Le Franc CFA Une Monnaie Coloniale Qui Retarde L Afrique PDF
Le Franc CFA Une Monnaie Coloniale Qui Retarde L Afrique PDF
Le Franc CFA Une Monnaie Coloniale Qui Retarde L Afrique PDF
Marcus Garvey
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I. UNE DEMARCHE DEFINITOIRE DE LA MONNAIE
C’est faute d’avoir compris que la monnaie n’est pas banale, que le
développement des pays africains de la zone franc (PAZF) se trouve
aujourd’hui à la limite du paradoxe. Dans les lignes qui suivent, nous allons
donner les fonctions et la nature de la monnaie.
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- la richesse non financière, qui est constituée des biens matériels (or, maison,
bijou, usine…) et immatériels (comme, par exemple, un fonds de commerce,
une qualification) ;
- la richesse financière, qui est constituée des titres qui peuvent s’échanger
directement contre des biens matériels ou qui, en général, doivent d’abord
se transformer en monnaie pour s’échanger contre des biens matériels (actifs
monétaires, actifs financiers).
Mais une " vraie " unité de compte ne peut avoir de valeur par elle-même
sauf à varier. Or, c'est bien ce que les hommes ont fait en utilisant, pendant
de brèves périodes historiques, comme valeur monétaire, des biens ayant
eux-mêmes un certain prix. Toutefois, durant la majeure partie du Moyen-
Âge, le Prince demeurait le " maître des mesures " : il imprimait son sceau et
fixait les valeurs monétaires qui différaient, la plupart du temps, de celles du
métal incorporé.
Finalement, la définition fonctionnelle de la monnaie ne nous aide pas dans
la poursuite de notre objectif, celui de justifier la disparition du franc CFA.
On ne peut pas se satisfaire de cette définition. Il nous faut approfondir la
question monétaire en disant ce qu’elle est et non ce qu’elle fait.
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Cette définition est complétée par l’approche institutionnelle de la monnaie :
la monnaie est certes une technique mais c’est aussi un phénomène social
qui met en jeu des relations humaines et pas simplement une technique.
L’enjeu principal de la monnaie est toujours l’appartenance à une
communauté de valeurs. Or, cette appartenance s’inscrit dans des formes
relativement différentes selon les époques et les sociétés. La monnaie est une
institution qui exprime et conforte les valeurs globales de la société où elle
existe.
La monnaie a également une dimension conventionnaliste. Elle est générée
par une convention marchande : j’accepte la monnaie car autrui l’accepte.
La qualité d'une monnaie se mesurera, dès lors, à l'aune de son aptitude à
conserver sa valeur d'une période à l'autre et de sa capacité à inspirer
confiance à ses utilisateurs. Ce minimum de cohésion sociale et de
confiance, qui est au fondement même de toute monnaie, émane soit d'un
acte de foi (acceptation générale du numéraire par la communauté), soit
d'un édit des autorités qui l'établit comme cours légal dans un territoire
donné.
Dans le premier cas, la monnaie peut provenir soit d'une coutume
immémoriale, soit d'une convention émergeante ou librement négociée, ou
encore être le résultat d'une concurrence entre monnaies privées où une a
fini par s’imposer dans un vaste réseau d’échange.
Dans le second cas, la monnaie est la production d'un monopole d'État qui
impose le médium d'échange et tente de le contrôler. La puissance publique
tire profit de cette situation à divers échelons : la monnaie sert, à la fois, de
source d'unité symbolique du pays, de source de revenu pour l'État et de
moyen d'indépendance politique, le pays ayant sa propre devise.
Georges Simmel met pour sa part en avant que si la monnaie ne doit rien
dans sa genèse, à l’Etat, un fonctionnement viable ne peut cependant être
garanti par celui-ci. C’est dans cette filiation que se situe l’approche
étatique de Knapp (1973)3 à laquelle fait référence J.M. Keynes dans le
« treatise on money ». Cette approche peut être résumée ainsi : « la monnaie
est une créature de la loi », c’est-à-dire du droit. En fait, selon Knapp, l’État
sélectionne et impose une forme-monnaie en choisissant une certaine unité
et en lui donnant une validité sur un territoire qui correspond à son espace
national. Ainsi, l’acceptation inconditionnelle de la monnaie par les individus
est garantie par l’État.
Il s’agit de dire que c'est l'autorité politique représentative qui, dans un
espace national donné, fait battre monnaie et lui donne cours légal, un
principe repris, après bien des vicissitudes, du droit romain.
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La monnaie a également une dimension politique : les nations se sont
construites autour de la monnaie et autour d’un roi qui avait le pouvoir de
battre monnaie. Au 19ème siècle, l’unification progressive de l’Allemagne
s’est faite à partir du Zollverein, mais aussi par une monnaie commune : le
Thaler (1857). A l’heure actuelle, le pouvoir monétaire est perçu comme un
élément de la souveraineté nationale : ses capacités régulatrices lui viennent
de son aptitude à représenter les valeurs qui sont au fondement de la
communauté d’échanges. Pour Charles Loyseau4 dans son « Traité des
seigneuries » (1669) : « …la souveraineté est du tout inséparable de l’Etat,
auquel, si elle était ôtée ne serait plus un Etat. Car, enfin, la souveraineté est
la forme qui donne l’être à l’Etat, voire même l’Etat et la souveraineté prise in
concreto sont synonymes et l’Etat est ainsi appelé, pour ce que la
souveraineté est le comble et période de puissance où il faut que l’Etat
s’arrête et s’établisse ». La souveraineté s’affirme ad externa. Concrètement,
elle s’exerce sur un territoire délimité – la première fonction du roi étant de
tracer la ligne qui situe le domaine de la couronne dans l’espace, et qui
marque sa libre existence face à toute autre puissance extérieure contre
quoi le moyen militaire peut être requis.
Il n’est pas possible d’asservir des hommes sans logiquement les inférioriser de
part en part. La zone franc demeure un maillon de l’impérialisme français.
Philippe Hugon (1999) dans son livre intitulé « La zone franc à l’heure de
l’euro », s’interroge sur le statut de la zone franc : est-elle une zone monétaire
ou une survivance néocoloniale ? Dans tous les cas, la zone franc lato sensu,
regroupe 26 entités territoriales ; elle comprend, outre 15 pays africains, la
France, les DOM-TOM, la principauté de Monaco et Mayotte ; elle est depuis
le 1er janvier 1999 liée à l’Union monétaire européenne puisque les francs de
la zone sont arrimés à l’euro.
Historiquement, même s’il est difficile de donner une datation exacte de la
zone franc avant son officialisation, il est possible de lui trouver un ancrage.
La dislocation progressive de l'espace monétaire et commercial international
dans les années trente, la montée en puissance généralisée du
protectionnisme et l'enchainement des dévaluations compétitives
provoquèrent de la part des puissances coloniales une réaction de repli sur
leurs empires. Après l'échec de la conférence de Londres en 1933, les zones
monétaires firent leur apparition. C'est ainsi que prit naissance la « zone
sterling ». Un grand nombre de pays d'Amérique centrale et d'Amérique du
Sud vont rattacher leur monnaie au dollar pour former la « zone dollar ». La
formation d'une zone économique impériale, protégée de la concurrence
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extérieure et fondée sur la complémentarité des productions coloniales et
métropolitaines, passait par la création d'un espace monétaire commun.
Avec le déclenchement de la seconde guerre mondiale, naissait
l'instauration d'une réglementation des changes, valable pour l'ensemble des
résidents de l'empire et la centralisation des réserves en devises au profit de la
métropole. La zone franc est donc née de la volonté initiale d’isoler l’empire
colonial du marché international et de créer un espace préférentiel après la
crise de 1929. Elle a été institutionnalisée le 9 septembre 1939, lorsque dans
le cadre de mesures liées à la déclaration de guerre, un décret instaura une
législation commune des changes pour l'ensemble des territoires appartenant
à l'empire colonial français. En fait le début de la seconde guerre mondiale
va s'accompagner d'un dirigisme monétaire avec la mise en place du
contrôle des changes à cette date.
La zone Franc, en tant que zone monétaire caractérisée par une liberté des
changes, est formellement créée.
Officiellement, le franc CFA est né le 26 décembre 1945, jour où la France
ratifie les accords de Bretton Woods et procède à sa première déclaration de
parité au Fonds monétaire international (FMI). Il signifie alors « franc des
colonies françaises d'Afrique ».
Mais cette définition de la parité du Franc se fait avec une différenciation
selon les secteurs géographiques. Nous avons alors trois unités distinctes avec
le Franc des Colonies Françaises du Pacifique (FCFP), un Franc des Colonies
Françaises d'Afrique (FCFA) et un Franc de la métropole valable également
pour l'Afrique du Nord et les Antilles (FF). Le FCFP valait 2,40 FF et le FCFA 1,70
FF. C'est aussi l'occasion d'affirmer l'unité car le communiqué du ministre des
Finances parle de « Constitution de la zone franc » et ce sera la première fois
que le terme est utilisé officiellement.
Certains pays ont choisi, lors de l'indépendance ou après, de quitter la zone
franc coloniale : Algérie (1963), Maroc (1959), Tunisie (1958), Mauritanie(1973),
Madagascar(1973), Guinée (1958), l'ex- Indochine (Cambodge, Laos,
Viêtnam) en 1954. Le Mali l'a quittée en 1962 pour la réintégrer en 1984.
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3) La libre transférabilité : les transferts sont, en principe, libres à l’intérieur de
la Zone. À l'intérieur de chaque sous-zone, et entre chaque sous-zone et la
France, les transferts de capitaux sont en principe libres.
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banques françaises en Afrique, n’accordent aucun crédit de
développement aux particuliers. Elles n’accordent aucune ligne de crédit à
la consommation aux ménages les plus démunis. Son rôle colonial, c’est
d’encaisser le maximum d’argent liquide pour la métropole sans investir
localement, ni dans les entreprises africaines ni dans le développement.
Depuis cette date, la BCEAO a toujours été dirigée par un directeur général
français. Le dernier français en est Robert Julienne qui occupa le poste de
gouverneur depuis le 28 septembre 1962 jusqu’en 1973. Le siège de la
banque était à Paris. Avant de passer le flambeau aux africains pour la
direction et le siège de la banque, la France exigea la signature le 4
Décembre 1973, d’un nouvel Accord de Coopération et de la nouvelle
Convention de Compte d'opérations entre la République Française et
l'UMOA. C’est finalement le 15 décembre 1974 que M. Abdoulaye FADIGA
sera nommé aux fonctions de Gouverneur de la BCEAO. Ce dernier va
œuvrer pour le transfert du siège de la BCEAO de Paris à Dakar en Juin 1978
et l’inaugurer le 26 mai 1979.
Avant de clore ce chapitre sur la BCEAO, disons un mot sur la fonction d’une
banque centrale. La BCEAO, rebaptisée par nous, sous le nom de « Banque
Centrale Européenne en Afrique de l’Ouest », ne fait qu’appliquer les
directives de la BCE.
A l’occasion de l’entrée en vigueur de la reforme institutionnelle de l’UMOA
et de la BCEAO (1er Avril 2010), M. Philippe-Henri Dacoury Tabley, gouverneur
de la BCEAO donnait dans une interview, l’objectif de cette reforme en ces
termes : « la mise en œuvre de la réforme devrait, en assignant à la BCEAO
un objectif prioritaire de stabilité des prix, permettre, de garantir le pouvoir
d’achat de notre monnaie et apporter une réponse adéquate au défi du
financement des économies ». Le constat est frappant, sans aucun doute
humiliant. Pour revenir à notre sujet, la BCEAO poursuit prioritairement un
objectif de stabilité des prix au sein de l'Union Monétaire Ouest Africaine au
détriment de notre développement économique. Cette banque est contre
les africains. La lutte contre l’inflation ne doit pas être l’objectif principal de la
BCEAO, ni avoir une cible d’inflation de 2% comme la BCE car les populations
ouest-africaines ne vivent pas les mêmes conditions économiques que les
européens.
L’acceptation d’une souveraineté nominale et le refus absolu d’une
indépendance réelle, telle est la réaction type des nations colonialistes à
l’égard de leurs anciennes colonies. Le franc CFA est une monnaie coloniale
qu’il faut faire disparaître.
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IV. POURQUOI SORTIR DE LA ZONE FRANC
La question à laquelle nous répondons ici est celle de savoir pourquoi les pays
africains de la zone franc doivent-ils sortir de cette zone ou du moins
décoloniser le franc CFA sinon la remplacer par une monnaie purement
africaine. Notre thèse se justifie pour au moins trois raisons.
Premièrement, le franc CFA et ses mécanismes sont des leviers du pillage des
économies africaines.
Deuxièmement, le franc CFA est un instrument de domination de la France
en Afrique.
Troisièmement, le franc CFA entame la souveraineté des pays membres.
IV.1. Le franc CFA et ses mécanismes sont des leviers du pillage des
économies africaines
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Le montant des transferts sans contrepartie des ménages non africains sortis
des PAZF en direction de la France et le RDM est passé de 89 millions de
dollars (en 1970) à 434 millions de dollars (en 1993). Le montant cumulé de
ces transferts est estimé à 3783,6 millions de dollars (soit 2200 milliards de franc
CFA).
En 2004, l’Afrique noire (sans l’Afrique du Sud) a reçu 0,4% des IDE dont la
moitié a été au bénéfice de l’Angola et du Nigeria.
- Quant à la convertibilité illimitée, elle est virtuelle. La convertibilité revient à
dire simplement que tout étranger détenteur de cette monnaie doit avoir la
possibilité, à tout instant, de l’échanger librement contre d’autres monnaies
ou contre de l’or. La convertibilité revêt plusieurs formes et on en distingue le
plus souvent les degrés de convertibilité par rapport aux opérations, aux pays,
et aux agents. Pour les petites économies que sont les pays africains de la
zone franc, il n’est pas bon d’avoir des monnaies convertibles. Dans la
remuante histoire du franc français, l’échange de francs contre des devises
n’était pas libre, mais réglementé. Cette convertibilité externe du franc,
rétablie en 1958 pour les non-résidents, n’était pas totale pour les résidents.
Par exemple, ceux-ci ne pouvaient pas sortir des capitaux hors des frontières
sans autorisation administrative. La Tunisie par exemple a une politique qui
s’appuie sur le maintien de contrôles des capitaux, c’est-à-dire sur une «
convertibilité » partielle de la monnaie, certaines opérations sur les
mouvements des capitaux avec l’extérieur restant soumises à restrictions.
Cela permet à la Banque centrale de conserver une certaine marge de
manœuvre sur sa politique intérieure. Quant au géant chinois, la grande
fragilité de son système bancaire étatique (créances douteuses) ne l’autorise
pas aujourd’hui à libéraliser son marché des changes et à rendre sa monnaie
librement convertible sous peine de faire peser des risques importants sur la
croissance économique chinoise. Le Naira n’est pas une monnaie convertible
pourtant le Nigeria est un géant économique ; la Roupie également n’est pas
convertible pourtant l’Inde est une puissance économique.
La convertibilité du franc CFA est d’autant plus virtuelle que les francs CFA de
la BCEAO et ceux de la BEAC ne sont pas convertibles entre eux, ce qui
n’encourage pas le développement des échanges entre les deux zones. Au
contraire, les mécanismes de la zone franc facilitent les relations financières
et commerciales entre la métropole et les territoires, tout en supprimant le
risque de change entre les deux monnaies (Euro et franc CFA).
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Pour atténuer cette pauvreté, l’aide française est venue comme une bouée
de sauvetage. En effet, les pays de la zone Franc sont des principaux
bénéficiaires de l'aide publique au développement française. En 1997, ils ont
reçu environ la moitié de l'APD bilatérale française aux pays d'Afrique sub-
saharienne, ce qui représente 23 % des apports bilatéraux de la France aux
pays en développement (6,5 MdF sur 27,8 MdF d'aide bilatérale en 1997).
Dans le cadre du traitement de dette au sein du Club de Paris, 10 pays de la
Zone franc6 ont bénéficié d'annulations pour un montant total rééchelonné
de 23 MdF. La France a apporté près de 50 % de l'effort ainsi consenti par les
créanciers. En plus des accords conclus dans le cadre du Club de Paris, la
France a pris des mesures bilatérales exceptionnelles de réduction de dettes,
en annulant en 1989, les crédits d'aide publique au développement (Dakar I),
puis en procédant à une nouvelle annulation en 1994 (Dakar II), soit une
annulation de dette de 55 MdF au profit des pays de la zone Franc. Entre
1993 et 1996, l'effort de réduction de dettes a représenté en moyenne une
contribution annuelle de la France de 3,2 MdF, soit plus du tiers de l'aide
bilatérale française à la zone Franc.
En tout état de cause, les pays de la zone franc ne sont pas mieux lotis en
termes de performances macroéconomiques à comparer aux pays africains
hors zone franc. Une synthèse de nombreux travaux comparant les
performances est présentée chez Hadjimichael et al. (1995)7.
Lorsqu’on compare les taux de croissance du PIB des pays africains de la
zone franc et des pays hors zone, il apparait que les années 60 et 70 sont
marquées par des résultats supérieurs pour les pays de la zone franc (5%
contre 4,4%) alors qu’il y a inversion au cours de la décennie 80, plus
précisément entre 1985 et 1991(1% contre 3,7%), sur l’ensemble des trois
décennies, les résultats sont, en revanche, comparables8. On note
également une plus grande instabilité des taux de croissance au sein de la
zone. L’écart-type du taux de croissance a été entre 1971 et 1987 de 7%
contre 4,5% pour les pays voisins. De 1980 à 1994, les écarts du PIB réel par
rapport à sa tendance à long terme ont été supérieurs.
En 2010, la situation n’est guère reluisante pour les pays de la zone franc. La
Côte d’Ivoire demeure en dépit de la crise militaro-politique qu’elle traverse
depuis 2002, le premier pays africains de la zone franc en termes de PIB réel.
Pourtant, le franc CFA n’a pas permis à ce pays de faire mieux que les pays
hors zone franc (Tableau 1).
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Tableau 1 : Le classement des pays africains de la zone franc en termes de
PIB réel en 2010.
Rang Pays PIB réel (en milliards de
dollars)
1er Côte d'ivoire 22,4
2e Cameroun 21,9
3e Guinée-Equatoriale 14,5
4e Sénégal 12,7
5e Gabon 12,6
6e Congo 11,9
7e Mali 9,1
8e Burkina-Faso 8,7
9e Tchad 7,6
10e Benin 6,5
11e Niger 5,6
12e Togo 3,1
13e Centrafrique 2,1
14e Guinée-Bissau 0,8
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Tableau 3 : Le PIB réel et le PIB réel/habitants de quelques pays hors zone
franc.
Sur ce point, commençons d’abord par dire que les pièces de monnaie et les
billets de banque sont fabriqués en France ; les premières dans l'usine de
Pessac en Gironde et les deuxièmes dans le Puy de Dôme, (papeterie de Vic-
le-Comte, imprimerie et centre de recherche à Chamalières). Pour ceux qui
pensent que l’intérêt économique pour la France est peu significatif, ils ne
doivent cependant pas perdre de vue qu’en réalité, l’enjeu principal de la
zone franc pour la France n’est pas seulement de nature matérielle,
économique ou comptable, mais réside également dans la reproduction
continue d’un ensemble de relations qui, en effaçant la « perte » survenue en
1960, préserve son statut de puissance internationale. Le dispositif de la zone
franc, conservateur dans son essence, entretient en Afrique l’ossature des
Etats et leur survie dans un système économique et social figé.
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L’empire colonial français, qui absorbait 10% des exportations françaises à la
fin du 19e siècle et 17% à la veille de la crise de 1929, devint dans les années
trente, et jusqu’à la constitution de la communauté économique
européenne, un débouché majeur pour les entreprises métropolitaines. Elles y
écoulaient 42% de leurs exportations en 19529.
Selon la commission européenne (2002), en 1999, 40% des exportations de
l’espace UEMOA étaient destinées à l’Europe. Les importations en
provenance de l’UE et en direction de l’UEMOA la même année se situent à
43%.
Les exportations de la zone UEMOA en direction de cette zone représentent
12% et 10% pour les importations. Les avantages présentés aux Africains sont
quant à eux des plus artificiels : outre l'attrait des investissements directs à
l'étranger (IDE), le franc CFA est censé épargner les risques de change avec
la zone euro et donc faciliter l'accès au marché unique européen. Les
monnaies coloniales encourageaient l’intégration économique avec la
puissance de tutelle, et, dans une moindre mesure, avec le reste du monde.
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Enfin la zone franc et ses mécanismes engendrent un système bancaire
oligopolistique dominé par les banques françaises. Les banques sont des
maillons importants du système financier. Elles remplissent un double rôle.
D’une part, elles sont des entités privées qui recherchent le profit ; d’autre
part, elles constituent des réseaux qui fournissent à l’économie globale un
bien collectif : les systèmes de paiement et de règlement. Or les systèmes
financiers africains en général et ceux de l’UEMOA en particulier, sont peu
profonds, étroits, peu diversifiés et n’assument pas leur rôle dans le
financement du développement (Popiel ,1995)10. La création d’un embryon
de système financier au sein des pays de la zone franc pendant la période
coloniale avait pour seul dessein de répondre aux besoins de financement
des sociétés d’import-export et d’exploitation des produits primaires agricoles
(Benin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali), miniers (Niger, République
centrafricaine, Sénégal, Togo) et pétroliers (les pays de la CEMAC
aujourd’hui).
Les banques ne trouvaient pour ainsi dire aucun intérêt à développer un
réseau d’agences à l’intérieur de ces pays ou à établir des contacts avec les
populations locales. Le taux de bancarisation dans l’UEMOA est très faible
(moyenne de 4%). Ce taux était en 2001 de 99% en France.
Les banques commerciales proposaient surtout des crédits à court terme
permettant de s’adapter au caractère cyclique de la production et de la
commercialisation des produits tropicaux et aux délais d’acheminement des
produits manufacturés entre la métropole et l’Afrique. Le crédit bancaire ne
facilite pas la formation du capital car il finance plutôt les affaires
commerciales et d’import-export. Le financement bancaire en Côte d’Ivoire
est de l’ordre de 16% contre environ 70% en Tunisie.
Il est d’ailleurs lié au système commercial mis en place par l’économie de
traite et non au système de production. La stratégie bancaire
postindépendance est restée identique à celle de la période coloniale. Le
maintien, après les indépendances, des schémas d’organisation spatiale et
sectorielle de l’activité économique (spécialisation sur le commerce et
l’exportation de matières premières brutes) cumulé à l’échec des politiques
de diversification industrielle expliquent aujourd’hui encore la perpétuation
des structures économiques héritées de la période coloniale et les
caractéristiques financières qui en découlent.
Par ailleurs, les centres de décision de ces grandes firmes bancaires sont
situés à l’étranger. Autant de facteurs qui réduisent leur impact sur les pays où
elles sont installées : elles paient des impôts, sans pour autant s’embrayer sur
l’économie nationale. Au total, sur le plan bancaire, le système bancaire
postcolonial ne tranche guère avec la logique coloniale, celle qui consistait à
financer l’échange et la production de matières premières exportées.
Finalement, avec le franc CFA, la France nous domine économiquement,
commercialement et politiquement.
15
IV.3. Le franc CFA entame notre souveraineté
16
Le dernier point à élucider est celui du lien entre la monnaie et la
souveraineté.
La souveraineté est le droit exclusif d’exercer l’autorité politique sur une zone
géographique ou un groupe de peuples. La souveraineté est la qualité de
l’Etat de n’être obligé ou déterminé que par sa propre volonté dans les limites
du principe supérieur du droit et conformément au but collectif qu’il est
appelé à réaliser. Dans presque tous les Etats, la souveraineté s’exerce au
minimum dans les domaines suivants :
La sécurité extérieure : la diplomatie et la défense nationale
La sécurité intérieure : la police, la loi
La justice
Les finances : la monnaie, la collecte des impôts et le contrôle
des marchés financiers.
17
souveraineté est le pouvoir de modifier le cours légal et le contenu métallique
des pièces. Mais si cette manipulation relève de la puissance de la loi, qui est
celle du souverain, seul le droit de battre monnaie est de la même nature
que la loi12.
En définitive, la monnaie fait partie de l’identité d’un pays, le franc CFA, lui
est une monnaie étrange imposée de l’étranger, elle n’est donc pas notre
monnaie.
CONCLUSION
Ce n’est pas sans hésitation que les gouvernants des pays africains de la zone
franc traitent le sujet du franc CFA. En dépit de la lassitude, qui,
épisodiquement, gagne ces sphères politiques, il faut une plus grande
volonté politique pour « décoloniser » le franc CFA et la zone franc. Toutes
ces structures abêtissantes et infantilisantes de la zone franc qui infestent le
développement des pays membres devraient pourtant être abandonnées.
Le paradoxe est que sur le continent, le vent de la renaissance africaine
souffle et ce, avec une vitesse qui terrasse même les plus sceptiques. Si les
pays veulent vraiment une libération totale, il faudra considérer
l’avertissement que nous donne Frantz Fanon (2006) en ces termes : « il n’est
possible de prendre ses distances à l’égard du colonialisme sans en même
temps les prendre à l’égard de l’idée que le colonisé se fait de lui-même à
travers le filtre de la culture colonialiste »14.
Ce sont les peuples coloniaux qui doivent se libérer de la domination
colonialiste. La véritable libération n’est pas une pseudo-indépendance où
les présidents à responsabilité limitée voisinent avec une économie dominée
par le pacte colonial dont le franc CFA est le pilier central.
Au cours de ces pages, nous avons voulu être méthodique afin de faire
comprendre notre argumentation. Le thème dominant de notre
argumentation est net : le franc CFA agit comme un virus qui détruit la
structure économique des pays africains de la zone franc. En conséquence, si
ces pays veulent amorcer un véritable développement autocentré, alors il
leur faut sans tarder œuvrer à la disparition du franc CFA qui retarde leur
développement.
18
Dr Prao Yao Séraphin
Vice-président chargé des affaires économiques et sociales de la cellule de
veille et d’éveil (CVE) de la Côte d’Ivoire.
Président de l’association des théoriciens africains de la monnaie (ATAM)
[email protected]
1JEVONS, W.S. (1876). Money and the Mechanism of Exchange. New York, D.
Appleton and Company.
2B. Courbis, E. Froment, J. M. Servet,1990, "4 propos du concept de monnaie",
Economie et développement.
6 Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Tchad et Togo
7 Hadjimichael, M.-T. et al. (1995), Sub Saharan Africa : Growth, Saving and
121.
19