligés a lui donner accomplissement.
Sebastià JANERAS
LES LECTURES EUCHARISTIQUESl
DES DDWANCHESDUGRAND CAREME
D'APRES LE RITE ARMENIEN'
1. Histoire et sources
Tout comme le carême hiérosolymitain, le Grand Carême arménien
est constitué de six semaines. Il est accompagné par un geste liturgique
important propre au rite arménien: la fermeture du rideau du xoran', qui
se fait la veille du dimanche de Bun Barekendan', suivie de son ouver-
ture la veille du dimanche des Palmes.
La pratique actuelle des lectures quadragésimales du rite arménien'
est conforme aux lectionnaires arméniens les plus anciens, témoins d'une
époque postérieure au V et antérieure au VIII' siècles'. D'après ces textes,
nous pouvons distinguer trois groupes de lectures à partir desquelles fut
élaboré le système arménien des lectures quadragésimales'. Premièrement,
les lectures des mercredis et vendredis, ainsi que les lectures de la
deuxième semaine de Carême, fournies par l'ancien Lectionnaire de Jé-
rusalem'. Deuxièmement, les lectures des lundis, mardis et jeudis de Ca-
rême que sont les dix-neuf lectures catéchuménales du Lectionnaire de
Jérusalem. Leur répartition et leur ordonnancement sont propres au rite
arménien. Enfin et en troisième lieu, les lectures des samedis et des di-
15 Voir Le lectionnaire de Jérusalem en Annénie - lI. Edition synoptique des plus anciens
témoigllages, p. 160, note 5.
16 En gras sont indiquées les péricopes dont la lecture dominicale pendant le Grand Ca-
rême est propre au lectionnaire arménien.
178 GOHAR HARQUnOUNlAN-TIIOMAS
(Le 16, 1-8) et une réflexion sur l'Argent trompeur et le bien vérita-
ble (Le 16,9-13).
Ainsi, le quatrième dimanche du Carême, relatant le thème de la ve-
nue du salut, développe une réflexion sur les rapports entre Royaume de
Dieu et les biens terrestres.
Conclusion
4 Voir sur le système des péricopes byzantines c.R. GREGORY. Textkritik des Neuen
Tes/amen/es, Leipzig, 1900-09, pp. 327-478.
5 La répartition des péricopes pendant l'année liturgique est attribuée à saint Sophrone,
patriarche de Jérusalem (VII siècle). Le lectionnalre arménien (Paris. B.N., Arm 20) nous
montre la pratique de l'Église de Jérusalem. Voir F. CONYBEAR, Ri/uale arme1iorutn, Paris,
1905, P 507. Voir aussi DMITRIEVSKY, Opi.mnie ... , Typika, et J. MATEOS. Le Typic:on ... , pp.
X-XVIII. Alexis KNIAZEFF, "La lecture de l'Ancien et du Nouveau Testament dans le rite by-
zantin", Paris, 1963 (= Lex Orandi 35), pp. 212ss. Sur j'origine de système lectionnaire voir
aussi PENTKOVSKY, Lectiollarii, pp. 7-8.
6 Voir G. BONNET. La Mystagogie du templ· liturgique dans le Triodion, Paris, 1978,
(thèse déposée à l'Institut Saint-Serge), p. 347, note 60. Voir chez SOCRATE, Histoire ec:cl. V,
22 (PO 67 634).
7 Voir Ivan KARABINOV, Postnaïa Triod'; Saint Petersbourg, 1910.
L'ÉVANGILE DE ST MARC DES DIMANCHES DU GRAND CARÊME 185
B Ivan KARABLNOV, ibid., pp. 22-23. Alexis KNlAZEfF, ibid., pp. 226-230; G. BONNET,
ibid., p. 186.
9 P.-M. Gy O.P., "La question du système des lectures de la liturgie byzantin", in Mis-
celümea Uturgica, Descléc, 1967, p. 259.
10 P.-M. GY O.P., ibid., pp. 256-257.
11 Alexis PENTKOVSKY, ibid., p. 10.
186 NICOLAS CERNOKRAK
que ses titres messianiques, dans les quatre Évangiles, ne sont prouvés
qu'à Pâques, le Jour de la Résurrection. (Mt 27, 54; Mc 15, 39; ln 20,
31). Mais le dialogue avec Natanaël remplit dès le début sa liste des titres
messianiques et prépare la suite en annonçant des "choses bien plus
grandes" à venir.
La dernière lecture du sixième dimanche regroupe les deux scènes:
l'onction à Béthanie et l'entrée à Jérusalem (ln 12, 1-18). Si le premier
épisode (12, 1-11) souligne l'ampleur du geste de Marie pour préparer la
mort de Jésus, l'Entrée à Jérnsalem (12, 12-18) est triomphale et royale:
le Christ est proclamé par la foule, comme au début par Natanaël le Fils
de Dieu et le Roi d'Israël (ln 1,49).
Par la lecture de deux péricopes de Jean, l'Église ancienne donnait au
temps pré-pascal une dimension baptismale-christologique. Rappelons
que dans l'ancienne tradition de l'Église, la période du jeûne est étroite-
ment liée à la catéchèse sur la personne du Christ2'. Dans ce contexte li-
turgique, les images messianiques «Fils de l'Homme, Fils de Dieu» et
« Roi d'Israël » ne sont que l'application de la lecture dans le temps de
narration liturgique.
Par ce système des lectures, le thème narratif est exprimé au début et
à la fin de la première partie de l'Évangile de Jean, le livre des signes (ln
1-12). Un thème fonctionne dans une séquence narrative comme un prin-
cipe unificateur dans la composition de plusieurs micro-récits. Le pas-
sage d'un récit à l'autre se passe par un changement de lieu, de temps et
de personnages. Par contre, la séquence narrative est reliée par un thème
commun et par la présence d'un personnage principal qui maintient le
principe unificateur au travers du changement de lieux et de temps".
Dans nos péricopes liturgiques on peut supposer que les deux lectu-
res initiales (pour les catéchumènes et les baptisés) évoquent deux as-
pects complémentaires de la révélation des trois titres messianiques le
Fils de l'Homme, le Fils de Dieu et le Roi d'Israël. Les deux dimanches
(1er et 6e avant Pâques) peuvent êtres considérés comme thématiquement
complémentaires: les fidèles comme les catéchumènes suivent et ac-
compagnent le Christ dans la marche jusqu'à la Passion et la Résurrection.
La première péricope annonce l'échelle entre le ciel et la terre et
l'ouverture du ciel au-<lessus du Fils de l'Homme. Et la dernière lecture
dévoile le début du mystère du Roi messianique à Jérusalem. Ensemble,
25 Voir sur la liturgie baptismale et pascale à Antioche vers la fin du IVe siècle. Jean
CHRYSOSTOME, Huit Catéchèses Baptismales, Introduction, p. 6655 (= Sources Chrétiennes
50bis). Sur le système des lectures dominicales à Antioche de Sévère d'Antioche, Patrologia
Orienta lis, tome XXIX - fascicule l, Paris, 1960.
26 Sur la narratologie biblique voir Daniel MARGUERAY et Yvan BOURQUIN, Pour [ire les
récits bibliques, Cerf, Paris, 1998, p. 3955.
L'ÉVANGILE DE ST MARC DES DIMANCHES DU GRAND CAR~ME 191
27 Nous n'étudions pas les péricopes de samedi. EUes sont organiséeS vraisemblablement
anciennement pour compléter le système dominical.
28 Voir sur l'hypothèse d'un contexte baptismal et pascal de l'Évangile de saint Marc, B.
STANDAERT, L'Évangile selon Marc. composition et genre littéraire, Herdruk. 1984, pp. 4975S
et 542ss.
192 NICOLAS CERNOKRAK
a) L'approche rhétorique
L'hypothèse que le texte de Marc a été considéré comme une sorte
d"'haggada" pascale, instaurée dans l'Église apostolique dès le temps
apostolique a été soutenue à plusieurs reprises par les exégètes modernes".
Ce qui nous intéresse, dans cette approche liturgique, ce n'est pas de
retrouver l'organisation du texte de Marc en rapport à l'année liturgique
selon le calendrier juif mais plutôt de montrer que dans le texte de Marc
se trouve une correspondance authentique et un support solide baptismal
et pascal que la tradition liturgique byzantine a conservé.
29 Voir J. BOWMAN, The Go.\pel of Mark. The New Christian JewÎsh Passover Hagadah,
Leiden, 1965. Cene hypothèse est reprise par B. STANDAERT. L'Évangile selon Marc, op. cil.
Et récemment schématisée par Bernard FRINKLlNG, La Parole esllOut près de toi. Apprendre
J'Évangile pour apprendre à le vivre, Bayard Édition 1 Centurion, 1996.
30 Sur la composition concentrique de Marc voir B. STANAERT, ibid., p. 174.
L'ÉVANGILE DE ST MARC DES DIMANCHES DU GRAND CARÊME 193
Cette lecture n'est pas ordinaire puisque elle centralise de multiples rap-
pels sur le chemin du Christ qui conduit les disciples de la Galilée à Jéru-
salem, du baptême vers la Pâques.
Nous présentons les péricopes de Jean et Marc sous cette forme con-
centrique
31 Le dimanche dit du Fils Prodigue marqué comme dimanche du Carême est devenu le
deuxième dimanche préparatoire. Le typikon de la Grande Église indique en ce jour la mé-
moire de Saint Polycarpe, voir J. MATEOS, ibid., pp. 30-31. Le Typicon ['Evergens, éd. A.
MESSINE, a exclu ce dimanche du cycle du Triode. Voir Tryod Evergetis (Typ Mes., pp.
524-525. Et dans les manuscrits du Triodion qui conservent l'ancien système de lecture de Jé-
rusalem voir G. BONNET, ibid., p. 434.
32 B. METZGER, The Tex! of New Testament (Textologie du NT), New York/Oxford, 1992,
pl. VIll.
33 DMITRlEVSKY, Drevneïschié ... , Introduction, p. VIII (manuscrit de Dresde A 104 dans
lequel se trouve le texte de cette appel, cf. J. MATEOS, Typicon de la Grande Église, p. 31 et p.
G. BONNET, ibid.. p. 789 et note 119.
194 NICOLAS CERNOKRAK
Enfin cette lecture montre aussi que le système des péricopes domi-
nicales de Marc est développé selon le principe de gradation thématique
liturgique conduisant vers l'Entrée à Jérusalem et la Semaine Sainte et
non selon le principe de "Iectio continua". Pendant la première période,
dès le Dimanche des Prophètes jusqu'à la Croix, les catéchumènes
étaient enseignés sur la foi par le jeûne et la prière. A partir de la quatriè-
me semaine commence la deuxième période de la préparation au baptê-
me. C'est la raison pour laquelle jusqu'à aujourd'hui, dans la tradition
byzantine, à partir de la quatrième semaine s'ajoutent dans la liturgie des
Présanctifiés les litanies pour ceux qui se préparent à la sainte "illumina-
tion". La troisième période débute avec le baptême du samedi de Lazare
(ln lI, Is) et la Semaine Sainte jusqu'à Pâques.
Conclusion
Nicolas CERNOKRAK
LECTURE LITURGIQUE DE PROVERBES 9, 1-11
POUR LES FETES MARIALES BYZANTINES
Parmi les lectures bibliques lues aux fêtes de la Mère de Dieu, nous
trouvons deux textes sapientiels de grande importance théologique puis-
qu'ils traitent de la Sagesse divine: Pr 8, 22-30 et Pr 9, l-ll.
La lecture de Pr 9, l-ll apparaît pour la première fois au IDe siècle à
l'occasion de la liturgie de la Dormition à Byzance, dans le typicon de
Patmos qui s'est maintenu à peu près intact dans la liturgie actuelle'.
Précisons que si Pr 8 constitue une des lectures propres de l'Annon-
ciation, le texte de Pr 9, l-ll est la troisième lecture de toutes les gran-
des fêtes de la Mère de Dieu (exceptée celle de la Présentation au Tem-
ple): Nativité, Annonciation, Dormition, ainsi que d'autres comme la
fête de l'Intercession (Pokrov) et à celles de plusieurs icônes mariales.
La sagesse est un thème biblique très vaste qui présente plusieurs as-
pects: Elle apparait d'abord comme une qualité pratique, l'art d'organiser
la vie humaine, et qui s'acquiert par l'expérience ou par l'éducation. Des
formules frappantes montre le savoir-faire de l'artisan, de la femme sage
ou même le discernement du roi et de ses conseillers; en fait il en est ain-
si pour tous ceux qui veulent vivre bien, obtenir succès et bonheur. Mais
cette pratique doit être fondée en Dieu: lui seul communique la vraie sa-
gesse (Pr 2,6) et celle qu'il attend de l'homme est la crainte du Seigneur
(Pr 15, 33); le juste ou le sage ne l'obtient que par la prière. Elle est aus-
si un aspect de la révélation de Dieu dans la Loi, toute pratique de sa-
gesse se trouvant ramenée à son observance et « tous ceux qui
s'attachent à elle iront à la vie » (Ba 4, 1).
Plus généralement, la sagesse est la compréhension du plan du Sei-
gneur sur les destinées humaines, la révélation de ses mystères pour le
monde, inspirée à Daniel, prophète et sage (Dn 2, 21-23.28).
Puis, la Sagesse elle même prend la parole: elle affirme son origine
divine et se présente comme la compagne de Dieu établie dès l'éternité
(Pr 8, 22-25 LXX), celle qui vit dans son intimité et collabora à la créa-
tion, celle qui est le « miroir sans taches de l'activité de Dieu» (Sg 7, 26)
et qui est venue se fixer en Sion (Si 24, 10). A la fois se distinguant de
YHWH et s'identifiant à lui, la Sagesse prononce des paroles qui sont
Notre texte' est contenu dans le ch. 9, qui sert de conclusion au livret
1 des Proverbes (qui en compte neuf). C'est la troisième fois que l'auteur
met en scène la Sagesse personnalisée après les ch. l, 20-33 et 8.
Ce texte se situe à la suite du ch. 8 contenant un discours de la Sa-
gesse, dont le passage central, constitué des versets 22-31, concerne son
origine, et dont la conclusion aux v. 32-36, est comme un dernier appel
de la Sagesse promettant le bonheur et la vie à ceux qui l'écoutent.
Le v. 1 du ch. 9 constitue donc logiquement le début d'un récit diffé-
rent. Dans ce ch., l'invitation de la Sagesse hospitalière (v. 1-6) est pla-
cée en antithèse de celle de la Femme insensée (v. l3-18). Entre les
deux, quelques sentences (v. 7-12) opposent l'impie et le sage. Ces sen-
tences se poursuivent en 12 A-C (propres à la LXX) qui développent le
v. 12 et décrivent les maux encourus par "celui qui tourne mal" de ma-
nière imagée. En symétrie et à la suite des v. l3-18 sur la Femme insen-
sée, 18 A-D (LXX également) sont un dernier conseil de la Sagesse à
son disciple pour le détourner de "cette eau étrangère".
On peut donc délimiter dans le texte biblique la péric ope 9, 1-12,
alors que le texte liturgique (9,1-11) exclut le v. 12 qui précise et déve-
loppe l'antithèse «si tu deviens sage ... » / « si tu tournes mal... ». Cette
omission ne gène pas le sens général.
2 L'étude est faite en priorité sur le texte liturgique grec des Ménées. Nous avons deux
traductions françaises, celle du P. Denis Guillaume et celle du P. Mercenier; bien qu'assez
proches, elles ne concordent pas entre elles et n'ont pas choisi les mêmes variantes textuelles.
Le P. Mercenier est plus proche des Ménées grecques et de la traduction française de la Sep-
tante (coll. La Bible d'Alexandrie). Les différences essentielles entre le texte des Ménées, la
Septante de l'Eglise grecque et celle de Rahlfs seront indiquées en notes.
LECTURE LITURGIQUE DE PROVERBES 9,1-11.. 203
2. Le texte
V. 1 à 6: l'invitation de la Sagesse.
V. 1-3: préparation de l'invitation.
La Sagesse se présente ici comme une hôtesse, une maîtresse de mai-
son invitant à un banquet: elle a édifié sa demeure, préparé un repas
somptueux et invite tous ceux qui veulent venir.
Au v. 1, "Sagesse" est employé aVec l'article défini qui caractérise
sa personnification CH cro$ia). Sa maison semble fastueuse, car étayée
de ou établie sur (U1t1iPetcrev, de \l1tepeiOOJ) sept colonnes. Ces dernières
caractérisent, dans l'Antiquité, une maison liche avec une cour inté-
rieure ou un palais. Le nombre "sept" est un chiffre symbolique pour
les Juifs', une série complète souvent liée au sacré ou à des théories
apocalyptiques'.
Au v. 2, d'autres détails font penser à un temple: « elle a immolé
(êcr$açev, de cr$OTCOJ, tuer ou immoler) ses victimes (8u}!ma) ». Ce der-
nier mot a une connotation cultuelle car il s'agit de bêtes de sacrifice,
abattues rituellement.
Puis, « elle a mélangé, dans le cratère, son vin ». La précision "dans
le cratère" (grand vase; absent du Texte hébreu Massorétique) va dans le
même sens: nous retrouvons ce terme à propos du sacrifice de l'alliance
au Sinaï par Moïse (Ex 24, 6 LXX) et dans la description du mobilier de
la Demeure du désert pour des vases sacrés (Ex 25, 31 LXX).
"KpaTIlP" est repris au v. 3b: la Sagesse envoie ses serviteurs [inviter]
au cratère', c'est à dire [inviter] à boire de son vin qu'elle a mélangé
(èlCÉpacreV') dans un grand vase. Cette invitation Cv. 3a) se fait sous forme
d'une très haute proclamation (}!Età Ù\jfT\ÀOü lC'lpuy}!atoç). C'est-à-dire sur
des hauteurs ou bien d'une manière retentissante. Nous avons les images
de la préparation d'un banquet magnifique de pain et de vin dans le cadre
du Temple.
30, 26; Za 3, 9. Les sept aspersions d'huile sur l'autel pour le consacrer (Lv 8, Il).
3 [.ç
4Les sept jours de la création, le 7e étant le jour saint du Sabbat et les 70 semaines
d'années de Daniel aboutissant au jour du Salut (Dn 9, 24).
S 'roç È1tÎ ICpa'tÏipa (ménées gr.); bd. Kpa'tÏipa (Sept. Egl. gr. et Sept. Rahlfs).
6 De ICEpâvv\J!.I.t, mêler de l'eau au vin pour le tempérer ou remplir un cratère de vin
trempé.
204 FRANÇOISE JEANLlN
sept colonnes sont les sept dons du Saint Esprit qui reposèrent sur lui (ls
1, 2-3 LXX'), les victimes sont les martyrs; le vin mêlé, «sa divinité
unie à sa chair. .. Sauveur né de la Vierge, sans confusion du Dieu et de
l'homme ... »'.
L'interprétation christologique sera très souvent reprise et dévelop-
pée postérieurement: «écoute la Sagesse, dit Origène: "Il s'est bâti une
maison". Pour moi, je pense qu'il est plus exact d'entendre cela de
l'incarnation du Seigneur »'. Pour Origène, le Fils est toujours considéré
comme la Sagesse du Père et «pour qu'elle daigne faire pour nous un
grand festin ... » (Origène cite à la suite Pr 9, 1-3 LXX), il nous faut
nous «approcher de la parole de Dieu avec les dispositions d'esprit et la
foi voulues »10. «La Sagesse, dit S. Athanase, autrement dit le Verbe et
le Fils de Dieu ... s'est édifiée, en vue de nous sauver, une maison dans le
sein de Marie, Mère de Dieu »'1
La tradition byzantine plus tardive a repris les mêmes idées. Dans sa
Question-réponse 42, Anastase le Sina:ite (7ème siècle) dialogue ainsi:
- Que veut dire:« la Sagesse s'est bâtie une maison »?
Le Christ, Sagesse et puissance de Dieu le Père, a bâti sa propre
chair; « le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous ».
- «Elle a édifié sept colonnes »: [cela désigne] l' hebdomade (les
sept dons) du Saint Esprit, comme le dit Isa:ie: il fera reposer sur lui les
sept esprits de Dieu (ls 11,2-3 LXX).
-« Elle a égorgé ses victimes >,; [cela désigne] les prophètes qui pé-
rirent en leur temps de la main des infidèles pour la vérité.
- « Elle a mélangé son vin dans un vase »: après avoir, dans le sein
de la Vierge, uni sa Divinité à la chair comme du vin immélangeable, le
Sauveur est né d'elle, Dieu et homme sans mélange".
Dans ces deux exemples, la maison de la Sagesse est désignée à pro-
pos de Marie; cette maison est la chair, la nature humaine du Verbe qu'il
a prise de la Vierge. L'Incarnation s'est faite en elle.
Les textes liturgiques reprennent cette interprétation de l'Incarnation
du Verbe Sagesse de Dieu en l'associant à la Mère de Dieu qui l'a en-
fantée.
V. 4-5: l'invitation.
V. 4: la Sagesse s'adresse à l'insensé (ii~p(J)v; sens aussi d'ignorant).
L'insensé est le contraire du sage, comme le sont les "dénués de sens"
(Ëv8eém ~pevo;v), sans intelligence de la vie ("privés de coeur", TM). Ce
sont eux qu'elle souhaite attirer à son repas de pain et de vin;
V. 5: « venez ,," et mangez de mon pain l1 et buvez de mon vin que
j'ai mélangé 1. pour vous.
Ce banquet est l'expression en style sapientiel d'un thème déjà pré-
sent par ailleurs dans la Bible, celui des repas sacrificiels confirmant les
alliances ou accompagnant les fêtes en présence du Seigneur, en particu-
lier lors du sacrifice de l'agneau pascal en Ex 12, 1-14, mémorial du Sa-
lut d'Israël. En Ex 24, 4-11, quand l'alliance du Sinaï se conclut par un
13 Matines du 7 août, ode 3, ménées d'août. Les citations liturgiques proviennent des re-
cueils traduits par Denis Guillaume, Roma, Diaconie apostolique.
14 Matines du Il octobre, théotokion.
15 Matines du 8 janvier, ode 1, théotokion.
16 H9E'Œ (ménées gr. et Sept. Egl. gr.); v..9a'Œ (Sept. Rahlfs).
17 'tov ip.àv ap1:ov: "mon pain" (ménées gr.); l:(ilv Éjlwv àptcJlv "mes pains" au sens collectif
(Sept. Eg!. gr. et Sept. Rahlfs).
18 lCElCÉp01m (ménées gr.) ct È1cÉpacro (SepL Egl. gr. et Sept. Rahlfs), du même verbe lCEpUvwP.l
(v. note 6).
206 FRANÇOISE JEANLlN
19 On a retrouvé, sculptés sur des monuments anciens, des cratères remplis de pain et de
raisins symbolisant les éléments eucharistiques, voir H. LECLERCQ, article « cratère » dans le
Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie (DACL).
20 HIPPOLYTE DE ROME, ln Prov" 9; cité par Soeur Gabriel Peters, Lire les Pères de
l'Eglise. Paris. 1981, p. 336 ..
21 ORIGENE, Homélies sur la Genèse /6, 4; op. cil., p. 385.
22 Ménées gr. et Sept. RahIfs; Sept. de rEgL gr.: « quittez la folie afin de régner pour
toujours ».
23 Les Proverbes, Bible d'Alexandrie n C 17, note sur le v. 6, Paris, 2000, p. 213.
24 Ménées gr. et Sept. Rahlfs; Sept. Egl. gr.: (( et recherchez l'intelligence)J.
LECTURE LITURGIQUE DE PROVERBE...<i 9.I-ll... 207
29 Le TM dit: « Quand meurt le méchant, son espoir périt, et l'espoir mis en ses richesses
périt aussi ».
JO Matines du 27 décembre, ode 1, théotokion.
31 Office de l'Ensevelissement de la Mère de Dieu, malines, 2ème stance, tropaire après
le v. 78 du ps 118.
LECTIJRE LITURGIQUE DE PROVERBES 9,1-11 ... 209
32 Dimanche des Saints Pères des conciles oecuméniques, matines, ode 6, ikos de S.
Germain de Constantinople! cité par 1. MEYENDORF, op. cit.. p. 261.
33 Ode 3, Se ton. La Prière des Eglises de rire byznntin (dimanche, octoèque selon les huit
tons), tome 3, réalisé d'après les travaux du P.E. MERCENlER, p. 999.
34 Nativité de la Mère de Dieu, Grandes Vêpres, apostiches.
IV
ENJEUX THÉOLOGIQUES
LES LEÇONS SCRIPTURAIRES DE LA MI-PENTECOTE
Pour les amis du Seigneur, les occasions de célébrer des fêtes ne man-
quent pas ( ... ) Nous célébrons donc une fête en ce jour parce que le
Christ médiateur a abattu le mur mitoyen de séparation. EIle est en effet
au milieu, la fête de ce jour. Au milieu de quoi? de la Résurrection du
Seigneur et de la venue de l'Esprit Saint l .
C'est par ces paroles que Léonce, notre premier témoin de la célé-
bration d'une fête au milieu de la Cinquantaine pascale à Constantinople,
défInit la Mi-Pentecôte, Ce témoignage nous informe que cette fête loin
de rompre l'unité de la Cinquantaine, semblait plutôt devoir la mettre en
lumière. Nous n'en trouvons en tout cas que quelques rares mentions
chez les Pères et aucune n'est antérieure à l'époque où le quarantième
jour après Pâques est devenu la solennité de l'Ascension du Seigneur.
Signalée dès la fIn du XIXe siècle par les liturgistes en Occident,
sous le nom de « Mediante die Festo ,,', comme fête antique, eUe était
déjà célébrée dans le rite byzantin à haute époque pendant sept jours, du
quatrième mercredi au cinquième mercredi de la Cinquantaine pascale
qui eux n'avaient pas de dénomination propre. Elle était dotée de plus
d'un tropaire propre, ce qui est l'indice du caractère stational de sa célé-
bration avant le Xe siècle.
La leçon évangélique du jour y était (comme de nos jours) empruntée
au quatrième Évangile (ln 7, 14-30): «on était déjà au milieu de la
fête », alors que la seconde partie de ce chapitre (ln 7, 37-53) était af-
fectée au dimanche de la Pentecôte. Ainsi l'interdépendance des deux
fêtes était-elle soulignée de manière concrète.
Si toutefois dans l'Évangile ces mots se réfèrent au jour médian de la
Fête des Tabernacles, il faut noter que dans l'année liturgique, ils ont
servi à indiquer la moitié des sept semaines du temps pascal. Nous au-
rions donc ici, malgré sa congruence avec le système de lecture continue,
affaire à une lecture choisie. Pour le mercredi de la cinquième semaine
qui clôture la solennité, on trouve la leçon ln 6, 5-14 (la multiplication
des pains distribués aux 5000), ce qui interrompt aussi la lecture conti-
nue du quatrième Évangile. Le dimanche qui la précédait, on lisait ln 5,
1-15 (le Paralytique) et le dimanche qui la suivait on lisait ln 4, 5-42 (la
a) L'homilétique
La première attestation de la fête se trouve paradoxalement en Occi-
dent chez Pierre Chrysologue et nous conduit donc à Ravenne dans le
second quart du Ve siècle. Il prononça à cette occasion le sermon 85 de
la collectio feliciana'. L'évêque y donne un sens spirituel à Jn 7, 14: le
temple auquel monte le Seigneur mediante die lesta, c'est le cœur de
l'homme pour qu'unis à lui nous puissions monter vers le Père. D'après
Olivar, Pierre Chrysologue apparaît dans ce sermon comme un défenseur
de la fête en question. Pour ce dernier, la fête qui existait depuis long-
temps à Ravenne tombe en désuétude au moment où Chrysologue prê-
che. C'est pourquoi ce dernier insiste pour qu'on continue de la célébrer,
invoquant la tradition des Pères. Ainsi il s'agirait bien d'une fête assez
ancienne, très probablement antérieure à la solennisation du Quarantième
jour CI' Ascension). L'Ascension passant dans les mœurs a peut-être porté
ombrage à la Mi-Pentecôte, introduisant une nouvelle conception du
Temps pascal'. Elle ne disparaît pas pourtant tout à fait en Occident dans
les sacramentaires ambrosiens du haut moyen âge qui donnent tous une
messe ln mediante'. Dans celui d'Aribert' la préface reprend le thème du
Christus Magister (Thème de Jn 7, 14-30). La fête semble donc attestée
3 Sur ces questions voir P.-M. GY, « La question du système des lectures de la Liturgie
byzantine >l, Mi.\'celJanea Liturgica in onore di sua Emmillenza. il Cardinale Giacomo Lecaro,
II. Rome. 1967. pp. 252-26l.
4 S. Pierre CHRYSOLOGUE, Sermofl85; PL 52, c. 440-44l.
5 A. OUVAR, « San pedro cris61ogo y la solemnidad "In media Pentecosten"», dans EL
63 (1949) 387-399. Voir également du même, Los .\'ermones de Sali Pedro Cri,Jôlogo,
Montserrat, 1962, pp. 347-353.
fi Cf. A. PAREOl, Sacramenrariwn Bergomense, Bergamo, 1962, p. 472.
7 Cf. A. PAREOl, « Il Sacramentorio di Ariberto », in Miscellanea A. Bemareggi, Ber-
game. 1858 (n. 494), p. 413.
LES LEÇONS SCRIPTURAIRES DE LA MI-PENTECÔTE 215
b) Documents liturgiques
12 Cf. KLUGE~BAUMSTARK, Ost und pftngstfeier im siebten Jarhund en, OC, NS VI, 235-236.
LES LEÇONS SCRIPTURAIRES DE LA MI-PENTECÔTE 217
De nombreux travaux ont été réalisés pour dégager chez Jean cette ty-
pologie de l'Exode dont il aurait écrit l'antitype, les auteurs diffèrent
seulement pour déterminer jusqu'où ce parallélisme a été conduit. Ainsi
en Jn 4 la samaritaine aurait pour arrière plan Élim (E. 15, 27) symbole
de l'unité cultuelle d'Israël restaurée par le culte institué par le Christ en
Esprit et Vérité; à la guérison du Paralytique (Jn 5) correspond Ex 15, 26
« C'est moi le Seigneur qui te rend la santé », pour montrer la supériorité
du baptême sur les purifications rituelles. La multiplication des pains Jn
6 est en relation manifeste avec la manne: Ex 16; Jn 7 correspond à
Exode 17: notez dans les deux cas la résistance des juifs qui veulent
mettre à mort Moïse et Jésus ainsi que l'eau jaillie du rocher et la pro-
messe de l'eau vive. Les recherches de G. Ziener sur le livre de la Sa-
gesse et de l'évangile johanique ont donné cependant plus de souplesse à
une comparaison littéraire trop stricte. Selon ce dernier Jean a vu
l'Exode moins à travers les récits bibliques directement, qu'au travers de
leur élaboration midrashique continue dans la liturgie et la piété juives:
le départ entre livre et tradition orale n'étant pas aussi rigoureux qu'à
notre époque. Jean a donc opéré un choix dans une thématique qu'il
partage avec l'auteur de la Sagesse. Comme les Juifs attendaient une li-
bération messianique à l'image du premier Exode, le fait de montrer en
Jésus la réalisation des mêmes miracles que Moïse équivalait à un argu-
ment Messianique. Or les miracles du désert que Jean sélectionne sont
ceux que l'auteur de la Sagesse prend pour thème de ses réflexions. Ce
que la Sagesse accomplit, le Christ le fait: mieux il s'identifie aux dons
de la sagesse: il est le pain, il est la lumière, il est le Rocher spirituel (on
reconnaîtra également ce thème chez Paul qui fut disciple de Gamaliel) ..
Une fois établie la cohérence thématique de ces passages, la question
de leur lecture liturgique à cette période médiane de la cinquantaine reste
posée.
3. La Cinquantaine pascale
Nous savons par Origène que la cinquante pascale fut de bonne heure
reçu de la Synagogue par l'Église:
Le nombre cinquante est sacré; cela est manifeste d'après les jours festifs
de la pentecôte qui signifie la délivrance des peines et la possession de la
joie. C'est pourquoi, ni le jeûne, ni la position à genoux ne sont de mise en ce
temps-là; car celui-ci figure le rassemblement festif pour les temps futurs,
préfiguré au pays d'Israël par l'année appelée chez les hébreux Jobel ( ... ).
Ce témoignage est confirmé par le vingtième Canon du Concile de
Nicée, ce qui confirme ]' antiquité de l'observance de la cinquantaine
LES LEÇONS SCRIPTURAIRES DE LA MI-PENTECÔTE 219
pascale comme laetissimum spatium. On sait pat ailleurs que dans le judaï-
sme contemporain du Christ on comptait les sept semaines (Shabbouot) à
partir du lendemain du Sabbat où avait eu lieu au temple l'offrande des
prémices de la moisson en une gerbe balancée conformément à Lv 23, 15-
16 (Cf. l'interprétation paulinienne en 1 Cor 15, 20 et 23). Les diverses
sectes juives étaient divisées à l'époque sur la question de savoir à partir
de quel jour, Gour toujours en rapport étroit avec la Pâque) il fallait com-
mencer le compte des sept semaines non sur le nombre des semaines ni sur
la célébration d'une fête de clôture. Mais pat ailleurs cette fête de clôture
commença à acquérir un contenu propre ainsi qu'une référence historique:
le don de la Torah. Ce sont les courants matginaux et populaires du Ju-
daïsme qui en développeront Je plus Jes nouveaux aspects: célébration du
renouvellement de l'Alliance et fête de toutes les alliances de Dieu et de
son peuple. Luc en Actes 2, 1-21 et Paul en 2 Cor 3, 6 témoignent de
l'assimilation de ces traditions pat les communautés apostoliques alors que
Je judaïsme orthodoxe ne les a assimilés qu'au cours du Ille. Cette histori-
cisation du jour de clôture des sept semaines ne manqua pas de donner à
ces cinquante jours la valeur d'une prépatation à ce qu'il célébrait. Ainsi
c'était un coutume commune aux Juifs et aux Samaritains, que de dater les
évènements survenus au désert entre la Pâque et la fête des Semaines.
L'application de la chronologie de l'Exode aux cinquante jours en affecta
le contenu. Dans la tradition samaritaine, il existe une liturgie très élaborée
pour les sept sabbats de la cinquantaine: 1) «Mer »; 2) «Matah »; 3)
«Élim »; 4) «Manne »; 5) «Rocher »; 6) « Amaleq »; 7) «Paroles ».
On voit donc comment la cinquantaine pascale chrétienne devint
l'antitype de la cinquantaine des Juifs, observées comme une sorte de
Carême, si bien que sous l'influence du quatrième évangile elle synthéti-
sa deux périodes de l'année liturgique juive: Soukkot et Shabbouot qui
constituaient une sorte de doublet puisque Soukkot tout en célébrant les
vendanges faisait des périgrinations au désert. Mais ce souvenir était
joyeux et tourné vers l'attente de l'ère messianique. C'est cette thémati-
que qui, puisqu'elle correspondait à leur temps pascal fut appliquée à la
cinquantaine par les Chrétiens. De plus après 70 la fête de Soukkot perdit
son principal support: le Temple, l'inondation de ses patvis et son illumi-
nation, ce qui permit d'utiliser Jean 7 pour désigner le point médian du
temps pascal sans être hors sujet.
4. La Mi-Temps
5. Conclusion
Sébastien GARNIER
ANCIEN ET NOUVEAU TESTAMENT
DANS LE CYCLE LITURGIQUE
l À dire vrai, les textes conciliaires eux-mêmes ne formulent pas encore le principe
d'une lecture articulée des deux. Testaments. La Constitution sur la Sainte Liturgie (Sacro-
sanctum Concilium) se contente de rappeler que « dans la célébration de la liturgie, la
Sainte Écritme a une importance extrême. C'est d'elle que sont tirés les textes qu'on lit et
que l'homélie explique, ainsi que les psaumes que l'on chante; c'est sous son inspiration et
dans son élan que les prières, les oraisons ct les hymnes liturgiques ont jailli. et c'est d'elle
que les actions et les symboles reçoivent leur signification. Aussi, pour procurer la restau-
ration, le progrès et l'adaptation de la liturgie, il faut promouvoir ce goût savoureux. et vi-
vant de la Sainte Écriture dont témoigne la vénérable tradition des rites aussi bien orientaux.
qu'occidentaux. ») (par. 24). Ou encore: « Pour présenter aux. fidèles avec plus de richesse la
table de la parole de Dieu, on ouvrira plus largement les trésors bibliques pour que, dans un
nombre d'années déterminé, on lise au peuple la partie importante des Saintes Écritures»
(par. 51).1l revient au texte de Présentation générale du lectionllaire romaÎn, par. 67 et 106
(in Parole de Dieu et année liturgique, CL.D., Paris, 1998, pp. 37 et 52), d'énoncer un peu
plus clairement le principe d'un choix de lectures vétéro-testamentaires, opéré « en fonction
de l'évangile du jour », voire « avant tout pour leur correspondance avec les textes du Nou-
veau Testament qu'on lit à la même messe, et spécialement avec l'évangile », comme
« c'est toujours le cas pendant le Temps ordinaire ). Pour précieuses que soient ces recom-
mandations, on est encore loin d'une prise en compte raisonnée des motifs d'articulation
entre les deux types d'Écritures. Ancien et Nouveau Testament. Voir les contributions de
Cl. WIENER, "Présentation de nouveau lectionnaire", in La Maison-Dieu 99 (1969) 28-49;
"Le lcctionnaire dominical de la messe" et "L'Ancien Testament dans le lectionnaire domi-
nical", in La Maison-Dieu 166 (1986) 7-46 et 47-60.
222 YVES-MARIE BLANCHARD
2 Les biblistes sauront gré aux éditeurs des nombreuses publications liturgiques d'avoir
depuis longtemps intégré de multiples données relevant des travaux scientifiques menés dans
le champ de l'exégèse historico-critique. Toutefois, comme toute littérature de vulgarisation,
le danger est parfois de présenter comme certitudes acquises certaines hypothèses de travail,
aujourd'hui contestées par une partie de la communauté scientifique. Autant il parai't heureux
que le peuple chrétien soit tenu informé des recherches exégétiques en cours, autant il serait
regrettable que sa lecture des textes bibliques soit, en quelque sorte, conditionnée par des po-
sitions aujourd'hui dépassées et faussement présentées comme définitives.
3 Une difficulté identique se rencontre en catéchèse: faut-il encore parler aux enfants
d'Abraham, Moïse ou David, alors même que le temps manque pour les initier aux évangiles
et leur faire découvrir tant les paroles que les actions de Jésus, apparemment plus proches de
nos préoccupations quotidiennes et plus aptes à former en eux tant une conscience croyante
qu'un jugement moral éclairé? Les Anciens ne se posaient pas ce problème, tant pour eux
l'Ancien Testament était inséparable de la personne du Christ, le Verbe de Dieu, omniprésent
dans l'Écriture, à commencer par les traditions vétéro-testamentaires. On relira avec profit
l'œuvre de Justin, pour lequel il est évident que c'est le Verbe en personne qui s'exprime par
exemple dans les théophanies de l'Ancien Testament. Un tel principe de lecture christologique,
présent tout au long du Moyen Âge (dans les fresques romanes de Saint-Savin-sur-Gartempe,
le Dieu de l'Ancien Testament, interlocuteur d'Abraham ou MOïse, présente manifestement
les traits du Christ, le Fils incarné), n'a pas résisté aux rudiments d'exégèse critique, vulga-
risés au sein des équipes de catéchistes et autres groupes de fidèles, à commencer par les équi-
pes liturgiques, chaque semaine confrontées à une page d'Ancien Testament, à première vue
bien éloignée du christocentrisme prôné dans la célébration dominicale.
ANCIEN ET NOUVEAU TESTAMENT DANS LE CYCLE Lll1JRGlQUE 223
l'on comprend aussi que cet intérêt archéologique ne soit guère satisfai-
sant dans le contexte liturgique: d'une part, parce que l'assemblée réunie
in Christo n'est pas là pour étudier le passé, mis à distance selon les exi-
gences de la science historique, mais pour confesser et célébrer l'actuali-
té du don de Dieu manifesté à travers la présence vivante du Ressuscité;
d'autre part, parce que le retour à l'horizon national de l'ancien Israël pa-
raît parfaitement contradictoire avec la dimension d'universalité, consti-
tutive de l'expérience chrétienne, au titre même de son adhésion à l'uni-
que Sauveur de tous les hommes.
Bref, tandis que les progrès de l'exégèse historico-critique ont large-
ment contribué à réhabiliter l'Ancien Testament dans son existence pro-
pre, la question de son rapport au Nouveau Testament a été longtemps
occultée. TI en résulte dans le peuple chrétien une forte incompréhension
de la place de l'Ancien Testament dans le cycle des lectures liturgiques.
Sans succomber à la systématisation d'une pensée de type marcionite,
beaucoup de chrétiens sont d'autant plus hostiles à l'Ancien Testament
qu'ils ont maintenant conscience qu'il n'est pas purement et simplement
l'équivalent du Nouveau Testament. À quoi bon donc en charger la litur-
gie? Quelle relation peut-il bien entretenir avec l'évangile qui, lui du
moins et c'est trop clair, a le mérite de nous parler de Jésus ou encore
mieux de le faire parler?
La question des rapports entre Ancien et Nouveau Testament n'est
pas une chose nouvelle, même si la réforme liturgique instituée par Vati-
can II a eu, entre autres effets, celui de porter la question au plus près des
préoccupations, sinon quotidiennes, du moins hebdomadaires, du peuple
chrétien. Il paraît même que la question est explicitement traitée dans le
Nouveau Testament, alors même qu'héritiers et familiers des Écritures
juives, les chrétiens avaient éprouvé le besoin de produire des textes
nouveaux qui, sans remettre en cause l'autorité première de la Torah, au-
raient plus spécifiquement fonction d'exprimer, soutenir et réguler
l'expérience nouvelle, celle du Ressuscité présent, parlant et agissant au
milieu des frères rassemblés en son nom'.
4 Il ne faut pas perdre de vue que la Bible chrétienne n'est pas seulement la conjonc-
tion d'un Ancien Testament juif, reçu comme achevé et simplement repris comme tel, et
d'un Nouveau Testament de production chrétienne, lui-même parvenu à son stade fina1 dans
un bref laps de temps. Les recherches actuelles sur la genèse du Canon biblique invitent
plutôt à prendre en compte: a) la spécificité de l' Ancien Testament chrétien, à la fois proche
et distinct de la Torah d'Israël; b) la lenteur du processus de réception - sélection affectant
les écrits apostoliques jusqu'à l'acte de clôture décidant des frontières du Nouveau Testa-
ment; c) l'interrelation des opérations de canonisation de l'Ancien et du Nouveau Testa-
ment, au sein d'une Bible chrétienne à la fois une et bipartite. En ce sens, la question des
rapports entre l'Ancien et le Nouveau Testament est aussi ancienne que l'acte même de
224 YVES-MARTE BLANCHARD
production du corpus biblique dans sa figure duelle (sur ce point voir communication de
Y.-M. Blanchard, au colloque de septembre 2000, tenu à l'École biblique et archéologique
de Jérusalem: actes à paraître).
5 L'évangile de Marc présente une seule occurrence certaine de la formule d'accomplisse-
ment (Mc 14, 49), ce qui est fort peu au regard de Matthieu (13 occurrences), Luc - Actes (9
expressions, sensiblement différentes de l'énoncé matthéen) et Jean (10 occurrences). Signa-
lons en outre une variante texluelle, commune à Mt27, 35 ct Mc 15,28: dans les deux cas, des
éléments du récit de la Passion font l'objet d'un éclairage vétéro-testarnentaire explicite, intro-
duit par la formule d'accomplissement. Mais cette notice est absente des grands manuscrits de
référence: elle traduit la tendance à généraliser un procédé par ailleurs bien attesté. Quant à la
première occurrence marcienne (14, 49), elle ne se présente pas comme un commentaire du
narrateur évangélique ou de tel orateur de l'Église des Actes, mais figure à J'intérieur des pro-
pos de Jésus: ce mode d'énonciation, très minoritaire au regard de l'ensemble de la collection
des formules d'accomplissement (seulement Mt 26, 54; Le 4, 21; 18,31; 22, 37; 24, 44; et
peut-être ln 13, 18; 15,25; 17, 12, à moins que dans Je cas du 41me évangile il s'agisse plutôt
d'un mode de présentation d'un jugement relevant de l'autorité du narrateur interprète), pour-
rait constituer l'état le plus ancien d'un procédé appelé à de larges développements, non seu-
lement au sein du Nouveau Testament mais à travers la littérature chrétienne ancienne.
'Mt 1,22; 2, 15; 2, 17; 2, 23; 4, 14; 8, 17; 12, 17; 13, 14; 13, 35; 21,4; 26, 54; 26, 56;
27,9; 27, 35 (variante); Le 1,20; 4, 21; 9, 31; 18,31; 22, 37; 24, 44; ln 12, 38; 13, 18; 15,25;
17,12; 18,9; 18,32; 19,24; 19,28; 19,30; 19.36; Ac l, 16; 3,18; 13,27; 13,29.
7 Souventle prophète cité demeure anonyme: Ml 1, 22; 2, 15; 13, 35; 21, 4; 27, 35. Par-
fois, il est désigné par son nom: on trouve alors aussi bien Isaïe (Mt 4, 14; 8, 17; 12, 17; 13,
14; ln 12,38) que Jérémie (Mt 2, 17; 27, 9). On rencontre également un certain nombre de
fonnules générales telles que ({ l'Écriture 1) (Mc 15,28; Le 4, 21; JII 13, 18; 17, 12; 19,24; 19,
28; 19,36), « les Écritures» (Mt 26, 54; Mc 14.49), ({ les Écritures des prophètes» (Ml 26,
ANCIEN ET NOUVEAU TESTAMENT DANS LE CYCLE LITURGIQUE 225
56), «ce qui a été écrit ou dit (par les prophètes») (Le 18,31; 22, 37; Jn 2, 23; Ac 13,29),
« les paroles des prophètes lues chaque sabbat» (Ac 13,27) ou encore « la Loi» (Jn 15,25)
« la Loi et les prophètes }) (Mt 5, 17), « la Loi de Moïse, les prophètes et les psaumes» (Le 24,
44), voire la parole de Jésus, élevée au même statut référentiel que l'Écriture (Jn 18, 9; 18,
12). Naturellement, les citations sont rarement littérales, souvent composites et parfois même
ne correspondent à aucun texte connu (ainsi la fameuse prophétie: « il sera appelé nazôréen »,
évoquée en Mt 2, 23, pour rendre compte théologiquement du toponyme Nazareth). De même,
le titre de « prophète » peut annoncer une citation tirée d'un autre corpus, à commencer par les
psaumes (Mt 13.35; 27, 35): ou bien, sous le nom de « Loi », on fait encore appel au psautier
(JII 15,25). Sans doute l'incertitude des références n'est-elle pas seulement la conséquence de
l'inachèvement des corpus mais le signe qu'il s'agit moins d'appeler un texte précis que d'ouvrir
l'ensemble des Écritures par la médiation d'un ou plusieurs fragments cités de mémoire.
S Pour une argumentation plus développée, voir Y.-M. BLANCHARD. "Accomplissement
des Écritures et liturgie dominicale". in La Maison-Dieu, 210, ({ Christologie et Liturgie»
199712. pp. 51·65.
226 YVES-MARIE BLANCHARD
!i Paul se réfère non stulernent à son premier passage à Corinthe (( je vous ai transmis dès le
début }» mai:; remonte jusqu'au temps de sa propre initiation chrétienne (<< cela même que j'avais
reçu »), c'est-à-dire sans doute au temps de sa conversion et de son éducation au sein de la com-
munauté de Damas. De ce fait, la problématique du ~( scion les Écritures» se trouve attestée au
tout début ùe l'aventure apostolique: présente dès les premiers écrits néo-testamentaires (épîtres
authentiques de Paul), elle S~ veul l'héritière de la plus ancienne prédication pascale et parru"t
donc constilulive de l'identité chrétienne, avant même J'existence du livre biblique à deux volets.
10 La double chronologie. recourant successivemenL au nombre cardinal (après deux
jow's) Cl au nombre ordinal (le troisième jour) afin d'exprimer le même comput, figure expli-
ANCIEN ET NOUVEAU TE.<;;TAMENT DANS LE CYCLE LITURGIQUE 227
cilemenl dans le 4~ évangile: les deux signes de Cana (eau transformée en vin, guérison du
fils du fonctionnaire royal de Capharnaüm) se trouvent reliés par une chronologie commune
(le troisième jour: ln 2. 1; après deux jours: ln 4, 43), manifestement référée à O.\·ée 6, 2. Dès
lors, les deux événements, qualifiés de « commencement» el « deuxième» des « signes}) ac-
complis par Jésus (ln 2, Il; 4, 54), peuvent être interprétés comme manifestation des temps
messianiques, en attente de leur pleine réalisation à travers l'événement pascal lui-même situé
« le troisième jour » (1 Co 15,4 et nombreuses occurrences dans les évangiles synoptiques et
le livre des Actes). Mais on ne peut non plus oublier que le don de la Torah sur le Sinaï est
lui-même daté « le troisième jour)) (Rt: 19, 16): ainsi le double signe de Cana parlicipe-t-il
aussi de la thématique de la nouvelle Alliance ou nouvelle Tora manifestée en Christ, dès les
premiers gestes de son ministère en Galilée.
\1 La similitude entre l'annonce du mystère pascal «selon les Écritures)) (préposition
)w'tri) et la désignation ultérieure des évangiles « selon» Matthieu, Marc, Luc ou Jean (même
préposition Ka'to) mériterait d'être étudiée de façon précise. Dans une première approche, il
apparaît qu'il s'agit de la référence à une source tenue pour fondatrice (voir le sens étymologi-
que de la préposition grecque Kata: liu. en descendant le cours d'un fleuve): dans le cas des
évangiles, la référence aux Apôtres, tenue pour garante de l'authenticité du message évangéli-
que; dans le cas du kérygme primitif, la référence aux Écritures d'Israël, reçues comme la lan-
gue normative de J'énoncé chrétien. B.-M. METZGER, The Canon of the New Testament, Ox-
ford 1987, p. 302, note 5, signale que les premiers manuscrits latins du Nouveau Testament
proposent la translittération « catH », comme si la traduction par « secundum}) avait tardé à
s'imposer; on aura donc intérêt à ne pas perdre contact avec le sème primitif, évitant si possi-
ble la traduction « conformément à )}, non seulement inexacte au regard du rapport entre les
Écritures d'Israël et le kérygrne chrétien, mais de plus impropre à suggérer la complexité de la
relation entre les écrits néo-testamentaires et l'autorité apostolique de référence.
228 YVES-MARIE BLANCHARD
aussi une limitation des possibles, n'en est pas moins d'abord la condition
du passage à l'acte. TI n'est en effet pas de parole, même la plus libre, celle
des grands poètes toujours novateurs, qui ne soit d'abord consentement à
la langue. Sans quoi l'emporteraient faux-sens et contre-sens, c'est-à-dire
infine l'impossibilité d'assumer un acte de communication fondé sur un
minimum d'univocité.
De cette contrainte linguistique, constitutive du rapport langue - pa-
role, la fonnule d'accomplissement fait état, en appelant à un «il fal-
lait », trop souvent considéré du point de vue des causalités factuelles
(donc au détriment de la liberté et de l'initiative du Christ, réduit à n'être
que l'applicateur d'un programme parfaitement préconçu dans ses moin-
dres détails), alors qu'il s'agit, selon nous, d'un dispositif hennéneutique
situant la parole néo-testamentaire au sein de sa langue propre, quasi
maternelle, celle de l'ancien Israël, comme bénéficiaire de la Révélation
divine et partenaire engagé dans l'Alliance". Or, cette langue est en
quelque sorte rassemblée dans le corpus des Écritures juives, el-
les-mêmes reçues comme Ancien Testament du message chrétien, exer-
çant ainsi à son égard la fonction nonnative revenant aussi bien à la
grammaire qu'au dictionnaire, c'est-à-dire à la langue dans ses paradig-
mes syntaxiques et lexicaux 13 •
3. La typologie
est assurément d'introduire le point de vue de l'auteur au sein même du texte, en quelque sorte
tenu à distance, le temps d'un jugement. On trouve ainsi: « cela}} (Jn 19, 36); « tout cela}} (Mt
1,22; 26, 56); « alors}} (Mt 2, 17; 27, 9); « voici)} (Le 18, 31); {( ces paroles» (Le 24, 44);
parfois même une simple parataxe, appelant la traduction française: « (c'est 1 c'était) afin
que ... » (ln 13, 18; 15, 25; 18,9; 18,32; 19.24).
14 Sans remonter aux précédents judéo-bellénistiques, notamment cbez Philon d'Alexan-
drie, Paul est le premier auteur qui ait recours à la terminologie typologique dans le contexte
de la problématique chrétienne du rapport entre les deux Écritures, donc bien avant que le
Nouveau Testament soit parvenu à maturité. En 1 Co 10,6 figure le mot MOÇ au pluriel (les
événements du désert constituent les nrn:Ol de l'existence chrétienne appelée à la conversion et
au détachement des idoles), et en 1 Co 10, lIon trouve l'adverbe t'll1ttlCcIx; (litt.: ( figurative-
ment}») pour qualifier les réalités vétéro-testamentaires du point de vue de leur actualité péda-
gogique au profit de la communauté chrétienne: «( Ces événements leur arrivaient à titre de fi-
gures: ils furent écrits pour notre instruction ». Les autres occurrences néo-testamentaires du
mot cin:oç valorisent l'exemplarité d'une personnalité remarquable ou d'une attitude sujette à
l'imitation (Ph 3, 17; 1 Th l, 7; 2 Th 3, 9; 1 Tm 4, 12; Tt 2, 7; 1 P 5, 2-3), quand elles ne sont
pas directemcllt référées à la question du rapport entre les Testaments (outre 1 Co, voir Rm 5,
14 et la typologie des deux Adam: 6,17; elle texte diftïcîle de Hb 8, 5, fondant la notion de
MOC; sur la distinction opposant les réalités célestes et les apparences terrestres). D'autres
passages utilisent le mot aux sens concrets de: marque, trace, empreinte (ln 20, 25); image vi-
sible, reproduction, idole (Ac 7, 42-43, reprenant Amos 5, 25-27); ou encore texte écrit, au sens
d'un ensemble de caractères tracés sur une surface solide (Ac 23, 25).
230 YVES-MARlE BLANCHARD
pour une part, la langue anticipe la parole, cette antécédence est d'abord
d'ordre logique et s'inscrit dans un rapport de quasi synergie: la langue
fait la parole mais en retour la parole fait la langue; ainsi en est-il du
moins des langues vivantes ...
De même, la typologie biblique proposée par Paul consiste en un
rapport binaire entre deux réalités apparemment hétérogènes, telles que:
d'une part le rocher porteur de la source vive et supposé suivre les hé-
breux au désert; d'autre part le Christ ressuscité, compagnon des chré-
tiens dans leur pérégrination terrestre et initiateur d'une existence nou-
velle par le don de soi-même en un acte de salut qu'on peut aussi bien
appeler de libération, à l'image de l'exode vécu par l'ancien Israëjl'.
Autrement dit, le midrash du rocher ambulant n'est pas d'abord une an-
nonce prophétique, ni même une préparation pédagogique, mais un type,
une figure, c'est-à-dire un fait distinct de la révélation évangélique du
salut en Christ (l'antitype) quoique disponible pour un jeu de miroirs
dont les deux objets (type vétéro-testamentaire et antitype néo-testamen-
taire) reçoivent un surcroît de sens.
On le voit bien, il ne s'agit pas d'abord de prédiction, d'anticipation,
de préfiguration (au sens français du préverbe pré, confondu avec pro et
détaché du latin prae - devant - évoquant le déploiement de la figure,
plus que son antériorité)". TI s'agit plutôt d'un dispositif herméneutique
qui, tel le motif de l'accomplissement, vise d'abord une meilleure com-
15 {( Je ne veux pas que vous ignoriez, frères, que vos pères étaient tous sous la nuée et
que tous ont traversé la mer, et que tous furent baptisés en Moïse, dans la nuée et dans la mer,
et que tous ont mangé la même nourriture spirituelle, et que tous ont bu la même boisson spi-
rituelle, car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait, et le rocher c' était le Christ» (leo
10,1-4). Au sujet du midrash du rocher ambulant et de son traitement ({ typologique» dans la
suite du passage, voir Ch. FERROT, "Les exemples du désert (l Co 10,6-11)", in New Testa-
mem Studie.s, 29/4 (1983) 437-452.
16 La traduction française des textes patristiques latins est, à ce titre, révélatrice d'une pré
compréhension (je l'accomplissement selon le modèle de l'argument prophétique, c'est-à-dire
en insistant sur l'antériorité de l'Ancien Testament et sa capacité à prédire les événements de
la nouvelle Alliance, bien avant leur réalisation effective. Ainsi, dans l'introduction du Traité
des Mystères d'Hilaire de Poitiers, le traducteur, au demeurant excellent latiniste, écrit: « C'est
lui [Notre Seigneur Jésus Christ] qui, pendant toute la durée du siècle présent, par des préfigu-
res vraies et manifestes (verh atque absollllis praefigurati01libus), engendre, lave, sanctifie,
choisit, sépare ou rachète l'Église dans les Patriarches: par le sommeil d'Adam, par le déluge
de Noé, par la bénédiction de Melchisédech, par la justification d'Abraham, par la naissance
d'Isaac, par la servitude de Jacob» (J.-P. BRISSON éd., Cerf, Paris, 1967 [= Sources chrétien-
nes 19 bis]). Or, plutôt que d'annonces dans le temps (pré au sens de pro),l 'usage du préverbe
latin prae paraît désigner le déploiement de la figure, sa manifestation plénière dans l'œuvre
tant historique qu'ecclésiale du Fils incarné et ressuscité. Ce qui demeurait caché ou virtuel
acquiert en Christ une plénitude de sens: nous sommes bien dans la logique de J'accomplisse-
ment, au sens étymologique du terme.
ANCIEN ET NOUVEAU TESTAMENT DANS LE CYCLE LITURGIQUE 231
4. Reprise et ouverture
Yves-Marie BLANCHARD
Institut Catholique de Paris
DE LA SYNAGOGUE A L'EGLISE:
FONCTION ECCLESIALE DES LECTURES BmLIQUES
DANS LA LITURGIE
1ÉGERIE, Journal de voyage, 25, 1 (= Sources chrétiennes 296), éd. P. Maraval, pp. 246-
247; Constitutions apostoliques II, 57, 9, éd. M. Metzger, (= Sources chrétiennes 320), pp.
314-315. Pour la suite, dans les notes, on abrégera Sources chrétienne,ç en Sc.
2 Con,\'ûtution sur la Révtlation divine (Dei Verbum), § 21. Voir aussi Décret sur le mi-
nistère et la vie des prêtres (Presbyt. ordinis), § 4: « Le Peuple de Dieu est rassemblé d'abord
par la Parole du Dieu vivant ».
236 MARCEL METZGER
2. Commentaire de ce témoignage
5 Voir Hugues COUSIN (éd.), Le monde où. l'ivait Jésus, Édit. du Cerf, Paris. 1998. pp.
48-52,
6 Voir dans les Constilutiom' apo~·tolique5 VI, 24, la reconnaissance d'un rôle providen-
tiel aux institutions romaines, avec, comme conséquence, la mise du juda1smc hors la loi.
Texte dans SC 329, pp. 372-375.
7 À Diugnète V, 5: SC 33bis. pp. 62-63.
FONCTION ECCLESIALE DES LECTURES BlBLlQUES DANS LA LITURGIE 239
8 Voir Le monde où vivait Jésus, p. 291: « Les synagogues répondaient finalement à des
besoins très divers », assemblées, enseignement, hébergement, réunions, repas. Sur les assem-
blées chrétiennes à l'âge apostolique. voir. entre autres, P. GRELOT el collaborateurs, La litur-
gie dans le Nouveau Testament. Inrroduction à la Bible· Édition /lol/velle, 9, Desclée, Paris,
1991. pp. 24-30.
9 Voir J. GAUDEMET. L'Église dans "Empire romain (Ive· ye siècles), 2 e édit., Sirey, Pa-
ris. 1989. p. 230; ID., L 'Églùe et la cité, Édit. du Cerf, Paris, 1994. pp. 111-113.
10 Édition Dictionnaires Le Robert, Paris 1992, p. 1142.
240 MARCEL ME1ZGER
Il Sur la place de la Torah dans le judaïsme dans la culture juive à l'époque du Christ,
voir H. Cousin (éd.), Le monde où vivait JÙU!i, pp. 160~162 et 168.
12 Sur l'évolution du culte sacrificiel et sa sublimation, voir Alfred MARX, Les sacrifices
de l'Ancien Testament. Cahiers Évangile Il J. Édit. du Ceri, Paris, 2000, 67 p.
FONCTION ECCLESIALE DES LECTURES BIBLIQUES DANS LA LlTIJRGIE 241
13 Cette pratique est évoquée en Col. 4, 16 et par EUSEBE DE CEsAREE, HE 4. 23. Il; SC
31, p. 205.
__ 14 Voir par ex. Pierre GRELOT et Marcel DUMAIS, Homélies sur l'Écriture à l'époque
apostolique. lntrodution à la Bible· Édition nouvelle, 8, Desclée, Paris, 1989.
IS TeJ1e l'organisation de l'évangile selon saint Matthieu, avec cinq grands discours.
FONCTION ECCLESIALE DES LECTIJRES BIBLIQUES DANS LA LITURGIE 243
16 Voir Eva M. SYNEK, Dieses Gesetz ist gut, heilig, es zwingt nicht ... Zum Gesetzesbe-
griff der Apostolischen Konstitutionen, Wien, 1997 (= Kirche und Recht 21), pp. 77-81. Cette
étude a ouvert de nouvelles perspectives pour la compréhension des règlements ecclésiasti-
ques et des recueils de traditions apostoliques (DUJachè, Didascalie, Constitutions apostoli-
ques, etc.).
17 Dans la version latine, la plus ancienne, le texte n'est pas d'une clarté totale: praes-
tante sancto spiritu perfectam gratiam eis qui recte credunt, ut cognoscant quomodo oportet
tradi et cuslodi,i omnia eos qui ecclesiae praesunt. Selon l'édition de Bernard BOTTE, La
Tradition apostolique de saint Hippolyte, LQF 39, Munsterl W., 1989, p. 4.
111 Selon le texte grec édité par Maxwell E. JOHNSON, The Prayers of Sarapion of
Thmuis. A literary, lirurgical and theologieal analysis, Rome, 1995, p. 60. Voir aussi Consti-
tutions apostolique.ç VIn, 16,5 (SC 336, p. 218).
244 MARCEL METZGER
21 Voir SC 273, 319 et 343; le second et le troisième traité datent de la période monta-
niste.
22 TERTULLIEN, Le voile des vierges XVI, 1; SC 424, p. 179.
23TERTULLlEN, Comre Marcion, IV, 14, 1: Venio nunc ad ordinarias .\'ententias eius, ...
ad edictum, ut ita dixerim, Christi; SC 456, p. 174, avec note explicative.
24 TERTULLIEN, Le voile des vierges l, 6-8; traduction Paul MATIEl, dans SC 424, p.
131.
246 MARCEL Ml:.1ZGER
Dans les sociétés antiques, les repas étaient des lieux privilégiés pour
la communication, les échanges, les dialogues et les débats". De nom-
breux enseignements de Jésus sont présentés dans un tel contexte de re-
pas pris avec des pharisiens et d'autres convives (par ex. Luc 14) et en
compagnie des disciples. En outre, plusieurs paraboles du règne de Dieu
évoquent des repas (par ex. Matth 22,1-14). Toutes ces pratiques et évo-
cations de repas conduisent à une réalisation suprême, la dernière Cène,
avec le testament du Seigneur (ln 13-17) et les entretiens après la résur-
rection (voir Act 1,4; 10,41), Dans les temps nouveaux de l'Église, le
Repas du Seigneur (l Cor Il,20) est devenu le lieu où Dieu se commu-
nique de façon plénière, par sa Parole, son Esprit, son Corps et son Sang.
Si pendant des siècles l'Église latine a manqué d'attention envers cette
communication directe de Dieu avec ses assemblées par la Parole, le
concile Vatican II a redressé la barre et reconnu solennellement que par
la table eucharistique le Christ nourrit ses communautés à la fois par la
Parole et par les aliments sanctifiés; c'est une seule et même table:
L'Église a toujours vénéré les divines Écritures comme elle le fait pour
le Corps même du Seigneur, puisqu'elle ne cesse, surtout dans la sainte
25 Voir Victor SAXER, Vie liturgique et quotidienne à Cathage vers le milieu du Ille S.,
Città deI Vaticano, 1984, p. 225; ID., « La Bible chez les Pères latins du lUe siècle », dans
JACQUES FONTAINE - Charles PŒTRI (sous la direction de), Le monde latin antique et la Bi-
ble, Paris, 1985, pp. 348-353.
26 Voir Matthias KLz:..tGHARDT, Gemeinschaftsmahl und MahlgemeillSc:haft. Soziologie
und Liturgie frühchristlicher Mahlfeiem, TUbingen-BaseI, Franke Verlag, 1996,633 p.; Jean-
Marc PRIEUR, «Liturgie et communion fraternelle », dans Liturgie et charité fraternelle.
Conférences Saint-Serge 1998, CLV-Edizioni Liturgiche, Rome, 1999 (=Bibliotheca
«Ephemerides Liturgicae» - «Subsidia» J01), pp. 65-74; H. Cousin (éd.), Le monde où vi-
vait Jésus, voir l'index pp. 793-794, au mot « repas ».
FONCTION ECCLESIALE DES LECTURES BœUQUES DANS LA LITURGIE 247
Tant que la loi chrétienne n'était reçue que dans de petites commu-
nautés nées en situation de diaspora, c'est dans les assemblées liturgi-
ques qu'eUe était proclamée, méditée et actualisée. Mais quand les em-
pereurs et la société ont admis la religion chrétienne, les instances
s'intéressant à l'application de la loi chrétienne se sont multipliées en
dehors des assemblées liturgiques locales. La fonction législative a émi-
gré vers les chanceUeries impériales et autres et, à l'inverse, dans une
société devenue chrétienne, les communautés locales n'avaient plus à
inventer des règles de comportement, tout était déjà établi, les lectures
liturgiques n'étaient plus soUicitées pour la créativité législative locale.
À ce propos, on constate que le christianisme a su adapter son orga-
nisation et son développement au gré des contextes socio-politiques et
qu'ayant connu au départ une situation difficile, il lui a été facile de
s'adapter à un contexte devenu favorable. II est né et s'est maintenu
pendant trois siècles dans une totale autonomie par rapport au pouvoir
civil, tout en professant un franc loyalisme à son égard. De ce fait il
avait donné dès le départ à ses institutions des formes convenant à la si-
tuation de diaspora. Le culte étant l'élément central et indispensable des
institutions chrétiennes, en situation de diaspora toutes les composantes
de ces institutions étaient regroupées dans les assemblées cultueUes.
27 Vatican Il, Constitu.tion :mr la Révélation divine (Dei Verbwn), § 21; édition G. Albe-
tiga et aulres, dir., Les conciles œc:wnélliques, avec rraductioD française, Édit. du Cerf, Paris.
1994, vol. 2**, p. 979.
248 MARCEL METZGER
28 Le code actuel fait si peu référence aux Écritures, que ses éditions sont dépourvues
d'index biblique.
29 Constitution .mr la sainte Liturgie, § 10, et Décret .\'Ur le ministère et la vie des prêtres,
§ 5. Sur le renouveau de la pastorale, grâce à meilleure attention à la Parole de Dieu, voir
Marcel METZGER, Que ton Règne vienne. Jalons pour une .\piritualité prutorale à l'intention
des laïcs ellgagés dans des lâches ecclésiales. Paris (Le Cerf), 1999, 235 p.
250 MARCEL MErzGER
Dimension œcuménique
Parmi toutes les réalités de la foi, les Saintes Écritures sont le trésor
(Matth 13, 52) commun dont la réception bénéficie de l'accord le plus
large entre les confessions chrétiennes. Or, en ces temps actuels, puisque
toutes nos Églises sont appelées à adapter leur pastorale aux conditions
nouvelles des sociétés ambiantes, si elles reconnaissent la Parole de Dieu
comme guide premier et principal de leurs institutions, la mise en com-
mun de leurs recherches en ces domaines leur permettrait aussi de pro-
gresser sur le chemin de l'unité.
Marcel METZGER
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