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L’ADMISSIBILITÉ DE LA PREUVE EN

DROIT CIVIL ET EN DROIT PÉNAL (*)

Fabienne KÉFER,
Professeur à l’Université de Liège

(*) Texte arrêté au 27 août 2013.


TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE

SOMMAIRE

I. Les notions générales et les principes 201


§ 1. Les deux systèmes de preuve 201
§ 2. L’admissibilité de la preuve est une règle de droit substantiel 202
§ 3. L’admissibilité de la preuve est, avant tout, une question de droit interne 202
§ 4. L’admissibilité de la preuve en matière pénale 203
§ 5. L’admissibilité de la preuve en matière civile 205

II. Une question particulière: l’admissibilité des preuves obtenues irrégulièrement 207
§ 1. Rappel de l’évolution de la jurisprudence belge 207
§ 2. Les critères retenus par la jurisprudence belge 213
A. Le double système et sa constitutionnalité 213
B. L’étendue du pouvoir d’appréciation du juge 214
C. Le vice lié aux causes de nullité 215
D. Le vice entachant la fiabilité de la preuve 216
E. La compromission du droit au procès équitable 219
§ 3. Regard sur l’étranger 224
A. Pays-Bas 224
B. Royaume-Uni 225
C. France 225
D. Québec 226
E. États-Unis 227

Conclusion 228

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L’admissibilité d’une preuve, à savoir la vocation à être prise en considération comme élé-
ment de preuve, s’apprécie de manière différente selon qu’il s’agit d’un litige en matière pé-
nale ou en matière civile au sens large. On distingue le système de la preuve libre (matière
pénale) et celui de la preuve réglementée (matière civile).
L’admissibilité est une question de fond. La question de l’admissibilité des preuves est, de-
puis plusieurs années, dominée par la jurisprudence de la Cour de cassation, entreprise par
le célèbre arrêt Antigone du 14 octobre 2003, et selon laquelle les preuves irrégulièrement
obtenues sont désormais admissibles, sauf si certains vices sont constatés. La circonstance
qu’une preuve ou un élément de preuve a été obtenu illicitement n’entraîne pas l’exclu-
sion de la preuve, même si cette irrégularité consiste dans une violation de droits fonda-
mentaux garantis par les Conventions internationales ou la Constitution. Si le vice dans
l’obtention de la preuve produite aux débats n’est pas sanctionné de nullité par la loi, c’est
au juge qu’il appartient d’apprécier les conséquences de l’irrégularité sur la recevabilité de
ce moyen de preuve : celui-ci ne sera pas pris en considération par le juge pour forger sa
conviction si l’irrégularité commise a entaché la fiabilité de la preuve ou si elle compromet
le droit à un procès équitable.
L’arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 2008 a, selon la grande majorité des commenta-
teurs, étendu la jurisprudence Antigone à la matière civile, réalisant ainsi une unification
de la jurisprudence afférente à cette question.
Que le procès soit civil ou pénal, le droit au procès équitable et le principe de proportion-
nalité se sont substitués au principe de la légalité de la preuve. La tâche du juge s’en trouve
complexifiée mais en contrepartie, il dispose de plus de moyens de réconcilier la vérité
vraie et la vérité déclarée.
Cette jurisprudence a été adoptée sous l’influence des droits étrangers. Le droit comparé
révèle que d’autres systèmes juridiques considèrent que la justice serait parfois bien plus
discréditée par un refus de prendre en considération des éléments de preuve recueillis de
manière illégale que par leur admission et confient au juge le pouvoir de veiller à préserver
cette image de la justice en sauvegardant l’équité du procès.

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De toelaatbaarheid van bewijs, te weten de geschiktheid om als bewijsmateriaal te wor-


den aanvaard, wordt verschillend beoordeeld naargelang het gaat over een strafrechtelijk
of een burgerlijk geschil sensu lato. Een onderscheid wordt gemaakt tussen enerzijds het
vrij bewijs in strafzaken en anderzijds het gereglementeerd bewijs in burgerlijke zaken.
De toelaatbaarheid raakt het materiële recht. Sinds enkele jaren wordt de kwestie van de
toelaatbaarheid van bewijs beheerst door het befaamde arrest Antigoon van 14 oktober
2003 van het Hof van Cassatie. Daaruit vloeit voort dat de op onrechtmatige wijze verkre-
gen bewijselementen voortaan toelaatbaar zijn behalve als bepaalde gebreken worden
vastgesteld. Het feit dat een bewijselement op een onrechtmatige wijze werd verkregen,
impliceert niet per definitie het weren ervan, ook al houdt deze onrechtmatigheid een
miskenning in van verdragsrechtelijk of grondwettelijk gewaarborgde grondrechten. Ten-
zij het bewijs behept is met nietigheid, komt het aan de rechter toe de gevolgen van de
onrechtmatigheid op de toelaatbaarheid van dit bewijsmateriaal te beoordelen. Bij het
vormen van zijn overtuiging, zal de rechter dit bewijsmiddel niet in overweging nemen
wanneer de begane onrechtmatigheid de betrouwbaarheid van het bewijs heeft aange-
tast, of het recht op een eerlijk proces in het gedrang heeft gebracht.
Volgens de meerderheid in de rechtsleer heeft het arrest van het Hof van Cassatie van
10 maart 2008 de eerdere Antigoonrechtspraak verruimd tot burgerlijke zaken en daar-
door de eenheid van de rechtspraak op dit punt tot stand gebracht.
Zowel in de burgerlijke als strafrechtelijke rechtspleging wordt het beginsel van rechtma-
tigheid van de bewijsgaring vervangen door het recht op een eerlijk proces en het pro-
portionaliteitsbeginsel. Daardoor wordt de taak van de rechter ingewikkelder, daar staat
tegenover dat hij over meer middelen beschikt om de echte waarheid en de verklaarde
waarheid te verzoenen.
Deze rechtspraak is tot stand gekomen onder de invloed van het buitenlands recht. Rechts-
vergelijking leert ons dat in andere rechtsstelsels de justitie soms meer in diskrediet wordt
gebracht door het weren van onwettig verkregen bewijsmateriaal dan door het in acht
nemen daarvan en dat het aangewezen is aan de rechter de bevoegdheid te geven om dit
imago van de justitie te beschermen door het vrijwaren van de eerlijkheid van het proces.

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1. La question de l’admissibilité des preuves est, depuis plusieurs années, dominée


par la jurisprudence de la Cour de cassation, entreprise par le célèbre arrêt Antigone
du 14 octobre 2003, et selon laquelle les preuves irrégulièrement obtenues sont
désormais admissibles, sauf si certains vices sont constatés. La circonstance qu’une
preuve ou un élément de preuve a été obtenu illicitement n’entraîne pas l’exclusion
de la preuve, même si cette irrégularité consiste dans une violation de droits fonda-
mentaux garantis par les Conventions internationales ou la Constitution ; si le vice
dans l’obtention de la preuve produite aux débats n’est pas sanctionné de nullité par
la loi, c’est au juge qu’il appartient d’apprécier les conséquences de l’irrégularité sur
la recevabilité de ce moyen de preuve : celui-ci ne sera pas pris en considération par
le juge pour forger sa conviction si l’irrégularité commise a entaché la fiabilité de la
preuve ou si elle compromet le droit à un procès équitable.

Mais l’admissibilité de la preuve ne se résume pas à cette question. Elle est bien plus
étendue. Elle est définie comme suit par G. Cornu dans son Vocabulaire juridique (1) :
« vocation à être pris en considération comme élément de preuve ». Quant au terme
admissible appliqué au mode de preuve, il est défini comme celui « qui, en vertu de la
loi peut être proposé en preuve par un plaideur au soutien de ce qu’il allègue (on dit
alors que la preuve est légalement admissible), de telle sorte que le juge est tenu de
prendre en considération, sans pouvoir l’écarter a priori, la preuve offerte mais sans
qu’il soit certain que celle-ci soit reconnue apte, après examen, à justifier l’allégation,
résultat qui dépend de la pertinence et de la force probante de la preuve ».

Après avoir décrit de manière générale les conditions auxquelles la loi admet qu’un
élément soit proposé en justice comme preuve (I), nous nous attarderons sur une
condition qui n’est pas inscrite dans la loi et a été façonnée par la doctrine et la juris-
prudence : il s’agit de celle relative à la régularité de l’obtention de la preuve (II).

I. LES NOTIONS GÉNÉRALES ET LES PRINCIPES

§ 1. LES DEUX SYSTÈMES DE PREUVE

2. L’admissibilité étant définie, il convient de savoir ce qui a vocation à être pris en


considération. On distingue à ce sujet deux systèmes de preuve : celui de la preuve
libre ou morale et celui de la preuve réglementée ou légale.

En matière pénale, le principe est celui de la preuve libre ; sauf exception, les faits
peuvent être établis par n’importe quel procédé apte à emporter la conviction du
juge, qui apprécie librement l’efficacité probatoire de l’élément de preuve (2).

En matière civile au sens large, le principe est au contraire celui de la preuve régle-
mentée : la loi détermine les procédés de preuve qu’elle admet et leur valeur et établit
l’ordre de priorité entre eux. La valeur attribuée par la loi à un élément de preuve est

(1) G. CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, P.U.F., 2004.


(2) Sur les défauts de la preuve légale en matière pénale, voy. L. CADIET, J. NORMAN et S. AMRANI
MEKKI, Théorie générale du procès, Paris, P.U.F., 2010, p. 854 et 855 ; M. FRANCHIMONT, A. JACOBS et
A. MASSET, Manuel de procédure pénale, 4e éd., Bruxelles, Larcier, 2012, p. 1028.

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appelée « force probante » (3) ; celle-ci lie le juge et les parties. De nombreux éléments
ne voient pas leur valeur fixée par la loi ; le juge détermine alors librement la valeur
probante, c’est-à-dire le degré de crédibilité qu’il leur accorde (par exemple, le certifi-
cat médical (4)).

Le système de la preuve libre est plus souple ; le système de la preuve réglementée


offre davantage de sécurité juridique (5).

§ 2. L’ADMISSIBILITÉ DE LA PREUVE EST UNE RÈGLE DE DROIT SUBSTANTIEL

3. Le droit de la preuve emprunte ses règles tantôt au droit processuel tantôt au


droit substantiel. Au droit matériel de la preuve appartiennent les règles relatives à
l’objet et à la charge de la preuve ainsi que celles qui traitent des moyens de preuve
admissibles. Par contre, la manière dont ces moyens de preuve admissibles doivent
être mis en œuvre, autrement dit l’administration de la preuve, relève du droit pro-
cédural de la preuve. Si on prend pour exemple la preuve par témoignage, il s’agit
d’un « moyen de preuve dont l’admissibilité est définie par la loi substantielle, tandis
que l’audition du témoin par le juge (l’enquête) est un mode de preuve, relevant de la
procédure de la preuve ou de l’administration de la preuve elle-même (…). C’est (…)
une chose de savoir s’il est possible d’apporter la preuve d’un contrat par témoignage
(question d’admissibilité de la preuve) et une autre de savoir comment mettre en
œuvre cette preuve testimoniale (par enquête ou par attestation ? Question d’admi-
nistration de la preuve) » (6).

§ 3. L’ADMISSIBILITÉ DE LA PREUVE EST, AVANT TOUT, UNE QUESTION DE DROIT IN-


TERNE

4. La Convention européenne des droits de l’homme ne réglemente pas le régime


des preuves en tant que tel ; ni son article 6 ni aucune autre disposition n’ont cet
objet. La Cour de Strasbourg n’a donc pas à examiner dans l’abstrait le droit interne
de la preuve ni à apprécier in abstracto sa conformité à la Convention, par exemple
lorsqu’il n’autorise pas telle ou telle personne à témoigner en justice (7). La Cour n’ex-
clut pas non plus par principe et in abstracto l’admissibilité d’une preuve recueillie
sans respecter les prescriptions du droit national. Il revient aux juridictions internes
d’apprécier les éléments obtenus par elles et la pertinence de ceux dont une partie
souhaite la production. La Cour a néanmoins pour tâche de rechercher si la procédure

(3) Selon P. VAN OMMESLAGHE, la force probante est la mesure dans laquelle le juge (et les parties) sont
liés par la preuve. La valeur probante est « le degré de crédibilité qu’un juge accorde à l’élément de
preuve qui lui est présenté, dans les limites de la force probante attribuée par la loi à cet élément se-
lon sa nature » (P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 2305 et 2306).
(4) Cass., 2 février 2009, Pas., 2009, p. 306.
(5) N. VERHEYDEN-JEANMART, Droit de la preuve, Bruxelles, Larcier, 1991, p. 25 ; L. CADIET, J. NORMAN et
S. AMRANI MEKKI, Théorie générale du procès, op. cit., p. 853.
(6) L. CADIET, J. NORMAND et S. AMRANI MEKKI, Théorie générale du procès, op. cit., p. 836 et 838.
(7) Cour eur. D.H., 13 mars 1997, Mantovanelli c. France.

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considérée dans son ensemble, y compris la manière dont la preuve a été administrée,
a revêtu le caractère équitable voulu par l’article 6.1 (8).

Ainsi par exemple, dans l’affaire Dombo Beheer, la Cour a conclu à la violation de l’éga-
lité des armes pour le motif suivant. La société Dombo Beheer, en conflit avec une
banque, s’était vu refuser le droit de faire témoigner l’un de ses représentants sur
le contenu d’une réunion que celui-ci avait eue avec un salarié de la banque, alors
que la banque avait pu faire témoigner son salarié. Le droit néerlandais s’oppose à ce
qu’une société fasse témoigner son organe, puisqu’il s’identifie à elle. Or seules deux
personnes avaient assisté à la réunion dont le contenu devait être prouvé et la banque
se trouvait donc en position privilégiée. La société requérante ayant ainsi été placée
dans une situation de net désavantage par rapport à la banque, la Cour a conclu à la
violation de l’article 6.1 (9).

Dans de nombreux arrêts relatifs à des affaires pénales, la Cour, constatant que, en ap-
plication du droit national, certains éléments de preuve irréguliers ont quand même
été pris en considération pour asseoir la condamnation, déclare que, pour apprécier
si le procès a été équitable, il faut prendre en compte toutes les circonstances de la
cause et se demander en particulier si les droits de la défense ont été respectés et
quelles sont la qualité et l’importance des éléments en question, une attention par-
ticulière étant portée au point de savoir si l’élément de preuve en question a exercé
une influence décisive sur l’issue de l’action pénale. Parmi ces arrêts, celui du 28 juillet
2009 (10) (Lee Davies), qui concerne la Belgique. On lit sous la plume de certains auteurs
que la Cour européenne des droits de l’homme aurait, dans cet arrêt, validé la jurispru-
dence belge initiée par l’arrêt Antigone. Comme le rappelle M. Franchimont, « Ce n’est
pas exact, parce que ce n’est pas son rôle » (11), ce que la Cour a, d’ailleurs, coutume de
préciser dans ses arrêts.

§ 4. L’ADMISSIBILITÉ DE LA PREUVE EN MATIÈRE PÉNALE

5. La preuve d’une infraction et de la culpabilité de l’auteur est, en principe, libre.


Sauf dans certains cas, la loi ne restreint ni les moyens de preuve pouvant être pris en
considération par le juge ni leur valeur probatoire. Le juge statue en fonction de son
intime conviction (12) ; tous les moyens de nature à forger celle-ci sont admis.

(8) Entre autres, Cour eur. D.H., 18 juillet 1988, Schenk c. Suisse ; Cour eur. D.H., 25 mars 1999, Pelissier et
Sassi c. France ; Cour eur. D.H., 27 septembre 1990, Windisch c. Autriche ; Cour eur. D.H., 27 octobre
1993, Dombo Beheer c. Pays-Bas ; Cour eur. D.H., 13 mars 1997, Mantovanelli c. France ; Cour eur. D.H.,
11 juillet 2006, Jalloh c. Allemagne ; Cour eur. D.H., 28 juillet 2009, Lee Davies c. Belgique ; Cour eur. D.H.,
1er juin 2010, Gäfgen c. Allemagne ; Cour eur. D.H., 17 janvier 2012, Alony Kate c. Espagne.
(9) Cour eur. D.H., 27 octobre 1993, Dombo Beheer c. Pays-Bas.
(10) Cour eur. D.H., 28 juillet 2009, Lee Davies c. Belgique.
(11) M. FRANCHIMONT, « Antigone et son ombre », Pourquoi Antigone ?, Liber amicorum E. Jakhian,
Bruxelles, Bruylant, 2010, p. XXVI.
(12) R. DECLERCQ, Beginselen van strafrechtspleging, 5ème éd., Malines, Kluwer, 2010, p. 903 et suiv., n° 2031
et suiv.

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Cette liberté se heurte cependant à quelques limites. Tout d’abord, certaines preuves
sont réglementées, comme la preuve génétique (13), les écoutes téléphoniques (14)
ou la preuve de l’imprégnation alcoolique par l’examen de l’haleine ou du sang (15).
Ensuite, ne peuvent être prises en considération par le juge pour former sa conviction
que les preuves soumises à la contradiction (16).

Signalons encore que l’irrégularité d’une preuve peut entraîner son écartement (voy.
infra) mais, dans l’enseignement de la Cour de cassation, elle ne rend pas les pour-
suites irrecevables. Au sujet d’un prévenu qui avait été conduit à formuler des dé-
clarations auto-incriminantes sans l’assistance de son avocat, la Cour de cassation a
répondu que « L’illicéité de la preuve, dès lors que le prévenu a fait, au cours de sa
privation de liberté, des déclarations auto-incriminantes sans l’assistance d’un avo-
cat, n’entraîne pas l’irrecevabilité de l’action pénale mais uniquement l’exclusion ou
l’inadmissibilité éventuelle de cette preuve. Le droit d’exercer l’action pénale naît en
effet de la commission de l’infraction, indépendamment de la manière dont elle est
exercée et indépendamment de la manière dont les preuves ont été recueillies. ( ... ) Il
appartient au juge du fond, à la lumière de l’ensemble de la procédure, de vérifier si la
valeur probante de toutes les données qui lui sont présentées est remise en cause par
le seul fait que certaines déclarations ont été faites durant l’enquête sans l’assistance
d’un avocat et, le cas échéant, de décider de l’inadmissibilité ou de l’exclusion de ces
moyens de preuve » (17). Au sujet d’une travailleuse, qui était poursuivie pour vol sur
la base d’une preuve résultant de la fouille de son sac à main opérée par l’employeur,
la cour d’appel de Gand avait déclaré les actions publique et civile irrecevables. Sur
le pourvoi de l’employeur, la Cour de cassation a cassé l’arrêt attaqué en déclarant :
« même si l’infraction a été révélée de manière irrégulière, cela n’entraîne pas l’irrece-
vabilité de la décision de poursuivre, laquelle n’est pas en soi illégale ou déloyale (…).
La seule circonstance qu’une personne qui n’en a pas les pouvoirs a posé des actes
d’instruction ne peut entraîner l’irrecevabilité de l’action publique. Le droit d’exercer
l’action publique naît en effet au moment de la commission de l’infraction, quelle
que soit la manière dont elle est exercée ultérieurement et indépendamment de la
manière dont les preuves sont réunies » (18).

Il en va autrement lorsque les irrégularités sont telles que le droit au procès équitable
est, au vu des circonstances, atteint de manière irrémédiable et qu’aucune autre sanc-
tion que l’irrecevabilité des poursuites ne peut en découler (19).

6. Enfin, le principe de la liberté des preuves est applicable devant les juridictions
civiles lorsqu’une action s’appuie sur une infraction qu’il s’agit de démontrer ou si la

(13) Loi du 22 mars 1999 relative à la procédure d’identification par analyse ADN en matière pénale et son
arrêté royal d’exécution du 4 février 2002.
(14) Art. 88bis, § 1er, C.i. cr.
(15) Art. 59 et 63 de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière. La preuve de
l’infraction n’est pas réglementée lorsqu’elle est rapportée autrement (Cass., 26 novembre 2008, Pas.,
2008, p. 2672).
(16) H.D. BOSLY, D. VANDERMEERSCH et M.A. BEERNAERT, Droit de la procédure pénale, 6ème éd., Bruxelles,
la Charte, 2010, p. 1001 et nombreuses références citées.
(17) Cass., 29 novembre 2011, T. Strafr., 2011, p. 444.
(18) Cass., 3 janvier 2012, P.10.1662.N.
(19) Cass., 31 mai 2011, P.10.2037.F ; Liège, 25 mai 2009, J.L.M.B., 2009, p. 1184 ; Bruxelles, 10 décembre
2010, J.T., 2011, p. 54.

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culpabilité dans le chef d’une des parties doit être prouvée. Il en est ainsi, par exemple,
lorsque la victime d’un délit (coups et blessures, non-paiement de la rémunération,
etc.) réclame la réparation de son dommage devant la juridiction civile (20).

§ 5. L’ADMISSIBILITÉ DE LA PREUVE EN MATIÈRE CIVILE

7. En matière civile, les conditions d’admissibilité d’une preuve sont régies, principa-
lement, par le Code civil. Ces règles ont vocation à s’appliquer à tout le contentieux de
droit privé, qu’il soit civil, commercial ou social. À l’exception de quelques dispositions,
notamment celles issues du droit du travail, il ne sera pas fait état ici des règles parti-
culières telles que celles qui concernent le droit des personnes, par exemple.

Les cinq principaux modes de preuve admissibles sont énumérés par les articles 1341
et suivants du Code civil, à savoir l’écrit, l’aveu, le serment, les témoignages et les pré-
somptions.

8. L’admissibilité de la preuve est ici dominée par la summa divisio entre la preuve
du fait juridique, qui peut être rapportée par toutes voies de droit, et la preuve de
l’acte juridique qui, lorsque la valeur de l’acte dépasse € 375,00, ne peut se faire qu’au
moyen d’un écrit (art. 1341).

Cette règle, qui n’est applicable qu’entre les parties à l’acte (21), souffre diverses excep-
tions. Le Code civil en prévoit lui-même plusieurs. Il est exclu de les envisager toutes
ici. On signalera, tout d’abord, que, quelle que soit la valeur de l’acte, il ne peut être
prouvé outre ou contre un écrit que par un autre écrit ; même si l’acte vaut moins de
€ 375,00, les témoignages et présomptions ne sont pas admis (art. 1341). De même,
quelle que soit sa valeur, la transaction ne se prouve que par écrit (art. 2044)  (22). À
l’inverse, même si le litige vaut plus de € 375,00, l’écrit n’est plus indispensable
lorsqu’une partie dispose d’un commencement de preuve par écrit (art. 1347) ou
encore lorsqu’elle est dans l’impossibilité morale ou matérielle de se procurer une
preuve littérale (art. 1348).

Le Code de commerce, par son article 25, assouplit lui aussi considérablement l’exi-
gence et la prééminence de l’écrit, en plaçant les témoignages et présomptions sur le
même pied que lui dans de nombreuses hypothèses, de sorte que les témoignages et
présomptions sont admis pour prouver outre ou contre un écrit.

De son côté, l’article 12 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail per-
met que la preuve du contrat de travail, lorsqu’il n’y a pas d’écrit, soit fournie par toutes
voies de droit ; la preuve par témoin est admise même lorsque la valeur du litige ex-
cède € 375,00, par dérogation aux principes du Code civil. Mais, lorsqu’il y a un écrit,
l’article  12 de la loi sur les contrats de travail ne s’applique pas ; les règles de l’ar-

(20) Cass., 2 janvier 2003, Dr. circ., 2003, p. 134 ; H.D. BOSLY, D. VANDERMEERSCH et M.A. BEERNAERT, Droit
de la procédure pénale, op. cit., p. 1000.
(21) Cass., 3 décembre 1957, Pas., 1958, I, p. 352 ; Cass., 5 septembre 1961, Pas., 1962, I, p. 29 ; P. VAN
OMMESLAGHE, Droit des obligations, op. cit., p. 2287, n° 1677 ; il en va de même au sujet de l’article 10
de la loi du 25 juin 1992 sur les assurances terrestres : Cass., 24 septembre 2008, Bull. Ass., 2010, p. 159.
(22) P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, op. cit., p. 385, n° 247.

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ticle 1341 du Code civil retrouvent leur empire : les parties ne peuvent prouver outre
ou contre l’écrit. Ceci a pour conséquence, notamment, que le travailleur ne peut pas
tenter de démontrer par témoignage que son contrat de travail écrit a été antidaté,
l’employeur ne pouvant davantage tenter de prouver par témoin que le contrat écrit a
été postdaté (23). Ce dernier ne peut pas non plus tenter d’établir par témoignage que
le contrat a été rompu à la demande du travailleur, alors qu’il a adressé une lettre de
licenciement par courrier recommandé (24).

Même lorsqu’un contrat est constaté par écrit, il peut être modifié ou remplacé sans
écrit (25). Dans une telle hypothèse, les modifications peuvent être prouvées par té-
moin ou présomptions (26).

9. L’article 1341 ne s’applique pas à l’aveu et au serment, qui demeurent admissibles


en toutes circonstances, aux conditions que la loi prévoit (art. 1355 et suiv.). Il peut y
être recouru pour prouver outre ou contre un écrit (27). On retiendra que l’aveu peut
résulter de l’exécution du contrat (28).

10. Il faut encore signaler que les règles civiles relatives à l’admissibilité de la preuve
sont applicables devant les juridictions pénales dans l’hypothèse décrite par l’article
15 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale, à savoir lorsque des questions
de droit civil sont soulevées devant elles.

11. Enfin, selon l’article 16 du Titre préliminaire, lorsque l’infraction se rattache à l’exé-
cution d’un contrat, dont l’existence est déniée ou dont l’interprétation est contes-
tée, le juge pénal en statuant sur l’existence de ce contrat ou sur son exécution se
conforme aux règles du droit civil (29). Le champ d’application de cette disposition est
limité à l’hypothèse où c’est l’existence du contrat ou son interprétation qui pose dif-
ficulté. En revanche, lorsque seule l’exécution du contrat est en discussion, l’article 16
n’a pas vocation à s’appliquer. Par exemple, lorsqu’un employeur est poursuivi pour
avoir payé une rémunération inférieure au montant dont il est redevable, il se peut
que l’existence du contrat et son interprétation ne soit pas discutée, et que seuls les
montants dus ou déjà versés fassent l’objet d’une contestation ; cette hypothèse sort
du champ d’application de l’article 16.

(23) C. trav. Liège, 9 juin 1980, J.T.T., 1980, p. 316 ; C. trav. Liège, 23 septembre 1982, J.T.T., 1984, p. 191 ;
C. trav. Gand, 13 février 1995, T.G.R., 1995, p. 213 ; voy. aussi. Trib. trav. Nivelles, 12 octobre 2005, J.T.T.,
2006, p. 65.
(24) C. trav. Bruxelles, 24 octobre 1997, Chron. D.S., 1999, p. 165. Voy. à ce sujet, W. VAN EECKHOUTTE et
V.  NEUPREZ, Compendium social – Droit du travail, 2008-2009, T. I, Waterloo, Kluwer, 2008, n° 1163,
p. 595 et 596.
(25) Cass., 4 mai 1987, J.T.T., 1987, p. 407.
(26) Cass., 28 mai 1979, J.T.T., 1980, p. 99.
(27) N. VERHEYDEN-JEANMART, Droit de la preuve, op. cit., p. 329 et suiv. et 971 et suiv. ; L. KERZMANN, « Le
point sur l’aveu en matière civile », La preuve, Questions spéciales, CUP, vol. 99, Liège, Anthémis, 2008,
p. 166 ; P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, op. cit., p. 2283, n° 1672.
(28) N. VERHEYDEN-JEANMART, Droit de la preuve, op. cit., p. 317, n° 707 et p. 333, n° 754.
(29) Pour de nombreuses illustrations, voy. R. DECLERCQ, Beginselen van strafrechtspleging, op. cit., p. 906
et suiv., n° 2035 et suiv.

206
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE

II. UNE QUESTION PARTICULIÈRE : L’ADMISSIBILITÉ DES PREUVES OBTE-


NUES IRRÉGULIÈREMENT

12. La question de l’admissibilité des preuves obtenues irrégulièrement a été remise


en cause depuis les années ’90 et fait l’objet d’une attention soutenue de la doctrine
depuis longtemps. Après avoir retracé l’évolution jurisprudentielle (§ 1), nous exami-
nerons les critères d’admissibilité (§ 2) avant de porter le regard sur les droits de cer-
tains autres États, dont certains ont eu une influence non négligeable sur la jurispru-
dence belge (§ 3).

§ 1. RAPPEL DE L’ÉVOLUTION DE LA JURISPRUDENCE BELGE

13. Le principe de légalité de la preuve impose que le juge ne retienne, comme élé-
ments de preuve que ceux qui ont été recueillis conformément à la loi. Il doit rejeter
toute preuve obtenue à la suite d’une infraction commise par les autorités de pour-
suite ou par un particulier, qu’il soit partie à la cause ou non. On ne vise pas ici les cas
exceptionnels où les fonctionnaires de police, recourant aux méthodes particulières
de recherche, sont autorisés à commettre certaines infractions pour permettre la
réussite de l’opération ou garantir la sécurité des enquêteurs ou celle d’autres per-
sonnes impliquées dans l’infiltration ou l’observation. Dans de telles circonstances, les
preuves sont collectées de manière régulière.

Le principe de légalité est généralement relié à l’arrêt Recloux prononcé par la Cour
de cassation le 10 décembre 1923 (30), qui concerne une perquisition effectuée sans
autorisation judiciaire. Ce principe est éclairé par les conclusions du premier avocat
général Leclercq, qui énonce qu’on ne peut utiliser les renseignements recueillis lors
de la perquisition, c’est-à-dire tirer des fruits de l’illégalité commise, car « la chose
frugifère étant une action illégale, toutes les conséquences (qu’on pourrait en tirer)
contre l’homme qui en a été la victime sont entachées du même vice d’illégalité ».
C’est la « théorie des fruits de l’arbre empoisonné ».

Depuis lors, et pendant des dizaines d’années, la doctrine et la jurisprudence una-


nimes ont considéré que la preuve obtenue de manière illégale était nulle ainsi que
toutes les autres preuves qui en découleraient ; les constatations effectuées à l’occa-
sion d’une perquisition illégale étaient nulles, de même que les éléments recueillis à
la suite de ces constatations, et notamment des aveux (31).

La règle valait tant en matière pénale qu’en matière civile. Ainsi, les aveux de la veuve
d’un assuré, fournis en réaction à la production de certificats médicaux qu’une com-
pagnie d’assurances s’était procurés en violation du secret professionnel ont été écar-
tés, au motif que la veuve n’aurait jamais eu recours à ces aveux comme moyen de
défense en l’absence des deux certificats médicaux. La Cour de cassation estime que

(30) Pas., 1924, I, p. 66.


(31) R. SCREVENS, « La preuve pénale en droit belge », La présentation de la preuve et la sauvegarde des
libertés individuelles, Bruxelles, Bruylant, 1977, p. 85 ; Ph. TRAEST, Het bewijs in strafzaken, Gand, Mys
& Breesch, 1992, p. 347 et suiv. ; C. DE VALKENEER, La tromperie dans l’administration de la preuve,
Bruxelles, Larcier, 2000, p. 82 et suiv. ; Cass., 24 mai 1948, Pas., 1948, I, p. 333 ; Cass., 24 avril 1996, Pas.,
1996, I, p. 61.

207
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS

la cour d’appel « a pu légalement décider que les aveux obtenus au moyen d’éléments
de preuves illicitement recueillis ne pouvaient être retenus » (32). En cas de licencie-
ment pour faute grave constituée d’un vol dans la caisse (33), d’un vol dans le stock (34),
ou encore d’un vol de denrées appartenant à l’employeur (35), plusieurs juridictions
ont écarté des images, produites par l’employeur comme preuve de la faute grave
justifiant le licenciement, pour le seul motif qu’elles avaient été recueillies en viola-
tion de la convention collective de travail n° 68 ou d’autres dispositions. De même,
au sujet d’un ouvrier communal licencié pour faute grave, parce que, durant une pé-
riode d’incapacité de travail, il effectuait des travaux pour son propre compte dans
son bâtiment en construction, la preuve a été écartée, car elle était constituée d’un
procès-verbal dressé par un policier communal, qui l’avait transmis au bourgmestre
en violation du secret de l’instruction (article 28quinquies C.i. cr.) (36).

L’obligation de collaboration loyale des parties sous-tendait cette jurisprudence aussi


ferme que constante (37).

En 1986, la Cour de cassation, statuant en matière pénale, a étendu l’exclusion aux


preuves obtenues par des procédés qui ne sont pas formellement interdits par la loi
mais qui sont inconciliables avec « les règles substantielles de la procédure pénale
ou avec les principes généraux du droit et plus particulièrement avec le respect des
droits de la défense » (38), faisant ainsi de la loyauté de la preuve une obligation dont la
méconnaissance entraîne la même sanction que la production d’une preuve illégale.

14. Le revers de ce principe est qu’en interdisant l’utilisation de certaines preuves, il


entrave et parfois paralyse la manifestation de la vérité. Il entre ainsi en concurrence
avec un objectif non négligeable d’une procédure judiciaire, le souci de vérité. Plus
le principe de légalité est strict, plus la possibilité d’établir les faits diminue (39). C’est
pourquoi le principe de légalité des preuves a commencé à s’effilocher à partir des
années ’90.

La section pénale de la Cour de cassation a tout d’abord admis à plusieurs reprises que
la preuve n’est pas nécessairement irrecevable lorsque l’illégalité est commise, non
par les autorités de poursuite ou le plaignant, mais par un tiers et qu’il n’existe pas de
lien entre cet acte illicite et la dénonciation des faits (40).

(32) Cass., 18 avril 1985, Pas., 1985, I, p. 1009.


(33) Cour trav. Anvers, 6 janvier 2003, Chron. D.S., 2003, p. 191 ; Trib. trav. Liège, 6 mars 2007, J.L.M.B., 2008,
p. 389.
(34) Trib. trav. Charleroi, 4 novembre 2002, Chron. D.S., 2004, p. 97.
(35) Cour trav. Bruxelles, 15 juin 2006, J.T.T., 2006, p. 392.
(36) Cour trav. Bruxelles, 16 janvier 2006, J.T.T., 2006, p. 214.
(37) A. FETTWEIS, Manuel de procédure civile, Liège, Faculté de droit, 1985, n° 476/B ; R. SCREVENS, « La
preuve pénale en droit belge », op. cit., p. 85 à 87 ; R. MOUGENOT, « Les obligations : la preuve »,
Répertoire notarial, t. IV, Larcier, 2002, p. 402 ; J. VAN COMPERNOLLE, « Quelques réflexions sur un
principe émergent : la loyauté procédurale », Justice et droit au procès, Mélanges en l’honneur de Serge
Guinchard, Paris, Dalloz, 2010, p. 417.
(38) Cass., 13 mai 1986, Pas., 1987, I, p. 1107.
(39) Comp. V. PERROCHEAU, « Les fluctuations du principe de loyauté dans la recherche des preuves »,
Petites affiches, 2002, n° 99, p. 6 et suiv.
(40) Sur cette évolution, voy. Ph. TRAEST, « De rol van de particulieren in bewijsrecht in strafzaken : naar
een relativering van de uitsluiting van onrechtmatig verkregen bewijs ? », Liber Amicorum Jean du

208
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE

Mais c’est par un arrêt du 14 octobre 2003, surnommé Antigone, que le principe de
légalité de la preuve a reçu le coup de grâce.

Le surnom Antigone vient d’une opération policière au cours de laquelle l’exploitant


d’un débit de boisson a été fouillé ; on a trouvé sur lui les clés de son véhicule, qui a
été fouillé à son tour. Dans la voiture se trouvait une arme (un pistolet chargé dont le
numéro de série a été limé). La fouille a été opérée en méconnaissance de la loi du
5 août 1992 sur la fonction de police. En dépit de cette illégalité, l’intéressé a été pour-
suivi et condamné pour port d’arme illégal.

Son pourvoi a été rejeté par la deuxième chambre de la Cour de cassation. Subissant
l’influence des droits des pays voisins (Pays-Bas, Royaume-Uni et France, notamment,
voy. infra), plus souples en ce qui concerne la légalité des preuves, la Cour a admis
que la preuve ne doit pas nécessairement être écartée des débats lorsqu’elle a été
obtenue de manière illicite : « La circonstance qu’un élément de preuve a été obtenu
illicitement a, en règle, uniquement pour conséquence, que le juge, lorsqu’il forme sa
conviction, ne peut prendre cet élément en considération ni directement ni indirec-
tement soit lorsque le respect de certaines conditions de forme est prescrit à peine
de nullité, soit lorsque l’irrégularité commise a entaché la crédibilité de la preuve, soit
lorsque l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable » (41).

Cette jurisprudence s’est affinée au fil des arrêts ultérieurs : « le juge ne peut écarter
une preuve obtenue illicitement que dans les seuls cas suivants : lorsque le respect de
certaines conditions de forme est prescrit à peine de nullité ; soit lorsque l’irrégularité
commise a entaché la crédibilité de la preuve ; soit lorsque l’usage de la preuve est
contraire au droit à un procès équitable » (42). Il n’en va pas différemment lorsque les
illégalités consistent dans la méconnaissance de droits protégés par la Convention
européenne des droits de l’homme et par la Constitution (43). La Cour a décidé, par
exemple, que n’est pas légalement justifiée la décision d’écarter une preuve qui est la
conséquence d’une perquisition illicite dans un hangar au seul motif que le bailleur ne
pouvait pas autoriser cette perquisition et qu’un serrurier avait été requis afin de pou-
voir accéder au hangar (44). En revanche, l’écartement de cette même preuve au motif
que l’erreur des policiers est inexcusable est légalement justifié (45). L’omission d’infor-
mation du personnel en cas de vidéosurveillance « n’étant pas sanctionnée de nullité
par la loi, c’est au juge qu’il appartient d’apprécier les conséquences, sur la recevabilité
des moyens de preuve produits aux débats, de l’irrégularité ayant entaché leur obten-
tion. Lorsque l’irrégularité commise ne compromet pas le droit à un procès équitable,
n’entache pas la fiabilité de la preuve et ne méconnaît pas une formalité prescrite
à peine de nullité, le juge peut, pour décider qu’il y a lieu d’admettre des éléments
irrégulièrement produits, prendre en considération, notamment, la circonstance que

Jardin, Kluwer, 2001, p. 61 et suiv. ; F. KUTY, « La règle de l’exclusion de la preuve illégale ou irrégulière :
de la précision au bouleversement », R.C.J.B., 2004, p. 419 et suiv. ; R. VERSTRAETEN, Handboek
strafvordering, 4ème éd., Anvers, Maklu, 2005, p. 864 et suiv.
(41) R.C.J.B., 2004, p. 405 et note F. KUTY ; T. Strafr., 2004, p. 127 et note Ph. TRAEST.
(42) Cass., 23 mars 2004, Rev. dr. pén., 2005, p. 661.
(43) Cass., 16 novembre 2004, Pas., 2004, p. 1795 et les conclusions du ministère public (1er arrêt), et
p. 1802 (2ème arrêt).
(44) Cass., 4 décembre 2007, R.W., 2008-2009, p. 110 et note B. DE SMET.
(45) Cass., 23 septembre 2008, T. Strafr., 2009, p. 151 et note F. SCHUERMANS.

209
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS

l’illicéité commise est sans commune mesure avec la gravité de l’infraction dont l’acte
irrégulier a permis la constatation, ou que cette irrégularité est sans incidence sur le
droit ou la liberté protégés par la norme transgressée » (46).

15. Saisie de la question de savoir si une discrimination résultait de la loi ainsi inter-
prétée, la Cour constitutionnelle a fermement rappelé, le 22 décembre 2010, que l’ar-
ticle 22 de la Constitution « n’exige pas en soi qu’une preuve obtenue en méconnais-
sance du droit (au respect de la vie privée) qu’il garantit doive être considérée comme
nulle en toutes circonstances » et que « ni les articles 12 et 22 de la Constitution, ni
les articles 6.1 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme n’exigent la
‘nullité automatique’ d’éléments de preuve obtenus illicitement » (47).

16. C’est ensuite la troisième chambre de la Cour qui a été amenée à se prononcer
sur l’admissibilité des moyens de preuve illicites. L’arrêt du 10 mars 2008 (48) concerne
l’hypothèse suivante.

Un chômeur est interrogé par la police et déclare apporter régulièrement une aide
à son frère qui tient un commerce. Le procès-verbal contenant ses déclarations est
communiqué à L’ONEM, sans l’autorisation du procureur général, ce qui constitue une
violation de l’article 125 du tarif criminel.

Ainsi informé, L’ONEM entame ensuite une enquête, au cours de laquelle le chômeur
est entendu par son service d’inspection. Après quoi, L’ONEM, estimant que le chô-
meur a effectué des prestations de travail durant la période de chômage, prend une
décision défavorable au chômeur, vraisemblablement d’exclusion du bénéfice des
allocations et de récupération des allocations indûment versées.

À la suite du recours exercé par le chômeur à l’encontre de la décision administrative,


le tribunal et la cour du travail annulent celle-ci au motif qu’elle repose uniquement
sur une preuve (l’audition par L’ONEM) découlant d’un élément de preuve recueilli
de manière illégale (le procès-verbal). Pour la cour du travail, « la circonstance qu’un
élément de preuve a été illicitement recueilli a pour conséquence que le juge ne peut
se fonder, directement ou indirectement, sur cet élément de preuve pour asseoir sa
conviction ».

Sur le pourvoi formé par L’ONEM, la Cour de cassation est amenée à trancher la ques-
tion de savoir si une preuve obtenue de façon illégale, ou découlant d’un élément
de preuve recueilli de manière illégale, est aussi digne de foi et convaincante qu’un

(46) Cass., 2 mars 2005, Pas., 2005, p. 505 et conclusions du ministère public. Voy. M.-A. BEERNAERT, « La
fin du régime d’exclusion systématique des preuves illicitement recueillies par les organes chargés de
l’enquête et des poursuites », J.L.M.B., 2005, p. 1094 et suiv. Voy. aussi, notamment Cass., 12 octobre
2005, Pas., 2005, p. 1904 ; Cass., 8 novembre 2005, Pas., 2005, p. 2181 et R.A.B.G. 2006, p. 930, et note
S. BERNEMAN ; Cass., 31 octobre 2006, Pas., 2006, p. 2239 ; T. Strafr., 2007, p. 53, et note F. SCHUER-
MANS ; Cass., 21 novembre 2006, Pas., 2006, p. 2437 ; Cass., 22 novembre 2006, Pas., 2006, p. 2454 ;
Cass., 26 novembre 2008, J.T., 2008, p. 741, avec les conclusions du ministère public ; Cass., 2 septem-
bre 2009, Rev. dr. pén., 2010, p. 677 ; Cass., 5 juin 2012, Pas., 2012, p. 1300.
(47) C.C., 22 décembre 2010, n° 158/2010.
(48) Pas., 2008, p. 652, n° 166 ; R.C.J.B., 2009, p. 325 et note.

210
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE

élément récolté de manière licite, ou si, au contraire, cette preuve doit être rejetée des
débats et ne peut servir de soutènement à une décision.

Par l’arrêt du 10 mars 2008, qui paraît bien être un arrêt de principe (49), la Cour de
cassation accueille le pourvoi de L’ONEM et formule la même règle que dans ses arrêts
rendus en matière pénale.

17. Cet arrêt est, sauf erreur, le seul prononcé à ce jour par une chambre non pénale.
Quelques auteurs estiment qu’il est circonscrit à la matière de la sécurité sociale (50).
La question est discutée. Les prochains arrêts de la Cour permettront sans doute de
répondre à la question avec certitude. Toutefois, à la lecture de l’arrêt du 10 mars 2008,
on n’aperçoit pas pourquoi il aurait une portée réduite à la seule matière de la sécurité
sociale. Rien dans l’arrêt de la Cour ne permet de l’affirmer ni même de le supposer. Au
contraire, alors que le pourvoi s’appuyait sur un rapprochement entre le droit pénal
d’ordre public et la mission d’ordre public de L’ONEM, la Cour ne reprend pas cette
motivation à son compte. En reproduisant littéralement les motifs de ses précédents
arrêts dont elle fait la synthèse, la Cour affiche plutôt une volonté d’uniformité dans
sa jurisprudence, quelle que soit la matière concernée. Cette lecture est partagée par
de nombreux auteurs (51).

À ce sujet, V. Perrocheau a démontré que le fait qu’une matière ressortisse à l’ordre


public, comme le droit de la sécurité sociale et le droit pénal, ne permet pas de justifier
des solutions différentes de celles qui sont adoptées lorsque seuls des intérêts privés
sont en jeu, comme en droit du travail (52).

Un autre élément pousse à penser que la Cour n’a pas entendu limiter la portée de son
arrêt au droit de la sécurité sociale. Les verbos retenus par la Pasicrisie sont : « Preuve -
Matière civile - Généralités » (53).

(49) Dans le même sens, J. VAN COMPERNOLLE, « L’incidence de la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme sur l’administration de la preuve dans le procès civil », La preuve et la difficile
quête de la vérité judiciaire, CUP, vol. 126, Liège, Anthémis, 2011, p. 17.
(50) D. MOUGENOT, « Détective privé et vie privée : un couple difficile à accorder », J.T., 2010, p. 298
(l’auteur a néanmoins modifié son analyse par la suite : D. MOUGENOT, « Antigone: suite mais pas
fin ... », J.T., 2013, p. 267 et suiv.). C. trav. Bruxelles, 5 novembre 2009, refuse d’appliquer à la matière
civile l’arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 2008 au motif qu’il est « rendu en matière pénale
» (J.T.T., 2010, p. 139). Voy. aussi les réticences de H. BUYSSENS, « Ontslag om dringende reden »,
M.  RIGAUX et W. RAUWS (Ed.), Actuele problemen van het arbeidsrecht, t. 8, Antwerpen, Intersentia,
2010, p. 222 à 227.
(51) Dans le même sens, R. DE BAERDEMAEKER, « Admissibilité d’une preuve illicitement recueillie :
quand la fin justifie les moyens … », J.L.M.B., 2009, p. 585 ; O. MORENO et S. VAN KOEKENBEEK, « Les
enjeux de la vie privée au travail et sa dynamique dans l’entreprise », Actualités du droit à la vie privée,
Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 65 ; K. WAGNER, « Actualia in burgerlijk bewijsrecht », R.D.J.P., 2009, p. 168
et 169 ; B. ALLEMEERSCH, « Stand van zaken en recente ontwikkelingen op het vlak van het bewijs in
rechte », P. VAN ORSHOVEN (ed.), Gerechtelijk recht, coll. Themis, n° 59, Bruges, die Keure, 2010, p. 52,
n° 28 ; J. VAN COMPERNOLLE, op. cit., La preuve et la difficile quête de la vérité judiciaire, p. 17.
(52) V. PERROCHEAU, op. cit., Petites affiches, 2002, n° 99, p. 6 et suiv.
(53) Sur le site web de la Cour, la décision était, à la mi-novembre 2010, classée sous les mots-clés sui-
vants : Droit civil, preuve des obligations.

211
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS

18. L’arrêt du 10 mars 2008 est prononcé par la section flamande de la troisième
chambre ; selon certains auteurs, la chambre francophone se serait prononcée, par
un arrêt du 10 novembre 2008, en sens contraire (54). Cette interprétation curieuse est
critiquable.

L’arrêt du 10 novembre 2008 (55) concerne un travailleur licencié qui, pour démontrer
le caractère irrégulier de son licenciement, produisait la copie d’une correspondance
échangée entre le liquidateur de son ex-employeur et le cessionnaire de l’entreprise,
correspondance qui n’était pas destinée au travailleur et dont il s’était, suivant la cour
du travail, emparé de manière irrégulière. La cour du travail avait écarté les pièces au
motif que le travailleur n’établissait pas qu’il en avait eu possession de manière régu-
lière et en faisait un usage abusif.

Le travailleur introduisit un pourvoi en cassation à l’appui duquel il invoquait, pour le


sujet qui nous concerne, deux arguments : d’une part, il estimait que la cour du travail
lui faisait injustement supporter la charge de la preuve de la régularité de la détention
de la preuve ; d’autre part, il estimait que la cour ne motivait pas correctement sa déci-
sion parce qu’elle n’indiquait pas les éléments de fait lui permettant de considérer que
le travailleur s’était approprié délictueusement les pièces litigieuses, empêchant par
là la Cour de cassation d’opérer son contrôle de légalité de la décision. En revanche, le
travailleur n’invoquait pas un assouplissement du principe de légalité de la preuve. Au
contraire, à deux reprises au moins dans son pourvoi, il énonçait qu’« il est exact qu’un
élément de preuve, quel qu’il soit, ne peut être produit que dans la mesure où il se
trouve de manière régulière en la possession de la partie qui l’invoque (…). Les cour-
riers qui sont, soit couverts par un secret professionnel sanctionné par l’article 458 du
Code pénal, soit, par nature ou de la volonté expresse de leurs auteurs, confidentiels,
ne peuvent, en règle, être produits en justice ». La Cour n’a donc pas eu à répondre à
la question de l’abandon ou du maintien du principe de légalité de la preuve. Quant
au premier argument, la Cour de cassation a déclaré que la charge de la preuve de la
détention régulière pèse sur la partie qui produit la pièce en justice. Quant au second
argument, la Cour a estimé que le juge n’était pas obligé de constater un vol d’usage
ou de se fonder sur le secret des lettres ou sur leur caractère confidentiel pour motiver
régulièrement et justifier légalement sa décision d’écarter les missives litigieuses des
débats.

Eu égard à la manière dont le pourvoi était formulé, il ne nous paraît pas possible
de tirer comme enseignement de cet arrêt le maintien du principe de légalité de la
preuve dans la matière civile par une partie de la Cour (56).

(54) K. CRAUWELS, « Onrechtmatig bewijs … of wat ervan overblijft ? De invloed van de Antigoonrecht-
spraak op het onrechtmatig verkregen bewijs in burgerlijke zaken », Recente ontwikkelingen in het
arbeids-, economisch, straf- en familierecht, Huldeboek voor Mr. Jos Van Goethem, Anvers, Intersentia,
2009, p. 180 et 181 ; K. VAN KILDONCK, « Onrechtmatig verkregen bewijs op het werk », NJW, 2010,
p. 182, n° 10 ; D. MOUGENOT, « Antigone face aux juges civils. L’appréciation des preuves recueillies
de manière illicite ou déloyale dans les procédures civiles », DAOR, 2011, p. 246, n° 12.
(55) J.L.M.B., 2009, p. 347 et J.T.T., 2009, p. 18.
(56) Dans le même sens, B. ALLEMEERSCH et S. REYLANDT, « Licéité de la preuve en matière civile : un
clone pour ‘Antigoon’ », J.T., 2012, p. 174, n° 30.

212
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE

19. Sans doute faudra-t-il attendre que la Cour se prononce à nouveau en matière
civile pour apaiser le débat. Néanmoins, les juges du fond tranchant un litige de droit
civil ou du travail sont de plus en plus nombreux à faire application de la jurispru-
dence Antigone, notamment aux preuves collectées en violation d’une disposition
destinée à protéger la vie privée.

Ainsi la cour d’appel de Gand a-t-elle admis qu’une personne à qui était réclamé le
paiement d’une dette constatée dans un acte notarié prouve le remboursement de
celle-ci par la voie de l’enregistrement d’une communication téléphonique effectué
à l’insu du prétendu créancier, au cours de laquelle celui-ci avait reconnu avoir reçu le
paiement (57).

On admet désormais les images procurées par une vidéosurveillance non dénoncée
à la Commission de la vie privée (58) ou non précédée d’une information du person-
nel (59), les courriels produits par un employeur qui, ayant eu vent de ce que son salarié
lui faisait concurrence, a fouillé l’ordinateur d’un collègue de celui-ci, découvert une
série d’e-mails adressés par le travailleur fautif à son collègue et procédé à la rupture
pour motif grave du contrat de travail (60), ou encore les courriels obtenus grâce à une
surveillance de la boîte de courrier électronique appliquée sans avoir observé l’obli-
gation d’information préalable du personnel faite par la convention collective de tra-
vail n° 81, obligation dont la cour du travail de Liège constate au passage qu’elle ren-
drait la surveillance inutile ou illusoire (61). Il en est de même au sujet du contrôle par
l’employeur de l’utilisation de l’internet (62), notamment lorsqu’il s’agit d’établir que le
travailleur avait consulté durant ses heures de travail des sites pédopornographiques
à diverses reprises : « La pédopornographie et les sites qui en sont le support est indis-
sociable du phénomène de la prostitution et de l’exploitation sexuelle des enfants et
adolescents (…). La circonstance qu’en l’espèce la preuve serait illicite (…) est sans
commune mesure avec la gravité de l’acte reproché » (63).

§ 2. LES CRITÈRES RETENUS PAR LA JURISPRUDENCE BELGE

A. Le double système et sa constitutionnalité

20. Trois critères permettent l’écartement de la preuve irrégulièrement obtenue. Le


pouvoir du juge n’est pas identique dans tous les cas. L’élément de preuve obtenu en
violation d’une règle prescrite à peine de nullité fait l’objet d’un rejet sans que le juge
ait à s’interroger sur l’opportunité d’écarter ou non cet élément. Dans les deux autres
cas, il dispose d’un pouvoir d’appréciation.

(57) Gand, 16 février 2010, T.G.R., 2010, p. 258. Voy. déjà Gand, 6 septembre 2006, D.A.O.R., 2007, p. 326.
(58) C. trav. Liège, 8 mars 2011, Chron. D.S., 2011, p. 404.
(59) C. trav. Mons, 12 septembre 2011, R.G. 2010/AM/333.
(60) Trib. trav. Gand., 1er septembre 2008, T.G.R., 2009, p. 275 ; C. trav. Mons, 8 décembre 2010, Chron. D.S.,
2011, p. 399; C. trav. Gand, 28 juin 2010, J.T.T., 2011, p. 366.
(61) C. trav. Liège, 20 septembre 2010, J.L.M.B., 2010, p. 1899.
(62) C. trav. Anvers, 2 septembre 2008, D.A.O.R., 2010, p. 336 et suiv. et note A. VAN BEVER.
(63) Trib. trav. Mons, 25 janvier 2010, R.G. 07/17904.

213
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS

Ce pouvoir d’appréciation a été critiqué et soumis pour examen à la Cour constitu-


tionnelle dans les circonstances suivantes.

Des policiers procèdent au contrôle d’identité et à la fouille de la voiture d’un homme


connu pour des faits de proxénétisme, de traite des êtres humains et d’exploitation de
travailleurs étrangers. Dans le véhicule se trouvent en outre une personne étrangère
en séjour illégal ainsi qu’une liste avec des noms de femmes et des numéros de télé-
phone. L’intéressé est poursuivi pour trafic d’êtres humains et proxénétisme. Devant
le tribunal correctionnel, il conteste la validité du contrôle d’identité et de la fouille
du véhicule, contraires selon lui à la loi sur la fonction de police et attentatoires à ses
droits fondamentaux : sa liberté individuelle, sa vie privée et son droit au procès équi-
table (art. 12 et 22 de la Constitution et art. 6.1 et 8 de la Convention européenne des
droits de l’homme). Le tribunal constate que les irrégularités dont se plaint le prévenu
ne sont pas sanctionnées par la nullité de sorte que les preuves ne pourraient être
écartées que si l’illégalité compromet la fiabilité de la preuve ou le droit au procès
équitable. Il interroge la Cour constitutionnelle à titre préjudiciel, d’une part, quant
à l’éventuelle violation des droits à la liberté individuelle et à la vie privée résultant
de l’absence de sanction de nullité et, d’autre part, quant à la discrimination pouvant
résulter de l’absence de nullité alors que d’autres dispositions de la loi sur la fonction
de police voient leur respect sanctionné par la nullité.

La première question met en jeu le pouvoir d’appréciation du juge quant à l’admissi-


bilité de la preuve, lorsque l’illégalité ou l’irrégularité ne consiste pas dans la violation
d’une règle prescrite à peine de nullité. La Cour constitutionnelle estime que ce pou-
voir d’appréciation n’entraîne pas de violation des articles 12 et 22 de la Constitution.
Ni l’un ni l’autre n’exige en soi qu’une preuve obtenue en méconnaissance des droits
qu’ils garantissent puisse être considérée comme nulle en toutes circonstances. « Le
fait qu’il appartienne au juge d’apprécier si, compte tenu de l’ensemble des circons-
tances propres à la cause, l’utilisation d’une preuve illicitement obtenue affecte le
droit à un procès équitable ou la fiabilité de la preuve ne conduit pas à une situation
incompatible avec l’article 12, alinéa 2 de la Constitution » (64).

Quant à la seconde question, la Cour constate que le simple fait que la nullité ne soit
pas automatique n’implique pas une limitation disproportionnée des droits allégués :
« ni les articles 12 et 22 de la Constitution ni les articles 6.1 et 8 de la Convention euro-
péenne des droits de l’homme n’exigent la ‘nullité automatique’ d’éléments de preuve
obtenus illicitement ».

B. L’étendue du pouvoir d’appréciation du juge

21. L’appréciation de la fiabilité de la preuve et du caractère équitable de la procé-


dure est effectuée de manière souveraine par le juge du fond (65) ; la Cour de cassation
n’exerce ici qu’un contrôle marginal (66).

(64) C.C., 22 décembre 2010, n° 158/2010, B.9.


(65) Cass., 22 novembre 2006, Pas., 2006, p. 2454.
(66) R. VERSTRAETEN, Handboek strafvordering, op. cit., p. 871, n° 1824.

214
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE

La Cour énonce un certain nombre de circonstances dont le juge peut tenir compte
dans son appréciation du respect du droit au procès équitable (67) : le caractère pure-
ment formel de l’irrégularité, ou encore l’absence d’incidence du manquement dé-
noncé sur le droit ou la liberté protégés par la norme transgressée ; la circonstance
que l’illégalité prêtée aux enquêteurs ou aux autorités d’instruction ou de poursuite,
ou encore au dénonciateur, n’est pas intentionnelle ; la disproportion entre l’infraction
et l’irrégularité ayant précédé ou ayant accompagné sa constatation ; la circonstance
que la preuve illicite porte uniquement sur l’élément matériel de l’infraction.

L’adverbe « notamment » indique que la Cour ne limite pas ces circonstances et que
l’énonciation est purement exemplative ; elle se borne à illustrer l’hypothèse de la vio-
lation du droit au procès équitable. Toutefois, l’étendue des précisions ou suggestions
données par la Cour au juge du fond est qualifiée par certains de « comportement
de belle-mère » et jugée déplacée (68) tandis que d’autres espèrent que la Cour ne se
montrera pas trop réticente dans l’exercice de ce contrôle, en vue d’assurer une uni-
formité dans l’approche de la question (69).

C. Le vice lié aux causes de nullité

22. Les causes de nullité sont peu répandues dans le Code d’instruction criminelle.
On en trouve essentiellement pour sanctionner les formalités prévues en matière de
témoignage anonyme (art. 86bis, § 4, et 86ter, al. 1er, C.i. cr.), d’écoutes téléphoniques
(article 90quater, § 1er, al. 2, C.i. cr.) et des prestations de serment des témoins (ar-
ticles 155 et 295 C.i. cr.).

Dans certains cas, les nullités peuvent être couvertes (art. 291 et 407, al. 3, C.i. cr.).

Certaines règles de procédures pénales propres aux infractions au Code pénal social
sont également sanctionnées de nullité. L’article 2, § 5 de la loi du 2 juin 2010 com-
prenant des dispositions de droit pénal social (70) (appelé à être intégré dans le Code
pénal social (71)) proclame la nullité des mesures de contrainte (recherche de docu-
ments, prélèvements d’échantillons, accès aux données informatiques, appositions de
scellés, etc.) prescrites par les inspecteurs sociaux lorsqu’elles sont exécutées en viola-
tion des articles 28, § 3, 31, 37 et 43 à 49/1 du Code pénal social. Un litige en matière
de sécurité sociale s’appuie fréquemment sur un constat d’un inspecteur social ; si
celui-ci fait état d’éléments recueillis en violation d’une disposition prescrite à peine
de nullité, ces éléments doivent être écartés.

(67) Ces circonstances ne doivent être examinées, à notre avis, que pour l’appréciation du troisième
critère, à savoir le respect du droit au procès équitable, et pas pour celle du deuxième, lié à la
fiabilité de la preuve. Dans le même sens, C.C., 22 décembre 2010, n° 158/2010. B. ALLEMEERSCH
et S.  REYELANDT (op. cit., J.T., 2012, p. 171, n° 20) sont d’avis que ces circonstances doivent aussi
être prises en considération lors de l’appréciation de la fiabilité de la preuve, tout en critiquant la
pertinence de ces circonstances pour l’appréciation de la fiabilité de la preuve.
(68) F. VERBRUGGEN, « Vindt het Spook van Antigoon rust ? Franstalig ‘schoonmoedersarrest’ als slotluik
van de nieuwe cassatierechtspraak over de uitsluiting van onrechtmatig bewijs ? », T. Strafr., 2006,
p. 28, n° 14.
(69) R. VERSTRAETEN, Handboek strafvordering, op. cit., p. 871, n° 1824.
(70) M.B., 1er juillet 2010.
(71) L’article 5 de la loi habilite le Roi à les insérer dans le Code pénal social.

215
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS

La question de la nullité en procédure pénale est un vieux débat. Il existe des nulli-
tés qui ne sont pas prévues par la loi mais découlent du fait que la formalité omise
est qualifiée par la jurisprudence de forme substantielle (par exemple, la prestation
de serment des experts). Depuis l’arrêt Antigone, la question se pose de savoir si la
preuve obtenue à la suite de la violation d’une formalité substantielle entraîne encore
l’obligation d’écarter la preuve irrégulière. À cette question, très controversée (72), la
Cour de cassation a récemment apporté une réponse par deux arrêts, des 26 janvier
2011 et 24 avril 2013. La violation d’une forme substantielle, si celle-ci n’est pas une
règle touchant à l’organisation des cours et tribunaux, n’entraîne pas de sanction au-
tomatique ; cette sanction s’apprécie en fonction du contexte de la violation, de son
objet et de son incidence sur le droit au procès équitable (73). En revanche, si la forme
substantielle violée touche à l’organisation des cours et tribunaux au point de vue
de la répartition de leurs attributions respectives, l’irrégularité doit être sanctionnée
même lorsque la loi ne prescrit pas expressément la nullité ; comme le préconisait
déjà J. de Codt (74), ce type de problème ne se résout pas par l’application du test
Antigone (75).

23. Les causes de nullité sont rares en procédure civile également. On peut citer, par
exemple, la violation, par un expert, des règles relatives à l’emploi des langues en ma-
tière judiciaire, qui rend nulle de nullité absolue le rapport d’expertise (76). Le défaut
de serment de l’expert est aussi une cause de nullité (art. 978 C. jud.). L’enquête est,
quant à elle, sujette à nullité pour l’un des motifs énoncés par l’article 961 du Code
judiciaire à savoir l’incapacité juridique du déposant, l’absence de serment, la viola-
tion des droits de la défense, ou la violation des règles de rédaction du procès-verbal.
Ces nullités peuvent toutefois être couvertes (art. 864 du C. jud.) et ne peuvent être
prononcées s’il est établi que l’acte a atteint son but ou que la formalité non mention-
née a quand même été accomplie (art. 867).

D. Le vice entachant la fiabilité de la preuve

24. La fiabilité de la preuve se présente davantage comme liée à la valeur probante


de l’élément de preuve qu’à son admissibilité (77).

Cela étant, la fiabilité n’est généralement pas en cause lorsque l’illégalité ne crée pas
la preuve mais permet son administration. De nombreuses preuves ne risquent pas

(72) H.D. BOSLY, D. VANDERMEERSCH et M.A. BEERNAERT, Droit de la procédure pénale, op. cit., p. 1012 et
nombreuses références citées.
(73) Cass., 26 janvier 2011, Rev. dr. pén., 2012, p. 82 et note D. DILLENBOURG.
(74) J. DE CODT, « Preuve pénale et nullités », Rev. dr. pén., 2009, p. 642.
(75) Cass., 24 avril 2013, P.12.1919. F. En l’occurrence, une visite de chambres d’hôtel, suites et apparte-
ments avait été effectuée par des inspecteurs sociaux autorisés par le juge de police en application
de la loi du 16 novembre 1972 concernant l’inspection du travail, qui était en vigueur à l’époque ; mais
il s’agissait de constater des infractions de droit commun et pas uniquement des infractions de droit
pénal social, de sorte que seul le juge d’instruction était habilité à délivrer un mandat de perquisition.
La chambre des mises en accusation avait refusé de censurer la visite domiciliaire.
(76) Civ. Nivelles, 6 janvier 1998, J.L.M.B., 2000, p. 164.
(77) Ph. TRAEST, « Onrechtmatig verkregen doch bruikbaar bewijs : het Hof van Cassatie zet de bakens
uit », T. Strafr., 2004, p. 137; H.D. BOSLY, D. VANDERMEERSCH et M.A. BEERNAERT, Droit de la procédure
pénale, op. cit., p. 1012.

216
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE

d’être altérées par le seul procédé selon lequel on se les procure (documents, photo-
graphies, données de télécommunication, etc.) (78). On ne peut pas toujours en dire
autant de l’enregistrement d’une conversation téléphonique à l’insu de celui à qui on
l’oppose : le fichier peut être manipulé, notamment par la coupure de certains pas-
sages (79), à moins que cet enregistrement ait été effectué en présence d’un huissier (80).

S’agissant du contrôle de la consommation d’internet, le tribunal du travail d’Aude-


naerde a estimé que les données réunies n’offraient aucune garantie de fiabilité parce
qu’elles avaient été récoltées à l’insu du travailleur, ou à tout le moins en l’absence
d’un huissier ou d’une autre tierce personne neutre ; en l’espèce, les données avaient
été collectées par la société d’informatique dont l’employeur était client, élément qui
a paru insuffisant aux yeux du tribunal en l’absence d’autre garant (81).

25. Le critère permettra d’écarter les preuves résultant de certains procédés douteux,
tels que des aveux obtenus sous la contrainte physique (torture) (82) ou morale (at-
teinte au droit au silence) (83).

26. La provocation porte également atteinte à la fiabilité d’une preuve. En matière


pénale, la provocation policière (84) rend le procès inéquitable ab initio suivant la juris-
prudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle est condamnée en raison
de la pression qu’elle exerce sur l’auteur de l’infraction (85). Le droit belge, qui la définit
par référence au fait qu’elle fait naître ou renforce une intention délictueuse, a d’ail-
leurs prévu, dans une telle hypothèse, que les poursuites sont irrecevables (art. 30 du
Titre préliminaire du Code de procédure pénale).

En matière civile, elle peut déboucher sur l’exclusion de la preuve qu’elle procure. Elle
est cependant difficile à identifier et ne se distingue pas toujours facilement de procé-
dés voisins admis par la jurisprudence. Est tenue pour non fiable la preuve d’une faute
commise par un salarié à la suite d’un acte de provocation de son employeur, qui,
alors qu’il avait interdit de sortir des documents du bureau, fait remettre ces mêmes

(78) C. DE VALKENEER, op. cit., Rev. dr. pén., 2005, p. 691 et 692 ; dans le même sens, au sujet des traces
laissées par le travailleur dans le système informatique de l’employeur, T. LÉONARD et K. ROSIER, « La
jurisprudence Antigoon face à la protection des données : salvatrice ou dangereuse », Revue du droit
des technologies du droit de l’information, 2009, p. 9.
(79) Au sujet de la fiabilité d’un enregistrement d’une conversation sur un Blackberry, C. trav. Bruxelles,
5 novembre 2009, J.T.T., 2010, p. 139.
(80) Gand, 16 février 2010, T.G.R., 2010, p. 258.
(81) Trib. trav. Audenaerde, 3 février 2009, Chron. D.S., 2010, p. 396.
(82) Cass., 23 mars 2004, Rev. dr. pén., 2005, p. 661.
(83) Sur le droit au silence, voy. F. KÉFER, Précis de droit pénal social, Louvain-la-Neuve, Anthémis, 2008,
p. 293 et suiv. et références citées.
(84) Il y a provocation policière lorsque les agents impliqués – membres des forces de l’ordre ou personnes
intervenant à leur demande – ne se limitent pas à examiner d’une manière purement passive l’activité
délictueuse (ce qui est le cas de l’infiltration), mais exercent sur la personne qui en fait l’objet une
influence de nature à l’inciter à commettre une infraction qu’autrement elle n’aurait pas commise,
pour en rendre possible la constatation, c’est-à-dire en apporter la preuve et la poursuivre (Cour eur.
D.H., 9 juin 1998, Teixeira de Castro c. Portugal).
(85) Cour eur. D.H., 5 février 2008, Ramanauskas c. Lituanie. Voy. C. DE VALKENEER, « La provocation
policière à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme - Commentaire
de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme et de quelques décisions récentes », Rev. trim.
dr.h., 2009, p. 211 et suiv.

217
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS

documents au travailleur en dehors du lieu de travail par le chef de l’informatique de


la société et fait constater ces faits par huissier (86). La cour d’appel de Mons a rejeté
le rapport d’un détective qui, mandaté par l’Institut professionnel des agents immo-
biliers pour établir qu’une personne exerçait de manière illégale l’activité d’agent
immobilier, s’était fait passer pour candidat à l’achat d’un immeuble afin de confondre
l’intéressé : le fait d’avoir créé la situation qu’il avait pour mission de constater est, aux
yeux de la cour, une provocation, qui réduit à néant la valeur probante des consta-
tations (87). Par contre, la cour du travail d’Anvers a admis la preuve fournie dans les
circonstances suivantes. Pour établir qu’un salarié a manqué de loyauté envers son
employeur en renvoyant les clients potentiels vers un exploitant indépendant concur-
rent, son employeur avait fait appel à un détective privé agréé, qui s’était fait passer
pour un client potentiel et avait constaté les faits qui ont ensuite été invoqués comme
motif grave de licenciement. Selon la cour, la ruse du détective privé ne peut être
assimilée à de la provocation (88).

Que penser du constat d’un huissier qui, pour opérer ses constatations, travestit son
identité, se faisant passer pour un client potentiel ? La jurisprudence est tout aussi
divisée à ce sujet. Le stratagème ôte certainement aux constatations le surcroît de
crédibilité découlant, en d’autres circonstances, de la qualité de leur auteur et affaiblit
donc à tout le moins leur valeur probante. Certains juges admettent le constat au
motif que si l’huissier avait dévoilé son identité, il n’aurait pu effectuer le constat, à
condition cependant qu’il n’ait pas suscité les faits qu’il souhaitait constater (89) ; s’il ne
s’est pas borné à faire des constatations matérielles mais a eu recours à un stratagème
pour confondre le travailleur, son constat doit être écarté (90). D’autres écartent pure-
ment et simplement le procès-verbal de constat (91).

Il faut également distinguer de la provocation la preuve par test de situation. Exa-


minée à diverses reprises par la jurisprudence française (voy. infra, n° 38), le procédé
– scénario destiné à constater les discriminations – ne se distingue de la provocation
que de manière très ténue. Selon la méthodologie employée et le comportement
des testeurs, elle sera ou non qualifiée de provocation. Ses défenseurs la tiennent à
l’abri de la critique si elle ne suscite pas, n’encourage pas l’infraction mais se limite à la
constater après avoir installé les conditions pour qu’elle puisse se réaliser (92). L’article
19, § 3 de la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination et modifiant
la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre
le racisme admettait de façon explicite la preuve d’un certain nombre de discrimina-
tions par le test de situation, dont les modalités devaient être arrêtées par le Roi. Les
trois lois du 10 mai 2007 relatives à la discrimination sont muettes sur cette faculté. Il

(86) Cass. soc., 16 janvier 1991, Bull. civ., V, n° 15.


(87) Mons, 2 mars 2010, J.T., 2010, p. 296 et note D. MOUGENOT.
(88) C. trav. Anvers, 17 novembre 2003, Chron. D.S., 2004, p. 91.
(89) Civ. Louvain, 17 juin 1999, J.L.M.B., 2000, p. 129 (sommaire).
(90) Cass. fr., 18 mars 2008, n° 06-040.852.
(91) Trib. trav. Hasselt, 20 avril 2009, L.R.L., 2009, p. 310.
(92) S. VAN DROOGHENBROECK, « La loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination : les
défis d’une horizontalisation des droits de l’homme », A.P.T., 2003, série T, p. 250, n° 132 ; I. RORIVE et
V. VAN DER PLANCKE, « Quels dispositifs pour prouver la discrimination ? », Les nouvelles lois luttant
contre la discrimination, Bruges, La Charte, 2008, p. 440 à 442.

218
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE

ressort des travaux préparatoires que la preuve par le test de situation est désormais
librement admise et ne fait plus l’objet d’aucun encadrement (93).
La distinction entre la provocation – qui corrompt la preuve – et les procédés voisins
qui ne la vicient pas semble donc résider dans le fait que l’auteur de la provocation a
encouragé le fait qu’il s’agit de constater et ne s’est pas borné à en constater la réali-
sation.

E. La compromission du droit au procès équitable

27. C’est principalement ce vice qui est de nature à faire écarter une preuve. Place est
donc faite à la casuistique.

Le droit au procès équitable évoque une exigence de loyauté, notamment lors de la


collecte des preuves (94). Cette obligation de loyauté a cependant des limites. Elle ne
va pas jusqu’à interdire l’utilisation d’une preuve recueillie grâce à la violation d’une
loi ou d’un droit garanti par la convention européenne des droits de l’homme. Comme
on l’a vu, la seule violation de la loi ou la méconnaissance de droits fondamentaux ga-
rantis par la Constitution ou par des conventions internationales ne suffisent pas pour
que le droit au procès équitable soit considéré comme violé. Telle est l’opinion tant de
la Cour de cassation que de la Cour européenne des droits de l’homme. Les perquisi-
tions exercées au mépris du droit à l’inviolabilité du domicile ou les images captées
par un système de vidéosurveillance illicite ne sont pas nécessairement écartées, en
dépit des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme  (95), et
ce même si la condamnation repose uniquement sur cette seule preuve (96). En cas
d’écartement d’une preuve illicite, le droit au procès équitable n’est pas violé par le
fait que sont pris en considération des éléments de preuve qui sont la suite indirecte
de l’élément litigieux (97) ; la Cour de Strasbourg n’a pas adopté la théorie des fruits
de l’arbre empoisonné (98). Ce qui est essentiel, à ses yeux, est de savoir si les droits
de la défense ont été respectés, notamment si le requérant a, au cours du procès, pu
librement contredire les éléments de preuve (99), remettre en cause leur authenticité
et s’opposer à leur utilisation.

(93) Doc. parl., Ch., sess. ord., 2006-2007, n° 51-2722/005, p. 10 et n° 51-2720/009, p. 68 et suiv.
(94) En aucune façon, cette obligation de loyauté, qui sous-tend le droit au procès équitable, ne se réduit
ni ne s’identifie au principe de loyauté procédurale (Comp., sur la base d’une interprétation erronée
d’écrits antérieurs, B. ALLEMEERSCH et S. REYELANDT, op. cit., J.T., 2012, p. 169 et suiv., n° 15 et 16).
(95) Cass., 16 novembre 2004, Rev. dr. pén., 2005, p. 665 ; Cass., 2 mars 2005, Rev. dr. pén., 2005, p. 668 et
conclusions du ministère public ; Cass., 21 novembre 2006, Pas., 2006, p. 2437 ; Cass., 4 décembre
2007, R.W., 2008-2009, p. 110 et note B. DE SMET; Cass., 2 septembre 2009, Rev. dr. pén., 2010, p. 677.
(96) Cour eur. D.H., 12 mai 2000, Khan c. Royaume-Uni ; Cour eur. D.H., 25 septembre 2001, P.G. et J.H. c.
Royaume-Uni ; Cour. eur. D.H., 5 novembre 2002, Allan c. Royaume-Uni ; Cour eur. D.H., 1er mars
2007, Heglas c. République tchèque ; Cour eur. D.H., 10 mars 2009, Bykov c. Russie ; Voy. S. VAN
DROOGHENBOECK, La convention européenne des droits de l’homme. Trois années de jurisprudence de
la Cour européenne des droits de l’homme, Dossiers du J.T. n° 39, p. 125 et Dossiers du J.T. n° 57, p. 178.
(97) Cour eur. D.H., 1er juin 2010, Gäfgen c. Allemagne.
(98) Voy. M.A. BEERNAERT et F. KRENC, « la Cour européenne des droits de l’homme à la recherche d’une
conception pragmatique du procès équitable », Les droits de l’homme et l’efficacité de la Justice, Bruxel-
les, Larcier, 2010, p. 249, n° 63.
(99) Voy. en matière civile, Cour eur. D.H., 13 mars 1997, Mantovanelli c. France.

219
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS

Il y a toutefois quelques hypothèses où la violation de la Convention européenne des


droits de l’homme rend par elle-même le procès inéquitable. L’exclusion de la preuve
s’impose si elle a été obtenue en violation d’un droit considéré comme parmi les
plus fondamentaux de la Convention. Ainsi, l’utilisation de déclarations obtenues à
l’aide de tortures ou d’un traitement inhumain ou dégradant ainsi que l’utilisation de
preuves matérielles rassemblées à la suite directe d’actes de torture privent automa-
tiquement d’équité la procédure dans son ensemble et violent l’article 6 (100). Il en est
de même en cas de violation du droit au silence, qui se situe au cœur de l’article 6 ;
l’utilisation de déclarations obtenues en violation du droit de ne pas contribuer à sa
propre incrimination rend le procès inéquitable (101).

28. L’appréciation du juge est faite globalement ; une preuve déloyale ne rend pas
un procès déloyal. Le juge devra procéder à la pesée des intérêts en présence, à la
comparaison des fautes, pour apprécier si le droit au procès équitable a été violé. Il ne
suffit pas, néanmoins, pour échapper à la sanction d’écartement que les éléments de
preuve aient été soumis à la contradiction (102) (103).

Dans son appréciation, le juge tiendra compte des circonstances énoncées à titre
exemplatif par la Cour de cassation.

Chacun a pu constater que, dans son arrêt du 10 mars 2008 rendu dans une matière
civile, la Cour avait adopté le même phrasé que dans ses arrêts prononcés en matière
pénale. Les circonstances de l’espèce s’y prêtaient, puisqu’il s’agissait en l’occurrence
d’une procédure s’appuyant sur une infraction pénale (obtention indue d’allocations
de chômage) établie notamment par la transmission illégale d’un procès-verbal d’au-
dition par un policier. Il n’en reste pas moins vrai qu’une formulation soit plus neutre,
soit plus complète serait mieux adaptée au procès civil.

Quelles sont ces circonstances ?

1) Le caractère purement formel de l’irrégularité, ou encore l’absence d’incidence du man-


quement dénoncé sur le droit ou la liberté protégés par la norme transgressée

29. On retrouve ici l’idée sous-jacente à la théorie des nullités du Code judiciaire :
pas de nullité sans grief ; pas de nullité s’il est finalement établi que la formalité non
mentionnée a été accomplie. Et pas d’écartement de la preuve si le droit protégé par
la norme violée lors de son obtention n’est pas lui-même atteint par cette irrégularité.

(100) Cour eur. D.H., 1er juin 2010, Gäfgen c. Allemagne, n° 173.
(101) Cour. eur. D.H., 5 novembre 2002, Allan c. Royaume-Uni ; Cour eur. D.H., 1er mars 2007, Heglas c.
République tchèque ; voy. F. KÉFER, Précis de droit pénal social, op. cit., p. 293 et suiv.
(102) Sur la notion de procès équitable, voy. P. GILLIAUX, Droit(s) européen(s) à un procès équitable, Bruxelles,
Bruylant, 2012, p 563 et suiv., et, en particulier en ce qui concerne le régime des preuves, p. 622 et suiv.
(103) L’interprétation donnée par B. ALLEMEERSCH et S. REYELANDT (op. cit., J.T., 2012, p. 173, n° 27) paraît
sur ce point assez réductrice. La production, dans une procédure civile, de documents volés n’est pas
à l’abri de tout risque d’écartement dès lors qu’ils ont été soumis à la contradiction. Le juge pourrait
écarter les pièces, par exemple, en invoquant la disproportion entre les moyens employés et la faute
reprochée ; ou encore en s’appuyant sur le caractère volontaire de l’illégalité (comp. C. trav. Liège,
14 décembre 2010, R.G. 2009/AN/8.833). Ce faisant, le juge se bornerait à apprécier le droit au procès
équitable en fonction des circonstances énoncées par la Cour de cassation.

220
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE

2) La circonstance que l’illégalité prêtée aux enquêteurs ou aux autorités d’instruction ou


de poursuite, ou encore au dénonciateur, n’est pas intentionnelle

30. Cette circonstance est énoncée par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts (104)
et fait l’objet de vives critiques. Dans ses conclusions précédant l’arrêt Antigone, l’avo-
cat général M. De Swaef avait suggéré de ne pas écarter les mesures procédant d’une
erreur excusable, par opposition à la violation consciente de la loi, à la négligence
grave et à la méconnaissance des principes relatifs à un procès équitable (105). La cour
du travail de Liège a, par exemple, retenu le caractère intentionnel de l’infraction
commise pour écarter les pièces (en l’espèce, le travailleur avait cambriolé l’entreprise
et dérobé des documents appartenant à celle-ci dans l’espoir d’établir sa préten-
tion) (106). Néanmoins, par la suite, la Cour de cassation a précisé que « la circonstance
que l’autorité chargée de la recherche, de l’instruction ou de la poursuite des infrac-
tions a intentionnellement commis un acte illicite pour obtenir des preuves ne doit
pas nécessairement inciter le juge à exclure ces preuves » (107). Ensuite, elle a déclaré
que les éléments recueillis au cours d’une perquisition illégale ne doivent pas être
rejetés si les policiers n’ont pas agi intentionnellement bien qu’ils aient commis une
faute inexcusable (108).

3) La circonstance que la preuve illicite porte uniquement sur l’élément matériel de l’infrac-
tion

31. Cette circonstance signifie que la preuve ne concerne pas la culpabilité de l’auteur
de la faute mais uniquement l’infraction elle-même. Dans ses conclusions précédant
l’arrêt Antigone, l’avocat général M. De Swaef avait mis en évidence que l’irrégularité
ne peut pas créer la preuve de la culpabilité, comme des aveux obtenus sous la tor-
ture (109). On rejoint ici la condition relative à la fiabilité de la preuve.

4) La disproportion entre l’infraction et l’irrégularité ayant précédé ou ayant accompagné


sa constatation

32. L’une des circonstances que le juge devra prendre en compte est, suivant la
Cour de cassation, la gravité respective des fautes reprochées ; d’un côté, le trafic de
drogue, l’assassinat d’un enfant, l’exercice illégal de l’activité d’agent immobilier, la
fausse déclaration d’un chômeur, la perception indue d’allocations sociales, la concur-
rence déloyale, le vol, le harcèlement moral ou sexuel, la consultation de sites pé-
dopornographiques, par exemple, et de l’autre, l’irrégularité ayant précédé ou ayant
accompagné la constatation de cette faute (violation de domicile, violation du secret
médical, atteinte au secret des lettres, etc.); si la seconde « excède manifestement » ou

(104) Notamment Cass., 12 octobre 2005, Pas., 2005, p. 1904. Pour un commentaire de ce critère, voy. C. DE
VALKENEER, op. cit., Rev. dr. pén., 2005, p. 692 ; Ph. TRAEST, op. cit., T. Strafr., 2004, p. 141 ; H.D. BOSLY,
D. VANDERMEERSCH et M.A. BEERNAERT, Droit de la procédure pénale, op. cit., p. 1016.
(105) Pas., 2003, p. 4610, n° 6.3 et 7.1.
(106) C. trav. Liège, 14 décembre 2010 (R.G. 2009/AN/8.833).
(107) Cass., 31 octobre 2006, T. Strafr., 2007, p. 53 et note F. SCHUERMANS.
(108) Cass., 23 septembre 2008, T. Strafr., 2009, p. 151 et note F. SCHUERMANS ; Cass., 26 janvier 2011, Rev.
dr. pén., 2012, p. 82 .
(109) Pas., 2003, p. 1610, n° 7.3.

221
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS

« est hors de proportion avec » la première, le droit au procès équitable risque d’être
menacé.

Ce critère est une application du principe de proportionnalité. Le juge doit donc


mettre en balance les intérêts en jeu et porter une appréciation globale (110) ; si sa
conclusion est que le droit au procès équitable est compromis, il écarte la preuve (111).
Dans les autres cas, la preuve n’est pas écartée.

C’est ainsi que la cour du travail de Bruxelles a écarté la preuve d’un vol commis par
une travailleuse que l’employeur s’était procurée en forçant son armoire dans le ves-
tiaire en son absence mais en présence d’un délégué syndical ; il s’agissait en l’espèce
d’objets de faible valeur et la cour a estimé qu’il y avait disproportion entre le moyen
illégal employé et la faute reprochée à la salariée (112).

La cour du travail de Liège accepte, en faisant référence à l’arrêt de la Cour de cassation


du 10 mars 2008, un ensemble de courriels produits par l’employeur pour démontrer
des actes de concurrence posés par sa travailleuse. Ces courriels avaient été obtenus
grâce à une surveillance de la boîte de courrier électronique appliquée sans avoir ob-
servé l’obligation d’information préalable du personnel faite par la convention collec-
tive de travail n° 81. Aucune formalité prescrite à peine de nullité n’a été omise, aucun
vice nuisible à la crédibilité de la preuve n’est constaté, le droit au procès équitable
n’est pas violé. Quant à ce dernier critère, la cour souligne le respect du débat contra-
dictoire et de l’égalité des armes. Prenant soin de détailler les éléments pris en compte
pour apprécier le rapport de proportionnalité entre l’atteinte à la vie privée et la faute
reprochée à la salariée, la cour ajoute que le courriel litigieux a été échangé entre deux
salariées de l’employeur, en principe dans le cadre de leur activité professionnelle au
service de celui-ci, sur le réseau électronique de l’entreprise, que la société « en a pris
connaissance par suite d’une surveillance, qui trouve son fondement dans la loi, exer-
cée sur leur travail » et qu’elle « effectuait ce contrôle dans le souci, en soi légitime,
de s’assurer que les intéressées exécutaient leur contrat régulièrement, ainsi que de
prévenir une éventuelle atteinte de leur part aux intérêts économiques de l’entreprise,
qu’elle pouvait croire menacés » (113).

La cour du travail de Mons va dans le même sens, dans un arrêt du 10 décembre


2010  (114) : l’employeur qui a pris connaissance du courrier électronique de son tra-
vailleur lui faisant concurrence a manqué à son obligation de transparence mais « les
droits à la protection de la vie privée protégés par les règles violées sont de moindre
importance au regard des graves manquements dont cette irrégularité a permis la
constatation ». En l’occurrence, il était reproché au salarié de se servir de la renom-
mée de son employeur pour développer une activité parallèle, en utilisant par ailleurs
l’adresse électronique de l’entreprise en dépit de l’interdiction de l’employeur, et d’ac-
complir de surcroît ces actes durant ses heures de travail. Le travailleur avait, en outre,

(110) Il s’agit ici d’un ad hoc balancing, décrit par, entre autres, J.-F. VAN DROOGHENBROECK, « La Cour
de cassation reçoit-elle le principe de proportionnalité ? », Liber Amicorum Paul Martens, Bruxelles,
Larcier, 2007, p. 573 et suiv.
(111) Cass., 8 novembre 2005, Pas., 2005, p. 2181 ; Cour eur. D.H., 28 juillet 2009, Lee Davies c. Belgique.
(112) C. trav. Bruxelles, 2 mai 2011, R.G. 2009/AB/52260.
(113) C. trav. Liège, 20 septembre 2010, J.L.M.B., 2010, p. 1899.
(114) R.G. 2009/AM/21709.

222
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE

dans les courriels litigieux, désigné ses supérieurs hiérarchiques par des épithètes peu
élogieuses (abruti, connard, le plus con du monde et de loin, Hitler, gestapo).

33. C’est sans doute aussi sur la base de ce rapport de proportionnalité qu’il convient
désormais d’appuyer le rejet des éléments de preuve obtenus au mépris du secret
professionnel, qu’il s’agisse de celui de l’avocat ou du médecin : la gravité de l’irrégula-
rité consistant dans l’appropriation ou dans la communication d’un élément couvert
par le secret est telle qu’elle ne peut être tenue pour inférieure à celle de la faute qu’il
s’agit d’établir. Admettre la preuve au nom du besoin d’établir la vérité en justice com-
promettrait une valeur supérieure, celle protégée par le secret professionnel.

34. Nombreux sont les auteurs qui ont plaidé pour une prise en compte des compor-
tements respectifs des protagonistes.

En droit du travail, certains ont suggéré de prendre en considération la déloyauté ini-


tiale du salarié. Il s’agirait de faire la distinction entre le comportement patronal qui
s’avère déloyal dès l’origine et l’attitude consistant à riposter à une malhonnêteté du
travailleur. On autoriserait, par exemple, une surveillance de la correspondance élec-
tronique lorsque l’employeur soupçonne son salarié de se livrer à des actes de concur-
rence déloyale, et ce pour éviter que le travailleur au comportement particulièrement
blâmable puisse retourner la situation à son profit en alléguant l’illicéité commise par
l’employeur. Un auteur propose, en s’inspirant de l’adage nemo turpitudinem suam
allegans, de « tenir compte du degré de turpitudes respectives dans l’appréciation
de la recevabilité de la preuve obtenue par un moyen discutable » (115). Toujours en
s’appuyant sur cet adage, on fait valoir que celui qui cherche à tromper le tribunal
renonce par là-même à la protection conférée par certains droits (vie privée, secret
professionnel, notamment) pour autant que la preuve litigieuse ne soit pas obtenue
au moyen d’un délit trop grave et que sa fiabilité ne soit pas altérée (116).

D’autres abordent la question par le biais de l’abus de droit. Aucun obstacle théorique
ne s’oppose à ce que soit reconnu l’abus d’un droit fondamental (117). Une approche
fonctionnelle des droits fondamentaux conduit à considérer que le droit à la vie privée
n’est pas destiné à tenir caché un comportement illégal ou criminel. Si une personne
invoque le droit à la vie privée pour échapper à la sanction de son comportement
(vol, etc.), elle n’invoque pas le droit à l’épanouissement personnel ; elle abuse de son
droit en le détournant de sa finalité (118). Dans cette conception, un amoindrissement
du principe de légalité de la preuve se conçoit. À cela s’ajoute la considération que la
recherche de la vérité n’est pas l’apanage de la procédure pénale mais peut se révéler
fondamentale dans la procédure civile aussi (119).

(115) V. PERROCHEAU, op. cit., Petites affiches, 2002, n° 99, p. 6 et suiv. Dans le même sens, C. trav. Liège,
20 septembre 2010, J.L.M.B., 2010, p. 1899.
(116) K. WAGNER, op. cit., R.D.J.P., 2009, p. 167, n° 46, qui qualifie sa théorie de « Compostage des fruits de
l’arbre empoisonné », en ce sens que de la putréfaction peut naître une chose frugifère.
(117) F. HENDRICKX, « Privacy op het werk en bewijs van onrechmatig gedrag : (spookt) Antigoon in het
arbeidsrecht ? », R.D.S., 2006, p. 668 et 701.
(118) R. DE CORTE, « De achterkant van de privacy. Kan het beroep op privacy leiden tot straffeloosheid ? »,
NJW, 2003, p. 808 ; S. BERNEMAN, « L’admissibilité de la preuve dans un système continental : le mo-
dèle belge », Rev. dr. pén., 2007, p. 302 et 303.
(119) F. HENDRICKX, op. cit., R.D.S., 2006, p. 702.

223
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS

Dans le même esprit, l’avocat général Vandermeersch écrivait dans ses conclusions
précédant l’arrêt du 2 mars 2005 (preuve d’un vol d’une travailleuse par le biais d’une
vidéosurveillance) : « À l’instar du secret professionnel, le droit à la protection de la
vie privée n’a pas été institué pour couvrir des infractions. En l’espèce, la mesure était
ciblée dans le temps et l’espace et elle était apparemment strictement limitée au but
poursuivi, à savoir le constat d’éventuelles infractions. Dès lors que la défenderesse
disposait de soupçons sérieux de l’existence d’infractions, il était légitime qu’elle ait
le souci d’en recueillir les preuves avant d’en faire la dénonciation conformément
à l’article 30 du Code d’instruction criminelle. Il ne me paraît pas que ces éléments
doivent céder le pas à la valeur protégée par la convention collective du 16 juin 1998,
à savoir la vie privée du travailleur. Dès lors, la violation éventuelle de la vie privée de
la (travailleuse) et le non-respect de l’obligation prévue à l’article 9 de la convention
précitée, ne doivent pas entraîner, à mes yeux, l’exclusion du moyen de preuve » (120).

§ 3. REGARD SUR L’ÉTRANGER

35. De nombreux États admettent, dans une certaine mesure en tout cas, la prise en
considération de preuves irrégulières, mais cette mesure varie de l’un à l’autre (121).
Dans la plupart des pays, le débat se focalise principalement sur les procès pénaux ;
mais dans d’autres, comme la France, par exemple, la question est vivement discutée
en matière civile également.

A. Pays-Bas

36. En droit néerlandais, l’exclusion des preuves recueillies illicitement n’est certaine-
ment pas un principe régissant la procédure, qu’elle soit civile (122) ou pénale (123). Le
juge y dispose d’un très large pouvoir d’appréciation. Même en matière civile, l’article
152 du Code de procédure civile permet de rapporter la preuve par tous moyens et
abandonne au juge l’appréciation de la valeur de ceux-ci. En matière pénale, la loi
attache à l’irrégularité d’autres sanctions que l’écartement de la preuve, telles que la
réduction de la peine ou l’irrecevabilité des poursuites (124).

(120) Pas., 2005, p. 512.


(121) Cour eur. D.H., 1er juin 2010, Gäfgen c. Allemagne.
(122) J.L.M. ELDER, « Onrechtmatig verkregen bewijs en het burgerlijk geding », N.J.B., 1990, p. 1479 et
suiv. ; F. HENDRICKX, op. cit., R.D.S., 2006, p. 673 et suiv. ; G.R. RUTGERS, « Onrechtmatig bewijs bij :
Wetboek van burgerlijke rechtsvordering, artikel 152 », Groene serie burgerlijke rechtsvordering, 5 lid 1
van art. 152 Rv., 1er mars 2012.
(123) Cons. M. GROENHUISEN, « Illegally obtained evidence : an analysis of new trends in the criminal
justice system of The Netherlands », A.W. JONGBLOED (Ed.), The XIIIth World Congress of Procedural
Law : The Belgian and Dutch Reports, Anvers, Intersentia, 2008, p. 91 et suiv. ; A.M. VAN WOENSEL,
« Sanctionering van onrechtmatig verkregen bewijsmateriaal », T. Strafr., bijlage, 2004, p. 1 et suiv. ;
G.J.M. CORSTENS, Het Nederlandse strafprocesrecht, Gouda Quint, 1993, p. 630 et suiv.
(124) Cons. Ph. TRAEST, Het bewijs in strafzaken, op. cit., p. 353 et suiv ; Ph. TRAEST, op. cit., T. Strafr., 2004,
p. 139 et suiv.

224
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE

B. Royaume-Uni

37. De longue date, le principe au Royaume-Uni est, en matière pénale, l’admission


de toute preuve, quel que soit le procédé, fût-il un vol, par lequel la partie qui la pro-
duit se l’est procurée (125). Depuis le Police and Criminal Evidence Act 1984, ce principe
est tempéré comme suit : le tribunal peut refuser une preuve s’il lui semble, eu égard
à l’ensemble des circonstances, y compris celles dans lesquelles la preuve a été obte-
nue, que l’admettre porterait atteinte à l’équité du procès au point que le tribunal se
doit de ne pas l’accepter (126).

La règle générale reste donc qu’un élément de preuve recueilli illégalement, de ma-
nière indécente ou injuste reste admissible en droit, qu’il ait été produit par le minis-
tère public ou la défense.

Une exception notable à cette règle est l’aveu, qui n’est admissible que si la partie pu-
blique peut prouver qu’il n’a pas été obtenu sous la pression ou sous une quelconque
influence pouvant priver l’aveu de sa fiabilité (127).

En matière civile, si la loi (Civil evidence act et Civil procedure rules) détaille par le menu
les conditions d’admissibilité des divers procédés de preuve, en revanche elle est
muette quant au pouvoir du juge civil anglais d’écarter une preuve irrégulièrement
obtenue. Qu’il s’agisse de la loi ou de la jurisprudence, aucune règle ne lui permet
d’écarter une telle preuve si elle est légalement admissible. Il y a une exception, qui
concerne les documents privilégiés (privileged documents), comme ceux couverts par
le secret professionnel de l’avocat. La partie qui les obtient par la ruse ou au moyen
d’une infraction s’expose au pouvoir d’appréciation du juge, qui, après avoir effectué
la balance des intérêts, peut les rejeter (128).

Sous réserve d’exception, le droit anglais porte donc peu d’attention à la manière
dont les éléments de preuve ont été obtenus.

C. France

38. De son côté, la Cour de cassation française assouplit progressivement, quoique


de manière sinueuse, les règles d’admissibilité des preuves.

Ainsi, sa chambre criminelle admet comme moyen de preuve des documents obte-
nus par des procédés déloyaux dès lors qu’ils peuvent être discutés contradictoire-
ment (129). La même chambre a accepté la mise en scène appelée test de situation
ou testing pratiquée par une association de lutte contre le racisme pour caractériser

(125) R. MAY, Criminal Evidence, 2ème éd., Londres, Sweet and Maxwell, 1990, p. 226 et suiv. ; J.A. ANDREWS
et M. HIRST, Criminal Evidence, 2ème éd., Londres, Sweet and Maxwell, 1992, p. 379 et suiv.
(126) ARCHIBOLD, Criminal pleading, evidence and practice, Londres, Sweet and Maxwell, 1997, § 15-428 et
suiv.
(127) R. MAY, Criminal Evidence, op. cit., p. 180, § 8-76 ; J.A. ANDREWS et M. HIRST, Criminal Evidence, op. cit.,
p. 380, § 14.04 ; ARCHIBOLD, Criminal pleading, evidence and practice, op. cit., § 15-337 et suiv.
(128) A. KEANE, The Modern law of Evidence, 4ème éd., Londres, Butterworths, 1996, p. 46 et suiv.
(129) Cass. crim., 30 mars 1999, Bull. crim., n° 59.

225
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS

des pratiques discriminatoires ; l’arrêt fait toutefois l’objet de vives critiques (130). Les
chambres sociale et criminelle de la Cour, après l’avoir longtemps refusée, tolèrent
désormais la preuve par des documents dérobés par un salarié lorsqu’ils sont « stric-
tement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense dans le litige l’opposant à son
employeur » (131). En revanche, un employeur n’a pas été admis à produire un fichier
personnel découvert sur le disque dur de l’ordinateur professionnel de son salarié
pour démontrer la concurrence déloyale et la transmission à un tiers d’informations
confidentielles à laquelle se livrait ce salarié (132) (133). Un arrêt de la chambre civile per-
met l’utilisation d’une preuve portant atteinte à la vie privée à condition d’être dans
l’impossibilité d’en obtenir d’autres (134). La chambre commerciale autorise, au nom du
principe de l’égalité des armes découlant du droit au procès équitable, la preuve par
un élément qui porte atteinte à la vie privée d’autrui si cette atteinte est justifiée par
la protection des droits de la défense (135). En revanche, elle continue de se montrer
exigeante en droit de la concurrence, n’acceptant pas la preuve par l’enregistrement
d’une communication téléphonique effectué à l’insu de l’auteur des propos tenus (136),
alors que ce type de preuve est admis, dans une certaine mesure à tout le moins, par
la chambre criminelle (137).

D. Québec

39. Très inspiré du droit anglais, le droit du Québec a, pendant longtemps, considéré
que le seul critère d’admissibilité d’une preuve était sa pertinence ; ce n’est que si elle
n’était pas pertinente pour le fond du litige qu’elle pouvait être écartée.

L’article 24 (2) de la Charte canadienne des droits et libertés de 1982 a modifié la règle
pour ce qui concerne les relations entre les particuliers et l’ État. Depuis lors, dans les
affaires criminelles en particulier, une preuve est exclue si deux conditions sont réu-
nies : (1) l’élément de preuve est obtenu dans des conditions qui portent atteinte à un
droit ou à une liberté fondamentale ; (2) l’utilisation de cette preuve est susceptible de
discréditer l’administration de la justice. S’agissant des relations entre les particuliers,
une règle similaire a été adoptée par le Code civil québécois, en son article 2858, en
vigueur depuis le 1er janvier 1994.

(130) Cass. crim., 11 juin 2002, Bull. crim., n° 131; L. COLLET-ASKRI, « Testing or not testing ? La Chambre
criminelle de la Cour de cassation valide ce mode de preuve, serait-il illégal … », D., 2003, p. 1309
et suiv. ; P. LEMOINE, « La loyauté de la preuve (à travers quelques arrêts récents de la chambre
criminelle) », disponible sur http://www.courdecassation.fr.
(131) Cass. soc., 2 décembre 1998, Bull. civ., V, n° 535 ; Cass. crim., 11 mai 2004, Bull. crim., n° 117 ; Cass. soc.,
30 juin 2004, Bull. civ., V, n° 187.
(132) Cass. soc., 2 octobre 2001, D, 2001, p. 1348.
(133) Pour des commentaires, voy. entre autres, L. RAISON REBUFAT, « Le principe de loyauté en droit de
la preuve », Gaz. Pal., 2002, p. 1195 ; S. GUINCHARD, Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz,
2006, p.  535, n° 222, point 51 ; V. PERROCHEAU, op. cit., Petites affiches, 2002, n° 99, p. 6 et suiv. ;
M.E. BOURSIER, Le principe de loyauté en droit processuel, Paris, Dalloz, 2003, p. 212 à 216.
(134) Cass. civ., 16 octobre 2008, Gaz. Pal., 2008, p. 4167 et note N. DUPONT.
(135) Cass. com., 15 mai 2007, D., 2007, p. 2775.
(136) Cass. com., 3 juin 2008, D., 2008, p. 1687 et note E. CHEVRIER.
(137) Cass. crim., 14 février 2006, D., 2007, p. 1184 et note J.-C. SAINT-PAU ; V. VIGNEAU, « La loyauté dans
l’administration de la preuve », D., 2011, p. 618.

226
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE

L’évaluation de la seconde condition donne au juge un important pouvoir d’appré-


ciation et confère au droit québécois une souplesse comparable au droit belge. Le
juge tient compte de trois groupes de facteurs pour décider si l’image de la justice
risque d’être ternie par l’admission de la preuve (138) : l’équité du procès, la gravité de la
violation du droit protégé, l’effet que produirait l’exclusion de la preuve. La bonne ou
la mauvaise foi de celui qui a violé un droit ou une liberté fondamentale est prise en
compte, car dans le deuxième cas, elle traduit un mépris des droits fondamentaux. Le
juge a aussi égard au fait que le rejet de la preuve pourrait davantage déconsidérer la
justice que son admission, lorsqu’un rejet de la preuve aboutirait à une injustice alors
que la violation du droit fondamental est anodine (139).

E. États-Unis

40. Les États-Unis ont, de longue date, adopté le principe de légalité des preuves en
matière criminelle. L’exclusionary rule, selon laquelle les preuves recueillies en viola-
tion des droits constitutionnels ne sont pas admissibles en matière pénale, découle
du Quatrième Amendement de la Constitution, qui protège les citoyens contre des
perquisitions et saisies non motivées tant en ce qui concerne leur personne, leur do-
micile, leurs papiers que leurs effets. Un mandat ne peut être délivré que si un certain
nombre de conditions strictes sont réunies.

Cette exclusion va jusqu’à l’interdiction d’utiliser des informations découlant d’un


élément de preuve recueilli de manière illicite par les agents de l’État (théorie des
fruits de l’arbre empoisonné). Par exemple, si des aveux obtenus sous la contrainte
permettent d’obtenir d’autres éléments de preuves, ceux-ci sont tout autant irrece-
vables que les aveux eux-mêmes (140).

Il y a cependant des exceptions. Les illégalités commises de bonne foi par les enquê-
teurs, notamment parce qu’ils ont agi sur la base d’un mandat illégalement délivré
par un magistrat (141) et le fait que la preuve ait été obtenue par une personne privée
et non par les agents de l’État (142) en font partie. Il faut en outre que l’acte illégal soit
la cause immédiate qui a permis de découvrir les preuves. S’il est très probable que
l’élément aurait été découvert sans l’acte illégal des enquêteurs, la preuve est admis-
sible (143).

Dans les litiges opposant deux particuliers, en revanche, l’admissibilité de la preuve


reste, en principe, subordonnée à la seule condition de sa pertinence quant au fond

(138) S. LAFONTAINE et P. BOUVIER, « Droits fondamentaux : l’autonomie procédurale des tribunaux


administratifs et les règles d’exclusion de la preuve », Actes de la XIIème conférence des juristes de
l’État, 1996, p. 90 (http://www.conferencedesjuristes.gouv.qc.ca/textes-de-conferences/pdf/1996/
Droitsfondamentauxlautonomieproceduraledestribunauxadministratifs.pdf ).
(139) S. LAFONTAINE et P. BOUVIER, « Droits fondamentaux … », op. cit., p. 91 ; P. BÉLIVEAU et J. PRADEL, La
Justice pénale dans les droits canadien et français, Cowansville, Ed. Yves Blais, 2007, p. 188 à 200 ; voy.
aussi D. VANDERMEERSCH, « Droit continental vs. droit anglo-américain : quels enseignements pour
le droit belge de la procédure pénale ? », Rev. dr. pén., 2001, p. 510 à 512.
(140) Nix v. Williams, 467 U.S. 431 (1984).
(141)  United States v. Leon, 468 US 897 (1984) ; Hareng United States, 555 US 135 (2009).
(142) Burdeau v. McDowell, 256 U.S. 465 (1921).
(143) Nix v. Williams, 467 U.S. 431 (1984).

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du litige ; le moyen employé pour se la procurer n’influence pas sa recevabilité. Le


Quatrième Amendement ne protège les citoyens que contre les excès de l’action des
pouvoirs publics (144). Dans certains États, l’admissibilité de la preuve illégale dans un
procès civil est laissée à la discrétion du juge (145).

CONCLUSION

41. L’abandon du principe de légalité de la preuve, s’il s’inscrit sans contretemps dans
son environnement européen, et même plus large, affaiblit les libertés fondamen-
tales, ce dont il ne faut certainement pas se réjouir.

À l’opposé, cette jurisprudence traduit un souci plus grand de la manifestation de


la vérité, valeur fondamentale tant dans la procédure pénale que dans la procédure
civile. La Cour de cassation donne davantage de place à la recherche de la vérité, vise
à réduire la fracture entre la vérité judiciaire et la vérité absolue, puisque celle-ci peut
primer sur la nécessité de respecter la loi. Le droit au procès, de plus en plus souvent
cité par la doctrine (146), permet la prise en compte de preuves illicites, à certaines
conditions.

L’application de la jurisprudence Antigone à la matière civile, si elle contamine celle-ci


des mêmes germes liberticides, a pour avantage d’assurer la cohérence du système
juridique. Est-il raisonnable de disposer de deux régimes de légalité de la preuve ?
Certains avaient tenté de justifier un régime moins exigeant en procédure pénale
par les enjeux spécifiques (infractions, trouble causé à l’ordre public). Mais cet argu-
ment a tout de suite été contré par ceux estimant que les enjeux (une privation de
liberté) nécessitaient davantage de rigueur dans l’appréciation de la recevabilité de
la preuve. Ces deux arguments, à forte connotation morale, n’ont pas empêché la
Cour de cassation de proclamer l’unité de la règle. Un double régime de légalité aurait
l’inconvénient de conduire au détournement, à l’instrumentalisation de la procédure
pénale car une partie au procès, qui souhaite faire état d’images vidéo ou de cour-
riels obtenus de manière illicite, de procès-verbaux communiqués illégalement, etc.,
aurait, lorsque les faits reprochés à son adversaire sont délictueux, intérêt à préférer
la juridiction pénale plutôt que la juridiction civile pour des motifs opportunistes. En
effet, si la juridiction pénale peut plus facilement admettre la preuve irrégulière, la
partie intéressée obtiendra plus aisément une décision établissant les faits, avec la
vertu d’être revêtue de l’autorité de chose jugée du criminel sur le civil. Dans le cas
d’un licenciement pour faute grave, ce dédoublement du principe de légalité de la
preuve conduirait un certain nombre d’employeurs à déposer plainte en mains d’un
juge d’instruction à l’encontre d’un travailleur uniquement pour la commodité d’obte-
nir la preuve des faits justifiant la rupture du contrat. C’est un effet pervers, qui milite
certainement en faveur de l’unité des positions jurisprudentielles.

(144) E.W. CLAERY, McCormick on evidence, Minnesota, West publishing company, 1984, p. 455 et suiv.,
§ 167 ; R.E. SHEPHERD, « Admissibility of illegally obtained evidence in civil case », Washington and Lee
Law Review, 1960, vol. XVII, p. 155.
(145) R.S. BEITMAN, Getting your hands on the evidence, Ali-Aba, 2005, p. 35 et suiv.
(146) Not. J. VAN COMPERNOLLE, op. cit., La preuve et la difficile quête de la vérité judiciaire, p. 22 et 24, n° 15
et 17 ; B. ALLEMEERSCH et S. REYELANDT, op. cit., J.T., 2012, p. 172, n° 23.

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Les Français sont confrontés à cette difficulté. On l’a vu au sujet de la preuve par en-
registrement téléphonique clandestin : l’admissibilité est la règle devant les juridic-
tions répressives alors que la preuve est rejetée par les juridictions civiles. Le débat
sur son admissibilité dans le droit de la concurrence est vif : certains sont favorables
à l’application de la règle pénale ; d’autres y sont opposés et se réjouissent que les
règles soient identiques devant le juge civil et l’autorité de concurrence : « une dis-
parité serait assurément de nature à inciter la victime à préférer agir devant l’Autorité
spécialisée et ne contribuerait certes pas à la promotion des actions privées exercées
directement devant les juridictions civiles » (147). Toujours au sujet des enregistrements
de conversations téléphoniques, d’autres auteurs font valoir que la divergence entre
la jurisprudence civile et la jurisprudence pénale est gênante et appellent à l’unifica-
tion (148).

L’unité de la jurisprudence belge en ce qui concerne l’admissibilité des éléments de


preuves irrégulièrement obtenus est estimable et c’est sans doute le plus grand mé-
rite de l’arrêt du 10 mars 2008 d’y contribuer. Que le procès soit civil ou pénal, le droit
au procès équitable et le principe de proportionnalité se sont substitués au principe
de la légalité de la preuve. La loyauté des uns et des autres, enquêteurs et prévenus,
parties à un procès civil, est désormais arbitrée principalement au regard du droit au
procès équitable. La proportionnalité des fautes respectives est devenue l’instrument
de mesure de cette loyauté. La tâche du juge s’en trouve complexifiée mais en contre-
partie, il dispose de plus de moyens de réconcilier la vérité vraie et la vérité déclarée.

Il est difficile de justifier, au vu de notre héritage juridique, qu’une décision judiciaire,


qu’elle soit pénale ou civile, et qui par définition dit le droit, tranche en droit, s’appuie
sur des éléments recueillis de manière illégale. D’autres systèmes juridiques consi-
dèrent, en revanche, que la justice serait parfois bien plus discréditée par un refus
de prendre de tels éléments de preuve en considération que par leur admission et
confient au juge le pouvoir de veiller à préserver cette image de la justice en sauve-
gardant l’équité du procès.

(147) M. CHAGNY, « Loyauté de la preuve dans les procédures de concurrence : ‘le civil tient le criminel en
échec !’ », Comm. comm. électr., 2011, chron. 3, n° 24.
(148) Ph. BONFILS, « Loyauté de la preuve et droit au procès équitable », D., 2005, p. 124.

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