Le Travail Et L'existence Humaine
Le Travail Et L'existence Humaine
Le Travail Et L'existence Humaine
:
« [Le travail] est attelé à la tâche qui est celle de l’existence humaine en tant que telle : se faire soi-
même, obtenir durée et consistance. »
Le terme central du sujet, qui définit le champ de la réflexion de Marcuse, est « l’existence
humaine » : il s’agit d’une réflexion à portée ontologique (qu’est-ce que l’homme ?). Selon
Marcuse, pour l’homme, prendre sa place et assumer sa responsabilité dans le monde doit être
envisagé comme une « tâche » essentielle (« en tant que telle »), dont les contours sont précisés par
une double expression : « se faire soi-même », « obtenir durée et consistance ». Comme les deux
expressions sont juxtaposées, le rapport entre elles est complexe à établir : il peut s’agir d’une forme
de synonymie.
Le lexique employé est celui de l’effort : la « tâche », le choix du verbe métaphorique « est
attelé » qui renvoie au labeur des animaux de trait, le redoublement des pronoms personnels « se »
et « soi-même » (forme réfléchie) qui miment la répétition du geste qui façonne, qui
« fai[t] l’existence humaine ».
Il semble y avoir concomitance de deux efforts conjoints, celui du « travail », comme
personnifié et doté d’une volonté propre, et celui de l’être humain chargé de la construction de sa
propre existence. Mais le rôle donné par Marcuse au travail paraît paradoxal : travailler, c’est d’abord
gagner sa vie ou les moyens de sa survie, au sens le plus matériel du terme. Donner ainsi au travail
une portée ontologique paraît extrêmement surprenant.
Comment comprendre les deux expressions « se faire soi-même » et « obtenir durée et
constance » ? La première est suffisamment imagée pour paraître simple, elle envisage « l’existence
humaine » comme une construction de soi. La seconde semble développer les qualités spécifiques
d’un existence humaine accomplie : « durée » et « consistance », ce sont les qualités d’un matériau,
d’un monument. Dans son travail, par son travail, l’homme donnerait à sa vie la densité, la pérennité,
l’épaisseur d’un mur, d’un bâtiment, d’une maçonnerie, et accomplirait ainsi la « tâche » d’une
« existence humaine en tant que telle ».
Or, la condition première de l’homme paraît être l’éphémérité et la fragilité : il est menacé
par la mort et l’oubli, nulle « durée », nulle « consistance » ne lui sont données. « Ô vents ! Ô flots !
Ne suis-je aussi qu’un souffle, hélas ? / Hélas ! Ne suis-je aussi qu’une onde ? », interroge Victor Hugo
dans le Livre V des Contemplations. C’est là le paradoxe du sujet : comment le travail permettrait-il
à l’homme de lutter contre sa finitude, contre le caractère éphémère et instable de sa condition ?
Plan détaillé :
1. La première des fonctions du travail, c’est de subvenir aux besoins premiers, aux
nécessités ; sans cela nul homme ne peut vivre
Le travail procure de la « durée » en donnant aux travailleurs le moyen de subvenir à leurs besoins.
Certes, ce n’est pas tout à fait « exist[er] », c’est peut-être seulement vivre, mais satisfaire les
nécessités vitales c’est tout de même une manière d’être homme, c’est une part de « l’existence
humaine ».
Vinaver :
Lubin qui gagne sa vie et subvient aux besoins de son épouse malade et de sa fille.
Weil :
L’ouvrier gagne sa vie en travaillant. Certes, ce n’est jamais assez, « le désir avide
d’accumuler des sous » 338 est une dure nécessité pour des ouvriers toujours menacés de famine,
c’est pourquoi Weil fustige l’irrégularité des salaires, le fait que l’ouvrier ne sache jamais combien il
va gagner à la fin du mois (cf 340 « paie impossible à calculer d’avance »).
« Ces soirs-là, je sentais la joie de manger un pain qu’on a gagné » (« Lettre à Albertine
Thévenon », 59
Virgile :
Tout le Livre II célèbre la prospérité de l’homme au sein d’une nature pleine de vitalité, qui
surabonde en fruits, moissons, boissons (cf les longues énumérations qui mettent l’eau à la
bouche !). Virgile écrit : « Le laboureur fend la terre de son areau incurvé : c’est de là que découle le
labeur de l’année ; c’est par là qu’il sustente sa patrie et ses petits-enfants, ses troupeaux de bœufs
et ses jeunes taureaux qui l’ont bien mérité. » 103
III. Dès lors, le travail doit être considéré comme une réalité mouvante,
toujours à construire : c’est « le travail » qu’il faut « faire », dans un
effort permanent d’en circonscrire les contours, pour l’inscrire dans la
« durée » et la « consistance »
Comme vu plus haut, Weil oppose le travail gouverné par la « nécessité » au travail gouverné par la
« finalité ». En s’appuyant sur les analyses d’Arendt qui envisagent aussi cette « finalité » du travail
pour en déterminer la dignité, on pourrait élargir le champ de la définition du travail et tracer des
contours nouveaux pour qu’il soit pleinement au service de « l’existence humaine » (voir PWP Arendt).
1) Le travail comporte en lui-même un certain nombre de dynamiques internes qui le rendent
apte à donner à l’homme « durée et consistance »
Vinaver :
L’entreprise Ravoire et Dehaze elle-même : l’immobilisme et le conservatisme stériles
meurent avec Fernand Dehaze, le patron paternaliste mais assez atroce (Cf les scènes avec le
modèle nu, cf le discours lors de la première fête d’entreprise où il revendique que son entreprise
soit « une grande famille » alors que le dialogue immédiatement précédent prépare un adultère), et
vive la mobilité ! L’entreprise se réinvente : en étant vendue elle ne vend pas son âme, car Ralph
Young aime que ses entreprises se fassent concurrence entre elles : « Ravoire et Dehaze sur le plan
opérationnel continuerait de façon autonome » 223. Apport d’argent frais, de sang frais. Cf « les Ases
et les Vanes font la paix une paix surprenante aussi harmonieuse que la guerre a été implacable là
où aucun compromis ne paraissaiot possible d’un seul coup c’est l’entente et même davantage »
254.
Weil :
La philosophe recherche à analyser la condition ouvrière d’un point de vue collectif, puisqu’il
s’agit d’une expérience universelle.
Cf le patient dialogue avec les patrons, le temps qu’elle prend pour avoir des interlocuteurs.
La forme de l’œuvre elle-même est un appel au dialogue : des Lettres qui attendent une réponse du
destinataire, des articles de journaux, un « Appel aux ouvriers de Rosières ». SW croit en la valeur du
dialogue avec d’autres pour progresser.
Elle croit aussi en une approche internationalisée du problème du travail, comme le montre
l’ébauche d’article intitulé « La condition ouvrière » (389), où elle déplore que la condition ouvrière
soit si différente d’un pays à l’autre, et qu’aucun corps constitué (patronat, syndicats, Etats) n’adopte
une démarche collective pour obtenir le « nivellement par le haut » qu’elle appelle de ses vœux
(396).
Virgile
La solidarité entre paysans et avec les animaux.