Marcandier Littérature Et Écologie Ciclic 2019 Copie
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Littérature et écologie
par Christine Marcandier
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de concepts écologiques à l’étude de la littérature puisque l’écologie (en tant
que science, discipline et fondement de la représentation humaine) est la plus
pertinente quant au présent et à l’avenir du monde ». C’est dire que l’écocritique
se propose d’analyser des textes dans lesquels la nature, l’environnement, les
animaux, etc. ne sont pas seulement des décors ou des prétextes mais les
fondements mêmes du récit et de ses enjeux. L’ecocriticism se voit ainsi défini
comme « l’étude du rapport entre la littérature et l’environnement naturel », il
s’agit de mettre la Terre au centre des études littéraires (Cheryll Glotfelty, The
Ecocriticism Reader). L’écocritique est désormais installée dans le champ des
études littéraires de langue française, que l’on pense aux travaux de Pierre
Schoentjes, Anne Simon, Émilie Hache ou à des maisons d’éditions qui se
spécialisent dans ce champ (Wildproject, rue de l’Échiquier, la collection
« Anthropocène » du Seuil, etc.). C’était le sujet du numéro de janvier-février
2019 de la revue Critique, « Vivre dans un monde abîmé », titre en écho à l’un
des ouvrages fondateurs de l’écocritique, Writing for an Endangered World
de Lawrence Buell. Comment se situer dans un monde abîmé ; qu’écrire en
temps de crise (climatique) ?
L’écocritique se veut donc tout à la fois une approche de ce qui s’écrit aujourd’hui
qu’une relecture des grands mouvements littéraires passés (comme le
romantisme) et elle se développe selon une approche délibérément engagée
(écoféminisme, post-colonialisme, gender studies, écologie politique...) et une
approche poétique, pour sortir de représentations plaçant l’homme au centre
d’une nature dont il se veut le maître et possesseur.
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paysages, animaux, flore y sont des agents du récit ; la nature n’est pas
un cadre fixe, utilitaire et dévolu à l’expérience et aux activités humaines ;
ils répondent à un « green script » interrogeant l’écocide en cours, les
bouleversements climatiques et les sujets politiques induits par cette crise
(migrations, pollution, surexploitation des ressources fossiles...).
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Le rhizome, image empruntée à Mille Plateaux (Deleuze, Guattari, 1980),
innerve les récits et essais écopoétiques : on la retrouve dans Nous n’avons
jamais été modernes de Bruno Latour (1991), soulignant l’importance de la
notion de réseau face à « l’histoire incertaine » dans laquelle nous sommes
engagés, « le réseau est le fil d’Ariane de ces histoires mélangées » qui
renouvellent le lien du réel et de la fiction et questionnent un (dés)ordre du
monde. Le rhizome est également au centre d’un ouvrage fondamental d’Anna
Tsing, Le Champignon de la fin du monde, dans lequel l’anthropologue nous
invite à prêter attention à un champignon. Observer le matsutake qui pousse
dans les forêts de l’Oregon, c’est partir d’un détail pour reconstruire une vue
d’ensemble, hors de toute approche anthropisée ; c’est produire un essai qui
privilégie une forme singulière, depuis une enquête de terrain de plusieurs
années, privilégiant l’interdisciplinarité, activant « les enchevêtrements »,
invitant à changer de regard sur la nature et ses acteurs : le texte, à l’image
de la nature, est un tissu d’interactions, un agencement ouvert. En somme,
« le temps est venu pour de nouvelles manières de raconter de nouvelles
histoires ». Telle est le lien fondamental de la littérature à l’écologie, le
programme ouvert de l’auteur comme du lecteur de tels récits, proche
de la mission de l’anthrolopologue définie par Viveiros de Castro dans ses
Métaphysiques cannibales, une « théorie-pratique » de « décolonisation
permanente de la pensée » : apprendre en reconnaissant un sujet en l’Autre,
considérer la planète non une ressource et un décor mais un agent de notre
récit collectif.
« Il vient un moment dans l’itinéraire de tout esprit chercheur, et,
éventuellement créateur (…) où il se demande exactement ce qu’il fait, où il
commence par regarder autour de lui pour savoir si un terme d’ensemble
adéquat existe déjà » (Kenneth White, Un monde à part, 2018). Ce terme est ici
celui d’écocritique, analyse de la manière dont des œuvres littéraires figurent
et manifestent une crise qui remodèle nos imaginaires et interrogent ce
« Spectre toujours masqué qui nous suit côte à côte / Et qu’on nomme demain !
/ Oh demain, c’est la grande chose ! / De quoi demain serait-il fait ? » (Hugo,
Les Chants du crépuscule, 1835).
1. Pour les références complètes des ouvrages cités, voir la bibliographie en fin de volume.
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Ressources
Sur www.ciclic.fr/livreslyceens
> Une page dédiée par ouvrage : entretiens avec les auteurs, critiques,
extraits, webographies, etc.
> À l’onglet « Formation et ressources pédagogiques » : les livrets
des années précédentes ainsi que les captations vidéo des conférences
données lors des journées de formation.
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Press, Athens/London. 1996.
Trexler Adam, Anthropocene Fictions. The Novel in a Time of Climate
Change, The University of Virginia Press, 2015.
Viveiros de Castro Eduardo, Métaphysiques cannibales. Lignes
d’anthropologie post-structurale, traduit du portugais (Brésil) par Oiara
Bonilla, PUF « Métaphysiques », 2009.
« Vivre dans un monde abîmé », Revue Critique, n° 860-861, janvier-février
2019.
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