Frédérique Langue - Caravelle
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Langue Frédérique. Les élites vénézuéliennes et la révolution d'Indépendance : fidélisme et particularismes régionaux. In:
Caravelle, n°62, 1994. L'expression des identités américaines à partir de 1492. Les « Écrans de l'histoire » 1992. pp. 227-239;
doi : https://doi.org/10.3406/carav.1994.2593
https://www.persee.fr/doc/carav_1147-6753_1994_num_62_1_2593
révolution d'Indépendance :
fidélisme et particularismes
régionaux
PAR
Frédérique LANGUE
CNRS - Institut Pluridisciplinaire d'Études sur l'Amérique Latine à Toulouse
La plupart des données concernant le Consulat de Caracas sont tirées de notre travail "El
proyecto económico de la Ilustración a través de los papeles de dós Consulados de
comercio: Caracas y Veracruz", Colloque sur "L'Illustration en Amérique et en
Espagne", Instituto de Cooperación Iberoamericana de Venezuela-Universidad Católica
Andrés Bello, Caracas, 24-26 novembre 1990, publié par l'ICIV, Caracas, 1991.
7 LUCENA SALMORAL M., ídem, p. 243.
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"
LANGUE, F., "Formación y desarrollo de una élite regional ...", Op. cit., p. 157; pour
un aperçu des débats et textes officiels en résultant, ARCILA FARIAS, E., LEAL, I.,
Documentos del Real Consulado de Caracas, Caracas, UCV, 1964, doc. 1, p. 218: ... cl
Consulado, compuesto como es regular de hacendados y comerciantes, de europeos y
americanos, reúne en sí una y otra parcialidad, y además de identificar el interés de todos
en el mismo objeto del cuerpo entero [ ...] facilita a unos y otros los medios de trabajar,
promover e influir en su propia felicidad". TANDRON, Humberto, El Real Consulado
de Caracas y el Comercio Exterior de Venezuela, Caracas, UCV/Fac. de Humanidades y
Educación, 1976. Sur la formation des élites mantuanas, voir notre travail: "Orígenes y
desarrollo de una élite regional. Aristocracia y cacao en la provincia de Caracas, siglos
XVI-XVIIP, Tierra Firme, Caracas, abril-junio 1991, n°34 et pour la liste des
hacendados, Documentos del Real Consulado de Caracas, carta de F. de Saavcdra du
23/VII/ 1786, doc. n°4..
"
Pour une approche exhaustive des soulèvements qui ¿maillèrent l'histoire coloniale du
Venezuela, cf. BRITO FIGUEROA, Federico, Historia económica y social de Venezuela,
tome F/, Caracas, UCV/EBUC, 1987: "Cuadro histórico de la rebelión social en
Venezuela colonial (algunos movimientos significativos: 1500-1810)* pp. 1245 et ss.
Certains auteurs évoquent même ^incidence notable" que le commerce avait sur le
processus politique vénézuélien, soulignent la "dépendance extérieure" qui en résulte et
la coïncidence non moins frappante entre émancipation politique et croissance
commerciale (LUCENA SALMO RAL, M., Características del comercio exterior de la
Provincia de Caracas durante el sexenio revolucionario (1807-1812), Madrid,
IEF/Monografias Economía Quinto Centenario, 1990, pp. 39, 323 ss.
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1 " Voir sur ce point notre travail "La representación venezolana en las Cortes de
Cádiz: José Domingo Rus", à paraître dans le Boletín Americanista, Université de
Barcelone, 1992.
* * TANDRON, Enrique, El Real Consulado de Caracas y el comercio exterior de Venezuela,
Caracas, UCV/Ed. de la fac. de Humanidades y Educación, 1976, pp. 115 ss.: "El
comercio extranjero y el conflicto entre hacendados y comerciantes -1797-1799* (la
representación des hacendados es du 27/1/1798); sur les modalités de la "crise" de 1797,
voir McKINLEY, Michael, Pre-revolutionary Caracas. Politics, economy and society, 1777-
1811, Cambridge, University Press, 1985, pp. 128 ss.
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León, dont les prises de position furent d'ailleurs désavouées par les
Conseil des Indes), les hacendados reprochant explicitement aux
commerçants (ainsi Juan José Mintegui, Juan José Echenique ou Joaquín
Anza) de mettre à profit les périodes de guerre pour augmenter le prix des
produits importés et se refuser dans le même temps à acquérir les
productions locales (le cacao par exemple, alors à 10 pesos la fanègue alors
qu'elle dépassait habituellement les 20 pesos), le tout au profit exclusif de
maisons de commerce situées dans la Péninsule, en particulier à Cadix. De
1806 à 1810, le Consulat prit parti en faveur des hacendados, et ce sur des
sujets extrêmement divers, s'opposant ainsi au monopole des farines
accordé au marquis de Branciforte, sollicitant la liberté d'importer maïs,
riz et farine, appuyant le décret libéralisant les relations commerciales avec
les "neutres" du 25 juin 1806, de même le nouveau système douanier de
1 808 (aranceles) ou encore le fait que les dons et prêts patriotiques soient
désormais envoyés dans la Péninsule en marchandises (afin de ne pas
limiter la circulation de numéraire). 12
En cela le Consulat ne fit que s'aligner sur cette autre institution
hautement représentative des criollos, le cabildo (on y retrouve d'ailleurs les
mêmes personnages influents dans la vie économique locale à tel point
qu'en 1809, 54 % des membres du Consulat s'avèrent être parents à un
degré ou à un autre malgré les dispositions prises à l'encontre de ces
pratiques endogamiques). D'où les réticences manifestées à l'égard de la
Capitania General, de l'Intendance (notamment lors du gouvernement de
Basadre, qui fit appliquer la suspension des tarifs douaniers de 1 808) et
surtout de l'Audience^.. Après le 19 avril, le Consulat prit fait et cause
pour la révolution, mais perdit dans le même temps sa raison d'être (pour
des raisons diverses mais qui tiennent essentiellement à la pene des
revendications habituellement présentées, et à l'incapacité de formuler un
projet économique viable). D'une certaine manière, il fut remplacé par
une autre forme de sociabilité, la Sociedad de Amigos del País.
Remarquons toutefois qu'à partir de 1797, les circonstances
relativement difficiles que connaît la Province de Caracas (économiques)
contribuent à modifier quelque peu le panorama politique. Partiellement
éliminés par la politique conciliante de l'Intendant Arce, les désaccords
entre hacendados et commerçants ne s'expriment plus aussi ouvertement ;
après l'échec de la rébellion de Coro, les oppositions ethniques elles-
mêmes ne rencontrent pas le même écho ; la menace républicaine, telle
qu'elle avait pu être perçue lors de la conspiration de Gual et España,
14 A.G.N. (Caracas), Actas del Consulado, 2532: Juna general, 14/V/1816, McKINLEY,
Op. cit., p. 145 ss.
1 5 VAZQUEZ DE FERRER, Belín, El proceso politico de maracaibo en una época de
transición, 1799-1830, Maracaibo, Universidad del Zulia, 1989, Trabajo de ascenso,
inédit, pp. 10-11.
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16 Idem, p. 28.
17 Idem, pp. 36-37.
LES EUTES VÉNÉZUÉLIENNES ET LA RÉVOLUTION . . . 237
parenté et d'amitié qui créent des liens durables. Entrent ici en jeu les
sociabilités traditionnelles propres aux sociétés d'Ancien Régime,
auxquelles s'adjoindront quelques années plus tard des formes de sociabilités
politiques cette fois, et orientées vers la modernité.
Dans un premier temps, les notables de Maracaibo dans leur ensemble
(élites principales et "secondaires", bien que cette caractérisation soit plus
adaptée au panorama de la capitale administrative, Caracas et que le terme
de notables soit pour cette raison particulièrement adapté à certains
secteurs de la société marabina) privilégièrent un discours de la fidélité,
attitude à la fois de défense de la monarchie et de revendication d'une
autonomie locale, défendue au sein même du cabildo, attitude dirigée en
fait à l'encontre des élites caraqueñas.
Deux factions se définirent cependant : la première, de tendance
"légitimiste", défendit les droits politiques et administratifs de Maracaibo
face à Caracas, tout en demeurant fidèle à la monarchie ; la deuxième en
revanche, adopta le parti de l'Indépendance, rejoignant en cela les options
de la Junta de Caracas. Pour ce qui apparaît en fait comme le secteur
officiel, représenté par le gouverneur de Maracaibo et le cabildo local (les
élites locales), une certaine forme d'autonomie -dans le cadre de la
monarchie— allait de pair avec la consolidation du pouvoir politique
marabino face à Caracas, le rattachement à la métropole signifiant par
ailleurs le contrôle d'un commerce extérieur dominé dans ce cas précis par
les Catalans —leurs alliés directs ; ce secteur officiel qui contrôle le cabildo
parviendra à se maintenir au pouvoir jusqu'en 1821. L'autre secteur,
constitué majoritairement de notables -ce qui serait en d'autres lieux des
"élites secondaires" de par leur niveau de richesse et l'exercice d'un
pouvoir local- d'origine maracaibera, comprenait des commerçants, des
militaires, des ecclésiastiques et autres letrados.^
Mais c'est précisément ce secteur qui sera à l'origine, del812àl817
de tentatives séparatistes. Ses options rejoignent délibérément les principes
des Lumières mais aussi -donnée fondamentale pour ce qui est du
fonctionnement des réseaux de sociabilités, non seulement du point de
vue du discours mais surtout de h. pratique réelle- les idées développées au
sein des loges maçonniques, qui confèrent à un groupe socialement
hétérogène sa cohésion idéologique que ne suffisaient pas à assurer ses
aspirations républicaines. Sa manifestation la plus claire s'exprime
logiquement dans le pacte de confédération du 28/1/1821, par lequel
° Sauf indication contraire, les données concernant Maracaibo à partir de 1810 sont
tirées de VASQUEZ DE FERRER, Belin, "La élite marabina: contradicciones y
acuerdos presentes en años de definiciones políticas: 1810-1830", Tierra Firme, Caracas,
abril-junio 1991, n°34, pp. 162 ss., ou de notre étude sur José Domingo Rus {Op. cit.).
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^"autonomistes"
LANGUE, F.,de"José
ce député
Domingo
sont reprises
Rus ...",
dans
passim;
le recueil
la plupart
qui réunit
desla revendications
plupart de ses
interventions, sous le titre Maracaibo representado en todos sus ramos, Maracaibo, 1987,
p. 183; A.G.I., Caracas, 385: représentation de Rus en ce sens, 8/IX/1813 et A.G.I.,
Caracas, 179-
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