12 Edso-174-33-Pedagogie-De-La-Creativite-De-L-Emotion-A-L-Apprentissage
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12 Edso-174-33-Pedagogie-De-La-Creativite-De-L-Emotion-A-L-Apprentissage
33 (2013)
Éducation relative à l’environnement/Éducation au développement durable — Varia
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Isabelle Puozzo
Pédagogie de la créativité : de
l’émotion à l’apprentissage
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Référence électronique
Isabelle Puozzo, « Pédagogie de la créativité : de l’émotion à l’apprentissage », Éducation et socialisation [En ligne],
33 | 2013, mis en ligne le 01 septembre 2013, consulté le 18 mars 2014. URL : http://edso.revues.org/174
Isabelle Puozzo
un environnement d’apprentissage qui favorise un état émotionnel positif chez les élèves
(Piccardo et Puozzo Capron, 2003, à paraître).
9 Il s’agit alors de réfléchir sur des modalités de tâche qui réduisent fortement ces émotions
parasites. La piste présentée dans cet article est celle de la pédagogie de la créativité. L’objectif
est d’amener les apprenants à faire émerger des émotions facilitatrices d’apprentissage qui
tempèrent ainsi leurs émotions parasites liées au contexte de la production orale grâce à la
réalisation d’un support créatif.
10 Dans la continuité des recherches de Bandura (1997/2007), Brewer (2006) a effectué une
enquête sur la dimension émotive dans l’apprentissage de l’anglais en contexte universitaire.
Des entretiens, qu’il a menés auprès d’étudiants, émergent que le souvenir de la construction
de leur carrière d’apprenant se focalise sur l’évocation de ce qu’il appelle des « souvenirs
chauds connectés à la musique ou à la joie » et des souvenirs « froids » « associés à la douleur,
la souffrance » (p. 233-234).
11 Dans sa théorie des émotions, Vygotsky (1984/1998) est l’un des premiers à avoir soutenu
le rapport étroit entre le contenu d’une idée et la dimension affective à laquelle il est
rattaché. Plus de soixante-dix ans après son œuvre, les recherches en psychologie différentielle
ont approfondi ce lien entre émotion et concept. En effet, selon Lubart (2003), lorsqu’une
expérience émotionnelle est rattachée à un concept, les deux éléments se retrouvent associés
l’un à l’autre et deviennent un « endocept » : « À chaque concept ou représentation en
mémoire sont associés des traces correspondant aux expériences émotionnelles vécues par
l’individu » (p. 59). Le « mécanisme automatique de résonance émotionnelle » (Lubart,
2003, p. 59) se déclenche lorsque le concept est réactivé dans un apprentissage ultérieur.
Ce facteur émotionnel entre en résonance, car il met en lumière le potentiel de l’émotion
sur l’apprentissage et son ancrage dans le long terme. C’est le principe des « souvenirs
chauds » de Brewer (2006). Une tâche qui favorise le développement de la pensée créative
et de l’apprentissage d’un objet doit être réalisée à un moment-clé du curriculum. Ainsi, la
réactivation d’un concept, appris précédemment dans un tel dispositif, est censée remémorer
à l’apprenant la performance par le biais de l’émotion et pouvoir ainsi remobiliser cet
apprentissage dans un autre contexte. Il ne s’agirait pas uniquement de la restituer, mais de
mobiliser les caractéristiques essentielles de cet objet pour les approfondir. L’on peut faire
l’hypothèse que l’apprenant pourra être, par la maîtrise de ce concept, d’autant plus créatif
(cf. figure 1).
Figure 1 — Le cycle de la créativité
17 La recherche menée a été réalisée dans les classes de première année à l’Istituto Professionale
Regionale Alberghiero, un lycée professionnel qui se trouve en Vallée d’Aoste dans le
nord de l’Italie. Dans cette région institutionnellement bilingue, où le français est enseigné
dans l’idéologie du native speaker, l’enseignement relève cependant plus de la langue
seconde, voire étrangère dans certains contextes (Cavalli et al., 2007). Au-delà de la
question des politiques linguistiques éducatives, cette recherche empirique a permis de tester
une voie possible d’action didactique favorisant l’émergence d’émotions facilitatrices de
l’apprentissage à travers la démarche créative. L’échantillon se compose de 43 élèves. La
discipline enseignée est le français langue seconde/étrangère. L’observation a duré une année
(de septembre 2008 à juin 2009). L’enquête menée dans le cadre de cette recherche s’inscrit
dans une typologie de type qualitatif, notamment celle d’une enquête de terrain (Beaud et
Weber, 2003) et une recherche-action (Becker, 2002). Le socio-cognitivisme, plus exactement
le sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 1997/2007), et l’approche multivariée (Lubart,
2003) ont constitué les outils théoriques pour élaborer les tâches et les analyser ensuite
(Barbier, 1996). Cette tâche s’insère dans la séquence d’apprentissage sur le texte descriptif.
À la fin de la séquence, les élèves devaient rédiger la description de l’hôtel, du restaurant ou
bar de leurs rêves, l’exposer ensuite à la classe en présentant un support créatif permettant
d’accompagner et de suivre la description. Le thème était donc en lien avec leur formation
professionnelle. L’idée sous-jacente est que cet objet créatif permet à l’élève de développer
sa créativité et de s’appuyer sur un support qu’il a lui-même construit afin de stimuler
un état émotionnel qui lui permettrait de se percevoir plus auto-efficace. Pour l’élève, il
s’agit uniquement de passer du savoir acquis avec l’enseignant (portrait, description physique
et caractère, description objective et subjective des personnes, objets et lieux, figures de
rhétorique, temps verbaux de l’indicatif, etc.) à la compétence pragmatique (CECR, 2001) de
structuration du texte descriptif.
18 Au niveau de l’apprentissage, l’hypothèse de départ était de canaliser les émotions parasites
de l’apprentissage par l’évocation d’émotions personnelles, en lien avec la formation
professionnelle, et d’améliorer ainsi la performance orale. Cette amélioration devait se traduire
par :
• une augmentation du temps de production, il s’agissait de passer de 10 à 15 minutes de
production orale continue ;
• une maîtrise des connaissances et des capacités sur le texte descriptif, manifestée à
travers une performance de nature créative permettant la réussite d’un plus grand nombre
possible d’élèves.
Bilan de la recherche
19 De nombreux supports, résultats d’un bricolage personnel, ont été conçus par les élèves. Les
différents matériaux utilisés ont été les suivants : bois, polystyrène, boîtes à chaussures, papier,
tissu, legos, nouvelles technologies (logiciels de présentation, le jeu des SIMS6), etc. L’analyse
des performances des élèves s’articule en deux temps. De prime abord, il s’agit d’analyser
le dispositif d’un point de vue didactique. Pour ce faire, la mobilisation d’un cadre théorique
propre à la psychologie cognitive (Vergnaud,1990, 1996) est nécessaire puisque les cadres
théoriques développés précédemment ne le permettent pas. Ensuite, les performances seront
analysées en regard des conditions [désormais C.] énumérées dans le point 1.47.
théorisation sous-jacente à cette action. « Au début n'est pas le verbe, encore moins la théorie.
Au début est l'action » (Vergnaud, 1996, p. 275). Qu’est-ce que cela implique en situation de
classe ? Les élèves sont certes mis en activité par le biais des tâches, toutefois sont-ils vraiment
en action ? Si « c'est par l'action que commence la pensée » (ibid.), comment mettre les élèves
en action ? La classe de langue est un espace privilégié où depuis la méthodologie active
jusqu’à l’approche actionnelle formulée par le Cadre Européen Commun de Référence pour
les Langues (2001), l’enseignant met l’apprenant en action en mobilisant souvent différentes
situations ou en faisant recours aux domaines artistiques. La recherche proposée dans cette
contribution met-elle alors les élèves en action sachant qu’elle n’est pourtant pas suffisante en
soi ? Elle doit être « explicitée, débattue, et organisée en un système cohérent de concepts, de
principes et, d'énoncés, c'est-à-dire lorsqu'elle prend une forme théorique » (Vergnaud, 1996,
p. 275).
21 Pour comprendre la signification de cette mise en action, les concepts de forme opératoire
et prédictive de la connaissance doivent à leur tour être définis. « La forme opératoire
de la connaissance [est celle] qui permet d'agir en situation, et la forme prédicative de la
connaissance, [...] consiste dans la formulation des propriétés des objets et de l'action » (p. 3).
La forme opératoire de la connaissance permet aux élèves de construire la forme prédictive
avec toute la difficulté de la verbalisation du théorème (Vergnaud, 2003). Inversement, la
forme prédictive permet de passer à la forme opératoire. Lorsque l’enseignant donne une
consigne aux élèves, il formule de manière plus ou moins explicite les « concepts [...] [les]
théorèmes-en-acte que sont les propriétés, les relations, les transformations, les processus
utilisés dans l'action » (p. 4) de la forme opératoire que les élèves traduisent ensuite par la
réalisation de la consigne demandée. Ainsi, dans le cadre de la recherche sur la pédagogie
de la créativité avec la conception d’un support pour étayer la compétence pragmatique à
produire un texte descriptif dans l’activité langagière de production orale, la forme opératoire
du concept de description renvoie à la narratologie et à la rhétorique (Gardes-Tamine et
Hubert, 1996, p. 57) ; elle consiste à faire voir des lieux, des objets, des personnes tout
en étant éventuellement chargée symboliquement (Gardes-Tamine et Hubert, 1996). La
forme prédictive, que Vergnaud (2003) définit en texte ou énoncé, consiste à être capable
d’énoncer les propriétés du genre étudiées préalablement pour concevoir une production
orale qui fasse sens avec l’objet montré à la classe. Elle s’inscrit dans la conceptualisation
de la narratologie. La complexité entre les deux formes réside dans la conception d’une
description complète qui mobilise les enjeux de savoirs aux niveaux : grammatical, rhétorique
et narratif. Il s’agit de passer du savoir théorique au savoir pratique (Vergnaud, 1996). Dans la
continuité de la réflexion de Vergnaud (2003), le reproche possible est justement ce découpage
entre apprentissage de la description d’un côté et narration de l’autre, alors que le roman
associe ces deux formes. Cette recherche répond simplement à la programmation annuelle
de l’enseignement, mais cela met en évidence la difficulté de conceptualiser la narratologie
par l’étude distincte des deux objets (description et narration). Un dernier concept, celui de
schème, permet de montrer les ouvertures possibles d’analyse d’une telle recherche.
22 « Appelons “schème” l'organisation invariante de la conduite pour une classe de situations
donnée. C'est dans les schèmes qu'il faut rechercher les connaissances-en-acte du sujet, c'est-
à-dire les éléments cognitifs qui permettent à l'action du sujet d'être opératoire » (Vergnaud,
1990, p. 136). Quels seraient les schèmes de la « description » dans la recherche menée ?
23 « La reconnaissance d'invariants est [...] la clef de la généralisation du schème » (Vergnaud,
1990, p. 141). Vergnaud (1990) distingue trois types logiques d’invariants (p. 142-144) :
• des invariants de type « propositions » : ce sont les théorèmes-en-acte qui peuvent
être véridiques comme erronés. Si Vergnaud (1990) donne de nombreux exemples en
mathématiques, il serait intéressant de creuser également en langue. Que pourraient ces
théorèmes-en acte ? La réponse la plus simple serait les règles de grammaire. Ce qui
expliquerait pourquoi certains de ces invariants sont faux lorsque l’élève généralise un
phénomène langagier inapproprié. Dans le cadre de la description, la production écrite
requiert généralement l’usage de l’imparfait, en opposition au passé simple ou au passé
composé du récit. Toutefois, dans le cas d’une production orale, l’apprenant utilise
fournir un modèle, ce type de consigne laisse la possibilité de rédiger un panel de textes tout
en imposant les contraintes suivantes pour le développement de la pensée créative (C.7) :
• percevoir ses compétences (C.4) et les mettre à l’œuvre ;
• organiser une production dans un temps limité (15 minutes) ;
• insérer les contenus9 enseignés durant la séquence au niveau grammatical, textuel et
rhétorique.
28 Les contraintes auraient également pu être au niveau du matériel utilisé. Toutefois, le projet
n’étant pas inscrit de manière interdisciplinaire avec l’enseignement des arts plastiques par
exemple, cette contrainte se révélait peu pertinente.
29 De plus, une telle activité a pour intention de permettre de créer cet endocept (C.6) puisque
les élèves parlent d’un futur professionnel idéal où l’on peut repousser les limites de la réalité.
Les deux extraits suivants mettent en évidence la dimension du rêve. Claudio a réalisé une
maquette en bois avec une manivelle pour monter les voitures dans l’hôtel afin de se rendre
au drive-in sur le toit ou dormir avec sa Ferrari. Marco a réalisé une maquette avec des legos
et des tissus pour son hôtel cinq étoiles.
30 Claudio : dans le le chose pour monter au drive-in on fait comme ça, ça commence à monter.
Arrive ici, et la machine arrive. Là ici, si vous pouvez faire comme ça [se penche], on peut
voir que là dedans il y a une gros télé pour voir les films dans la machine. […]
31 Marco : Au voilà, qu’est-ce qu’il y a là-bas près de la côte ? Une grande maison jaune qui
ressemble à un petit soleil. Ah ! Oui ! C’est mon auberge. Il s’appelle le 4 XXX et il avait
cinq étoiles.
32 La description de Claudio montre qu’il conçoit son entreprise au-delà d’une dimension
réaliste : cet hôtel serait un refuge de montagne où l’on accède avec sa Ferrari, voiture qu’il
utilise pour sa démonstration, et que l’on peut même garer dans sa chambre ! C’est pourquoi,
la créativité offre cet espace où l’on se soucie peu de la réalité. On est dans ce précis dans
l’élaboration de schème plus atypique. La pensée divergente (Lubart, 2003) (C.7) domine et
chacun est libre de proposer ses solutions innovantes au monde hôtelier de demain. Ces deux
extraits soulignent la dimension du rêve à travers l’évocation de ce futur professionnel idéal.
L’émergence des émotions, par le biais de l’activité créative, a donc favorisé une expérience
d’apprentissage significative. Un exemple, celui de Clara, élève du piémont qui est venue
suivre ses études secondaires en Vallée d’Aoste. Elle avait eu des cours intensifs pendant
l’été, un voyage linguistique et un travail continu pendant toute l’année. Toutefois, à l’oral,
elle rencontrait plus de difficultés à s’exprimer que ses pairs valdôtains. Le support créatif a
constitué cette forme d’étayage (Bruner, 1998) qui lui a permis de s’exprimer plus facilement.
La transcription suivante met en évidence la dimension structurée de sa production qui respecte
le genre descriptif : nom du bar, description extérieure de l’établissement, puis description
intérieure avec une précision du détail et l’utilisation d’un vocabulaire spécifique au genre.
Clara : Mon bar de mon rêve se trouve dans une rue centrale de la ville. Il s’appelle « musicien »
et il y a non, il s’appelle « musicien ». L’aspect extérieur est ancien. Les couleurs est jaune clair,
ma il y a des lignes courbes bordeaux. Il y a une particulière fenêtre formée par l’entrelacement
des figures géométriques qui est qui a l’air bizarre et particulière. À gauche, non à droite, il y a
l’entrée. [L’élève ouvre l’une des parois du bar et l’on découvre un univers musical et coloré].
Élève : Madosca !
Clara : il y a une lustre qui semble une ballon coloré qui allume la salle avec des couleurs qui
tournent en rondes. Les murs XXX jaunes. Derrière, il y a une console bleu avec des objets et des
XXX. À gauche du comptoir, il y a un vase de fleurs qui parfument la salle. Devant le comptoir,
il y a des tableaux qui sont colorés et des formes géométriques. Les tableaux verts, sur les murs
verts, il y a les noms des hommes musiciens. À l’étage supérieur de le bar où se trouve la salle de
jeu, il y a une particulière grande salle avec une table de billard.
33 L’expression blasphématoire « Madosca ! » traduit l’émerveillement d’un élève lorsque Clara
a ouvert son support créatif. De même, lorsque Claudio a fait monter la voiture au drive-in, un
élève s’est exclamé « Che figata ! » (équivalent français de « c’est trop cool ! ») et la plupart
des élèves ont émis des commentaires d’émerveillement, certains ont aussi applaudi. S’il est
difficile d’accéder aux émotions de l’élève-créateur sans réaliser d’auto-confrontation (Riff,
2000 ; Theureau, 2012 ; Perrin, 2012) et uniquement par un processus d’inférence de la part
de l’observateur ; en revanche, il est plus évident de capter les émotions des élèves par leurs
réactions qu’elles soient ici verbales ou non-verbales. Ceci nous amène à mettre en lumière
une limite de cette recherche qui est d’avoir installé une seule caméra qui regardait l’élève-
créateur uniquement et non pas les autres élèves. Ces situations d’apprentissage permettent de
mettre en évidence la nécessité de réfléchir sur l’émotion non seulement du point de vue de
l’apprenant-créateur, mais aussi du point de vue des observateurs qui vivent une expérience
vicariante (Bandura, 1997/2007).
34 Même s’il demeure difficile et problématique de mesurer ou d’inférer l’émotion, une
recherche complémentaire par le biais d’entretiens ou de questionnaires pourrait approfondir
cette réflexion au niveau émotionnel. Une perspective longitudinale permettrait également
de mesurer l’ancrage de cet endocept du point de vue de l’apprentissage. Les quelques
éléments donnés dans cette contribution ne sont donc pas exhaustifs. Un autre protocole
sur la pédagogie de la créativité est actuellement en cours de rédaction et l’introduction des
tests psychométriques sur la créativité permettra de mesurer de manière plus quantitative le
développement de la pensée créative par le biais d’un tel dispositif.
35 Enfin, le facteur conatif de la persévérance (C.7) se situe aussi bien dans la production des
supports que des textes, le dernier effort étant ensuite la production orale. Le dispositif étant
suffisamment complexe, il a nécessité une certaine persévérance (C.4) à laquelle trois élèves
ont renoncé en refusant de réaliser leur production. Une des élèves a refusé de faire le travail
créatif sur le texte descriptif en motivant ce refus par le fait qu’elle avait choisi de s’inscrire
non pas dans une filière artistique mais dans une filière hôtelière, confondant ainsi les notions
de support créatif et de support artistique (Aznar, 2009). Pour les deux autres élèves, la tâche
de création s’est révélé un obstacle à la production orale ou alors n’a pas réussi à faire fi
de l’appréhension liée à la prise de parole. Ce cas est donc à prendre en considération, la
créativité pouvant être en elle-même une variable inhibitrice. Les résultats, en termes de note
obtenue, montrent néanmoins que, même si toutes les connaissances et capacités ne sont pas
encore complètement maîtrisées par tous les élèves, les performances se sont révélées d’une
qualité supérieure au niveau des contenus (C.7). Cette maîtrise partielle peut éventuellement
s’expliquer par les progrès réalisés au niveau procédural dans la compétence pragmatique. En
effet, les élèves n’ont pas rédigé de texte descriptif complet durant la séquence d’apprentissage
et qui aurait aboutit à une évaluation formative. Durant cette dernière phase, ils devaient
donc seuls assembler les différents savoirs étudiés (description subjective, objective, figures
de rhétorique, utilisation d’adjectifs variés, etc.) à l’intérieur d’un texte descriptif cohérent.
Par exemple, l’absence de mobilisation de connecteurs a parfois réduit la description à une
juxtaposition d’éléments, sans réaliser de performance qui permettait d’en déduire que le
niveau de compétence attendue était atteint (Puozzo Capron et Barioni, 2012). Le degré
d’autonomie aurait dû se réduire à un certain moment de l’expérience.
36 Par ailleurs, le facteur conatif de l’approche multivariée (Lubart, 2003) permet de faire un
lien avec l’autre fondement théorique étant le sentiment d’efficacité personnelle (Bandura,
1997/2007) (C.4) puisque le dispositif offrait la possibilité aux élèves de s’appuyer sur leurs
compétences. Identifier le matériel avec lequel ils souhaitaient créer leur support, le facteur
cognitif de la pensée divergente laissait la possibilité à l’élève d’envisager une pluralité
possible de mise en œuvre. Selon l’approche socio-cognitiviste (Bandura, 1997/2007), laisser
un espace de liberté où les élèves peuvent choisir de créer un support, implique que ceux-
ci doivent penser aux compétences qu’ils maîtrisent (C.2 et 7) et qui vont leur permettre
d’élaborer un support riche et complexe (C.3 et 4). L’enseignant s’appuie sur le sentiment
d’efficacité personnelle des élèves en valorisant ce sur quoi ils sont compétents. Cette
ostension de l’objet vise à accompagner la description des élèves afin de leur permettre de
parler de ce dont ils rêvent. L’évocation même d’un fait agréable a pour objectif de stimuler une
émotion facilitatrice de la performance. Le support joue un rôle d’étayage, au sens brunerien
(Bruner, 1998) (C.3), pour permettre aux élèves d’avoir un peu plus d’éléments à décrire. D’où
la nécessité de valoriser la construction d’un support complexe. Ainsi, la perception d’avoir
élaboré un support en fonction de ses compétences vise à permettre à l’élève de percevoir un
état émotionnel serein afin d’augmenter à son tour la perception de son auto-efficacité dans
sa description et d’obtenir une performance d’une qualité supérieure. L’appropriation de la
connaissance est un processus complexe et qui implique une certaine persévérance avec des
enjeux cognitifs qui se complexifient au fur et à mesure que l’élève construit son objet et
apprend. La mobilisation d’un art ou d’une autre forme d’étayage (par exemple les robots)
n’est bien sûr pas obligatoire pour s’approprier un objet d’apprentissage. Toutefois, cette
approche différente favorise non seulement l’accroissement de variables intrapersonnelles,
comme le SEP, mais permet également de construire l’apprentissage autour d’une dimension
émotionnelle.
37 De plus, dans un tel dispositif, l’on décentre l’attention de l’apprenant de la dimension
linguistique (sans pour autant la perdre de vue puisque c’est un cours de langue) pour la
focaliser temporairement sur le support créatif. Aden (2009a) montre que la créativité permet
de « refonder l’acte d’enseignement-apprentissage en le structurant à partir de nouveaux
concepts » (p. 179). La créativité devient alors la médiatrice entre les savoirs et la production
de l’élève favorisant ainsi à la fois l’acquisition de connaissances et de capacités et le
développement d’une compétence qui se manifeste par le biais d’une performance dans le sens
qu’elle mobilise efficacement ces savoirs et ces capacités (Bourguignon, 2011).
38 Une recherche complémentaire serait pertinente à mener sur les actes de « conception »
et « réalisation » (Didier et Leuba, 2011) de ce support créatif pour analyser le lien que
les élèves effectuent ou non avec leur production écrite. L’hypothèse inférée est que les
élèves devaient penser leur production en italien et non pas en français, renforçant ainsi la
compétence pragmatique à élaborer un texte descriptif (Puozzo Capron et Barioni, 2012). Le
développement de la compétence serait plus translangagier que propre au français. Toutefois,
cette hypothèse serait à approfondir. Ainsi, cette recherche a abouti à la production d’objets,
et en conséquence de productions, hétérogènes. Ce qui a constitué la variation de qualité entre
les textes est la construction pertinente, ordonnée et riche. La convergence impliquait de faire
des choix aussi bien au niveau de l’objet que de la production textuelle. La description devait
mobiliser les objets d’apprentissage étudiés (tels que les figures de rhétorique ou les zooms)
dans un texte cohérent.
Conclusion
39 Les apprenants, qui ont le plus de difficultés dans l’apprentissage des langues, se retrouvent
encore plus pénalisés durant une performance complexe en situation de production. La
démarche de cette recherche vise à les accompagner dans la gestion de leurs émotions parasites
et dans l’appropriation du contenu disciplinaire sans que cela n’ait été explicité. C’est un détour
pour leur donner la possibilité d’atteindre les mêmes objectifs. De plus, l’ensemble de la classe
construit un apprentissage autour de la dimension émotionnelle. Ce dernier sera donc d’autant
plus significatif. Toutefois, il est difficile de mesurer les émotions ; on ne peut que déduire leurs
effets à partir des productions des élèves. Ce qui est visible, c’est effectivement l’évaluation de
la performance, c’est-à-dire la face visible de l’iceberg. Des pistes de recherche restent encore
ouvertes comme des entretiens plus approfondis sur la question et le lien entre créativité,
émotion et apprentissage pour analyser l’activité. La place du corps dans un tel dispositif serait
aussi une piste intéressante à explorer. Il faudrait également mesurer le caractère significatif
de l’expérience créative en évaluant de nouveau le contenu disciplinaire plusieurs mois après
l’expérience. Enfin, une autre dimension n’a pas été évoquée, mais constitue également des
pistes potentielles de recherche : dans une pédagogie de la créativité, qu’évalue l’enseignant
(Puozzo Capron et Piccardo, sous presse) ? Uniquement le contenu disciplinaire ? La créativité
également ? Si oui, sur quels critères ? L’originalité ? L’adaptation ? La divergence ? Les
facteurs conatifs, comme la persévérance ? Les facteurs émotionnels ? Si oui, quel autre cadre
théorique serait nécessaire pour affiner ces critères ?
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Notes
1 Je remercie Nicolas Perrin pour sa lecture critique de mon texte.
2 Nous ne savons pas encore si le terme de paradigme est le plus approprié ou s’il serait préférable de
parler d’une didactique ou pédagogie translangagière ou plus simplement d’une approche.
3 Cette recherche se focalise sur deux dimensions, la conception d’un support créatif et l’empathie
comme formes d’étayage pour développer la créativité, mais une recherche plus approfondie qui
mobilisera d’autres arts permettrait d’analyser les processus de créativité à d’autres niveaux.
4 Dans le cadre de cette recherche, le dispositif était également en lien avec la formation professionnelle
suivie par les élèves.
5 Pour plus de détails sur cette partie, nous renvoyons à l’article suivant : Puozzo Capron & Barioni, 2012.
6 Le jeu video des Sims consiste à élaborer un monde virtuel, site web www.thesims.com.
7 Nous renvoyons aux articles de l’auteur pour l’analyse des hypothèses.
8 Nous rappelons que C. renvoie aux conditions du dispositif posées dans le 1.4
9 Ces contenus ont été rendus explicites aux élèves.
Référence électronique
À propos de l’auteur
Isabelle Puozzo
Chargée d’enseignement, Haute Ecole Pédagogique du Canton de Vaud (Suisse), UER Enseignement,
Apprentissage, Evaluation
Droits d’auteur
© PULM
Résumés
La créativité est devenue un terme à la mode dont de nombreux domaines se sont emparés,
notamment le milieu professionnel, technologique, économique, social, etc. L’école n’échappe
pas à l’effet de contagion. Le socio-cognivitisme (Bandura, 1997/2007) et l’approche
multivariée (Lubart, 2003) constituent des théories qui permettent d’envisager l’apprentissage
dans une approche holistique et interdépendante où le cognitif croise l’émotionnel, le
physiologique, l’environnemental à travers l’élaboration d’un dispositif créatif. Contrairement
aux idées reçues (Craft, 2005 ; Robinson, 2011), la créativité ne se réduit pas à la
production de produits, mais constitue avant tout un ensemble de multiples processus. Par
le biais d’une recherche empirique, cet article fournit quelques éléments d’analyse sur le
processus émotionnel qui se joue dans le cadre d’un dispositif créatif et permet de poser
quelques fondements théoriques d’une pédagogie de la créativité dans l’optique d’élaborer un
paradigme translangagier.
Creativity has become a fashionable term used in several domains, in particular the
professional, technological, economic, social ones, but not exclusively. The school doesn’t
escape this contagion. The sociocognitive theory (Bandura, 1997/2007) and the approche
multivariée (« multivariate approach ») (Lubart, 2003) present theories which allow us to
consider learning in a holistic and interdependent way where the cognitive dimension crosses
the emotional, physiological and environmental ones through the elaboration of a creative
device. Contrary to popular belief though (Craft, 2005; Robinson, 2011), creativity is not
limited to the creation of products, but it is primarily a set of multiple processes. Moving from
some empirical research data, this article provides some elements of analysis of the emotional
process which takes place within the implementation of a creative device and presents some
theoretical basis to develop a pedagogy of creativity in the language class in view of developing
a translanguaging paradigm.
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