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THE LIBRARY
OF
THE UNIVERSITY
OF CALIFORNIA
LOS ANGELES
AU

PAYS DES NÈGRES

Septième série. — Format in-8° cavalier ill.


Typographie Firmin-Didot et C' e . — Mesnil (Eure).
AU

PAYS DES NÈGRES


PEUPLADES ET PAYSAGES D'AFRIQUE

PAR

V. TISSOT ET C. AMËRO

OUVRAGE ILLUSTRÉ DE 8-4 GRAVURES

PARIS
LIBRAIRIE DE FIRMIX-DIDOT ET C IE
IMPRIMEURS DE L'INSTITUT, RUE JACOB, 5G

1891
351
T~52-

AU

PAYS DES NÈGRES.

i.

L*esclavage. — Les marchés d'esclaves. — Supplices et sacrifices humains.


— Les « Coutumes » du Dahomey. — Funérailles sanglantes. — Terribles

représailles. — L'anthropophagie africaine.

Quelle est cette terre envahie par d'impénétrables forêts


et par des marécages malsains, stérilisée par les sables

du désert, exposée à toutes les ardeurs d'un soleil torride,


et où s'agitent au milieu de la plus affreuse barbarie
plus de 150,000,000 d'hommes noirs, appartenant à une
race incontestablement inférieure, et pour laquelle la

nature semble avoir été marâtre? Est-il besoin de nom-


mer le continent africain?
Ses habitants sont faibles et légers comme des enfants,
cruels sans même avoir conscience de leur cruauté; ils

paraissent ne posséder d'énergie que pour souffrir. Chose


étrange! dans cette partie du monde, le frère vend son
frère, sans hésitation et sans remords. Sans être moins

odieux, il se montre parfois plus inhumain encore lors-

qu'il le fait servir à de sanguinaires sacrifices.

1216944
6 AU PAYS DES NEGRES.

La déchéance native des hommes de la race noire,


leur misérable condition, dont ils ne sont pas capables
de sortir, excite la pitié des philanthropes; mais, étudiés
de près, ils déconcertent les dévouements les plus sym-
pathiques et provoquent les plus excessives sévérités de
jugement.
L'esclavage est « l'institution » la plus forte, la plus

résistante de l'Afrique, si tant est qu'il y ait d'autres


institutions véritables. L'anthropophagie y a ses adeptes
persévérants, moins excusables que les sauvages de
l'Océanie, qui sont demeurés longtemps isolés dans leurs
îles, tandis que les Africains ont vu la Méditerranée battre
de ses flots les promontoires de la Grèce, les rivages de
la Gaule et de l'Italie ; Carthage et l'Egypte ont joui de
civilisations rivales de Rome et de l'Orient hellénique :

il n'en reste rien sur ce sol ingrat, rien que des ruines.
Ici, l'étape de l'état sauvage à la barbarie a été franchie
depuis vingt siècles au moins, et il n'y paraît presque
pas; le perfectionnement intellectuel et moral y est abso-
lument insensible; le fétichisme des peuples arriérés ne
s'élève pas même au niveau de l'idolâtrie; le progrès
matériel est nul ; et l'outil, l'arme, le vêtement, ou ce
qui tient lieu de vêtement, sont presque partout ceux de
l'homme primitif aux prises avec les premières difficultés
de l'existence.
La terre d'Afrique est sillonnée de convois d'esclaves.
Autrefois, l'écoulement de cette denrée humaine se fai-
sait principalement par les côtes de l'Atlantique; cela
durait depuis le quinzième siècle, lorsque la traite fut
abolie par les nations coloniales de l'Europe, et que l'A-
mérique ne voulut plus d'esclaves noirs. Aujourd'hui,
c'est vers l'Egypte, vers la mer Rouge, vers l'océan In-
AU PAYS DES NEGRES. 7

dien que se dirigent les tristes caravanes d'Africains


réduits en servitude.
Les étapes se font dans les plus affreuses conditions,
à travers des déserts brûlants.

Fig. 1. — Navire uégrier.

On voit^e développer à une ligne noire qui


l'horizon
serpente à travers les herbes courtes, ou les sables jau-
nes; bientôt, sous Tardent soleil quelques armes jettent
des éclairs; c'est un convoi d'esclaves qui approche;
il avance péniblement, escorté par des forbans du désert
montés sur des chameaux. Quelques-uns des trafiquants
8 AU PAYS DES NEGRES.

vont à pied et raniment à coups de fouet ceux des Noirs


dont l'épuisement ralentit la marche du cortège au
milieu des sables. Les jeunes filles et quelques très jeunes
garçons, comme marchandise de choix, sont groupés
par quatre sur les chameaux. *

M. Trémaux, qui a voyagé en caravane dans le Soudan


au milieu du désert de Korosko, se croisa ainsi avec un
convoi qui s'acheminait vers le Caire. Sa pitié fut émue
au spectacle de tant de misères. Il fut surtout impres-
sionné par la vue d'une homme âgé, dont la barbe courte
et déjà grisonnante se dessinait en blanc sur sa figure
noire. « Ce pauvre diable, » dit-il, « ruisselait de sueur et
marchait en avant de la courbache (le fouet), qui avait

déjà laissé de nombreuses traces de poussière blanche


sur ses épaules noires et nues. Ses genoux fléchissaient
sous lui, et de moment à autre il prenait un petit trot

chancelant pour suivre le simple pas de ses compa-


gnons. » Le voyageur fit signe à l'un des djellads qui
escortaient le convoi de mettre ce vieillard à la place
d'une des vigoureuses jeunes filles qui étaient sur un
chameau : un balancement négatif de la tête fut la seule

réponse qu'il reçut.


Dans d'autres parties de l'Afrique, on passe au cou des
esclaves de longues perches de bois, reliées les unes
aux autres; on leur met des chaînes aux mains. Ils se
trouvent ainsi dans l'impossibilité de s'enfuir ou de tenter
aucune résistance. Mais leur marche en est rendue plus
pénible; ils avancent lentement, malgré les coups de
fouet.

Souvent, dans les déserts que l'on doit traverser, les


vivres viennent à manquer; les malheureux captifs, hâves,
épuisés, ressentent les tortures de la faim et de la soif.
AU PAYS DES NÈGRES. 9

Les traitants abandonnent ceux d'entre eux qui ne peu-


vent pJus se traîner.
Dans ces circonstances, des faits atroces se produisaient
fréquemment y a quelques années encore. Les trafi-
il

quants ne prenaient pas la peine de délivrer de leurs

Fig. 2. — Caravane.

liens ceux des Noirs qui demeuraient en arrière. Empri-


sonnés dans les longues fourches qui leur interdisaient
tout mouvement, ces tristes victimes s'affaissaient sur le
sol, se tordant dans les douleurs d'une affreuse agonie,
jusqu'à ce que la mort vînt les délivrer. Souvent la mort
ne se faisait pas attendre : les malheureux étaient dévorés
vivants par une troupe de fourmis qui, en quelques
10 AU PAYS DES NEGRES.

heures, ne laissaient de leur corps que le squelette.

Livingstone a vu, sur sa route, des cadavres d'esclaves


abandonnés ainsi, encore attachés les uns aux autres.
Quelquefois le traitant va jusqu'à immoler ses esclaves,
non par pitié, mais en cédant à la colère, et pour être
sûr qu'aucun rival dans son abominable industrie ne
pourra recueillir l'abandonné et en tirer profit. Living-

stone dit, dans son Dernier journal, qu'il lui arriva de


passer près d'une femme attachée à un arbre par le cou ;

elle était morte. Les gens du pays lui expliquèrent qu'elle


n'avait pu suivre la bande dont elle faisait partie, et que
son maître n'avait pas voulu qu'elle devînt la propriété

de celui qui la trouverait, si le repos venait à la remettre.

11 avait vu encore une femme poignardée ou tuée d'une


balle, et qui gisait dans une mare de sang. La réponse

qu'on lui faisait était toujours la même : le maître, pour


soulager sa colère, avait tué la pauvre créature, qui lui
occasionnait une perte d'argent.
Le lieutenant Cameron dans sa traversée de l'Afrique
,

équatoriale de l'est à l'ouest, vit revenir d'une chasse


aux esclaves un Noir portugais. Il ramenait une file
d'une cinquantaine de pauvres femmes, chargées de gros
ballots : c'était le butin fait par la troupe du Noir sur les
gens de leur propre pays. Quelques-unes de ces infortu-
nées portaient, en outre, leurs plus jeunes enfants dans
les bras. Elles avaient été capturées dans quarante ou
cinquante villages, qu'on avait détruits et ruinés; la
plupart des hommes avaient été tués; les autres, chassés
dans les marécages , se trouvaient exposés à périr d'ina-
nition.
« Je suis persuadé, » dit Cameron, « que ces quarante
ou cinquante esclaves représentaient plus de 500 êtres
AU PAYS DES NÈGRES. 13

humains tués en défendant leurs foyers, ou morts de


faim, sans parler d'un plus grand nombre demeurés sans
abri. Toutes ces femmes étaient attachées ensemble par
la ceinture avec de grosses cordes à nœuds, et si elles

ralentissaient leur pas, on les battait sans pitié. Ces mu-


lâtres portugais et ces marchands noirs sont très brutaux
dans le traitement de leurs esclaves; les Arabes, au con-
traire, les traitent en général avec moins de cruauté. Ha-
bituellement , les esclaves de l'intérieur ne sont pas
conduits jusqu'à la côte : on les dirige sur le pays de
Sékéletou, où, pour des causes diverses, la population est
assez clairsemée , et où il y a une grande demande d'es-
claves. Ils sont troqués contre de l'ivoire, qu'on apporte
ensuite sur la côte. »

M. Trémaux, que nous citions tout à l'heure, raconte


une histoire des plus émouvantes. C'était au bord du Nil
Bleu, à un endroit où il est possible de passer le fleuve à
gué. Une caravane venait de traverser les forêts sans fin
du Fa-zogl, emmenant en Egypte ce qui restait de la po-
pulation de toute une région mise à feu et à sang.
Parmi les femmes juchées sur les chameaux, se trou-
vaient une mère avec sa fille la fille, jeune et belle, était
;

traitée avec égards, la mère avait reçu plusieurs bles-

sures en se défendant; souffrante et âgée, cette pauvre


femme n'était qu'un embarras. Les djellads ne l'avaient
emmenée que pour ne pas causer trop de chagrin à la
jeune esclave, dont ils comptaient tirer un bon prix ; mais
ils n'attendaient qu'une occasion favorable pour se débar-
rasser d'elle. A la traversée du fleuve, les chameaux ne
devant pas être trop chargés, on dédoubla leurs far-

deaux : la fille passa des premières, mais la mère ne re-


parut pas sur l'autre rive.
14 AU PAYS DES NEGRES.

Lorsque la malheureuse enfant vit que le convoi se re-


mettait en route sans sa mère , elle s abandonna à la plus
vive douleur , elle fut hissée sur un chameau malgré sa ,

résistance, ses pleurs et ses supplications. Et la cara-


vane se remit en marche; mais peu de temps après, les

conducteurs s'aperçurent que la jeune fille avait disparu :

elle avait réussi à briser ses liens et à se glisser dans les

hautes herbes sans être vue. Naturellement, ses com-


pagnes reçurent, pour prix de leur silence, une correc-
tion exemplaire.
Deux des djellads repassèrent le gué. La vieille né-
gresse n'était plus au bord du fleuve mais sa trace fut ;

bien vite retrouvée dans le sol vaseux. Ils arrivèrent à


l'endroit où elle recevait les caresses de son enfant. Elle
les vit et dit à sa fille de fuir; mais il était trop tard. La
jeune négresse fut entraînée. La mère se tordait de dé-
sespoir, appelant sa fille , regardant, l'œil fixe et le bras
tendu, dans la direction où elle allait disparaître pour
toujours.
Ce n'est là qu'un des mille drames poignants auxquels
donne lieu chaque jour l'horrible trafic humain. On a vu
de ces malheureux mourir presque subitement de cha-
grin : leur cœur se brisait.
Mais comment parvient-on à arracher ces Noirs à leur
sol?
Ce sont de prétendus marchands d'ivoire , qui , péné-
trant très avant dans les empires nègres , s'approvision-
nent, par l'astuce et la violence, de cette chair, dont la
vente donne de si beaux profits dans diverses contrées de
l'Orient. Le commerce de l'ivoire, tout avantageux qu'il

est pour les caravanes, ne saurait couvrir leurs frais de


campagne et ne sert qu'à sauver les apparences. Les tra-
AU PAYS DES NÈGRES. 15

fiquants du Nil Blanc, — pour ne parler que de ceux-là,


— sont en réalité des chasseurs d'esclaves c'est un ra- ;

massis de tout ce que l'Egypte peut fournir de


gens sans
aveu.
Armés jusqu'aux dents, ils partent par bandes de deux

Fig. 4. — Sur le Ml Blanc.

ou trois cents, sous la conduite du chef, qui leur a fourni


fusils , pistolets et sabres. Entassés dans des barques qui
s'avancent silencieuses sur le Nil, ils guettent de loin
leur proie. Intervenant dans les querelles des indigènes,
ils se font accepter sans peine comme auxiliaires par l'un
ou l'autre des chefs ennemis ; puis à la faveur de la nuit
ou par trahison, ils se rendent maîtres d'un village, in-
16 AU PAYS DES NEGRES.

cendient les huttes, massacrent tous ceux qui résistent


et s'emparent des survivants par « droit de conquête ».
Ils n'épargnent guère que les femmes, les jeunes filles

et les enfants , parce qu'il leur est aisé de les emmener


sans résistance , et que ces pauvres créatures sont aussi
d'une vente plus avantageuse.
Ces malheureuses victimes de la cupidité sont de la
part de leurs ravisseurs l'objet de toutes sortes de vio-
lences et de mauvais traitements. Les esclaves passent,
du reste , de main en main sans que leur sort reçoive au-
cun adoucissement. Entraînés vers la basse Egypte, ils

sont vendus à de petits marchands , dont les caravanes


n'osent s'aventurer au loin. Ceux-ci les cèdent, ensuite
aux agents arabes, échelonnés de Khartoum à la mer
Rouge. On embarque les esclaves à Souakim ou à Mas-
soua pour être dirigés sur le Caire, vers l'Arabie ou la
Perse.
Ce n'est qu'après s'être débarrassés de leurs esclaves
qui peuvent valoir enmoyenne de 100 à 125 francs, que
les honnêtes négociants du Soudan viennent vendre à

Khartoum l'ivoire qu'ils ont obtenu par des moyens au


nombre desquels on peut, sans leur faire tort, compter la
fraude et le pillage.

Livingstone trouva le pays situé à l'ouest du lac Tan-


ganyika bouleversé par les Arabes venus de la côte de
l'océan Indien, métis cruels, monstres à face humaine.
Les indigènes Manyémas n'ayant pas d'esclaves à leur
livrer, ces misérables traitants s'en procuraient par la
guerre; tantôt, ainsi que leurs émules, ou leurs com-
plices du haut Nil, ils épousaient la querelle d'un chef
contre un autre, tantôt ils volaient quelques chèvres et
répondaient aux réclamations par des coups de fusil ; fina-
AU PAYS DES NEGRES. 10

lement, ils emmenaient tout ce qui avait échappé au car-


nage. Ils parvenaient encore à leurs
fins en ayant l'art de

faire de quelque chef un créancier insolvable les tristes :

sujets payaient de la perte de leur liberté les dettes de


leur roitelet idiot.
Les consuls européens qui résident à Khartoum se sont
montrés impuissants à s'opposer à la traite des Noirs. A
certains moments, les casernes de cette ville ont reg-orsé
d'esclaves des deux sexes. On a vu le gouvernement en
vendre, en donner à ses employés à valoir sur ce qui leur
était dû pour leurs appointements! Les mesures prises
par l'administration égyptienne ne l'ont jamais été que
temporairement; partant, elles sont demeurées ineffi-
caces. Sir Samuel Baker trouva réunis , lors de son pas-
sage à Gondokoro, environ 3,000 esclaves noirs, dans le
moment où gouvernement du Soudan se montrant
le , as-
sez énergique dans la répression de la traite, faisait re-
monter Blanc par des vapeurs pour s'emparer des
le Nil

bateaux chargés d'esclaves.


L'intrépide voyageur Rohlfs, se trouvant à Mourzouk,
capitale du Fezzan , y a vu arriver du Kordofan des cara-
vanes d'esclaves noirs. Le gouverneur du Fezzan favori-
sait cet odieux trafic, et Mourzouk est devenu sous sa
protection un véritable marché d'esclaves; des mar-
chands viennent d'Egypte y acheter des Nègres. Au mo-
ment du séjour de Rohlfs dans cette ville, il y avait en-
viron 2,000 esclaves disponibles. Les prix, plus élevés
que sur la côte de la mer Rouge, étaient de plusieurs cen-
taines de francs pour un jeune homme robuste, ou une
jolie négresse nubile.
Du Bornou , — qui forme la limite méridionale du
Fezzan, —à la ville de Mourzouk, il y a environ 1,100 ki-
20 AU PAYS DES NEGRES.

lomètres de trajet à travers de mornes solitudes sans


arbres , sans herbes et sans eau : c'est là le lugubre iti-

néraire des caravanes qui amènent les esclaves. Des deux


côtés de la route suivie par Rohlfs, on voyait les osse-
ments blanchis des esclaves morts. Auprès des sources,
ils sont plus nombreux : ils y étaient arrivés mourants;
ils n'ont pas eu la force de les atteindre et de s'y désal-
térer. Plus d'une fois , en puisant à ces sources , on en
retire des crânes.

Le commerce des esclaves dans le Soudan égyptien


est loin de n'être plus qu'un souvenir. Encore en 1882,
un missionnaire écrivait de Delen, dans la partie mon-
tagneuse du Kordofan habitée par des Noirs appelés Nu-
,

bas ,
que presque chaque semaine il assistait impuissant
au passage de colonnes de captifs, emmenés par les

arabes pasteurs , les Bakarahs.


Ces Nubas sont très recherchés, paraît-il, comme es-

claves, à cause de leur intelligence; leur pays est au-


jourd'hui le centre de la chasse à l'homme. Pendant qua-
rante ans, des courses y ont été organisées régulièrement
par le gouvernement égyptien. Les employés et la solde

des troupes étaient payés en esclaves; le reste des Noirs


enlevés servait à former des régiments spéciaux.
L'Angleterre intervint en 1842, mais le désordre dura
encore longtemps, jusqu'à ce que l'abominable trafic,

cessant d'être le monopole de l'État , devint le but de la


spéculation privée, qui organisa sur une grande échelle
l'exploitation des empires noirs.
Le Madhi, insurgé contre gouvernement égyptien, le

et soutenu par les marchands d'esclaves du Soudan, a

écrasé l'armée envoyée pour le faire rentrer dans l'o-


béissance (novembre 1883).
AU PAYS DES NEGRES. 21

Si l'on se transporte des déserts du nord-est de l'Afrique


au golfe de Guinée, c'est toujours le même tableau, plus
affligeant encore si c'est possible.
Il y a quelques années, dans son expédition sur l'O-

gôoué, M. de Brazza y trouva l'esclavage en pleine vi-


gueur. Les Nègres des rives de ce fleuve vendent leurs
enfants, leurs frères, leurs amis. Il fallait à M. de Brazza
des gens du pays pour conduire ses pirogues ; il acheta
une quinzaine d'esclaves, auxquels il rendit la liberté.
Ces Africains de l'Ogôoué ne sont pas exploités par des
gens venus de loin, puisqu'ils s'asservissent mutuelle-
ment en quelque sorte, en vue d'un bénéfice douteux à
réaliser.

Ces populations noires paraissent donc privées de sens


moral aussi bien que de sensibilité. Ceci nous amène à
rappeler bien des cruautés commises sur le sol africain
par les Africains eux-mêmes mais comme dernier mot
;

sur l'esclavage, n'oublions pas de dire que sur les côtes


de l'ouest, dans les parties du littoral où le commerce
des Noirs a été ruiné par l'abolition de la traite, les cap-
tifs tombés entre les mains du vainqueur dans les guerres
de peuplade à peuplade sont tués depuis qu'ils ne peu-
vent plus être vendus.
Kamrasi, roi d'Ounyoro, assurait son autorité sur ses
provinces en les parcourant, suivi d'une sorte de garde
prétorienne, forte de 500 hommes. Ce corps possédait le
privilège de piller sur le chemin du roi et ne manquait
pas d'en user. Une simple faute commise par l'un des
sujets était punie de mort, après un jugement des plus
sommaires, et le coupable, pieds et poings liés, périssait

sous le bâton.
Lorsque Speke arriva à la cour de Mtésa, le jeune roi
22 AU PAYS DES NEGRES.

d'Ouganda, le voyageur constata avec effroi que la vie

des gouverneurs, des officiers les plus élevés, ne tenait


qu'à un caprice. Le moindre soupçon, un rêve fâcheux,
pouvait entraîner leur mort. « Il m'est arrivé, » disait
Mtésa, « de faire tuer jusqu'à cent courtisans dans la

même journée. » Et il manifestait l'intention de punir


d'une manière semblable la négligence dont les servi-
teurs pourraient se rendre coupables envers son hôte,
« car il savait comment on guérit la désobéissance ».

Hàtons-nous de dire que Mtésa s'était un peu humanisé


depuis la visite de plusieurs explorateurs, et lorsque la
nouvelle de sa mort est arrivée en Europe à la fin de
septembre 1883, elle a provoqué de véritables regrets.
Ses officiers, ses sujets devaient s'agenouiller ou s'ac-

croupir autour de lui, et ne l'approcher qu'en rampant


et le regard baissé. « Toucher au trône, aux vêtements
du roi, même par mégarde, ou lever les yeux sur ses
femmes, entraînait la peine de mort. »

Quant aux nombreuses femmes du harem , la vie de

ces malheureuses créatures était attachée à l'observation


minutieuse des lois d'une étiquette bizarre comme les

tyrans seuls en savent imaginer. La moindre intempé-


rance de langue, un geste involontaire, un acte quel-
conque, non prévu ni voulu par un maître fantasque et
jaloux de son pouvoir, pouvait les faire sans délai traîner
à une mort ignominieuse. Les jeunes pages du roi rem-
plissaient à leur égard l'office de bourreau. « Il ne s'est

point passé de jour, » a écrit Speke, « que je n'aie vu


conduire au supplice quelquefois une, quelquefois deux
et jusqu'à trois ou quatre femmes du harem de Mtésa. »

Faut-il s'étonner après cela qu'il vint à l'esprit de ce


tyran de décharger une carabine sur un homme inoflen-
£ is>fc.T* ,''«-

Fig. 6. — Capitale de l'Ouganda.


AU PAYS DES NÈGRES. 25

sif, uniquement pour s'assurer que l'arme avait été


ré-
gulièrement chargée? Speke vit cela la carabine était:

un présent fait par lui au roi.


La férocité de Nacer, roi de Tagali, était proverbiale,
et il en lui-même une étrange vanité. Un jour
tirait

qu'il rentrait à son quartier, il entendit une panthère


rugir. « Comment! » dit-il, « il y a dans le royaume de

Nacer une panthère qui crie la faim? C'est une honte


pour Nacer! » Et, désignant au hasard un de ses hommes,
il le fit jeter en pâture à la bête affamée.
Le Casembé, par Livingstone au centre de la
visité
région des lacs équatoriaux, était un usurpateur cruel :

pour une faute légère commise par un de ses sujets, il

lui faisait couper les oreilles, le nez ou les mains, il

vendait ses enfants, il saisissait les bestiaux.


Au Dahomey, on excite le peuple par des spectacles
sanguinaires. Le roi ordonne journellement des exécu-
tions. Et Ton peut voir, soit sur la place du marché,'
soit à la porte du
du roi,
palais ce que Jules Gérard
voyait chaque jour à Abomey, des tètes coupées, des ca-
davres de suppliciés , les uns pendus, d'autres disposés
par dérision comme des hommes qui s'apprêtent à mar-
cher.
Dans le même pays, à des époques fixes, des sacrifices,
humains ont lieu comme des solennités publiques. Des
prisonniers sont cloués contre un arbre par la tête,

mains. A la fête des Coutumes,


la poitrine, les pieds et les

chaque jour on immole des victimes humaines.


Un
Anglais, lieutenant de vaisseau, qui se trouvait il
y a quelques années à Abomey, fut forcé par le roi d'as-
sister à cette hécatombe.
Dans une plaine immense, couverte de milliers de
26 AU PAYS DES NEGRES.

spectateurs, 3,000 esclaves et 3,000 bœufs ou moutons


étaient rangés sur deux lignes. Le roi sepromena au
milieu de cette allée vivante , et, sur un signe fait avec
son bâton royal, les 6,000 têtes tombèrent à la fois. Les
guerriersdahomyens se précipitèrent sur les victimes et
mangèrent la chair sanglante des animaux.
Lors des Coutumes, si le roi a été battu dans une des
dernières rencontres et n'a pas fait de prisonniers, il

prend simplement 3,000 de ses sujets pour victimes.


Ceux-ci sont arrivés à un tel degré de stupidité, que ceux
sur qui le choix tombe s'estiment heureux et fiers.

Une autre fois, un négociant hollandais vit apporter

24 corbeilles contenant chacune un homme vivant dont la

tête seule passait au dehors. On les disposa un moment en


ligne sur le rebord de la plate-forme où se tenait le roi ;

puis on les précipita l'une après l'autre. En bas, une foule


ivre de sang, sautant, hurlant, se jetait sur ces corbeilles,
chacun s'efforçant d'accaparer une tête à scier avec quel-
que mauvais couteau ébréché! Cette tête valait à celui
qui l'avait coupée un chapelet de cauris , d'une valeur de
2 francs 50 centimes environ.
Dans les grandes Coutumes, on sacrifie hommes et
femmes avec un certain nombre de chevaux; les sacrifi-
cateurs ont bien soin de mêler le sang des chevaux
égorgés à celui des victimes humaines.
Dans cet affreux pays, le roi donne habituellement
audience aux Européens dans une enceinte parée de
rangées de tètes humaines, fraîchement coupées, sai-
gnant encore.
Lorsqu'un roi du Dahomey meurt, on lui érige dans
un monument cimenté du sang d'une centaine de cap-
tifs, provenant des dernières guerres, et sacrifiés pour
AU PAYS DES NÈGRES. 27

faire cortège au souverain dans l'autre monde. Le corps


du monarque est mis dans son cercueil, la tête reposant
sur les crânes des rois vaincus par lui. Ces préparatifs
achevés, on fait entrer dans le caveau 8 abaïas (danseu-
ses de la cour) et 50 gardes du roi. On place auprès d'eux
un amas d'ustensiles et de vêtements, des parures, du

Fig. T. — Rue à Loucenda (prés du Tanganyika).

tabac, des barils d'eau-de-vie; puis on sacrifie ces


malheureux pour qu'ils aillent rejoindre leur maître,
qui a besoin d'eux.
« Chose étrange ! » dit le docteur Répin , « il se trouve

toujours un nombre suffisant de victimes volontaires des

deux sexes, qui considèrent comme un honneur de s'im-


moler dans le charnier royal. Le caveau reste ouvert
pendant trois jours pour recevoir les pauvres fanatiques,
puis le premier ministre recouvre le cercueil d'un ve-
28 AU PAYS DES NEGRES.

lours noir et partage avec les grands de la cour et les


abaïas survivantes les joyaux et les vêtements, dont le

nouveau roi a fait hommage à l'ombre de son prédéces-


seur. »

Dans le pays des Achantis, les royales obsèques


étaient, au commencement de ce siècle, encore plus san-
glantes. Un envoyé de la Grande-Bretagne, M. Bowdich,
qui, en 1817, visita Coumassie, cette horrible capitale
anéantie récemment par les Anglais, raconte que les
sacrifices offerts à la royauté se renouvelaient là, de se-
maine en semaine, pendant trois mois.

Avec de pareilles mœurs chez les Africains, il ne faut


pas s'étonner que de simples représailles soient terribles.
G. Lejean, dans la relation de son voyage au Taka, ra-
conte ce qui s'était passé dans un village de la haute
Nubie, un peu avant qu'il visitât cette région. Un homme
de Hafara avait enlevé deux jeunes garçons du village où
habitait son beau-père; c'était avec l'intention de les
vendre, et il les vendit à Kassala, malgré les protesta-
tions du beau-père. Alors celui-ci fit prévenir secrète-
ment sa fille de se tenir prête à un grave événement.
Une nuit, il conduisit à Hafara 300 guerriers bien armés,
qui envahirent silencieusement le village. A la porte de
chaque hutte, un homme se posta en sentinelle, tandis
que deux autres pénétraient à l'intérieur et coupaient la
gorge à tous ceux qui s'y trouvaient. Ce fut l'affaire de
quelques minutes. Les 500 habitants de Hafara passè-
rent sans résistance du sommeil à la mort.
Naturellement, ces représailles atroces devaient en
amener d'autres. Les voisins des gens de Hafara, aidés
des marchands d'esclaves de Kassala, firent une razzia
chez les habitants si susceptibles de Basen. Ils en tuè-
AU PAYS DES NEGRES. 29

rent tant qu'ils purent et emmenèrent les jeunes filles et

les enfants pour les vendre à Kassala.


Les indigènes du Manyéma (dans la région des lacs)
sont sanguinaires et poussent le mépris de la vie hu-
maine aux dernières limites. L'anthropophagie se pra-

tiquait ouvertement chez eux avant que les manifesta-

tions de dégoût des trafiquants arabes les eussent obligés


à la dissimuler.
Les Bassoutos de l'Afrique australe pratiquent l'an-

thropophagie, et plus d'une fois les Boërs ont dû tenter


de ravoir par la force un des leurs , capturé pour ser-
vir à des festins de cannibales. On a prétendu que les
Niams-Niams du Soudan oriental sont anthropophages;

mais il est probable qu'on ne doit accuser de ce goût


monstrueux qu'une seule de leurs tribus,
celle des

Bindgis. Le rivage nord-ouest du Loûta Nzidjé est


bordé de montagnes qui plongent à pic dans le lac; elles
sont habitées par des tribus suspectées d'anthropo-
phagie.
Mais les Monbouttous, du bassin de l'Oûellé, se livrent
au cannibalisme avec bien plus de passion. Lorsque
Schweinfurth visita le roi Mounza, on tuait chaque jour
pour la table clece monstre un des petits enfants ramenés
à la suite d'expéditions fructueuses. Chaque année,
comme s'il s'agissait de grandes chasses, ces expéditions
s'organisent contre les peuplades qui vivent sous l'équa-
teur. Les Monbouttous mangent sur place les morts restés
sur champ de bataille, et emmènent leurs prisonniers
le

pour les manger à loisir. Schweinfurth s'étant arrêté


devant un étal de viandes appétissantes, proprement
exposées sur des feuilles de bananier, apprit que cette
marchandise était de la chair de vieilles femmes en-
30 AU PAYS DES NEGRES.

graissées pour les gourmets. Sur la côte occidentale, les


Pahouins sont également anthropophages.
D'autre part, il y a des populations, comme les rive-
rains du Nyassa etde la Rofouma, qui ont horreur de
l'anthropophagie, à ce point qu'ils s'abstiennent même
de toucher à la chair des animaux qui se nourrissent de

l'homme, tels que le lion et la panthère.


IL

- Condition de femme. - Les sorciers blancs. - Albi-


la

- Coiffures bizarres. - Nudité et vêtement. -


Nègres et Noirs.
nos africains. - Les nains.
Ornements du visage. - Colliers, bracelets,
etc. - Armes offensives et defen-
_ Fanatisme et superstitions. - Devins et sorciers.- Le culte du
coutumes. -
sives
serpent - Les missionnaires.
- Les marabouts. - Mœurs et

Supplices. - Épreuves judiciaires.


- Habitations etvillages.- Nourriture.

— Industrie.

popu-
L'Afrique est une terre qui, sans sa nombreuse
nouvellement créé les
lation, semblerait un continent
:

siècles n'y apportent avec eux


aucun changement, et il
n'auront pas fait la
en sera ainsi tant que les Européens
conquête de ce vaste sol, pour le plus
grand profit de la
civilisation et le relèvement de
l'humanité.
tout progrès?
Quelle est donc cette race si rebelle à
populations d'une laideur
Elle est assez diverse. Il y a des
d'étranges;
repoussante; y en a d'assez belles, il y en a
il

Nègres blancs, des


nous pouvons même montrer des
géants et des nains. Nous ne parlerons
que des races ou

groupes d'hommes qui ont une physionomie


distincte,

de traits généraux
remarquable les autres participent
:

que nous indiquerons.


voyageurs, de
Sous le nom de Nègres, beaucoup de
des races
missionnaires et d'ethnographes ont confondu
et qui n'ont même
qui se dérobent à cette classification
après M. Du-
aucune parenté entre elles. Nous citerons,
32 AU PAYS DES NÈGRES.

veyrier, les Koï-Koïns ou Hottentots, les Foulbés, les

Haoussas , les Bantous et les Mâbas comme exemples


d'autant de peuples, ou de grandes familles de la Nigri-
tie, entre lesquelles on chercherait vainement des carac-
tères communs, soit physiques soit intellectuels ou ethno-
logiques.
La nature laineuse des cheveux est le véritable cachet
-du Nègre. « Tout peuple qui n'en est pas marqué, » dit

M. Vivien de Saint-Martin, « quelque foncée que puisse


être d'ailleurs la teinte de son épidémie, quelle que soit

même la coupe de sa physionomie, n'appartient pas à


cette classe inférieure de la famille humaine. Ce pourra
être un peuple noir, cène sera pas un peuple nègre. Les
Cafres sont des Noirs, ce ne sont pas des Nègres. Les
Fellatas ou Foullas, cette grande nation qui domine au-
jourd'hui sur la moitié du Soudan, sont un peuple noir;
ce n'est pas un peuple nègre. On en peut dire autant des
Tiboûs, branche adultérée de la race berbère, aussi bien
que des Bischaris et des autres tribus nubiennes, qui
sont les Éthiopiens des Grecs ; on peut étendre également
cette distinction aux Abyssins et à bien d'autres tribus
de l'Afrique orientale. »

La haute région forestière située dans le triangle,


formé par le lac Tanganyika et les lacsMoëro et Ban-
goueolo, semble être, selon Livingstone, la patrie de la
race noire. Les habitants, hommes et femmes, y sont, en
général, très beaux, particulièrement ceux de l'Itahoua.
On trouve parmi eux des têtes bien faites, de belles for-
mes, de petites mains. C'est à croire que les êtres disgra-
ciés qui vivent dans les marais pestilentiels des côtes
constituent une race dégénérée, tandis que le vrai type
nègre serait celui de l'Égyptien des temps antiques.
AU PAYS DES NÈGRES. 33

En dehors de l'islam, y a des populations qui peu-


il

vent répudier le nom de sauvages, mais qui assurément


sont encore en pleine barbarie; tels sont les Môssis, qui

Fig. 8. — Hottentot Kora.

la Gui-
vivent au sud de Tombouctou, et les Achantis de
née.
physi-
Examinons d'un peu plus près les caractères
ques et moraux des populations africaines.
34 AU PAYS DES NÈGRES

Les Ouolofs sont grands et bien faits; leur peau est


d'un noir d'ébène; ils ont les cheveux crépus, les lèvres
fortes, le nez un peu déprimé, la physionomie plutôt
avenante que repoussante.
Les Peuls ont la peau assez claire, d'un brun rou-
geâtre; ce sont des Nègres cuivrés, leurs cheveux sont
crépus comme ceux des Nègres, mais leurs lèvres, beau-
coup moins épaisses, laissent au profil quelque chose de
la régularité des types européens. Un grand nombre de
Peuls portent deux tresses de cheveux tombant des tem-
pes, assez semblables aux tresses d'ordonnance de nos
anciens hussards.
Les naturels de l'Egba ont la couleur du cuivre. Ce
sont plutôt des négroïdes que de véritables Nègres. L'œil,
chez eux, est beau, la lèvre peu épaisse, mais les genci-
ves sont bleues, les joues proéminentes, le menton ren-
tré, le front fuyant ; leurs formes sont parfaites. Les fem-
mes relèvent leurs cheveux sur la tête comme une touffe
de laine, et cette coiffure leur donne une ressemblance
lointaine avec les bêtes à cornes. Elles se tatouent et se
font des cicatrices sur la peau; elles se plaisent à prati-
quer sur leurs enfants ces sauvages ornementations, et

le corps des pauvres êtres porte, de la tête aux pieds, la

marque d'incisions, teintes en bleu au moyen de l'anti-

moine.
Voici le portrait que le capitaine Burton fait des habi-
tants du Dahomey :

« C'est une vilaine race. Ils sont menteurs comme des


Cretois, et, sous le rapport de l'intelligence, de vrais
crétins. Ils sont lâches et, par conséquent, cruels; ils

sont joueurs et, par conséquent» voleurs. Brutaux, ils ne


respectent rien, ils n'obéissent à personne. Au moral.
AU PAYS DES NÈGRES. 35

de la vermine. Au physique, ils ont la peau noire, les

Fig. 9. — Hotteuiot. — Portefaix au Cap.

sourcils jaunes. Ils sont de taille moyenne, sveltes, agi-


les, bons marcheurs, danseurs infatigables. Voilà pour
le sexe masculin. Quant aux femmes, elles appartiennent à
36 AU PAYS DES NEGRES.

l'ordre des éléphants ; en d'autres termes, elles sont mas-


sives et carrées ; ce sont elles qui moissonnent, qui fau-
chent, qui font les gros travaux. On sait qu'une partie
d'entre elles, dans ce pays, portent les armes et for-
ment la garde personnelle du roi. »

Un missionnaire écrivait en 1865 :

« Le nègre est au Dahomey un peu moins sauvage


que sur les autres points des environs de la côte; en
présence du blanc, du missionnaire surtout, il est timide

et doux comme un agneau ; d'un amour peu stable, et le

plus souvent feint, il oblige son maître à se tenir toujours


sur le qui-vive. Je dis son maître, car ici ils sont tous
esclaves les uns des autres... Tous les sauvages sont, en
général, d'une grande taille et ont le corps bien fait jus-
qu'au cou ; mais quand on passe à la figure, on dirait des

monstres : de grosses lèvres, une large bouche, un nez


très épaté, une chevelure très crépue, point de barbe
(« une tête de boule-dogue », a écrit Jules Gérard, le tueur
de lions, qui passa deux ou trois semaines à la cour du
roi de Dahomey) ; ils se rasent la tête de toutes les ma-,

nières. Ils sont tous marqués à la figure avec un instru-


ment tranchant...
« Ici, la femme est un être abominable, sans pudeur,

sans honte, et méchante comme la vipère. On la voit, la

pipe à la bouche, courir de danse en danse, et se livrer


ainsi, du matin au soir, à toutes sortes d'orgies et de
crimes. Il y a possibilité de ramener les hommes, mais on
n'a presque rien à espérer des femmes. Le Noir, quand
il s'agit de travailler, est d'une mollesse à ne pas pou-
voir remuer les jambes. Le rotin est aussi nécessaire à
ces gens qu'à nous la nourriture. »

Les Achantis, qui ont bien des traits communs avec


AU PAYS DES NÈGRES. i

les précédents, se

distinguent de la

plupart de leurs
voisins en ce

qu'ils considèrent

la femme comme
l'égale de l'hom-
me. Lorsque le

roi est mineur, sa


mère exerce le

pouvoir en son
nom ; à défaut
d'héritier mâle,
elle est' appelée à

succéder.
Mais chez les

Pahouins les fem-


mes sont traitées

en esclaves. Les
filles, dès leur en-
fance, sont pro-
mises au plus
otfrant. A ces
femmes sont ré-

servés les travaux


pénibles, tels quf
la culture des jar
dins , la cueil

lette et le trans

port à dos des ba


nanes, etc. Plus
elles sont capables — Ou( «aint-Louis c-n costume de Fête.
Fis. 10.
38 AU PAYS DES NEGRES.

de porter de lourdes charges, plus elles sont appréciées


et recherchées. Les Pahouins n'ont pas d'esclaves : leurs
femmes leur en tiennent lieu et sont cruellement maltrai-
tées; aussi le suicide n'est-il pas inconnu parmi elles.

Ces malheureuses ne deviennent même pas libres à la


mort de leur mari : les parents en héritent.
Dans la Guinée méridionale, à laquelle le Congo donne
actuellement une importance justifiée par la situation de
cette contrée, qui est la clef de l'Afrique équatoriale,
les diverses races paraissent appartenir à la famille cafre.
Elles sont, sans exception, de couleur noire. Les Mou-
chicongos, qui Congo proprement dit, les
occupent le

Mousserongos, les Cabindos, et les Loangos du littoral,


ont les yeux bruns et ouverts, une bouche moyenne, avec
des lèvres pas trop épaisses, un nez épaté, l'oreille un peu
grande; le front, très bombé chez l'enfant, devient fuyant

chez l'adulte. Les cheveux, coupés très courts, sont lai-

neux; la barbe n'apparaît généralement qu'à un âge


avancé : elle est noire d'abord, d'un jaune roussâtre plus
tard, et enfin blanche.
Si l'on en croit le voyageur suédois Anderson, les

Damaras sont une race d'hommes très belle ; une taille

de 2 mètres est commune parmi eux; le corps et les

membres sont bien proportionnés; leur visage est régu-


lier, expressif, leurs gestes sont gracieux. La couleur de
leur peau n'est pas très foncée. Les femmes sont délica-
tes, bien proportionnées, avec de petits pieds et de petites
mains, mais avec l'âge elles deviennent fort laides; du
reste, les deux sexes sont très malpropres. Ils s'endui-
sent d'ocre rouge et de graisse, ce qui répand autour
d'eux une odeur nauséabonde.
Les Zoulous ont une véritable beauté de formes, des traits
AU PAYS DES NEGRES. 39

réguliers. Malgré
leurs cheveux lai-
neux, ils appartien-
nent à l'une des.ra-
ces les plus remar-
quables de l'Afrique.
Les habitants de
l'Ougogo (les
Vouagogos) sont
supérieurs aux tri-

bus échelonnées
de cet État à la

côte de l'océan In-


dien. « Il y a dans
leur front, » dit

Stanley, « quelque
chose de léonin ;

leur physionomie
est intelligente
leurs yeux sont
grands et large-
ment ouverts. Ils

ont le nez plat, les

lèvres grosses, mais


pas de cette façon
monstrueuse que
nous supposons
chez tous les Nè-
gres. » C'est à peu
près le portrait
qu'avait fait d'eux
lecapitaineBurton. Kig. li. — Femme de Guinée (Race noire).
40 AU PAYS DES NEGRES.

Cet explorateur a noté que, dans l'est et dans le nord


de TOugogo, la race est vigoureuse, avec la nuance claire
des Abyssins, mais la physionomie est sauvage, même
chez les femmes les lèvres sont épaisses et d'une expres-
;

sion brutale, les paupières rougies; la voix est forte,


impérieuse. La partie postérieure de la tête est petite re-

lativement à la largeur de la face. Et comme il faut que


partout l'homme s'enlaidisse, —
quand ce n'est pas la
femme, — les Vouagogos s'arrachent les deux incisives
du milieu de la mâchoire inférieure. Quelques-uns se
rasent la tête, d'autres se tressent une quantité de petites

nattes comme les anciens Égyptiens, et les enduisent de


terre ocreuse et micacée; ce même enduit sert à embellir
le corps; une couche de beurre fondu par-dessus ne
gâte rien, paraît-il, aux yeux des plus difficiles en ma-
tière de goût.
Un peuple étrange entre tous ces Noirs est celui des
Vouasongoras aux longues jambes. Ils ont en aversion
tout ce qui est étranger. Cette aversion n'égale que leur
amour extravagant pour leurs bestiaux. « Si une vache
meurt de maladie, » dit Stanley, « on fouille tout le

pays pour découvrir celui qui a dû ensorceler la bête, et


y trouve-t-on un étranger, sa vie est en péril. » Chez ces
peuples, et aussi bien que chez les Vouarouandas, les
Vouagafous, les Vouanyambous, et, en général, les peu-
ples vivant à l'ouest du Nyanza, un étranger mourrait
faute d'une goutte de lait qu'on ne la lui donnerait pas.
Jamais le roi Roumanika, si généreux et si bon qu'il se

se soit montré à l'égard de plusieurs voyageurs, n'offrit


une cuilleréede lait à Stanley, pendant le séjour que
celui-ci fit auprès de lui.

A en croire les rapports faits à Stanley, il y aurait


AUX PAYS DES NÈGRES. 41

chez les Vouasongoras quelques tribus à jambes si lon-

gues « qu'ils ne peuvent les contempler sans un étonne-


ment mêlé de crainte ».
6
42 AU PAYS DES NÈGRES.

Lorsqu'en 1872 Livingstone et Stanley, explorant le lac

Tanganyika, entendirent parler d'un peuple de Nègres


blancs, qui habitait au nord del'Oujidji, ils se refusèrent
d'y croire. Quatre ans plus tard , Stanley reconnut la

vérité de cette assertion, en arrivant sur la frontière


d'Ounyoro, au pied de l'énorme massif du Kabongo,
qu'aucun voyageur européen ne connaissait encore.
Le géant de ces montagnes est le mont Gambaragara,
volcan éteint, dont la neige recouvre souvent le som-
met. C'est autour de sommet que plusieurs
ce villa-

ges sont habités par une race d'hommes au teint blanc,


semblable à celui des Européens. Les fonctions de sor-
ciers auprès des rois d'Ounyoro leur sont dévolues.
« C'est une belle race, » dit Stanley, « et quelques-unes
de leurs femmes sont réellement très jolies. Ils ont des
cheveux crépus, de couleur brunâtre. Leurs traits sont

réguliers, leurs lèvres minces; le nez, quoique bien con-


formé, est cependant un peu épais à la pointe. N'était le

caractère négroïde des cheveux, on les prendrait pour


des Européens ou pour des Syriens. »

Comme la plupart des peuples de l'Afrique équatoriale


ce peuple blanc a pour principale occupation l'élevage
des bœufs , et le fond de son alimentation se compose de
lait et de bananes. Ces blancs sont établis depuis des
siècles autour du Gambaragara; l'intensité du froid qui
règne sur cette haute montagne est leur meilleure dé-
fense contre leurs ennemis. En 1874, Mtésa, roi d'Ou-
ganda, envoya contre eux une armée de 100,000 hommes;
le chef qui les dirigeait occupa aisément les pentes du
volcan, mais il ne réussit pas à faire avancer ses troupes
jusqu'au refuge des sorciers blancs; le froid les força de
renoncer à leur entreprise.
AU PAYS DES NEGRES. 43

Les blancs dont nous parlons n'ont rien de commun


avec les albinos. y a de ces derniers parmi les Noirs
Il

africains , et il paraît qu'on ne peut rien voir de plus af-


freux qu'un albinos de race noire, avec son profil de

Fig. 13. — Dscliako, domestique du lieutenant Cameron.

Nègre, ses cheveux crépus et jaunâtres, et sa peau qui


n'est ni absolument blanche, ni noire, ni rosée.
Après cette surprise de blancs africains , il en est ré-
servé une autre à nos lecteurs : les jolies femmes noires.

Dans un village de la Terre delà Lune, le capitaine


Burton, admis dans un cercle de femmes jeunes et
vieilles qui fumaient, en compta jusqu'à trois qui au-
44 AU PAYS DES NEGRES.

raient été belles en tous pays : « Le type grec, » dit-il,

« dans toute sa pureté, le regard souriant, des formes


sculpturales, le buste de la Vénus coulé en bronze. Un
jupon court, de fibres de baobab, était leur unique vête-
ment, et certes, elles ne perdaient rien à ignorer l'usage
de la crinoline et du corsage. Ces ravissants animaux
domestiques me souriaient avec grâce chaque fois que
je leur présentais mes hommages ; et quelques feuilles
de tabac que je me plaisais à leur offrir m'assuraient

une place d'honneur dans ce cercle, auquel, comme à


beaucoup d'autres mieux vêtus la fumée du narcotique ,

tenait lieu d'idées, de contenance et de conversation. »

Durant son passage chez les Manyémas, Livingstone


a tracé à chaque page de son journal des notes comme
celles-ci : « C'est une jolie fille... cette femme est vrai-

ment jolie ».

Les voyageurs anglais, à qui nous sommes redevables


de tant de particularités curieuses concernant le pays
dont nous traçons rapidement le tableau , ont été vive-
ment frappés d'une bien singulière manière d'y conce-

voir la distinction et la beauté chez la femme : ils l'ont

trouvée assez répandue sur leur route, mais surtout dans


le Karagoué.
Cette distinction et cette beauté résident dans un em-
bonpoint extrême. Pour l'obtenir, on soumet les femmes
à un engraissement méthodique , au moyen de grandes
quantités de lait. On s'y prend de bonne heure, et l'édu-

cation de la jeune fille consiste principalement à s'habi-


tuer à absorber le plus de lait possible. Les femmes
atteignent la puberté en même temps qu'un ample déve-
loppement des formes; bientôt, elles deviennent obèses; en
continuant leurs soins , elles doivent arriver au point de
AU PAYS DES NEGRES. 45

ne plus pouvoir se mouvoir qu'avec le secours des mains.


Les bras sont énormes, et leur poids entraîne le corps.
Speke réussit à obtenir les mesures d'une des princesses
de la famille de Roumanika. Il les a consignées dans sa
relation, et les déclare d'une exactitude rigoureuse. Les
voici : tour de bras, 58 centimètres; buste, l m ,32; cuisse,

68 centimètres; mollet, 51 centimètres; hauteur, m


l ,72.
Dès l'âge adulte , les femmes Bongos , — nous dépas-
sons la région des lacs, — acquièrent (naturellement
une extrême ampleur de ceinture. Leurs formes
celles-là)

rappellent celles de la fameuse Vénus hottentote. Il n'est


pas rare d'en trouver parmi elles qui pèsent jusqu'à
150 kilos. « La silhouette de ces graves personnes, mar-
chant d'un pas solennel, » dit Schweinfurth , «évoque le

souvenir d'un babouin qui danse. »

Nous avons parlé des Manyémas. Les Monbouttous,


bien qu'à une centaine de lieues au nord de ces derniers,
offrent de nombreux traits de ressemblance avec eux;
même physionomie, même nez plutôt assyrien qu'épaté,
mêmes cheveux longs. Ils sont beaux et bien faits, avec
un visage régulier; comme dernier trait , ils sont anthro-
pophages les uns et les autres. Ajoutons que les Mon-
bouttous ont le teint très clair; on en rencontre parmi
eux dont les cheveux sont blonds.
Les Niams-Niams, qui occupent la même région, ont
tout à fait le type d'un peuple belliqueux : la lance d'une
main, le bouclier de l'autre, un sabre recourbé à la cein-

ture , les reins entourés d'une peau de bête , la poitrine

et le front ornés de trophées de bataille et de chasse , la


'chevelure d'une longueur exceptionnelle flottant sur l'é-

paule, les yeux étincelants sous d'épais sourcils. Dans


le bassin de la rivière des Gazelles , hommes et femmes
46 AU PAYS DES NÈGRES.

ont la coutume d'arracher les incisives de la mâchoire


supérieure. Les Niams-Niams liment ces mêmes dents en
pointes.
Les Chillouks, les Nouers et les Dinkas, qui figurent
parmi les peuples les plus importants du haut Nil, vivent
au milieu de marais, et leur silhouette rappelle celle
des échassiers qui y cohabitent avec eux. Ils ont ce que
Livingstone appelle « le pied d'alouette », c'est-à-dire la

talon démesurément allongé et la plante du pied très


large. Avec cela, la jambe longue et sèche, le cou long.
Ils se tiennent debout sur une jambe pendant de longs

moments, comme les hérons. Ils sont très noirs et vont


entièrement nus.
Les Baris , établis dans la même région , sont d'une
haute et belle stature. Ils ont le nez un peu large, à la

vérité, mais non pas écrasé; leur bouche rappelle celle

des sculptures égyptiennes. Le front est large et arrondi,


l'œil expressif et franc.

Il nous reste à dire quelques mots des nains africains.

Les Akkas forment une race noire ,


qui a été décou-
verte par Schweinfurth , dans le pays des Monbouttous ;

leur taille ne dépasse pas un mètre et demi , mais ils

n'ont rien de la difformité ordinaire des nains; au con-


traire, ils se montrent d'une agilité extraordinaire, tur-

bulents et braves. Leur couleur n'est pas celle des Nè-


gres; ils sont plutôt bruns que noirs; leur face est très
prognate ; la tête est ronde , ils ont le nez enfoncé et les
narines très larges. D'autres détails, tels que l'allonge-
ment des bras, l'écartement des jambes, la grosseur et
le ballonnement du ventre, mais surtout la courbure de
l'épine dorsale en forme de G, paraissent rapprocher les

Akkas des singes anthropomorphes.


AU PAYS DES NÈGRES. 47

Au temps où Schweinfurth a visité le roi Mounza , ce

despote africain entretenait des régiments de ces pyg-


mées il gardait aussi à sa cour quelques-uns de ces pe-
;

tits hommes pour sa distraction.


Les Akkas ne forment pas la seule population naine
de l'Afrique leur taille est exactement celle des Obon-
:

Fig. 14. — Bushinan (piolil).

petites.
gos. y a encore d'autres races africaines très
Il

Les Massarouas du désert de Kalahari auxquels les An- ,

glais ont donné le nom de Bushmen (hommes des


buis-

sons) et que l'on appelle aussi Boschimans, ont une


taille au-dessous d'un mètre et demi. Ils sont d'un noir

foncé, avec de petits yeux brillants, et leurs cheveux


clairsemés sont rasés à la hauteur des oreilles , ne lais-
sant sur la tête qu'un rond assez semblable à une calotte.
4S AU PAYS DES NEGRES.

Tout ce monde sauvage est peu ou point vêtu , à quel-


ques exceptions près que nous indiquerons.
Dans la plupart des tribus du haut Nil , les hommes
vont entièrement nus ; les femmes s'attachent à la cein-
ture une étroite lanière de peau , quelques minces pende-
loques d'écorce ou de verroterie. Hommes et femmes sont
d'une saleté repoussante; les couches de beurre ou de
graisse dont ils s'enduisent le corps, la cendre et la fiente
de vache dans lesquelles ils se roulent pour se garantir
de la piqûre des insectes, leur donnent un aspect peu
avenant et une odeur qui fait reculer. Cette nudité et ces
précautions contre les moustiques se rencontrent chez
nombre d'autres peuples africains.
Parfois, cette complète nudité est dissimulée soit par
une peau de chèvre, soit, comme dans le pays des Madis,
par une sorte de queue en crin végétal attachée aux reins,
comme chez les femmes Latoukas ,
qui portent par de-
vant un large pan de cuir tanné , soit par une bande d'é-
toffe, passée dans la ceinture, et dont les bouts retombent
par devant et par derrière, comme chez les Bongos, dont
les femmes se contentent pour tout costume d'une bran-
che souple et garnie de ses feuilles ou d'un bouquet
d'herbe attaché à la ceinture.
Dans certains endroits, où tout le monde va nu, les
filles seules adoptent une pièce de vêtement, ne serait-ce

qu'un pagne, tissu de fils d'écorce et large comme la

main. D'autres fois, lorsque ce monde noir fait choix d'un


vêtement, d'un ornement quelconque, les jeunes filles,

seules, n'ont pas le droit de suivre l'usage commun.


Certaines populations , vivant dans une nudité presque
complète, prennent un soin extraordinaire de leur cheve-
lure : ils la dressent en coiffures, qui ne manquent ni de-
AU PAYS DES NÈGRES. 49

légance ni d'originalité. Ces sortes de soins se rencon-


trent chez les Liras, qui se singularisent entre tous par
de véritables perruques à marteau et à queue, laborieu-
sement édifiées avec leur chevelure naturelle à laide ,

d'un mélange d'argile ou de terre de pipe ce qui a ins- ;

piré à sir Samuel Baker une boutade humoristique « Je :

Fig. 15. — Bt/shman (face).

dit dans un de ses livres, « qu« le


ne pense pas, » a-t-il

lord chancelier d'Angleterre ou aucun des membres du


barreau anglais ait jamais pénétré dans l'intérieur de
l'Afrique; il est donc difficile d'expliquer l'origine et la
puis assurer
coupe africaine de leurs perruques; mais je
tout vête-
qu'un avocat passé au cirage et portant pour
parfaite
ment sa perruque officielle donnerait une idée

d'un membre de la tribu des Liras. »


£0 AU PAYS DES NEGRES.

Chez les Latoukas, la coiffure affecte la forme d'un


casque chargé de plaques de cuivre poli orné de rangs ,

de verroterie ou de cauris (1); ce casque a l'avantage,


ou, si l'on veut, l'inconvénient d'être fixé à demeure sur
la tête.

La coiffure des naturels de FObo quoique différant de


,

celle des Latoukas , est bizarre et demande un laps de


plusieurs années pour être achevée !

Dans le pays des Manyémas , dont les habitants, nous


l'avons dit , sont d'une très belle race , les coiffures des
femmes frappèrent Cameron par leur étrangeté elles lui :

rappelaient un chapeau des anciennes modes porté par


les dames anglaises, mais dont on aurait enlevé le fond,

avec les cheveux pendant en longues boucles sur le cou.


T
-.es hommes enduisent d'argile leurs cheveux et les main-
tiennent aussi en forme de cornes , ou nattés de manière
à avoir l'air de porter des casques.
Le costume des Cafres consiste pour les hommes en
une ceinture, faite de la peau de quelque animal sau-
vage; pour les femmes, en un simple cordon de grains
de verre, passé autour des hanches.
Les Zoulous ne se surchargent pas de vêtements
une :

écharpetombant des hanches aux genoux suffit aux


hommes comme aux femmes; les jeunes filles seules
s'enveloppent d'une longue chemise d'indienne. Les
guerriers s'entourent la tête d'une peau de léopard , ou
piquent dans leur coiffure quelques plumes d'autruche
blanches ou noires.
Les Bushmen du désert de Kalahari se couvrent à
peine de quelques peaux , larges comme la main ; il suf-

(1) Sorte de coquilles servant aussi de monnaie.


AU PAYS DES NÈGRES. 51

fit aux femmes qu'elles aient des colliers de verroterie

pour elles et leurs enfants.

Les Nègres de la Louêna, qui habitent un pays arrosé


par le Zambèze (nous pourrions dire inondé), portent des

peaux, retenues sur les reins par une ceinture et pendant


jusqu'aux genoux; chez les femmes, cette sorte de jupe
descend un peu plus bas par derrière et atteint le mollet.
Les hommes mettent aussi un manteau à capuchon, et les
femmes, un mantelet de fourrure. Les peaux sont par-
fois remplacées par des étoffes européennes et des cou-

vertures, que le commerce porte jusque-là.

Les nobles de l'Ouganda se couvrent des peaux, ta-

chetées de noir, du chat-pard et portent une dague à la

ceinture; les plébéiens ont des vêtements d'écorce ba-


riolés et des manteaux de cuir de vache ou de peaux
d'antilope. Les étoffes d'écorce sont d'une extrême finesse
et rappellent nos lainages : elles sont formées des fila-

ments intérieurs des écorces de certaines essences d'ar-


bres qu'on fait macérer. Les parties de costume faites
,

de peaux d'antilope jointes ensemble sont d'un travail de


couture des plus habiles. Les officiers du roi ceignent
leur tête d'un turban ou d'une couronne en tiges d'arbre
tressées, décorées de défenses de sanglier polies avec
soin, de baguettes à talisman, de graines colorées, de
verroteries ou de coquilles.
Le vêtement indispensable, dans la Guinée méridionale,
est le y en a pour les riches en étoffes d'Europe,
pagne; il

de couleur et de grandeur variées; par-dessus les pagnes,


on porte des chemises, aussi longues cme possible. Cette
garde-robe s'enrichit parfois de vieux habits d'uniforme
ou bourgeois, de bonnets de coton rouges ou blancs et de

vieux chapeaux.
52 AU PAYS DES NEGRES.

Dans l'Ounyoro, les hommes femmes sont vêtus;


et les

les femmes portent un court jupon, une chemise mon-

tante et une sorte de plaid, le tout, en un tissu fabriqué


par elles avec l'écorce d'une variété de figuier, que Ton
multiplie en quantité à l'entour des maisons, pour cet
usage. Les femmes de l'Ounyoro préparent aussi des peaux
de chèvre, qui rivaliseraient avec les plus belles peaux

de chamois.
Par où brille la race noire, c'est dans la variété et la

profusion des ornements. Il faut dire que ces ornements


sont souvent tout ce qui indique une intention de toi-

lette.

Nous avons parlé de certaines coiffures, laborieusement

édifiées et conservées indéfiniment. Les Zoulous, lorsqu'ils

se marient, se font poser sur le sommet de la tête une


sorte de gâteau, fait d'une substance gommeuse et que
l'on entretient avec soin.
Les Nègres de la Louêna piquent dans leurs cheveux
une ou plusieurs petites houppes de soies d'éléphant :

chacune d'elles rappelle la mort d'un de ces animaux, tué


par le chasseur qui s'en pare.
Faut-il ranger parmi les ornements du visage le pélelé

et la botoque avec lesquels les riverains du lac Nyassa


et de la Rofouma se défigurent à plaisir? Qu'on en juge.

Le pélelé est un disque qui s'insère dans la lèvre supé-


rieure, et la botoque, un cône que l'on introduit dans la
lèvre inférieure. La bouche d'une dame noire parée de
ces deux ornements ressemble assez à un bec de canard.
Une manière analogue de s'embellir consiste, pour les
petites-maîtresses du pays des Madis, à charger la lèvre
inférieure, préalablement percée, d'un appendice conique
en bois, en os, en cuivre, ou simplement en roseau.
AU PAYS DES NEGRES. 53

Ernest Linant a vu une femme portant un ornement de


ce genre, de la longueur de 30 centimètres, qui, à chaque
mouvement de la tète, venait lui frapper les seins.
Le bonheur des femmes Bongos est de se distinguer
par des ornements du même genre que le mariage leur

Flg. tb. — Femmes Betjouanas du Kalaliari.

donne le droit de porter. Elles se percent la lèvre infé-


rieure et y font pénétrer des chevilles de plus en plus
grosses : de cette façon, cette lèvre s'allonge démesuré-
ment, horriblement, et dépasse l'autre, qui est égale-
ment trouée, mais ne reçoit qu'une chevillette de cuivre,
un brin de paille, parfois un anneau, à moins qu'on ne
préfère passer cet anneau dans la cloison du nez. Les
M AU PAYS DES NÈGRES.

oreilles de ces beautés sont ourlées d'anneaux et de crois-


sants de métal; la conque même est trouée, et jusqu'à

une demi-douzaine de petites boucles de fer sont sus-


pendues au lobe.
Chez les Mittous, voisins des Bongos, les femmes in-

troduisent des objets dans les deux lèvres, comme si

elles se proposaient de donner à leur bouche la forme d'un


large bec. Rien d'affreux comme cette rondelle insérée
dans la lèvre supérieure et ce cône de quartz ou de corne,
qui pend à la lèvre inférieure. La femme ainsi parée
doit, lorsqu'elle veut boire, relever sa lèvre supérieure
avec ses doigts et se verser le breuvage dans le gosier.

Quel supplice... si ce n'était le comble de l'élégance!


Autre supplice : le carcan perpétuel! Dans le pays des
Madis, les hommes portent de hauts colliers de fer,

composés d'anneaux superposés, d'autant plus nombreux


que leur possesseur a été plus heureux à la guerre; cer-

tains guerriers comptent une douzaine de ces anneaux ;

mais alors ils ne peuvent que difficilement remuer le

cou.
De lourds colliers de fer, encerclant étroitement le cou
et rivés par le marteau du forgeron, sont portés avec
grâce par les femmes des Niams-Niams.
A propos des Niams-Niams, disons que la queue qu'ils
portent, — et qui longtemps a fait le sujet de savantes
dissertations, — n'est autre chose qu'un ornement un
peu égaré. Cet appendice en cuir, assez curieusement
ouvragé, retenu devant par la ceinture, passe entre les
jambes et s'épanouit par derrière en éventail.
Dans plus d'une partie de l'Afrique, hommes et femmes
se tatouent affreusement. Mais chez les Zoulous les ta-
touages qui s'étalent sur la poitrine des guerriers sont
AU PAYS DES NEGRES. 55

des distinctions enviées et parcimonieusement octroyées


par les chefs.
En de colliers, tandis que les femmes d'une ré-
fait

gion ou d'une autre se chargent la poitrine de colliers

Fig. 17. — Coiffures des tribus voisines du Tanganyikà.

de
de verroteries, de coquilles, de grains de corail,
perles de terre, et même de simples morceaux de quartz,

les hommes suspendent à leur cou des chapelets


formés
avec
de petits morceaux de bois travaillés, alternant
dents de
des racines, des serres d'oiseaux de proie, des
chien, de crocodile et de chacal, de petites écailles
de

tortue , et d'une infinité d'objets analogues. Le officiers


56 AU PAYS DES NÈGRES.

du roi d'Ouganda portent à leur cou, autour des bras


et aux chevilles des pieds, soit des ouvrages de bois.
— sortes d'amulettes, — soit de petites cornes garnies
d'une poudre magique.
D'autres anneaux de pied sont en cuivre, en fer et
quelquefois en argent. Dans la Guinée méridionale, on
porte de ces anneaux en cuivre qui pèsent jusqu'à 2 et
3 kilogrammes.
Quant aux bracelets il y en a d'énormes en ivoire
,

comme ceux que mettent au-dessus du coude les Diours


et les y a des anneaux de fer pour l'avant-
Dinkas; il

bras, des tresses de ficelle, des bracelets en os, etc.


Parfois, les pagnes coloriés des femmes se distinguen t
par un luxe de coquilles, de verroterie et d'ornements
de fer disposés avec assez de goût.

On connaîtrait mal tout sauvage si on ne le voyait pas


dans son attirail guerrier. En Afrique, il y a une assez

grande variété d'armes, depuis la sagaie du Zoulou jus-


qu'aux canons., —
sans munitions du roi de Dahomey.
, —
Les Latoukas ont pour armes la lance, une massue,
un coutelas et un vilain bracelet de fer hérissé de lames
de couteau. Ce bracelet sert à se défendre alors qu'on
a perdu ses autres armes, et aussi à déchirer son ad-
versaire dans une lutte corps à corps. Les boucliers
(d'une trop grande dimension) sont en peau de buffle
ou en peau de girafe, celle-ci plus estimée que l'autre
pour cet usage, comme étant plus légère.
Dans l'Ounyamouési, les hommes sont armés soit

d'arcs et de flèches, soit d'excellents fusils de muni-


tion, à pierre, provenant de l'armée anglaise des Indes
et qu'on vend à Bagamoyo de 17 à 21 francs.
AU PAYS DES NÈGRES. 57

Les Baris ont des sabres et des poignards.


Dans la région du haut Nil qu'ils habitent, les Noirs
sarment aussi de lances, au fer très allongé ou ovale;
ils ont des sagaies de différentes sortes : l'une , dont le
fer en forme de spatule est emmanché au bout d'un bâ-
ton, se lance au loin; l'autre, de forme bizarre, en fer
mince et aplati, présente plusieurs lames divergentes et
tranchantes de tous côtés; celle-ci, garnie d'une courte
poignée, se lance également à distance; des haches em-
manchées sur des espèces de fourches, dont la forme
varie suivant les tribus; des arcs, des flèches aux dards-
acérés et trempés dans un poison subtil qui est le suc lai-
teux d'une euphorbe. Leurs flèches à pointes de fer sont
seules empoisonnées, d'autres à pointes d'ébène servent
à la chasse. Les boucliers sont de formes et de maté-
riaux variés : en peau de girafe ou d'hippopotame,
ou même en carapace de tortue et en peau de croco-
dile. Les masses d'armes sont en ébène et autres bois
durs.
Ajoutons , pour compléter cette énumération , les bâ-
tons de chasseur que les Nègres pasteurs lancent sur le
menu gibier.
Les Makololos de la Cafrerie intérieure ont pour
armes des lances très légères, qu'ils jettent comme une
javeline. Ils sont capables d'atteindre leur but à une
distance de quarante et même de cinquante pas. La ja-
veline, lancée en l'air, retombe ensuite de tout son poids
sur l'ennemi contre qui elle est dirigée.
L'arme favorite des Zoulous est aussi la javeline, ou
plutôt la sagaie. Ils portent toujours avec eux cinq ou
six de ces dards, au maniement desquels ils sont exercés
dès l'enfance. Bien qu'ils possèdent des fusils et qu'ils
58 AU PAYS DES NEGRES.

sachent s'en servir, ils abordent l'ennemi avec leurs sa-


gaies : ils en ont de longues qu'ils lancent avec adresse,
3t de courtes dont ils un grand parti dans la lutte
tirent

corps à corps. Ils non plus au knobiri


n'ont pas renoncé
en bois de laurier, employé comme massue à la guerre
et à la chasse.
Les armes du guerrier de l'Ougogo (entre le lac Tan-
ganyika et l'océan Indien) sont faites avec beaucoup
d'art : elles se composent d'un arc, de flèches barbelées,
d'une couple de sagaies, d'une lance dont le fer res-

semble à la lame d'un sabre, d'une hache d'armes et

d'une petite massue.


« Doit-on se battre, » dit M. Stanley, « le messager
du chef court d'un village à l'autre, en soufflant le bruit
de guerre dans sa corne de bœuf. A cet appel, le Mgogo
jette sa houe sur son épaule, revient à la maison, et
ressort l'instant d'après en costume de combat : des
plumes d'autruche, d'aigle ou de vautour se balancent sur
sa tête; un long manteau rouge flotte derrière lui. A
son bras gauche est un bouclier de peau d'éléphant,
de rhinocéros ou de buffle, orné de dessins blancs et
noirs; il tient sa lance d'une main, de l'autre ses jave-
lines. Son corps est peint de la couleur de guerre; il a
des clochettes aux genoux et aux chevilles; aux poi-
gnets, de nombreux anneaux d'ivoire, qu'il entrechoque
pour annoncer sa présence. Il a quitté à la fois la houe
et l'allure du cultivateur; c'est maintenant un guerrier
plein de fierté et d'enthousiame, bondissant comme un
tigre et flairant le champ de bataille. »

Sur le littoral de la Guinée méridionale, l'armement


se compose du fusil à pierre et de sabres importés
d'Europe. L'arc et les flèches ne se retrouvent plus
AU PAYS DES NEGRES. 59

qu'assez avant dans l'intérieur, et de même les boucliers


et les sagaies. Les Noirs ont encore un fort bâton qua-
drangulaire en bois très dur, faisant office de casse-

Fig. 18. — Armes, outils, ustensiles, ornements des Nègres.

tête. Il y a aussi des espèces de petits yatagans de


formes très variées, produit de l'industrie du Mayumbo :

les Nègres de cette partie de la Guinée ne fondent pas


le fer, ils l'achètent dans les comptoirs des Européens
60 AU PAYS DES NÈGRES.

établis sur le littoral et le transforment en instruments


et en armes par le travail de la forge.
Le major Serpa Pinto a trouvé les Louenas du Zam-
bèse en possession de quantité de fusils à percussion,
fabriqués en Angleterre et apportés par les commerçants
du Sud. Les indigènes avaient aussi des mousquets à
pierre de fabrication belge, vendus par les Portugais
de Benguela. Le même voyageur a vu aussi quelques
carabines rayées. Ces armes européennes font un peu
abandonner les armes du pays : les sagaies barbelées,
les massues et les petites hachettes. Comme arme défen-
sive en harmonie avec ces dernières se trouve le grand
bouclier ovale, fait en bois et recouvert de peaux de bœuf.
Les Dahomeyens, s'ils n'ont pas de projectiles pour
leurs canons, sont équipés de fusils, de flèches, de sa-
gaies et de sabres. Ils se servent maladroitement du
fusil : ils tirent sans épauler. En revanche, ils manient
très bien leurs longues sagaies. N'oublions pas les ama-

zones du roi de Dahomey, habiles à lancer les flèches


et à manier le lacet : elles emploient le lacet pour
faire des prisonniers.

Les armes des Damaras sont la sagaie, le kierie,


massue que les indigènes savent lancer au loin avec
une dextérité surprenante contre les quadrupèdes et les

oiseaux;. enfin, l'arc et les flèches, et quelques fusils dont


ils ne savent pas encore se servir.
Les habitants du Manyéma sont armés de lourdes pi-
ques et de boucliers; ils ne connaissent ni les arcs ni les

flèches.

Sir Samuel Baker a porté sur les Noirs de l'Afrique deux


jugements contradictoires, qu'il est utile de rapprocher.
AU PAYS DES NEGRES. 61

Voici le premier : « Je voudrais que les négrophiles


d'Angleterre pussent voir, comme moi, le cœur même
de l'Afrique; leur sympathie pour les Noirs en serait
fort diminuée. La nature humaine, vue
dans son état de crudité tel que nous le

montrent les sauvages de l'Afrique, est


au niveau de la brute et ne soutiendrait
pas la comparaison avec le noble ca-
ractère du chien. On ne trouve chez eux
ni gratitude, ni pitié, ni affection, ni
désintéressement; aucune idée du de-
voir, point de religion , mais seulement
la cupidité, l'ingratitude, l'égoïsme et
la cruauté. Ils sont tous voleurs, pares-

seux, envieux et prêts à piller et à faire


esclaves leurs voisins. »

Peu de jours après, le voyageur écri-


vait :

« Le Nègre est une curieuse anoma-


lie. Chez lui , les côtés bons et les côtés

mauvais de l'humanité percent spon-


tanément, comme les fleurs et les épines

sur les buissons de ses solitudes. Créa-


ture toute d'impulsion, rarement in-

fluencée par la réflexion, le Noir nous


pétrifie par sa complète stupidité, et Fig. 19. — Petit fu-

sil des Sarracolas


soudain nous confond par des marques
(haut Sénégal).
inattendues de sympathie... Dans sa
sauvage patrie, l'Africain est méchant, mais non pas
autant que le seraient, je crois, les blancs dans des cir-
constances analogues. Il est dominé par les passions
mauvaises qui sont inhérentes à la nature humaine;
52 AU PAYS DES NEGRES..

mais chez lui, le vice n'est pas exagéré comme cela se

chez les nations civilisées. »


voit

Le second jugement adoucit quelque peu la sévérité


du premier; malheureusement, les appréciations rigou-
reuses de sir Samuel Baker fortifient l'impression peu
favorable que fait naître la lecture des relations des
explorateurs contemporains.
Stanley a décrit ses impressions à la vue d'un rassem-
blement de sauvages, trépignant d'impatience de se ruer
sur lui et son escorte. Des roulements de tambour les
appelaient au combat. Ils brandissaient leurs lances,
bandaient leurs arcs en jetant sur le voyageur et les siens
des regards furieux; une animation cruelle était peinte
sur leurs visages ; de leurs armes ils frappaient le sol ;

la bouche écumante, grinçant des dents, fouettant l'air

avec leurs lances, ils piétinaient de rage d'être obligés

de différer d'en venir aux mains.


Un Italien, M. Bolognesi, raconte ce qu'il a vu dans
des villages du haut Nil. Des ossements entassés sous un
arbre témoignaient d'une exécrable coutume à la suite :

de chaque engagement avec leurs ennemis, les vain-


queurs s'emparaient des cadavres du parti vaincu et les
promenaient dans les campagnes. Après plusieurs jours
d'orgies, les triomphateurs attachaient à des arbres ces
cadavres et les y laissaient jusqu'à ce qu'ils fussent ré-
duits à l'état de squelettes. C'est alors qu'on apportait
les ossements sous l'arbre des trophées de guerre. M. Bo-
lognesi vit sous un de ces arbres une telle quantité d'os-

sements entassés qu'ils s'élevaient jusqu'à la moitié de


la hauteur du tronc.
S'agit-il des Nubiens? le vol est en aussi grand hon-
neur chez eux que jadis à Sparte ou dans l'Italie avant
AU PAYS DES NEGRES. 63

les Romains. Des Cafres? Ils sont menteurs, paresseux,


voleurs, et voleurs pleins de ruse, voraces jusqu'à la
gloutonnerie. Ajoutez qu'il n'y a chez eux aucune pu-
deur naturelle.
Parle-t-on des Pahouins des deux Guinées? Ils sont
voleurs, menteurs, querelleurs, avides, rusés, toujours
en guerre entre eux. Des Ouadaïens, visités par le doc-
teur Nachtigal? Ils sont, il est vrai, très courageux, mais
aussi très orgueilleux, très entêtés, barbares, hostiles
à tout ce qui vient du dehors, hommes et choses. Ainsi
des autres !

Cependant, pour être juste, il faut dire qu'il y a quel-


ques exceptions agréables à constater. Ainsi, pour ne
parler que d'eux, les Zoulous sont gais, hospitaliers,
expansifs (au point d'accompagner leurs paroles d'une
mimique très expressive). Leur énergie et leur moralité
leur assurent une supériorité sur tous leurs voisins ils ;

ont la prétention fondée de fournir les plus braves guer-


riers de l'Afrique australe; enfin, ils savent observer la
discipline.
Au nord du continent africain, l'islamisme étend sa
diffusion. domine dans certaines régions. Il y a des
Il

populations entières qui sont musulmanes les Ouolofs :

du Sénégal, les Peuls et les Toucouleurs; à l'orient, les


Somalis, cruels et fourbes, ont été récemment fanatisés
par une confrérie religieuse musulmane, au point que
l'accès de leur territoire n'est plus permis qu'à des forces
supérieures.
En dehors de l'islamisme, certains peuples africains
croient en un dieu; les autres, et c'est le plus grand
nombre, n'ont pas la plus légère notion d'un être su-
prême. Us sont adonnés à des pratiques superstitieuses;
G4 AU PAYS DES NEGRES.

ils attribuent volontiers un pouvoir occulte aux chefs

qui les régissent aussi bien qu'à des êtres invisibles,


qui disposent, suivant leur caprice, du sort des hommes.
Les Pahouins admettent l'existence d'un dieu créateur
du monde, qu'ils appellent Agnama. Ils ont aussi une
idée vague d'une vie future. Point de culte. Ils n'at-
tendent de Dieu ni bien ni mal. Les malheurs qui leur
arrivent, tels que la maladie, la mort, ils les attribuent
aux maléfices, aux sortilèges de leurs ennemis. Chez
eux le féticheur, ngan, est aussi le médecin. Il sait se
faire payer, et c'est un proverbe dans le pays que nul
médecin ne va à sa besogne sans un sac vide.
Les Nouers, de la région du haut Nil, ont un dieu qu'ils
appellent Nav. Le prêtre qui est son représentant, ou
plutôt sa représentation vivante, est une sorte de Grand
Lama, comme au Thibet, pour lequel on professe une
vénération voisine du culte. Il est immortel et exempt
des servitudes inhérentes à la nature humaine. Donc
jamais ses fervents n'entendent parler de sa mort, et un
des prêtres de son entourage est toujours là pour se subs-
tituer à lui et prolonger son existence. La supercherie
se renouvelle indéfiniment.
Les Nègres de la Guinée méridionale reconnaissent un
être supérieur, une puissance occulte : le Zambi. Mais
ils sont surtout entichés de leurs génies bienfaisants ou
malfaisants, qui prennent à leur gré toutes sortes de
formes : tantôt arbres, rochers ou cailloux et griffes de
tigres, voire bouchons de carafe. y a chez eux des
Il

fétiches portatifs ; il y en a d'autres ayant la forme d'une


statue; un coin des huttes est réservé à ces fétiches comme
des dieux lares. Il y a enfin des fétiches d'importance,
logés dans une case qui est un diminutif de temple et
AU PAYS DES NÈGRES. 65

confiés à la garde de sortes de prêtres. Ces fétiches-là


passent pour savoir découvrir les coupables, décider de

Fig- 20. — Caire amakose.

la victoire et disposer même de la pluie; et cependant il

ne leur est rendu aucun culte.

Les fétiches africains affectent, du reste, toutes sortes


de formes. Outre les statues grossièrement ébauchées,
ily a encore des têtes d'animaux, des morceaux de fer,
des boules de terre ornées de plumes. Chez les Achantis,
9
06 AU PAYS DES NEGRES.

nombre d'arbres sont fétiches, par exemple tous ceux de


Coumassie, la capitale.

Dans d'autres parties du continent noir, on possède


des figurines, que les femmes serrent sur la poitrine
pour se préserver de la stérilité; d'autres sont portées
par les enfants pour les faire grandir; certains fétiches
donnent de l'embonpoint à ceux qui les gardent sur eux.
On a des figurines blanchâtres, — représentant les

hommes blancs, — implorées pour éviter de tomber


entre les mains des trafiquants égyptiens ou portugais et

se préserver de l'esclavage; quelques figurines se sus-


pendent au bras en signe de deuil. La corne du rhinocé-
ros se place à l'entrée des cases pour les garantir du
« mauvais œil » ; les cornes d'antilope jouissent de la

même autorité; enfin en guise de « porte-bonheur», en


bien des lieux on attache à son bras des gris-gris en
dents d'hippopotame, en ivoire et autres matières.
Dans les pays musulmans, les marabouts font un
commerce fructueux de gris-gris ; ils vendent aussi des
amulettes pour la préservation de tous les dangers : ce
sont généralement des versets du Coran, logés dans une
épaisse et volumineuse enveloppe de cuir.
Les indigènes de l'Afrique équatoriale n'ont aucune
idée précise de la divinité. Mais, comme les autres, ils

sont extrêmement superstitieux ; ils croient à des sorts


défavorables qu'on peut leur jeter. Ainsi les Houmas du
Karagoué refusaient de vendre du lait aux voyageurs
anglais, sachant que ceux-ci faisaient usage de porc, de
poisson, de volaille et d'une espèce de fève appelée ma-
haragoué, et craignant, par suite, pour leurs troupeaux,
de's influences funestes.
Les populations, quand elles échappent à la tyrannie
AU PAYS DES NÈGRES. 67

des chefs militaires, tombent sous celle de grands magi-


ciens, qui exercent une réelle autorité dans certaines
provinces.
Devins et sorcières s'imposent à la simplicité du com-

Fig. 21. — Le Temple des serpents, à Wydah (Dahomey)..

mun de leur race. Les explorateurs ont trouvé à la cour


de Kamrasi des sorcières, figurant dans toutes les céré-
monies, la tête couronnée de racines entremêlées de lé-

zards desséchés, de dents de crocodile, de griffes de lion,

de petites carapaces de tortue. Les sorciers de tous


pays s'entourent du même bric-à-brac. Ces sorcières
68 AU PAYS DES NÈGRES.

noires, — et laides, on peut le croire , — confectionnent


des baguettes charmées.
Mtésa avait aussi les siennes, rusées commères affec-
tant de parler avec des intonations aiguës. Elles cei-
gnaient leurs reins de tabliers de peaux de chèvre très
petits, bordés de clochettes, et étaient armées de petits
boucliers et de lances, décorées d'une houpe de filasse.
Les premiers explorateurs européens, avec les moyens
dont ils disposent, fusils, revolvers, montres, boussoles,
ont été pris par les indigènes pour d'habiles magiciens.
Le roi Roumanika n'eut rien de plus pressé que de prier
Speke d'user de sa puissance occulte pour tuer son
frère Rogéro, qui était pour lui un compétiteur embar-
rassant.
Le même voyageur trouva le lac Victoria habité par
un mgussa, ou esprit, ayant pour interprète un sorcier
respecté, qui avait établi son domicile dans une île du
lac. C'est là qu'étaient données les consultations, au mi-
lieu d'un appareil rappelant celui des sorcières de la

cour; mais avec cette particularité, que le sorcier et sa


femme prenaient des airs cassés de vieillards, toussant,
parlant en tremblotant, et se traînant avec peine.
La sorcelferie est le plus souvent inséparable de la

médecine. Il en est ainsi chez les Cafres, qui ont une


connaissance assez étendue de la propriété des plantes,
bien qu'ils administrent leurs médicaments à si forte

dose, qu'ils tuent souvent leurs malades avec ce qui au-


rait pu accompagnent leurs prescriptions
les guérir. Ils

médicales d'un sacrifice c'est une chèvre, un mouton,


:

un bœuf qu'il convient d'immoler aux mânes des ancê-


tres pour se les rendre favorables.
Les Nègres de la Côte d'Or sont aussi adonnés au féti-
AU PAYS DES NÈGRES. 69

Ils croient, néanmoins, à une autre vie. Leurs


chisme.
superstitions se ressentent du contact
avec les populations

Ils ont une croyance légendaire,


qui ne
musulmanes.
c'est l'existence d'un enfant divin,
manque pas de grâce :

antérieure à la création du monde. Cet être surnaturel,


dont l'enfance demeure éternelle, ne boit ni ne mange.
Des démons, désignés sous le nom de woodsi, occupent

aussi une place importante


dans leur métaphysique. Ils

font de l'âme humaine, kra


ou kla, une idée assez
se
originale. Le kla existe avant le corps et peut être trans-
sorte distinct
mis d'un corps à l'autre; il est en quelque
donne des avis et peut
de l'homme charnel, auquel il
offrandes. Cela ressem-
en recevoir des hommages et des
ble à un démon familier ou à un ange gardien et pro-

tecteur; mais le kla constitue une dualité mâle et femelle,


une association des deux principes du
mal et du bien.
aux
Tout cela est inofîensif et préférable- de beaucoup
pratiques sanguinaires de cultes barbares,
comme dans le
Dahomey et chez les Achantis, où le prêtre est un
bour-
nombreuses victimes, l'holocauste.
reau, et le sang de
la cruauté exceptionnelle de ces
Nous avons parlé de
peuples de la portion occidentale du
continent africain;

nous n'y reviendrons pas, car c'est un sujet


trop attris-

Qu'on nous permette, toutefois, de mentionner


cette
tant.
par les indi-
étrange particularité de temples consacrés
aux serpents; ces reptiles sont honorés par
eux.
gènes
3
temples, où
A Wydah (Dahomey), il existe un de ces
les serpents
les indigènes apportent avec un soin infini
qu'ils rencontrent, au lieu de les
détruire. On les compte

hospitalier.
par milliers dans ce sanctuaire
1

des serpents
Le docteur Répin a vu cet asile vénéré
fétiches, situé non loin du fort, dans un lieu un peu
70 AU PAYS DES NEGRES.

isolé, sous un groupe d'arbres magnifiques. « Ce cu-


rieux édifice, » dit-il, « consiste simplement en une
sorte de rotonde de 10 à 12 mètres de diamètre et de 7
à 8 de hauteur. Les murs en terre sèche, comme ceux
des cases des habitants, sont percés de deux portes
opposées, par lesquelles entrent et sortent librement les
divinités du lieu. La voûte de l'édifice, formée de bran-
ches d'arbres entrelacées qui soutiennent un toit d'herbes
sèches, est constamment tapissée d'une myriade de ser-
pents... Tous appartiennent, comme doit bien le sup-
poser le lecteur, à des espèces inoffensives, car ils sont
dépourvus des crochets canal icules dont la présence ca-
ractérise les serpents venimeux. Leur taille varie de 1

à 3 mètres. »

Devant cette absence presque complète d'idées reli-

gieuses tant soit peu avouables, les missionnaires chré-


tiens ont vu dans l'Afrique un immense champ de labeur.
C'est peut-être, de leur part, une généreuse illusion;
dans tous les cas, la tâche est ingrate.
Il — comme pays des Matabélis, dans
y a des pays, le

l'Afrique australe, — où missionnaires anglais, établis


les

depuis nombre d'années, n'ont pas fait une seule conver-


sion durable, et voici pourquoi. Lorsqu'à la mort d'un
chef converti, son successeur se montre rebelle à la re-
ligion nouvelle, tous les catéchisés de ses États dispa-
raissent comme par enchantement; c'est à qui se com-
promettra le moins ; le christianisme ne fera jamais de
martyrs parmi les peuples de la race noire.
A la tête des missions catholiques nommons la mission
française fondée par les Jésuites à Bagamoyo, qui est un
petit port, situé sur l'océan Indien, en face de Zanzibar.
AU PAYS DES NEGRES. 73

Cet établissement ressemble à un village. Il y a là, dans


seize corps de logis séparés, 10 religieux, 10 religieuses
et 200 élèves, garçons et filles. La mission de Bagamoyo
a été d'un grand secours pour tous les explorateurs qui
ont tenté de pénétrer dans l'Afrique par le Zanguebar.
Des missionnaires catholiques sont allés aussi s'éta-

blir dans l'Ouganda, en 1879. Le roi Mtésa leur fit un bon


accueil ; il leur donna une propriété de l'étendue d'un
hectare, toute plantée de bananiers'; il leur fournit même
des ouvriers pour y. construire leur modeste résidence
de roseaux.
Les Anglais étendent leurs anciennes missions de l'A-
frique australe à toute l'Afrique équatoriale. Ces nouvelles
missions protestantes, soutenues par de puissants capi-
taux, ont dans leur personnel des officiers de marine et
des matelots, des médecins, des ingénieurs, des char-
pentiers, des forgerons, des agriculteurs, des tisserands
et même un imprimeur. On voit que l'Angleterre songe
tout à la fois au salut des âmes et aux satisfactions que

peut procurer l'industrie et les arts des peuples civilisés.

Les Noirs de l'Afrique doivent être surpris de tant de


sollicitude,— à moins qu'ils n'aient soupçonné des vues
intéressées chez leurs bienfaiteurs, — ce qui probable. est

L'église écossaise a créé près du lac Nyassa la mission


de Livingstonia.
La Société britannique des missions des Universités a
fondé en 1864, à Zanzibar, un établissement, destiné à
recueillir les enfants esclaves libérés par les croiseurs an-

glais, et à secourir aussi les esclaves adultes. Cette société

compte étendre son action dans toute la Nigritie méridio-


nale.
Sur la côte occidentale d'Afrique, la propagande catho-
10
74 AU PAYS DES NEGRES.

lique a moins de succès que celle des missions protes-


tantes des Anglais.
Bien plus grande encore est l'influence du mahomé-
tisme, qui envahit le pays en refoulant le fétichisme, et
transforme les villages et les campagnes par l'agriculture.
« Le rejet de l'idolâtrie par le Coran est incessant, ra-

pide, fatal, » dit M. Plauchut. « Partout l'islamisme


souffle sur les Noirs la haine des chrétiens; il pénètre,
protégé simplement par son prestige, dans les tribus les
plus sauvages des golfes de Biaffra et de Guinée ; il fonde
l'empire de Haoussas, il est dans le Bambara, suit le
cours du Niger, et descend les montagnes de Kong jus-
que dans les criques les plus inaccessibles de la Côte d'Or.
Trois ou quatre marabouts, avant-garde d'une tribu d'é-
migrants du Fouta, rencontrent-ils dans un beau site un
village nègre aux huttes chancelantes, aux habitants nus
ou couverts de peaux, ils s'y arrêtent, catéchisent les
enfants et leur apprennent à déchiffrer avec une patience
admirable les caractères arabes. Les fétiches peu à peu
font place aux gris-gris, renfermant les versets du livre

saint.
« Arrive bientôt la tribu colonisatrice, escortée pai
quelques chefs à cheval, qui, le sabre à la main, forcent,
s'ils s'y refusent, les Nègres à travailler, à défricher la

terre et à l'ensemencer. Si le Noir veut résister, il est

tué; s'il échappe pour aller se cacher dans les forêts de la


côte, on court à sa poursuite. Au bout de peu d'années,
le sol, étouffé jusque-là par une végétation désordonnée,
se couvre de cultures; les ânes, les bœufs, les chèvres,
les chevaux emplissent, aux portes des villages, les en-

ceintes fortifiées, où ils dorment à la belle étoile; les


Nègres portent désormais avec orgueil le boubou séné-
AU PAYS DES NEGRES. 75

gambien, le fusil, le sabre, tout ce qui caractérise l'homme


libre; les femmes ont répudié leur ancienne nudité, et
ne se montrent plus aux étrangers que le corps entouré
d'un pagne bariolé, aux couleurs éclatantes. Nos mis-

Kis. 23. — Culte du Voudou.

sionnaires européens ne peuvent lutter contre ce système


des marabouts, presque toujours et partout triomphant.
Il leur faudrait user du sabre, donner sur terre le para-
dis de Mahomet et le promettre aux Nègres, même encore
après leur mort. »

Qui se chargerait de réunir en un corps d'ouvrage les


76 AU PAYS DES NEGRES.

us et coutumes, ayant force de loi, chez les cent nations


de l'Afrique ? Celui-là se livrerait à une entreprise la-
borieuse et vaine. On ne pourrait pas procéder par région,
ni par groupes, — où les affinités seraient peut-être in-

saisissables ;
— l'ethnographie ne fournirait point de fil

conducteur, et il serait illusoire de compter sur les dou-


teuses analogies qu'offrent les langues, car souvent, sur
des territoires contigus, il est parlé des idiomes qui n'ont
entre eux aucune parenté : ce ne sont pas des dialectes
divers d'une même langue, mais des langues essentielle-
ment distinctes.
De même, les mœurs, les usages et coutumes varient
d'une peuplade à l'autre. Pour la morale de ces Noirs,
ce qui est « le bien » en amont... de la cataracte d'un
fleuve, devient « le mal » lorsque le cours d'eau a repris
son écoulement paisible. On dirait même que, dans la
crainte de se confondre avec les tribus voisines, chaque
tribu donne du relief, de l'exagération aux caractères qui
lui sont particuliers, de telle sorte que les oppositions se

trouvent, de jour en jour, plus nombreuses et plus mar-


quées.
Nous nous bornerons à noter quelques particularités
intéressantes, butinées çà et là dans les relations des
voyageurs.
L'Ouroua, qui forme à l'ouest de la région des lacs un
vaste et puissant royaume, a été visité par Cameron, qui
eut des difficultés avec le roi Kasongo. Ce roi possédait
deux capitales, l'une accessible à tous, l'autre peuplée
de 3,000 femmes et interdite aux hommes ; les enfants

mâles en étaient éloignés, quelques jours après leur nais-


sance.
Voilà certes une curieuse organisation politique ; celle
AU PAYS DES NÈGRES. 77

du Dahomey l'est davantage encore. Qu'on en juge.


Le roi du Dahomey est doué d'un double nom, d'un
double caractère, d'une double fonction. Une moitié de
lui-même administre la ville; l'autre moitié régente les

campagnes. A la dualité dans la personne du monarque


correspond la dualité dans l'État. Toutes les charges sont

masculines et féminines y a un grand prêtre femelle


: il

et un grand prêtre mâle, un premier


ministre femelle et

un premier ministre mâle, un généralissime femelle et


un généralissime mâle. Autour du roi se pressent des

courtisans femelles et des courtisans mâles, ces derniers


ne pouvant jamais entrer dans le gynécée, et les premiers
ne pouvant jamais en sortir, .sauf dans les grandes occa-

sions. Les officiers des deux cours sont égaux


en fonc-

tions et en prérogatives, sauf pourtant qu'un certain


offi-

cier femelle porte le titre de Mère des hommes. Ce ma-


tronat nous paraît l'une des plus singulières institutions
que l'on connaisse.

Dans beaucoup de parties de l'Afrique, les filles sont


censées appartenir au roi du pays. C'est à lui qu'on de-
mande une femme. Lorsque le hasard ne préside pas à
la distribution, le sujet doit savoir gré à son souverain

d'avoir tenu compte, dans le choix qu'il a daigné


faire,

des services rendus, du rang et des qualités personnelles

du postulant.
Chez les Zoulous, dans l'organisation des forces mili-

taires, les hommes mariés forment des régiments, dis-

tincts des régiments des célibataires, et reconnaissables


à la couleur des boucliers. Chez eux encore, les hommes
se réservent le soin de traire les vaches ; il est expressé-

ment interdit aux femmes de s'en mêler, sous peine de


soumis,
mort, dit-on. Les jeunes garçons du pays sont
78 AU PAYS DES NEGRES.

à l'âge de quatorze ou quinze ans, à une initiation à la

vie des guerriers, dans une cérémonie où les hommes du


village leur administrent, tout en dansant, des coups

de baguettes, qui font jaillir le sang de leurs corps

nus.
nous voulions énumérer les supplices de ces peuples
Si
barbares, ce serait à ne plus en finir la décapitation, :

les longues tortures avant l'exécution, les joues traversées

d'un couteau qui paralyse la langue, l'enterrement vivant,


l'empalement, les criminels livrés en pâture aux fourmis
de l'Afrique australe, la dent des cannibales, la section
des doigts ou du poignet, etc.
Au Congo, il existe une sorte de jugement de Dieu.
Dans les cas d'accusation grave entre deux individus et

dans l'impossibilité de découvrir de quel côté sont les


torts, les gardiens des fétiches administrent aux deux

parties, aux deux adversaires, un poison, la casca, qui

doit tuer celui qui est coupable. Cette même façon de


procéder se retrouve au pays des Achantis; là, c'est un
fragment de l'écorce d'un arbre appelé odum que l'on
fait mâcher à l'accusé, en lui donnant une grande quan-
tité d'eau à boire. La casca est aussi administrée à haute

dose à des criminels voués à une mort à peu près cer-


taine, et il paraît que le spectacle d'une de ces exécutions

est réellement horrible. Dans ce même pays, il est cer-

tains accommodements avec la loi : celui qui est puni de

mort peut livrer en son lieu et place un de ses esclaves


pour être exécuté. C'est assez commode, et les adversai-
res de la peine de mort n'ont pas songé à cette substitu-
tion par voie de contrainte ou de persuasion.
Chez les Nouers, où Ton coupe le cou aux voleurs,
l'assassin est à la merci des parents du mort : ils ont le
AU PAYS DES NEGRES. 7!»

droit d'exiger de lui autant de vaches qu'il a de doigts


aux pieds et aux mains.

Ce qui semble commun à tous les Africains, c'est leur


penchant à jaser, rire, se livrer avec frénésie à des danses,

Fig. 24. — Arrivée d'une nancee nègre.

entremêlées de mascarades grotesques. Naissances, ma-


riages, funérailles sont l'occasion de chants et de danses.
Danses et chants s'exécutent aux sons d'une musique
qui présente une assez grande variété d'instruments.
C'est une suite de tambours dont les sons gradués produi-
sent une échelle de tons, se rapprochant assez de la

gamme; ce sont des clochettes en fer à timbres gradués


80 AU PAYS DES NEGRES.

aussi, des castagnettes également en fer. En fait d'ins-

truments à vent, ils ont des espèces de musettes, formées


d'une calebasse, dans laquelle le musicien souffle, ai'

moyen d'une corne d'antilope percée par le petit bout.

Ces instruments sont de diverses grandeurs et produisent


chacun une note différente. Ils ont aussi des flûtes et de
vrais hautbois, en guise de pipeaux rustiques. Dans les

instruments à cordes se trouve la lyre antique, formée


d'une carapace de tortue couverte en peau de girafe,
garnie de deux montants, avec les cordes. Pour d'autres,
la carapace de tortue est remplacée par un morceau de

bois creusé.
On devine que, dans ces réunions bruyantes, les liba-
tions ne sont pas épargnées. On s'y enivre de pombé,

boisson fermentée faite avec le grain du sorgho ou blé

cafre,de mérissa, ou d'autres sortes de bière; devin df


palmier. Une ivresse artificielle s'y ajoute parfois dans :

le Barozé, elle est puisée dans l'emploi du bangué, qui


est une sorte de chanvre, qu'on fume dans des pipes.
La guerre et le pillage, —
une guerre sans miséricorde
suivie de supplices pour les prisonniers, — remplit le

reste de leur temps, en dépit des soins que réclamerait


l'agriculture. Ajoutons-y les exercices militaires, pendant
lesquels, courant les uns sur les autres, la lance au
poing, la tête surmontée de cornes menaçantes, les guer-
riers font semblant d'en venir aux mains entre eux. Mais
c'est forfanterie pure, comme on s'en apercevrait vite s'ils

étaient véritablement en présence d'un ennemi. Il nous


reste à dire un mot de quelques singularités concernant

les funérailles. Chez les Bassoutos de la Cafrerie, on se


débarrasse des morts le plus tôt possible. Après avoir

creusé une fosse et lorsque le soleil est couché, on y


AU PAYS DES NEGRES. 81

apporte le cadavre, ficelé de manière qu'il demeure ac-


croupi et qu'il tienne sa tête dans ses mains. Il est dé-
posé dans la fosse, la tête au niveau du sol et la face
tournée vers l'Orient. Et pour que le défunt ne revienne
pas tourmenter les vivants, on jette dans la fosse quel-

Fig. 23. — Huttes des Marawis.

ques grains de mabélé et de maïs, quelques haricots et


quelques pépins de courge, plus un paquet de chien-
dent.
C'est dans une attitude à peu près semblable, avec les
genoux rapprochés du menton et maintenus par un lien,
que l'on inhume les Bongos; les hommes sont placés la
82 AU PAYS DES NÈGRES.

(ace orientée vers le femmes du côté du sud.


nord et les

Chez les Damaras, lorsqu'une femme meurt laissant un


enfant qui aurait besoin de ses soins, il arrive souvent

qu'on ensevelit vivant la pauvre créature aux côtés de sa


mère.
Comme on le pense bien, c'est la hutte qui est l'habi-

tation ordinaire des Noirs africains ; mais elle varie ex-

trêmement de formes, ressemblant tantôt à une ruche,


tantôt à un cube. Les matériaux sont divers on emploie :

les tiges de dourra et d'autres herbacées, les roseaux,

la terre; presque partout, les toits sont couverts de

chaume.
Ces huttes légères qui forment un village, ou plutôt
un campement, sont souvent détruites par l'incendie,
allumé accidentellement ou par suite de faits de guerre.
Dans les pays du Zambèse, le major Serpa-Pinto a re-
marqué un genre d'habitation qu'il a mentionnée dans
son livre c'est une hutte ovale, donnant accès à une au-
:

tre hutte demi-cylindrique. Les Louênas des mêmes ré-


gions ont des bâtisses à cône tronqué, élevées avec beau-
coup de soin et de solidité.
Dans toutes les parties de l'Afrique que Schweinfurth
a visitées, il n'a pas rencontré une seule tribu dont l'ar-
chitecture n'offrît une disposition qui ne fût particulière,
tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. « Les cases des Diours, »

dit ce voyageur, « ne ressemblent pas à celles des Chil-


louks, qui ont la forme des champignons, ni aux de-
meures des Dinkas, habitations massives que distin-

guent les appentis des porches. Elles ne peuvent pas


non plus être confondues avec les huttes des Bongos
leurs toits n'ayant jamais les curieux appendices qui ca-
ractérisent ces dernières. Ce sont, en général, des cons-
AU PAYS DES NEGRES. K3

tructions fort simples, sans ornements d'aucune sorte,


mais présentant néanmoins, dans leur structure, le soin
et la symétrie que tous les Nègres paraissent apporter
dans l'érection de leurs demeures. Un clayonnage, fait
en bois ou en bambou, et recouvert d'argile, constitue
la muraille. La toiture est
simplement une pyramide
en chaume. »

Ajoutons qu'il n'est pas rare que les cases des Dinkas,
rondes, fort grandes et solides, aient jusqu'à une qua-
rantaine de pieds de diamètre. La muraille, assez basse,

Fig. 26. — Hutte des nègres Dinka».

est formée d'un mélange d'argile et de paille hachée; le

revêtement de la toiture conique est fait au


moyen de
la cons-
couches de paille superposées, qui donnent à
toit a
tructionl'aspect d'une haute meule de blé. Ce
la case, et
pour support un arbre planté au milieu de
peut
auquel on a laissé ses branches. Cette construction
durer de huit à dix ans.
Dans la Guinée méridionale, l'habitation indigène
est

hutte dont les parois sont faites de loangos


la chimbèque,
(sorte de jonc), reliés ensemble par des liens de palmier
rotang et des lattes de branches de palmier bambou.
Le en herbes sèches ou en folioles de palmier
toit est

raphia. Ces huttes ont de 7 à 8 pieds


de façade, sur
84 AU PAYS DES NEGRES.

5 ou 6 de profondeur. On emploie dans le Dahomey


pour édifier les cases, la terre glaise un peu ramollie
dans l'eau et qui cuit sur pWe à l'ardeur du soleil :

faire des briques donnerait trop de peine. Ces murs ré-

sistent tant qu'un toit les protège contre les infiltrations

des eaux pluviales. Une enceinte renferme un certain

nombre de ces petites maisons carrées, appartenant au


chef de famille elles n'ont d'autre ouverture que la
;

porte, et sont couvertes d'herbes sèches. Le toit avance


assez pour former, au moyen de piliers de bois, une ga-
lerie extérieure.

Abomey, la capitale du royaume, se présente ainsi à


la vue des voyageurs terrifiés un mur de 20 pieds de
:

hauteur entoure un vaste espace, où s'élève une quantité


de huttes, construites comme nous venons de le dire,
en bambous , et couvertes en chaume. La plus grande
est habitée par le roi, les autres par ses femmes. L'entrée

de la demeure royale est parée de crânes humains aux ;

murs sont appendus symétriquement des mâchoires, et,


çà et là, des têtes encore sanglantes ; sur le toit, d'autres

têtes sèchent au soleil. Ces têtes représentent, pour ce


tyran sanguinaire, les attributs de la royauté, les in-
signes de la suprême puissance; et il les renouvelle

par d'autres exécutions, sans exciter un murmure, sans


susciter la moindre opposition car il est le maître absolu
;

devant lequel tout fléchit et tout tremble.


Chez les Zoulous, les demeures sont, en général, assez
bien tenues; celles des chefs se font remarquer par une
propreté irréprochable, bien différentes sous ce rapport
des habitations des Cafres et des Hottentots. Ce sont des
huttes en forme de ruches, solidement construites au
moyen de longues branches d'arbre, qu'on enfonce en
AU PAYS DES NÈGRES. 85

terre et que l'on joint par le haut. Les parois sont faites
d'un lacis de roseaux ou de brindilles, recouverts de
bouse de vache. L'entrée est fort basse et l'on ne peut ,

disposées en
y pénétrer qu'en rampant. Ces huttes sont
cercle autour d'un enclos solidement palissade, qui sert
de remise au bétail et le défend contre les entreprises
des lions et des hyènes. Le tout forme un village ou
kraal.
Chez les Bassoutos de la Cafrerie, le centre de chaque

Fig 27. — Roudou, hutte provisoire élevée pour se mettre à l'abri.

ville est occupé par une enceinte murée, renfermant


les bœufs de tous les habitants.

Dans les villages des Manyémas, les cabanes basses


forment de longues rues, au milieu desquelles sont
plantés des palmiers à huile. Il y a une autre sorte de
groupement de demeures c'est le tembé, qu'on trouve
;

dans plusieurs des États situés à l'est du Tanganyika.


Les habitations sont disposées avec plus ou moins de
solidité sur les quatre côtés d'une aire, qu'elles entourent
et sur laquelle ouvrent toutes les portes. Chaque appar-
86 AU PAYS DES NEGRES.

tement, séparé du voisin par une cloison, abrite un mé-


nage. Sur les toits en terrasse, sont rangées les provisions
de grain, d'herbe, de tabac, les citrouilles et les autres

légumes de la dernière récolte.


Le lieutenant Cameron a vu, sur le petit lac Mohrya,
des villages où les huttes sont bâties sur pilotis, comme
les cités lacustres de la Suisse aux temps préhistoriques.
Il convient de dire quelques mots des comptoirs for-
tifiés nommés zéribas, établis par les trafiquants du
haut Nil et de l'Afrique équatoriale. Ce sont également
des stations de chasse. Qu'on se représente une enceinte
carrée de plus de cent pas de côté, formée d'épines et
de troncs d'arbres. Dans cette enceinte s'élèvent une
vingtaine de cases, y compris les grands magasins de
dépôt. Au dehors, devant l'entrée de la zériba, crois-
sent quelques arbres, à l'ombre desquels se font les
transactions avec les indigènes. La zériba est souvent
entourée par les cases de Noirs amis, bien aises de se
couvrir de la protection d'une demeure dont les maîtres
possèdent des fusils et de la poudre.
On se doute bien que le « mobilier » de ces rusti-
ques habitations de la race noire est des plus primitifs.
Il en est de même des ustensiles. Ce qu'il y a de plus
luxueux, ici ou là, c'est la couche d'un chef, formée
d'une natte à tissu élastique, en paille coloriée; dans
la Guinée, cette couche a un meilleur air, car le

chimbamba est une sorte de large banc en bambou


sur lequel s'étale une natte en matiba. Partout, le simple
mortel s'étend par terre sur une natte.
Mentionnons quelques tabourets en bois ; au Dahomey,
on en fait de très lourds, taillés dans un bloc de bois
et ornés de sculptures et de découpures à jour. En pour-
AU PAYS DES NEGRES. 87

suivant notre inventaire, nous trouvons encore des nattes,


destinées à servir de nappes, des chasse-mouches et des
éventails en palmier, le gratte-dos en bois, espèce de
râpe qu'on trouve chez les habitants du haut Nil, des
pipes de diverses formes, — celle des Chirs est à double

Fig. 28. — Tembéy dans l'Ounyamouési.

fourneau, dont l'un reçoit le tabac et l'autre des plantes


aromatiques ; celles des Baris, compliquées de calebasses,
sont munies d'un pied qui se fiche en terre ; on les bourre
de tabac en poudre.
Il y a aussi des calebasses servant à la préparation

des aliments, des jarres de terre, des gamelles en bois


garnies d'étain ou simplement faites d'une calebasse,
88 AU PAYS DES NEGRES.

des plats à fruits et à pain tressés en jonc de couleur,


des cuillers en corne d'antilope, des paniers et sacs à
provisions, des filtres pour la fabrication des diverses
du pays, des cornes
sortes de bière qui forment la boisson
de bœuf servant, à défaut de jarres, de vases pour ces
boissons.
A ces divers ustensiles on peut ajouter, pour les ré-
gions qui sont en communication avec les comptoirs
fondés par les Européens sur divers points du littoral,

quelques poteries pour la cuisson des aliments, des


chaudrons, des assiettes, des fourchettes de fer, des
couteaux, et un certain nombre de menus outils.

Est-on curieux de savoir ce que mangent ces gens-là?


car ils ne sont pas tous anthropophages.
Le Sénégalien, le Berbère et le Haoussa ont leur cous-
coussou; les Zoulous, leur bouillie de farine mélangée
de lait caillé; d'autres peuples ont leurs gâteaux de
maïs. Le Vouaganda (habitant de l'Ouganda) se nourrit
presque uniquement de bananes, qui demandent peu de
culture; le Mossi, le Groussi et l'habitant du Gourma
préfèrent à tout leur igname bouillie et leur farine de ma-
nioc. Le manioc est aussi la base de l'alimentation chez les
Nègres de la Guinée méridionale; on le mange bouilli,

cru, fermenté, en farine et en pâte gluante, dont les

femmes forment des galettes.

Dans cette partie de l'Afrique occidentale, on a aussi


le maïs, la banane, la patate douce, l'igname, l'ambre-
vacle, plusieurs espèces de haricots, des tomates de la

grosseur de belles cerises, des aubergines et des ci-

trouilles, l'ananas et la pastèque. En fait de chair, celle


des canards, des poules d'Inde, des cabris et des mou-
Fig. 2î). — Armes, instruments de musique, ustensiles, etc.

12
AU PAYS DES NEGRES. 91

tons; beaucoup de poissons. Cette cuisine a, pour con-


diment essentiel le piment, employé à haute dose.
Les femmes broient le grain entre deux pierres et font
cuire le gâteau dans des fours improvisés; ou encore
elles allument un grand feu sur un terrain battu, et,

quand il est suffisamment chauffé, la galette de pâte

Fig. 30. — La fabrication du sel.

est posée dessus , recouverte d'un vase de métal sur le-

quel on fait du feu.


Près de la côte occidentale de l'Afrique, les indigènes
cultivent des concombres et les mangent en salades,
assaisonnés d'une huile tirée de la semence même de
cette plante.
Dans la région du haut Nil, les Noirs riverains des
afûuents du grand fleuve ne mangent ordinairement
9Q AU PAYS DES NEGRES.

qu'une fois par jour, vers le coucher du soleil; leur prin-

cipale nourriture est le lait, puis le doura, qu'ils con-


somment en bouillie ou en grains cuits à l'eau. La viande
est pour eux un régal ne rencontrent que dans les
qu'ils

fêtes, les sacrifices, et quand il perdent une tête de bétail.


Ils ont des haricots, des pois, des courges, qu'ils culti-
vent sur les bords des cours d'eau ou dans les îles. Les
forêts leur fournissent aussi des racines, des fruits sau-
vages, des champignons et du miel en quantité.

Fig. 31. — Fourneau africain.

D'autres nourritures semblent accuser chez certains


peuples de l'Afrique une réelle dépravation de goût.
C'est ainsi qu'on mange des pâtés de moucherons sur
les bords du Nyassa et des fourmis blanches dans le
Manyéma; frites dans la poêle, ces fourmis constituent,
selon Livingstone, un mets très agréable.

« Excepté l'homme et le chien, » dit Schweinfurth,

« les Bongos semblent regarder comme alimentaire toute


substance animale, quel que soit l'état dans lequel elle se

trouve. Les restes du repas d'un lion, débris putréfiés


AU PAYS DES NEGRES. 03

cachés dans la forêt, et dont l'approche des milans et

des vautours leur révèle l'existence, sont recueillis par


eux avec joie. Le fumet leur garantit que la viande est
tendre, et ils estiment que dans cette condition elle est
plus nourrissante et plus facile à digérer que la chair
fraîche. Il ne saurait, d'ailleurs, être question de goût

Fig. 32. — Industrie de Kano : tunique des Touaregs.

avec des gens qui ne reculent pas devant la nourriture


la plus révoltante. Chaque fois que j'ai fait tuer un
bœuf, j'ai vu mes porteurs se disputer avidement le
contenu de la panse, ainsi que le font les Esquimaux,
qui prennent la seule idée qu'ils puissent avoir des légu-
mes dans ce que leur lournit l'estomac des rennes. »

Faut-il poursuivre cette citation? « J'ai vu, » dit îe


voyageur, « les Bongos arracher avec calme les vers qui
tapissent tout l'appareil digestif du bétail de cette région,
94 AU PAYS DES NEGRES.

d'affreux amphistomes, et s'en emplir la bouche. Après


cela, je ne suis pas surpris qu'ils tiennent pour gibier
tout ce qui grouille et qui rampe, depuis les rats jus-
qu'aux serpents; ni de les voir manger sans répugnance
du vautour, dont la chair conserve l'odeur de la nourri-
ture habituelle de ces oiseaux de proie; de l'hyène
galeuse, de l'hétéromètre palmé, — c'est un gros scorpion
terrestre;— des chenilles des et larves de termite à
l'abdomen huileux. »

Fig. 33. —Dessins d'objets en cuir, fabriqués à Tombouctou.

Les Bushmen se guident aussi sur les vautours pour


se procurer les reliefs du lion. Quand cet animal a sur-
pris quelque girafe, un buffle, un élan, dès le lendemain
les vautours, planant au-dessus des débris de ce festin,
en indiquent la place. Les gros os que les mâchoires de
la bête fauve n'ont pu entamer, les Bushmen les brisent

pour en sucer la moelle.

Les Zoulous sont très friands de sauterelles : ils les

mangent au miel, bouillies et réduites en poudre; il

paraît que grillées elles sont supérieures aux crevettes,


selon l'opinion des Européens qui en ont goûté. Les Zou-
lous sont gourmets de grosses chenilles, auxquelles ils
AU PAYS DES NÈGRES. 95

trouvent une saveur végétale qu'ils prisent fort; une énor-


me grenouille appelée matlametlo, qui, une fois cuite,
ressemble assez à un poulet, constitue une des singula-
rités de leur cuisine.
Dans l'occident de la région équatoriale, il y a un
fruit, la noix de kola ou de goûro , dont il est fait une
consommation importante. Les Achantis en envoient des
quantités considérables au marché de Salaga et les indi-
gènes viennent pour s'approvisionner de plus de 1,400

Fig. 31. — Kano, sandale en cuir.

kilomètres. De même, des caravanes de Bihé vont cher-


cher, entre le Zaïre et le Zambèse, de grandes quantités
de miel, qui entre dans l'alimentation sous forme
d'hydromel.
Ceci nousamène à dire quelques mots des boissons.
Les musulmans, qui dominent à l'ouest de la Nigritie,
se désaltèrent avec de l'eau fraîche, mélangée avec de la

farine de millet. L'infidèle, le fétichiste, boit son pombé


ou sa bière de millet et de miel, espèce d'hydromel très
fort et très enivrant, quelquefois aussi du vin de palmier
ou de dattes. Ces bières africaines, mérissa, caffir, etc.,

fait pour la plupart avec une espèce de millet nommé


96 AU PAYS DES NEGRES.

doura, sont des boissons acidulées très capiteuses. Sous


leur influence, les Noirs se livrent souvent à toutes sortes
d'actes de sauvagerie et de brutalité.
Quelques mots sur l'industrie des populations africai-

nes trouveront naturellement leur place ici.

Certains Noirs se montrent singulièrement doués pour


les arts industriels. Ainsi les Achantis connaissent le tis-

sage, la broderie, la poterie, la fabrication des cuirs,


l'art de travailler les métaux et même l'orfèvrerie.

Les indigènes de la région forestière située au sud du


lac Tanganyika sont très laborieux : non seulement ils

cultivent la terre avec soin, mais ils ont des forgerons


qui étirent en fil mince, pour en faire des bracelets, des
barres de cuivre apportées du Katannga (à l'ouest du
lac Moëro). Ils ont aussi des tisserands qui font, avec
le beau coton que produit la contrée, des châles rayés
de noir et de blanc. Les habitants de l'Ounyamouési tra-

vaillent assez bien le fer et fabriquent des instruments


d'agriculture, des couteaux, des ciseaux, des bracelets,
des boucles d'oreilles.
Les Zoulous se montrent habiles dans la fabrication

des armes dont se servent leurs guerriers. Ils emploient


aussi avec art différentes manières de préparer les peaux
d'animaux pour les vêtements.
Les Djours sont forgerons et fournissent des ustensiles

de métal aux Chillouks, aux Dinkas et aux Nouers.


Les Monbouttous, excellents ouvriers dans les travaux
de forge, surpassent aussi tous les peuples de l'Afrique
centrale dans la construction des habitations.
Enfin, il y a dans le haut Niger dix ou douze millions
de Noirs, les plus industrieux sans doute de l'Afrique.
C'est qu'en effet la vie est active dans ces grandes villes
AU PAYS DES NÈGRES. 97

des royaumes du Soudan. Comment vivraient sans in-


dustrie les 40,000 habitants de Kouka, capitale du Bor-
nou? les 50,000 habitants de la ville de Kano, dans les

États du sultan de Sokoto? A Tombouctou, il y a aussi


quelque chose de cette activité.

Fig. 35. — Djebira, sac de cuir.

Les marchands du Bornou apportent aux marchés de


Kouka et des autres localités importantes les produits
variés du sol et de l'industrie. Ces derniers consistent
surtout en coton filé, corbeilles en pailles tressées, cor-
des, brides, bâts, sacs de cuir, ustensiles agricoles, plats,
vases d'argile, vêtements : tourkédi, draperie bleu foncé
dont les femmes s'enveloppent; tobé, blouse flottante que
13
98 AU PAYS DES NEGRES.

portent les indigènes par-dessus leur large pantalon, tuni-


ques à l'usage des Touaregs, sandales de cuir, etc. Ils

s'approvisionnent en retour de marchandises, venues de


bien loin par la voie des caravanes. Ajoutons que nous
tenons les deux débouchés de cette immense région afri-

caine par l'Algérie et le Sénégal.


III.

Difficulté de pénétrer en Afrique. — Tentatives des nations civilisées. — Les


explorateurs célèbres du continent africain. — Burton, Speke, Grant, Li-

vingstone, Cameron, Stanley, Schweinfurth, Serpa-Pinto. — Autres voya-

geurs: G. Lejean, Matteucci, G. Rohlfs, Baines, Nachtigal, S. deBrazza, etc.

Voilà, en somme, des peuples bien étranges qui, par


leurs mœurs, leurs idées, rendent presque impénétrable
le pays qu'ils habitent.
On sait quel a été le sort de la mission Flatters, char-
gée d'étudier l'établissement d'une voie ferrée à travers
le désert qui avoisine nos possessions algériennes. Notre

colonie du Sénégal, qui est cependant bien placée pour


nous donner accès chez les populations de la Nigritie
septentrionale, ne nous a pas été jusqu'ici d'une grande
utilité pour cet objet. L'ouverture du Congo par M. de

Brazza n'aura peut-être pas non plus d'avantages immé-


diats.

Les Portugais, qui ont pénétré assez avant dans l'inté-


rieur de l'Afrique, il y a plusieurs siècles déjà, ne sont
guère plus avancés que les autres nations européennes
dans leurs relations avec le continent noir; ils en sont
réduits à fonder des comptoirs sur le littoral.
Les Anglais , établis en sentinelle au Cap , ne font un
pas en avant qu'au prix d'énormes sacrifices, comme on
l'a vu lors de la guerre avec les Zoulous, et encore ont-ils

eu quelquefois comme auxiliaires, dans cette partie aus-

trale de l'Afrique, les Boërs, d'origine hollandaise et fran-


100 AU PAYS DES NEGRES.

çaise, qui ont fondé les républiques situées au sud et à


l'orient du désert de Kalahari. Leur expédition en Abys-

sinie, leur campagne contre les Achantis, demeurent des

faits sans conséquences appréciables au point de vue de


la civilisation générale.
L'Egypte seule, — malheureusement moins la civilisée

des puissances « civilisées — a réussi à ouvrir


», les ré-

gions du haut Nil, mais avec des avantages contesta-


bles. Que pouvait réellement organiser l'Egypte ayant
besoin, elle-même , que l'Europe aille faire la police

chez elle?
En 1869, sir Samuel Baker, connu déjà par ses voyages
dans la région des lacs équatoriaux, fut chargé par le

vice-roi d'Egypte de pénétrer dans l'intérieur de l'Afrique,


aussi avant qu'il le jugerait utile; et le vice-roi lui donna
le commandement d'une petite armée, d'une flottille,

avec un matériel considérable. L'expédition fut faite aux


frais d'Ismaïl-Pacha, qui était appelé à en recueillir les
premiers bénéfices. Il s'agissait pour lui d'annexer à ses
États d'immenses territoires; de souder une vaste oasis
aux plaines sablonneuses de la Nubie et du Soudan; de
faire du Nil, dans son étendue, un fleuve égyptien. Sir
Samuel Baker, revêtu du titre de pacha, à lui conféré
par la Porte, et tenant du khédive de pleins pouvoirs
militaires et politiques, devait avoir le gouvernement
des futures provinces dont l'Egypte s'agrandirait.
Il fallut en rabattre. Toutefois, des stations militaires
furent établies jusque sous l'équateur; le khédive détrôna
les roitelets qui lui faisaient obstacle et prit sous sa
tutelle les rivaux qu'il leur opposa.

L'Egypte a-t-elle fait davantage du côté de l'Ethiopie?


dans la Nigritie intérieure? En 1873, Berbera, le grand
AU PAYS DES NÈGRES. 101

marché des Somalis, la rivale d'Aden, a été occupée par


elle. L'année suivante, le Darfour, royaume comptant
4 millions d'habitants, a été conquis; en 1875, Harrar, un
autre royaume de 1,800,000 habitants, a été annexé sans
coup férir, et l'Abyssinie, par ces agrandissements suc-
cessifs de l'Egypte, se trouve enclavée dans les États du
khédive. L'insurrection du Soudan, dirigée par le Mahdi,
a remis tout en question.
Ce n'est donc pas encore de ce côté-là que l'Afrique
est ouverte; d'ailleurs, les voyageurs européens y ren-

contrent trop de mauvais vouloir de la part des fonction-


naires égyptiens.
Nous demeurons en présence d'une Afrique où l'on ne
pénètre encore qu'avec d'extrêmes difficultés, où la popu-
lation est hostile, les chefs d'État ignorants de leurs
véritables intérêts, le climat et le sol meurtriers. L'ex-
plorateur, qui n'est pas arrêté par les obstacles en quelque
sorte insurmontables qui se présentent à lui, doit se
sentir couvert, selon l'expression d'Horace, de l'armure
de triple chêne et de triple airain.

Au delà d'une étroite zone, nul autre chemin que celui


que jalonnent les ossements épars, les squelettes dessé-
chés, traces lugubres des convois de voyageurs ou d'es-
claves qui ont passé par là; nulle ressource que celles
que l'on traîne après soi au prix des plus grandes fati-

gues, nul gîte que la terre humide ou les sables. Les bois,
les marécages, les campagnes sont peuplés de bêtes fau-
ves, de crocodiles aux formidables mâchoires, de ser-
pents et de scorpions. Les airs sont infestés de nuées de
moustiques à longues jambes, qui vous poursuivent
jusque dans votre sommeil, si toutefois les hurlements
102 AU PAYS DES NEGRES.

du chacal et les rugissements du lion vous permettent


de prendre quelque repos.
Ailleurs, la mouche tsé-tsé tue les chevaux du convoi.
Ailleurs encore, c'est la désolation des vastes déserts.
Là, les oasis sont semées comme de rares îles au milieu
d'un océan de sable, incessamment soulevé par les vents

brûlants ; en dehors de ces refuges, pas une ombre ra-


fraîchissante, pas une goutte d'eau pour étancher sa soif,

de toutes parts l'horizon dans sa continuité désespérante.


Les fourmis blanches dévorent les vêtements et les pro-

visions; le bois même ne résiste pas à leur voracité; en

un instant, elles ont démoli un fusil.

Le voyageur ne pourra s'avancer qu'accompagné de


nombreux porteurs pour ses bagages, gens indisciplinés
et de mauvaise foi, toujours prêts à s'insurger ou à dé-
serter. Il n'est pas rare, en effet, de voir les porteurs,
après s'être fait payer d'avance un salaire élevé, décamper
la nuit suivante. La précaution de détenir leurs armes
et leurs boucliers est loin d'être suffisante, comme cer-
tains voyageurs en ont fait la désagréable expérience.
Avec ses gens à gages sir Samuel Baker ne fut pas plus
heureux que Speke et Grant. A un moment, les hommes
de peine de son convoi imaginèrent de refuser la verro-
terie en payement, et d'exiger quatre vaches par porteur,
pour prix d'un trajet relativement assez court. Comme,
dans ce moment-là, il ne fallait pas à l'explorateur moins
de 1,000 hommes pour ses approvisionnements et ses

marchandises, c'était donc 4,000 vaches qu'il s'agissait

de se procurerai l'on ne voulait demeurer sur place. Les


Turcs de l'escorte, en diverses razzias, purent à peine
en réunir la moitié.
Si l'explorateur compte utiliser les fleuves, il lui faudra
I I
AU PAYS DES NEGRES. 105

remonter leur cours encombré d'îles d'alluvion, fran-


chir des cataractes, se laisser emporter par des rapides.
Dans d'autres régions, il ne saurait cheminer qu'en
caravane avec des chameaux et une nombreuse escorte.
Avant le départ, que de travail ! Il s'agit de tout orga-
niser, de tout prévoir. Il faut se munir d'armes pour se
défendre contre les bêtes fauves et contre les hommes
noirs, il faut se procurer des tentes, des ustensiles de
cuisine, toutes sortes de provisions de bouche comme
pour une longue traversée ; des médicaments pour les
maladies à peu près inévitables au-devant desquelles on
court, et songer surtout aux moyens d'acquitter, en bien
des endroits, le droit d'aller au delà, aux moyens de payer
le personnel de l'expédition, d'acheter, au besoin, quel-
ques vivres supplémentaires.
Pour cela, il n'y a que des monnaies encombrantes ou
difficiles à réunir. Sur la côte de l'océan Indien, l'explo-
rateur se munira de verroteries dites rassades (1), de fils

d'archal, de la toile américaine, de la cotonnade bleue,


des bracelets de cuivre; on ne connaît pas d'autre mon-
naie. Avec 40 mètres d'étoffe par jour, il paiera la nour-
riture de 100 hommes; avec un collier de perles en verre,
il apaisera les convoitises d'un sultan noir. Mais les

peuplades dont il doit traverser les domaines n'ont pas


toutes le même goût, et les femmes des rois nègres ont
différents caprices : il en est qui préfèrent la cotonnade
bleue à la cotonnade rayée de diverses couleurs ; il en est
qui repousseront avec un souverain mépris une collec-

(1) C'est par centaines que l'on compte les variétés de perles de verre ou de
porcelaine. Les plus communes, celles qui font l'office de la monnaie de billon,
sont en porcelaine bleue ; les plus recherchées sont rouges (de l'écarlate recou-
verte d'émail blanc) et sont le plus souvent désignées sous le nom de sam-sanu
li
106 AU PAYS DES NÈGRES.

tion de perles blanches et s'épanouiront à l'aspect d'un


collier de perles vertes. Pour épargner ses ressources et

prévenir de fâcheuses difficultés, le voyageur doit donc,


avant de faire ses emplettes, prendre tous les renseigne-
ments possibles sur ces diverses préférences.
Sur d'autres points du littoral africain, l'explorateur

sera forcé de se procurer des cauris. Le cauri est un


petit coquillage blanc de la grosseur d'une noisette, que

l'on pêche sur les côtes de Mozambique, de Zanzibar et de


l'île de Ceylan, et qui sert de monnaie courante dans une
grande partie de l'Afrique. A la côte des Esclaves, il en
faut de 50 à 60 pour représenter une valeur de 5 centimes.
Cent cauris ou kourdis y sont le prix de deux défenses
d'hippopotame.
Dans la Guinée méridionale, le fusil représente l'unité
monétaire. L'offre s'exprime donc en « tant de fusils »';

le paiement s'effectue réellement partie en fusils et barils

de poudre, partie en tissus, baguettes de laiton, cercles


de fer, bouteilles vides. Chose assez singulière, c'est le

fusil qui sert pour les achats d'ivoire; mais, pour les
arachides, l'unité représentative est la pièce de tissu ou le

mille de matars, — sorte de verroterie de Bohême : ce

sont des morceaux de tubes de verre bleu à facettes,


enfilés par séries de cent, et qui servent aussi pour l'a-

chat des vivres; ainsi, à Ambrizette une poule coûte de


1,000 à 1,200 matars.
Chez Bongos du bassin du Bahr-el-Gazal, le fer
les

préparé en fers de bêche grossiers devient une monnaie


courante et remplit l'office de nos valeurs métalliques.
Pour traverser les plaines immenses et marécageuses
qui forment la ligne de partage entre le Zaïre et le Zam-
bèse, le lieutenant Cameron dut faire une ample provi-
AU PAYS DES NEGRES. 107

sion de poissons secs, seule monnaie ayant cours dans


cette partie de l'Afrique.
Si l'on pénètre dans le Kordofan et certaines régions
voisines, il faut alors une tout autre monnaie, le ta-

^èi ML

Fig. 37. — uasis dans le désert de Sahara.

lari (1). Plus avant, dans TOuadaï, dans le Bornou, c'est

encore le talari, et pour les petites dépenses, les par-


fums.

(1) Le talari, monnaie qui se frappe en Autriche, n'a cours que dans certaines
parties de l'Afrique ; son nom en arabe est ryâl. Le talari ou thaler, frappé à
l'effigie de Marie-Thérèse, vaut 5 francs 25 centimes.
108 AU PAYS DES NÈGRES.

Voilà bien des difficultés de détail, qu'il s'agit avant


tout d'aplanir.
Quand le voyageur a trouvé, rassemblé ses trésors, ses
provisions de route, il lui faut encore diviser tout cela
par portions égales dans des nattes cousues en forme de
sac, en tenant compte du poids des ballots, chacun d'eux
devant former la charge d'un porteur, toujours disposé
à se plaindre, surtout s'il est plus chargé qu'un autre.
C'est en se faisant suivre d'un nombreux cortège
d'hommes armés et de porteurs, que les voyageurs se
sont aventurés au milieu de populations toujours en
guerre et à travers des pays où il est difficile sinon im-
possible de s'approvisionner. La caravane de Speke et de
Grant se composait, en quittant Zanzibar, de 220 hommes.
Plus récemment, Stanley, suivant la même voie, emme-
nait avec lui 191 soldats ou porteurs. Sir Samuel Baker,
en s'avançant à travers l'Egypte et la Nubie, se fit ac-
compagner par une troupe de maraudeurs turcs, qu'il
retint tant bien que mal sous ses ordres. N'oublions pas
que le transport des marchandises au milieu des déserts
rencontre des difficultés de toute sorte, qu'en venant d'E-
gypte, par exemple, les cataractes du Nil entre Assouan
et Khartoum rendent la navigation à peu près imprati-
cable, et qu'il n'est pas facile de se procurer des chameaux
lorsque les pâturages ont été détruits par la sécheresse.
Par la voie de Zanzibar, on peut se servir de mules et

d'ânes.
Enfin, le voyageur est en route.
D'autres difficultés surgissent pour lui, heureux encore
si la maladie ne vient point paralyser tous ses efforts,

ruiner son énergie! C'est la guerre qui a éclaté sur un


point qui coupe le chemin; ce sont les hommes de l'es-
AU PAYS DES NÈGRES. 100

çorte qui prennent peur : plus loin ils croiront à des récits

réels ou imaginaires ,
qu'on leur fera sur les dispositions
de populations féroces ; ils craindront d'être mangés et
traverser
refuseront d'avancer. Chaque chef des pays à

Fig. 38. — Dans le désert, près d'Assouan.

voyageurs qui le
retient tant qu'il le peut auprès de lui
les

visitent, soitpour en obtenir des présents à force d'im-


ses ennemis en
portunité, soit pour donner le change à
leur faisant craindre un auxiliaire redoutable.

Après tout cela, on peut se faire une idée du mérite


avec succès,
qu'il peut y avoir à diriger jusqu'au bout, et

d'exploration à travers l'Afrique. Et comment


un voyage
110 AU PAYS DES NÈGRES.

ne pas admirer les dispositions généreuses de Livings-


tone, le plus hardi de tous les explorateurs, lorsqu'il écrit
les lignes suivantes :

« Quand on voyage avec la perspective d'améliorer le

sort des indigènes, les moindres actes s'ennoblissent. Le


plaisir purement physique du voyage en pays inexploré
est d'ailleurs trèsgrand par lui-même. Marcher vivement
sur des terres de quelque 2,000 pieds d'altitude donne de
l'élasticité aux muscles un sang renouvelé circule dans
;

les veines; l'esprit est lucide, l'intelligence active, la vue

nette, le pas ferme, et la fatigue du jour rend très doux le

repos du soir. On a le stimulant des chances lointaines


de danger, soit de la part des hommes , soit de la part des

animaux. Tout est fortifié ; le corps reprend ses propor-


tions, les muscles durcissent, le visage se bronze; il n'y a

plus de graisse et pas de dyspepsie. L'Afrique, sous ce


rapport, est un pays merveilleux. y a certainement desIl

obstacles et des fatigues dont ceux qui voyagent sous les


climats tempérés ne peuvent se faire qu'une idée affaiblie;
mais quand on travaille pour Dieu, la sueur qui coule du
front n'est pas un châtiment; elle est vivifiante et se

change en bienfait. »

Nous avons nommé plusieurs fois Livingstone, Speke,


Baker, Schweinfurth Cameron , et d'autres explorateurs
modernes nous devons plus d'attention à leurs héroïques
;

travaux.
C'est à la mission protestante allemande de Rabat Mpia,
sur la côte des Souahélis ,
qu'il était réservé de donner
les premières notions bien précises sur les grands lacs
de l'Afrique équatoriale, qui ont servi d'impulsion à tous
les explorateurs de notre temps. Deux officiers de la Com-
AU PAYS DES NEGRES. 111

pagnie des Indes se rendirent alors à Zanzibar, pour y


organiser, sous les auspices de la Société de géographie
de Londres, une expédition de découvertes vers la région
centrale. L'un de ces hommes était le capitaine Speke,
que recommandait sa constitution herculéenne et une
énergie que n'avait pas entamée le climat de l'Inde. Le
second, Burton, était déjà connu par deux voyages, où il

avait fait preuve d'une audace inouïe : il avait visité le

petit État abyssin d'Harrar, et, sous le costume d'un hadji


musulman, il avait osé pénétrer en Arabie jusqu'à la ville
sainte du Prophète, que les yeux des chrétiens ne doivent
même pas contempler du haut des montagnes voisines.
Versé dans la connaissance des langues africaines, habi-
tué aux mœurs de l'Orient, calme, résolu, observateur
sagace, Burton était le digne compagnon de Speke.
Les deux explorateurs partirent de Kaolay, dans le

courant de 1857, avec une escorte de Souahélis, fournie


par les chefs indigènes relevant de l'iman. Kaolay est un
petit port sur l'océan Indien, à l'embouchure de la rivière
Kingani, rivière qu'ils remontèrent tout d'abord.
On connaît la relation de ce voyage, écrite par Burton.
Sceptique de son naturel, Burton ne montra pas la même
confiance que son émule dans le résultat d'une explora-
tion de l'Afrique équatoriale.
Speke recommença un nouveau voyage en 1860; cette
accompagné par le capitaine Grant. Les deux
fois, il était
er
voyageurs quittèrent Zanzibar le 1 octobre, après avoir
pris soin d'envoyer en avant une caravane d'indigènes,
qui devaient former, à Kaseh, un dépôt de toutes les
choses nécessaires à l'expédition. Ils emmenaient avec
eux 60 hommes armés, de plus une troupe de porteurs
et un détachement de soldats hottentots, que le gouver-
112 AU PAYS DES NÈGRES.

neur du Cap avait voulu leur adjoindre. La différence de


climat entre le sud et le centre de l'Afrique est telle, que
ces Hottentots n'y purent Résister : la plupart mouru-
rent; il fallut renvoyer les survivants.

Dans son premier voyage, de compagnie avec Burton,


Speke avait trouvé libre et ouverte la route de Zanzibar
à Kaseh ; il en fut, cette fois, tout autrement. Une séche-
resse inusitée et la famine désolaient toute l'Afrique orien-
tale. La guerre s'était élevée entre les tribus indigènes,
et Speke s'attendait à voir intercepter toute communica-
tion avec Zanzibar. Aussi employa-t-il près d'une année
à atteindre Kaseh, c'est-à-dire à accomplir la portion
déjà connue du voyage. Là, il trouva de nouveaux inter-
prètes, et un an après son départ de Zanzibar, il se remet-
tait en route. Jusqu'au 15 février 1863, aucune nouvelle
des deux voyageurs ne parvint en Europe; la Société de
géographie de Londres envoya à leur recherche deux de
ses membres qui, remontant le Nil, allèrent à la rencontre
de l'expédition : l'un, M. Petherick, n'atteignit Gondokoro
qu'après de longs retards; l'autre, sir Samuel Baker, ar-
riva assez à temps pour servir utilement Speke et ses
compagnons.
L'explorateur avait reconnu le lac Nyanza de Karagoué,
auquel il donna le nom de Victoria Nyanza, et qui est l'un
des grands réservoirs du Nil. Speke et Grant avaient sé-
journé chez les peuples riverains de cet immense bassin
d'eau douce. Sur leurs indications, sir Samuel Baker
parvint à un autre grand lac, qu'il appela le lac Albert;
c'est aussi un réservoir du Nil. Baker visita les pays
situés entre les deux lacs, se donnant pour un prince
européen, traitant d'égal à égal les petits despotes de
ces contrées, vivant à leurs cours, et se trouvant, bien
AU PAYS DES NÈGRES. 113

malgré lui, plus ou moins engagé dans leurs querelles.


Pendant que s'accomplissaient les explorations dont
nous venons de parler, un autre intrépide voyageur pour-
suivait de son côté les siennes, entreprises avant les dé-
couvertes de Speke et de Baker.
Livingstone, parti pour l'Afrique en 1840, y était resté

Kig. 39. — Rochers sur le Tanganyika.

d'abord douze ans. y retourna une seconde et une troi-


Il

sième fois, après quelques mois de séjour en Angleterre.


Quoiqu'il ne fût plus jeune et qu'il eût cruellement souf-
fert, il ne pouvait se résigner au repos. Pendant bien des
années, il parcourut l'Afrique australe, le bassin du
Zambèseet la région des lacs. Plusieurs fois des rumeurs
sinistres se répandirenten Europe sur le sort de l'illustre
explorateur. Des expéditions furent organisées pour aller
à sa recherche : Cameron et Stanley y ont rencontré une
célébrité méritée. Un jour, la nouvelle de cette mort de
15
114 AU PAYS DES NÈGRES.

Livingstone , si souvent annoncée , précéda de peu , cette


fois, la dépouille de l'homme persévérant mort au champ
de labeur on
ramenait en Angleterre pour y être
: le

inhumé à Westminster, à côté des rois des héros et des ,

grands génies de ce pays.


C'est surtout en comparant une carte de l'Afrique telle

qu'on la connaissait il y a une quarantaine d'années et les


cartes actuelles, qu'on est frappé de toute la prodigieuse
étendue des travaux de Livingstone.
Avant lui, on "se contentait, au-dessous de l'équateur,
de dessiner les côtes, le cours du fleuve Orange et, un
peu au hasard, quelques montagnes parallèles à la mer.
« Du Congo, l'embouchure seule était indiquée, un trait
incertain figurait le Zambèse jusqu'à 2 ou 300 kilomètres
de la côte, un pointillé aventureux donnait au lac Maravi
un contour aussi vague que les renseignements recueillis
à son sujet, et le reste de l'intérieur était d'une blancheur
immaculée. Livingstone est venu, et avec une persévé-
rance qui a peu à peu attiré l'attention et lui vaut au-
jourd'hui l'admiration du monde entier, il a poursuivi
l'exploration de cette région inconnue. C'est à lui que re-
vient l'honneur d'avoir dressé la carte actuelle dont le
cadre seul existait avant ses voyages. La découverte du
lac Ngami, des rivières Tioungué et Tchobé, le tracé du
cours du Zambèse, la découverte de ce curieux lac Dilolo
qui envoie des eaux à l'océan Indien par le Zambèse et à

l'océan Atlantique par le Congo , le relevé des côtes du


Nyassa (le Maravi des Portugais) , du lac Pamalombé, la

découverte et le tracé du cours du Chiré, leur déversoir


dans le Zambèse, la découverte du lac Chiroua, de l'ex-
trémité méridionale du lac Tanganyika, du lac Bangoue-
lo, du lac Moëro, du lac Landj et du Loualaba, cette
AU PAYS DES NÈGRES. 115

mystérieuse rivière qui relie ces trois lacs et dans le bas-


sin de laquelle il s est obstiné jusqu'à la mort, le tracé de

la Rofouma, le relief des contrées que traversent ces


cours d'eau, toute la masse de faits géographiques qui ont
si complètement modifié les idées sur l'Afrique, c'est à
lui que nous en devons la révélation (1). »

Le lieutenant Cameron avait vingt-neuf ans quand on


songea, en 1873, à lui confier la direction d'une expédi-
tion dont le but était d'aller au secours de Livingstone et
de l'aider à achever son œuvre. Il était préparé à cette
mission par un long séjour sur la côte africaine et par la
connaissance de la langue kissouahili, parlée dans l'inté-

rieur partout où le commerce arabe a pénétré.


Cameron était lieutenant de vaisseau dans la marine
anglaise. Ilau mois de mars 1873 de Bagamoyo, et
partit
arriva en novembre 1875 au port de Katombéla, sur l'o-
céan Atlantique, après avoir traversé l'Afrique dans sa
largeur, presque en ligne droite, non sans courir, comme
on le pense bien, de nombreux dangers, dans un voyage
si extraordinaire. Il usa toujours vis-à-vis des indigènes
d'une extrême douceur, sauf de rares exceptions où il fut

obligé de leur faire entendre « le son » de sa grosse ca-


rabine. Et plus d'une fois aussi il vit fuir devant lui des
populations qui, vivant dans la crainte perpétuelle de
tomber en esclavage, redoutaient l'approche de sa cara-
vane.
M. Stanley, Américain, correspondant du New-York
Herald, fut aussi envoyé à la recherche de Livingstone
par les propriétaires de ce journal. Il rejoignit ce dernier,

en octobre 1871, à Oudjiji, sur la rive orientale du lac

(1) Paul Bourde.


116 AU PAYS DES NEGRES.

Tanganyika. Il l'accompagna dans une exploration de la

partie nord de ce lac, et rapporta en Europe des lettres et

un Journal de celui qu'il avait été assez heureux de re-

trouver vivant, et plein encore de confiance dans l'achève-


ment de son œuvre.
L'explorateur américain réussit, comme avant lui le

lieutenant Cameron, à traverser l'Afrique équatoriale de


l'est à l'ouest. Parti du Zanguebar, il arriva à Saint-
Paul de Loanda, sur la côte occidentale d'Afrique, avec
115 hommes de son expédition. Il avait quitté Nyangoué
le 5 novembre 1876; c'est le point d'où Cameron se propo-

sait de gagner le lac Sankora par le Loualaba, et de des-


cendre ce grand cours d'eau, supposé en communication
avec le Congo, jusqu'à la mer.
L'officier anglais avait dû modifier cet itinéraire et

tourner brusquement au sud jusqu'à Kisenga, pour mar-


cher ensuite vers Benguëla par une ligne à peu près plein
ouest. Stanley s'est davantage rapproché de l'équateur.
Après avoir traversé par terre l'Oureggou ne pouvant ,

plus avancer au milieu de forêts impraticables, il passa


le Loualaba et continua son voyage le long de la rive
gauche, à travers l'Oukousou du nord-est. Malgré les

continuelles attaques des indigènes, l'expédition, pour-


vue de dix-huit canots et d'un bateau d'exploration, réus-
sit à descendre le fleuve du Congo, semé de grandes îles,

et aussi de cataractes, qui obligèrent nombre de fois les

voyageurs à prendre terre et à traîner leurs embarcations


le long des rives.
De Borna, l'expédition gagna par vapeur Cabinda
(13 août 1877) et, de là, Saint-Paul de Loanda, fort
éprouvée par la dysenterie, le scorbut et ces ulcères
particuliers à l'Afrique, qui rongent la chair des pieds
AU PAYS DES NEGRES. 119

jusqu'à l'os, et dont Livingstone eut tant à souffrir.


Dans une autre partie encore inexplorée de l'Afrique
centrale , dans la région arrosée par le Bahr-el-Gazal (la

rivière des Gazelles) et ses affluents, un savant natura-


liste a fait un séjour de plusieurs années (1868-1871).
Schweinfurth fut séduit surtout par les richesses nou-
velles qui s'offraient à lui . se désintéressant de tout ce
qui n'avait pas un rapport direct avec ses études. La re-
lation de son voyage a, cependant, la plus grande valeur
pour la connaissance d'un pays très sauvage, peuplé
d'anthropophages et voisin de la seule partie du conti-
nent africain demeurée mystérieuse, et figurant encore
sur les cartes avec cette mention : « Région inconnue »

Enfin, plus récemment encore, un officier portugais,


le major Serpa-Pinto , a réussi à traverser l'Afrique de
l'Atlantique à l'océan Indien, ou plus exactement de
Benguela à Durban. Grâce à sa relation, nous avons été

renseignés sur bien des contrées inconnues jusqu'ici. Sur


plusieurs points aussi, ses explorations ont complété
celles de Livingstone dans l'Afrique australe. Quant au
voyageur, il semble avoir couru bien des dangers, s'être

soustrait à plus d'une embûche. Il a triomphé de l'astuce


des souverains des pays traversés par lui , du mauvais
vouloir de ses propres serviteurs , des maladies inévita-
bles, et même des bêtes féroces, — car le major n'a jamais
hésité à suivre un lion dans les hautes herbes. Une
nuit, il en a tué deux, à la faveur de la lumière de ma-
gnésium : on peut bien le croire, puisqu'il a rapporté les
griffes de ces animaux.
Le major Serpa-Pinto s'est donné partout comme un
envoyé du roi de Portugal (le « Mouéné Pouto », comme
disent tous les peuples de l'Afrique méridionale), en vue
120 AU PAYS DES NEGRES.

d'établir ou plutôt de développer des relations commer-


ciales déjà existantes.

Il y aurait plus que de l'injustice à passer sous silence

les travaux, les efforts persévérants, les souffrances et


souvent les succès, de plusieurs explorateurs qui ont
pénétré en Afrique par divers points. Sans remonter
trop loin dans le passé, une foule de noms se présentent
à notre souvenir, — ceux de Caillé, Clapperton, Laing,
du docteur Covven, du lieutenant Denovan, du fils de
Mungo-Park, du jeune et vaillant Vogel, du docteur
Overweg et de Richardson, compagnons du docteur
Barth.
Plus près de nous, nous devrions encore payer des
dettes de reconnaissance à Guillaume Lejean, qui a visité

la haute Nubie, au marquis de Compiègne, pour ses


explorations du Gabon, du pays des Pahouins et de l'O-
gooué, au docteur Matteucci et à M. Massari, son ami,
pour leur voyage de la mer Rouge au golfe de Guinée ;

à M. Savorgnan de Brazza, qui a fait triompher la poli-


tique française et les intérêts français dans cette région
du Congo, qui est l'une des clés de l'Afrique centrale.

M. Trémaux nous a montré le Soudan et l'esclavage ;

Gérard Rohlfs est allé à l'oasis de Koufara et aux mon-


tagnes Noires; le docteur Nachtigal a décrit la région
qui s'étend de la Tripolitaine au pays des Gaberis et au
delà, par l'Ouadaï. M. Ch. de Rouvre a passé huit années
(1870-78) sur les rives du Zaïre, où il a entretenu des
relations suivies avec les indigènes, et il nous a fait con-
naître les ressources commerciales de la Guinée méri-
dionale.
Baldwin, l'infatigable chasseur, Baines le naturaliste,

ont augmenté la somme de nos connaissances sur l'A-


Fis. 41. — Nubien.
16
AU PAYS DES NEGRES. 123

frique australe; Georges Ebers sur la Nubie, Victor Lar-


geau sur le pays de Rirha, Ouargla et Ghadamès, le lieu-

tenant Mage sur leSoudan occidental, Alfred Marche sur


le Sénégal et FOgôoué, M. Lambert et le docteur Bayol
sur le Fouta Djalon, le commandant Gallieni sur le haut
Niger. Ce jeune officier de notre infanterie de marine a
reçu du gouverneur du Sénégal la mission de pénétrer
dans du haut Niger par le massif montagneux
la vallée

compris entre ce grand cours d'eau et le Sénégal (1880-


1881). Ajoutons que M. G. Révoil a entrepris une ex-
ploration du pays des Somalis, voisin de la mer Rouge.
Nous oublions d'autres voyageurs et d'autres résultats
acquis.
Combien ont payé de leur vie leurdévouement à la
science et à la civilisation! le baron de Decken et ses
compagnons, massacrés chez les Somalis en 1866;
C. Anderson, mort en 1867 dans le pays d'Ovampo;
Ernest Linant de Bellefonds mort victime d'une trahi-
,

son sur le haut Nil Blanc en 1875, etc., et plus près de


nous : Maes, Crespel, Wautier, Deleu, Popelin, Debaize,
Madoni, Fraccaroli, Gessi, Pioggia, le D r
Smith, Keith
Johnston, Elton, Stahl, Phipson, Wybrandt, Pinkerton,
Hildebrandt, Le Saint, Bonnat, Soleillet.

Combien aussi de missionnaires, à qui sont dues tant


de précieuses communications, n'ont pas été moissonnés
par les fièvres entre la côte de Zanzibar et les lacs inté-

rieurs, ou sur le littoral de l'Atlantique! L'Afrique a le

don puissant d'exciter notre curiosité, mais c'est une


terre meurtrière.
IV.

L'Afrique équatoriale. — Les — Les grands


lacs. — Le — Le
fleuves. Nil.

Sénégal. — Le Niger. — Le Congo. — Le Zambèse. — Montagnes. — Les


savanes. — Les déserts. — Les rivages.

Quelle est donc cette région des lacs, naguère encore


si mystérieuse et qui, tout d'un coup, a surgi comme un
nouveau monde, et a pris une si grande place dans les

spéculations des savants, des hommes d'État, des phi-


lanthropes, des missionnaires et même des commerçants?
La partie équatoriale de l'Afrique, dans la région de
ses grands lacs d'où sort le Nil, a une hauteur moyenne
de 1,000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Cette
portion du globe, composée principalement de roches
granitiques, n'a jamais été submergée, ni bouleversée
par des volcans, et semble n'avoir subi aucune modifica-
tion dans son état primitif.
Les campagnes sont, pendant une longue saison, arro-
sées par des pluies qui, dans une zone de six degrés
dont l'équateur occupe le centre, tombent depuis février
jusqu'à la fin de novembre; mais ces pluies sont sur-
tout abondantes du mois d'avril au mois d'août. Elles
renouvellent les approvisionnements des lacs et, s'échap-
pant en divers cours d'eau , elles vont au loin fertiliser

les terres.

Le climat de la région des lacs est assez tempéré. Les


pluies qui tombent à torrents, chaque jour, vers le soir,

pendant la longue saison dont nous venons de parler,


AU PAYS DES NEGRES. 125

achèvent de rendre la température fort supportable;


ruais, faute d'une suffisante exploitation du sol, l'air est

très insalubre.

Les lacs équatoriaux sont de diverses grandeurs; pour


la plupart, ils s'étendent, du nord au sud, au pied de

montagnes qui courent parallèlement à la côte de l'o-


céan Indien. Les dénombrer, les grouper ne peut donner

Fig. 42. — Un radeau.

qu'une très imparfaite idée de leurs positions; essayons


néanmoins.
En remontant du sud au nord, il y a d'abord, — sans
compter le Chiroua, — le lac Nyassa, découvert par Li-
vingstone en 1859; il est assez isolé et se trouve le plus
rapproché de la mer, à la hauteur des îles Comores. Le

Nyassa est très profond. A une courte distance de ses


une ligne de plus de 90 mètres ne touche pas. Un
rives,

grand nombre de rivières se jettent dans ce lac; mais,


à l'extrémité nord, il en une qui en
sort. Des monta-
est

gnes riveraines, hautes de 3,000 à 3,500 mètres, ser-


rent la nappe d'eau de très près.
126 AU PAYS DES NEGRES.

Au nord-ouest du Nyassa, un groupe très remarqua-


ble de lacs communiquent entre eux; ils vont perdre
leurs eaux dans la région encore inconnue de l'Afrique
centrale, peut-être en donnant naissance au fleuve Zaïr^
ou Congo; ce sont les lacs Bangoueolo, Moëro, Kamo-
londo, Lincoln (ou Moura?), enfin un lac innommé,
semé d'îles, et d'où s'échappe le fleuve dont nous par-
lons.
Un deuxième groupe est formé du lac Tanganyika,
que Burton et Speke virent en 1858, du lac Hikoua ou
Léopold, du Nyanza du Karagoué, auquel' ce dernier
explorateur, Speke, imposa le nom de Victoria Nyanza,
et du Mwoutan, que découvrit sir Samuel Baker, en
1864, et plus connu sous le nom d'Albert Nyanza. La
reconnaissance du lac Victoria ne se fît pas d'un seul
coup, et pendant plusieurs années nous avons vu trois
lacs de noms différents figurer sur les cartes dans le

tracé de la plus large de ces nappes d'eau placées sous


l'équateur. Nous négligeons avec intention quelques lacs
secondaires, le lac Baringo, le lac Manyara, etc.; enfin,
le lacNgami, dans l'Afrique australe. Le lac Kassali, vu
de loin par Cameron , est couvert de végétaux sur les-
quels les indigènes, à l'aide de troncs d'arbres et de
terre, établissent des îles flottantes, qui supportent des
cultures et peuvent, au gré des habitants, voyager d'un
rivage à l'autre.
A l'époque des tempêtes équinoxiales, les gros temps
sont terribles sur tous ces lacs. De hautes vagues y don-
nent le mal de mer aux mariniers du Nil. Parfois, sur
une longue étendue, leur surface est couverte de roseaux ;

ailleurs, des masses flottantes de végétaux (ambatch ou


herminiera) colorent leurs eaux d'une teinte rougeâtre
AU PAYS DES NEGRES. 127

par la décomposition de leur écorce, et sont assez volu-

mineuses pour entraver la navigation.


Le Tanganyika, le plus remarquable de tous ces lacs,
a près de 700 kilomètres de long et
une largeur moyenne de 40 kilomè-
tres. Cameron a relevé l'embouchure
de 96 rivières qui s'y jettent. Les
bords de ce lac ont un caractère uni-
forme : ce sont des montagnes cou- ,

pées de vallées, qui descendent vers


le rivage. Aux montagnes, couver-
tes d'immenses forêts d'un vert som-
bre, correspondent des falaises rou-
ges, qui s'avancent en promontoire
dans l'eau ; aux vallées, des baies qui

s'arrondissent dans l'intérieur des


terres. Il n'y a pas en Afrique de
pays plus fertile que les pays rive-
rains de ce lac.
Samuel Baker a trouvé l'Albert
Sir
Nyanza encombré de ces bancs flot-
tants de roseaux, dont nous venons
de parler; ils empêchaient les canots

d'aborder. Ces bancs paraissaient


s'être formés des détritus d'une vé-
gétation aquatique, clans laquelle le

^oseau papyrus a pris racine. L'épaisseur de la masse


flottante est d'environ trois pieds, et si ferme, que l'on
peut marcher dessus, sans courir d'autre risque que
d'enfoncer jusqu'à la cheville dans la vase. Sous ces ra-
deaux de végétation , l'eau est extrêmement profonde , et

le rivage se trouvé ainsi protégé sans interruption par


128 AU PAYS DES NÈGRES.

cette jetée, d'une formation si bizarre. Un jour, l'explo-


rateur vit une terrible rafale et le soulèvement de l'eau
en détacher de grands morceaux , et le vent agissant sur
les roseaux comme sur des voiles , poussa de côté et d'au-
tre sur le lac des îles flottantes de quelques ares d'étendue.
Maintenant, pour mémoire seulement, mentionnons
le lac Tchad, très au nord, en plein Soudan; nous en
parlerons plus loin.
Si les lacs sont , pour ainsi dire cantonnés dans , la ré-

gion du sud-est, sauf le lac Tchad qui occupe une posi-


tion centrale en Afrique , il n'en est pas de même des
fleuves
Ils se déversent dans trois mers. C'est le Nil , fleuve
immense dont les embouchures sont sur la Méditerranée;
ce sont, sur le versant de l'Atlantique, le Sénégal et la
Gambie, qui descendent des monts de Kong; le Niger,
qui se jette dans le golfe de Guinée par de nombreuses
bouches, forme un delta aussi considérable que celui du
Nil; c'est encore, sur le même versant, l'Ogôoué, qui at-
teint l'Atlantique au golfe de Biafra , le Zaïre ou Congo
sur lequel nous reviendrons, le Coanza, qui franchit, par
une série de cascades , les derniers gradins des plateaux
de l'intérieur, avant d'arriver à la côte; le fleuve Orange,
qui roule, sur les plateaux de l'Afrique australe, ses
eaux presque taries avant de parvenir à l'Océan.
Enfin , le versant de l'océan Indien est arrosé par deux
cours d'eau importants : le Limpopo et le Zambèse, qui
descendent des plateaux intérieurs.
De tous les grands fleuves qui sillonnent le globe, le
Nil est celui qui, de tous temps, a le plus vivement oc-
cupé, et l'on pourrait même dire passionné les esprits.
C'est le seul cours d'eau considérable que l'antiquité ait
AU PAYS DES NEGRES. 129

pu connaître, au moins en partie, dune façon exacte. Le


Gange, l'Indus, le « fabuleux Hydaspe », dont parle Ho-
race , ne s'offraient à l'étude des anciens qu'à travers les
ténèbres d'une incertitude ,
que les expéditions de Sésos-
tris et d'Alexandre n'avaient pu entièrement dissiper.
L'Egypte, visitée de bonne heure par Hérodote, conquise
par Alexandre, devenue grecque avec les Ptolémées et
romaine avec Auguste , était ouverte aux peuples de l'Oc-
cident. Les grands systèmes d'eaux de l'Inde et ceux de
la Chine et de l'Amérique sont tous océaniques; seul, le

Nil, après un cours, qui est peut-être le plus long de tous,


— plus long que celui des Amazones et que celui du Mis-
sissipi , se jette dans une mer intérieure, à côté de ces co-
lonies dont la civilisation grecque avait parsemé le litto-

ral de l'Asie Mineure et toute la mer Egée.


Ces sept embouchures, formant un double delta, cette
fécondité exceptionnelle dont il dotait la basse Egypte,
cette crue périodique, tantôt bienfaisante, tantôt dévas-
tatrice, ce mystère même qui dérobait son origine, tout
le recommandait à l'attention.

Les explorateurs de notre temps ont fait faire au pro-


blème des sources du Nil le plus grand pas vers sa so-
lution. L'hypothèse de l'existence d'une réunion de lacs
sur le vaste plateau de l'Afrique équatoriale, émise, dès
1852, par Murchison, le célèbre géologue anglais, fortifiée
par les découvertes successives de Livingstone, de Speke,
de Baker et de Stanley, est aujourd'hui devenue une
donnée scientifique exacte.
ne reste plus à déterminer que le point de départ ex-
Il

trême du cours d'eau, —


rivière ou ruisseau, qui vient —
du plus loin apporter son tribut, bien modeste peut-être,
à l'un des puissants réservoirs qui alimentent largement
130 AU PAYS DES NEGRES.

le Nil. C'est encore une notion incertaine, mais qui n'a


véritablement qu'un intérêt secondaire et, en quelque
sorte, purement géographique.
Il est certain qu'en étudiant le cours du fleuve qui
vient répandre la vie dans les sables brûlés de la Nubie
et de la basse Egypte, sous un ciel où il ne pleut point,
et en remarquant combien sont peu nombreux ses af-

fluents, et combien sont puissantes ses inondations


périodiques aux mois de juillet et d'août (époque de l'an-
,

née où partout les chaleurs font baisser les eaux flu-

viales) , on ne pouvait guère s'arrêter à la supposition de

commencements modestes pour le Nil, comme pourtant


de fleuves; l'on ne pouvait penser qu'il sort, mince filet

d'eau, du creux d'un rocher. Il ne faut, en effet, rien


moins que plusieurs grands réservoirs, recueillant les

eaux tombées sur la surface de vastes bassins, à l'é-

poque des abondantes pluies équatoriales, pour remplir


largement, dès sa naissance, le lit d'un fleuve si impo-
sant.

Ces pluies lui apportent, chaque année, une immense


quantité d'eau, qui élève son niveau. Le fleuve com-
mence à monter dans les premiers jours de juillet, at-

teint son maximum de hauteur vers la fin de septembre


et baisse ensuite graduellement jusqu'au milieu de mai
de l'année suivante. Le Nil élève continuellement son lit

par ses dépôts successifs de limon ; on a calculé que cet


exhaussement est d'un mètre en neuf siècles; cette élé-
vation est plus considérable en dehors du litdu fleuve,
dans les plaines où l'eau déborde ou est amenée artifi-
ciellement.
A mesure que Ton approche de l'équateur en remon-
tant le Nil, la végétation se développe de plus en plus.
AU PAYS DES NEGRES. 133

Jusqu'à Gondokoro, la navigation sur le fleuve ne laisse


apercevoir que des marécages sans fin, s'étendant à

perte de vue, habités par les hippopotames et infestés de


moustiques. Le fleuve, dont les eaux sont grises, char-
rie des herbes, des roseaux, des troncs d'arbres, sur les-

Fig. 15. - Le Elipon, prés du lac Victoria.

quels sont perchées des cigognes et des grues. Mai-,


après avoir dépassé Gondokoro , mo-
l'aspect du pays se
difie sensiblement. Bientôt on trouve des campagnes ma-
gnifiques, où les plaines gazonnées alternent avec les

bois, et rappellent, en les écrasant de leur supériorité,


les créations des jardiniers paysagistes. Le pays de Médi
134 AU PAYS DES NEGRES.

offre, dans son entier, l'image d'un véritable parc natu-


rel. Le vert des prairies y est piqué de bouquets de ta-

marins gigantesques au feuillage sombre.


L'Ounyoro se présente ensuite avec ses vastes plaines
basses et marécageuses , rendues impénétrables par d'in-
terminables forêts de menus arbres, de broussailles et
de hautes herbes. Quelques rares collines, d'une forme
conique, ne suffisent pas à rompre la monotonie des sites.

Les bananes, les patates douces, le sésame et le millet

forment la maigre culture des terres.

Les habitants, à l'unisson avec le pays, se couvrent


d'une façon sordide de peaux de bêtes, et se réunissent
dans de misérables villages, aux huttes étroites et mal-
saines. En fait de bétail, ils ne possèdent guère que des
chèvres, rarement des vaches. Mais, dans ces latitudes ,

les extrêmes se touchent. Au cœur même de l'Ounyoro

à Rondogani, sur les bords du'Nil, les plus riantes pers-


pectives s'offrent à la vue.
Le fleuve coule largement entre deux rives verdoyantes,
distantes l'une de l'autre de 600 à 700 mètres. Du milieu
de son lit, s'élèvent des îlots habités par les pêcheurs, ou
des récifs sur lesquels s'abattent hirondelles de mer, flo-

ricans et pintades, et où les crocodiles se chauffent au


soleil, tandis que les hippopotames s'agitent à travers
les roseaux.
Au delà des berges, errent de nombreux troupeaux
d'antilopes. Le Soga, qui est une province de l'Ounyoro,
semble appartenir aux bêtes saunages. Les éléphants s'y
promènent par bandes. Les champs de bananiers y sont
remplis d'hippopotames et les jungles, d'antilopes. Les
lions s'y montrent fréquemment et sont d'une très grande
férocité. Il y a des régions d'une fertilité exceptionnelle,
AU PAYS DES NÈGRES. 135

aux environs des chutes de Ripon, situées non loin du


point où une branche du Nil sort du lac Victoria.
Le Nil présente un phénomène curieux. Depuis le con-

Fia. 46. Chasse de nuit au crocodile.

Huent de la Saubat jusqu'au lac Nau, le fleuve, qui a de


1,800 à 3,000 mètres de large, est littéralement couvert
par la végétation. Un arbuste, que les Arabes appellent
ambatch et dont le bois est plus léger que le liège, émet
§es racines dans l'eau; le vent les arrache de la rive et
les jette dans le courant. Quand un obstacle les arrête
136 AU PAYS DES NÈGRES.

elles s'entassent; des papyrus et d'autres plantes se mê-


lent à l'ambatch, et bientôt le Nil coule sous un parquet
de verdure. Nous avons vu quelque chose de semblable
dans les grands lacs.

Le Nil Blanc, qui est un des affluents les plus consi-


dérables du grand fleuve africain, est par lui-même si

puissant, si large, qu'à 400 lieues de la mer il res-


semble à un Tout ce qu'on y voit est en rapport avec
lac.

ses proportions gigantesques. L'hippopotame dresse sa


tête à la surface des eaux et se roule dans les courants
qui aboutissent au fleuve. D'énormes crocodiles se mon-
trent, la gueule béante, sur le rivage; des troupeaux
d'éléphants jouent dans les pâturages; entre les hauts
palmiers marchent fièrement les girafes; des serpents,
gros comme des troncs d'arbre, reposent dans les ma-
rais , et des monticules de fourmis , de dix pieds de hau-
teur, s'élèvent au milieu des joncs. Dans les vastes et
épaisses broussailles obstruant les rives, les lions affa-
més rugissent, et les Noirs apparaissent au loin, bran-
dissant leurs lances.
A l'endroit où le Nil Blanc se joint avec le Bahr-el-
Gazal (rivière des Gazelles), affluent occidental du Nil,
leurs eaux réunies forment ce lac Nau, que nous venons
de nommer, sans l'avoir compté toutefois parmi les lacs
africains : c'est à proprement parler un débordement
permanent des deux fleuves. Cette nappe d'eau a une
lieue de circonférence; elle entoure une île couverte d'une
végétation toute tropicale. La ligne blanchâtre du fleuve
Blanc se dessine distinctement dans cette eau calme,
d'une limpidité si parfaite qu'on peut voir les poissons
nager parmi les plantes aquatiques qui tapissent le fond
du lac. Ce vaste miroir, reflétant le bleu du ciel, n'est
AU PAYS DES NEGRES. 137

trou Die â sa sur-


face que par les

ébats des hippopo-


tames.
Passons au ver-
sant de l'Atlanti-
que.
Le Sénégal est

le fleuve le plus
important de no-
tre établissement
colonial sur la côte
occidentale d'Afri-
que. Ce fleuve s'a-

vance vers la mer


après avoir tra-

versé de rares col-


lines et un pays
plat.

A la saison des

pluies, qui com-


mencent vers le
er
1 juin, le fleuve

inonde la partie

basse du pays.
Quand les eaux se
retirent, elles lais-

sent de larges es-


paces inondés, qui
ne peuvent sécher
que par Tévapora-
tion.Acemoment, Fig. 47. — Chef Banibarra en costume de g
(Haut Sénégal.)
18
138 AU PAYS DES NEGRES.

puliullent les moustiques. Pendant la saison sèche, le


fleuve coule entre des berges ,
qui deviennent de plus en
plus élevées à mesure qu'on le remonte. C'est à cette
époque que les hirondelles d'Europe viennent chercher
un refuge au Sénégal ; elles creusent les berges du fleuve
pour y établir leurs nids. Le Sénégal, comme la plupart

des fleuves de la côte d'Afrique, se jette à la mer par


une embouchure qui est obstruée par une barre de sables
mobiles, et rendue impraticable durant les basses eaux.
Le Niger, ou Dhioli-Ba, est le second fleuve de l'A-
frique. Dans un parcours navigable de plus de 3,000 ki-

lomètres, il reçoit près des trois quarts des innombrables


affluents alimentés par les pluies périodiques qui se pro-
duisent à époques fixes dans le Soudan, comme dans
toutes les régions de la zone équatoriale; le restant de
ces eaux se réunit à Test dans une mer intérieure , sans
issue connue : le lac Tchad. Malheureusement la région

inférieure des bouches de ce puissant cours d'eau est


d'une insalubrité proverbiale : de nombreux marécages,
tour à tour submergés par les eaux douces et les eaux
de la mer, y produisent des émanations pestilentielles.
A l'embouchure de ces fleuves africains du versant de
l'Atlantique, se produisent, avec plus ou moins d'inten-
sité, des raz de marée, d'une durée de plusieurs jours.
La houle se jette sur la côte en vagues rapides de plus en
plus hautes et qui, blanches d'écume et grondant comme
un tonnerre lointain, courent les unes sur les autres et

tourbillonnent en bouillonnant sous un ciel de plomb, au


milieu de la brume des embruns. Ces vagues finissent
par former une sorte de muraille liquide, qui s'effondre
avec un énorme fracas, produisant sur le rivage une com-
motion qui se fait sentir au loin.
AU PAYS DES NÈGRES. 130

Un cours d'eau qui a aussi une importance considéra-


ble, moins par son volume que par le rôle qu'il est appelé

à jouer, comme voie de communication, c'est l'Ogôoué,

qui est presque à la ligne de partage des deux Guinées.


On connaît les expéditions successives du marquis de
Compiègne accompagné de M. Marche, l'expédition alle-
mande du docteur Lenz et surtout celle de MM. Savorgnan
de Brazza et Alfred Marche. M. de Brazza a mené à si
bonne fin sa première expédition qu'il a obtenu l'appui
du gouvernement français pour en entreprendre une se-
conde beaucoup plus importante. Nous allons en parler.
Le Congo ou Zaïre est le fleuve-roi de la côte occiden-
tale d'Afrique, bien qu'il n'arrive qu'en troisième ligne
parmi les fleuves de ce continent. Son embouchure est
immense: elle a plus de 11,009 mètres. Cameron compare
cette embouchure à celle de l'Amazone et du Yang-Tsé-

Kiang pour la majesté, la rapidité du courant et le vo-


lume.
Le Concro est le seul lleuve de la côte occidentale d'A-
frique qui n'ait point de barre à son entrée. Il débouche
dans l'Océan avec une telle impétuosité qu'à dix lieues
au large la mer est encore colorée par ses eaux, dont le

volume est si considérable qu'elles adoucissent les eaux


de l'Atlantique.
Le Loualaba, ce cours d'eau du centre de l'Afrique
qu'on n'a pas encore pu suivre jusqu'à son embouchure,
n'est autre chose, selon toute apparence, que le Congo ou
Zaïre sous un troisième nom. Coupant la large ceinture

de montagnes situées entre le grand plateau central et le

littoral, il descend par une trentaine de chutes et de ra-

pides furieux jusqu'au grand lleuve, qui se trouve entre


les cataractes de Yellala et la mer. Le Loualaba est semé
140 AU PAYS DES NEGRES.

d'îles, et malheureusement aussi de cataractes infran-


chissables, qui obligèrent maintes fois Stanley et ses com-
pagnons à descendre sur la rive et à traîner leurs embar-
cations sur le sol
Le grand Loualaba varie, dans sa largeur, entre 4 et

16 kilomètres. Il a été mesuré par Cameron au dernier


point reconnu par Livingstone en 1871 (Nyangoué). Ce
fleuve avait dans cet endroit 932 mètres, d'un courant
très rapide. Cameron a calculé qu'à l'étiage, le débit du
Loualaba était de 126,000 pieds cubes par seconde, c'est-

à-dire que ce cours d'eau avait un débit égal à plus d'une

fois et demie celui du Gange en temps de crue et à trois

fois celuidu Nil à Gondokoro.


Lorsqu'on pénètre clans le Congo par son embouchure,
les rives apparaissent bordées d'îles, couvertes de palétu-
viers aux racines énormes enchevêtrées de lianes, au
travers desquelles serpentent un grand nombre de petits
bras. Au milieu de ce delta s'ouvre la voie navigable; à
48 kilomètres de l'embouchure, le fleuve change d'aspect.
A partir de là, se succèdent de vastes îles, couvertes
d'herbes hautes et serrées, pâturage ordinaire des hippo-
potames, et qui ne montrent que de rares bouquets d'ar-
bres. Ces îles, formées de terrains d'alluvion, se détachent
parfois au moment des hautes eaux, par morceaux de
1,000 mètres et plus, qui descendent le cours du fleuve
et s'en vont, flottant avec les végétaux et les animaux

qu'elles nourrissent, se désagréger en pleine mer.


Enfin, on aperçoit, derrière de véritables murailles de
végétation, quelques hauteurs, les premières; au loin les
sommets dénudés des montagnes apparaissent, légère-
ment teintés de bleu. Puis, sur la rive droite, la mon-
tagne se rapproche, nue, plaquée d'énormes blocs étince-
141
AU PAYS DES NÈGRES.
prend fin, et le
lants de mica. L'estuaire du Congo
îles deviennent mon-
paysage change encore d'aspect; les
en
tous les bras du fleuve se réunissent
tueuses. Bientôt,
hau-
un de 1,800 mètres et qui coule entre de
seul, large
rives par des plans
tes montagnes, descendant sur les

48. — Sur les rives du Congo.

très inclinés. Le M. Charles de Rouvre, « gronde


fleuve, dit

comme un gigantesque torrent au milieu de passes étroi-


d'une opulente végétation; les immenses
tes bordées
murailles qui le resserrent s'entr'ouvrent par places pour

laisser apercevoir de riants vallons.


Le paysage est d'un
» Tel est le Congo
aspect à la fois pittoresque et grandiose.
rapides de Yellala.
jusqu'aux cataractes ou plutôt jusqu'aux
142 AU PAYS DES NÈGRES.

On sait ce qui a été tenté sur l'initiative de M. de Brazza


pour faire prévaloir l'influence française dans les vallées

de l'Alima et de la Niari, ainsi que pour assurer le libre

parcours des voies de l'Ogôoué et de l'Alima. Notre cham-


bre des députés a voté en 1882 un crédit de 1,275,000
francs pour subventionner la mission de M. de Brazza et
lui permettre d'établir huit stations principales reliées par
douze postes, et devant former les étapes d'une double
route vers le grand fleuve africain, — du Gabon, par
l'Ogôoué et l'Alima, et de la mer par le Quillion et la

vallée de la Niari, — ces deux routes aboutissant au point


où le Congo cesse d'être navigable lorsqu'on remonte son
cours.
De son côté, Stanley, repris soudain du désir de re-
tourner en Afrique, et soutenu par l'Association interna-
tionale africaine, placée sous le patronage du roi des
Belges, a déployé une activité capable d'exercer une gran-
de influence sur la contrée que traverse le Congo. Et bien-
tôt plusieurs baleinières à vapeur ont pu faire sur ce
fleuve un service quasi régulier, entre Isanghila et Ma-
nyanga. Les petits steamers, remontant le fleuve africain

à partir du Stanley-Pool, qui est la partie où il devient


navigable, pouvaient sans obstacle sérieux pénétrer jus-
qu'au cœur du continent noir. L'Association internatio-
nale a fondé plusieurs stations au delà du Stanley-Pool.
Pour tenir tête, au besoin, aux indigènes, le célèbre ex-

plorateur américain a cru prudent de faire venir de Zan-


zibar deux ou trois cents hommes bien armés; les cadres
de cette petite troupe ont été formés des survivants des
expéditions précédentes et de quelques compagnons de
Livingstone, de Speke et de Grant.
Il se fait un grand commerce sur cette partie du littoral
Kl
1
1

V?<
AU PAYS DES NEGRES. 145

africain, et un certain nombre de factoreries françaises,


échelonnées sur la rive gauche, y représentent des intérêts
sérieux.
Sur le versant de l'océan Indien, le Zambèse présente
l'apparence d'un magnifique cours d'eau, de plus de
1,600 mètres de largeur; mais il est si peu profond, que
pendant plusieurs mois de l'année, la navigation n'est

permise qu'à des canots d'un faible tirant d'eau. A son


embouchure, la côte, couverte de palétuviers, a un aspect
lugubre; une barre formidable, sur laquelle vient se
briser un violent ressac, ne permet pas de considérer le

Zambèse comme une grande voie commerciale.


En remontant le fleuve et pendant les cent premiers
milles qu'il parcourt, le pays a un aspect des plus mono-
tones. Sur l'une et l'autre rive, s'étend une plaine, cou-
verte d'herbes gigantesques, sans une colline, presque
sans arbres. Le sol ne commence à s'accidenter qu'au
mont Morumbala; alors la végétation prend quelque
force, les arbres se multiplient, les deux rives se bordent

de collines. A la plaine nue et monotone a succédé un


terrain couvert d'une végétation luxuriante. Le sable
blanc des rives fait place à un terrain volcanique; de gros
blocs de basalte forment les bords du fleuve. Dans cette

région, le fleuve commence à être pointillé d'îlots, cou-


verts d'une magnifique verdure.
La cataracte de Gogna, en aval des rapides de la Si-
toumba, interrompt la navigation du Zambèse. Il faut

alors transporter par terre les canots jusqu'à un endroit


nommé le Mamoungo. y a encore d'autres cataractes et
Il

d'autres rapides, jusqu'à la grande chute de Mosi-oa-


Tounia (la fumée qui monte), nommée par Livingstone
cascade de Victoria; « une auge, une crevasse gigantes-
iy
14b AU PAYS DES NEGRES.

que, » selon l'expression du major Pinto. C'est un abîme


profond par lequel le Zambèse se précipite, sur une lar-
geur de plus de 1,800 mètres.
D'après la relation du major Serpa-Pinto, le Zambèse
se jette dans la crevasse qu'il rencontre par trois cata-
ractes grandioses : le courant est divisé en trois bras par
deux grandes îles. La chute perpendiculaire est de 80 mè-
tres. L'une de ces îles est couverte de la végétation la
plus riche. La chute la plus petite est aussi la plus belle
« ou, à dire vrai, elle est la seule qui soit belle, car pour
tout le reste Mosi-oa-Tounia n'est qu'une sublime horreur.
Ce gouffre énorme, noir comme le basalte où il est béant,
sombre à cause de l'obscurité du nuage qui l'enveloppe,
s'il eût été connu aux temps bibliques, eût été pris pour
l'image des régions infernales, pour un enfer d'eaux et de
ténèbres plus redoutable peut-être que celui de feu et de
lumière... Parfois, quand l'œil pénètre jusqu'aux profon-
deurs, à travers le brouillard éternel, il aperçoit une
masse aux formes confuses, pareilles à des ruines aussi

vastes qu'effroyables. Ce sont des pics de rochers d'une


hauteur énorme, sur lesquels l'eau qui les fouette se con-

vertit en une nuée d'écume (1). »

Aux environs de cette chute, le Zambèse est parsemé


d'îles verdoyantes et fleuries. Les eaux transparentes
prennent une teinte Tert glauque ; çà et là, des crocodiles
et des hippopotames gigantesques émergent et replongent

parmi les ondes rapides.


Dans sa traversée du Barozé, le fleuve, lors de la saison

des pluies, inonde la plaine, qui a une étendue de plus


de 50 kilomètres.

(1) Comment j'ai traversé l'Afrique.


I
AU PAYS DES NÈGRES. 149

Des colonies portugaises occupent le cours inférieur du


Zambèse. Elles se composent généralement de sangs-mê-
lés, gens d'une santé languissante, d'un aspect grossier

IIP*

"*V

Fig. 51. — Guerrier Touareg.

et plus ou moins engagés dans le trafic des esclaves.

En fait de montagnes, — nous ne nous occupons, qu'on


ne l'oublie pas, que de la partie inexplorée ou peu connue
150 AU PAYS DES NEGRES.

de l'Afrique, — les cimes neigeuses du Kilima-Ndjaro et

du mont Kénia, situées dans le pays des Masaïs, non


loin de l'océan Indien, marquent les points les plus élevés

dans l'état actuel de nos connaissances sur ce continent.


Ces géants africains, suivant le baron deDecken, n'au-
raient pas moins de 20,000 pieds de hauteur. « Le ciel
était clair, » dit-il, « je pus voir en plein la montagne de

neige; elle semblait un mur gigantesque, sur le sommet


duquel j'aperçus deux tours immenses. Ces deux tours,
placées à peu de distance l'une de l'autre, donnent à la
montagne un aspect imposant, qui me jeta en de profon-
des rêveries. Le Kilima-Ndjaro a un sommet en forme de
dôme, mais le Kénia a la forme d'un toit gigantesque, sur
lequel ces deux tours se dressent comme deux énormes
piliers qui, sans aucun doute, sont vus par les habitants

des contrées avoisinant les latitudes septentrionales de


l'équateur. »

Il existe, en Afrique, beaucoup de vastes étendues aban-


données à la solitude. Ce continent a ses savanes comme

le Nouveau Monde. Couvertes pendant la saison pluvieuse


d'herbes serrées et dures qui atteignent jusqu'à un ou
deux mètres de hauteur, elles présentent de loin l'aspect
de verdoyants pâturages parsemés de place en place de
,

points noirs formés par des arbres, le plus souvent —


quelques baobabs isolés, ou des bouquets de palmiers.
Elles sont alors peuplées de myriades d'animaux de toutes
sortes. A la saison sèche, les herbes jaunissent et les
Noirs les brûlent, afin de repousser les fauves, les ser-

pents, et de détruire les insectes malfaisants.


Quant aux véritables déserts, les déserts de sable, ils
occupent une large place sur le sol africain. Les princi-
paux sont le Sahara au nord et au centre, le désert de
AU PAYS DES NEGRES. 151

Libye à l'orient, et le désert de Kalahari dans la région


australe.
Le Sahara et le Kalahari n'ont pas toujours été les dé-

sertsqu'on voit aujourd'hui. Ces contrées étaient autrefois


sillonnées de fleuves et de rivières et parsemées de lacs,
dont il ne reste plus que les lits et
ou les les coquilles

ossements des animaux qui vivaient dans leurs eaux.


D'anciennes traditions permettent de croire qu'à une
époque impossible à préciser, le Sahara tout entier était
recouvert par une expansion des eaux de la Méditerranée.
Ces eaux, contournant la chaîne de l'Atlas, seraient allées
se joindre, d'un côté à celles de l'océan Atlantique, de
l'autre peut-être à celles de la mer Rouge, avant que le

Nil, étendant ses alluvions, eût donné naissance au sol


de la basse Egypte. De cette manière, la partie la plus
septentrionale de l'Afrique proprement dite, ou patrie des
Noirs, se serait trouvée reculée bien loin vers l'équateur.
Dans le Sahara se trouvent encore de vastes dépres-
sions naturelles, sortes de lacs salés aujourd'hui desséchés
que Ton appelle chotts. Le commandant Roudaire a pour-
suivi, pendant plusieurs années, le projet d'utiliser les

chotts de Rharsa et de Melrin, situés au sud de l'Algérie


et de la Tunisie, pour créer une mer intérieure, capable
de métamorphoser d'une manière très avantageuse les
conditions générales de cette partie du grand désert afri-
cain. Le golfe de Gabès mettrait les chotts en communi-
cation avec la mer au moyen d'un canal. Ce projet, re-
poussé une première fois par une commission nommée
par le gouvernement français, est devenu l'objet de nou-
velles études, et l'Académie des sciences, sur l'initiative

de M. de Lesseps, l'a pris en considération.


Deux populations distinctes habitent le Sahara ; l'une
152 AU PAYS DES NEGRES.

sédentaire, ayant des centres fixes dans des villes ou vil-


lages (ksour) aux endroits où l'eau permanente a permis
de s'établir, l'autre nomade, vivant sous la tente c'est :

la race des Arabes conquérants.


Quand on pénètre dans le Sahara par l'Algérie, on

traverse d'abord des montagnes. Au fond des ravins,


l'eau court au milieu des lauriers-roses. Les pentes de
toutes les hauteurs sont entièrement couvertes de brous-
sailles et leurs sommets, couronnés de chênes verts, de
chênes-lièges et d'arbres résineux. Ily a même là des
forêts de palmiers; puis après les montagnes, ce ne sont
plus que des rangées de collines encore broussailleuses
ou couronnées de quelques pins rabougris; accidentel-
lement, on y voit deux ou trois figuiers et autant de
lentisques.

Bientôt, sous l'éclat du jour, sous l'action du soleil

sur une terre ardente, apparaît le véritable désert, annoncé


par les brises chaudes. Les dattiers ondoient avec des
rayons d'or dans leurs palmes. Des plaines succèdent à
des plaines; plaines unies, marécageuses, plaines sa-
blonneuses, terrains secs et pierreux, plaines onduleuses
hérissées d'alfa, quelques palmiers çà et là, et dans le

sud-est, enfin, une plaine indéfiniment plate, le « Pays


de la soif ».

C'est un pays « tout de terre et de pierres vives »

dit le peintre Fromentin , « battu par les vents arides

et brûlé jusqu'aux entrailles, une terre marneuse,


polie comme de la terre à poterie, presque luisante à
l'œil tant elle est nue, et qui semble, tant elle est

sèche, avoir subi l'action du feu, sans la moindre


trace de culture, sans une herbe, sans un chardon; —
des collines horizontales qu'on dirait aplaties avec la
AU PAYS DES NÈGRES. 153

main ou découpées par une fantaisie étrange en dente-


lures aiguës, formant crochet, comme des cornes tran-

chantes ou des fers de faux au centre, d'étroites vallées,


;

aussi propres, aussi nues qu'une aire à battre le


grain;

hij}. b-1. — Capitale des Beni-.Mzab.

quelquefois, un morne bizarre, encore plus désolé, si

c'est possible, avec un bloc informe posé sans adhé-


rence au sommet, comme un aérolithe tombé là sur un
amas de silex en fusion; — et tout cela d'un bout à
l'autre, aussi loin que la vue peut s'étendre, ni rouge,
20
154 AU PAYS DES NEGRES.

ni tout à fait jaune, ni bistré, mais exactement couleur


de peau de lion. »

Il faut qu'on nous permette de citer encore une ma-


gnifique page (Y Un Été dans le Sahara. C'est un pas-
sage pour lequel M. Fromentin a mieux fait peut-être
avec des mots qu'il n'eût pu le faire avec sa riche pa-
lette.

Il y a une heure au milieu du jour « où le désert se

transforme en une plaine obscure. Le soleil, suspendu


à son centre, l'inscrit dans son cercle de lumière dont
les rayons égaux le frappent en plein, dans tous les sens
et partout à la fois. Ce n'est plus ni de la clarté ni de
l'ombre; la perspective indiquée par des couleurs fuyantes
cesse à peu près de mesurer les distances; tout se couvre
d'un ton brun, prolongé sans rayure, sans mélange; ce
sont quinze ou vingt lieues d'un pays uniforme et plat
comme un plancher. Il semble que le plus petit objet
saillant y devrait apparaître; pourtant on n'y découvre
rien; même on ne saurait plus dire où il y a du sable,
de la terre ou des parties pierreuses, et l'immobilité de
cettemer solide devient alors plus frappante que jamais.
On se demande en le voyant commencer à ses pieds
puis s'étendre, s'enfoncer vers le sud, vers l'est, vers
l'ouest, sans route tracée, sans inflexion, quel peut être
ce pays silencieux, revêtu d'un ton douteux qui semble
la couleur du vide; d'où personne ne vient, où personne
ne s'en va et qui se termine par une raie si droite et
si nette sur le ciel; — Tignoràt-on, on sent qu'il ne finit

pas là et que ce n'est, pour ainsi dire, que l'entrée de


la haute mer.
« Alors, ajoutez à toutes ces rêveries le prestige des
noms qu'on a vus sur la carte, des lieux qu'on sait
AU PAYS DES NEGRES. 155

être là-bas, dans telle ou telle direction, à cinq, à dix,


à vingt, à cinquante journées de marche, les uns connus,
les autresseulement indiqués, puis d'autres de plus en
plus obscurs —
d'abord, droit en plein sud, les Benj-
:

Pig. 53. — Camp des Chauibaas, pies Ouaiyla.

Mzab, avec leur confédération de sept villes, dont trois


sont, dit-on, aussi grandes qu'Alger, qui comptent leurs
palmiers par cent mille et nous apportent leurs dattes
les meilleures du monde; puis les Chambaas, colporteurs
et marchands, voisins du Touat; — puis le Touat, im-
mense archipel saharien, fertile, arrosé, populeux, qui
156 AU PAYS DES NÈGRES.

confine aux Touaregs; puis les Touaregs, qui remplis-


sent vaguement ce grand pays de dimension inconnue
dont on a fixé seulement les extrémités, Tembektou et

Ghadmès, Timimoun et le Haoussa; puis le pays nègre


dont on n'entrevoit que le bord; deux ou trois noms de
villes, avec une capitale comme pour un royaume; des

lacs, des forêts, une grande mer à gauche, peut-être de


grands fleuves, des intempéries extraordinaires sous l'é-

quateur, des produits bizarres, des animaux monstrueux,


des moutons à poils, des éléphants, et puis quoi? plus
rien de distinct, des distances qu'on ignore, une incer-
titude, une énigme. »

Le désert de Libye a quelques-uns des aspects dt


Sahara. Dans les parties montagneuses, de nombreux
défilés coupent dans toutes les directions les hauteurs
rocheuses qui ressemblent à une agglomération de formes
coniques; les gorges qui les séparent présentent un fond
nivelé par les sables que les vents y accumulent. Des
carcasses d'animaux et souvent des corps humains indi-

quent les routes suivies par les caravanes. Ces tristes


restes, desséchés dans une atmosphère embrasée, sont
momifiés, durcis, et non décomposés.
Le désert de Kalahari occupe une très grande place
dans l'Afrique australe. Voici ce qu'en dit le major

Serpa-Pinto, qui en a traversé une partie : « La nature


semble s'être complu à y mettre en juxtaposition les

éléments les plus discordants. Ici, la forêt luxuriante

longe la plaine sèche et stérile; le sable mobile et délié


est continué par l'argile dure; la sécheresse succède à
l'eau. Ce désert ressemble tour à tour au Sahara, aux
pampas d'Amérique et aux steppes de Russie; il est

élevé d'un millier de mètres au-dessus du niveau de


AU PAYS DES NÈGRES. 157

l'Océan; irais le phénomène le plus extraordinaire qu'il

-
X

Fig. 5». — Paysage dans l'Ile de San-Thomé (golfe de Guinée).

présente est encore grand Macaricari ou le grand étang


le

salé, bassin énorme dont la longueur varie entre 220 et


280 kilomètres. »
1^ AU PAYS DES NEGRES.

Au nord du Kalahari et entre ce désert et le Zam-


bèse, se trouve le désert de moindre étendue qui figure
sur les cartes de Serpa-Pinto sous le nom de Baines.
Ces deux déserts sont séparés par de vastes marais sa-
lés. Le désert de Baines est occupé en partie par une
forêt d'une puissante végétation, avec un sous-bois
épineux qui obstrue tout passage. « En général, » nous
apprend le major Pinto, « la flore de la région est lé-

gumineuse et compte une immense variété d'acacias.


Les fleurs des tons les plus divers et les plus brillants,
des formes les plus délicates et les plus charmantes, en
même temps qu'elles réjouissent la vue, remplissent
l'airde leurs parfums délicieux. »
Dans ces déserts de l'Afrique australe, des espèces
d'ouragans, ou trombes minuscules d'un rayon de 4 à
5 mètres, sévissent sur leur passage avec une violence
incroyable. La trombe fait sa trouée et enlève à une
hauteur prodigieuse un tourbillon de feuilles, d'arbustes

arrachés et de grosses branches fracassées.


Les rivages africains ont leur puissante originalité.
Nous avons montré les embouchures des grands fleuves,

les barres qui les ferment pour la plupart, les raz de


marée ou le ressac. Le Cap, pays anglais actuellement,
demeurant par ce fait en dehors de notre sujet* nous
ne donnerons qu'un rapide souvenir aux dangers de la
navigation vers ces parages lointains, dans ces temps
d'une science maritime incertaine, qui exigeaient la

hardiesse d'un Vasco de Gama pour doubler le cap des


Tempêtes, devenu depuis le cap de Bonne-Espérance : le

géant Adamastor, conçu par le génie poétique du Ca-


moëns, serait du reste une réminiscence littéraire quel-

que peu déplacée ici. Le « fantôme épouvantable » sorti


AU PAYS DES NEGRES. 199

menaçant du sein des flots avec « sa taille gigantes-


que, ses membres égalant en grandeur l'énorme colosse
de Rhodes, son front chargé d'orages, sa barbe hérissée,
ses yeux étincelants, son regard horrible, sa chevelure
épaisse et limoneuse, » n'est plus qu'un épouvantail de
poème épique : on va de Southampton à Cape-Town en
quelques semaines.
Quant aux îles de l'Afrique, elles sont pour la plupart

colonisées par des gouvernements européens ; nous n'en


dirons rien, si ce n'est que la nature de leur sol parti-
cipe directement de la région continentale voisine. Ainsi,
l'archipel de Guinée, — l'île du Prince, San-Thomé,
Fernando-Po, etc., — placé sous l'équateur, se fait re-

marquer par la végétation vigoureuse de l'Afrique équa-

toriale, et le pic de Clarence, couvert de forêts, s'élève


en face du pic grandiose des Camarones, situé non loin
du rivage africain; San-Thomé présente une ligne de
montagnes profusément boisées, ayant pour tète un pic
qui se dresse à plus de 2,000 mètres.
Y.

Le Kordolan. — L'oasis de Kagmar. — Lrs galeries du pays des Niams-


« «

Kiams. — La région des — Les jungles. — Les plateaux intérieurs. —


lacs.

L'Ouadaï. — Le Tchad. — Le pays des diamants.


lac

Le trait le plus saillant de la structure générale de


l'Afrique, c'est l'imperfection de sa charpente monta-
gneuse, assez connue actuellement pour qu'on en puisse
saisir les caractères généraux.
Le versant de la Méditerranée s'étend par l'Egypte,
la Nubie et la moitié de un peu au
la région des lacs,

delà de l'équateur. Ses bassins principaux sont ceux du


Nil et des affluents de ce grand fleuve. Ce versant re-
cueille les eaux du massif montagneux de l'Abyssinie,
et, sous le nom de désert de Lybie, enlève au Sahara sa
partie orientale.
Les plateaux de l'Afrique intérieure sont sans écoule-
ments connus. Ils commencent derrière l'Atlas, englo-
bent à peu près tout le Sahara, et du Soudan une partie
dont le lac Tchad forme le centre.

Le versant de l'Atlantique prend une portion du Sahara,


le long du littoral, du Maroc au Sénégal; il possède les

vastes bassins du Niger et du Congo, avec les monts de


Kong, et s'étend, par conséquent, dans les deux Guinées,
ainsi que fort avant dans la région équatoriale ; on sait

que les eaux de quelques-uns des grands lacs découverts


de notre temps ne vont pas au Nil, mais se dirigent vers
AU PAYS DES NEGRES. 161

l'occident. Ce même versant de l'Atlantique s'étend en-


core, au sud, jusqu'aux pays des Cafres et des Hottentots;

il trouve sa limite au Cap même.


Enfin, le versant de l'océan Indien occupe la plus
grande partie de l'Afrique australe, avec le Zambèse et le
Limpopo pour principaux fleuves et les Draken pour
montagnes. Ce versant s'empare de la côte jusqu'au
golfe d'Aden.
Ajoutons pour mémoire le versant de la mer Rouge,
qui n'est autre chose que l'étroite pente orientale des
monts arabiques.
Nous avons déjà indiqué en quelques traits les carac-

tères des paysages que présentent les deux rives du Nil et

des grands cours d'eau qui viennent s'y déverser. Les


sables, au milieu desquels coule le puissant fleuve, ne
sont souvent que des déserts; ils en ont la morne et

désolante étendue, le sol brûlant, les plantes rares; l'eau

y est plus rare encore; les vents chauds les balayent; enfin,

— heureusement cette fois comme dans les déserts, — on


y rencontre ces îlots de verdure et de fraîcheur, ces oasis
qui sont un refuge, un port de salut pour les caravanes
exténuées.
Le Kordofan présente un vaste plateau, où l'on ne trouve
nulle part de cours d'eau permanent les khor sont des:

torrents, qui coulent pendant la saison sèche. Mais l'eau


dort presque partout à peu de profondeur sous la surface
du sol, et les arbres de l'Afrique tropicale ne manquent
pas absolument dans le Kordofan.
Au milieu du Kordofan, Kagmar est une oasis char-

mante dans un désert aride. « L'œil fatigué des sables


brûlants, » dit un voyageur, « se repose avec délice sur

ce qui semble être une grande prairie serpentante, d'un


21
1G2 AU PAYS DES NEGRES.

vert d'érneraude. Pendant quatre mois, cette prairie est

un lac ; le reste de Tannée, l'eau se trouve très près de

la surface du sol, et on l'y puise dans plus de deux cents


trous qui se trouvent au bord de la zone de verdure.
Tous les jours on y voit des milliers de chameaux qu'on
mène s'y abreuver de tous les déserts environnants.
Aussitôt que quelques centaines de ces animaux s'en vont,
ils sont immédiatement remplacés par d'autres, et con-
tinuellement on a sous les yeux le spectacle de 4 à 5,000
chameaux couvrant un espace de vingt à trente arpenls
de terrain. De grands troupeaux de bœufs, de chèvres
et de moutons viennent aussi s'abreuver à ces puits pré-
cieux. Sur les bords de la tache de verdure, on voit une
douzaine de palmiers dattiers et autant de palmiers doûm,
ainsi que quelques figuiers. Ici, les habitants, qui sont

des Quabâbichs, cultivent le doukhn, le blé, le coton, la


bàmia. Des myriades d'oiseaux, d'espèces variées, parmi
lesquels prédomine la cigogne noire et blanche, contri-
buent à animer le paysage. »

En pénétrant sous l'équateur, la verdure et l'eau sont


de moins en moins rares. L'un des affluents de droite du
Nil, —
la droite du voyageur qui remonte le cours du

fleuve, — nous conduit presque au cœur de l'Afrique,


aux pays des anthropophages Niams-Niams et Mombout-
tous.
Le pays des Niams-Niams, bien que situé à 2,000 pieds
au-dessus du niveau de la mer, est rempli de sources
vives, créant des rivières sans nombre profondément
encaissées. La végétation est incroyablement puissante.
A la flore de l'équateur s'ajoutent les plantes qui, au
nord de cette contrée, sont brûlées par la sécheresse.
i Pas une vallée, pas un ravin », dit Schweinfurth, « où
AU PAYS DES NÈGRES. 165

ne déborde en tout temps le luxe des tropiques. » Les


bandes de terre qui séparent les rivières sont envahies
par des buissonnants; les arbrisseaux y sont dis-
taillis

tribués comme dans un parc, alternant avec des plantes


à grand feuillage.
Au bord des cours d'eau, croissent en lignes épaisses
des arbres énormes, plus élevés que tous ceux que le
voyageur, se dirigeant vers les sources du Nil, a pu voir
jusque-là, sans excepter les palmiers d'Egypte. Ils abri-
tent des arbrisseaux dont les cimes s'échelonnent sous le

feuillage. « Vus du dehors, » dit le voyageur cité plus


haut, « ces bois ressemblent à un mur de feuillage :

l'enceinte franchie, vous vous trouvez dans une avenue,


ou plutôt dans un temple dont la colonnade soutient la
triple Les piliers de cette nef ont, en moyenne,
voûte.
100 pieds de hauteur, les plus bas arrivent à 70. Des
« galeries » moins grandes s'ouvrent à droite et à gau-
che, et donnent accès à des bas côtés, remplis, coram s

l'avenue principale, des murmures harmonieux du feuil-

lage. » Des arbres géants forment la voûte.

Les palmiers, « ces princes du monde végétal, » n'ont


de représentant ici que parmi les plantes inférieures. Il

y a aussi les espèces à grandes feuilles, les buissons épi-


neux partout des
;
lianes s'élançant de branche en branche
suspendent leurs festons et leurs girandoles.

« De tout cela résulte un sous-bois qui se ramifie, se


mêle, s'enlace, et dont l'énormité du feuillage rend plus
épaisse l'ombre verte de la « ». Enfin, près du
galerie
sol, tous les vides sont remplis par un fourré souvent
inextricable; surtout par des jungles d'amomes et de
cactus d'une hauteur de 15 pieds et dont les tiges pressées
et rigides vous arrêtent, ou ne vous livrent passage que
166 AU PAYS DES NEGRES.

pour vous faire tomber dans le marais d'où elles s'élè-

vent. Des fougères merveilleuses, non pas arborescentes,


mais ayant des feuilles qui parfois atteignent de 12 à 15
pieds de longueur, et qui, par leur délicatesse, forment
le plus ravissant contraste avec le feuillage massif des
alentours, jettent sur les plantes basses le voile si varié

de leurs frondes, tandis qu'une autre fougère, l'oreille


d'éléphant, attache ses nœuds à 50 ou 60 pieds d'éléva-
tion, en compagnie de l'angréca et des longues barbes
grises de l'usnée. Les troncs d'arbres que ne surchargent
pas les fougères de différentes espèces sont entourés, pour
la plupart, des grappes de corail du cubèbe.
« Aussi loin qu'il puisse atteindre, l'œil n'aperçoit que
verdure. Les étroits sentiers qui se dérobent sous les
fourrés, ou qui les tournent, sont composés de marches,
formées par les racines nues et saillantes qui retiennent la

terre spongieuse. Des troncs d'arbres couverts de mousse,


et plus ou moins vermoulus, vous arrêtent à chaque pas.

Ce n'est plus la chaleur des steppes inondées de soleil,

ni l'air des bosquets ombreux ; c'est l'atmosphère étouf-


fante d'une serre chaude : pas plus de 25 à 30 degrés;
mais d'une chaleur moite, saturée d'eau par l'exhalation
du feuillage, et à laquelle on est heureux d'échapper.
Tout d'abord, l'ami des jardins est ravi la disposi-
. « :

tion des groupes n'est pas moins artistique que la végé-


tation est splendide; mais les cris des oiseaux, l'activité
exaspérante des insectes, la prodigieuse quantité de four-
mis d'espèce minuscule, fourmis qui pleuvent de toutes
les branches, de toutes les feuilles, sur l'envahisseur de
leur domaine, gâtent bientôt votre extase. Et cependant,
si l'on persévère, la majesté du lieu finit par dominer; un
calme solennel couvre tous les bruits ; à peine si le mur-
AU PAYS DES NEGRES. 167

mure du feuillage pénètre dans l'ornore qui vous entoure.


Des quantités de papillons, d'un jaune brillant pour la
plupart, animent le repos de cet océan de verdure, et font
oublier le manque de fleurs. »

L'aspect du pays s'embellit encore lorsqu'on pénètre


au sud-est chez les Mombouttous. A la végétation du

Fig. 56. — village près de Ganda.

pays des Niams-Niams se mêlent des bosquets de bana-


niers et de palmiers élaïs d'une beauté sans pareille.
Revenons vers le cours du Nil, et entrons dans la région
des lacs.
Le Ganda ou l'Ouganda est situé entre le lac Albert et
Le pays est mollement ondulé. Des mon-
le lac Victoria.

tagnes s'y dressent, couronnées de la végéxation la plus


variée; les jardins sont cultivés avec soin. Des chemins
larges et bien entretenus relient entre eux des villages,
168 AU PAYS DES NEGRES.

dont les huttes sont d'une remarquable propreté. Le


Ganda est borné au sud par le lac Victoria, dont les rives

offrent de grandes beautés de paysage.


Dans le Karagoué, qui contourne le lac Victoria à l'oc-

cident, se dressent les. montagnes de la Lune. Sur de


hautes pentes, couronnées de fourrés d'acacias, naît une
épaisse végétation. L'opulente vallée d'Ouzenga, entourée
de collines tapissées d'herbages, et s'élevant à plus de
300 mètres, y est plantée de grands et beaux arbres par-
tout où ne s'étend pas la culture du bananier.
Les sources thermales de Mlagata sont vantées dans la

région pour leurs propriétés curatives. Stanley a visité


la gorge profonde et boisée où sont les sources, et où
croissent avec une variété surprenante toutes sortes d'ar-
bres, de plantes, d'herbes et de broussailles. Les végé-
taux, serrés les uns contre les autres, s'y étouffent faute
d'espace. Des collines entières semblent n'être qu'une
seule et immense plante aux feuillages divers. Au mo-
ment de l'arrivée de l'explorateur américain, de nombreux
malades faisaient leur cure à ces sources; tous, femmes
et hommes, confondus ensemble, demeuraient couchés,

à moitié endormis, dans les mares d'eau chaude.


Un peu au sud de Karagoué, se trouvent les vallées

du Soui, à la végétation luxuriante. Là, se voit une sorte


de palmier appelée pandana, des bananiers en grand
nombre, de vastes plants d'indigo sauvage. Quelques
montagnes rougeâtres, aux sommets dénudés du haut en
bas par de longues traînées blanches, dominent le pays.
Plus loin, vers l'est,du milieu des terres cultivées, s'é-
lèvent des collines aux croupes rondes, en partie défri-
chées, en partie recouvertes dé broussailles. On y dis-

tingue à peine de petits villages à huttes gazonnées,


AU PAYS DES NEGRES. 169

cachés au milieu de vastes plantations de bananiers. Le


bétail abonde dans cette riche contrée.
Les vallons de rOunyamouézi sont séparés, l'un de
l'autre, par une suite d'éminences granitiques, qui s'é-

lancent, avec des formes pittoresques, en vastes dômes,


en blocs puissants et bizarrement entassés.
« Il y a, »

dit Burton, peu de scènes plus douces à contempler


«

qu'un paysage de l'Ounyamouézi, vu par une soirée de


printemps. A mesure que le soleil descend à l'horizon,
un calme d'une sérénité indescriptible se répand sur la
terre; pas une feuille ne s'agite, l'éclat laiteux de l'at-
mosphère embrasée disparaît : le jour qui s'éloigne en
rougissant couvre d'une teinte rose les derniers plans du
tableau, que le crépuscule vient enflammer; aux rayons
de pourpre et d'or succède le jaune, puis le vert tendre
et le bleu céleste, qui s'éteint dans l'azur assombri. »

Dans toute la partie orientale de ce pays, se révèlent


des preuves nombreuses de l'action plutonienne ; elles
s'étendent au nord jusqu'aux rives
du Tanganyika. Les
roches légèrement bombées qui surgissent du sol ont
parfois quelques mètres de tour, d'autres fois des cen-
taines de mètres ; forment des groupes, des allées.
elles

De ces roches, il y en a quelques-unes droites et minces,


plantées comme les quilles d'un jeu de géant. Couronnées

de cactus, zébrées de noir par les pluies, envahies par les


plantes grimpantes, ces masses granitiques donnent au
paysage son originalité.
La saison des pluies commence plus tôt dans l'Afrique
centrale que sur la côte de Zanguebar et de Mozambique :

elle débute par des orages d'une violence extrême. Des


éclairs aveuglants s'entre-croisent pendant des heures,
tandis que les roulements continus du tonnerre ébranlent
170 AU PAYS DES iNEGRES.

toutes les parties du ciel à la fois. Si à la pluie doit se


mêler de la grêle, un grondement se fait entendre, l'air

se refroidit brusquement, et des nuages d'un brun violet

répandent une étrange obscurité. Les vents se répondent


des quatre coins de l'horizon, et l'orage se précipite vers
les courants inférieurs de l'atmosphère.
Le désert qui sépare l'Ounyamouézi de l'Ougogo a reçu
des indigènes le nom de plaine embrasée; actuellement,
on le traverse en une semaine. C'est un plateau brûlant,
s'étendant de l'est à l'ouest, et dont la largeur est de
plus de 200 kilomètres. Aux gommiers et aux mimosas
se mêlent le cactus, l'aloès, l'euphorbe, une herbe rigide,

que broutent les bestiaux quand elle est verte, et que


brûlent les caravanes quand elle est sèche, pour favoriser
la pousse nouvelle. A l'époque des grandes chaleurs, les
animaux que la soif fait beaucoup
souffrir, tels que les

éléphants et les buffles,


y meurent en grand nombre.
Dans cette partie de l'Afrique, les routes, on le soup-
çonne bien, n'existent pas. Les plus fréquentées, au rap-
port de Burton, ne sont que des pistes de 20 ou 30 cen-
timètres de large, et qui reverdissent et s'effacent pendant
la saison des pluies. Au milieu de la plaine, le sentier se

divise en quatre ou cinq lignes tortueuses; dans les

jungles, il disparaît sous une voûte d'arbustes épineux;


près des villages, il est fermé par une haie d'euphorbe,
ou un amas de fascines. Dans les espaces libres, ce sentier
se traîne parmi les grandes herbes, traverse des maré-
cages, des rivières au lit vaseux, où l'on a de l'eau jus-
qu'aux aisselles. Tantôt il disparaît au fond d'un ravin,
ou s'arrête net en face de montagnes abruptes; il se

transforme alors en une échelle de racines et de quartiers


de roche, interdite, on le comprend, aux bêtes de somme.
AU PAYS DES NEGRES. 171

En venant de Zanzibar
vers rOunyarnouézi, « \e

chemin, » dit Burton,


« perce des halliers, par-
court des forêts, où les

fondrières l'interrompent,
et où la plupart du temps
on ne le reconnaîtrait plus
sans les arbres écorcés
ou brûlés qui en marquent
les bords. Dans l'Ouvinza
et près de l'Oudjiji, la

piste cumule tous les in-

convénients à la fois :

ruisseaux , ravins , hal-


liers, grandes herbes, ro-
chers à pic, marais, cre-
vasses et cailloux. On ne
sait laquelle choisir des
voies transversales qui
s'entrecroisent dans les

endroits habités; mais où


elles n'existent pas, la
jungle est impénétrable,
et le conseil donné au
voyageur, de préférer les
lieux élevés pour y cam-
per le soir, devient une
ironie dans cette partie
de l'Afrique; il lui serait
plus facile de se creu-
ser un terrier que de s'ou-
Fig. 3". — Euphorbe.
172 AU PAYS DES NEGRES.

vrir un chemin dans ce réseau d'épines et de troncs


d'arbres. »

Sur la limite de cette contrée centrale, est un vaste


plateau, le pays des Masaïs. Il s'y trouve çà et là quelques
dépôts salins et de petits lacs, dont les eaux sont sau-
mâtres; il est terminé à l'occident par une chaîne de
montagnes, qui y déroule ses anneaux en face des mon-
tagnes de la Lune.
La partie orientale de cette chaîne appartient au ver-
sant de l'océan Indien. Les monts Kénia et Kilima-Ndjaro
se. détachent, par leur majestueuse hauteur, de cette
longue chaîne, qui court parallèlement au littoral le plus
proche.
Entre le Kordofan et le Darfour, se trouve la ligne de
partage des eaux, celles du versant de la Méditerranée
et celles des plateaux du centre de l'Afrique. De ces eaux,
les unes sont donc destinées à grossir le Nil; les autres
vont alimenter le lac Tchad.
Les plateaux intérieurs s'ouvrent à nous. Le pays,
situé à l'orient, est d'abord montueux, l'eau n'y est pas

trop rare, la végétation y montre quelque vigueur. Nos


dernières informations sur cette contrée, nous les possé-
dons grâce à l'exploration du docteur Pellegrino Matteucci.
Le voyageur italien a réussi à traverser l'Afrique, depuis

la mer Rouge jusqu'au golfe de Guinée (1880-81). Disons,


en passant, qu'en visitant le Darfour au lendemain de
l'annexion de cet État par l'Egypte, il trouva la capitale
El-Fascher et les principales villes tombant en ruines.
Dans cette partie peu accessible du continent africain,
se trouve le petit royaume de Tama, situé dans les mon-
tagnes les plus hautes de la région ; les chameaux et les

bœufs de bonne race y abondent.


173
AU PAYS DES NÈGRES.
Euro-
Depuis voyageur allemand Nachtigal, aucun
le
lorsque le docteur
péen n'avait pénétré dans l'Ouadaï
traverser ses campa-
Matteucci obtint la permission de
dont les villages, en-
gnes fertiles mais dépeuplées, et
osier, semblent aban-
tourés de hautes palissades en
donnés.

Fig. 58. — Un marché africain.

du nord, dans les dernières oasis domi-


Si l'on vient
les acacias à épines, les dattiers et les hyphènes. Ce
nent
hauteur,
dernier arbre, qui n'atteint pas une très grande
est remarquable par la façon dont
se bifurquent régu-
gros comme
lièrement le tronc et les branches. Son fruit,
dur que les riverains du Nil
une pomme, a un noyau si

qui l'utilisent le désignent sous le nom d'ivoire végétal.


cha-
Mais la route est encore pénible par les grandes
174 AU PAYS DES NEGRES.

leurs. « Les soirées, heureusement, dédommagent des


fatigues du jour, » dit Nachtigal. « Le vent alors se tait;

le firmament, qu'aucun nuage ne voile, apparaît dans


tout son azur foncé, avec un semis de constellations dont
l'éclat n'a d'égal chez nous que celui qu'offre la voûte
céleste en certaines nuits d'hiver. Un calme profond
plane sur l'aire immense où, toute la journée, on a peiné
en proie aux rafales du vent et aux tourbillons de sables
mouvants; dans l'atmosphère diaphane, les contours des
dunes se dessinent avec une netteté prodigieuse ; çà et
là, sur les pâles croulières, pointe fantastiquement un
rocher ; une strie lumineuse à l'horizon annonce le lever

de la lune dont le globe argenté flotte bientôt dans l'é-

ther, avec une allure si allègre et si gaie, qu'on s'imagine


à tout instant qu'il va se mettre à sautiller par l'espace.
Lumières et ombres, tout enfin revêt des formes tran-
chées, qui prêtent aux reliefs multiformes des dunes je né
sais quelle variété mystérieuse, jointe à des intensités
de clarté comme le soleil n'en pourrait produire. Ce sont
là les meilleurs moments du voyage, et si dans le nord
la nuit n'est point d'ordinaire l'amie de l'homme, au
désert, par le clair de lune, sous la belle coupole d'un
ciel étoile, parmi les fraîcheurs de l'air assoupi, elle a
pour lui un charme indicible. »

Enfin, on sort de la région des sables. Aux dunes suc-


cèdent une vaste plaine ondulée et bientôt une forêt
ciaire d'acacias gommifères, de genêts du désert, de ser-
rans aux branchages feuillus. A tous ces troncs s'enrou-
lent des plantes parasites. « Le sol, » dit le même
voyageur, « est tout jonché de capsules traîtresses, d'ar-
dillons aigus, agressifs, que l'on s'enfonce dans le pied
au passage, tandis que mille fruits à piquants vous
175
AU PAYS DES NÈGRES.
peau. Mais aussi quelle
accrochent par les vêtements et la
et quelle inépuisable ri-
diversité pittoresque de formes
ravissement intérieur on
chesse de couleurs! Avec quel

Fig. 59. — Antilope addax.

fait un con-
contemple ces créations d'une nature qui
traste si saisissant avec le monde
morne et désolé qu'on
laisse derrière soi! De toutes parts,
dans la forêt, réson-
sevrées de ce
naient à nos oreilles, depuis longtemps
concert, des gazouillements d'oiseaux que le renouveau
rendait tout joyeux et dont les nids
encombraient les ar-
fécondité et la grâce. »
bres. Partout débordaient la vie, la
176 AU PAYS DES NEGRES.

Parmi les herbes fourragères et dans les clairières ra-


fraîchies par le voisinage du lac Tchad, les antilopes en

nombre infini, aux cornes en tire-bouchons de près d'un


mètre de longueur, paissent tranquillement, ayant sou-
vent parmi elles l'autruche, leur amie, qui de là s'élance
aux solitudes des steppes.
En cheminant de l'est à l'ouest, à peine est-on entré
dans l'Ouadaï qu'on laisse derrière soi les dernières col-

lines du pays montueux pour entrer dans la vaste plaine

qui s'étend jusqu'à Kano, à 1,400 kilomètres à l'ouest,


et où montagnes et collines ne sont plus que des acci-
dents. C'est dans cette plaine que se trouvent les lagunes
de Fitri, qui attirent une quantité de mouches importu-
nes. Le sol est imprégné d'humidité, et si fertile qu'il pro-
duit deux récoltes par an. Les rivières du pays demeurent
à sec pendant la saison chaude. Le long des rives du
Batha, l'une d'elles, s'étendent des forêts d'arbres gigan-
tesques, dont le soleil a de la peine à pénétrer les masses.
Les lions et les léopards y chassent l'antilope et les ga
zelles. Le palmier doûm fournit aux habitants un fruit,

dont Técorce douce est utilisée par eux en guise de sucre.


Un petit État, le Midogo, dépendant de l'Ouadaï, pos-
sède, à son centre, une montagne, qui s'élève de 600
mètres au-dessus de la plaine unie. Sur la pente méri-
dionale se trouve la capitale du même nom.
A défaut de paysage, car nous ne saurions rien inven-
ter, nous ferons ici un petit tableau de genre. Les habi-
tants de Midogo vont chercher leur eau à des sources
fraîches et cristallines, qui jaillissent dans la montagne
entre d'énormes pierres. Ils atteignent cet endroit en

sautant avec une agilité surprenante de roche en roche,


leur amphore sur la tête. Une quantité de singes, les
AU PAYS DES NEGRES. 177

véritables maîtres du pays, se tiennent pendant le jour


assis sur les roches, regardant ce fourmillement de fem-
mes, d'enfants et d'esclaves qui montent et descendent:
la nuit, ils entrent dans les habitations pour dérober tout
ce qu'ils trouvent à leur convenance.
Le lac Tchad est enfermé dans des rives uniformes,

Fig. 60. — Éléphants au lac Tchad.

ourlées de roseaux. Aux environs, la végétation est


admirable; l'hyphène grandit, le tamarinier apparaît
dans les grandes plaines herbeuses ; la faune se montre
extrêmement riche en oies de toute couleur, canards,
cigognes, hérons, pélicans, en autruches, en singes, en
antilopes, bœufs sauvages, sangliers, en hippopotames,
rhinocéros, en girafes, en lions et même en éléphants.
Des confins du Sahara, des Arabes amènent jusque-là
de magnifiques chevaux.
23
178 AU PAYS DES NEGRES.

Dans le lac Tchad se déverse, venant du sud, le Chari,


fleuve véritable et qui rappelle le Nil; d'autres cours
d'eau lui arrivent de l'ouest. Par contre, naguère encore,
il sortait du lac une nouvelle rivière des Gazelles (Bahr-

el-Ghazal), dont les eaux allaient se perdre dans le dé-


sert, vers le nord ; du Chari ont obstrué le
les alluvions

lit de cette rivière. Le lac Tchad est au centre du Bor-

nou. C'est une nappe immense d'eau, de forme presque


triangulaire, véritable mer intérieure, au milieu d'un
pays très peuplé, où la capitale, Kouka, nous l'avons dit,
ne compte pas moins de 40,000 habitants; un peu plus
loin, Kano en a 50,000.
Les éléphants et les hippopotames se jouent sur les

bords du lac, habités par une population de Noirs pillards,


qui viennent s'embusquer parmi les roseaux de la rive
pour surprendre et attaquer les convois; grâce à leurs
canots, ils se dérobent ensuite rapidement à toute pour-
suite.

Le territoire de Kano, l'un des États haoussas gouver-


nés par le sultan de Sokoto, présente des champs bien
cultivés, se succédant sans interruption; il n'y a plus là
aucun espace désert. Les jardins contiennent beaucoup de
plants d'indigo, de tabac, des oignons, des patates douces
et des tomates. Les baobabs sont nombreux dans cette
région on voit aussi près de la ville des dattiers gigan-
;

tesques. Au sortir de Kano, les cultures cessent; une ré-

gion montagneuse commence, limite des plateaux de


l'Afrique intérieure. La côte occidentale des montagnes
qui enferment le bassin du Niger appartient au versant
de l'Atlantique.
Les lacs équatoriaux, qui n'alimentent point le Nil ou
ses affluents, s'écoulent par le versant de l'Atlantique, en
AU PAYS DES NÈGRES. 179

traversant l'Afrique tout entière, et quelques-uns par le


versant de l'océan Indien. C'est ainsi que nous revenons
à la région des lacs pour en décrire encore quelques
sites.

Au nord-ouest du lac Moëro, de hautes montagnes

Fig. 61. — Un village prés du lac Tchad.

coupent l'horizon. La végétation tropicale pare de ses


profusions toutes les pentes qui s'inclinent vers le lac.
Le Moëro forme avec le lac Bangouelo et le lac Tan-
ganyika le centre d'une région où les sources abondent.
Les tremblements de terre y sont fréquents, et parmi
toutes ces sources il y a des sources d'eau chaude.
Pendant la saison des pluies, en allant du lac Moëro
au lac Tanganyika, la plaine est inondée, et on a souvent
180 AU PAYS DES NEGRES.

de Feau jusqu'à la ceinture. Quant aux sources, Livings-


tone dit qu'il faudrait la vie d'un homme pour comp-
les

ter. En se rendant au lac Bangouelo, il en passa à gué


32 sur un espace de 96 kilomètres, et chacune d'elles

demanda de vingt minutes à une heure pour la traversée


du ruisseau qu'elle forme et du terrain spongieux qui
nourrit ce ruisseau.
En Afrique, il est très rare de voir l'eau sourdre au
pied d'un rocher, comme dans la plupart des pays. L'eau

sort d'un marais, ou, pour parler comme Schweinfurth


et comme Livingstone, d'une « éponge »

Ces éponges, qui se forment dans de légères dépres-


sions du sol dépourvues d'arbres et de broussailles, ne
sont autre chose qu'une terre noire et poreuse, qui se
couvre d'une herbe courte et dure. Cette terre gonflée
d'eau s'étend parfois sur plusieurs lieues, avec une lar-
geur de 1,000 ou 2,000 mètres. Les grandes pluies, lors-

qu'elles tombent sur les forêts, rencontrent un lit de


sable fin et blanc, imperméable, et leurs eaux filtrent

jusqu'à ces terres poreuses qui, alors, s'imbibent. A la

fin de la saison pluvieuse, la pelouse qui couvre ces


terres est entièrement soulevée, bouleversée; entre les
touffes d'herbe espacées entre elles, le sol se montre pro-
fondément détrempé. Cette terre qui retient tant d'eau la

laisse échapper pendant la saison sèche ; elle donne nais-


sance à des ruisseaux, devenant ainsi une véritable
source.
Nous avons dit quelques mots des grands fleuves du
versant de l'Atlantique et des pays qu'ils traversent;
nous n'y reviendrons pas. Signalons toutefois l'aspect
« très européen » d'une terre visitée par Cameron, à
l'ouest du royaume de Biné, la province de Bailounda.
AU PAYS DES NÈGRES. 1S1

Là, toutes les pentes des collines ruissellent de cascades,


qui apportent à une rivière les deux tiers au moins des
eaux qu'elle charrie plus bas et ces cascades sont de
;

l'effet le plus pittoresque. Le voyageur chemine à travers

Fig. 62. — Magnolier.

un des plus jolis pays que l'imagination puisse rêver;


dans toutes les directions, s'élevaient des montagnes aux

gracieux contours, dont plusieurs étaient couvertes d'une


belle végétation de petits mamelons s'y couronnaient
;
de
ombragés d'arbres énormes. « Il faudrait, » dit
villages,
Cameron, « un Longfellow ou un Tennyson pour décrire
182 AU PAYS DES NEGRES.

certains sites de cette région; il faudrait un Claude Lor-


rain ou un Turner pour les peindre. »
Plus près du littoral, dans le Dahomey par exemple, les

palmiers et les cocotiers, dont le stipe élancé ressemble


à de gracieuses colonnes supportant un dôme de verdure,
les énodendrons au tronc colossal, les magnolias, couverts

de larges fleurs blanches embaument l'air; diverses

espèces de mimosa au feuillage élégant, de sombres man-


guiers croissent dans ces forêts, que jamais n'a frappé la

hache. Au-dessous d'eux, protégés par leur ombre impé-


nétrable, enlacés à leurs robustes rameaux, serpentent
des lianes et des convolvulus aux tiges flexibles et canne-
lées. Çà et là enfin, formant de verts tapis , la délicate

sensitive referme ses craintives folioles au moindre frois-

sement du vent.
Rappelons que le versant de l'océan Indien est, en partie,
occupé par le désert de l'Afrique australe.
C'est au sud du Kalahari qui se trouvent les merveil-

leuses mines de diamant, dont la découverte toute fortuite


remonte à 1867. Le pays des Griquas, où sont la plupart
de ces gisements, a vu tout à coup des villes surgir du
sol. Quant au paysage, qu'on imagine, au milieu de ter-

rains brûlés, à la maigre végétation des champs coupés ,

de fosses profondes et de tranchées au bord desquelles


,

des machines amènent entre les mains des Cafres et des


Zoulous, loués comme travailleurs , ces terres ingrates,

4'où peut sortir à tout moment une seconde « Étoile


ie l'Afrique australe », valant, comme la première

300,000 francs.
Plus près de l'équateur et du littoral, la partie inférieure

du bassin de la Rofouma, rivière qui a ses sources dans les

montagnes riveraines du lac Nyassa et son embouchure


AU PAYS DES NÈGRES. 183

dans l'océan Indien, est couverte d'une végétation exubé-


rante de grands arbres, où les lianes comblent le sous-
bois et forment des fourrés impénétrables. Le voyageur
n'y aperçoit le ciel que de loin en loin. Livingstone dut
louer des Noirs pour tailler à coups de serpe dans cette
masse de verdure et percer un tunnel à sa caravane. L&

Fia. 63. — Dans l'Ougogo.

copal y abonde. Ce n'est qu'à mesure que le pays s'élève


que la forêt s'éclaircit.

Alors se développe souvent aux yeux une grande plaine


herbeuse, rayée de cours d'eau ensablés, que bordent des
plantes parfumées. Les endroits arides, montagneux,
sont envahis par les euphorbes vénéneuses aux épaisses
raquettes, par les aloès arborescents aux feuilles acérées.

Le sentier, lorsqu'il y en a un de tracé pour le voya-


geur, se dévide sur des coteaux escarpés, au sol rouge,
184 AU PAYS DES NEGRES.

parsemés de roches, maigrement tapissés d'herbes, et

dont l'aloès, le cactus, l'euphorbe, l'asclépias géant et les

mimosas rabougris annoncent l'aridité ; cependant le bao-


bab s'y montre majestueux, et l'on y voit parfois de beaux
tamarins.
Quand on pénètre dans l'Afrique en passant par Zanzi-
bar et Bagamoyo, on se heurte vite à une chaîne de mon-
tagnes , aux crêtes dentelées : ce sont les montagnes de
FOusagara. Les vents se refroidissent en balayant ces
sommets souvent nuageux, et descendent en rafales gla-
cées dans la plaine. Les forêts couvrent le sol rocailleux

des parties basses de cette chaîne ; et tout ce que le voya-


geur a pu rêver d'horrible sur l'Afrique se réalise là :

c'est une confusion inextricable de buissons épineux et

de grands arbres, couverts, de la racine au sommet, par


de gigantesques épiphytes ; des faisceaux d'herbes tran-
chantes, des réseaux de lianes énormes qui rampent, se
courbent, se dressent dans tous les sens, étreignant tout,
et finissant par étouffer jusqu'au vivace et quasi éternel
baobab.
« La terre, » dit Burton, « exhale une odeur d'hydro-
gène sulfuré, et Ton peut croire, en maint endroit, qu'un
cadavre est derrière chaque buisson. Des nuages livides,
chassés par un vent glacé, courent et se heurtent au-
dessus de vous , et crèvent en larges ondées ou bien un ;

ciel morne étend sur la forêt un voile funèbre ; même par


le beau temps , l'atmosphère est d'une teinte blafarde et
maladive. Enfin, pour compléter cet odieux tableau qui,
du centre du Khoutou se déploie jusqu'à la base des monts
de l'Ousagara, de misérables cases, groupées au fond des
jungles, abritent quelques malheureux, amaigris par un
empoisonnement continu. »
AU PAYS DES NEGRES. 185

Et lorsqu'on a enfin dépassé ces montagnes, on se

trouve encore dans une région aride , trop loin des lacs
pour en ressentir l'influence, sans rivières, avec des sa-
lines vitreuses et des plaines torréfiées, où se produisent
quelques-uns des effets de mirage de l'Arabie déserte ; les

chemins n'y sont que des pistes ; faute de bois , les caba-
nes sont faites d'épines et de chaume, et c'est la bouse de
vache qui sert de combustible. Tel est l'Ougogo.
Dans cette contrée , — au delà de laquelle nous retrou-
vons le versant de la Méditerranée, ses lacs et son Nil
puissant, — le vent du nord, soulevant dans ses tourbil-
lons les molécules argileuses et siliceuses de la terre désa-
grégée par la sécheresse, ainsi que les détritus des plantes
brûlées par le soleil, produit les ravages de la grêle.

24
VI.

La floreet la faune. — La Côle d'Or. — La Guinée méridionale. — Le Sénégal.


— Les baobabs. — L'Afrique australe. — Région du Zambèse supérieur.
— Le Manyéma. — Le pays des Bongos. — Le toucan. — Le haut — Élé- Nil.

phants, hippopotames et crocodiles. — Le bassin du fleuve des Gazelles.


— L'Ounyamouézi. — La mouche tsé-tsé. — L'Ouganda. — Le pays de
Natal. — Les sauterelles. — Le gorille.

Une partie du littoral de la Guinée a reçu le nom de


Côte d'Or, en raison de la richesse de ses sables aurifères.
C'est un pays bas, couvert en grande partie de forêts

sombres, entrecoupé de marais et de jungles. La chaleur


.et l'humidité des régions tropicales y développent partout

une végétation luxuriante. L'arbre à coton, de plus de
50 mètres de hauteur, des bananiers d'une taille gigan-
tesque, la canne à sucre, l'aloès, l'ananas, l'igname, le
manioc, le riz, le maïs, l'arachide ou pistache de terre, le

chanvre indien ou haschich, le tabac, y croissent à l'état

sauvage, avec les bois de teck, de santal, d'ébène; la liane


aux nombreuses capitules de fleurs jaunâtres, s'entre-mêle

dans les forêts à des arbres élevés, tantôt mince et déliée

comme un gros fil, tantôt épaisse comme un câble, droite


comme une lance ou courbée comme un arc, se balançant
aux vents, ou formant des nœuds inextricables. On trouve
parmi ces arbres Yosami, dont les fleurs ont la couleur et
le parfum des lilas, Yokoumé. dans le tronc duquel on
creuse de belles pirogues, et dont les branches fournis-
AU PAYS DES NÈGRES. 187

sent ces torches résineuses si utiles la nuit pour écarter

les bêtes fauves qui rôdent autour des campements.

Fig. 64. — Le cotonnier.

Sur ces rivages au milieu de


, cette puissante végéta-

tion où les jeux et les grimaces des singes mettent une


note gaie, 'les léopards, les lions, les éléphants, les rhino-
céros, des serpents d'une variété infinie, peuplent les
fourrés. Les crocodiles et les caïmans , couchés sous de
188 AU PAYS DES NEGRES.

grands roseaux, surveillent les berges des rivières, et le

requin, aux embouchures des fleuves, dispute à l'indi-


gène le produit de sa pêche.
Au milieu des prairies de la Guinée, croissent des
groupes d'arbres à beurre (Elœis guineense) : c'est le

fruit bouilli de cet arbre qui donne ce beurre végétal, que


l'on commence à utiliser dans l'industrie. On y rencontre
des forêts de palmiers, et parmi les arbres curieux , le

baobab, ce géant végétal, dont le tronc atteint une cir-


conférence d'une vingtaine de mètres, et le sycomore,
dont les figues croissent sur le tronc même, et non à
l'extrémité des branches.
Certaines régions de la Guinée méridionale y donnent
sans travail le cotonnier, le caféier, le tabac et le palma-
Les forêts y rappellent, sous certains rapports
christi.

celles del'Amérique on y trouve le bombax épineux ou


:

fromager et diverses espèces de palmiers, au milieu des-


quels domine l'élaïs; enfin, le palmier nain. Au bord de
l'eau, vit le palétuvier aux racines fantastiques, soute-
nant à quelques mètres au-dessus du sol un tronc propor-
tionnellement grêle et peu élevé, d'où partent des bran-
ches innombrables , couvertes de feuilles d'un vert
sombre; de ces branches retombent jusqu'à l'eau des
quantités d'autres racines adventices, chargées d'appeler
au sommet la nourriture que le véritable tronc ne saurait
laisser passer. Tout cela finit par former une suite d'ar-
cades.
Au Sénégal, dans les bois de l'intérieur, on trouve des
arbres très gros : le caïlcédra, qui fournit un bois très
dur : on fait de très grandes pirogues d'une seule pièce,
creusées dans cet arbre, et des roniers, de la famille des
palmiers.
AU PAYS DES NEGRES. 189

Rien de plus étrange à ce que disent


, les voyageurs,
que l'aspect d'une plaine de baobabs dans cette région.

Ces géants du règne végétal, qui grandissent pendant des


milliers d'années, mais dont on a, cependant, exagéré
beaucoup la grosseur, ont des branches très courtes et,

Fig. 65. — Village de Djoloffs, en Guinée.

pour ainsi dire, pas de feuillage; et si l'on joint à leur

couleur uniforme gris sale, l'absence presque complète de


végétation autour d'eux, on aura une idée de l'aspect

étrange que présente un pareil paysage. Un voyageur a


vu au Sénégal un baobab ,
qui ne comptait encore que
trente siècles d'existence, et qui n'avait pas moins de
58 mètres de circonférence. Sans rien perdre de sa vit?-
190 AU PAYS DES NÈGRES.

lité, son tronc s'était ouvert comme un vieux saule. On y


voyait une grotte de 7 mètres de hauteur et de 6 mètres
de diamètre.
Ces mêmes arbres atteignent aussi, dans l'Afrique aus-
trale, des proportions gigantesques. C'est le lieu de dire
que le baobab paraît doué d'une vitalité merveilleuse. Il

résiste à toutes les entreprises : les indigènes le dépouil-


lent de son écorce pour faire des cordes avec les fibres
qu'elle contient; les atteintes du feu ne l'éprouvent pas ;

il ne souffre pas davantage des dégâts intérieurs, car on


en trouve de profondément creusés et. qui ne s'en portent
pas plus mal. Livingstone a vu un baobab dans lequel
vingt ou trente hommes pouvaient se coucher et dormir
tout aussi à leur aise que dansune hutte. Enfin, chose
extrêmement curieuse! un baobab abattu continue encore
pendant quelque temps de grandir et de grossir. Le même
explorateur a calculé que de vieux baobabs qu'il a vus
pouvaient bien compter pour leur âge les années de l'ère

chrétienne.
Dans certaines parties de l'Afrique australe, l'herbe
pousse par touffes épaisses d'une étonnante vigueur. Dans
d'autres endroits , la terre est envahie par des plantes à
tiges rampantes , assez fortes pour suspendre la marche
des sables, l'envahissement du désert. La plupart de ces
plantes sont des racines tuberculeuses et fournissent à la
fois un aliment et un liquide à l'époque des grandes sé-
cheresses, où l'on chercherait vainement ailleurs de quoi
apaiser la faim et la soif. Il y a de ces tubercules qui at-
teignent la grosseur de la tête d'un enfant. Grâce à la pro-
fondeur où ils gisent sous la terre, leur eau garde une
fraîcheur agréable.
Le plus abondant des produits de ce sol est le melon
AU PAYS DES NEGRES. 191

d'eau, qui dans les an-


nées pluvieuses cou-
vre des terrains d'une
immense étendue.
L'éléphant, le rhino-
céros et les antilopes
font leurs délices de
ce fruit; les lions, les
hyènes, les chacals,
les souris même ne
les dédaignent pas.
Une sorte de concom-
bre à fruits rouges
jouit d'une faveur
égale.
On signale dans le

pays de Natal des mi-


mosas nains à grosses
épines, des acacias
et des mimosas d'une
autre espèce, remar-
quables par la pro-
jection de leurs bran-
ches en forme de
parasol. Mentionnons
encore l'érythrina ou
arbre des Cafres, dont
les grandes fleurs
écarlates attendent
l'hiver pour s'ouvrir.
Un conifère de pre-
mière grandeur y est Fig. fjG. — Danseuse nègre, au Congo.
192 AU PAYS DES NÈGRES.

connu sous le nom d'arbre à éternuer, parce que ses es-


quilles fraîches exhalent une forte odeur de tabac. Si
Ton met le feu à cet arbre , il brûle lentement, flambant
comme une torche gigantesque, mais il ne se consume
pas en moins de plusieurs semaines.
Sur le Zambèse supérieur, croissent, dans la forêt de la
région des cataractes, des arbres gigantesques, le cou-
chibé et le moucoussé, dans le tronc desquels les indi-
gènes creusent des pirogues on y trouve aussi deux fruits
;

particuliers à cet endroit le mocha-mocha et le mou-


:

chenché. Ce dernier est très sucré, et le major Pinto en fit

une boisson rafraîchissante fort agréable.


La végétation tropicale se retrouve à l'intérieur, en
quelque sorte au seuil des déserts brûlés.
Schweinfurth a décrit le féerique pays des Mombout-
tous cannibales , situé à quelques degrés au nord de 1 e-
quateur. Nous connaissons par Livingstone le pays des
Manyémas, à quelques degrés au sud de l'équateur, et qui
lui ressemble à beaucoup d'égards, principalement par
ses habitants. Les deux pays sont séparés par cette « ré-'
gion inconnue » , à travers laquelle s'écoule un volume d 'eau
considérable, s'échappant de plusieurs grands lacs, et
considéré comme devant donner naissance au fleuve Zaïre.
Le sol du Manyéma est d'une fécondité merveilleuse.
Les bords des rivières sont plantés d'arbres gigantesques.
Le maïs, la patate, l'arachide, lacassave, le bananier, la
fève, le giraumon, n'y demandent aucun soin. La forêt
qui couvre toutes les parties non défrichées donne asile
aux plus gros animaux de l'Afrique, et surtout à de nom-
breux éléphants. Les indigènes, ignorant la valeur de
l'ivoire , se servaient jadis des défenses de ces animaux
pour les charpentes de leurs huttes.
AU PAYS DES NÈGRES. 193

Dans cette même partie de l'Afrique, des fourmis rou-


geàtres infestent les bois et se font redouter de tous les

Fig. 67. — Bananier.


animaux et de l'homme. Le lion, l'éléphant, qui ne les
fuirait pas, serait réduit en peu de minutes à l'état de
squelette, comme une préparation anatomique.
25
194 AU PAYS DES NEGRES

Dans le pays des Bongos, les plaines alternent avec les

bois, qui couvrent toutes les ondulations de terrain. Ces

plaines sont envahies par des herbes arborescentes ,


qui
ont jusqu'à 2 mètres de haut. Quelques espèces fort tran-

chantes peuvent faire des blessures, à la suite desquelles


on risque de perdre un orteil et quelquefois même le

pied. De nombreuses constructions de termites, ayant


la hauteur d'un homme, forment un trait essentiel du
paysage.
Les bois sont pleins de pintades, et le gibier gros et
petit abonde : l'éléphant, la girafe, le buffle, de nom-
breuses sortes d'antilopes, le cochon à verrue, le tamanoir,
— ce petit animal si curieux qui peut monter par des
plans verticaux lisses, grâce à la faculté qu'il possède de
faire le vide sous ses pattes, — le ferbous, et des félins
de plusieurs espèces : lion, panthère, léopard, chat
sauvage.
Les pays du haut Nil, au delà du 7° degré de latitude
nord, sont accidentés et couverts de forêts de tamari-
niers, d'égliks (arbres de l'éléphant), d'ébéniers et des
plus belles variétés d'acacias. Ces arbres, toujours verts,
sont entremêlés de lauriers-roses, portant des grappes de
fleurs les plus variées et les plus agréables à voir; ils

forment des jardins naturels, qui répandent une ombre


rraîche. Les lauriers-roses ont dans cette région les di-

mensions de nos plus beaux cerisiers. Les villages des


Baris sont tantôt étages sur le flanc des montagnes qui
leur servent de retraites contre leurs ennemis, et tantôt
groupés ou dispersés au milieu des forêts.

Ajoutons qu'on trouve dans le bassin du fleuve des


Gazelles, outre les arbres de l'éléphant et les tamarins,
des kakamouts, des gimesehs et d'autres arbres énormes.
AU PAYS DES NÈGRES. 195

En pénétrant dans l'intérieur de l'Afrique par le lit-

toralde l'océan Indien, nous retrouvons les baobabs, les


tamarins et aussi des palmyras, des sycomores qui s'é-
lèvent du milieu des massifs; la faune est riche là comme

Hg. 68. — Récolte de fourmis dans le Maiiyema.

dans presque toute l'Afrique sauvage; des tourterelles


gémissent sur les branches, des pintades émaillent les
prairies; le pipit babille dans les chaumes. « La plus
mignonne, la plus jolie des hirondelles, » dit le capi^

taine Burton, dans son itinéraire de Zanzibar au lac


Tanganyika, « rase la terre, et oppose son vol rapide
aux orbes du vautour. Des bandes de zèbres, des trou-
196 AU PAYS DES NÈGRES.

peaux d'antilopes regardent curieusement et s'enfuient


comme dans un rêve. »
Malheureusement, la mouche tsé-tsé habite ces jun-
gles, Burton s'en aperçut vite en voyant diminuer
et

chaque jour les ânes de son convoi.


Cette mouche est le fléau des populations dans cer-
taines parties de l'Afrique équatoriale et plus encore de

OESTRE

fr'ig. t>9. — Le pipit.

l'Afrique australe, car c'est surtout sur les bords du


Zambèse qu'elle exerce ses ravages sur les troupeaux; les
bœufs, les chevaux et les chiens que pique la tsé-tsé
succombent à un empoisonnement du sang. La même
piqûre, douloureuse pour l'homme, n'a pour lui aucune
suite fâcheuse. Les animaux sauvages, et aussi le mulet,
le porc, la chèvre, le jeune veau, partagent ce privilège
avec l'homme. Quant à l'âne, les opinions sont partagées :

Burton, nous venons de le dire, se plaint d'avoir vu les


siens succomber sous les atteintes de la tsé-tsé. Cette
AU PAYS DES NEGRES. 197

mouche se rencontre aussi à l'est et au sud de la vallée

du Barozé.
La tsé-tsé est brune, presque de la nuance de l'abeille;
elle a la taille de la mouche d'Europe, avec des ailes

plus longues; elle est facile à reconnaître, grâce à un


bourdonnement particulier qu'on n'oublie pas quand on
l'a entendu.

Fig. 70. — Campement dans l'Ougogo.

Nous arrivons dans une région tout à fait centrale, le

pays d'Ounyamouézi (terre de la Lune) ou plutôt de


Nyamouézi, — car le Ou placé en avant de chaque nom
d'État dans cette partie de l'Afrique qui s'étend des lacs
à l'Océan, ne signifie autre chose que pays. Générale-
ment, on construit les noms des peuples en remplaçant
Ou par Voua.
« La faune de l'Ounyamouézi, » rapporte Burton, « est
la même que celle de l'Ousagara et de l'Ougogo : le lion,
198 AU PAYS DES NEGRES.

le léopard, l'hyène d'Abyssinie, le chat sauvage en habi-


tent les forêts; l'éléphant, le rhinocéros, le buffle, la gi-
quagga y parcourent le fond des valléer
rafe, le zèbre, le

et les plaines chaque étang de quelque étendue, on


; clans

trouve l'hippopotame et le crocodile. Les quadrumanes y


sont nombreux dans les jungles, celles de l'Ousoukouma
renferment des cynocéphales jaunes, rouges et noirs, de
la taille d'un lévrier, et qui, d'après les indigènes, sont
la terreur du voisinage ils ; défient le léopard , et quand
ils sont nombreux on assure qu'il n'ont pas peur du lion.

Enfin, le colobe à camail (espèce de singe) y fait admirer


sa palatine blanche, qu'il peigne et brosse continuelle-
ment; très glorieux de cette parure, dès qu'il est blessé,
prétendent les Arabes, il la met en pièces afin que le

'chasseur n'en profite pas. On parle également de chiens

sauvages, qui habiteraient les environs de l'Ounya-


nyembé, et qui, chassant par troupes nombreuses, atta-

queraient les plus grands animaux et se jetteraient mémo


sur l'homme. »

Dans l'Ounyamouézi, « vers l'époque de l'année qui

correspond à notre automne, les étangs et leurs bords


sont fréquentés par des macreuses, des sarcelles grasses,
d'excellentes bécassines, des courlis et des grues, des
hérons et des jacanas. On trouve quelquefois dans le pays
l'oie d'Egypte et la grue couronnée , qui paraît fournir

aux Arabes un mets favori; plusieurs espèces de calaos,

le secrétaire et de grands vautours, probablement le

condor du Cap, y sont protégés par le mépris que les ha-


bitants font de leur chair. Le coucou indicateur y est
commun; des grillivores et une espèce de grive de la
d'une alouette y sont de passage, et rendent de
taille

grands services aux agriculteurs par la guerre qu'ils font


AU PAYS DES NEGRES. 199

aux sauterelles. Un gros-bec sociable y groupe ses nids


aux branches inférieures des arbres, et une espèce de
bergeronnette s'aventure dans les cases avec l'audace
d'un moineau de Paris ou de Londres.
« Différentes espèces d'hirondelles ,
quelques-unes
toutes mignonnes et d'une grâce particulière, y séjour-
nent pendant l'été. L'autruche, le faucon, le pluvier, le

Fig. 71. — Courlis.

corbeau, le gobe-mouche, la fauvette, le geai, la huppe,


l'alouette, le roitelet et le rossignol y sont représentés,
mais en nombre, ainsi que les chauves-souris.
petit

Quant aux ophidiens, il y a un serpent gris ardoise, à


ventre argenté, qui abonde dans les cases, où il détruit
les rats; il n'est pas venimeux. Les marécages sont
remplis de grenouilles.
« Les lacs et les rivières contiennent des sangsues,
que les indigènes regardent comme
habitées par des
esprits. Des myriapodes gigantesques sont communs,
200 AU PAYS DES NEGRES.

beaucoup de papillons, des libellules. Des nuées de sau-


terelles s'abattent de temps à autre sur le pays. Au
printemps, des vols de criquets à ailes rouges s'élèvent
de terre. »

Les éléphants, les zèbres, les buffles, les antilopes sont

nombreux dans la même région; les lions, les panthères


et les léopards se plaisent dans les massifs montagneux
qui avoisinent les lacs; les rivières, encombrées par la
végétation, et les bords marécageux des lacs, abritent
beaucoup d'hippopotames et de crocodiles.
Malgré ce dénombrement un peu effrayant de bêtes
féroces et autres, — les Romains nommaient l'Afrique
« la terre des monstres », —la terre de la Lune n'en

demeure pas moins le jardin de la région des lacs. Ses


campagnes reposent agréablement la vue par leur calme
beauté; les villages y sont nombreux, les champs bien
cultivés; de grands troupeaux de bêtes ovines, à bosse
volumineuse comme les races de l'Inde, se mêlent à des
bandes considérables de chèvres et de moutons, et don-
nent partout un air de richesse et d'abondance.
Dans les pâturages de l'Ouganda, le gibier est très
abondant, surtout en antilopes. L'antilope et l'autruche
foisonnent dans le Ouadaï, ainsi que les éléphants et les
rhinocéros à deux cornes.
En redescendant vers le sud , nous avons à signaler,
parmi animaux curieux, le soko, sorte de chimpanzé
les

du pays des Manyémas. Il a plus d'un mètre de haut,


la face d'un jaune clair, un front très bas, d'énormes

oreilles avec des favoris. Bancal et pansu, il se tient


gauchement sur ses pattes de derrière. Livingstone en
possédait un à Bambarré. « C'est, » dit-il, « la moins
maligne de toutes les bêtes simiennes que j'ai rencon-
AU PAYS DES NEGRES. 201

trées; elle paraît savoir que je suis pour un ami et


elle

reste tranquillement sur la natte avec moi. Elle marche


debout et tend la main pour qu'on la soutienne. Si Ton
refuse la main qu'elle vous présente , elle baisse la tête

et son visage a les contractions que donnent à la figure


humaine les larmes les plus amères; elle se tord les
mains, vous les tend de nouveau, et parfois en ajoute une
troisième pour rendre l'appel plus touchant. »

Vis. "2. — Panthère femelle.

Les sauterelles causent de grandi ravages dans le

Transvaal et le pays de Natal.


Les voyageurs racontent que la végétation disparaît à
l'endroit où une immigration de sauterelles a passe;
leurs larves sont encore plus redoutables, s'il se peut :

on les voit s'avancer en colonnes épaisses sur un front

de 2 ou 3 kilomètres; elles rampent sur la terre et dé-

vorent tout. Rien ne peut arrêter ces torrents dévasta-


teurs, ni le feu, ni l'eau, ni l'absence de vivres,- car si

l'on met le feu aux herbes, les larves qui tiennent la tète
du mouvement, poussées par celles qui suivent, finissent

par éteindre l'incendie sous leurs masses; si, au con-


202 AU PAYS DES NEGRES.

traire, c'est un cours d'eau qui leur barre le chemin,


les premières larves qui s'avancent font bientôt de leurs

corps morts un radeau, qui permet aux autres de passer


à la rive prochaine; enfin, si le pays est tout à fait aride,

les plus fortes larves mangent les plus faibles, et la


marche en avant se poursuit.

Kig. 73. — Pygurgue taiyle pêcheur).

La faune de l'Afrique australe comprend principale-


ment l'éléphant, le rhinocéros, le lion, le chacal, des
antilopes de divers genres, l'élan, le duiker, le porc-épic,
et des autruches. Certains animaux ne se rencontrent ja-
mais que dans le voisinage de l'eau : tels sont le rhino-
céros, le buffle, le gnou, la girafe et le zèbre.
Dans la région du Zambèse supérieur, nous signale-
rons la présence des pygargues , aigles pêcheurs gigan-
tesques, qui habitent les rives du fleuve. La tête, la poi-
AU PAYS DES NÈGRES. 203

trine et la queue sont d'une parfaite blancheur, tandis


que les ailes et les flancs ont le noir de l'ébène.
Mais l'animal qui s'impose le plus à l'attention, dans
t"ute la faune africaine, c'est le gorille, singe énorme
et redoutable . dont l'existence a lons-temos été mise en

Fig. 71. — Hyènes et chacals.

doute. Le Carthaginois Hannon, dans son voyage sur la


côte occidentale de l'Afrique, avait signalé les gorilles
comme une race d'hommes velus. Ce ne fut qu'en 1847
qu'un missionnaire, P. -S. Savage, découvrit de nouveau
ce singe gigantesque sur la côte du Gabon. Le « pays *

du gorille est donc la Guinée. C'est dans les profondeurs


boisées qu'il se cache, qu'il parvient à se dérober; mais
sur les indications de Savage, Paul du Chaillu a réussi
204 AU PAYS DES NEGRES.

à étudier minutieusement son caractère et ses mœurs.


« Ma résidence en Afrique, » dit du Chaillu, « m'a
procuré de grandes facilités pour nouer des relations
avec les indigènes; et comme ma curiosité était vivement
excitée par les récits que j'entendais faire de ce monstre
si peu connu, je me suis déterminé à pénétrer dans ses
repaires et à le voir de mes propres yeux. C'est un
bonheur pour moi d'être le premier qui puisse parler du
gorille en connaissance de cause, et si mon expérience
et mes observations m'ont démontré que plusieurs des
habitudes qu'on lui prête n'ont de fondement que dans
l'imagination des Nègres ignorants et des voyageurs
crédules, d'un autre côté, je suis à même de garantir
qu'aucune description ne peut donner une idée trop forte

de l'horreur qu'inspire son aspect, la férocité de son


attaque et de l'implacable méchanceté de scn naturel.
« Je regrette d'être obligé de détruire d'agréables illu-

sions, mais le gorille ne s'embusque pas sur les arbres


de la route pour saisir avec ses griffes le voyageur sans
défiance; il ne l'étouffé pas entre ses pieds comme dans
un étau ; il n'attaque pas l'éléphant et ne l'assomme pas
à coups de bâton; il n'enlève pas les femmes de leurs
villages ; il ne se bâtit pas une cabane de branchages dans
les forêts, et ne se couche pas sous un toit, comme on
Ta rapporté avec tant d'assurance ; il ne marche pas non
plus par troupes, et, dans ce que l'on a raconté de ses at-

taques en masse, il n'y a pas l'ombre de la vérité.


« Il vit dans les parties les plus solitaires et les plus
sombres des jungles épaisses de l'Afrique, et de préférence
dans les vallées profondes, bien boisées, ou sur les hau-
teurs très escarpées; il se plaît aussi sur les plateaux,
quand le sol est parsemé de gros quartiers de rochers,
AU PAYS DES NEGRES. 205

dont il fait alors ses repaires favoris. Les cours d'eau


abondent dans cette partie de l'Afrique, et j'ai remarqué
que le gorille se trouve toujours dans leur voisinage. »

Du Chaillu dit que le gorille est vagabond. On ne le

voit guère deux jours de suite dans les mêmes endroits ;

c'est qu'il a vite épuisé, pour sa nourriture exclusivement

Fig. 75. — Village dans le royaume de Massoua.

végétale, les ressources que peuvent lui procurer les forêts


en fruits, graines, noix, feuilles d'ananas ou d'autres
plantes, et le gorille est un gros mangeur.
Il ne vit pas habituellement sur les arbres, comme on
l'a dit; il est trop gros pour s'y établir, sauter de branche

en branche comme les singes de petite taille. S'il grimpe


à un arbre, c'est pour y cueillir des fruits. Il se sert de

ses énormes dents canines pour broyer des écorces d'arbre


et casser certaines noix, quelquefois très dures.
206 AU PAYS DES NEGRES.

« Les singes qui vivent habituellement sur les arbres,

comme le chimpanzé, » dit du Chaillu, « ont les doigts


des mains et des pieds beaucoup plus longs que ceux du
gorille, qui se rapprochent bien plus des mains et des

pieds de l'homme. Le gorille ne vit pas en troupe. En fait

d'adultes, je n'ai presque jamais trouvé ensemble que le

mâle et la femelle, quelquefois un vieux mâle erre isolé-


ment. Dans ce cas, pareil à l'éléphant solitaire, il devient
plus sombre et plus méchant que jamais, et son approche
est plus dangereuse.
« L'allure naturelle du gorille n'est pas sur deux pieds,
mais à quatre pattes. Dans cette posture la longueur des
bras fait que la tête et la poitrine sont très relevées;

quand il court, les jambes de derrière sont ramenées sous


le corps ; le bras et la jambe du même côté se meuvent
en même temps, ce qui donne à la bête une singulière
démarche. Elle court avec une extrême vitesse... Je n'ai

jamais vu de femelle attaquer le chasseur : cependant,


des nègres m'ont dit qu'une mère qui a son petit avec elle

se bat quelquefois pour le défendre. C'est un spectacle


charmant qu'une mère accompagnée de son petit qui joue

à côté d'elle. J'en ai souvent guetté dans les bois, dési-

reux d'avoir des sujets pour ma collection ; mais, au der-


nier moment, je n'avais pas le cœur de tirer. Dans ce cas-
là, mes Nègres montraient moins de faiblesse; ils tuaient
leur proie sans perdre de temps.
« Lorsque la mère fuit la poursuite du chasseur, le

petit s'accroche par les mains autour de son cou ; il se


suspend à son sein, en lui passant ses petites jambes au-
tour du corps.
« Je crois que le gorille adulte est tout à fait indomp-
table. J'ignore dans tous les cas comment l'expérience
AU PAYS DES NEGRES. 207

pourrait en être faite, car il me parait impossible qu'on


prenne jamais un gorille adulte vivant, puisque le chim-
panzé adulte, moins féroce, n'a jamais pu être capturé.
« Quant aux petits gorilles, à l'exception peut-être d'un
sujet qui a été pris à la mamelle, et c'était une femelle,
pendant le peu de temps qu'ils sont restés avec moi jus-
qu'à leur mort, mes traitements, doux ou rudes, n'ont
pu vaincre la férocité native et la méchanceté de ces petits

monstres. Le sentiment de leur captivité les aigrit sans


cesse, comme mes jeunes sujets l'ont prouvé; ils refu-
sent toute nourriture, excepté les fruits de leurs forêts
natales ; ils mordent, ils déchirent avec leurs dents et leurs
griffes celui même qui pourvoit attentivement à leurs be-
soins; enfin, ils meurent sans maladie apparente, et sans

autre cause probable que la rage toujours nouvelle d'une


nature qui ne peut souffrir ni la captivité ni la présence
de l'homme. »

Les Nègres de l'intérieur des terres, nous apprend le

même voyageur, aiment beaucoup la chair du gorille,


aussi bien que celle des autres grands singes ; cette chair
est d'un rouge foncé et très coriace. Les tribus de la côte

n'en mangent pas, à cause de l'affinité qu'elles trouvent


entre la nature de cet animal et la leur.
VIL

Citasses. — L'éléphant. — L*hii>i>opoiame. — Le rhinocéros. — Le —


lion.

L'antilope. — Trappes, fosses et pièges. — Le hoppo. — L'élan oréas. —


Les buflles. — Chamois. — Le gorille. — L'aufruchc. — Pèches.

L'Afrique est, en général, un triste pays de chasse, et

peu d'Européens se hasarderaient dans les plaines boisées

du Douthoumi, dans les jungles et les forêts de l'Ougogo,


dans les steppes de FOusoukoma, les halliers de l'Oudjiji
ou le pays aride des Somalis pour le seul plaisir de se
montrer aux Noirs ou aux Bédouins du cap Guardafui
comme des émules de Nemrod, avec la chance de gagner
sur cette terre malsaine de ces maladies dont on ne se
relève jamais, d'être déchirés par la griffe des fauves, ou
même capturés et mangés par certains indigènes, comme
de vrais gibiers.
Il y a toutefois, parmi les chasseurs, quelques célèbres
exceptions : l'Anglais Baldwin et le Suédois Anderson se
sont popularisés par leurs exploits cynégétiques. Il n'y
aurait que justice de nommer après eux Jules Gérard,
bien que ses lions algériens fussent, pour ainsi dire, na-
turalisés français.
Charles Baldwin, explorateur de l'Afrique australe
après Livingstone, mais chasseur avant tout, a parcouru
les côtes orientales de ce continent, depuis le Natal jus-
qu'à la baie de Delagoa, franchi les monts Draken, visité,

la carabine en bandoulière, les républiques de l'Orange


AU PAYS DES NEGRES. 209

et du Transvaal,
et atteint les chu-

tes du Zambèse
par le Merico, le

Sicomo, le Kala-

hari et le lac Nga-


mi. Tout en s'a-

bandonnant avec
fougue à sa pas-
sion, il a réussi à
en tirer parti et à

amasser, en quin-
ze ans, une fort

honnête fortune.
Charles Ander-
son a aussi choisi
l'Afrique australe

pour territoire de
chasse, —
de gran-
des chasses. Les
Bushmen l'aidè-

rent à poursuivre
l'éléphant, le rhi-

nocéros, le gnou,
le lion et quelque-

fois aussi la gi-

rafe.

Mais tout en se
faisant suivre par

de nombreuses
troupes d'indigè-

nes ,
Baldwin et
210 AU PAYS DES NÈGRES.
Anderson substituaient aux armes du pays les armes
perfectionnées de l'Ancien Monde, la poudre et les balles,

même les balles explosibles. Ce ne sont pas ces chasses-


là que nous voulons raconter, si émouvantes qu'elles
puissent être. Rigoureusement, nous devons montrer ici
les Africains, — noirs ou bronzés, — aux prises avec les

hôtes de leurs forêts, de leurs marécages, de leurs dé-


serts, et réduits aux moyens primitifs et périlleux du
chasseur sauvage. Toutefois, dans certaines parties de

l'Afrique, le fusil est déjà une arme de chasse assez ha-


bilement maniée.
La chasse la plus fructueuse, et à laquelle les Noirs se

livrent depuis longtemps, est celle de l'éléphant. On sait

que le commerce de l'ivoire se fait des rives du Nil à celles

du Niger et du Congo. L'achat des défenses d'éléphant,


et aussi des dents d'hippopotame, a servi et sert encore à
couvrir le trafic humain, la traite des esclaves. Les dé-
pouilles de l'éléphant sont donc convoitées sur toute la
surface du continent africain.

La plupart des Noirs craignent d'attaquer l'énorme pa-


chyderme qui, lorsqu'il saisit son adversaire, le broie
littéralement. Les Djours et d'autres indigènes creusent
dans le voisinage d'un églik, — arbre dont cet animal
recherche la feuille, — d'énormes fosses qu'ils recouvrent
de menues branches et de paille. Lorsque l'éléphant
« est encavé », ils osent venir le tuer à coups de lance.
Cependant, les Nègres de la Louêna, pays où l'éléphant
abonde, attaquent hardiment ces animaux, sans autre
arme que leurs sagaies; les Pahouins également. Les
nains Akkas, qui sont très braves, ne craignent pas non
plus d'attaquer l'éléphant à coups de lance.
Dans les régions infestées de moustiques, les éléphants
AU PAYS DES NEGRES. 211

se creusent, à proximité de l'eau, une sorte de baignoire,


d'une profondeur proportionnée à leur taille et dont l'en-

trée est en plan incliné. Le pachyderme asperge copieu-


sement les parois de cette fosse avec sa trompe, et se
frotte ensuite contre ses parois jusqu'à ce qu'il ait tout

Fig. n. — Eléphants d'Assinie (Côte-d'or).

le corps enduit d'une croûte de vase, qui le préserve des


piqûres d'insectes auxquelles il est fort sensible. Quand
il a terminé cette toilette, il sort de sa cuve à reculons.

C'est le moment que guette le chasseur.


Dans d'autres parties de l'Afrique, où les Noirs n'ose-
raient s'attaquer à une troupe d'éléphants, ils guettent
ceux de ces animaux qui s'éloignent des leurs et s'effor-
212 AU PAYS DES NÈGRES.

cent de les cerner en mettant le feu aux herbes : l'élé-

phant, quand il se voit entouré de flammes, demeure im-


mobile. Alors les Noirs lui décochent une multitude de
traits ; mais la peau du pachyderme est si épaisse, qu'il
est fort difficile de le blesser mortellement. Les chasseurs
doivent parfois, pendant plusieurs jours, poursuivre Té-
norme bête de leurs attaques.
Cette manière de chasser les éléphants, en incendiant
la plaine desséchée, est usitée en plusieurs parties de l'A-

frique, notamment chez les Cafres et chez les Niams-


Niams. Ces derniers, réunis à l'appel du tambour au
nombre de plusieurs milliers, aussitôt qu'une troupe d'é-
léphants est signalée, se mettent à pousser ces animaux
vers un coin de la plaine, qui a été tout exprès préservé
du feu. Armés de torches, les chasseurs entourent l'en-
ceinte; les flammes s'étendent bientôt de tous côtés, et
les pauvres bêtes, étouffées par la fumée et couvertes de

brûlures, tombent devant leurs destructeurs, qui les achè-


vent à coups de lance.
Schweinfurth constate qu'ils ne se contentent pas de
tuer les mâles, et qu'ils massacrent également femelles
et jeunes. « Il est facile de comprendre, » ajoute-t-il,
« comment, d'année en année, ce noble animal devient de
plus en plus rare. L'avarice des chefs, qui n'ont jamais
assez de cuivre, et la gloutonnerie de leurs compagnons,
qui n'ont jamais assez de viande, les rendent tous pas-
sionnés pour la chasse. Je les ai vus souvent revenir à
leurs cases chargés de gros fagots, que je prenais pour
du bois à brûler ; c'était leur part du butin : lorsque la
viande d'éléphant a été coupée en lanières et séchée au
feu, elle offre toute l'apparence du menu bois. »
Les amazones du roi de Dahomey, très courageuses sur
AU PAYS DES NEGRES. 213

le champ de bataille, montrent aussi beaucoup d'intrépi-


dité dans leur manière de chasser l'éléphant. Elles partent
en nombre, munies de fusils, et se dirigent du côté où
l'on a signalé la présence d'une troupe de ces animaux.
Lorsqu'elles se trouvent en présence des éléphants, elles
les cernent et s'en approchent le plus près possible en
rampant, cachées par les hautes herbes ou les broussail-
les; parvenues à bonne portée, elles font feu toutes en-
semble. Ils ne tombent pas tous, comme on peut le croire :

malheur aux chasseresses qui se trouvent sur le passage


de ceux qui fuient, surtout s'ils sont blessés! Aussi terri-
bles maintenant qu'ils étaient inoffensifs, ils les foulent
aux pieds, ou, les saisissant avec leur trompe, les lan-
cent en l'air et les déchirent avec leurs défenses. Ces ex-
péditions donnent de beaux bénéfices au roi de Dahomey,
mais elles coûtent cher à ses amazones.
Il y a plusieurs manières de tuer l'hippopotame : l'une
d'elles est établie sur la connaissance de ce fait, que l'a-

nimal ne sort de l'eau que le soir pour venir paître comme


les autres ruminants; il regagne ensuite le fleuve exacte-

ment par le chemin qu'il a suivi. Les chasseurs l'atten-


dent donc au passage; l'un d'eux est armé d'un harpon
au fer recourbé, attaché à une corde de plusieurs mètres ;

l'engin est muni d'un flotteur. On devine ce qui va se pas-


ser. L'hippopotame se prélasse sur la rive lorsque le gros
des chasseurs vient l'effrayer par ses cris, ou en battant
du tambour, ou même en lui mettant sous le nez des
torches enflammées. Cet animal n'attaque pas l'homme ;

il s'enfuit donc à toute vitesse mais ; il frôle les chasseurs


apostés qui l'attendent et le saluent de leur javelot.
L'hippopotame blessé précipite sa course, se jette à
l'eau, se cache; mais ses efforts sont vains, ils ne font
214 AU PAYS DES NÈGRES.

qu'agrandir la blessure qu'il porte au flanc. Au jour, les


chasseurs, montés dans leurs canots et guidés par le flot-

teur, achèvent de le tuer à coups de lance.


On dresse aussi à l'hippopotame un piège, où une
branche d'arbre dérangée par l'animal laisse tomber sur
lui une lourde pointe de fer, suspendue au bout d'une corde.
Les habitants des bords du Nil ont encore une autre
manière d'attaquer l'hippopotame : ils tendent des filets

à mailles très fortes. Ces amphibies ont la peau d'un


rouge foncé, assez semblable à de la viande crue, et mar-
quée de grandes taches noires. Au soleil, leur corps hu-
mide paraît d'un gris bleu. Quand l'un d'eux s'est embar-
rassé dans les filets, il est facile aux indigènes d'en venir
à bout avec leurs lances.
Dans leur chasse aux hippopotames, les Noirs de l'Afri-
que australe choisissent, comme partout, la tombée du
jour, qui est le moment où l'animal s'en va, hors de
leau, chercher sa nourriture. On le voit s'avancer, re-
muant constamment ses petites oreilles pointues pour
s'assurer qu'aucun danger ne le menace; le mâle pousse
d'effroyables rugissements. Dans les sentiers que les

amphibies se sont frayés à travers les roseaux épais,


les Cafres enfoncent des pieux, dont la pointe durcie au
feu demeure hors de terre. Ils se mettent à poursuivre
les hippopotames, qui, reprenant en toute hâte le che-
min de la rivière ou du marais, s'enfoncent les pieux
dans la poitrine. Dangereusement blessés, ils devien-
nent aussitôt pour le chasseur une proie assurée. Les
Noirs obtiennent de l'hippopotame une graisse dont ils

aiment le goût en faisant fondre la couche de lard qui


se trouve entre les côtes. Quant à la chair, elle est trop

fibreuse pour "être tendre.


AU PAYS DES NEGRES. 215

C'est à peu près de la même façon que l'on chasse le

rhinocéros, bête fort redoutable lorsqu'elle avance à tra-


vers les grandes herbes, soufflant furieusement comme

Fig. 78. — Piège à hippopotame.

un marsouin, la tête haute, la queue roulée sur la croupe,


l'allure superbe, à la fois puissante et rapide. Après
l'avoir tué, les Noirs lui coupent la langue pour la man-
ger, lui enlèvent sa corne, — ou ses cornes, car il y a
une espèce de rhinocéros qui en a deux, — et taillent
dans sa peau de larges bandes, dont la vente est fort avan-
216 AU PAYS DES NEGRES.

tageuse. C'est avec cette peau que l'on fait les courbaches.
Le rhinocéros blanc est plus facile à atteindre que son
congénère noir. Dans l'Afrique australe, il est de plus
grande taille que le rhinocéros noir. Mais celui-ci est
plus dangereux; il a la vue basse, mais l'odorat très
fin. Quand le rhinocéros noir aperçoit ceux qui le pour-
suivent, la chasse devient un duel à mort, et si la bête
n'est pas tuée du premier coup, les chasseurs courent
les plus grands dangers.
On ne « chasse » pas les crocodiles, mais on leur fait

parfois la chasse pour les éloigner des lieux dont la


présence écarte l'homme; on les effraie par quelque dé-
monstration hostile. Baldwin raconte qu'il tirait des coups
de fusil à ceux de TOmvelouse Noire, rivière dont ils in-

fectent les rives.


Quant au lion, les Africains songent bien plus à se
défendre contre lui qu'à l'attaquer. Ils enferment parfois
leur bétail dans une enceinte réservée au milieu de
leurs villages : les kraals de l'Afrique australe sont
toujours disposés de manière à protéger les troupeaux
de chaque tribu. Pourtant, pendant la nuit, les lions
réussissent souvent à enlever quelque chèvre. C'est que
le lion adulte, qui a des lionceaux à nourrir, fait montre
d'une hardiesse extrême lorsqu'il va à la provision.

Des voyageurs parlent même de bœufs enlevés par


lui; mais c'est une manière de dire qui exige une expli-
cation. Un lion n'est pas assez fort pour emporter une
vache ou un taureau, afin d'aller le dévorer paisible-
ment du côté où l'attendent la lionne et les petits; les
voyageurs ont à cet égard accepté trop facilement les

fables que leur racontent les indigènes dans tous les


pays où il y a encore des lions. Quelque prodigieuse
217
AU PAYS DES NÈGRES.

ne va pas jusqu'à lui per-


que soit la force du lion, elle

mettre des rapts de ce genre.


S'il s'attaque en pleine campagne à un troupeau de
taureaux, ceux-ci à son approche se réunissent et se
mettent sur la défensive, les vaches se placent au centre

Flg. 19. — Village du pays des Bassoutos.

du groupe qu'ils forment. Frappant du pied résolument,


mais avec des regards d'angoisse, et tandis que des flots
d'écume blanchissant leur poitrail témoignent de leur
terreur, les taureaux attendent l'ennemi. Le lion trotte
pesamment autour de leur foule pressée, comme s'il
voulait choisir sa proie; il la choisit peut-être : quel-

que jeune taureau, qui n'ose pas le regarder en face,


lui présente sa croupe et suit ses mouvements.
28
218 AU PAYS DES NEGRES.

Le lion mettra toute son adresse , toute sa science de

chasseur, à séparer des compagnons le taureau qu'il con-


voite. S'il y réussit, il à amener l'animal à l'en-
lui reste

droit où il a établi son repaire. Pour cela, tantôt il


court après lui, comme un chien de berger, tantôt il

lui barre le chemin; il lui fait prendre à droite ou à


gauche; sa prunelle étincelante exerce aussi une redou-
table fascination sur la bête affolée, qui obéit malgré

elle à son dominateur, et se rend à l'endroit où elle sera

étranglée et dépecée.
La dépouille du lion, — son pelage et sa chair, qui
est fort bonne à ce qu'il paraît, et comparable à celle

du veau quand il est jeune, — ne tente pas assez les


chasseurs noirs pour qu'ils essayent de s'en emparer en
s' engageant dans de périlleuses aventures.
Cependant, les Cafres des frontières de la colonie du
Cap ont le courage de forcer un lion. Sans se laisser
troubler par ce terrible rugissement du mangeur
d'hommes qui ébranle les forêts, cet effroyable soupir, ce
vouf! d'une incomparable puissance de poumons, ils
prennent leurs dispositions pour cerner l'animal qu'ils veu-
lent tuer. Ils s'avancent sur lui jusqu'à ce que le félin

soit à portée de leurs flèches. Le lion, lorsqu'il est atteint

par leurs traits, s'il voit sa retraite coupée, bondit sur l'un

des chasseurs. C'est l'épisode émouvant de la journée.


Ce chasseur doit pouvoir éviter l'animal, rendu furieux
par sa blessure, en se laissant tomber à plat contre
terre et se couvrant d'un vaste bouclier de buffle épais
et dur dont la forme est concave. Malheur à lui si le

lion est plus prompt! Tandis que le chasseur sur lequel


la bête fauve s'acharne se dérobe à ses griffes et à ses
dents, les autres chasseurs s'approchent hardiment et
AU PAYS DES NÈGRES. 219

tous à la fois ils attaquent le lion à coups répétés de


leurs sagaies. Mais l'animal prend le change et croit
recevoir tous ces coups de l'adversaire qu'il piétine et
essaie de déchirer. Au retour, on fête par des réjouis-
sances et des honneurs ceux qui se sont le plus dis-
tingués dans cette chasse dangereuse.

Fig. 80. — Lion d'Afrique.

Les Cafres, on le voit, sont certainement plus hardis


chasseurs que la plupart des Africains. Ils savent aussi
employer la ruse. Dans l'Afrique australe, pour détruire
les léopards et posséder leur riche fourrure, les indi-
gènes enfoncent, parmi les herbes qui entourent le pied
d'un arbre, des pieux ayant leur pointe en l'air, armée
d'un fer de sagaie bien aiguisé. Aux branches de l'arbre,
on suspend assez haut de grosses pièces de viande. Le
léopard, pour les atteindre, fait de grands sauts et court
220 AU PAYS DES NÈGRES.

le risque de retomber sur les fers tranchants, où assez


souvent il s'embroche.
Ces mêmes un piège, qui,
Cafres construisent aussi
toutes proportions gardées, ressemble exactement à une
souricière. Ils mettent pour appât, dans le fond, une
poule ou un chevreau. Le léopard, malgré sa prudence
ordinaire, poussé par la faim, pénètre dans le piège,
dont la porte s'abat aussitôt derrière lui.

Le lendemain et les jours suivants, furieux, bondis-

sant, — ou grinçant des dents et évitant le regard de


ceux qui viennent lui rendre visite, — la bête captive

doit endurer toutes sortes d'injures : « Le voilà, le

mangeur de poules! Il est donc pris, l'infâme chien!

Se souvient-il du veau rouge qu'il a étranglé à la fin de


la dernière lune? Que n'avait-il attendu le propriétaire
de l'animal, qui lui aurait certainement administré une
bonne correction à l'aide du bâton? Mais non, le drôle
avait pensé que sa robe aurait plus de prix en conti-
nuant à se bien garnir la panse ! Je me ferai un collier

de tes dents et de tes griffes, dit l'un; je porterai ta


queue enroulée autour de mon corps, dit un autre; les

plus nobles parmi les chefs se pareront de ta peau,

ajoute le plus modeste. »

La magnifique bête montre ses dents ; ses grands yeux,


d'un beau vert doré, pleins d'audace et de ruse, mena-
cent encore. Son pelage, moucheté de taches brunes ou
noires sur un fond jaune orangé, qui passe au blanc
vers la partie inférieure du corps, se hérisse. Il fait
entendre un grognement furieux, comme s'il allait s'é-
lancer, et parmi tous ces guerriers à la parole abon-
dante, c'est à qui se reculera le plus promptement.
Le léopard ainsi pris au piège, quand il s'est épuisé à
Fig. 81. — Les léopards bloqués.
AU PAYS DES NEGRES. 2?îî

secouer les barreaux de sa cage pendant plusieurs jours,


reçoit le coup de la mort, juste châtiment de tous ses
méfaits.
Trappes, fosses et pièges, engins de la ruse, jouent
un grand rôle dans les chasses africaines. Les Bushmen
de l'Afrique australe construisent au milieu d'un espace
découvert de vastes pièges, qu'ils nomment hopo : ce

Fig. 82. — Rue d'un village de Bushmen.

sont deux haies qui , laissant d'abord entre elles une


large ouverture, se rapprochent par l'une de leurs ex-
trémités, de manière à resserrer le passage qu'elles for-
ment. Au bout de ce passage est une fosse profonde, dis-
simulée par des joncs. Les indigènes se livrent au loin à
une battue, qui amène des animaux de toutes sortes dans
l'ouverture du hopo. Là, des chasseurs, cachés derrière
les haies, jettent leurs javelines au milieu des bêtes effa-

rées qui, pensant s'échapper, se précipitent du côté de


la fosse et tombent les unes sur les autres dans le trou
creusé pour les recevoir.
224 AU PAYS DES NEGRES.

Dans l'immense fosse gisent pêle-mêle des antilopes


de diverses variétés , — très nombreuses — ; les ongiris,

Tinyala farouche et prudente, armée de cornes en spi-

rales, dont le poil à reflets argentés est long sur la poi-

trine et la partie inférieure du corps; des oryx, des roye-


bucks, etc.; des élans, — cet élan oréas du Cap, qui
atteint plus de 2 mètres de hauteur, mesuré au garrot :

il a les jambes courtes, le corps épais et rond, le fanon


allongé, le garrot surmonté d'une bosse, une robe isa-
belle, avec une épaisse crinière noire; le chasseur sait à
quoi s'en tenir sur sa prestigieuse vitesse.
On fait aux buffles l'honneur d'un piège spécial, con-

sistant en une fosse, creusée dans un endroit battu par


ces animaux et aboutissant à quelque source. La fosse

est recouverte soigneusement de broussailles; au fond,

un énorme pieu , dont la pointe est en l'air, reçoit et

blesse l'animal lorsqu'il tombe dans le trou, qui s'ouvre


sous ses pas.
Les Cafres aiment aussi à faire aux chamois et à toutes
les petites espèces d'antilopes une chasse forcée. Les
chasseurs disséminés rabattent le gibier vers un point
central. Ils se rapprochent en poussant des cris, serrant
leurs rangs de plus en plus jusqu'à ce que le gibier soit
complètement cerné. Alors, ils l'assaillent et tuent à
coups de sagaie tout ce qu'ils peuvent atteindre. Dans
la saison sèche, les chasseurs, avant de se retirer, met-
tent le feu aux herbes ,
pour retrouver plus facilement
les fers de leurs armes.

Mais, dans beaucoup de parties de l'Afrique, les ani-


maux de plusieurs espèces ne sont l'objet d'aucune pour-
suite. Ainsi dans le Bornou , le docteur Nachtigal a vu
de nombreuses antilopes paissant tranquillement à l'ap-
AU PAYS DES NEGRES. 225

proche de sa caravane, en bêtes qui, n'étant jamais


pourchassées par l'homme , ne se dérangent même pas à
son approche. De quelque côté que l'on regardât, on n'a-
percevait qu'antilopes aux cornes en tire-bouchon. Leur
nombre était « incroyable ». Là, ce sont les lions qui se

livrent à la chasse.
Les éléphants et les hippopotames des rives du lac
Tchad ne sont pas plus tourmentés par les indigènes que
les antilopes.

Un animal que l'on n'inquiète guère, non plus, dans


les forêts de l'Afrique occidentale qu'il habite, c'est le
gorille ; mais pour y a plus de peur que de gé-
celui-là , il

nérosité. Les Nègres ne l'attaquent jamais avec une autre


arme que le fusil ; et dans les régions de l'intérieur où
l'on ne sait pas encore ce que c'est qu'une arme à feu, le

gorille est laissé en possession paisible de son domaine.


« Tuer un du Chaillu « est un exploit,
gorille, » dit P. ,

qui donne à un chasseur une réputation immortelle de


courage et de détermination, même chez les plus braves
des tribus nègres qui, en général, on peut le dire, ne
manquent pas d'intrépidité à la chasse. »

Si le chasseur possède des armes à feu, carabine ou


fusil, il peut essayer d'entrer en lutte avec l'énorme qua-
drumane. C'est ce que du Chaillu a fait avec quelque suc-
cès, suivi courageusement par des chasseurs indigènes.
« Si, » dit-il, « la fortune favorable au chasseur le met
en présence de l'animal, il n'y a plus à craindre que ce-
lui-ci prenne la fuite. Quand je surprenais un couple de
gorilles , le mâle était d'ordinaire assis sur un rocher ou
contre un arbre; dans le coin le plus obscur de la jungle,
la femelle mangeait à côté de lui, et ce qu'il y a de sin-
gulier, c'est que c'était presque toujours elle qui donnait
29
226 AU PAYS DES NEGRES.

l'alarme en s'enfuyarit avec des cris perçants. Alors le


mâle, restant assis un moment et fronçant sa figure sau-

vage, se dressait ensuite avec lenteur sur ses pieds, puis


jetant un regard plein d'un feu sinistre sur les envahis-
seurs de sa retraite, il commençait à se battre la poitrine,

à redresser sa grosse tête ronde et à pousser son rugis-


sement formidable. Le hideux aspect de l'animal, à ce
moment, est impossible à décrire. En le voyant, je par-
donnais à mes braves chasseurs indigènes de s'être laissé
envahir par des terreurs superstitieuses, et je cessai de
m'étonner des étranges et merveilleux contes qui circu-

laient au sujet des gorilles. »

Le tableau suivant, que trace du Chaillu de la ren-


contre d'un gorille à la mort duquel il prit part, donnera
une idée de l'impression que doit produire ce formidable

quadrumane :

« Pendant que nous rampions, au milieu d'un silence


tel que notre respiration en sortait bruyante, la forêt re-

tentit tout à coup du terrible cri du gorille.

« Puis les broussailles s'écartèrent des deux côtés, et


soudain nous fûmes en présence d'un énorme gorille
mâle. Il avait traversé le fourré à quatre pattes; mais,
quand il nous aperçut, il se redressa de toute sa hauteur,

et nous regarda hardiment en face. Il se tenait à une


quinzaine de pas de nous. C'est une apparition que je
n'oublierai jamais. Il paraissait avoir près de 6 pieds,
son corps était immense, sa poitrine monstrueuse, ses
bras d'une incroyable énergie musculaire. Ses grands
yeux gris et enfoncés brillaient d'un éclat sauvage , et s£

face avait une expression diabolique. Tel apparut devant


nous ce roi des forêts de l'Afrique.
« Notre vue ne l'effraya pas. Il se tenait là, à la même
AU PAYS DES NÈGRES. 229

place, et se battait la poitrine avec ses poings démesurés,


qui la faisaient résonner comme un immense tambour.
C'est leur manière de défier leurs ennemis. En même
temps , il poussait rugissement sur rugissement.
« Le rugissement du gorille est le son le plus étrange
et le plus effrayant qu'on puisse entendre dans ces forêts.
Cela commence par une sorte d'aboiement saccadé,
comme celui d'un chien irrité, puis
se change en un
grondement sourd qui ressemble littéralement au roule-
ment lointain du tonnerre... La sonorité de ce rugisse-
ment est si profonde qu'il a l'air de sortir moins de la
,

bouche et de gorge que des spacieuses cavités de la


la

poitrine et du ventre. Ses yeux s'allumaient d'une flamme


plus ardente pendant que nous restions immobiles sur la
défensive. Les poils ras du sommet de sa tête se hérissè-
rent, et commencèrent à se mouvoir rapidement tandis
qu'il découvrait ses canines puissantes en poussant de
nouveaux rugissements... avança de quelques pas,
Il

puis s'arrêta pour pousser son épouvantable rugissement;


il avança encore et s'arrêta de nouveau à dix pas de nous,
et comme il recommençait à rugir en se battant la poi-
trine avec fureur, nous fîmes feu et nous le tuâmes.
« Le râle qu'il fit entendre tenait à la fois de l'homme
et de la bête. Il tomba Le corps
la face contre terre.

trembla convulsivement pendant quelques minutes les ,

membres s'agitèrent avec effort, puis tout devint immo-


bile : la mort avait fait son œuvre. J'eus tout le loisir
alors d'examiner l'énorme cadavre; il mesurait cinq
oieds huit pouces , et le développement des muscles de
les bras et de sa poitrine attestait une vigueur prodi-
gieuse. »

« Il est de principe chez tous les chasseurs qui savent


230 AU PAYS DES NEGRES.

leur métier, » dit ailleurs du Chaillu, « qu'il faut réser-

ver son feu jusqu'au dernier moment. Soit que la bête


furieuse prenne la détonation du fusil pour un défi me-
naçant, soit pour toute autre cause inconnue, si le chas-
seur tire et manque son coup, le gorille s'élance sur lui,

et personne ne peut résister à ce terrible assaut. Un seul


coup de son énorme pied armé d'ongles éventre un homme,
lui brise la poitrine ou lui écrase la tête. On a vu des Nègres,

en pareille situation, réduits au désespoir par l'épouvante,


faire face au gorille et le frapper avec leur fusil déchargé;
mais ils n'avaient pas même
le temps de porter un coup'

inoffensif; le bras de leur ennemi tombait sur eux de


tout son poids, brisant à la fois le fusil et le corps des
malheureux. Je crois qu'il n'y pas d'animal dont l'attaque
soit si fatale à l'homme par la raison même qu'il se pose
devant lui face à face , avec ses bras pour armes offen-
sives absolument comme un boxeur, excepté qu'il a les
bras bien plus longs, et une vigueur bien autrement
grande que celle du champion le plus vigoureux que le

monde ait jamais vu.


« Quelquefois , il s'assied pour se battre la poitrine et

pour rugir en regardant son adversaire avec fureur; puis


il marche en se dandinant de droite et de gauche, car
ses jambes de derrière, qui sont très courtes, paraissent
suffire à peine pour supporter la masse de son énorme

corps. Il prend son équilibre en balançant ses bras


comme les matelots sur le pont d'un navire ; son large
ventre, sa tête grossièrement plantée sur le tronc, sans
aucune attache apparente du cou, ses gros membres
musculeux et sa poitrine caverneuse, tout cela donne à
son dandinement une gaucherie hideuse qui ajoute à son
air de férocité. En même temps, ses yeux gris enfoncés
AU PAYS DES NEGRES. 231

dans leurs orbites jettent des éclairs sinistres; ses traits


contractés sillonnent sa face dérides affreuses, et ses lèvres
minces, en se séparant, laissent voir de longs crochets
et des mâchoires formidables, entre lesquels les membres
d'un homme seraient broyés comme du biscuit. »

Fig. 84. — Femmes à la pêche, sur la Rofouma.

Livingstone nous a fait connaître la manière de chas-


ser l'autruche dans l'Afrique australe. Ce gigantesque
oiseau paît tranquillement dans des plaines tellement
découvertes qu'il serait impossible de l'approcher sans
être aperçu. Les Bushmen doivent souvent faire plusieurs
milles en rampant sur le ventre pour surprendre les au-
truches. Lorsque le moment est venu d'attaquer l'au-
232 AU PAYS DES NÈGRES.

truche , un certain nombre de chasseurs font semblant


de vouloir lui barrer le passage du côté opposé, mais
elle se précipite follement au-devant des chasseurs, qui
lui lancent leurs javelines; elle n'essaye d'échapper au
danger qu'en précipitant sa course. Cette ressource qui
supplée à son intelligence n'est pas à dédaigner, car
l'autruche pourrait lutter de vitesse avec une locomotive.
Généralement, l'autruche ne se défend pas; mais quand
elle est poursuivie par des chiens, il lui arrive de se re-

tourner vivement et d'un coup de pied vigoureux de


briser les reins de l'assaillant.
Pour ce qui est des oiseaux, les Noirs prennent au col-

let la pintade, le petit francolin, etc.; ils abattent avec


des pierres lancées au moyen de frondes les perdrix, les
pigeons ramiers, les corbeaux, les tourterelles et d'autres
oiseaux, même au vol.

Quant à la pêche, une de leurs manières les plus ori-

ginales de se procurer du poisson est celle des indigènes

du Sénégal qui , armés d'une lance et se tenant debout


dans une pirogue, harponnent les poissons qu'ils aper-
çoivent. Les riverains de la Rofouma, cours d'eau situé

près du lac Nyassa, font preuve de beaucoup d'adresse


dans leur manière de prendre le poisson au moyen d'un
engin ayant la forme d'un entonnoir, tel qu'on le voit

sur notre gravure.

FIN.
TABLE.

Pages.

I.
— — Les marchés d'esclaves. — Supplices et
L'esclavage.
sacrifices

humains. — Les Coutumes du Dahomey. — Funérailles sanglantes.


« »

— Terribles représailles. — L'anthropophagie africaine 1

H _ Nègres Noirs. — Conditions de femme. — Les sorciers blancs.


et la

— Albinos — Les nains. — Coiffures bizarres. — Nudité


africains.

et vêtement. — Ornements du visage. — Colliers, bracelets — ,


etc.

défensives. — Fanatisme et superstitions. — De-


Armes offensives et

vins et — Le culte du serpent. — Les missionnaires. — Les


sorciers.

marabouts. — Mœurs et coutumes. — Supplices. — Épreuves judi-


— Habitations et
ciaires. — Nourriture. — Industrie
villages. 31

— Difficulté de pénétrer en Afrique. — Tentatives des nations


III.
civi-

— Les explorateurs célèbres du continent africain. — Burton,


lisées.

Speke, Grant, Livingstone, Cameron, Stanley,


Schweinfurth, Serpa-

Pinto. —
Autres voyageurs G. Lejean, Matteucci, G. Rohlfs, Baines,
:

Nachtigal, S. de Brazza, etc "


IV. — L'Afrique équatoriale. — Les — Les grands fleuves. — Le
lacs.

— Le Sénégal. — Le Niger. — Le Congo. — Le Zambèse. — Mon-


Nil.

tagnes. — Les savanes. — Les déserts.


— Les rivages 124

V. — Le Kordofan. — L'oasis de Kagmar. — Les galeries du pays « >»

des Niams-Niams. — La région des — Les jungles. — Les pla-


lacs.

teaux intérieurs. — L'Ouadaï. — Le lac Tchad. — Le pays des dia-


160
mants.

VI. — La flore et la faune. — La Côted'Or. — La Guinée méridio-

nale. — Le Sénégal. — Les baobabs. — L'Afrique australe. — Région


du Zambèse supérieur. — Le Manyéma — Le pays des Bongos. —
30
234 TABLE.
Page*.

Le haut Nil. — Éléphants, hippopotames et crocodiles. — Le bassin


du fleuve des Gazelles.— L'Ounyamouézi. — La mouche tsé-tsé. —
L'Ouganda. — Le pays de NataL — Les sauterelles. — Le gorille 186

VIL — Chasses.— L'éléphant. — L'hippopotame. —Le rhinocéros. —Le


lion.— L'antilope. — Trappes, fosses et pièges. — Le hoppo. — L'élan
oréas. — Les buffles. — Les chamois. — Le gorille. — L'autruche
— Pêches 208
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