A Propos de Ce Livre
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A Propos de Ce Livre
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Droits de reproduction et de traduction réservés
JEANNE BOUYER
SOUS LES TILLEULS
MAGDELEINE A SUZANNE
11 april .
flxés sur la terre, et j'ai remarqué que son livre est toujours le
même . Néanmoins je ne le crois ni triste ni malheureux ; il y a
sur ses traits une sérénité et un calme extraordinaires : aussitôt
qu'il me voit, il me salue et s'enfonce sous les arbres ou re
monte dans sa petite chambre.
Comme je prévois les questions que tu me feras à ce sujet,
et que je sais tout ce qui nous intéresse, nous autres filles, je te
dirai qu'il n'est pas beau , qu'il y a même dans son aspect quel
que chose d'inculte et de repoussant ; ses vêtements, propres et
bien faits, sont mis et arrangés avec une extrême négligence.
L'autre soir, ma fenêtre était restée ouverte, et je l'ai entendu
chanter : sa voix n'est pas désagréable et a une grande expres
sion ; mais il chante mal et sans aucun art . Mon père dit qu'il
est très-savant, c'est tout ce que je puis t'apprendre ; je ne lui
ai jamais parlé, et ni lui ni moi n'en cherchons les occasions,
et il est probable que nous n'aurons jamais de relations plus
étendues .
Mon père est en ce moment fort occupé ; il fait avec un voi
sin un échange d'oignons de tulipes, et il craint que la saison
ne soit trop avancée pour les replanter .
Adieu, ma bonne Suzanne ; embrasse pour moi ta mère et ton
père, et reçois l'assurance de ma bien tendre amitié.
MAGDELEINE .
II
MAGDELEINE A SUZANNE
15 avril
les plantes de son jardin ,il les néglige souvent pour me pro
curer un plaisir ou une distraction . Te souvient-il, ma bonne Şu
។
III
EDWARD A STEPHEN
IV
créé n'a pas voulu faire une amère dérision ; il n'a pas mis en
mon cæur le désir et l'espérance pour les froisser et les“ broyer
par de tristes désappointements; il n'a pas donné à mon esprit
des ailes qui l'enlèvent sur les nuages rosés du matin , pour le
faire ensuite retomber lourdement sur la terre ; le bonheur que
j'ai pressenti n'est pas un songe : une âmequi cherche mon
ame,une femme pour compléter ma vie, un amour qui me donne
' cette moitié de moi-même dont je sens si cruellement l'absence,
qui remplisse ce vide douloureux de mon cœur.
Tout dans la nature est plus grand que notre imagination :
jamais mon esprit n'avait pu se faire une idée bien juste d'une
haute montagne; et, quoique nos poëtesaient si souvent parlé du
lever du soleil , la première fois que j'ai assisté à ce sublime
spectacle, j'ai senti combien mon imagination était restée au
dessous de la réalité. Les rêves de l'imagination ne sont qu'un
reflet pâle des cuvres de Dieu . Faut-il croire que, par un triste
privilége, notre esprit ait sous un seul rapport une puissance de
création plus grande que celle de Dieu, qu'il ait la force d'ima
giner un bonheur que le Créateur n'a pas pu faire pour nous ?
Non, non, ce bonheur dont je sens le besoin , Dieu l'a fait pour
moi, comme il m'a fait le soleil qui vivifie, et l'ombre des arbres,
et le vent parfumé qui fait frémir les feuilles.
Si Edward a raison, fasse le ciel que je ne vive pas plus long
temps que mes croyances : que je n'aie pas à porter le deuil de
mon âme, et qu'après avoir senti ma tête dans les nuages, ca
ressée par l'haleine des anges , je ne me voie pas rapetissant et
rampant sur la terre comme un froid reptile !
En tout cas , je le saurai, et je ne me survivrai pas à moi
même : souvent j'écrirai mes impressions, et je les comparerai.
Le jour où je serai convaincu que ce que j'ai dans le coeur est
une brillante bulle de savon qui s'écrase et se dissout ; que mon
bonheur m'échappera comme l'eau à travers les doigts serrés
pour la retenir, je m'en irai de la vie, et j'irai demander à Dieu
dans le ciel ce qu'il m'avait promis sur la terre, car Dieu est
un bon père, et chacun de nos besoins renferme une promesse
de le satisfaire .
SOUS LES TILLEULS 7
en
yer V
rit
- le OU L'ON APPREʻND COMBIEN IL Y A DE VARIÉTÉS DE
JACINTHES
que
on
ne Ce matin, je suis descendu au jardin ; le ciel était bleu et il
ce, faisait du soleil ; j'y ai trouvé M.Müller . Je le saluai en silence ;
il me rendit mon salut et resta debout, appuyé sur sa beche,
]: les yeux fixés sur moi et paraissant attendre que je lui adres
nc sasse la parole . J'étais un peu embarrassé, je ne savais que lui
Zu dire ; comme j'hésitais, il me parla le premier et me dit :
de Un beau soleil, monsieur !
Oui, dis -je, un beau soleil.
Et, comme je pensai qu'en échange d'une observation , quel
2 que oiseuse et insignifiante qu'elle fat, je lui devais une obser
vation , j'ajoutai :
-
Et un beau ciel.
Oh ! oh ! me dit M. Müller , les nuits sont encore fraiches,
et je crains les gelées .
J'aurais voulu partir et m'enfoncer sous l'allée de tilleuls ;
mais il restait appuyé sur sa bêche. Une conversation était iné
vitable. Je me résignai et fis une corne à la page de mon livre .
C'était à mon tour de parler, etje cherchais dans ma tête quel
sujet de conversation je pouvais entamer. Il m’advint à l'esprit
qu'il serait convenable que je lui demandasse des nouvelles de
sa fille ; mais, je ne sais pourquoi, iau moment d'ouvrir la bou
che, j'hésitai. Je pensai d'abord qu'un intérêt tropmarqué pour
une jeune fille pouvait inquiéter le père ; puis, qu'il y aurait de
l'affectation à n'en pasparler ;et, comme je m'y décidais, je son
geai que mon hésitation pouvait avoir été remarquée ; et je me
sentis rougir, et je ne dis rien .
M.Müller reprit sa phraso) :
-
Je crains les gelées , et, avant le lever du soleil, vous n'eus
siez pu rester dans le jardin lajtête nue.
Je souris .
Vous êtes jeuve, medit-il, et je suis vieux . J'aitort de me
surer votre force à la mienne; c'est undéfaut commun chez les
vieillards; vous pouvez braver le froid, mais, moi, j'ai besoin de
soleil. Quand j'avais votrerâge, je faisais comme vous;jamais un
8 SOUS LES TILLEULS
VI
ANXIÉTÉ
VII
EDWARD A STEPEEN
J'attends toujours une réponse, et, quelle que soit ton obstina
tion à garder le silence,je ne me découragerai pas ; je t'écrirai
toutes les semaines, tous lesjours, et d'ailleurs, comme il n'y a
entre nous que dixlieues, un de ces matins je monterai à cheval
et tu me verras prendre d'assaut ta retraite.
Personne ici, excepté moi, ne te défend ; on te blamed'avoir
ainsiquitte ta famille, d'avoir renoncé à un mariage avantageux
sous le rapport de la fortune, honorable sous celui des con
12 SOUS LES TILLEULS
Tenez, vous n'avez pas le sens commun.- Maria ,ne nous que
rellons pas pour si peu de chose : je ne me melerai pas de vos
ajustements, ne vous occupez pas des miens, et que ce sujet
soit fini, dis - je sévèrement. -
Mon gendre, dit la mère, je suis
contrainte de vous blåmer.
J'étais horriblement contrarié de cette petitesse d'esprit, ot
de ce caprice, et de cette prétention à la domination .
- Morbleu ! madame, dis -je à la mère, melez - vous de vos
affaires !
Vous êtes un impertinent , dit- elle . Et vous, deux
sottes créatures, dis -je. Et je pris mes gants, ma canne et mon
chapeau. - Edward, dit la mère, songez à ce que vous allez
faire .
J'hésitai ; mais Maria dit :
Laissez-le libre.
Je partis, et ce matin j'ai reçu une lettre qui m'interdit la
maison .
Ce mariage était loin d'être aussi avantageux que le tien , et je
ne le regrette pas; d'ailleurs, la fortune de mon oncle me suffira .
Ton frère t'écrit quelques mots, il veut te faire part d'une ré
solution qu'il a prise.
VIII
EUGÈNE A STEPHEN
IX
que le tilleul porte ses fleurs sur des languettes qui ressemblent
assez à des plumes.
Irodov, murmura machinalement Stephen .
Mais M. Müller, dans sa précipitation, crut entendre un
autre mot; il parut surpris , resta quelques instants dans une
sorte d'indécision, et dit :
Je crois que vous avez raison ; c'est singulier que cette idée
ne me soit jamais venue .
Stephen ignorait complétement avoir eu une idée ; il préta
l'oreille et tâcha de démêler ce qui pouvait avoir donné lieu à
cette supposition .
En effet, dit M. Müller, l'étymologie telum est par
faitement juste ; car les anciens faisaient des flèches et des ja
velots avec le bois de tilleul , de même qu'ils se servaient de
1
at
l'eut pas fait exprés, une étymologie qui a échappé aux hommes
les plus savants ; car plus j'y pense , plus je vois clairement que
tilia vient sans contredit de telum .
10
Et, comme il disait ceci, il regarda par la fenêtre et aperçut
74 Stephen qui s'éloignait à pas précipités.
-
Magdeleine, dit-il, est -ce que ce n'est pas lui qui s'en va
là - bas ?
Magdeleine répondit affirmativement.
ta
- C'est singulier, dit le père ; par la route qu'il prend, il n'y
a pas d'endroit habité plus près que huit ou dix- lieues.
Et tous deux furent véhémentement étonnés .
Et, comme l'heure avançait, ils dinerent silencieusement.
M. Müller rompait quelquefois le silence pour faire une hypo
thèse sur la disparition de Stephen . Quand l'horloge de l'église
sonna huit heures, M. Müller alluma sa pipe, et Magde
$
leine se mit à prendre un ouvrage d'aiguille et ne dit pas un
2
mot de toute la soirée ; seulement, elle montra de l'impatience
chaque fois que tomba son peloton de fil ou son dé à coudre, et
se coucha plus tôt que de coutume, sous prétexte d'une affreuse
migraine. Retirée dans sa chambre, la jeune fille écririt à Su
>
tinua le père.
A ce moment, le vent s'apaisa.
Voici la pluie, dit M. Müller .
Et, en effet, quelques larges gouttes se firent entendre sur les
vitres. On frappa à la porte, Magdeleine tressaillit ct retint son
haleine ; M. Müller òta sa pipe de sa bouche ; Geneviève ouvrit
et annonça M. Stephen . Magdeleine baissa les yeux sur son livre,
et M. Müller prit un maintien grave et sérieux.
Stephen salua et s'excusa.
Je n'avais pas une minute à perdre pour dire adieu à mon
frère, qui partait pour la frontière ; il me fallait faire dix lieues
à pied , et pour rien au monde je n'aurais manqué de l'embras
ser... peut-être pourla dernière fois. Je l'ai quitté ily a six heures ;
je l'ai vu boire le vin d'adieu, chanter gaiement et monter à
cheval, et de loin me saluer de la main en faisant caracoler son
cheval. J'ai longtemps aperçu la pointe de son plumet ; puis,
quand un détour de la route me l'a eu fait perdre de vue, je suis
tristement reparti. Oh ! mademoiselle, qui sait si je le reverrai ;
et il est le seul qui m'aime au monde !
Les yeux de Stephen brillaient d'une larme prête à couler.
Magdeleine leva sur lui un regard de compassion . Tous deux
rougirent et baissèrent les yeux.
Cependant, sur un signe de M. Möller, Geneviève avait pré
paré le thé ; M. Müller mit lui-même l'eau devant le feu .
Vous prendrez du thé avec nous, monsieur Stephen ; c'est
une bonne et salutaire boisson, quoi qu'en aient dit Simon
Paulli,médecin du roi de Danemark , qui prétend que le thé
est une variété de myrte, et Bauhinus , qui soutient que c'estun
fenouil ; en quoi ils sont complétement réfutés par Nicolas' Pé
chlin , dans son livre fort rare : Depotu theæ dialogus . Geneviève ,
SOUS LES TILLEULS 19
XI
XII
XIII
XIV
SUZANNE A MAGDELEINE
deleine; nous étions, ma mère, mon père et moi, allés faire une
visite de deux jours chez des amis de mon père qui demeurent
à trois lieues de notre petite ville. Mais un accident nous a
empéchés de t'aller voir.
Nous devions nous mettre en route à deux heures ; pour oc
cuper la matinée, on proposa une promenade sur le bord de la
2
XV
f
SOUS LES TILLEULS
STEPHEN A MAGDELEINE
XVII
L'AUBÉPINE
mon père qui m'a donné cette rose ce matin , car c'est mon jour
de naissance.
Cette fleur était à moitié fanée ; c'était la chaleur du sein de
Magdeleine qui l'avait flétrie . Stephen la pressa sur ses lèvres et
la serra précieusement.
C'est votre jour de naissance , dit-il , et je ne vous ai pas
donné une fleur !
Il cueillit une branche d'aubépine et la lui offrit.
Et, comme ils restaient encore sans parler, heureux et satisfaits
de vivre, d'aimer et d'étre aimés et d'etre ensemble, Stephen ar
racha les épines de la guirlande et en fit une couronne qu'il mit
en trembiant dans les cheveux de la jeune fille et un bouquet à
sa ceinture, et il la contempla ainsi parée.
Et Magdeleine avait quelque chose de céleste : le bonheur ani.
mait son visage ; la couronne d'aubépine, avec ses feuilles dente
lées et d'un vert sombre, et ses fleurs blanches en ombelle, était
enlacée dans ses cheveux noirs en bandeau sur son front.
-
XVIII
STEPHEN A MAGDELEINE
XIX
d'églantiers.
Non, on est trop exposé aux regards importuns dans un
jardin ainsi couvert ; il faut représenter continuellement. J'aime
mieux un grand mur.
Alors, il faudra tapisser le mur en dedans avec l'aubépine
et les églantiers avec leurs petites roses si parfumées.
De la vigne vierge et du houblon au feuillage d'un vert som .
bre; de plus, au pied des arbres nous mettrons des fleurs ram
pantes, des pois de senteur avec leurs fleurs qui ressemblent à
des papillons.
Et,dans l'endroit d'où l'on découvrira un point de vue, un
SOUS LES TILLEULS 41
banc de gazon , juste assez large pour nous deux ; ce petit banc,
nous l'entourerons d'arbustes et de fleurs : des lilas, des syrin
gas, du chèvrefeuille, des rosiers et des jasmins, des violettes et
du muguet, et des liserons.
Au milieu du jardin , il faudra un petitbassin qui nous ser
vira de vivier.
· Il faudra l'entourer d'un treillage à cause des enfants.
Cette idée, qui était échappée à Magdeleine, émut les deux
amants à un point extraordinaire. Magdeleine, pour cacher sa rou
geur, se baissa pour ramasser une fleur qu'elle avait laissé tomber.
Stephen voulut la prévenir, en se baissant, leurs cheveux se
touchèrent, un frisson leur parcourut tout le corps; on eût dit
que c'étaient leurs deux âmes qui s'étaient ainsi touchées.
Quand ils furent plus calmes :
Nous avons fait bien des projets, dit Magdeleine; et qui sait
s'ils seront jamais réalisés ? l'avenir n'est pas àà nous.
Il est à nous si tu m'aimes! s'écria Stephen ; s'il nous est
contraire, je le vaincrai.
- Oh ! dit Magdeleine, je ne sais pourquoi j'ai peur. Nous
sommes trop heureux.
Et ils devisèrent de la sorte encore quelque temps.
Stephen portait à ses lèvres la main de Magdeleine ; elle cher
chait à la retirer. En se séparant, il déposa un baiser de feu sur
son front; elle devint toute tremblante et s'enfuit en lui laissant
un regard de reproche.
XX
MAGDELEINE A STEPHEN
XXI
STEPHEN A MAGDELBINE
Oui , qu'ai-je fait? J'ai porté une affreuse blessure & mon bon
heur.
Quoi ! vous ne pouvez me pardonner un baiser comme en
donne un frère à sa saure et pourtant, Magdeleine, si j'avais cédé
à la fièvre qui me brûlait, c'est un baiser d'amour que je t'aurais
donné .
Ce baiser, que je vous ai surpris, il me fait plus de mal qu'à
vous ; ce n'est pas du bonheur. Je vous ai surpris ce que vous
deviez me donner; ce baiser, qui courait dans mes veines comme
du feu , il ne vous a pasémue, il vous a contrariée ; c'est comme
un baiser que j'aurais donné au front de marbre d'une statue ou
d'une morte; il m'a glacé le cour. Je n'en veux pas non plus,
de vos baisers froids; si j'avais su vous le surprendre , ce baiser;
si j'avais su que celle que je sentais respirer sur ma poitrine était
calme et glacée; que son cæur ne battait pas plusfort que d'or
dinaire; que son sang coulait ni plus chaud ni plus rapide;
que sa main dans la mienne ne tremblait que depeur, je l'aurais
repoussée loin de moi comme un serpent. Ce que j'aime, Magde
leine, ce n'est pas votre corps, ce n'est pas votre esprit, c'est
votre amour. Si vous ne m'aimez pas, ou si vous m'aimez
d'un froid et ridicule amour de salon, d'un amour qui ne soit
7
XX11
MAGDELEINE A STEPHEN
Mon ami, que votre lettre m'a fait de mal ! Pourquoi doutez
vous de mon amour ? qui a pu vous donner d'aussi tristes pen
sées, et que faut- il faire pour les écarter de votre esprit malade ?
Faut -il te dire que je t'aime plus que ma vie , que tu es mon
bonheur, et que je ne puis vivre sans toi ? Stephen , ne le sa
vais-tu pas ? Ai-je balancé à vous dire que je vous aimais
quand vous me l'avez demandé, et me croyez-vous capable de
vous tromper ?
Oh ! calmez -vous, mon ami ! pardonnez-moi des alarmes peut
être exagérées ; pensez à la situation d'une jeune fille privée,
dès les premiers pas de sa vie, de son guide naturel, de sa mère,
et qui a la tête pleine des récits des précipices qui bordent la
route et des dangers du chemin .
Oui, je me confie à vous. Vous avez raison : mon amant doit
me donner pure à mon époux ; c'est vous qui préserverez,
pour vous mon innocence et mon honneur. Ils sont à vous, c'est
mon seul bien , mon seul trésor avec votre amour. Qu'ils soient
votre bien et votre trésor, et défendez -les contre vous et contre
moi , s'il en est besoin !
XXIII
N. MULLERA STEPHEN
XXV
Je voguais ; tout à coup le vent m'a délaisse,
J'ai vu tomber ma voile vide.
CH . ROMEY ,
notre,7 comme ce tyran qui buvait le sang des enfants pour pro
longer ses jours et réchauffer et réparer son sang froid , pourri.
» Et cette lettre qui me tue, il la termine par cette affreuse
ironie : Votre très- dévoué serviteur ! Malédiction sur toi, vieil
lard ! tu traites cette affaire comme une lettre d'invitation à
dîner ; tu te sers d'une formule ordinaire avec moi que tu as
sassines !
» Tu veux sucrer le poison.
» Tu ôtes ton chapeau et tu me salues avant de me poignar
der ! »
t Et Stephen marchait à grands pas.
Enfin , épuisé de fatigue, il tomba sur son lit, pleura long
temps et s'endormit. Une heure après, il se réveilla, écrivit plu
é sieurs lettres, les déchira ; elles étaient menaçantes, puis en ca
cheta une dans laquelle il avait mis plus de modération .
Et
e. XXVI
2
Minuit ! autourdemoirègne un calme sauvage ;
ke ventiléger du soir fait trembler le feuillage.
os .
Des nuages errants
ais La lune dégageant sa lumière incertaine,
D'une pâle lueur argente au loin la plaine
ne Et les arbres mouvants.
sa
M, Müller n'était pas un méchant ni un fou, mais um
Un homme froid et prudent : plusieurs fois dans leurs promenades,
I, à Stephen avait avoué qu'il n'avait ni fortune ni profession, et
M. Müller, qui n'était pas très-riche lui-même, ne pouvait admet
c me tre l'idée de livrer sa fille à la pauvreté et au malheur.
Quand il eut, par une lettre dont les morceaux déchirés
n de avaient excité sa curiosité de savant, appris ce qui se passait, il
se fit de vifs reproches de son aveuglement, et, seul avec Mag
deleine , lui dit :
jvace Crois - en mon expérience et mon amité, tu me remercieras
plus tard de ce que je fais aujourd'hui ; mais ma résolution est
leur irrévocable, jamais je ne te donnerai à M. Stephen, non que
je ne le croie un bon et honnête jeune homme; mais sa position
zorger et, je le crains , son caractère ne lui permettent pas de se marier.
cache. Magdeleine fit observer à demi- voix à son père que Stephen
dre la
était jeune et savant et que son travail pouvait lui ouvrir un
48 SOUS LES TILLEULS
ferveur, et les pieds nus pour ne pas faire de bruit, elle ouvrit
doucement la porte de la chambre, et celle de la salle à manger,
au moindre mouvement retenant son haleine et prêtant l'oreille;
puis elle monta l'escalier.
Et, arrivée à la porte de Stephen, il lui prit un tel battement
de cæur, qu'elle fut forcée de s'arrêter quelques instants. Là, elle
se mit à genoux, et, les mains fortement serrées, appela Dieu à
son aide; puis elle frappa en appelant à demi-voix : - Stephen !
Le pauvre garçon était encore sur son lit, épuisé par les
larmes, la fureur et le besoin d'aliments, car il n'était pas sorti
de sa chambre de toute la journée .
Il lui sembla entendre la voix d'un ange ; il ouvrit, et, quand
Magdeleine lui eut dit : « Stephen , c'est moi, c'est Magdeleine,»
il lui prit la main ; et tous deux, pensant à leur cruelle sépa
ration , se prirent à pleurer amèrement.
Un faible rayon de la lune éclairait seul la chambre.
Stephen, dit Magdeleine, notre amour n'est pas un amour
vulgaire. J'ai pensé que je pouvais venir sans crainte auprès
de toi, et que mon honneur ne pouvait être aussi en sûreté que
sous ta sauvegarde .
SOUS LES TILLEULS AG
LEI DIPART
créé n'a pas voulu faire une amère dérision ; il n'a pas mis en
mon cour le désir et l'espérance pour les froisser et les broyer
par de tristes désappointements ; il n'a pas donne à mon esprit
des ailes qui l'enlèvent sur les nuages rosés du matin , pour le
faire ensuite retomber lourdement sur la terre ; le bonheur que
j'aipressenti n'est pas un songe : une âmequi cherche mon
ame,unefemme pour compléter ma vie, un amour qui me donne
'cette moitié de moi-mêmedont je sens si cruellement l'absence,
qui remplisse ce vide douloureux de mon coeur . lo
Tout dans la nature est plus grand que notre imagination :
jamais mon esprit n'avait pu se faire une idée bien juste d'une
haute montagne; et, quoique nos poëtes aient si souvent parlé du
-
lever du soleil , la première fois que j'ai assisté à ce sublime
spectacle, j'ai senti combien mon imagination était restée au
dessous de la réalité. Les rêves de l'imagination ne sont qu'un
reflet påle des auvres de Dieu . Faut-il croire que, par un triste QUE D
privilége, notre esprit ait sous un seul rapport une puissance de Totu
création plus grande que celle de Diev force d'ima
giner un bonheur que le Créateur n le pour nous ?
Non , non, ce bonheur dont je sens u l'a fait pour Hje
moi, comme il m'a fait le soleil qui vi
>
vre des arbres, DE
et le vent parfumé qui fait frémir les mai
Si Edward a raison , fasse le ciel qu pas plus long Tit
ter le deuil de
temps que mes croyances : que je n '
mon âme , et qu'après avoir senti ma s nuages, ca
ressée par l'haleine des anges, je ne rapetissant et
rampant sur la terre comme un froic
En tout cas, je le saurai,et je ne pas à moi
même : souvent j'écrirai mes impre: es comparerai .
is le coeur est
Le jour où je serai convaincu que c
une brillante bulle de savon qui s'é! ssout ; que mon
bonheur m'échappera comme l'eau s doigts serrés
pour la retenir, je m'en irai de la v emander à Dieu .
e, car Dieu est
dans le ciel ce qu'il m'avait promi
un bon père, et chacun de nos beso une promesse
de le satisfaire.
-
SOUS LES TILLEULS 7
NAGDELEINE A STEPHEN
MAGDELEINE A STEPHEN
XXX
STEPHEN A MAGDELEINE
Hier encore, j'avais passé la nuit sous le même toit que Mag
deleide : ce matin, je me suis réveillé à dix lieues d'elle ; mes
songes avaient prolongé mon bonheur. Mon premier regard a
cherché ma petite chambre ; j'étais dans un appartement in
connu ; je me précipitai à la fenêtre pour chercher ma douce im.
pression de l'air matinal ; mais l'aurore ne répandait plus sa
sainte rosée sur la sommité des arbres ; elle éclairait les tuiles
des maisons entassées, et ses rayons en paraissaient salis ; et
ce soleil ne m'annonçait plus un jour de bonheur : mon cæur se
serra horriblement en songeant que ce jour-là, et le lendemain,
1
faire des chemins de fer; dans cent ans, l'Europe sera couverte
de chemins de fer; et, dans trois cents ans, il arrivera un homme
qui inventera les routes pavées avec leurs bordures d'ormeaux.
De plus, rien n'échappeà l'industrie et à l'amour du gain . Il
y a quelque temps, des capitalistes ont avisé d'aller chercher et
déterrer dans les plaines de Leipzig les os des soldats morts,
et de les emporter pour faire du noir d'ivoire et ensuite du
cirage.
Je l'interrompis.
Car il est remarquable que , même à son insu, le waitre de la
maison exerce une sorte de domination sur ses hôtes ; je défie
le maître de la maison de dire un mot, de pousser une exclama
tion , de se moucher, de remuer sa chaise, sans que je le re
connaisse entre tous, tant il y a dans sa voix, dans ses gestes,
>
XXXII
XXXIII
XXXIV
MAGDELEINE A STEPHEN
XXXVI
lui restait si peu d'argent, qu'il n'osa pas risquer ainsi quatre
florins.
Le lendemain , sur les quatre numéros, trois étaient sortis, il
soupira et dit : « Oh ! je n'ai pas de bonheur! »
En quoi il disait une sottise, autant que l'homme qui prétend
jouer à la roulette d'après certains calculs : il veut assigner au
hasard une marche certaine et lui préte de l'amour ou de la
haine , de telle sorte que ce ne serait plus le hasard .
Et cette idée que l'on n'a pas de bonheur est nou seulement
sotte, mais nuisible, en cela qu'elle donne de la défiance de soi.
même , permet d'agir avec mollesse et découragement et em
pêche réellement de réussir.
XXXVII
STEPHEN A MAGDELEIN .
XXXVIII
INSTALLATION
XXIX
EUGÈNE A STEPHEN
XL
UN ANI
XLI
LÉON GATATES .
XLII
prodigieusement mal aux dents, et, aussitot que j'aurai fini mon
mois, je prélèverai les honoraires du dentiste pour m'en faire
arracher une : je ne puis rien faire depuis deux jours à cause de
cette misérable dent.
- Tu es prodigue, dit Edward, et peu confiant dans mon
amitié. Que ne me disais-tu : « Edward, fais -moi le plaisir de
:
racher.
Tu vas faire une maladresse et tu ne réussiras pas.
- Fut- elle au fond du cerveau, j'irai la chercher .
C'est rassurant!
Edward força Stephen de lui livrer sa mâchoire et la tenailla
horriblement. Stephen ne pouvait, malgré la torture, s'empêcher
de rire du sérieux de l'opérateur. Enfin la dent fut enlevée avec
un petit morceau de la gencive .
Sans douleur ! .. s'écria Edward. Vois-tu, dit-il à Stephen ,
voilà une notable économie, d'autant qu'avec le premier argent
que nous aurons, il faudra que j'achète un chien .
Que diable veux -tu faire d'un chien ?
- C’est trop au -dessus de ta portée : tu verras plus tard .
XLIII
XLIV
SÉDUCTION
rencontrera ?
Sans doute .
Alors,je vais mettre immédiatement mon plan à exécution.
- Puis - je y assister ?
Non, je te le raconterai après l'événement .
Edward délivra le petit chien et sortit tenant Fox en laisse.
Une demi-heure après, à l'étage au -dessous, Slephen entendit les
cris, confondus d'une étrange et horrible manière, de Fox ,
d'Edward , de l'épagneul et d'une femme, à tel point qu'il allait
descendre, lorsqu'il n'entendit plus que la voix d'Edward ac
compagnée d'un sourd grognement de Fox.
Stephen avança sur le palier et écouta .
Non, madame, disait Edward, je ne garderai pas cette vi
laine bête. Pauvre petit épagneul ! il est encore tout tremblant .
Je n'aurais jamais cru ce Fox si méchant. Je m'en déferai des
aujourd'hui. Je ne pourrais jamais lui pardonner de vous avoir
fait peur ; vous êtes encore pale.
Et Fox jeta alors des cris plaintifs.
Je vous en prie, monsieur, ne le battez pas, disait une
voix de femme.
SOUS LES TILLEULS 81
Puis on n'entendit plus qu'un échange de politesses comme
entre gens qui se quittent.
Longtemps après, Edward remonta .
- J'ai donné Fox à un boucher, dit -il. Mon plan va à mer
veille : les acteurs ont joué d'une manière surprenante.
Stephen demanda des détails.
Notre voisine a de beaux yeux bleus, des cheveux blonds
។
XLV
XLVI
UNE NUIT
.
SOUS LES TILLEULS 85
Fritz rit d'un gros rire : il ne comprenait pas qu'on parut ré
voquer en doute l'habileté de Stephen .
Allez, allez, ma petite dame, sur mon honneur, vous n'au
>
XLVII
· Magdeleine ! .
LA CARTE A PAYER
saire .
Un moment! dit le temoin ; si vous voulez faire des ex
cuses... le duel peut ne pas avoir lieu ; on ne se bat pas pour
son plaisir, et si on peut éviter l'effusion du sang...
Stephen regarda son ennemi ; sa physionomie avait quelque
chose de si insultant, de si platement vain, de si bêtement or
gueilleux , qu'il répondit en haussant les épaules :
Monsieur, les témoins ont la mission de présider au duel
et non pas de l'empêcher.
- Alors, dit l'adversaire, je vais vous donner une légère cor
rection .
- Attendez, dit Stephen .
-
pipe ; et, tandis que les lamesse choquaient, que Stephen, assez
maladroitement, mais avec une vigueur et une agilité extraor
dinaires, pressait son adversaire, qui parait ses coups sans pres
que riposter, Wilhem disait à demi-voix : « S'il est tué,j'irai porter
la lettre ; il y a treize bonnes lieues ; le moins qu'on puisse don
ner à un homme, c'est un florin par lieue, car il faut revenir ;
j'aurai donc treize florins, c'est plus d'un mois de nourriture
sans rien faire; mais aussi ce sont quatre bons jours de soleil que
je perdrai à me fatiguer; c'est égal, ce jeune homme m'inté
resse . J'irai. »
En ce moment, Stephen ,à son tour, était obligé de se défendre ;
mais son inhabileté ne lui permettait pas de parer les coups ; il
était forcé de reculer. Tout d'un coupil s'élança comme un aigle,
porta à son adversaire un coup sur le bras. Celui-ci saisit son
sabre de la main gauche, mais le témoin se jeta entre eux.
Assez, messieurs, assez ! dit -il ; vous vous êtes bravement
conduits.
Monsieur, dit Stephen, nous nous reverrons.
-Non , monsieur, dit l'étranger, car je suis obligé de quitter
la ville aujourd'hui. Je vous remercie de la bonne volonté que
vousme témoignez de me fendre le crâne ; et, à coup sur, si
votre science en escrime répondait à la vigueur de votrepoignet,
je ne pense pas que mes pieds eussent pu mereconduire... Néan
moins, comme je ne puis vous donner votre revanche ni vous
offrir une autre satisfaction , je vous demande pardon de la
scène de ce matin : j'avais bu du genièvre outre mesure, mais
vous m'avez dégrisé .
Comme Stephen enveloppait d'un mouchoir son bras blessé,
Wilhem Girl s'approcha de lui :
Faudra -t- il porter la lettre ?
-
XLIX
LI
MARIE
LII
LIV
STEPHEN A MAGDELEINE
Les nuages courent vite et ils sont plus légers, dis -je ; lo
vent balaye le ciel, l'air est maintenant frais, l'orage est fini.
Enfants, dit Louisa, allez chercher le pantalon et la veste
des dimanches de votre père, pour qu'il puisse changer en ren
trant.
Et elle -même elle tira une grosse chemise de toile bien blan
che et elle la fit chauffer derant le feu .
.
LV
Les vieux ormeaux n'ont plas leurs têtes ondoyantes :
Aatour de leurs troncs noirs le vent froid de l'hiver
Fait tomber et rouler leurs feuilles jaanissantes ;
Leurs branchages séchés s'entre- choquent dans l'air ,
Et seule sur la branche nue,
Où le givre brille au matin,
La mésange bleuâtre, à peine suspendue,
Fait entendre sa voix aiguë.
étaient dans les malles arrivées hier au soir ? Avez -vous mis le
linge en ordre ? Avez-vous bassiné le lit ? Hanry, sur la chemi
née, il faut des épingles; Lisbeth, sur la toilette, du savon, de la
pâte d'amandes, de l'eau de Cologne, de la pommade, des brosses
ct des peignes, et jeter du bois au feu , encore, encore.
SOUS LES TILLEULS 103
A ce moment elle se pencha en dehors de la fenêtre ; elte
rentra précipitamment.
Vite, vite, Hanry, Lisbeth, j'entends une voiture. Hanry,
un dernier coup de balai et disparaissez, allez en bas ouvrir la
porte; j'espère que tout est propre et en ordre.
Et on entendait se rapprocher le bruit de la voiture, le fouet
du postillon et les sonnettes des chevaux, puis la voiture, et par
la portière sortit la tête de Magdeleine.
Suzanne sautait de joie.
La voilà ! la voilà !
Le postillon faisait claquer son fouet pour annoncer son ar
rivée ; bientôt la voiture fit trembler les vitres en entrant sous
la porte.
Suzanne était déjà en bas ; Magdeleine s'élança dans sesbras;
les deux jolies filles s'embrassèrent.
Viens, viens, pauvre Magdeleine, dit Suzanne, tu as bien
froid .
Elle l'entraina dans sa chambre sans s'occuper de M. Muller,
qui veillait au débarquement de ses livres; puis elle l'aida à
se déshabiller et la fit mettre dans un lit bien chaud .
--Couche- toi pendantquelquesheures; tu serasbienréchauffée
et de plus fraiche et reposée pour que mon père et ma mère te
voient belle.
Quand Magdeleine fut couchée, elle lui dit :
Comment trouves-tu ta chambre?
Magdeleine porta autour de la chambre un regard d'admira
tion, ce luxe lui était inconnu. Toute la chambre, le haut et les
parois étaient tendus de soie cramoisie avec des ganses d'argent,
les rideaux des fenêtres étaient en soie blanche et cramoisie
avec une frange d'argent. Les meubles étaient blancs avec des
galons d'argent; il y avait un beau piano avec une énorme quan
tité de musique, et rien ne manquait de ces petits détails com
modes qu'une femme seule peut prévoir.
Charmante i tu t'es bien occupée de moi, ma Suzanne.
Et alors se passèrent ces douces et intéressantes causeries de
jeunes filles.
Dans un mois, dit Suzanne, je vais me marier i; monpro
mis est beau, le plus élégant de la ville, et extrêmement riche.
Si tu savais les beaux chevaux qu'il a achetés et la belle calèche,
et la maison qu'il a fait meubler pour moi ; c'est admirable,
101 SOUS LES TILLEULS
LVI
MAGDELEINE A STEPHEN
LVII
UN BON DINER
LVIII
LIX
Racine a dit :
Les malheurs sont souvent l'un à l'autre enchaînés.
Or, ces jours nombreux, sans couleur eux -mêmes, sont colorés
du reflet d'un jour de bonheur ou de tristesse .
Comme dans une pinte d'eau, si vous mettez une goutte d'in
digo, l'eau deviendra bleuâtre; une goutte d'encre , elle deviendra
grise ;
Si une goutte de sirop , sucrée; si de vioaigre, acre.
SOUS LES TILLEULS 107
Un jour de bonheur étend ses rayons sur dix jours qui l'ont
précédé;
De même un jour de tristesse, son ombre funèbre.
។
MAGDELEINE A STEPHEN
LXII
EUGÈNE A STEPHEN
elle fut plusieurs jours sans lui écrire, puis elle fit une lettre; mais
il fallait traverser la rue, il pleuvait, et elle ne pouvait la con
fier à un domestique. La lettre ne fut pas envoyée.
Cependant, la veille du bal chez sa tante, elle écrivit à Stephen ,
car elle craignait, si elle le laissait plus longtemps dans l'inquié
tude, de rencontrer son regard triste et sévère ; elle envoyait en
même temps la lettre qui n'était pas partie à cause de la pluie,
et elle se justifiait en expliquant ce retard.
LXIII
STEPHEN A MAGDELEINE
Ton image occupe tous mes rêves, toutes mes pensées ; l'amour
que j'ai pour toi est le canevas sur lequel je brode ma vie ; au
fond de mes actions les plus indifférentes, on retrouverait cet
amour. Je t'ai vue gaie et rieuse, j'en emporte une impression
pénible.
Tu es ma fiancée, Magdeleine, je dois tout dire ; les conseils que
je puis te donner, ceux que je recevais de toi avec amour ne sont
que pour préparer notre bonheur qui s'approche tous les jours .
Tu avais une robe trop décolletée, et ta gaieté attirait sur toi
des regards que ton costume arrêtait.
La plus belle parure d'une femme est la modestie ; la femme
qui aime doit faire tendre tous ses efforts à ne rien laisser prendre
d'elle aux autres hommes ; sa beauté, ses regards, sa voix , tout
appartient à son amant. Un regard qu'un autre homme fixe sur
toi souille ta pureté et me dérobe quelque chose de mon bien ;
tu es une fleur dont le parfum m'appartient ; tu ne dois le donner
qu'à moi ; ce n'est pas assez que tu n'aimes que moi, tu ne dois
étre aimée que de moi ; l'amour et les désirs d'un autre homme te
salissent; tu dois te réserver pure pour te donner à moi.
L'homme qui t'a contemplée, celui qui a écouté ta voix suave,
qni a respiré ton haleine, celui- là a joui de ta beauté, de ta voix ,
de ton haleine ; il m'a volé , je le hais ; et toi, Magdeleine, tu es
sa complice si tu n'as pas pris assez de soin de luicacher et de
mettre hors de sa portée tout se qui m'appartient.
Tu dois pour les autres voiler et les formes de ton corps et ta
taille souple ; tu dois avoir du bonheur à te donner toute à ton
114 SOUS LES TILLEULS
amant, et ne laisser voir ton visage et tes mains que parce que
tu ne peux faire autrement. Ce que je réclame ainsi , Magdeleine,
je l'achète et le paye de toute ma vie; et mon seul désir serait de
retrancher de mes jours, de mes instants tous ceux que je ne
puis te consacrer entièrement. Notre vie à nous deux est unie et
isolée au milieu du monde. Le monde pour moi, c'est toi, c'est le
lieu où tu es : le monde, c'est nous deux, c'est notre amour.
Rien ne m'intérosse hors toi, hors les moyens de te posséder :
je ne donne à tout le reste ni une pensée ni un désir ; tout ce qui
de mon corps ou de mon âme n'est pas pour toi, il me semble
qu'on me l'arrache douloureusement; je te donne tout mon étre,
je voudrais que nos deux existences pussent se méler et se con
fondre comme l'eau avec l'eau , le feu avec le feu .
Dis-moi, Magdeleine, ne serais -tu pas heureuse si tu pouvais
dire, en te donnant à moi : « Toi seul m'as vue ; jamais le re
gard d'un autre homme n'a caressé ni baisé mes lèvres et mon
cou et ma poitrine; jamais un autre homme ne m'a désirée et n'a
songé à me posséder. Je me donne à toi pure comme un ange :
les autres hommes ne m'ont jamais vue ; pour eux mon existence
est inconnue, je ne vis que pour toi , toi seul sais qui je suis. »
Car, Magdeleine, vous autres filles élevées dans le monde, vous
n'arrivez jamais vierges aux bras de vos époux ; je ne vous en
fais pas un crime ; vous ne pouvez empêcher qu'un désir, qu'un
rêve ne vous viole et ne vous déflore; mais ce qui dépend de
vous, c'est d'employer tous vos efforts à dérober aux autres ce
qui n'appartient qu'à un seul, et ne leur laisser que le moins
possible.
A ce propos, et en retombant, faute de mieux , dans le réel et
le, possible, je veux te parler de ta parure: crains de trop te
serrer dans un corset; c'est à cet absurde et incommode usage que
tant de jeunes filles doivent des maux de poitrine et d'estomac,
tout cela dans le but de paraitre mince et de ressembler à une
guêpe au lieu de ressembler à une femme .
Vois les chefs - d'oeuvre des arts , les tableaux et les statues où
des hommes de génie ont réuni tout ce que la nature a produit
de plus beau ; vois - tu les corps des femmes ainsi étranglés par
le milieu ? Une femme mourrait de chagrin et de regret si son
corps était fait comme elle s'efforce de le faire paraitre.
Le but de la parure doit être, non de paraître riche, mais de
paraitre belle ; la finesse, ou la rareté , ou le prix d'une étoffe ne
SOUS LES TILLEULS 115
doit donc entrer jamais en considération ; la forme des vêtements
et leur couleur seule ont de l'importance ; adopte la couleur qui
te sied le mieux, la forme de robe qui fait le mieux ressortir tes
avantages n'aie jamais la folie d'adopter ni une forme ni une
couleur parce qu'elle est la mode, dat- elle te rendre laide et
bossue .
Le blanc te sied parfaitement; les cheveux en bandeau sur le
front donnent à ta figure la douce majesté, la naïve pureté des
madones de Raphaël ; de plus, cette manière d'arranger les che
veux ne les gåte en aucune façon etne donne pas de maux de tête.
La société a corrompu les femmes et leur a enlevé une grande
partie de leurs charmes ; toute la vie des femmes devrait appar
tenir à l'amour ; on les a rendues savantes et spirituelles ; leur
vie se trouve divisée et partagée en une multitude de soins, d'af
fections et d'occupations; elles n'en ont qu'une partie à donner
à l'amour, à qui elles appartiennent tout entières .
Sans cela , elles ne voudraient paraitre belles qu'aux hommes
et à un seul homme, leur parure n'aurait pas pour but de frois
ser la vanité des autres femmes.
Adieu , Magdeleine; tu m'écris bien rarement ; et autrefois la
pluie ne t'empêchait pas de m'envoyer une lettre qui me fait
goûter le seul bonheur qu'il y ait pour moi dans la vie . Prends
garde que tous ces plaisirs ne prennent trop de ton cœur.
LXIV
LXV
L'ÉMERAUDE
pas . »
Un domestique sortit et dit à un de ses camarades qui fumait
sur la porte : « C'est très - beau ; ܪsi tu veux voir un peu , prête
moi ta pipe et je garderai tes chevaux ; mais ne reste pas long
temps. » Le cocher lui donna sa pipe et ses guides et entra dans
la maison ;ܪd'un mouvement subit, Stephen s'élança derrière lui
et le suivit ; en montant l'escalier , il rabattit ses cheveux sur ses
yeux pour ne pas être recondu ; le cocher entra dans l'anti
chambre. Par une porte entr'ouverte pour donner de l'air, les
yeux pouvaient plonger dans le salon , et plusieurs domestiques
regardaient d'un ail d'envie les plaisirs de leurs maîtres . Au
milieu de femmes richement parées et d'hommes empressés
autour d'elles, Stephen aperçut Magdeleine ; elle valsait avec
Edward . Edward la dévorait du regard ; Magdeleine,។ en effet,
était bien belle : le plaisir animait ses traits, et au son d'une
ravissante musique elle touchait à peine le parquet.
Stephen sentit ses dents se serrer : il trouvait que Magdeleine
abandonnait trop son corps au bras d'Edward, et Edward val
sait à ravir ; l'élégance de son costume et de ses manières en
faisait un cavalier remarquable, et sa figure était plus jolie
qu'aucune de celles que renfermait le salon .
De temps à autre, quand les regards de Magdeleine se portaient
vers la porte, il se retirait dans l'ombre ; mais , au boutd'une
heure, persuadée qu'il ne viendrait pas, et se livrant tout entière
au plaisir, elle ne tourna plus les yeux de ce côté. « N'importe,
se disait Stephen , cette bague de mes cheveux qu'elle a au doigt
lui rapelle mon amour . Au milieu de ses plaisirs , tout confondu
que je suis misérablement avec les valets , je remplis son cœur
comme elle remplit le mien . Qu'est-ce qu'un accident qui nous
sépare pour une soirée, quand nous avons devant nous toute une
vie de bonheur et d'amour ? »
Edward de toute la soirée ne quitta pas Magdeleine des yeux.
Quatre fois il valsa avec elle
Elle laissa tomber son bouquet, il s'élança et le cacha dans
SOUS LES TILLEULS 119
son sein ; heureusement pour Stephen qu'il ne pouvait s'en
apercevoir ; heureusement aussi qu'il n'avait pas vu que
Magdeleine n'avait pas au doigt la petite bague de cheveux .
Suzanne, en l'aidant à s'habiller, lui avait dit :
Magdeleine, est-ce que tu vas garder cette bague de che
7
veux ?
- Oui, avait répondu Magdeleine.
Tu as tort ; il n'y a rien de ridicule dans un salon comme
une bague de cheveux ; et c'est s'exposer à une foule de
commentaires fâcheux : si tu as un amour au cæur, as-tubesoin
d'en instruire toute la société ?
Je suis la fiancée de Stephen, je suis fière de son amour,
et je puis l'avouer à la face de toute la terre.
C'est au moins inutile, chère Magdeleine , et, pour ton
amant lui-même, tu ne dois rien faire qui puisse nuire à ta
considération : une jeune fille ne peut avouer qu'elle aime ; et
d'ailleurs, ton mariage manquant, tu serais déshonorée aux yeux
du monde . Et puis qu'auras-tu à me confier si tu affiches ainsi
tes secrets ? Tieńs, Magdeleine, serre aussi précieusemement
que tu le voudras cette ridicule petite bague et prends celle-ci :
c'est un gage d'amitié, et tu peux le montrer à tous les yeux .
La bague était une magnifique émeraude parfaitement mon
tée ; tandis que Magdeleine la regardait, Suzanne lui ôtait dou
cement du doigt la bague de cheveux.
Il était tard, M. Müller se leva, Magdeleine, Suzanne et son
promis; la porte où était Stephen s'ouvrit, et les domestiques
s'empressèrent autour d'eux pour leur donner leurs manteaux
et leurs fourrures. Stephen s'était caché le plus possible, mais
le promis de Suzanne se tourna vers lui et lui dit :
-
Faites approcher ma voiture.
Stephen traversa la salle en grinçant des dents et s'enfuit
moitié fou ; cependant il voulut voir encore Magdeleine et il
attendit à la porte.
On attendit longtemps, puis le promis :
Ce fayuin n'a donc pas fait ma commission !
Un autre domestique s'en chargea ; tout le monde sortit, et
Edward reconduis.t les dames jusqu'à leur voiture , puis monta
dans la sienne et partit. Un bom ne se trouvait sur son passage
et paraissait a'entendre ni le bruit des roues ni le jalopuu che
130 SOUS LES TILLEULS
LXVI
Nouvelles de l'armée.
STEPHEN A MAGDELEINE
LXVIII
LXIX
UN BONI EUR
LXX
STEPHEN A MAGDELEINE
Tout est fini pour moi, Magdeleine, tout est perdu : la pau
vreté s'opiniâtre à peser sur moi; l'espoir qui me soutenait
depuis si longtemps s'est éteint, et l'avenir n'est plus qu'un im
mense désert , borné seulement par un sombre brouillard .
Il y a trois semaines, j'ai reçu une lettre d'un parent, le seul
qui m'avait témoigné quelque intérêt quand j'ai quitté ma fa
mille ; il m'écrivait qu'il était malade et que, s'il avait bien jugé
mon cour, j'irais le consoler et le soigner .
Je montrai 'ma lettre au principal du collège et j'obtins un
congé de huit jours , je trouvai mon infortuné parent à l'article
de la mort. Comme mon pauvre frère, il a été soldat ; ses bles
sures s'était rouvertes et lui faisaient éprouver d'horribles souf
frances. Quand il m'aperçut, la vie parut se ranimer en lui ; il
me reçut comme un sauveur. Depuis ce temps, je l'avais entouré
de soins et de consolations ; mais le temps de mon congé s'était
écoulé , quand j'ai voulu partir, il m'a supplié d'une voix éteinte
de ne pas l'abandonner ; je suis resté. Il y a trois jours, on m'a
annoncé du collège que l'on m'avait donné un successeur ; j'ai
écrit tout de suite, et l'on m'a répondu que cette mesure était
irrévocable.
J'ai beaucoup réfléchi, Magdeleine ; je ne sais plus aujour
d'hui quand je pourrai me rapprocher de toi ; tous mes efforts
sont perdus, et je n'ai plus ni force ni courage ; seulement. J'ai
pensé que je ne pouvais plus longtemps t'enchainer à mon sort,
tu n'as pas assez de force pour marcher à coté de moi dans
l'avenir triste et difficile que j'ai devant moi ! et moi, je ne me
sens plus assez fort pour te soutenir, c'est assez de mes souf
frances ! je ne pourrais supporter les tiennes ; je ne pourrais
supporter la pensée que, sans moi, Magdeleine, heureuse et
libre, épouse d'un mari riche, verrait couler des jours calmes et
fortunés !
Ma résolution est prise, fixe et inébranlable ; je veux mettre
toi et moi à l'abri de ta générosité ; tu ne voudrais pas m'aban
126 SOUS LES TILLEULS
LXXII
voir aussi heureuse que moi ; écoute les conseils d'une mariée,
tu sais qu'il porte bonheur ... épouse Edward .
La nuit, Magdeleine ne put dormir, Suzanne n'était plus une
130 SOUS LES TILLEULS
vers lui, et elle narra comme quoi il avait été fort amoureux
d'elle et lui avait fait longtemps la cour.
Ce futun coup mortel pour Stephen . Suzanne profita de cet in
cident et en tira tout le parti possible. Magdeleine vit alors que
Stephen pouvait vivre sans elle, et qu'il avait d'autres amours
pour son cæur. Elle était humiliée surtout de la rivale qu'elle
avait eue, et un jour,cédantaux sollicitationsdeSuzanneet deson
père, elle donna son consentement à son union avec Edward, se
persuadant que c'était par dépit et pour se venger de Stephen .
Mais, quoique ce sentiment fût pour quelque chose dans sa déter
mination, il n'était pas seul . Edward était plus pourvu que Ste
phen de tous les avantages extérieurs ; son esprit était plus léger
et plus gracieux Stephen n'avait pour lui que sa nature poétique,
mais son amour pour Marie tuait dans l'esprit de Magdeleine
toute cette poésie, et d'ailleurs, à son insu, la fortune était pour
elle devenue un besoin .
M. Müller et sa fille partirent pour leur maison . Il fut
SOUS LES TILLEULS 131
LXXIII
avec leurs fleurs qui ressemblent à des papillons . Autour des til.
leuls , de l'autre côté de la rivière, on voyait la maison de Fritz ;
c'était un bon voisin, et il avait aidé Stephen dans ses dispositions .
Cette petite propriété était vraiment un lieu enchanté ; l'air pui
de la rivière donnait à la végétation une admirable vigueur ; 1:
nature était riante et joyeuse.
-
de s'arrêter.
Puis, sans parler, les nerfs agités convulsivement, tout trem
blant d'émotion , il marcha et entra dans la maison .
Et d'un bond arriva au jardin ...
LXXIV
ܽܕ
à elle.
Eh bien , ce mariage ne se fera pas. Magdeleine m'aime ;
។
LXXV
STEPHEN A MAGDELEINE
LXXVI
STEPHEN A MAGDELEINE
LXXVII
re
MAGDELEINE A STEPHEN
m'a toujours bien dirigée et que chaque fois que j'ai voulu
marcher contre elle, je n'ai trouvé que ronces et épines et mau
vais chemins.
Je vous dois une entière franchise, monsieur Stephen : quel
que prosaïques que puissent sembler quelques-unes des causes
qui me déterminent, je vous dois tout dire sans rien ménager .
On a fait évanouir à mes yeux le nuage de riantes illusions
qui me cachait l'avenir et la réalité. Est- ce un bien ? est-ce un
mal ? Je ne puis le décider. Mais, ce qu'il y a de certain , c'est
que le nuage est dissipé et queje vois les choses aujourd'hui
réelles et positives , comme , je l'espère, vous les verrez bientôt
7
vous-même .
Nous n'avons de fortune ni l'un ni l'autre, et tous deux, sé
parément, nous pouvons faire un riche mariage
La richesse, si petite quand l'âme est exaltée, est un besoin
lans la vie commune et ordinaire. Les moments d'exaltation
ne sont que clair- semés dans la vie , tous les jours, ils devien
nent plus rares . Il aurait été impossible qu'il ne vînt pas un
jour ou tous deux nous nous serions repentis d'avoir uni et
associé nos deux pauvretés.
Et d'ailleurs, nous sommes loin de sentir de la même ma
nière. Vous avez des passions, je n'en ai pas; la violence de vo
tre amour m'épouvante, je ne suis capable que d'une tendresse
douce et égale ; votre passion, j'en suis sure, ne peut vivre que
dans la tempête et au milieu des obstacles ; dans le calme et le
bonheur , elle s'éteindrait.
On me l'a fait voir, et je le vois clairement, nous serions mal
140 SOUS LES TILLEULS
LXXVIII
STEPHEN A MAGDELEINE
LXXIX
MAGDELEINE ASTEPHEN
LXXX
STEPHEN A MAGDELEINE
LXXXI
MAGDELEINE A STEPHEN
LXXXII
STEPHEN A MAGDELEINE
sirs qui ne serait pas satisfait ; il faut que vous soyez heureuse,
votre bonheur me coute assez cher pour que j'y tienne, puisque
vous croyez que pour votre bonheur il vous faut tuer le mien .
Il sera votre époux , j'assurerai votre tranquillité et la sienne,
non pour lui que je voudrais écraser comme un reptile, mais
pour vous, pour votre bonheur, puisque vous avez mis votre
bonheur en lui .
Je ne me tuerai pas ; si je meurs, ce sera de douleur, et, pour
nepas vousparaitre désagréable, je tâcherai de mourirensouriant.
Quand vous aurez un enfant, vous me le donnerez : je l'éld
SOUS LES TILLEULS 145
S ble
SO
verai aux lieux où nous vivre ensem , où nous de
vions élever
inenos enfants, à vous eet à moi .
Magdele , êtes -vous content ? Ne dites plus de mal de mes
s on
illusion , si ce qui remplit mon cœur n'est qu'illusi ; pourquoi
Die m'a -t -il don r une vie trop peti ou une âme trop grandu
u
e
n é t e
pour m'en content ?
Est -il méchant ou impuissant ?
LXXXIII
MAGDELEINE A STEPHEN
LXXXIV
aussi avantageusement.
- C'est un beau mariage, et qui rapporte gros à l'église.
- Il a donné beaucoup d'argent aux pauvres .
- Êtes -vous invité au bal ?
- Ah ! il lui met l'anneau à la main .
Comme elle rougit, la pauvre fille. Elle est bien heureuse!
On dit qu'ils s'adorent.
A ce moment, le prêtre les bénit et engage l'assistance à prier
pour le bonheur des nouveaux époux ;tout le monde s'agenouille.
Et à deux genoux tombe sur les dalles Stephen, horriblement
påle.
Il était là avant eux, caché derrière un pilier . Il est résigné
en apparence, car il a promis à Magdeleine.
Et, tandis que tout le monde prie pour eux, lui, les mains
jointes et du caur, il dit à demi voix : « O mon Dieu ! que
Magdeleine soit heureuse! que Magdeleine soit heureuse ! De ce
jour j'ai renoncé à ma part de bonheur dans ma vie ; que cetto
part soit jointe à la sienne. Mon Dieu , versez sur elle toutes
vos bénédictions ! »
Ils se lèvent ; Magdeleine et Edward échangent un regard , et
on ressort de l'église dans le même ordre que l'on y est entre ;
on remonte en voiture ; les chevaux partent au grand trot.
Stephen ne les a pas perdus de vue ; il court, et avant eux il
est rentré dans la maison et enfermé dans sa chambre.
Là, il se jette la face contre terre et pleure amérument.
-
Elle est à lui !
» Je l'ai laissée être à lui !
Qu'aurais-je fait d'elle, elle ne m'aimait pas!
» Elle est à lui, malédiction !
» Et moi, que vais- je devenir ? Où va ma vie ?
SOUS LES TILLEULS 151
» Tout est fini maintenant.
» Tout !
» Malédiction sur moi et sur ma vie ! mort à mes belles espé
rances , à la riche poésie de mon cæur ! mort à cet avenir dont
je m'enivrais !
» Le coeur d'une femme! J'aurais dû me tuer sous ses yeux,
empoisonner son bonheur, ou plutot les poignarder tous deux
dans l'église, rougir les dalles de leur sang . Je ne l'ai pas fait!
je suis up lâche !
>
Ma tête , mon esprit, mon cœur, tout est malade et saignant,
suignant le plus pur de mon sang.
» Que faire maintenant ? quel est mon but, mon espoir, mon
avenir, ma vie ?
» Rien , rien ; je n'ai plus rien ni force ni courage.
» Malheur à moi ! »
A ce moment, au-dessous de lui, Stephen entend remuer les
siéges : on quitte la table, la musique commence ; on passe dans
le salon , on danse ; il suit le mouvement des danseurs, il entend
leurs pas .
Il pleure .
Plus tard, la danse s'anime ; on entend de longs éclats de
gaieté.
Puis la musique s'arrête.
On parle, on ouvre et on ferme des portes ; les voitures rou
lent ; on part, on va les laisser seuls.
Oh !
Stephen se lève et bondit comme un tigre,
Il écoute ; encore une voiture, c'est la dernière, car on ferme
toutes les portes.
- Ils sont seuls !
Un tremblement convulsif agite les membres du malheureux .
Elle va être à lui , dans ses bras , sa chair contre sa chair,
sa bouche sur sa bouche; à lui ! nue dansle lit !
Il descend nu-pieds, retenant son haleine il va coller son
oreille contre la cloison. Il les entend. Ils ne sont pas couchés,
pas encore,
Oh ! non, non , cela ne se peut pas ; le ciel ne peut le per
mettre ; ils ne sont pas encore couchés ; il y a encore le temps
à la foudre d'écraser eux ou moi.
Stephen se sent froid au caur ; il a entendu un baiser ; mais
152 SOUS LES TILLEULS
Magdeleine s'échappe des bras d'Edward, car on marche; il re
connait son pas léger et un pas plus pesant.
Ah ! si elle ne voulait pas ! Elle ne veut pas ; elle n'ose pas,
elle se rappelle qu'elle est à moi ; et c'est horrible d'être aux bras
d'Edward ; elle résiste .
Stephen tombe à genoux .
- Merci, mon Dieu ! elle ne veut pas ! Edward prie ,elle pleure .
Encore un baiser, je ne l'entends pas fuir .
» O mon Dieu ! mon Dieu !
» Ils sont au lit ; j'entend des baisers, de longs baisers . Ah !
elle les rend; les baisers sont plus fréquents, plus pressés , elle
les rend ; elle lui rend ses baisers !
Et la main de Stephen est rouge du sang qui coule de sa poi
trine ; des lambeaux de sa chair pendent à sés ongles .
A ce moment, ses yeux eussent paru s'élancer de sa tête , et
son âme de sa bouche entr'ouverte
Car le lit craque et gémit sous les corps amoureux des époux ;
Stephen l'entend, et il entend aussi les plaintes de Magdeleine;
mais à ces plaintes succedent des soupirs , des mots entrecoupés
par la volupté. Magdeleine, c'est elle ; elle dit : « Mon âme ! ma
vie ! » Encore des baisers où la vie est sur la bouche, et des cris
de plaisir.
Et Stephen, comme une pierre , tombe à la renverse et roule
y
LXXXVI
LXXXVII
Si tant est que, dans une querelle, il puisse arriver qu'on n'ait
pas tort tous les deux .
Si par hasard il advient que l'affaire s'arrange sur le ter
rain ,
Ce qui est la plus sotte chose qui se puisse imaginer,។ car ce
que le duel a de sensations pénibles est dans le temps qui le
précède, mais nullement quand on a l'épée à la main , l'émo
tion étant alors complétementnulle ,
S'il arrive que l'affaire s'arrange et que vous vouliez vulgaire
ment déjeuner, vous reprenez le même chemin pour gagner la
rivière, et vous suivez le courant jusqu'à une petite ile bien
verte ; vous appelez le batelier, lequel fait d'excellentės mate.
lotes et vend un petit vin clair qui exhale un délicieux parfum
de raisin, à tel point que nous, qui d'ordinaire ne buvons pas
de vin , lorsque nous allåmes lever le plan du terrain pour vous
le transmettre, nous en bûmes plus d'une bouteille, ce qui nous
rendit pour le reste du jour excessivement gai et facétieux.
Et encore , avant de poursuivre, nous devons demander par
don aux lecteurs, si ce livre en a, ce qui nous paraît extrême
mentdésagréable de ne pas croire, des fautes etdes négligences
ร
LXXXVIII
LXXXIX
C votre santé .
auriez conservé
8
Comme ils parlaient, un homme mis avec élégance et monté
sur un beau cheval s'approcha d'eux et dit à Stephen :
Mon ami , porte cette lettre à son adresse ; si tu y mets de
la diligence, tu n'auras pas à t'en repentir . Je t'attends ici .
Stephen , sans lui répondre, fit signe à Wilhem , qui prit la lettre
et partit .
L'étranger attacha son cheval et s'assit à une petite distance
de Stephen . Pendant quelque temps, il siffla entre ses dents;
puis , avec sa cravache, s'amusa à couper les petites fleurs et les
brins d'herbe les plus élevés .
Et, quand il se fut passé assez longtemps pour qu'il pût es
pérer de voir revenir Wilhem Girl, ses yeux restèrent fixés sur
le chemin qu'il avait pris. Plusieurs fois, il se leva pour aller
>
des deux éperons dans les flancs et, comme il s'élançait, le retint
si brusquement , qu'il se cabra et faillit le renverser, puis ille
laissa aller au pas, plongé qu'il était dans un morne abattement.
Quand Stephen eut réparé son oubli à l'égard de Girl, il se
mit aussi en route et bientot rattrapa le cavalier; il avait laissé
tomber sa cravache : Stephen la ramassa et la lui rendit .
Je vous remercie, dit l'étranger . Suis-je sur la bonne route ?
Où voulez -vous aller ? dit Stephen.
Ma foi, je ne sais pas. Ce que j'ai de mieux à faire, conti
nua -t-il à demi-voix et se parlant à lui-même, c'est, je crois ,
d'aller au fond de la rivière ou de me faire sauter la cervelle .
Vous êtes d'heureux coquins, vous autres, ajouta-t-il haut >, vous
etes à l'abri de ce qui me tue aujourd'hui.
Je ne suis pas un coquin, dit Stephen en souriant amère
ment, et encore moins je suis heureux, et je doute fort que vos
malheurs soient aussi irréparables que les miens.
L'étranger parut surpris du langage de Stephen ; il le regarda,
et, avec le tact d'un homme qui à vécu dans le monde, sans lui
>
DE LA MUSIQUE
XCII
Monsieur,
Un de mes clients, qu’un duel funeste vient d'enlever à ses
amis et à une vie heureuse sous tous les rapports, a déposé en:
tre mes mains un testament dans lequel se trouvent des dispo
orii iis qui vous sont relatives.
Veuillez donc vous transporter chez moi ou envoyer quelqu'un
muni de votre procuration pour prendre connaissance desdites
dispositions.
SOUS LES TILLEULS 169
XCIII
XCIV
-
Mourir,pensa Stephen , et je n'ai pas encore vécu ! Serai-je
comme un voyageur qui, sortant de sa ville natale et voyant les
faubourgs sales, boueux et pauvres, ne continue pas le voyage ?
» De toute la vie, de tout ce qu'elle renferme de bonheur et
de plaisir , de tout ce qu'elle peut offrir au coeur et à l'esprit, je
ne connais rien, rien qu'une femme.
» Mon cœur a senti, mais mon esprit, ma curiosité, n'ont
point encore eu d'aliments.
» Et, en livrant ainsi toute ma vie à une femme, ne suis-je pas
aussi fou que ces horticulteurs qui, au milieu d'un jardin, n'ai
ment et ne voient que les tulipes, et même qu'une seule variété
de tulipes, comme si toutes les fleurs n'avaient pas leur couleur
et leur parfum , comme si toutes les femmes n'avaient pas à
donner de l'amour au ceur et des plaisirs aux sens.
» Il pensa alors que jamais il n'avait eu une femme à lui dans
ses bras, sur sa poitrine ; il rappela le souvenir de Marie .
>>
Oui ; mais, pensa -t-il, ne l'ai-je pas vue aux bras d'Edward ?
» Mais pourquoi exiger des femmes une vertu et une force qui
n'est pas en elles ? Pourquoi ne pas se contenter de ce qu'elles
out à donner ? Pourquoi demander des roses au jasmin, du
chèvrefeuille aux orangers, au lieu de savourer l'odeur du
jasmin et des orangers ?
Et il resta la tête dans les mains,
Car devant ses yeux se formaient des tableaux voluptueux de
plaisirs inconnus ; un frisson courait par tout son corps, et sa
bouche donnait des baisers à l'air embrasé par les rayons du soleil .
Tout à coup une idée lui vint ; longtemps il resta les yeux fixes
et immobiles ; puis tout à coup, se levant :
172 SOUS LES TILLEULS
HURREN - HAUSS
qui a manqué te faire faire une grande sottise, d'autant que les
nouvelles que j'ai à t'en donner te rassureront complétement
sur les suites de l'affreux désespoir auquel tu craignais tant de
le livrer .
Si M. Stephen est désespéré, si même il a conservé le moin
dre chagrin, c'est un homme adroit et profondément dissimulé ;
tu ne le reconnaîtrais pas .
Non pas qu'il soit devenu raisonnable, il n'a fait que changer
de folie. : le Werther d'autrefois est devenu un ainable débau
ché; il s'est fait dans la ville une sorte de réputation ; il n'y a
pas un cercle où l'on n'ait sur lui quelque bonne histoire vraie
ou fausse à raconter ,
Et, pour dire le vrai , si la moitié de ce qu'on raconte de
lui est fondé, c'est le cynique le plus spirituel que l'on puisse
voir .
Voici une de ces histoires et que je puis te certifier véri.
table.
Avant-hier, les acteurs avaient annoncé un nouvel opéra ; les
bruits de coulisses en disaient un grand bien , et, même sans cela,
cette représentation eût toujours été un prétexte de se parer et
de se faire voir. Pour ma part, je m'étais fait faire la toilette la
plus élégante que tu puisses imaginer. Jamais, peut- être, je n'a
vais eu de si véhéments chatouillements de coquetterie, et le
temps brumeux ne permettait pas la promenade . Mais , comme
nous dinions, le domestique, chargé d'aller louer une loge, re
10,
174 SOUS LES TILLEULS
vint nous dire qu'il n'y avait aucun moyen d'avoir des places,
qu'elles étaient toutes louées ; ne pouvant croire à cet empresse
ment pour aller au théâtre, qui est si souvent vide, nous le
fimes retourner ; mais la nouvelle était vraie.
M. Stephen et deux de ses amis avaient trouvé plaisant de
louer d'avance toutes les places du théâtre.
Il y avait en dehors une foule de gens qui voulaient entrer et
d'autres qui venaient voir ce qui se passait ; on se battait avec
les employés du théâtre, on criait, c'était un horrible vacarme.
Pendant ce temps , les acteurs, qui voyaient trois hommes dans
la salle, ne se pressaient pas de commencer; mais, quand l'heure
de lever le rideau fut passée, les trois spectateurs firent un
affreux bruit, et l'on commença.
L'opéra fut joué assez froidement ; cependant, les trois amis
applaudissaient ou gardaient le silence selon qu'ils jugeaient
que méritaient les acteurs . L'opéra terminé, comme ils sor
taient, ils trouvèrent à la porte plusieurs personnes; celles qui
les connaissaient firent des questions auxquelles ils répondirent
froidement que c'était pour jouir du volume qu'acquièrent les
voix et les instruments dans une salle vide .
Si tu sais , Magdeleine, le dés@uvrement affreux d'une soirée
dont le but a été manqué, le dégoût pour toute chose autre que
celle que l'on avait projeté de faire, tu dois comprendre la mau
vaise humeur générale et le bruit que fit dans la ville cette
plaisanterie, qui a dû leur coûter plus de mille florins.
On ignore la source de sa fortune, mais ce qui est certain,
c'est que M. Stephen est devenu riche. Il vient de passer devant
nos fenêtres sur un superbe cheval gris.
Tu vois qu'il n'a pas été longtemps à se consoler.
XCVII
SUZANNE A MAGDELEINE
ne vaut-il pas mieux qu'il meure sans souffrances, sans avoir res
senti aucune des infirmités qui peut-être allaient venir l'assiéger ?
SOUS LES TILLEULS 175
XCVIII
nous restons ici jusqu'à ce que les vivres nous forcent à capitu
er , et nous vous jetons hors de la ville comme bouche inutile.
Allons, je vais boire, je cède à votre folie.
Et , comme le matin ils sortaient de la boutique, Suzanne en
trą ; elle venait acheter des étoffes de deuil pour Magdeleịne ;
M. Müller était mort.
Stephen la reconnut et pålit.
Puis à ses amis :
Ce soir, il faut imaginer de nouvelles folies ; j'ai besoin
d'en faire . A ce soir !
Il rentra chez lui, et dans la journée il apprit la mort de
M. Müller. D'abord il voulait voir Magdeleine .
Puis il changea d'idée et écrivit une lettre où il lui disait qu'il
sentait une sorte de bonheur de pouvoir partager une douleur
avec elle .
Mais il pensa que sa lettre serait confondue avec les autres
compliments de condoléance, et que l'on s'occupait si peu de lui
qu'il n'avait pas reçu de lettre de faire part ; il déchira sa lettre
et se dit :
A ce soir de bonnes folies, du vin, des femmes, et je n'y
penserai plus .
XCIX
CI
Omnia vanitas ,
Tout est vide.
la terre .
» Il me quitta brusquement. Le lendemain , je rencontrai
l'autre .
Avez-vous vu *** ? me dit-il. Ce drole m'a volé ; je veux
lui donner une correction, ne fût-ce que pour l'exemple . Ce
scélérat non content de me dépouiller, prétend que c'est moi
qui lui ai pris ce qu'il m'a dérobé. - De quoi donc s'agit- il ? -
-
Nous avons traduit de l'allemand ... - Est-ce que vous savez
l'allemand ? Non, mais d'après une traduction . Nous avons
traduit une expression belle, noble, énergique, telle que l'exige
notre littérature forte. Cette expression est existence d'homme . .
11.
190 SOUS LES TILLEULS
CII
CIII
CIV
GV
Dans un coin d'un salon , Stephen seul avait les yeux tournés
vers la porte, et, chaque fois que l'on annonçait quelqu'un , un
sourire involontaire se dessinait sur sa figure,
. C'était chez la tante de Magdeleine ; cette dame ne recevait que
.
des personnes graves, et sa maison n'aurait offert que peu d'intérêt
aux jeunes gens : depuis la mort de son frère ,on ne dansait plus
>
chez elle.
Edward entra.
Stephen pålit.
SOUS LES TILLEULS 199
Edward salua tout le monde et feignit de ne pas le voir.
Ma tante, dit- il, ma femme n'a pu se rendre à votre invita-,
tion ; notre fils souffre beaucoup de ses premières dents, et elle
ne veut pas perdre un de ses cris ni une de ses douleurs.
Ces mots : notre fils, retombèrent comme du plomb sur le cour
de Stephen ; il sortit brusquement, oubliant ce qu'il attendait en
souriant quelques instants auparavant.
Comme dans le salon quelques -uns jouaient au whist, d'au
tres, et c'était le plus grand nombre, causaient politique, un
7
CVII
pied dans les feuilles sèches, ouvraient à un air sans soleil leurs
fleurs d'un violet triste .
Joséphine pensa alors à ces longues veillées si monotones, con
sacrées à des lectures et à des travaux d'aiguille. Son imagina
tion , par un affligeant contraste, la transportait au milieu d'un
bal, et par moments il lui semblait que le vent apportait quel
ques mesures d'une valse dont son caur suivait le mouvement.
Bientôt les sons devinrent plus distincts, et, à travers la grille
du jardin , elle vit une troupe de musiciens, dont l'un jouait du
violon en marchant, tandis que les autres portaient négligem
ment leurs instruments sur l'épaule ou sous le bras .
Joséphine n'était pas la seule qui remarquật ce cortége, Un
jeune homme, monté sur un cheval gris, s'arrêta près des musi
ciens et leur dit :
- Pourrait-on savoir, mes braves, où vous allez ainsi porter
le plaisir et la danse ? je m'ennuie, et suis fort disposé à vous
suivre.
Hélas ! monsieur,> dit le chef de la troupe, nous n'allons
nulle part, nous attendons qu'il plaise à quelqu'un de nous
engager; les fêtes des campagnes sont terminées, et celles de la
ville ne commencent pas encore .
-Et, demanda l'étranger, pourquoi les fêtes des campagnes
sont-elles terminées ? il y a encore de beaux jours dans cette
saison.
C'est l'usage, monsieur.
Et combien avez-vous de temps à attendre ?
Deux ou trois semaines .
Je vous engage pour trois semaines . Soyez demain matin
chez moi. Voici mon adresse.
A ces mots , l'étranger mit son cheval au petit galop et dis
parut à l'angle du jardin .
A deux jours de là, toutes les personnes du voisinage reçu
rent une lettre d'invitation . Il fallait, disait-on, faire ses
adieux à l'automne quifinissait et profiter du dernier beau jour.
- L'invitation était signée de M. Stephen. M. Stephen est
une sorte de fou .
Je le connais, chère tante .
Je ne vous en félicite pas, cher Deveu.
- Pourquoi ?
206 SOUS LES TILLEULS
Quelle folie !
Non, je voudrais devoir à votre amitié un plaisir dont j'ai
été privé toute ma vie.
Joséphine avait tant redouté d'entendre un autre mot, qu'elle
ne pensa pas à élever la moindre chicane sur le mot amitié, et
elle montra à Stephen le pas de la valse ; il y eut un moment où
210 SOUS LES TILLEULS
Quel style !
Taisez - vous donc!
dant qu'il en est temps encore, vient vous donner les moyens de
la sauver. Je dis sauver, car, fidèle aux bons principes qu'elle a
>
& Monsieur,
» Je ne vous l'ai pas caché, je n'ai d'autre moyen de m'ac
quitter envers vous que le succès de ma réclamation auprès des
SOUS LES TILLEULS 211
autorités de cette ville . Votre intérêt aujourd'hui doit , autari
que le mien, vous porter å håter l'issue de mes incertitudes; j'ai
reçu de vous déjà la moitié de ma lettre de crédit, je ne ferai pas
un nouvel emprunt; je vais prendre un logement plus modeste,
diminuer toutes mes dépenses, et, avec l'argent qui me reste de
votre dernier prét, je pourrai vivre jusqu'à une solution .
» Je vous ferai connaitre la résidence que j'aurai choisie;
vous m'obligerez en me faisant savoir par écrit ce qu'il y aura
de nouveau ; un sentiment de convenance que vous comprendrez
facilement m'impose la nécessité de ne recevoir désormais au
cune visite. »
Walstein fut de fort mauvaise humeur à la lecture de cette
lettre. Il était amoureux d'Hélène ; sa vanité, plus encore que
le peu qu'il a de cour, était intéressée à la possession d'une
femme que lui envieraient les plus beaux cavaliers. Après de
longues réflexions, il répondit:
Madame,
Quelque dur et pénible qu'il mé soit de cesser de vous voir,
je ne puis qu'approuver l'exquise délicatesse qui dirige toute
votre conduite. Je vous avouerai même que quelques aventures,
dont j'ai été le héros, appellent sur moi une attention qui peut
être dangereuse pour une femme. Vous savez cependant, ma
dame, de combien de respect je vous ai entourée, mais vous êtes
la première femme qui m'avez inspiré des sentiments aussi
purs et aussi désintéressés.
» Je vous aime, madame, et, si je n'ai pas encore mis à vos
pieds mon cour, mon nom et ma fortune, c'est que j'ai cru
plus convenable d'attendre la fin de votre deuil : cependant il se
présente une occasion de terminer en une heure l'affaire, si en
nuyeuse pour vous et si heureuse pour moi, qui m'a fait vous
rencontrer. Le comte ***, dont dépendent ces sortes d'affaires,
s'arrêtera une demi- journée à cinq lieues de Munich ; permet
tez-moi de vous présenter à lui . Seulement, étrangère, jeune,
charmante, votre position éveillera la rigidité du comte . Je
ne puis, dans votre intérêt, vous présenter à lui que sous un
titre que je brûle de vous donner et que je vous offre devant
Dieu. Si vous acceptez mes propositions, permettez-moi de vous
présenter comme ma future épouse.
m . W. D
13
CD
218 SOUS LES TILLEULS
noires calɔmnies dont vous êtes l'objet de la part des vieilles fem
mes de Munich , ennemies acharnées de tout scandale dont elles
ne peuvent plus étre les héroïnes. Aussi jaloux que vous-même
de votre honneur qui doit devenir le mien, je ne pense pas que
vous deviez rentrer dans Munich sans être ma femme; il s'écou.
lera encore quatre mois avant la fin de votre deuil . Allons l'at
tendre dans une autre ville. Vous y passerez pour ma femme,
et mon nom vous mettra à couvert de toute fâcheuse interpré
tation .
Hélène fit de nombreuses objections, puis céda encore sur ce
point, et l'on se mit en route.
Arrivé, Walstein fut plein d'égards pour la veuve ; il prit de
nouveaux domestiques pour éviter les indiscrétions des anciens,
il loua une maison avec des appartements sans aucune com
munication, puis il mena Hélène au théâtre, dans les prome
nades , dans les assemblées. La beauté d'Hélène faisait beaucoup
rechercher monsieur et madame Walstein ; ils étaient de toutes
les fêtes, de toutes les réunions ; Hélène trouvait'sa nouvelle si
tuation fort heureuse, Walstein se montrait le plus respectueux
des hommes .
Un jour, ils reçurent une invitation pour la campagne ; le
maitre et la maîtresse de la maison les envoyerent prendre dans
leur voiture. Le soir, quand il s'agit de retourner à la ville, le
cocher vint dire qu'un des chevaux s'était blessé, et qu'on n'en
pouvait trouver un autre aux environs. « Eh bien >, dit l'hote à
SOUS LES TILLEULS 219
1 M. Walstein , vous coucherez ici. Rien ne vous rappelle à la
+
ville, vous me donnerez encore la journée de demain, et, le
soir, nous serons en mesure de vous reconduire convenable
ment. » Walstein accepta. Hélène, un peu embarrassée, ne put
cependant refuser une invitation nécessaire.
Elle espérait bien d'ailleurs qu'on leur donnerait deux cham
bres séparées. La discrétion ordinaire de Walstein lui garantis
sait qu'il aurait le soin de faire les choses ainsi, et elle n'osait
lui manifester à ce sujet des craintes qui eussent pu faire naitre
une pensée dangereuse. Elle vit arriver le soir avec une anxiété
difficile à peindre. Mais que devint- elle quand le maitre de la
maison, en souhaitant le bonsoir à son monde , dit à Walstein :
« Vous connaissez la maison , vous trouverez bien votre chanıbre .
Hélène devint pâle comme une morte, et resta comme fixée
au parquet. Puis elle suivit machinalement son mari.
A la porte de la chambre, elle s'arrêta et lui dit :
Monsieur, c'est une lâche perfidie, je n'entrerai pas dans
cette chambre, je passerai plutôt la nuit dans le jardin ,
Chère Hélène, dit Walstein , n'ai-je pas toujours été pour
vous soumis et respectueux? vous ai-je donné le droit de me
manifester la moindre défiance ? J'avais demandé deux cham
bres ; la maison est petite et il y a beaucoup de monde, on n'a
pu me les donner, mais mon respect vous tiendra plus à l'abri
qu'aucune porte de chêne.
Hélène allait répondre, mais on entendit des pas dans le cor
ridor. Walstein la poussa dans la chambre . Quand ils furent
entrés, il protesta encore de son respect, puis il s'enveloppa de
son manteau et s'arrangea de son mieux dans un grand fau
teuil .
Je ne sais si la crainte permit à Hélène de dormir. Elle re
passait dans son esprit par quelles transitions elle était arrivée
à une situation aussi bizarre, et comment chaque pas avait
rendu le suivant inévitable. Peut-être, par une autre raison,
Walstein ne dormit-il pas non plus.
Le lendemain, Hélène fut un peu honteuse au déjeuner. Dans
la journée, on rojeta une promenade en bateau pour le lende
main , et il fut convenu qu'on restait encore cette nuit- là .
Hélène, rassurée sur le compte de Walstein, ne fit aucune re
présentation .
Le soir, comme la veille, Walstein fit son lit dans un fauteuil;
220 SOUS LES TILLEULS
rain vint sans façon au dessert, prit une chaise, s'empara d'une
demi-tasse de café .
Le lendemain, Robert lui dit : « Monsieur Lorrain, mettez,
je vous prie, l'écriteau pour mon logement, je vais aller demeurer
sur le boulevard. Vous serez ici mon homme de confiance. Vous
louerez, vous recevrez les loyers, vous donnerez les quite
tances, etc. » Deux mois après, Robert quitta la maison . Lor
rain se trouva d'abord un peu isolé, mais il se mit à lire, puis
il fit l'important à loisir, ne dit plus que nous, et n'eut plus
rien à regretter quand il eut imaginé un moyen de suppléer la
joie qu'il avait perdue de tutoyer le propriétaire devant tout le
monde .
Entre les locataires qui habitaient alors la maison, il fallait
quer celui du premier et ceux du quatrième.
Celui du premier était un monsieur qui avait loué ce loge
ment récemment.
Du reste, il disait étudier le droit, et se faisait appeler
Hubert.
Madame A... , la locataire du quatrième, dont le mari était en
voyage, avait deux filles : la plus jeune jouait à la poupée,l'ainée
avait quitté la poupée et ne l'avait encore remplacée par rien .
Elle passait bien déjà un peu plus de temps à lisser ses che
veux bruns ; elle n'allait plus au jardin sans gants pour ne pas
håler ses mains. Mais tout cela se faisait par instinct ; elle ne
cherchait à être belle que pour être belle .
L'inconnu, qui se faisait appeler Hubert, et que rien ne vous
7
plus adroits, les ruses les plus fallacieuses pour amener son
ennemi à avouer son crime ; et, quand le lendemain il vit Hu
bert monter au jardin, il le suivit de près, l'aborda d'un ton tout
amical, lui offrit du tabac et lui dit :
Le vent tourne au nord-est, et j'ai de sérieuses inquié
tudes pour mes pois de primeurs.
- A propos, père Lorrain, dit Hubert, j'ai arraché vos palis
sades .
M. Lorrain , qui n'espérait obtenir cet aveu qu'après de
longs ambages, fut un peu atterré, et eut besoin de laisser
écouler quelques secondes avant de dire :
SOUS LES TILLEULS 235
c'est que c'est aux messieurs à offrir des bouquets aux dames,
et non point aux dames à offrir des bouquets aux messieurs.
- Lorrain, me dit- il, tu as parfaitement raison . »
(
Vous avez là, continue M. Lorrain , parlant toujours du
bouquet sur lequel madame A... jetait des regards alternati
vement et sur sa fille, dont le soin et la mémoire de cour la tou
chaient sensiblement, vous avez là des roses blanches ; aucun
des locataires n'en a de semblables ; non, je ne sache même pas
qu'aucun jardin du quartier en possède de la même espèce.
Cette perfide remarque fit porter de nouveau à madame A ...
les yeux sur la rose blanche de Hubert.
Hubert s'occupait en ce moment fort peu de l'improvisation
de M. Lorrain, et, sous prétexte de respirer le parfum de la
rose, il la tenait sur ses lèvres.
Madame A... emmena Louise et lui dit :
A l'avenir, tu ne causeras plus avec les voisins.
Cette défense eut le résultat qu'elle devait avoir. Le lendemain,
Hubert fit à Louise , qui l'écouta de fort bonne grâce, une décla
7
ration d'amour qu'il n'eût osé risquer que trois mois plus tard,
sans la prudence maternelle de madame A... Il fut convenu entre
les deux jeunes gens qu'on obéirait à madame A ... , qu'on ne
causerait plus dans le jardin, mais qu'on s'écrirait ; que Hubert
mettrait ses lettres dans une touffe de roses trémières , où
Louise placerait à son tour ses réponses.
M. Lorrain , triomphant, pensa à son oseille à feuilles clo
quées et désormais à l'abri du pied de Hubert.
Cependant, pour être plus certain de sa victoire, il ne manqua
plus de monter au jardin aussitôt qu'il y voyait arriver made
moiselle A ... , et jamais Hubert n'entrait dans l'allée commune .
Cependant M. Lorrain , qui avait abandonoé Boileau et
Cicéron pour se livrer tout entier à sa haine , ne croyait pas tout
à fait à l'obéissance des jeunes gens ; aussi, comme le jardin de
madame A... était le dernier de l'allée, que la porte du jardin
s'ouvrait au commencement du treillage, personne n'avait le
moindre prétexte de dépasser cette porte, il imagina un moyen
de déjouer l'intelligence des deux amants.
210 SOUS LES TILLEULS
orage qui ait traversé la vie la plus calme qui ait jamais été Mais
je vous conterai cela une autre fois. Voici que la lune descend
derrière la maison, il serait bon de rentrer.
Pourquoi ? nous ne dormirions ni l'un ni l'autre.
- Je commence à sentir quelques bouffées d'air plus frais. En.
core une heure, et le jour va paraitre.
Voulez-vous vous promener un peu ?
Volontiers .
Mais à peine ils avaient fait le tour du parc, qu'au moment où
on repassait devant le pavillon , madame Rechteren dégagea son
bras de celui de Ludwig et se replaça dans un des fauteuils .
Ludwig se remit auprès d'elle, et tous deux resterent plongés
dans un morne silence .
Madame Rechteren avait cru sentir le bras de Ludwig presser
doucement le sien , et Ludwig avait cru la sentir trembler. Tout
à coup madame Rechteren , comprenant la nécessité de rompre
brusquement un pareil silence, dit :
Voici l'histoire de M. Müller.
CXI
pas pensé une seule fois que c'était vous que j'aimais, vous que
je voulais épouser quand vous m'avez dit : « Je suis décidée à ne
pas me remarier , j'ai pour vous une vive amitié, épousez ma
nièce, nous vivrons ensemble, vous serez mes enfants ? »
C'est ce que je vous dis encore , reprit madame Rechteren.
Et vous aurez longtemps à le dire ; je ne vous accepterai
ainsi pour aïeule que lorsque vous en aurez l'âge et la figure;
mais, chère tante, écoutez-moi : aujourd'hui,je passe le plus pé
rilleux défilé de la vie, je laisse en arrière bien des illusions,
SOUS LES TILLEULS 251
« Madame,
» J'ai beaucoup pensé à la nuit que nous avons passée dans le
jardin et aux récits que vous m'avez faits sur vos voisines ; je
suis resté convaincu que la fidélité conjugale est une chose très
rare, qu'il ne dépend pas toujours des femmes de conserver; et
qu'à moins d'être assez sot pour se croire une chance et une pré
destination particulières, on ne peut guère espérer qu'on la
rencontrera . Remarquez bien, je vous prie, que je ne dis pas de
mal des femmes, mais du mariage.
» On demande en général à la vie plus qu'elle ne renferme;
nous sommes accoutumés à mettre notre bonheur dans des
choses impossibles , et notre malheur dans des choses inévi
tables .
» Pardonnez-moi, madame, la modestie qui m'empêche de
courir des chances qui m'épouvantent. Peut-être va-t-on me
blâmer de faire manquer ainsi un mariage au dernier moment.
C'est un tort, mais c'en serait un plus grand, incontestablement,
d'ètre malheureux et de rendre conséquemment votre nièce mal
heureuse pendant tout le reste de notre vie. N'écoutez pas trop
l'opinion et les ressentiments de vos conviés ; ils me pardonne
raient volontiers dix ans d'ennuis et de tortures que je ferais su
bir à Hortense, ils ne me pardonneront pas de les faire renvoyer
sans diner, ou au moins de faire renvoyer les violons . Je crois
agir en honnête homme. Après le premier mouvement d'indi
gnation , vous m'approuverez. Agir autrement serait faire à la
fois une mauvaise affaire et une mauvaise action . »
Madame Rechteren fut atterrée de la lecture de cette lettre,
elle la relut, sonna, envoya à l'appartement de Ludwig. On ne l'a
vait pas vu depuis la veille, si ce n'est un vieux jardinier au
quel, en traversant le parc au point du jour, il avait ordonné de
porter un paquet et de rapporter cette lettre ; elle voulut elle
même visiter l'appartement et interroger ce jardinier.
-
1
bre ; elle dort, pensait- elle, elle est en proie à des rêves sédui
sants, pourquoi la réveiller ? Ah ! pourquoi? - Parce qu'il
faut qu'elle sache son malheur avant tous ces gens qui sont ici .
Et, faisant un effort sur elle, madame Rechteren frappa, elle
écouta avec anxiété, se reprochant d'interrompre ce sommeil si
heureusement trompeur . Elle frappa plus fort, on ne répondit
pas ; alors elle aperçut l'acte à terre, elle ouvrit et entra ;ܪܐla
chambre était vide, il n'y avait qu'un papier sur le lit :
» Bon pour une fille que je tiendrai dans une semaine à la
disposition de ses parents.
» STEPHEN . »
CXII
GXIII
CXVI
- Tope là :
Partons.
Il faisait un froid singulièrement piquant, le vent du nord
faisait entre -choquer les branches nues des arbres.
Stephen , depuis longtemps déjà, tenant son cheval par la
bride, se promenait pour réchauffer ses pieds engourdis; il fit
sonner sa montre .
- Minuit et demi ; encore trois quarts d'heure : c'est effrayant!
il y a de quoi mourir de froid . Magdeleine sera à moi, se disait
il ; la posséder est aujourd'hui le seul but de ma vie ; 11 me
semble maintenant que l'air remplit mieux mes poumons, que
ma vie est plus pleine ; la vengeance aussi estunebonne chose;
elle sera à moi !
Et encore il fit entendre un cruel ricanement.
Ce n'est peut-être pas un mal, ajouta - t- il, de ne l'avoir pas
épousée, car il est certain que ce que j'aimais, ce n'était pas
elle, c'était une belle et poétique fille de mon imagination ; ce
qu'elle aimait aussi, c'était le résultat de ses rêves de jeune fille.
» Et ce qui me le prouve, c'est que, si je l'avais vue manger
seulement, si je l'avais vue soumise aux mêmes besoins et aux
mêmes nécessités que les autres femmes, mon amour eût été
froissé; Magdeleine à moi ne m'eut donné qu'un cruel désen
chantement de chaque jour ; de même , elle voyait en moi plus
qu'un homme ; sitôt qu'elle aurait vu que je ne suis rien de
plus que les autres, elle ne m'aurait plus aimé. L'amour que
nous avions l'un pour l'autre était un culte semblable à celui
que l'on donne à Dieu.
» Au bout d'un an, nous nous serions hais,
>>
Mais, comme nous n'avons pas été l'un à l'autre, comme
nous nous sommes tenus à une assez grande distance l'un de
l'autre pour que l'on ne put distinguer les inégalités de la peau ,
je suis toujours pour elle cet homme poétique et exalté, ce hé
ros de roman qu'elle aimait ; et je dois revenir dans ses rêveries
avec d'autant plus d'avantages qu'elle a eu un homme à elle,
qu'elle l'a vu comme elle m'aurait vu , si elle avait été ma
femme, avec toute les faiblesses et tout le prosaïque de l'huma.
nité ;
» Que, toujours de loin , je n'ai rien perdu de ma grandeur,
que la petitesse de celui qu'elle a vu de près doit accroitre en
core à ses yeux .
264 SOUS LES TILLEULS
CXVII
UN AMI
core la force que j'ai eue hier de ne pas briser cette main que je
tenais dans la mienne.
Edward eatra, son accueil fut embarrassé ; Stephen le prévint,
266 SOUS LES TILLEULS
ter de l'argent pour rétablir ses affaires, qui étaient fort déran
gées.
GXVIII
CXIX
MAGDELEINE A SUZANNE
CXX
SUZANNE A MAGDELEIYE
MAGDELEINE A SUZANNE
gne Edward m'est un sur garant qu'il ne voit pas plus de danger
que moi .
C'est donc ainsi que toi, et ton mari, que je déteste, vous sa
crifiez l'amitié à la fortune et à l'ambition ? Je suis bien tentée de
te détester aussi. Mais qui aimerais -je, ou du moins qui aussi
bien que toi comprendrait mon cæur et toutes mes folies? .
CXXII
Je crois le voir encore avec ses yeux bruns petillants, ses bonnes
grosses joues, ses cheveux blonds, fins comme de la soie et tout
bouclés: il était si gai, si joueur, qu'on lui pardonnait le plus
souvent sa pauvreté, le maitre lui montrait quelque affection,
et ses camarades jouaient volontiers avec lui ; mais moi, j'étais
fier et je sentais douloureusejnent retomber sur mon caur le
mépris qu'on laissait percer pour nous; il s'amassait en moi de
longs ressentiments, et la moindre chose m'exaspérait et me
mettait en fureur ; j'étais à l'affût de toutes les humiliations, et
je n'en laissais pas passer une,
» Comme nous étions mal habillés, s'il venait des parents
voir les élèves, on nous faisait mettre derrière les autres et dans
le coin le plus obscur. Le dimanche, tous les autres enfants
avaient des habits de fête ; nous, c'est tout au plus si l'on nous
mettait une chemise blanche, et le maître nous donnait des
punitions pour avoir un prétexte de ne pas nous mener à la
promenade avec les autres ; mon frère profitait de cela pour
courir après les poules et atteler les lapins à de petits chariots ;
moi, je pleurais dans un coin . Il venait m'embrasser et me di
sait : « Qu'as-tu donc, Stephen ? »
» Tous les autres enfants apportaient des paniers bien garnis
de nourriture et de friandises pour leur repas du milieu du
jour; nous, très- souvent, nous n'avions pas suffisamment pour
nous nourrir. Mon petit frère était si joli, si gai, le voir souffrir
m'aurait déchiré le coeur horriblement; une larme de lui m'au
rait donné envie de me tuer; je faisais semblant de n'avoir
jamais faim pour lui en laisser davantage ; et puis, comme il
n'était pas comme moi hargneux et querelleur, ses camarades
partageaient avec lui des friandises ; il m'en apportait la moitié;
mais pour rien au monde, tout petit que j'étais, je n'aurais con
senti à profiter de la libéralité de nos camarades que je n'ai
mais pas.
»
» Encore, quand on jouait, quand on luttait, je me tenais à
l'écart ; je refusais obstinément de prendre part aux jeux des
autres, parce que je savais que mes vêtements, déjà vieux et
usés, se déchiraient facilement et que je n'en avais pas d'autres
pour les remplacer ; les autres disaient que j'étais poltron et que
je n'osais ni lutter ni jouer avec eux. Jamais nous n'avions les
livres nécessaires pour apprendre les leçons que l'on nous don
nait; mon frère les apprenait mal ou point, et souvent ses cama
272 SOUS LES TILLEULS
CXXIII
cheval gris.
Puis il accompagna Magdeleine, chevauchant à la portière de
sa voiture ; et les gens les plus considérables de la ville le
saluaient, et les femmes lui souriaient avec complaisance.
Il ne patina pas ; Schmidt, le cousin de Madeleine, les aborda
et lui dit :
- Pourquoi donc ne patinez-vous pas, Stephen ? vous effa
ceriez les plus habiles de tous ceux qui sont ici.
Il fit une réponse évasive; mais Magdeleine comprit que c'é
tait pour ne pas la quitter.
Au retour, les yeux s'arrêtèrent sur son beau cheval, qu'il
mapiait avec autant de grâce que d'adresse; plusieurs personnes
l'abordèrent, tout le monde paraissait l'aimer et le vénérer.
Il dit à Magdeleine :
-
GXXIV
CXXV
MAGDELEINE A SUZANNE
BEETHOVEN
CXXVII
CXXIX
MAGDELEINE A SUZANNE
CXXX
2
$
Comment se fait -il, Suzanne, que tu ne me répondes pas ? Ton
silence me donne les plus grandes inquiétudes : es-tu malade ou
es-tu encore plus éloignée de moi ? Les affaires de ton mari t'ont
elles entraînée à l'autre extrémité de l'Allemagne , ou peut-être
hors de l'Allemagne ?
Je frémis à la pensée de ton éloignement, car je vais bientot
etre seule et abandonnée, et j'aurai bien besoin de toi .
Les affaires d'Edward ont si mal tourné, qu'il a été forcé d'a
voir encore une fois recours à Stephen , auquel il doit déjà de très
fortes sommes. Stephen a eu la générosité de faire de grands
sacrifices, et les dettes sont à peu près payées.
Il y a quelques jours, il aa dit à Edward : « Ce n'est pas tout, il
faut maintenant que tu reconstruises ta forlune ; l'électeur aà be
soin d'un homme habile pour une mission commerciale ; je vais
aller à la résidence pour te la faire obtenir . »
Huit jours après est arrivé un paquet cacheté de noir et scellé
d'un cachet que je lui avais donné autrefois; il renfermait les
instructions pour Édward.
Je ne sais pourquoi, chère Suzanne, la vue de ce cachet m'é
mut d'une manière extraordinaire. Depuis que je le revois, j'ai
remarqué qu'il se sert toujours de cire noire, et ce cachet, je me
jappelle encore dans quelle occasion je le lui ai donné : il était
blessé, il avait fait une grande route à pied pour venir me voir
un instant dans le jardin de mon père ; je ne pus y descendre et
lui jetai une lettre dans laquelle j'avais mis ce cachet pour que
le vent ne l'emportåt pas.
Je ne sais s'il a eu par ce symbole l'intention de me faire un
reproche, de me montrer à la fois et ce qu'il a souffert pour moi
286 SOUS LES TILLEULS
CXXXI
MAGDELEINE A SUZANNE
et nous les aimerons bien; ce seront des frères de plus pour jouer
avec nous et danser le dimanche ; nous leur donnerons les
plus beaux fromages et les plus beaux fruits, et nous aurons
bien soin d'eux pour qu'il ne leur arrive pas d'accidents.
La femme de Fritz fit signe aux enfants de se taire, car Stephen
pleurait.
Oh ! Suzanne,quel reproche pour moi . Comme ces gens m'au
raient maudite s'ils avaient su que c'est moi qui ai privé leur
ami d'un bonheur pour lequel il était si bien fait !
Je ne pouvais plus rester, j'étouffais. Heureusement, Stephen,
aidé de Fritz, alla remettre les chevaux à la voiture; puis il em
brassa tout le monde et remonta sur son cheval gris, que les en .
17
296 SOUS LES TILLEULS
CXXXII
Ma chère Magdeleine,
Suzanne a été dangereusement malade ; l'extrême irritabilité
de ses nerfs a engagé les médecinsà me recommander d'éloigner
d'elle la moindre émotion. Aussi, je lui ai dit que vous voyagiez
avec votre mari, et je garde pour le moment où elle sera rétablie
une grande quantité de lettres que j'ai reçues de vous pour elle.
Cependant,j'aiprisla liberté d'en ouvrir une au hasard, quoi.
que je sois loin de vouloir m'immiscer dans les secrets de votre
amitié; c'est celle où vous dites à Suzanne que vous serez près
+
de nous dans cinq semaines. Ce sera pour elle une heureuse
convalescence , et je vous en serai pour ma part très-reconnais
sant. Mais je crains que Suzanne ne soit pas assez forte pour
porter cette joie. Retardez de quinze jours votre arrivée, et puis
Testez avec nous le plus longtemps possible, et soyez persuadée
que vous aurez deux bons amis qui béniraientpresque les mal
heurs qui vous pourraient arriver pour l'occasion qu'ils leur
donneraient de vous prouver leur attachement et leur affection .
CXXXIII
CXXXIV
L'ÉCIÉANCE
Un vent tiède secoue les parfums des fleurs sur les gazons et
balance les panaches verts des arbres, et le soleil caresse la
terre, toute rose de bruyères fleuries.
SOUS LES TILLEULS 293
Que cette nature est riche, dit Stephen , avec son soleil, ses
arbres verts, son ombre fraiche et ses fleurs aux brillantes cou
leurs et aux suaves odeurs, plus belles que des cassolettes d'or et
d'émeraudes et de rubis .
» Que ce vent est bon dans les cheveux ! que ce silence est
majestueux! La nature est le seul ami qui ne nous abandonne
jamais, le seul bonheur qui nous reste fidèle.
» Tous les bonheurs, tous·les plaisirs changent d'aspect à cha
que pas que nous faisons dans la vie. On ne peut goûter le même
bonheur deux fois : à la seconde fois, il est fade et décoloré.
► Mais chaque printemps nous ramène la nature en habits de
fête, toujours la même et nous donnant toujours les mêmes im
pressions.
» J'envie le bonheur de ces brillants insectes qui meurent ou
s'engourdissent lorsque tombent les feuilles et se fapent les
fleurs ;
).
Qui meurent du premier froid qui tue les fleurs, d'un même :
coup, d'une même mort.
>>>
Chaque fois que je vois l'été, il me semble que je ne pourrai 1
CXXXV
CXXXVI
CXXXVII
UNE NUIT
CXXXVIII
CXXXIX
MAGDELEINE A STEPII EN
CXL
MI AGDELEINE ASTEPHEN
CXLI
.
3 CXLII
CXLIII
CXLIV
LE CIMETIÈRE
CXLV
U'N AN APRÈS
3
. a Il y a un an que Magdeleine est morte.
» Et je sens encore sur mes lèvres l'impression du baiser que
j'ai donné à son cadavre.
» Hier, c'était son jour de naissance ; je suis allé prier sur sa
tombe avec son enfant.
» Cet enfant, le fils d’Edward, je ne croyais pas que je pour
rais l'aimer . Il me rappelle d'horribles souffrances ; mais il lui
ressemble tant, à elle ! et il m'aime, il m'appelle son père.
» Nous avons cueilli des fleurs sur la tombe de Magdeleine,
car je l'ai parée de chèvrefeuille, d'aubépine et de wergiss
mein -nicht.
» Ces fleurs, toute la nuit, je les ai couvertes de baisers et j'ai
>
Car,។ outre Slephen , vous savez aussi qui est Magdeleine; vous
connaissez et vous aimez d'une tendre et filiale affection le bon
M. Müller, et aussi cette Suzanne, si blanche el si jolie,
comme je l'ai entendu designer à vous-même , et le frère Eugène
le soldat.
Je ne sais si vous vous rappelez aussi l'allée des tilleuls, aujour
d'hui presque entièrement détruite, comme j'ai eu le chagrin de
le voir dans un des derniers pèlerinages que j'y ai faits .
Pardonnez-moi, madame, de vous rappeler ces souvenirs sans
savoir le degré d'intérêt qu'ils peuvent avoir conservé pour
vous .
Quelques -uns, à la lecture de ce livre, publié pour la première
fois il y a un an, ont soupçonné que je connaissais les person
18
314 SOUS LES TILLEULS
pas un mot d'amour que je ne vous aie dit et que j'ose dire à une
autre, tant je crains de le profaner. - Il n'y a pas une sensation
à laquelle vous soyez étrangère et que je puisse séparer de votre
souvenir ; - pas un coucher de soleil,, - pas une aurore, -- que
je ne me souvienne d'avoir contemplés en songeant à vous. La
mousse des bois : nous avons marché dessus ensemble. - Les
fleurs d'églantiers : ensemble, le soir , nous les avons respirées.
L'aubépine des haies : je l'ai enlacée dans vos cheveux. Les
liserons : il y en avait dans le jardin des tilleuls. – L'ombre et
C
le silence des bois : je les ai tant désirés, pour cacher notre vie
qui devait être si heureuse ! Le vent : je l'ai vu souffler dans
vos cheveux . La rivière : j'ai disparu sous l'eau en pro •
C
nonçant votre nom, entrainé par un homme que j'ai sauvé pour
que vous puissiez être fière de moi . La mer : j'ai écrit nos
deux noms sur son rivage. — La musique :: il y a des airs que
je vous ai entendue chanter, d'autres que je chantais moi-même
quand vous m'aimiez.
SOUS LES TILLEULS 317
Vous le voyez, vous avez tout pris ; la vie n'a plus rien pour
moi qui ne soit à vous.
Moi-même, je suis tout en vous : je suis tout à vous. Donc,
rien ne nous séparera. Vous êtes à moi, triste ou heureuse,
pensant à moiou m'oubliant dans les bras d'un autre : tout
ce qui est en vous, tout ce qui est de vous m'appartient.
Ce qu'on en prend, on me le vole ; je le réclamerai haule
ment.
Vos larmes, vos sourires, vos caresses, - tout est à moi ! et ne
croyez pas que je me laisse arréter par les considérations sociales
ni par le blâme ; mon amour était plus grand que tout cela .
Vous m'avez tué; mais mon cadavre, mon ombre, car je ne suis
plus qu'un cadavre et qu'une ombre, vivront avec vous de votre
vie, puisque je n'en ai plus à moi dont je puisse vivre ; – si
vous êtes triste dans des nuits sans sommeil, je veux pleurer
avec vous. Si vous êtes heureuse au milieu des fêtes, je cou
ronnerai de fleurs mon front pâle et j'assisterai à vos fêtes : je
souffrirai de votre mal , je serai heureux de votre joie, puisqu'il
n'y a plus pour moi ni joie ni douleur personnelle.
Vous êtes à moil et mes lèvres froides reprendront jusque sur
les lèvres roses de votre enfant les baisers que vous lui donnez
et qui m'appartiennent.
Je suis à vous , et votre nom sera en tête de tous mes ou
vrages, bons ou mauvais, loués ou bláinés , comme il a
été au fond de toutes mes actions , de tous mes désirs, de toutes
mes craintes, - quand j'avais des craintes,, quand j'avais la
force d'agir.
Voilà ce que je vous dirais, madame, si vous étiez Magdeleine,
si j'étais Stephen .
J'ai l'honneur d'être, madame, votre très -humble, très-obéis
sant serviteur.
ALPHONSE KARR ,
TIN
TABLE
Pages
I. Magdeleine à Suzanne ....................................
Il . Magdeleine à Suzanne ...................................
III . Edward à Stephen ..................................
IV .
NO
V. Où l'on apprend combien il y a de variétés de jacinthes ..
VI . Anxiété .. 10
VII . - Edward à Stephen ....................................... 11
Vill . · Eugène à Stephen ... ........................... 434
IX . Faute contre les usages ...... 15
.. Comment Stephen rentra en grace auprès de M. Muller et
de sa fille.. 17
X1. Où l'auteur prend momentanément la parole ............... 21
X. ................................ 22
Xull . Vergiss-mein-nicht ....................................... 26
XIV . Suzanne à Magdeleine .................................... 28
XV . Sous les filleuls.... 1 ............................... 31
XVI . Stephen à Magdeleine....
................................... 34
XVII . L'aubépine .. 34
XVIII . Stephen à Magdeleine.....
................................... 37
XIX . .....................................
39
XX . Magdeleine à Stephen ................................4 41
XXI. .
Stephen à Magdeleine ................................... 42
XXII . Magdeleino à Stephen ... ovo ............................. 43
XXII . 43
M. Muller à Stephen ...................................... *
08 分 加以 的 动
XXIV. 45
XXV . 45
XXVI. .......... &7
........................................
XXVII . Le départ... 50
XXVIII . · Magdeleine à Stephen ....
.................................. 52
XXIX . Magdeleine à Stephen .................................. 53
XXX . Stephen à Magdeleine ............................. : 54
XXXI. Où l'auteur prend la parole . Des parents en général et
des cousins en particulier... 55
拍 % 的 体 的 衍 88222
..............................
XXXII . ................................................... 58
XXXIII . 62
......................................
XXXIV . Magdeleine à Stephen .................................... 64
66
XXXV . Stephen à Magdeleine ....
...................................
XXXVI . .................................... 67
XXXVII . Stephen à Magdeleine .. 68
XXXVIII . Installation ...........................................
69
XXXIX . Eugène à Stephen ....................................... 70
XL . Un ami...
.............................................. 70
XLI . 72
XLII . Où l'on démontre l'avantage de ne pas avoir de meubles. . 74
TABLE 319
Pages
XLIII. Dilapidation des deniers....... 76
XLIV. Séduction ....
........................................
80
XLV . ................ 81
................................
XLVI. Une nuit .............................................. 83
XLVII . ...........................................
88
..
XLVIII . La carte à payer......
.. .............................. 90
......
........ 95
XLIX . ....................
L, ...............................................
96
LI . Marie . 98
....................................
99
LII . Suzanne à Magdeleine ... 99
LIII . ..................................
LIV . Stephen à Magdeleine.. ............................. 100
LV . ..................................
102
LVI . Magdeleino à Stephen . ................................ 104
LVII. Un bon diper .... ................................. 105
LVIII. 106
LIX . 106
LX .
Où l'auteur prend la parole.- Sur un proverbe ... 107
Magdeleine à Stephen ....
LXI. Pourquoi Stephen était arrivo tard au théâtre............ 108
109
LXII . Eugène à Stephen ......................................... 113
LXIII . Stephen à Magdeleine....................................
LXIV . 115
...............................
.......
LXV . L'émeraude .................................... 116
LXVI . Gazette du décembre. Nouvelles de l'armée .. 120
LXVII . Stephen à Magdeleine... 120
LXVIII . 124
LXIX . Un bonheur............................................. 122
LXX . ........................................ 124
.......... 127
- LXXI . ..................................
LXXII . Une noce et les conséquences d'icelle ........
................... 129
LXXIlI . ...................................... 131
LXXIV . Sous les filleuls . .......................................... 133
LXXV . Stephen à Magdeleine ................ ................ .... 137
LXXVI . Stephen à Magdeleine..................................... 138
LXXVII . Magdeleine à Stephen ....................................... 139
LXXVIII , Stephen à Magdeleine .................................... 140
LXXIX . Magdeleine à Stephen ...
..................................
142
LXXX . 143
..
Stephen àneMagdeleine......... ......................... 143
LXXXI . Magdelei à Stephen
LXXXII . 144
Stephen à Magdeleine ...................................
LXXXIII . Magdeleine à Stephen ................................ 145
LXXXIV . Le tort d'ayoir raison .................................. 146
LYXXV . ••••••••••••••••••••••••••••••••••••• ............. 149
EL XVI . ...........................
152
LXXXVII. 156
Où l'auteur prend la parole ....
............................
159
LXXXVIII , .................................
LXXXIX . 161
XC . Que l'inconséquence est une conséquence nécessaire des pas.
sions ... ................. 164
XCI . De la musique . 165
XCII . A M. Stephen , propriétaire, M. Walfarst, homme de loi.... 168
XCIII . ....................................................... 169
XCIV . .........
......................................
.....
IM
XCV , Hurren - Hauss. .... ............
................ 172
XCVI . Suzanne à Magdeleine .................................... 173
XCVII . Suzanne à Magdeleine.................................... 174
XCVIII . ...................................... 175
XCIX . 179
C. Ce qui se passa dans la maison préparéepour Magdeleine ... 182
CI . D’un déjeuner où il se dit des choses quasiment raisonnables. 184
CII. Où l'auteur prend la parole. Des jardins. De la gloire :
Du bonheur............. 190
CIII . ................................................ , 196
CIV . U .............. 198
320 TABLE
IIIII
Pages
Сү . 198
CVI . Où l'on retrouve Magdeleine.....
........................... 199
CVII . ................... 201
CVIII . Histoire de la voisine à la robe grenat .. .................. 203
CIX . Histoira de la grande brune vélue de blanc .. 213
CX . Histoire de la jeune femme si gaie, si insouciante, qu'il ne
peut y avoir eu jamais rien de sérieux dans sa vie ...... 230
CXI . Un orage dans une vie paisible ..... 243
CXII . Sous les tilleuls...... ............................ 253
CXIll . ...................................................... 257
CXIV . ..........1444 ........................... 258
CXV . ............................................. 258
CXVI . .............................................. 261
CXVII , Un ami .............................................. 265
CXVIII . !!.............................. 267
CXIX , Magdeleine à Suzanne .................................. 267
CXX . Suzanne à Magdeleine. ................................ 268
CXXI. Magdeleine à Suzanne 269
CXXII . .................................
270
CXXIII . 272
CXXIV . Pourquoi Stephen alla trouver Schmidt aux cheveux blonds,
le cousin de Magdeleine ... 276
СҳХУ . 277
CXXVI . Beethoven .. .............. 278
CXXVII. Où l'auteur prend la parole.. ........... .......... 282
CXXVIII . Magdeleine à Suzanne. ............... 283
CXXIX . Magdeleine à Suzanne .. .......................... 284
CXXX . ............................ 285
CXXXI . Magdeleine Suzanne . ..................... 286
CXXXII. A Magdeleine, le mari de Suzanne.. ................... 290
CXXXII . 250
CXXXIV . L'échéance . 292
CXXXV . Vergiss-mein -nich :. 297
CXXXVI . ......................... 299
CXXXVII . Une nuit . ..................... ........ 299
CXXXVIII . Sous les tilleuls... 301
CXXXIX . Magdeleine à Stephen ................................ 303
CXL . Magdeleine à Stephen .. 304
CXLI .
CXLII . Labzenfels, docteur............
Rapport de M. Christian.................................. 300
307
CXLIII . ....................................... 307
CXLIV . Le cimetière .......................................... 308
-
ÇXLV. Un an après . ............ 311
A Madame *** , née Camille ................ 313
A. DE BREHAT vol
.
ÉMILE CHEVALIER (suite) vol.
Z'AMOUR AU NOUVEAU -MONDE ... 1 LA HURONNE ......
LES AMOUREUX DE VINGT ANS ...... L'ILE DE SABLE ....
LES AMOURS DU BEAU GUSTAVE ...... LES NEZ-PERCÉS .
LES ANOURS D'UNE NOBLE DAME ......... PEAUX- ROUGES ET PEAUX - BLANCHES .
L'AUBERGE DU SOLEIL D'OR ..... 1 LES PIEDS -NOIRS ..
LI BAL DE L'OPÉRA ............ POIGNET - D'ACIER ...
LA BELLE DUCHESSB .. 1 LA TÊTE -PLATE .....
BRAS - D'ACIER ... 1
LA CABANE DU SABOTIER ....... 1 XAVIER EYMA
LES CHASSEURS D'HOMMES ......
LES CHASSEURS DE TIGRES ..... AVENTURIERS ET CORSAIRES .
LE CHATEAU DE VILLEBON ..... LE ROI DES TROPIQUES ....
LES CHAUFFEURS INDIENS .....
LE TRONE D'ARGENT....
LES CHEMINS DE LA VIK..
LE COUSIN AUX MILLIONS .
JULES GERARD
DEUX AMIS ... 1 LA CHASSE AU LION . Dessins de G. Dore.
UN DRAXE A CALCUTTA .... MES DERNIÈRES CHASSES ..
UN DRARE A TROUVILLE . VOYAGES ET CHASSES .
UNE FEMME ÉTRANGE ..........
HISTOIRES D'AMOUK .. ..... F. GERSTAECKER Trad . Révoil
LES ORPHELINS DE TRÉGUÉREC ........ 1
LES BRIGANDS TES PRAIRIES......
LE ROMAN DE DEUX JEUNES FEMMES .... 1
SCÈNES DE LA VIE CONTEMPORAINE ...... 1 UNE CHARMANTE HABITATION I..
LA SORCIÈRE NOIRE ... 1 LA MAISON MYSTÉRIEUSE ......
LA VENGEANCE D'UN MULATRI ...... LE PEAU -ROUGE .........
LES PIONNIERS DU FAR -WEST....
E.-L. BULWER Trad . Am. Pichot LES VOLEUI.S DE CHEVAUX .