L'épistémologie de Hegel

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L’EPISTEMOLOGIE DE HEGEL

MASTER APGT
FILIERE : EPISTEMOLOGIE DES SCIENCES SOCIALES

Présenté par : Encadré par :


EPONOU MARIUS WILFRIED EL ASSER ABDERRAZAK

ANNEE 2022/2023
PLAN

INTRODUCTION
I-LA DOUBLE STATEGIE EPISTEMOLOGIQUE KANTIENNE ET LA
TRANSFORMATION POST-KANTIENNE DU CONSTRUTIVISME
A- La double stratégie épistémologique kantienne
B- La transformation post-kantienne du constructivisme
II- LE CONSTRUTIVISME HEGELIEN
A- Le constructivisme épistémologique de Hegel
B- Constructivisme et idéalisme chez Hegel
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION

Si le constructivisme, comme concept mathématique, est basé sur la construction de


l’objet et remonte à l’antiquité grecque, le constructivisme philosophique, est, en revanche,
un concept moderne qui étend ce concept mathématique au problème de la connaissance.
Le constructivisme hégélien, omniprésent dans ses écrits dès le début jusqu’à la fin, ne
semble jamais avoir été étudié avec l’attention qu’il mérite. Ce constructivisme se laisse
pourtant examiner par rapport au constructivisme de Kant, parfois étudié sous le terme de
révolution copernicienne. J’esquisserai donc la façon dont Hegel transforme une approche a
priori et apodictique en procédé a posteriori et faillible. Le constructivisme hégélien offre
ainsi des possibilités encore peu connues mais prometteuses pour le débat épistémologique.
Néanmoins, comme une étude détaillée dépasserait les limites imparties, nous esquisserons
simplement ici des pistes de réflexion pour défricher ce terrain encore largement inconnu.
Dans quelle mesure alors l’épistémologie de HEGEL et le constructivisme de Kant sont-ils
liés ?
I-LA DOUBLE STATEGIE EPISTEMOLOGIQUE KANTIENNE ET LA TRANSFORMATION
POST-KANTIENNE DU CONSTRUTIVISME

A- LA DOUBLE STATEGIE EPISTEMOLOGIQUE KANTIENNE

Le constructivisme se rapporte à une approche basée sur la construction de l’objet.


Le constructivisme philosophique se distingue de deux autres formes de constructivisme
bien connue : mathématique et physique. En mathématiques, le constructivisme
géométrique remonte jusqu’à l’antiquité grecque. Beaucoup plus tard, vers la fin du dix-
neuvième siècle, une tendance mathématique se crée en insistant sur la construction
mentale des objets mathématiques 1. En philosophie des sciences, il est souvent question
d’un constructivisme fondé dans la physique chez des auteurs tels que Dingler, Poincaré,
Lorenzen et Mittelstrass. Le constructivisme philosophique applique l’approche
constructiviste mathématique au problème de la connaissance. Il fut inventé par Hobbes,
repris et corrigé par Vico, et encore découvert à nouveau de façon indépendante par Kant.
Dans le sillon de Kant, parmi les penseurs constructivistes, citons pour mémoire des
idéalistes allemands comme Fichte, Hegel, et Marx, des « hégéliens » tels Cassirer, Croce, et
Collingwood, et des pragmatistes américains, tels que Peirce et Dewey 2.
Le constructivisme hégélien se laisse comprendre comme une réaction à celui proposé
par Kant. Il serait donc utile d’esquisser, ne serait-ce que rapidement, et sans les détails qui
s’imposent, le constructivisme dans la philosophie critique.
Ce faisant, je suivrai tous les interprètes importants de Kant, sauf Heidegger, en comprenant
la théorie critique comme une théorie de la connaissance.
Kant, qui est parfois incapable de trancher entre les diverses possibilités, propose dans
une seule et même position deux stratégies épistémologiques incompatibles. Appelons-les :
représentationaliste, de « représentation » et constructivisme, de « construction ». Pour une
stratégie représentationaliste, le problème de la connaissance consiste à analyser le rapport
entre représentation et objet, ou bien le monde tel qu’il est indépendant de nous, et donc
au-delà des apparences.
Le représentationaliste reprend de façon philosophique le réalisme de la personne
ordinaire, sans bagage philosophique, de celui ou celle qui croit tout simplement que nos
connaissances se rapportent au monde tel qu’il est réellement. Il se base sur trois
hypothèses. Primo, le monde existe dans une certaine configuration. Autrement dit, il est
comme il est, et pas autrement. Secondo, connaître veut dire aller au-delà des apparences
pour saisir le monde tel qu’il est. Tertio, il y a certains moments où on peut en connaissance
de cause, c’est-à-dire de façon bien fondée ou encore « “crédible”ment » affirmer connaître
le monde tel qu’il est.
Le représentationaliste est très populaire en philosophie moderne. Cette stratégie est
partagée entre autres par des empiristes comme Locke, des rationalistes comme Descartes,
ainsi que par beaucoup de penseurs actuels. Ainsi et parmi d’autres, le philosophe américain
Thomas Nagel pense qu’en fin de compte on peut connaître le monde tel qu’il est en le
représentant fidèlement.
A la remorque des rationalistes et empiristes, Kant s’intéressait déjà à la stratégie
représentationaliste. Dans une lettre connue du début de la période dite critique (lettre du
21 février 1772) à son ami Marcus Herz, Kant dit, en décrivant le problème de la
connaissance, qu’une solution exige une analyse du rapport de la représentation
(Vorstellung) à l’objet (Objekt). Lorsqu’il écrivit cette lettre,
Kant pensait qu’il était possible d’analyser le couple représentation/représenté.
Pourtant, il comprit plus tard que le représentationaliste échoue dans toutes ses formes. Car
si l’objet est vraiment indépendant, il n’existe donc pas de lien cognitif nous permettant de
le connaître. Il s’ensuit que, dans ce cas de figure, on ne peut « “crédible ment » affirmer
connaître un objet indépendant, par exemple un objet extérieur, donc en dehors de l’esprit.
Dans un certain sens, chez Kant, le représentationaliste atteint déjà son point culminant.
Car l’auteur de la philosophie critique se rendait déjà compte qu’aucune forme de cette
stratégie, qu’il refusait, ne pouvait réussir. Après lui, personne ne devrait « investir » dans le
représentationaliste. Or, s’il fallait évaluer la position de Kant uniquement sur une base
représentationaliste, il faudrait en dire deux choses : d’une part, elle n’est pas originale, car
elle ne fait que reprendre en la retravaillant une stratégie moderne connue mais inefficace.
D’autre part, puisque cette stratégie n’aboutit pas, la philosophie critique ne serait même
pas potentiellement viable.
Pourtant, Kant tient en réserve une seconde stratégie épistémologique, celle-là
constructiviste, qui suit sans doute à son insu celle inventée séparément par Hobbes et
reprise et modifiée par Vico. Grosso modo, le constructivisme philosophique consiste à
appliquer une stratégie mathématique pour résoudre le problème de la connaissance.
Selon cette stratégie, il est seulement « crédible » d’affirmer connaître que les objets que
l’on « construit ». Il s’ensuit qu’il n’est donc pas « crédible » d’affirmer connaître les objets
qu’on ne construit point. Comment justifier une telle conclusion ? Force est de constater que
Kant, qui formule une pensée résolument a priori, y apporte un argument clairement a
posteriori. Selon Kant, le succès notoire des sciences naturelles modernes s’explique par le
constructivisme méthodologique. Les savants modernes, comme Galilée, comprirent que la
raison ne connaît que ce qu’elle « construit » , et, de manière plus générale, que la science
ne découvre pas, ni ne révèle, mais bien plutôt « construit » la nature.
Or dans la philosophie critique cette affirmation est très difficile à faire valoir.
Kant, pourtant conscient de cette difficulté à résoudre, ne la résoudra jamais. Dans le
chapitre sur le schématisme, il dit bien qu’on « construit » les objets cognitifs au travers
d’une activité cachée à tout jamais, donc impossible à cerner.
Kant, qui ne formulera jamais clairement la stratégie constructiviste, y réussit le mieux
dans ses brèves remarques sur la révolution copernicienne. Or le rapport controversé entre
Kant et Copernic est peu étudié, donc peu compris.
La seule étude récente détaillée nie même tout rapport entre la position de Kant et
l’astronomie de Copernic. Pourtant, bien qu’il n’utilise jamais ce terme pour décrire sa
propre position, les contemporains de Kant, eux, pensaient qu’il voulait créer une révolution
copernicienne en philosophie. Dans la nécrologie de Kant qu’il rédige, Schelling, très bien
informé, attire justement l’attention sur le rapport entre ce dernier et Copernic.
La révolution copernicienne de Kant est constructiviste de part en part. Son aperçu
principal se trouve dans la thèse de l’identité entre sujet et objet, ou entre connaissance et
être. Cette thèse, qui remonte au moins jusqu’à Parménide (to gar auto noein estin te kai
einai), revient en force au centre de la philosophie critique. Si l’on ne peut connaître que ce
qu’on construit, alors la connaissance dépend paradoxalement d’une identité non standard
entre deux éléments distincts, donc différents : sujet et objet.
De façon inconsistante, Kant défend tantôt le représentationaliste, tantôt le
constructivisme. Pourtant, le représentationaliste de facture kantienne, comme toutes ses
autres variantes d’ailleurs, échoue tout simplement. Depuis Strawson, on pense souvent que
Kant est un empiriste atypique, qui anticipe ce que les philosophes analytiques dénomment
le problème sémantique. Or il est indéniable que si l’on supprime le côté idéaliste de la
philosophie critique, qui en fait pourtant partie intégrale, ce qui reste n’est parfois pas très
loin de la philosophie analytique. Pourtant, Kant ne montre pas de manière « crédible » que
les représentations mentales se réfèrent aux objets indépendants de nous. Il montre au
contraire que les objets cognitifs, du moins ceux que nous pouvons « crédiblement »
prétendre connaître, doivent obligatoirement se conformer à notre esprit.
Autrement dit, il affirme qu’on ne peut « crédiblement » connaître que les objets que nous
construisons, qui ne sont donc pas indépendants de nous.

A-LA TRANSFORMATION POST-KANTIENNE DU CONSTRUTIVISME

L’unité de l’idéalisme allemand après la philosophie critique ne provient ni de la


nationalité allemande, qui n’existait pas à l’époque, ni de la langue allemande, mais d’une
attitude partagée vis à vis de Kant. Tous les idéalistes allemands post-kantiens pensaient que
celui-ci avait créé une révolution philosophique incomplète. Tous participèrent à un effort
partagé, donc commun, pour mener à bien le projet kantien en le conduisant au-delà du
point où son auteur l’avait laissé.
Kant pense que la philosophie digne de ce nom commence et se termine dans sa position.
Il croit qu’on ne peut améliorer ni changer quoi que ce soit dans sa pensée. Pourtant, le
débat post kantien va la transformer de fond en comble.
Ce faisant, une position kantienne a priori, a-historique et anti anthropologique devient a
posteriori, historiste et anthropologique.
Kant offre un choix, nous l’avons déjà dit, entre une stratégie représentationaliste, qu’il
propose tout en la critiquant, et sa solution de rechange, qui est constructiviste. Ses
successeurs parmi les idéalistes allemands récusent le représentationaliste en faveur du
constructivisme qu’ils formulent de façons différentes.
Reinhold ne fut sur ce point qu’un piètre penseur. Cependant, le premier il attire
l’attention sur le besoin de reformuler la philosophie critique. Fichte est de loin le plus
important parmi les penseurs qui s’y risquent à la fin du dix-huitième siècle. Bien que de
nombreux observateurs s’autoproclament seuls et uniques à comprendre Kant, le jeune
Schelling tout comme le jeune Hegel adoptèrent l’interprétation de Fichte. Pourtant, tout en
se décrivant comme excessivement fidèle, et bien qu’influencé par Kant, Fichte est en fait un
philosophe hautement original. Il refuse de nombreuses doctrines du kantisme, comme celle
de la chose en soi et du représentationaliste, et en transforme d’autres, comme le concept
de sujet.
La transformation du concept de sujet constitue une étape clé dans le processus qui mène
au-delà du seul Fichte pour repenser la philosophie critique.
Kant distingue bien entendu entre la possibilité de la connaissance en général, qui appartient
à un processus logique, et le mécanisme de ce processus, qui est psychologique. Afin de ne
pas les confondre, il pense un concept de sujet qui n’est pas un être humain, mais ni plus ni
moins qu’une fonction épistémologique logée dans une théorie épistémologique. Fichte,
tout en proclamant sa fidélité sans faille à Kant, repense le sujet comme être humain fini en
transformant ainsi totalement le débat idéaliste post kantien. Un être humain, toujours situé
dans un contexte social, n’a pas de connaissances a priori, mais seulement a posteriori. La
connaissance, qui change de type, n’est donc plus théorique dans le sens kantien, mais au
contraire pratique.
En repensant le concept de sujet comme être humain « situé », Fichte ouvre le chemin
pour comprendre la connaissance à partir de l’histoire. Bien qu’esquissant une théorie de
l’histoire, Fichte ne pense cependant pas la connaissance sur le plan historique. Il ne va
jamais plus loin que de privilégier le pratique comme le point d’appui du théorique. Dans
l’idéalisme allemand, la transition du pratique à l’historique, de la pratique sociale à l’histoire
a finalement lieu en Hegel. En prenant appui sur Rousseau, Montesquieu, Herder et bien
d’autres, Hegel repense la connaissance sur une base historique.
II- LE CONSTRUTIVISME HEGELIEN

On a déjà fait remarquer que le constructivisme épistémologique, omniprésent chez Hegel,


témoigne d’un intérêt soutenu pour l’histoire dans toutes ses formes. Dès la préface à son
opuscule sur la « Différence » où il fait l’éloge de Fichte, Hegel évoque le thème
constructiviste, thème qu’il reprendra dans tous ses écrits, pour faire de l’identité kantienne
du sujet et de l’objet le principe de sa philosophie.

A- Le constructivisme épistémologique de Hegel

De cela il découle trois points. Tout d’abord, le thème principal de la philosophie consiste
à penser l’identité de la pensée et de l’être. Dans les « Leçons sur l’histoire de la philosophie
», Hegel affirme clairement que le thème idéaliste, tel qu’il est repris par Kant, correspond à
l’idée que lui se fait ensuite de la tradition philosophique. Comme ce thème idéaliste
remonte au moins jusqu’à Parménide, l’idéalisme constitue le fil conducteur de toute la
philosophie. Autrement dit, la tâche philosophique consiste à penser avec la nécessité
conceptuelle l’identité de la pensée et de l’être. Ensuite, bien que Hegel critique Fichte, ce
dernier se trouve dans le bon chemin. Finalement, comme Fichte est kantien, il s’ensuit que
l’héritage réel de la philosophie critique se trouve dans l’affirmation idéaliste de l’identité du
sujet et de l’objet. Il y a donc tout lieu de croire que Hegel pense qu’en améliorant la
stratégie constructiviste, il soit possible de résoudre le problème philosophique central.
Hegel approfondit encore la stratégie constructiviste dans la Phénoménologie de l’Esprit.
Ce traité, qui expose les différents niveaux de connaissance à partir du connaître général
(das Erkennen) jusqu’au connaître absolu (das absolutes Wissen), terme qui désigne la
philosophie, décrit le chemin de la connaissance en tant que processus historique. Comme il
ne possède ni hypothèses, ni point de départ privilégié, il n’y a aucun point d’Archimède
dans un processus, qui peut donc commencer n’importe où. Dans son introduction, Hegel
décrit la façon dont l’identité du sujet et l’objet se construisent. La connaissance se
transforme en vérité au point ultime où sujet et objet, celui qui connaît et ce que l’on
connaît, liberté et nécessité se recouvrent.
Nous n’évaluons pas nos affirmations cognitives ni absolument, ni abstraitement ni
théoriquement, ni même encore sur le plan a priori, mais uniquement sur le plan a
posteriori. La conscience possède son propre critère cognitif, critère qui s’appuie sur une
comparaison entre ce qu’on attend théoriquement et ce qu’on constate, entre théorie et
pratique qui se trouvent tous deux à l’intérieur de la conscience. Il ne s’agit pas de comparer
une entité mentale à un objet extérieur et indépendant puisque la théorie de cet objet tout
comme l’objet lui-même se trouvent dans la conscience.
On reproche souvent à Hegel d’ignorer l’expérience. Selon G. E. Moore, l’idéalisme va
tout simplement à l’encontre du sens commun en niant l’existence du monde extérieur.
Moore, qui continue d’influer le débat plus d’un siècle plus tard, ne cite aucun nom, ce qui
n’étonne nullement. Car il n’y a aucun penseur qui se considère ou qu’on pense être
idéaliste qui nie l’existence du monde extérieur. Hegel ne se détourne pas de l’expérience.
Bien au contraire, il la prend tellement au sérieux qu’il en fait le critère même de la
connaissance. Il comprend le processus de connaissance comme émergeant des expériences
successives dont le but consiste à formuler et à mettre à l’épreuve des théories successives.
Cette stratégie se laisse comparer favorablement aux contributions récentes au débat
épistémologique apportées par Popper, Kuhn, et Quine qui examinent tous le rapport entre
théorie et expérience.
Le critère idéaliste de la connaissance est l’identité, qui se constate eu égard à la
correspondance. D’après Hegel, lorsqu’on soumet une théorie à l’épreuve de l’expérience, il
n’y a que deux possibilités : soit la théorie correspond à l’expérience faite, et donc le
processus cognitif s’arrête car on a atteint la vérité ; soit comme elle ne correspond pas, il y a
une différence entre ce qu’on attend et ce que l’on trouve, et le processus se prolonge. Dans
ce deuxième cas de figure, il faut repenser la théorie ou bien formuler une autre théorie afin
de rendre compte de ce que l’on a trouvé.
Bien qu’il soit exprimé de façon complexe, l’aperçu hégélien est en fait très simple. Selon
Hegel, les connaissances émergent d’un processus consistant à formuler une hypothèse ou
une théorie, à soumettre celle-ci à l’épreuve de l’expérience, à la reformuler si besoin est en
la remplaçant par une autre. Une série d’expériences engendre ainsi une série de théories
successives sur le chemin de la connaissance dont le terminus ad quem est la vérité.
Hegel se distingue des autres penseurs qui prennent l’expérience au sérieux dans sa façon
de comprendre le rapport théorie/objet. Pour lui, une théorie n’est autre qu’un cadre
conceptuel en dedans duquel l’objet cognitif correspond ou non aux attentes. Hegel ne
s’occupe absolument pas du rapport qu’il peut y avoir entre théorie et monde ; cependant il
pense qu’en altérant la théorie, on altère aussi son objet. Autrement dit, comme l’objet
cognitif phénoménal est « indexé » pour ainsi dire sur l’hypothèse avec laquelle on le
confronte, il ne saurait pas être question de connaître un objet indépendant de quelque
façon que ce soit. Hegel refuse donc implicitement l’approche bien connue selon
Laquelle le monde est fixe et seules nos théories le concernant changent. Il refuse par
avance le choix théorique d’un Putnam, qui pense que différentes théories se réfèrent à un
monde invariable, une approche qui implique soit le représentationaliste, soit le réalisme
direct.
Hegel, tout comme Kant de temps en temps, ou Fichte, se défait complètement de la stratégie
représentationaliste standard de la connaissance. Selon Hegel, on ne peut « crédiblement »
prétendre connaître un objet indépendant. Nous savons que suite à l’épreuve de l’expérience, il y a
de bonnes raisons d’opter pour une théorie au lieu d’une autre. L’objet cognitif, qui dépend de la
théorie proposée, et qui change lorsque celle-ci change, est littéralement « construit » par nous.
Il en découle deux points. D’une part, nous ne pouvons « crédiblement » prétendre connaître ce qui
est indépendant de nous. D’autre part, nous ne connaissons au contraire que ce qui dépend de notre
cadre conceptuel.
En repensant le constructivisme, Hegel réhabilite la raison en lui ôtant les limites qui lui ont été fixées
par Kant. Ce dernier s’appuyait sur l’entendement comme source privilégiée de la connaissance. Bien
que Hegel soit souvent mal compris sur ce point, la raison hégélienne redevient une source cognitive.
Selon Hegel, la raison sait au moins abstraitement qu’elle est toute la réalité. Cette certitude découle
de la thèse idéaliste de l’identité de pensée et être qui se trouve au cœur de l’idéalisme. Hegel relie
constructivisme et idéalisme en affirmant clairement que la thèse que la raison est toute la réalité est
le concept même, le sens profond, de l’idéalisme
B-Constructivisme et idéalisme chez Hegel

L’épistémologie constructiviste applique une technique mathématique connue au


problème de la connaissance générale. Le constructivisme hégélien se résume à un
processus pour formuler et tester successivement des théories, ou hypothèses de travail, en
les soumettant à l’épreuve de l’expérience. La connaissance émerge d’un processus social,
donc historique, au travers duquel nous construisons des cadres conceptuels successifs afin
de comprendre des objets cognitifs construits eux aussi dans ce même processus.
J’ai déjà souligné le rapport entre constructivisme et historisme. Pour terminer, je voudrais
faire ressortir le rapport entre constructivisme et phénoménologie. En se détournant du
représentationaliste, tous les post-kantiens importants se détournent par là même du
concept de chose en soi. S’il n’y a pas de noumène, alors la théorie de la connaissance ne
peut tourner autour d’un objet indépendant de l’esprit dont la connaissance ne peut plus
être le but cognitif. Il s’ensuit que la connaissance se limite seulement aux phénomènes au
travers desquels plus rien n’apparaît. Il ne peut donc être question de dire, comme
Heidegger, que l’être se montre, ni prétendre comme Heidegger et Husserl, aller aux choses
elles-mêmes (zu den Sachen selbst) Au contraire, pour Hegel, l’idéalisme se limite à décrire ni
plus ni moins que le devenir des phénomènes sur le chemin de la connaissance et de la
vérité.
Cela amène trois remarques. Tout d’abord, la phénoménologie dépend directement de
l’expérience, dont elle ne se méfie évidemment pas, loin s’en faut. Dans ce sens, Hegel est
bel et bien empiriste. Ensuite, le constructivisme phénoménologique s’occupe à formuler
une description du processus historique de la connaissance. Comme la description de
l’expérience change sans cesse, elle n’est donc pas stable. On n’est donc jamais sûr, même
au niveau de la science naturelle, de pouvoir représenter la nature telle qu’elle est. Tout au
plus peut-on, comme Cassirer l’affirme, la « symboliser ». Enfin, on se doit de signaler
l’intérêt considérable du constructivisme pour le débat épistémologique actuel. La
philosophie analytique, qui a forgé ses premières armes en réfutant l’idéalisme, domine ce
débat depuis un siècle environ. Mais dans l’espace post kantien, il n’y a point de possibilité
réelle d’affirmer « crédiblement » de représenter le monde tel qu’il est au-delà des
apparences, donc point de possibilité de résoudre le problème sémantique. Dans ce cas de
figure, le constructivisme prend toute son importance comme « solution » de rechange, «
solution » qu’il reste à développer.
CONCLUSION

L’épistémologie constructiviste applique une technique mathématique connue au


problème de la connaissance générale. Le constructivisme hégélien se résume à un
processus pour formuler et tester successivement des théories, ou hypothèses de travail, en
les soumettant à l’épreuve de l’expérience. La connaissance émerge d’un processus social,
donc historique, au travers duquel nous construisons des cadres conceptuels successifs afin
de comprendre des objets cognitifs construits eux aussi dans ce même processus.
J’ai déjà souligné le rapport entre constructivisme et historisme. Pour terminer, je
voudrais faire ressortir le rapport entre constructivisme et phénoménologie. En se
détournant du représentationaliste, tous les post-kantiens importants se détournent par là
même du concept de chose en soi. S’il n’y a pas de noumène, alors la théorie de la
connaissance ne peut tourner autour d’un objet indépendant de l’esprit dont la
connaissance ne peut plus être le but cognitif.
Il s’ensuit que la connaissance se limite seulement aux phénomènes au travers desquels plus
rien n’apparaît. Il ne peut donc être question de dire, comme Heidegger, que l’être se
montre, ni prétendre comme Heidegger et Husserl, aller aux choses elles-mêmes (zu den
Sachen selbst). Au contraire, pour Hegel, l’idéalisme se limite à décrire ni plus ni moins que le
devenir des phénomènes sur le chemin de la connaissance et de la vérité.
Cela amène trois remarques. Tout d’abord, la phénoménologie dépend directement de
l’expérience, dont elle ne se méfie évidemment pas, loin s’en faut.Dans ce sens, Hegel est
bel et bien empiriste. Ensuite, le constructivisme phénoménologique s’occupe à formuler
une description du processus historique de la connaissance. Comme la description de
l’expérience change sans cesse, elle n’est donc pas stable. On n’est donc jamais sûr, même
au niveau de la science naturelle, de pouvoir représenter la nature telle qu’elle est. Tout au
plus peut-on, comme Cassirer l’affirme, la « symboliser ». Enfin, on se doit de signaler
l’intérêt considérable du constructivisme pour le débat épistémologique actuel. La
philosophie analytique, qui a forgé ses premières armes en réfutant l’idéalisme, domine ce
débat depuis un siècle environ. Mais dans l’espace post kantien, il n’y a point de possibilité
réelle d’affirmer « crédiblement » de représenter le monde tel qu’il est au-delà des
apparences, donc point de possibilité de résoudre le problème sémantique. Dans ce cas de
figure, le constructivisme prend toute son importance comme « solution » de rechange, «
solution » qu’il reste à développer.

BIBLIOGRAPHIE
 HEGEL, Grundlinien der Philosophie des Rechts, in Hegel-Werke VII, § 67, pp. 144-
145.
 HEGEL, Enzyklopädie der philosophischen Wissenschaften, Hegel-Werke VIII, § 65,
pp. 155-156.
 HEGEL, Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie, in Hegel-Werke, édité par
Eva Moldenhauer and Karl Markus Michel, Frankfurt a. M.: Suhrkamp, 1971, XX, p.
314.
 Ernst CASSIRER, Philosophie der symbolischen Formen, Berlin : B. Cassirer, 1923-1929,
3 vols.

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