Administration de La Preuve
Administration de La Preuve
Administration de La Preuve
Fabienne KÉFER,
Professeur à l’Université de Liège
SOMMAIRE
II. Une question particulière: l’admissibilité des preuves obtenues irrégulièrement 207
§ 1. Rappel de l’évolution de la jurisprudence belge 207
§ 2. Les critères retenus par la jurisprudence belge 213
A. Le double système et sa constitutionnalité 213
B. L’étendue du pouvoir d’appréciation du juge 214
C. Le vice lié aux causes de nullité 215
D. Le vice entachant la fiabilité de la preuve 216
E. La compromission du droit au procès équitable 219
§ 3. Regard sur l’étranger 224
A. Pays-Bas 224
B. Royaume-Uni 225
C. France 225
D. Québec 226
E. États-Unis 227
Conclusion 228
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L’admissibilité d’une preuve, à savoir la vocation à être prise en considération comme élé-
ment de preuve, s’apprécie de manière différente selon qu’il s’agit d’un litige en matière pé-
nale ou en matière civile au sens large. On distingue le système de la preuve libre (matière
pénale) et celui de la preuve réglementée (matière civile).
L’admissibilité est une question de fond. La question de l’admissibilité des preuves est, de-
puis plusieurs années, dominée par la jurisprudence de la Cour de cassation, entreprise par
le célèbre arrêt Antigone du 14 octobre 2003, et selon laquelle les preuves irrégulièrement
obtenues sont désormais admissibles, sauf si certains vices sont constatés. La circonstance
qu’une preuve ou un élément de preuve a été obtenu illicitement n’entraîne pas l’exclu-
sion de la preuve, même si cette irrégularité consiste dans une violation de droits fonda-
mentaux garantis par les Conventions internationales ou la Constitution. Si le vice dans
l’obtention de la preuve produite aux débats n’est pas sanctionné de nullité par la loi, c’est
au juge qu’il appartient d’apprécier les conséquences de l’irrégularité sur la recevabilité de
ce moyen de preuve : celui-ci ne sera pas pris en considération par le juge pour forger sa
conviction si l’irrégularité commise a entaché la fiabilité de la preuve ou si elle compromet
le droit à un procès équitable.
L’arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 2008 a, selon la grande majorité des commenta-
teurs, étendu la jurisprudence Antigone à la matière civile, réalisant ainsi une unification
de la jurisprudence afférente à cette question.
Que le procès soit civil ou pénal, le droit au procès équitable et le principe de proportion-
nalité se sont substitués au principe de la légalité de la preuve. La tâche du juge s’en trouve
complexifiée mais en contrepartie, il dispose de plus de moyens de réconcilier la vérité
vraie et la vérité déclarée.
Cette jurisprudence a été adoptée sous l’influence des droits étrangers. Le droit comparé
révèle que d’autres systèmes juridiques considèrent que la justice serait parfois bien plus
discréditée par un refus de prendre en considération des éléments de preuve recueillis de
manière illégale que par leur admission et confient au juge le pouvoir de veiller à préserver
cette image de la justice en sauvegardant l’équité du procès.
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Mais l’admissibilité de la preuve ne se résume pas à cette question. Elle est bien plus
étendue. Elle est définie comme suit par G. Cornu dans son Vocabulaire juridique (1) :
« vocation à être pris en considération comme élément de preuve ». Quant au terme
admissible appliqué au mode de preuve, il est défini comme celui « qui, en vertu de la
loi peut être proposé en preuve par un plaideur au soutien de ce qu’il allègue (on dit
alors que la preuve est légalement admissible), de telle sorte que le juge est tenu de
prendre en considération, sans pouvoir l’écarter a priori, la preuve offerte mais sans
qu’il soit certain que celle-ci soit reconnue apte, après examen, à justifier l’allégation,
résultat qui dépend de la pertinence et de la force probante de la preuve ».
Après avoir décrit de manière générale les conditions auxquelles la loi admet qu’un
élément soit proposé en justice comme preuve (I), nous nous attarderons sur une
condition qui n’est pas inscrite dans la loi et a été façonnée par la doctrine et la juris-
prudence : il s’agit de celle relative à la régularité de l’obtention de la preuve (II).
En matière pénale, le principe est celui de la preuve libre ; sauf exception, les faits
peuvent être établis par n’importe quel procédé apte à emporter la conviction du
juge, qui apprécie librement l’efficacité probatoire de l’élément de preuve (2).
En matière civile au sens large, le principe est au contraire celui de la preuve régle-
mentée : la loi détermine les procédés de preuve qu’elle admet et leur valeur et établit
l’ordre de priorité entre eux. La valeur attribuée par la loi à un élément de preuve est
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appelée « force probante » (3) ; celle-ci lie le juge et les parties. De nombreux éléments
ne voient pas leur valeur fixée par la loi ; le juge détermine alors librement la valeur
probante, c’est-à-dire le degré de crédibilité qu’il leur accorde (par exemple, le certifi-
cat médical (4)).
(3) Selon P. VAN OMMESLAGHE, la force probante est la mesure dans laquelle le juge (et les parties) sont
liés par la preuve. La valeur probante est « le degré de crédibilité qu’un juge accorde à l’élément de
preuve qui lui est présenté, dans les limites de la force probante attribuée par la loi à cet élément se-
lon sa nature » (P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 2305 et 2306).
(4) Cass., 2 février 2009, Pas., 2009, p. 306.
(5) N. VERHEYDEN-JEANMART, Droit de la preuve, Bruxelles, Larcier, 1991, p. 25 ; L. CADIET, J. NORMAN et
S. AMRANI MEKKI, Théorie générale du procès, op. cit., p. 853.
(6) L. CADIET, J. NORMAND et S. AMRANI MEKKI, Théorie générale du procès, op. cit., p. 836 et 838.
(7) Cour eur. D.H., 13 mars 1997, Mantovanelli c. France.
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considérée dans son ensemble, y compris la manière dont la preuve a été administrée,
a revêtu le caractère équitable voulu par l’article 6.1 (8).
Ainsi par exemple, dans l’affaire Dombo Beheer, la Cour a conclu à la violation de l’éga-
lité des armes pour le motif suivant. La société Dombo Beheer, en conflit avec une
banque, s’était vu refuser le droit de faire témoigner l’un de ses représentants sur
le contenu d’une réunion que celui-ci avait eue avec un salarié de la banque, alors
que la banque avait pu faire témoigner son salarié. Le droit néerlandais s’oppose à ce
qu’une société fasse témoigner son organe, puisqu’il s’identifie à elle. Or seules deux
personnes avaient assisté à la réunion dont le contenu devait être prouvé et la banque
se trouvait donc en position privilégiée. La société requérante ayant ainsi été placée
dans une situation de net désavantage par rapport à la banque, la Cour a conclu à la
violation de l’article 6.1 (9).
Dans de nombreux arrêts relatifs à des affaires pénales, la Cour, constatant que, en ap-
plication du droit national, certains éléments de preuve irréguliers ont quand même
été pris en considération pour asseoir la condamnation, déclare que, pour apprécier
si le procès a été équitable, il faut prendre en compte toutes les circonstances de la
cause et se demander en particulier si les droits de la défense ont été respectés et
quelles sont la qualité et l’importance des éléments en question, une attention par-
ticulière étant portée au point de savoir si l’élément de preuve en question a exercé
une influence décisive sur l’issue de l’action pénale. Parmi ces arrêts, celui du 28 juillet
2009 (10) (Lee Davies), qui concerne la Belgique. On lit sous la plume de certains auteurs
que la Cour européenne des droits de l’homme aurait, dans cet arrêt, validé la jurispru-
dence belge initiée par l’arrêt Antigone. Comme le rappelle M. Franchimont, « Ce n’est
pas exact, parce que ce n’est pas son rôle » (11), ce que la Cour a, d’ailleurs, coutume de
préciser dans ses arrêts.
(8) Entre autres, Cour eur. D.H., 18 juillet 1988, Schenk c. Suisse ; Cour eur. D.H., 25 mars 1999, Pelissier et
Sassi c. France ; Cour eur. D.H., 27 septembre 1990, Windisch c. Autriche ; Cour eur. D.H., 27 octobre
1993, Dombo Beheer c. Pays-Bas ; Cour eur. D.H., 13 mars 1997, Mantovanelli c. France ; Cour eur. D.H.,
11 juillet 2006, Jalloh c. Allemagne ; Cour eur. D.H., 28 juillet 2009, Lee Davies c. Belgique ; Cour eur. D.H.,
1er juin 2010, Gäfgen c. Allemagne ; Cour eur. D.H., 17 janvier 2012, Alony Kate c. Espagne.
(9) Cour eur. D.H., 27 octobre 1993, Dombo Beheer c. Pays-Bas.
(10) Cour eur. D.H., 28 juillet 2009, Lee Davies c. Belgique.
(11) M. FRANCHIMONT, « Antigone et son ombre », Pourquoi Antigone ?, Liber amicorum E. Jakhian,
Bruxelles, Bruylant, 2010, p. XXVI.
(12) R. DECLERCQ, Beginselen van strafrechtspleging, 5ème éd., Malines, Kluwer, 2010, p. 903 et suiv., n° 2031
et suiv.
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Cette liberté se heurte cependant à quelques limites. Tout d’abord, certaines preuves
sont réglementées, comme la preuve génétique (13), les écoutes téléphoniques (14)
ou la preuve de l’imprégnation alcoolique par l’examen de l’haleine ou du sang (15).
Ensuite, ne peuvent être prises en considération par le juge pour former sa conviction
que les preuves soumises à la contradiction (16).
Signalons encore que l’irrégularité d’une preuve peut entraîner son écartement (voy.
infra) mais, dans l’enseignement de la Cour de cassation, elle ne rend pas les pour-
suites irrecevables. Au sujet d’un prévenu qui avait été conduit à formuler des dé-
clarations auto-incriminantes sans l’assistance de son avocat, la Cour de cassation a
répondu que « L’illicéité de la preuve, dès lors que le prévenu a fait, au cours de sa
privation de liberté, des déclarations auto-incriminantes sans l’assistance d’un avo-
cat, n’entraîne pas l’irrecevabilité de l’action pénale mais uniquement l’exclusion ou
l’inadmissibilité éventuelle de cette preuve. Le droit d’exercer l’action pénale naît en
effet de la commission de l’infraction, indépendamment de la manière dont elle est
exercée et indépendamment de la manière dont les preuves ont été recueillies. ( ... ) Il
appartient au juge du fond, à la lumière de l’ensemble de la procédure, de vérifier si la
valeur probante de toutes les données qui lui sont présentées est remise en cause par
le seul fait que certaines déclarations ont été faites durant l’enquête sans l’assistance
d’un avocat et, le cas échéant, de décider de l’inadmissibilité ou de l’exclusion de ces
moyens de preuve » (17). Au sujet d’une travailleuse, qui était poursuivie pour vol sur
la base d’une preuve résultant de la fouille de son sac à main opérée par l’employeur,
la cour d’appel de Gand avait déclaré les actions publique et civile irrecevables. Sur
le pourvoi de l’employeur, la Cour de cassation a cassé l’arrêt attaqué en déclarant :
« même si l’infraction a été révélée de manière irrégulière, cela n’entraîne pas l’irrece-
vabilité de la décision de poursuivre, laquelle n’est pas en soi illégale ou déloyale (…).
La seule circonstance qu’une personne qui n’en a pas les pouvoirs a posé des actes
d’instruction ne peut entraîner l’irrecevabilité de l’action publique. Le droit d’exercer
l’action publique naît en effet au moment de la commission de l’infraction, quelle
que soit la manière dont elle est exercée ultérieurement et indépendamment de la
manière dont les preuves sont réunies » (18).
Il en va autrement lorsque les irrégularités sont telles que le droit au procès équitable
est, au vu des circonstances, atteint de manière irrémédiable et qu’aucune autre sanc-
tion que l’irrecevabilité des poursuites ne peut en découler (19).
6. Enfin, le principe de la liberté des preuves est applicable devant les juridictions
civiles lorsqu’une action s’appuie sur une infraction qu’il s’agit de démontrer ou si la
(13) Loi du 22 mars 1999 relative à la procédure d’identification par analyse ADN en matière pénale et son
arrêté royal d’exécution du 4 février 2002.
(14) Art. 88bis, § 1er, C.i. cr.
(15) Art. 59 et 63 de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière. La preuve de
l’infraction n’est pas réglementée lorsqu’elle est rapportée autrement (Cass., 26 novembre 2008, Pas.,
2008, p. 2672).
(16) H.D. BOSLY, D. VANDERMEERSCH et M.A. BEERNAERT, Droit de la procédure pénale, 6ème éd., Bruxelles,
la Charte, 2010, p. 1001 et nombreuses références citées.
(17) Cass., 29 novembre 2011, T. Strafr., 2011, p. 444.
(18) Cass., 3 janvier 2012, P.10.1662.N.
(19) Cass., 31 mai 2011, P.10.2037.F ; Liège, 25 mai 2009, J.L.M.B., 2009, p. 1184 ; Bruxelles, 10 décembre
2010, J.T., 2011, p. 54.
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culpabilité dans le chef d’une des parties doit être prouvée. Il en est ainsi, par exemple,
lorsque la victime d’un délit (coups et blessures, non-paiement de la rémunération,
etc.) réclame la réparation de son dommage devant la juridiction civile (20).
7. En matière civile, les conditions d’admissibilité d’une preuve sont régies, principa-
lement, par le Code civil. Ces règles ont vocation à s’appliquer à tout le contentieux de
droit privé, qu’il soit civil, commercial ou social. À l’exception de quelques dispositions,
notamment celles issues du droit du travail, il ne sera pas fait état ici des règles parti-
culières telles que celles qui concernent le droit des personnes, par exemple.
Les cinq principaux modes de preuve admissibles sont énumérés par les articles 1341
et suivants du Code civil, à savoir l’écrit, l’aveu, le serment, les témoignages et les pré-
somptions.
8. L’admissibilité de la preuve est ici dominée par la summa divisio entre la preuve
du fait juridique, qui peut être rapportée par toutes voies de droit, et la preuve de
l’acte juridique qui, lorsque la valeur de l’acte dépasse € 375,00, ne peut se faire qu’au
moyen d’un écrit (art. 1341).
Cette règle, qui n’est applicable qu’entre les parties à l’acte (21), souffre diverses excep-
tions. Le Code civil en prévoit lui-même plusieurs. Il est exclu de les envisager toutes
ici. On signalera, tout d’abord, que, quelle que soit la valeur de l’acte, il ne peut être
prouvé outre ou contre un écrit que par un autre écrit ; même si l’acte vaut moins de
€ 375,00, les témoignages et présomptions ne sont pas admis (art. 1341). De même,
quelle que soit sa valeur, la transaction ne se prouve que par écrit (art. 2044) (22). À
l’inverse, même si le litige vaut plus de € 375,00, l’écrit n’est plus indispensable
lorsqu’une partie dispose d’un commencement de preuve par écrit (art. 1347) ou
encore lorsqu’elle est dans l’impossibilité morale ou matérielle de se procurer une
preuve littérale (art. 1348).
Le Code de commerce, par son article 25, assouplit lui aussi considérablement l’exi-
gence et la prééminence de l’écrit, en plaçant les témoignages et présomptions sur le
même pied que lui dans de nombreuses hypothèses, de sorte que les témoignages et
présomptions sont admis pour prouver outre ou contre un écrit.
De son côté, l’article 12 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail per-
met que la preuve du contrat de travail, lorsqu’il n’y a pas d’écrit, soit fournie par toutes
voies de droit ; la preuve par témoin est admise même lorsque la valeur du litige ex-
cède € 375,00, par dérogation aux principes du Code civil. Mais, lorsqu’il y a un écrit,
l’article 12 de la loi sur les contrats de travail ne s’applique pas ; les règles de l’ar-
(20) Cass., 2 janvier 2003, Dr. circ., 2003, p. 134 ; H.D. BOSLY, D. VANDERMEERSCH et M.A. BEERNAERT, Droit
de la procédure pénale, op. cit., p. 1000.
(21) Cass., 3 décembre 1957, Pas., 1958, I, p. 352 ; Cass., 5 septembre 1961, Pas., 1962, I, p. 29 ; P. VAN
OMMESLAGHE, Droit des obligations, op. cit., p. 2287, n° 1677 ; il en va de même au sujet de l’article 10
de la loi du 25 juin 1992 sur les assurances terrestres : Cass., 24 septembre 2008, Bull. Ass., 2010, p. 159.
(22) P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, op. cit., p. 385, n° 247.
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ticle 1341 du Code civil retrouvent leur empire : les parties ne peuvent prouver outre
ou contre l’écrit. Ceci a pour conséquence, notamment, que le travailleur ne peut pas
tenter de démontrer par témoignage que son contrat de travail écrit a été antidaté,
l’employeur ne pouvant davantage tenter de prouver par témoin que le contrat écrit a
été postdaté (23). Ce dernier ne peut pas non plus tenter d’établir par témoignage que
le contrat a été rompu à la demande du travailleur, alors qu’il a adressé une lettre de
licenciement par courrier recommandé (24).
Même lorsqu’un contrat est constaté par écrit, il peut être modifié ou remplacé sans
écrit (25). Dans une telle hypothèse, les modifications peuvent être prouvées par té-
moin ou présomptions (26).
10. Il faut encore signaler que les règles civiles relatives à l’admissibilité de la preuve
sont applicables devant les juridictions pénales dans l’hypothèse décrite par l’article
15 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale, à savoir lorsque des questions
de droit civil sont soulevées devant elles.
11. Enfin, selon l’article 16 du Titre préliminaire, lorsque l’infraction se rattache à l’exé-
cution d’un contrat, dont l’existence est déniée ou dont l’interprétation est contes-
tée, le juge pénal en statuant sur l’existence de ce contrat ou sur son exécution se
conforme aux règles du droit civil (29). Le champ d’application de cette disposition est
limité à l’hypothèse où c’est l’existence du contrat ou son interprétation qui pose dif-
ficulté. En revanche, lorsque seule l’exécution du contrat est en discussion, l’article 16
n’a pas vocation à s’appliquer. Par exemple, lorsqu’un employeur est poursuivi pour
avoir payé une rémunération inférieure au montant dont il est redevable, il se peut
que l’existence du contrat et son interprétation ne soit pas discutée, et que seuls les
montants dus ou déjà versés fassent l’objet d’une contestation ; cette hypothèse sort
du champ d’application de l’article 16.
(23) C. trav. Liège, 9 juin 1980, J.T.T., 1980, p. 316 ; C. trav. Liège, 23 septembre 1982, J.T.T., 1984, p. 191 ;
C. trav. Gand, 13 février 1995, T.G.R., 1995, p. 213 ; voy. aussi. Trib. trav. Nivelles, 12 octobre 2005, J.T.T.,
2006, p. 65.
(24) C. trav. Bruxelles, 24 octobre 1997, Chron. D.S., 1999, p. 165. Voy. à ce sujet, W. VAN EECKHOUTTE et
V. NEUPREZ, Compendium social – Droit du travail, 2008-2009, T. I, Waterloo, Kluwer, 2008, n° 1163,
p. 595 et 596.
(25) Cass., 4 mai 1987, J.T.T., 1987, p. 407.
(26) Cass., 28 mai 1979, J.T.T., 1980, p. 99.
(27) N. VERHEYDEN-JEANMART, Droit de la preuve, op. cit., p. 329 et suiv. et 971 et suiv. ; L. KERZMANN, « Le
point sur l’aveu en matière civile », La preuve, Questions spéciales, CUP, vol. 99, Liège, Anthémis, 2008,
p. 166 ; P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, op. cit., p. 2283, n° 1672.
(28) N. VERHEYDEN-JEANMART, Droit de la preuve, op. cit., p. 317, n° 707 et p. 333, n° 754.
(29) Pour de nombreuses illustrations, voy. R. DECLERCQ, Beginselen van strafrechtspleging, op. cit., p. 906
et suiv., n° 2035 et suiv.
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13. Le principe de légalité de la preuve impose que le juge ne retienne, comme élé-
ments de preuve que ceux qui ont été recueillis conformément à la loi. Il doit rejeter
toute preuve obtenue à la suite d’une infraction commise par les autorités de pour-
suite ou par un particulier, qu’il soit partie à la cause ou non. On ne vise pas ici les cas
exceptionnels où les fonctionnaires de police, recourant aux méthodes particulières
de recherche, sont autorisés à commettre certaines infractions pour permettre la
réussite de l’opération ou garantir la sécurité des enquêteurs ou celle d’autres per-
sonnes impliquées dans l’infiltration ou l’observation. Dans de telles circonstances, les
preuves sont collectées de manière régulière.
Le principe de légalité est généralement relié à l’arrêt Recloux prononcé par la Cour
de cassation le 10 décembre 1923 (30), qui concerne une perquisition effectuée sans
autorisation judiciaire. Ce principe est éclairé par les conclusions du premier avocat
général Leclercq, qui énonce qu’on ne peut utiliser les renseignements recueillis lors
de la perquisition, c’est-à-dire tirer des fruits de l’illégalité commise, car « la chose
frugifère étant une action illégale, toutes les conséquences (qu’on pourrait en tirer)
contre l’homme qui en a été la victime sont entachées du même vice d’illégalité ».
C’est la « théorie des fruits de l’arbre empoisonné ».
La règle valait tant en matière pénale qu’en matière civile. Ainsi, les aveux de la veuve
d’un assuré, fournis en réaction à la production de certificats médicaux qu’une com-
pagnie d’assurances s’était procurés en violation du secret professionnel ont été écar-
tés, au motif que la veuve n’aurait jamais eu recours à ces aveux comme moyen de
défense en l’absence des deux certificats médicaux. La Cour de cassation estime que
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la cour d’appel « a pu légalement décider que les aveux obtenus au moyen d’éléments
de preuves illicitement recueillis ne pouvaient être retenus » (32). En cas de licencie-
ment pour faute grave constituée d’un vol dans la caisse (33), d’un vol dans le stock (34),
ou encore d’un vol de denrées appartenant à l’employeur (35), plusieurs juridictions
ont écarté des images, produites par l’employeur comme preuve de la faute grave
justifiant le licenciement, pour le seul motif qu’elles avaient été recueillies en viola-
tion de la convention collective de travail n° 68 ou d’autres dispositions. De même,
au sujet d’un ouvrier communal licencié pour faute grave, parce que, durant une pé-
riode d’incapacité de travail, il effectuait des travaux pour son propre compte dans
son bâtiment en construction, la preuve a été écartée, car elle était constituée d’un
procès-verbal dressé par un policier communal, qui l’avait transmis au bourgmestre
en violation du secret de l’instruction (article 28quinquies C.i. cr.) (36).
La section pénale de la Cour de cassation a tout d’abord admis à plusieurs reprises que
la preuve n’est pas nécessairement irrecevable lorsque l’illégalité est commise, non
par les autorités de poursuite ou le plaignant, mais par un tiers et qu’il n’existe pas de
lien entre cet acte illicite et la dénonciation des faits (40).
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Mais c’est par un arrêt du 14 octobre 2003, surnommé Antigone, que le principe de
légalité de la preuve a reçu le coup de grâce.
Son pourvoi a été rejeté par la deuxième chambre de la Cour de cassation. Subissant
l’influence des droits des pays voisins (Pays-Bas, Royaume-Uni et France, notamment,
voy. infra), plus souples en ce qui concerne la légalité des preuves, la Cour a admis
que la preuve ne doit pas nécessairement être écartée des débats lorsqu’elle a été
obtenue de manière illicite : « La circonstance qu’un élément de preuve a été obtenu
illicitement a, en règle, uniquement pour conséquence, que le juge, lorsqu’il forme sa
conviction, ne peut prendre cet élément en considération ni directement ni indirec-
tement soit lorsque le respect de certaines conditions de forme est prescrit à peine
de nullité, soit lorsque l’irrégularité commise a entaché la crédibilité de la preuve, soit
lorsque l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable » (41).
Cette jurisprudence s’est affinée au fil des arrêts ultérieurs : « le juge ne peut écarter
une preuve obtenue illicitement que dans les seuls cas suivants : lorsque le respect de
certaines conditions de forme est prescrit à peine de nullité ; soit lorsque l’irrégularité
commise a entaché la crédibilité de la preuve ; soit lorsque l’usage de la preuve est
contraire au droit à un procès équitable » (42). Il n’en va pas différemment lorsque les
illégalités consistent dans la méconnaissance de droits protégés par la Convention
européenne des droits de l’homme et par la Constitution (43). La Cour a décidé, par
exemple, que n’est pas légalement justifiée la décision d’écarter une preuve qui est la
conséquence d’une perquisition illicite dans un hangar au seul motif que le bailleur ne
pouvait pas autoriser cette perquisition et qu’un serrurier avait été requis afin de pou-
voir accéder au hangar (44). En revanche, l’écartement de cette même preuve au motif
que l’erreur des policiers est inexcusable est légalement justifié (45). L’omission d’infor-
mation du personnel en cas de vidéosurveillance « n’étant pas sanctionnée de nullité
par la loi, c’est au juge qu’il appartient d’apprécier les conséquences, sur la recevabilité
des moyens de preuve produits aux débats, de l’irrégularité ayant entaché leur obten-
tion. Lorsque l’irrégularité commise ne compromet pas le droit à un procès équitable,
n’entache pas la fiabilité de la preuve et ne méconnaît pas une formalité prescrite
à peine de nullité, le juge peut, pour décider qu’il y a lieu d’admettre des éléments
irrégulièrement produits, prendre en considération, notamment, la circonstance que
Jardin, Kluwer, 2001, p. 61 et suiv. ; F. KUTY, « La règle de l’exclusion de la preuve illégale ou irrégulière :
de la précision au bouleversement », R.C.J.B., 2004, p. 419 et suiv. ; R. VERSTRAETEN, Handboek
strafvordering, 4ème éd., Anvers, Maklu, 2005, p. 864 et suiv.
(41) R.C.J.B., 2004, p. 405 et note F. KUTY ; T. Strafr., 2004, p. 127 et note Ph. TRAEST.
(42) Cass., 23 mars 2004, Rev. dr. pén., 2005, p. 661.
(43) Cass., 16 novembre 2004, Pas., 2004, p. 1795 et les conclusions du ministère public (1er arrêt), et
p. 1802 (2ème arrêt).
(44) Cass., 4 décembre 2007, R.W., 2008-2009, p. 110 et note B. DE SMET.
(45) Cass., 23 septembre 2008, T. Strafr., 2009, p. 151 et note F. SCHUERMANS.
209
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS
l’illicéité commise est sans commune mesure avec la gravité de l’infraction dont l’acte
irrégulier a permis la constatation, ou que cette irrégularité est sans incidence sur le
droit ou la liberté protégés par la norme transgressée » (46).
15. Saisie de la question de savoir si une discrimination résultait de la loi ainsi inter-
prétée, la Cour constitutionnelle a fermement rappelé, le 22 décembre 2010, que l’ar-
ticle 22 de la Constitution « n’exige pas en soi qu’une preuve obtenue en méconnais-
sance du droit (au respect de la vie privée) qu’il garantit doive être considérée comme
nulle en toutes circonstances » et que « ni les articles 12 et 22 de la Constitution, ni
les articles 6.1 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme n’exigent la
‘nullité automatique’ d’éléments de preuve obtenus illicitement » (47).
16. C’est ensuite la troisième chambre de la Cour qui a été amenée à se prononcer
sur l’admissibilité des moyens de preuve illicites. L’arrêt du 10 mars 2008 (48) concerne
l’hypothèse suivante.
Un chômeur est interrogé par la police et déclare apporter régulièrement une aide
à son frère qui tient un commerce. Le procès-verbal contenant ses déclarations est
communiqué à L’ONEM, sans l’autorisation du procureur général, ce qui constitue une
violation de l’article 125 du tarif criminel.
Ainsi informé, L’ONEM entame ensuite une enquête, au cours de laquelle le chômeur
est entendu par son service d’inspection. Après quoi, L’ONEM, estimant que le chô-
meur a effectué des prestations de travail durant la période de chômage, prend une
décision défavorable au chômeur, vraisemblablement d’exclusion du bénéfice des
allocations et de récupération des allocations indûment versées.
Sur le pourvoi formé par L’ONEM, la Cour de cassation est amenée à trancher la ques-
tion de savoir si une preuve obtenue de façon illégale, ou découlant d’un élément
de preuve recueilli de manière illégale, est aussi digne de foi et convaincante qu’un
(46) Cass., 2 mars 2005, Pas., 2005, p. 505 et conclusions du ministère public. Voy. M.-A. BEERNAERT, « La
fin du régime d’exclusion systématique des preuves illicitement recueillies par les organes chargés de
l’enquête et des poursuites », J.L.M.B., 2005, p. 1094 et suiv. Voy. aussi, notamment Cass., 12 octobre
2005, Pas., 2005, p. 1904 ; Cass., 8 novembre 2005, Pas., 2005, p. 2181 et R.A.B.G. 2006, p. 930, et note
S. BERNEMAN ; Cass., 31 octobre 2006, Pas., 2006, p. 2239 ; T. Strafr., 2007, p. 53, et note F. SCHUER-
MANS ; Cass., 21 novembre 2006, Pas., 2006, p. 2437 ; Cass., 22 novembre 2006, Pas., 2006, p. 2454 ;
Cass., 26 novembre 2008, J.T., 2008, p. 741, avec les conclusions du ministère public ; Cass., 2 septem-
bre 2009, Rev. dr. pén., 2010, p. 677 ; Cass., 5 juin 2012, Pas., 2012, p. 1300.
(47) C.C., 22 décembre 2010, n° 158/2010.
(48) Pas., 2008, p. 652, n° 166 ; R.C.J.B., 2009, p. 325 et note.
210
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE
élément récolté de manière licite, ou si, au contraire, cette preuve doit être rejetée des
débats et ne peut servir de soutènement à une décision.
Par l’arrêt du 10 mars 2008, qui paraît bien être un arrêt de principe (49), la Cour de
cassation accueille le pourvoi de L’ONEM et formule la même règle que dans ses arrêts
rendus en matière pénale.
17. Cet arrêt est, sauf erreur, le seul prononcé à ce jour par une chambre non pénale.
Quelques auteurs estiment qu’il est circonscrit à la matière de la sécurité sociale (50).
La question est discutée. Les prochains arrêts de la Cour permettront sans doute de
répondre à la question avec certitude. Toutefois, à la lecture de l’arrêt du 10 mars 2008,
on n’aperçoit pas pourquoi il aurait une portée réduite à la seule matière de la sécurité
sociale. Rien dans l’arrêt de la Cour ne permet de l’affirmer ni même de le supposer. Au
contraire, alors que le pourvoi s’appuyait sur un rapprochement entre le droit pénal
d’ordre public et la mission d’ordre public de L’ONEM, la Cour ne reprend pas cette
motivation à son compte. En reproduisant littéralement les motifs de ses précédents
arrêts dont elle fait la synthèse, la Cour affiche plutôt une volonté d’uniformité dans
sa jurisprudence, quelle que soit la matière concernée. Cette lecture est partagée par
de nombreux auteurs (51).
Un autre élément pousse à penser que la Cour n’a pas entendu limiter la portée de son
arrêt au droit de la sécurité sociale. Les verbos retenus par la Pasicrisie sont : « Preuve -
Matière civile - Généralités » (53).
(49) Dans le même sens, J. VAN COMPERNOLLE, « L’incidence de la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme sur l’administration de la preuve dans le procès civil », La preuve et la difficile
quête de la vérité judiciaire, CUP, vol. 126, Liège, Anthémis, 2011, p. 17.
(50) D. MOUGENOT, « Détective privé et vie privée : un couple difficile à accorder », J.T., 2010, p. 298
(l’auteur a néanmoins modifié son analyse par la suite : D. MOUGENOT, « Antigone: suite mais pas
fin ... », J.T., 2013, p. 267 et suiv.). C. trav. Bruxelles, 5 novembre 2009, refuse d’appliquer à la matière
civile l’arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 2008 au motif qu’il est « rendu en matière pénale
» (J.T.T., 2010, p. 139). Voy. aussi les réticences de H. BUYSSENS, « Ontslag om dringende reden »,
M. RIGAUX et W. RAUWS (Ed.), Actuele problemen van het arbeidsrecht, t. 8, Antwerpen, Intersentia,
2010, p. 222 à 227.
(51) Dans le même sens, R. DE BAERDEMAEKER, « Admissibilité d’une preuve illicitement recueillie :
quand la fin justifie les moyens … », J.L.M.B., 2009, p. 585 ; O. MORENO et S. VAN KOEKENBEEK, « Les
enjeux de la vie privée au travail et sa dynamique dans l’entreprise », Actualités du droit à la vie privée,
Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 65 ; K. WAGNER, « Actualia in burgerlijk bewijsrecht », R.D.J.P., 2009, p. 168
et 169 ; B. ALLEMEERSCH, « Stand van zaken en recente ontwikkelingen op het vlak van het bewijs in
rechte », P. VAN ORSHOVEN (ed.), Gerechtelijk recht, coll. Themis, n° 59, Bruges, die Keure, 2010, p. 52,
n° 28 ; J. VAN COMPERNOLLE, op. cit., La preuve et la difficile quête de la vérité judiciaire, p. 17.
(52) V. PERROCHEAU, op. cit., Petites affiches, 2002, n° 99, p. 6 et suiv.
(53) Sur le site web de la Cour, la décision était, à la mi-novembre 2010, classée sous les mots-clés sui-
vants : Droit civil, preuve des obligations.
211
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS
18. L’arrêt du 10 mars 2008 est prononcé par la section flamande de la troisième
chambre ; selon certains auteurs, la chambre francophone se serait prononcée, par
un arrêt du 10 novembre 2008, en sens contraire (54). Cette interprétation curieuse est
critiquable.
L’arrêt du 10 novembre 2008 (55) concerne un travailleur licencié qui, pour démontrer
le caractère irrégulier de son licenciement, produisait la copie d’une correspondance
échangée entre le liquidateur de son ex-employeur et le cessionnaire de l’entreprise,
correspondance qui n’était pas destinée au travailleur et dont il s’était, suivant la cour
du travail, emparé de manière irrégulière. La cour du travail avait écarté les pièces au
motif que le travailleur n’établissait pas qu’il en avait eu possession de manière régu-
lière et en faisait un usage abusif.
Eu égard à la manière dont le pourvoi était formulé, il ne nous paraît pas possible
de tirer comme enseignement de cet arrêt le maintien du principe de légalité de la
preuve dans la matière civile par une partie de la Cour (56).
(54) K. CRAUWELS, « Onrechtmatig bewijs … of wat ervan overblijft ? De invloed van de Antigoonrecht-
spraak op het onrechtmatig verkregen bewijs in burgerlijke zaken », Recente ontwikkelingen in het
arbeids-, economisch, straf- en familierecht, Huldeboek voor Mr. Jos Van Goethem, Anvers, Intersentia,
2009, p. 180 et 181 ; K. VAN KILDONCK, « Onrechtmatig verkregen bewijs op het werk », NJW, 2010,
p. 182, n° 10 ; D. MOUGENOT, « Antigone face aux juges civils. L’appréciation des preuves recueillies
de manière illicite ou déloyale dans les procédures civiles », DAOR, 2011, p. 246, n° 12.
(55) J.L.M.B., 2009, p. 347 et J.T.T., 2009, p. 18.
(56) Dans le même sens, B. ALLEMEERSCH et S. REYLANDT, « Licéité de la preuve en matière civile : un
clone pour ‘Antigoon’ », J.T., 2012, p. 174, n° 30.
212
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE
19. Sans doute faudra-t-il attendre que la Cour se prononce à nouveau en matière
civile pour apaiser le débat. Néanmoins, les juges du fond tranchant un litige de droit
civil ou du travail sont de plus en plus nombreux à faire application de la jurispru-
dence Antigone, notamment aux preuves collectées en violation d’une disposition
destinée à protéger la vie privée.
Ainsi la cour d’appel de Gand a-t-elle admis qu’une personne à qui était réclamé le
paiement d’une dette constatée dans un acte notarié prouve le remboursement de
celle-ci par la voie de l’enregistrement d’une communication téléphonique effectué
à l’insu du prétendu créancier, au cours de laquelle celui-ci avait reconnu avoir reçu le
paiement (57).
On admet désormais les images procurées par une vidéosurveillance non dénoncée
à la Commission de la vie privée (58) ou non précédée d’une information du person-
nel (59), les courriels produits par un employeur qui, ayant eu vent de ce que son salarié
lui faisait concurrence, a fouillé l’ordinateur d’un collègue de celui-ci, découvert une
série d’e-mails adressés par le travailleur fautif à son collègue et procédé à la rupture
pour motif grave du contrat de travail (60), ou encore les courriels obtenus grâce à une
surveillance de la boîte de courrier électronique appliquée sans avoir observé l’obli-
gation d’information préalable du personnel faite par la convention collective de tra-
vail n° 81, obligation dont la cour du travail de Liège constate au passage qu’elle ren-
drait la surveillance inutile ou illusoire (61). Il en est de même au sujet du contrôle par
l’employeur de l’utilisation de l’internet (62), notamment lorsqu’il s’agit d’établir que le
travailleur avait consulté durant ses heures de travail des sites pédopornographiques
à diverses reprises : « La pédopornographie et les sites qui en sont le support est indis-
sociable du phénomène de la prostitution et de l’exploitation sexuelle des enfants et
adolescents (…). La circonstance qu’en l’espèce la preuve serait illicite (…) est sans
commune mesure avec la gravité de l’acte reproché » (63).
(57) Gand, 16 février 2010, T.G.R., 2010, p. 258. Voy. déjà Gand, 6 septembre 2006, D.A.O.R., 2007, p. 326.
(58) C. trav. Liège, 8 mars 2011, Chron. D.S., 2011, p. 404.
(59) C. trav. Mons, 12 septembre 2011, R.G. 2010/AM/333.
(60) Trib. trav. Gand., 1er septembre 2008, T.G.R., 2009, p. 275 ; C. trav. Mons, 8 décembre 2010, Chron. D.S.,
2011, p. 399; C. trav. Gand, 28 juin 2010, J.T.T., 2011, p. 366.
(61) C. trav. Liège, 20 septembre 2010, J.L.M.B., 2010, p. 1899.
(62) C. trav. Anvers, 2 septembre 2008, D.A.O.R., 2010, p. 336 et suiv. et note A. VAN BEVER.
(63) Trib. trav. Mons, 25 janvier 2010, R.G. 07/17904.
213
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS
Quant à la seconde question, la Cour constate que le simple fait que la nullité ne soit
pas automatique n’implique pas une limitation disproportionnée des droits allégués :
« ni les articles 12 et 22 de la Constitution ni les articles 6.1 et 8 de la Convention euro-
péenne des droits de l’homme n’exigent la ‘nullité automatique’ d’éléments de preuve
obtenus illicitement ».
214
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE
La Cour énonce un certain nombre de circonstances dont le juge peut tenir compte
dans son appréciation du respect du droit au procès équitable (67) : le caractère pure-
ment formel de l’irrégularité, ou encore l’absence d’incidence du manquement dé-
noncé sur le droit ou la liberté protégés par la norme transgressée ; la circonstance
que l’illégalité prêtée aux enquêteurs ou aux autorités d’instruction ou de poursuite,
ou encore au dénonciateur, n’est pas intentionnelle ; la disproportion entre l’infraction
et l’irrégularité ayant précédé ou ayant accompagné sa constatation ; la circonstance
que la preuve illicite porte uniquement sur l’élément matériel de l’infraction.
L’adverbe « notamment » indique que la Cour ne limite pas ces circonstances et que
l’énonciation est purement exemplative ; elle se borne à illustrer l’hypothèse de la vio-
lation du droit au procès équitable. Toutefois, l’étendue des précisions ou suggestions
données par la Cour au juge du fond est qualifiée par certains de « comportement
de belle-mère » et jugée déplacée (68) tandis que d’autres espèrent que la Cour ne se
montrera pas trop réticente dans l’exercice de ce contrôle, en vue d’assurer une uni-
formité dans l’approche de la question (69).
22. Les causes de nullité sont peu répandues dans le Code d’instruction criminelle.
On en trouve essentiellement pour sanctionner les formalités prévues en matière de
témoignage anonyme (art. 86bis, § 4, et 86ter, al. 1er, C.i. cr.), d’écoutes téléphoniques
(article 90quater, § 1er, al. 2, C.i. cr.) et des prestations de serment des témoins (ar-
ticles 155 et 295 C.i. cr.).
Dans certains cas, les nullités peuvent être couvertes (art. 291 et 407, al. 3, C.i. cr.).
Certaines règles de procédures pénales propres aux infractions au Code pénal social
sont également sanctionnées de nullité. L’article 2, § 5 de la loi du 2 juin 2010 com-
prenant des dispositions de droit pénal social (70) (appelé à être intégré dans le Code
pénal social (71)) proclame la nullité des mesures de contrainte (recherche de docu-
ments, prélèvements d’échantillons, accès aux données informatiques, appositions de
scellés, etc.) prescrites par les inspecteurs sociaux lorsqu’elles sont exécutées en viola-
tion des articles 28, § 3, 31, 37 et 43 à 49/1 du Code pénal social. Un litige en matière
de sécurité sociale s’appuie fréquemment sur un constat d’un inspecteur social ; si
celui-ci fait état d’éléments recueillis en violation d’une disposition prescrite à peine
de nullité, ces éléments doivent être écartés.
(67) Ces circonstances ne doivent être examinées, à notre avis, que pour l’appréciation du troisième
critère, à savoir le respect du droit au procès équitable, et pas pour celle du deuxième, lié à la
fiabilité de la preuve. Dans le même sens, C.C., 22 décembre 2010, n° 158/2010. B. ALLEMEERSCH
et S. REYELANDT (op. cit., J.T., 2012, p. 171, n° 20) sont d’avis que ces circonstances doivent aussi
être prises en considération lors de l’appréciation de la fiabilité de la preuve, tout en critiquant la
pertinence de ces circonstances pour l’appréciation de la fiabilité de la preuve.
(68) F. VERBRUGGEN, « Vindt het Spook van Antigoon rust ? Franstalig ‘schoonmoedersarrest’ als slotluik
van de nieuwe cassatierechtspraak over de uitsluiting van onrechtmatig bewijs ? », T. Strafr., 2006,
p. 28, n° 14.
(69) R. VERSTRAETEN, Handboek strafvordering, op. cit., p. 871, n° 1824.
(70) M.B., 1er juillet 2010.
(71) L’article 5 de la loi habilite le Roi à les insérer dans le Code pénal social.
215
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS
La question de la nullité en procédure pénale est un vieux débat. Il existe des nulli-
tés qui ne sont pas prévues par la loi mais découlent du fait que la formalité omise
est qualifiée par la jurisprudence de forme substantielle (par exemple, la prestation
de serment des experts). Depuis l’arrêt Antigone, la question se pose de savoir si la
preuve obtenue à la suite de la violation d’une formalité substantielle entraîne encore
l’obligation d’écarter la preuve irrégulière. À cette question, très controversée (72), la
Cour de cassation a récemment apporté une réponse par deux arrêts, des 26 janvier
2011 et 24 avril 2013. La violation d’une forme substantielle, si celle-ci n’est pas une
règle touchant à l’organisation des cours et tribunaux, n’entraîne pas de sanction au-
tomatique ; cette sanction s’apprécie en fonction du contexte de la violation, de son
objet et de son incidence sur le droit au procès équitable (73). En revanche, si la forme
substantielle violée touche à l’organisation des cours et tribunaux au point de vue
de la répartition de leurs attributions respectives, l’irrégularité doit être sanctionnée
même lorsque la loi ne prescrit pas expressément la nullité ; comme le préconisait
déjà J. de Codt (74), ce type de problème ne se résout pas par l’application du test
Antigone (75).
23. Les causes de nullité sont rares en procédure civile également. On peut citer, par
exemple, la violation, par un expert, des règles relatives à l’emploi des langues en ma-
tière judiciaire, qui rend nulle de nullité absolue le rapport d’expertise (76). Le défaut
de serment de l’expert est aussi une cause de nullité (art. 978 C. jud.). L’enquête est,
quant à elle, sujette à nullité pour l’un des motifs énoncés par l’article 961 du Code
judiciaire à savoir l’incapacité juridique du déposant, l’absence de serment, la viola-
tion des droits de la défense, ou la violation des règles de rédaction du procès-verbal.
Ces nullités peuvent toutefois être couvertes (art. 864 du C. jud.) et ne peuvent être
prononcées s’il est établi que l’acte a atteint son but ou que la formalité non mention-
née a quand même été accomplie (art. 867).
Cela étant, la fiabilité n’est généralement pas en cause lorsque l’illégalité ne crée pas
la preuve mais permet son administration. De nombreuses preuves ne risquent pas
(72) H.D. BOSLY, D. VANDERMEERSCH et M.A. BEERNAERT, Droit de la procédure pénale, op. cit., p. 1012 et
nombreuses références citées.
(73) Cass., 26 janvier 2011, Rev. dr. pén., 2012, p. 82 et note D. DILLENBOURG.
(74) J. DE CODT, « Preuve pénale et nullités », Rev. dr. pén., 2009, p. 642.
(75) Cass., 24 avril 2013, P.12.1919. F. En l’occurrence, une visite de chambres d’hôtel, suites et apparte-
ments avait été effectuée par des inspecteurs sociaux autorisés par le juge de police en application
de la loi du 16 novembre 1972 concernant l’inspection du travail, qui était en vigueur à l’époque ; mais
il s’agissait de constater des infractions de droit commun et pas uniquement des infractions de droit
pénal social, de sorte que seul le juge d’instruction était habilité à délivrer un mandat de perquisition.
La chambre des mises en accusation avait refusé de censurer la visite domiciliaire.
(76) Civ. Nivelles, 6 janvier 1998, J.L.M.B., 2000, p. 164.
(77) Ph. TRAEST, « Onrechtmatig verkregen doch bruikbaar bewijs : het Hof van Cassatie zet de bakens
uit », T. Strafr., 2004, p. 137; H.D. BOSLY, D. VANDERMEERSCH et M.A. BEERNAERT, Droit de la procédure
pénale, op. cit., p. 1012.
216
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE
d’être altérées par le seul procédé selon lequel on se les procure (documents, photo-
graphies, données de télécommunication, etc.) (78). On ne peut pas toujours en dire
autant de l’enregistrement d’une conversation téléphonique à l’insu de celui à qui on
l’oppose : le fichier peut être manipulé, notamment par la coupure de certains pas-
sages (79), à moins que cet enregistrement ait été effectué en présence d’un huissier (80).
25. Le critère permettra d’écarter les preuves résultant de certains procédés douteux,
tels que des aveux obtenus sous la contrainte physique (torture) (82) ou morale (at-
teinte au droit au silence) (83).
En matière civile, elle peut déboucher sur l’exclusion de la preuve qu’elle procure. Elle
est cependant difficile à identifier et ne se distingue pas toujours facilement de procé-
dés voisins admis par la jurisprudence. Est tenue pour non fiable la preuve d’une faute
commise par un salarié à la suite d’un acte de provocation de son employeur, qui,
alors qu’il avait interdit de sortir des documents du bureau, fait remettre ces mêmes
(78) C. DE VALKENEER, op. cit., Rev. dr. pén., 2005, p. 691 et 692 ; dans le même sens, au sujet des traces
laissées par le travailleur dans le système informatique de l’employeur, T. LÉONARD et K. ROSIER, « La
jurisprudence Antigoon face à la protection des données : salvatrice ou dangereuse », Revue du droit
des technologies du droit de l’information, 2009, p. 9.
(79) Au sujet de la fiabilité d’un enregistrement d’une conversation sur un Blackberry, C. trav. Bruxelles,
5 novembre 2009, J.T.T., 2010, p. 139.
(80) Gand, 16 février 2010, T.G.R., 2010, p. 258.
(81) Trib. trav. Audenaerde, 3 février 2009, Chron. D.S., 2010, p. 396.
(82) Cass., 23 mars 2004, Rev. dr. pén., 2005, p. 661.
(83) Sur le droit au silence, voy. F. KÉFER, Précis de droit pénal social, Louvain-la-Neuve, Anthémis, 2008,
p. 293 et suiv. et références citées.
(84) Il y a provocation policière lorsque les agents impliqués – membres des forces de l’ordre ou personnes
intervenant à leur demande – ne se limitent pas à examiner d’une manière purement passive l’activité
délictueuse (ce qui est le cas de l’infiltration), mais exercent sur la personne qui en fait l’objet une
influence de nature à l’inciter à commettre une infraction qu’autrement elle n’aurait pas commise,
pour en rendre possible la constatation, c’est-à-dire en apporter la preuve et la poursuivre (Cour eur.
D.H., 9 juin 1998, Teixeira de Castro c. Portugal).
(85) Cour eur. D.H., 5 février 2008, Ramanauskas c. Lituanie. Voy. C. DE VALKENEER, « La provocation
policière à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme - Commentaire
de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme et de quelques décisions récentes », Rev. trim.
dr.h., 2009, p. 211 et suiv.
217
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS
Que penser du constat d’un huissier qui, pour opérer ses constatations, travestit son
identité, se faisant passer pour un client potentiel ? La jurisprudence est tout aussi
divisée à ce sujet. Le stratagème ôte certainement aux constatations le surcroît de
crédibilité découlant, en d’autres circonstances, de la qualité de leur auteur et affaiblit
donc à tout le moins leur valeur probante. Certains juges admettent le constat au
motif que si l’huissier avait dévoilé son identité, il n’aurait pu effectuer le constat, à
condition cependant qu’il n’ait pas suscité les faits qu’il souhaitait constater (89) ; s’il ne
s’est pas borné à faire des constatations matérielles mais a eu recours à un stratagème
pour confondre le travailleur, son constat doit être écarté (90). D’autres écartent pure-
ment et simplement le procès-verbal de constat (91).
218
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE
ressort des travaux préparatoires que la preuve par le test de situation est désormais
librement admise et ne fait plus l’objet d’aucun encadrement (93).
La distinction entre la provocation – qui corrompt la preuve – et les procédés voisins
qui ne la vicient pas semble donc résider dans le fait que l’auteur de la provocation a
encouragé le fait qu’il s’agit de constater et ne s’est pas borné à en constater la réali-
sation.
27. C’est principalement ce vice qui est de nature à faire écarter une preuve. Place est
donc faite à la casuistique.
(93) Doc. parl., Ch., sess. ord., 2006-2007, n° 51-2722/005, p. 10 et n° 51-2720/009, p. 68 et suiv.
(94) En aucune façon, cette obligation de loyauté, qui sous-tend le droit au procès équitable, ne se réduit
ni ne s’identifie au principe de loyauté procédurale (Comp., sur la base d’une interprétation erronée
d’écrits antérieurs, B. ALLEMEERSCH et S. REYELANDT, op. cit., J.T., 2012, p. 169 et suiv., n° 15 et 16).
(95) Cass., 16 novembre 2004, Rev. dr. pén., 2005, p. 665 ; Cass., 2 mars 2005, Rev. dr. pén., 2005, p. 668 et
conclusions du ministère public ; Cass., 21 novembre 2006, Pas., 2006, p. 2437 ; Cass., 4 décembre
2007, R.W., 2008-2009, p. 110 et note B. DE SMET; Cass., 2 septembre 2009, Rev. dr. pén., 2010, p. 677.
(96) Cour eur. D.H., 12 mai 2000, Khan c. Royaume-Uni ; Cour eur. D.H., 25 septembre 2001, P.G. et J.H. c.
Royaume-Uni ; Cour. eur. D.H., 5 novembre 2002, Allan c. Royaume-Uni ; Cour eur. D.H., 1er mars
2007, Heglas c. République tchèque ; Cour eur. D.H., 10 mars 2009, Bykov c. Russie ; Voy. S. VAN
DROOGHENBOECK, La convention européenne des droits de l’homme. Trois années de jurisprudence de
la Cour européenne des droits de l’homme, Dossiers du J.T. n° 39, p. 125 et Dossiers du J.T. n° 57, p. 178.
(97) Cour eur. D.H., 1er juin 2010, Gäfgen c. Allemagne.
(98) Voy. M.A. BEERNAERT et F. KRENC, « la Cour européenne des droits de l’homme à la recherche d’une
conception pragmatique du procès équitable », Les droits de l’homme et l’efficacité de la Justice, Bruxel-
les, Larcier, 2010, p. 249, n° 63.
(99) Voy. en matière civile, Cour eur. D.H., 13 mars 1997, Mantovanelli c. France.
219
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS
28. L’appréciation du juge est faite globalement ; une preuve déloyale ne rend pas
un procès déloyal. Le juge devra procéder à la pesée des intérêts en présence, à la
comparaison des fautes, pour apprécier si le droit au procès équitable a été violé. Il ne
suffit pas, néanmoins, pour échapper à la sanction d’écartement que les éléments de
preuve aient été soumis à la contradiction (102) (103).
Dans son appréciation, le juge tiendra compte des circonstances énoncées à titre
exemplatif par la Cour de cassation.
Chacun a pu constater que, dans son arrêt du 10 mars 2008 rendu dans une matière
civile, la Cour avait adopté le même phrasé que dans ses arrêts prononcés en matière
pénale. Les circonstances de l’espèce s’y prêtaient, puisqu’il s’agissait en l’occurrence
d’une procédure s’appuyant sur une infraction pénale (obtention indue d’allocations
de chômage) établie notamment par la transmission illégale d’un procès-verbal d’au-
dition par un policier. Il n’en reste pas moins vrai qu’une formulation soit plus neutre,
soit plus complète serait mieux adaptée au procès civil.
29. On retrouve ici l’idée sous-jacente à la théorie des nullités du Code judiciaire :
pas de nullité sans grief ; pas de nullité s’il est finalement établi que la formalité non
mentionnée a été accomplie. Et pas d’écartement de la preuve si le droit protégé par
la norme violée lors de son obtention n’est pas lui-même atteint par cette irrégularité.
(100) Cour eur. D.H., 1er juin 2010, Gäfgen c. Allemagne, n° 173.
(101) Cour. eur. D.H., 5 novembre 2002, Allan c. Royaume-Uni ; Cour eur. D.H., 1er mars 2007, Heglas c.
République tchèque ; voy. F. KÉFER, Précis de droit pénal social, op. cit., p. 293 et suiv.
(102) Sur la notion de procès équitable, voy. P. GILLIAUX, Droit(s) européen(s) à un procès équitable, Bruxelles,
Bruylant, 2012, p 563 et suiv., et, en particulier en ce qui concerne le régime des preuves, p. 622 et suiv.
(103) L’interprétation donnée par B. ALLEMEERSCH et S. REYELANDT (op. cit., J.T., 2012, p. 173, n° 27) paraît
sur ce point assez réductrice. La production, dans une procédure civile, de documents volés n’est pas
à l’abri de tout risque d’écartement dès lors qu’ils ont été soumis à la contradiction. Le juge pourrait
écarter les pièces, par exemple, en invoquant la disproportion entre les moyens employés et la faute
reprochée ; ou encore en s’appuyant sur le caractère volontaire de l’illégalité (comp. C. trav. Liège,
14 décembre 2010, R.G. 2009/AN/8.833). Ce faisant, le juge se bornerait à apprécier le droit au procès
équitable en fonction des circonstances énoncées par la Cour de cassation.
220
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE
30. Cette circonstance est énoncée par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts (104)
et fait l’objet de vives critiques. Dans ses conclusions précédant l’arrêt Antigone, l’avo-
cat général M. De Swaef avait suggéré de ne pas écarter les mesures procédant d’une
erreur excusable, par opposition à la violation consciente de la loi, à la négligence
grave et à la méconnaissance des principes relatifs à un procès équitable (105). La cour
du travail de Liège a, par exemple, retenu le caractère intentionnel de l’infraction
commise pour écarter les pièces (en l’espèce, le travailleur avait cambriolé l’entreprise
et dérobé des documents appartenant à celle-ci dans l’espoir d’établir sa préten-
tion) (106). Néanmoins, par la suite, la Cour de cassation a précisé que « la circonstance
que l’autorité chargée de la recherche, de l’instruction ou de la poursuite des infrac-
tions a intentionnellement commis un acte illicite pour obtenir des preuves ne doit
pas nécessairement inciter le juge à exclure ces preuves » (107). Ensuite, elle a déclaré
que les éléments recueillis au cours d’une perquisition illégale ne doivent pas être
rejetés si les policiers n’ont pas agi intentionnellement bien qu’ils aient commis une
faute inexcusable (108).
3) La circonstance que la preuve illicite porte uniquement sur l’élément matériel de l’infrac-
tion
31. Cette circonstance signifie que la preuve ne concerne pas la culpabilité de l’auteur
de la faute mais uniquement l’infraction elle-même. Dans ses conclusions précédant
l’arrêt Antigone, l’avocat général M. De Swaef avait mis en évidence que l’irrégularité
ne peut pas créer la preuve de la culpabilité, comme des aveux obtenus sous la tor-
ture (109). On rejoint ici la condition relative à la fiabilité de la preuve.
32. L’une des circonstances que le juge devra prendre en compte est, suivant la
Cour de cassation, la gravité respective des fautes reprochées ; d’un côté, le trafic de
drogue, l’assassinat d’un enfant, l’exercice illégal de l’activité d’agent immobilier, la
fausse déclaration d’un chômeur, la perception indue d’allocations sociales, la concur-
rence déloyale, le vol, le harcèlement moral ou sexuel, la consultation de sites pé-
dopornographiques, par exemple, et de l’autre, l’irrégularité ayant précédé ou ayant
accompagné la constatation de cette faute (violation de domicile, violation du secret
médical, atteinte au secret des lettres, etc.); si la seconde « excède manifestement » ou
(104) Notamment Cass., 12 octobre 2005, Pas., 2005, p. 1904. Pour un commentaire de ce critère, voy. C. DE
VALKENEER, op. cit., Rev. dr. pén., 2005, p. 692 ; Ph. TRAEST, op. cit., T. Strafr., 2004, p. 141 ; H.D. BOSLY,
D. VANDERMEERSCH et M.A. BEERNAERT, Droit de la procédure pénale, op. cit., p. 1016.
(105) Pas., 2003, p. 4610, n° 6.3 et 7.1.
(106) C. trav. Liège, 14 décembre 2010 (R.G. 2009/AN/8.833).
(107) Cass., 31 octobre 2006, T. Strafr., 2007, p. 53 et note F. SCHUERMANS.
(108) Cass., 23 septembre 2008, T. Strafr., 2009, p. 151 et note F. SCHUERMANS ; Cass., 26 janvier 2011, Rev.
dr. pén., 2012, p. 82 .
(109) Pas., 2003, p. 1610, n° 7.3.
221
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS
« est hors de proportion avec » la première, le droit au procès équitable risque d’être
menacé.
C’est ainsi que la cour du travail de Bruxelles a écarté la preuve d’un vol commis par
une travailleuse que l’employeur s’était procurée en forçant son armoire dans le ves-
tiaire en son absence mais en présence d’un délégué syndical ; il s’agissait en l’espèce
d’objets de faible valeur et la cour a estimé qu’il y avait disproportion entre le moyen
illégal employé et la faute reprochée à la salariée (112).
(110) Il s’agit ici d’un ad hoc balancing, décrit par, entre autres, J.-F. VAN DROOGHENBROECK, « La Cour
de cassation reçoit-elle le principe de proportionnalité ? », Liber Amicorum Paul Martens, Bruxelles,
Larcier, 2007, p. 573 et suiv.
(111) Cass., 8 novembre 2005, Pas., 2005, p. 2181 ; Cour eur. D.H., 28 juillet 2009, Lee Davies c. Belgique.
(112) C. trav. Bruxelles, 2 mai 2011, R.G. 2009/AB/52260.
(113) C. trav. Liège, 20 septembre 2010, J.L.M.B., 2010, p. 1899.
(114) R.G. 2009/AM/21709.
222
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE
dans les courriels litigieux, désigné ses supérieurs hiérarchiques par des épithètes peu
élogieuses (abruti, connard, le plus con du monde et de loin, Hitler, gestapo).
33. C’est sans doute aussi sur la base de ce rapport de proportionnalité qu’il convient
désormais d’appuyer le rejet des éléments de preuve obtenus au mépris du secret
professionnel, qu’il s’agisse de celui de l’avocat ou du médecin : la gravité de l’irrégula-
rité consistant dans l’appropriation ou dans la communication d’un élément couvert
par le secret est telle qu’elle ne peut être tenue pour inférieure à celle de la faute qu’il
s’agit d’établir. Admettre la preuve au nom du besoin d’établir la vérité en justice com-
promettrait une valeur supérieure, celle protégée par le secret professionnel.
34. Nombreux sont les auteurs qui ont plaidé pour une prise en compte des compor-
tements respectifs des protagonistes.
D’autres abordent la question par le biais de l’abus de droit. Aucun obstacle théorique
ne s’oppose à ce que soit reconnu l’abus d’un droit fondamental (117). Une approche
fonctionnelle des droits fondamentaux conduit à considérer que le droit à la vie privée
n’est pas destiné à tenir caché un comportement illégal ou criminel. Si une personne
invoque le droit à la vie privée pour échapper à la sanction de son comportement
(vol, etc.), elle n’invoque pas le droit à l’épanouissement personnel ; elle abuse de son
droit en le détournant de sa finalité (118). Dans cette conception, un amoindrissement
du principe de légalité de la preuve se conçoit. À cela s’ajoute la considération que la
recherche de la vérité n’est pas l’apanage de la procédure pénale mais peut se révéler
fondamentale dans la procédure civile aussi (119).
(115) V. PERROCHEAU, op. cit., Petites affiches, 2002, n° 99, p. 6 et suiv. Dans le même sens, C. trav. Liège,
20 septembre 2010, J.L.M.B., 2010, p. 1899.
(116) K. WAGNER, op. cit., R.D.J.P., 2009, p. 167, n° 46, qui qualifie sa théorie de « Compostage des fruits de
l’arbre empoisonné », en ce sens que de la putréfaction peut naître une chose frugifère.
(117) F. HENDRICKX, « Privacy op het werk en bewijs van onrechmatig gedrag : (spookt) Antigoon in het
arbeidsrecht ? », R.D.S., 2006, p. 668 et 701.
(118) R. DE CORTE, « De achterkant van de privacy. Kan het beroep op privacy leiden tot straffeloosheid ? »,
NJW, 2003, p. 808 ; S. BERNEMAN, « L’admissibilité de la preuve dans un système continental : le mo-
dèle belge », Rev. dr. pén., 2007, p. 302 et 303.
(119) F. HENDRICKX, op. cit., R.D.S., 2006, p. 702.
223
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS
Dans le même esprit, l’avocat général Vandermeersch écrivait dans ses conclusions
précédant l’arrêt du 2 mars 2005 (preuve d’un vol d’une travailleuse par le biais d’une
vidéosurveillance) : « À l’instar du secret professionnel, le droit à la protection de la
vie privée n’a pas été institué pour couvrir des infractions. En l’espèce, la mesure était
ciblée dans le temps et l’espace et elle était apparemment strictement limitée au but
poursuivi, à savoir le constat d’éventuelles infractions. Dès lors que la défenderesse
disposait de soupçons sérieux de l’existence d’infractions, il était légitime qu’elle ait
le souci d’en recueillir les preuves avant d’en faire la dénonciation conformément
à l’article 30 du Code d’instruction criminelle. Il ne me paraît pas que ces éléments
doivent céder le pas à la valeur protégée par la convention collective du 16 juin 1998,
à savoir la vie privée du travailleur. Dès lors, la violation éventuelle de la vie privée de
la (travailleuse) et le non-respect de l’obligation prévue à l’article 9 de la convention
précitée, ne doivent pas entraîner, à mes yeux, l’exclusion du moyen de preuve » (120).
35. De nombreux États admettent, dans une certaine mesure en tout cas, la prise en
considération de preuves irrégulières, mais cette mesure varie de l’un à l’autre (121).
Dans la plupart des pays, le débat se focalise principalement sur les procès pénaux ;
mais dans d’autres, comme la France, par exemple, la question est vivement discutée
en matière civile également.
A. Pays-Bas
36. En droit néerlandais, l’exclusion des preuves recueillies illicitement n’est certaine-
ment pas un principe régissant la procédure, qu’elle soit civile (122) ou pénale (123). Le
juge y dispose d’un très large pouvoir d’appréciation. Même en matière civile, l’article
152 du Code de procédure civile permet de rapporter la preuve par tous moyens et
abandonne au juge l’appréciation de la valeur de ceux-ci. En matière pénale, la loi
attache à l’irrégularité d’autres sanctions que l’écartement de la preuve, telles que la
réduction de la peine ou l’irrecevabilité des poursuites (124).
224
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE
B. Royaume-Uni
La règle générale reste donc qu’un élément de preuve recueilli illégalement, de ma-
nière indécente ou injuste reste admissible en droit, qu’il ait été produit par le minis-
tère public ou la défense.
Une exception notable à cette règle est l’aveu, qui n’est admissible que si la partie pu-
blique peut prouver qu’il n’a pas été obtenu sous la pression ou sous une quelconque
influence pouvant priver l’aveu de sa fiabilité (127).
En matière civile, si la loi (Civil evidence act et Civil procedure rules) détaille par le menu
les conditions d’admissibilité des divers procédés de preuve, en revanche elle est
muette quant au pouvoir du juge civil anglais d’écarter une preuve irrégulièrement
obtenue. Qu’il s’agisse de la loi ou de la jurisprudence, aucune règle ne lui permet
d’écarter une telle preuve si elle est légalement admissible. Il y a une exception, qui
concerne les documents privilégiés (privileged documents), comme ceux couverts par
le secret professionnel de l’avocat. La partie qui les obtient par la ruse ou au moyen
d’une infraction s’expose au pouvoir d’appréciation du juge, qui, après avoir effectué
la balance des intérêts, peut les rejeter (128).
Sous réserve d’exception, le droit anglais porte donc peu d’attention à la manière
dont les éléments de preuve ont été obtenus.
C. France
Ainsi, sa chambre criminelle admet comme moyen de preuve des documents obte-
nus par des procédés déloyaux dès lors qu’ils peuvent être discutés contradictoire-
ment (129). La même chambre a accepté la mise en scène appelée test de situation
ou testing pratiquée par une association de lutte contre le racisme pour caractériser
(125) R. MAY, Criminal Evidence, 2ème éd., Londres, Sweet and Maxwell, 1990, p. 226 et suiv. ; J.A. ANDREWS
et M. HIRST, Criminal Evidence, 2ème éd., Londres, Sweet and Maxwell, 1992, p. 379 et suiv.
(126) ARCHIBOLD, Criminal pleading, evidence and practice, Londres, Sweet and Maxwell, 1997, § 15-428 et
suiv.
(127) R. MAY, Criminal Evidence, op. cit., p. 180, § 8-76 ; J.A. ANDREWS et M. HIRST, Criminal Evidence, op. cit.,
p. 380, § 14.04 ; ARCHIBOLD, Criminal pleading, evidence and practice, op. cit., § 15-337 et suiv.
(128) A. KEANE, The Modern law of Evidence, 4ème éd., Londres, Butterworths, 1996, p. 46 et suiv.
(129) Cass. crim., 30 mars 1999, Bull. crim., n° 59.
225
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS
des pratiques discriminatoires ; l’arrêt fait toutefois l’objet de vives critiques (130). Les
chambres sociale et criminelle de la Cour, après l’avoir longtemps refusée, tolèrent
désormais la preuve par des documents dérobés par un salarié lorsqu’ils sont « stric-
tement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense dans le litige l’opposant à son
employeur » (131). En revanche, un employeur n’a pas été admis à produire un fichier
personnel découvert sur le disque dur de l’ordinateur professionnel de son salarié
pour démontrer la concurrence déloyale et la transmission à un tiers d’informations
confidentielles à laquelle se livrait ce salarié (132) (133). Un arrêt de la chambre civile per-
met l’utilisation d’une preuve portant atteinte à la vie privée à condition d’être dans
l’impossibilité d’en obtenir d’autres (134). La chambre commerciale autorise, au nom du
principe de l’égalité des armes découlant du droit au procès équitable, la preuve par
un élément qui porte atteinte à la vie privée d’autrui si cette atteinte est justifiée par
la protection des droits de la défense (135). En revanche, elle continue de se montrer
exigeante en droit de la concurrence, n’acceptant pas la preuve par l’enregistrement
d’une communication téléphonique effectué à l’insu de l’auteur des propos tenus (136),
alors que ce type de preuve est admis, dans une certaine mesure à tout le moins, par
la chambre criminelle (137).
D. Québec
39. Très inspiré du droit anglais, le droit du Québec a, pendant longtemps, considéré
que le seul critère d’admissibilité d’une preuve était sa pertinence ; ce n’est que si elle
n’était pas pertinente pour le fond du litige qu’elle pouvait être écartée.
L’article 24 (2) de la Charte canadienne des droits et libertés de 1982 a modifié la règle
pour ce qui concerne les relations entre les particuliers et l’ État. Depuis lors, dans les
affaires criminelles en particulier, une preuve est exclue si deux conditions sont réu-
nies : (1) l’élément de preuve est obtenu dans des conditions qui portent atteinte à un
droit ou à une liberté fondamentale ; (2) l’utilisation de cette preuve est susceptible de
discréditer l’administration de la justice. S’agissant des relations entre les particuliers,
une règle similaire a été adoptée par le Code civil québécois, en son article 2858, en
vigueur depuis le 1er janvier 1994.
(130) Cass. crim., 11 juin 2002, Bull. crim., n° 131; L. COLLET-ASKRI, « Testing or not testing ? La Chambre
criminelle de la Cour de cassation valide ce mode de preuve, serait-il illégal … », D., 2003, p. 1309
et suiv. ; P. LEMOINE, « La loyauté de la preuve (à travers quelques arrêts récents de la chambre
criminelle) », disponible sur http://www.courdecassation.fr.
(131) Cass. soc., 2 décembre 1998, Bull. civ., V, n° 535 ; Cass. crim., 11 mai 2004, Bull. crim., n° 117 ; Cass. soc.,
30 juin 2004, Bull. civ., V, n° 187.
(132) Cass. soc., 2 octobre 2001, D, 2001, p. 1348.
(133) Pour des commentaires, voy. entre autres, L. RAISON REBUFAT, « Le principe de loyauté en droit de
la preuve », Gaz. Pal., 2002, p. 1195 ; S. GUINCHARD, Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz,
2006, p. 535, n° 222, point 51 ; V. PERROCHEAU, op. cit., Petites affiches, 2002, n° 99, p. 6 et suiv. ;
M.E. BOURSIER, Le principe de loyauté en droit processuel, Paris, Dalloz, 2003, p. 212 à 216.
(134) Cass. civ., 16 octobre 2008, Gaz. Pal., 2008, p. 4167 et note N. DUPONT.
(135) Cass. com., 15 mai 2007, D., 2007, p. 2775.
(136) Cass. com., 3 juin 2008, D., 2008, p. 1687 et note E. CHEVRIER.
(137) Cass. crim., 14 février 2006, D., 2007, p. 1184 et note J.-C. SAINT-PAU ; V. VIGNEAU, « La loyauté dans
l’administration de la preuve », D., 2011, p. 618.
226
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE
E. États-Unis
40. Les États-Unis ont, de longue date, adopté le principe de légalité des preuves en
matière criminelle. L’exclusionary rule, selon laquelle les preuves recueillies en viola-
tion des droits constitutionnels ne sont pas admissibles en matière pénale, découle
du Quatrième Amendement de la Constitution, qui protège les citoyens contre des
perquisitions et saisies non motivées tant en ce qui concerne leur personne, leur do-
micile, leurs papiers que leurs effets. Un mandat ne peut être délivré que si un certain
nombre de conditions strictes sont réunies.
Il y a cependant des exceptions. Les illégalités commises de bonne foi par les enquê-
teurs, notamment parce qu’ils ont agi sur la base d’un mandat illégalement délivré
par un magistrat (141) et le fait que la preuve ait été obtenue par une personne privée
et non par les agents de l’État (142) en font partie. Il faut en outre que l’acte illégal soit
la cause immédiate qui a permis de découvrir les preuves. S’il est très probable que
l’élément aurait été découvert sans l’acte illégal des enquêteurs, la preuve est admis-
sible (143).
227
RECHTSLEER - DOCTRINE 2013/2 TSR RDS
CONCLUSION
41. L’abandon du principe de légalité de la preuve, s’il s’inscrit sans contretemps dans
son environnement européen, et même plus large, affaiblit les libertés fondamen-
tales, ce dont il ne faut certainement pas se réjouir.
(144) E.W. CLAERY, McCormick on evidence, Minnesota, West publishing company, 1984, p. 455 et suiv.,
§ 167 ; R.E. SHEPHERD, « Admissibility of illegally obtained evidence in civil case », Washington and Lee
Law Review, 1960, vol. XVII, p. 155.
(145) R.S. BEITMAN, Getting your hands on the evidence, Ali-Aba, 2005, p. 35 et suiv.
(146) Not. J. VAN COMPERNOLLE, op. cit., La preuve et la difficile quête de la vérité judiciaire, p. 22 et 24, n° 15
et 17 ; B. ALLEMEERSCH et S. REYELANDT, op. cit., J.T., 2012, p. 172, n° 23.
228
TSR RDS 2013/2 RECHTSLEER - DOCTRINE
Les Français sont confrontés à cette difficulté. On l’a vu au sujet de la preuve par en-
registrement téléphonique clandestin : l’admissibilité est la règle devant les juridic-
tions répressives alors que la preuve est rejetée par les juridictions civiles. Le débat
sur son admissibilité dans le droit de la concurrence est vif : certains sont favorables
à l’application de la règle pénale ; d’autres y sont opposés et se réjouissent que les
règles soient identiques devant le juge civil et l’autorité de concurrence : « une dis-
parité serait assurément de nature à inciter la victime à préférer agir devant l’Autorité
spécialisée et ne contribuerait certes pas à la promotion des actions privées exercées
directement devant les juridictions civiles » (147). Toujours au sujet des enregistrements
de conversations téléphoniques, d’autres auteurs font valoir que la divergence entre
la jurisprudence civile et la jurisprudence pénale est gênante et appellent à l’unifica-
tion (148).
(147) M. CHAGNY, « Loyauté de la preuve dans les procédures de concurrence : ‘le civil tient le criminel en
échec !’ », Comm. comm. électr., 2011, chron. 3, n° 24.
(148) Ph. BONFILS, « Loyauté de la preuve et droit au procès équitable », D., 2005, p. 124.
229