Revue de Géographie de L'université de Ouagadougou: Université Joseph KI-ZERBO
Revue de Géographie de L'université de Ouagadougou: Université Joseph KI-ZERBO
Revue de Géographie de L'université de Ouagadougou: Université Joseph KI-ZERBO
---------------
École Doctorale Lettres, Sciences Humaines et Communication
-------------
Laboratoire d’Études et de recherches sur les Milieux et les Territoires
(LERMIT)
--------------
R-G-O est une revue scientifique annuelle. Éditée et diffusée par le Laboratoire
d’Études et de recherches sur les Milieux et les Territoires (LERMIT), elle est dotée
d’un comité scientifique. Les numéros sont publiés soit en version papier, soit en ligne,
soit enfin les deux à la fois.
Les opinions émises dans les articles n’engagent que leurs auteurs. La revue n’est pas
responsable des manuscrits qui lui sont confiés et se réserve le droit d’y opérer des
modifications, pour des raisons éditoriales
Photo de couverture : Activités sur les rives du lac Koko, Côte d’Ivoire
Comité de lecture
- OUEDRAOGO François de Charles (géographie de la santé),
- ZOUNGRANA Tanga Pierre (géographie, aménagement et SIG),
- DIPAMA Jean-Marie (géographie, environnement, SIG & Télédétection),
- YAMEOGO Lassane (géographie rurale),
Conseil scientifique
- IGUE O. John (géographie économique, Cotonou)
- MENGHO Maurice Bonaventure (géographie humaine, Brazzaville)
- SAMBA-KIMBATA Joseph Marie (climatologie, Brazzaville)
- SOME P. Honoré (géographie rurale et télédétection, Ouagadougou)
RESUME
La production de coton graine a connu une évolution remarquable en Côte
d’Ivoire, mais des dysfonctionnements ont entrainé sa baisse, la réduction du
nombre de cotonculteurs et la faillite des sociétés cotonnières. Face au péril de la
filière, l’Etat a procédé à la réforme de celle-ci en 2013. Elle a consisté
principalement à l’attribution de zone exclusive à chaque société cotonnière et à la
fixation du prix du coton graine avant l’ouverture de chaque campagne. Quel est
donc l’impact de cette réforme sur le commerce de coton gaine à Korhogo ? Notre
objectif est de montrer l’impact de la réforme de la filière coton sur le commerce de
coton graine à Korhogo. La démarche basée sur le circuit économique s’appuie sur
une exploitation documentaire et une enquête de terrain. Nos résultats révèlent que
la réforme a réduit à deux le nombre de sociétés cotonnières à Korhogo. Ce sont la
Compagnie Ivoirienne de Coton (COIC) et la Société Industrielle Cotonnière des
Savanes (SICOSA). Elle a fidélisé les cotonculteurs aux dites sociétés et sécurisé
leur approvisionnement en matière première. La réforme a permis d’accroitre la
production régionale. Cependant, elle maintient les usines de Korhogo en sous
capacité de production, puisque leur capacité excède largement le niveau de
production des zones exclusives de ravitaillement. La production du coton dépend
fortement des sociétés cotonnières qui ont le monopole d’achat des récoltes. La
réforme est en défaveur des cotonculteurs qui se tournent vers d’autres cultures dans
le nord de la Côte d’Ivoire.
ABSTRACT
Impact of the reform of the cotton sector on the marketing of the seed cotton in
Korhogo in Côte d’Ivoire
Seed cotton production has experienced remarkable development in Côte d'Ivoire,
but malfunctions have led to a drop in production, the reduction in the number of
cotton growers and the bankruptcy of cotton companies. Faced with the peril of the
sector, the State of Côte d'Ivoire reformed the cotton sector in 2013, which mainly
consists of the allocation of an exclusive zone to each cotton company and the
setting of the price of cotton before the opening of each campaign. So what is the
impact of this reform on the seed cotton trade in Korhogo. Our objective is to show
the impact of the reform of the cotton sector on the seed cotton trade in Korhogo.
The approach based on the economic circuit is based on documentary exploitation
and investigation. Our results show that the reform reduced the number of cotton
companies in Korhogo to two. These are the Ivorian Cotton Company (COIC) and
the Industrial Cotton Company savannah (SICOSA). It has made cotton growers
loyal to the companies and secure their supply of seed cotton. The reform allowed
an increase regional production, however, it keeps the Korhogo factories under
production capacity, since their capacity greatly exceeds the level of seed cotton
production of the exclusive supply zones. Cotton production is heavily dependent on
cotton companies which have a monopoly on buying crops. The monopoly of the
cotton market by cotton companies is to the detriment of producers who are turning
to other crops in northern Côte d'Ivoire.
Key words : seed cotton, reform, cotton sector, zoning, Korhogo
INTRODUCTION
Le coton est le poumon de l’économie du nord de la Côte d’Ivoire (A.
Edmond, 2015, p .4). La filière coton est un moteur important de
développement et un facteur de lutte contre la pauvreté pour le nord de la
Côte d’Ivoire (F. Berti et al., 2006, p. 6). La production cotonnière a amorcé
son décollage avec la création par l’Etat, de la Compagnie Ivoirienne pour le
Développement des Textiles (CIDT) en 1973 (V. Diomandé, 2018,
p. 47). Cette structure a permis le développement de la culture cotonnière qui
a façonné le paysage agraire et la structuration du monde rural de la zone des
savanes dans le nord ivoirien. Ainsi, la production du coton graine a connu
une évolution remarquable. Elle est passée de 30 000 tonnes, en 1970 à
261 000 tonnes en 1990 (K. Abo, 2006, p. 17). Elle a aussi favorisé, dans les
années 1970, l’industrialisation des villes de Korhogo, Boundiali, Bouaké, et
1
http//www.statisticshowto.com/how-to-use-slovins-formula/
2
L’Harmattan est un vent violent, chaud et sec venu du sud du Sahara
150 jours. Elle est favorable aux céréales, aux légumineuses et au cotonnier.
Quant à la végétation, elle est de types savane arborée, savane boisée et
savane arbustive selon le niveau de pression foncière.
2. RESULTATS
L’approvisionnement en coton graine des sociétés cotonnières et leurs
usines de transformation implantées dans la ville de Korhogo, sont les points
qui feront l’objet de notre analyse.
(OPA), les sociétés cotonnières dans les limites de leur zone exclusive, l’Etat
qui fixe le prix du coton graine et les transporteurs qui demeurent des
prestataires de service.
Les OPA sont des coopératives ou groupements informels de
producteurs. Elles organisent la collecte du coton graine de commun accord
avec les sociétés cotonnières dans les villages. Elles choisissent les villages
centres d’achat, et s’occupent des opérations de regroupement, de pesée et de
stockage. Avant ces opérations, elles livrent à crédit aux paysans, les bâches
qui servent à l’emballage pour la pesée. En outre, elles veillent également à la
tenue des documents comptables de l’achat du coton graine, le chargement
des camions, la perception et la redistribution des recettes aux producteurs.
En retour, elles reçoivent des ristournes. Toutes les opérations sont
supervisées par les conseillers agricoles qui ont suivi les producteurs en leur
apportant assistance et conseil pour le compte de la société cotonnière. Sur le
marché d’achat dans les villages, les balles de coton graine sont regroupées
en lots homogènes en fonction de la couleur et de la propreté du coton
(photo1).
Photo 1 : Un marché de coton graine à Nangakaha s/p de Korhogo
Quant au prix d’achat, l’État a toujours opté pour un système d’achat avec un
prix unique sur toute l’étendue du territoire. Néanmoins celui-ci est déprécié
de 25 FCFA en moyenne, du premier choix au troisième. Pour la campagne
2019-2020, le prix d’achat du coton graine aux producteurs a été fixé à 300
FCFA correspondant au prix du coton premier choix. Quant au transport du
coton, il est pris en charge par la société cotonnière du village de
regroupement à l’usine, située dans la ville de Korhogo.
Les routes bitumées s’étendent sur 169 km, elles relient Korhogo aux
villes de Boundiali, Ferkessédougou et Katiola. Ce réseau est relativement
récent et présente une bonne tenue. Le reste de la voirie est constitué de 417
km de route en terre reliant Korhogo aux sous-préfectures et aux limites des
régions voisines. Ces routes présentent régulièrement un état dégradé. Un
entretien régulier fait le plus souvent défaut. Cet ensemble est complété par
un réseau de piste dense reliant les villages entre eux et les villages aux
chefs-lieux de sous-préfectures. Le réseau de pistes usuelles praticables par
les véhicules à quatre roues, d’environ 2 784 km, est généralement dégradé et
la circulation des camions y est souvent impossible (photo 2).
Le transport du coton fibre vers le port d’Abidjan est aussi fixé par la
COIC. Lors de la campagne 2018-2019, le prix du transport du coton fibre en
direction du port d’Abidjan est fixé à 26 250 francs CFA la tonne. Toutefois,
pour obtenir un contrat de transport du coton vers le port, les transporteurs
doivent se plier aux conditions des syndicats, dictées par la société
cotonnière. Ils doivent préalablement effectuer un nombre de voyage pour la
collecte du coton graine des villages vers les usines à Korhogo. Cette
stratégie permet à la COIC de disposer d’un nombre suffisant de camions
pour le transport du coton graine vers ses usines et surtout contraindre les
transporteurs à emprunter les pistes généralement dégradées qui relient les
3
La COIC a pratiquement la quasi-totalité du marché de coton à Korhogo, elle
s’impose dans la région comme la seule interlocutrice des sociétés cotonnières
auprès des autres acteurs.
zones rurales de la région à la ville de Korhogo. Ainsi, bien que ces voies de
communication restent dégradées, la société cotonnière ne se sent plus dans
l’obligation de les réparer, puisque le coton circule comme le veulent les
Autorités. En retour, les syndicats prélèvent une commission de 1000 francs
CFA sur chaque tonne de coton fibre transportée. Dans sa stratégie de
mobilisation des camions de la région, la COIC préfinance le carburant des
transporteurs contractants et leur propose du fret retour, s’ils le souhaitent.
3. DISCUSSION
La réforme de la filière coton a mis en place des règles de régulation
du marché du produit. Celles-ci donnent des avantages pour toutes les parties
mais aussi des inconvénients majeurs.
usines basées à Korhogo. CCA (2021)4 confirme que la filière est en plein
essor depuis 2017 avec une augmentation de la production nationale de près
de 19%. La réforme a fidélisé les cotonculteurs aux sociétés cotonnières et
sécurisé l’approvisionnement des unités de transformation en coton. Les
entreprises cotonnières peuvent alors préfinancer la production du coton
graine sans risque d’un détournement des récoltes par une autre société qui
n’a pas préfinancé la production. R. Peltzer et D. Röttger (2013, p. 11) font le
même constat, ils notent que les sociétés cotonnières, qui évoluent dans un
système monopolistique régional, ont, à cause de ce système, des taux de
remboursement très élevés, sous réserve que le coton ne soit pas détourné
vers les pays voisins. Ces auteurs ajoutent aussi que l’accès au crédit est
meilleur dans ce système. Notre analyse est aussi justifiée par celle de N.
Gergely et C. Poulton (2009, p. 45) qui montrent que le libéralisme renforce
les réticences que les sociétés cotonnières ont à investir dans la fourniture de
meilleures prestations de service, à partir du moment où elles ne peuvent
avoir la certitude d’en tirer des bénéfices. En outre, la reforme permet
d’infliger des sanctions aux sociétés cotonnières quand elles ont des
manquements dans l’encadrement des cotonculteurs et dans la mise à leur
disposition des intrants nécessaires à la production. C’est le cas dans la zone
de Sinématiali où une société cotonnière a perdu ladite zone au profit d’une
autre. Il est donc impérieux pour les sociétés cotonnières d’encourager les
paysans à améliorer la production en leur donnant suffisamment de prêts
d’intrants. Dans le système monopolistique régional, les sociétés cotonnières
œuvrent à mieux approvisionner les agriculteurs en crédits d’intrants et
d’investissement (R. Peltzer et D. Röttger, 2013, p. 12).
Le zonage met fin à la disparité dans l’assistance aux cotonculteurs.
Ainsi, les entreprises posent leurs actions dans un espace limité, réduisant
ainsi le rayon de collecte du coton. Ceci entraine la baisse des coûts du
transport du coton graine du village à l’usine et des intrants dans le sens
retour. Ainsi, la reforme a réduit le rayon moyen de collecte qui se concentre
désormais autour des usines avec une réduction des coûts logistiques.
4
CCA : Conseil du Coton et de l’Anacarde.
https://www.conseilcotonanacarde.ci/coton/stats. Consulté le 20juin 2021
5
https://www.agenceecofin.com/coton/0312-34308-la-cote-d-ivoire-redefinit-le-
zonage-de-sa-filiere-coton
CONCLUSION
Face au dysfonctionnement de la commercialisation du coton, l’Etat
de Côte d’Ivoire a procédé à la réforme de la filière basée sur l’attribution de
zones exclusives à toutes les sociétés cotonnières. Celles implantées à
Korhogo la Compagnie Ivoirienne de Coton (COIC) et la Société Industrielle
Cotonnière des Savanes (SICOSA) ont eu pour zone exclusive d’achat du
coton la région du Poro en dehors du département de M’Bengué et la région
du Hambol. La réforme a permis d’accroitre la production du coton dans cette
région où se ravitaillent les usines basées à Korhogo et même la production
nationale. La reforme interdit la concurrence entre les sociétés cotonnières et
limite leur rayon d’influence, d’où la baisse des coûts logistiques.
L’inconvénient, les unités de production de Korhogo sont sous-
approvisionnées car leurs zones exclusives de ravitaillement produisent en
deçà de leur demande en coton graine. Les sociétés cotonnières ont un
monopole sur les intrants agricoles nécessaires à la production des
cotonculteurs, d’où la forte dépendance des seconds sur les premiers. En
outre, elles peuvent agir sur le prix du coton graine contrairement aux
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ABO Kouabenan, 2006. Contribution à l’étude de la fusariose vasculaire du
cotonnier, en Côte d’Ivoire : caractérisation de populations de l’agent
pathogène Fusarium oxysporum f. sp. Vasinfecturn (Atk) Sn. & H. ; analyse
des relations entre les facteurs de l’environnement des sols et l’expression de
la maladie, Thèse de doctorat de l’université de Cocody-Abidjan, 210 p.
BASSET Thomas J., 2017. « Le boom de l’anacarde dans le bassin cotonnier
du nord ivoirien » in Revue-Afrique-contemporaine, 2017/3 n°263-264, pp.
59-83.
BERTI Fabio, PABANEL Jean Pierre, FORGET-CANAL Eric, COMOE
Paul Amani, BANBA Souleymane et SERY Zagbai Huber, 2006.
Elaboration d’une série sectorielle coton : perspectives à moyen et long
termes, Côte d’Ivoire, rapport diagnostic final, Contrat cadre BENEF Lot
n°1, 135 p.
DIOMANDE Vamara, 2018. « La problématique de la durabilité dans la
production de coton en Côte d’Ivoire : Expérience d’Ivoire coton » in
AFCOT 2018, Abidjan, pp. 47-50.
EDMOND Aïwa Aïwa, 2015. « L’impact de la culture du coton sur le
développement socio-économique : Etude de cas de la région de Korhogo, au
Nord de la Côte d’Ivoire » in European Scientific Journal, vol.11, No31, pp.
253-271.
FIRCA, 2012. La filière du progrès, bulletin d’information du fond
interprofessionnelle pour la recherche et le conseil agricole, acte 9 : la filière
coton, n° 9 du 1er trimestre 2012, Abidjan, 48 p.
GERGELY Nicolas et POULTON Colin, 2009. « Contexte historique et
évolution institutionnelle récente des filières coton africaines », in
Organisation et performance des filières africaines : leçons des réformes,
Rapport final, Banque mondiale, ESKA, pp. 33-48.
GRIFFON Michel, 2003. Analyse de l’efficacité des marchés agricoles en
Afrique : l’apport de différentes méthodes et théories, séminaire SHS Cirad,
filière Afrique, Cirad, Paris, 17 p.
LOTHORE Anne et DELMAS Patrick, (dirs), 2009. Accès au marché et
commercialisation de produits agricoles, Inter-réseau Développement rural,
Paris, 176 p.