Histoire Des Services Secrets Britanniques - Gordon Thomas
Histoire Des Services Secrets Britanniques - Gordon Thomas
Histoire Des Services Secrets Britanniques - Gordon Thomas
Juin 2017
Bonne lecture !
Gordon Thomas
HISTOIRE
DES SERVICES SECRETS
BRITANNIQUES
Traduit de l’anglais
Par Mickey Gaboriaud
Nouveau monde
Éditions
Table
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Agent secret de Sa Majesté
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Tony Blair, alors au crépuscule de ses dix ans au pouvoir, avait été
le mentor et le protecteur de Scarlett dans la jungle de Whitehall.
Cependant, malgré les conseils de ce dernier, le Premier ministre
avait pris la surprenante décision d'annoncer son désir de se retirer
de la scène politique alors que son mandat ne s'achevait que deux ans
plus tard. Suite à cela, il était devenu une sorte de canard boiteux,
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de donner leurs noms sous prétexte que cela serait « contraire à ses
convictions religieuses ».
Peu après le raid de la police sur l'école, une équipe de
surveillance du MI-6 identifia quatorze musulmans londoniens ayant
des liens avec l'établissement. Parmi eux se trouvait Abou
Abdoullah, qui répétait régulièrement lors de ses sermons, dans la
célèbre mosquée de Finsbury Park, qu'il adorerait « voir [ses]
djihadistes partir tuer des soldats britanniques et américains en
Irak ». Les quatorze individus furent arrêtés.
En 2007, ces bons résultats conduisirent à l'installation de
nouveau matériel de surveillance. À Londres et dans les autres villes
accueillant d'importantes communautés musulmanes, on planta de
hauts poteaux d'acier de couleur mate et résistants au climat. Chacun
d'entre eux contenait de la fibre optique reliée à une caméra
boulonnée au sommet. Chaque caméra était équipée de huit objectifs
puissants qui permettaient une vue panoramique. Grâce à un logiciel,
ils pouvaient repérer jusqu'à cinquante types de comportement. À
partir du moment où une cible était identifiée, un neuvième objectif,
situé à la base de la caméra, zoomait pour suivre les moindres
mouvements du suspect. La netteté de l'image était garantie par une
puce informatique qui ajustait constamment les objectifs,
soigneusement nettoyés, pour compenser les gaz d'échappement et
toutes les autres formes de pollution.
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Mossad, les Français et, bien sûr, les Russes. » Après son expulsion
de Russie, Scarlett avait régulièrement fait des exposés sur les
expressions russes, et Tomlinson se souvenait en avoir notées deux
dans son carnet : duboc (boîte morte) et flashi (transfuge).
Là, en ce début du mois de mars 2007, la plus importante
opération impliquant un transfuge depuis que Scarlett était arrivé à la
tête de du MI-6 venait de toucher à sa fin.
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II
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exemplaire envers son pays. S'était-il jeté dans les bras du MI-6 par
pur intérêt personnel ou pour une raison encore inexpliquée ?
Il n'y avait qu'une façon de le savoir : on lui organisa un rendez-
vous en tête à tête avec son contrôleur (son contact et superviseur au
MI-6). Une fois de plus, on n'a jamais rien su du moment et de
l'endroit de cette rencontre. L'agent du MI-6 chargé de
l'interrogatoire avait la réputation d'avoir les mêmes compétences
que le légendaire Jim Skardon, qui avait réussi à faire cracher à
l'atomiste Klaus Fuchs les raisons pour lesquelles il avait trahi son
pays en faveur du KGB.
Durant cette entrevue, il fut convenu qu'Asgari serait appelé « le
Faucon ». Les codes et les méthodes de communication furent
établis, les horaires de contact décidés, et les conditions financières
entendues. On avait beaucoup réfléchi aux sommes qui lui seraient
versées : trop d'argent lui donnerait l'impression qu'on n'attendait
que lui et un montant insuffisant pourrait l'offenser.
Peu à peu, on comprit pourquoi il souhaiter aider. Il considérait
que l'Occident ne pouvait plus tolérer l'extrémisme des dirigeants
iraniens. Il aimait son pays mais il ne voulait pas voir son peuple
endurer ce qu'avait subi l'Irak. Après s'être maintes fois fait prendre à
mentir par l'Agence internationale de l'énergie atomique, le
gouvernement continuait à traîner la jambe et à ne pas tenir ses
engagements. Mais l'Occident n'autoriserait jamais un Iran nucléarisé
— une théocratie à plusieurs strates, dotée de bombes atomiques —
à se développer. Asgari avait conclu en expliquant simplement qu'il
voulait aider à empêcher son pays de continuer à courir, tête baissée,
vers la destruction. Pour cela, il était prêt à révéler tout ce qu'il savait.
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le trahir une fois que vous estimerez qu'il n'y a plus d'informations à
tirer de lui ? Vous devez être totalement rassurant sur ce point. Mais,
au bout du compte, votre relation avec un informateur sera toujours
semblable à celle d'Orphée, sauf qu'il n'y a ni amour ni musique. »
Cette description reflète exactement la relation que son contrôleur
entretenait avec le général Ali-Reza Asgari.
De toute la longue histoire des opérations du MI-6 en Iran, jamais
un agent double n'avait été mieux placé, ou plus au fait des affaires
politiques, qu'Asgari. Non seulement il était superbement compétent
pour évaluer la qualité des informations qu'il fournissait, mais son
sang-froid était digne de celui d'un agent double de la Seconde
Guerre mondiale.
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fille d'un riche marchand qui rêvait de se marier et d'aller vivre dans
la campagne anglaise.
George Young, le plus vieux membre de la station du MI-6,
portait un regard caustique et méprisant sur les nations arabes. Lors
des dîners à l'ambassade, il se moquait impitoyablement de leurs
habitudes alimentaires et de leur façon d'être. « Tandis que
l'Européen construit, l'Arabe pille et détruit. » Quand il était lancé,
même les petites remontrances de Wilson ne suffisaient pas à
l'arrêter. Mais ses riches invités iraniens l'encourageaient à continuer,
et il était toujours le premier à être convié chez eux en retour. C'était
sa façon d'élaborer son réseau. L'un de ses informateurs était Robin
Zaehner, professeur d'histoire persane à l'université de Téhéran, qui,
d'après ce que Young avait dit à Woodhouse, était doté de « toutes
les excentricités typique d'un savant fou, y compris les lunettes en
cul-de-bouteille et la voix aiguë ». Young trouva qu'il avait le profil
idéal pour alerter discrètement ses élèves — et, par leur
intermédiaire, leurs parents — sur les dangers de l'infiltration
soviétique dans le pays. Tant qu'il y était, Zaehner se lança dans une
croisade visant à essayer de renverser Mossadegh par « tous les
moyens possibles ». Woodhouse obtint de Londres que l'opération
de Young soit financée par le MI-6. Cependant, l'ambassadeur, Sir
Francis Shepherd, ne devait pas en être informé.
Un puissant groupe de manipulateurs d'opinion — avocats,
ingénieurs, banquiers, médecins et journalistes — ne tarda pas à faire
circuler le mot que plus longtemps Mossadegh resterait au pouvoir,
plus le risque serait grand que l'Iran tombe sous contrôle soviétique.
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Là, trois mille ans après cet événement historique, Dagan accepta
immédiatement que le Mossad participe à I'exfiltration d'Asgari.
Comme « stratégie de sortie », il proposa de passer par la Turquie ou
la Syrie, deux pays où Asgari se rendait régulièrement. Le Mossad
savait qu'il était allé en Syrie pour parler des tout derniers
renseignements sur Israël que les agents du pays avaient recueillis au
Liban. En Turquie, Asgari rencontrait souvent les trafiquants
d'armes de l'Ordre du Soleil levant, la plus puissante famille
criminelle d'Europe de l'Est, dirigée par Semion Yukovich
Mogilevich. L'organisation était spécialisée dans la vente d'armes
volées dans l'ancien arsenal soviétique. Le bureau iranien du MI-6
était au courant de ces contacts, car Asgari avait tout dit à son
contrôleur et lui avait appris que Mogilevich voyageait avec un
passeport israélien, un fait que Dagan avait confirmé à Scarlett. Ce
passeport n'avait pas été annulé. Il permettait au Mossad de suivre
plus facilement les mouvements de Mogilevich. C'était un exemple
typique de ce que Meir Amit, le légendaire maître espion du Mossad,
m'avait un jour expliqué : « Dans le monde du renseignement, les
intérêts communs contournent toujours les frontières. » À Istanbul,
Asgar devait s'occuper d'affaires personnelles : il avait des intérêts
financiers dans une petite, mais lucrative, société d'importation
d'huile d'olive de qualité en Iran.
Le MI-6 se servit de cet élément pour commencer à élaborer le
plan d'exfiltration d'Asgari. Puis, en janvier, un problème survint.
Asgari exigea la garantie formelle qu'il ne serait pas extradé vers les
États-Unis afin d'y être jugé pour sa participation au massacre des
marines américains au Liban. Tant qu'il ne l'aurait pas, il ne bougerait
pas. À ce moment-là, au MI-6, on n'était que trop conscient de la
valeur d'Asgari. Il avait déjà répondu à des questions aussi capitales
que les origines de l'uranium iranien. Il avait révélé que le pays
disposait de réserves de quatre mille tonnes et qu'elles provenaient
de la République du Congo — où les contrôles d'exportation sont
inexistants — ainsi que de Somalie et du Kazakhstan. Cette
information avait confirmé les soupçons du MI-6. Le chef du bureau
iranien avait dit à Scarlett qu'Asgari en savait certainement encore
beaucoup. La nécessité de le faire sortir prenait alors tout son sens.
Si l'opération fonctionnait, le Mossad voudrait sa part du
« produit » d'Asgari. Le service israélien avait ses propres agents sous
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John Scarlett lut cette requête lors d'une réunion dans son bureau.
Dans leurs costumes sombres, les hommes assemblés autour de la
table de conférence ne purent réprimer un sourire.
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III
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ferme dans les Cotswolds et, le dimanche, après déjeuner, elle s'y
détendait en faisant des mots croisés.
Dans sa soixante et unième année, Manningham-Buller était une
femme grande et vigoureuse, aux cheveux gris acier et au regard
perçant, dotée d'une voix puissante qui s'élevait au-dessus des
foulards Laura Ashley qu'elle portait pour rehausser ses tenues
formelles. Un jour, l'un de ses détracteurs au MI-5 m'a déclaré :
« Elle a une manière impérieuse de regarder de haut les gens qui
l'irritent. Sa réprimande faite, elle repart comme une fusée. » D'autres
se souviennent plutôt de ses petites attentions, telles que prendre des
nouvelles d'un enfant ou d'une épouse malade, ou recommander un
restaurant pour une fête d'anniversaire. Selon Oleg Gordiersky,
l'ancien directeur adjoint de la station du KGB à l'ambassade
soviétique de Londres, dont elle contribua à la défection, elle était
« brillante, vive d'esprit et haute en couleur ».
Il lui restait encore un petit quelque chose de l'institutrice qu'elle
avait été ; son aptitude à ramener un problème à l'essentiel et à en
donner la solution d'une voix claire comme le cristal. « Tenace » et
« impatiente » étaient les adjectifs dont on la qualifiait le plus
souvent. D'autre part, elle pouvait résumer des faits par écrit très
rapidement avec une exactitude infaillible. En ce matin d'avril, le MI-
5 comptait deux mille huit cent quarante-huit employés ; ce chiffre
n'avait fait qu'augmenter depuis les attentats du 11 septembre.
Désormais, un quart d'entre eux avaient moins de trente ans, six
pour cent étaient issus de minorités ethniques et, à eux tous, ils
parlaient cinquante-deux langues. Les employés de la section
antiterroriste enquêtaient sur trente-quatre complots contre le
Royaume-Uni, dont un tiers semblait provenir de l'étranger —
Pakistan, Yémen et Soudan. Sur la planète, cent dix-sept services de
renseignement étaient prêts à aider le MI-5 à déjouer ces
conspirations.
Eliza Manningham-Buller percevait un salaire annuel de cent
soixante-quinze mille livres (deux cent vingt mille euros) et jouissait
d'un accès pratiquement immédiat au Premier ministre, ainsi qu'à son
propre supérieur politique, le secrétaire à l'Intérieur. Aucune femme,
dans le monde de l'espionnage, n'avait autant de pouvoir qu'elle
lorsqu'il s'agissait d'engager des sommes aussi importantes que le
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budget secret dont elle disposait pour lutter contre fout ce qu'elle
pouvait considérer comme un danger pour la Grande-Bretagne.
Pourtant, quatorze jours plus tard, le 20 avril, Eliza Manningham-
Buller prendrait sa retraite et n'occuperait plus le poste de directrice
générale du Service de sécurité. Elle n'aurait plus la responsabilité de
gérer la menace croissante du terrorisme islamiste, un danger bien
plus grand que tout ce qu'elle avait pu imaginer en entrant au MI-5
trente-deux ans auparavant, à l'époque où l'on craignait surtout
l'IRA.
Depuis les événements du 11 septembre, le terrorisme s'était
développé sous toutes ses formes et la Grande-Bretagne était
devenue à la fois l'une des principales cibles de ceux qui le
pratiquaient et une terre d'asile pour ses partisans — les fon-
damentalistes islamistes, autorisés à prêcher et publier leurs idées
extrémistes dans le pays.
En se fondant sur les chiffres du Home Office, Jonathan Evans,
l'adjoint de Manningham-Buller, qui allait bientôt lui succéder, avait
estimé que pas moins de quatre cent mille musulmans nés en
Grande-Bretagne avaient voyagé entre le pays et le Pakistan en 2006
et qu'ils étaient de plus en plus nombreux à se rendre dans les
provinces de la frontière nord-ouest afin d'entrer en Afghanistan. La
branche G, chargée de la lutte contre le terrorisme, avait informé
Evans qu'il y avait de fortes chances qu'au moins dix pour cent
d'entre eux « aient des liens avec Al-Qaïda, soit en tant que sympa-
thisants, soit en tant qu'agents dormants en Grande-Bretagne ». Pour
Manningham-Buller, la vérité pure était que « de plus en plus de gens
[passaient] de la sympathie passive au terrorisme actif en se laissant
radicaliser ou endoctriner par leurs amis ou leurs familles, en allant
dans des camps d'entraînement organisés à l'étranger, par des images
à la télévision ou par l'intermédiaire de forums ou de sites Web ».
Elle avait habilement géré la pression qu'implique de protéger
soixante millions de citoyens britanniques. Celle-ci résultait des
critiques — émanant du Parlement et des médias — dont elle avait
fait l'objet à la suite des opérations manquées, des fuites sur les
guerres territoriales avec le commandement du service antiterroriste
de Scotland Yard et des virulents reproches d'anciens agents du MI-
5. Selon les écrits de Stella Rimington, la première femme à avoir été
directrice du Service de sécurité (de 1990 à 1996) : « Le recoupement
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pour les copier sur un autre disque. Le message que l'agent avait
traduit et remis au directeur avec les livrets expliquait comment
fabriquer du cyanure d'hydrogène et le diffuser dans les galeries
marchandes.
Le directeur était confronté à un dilemme immédiat. Fallait-il
arrêter le libraire sur-le-champ ou le placer sous surveillance pour
voir quels autres membres du complot on pourrait identifier et
présenter au tribunal ? Mais attendre était très risqué. La facilité avec
laquelle on pouvait commettre un attentat au gaz était terrifiante.
Des composés de cyanure, sous forme de poudre, mélangés à de
l'acide suffisaient à créer du cyanure d'hydrogène, un gaz équivalent
au Zyklon B qu'avaient utilisé les nazis pour exterminer les Juifs dans
les camps de concentration. En attendant, on prenait le risque que
des dizaines ou, plus probablement, des centaines d'innocents se
fassent gazer dans une galerie marchande. Cependant, l'idée de
déjouer le complot et de frapper fort contre l'infiltration croissante
d'Al-Qaïda en Grande-Bretagne était irrésistiblement tentante.
Le directeur décida de monter une grande opération de
surveillance. Le libraire allait être ajouté à une liste d'individus à
épier, et l'on prendrait note de toutes ses allées et venues, de toutes
ses rencontres et de toutes ses conversations. Un groupe de watchers
fut réuni. Parmi eux, se trouvaient deux experts du service technique
que l'on surnommait affectueusement les buggers (ce qui peut aussi
bien signifier « bougres » que « poseurs de micros »). Ils étaient
capables d'installer toutes sortes de dispositifs d'écoute : sous la
voiture d'un suspect, sur les murs extérieurs de son domicile et de la
mosquée où il se rendait le vendredi, dans les restaurants où il
mangeait, sur son lieu de travail. Les micros étaient assez sensibles
pour capter des murmures et avaient suffisamment de portée pour
atteindre l'une des camionnettes de surveillance que l'on avait
disposées de manière à former un réseau électronique hautement
sophistiqué au-dessus d'une vaste zone.
L'équipe comprenait également trois membres d'une autre unité
très spécialisée, créée suite aux attentats de Londres. Les hommes
dont elle était composée avaient été recrutés dans diverses
communautés musulmanes ou s'étaient portés volontaires pour
infiltrer les cellules terroristes. Après deux ans d'un travail difficile et
dangereux, ils avaient appris à maîtriser leur tâche et s'étaient frayé
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Dans les années 1970, le MI-5 recrutait à tour de bras pour lutter
contre le communisme intérieur ; plus de cinquante mille citoyens
étaient fichés comme membres du parti. On rappela des agents de
carrière qu'on avait laissés partir à la fin de la guerre, mais l'exiguïté
des nouveaux locaux du MI-5, à Leconfield House, près de Hyde
Park, devint rapidement un problème et les sous-stations se mirent à
pousser comme des champignons dans toute la ville. Il était
inévitable que cela conduise à une concurrence entre les divers fiefs
et à de la rétention d'informations. On ignorait souvent qui faisait
quoi et ceci était particulièrement vrai dans le domaine du contre-
renseignement : les agents sous couverture ne partageaient qu'avec
réticence ce qu'ils découvraient avec les autres services. La profonde
suspicion que leur inspirait Whitehall — et, plus précisément, les
politiciens travaillistes — n'arrangeait pas les choses.
La campagne de recrutement était focalisée sur des universités
telles que Cambridge et Oxford. Il en sortait des diplômés qui, au
retour de la guerre, avaient bénéficié des études supérieures gratuites
promises par le gouvernement. Cela avait permis à de jeunes
hommes, issus de familles de mineurs galloises et à des femmes
d'origine paysanne d'acquérir une certaine maturité. Ils pensaient
qu'une carrière dans le renseignement leur offrirait une chance
d'observer l'évolution du monde de façon privilégiée et d'y apporter
leur contribution. Adroitement, les recruteurs du MI-5 faisaient
appel au patriotisme de ceux qu'ils contactaient et la formule « faites-
le pour le roi et votre patrie » était souvent un argument décisif.
Entrer au Service de sécurité ne rapporterait pas autant que de
travailler dans le monde de l'industrie ou de la banque mais serait
autrement plus intéressant que de plancher sur des livres de comptes.
Les activités du renseignement étant devenues plus sophistiquées
qu'auparavant — écoutes téléphoniques, etc. —, le niveau des
recrues était de plus en plus élevé : on engageait des ingénieurs, des
experts en électronique et des scientifiques, sélectionnés par des
professeurs d'université qui faisaient office de chasseurs de têtes.
Cette campagne de recrutement apporta au MI-5 des agents capables
de raisonner analytiquement et de conserver leur sang-froid lors
d'opérations qui étaient tout sauf calmes.
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réseau. Ses agents étaient jeunes — les hommes beaux et les femmes
attirantes — et possédaient tous quelque chose qu'il exigeait : des
revenus personnels. « L'idée de devoir payer quelqu'un pour
espionner pour son pays est inacceptable », avait-t-il un jour déclaré à
Kell. Recruté dans les boîtes de nuit dont Knight avait fait sa
résidence secondaire — sans oublier de noter scrupuleusement
toutes ses dépenses pour se les faire rembourser par le service
financier du MI-5 —, son réseau était constitué de play-boys, de
débutantes et d'écrivains. Aucun d'entre eux n'avait le droit de venir
chez lui. Il les avait divisés en cellules, dirigées depuis leurs propres
logements, où il passait régulièrement pour recueillir les dernières
informations. Leur tâche consistait à démasquer les communistes.
Plus le réseau de Knight infiltrait leurs cellules, plus Kell était
convaincu que le bolchevisme restait la principale menace à laquelle
le MI-5 était confronté. Le danger irlandais était toujours présent
mais il n'était plus son principal souci cela faisait maintenant trente
ans qu'il dirigeait le MI-5 — et il pensait qu'Hitler ne lancerait pas de
nouvelle offensive d'espionnage contre la Grande-Bretagne.
L'ennemi, c'était la Russie. Knight alimentait ses craintes. Les deux
hommes partageaient un intérêt pour l'ornithologie. En outre, il
n'était pas rare que Knight sorte de sa poche une boîte d'allumettes
pleine d'insectes dont ils discutaient avant d'aborder les dernières
menaces communistes. Pour se rencontrer dans les halls des hôtels
de Cromwell Road, où se trouvait désormais le quartier général du
MI-5, ils avaient l'habitude de sauter d'un bus à l'autre afin de
s'assurer de ne pas être suivis.
était le Führer qui avait construit des Autobahn et créé une puissante
armée qui pouvait les emprunter pour défendre les frontières de son
pays. Il était aussi le leader qui était venu à l'aide du général Franco,
en Espagne, quand ses forces fascistes risquaient d'être battues par
leurs opposants communistes. Il était encore le politicien qui répétait
constamment, lorsqu'il assistait à des manœuvres militaires, que ses
tanks et ses avions n'étaient là que pour défendre le Reich en cas
d'attaque. En Grande-Bretagne, Sir Oswald Mosley, le directeur du
parti fasciste britannique, dont la chemise noire de l'uniforme était
copiée sur celle des nazis, approuvait ces points de vue. Dans les
quartiers populaires de l'est de Londres, ainsi que dans les zones
défavorisées d'autres villes anglaises, Mosley crachait son venin,
particulièrement contre les Juifs, dont il demandait l'expulsion — un
appel auquel adhéraient secrètement des aristocrates tels que le duc
de Westminster, le plus riche propriétaire terrien du pays, ou le duc
de Bedford.
Winston Churchill avait prévenu que la guerre d'Espagne avait été
un entraînement d'une valeur inestimable pour la Légion Condor
d'Hitler en matière de tactiques de guerre éclair et que les larges
autoroutes allemandes étaient parfaites pour que des forces blindées
puissent franchir rapidement les frontières des pays voisins, mais
dans les manoirs de la campagne anglaise, ses propos avaient été
qualifiés d'alarmistes.
Hitler avait beau avoir envahi ce qu'il restait de la
Tchécoslovaquie, dans la petite noblesse rurale, on se disait qu'il
n'irait pas plus loin. En 1939, certains membres de cette classe
sociale s'étaient rendus à la Foire universelle de New York en même
temps qu'un autre Anglais indécis : George VI, roi, par la grâce de
Dieu, de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, ainsi que de ses
autres domaines et territoires, roi-empereur d'Inde, chef du
Commonwealth, défenseur de la foi. Il était accompagné par sa reine,
Elizabeth Angela Marguerite Bowes-Lyon. Le couple royal avait été
personnellement invité par le président Roosevelt. Peu avant, ce
dernier avait poliment rappelé à Berlin que l'Amérique recevrait avec
plaisir la garantie du Führer qu'aucune « nation faible ne serait
attaquée ». Hitler avait alors déclaré à un Reichstag totalement sous
le charme qu'il n'avait nulle intention d'envahir les États-Unis. Cette
promesse était tombée après que son chef de la propagande, le
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dans le plus grand secret ; vu les avions de combat sortir des chaînes
de montage ; et visité les défenses côtières. On l'avait informé de la
réussite de la guerre de propagande que le MI-5 et le MI-6 menaient
en Europe. On lui avait également révélé que le SOE — une
organisation dont Churchill avait approuvé la création et qu'il avait
autorisée à « mettre le feu à l'Europe » — avait commencé à faire
entrer ses saboteurs en France occupée. À Tempsford, dans le Bed-
fordshire, Donovan avait même visité la base secrète depuis laquelle
ils s'envolaient pour leurs périlleuses missions. À la lumière du jour,
elle ressemblait à n'importe quelle ferme des environs. La nuit, on
écartait les meules de foin et les abris des animaux pour faire
apparaître les avions Lysander qui emmenaient les agents en France.
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Churchill lui dit : « Kell, j'ai trouvé quelqu'un d'autre pour diriger
mon service de renseignement. » Pendant un moment, respirant
bruyamment, Kell fixa, sans mot dire, l'homme qui venait brutale-
ment de mettre un terme à sa longue carrière. Le Premier ministre
leva la tête d'un document qu'il avait recommencé à lire et, réalisant
que Kell était toujours là, il répéta : « Vous êtes renvoyé. Partez. » Il
n'y eut ni poignée de main, ni verre d'adieu. Rien. Kell, accablé,
tourna les talons et quitta la pièce. Le lendemain, Constance, Lady
Kell, rassembla son équipe de travailleurs bénévoles et, sans chercher
à cacher son amertume, elle leur annonça : « Votre précieux Winston
a viré mon mari. »
Kell se retira dans le village d'Emerton, au fin fond de la
campagne du Buckinghamshire, et déterra ses parterres de fleurs afin
d'y planter des légumes pour l'effort de guerre. Il devint alors Special
Constable, c'est-à-dire, auxiliaire de police civil. Son travail consistait à
traquer les braconniers qui chassaient les lapins et à patrouiller dans
le village pour vérifier que le couvre-feu était bien respecté. Peu de
ses anciens subordonnés vinrent lui rendre visite avant sa mort, qui
eut lieu dans la froide matinée du 27 mars 1942. Lady Kell ne reçut
aucunes condoléances de Churchill ou de ses ministres. Kell n'avait
appris que quelques semaines avant sa disparition que son successeur
était David Petrie, un agent sagace, âgé de soixante et un ans, qui
avait dirigé l'IPS (Indian Political Service/Service politique indien). Cet
homme corpulent, large d'épaules et au cou épais avait tout de suite
fait comprendre qu'il ne recherchait pas l'approbation de son
personnel. En Inde, il avait acquis une réputation d'agent
méthodique et méticuleux, toujours à la hauteur de ce. que l'on
attendait de lui. L'ordre de Churchill avait été clair : « Petrie, je veux
que vous dirigiez le Service de sécurité avec fermeté. Tout ce que
vous devrez faire pour cela, faites-le. »
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faisait le plus grand plaisir. Il tomba donc des nues lorsqu'il reçut un
câble de Donovan : « Le War Department se désintéresse à cent
pour cent de votre travail. » Un second câble, encore plus sévère, ne
tarda pas à suivre : « Sachez que ce que vous nous envoyez ne
concorde pas avec ce que nous obtenons d'ailleurs. Vos informations
sont désormais les moins cotées de toutes celles que nous recevons.
Cela semble indiquer que vous devez porter le plus grand soin à la
vérification de toutes vos sources. »
Dulles était victime d'une machination du MI-6. Selon ce qu'on
pouvait lire dans un rapport, le SIS le considérait comme « un dandy
patriote yankee tombé du ciel et peu apte à fournir de véritables
informations ». Alors que Londres croulait sous les services de
renseignement des gouvernements en exil, pour le MI-6, un nouveau
venu comme Dulles ne comprenait forcément rien à la façon dont il
fallait mener cette cruciale guerre secrète. Le SIS avait monté son
réseau d'espions et d'informateurs en Europe occupée deux ans
avant l'entrée en guerre des États-Unis. Un rapport affirmait :
« Dulles semble trop s'enflammer pour de petits résultats. »
Cependant, histoire de garder un œil sur ce qu'il rapportait, les
cryptologues de Bletchley avaient reçu l'ordre de déchiffrer ses
câbles. Les transcriptions étaient ensuite envoyées au MI-6. Kim
Philby, une taupe soviétique au SIS, faisait partie de ceux qui les
lisaient. Bien qu'il n'y ait rien trouvé d'alarmant, en 1943, il signala les
activités de Dulles à son contrôleur à Moscou. La nouvelle y causa
une certaine inquiétude car, si lentement mais sûrement l'Armée
rouge était en train de repousser l'ennemi nazi, Dulles risquait
d'accorder beaucoup d'attention à la propagande de plus en plus
importante de Goebbels selon laquelle l'avancée vers l'ouest des
Soviétiques avait pour but d'occuper des territoires situés au-delà des
frontières allemandes. Philby avait reçu l'ordre de discréditer toutes
les informations de Dulles qui iraient en ce sens et, avec son léger
bégaiement, il commença à en parler aux réunions des dirigeants
qu'organisait Menzies chaque lundi matin : Dulles se laissait-il
embobiner par des sornettes qui ne faisaient qu'alimenter ses
prédispositions antibritanniques ?
Menzies finit par demander au chef de station du MI-6 à
Washington de rappeler à ses contacts au War Department du
danger qu'il y avait à prendre les renseignements qu'ils recevaient
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Histoire des services secrets britanniques
pour argent comptant au lieu de les analyser. Cette alerte avait pour
objectif de servir d'avertissement à Dulles mais cela ne fonctionna
pas. Il ne tint aucun compte des messages de Donovan et lui
répondit, par câble, qu'il avait toujours eu confiance en son propre
jugement et n'avait aucune intention de changer. Il en profita pour
donner sa propre description du point d'origine des critiques concer-
nant ses sources : « un endroit où l'on n'a pas toujours raison, ainsi
que j'ai pu le découvrir ». Après cela, il ne reçut plus jamais de câbles
mettant ses compétences en doute.
Les espions de Dulles valaient bien plus que des propagandistes
nazis. Le niveau auquel ils opéraient et les risques qu'ils prenaient
étaient absolument remarquables. Berne avait son quota d'agents de
la Gestapo et ils ne lâchaient pas de l'œil les ressortissants du Reich
présents en ville. Fritz Kolbe était l'un de ces derniers. Il s'agissait
d'un haut diplomate du ministère des Affaires étrangères allemand,
qui, lors de l'un de ses passages précédents, était entré en contact
avec un agent du MI-6 pour proposer ses services. L'offre avait été
transmise à Londres et Sir Claude Dansey, le directeur adjoint du
SIS, l'avait rejetée, estimant que Kolbe était « de toute évidence, une
taupe ». Kolbe se tourna alors vers Dulles qui consacra des semaines
à vérifier l'authenticité de sa démarche, jusqu'à ce que l'Allemand se
mette à rapporter de Berlin des copies des télégrammes secrets qui
passaient sur son bureau. Dulles fut impressionné par la qualité de
ces documents et Kolbe devint son meilleur informateur. En l'espace
de dix-huit mois, il fournit plus de mille cinq cents documents qui,
en 1944, s'avérèrent contenir des informations inestimables sur les
projets d'Hitler. En mai de la même année, Dulles envoya un câble à
Washington : « Je suis persuadé que nous manquerons de véritables
opportunités si nous négligeons ce que j'obtiens. »
En plus de Kolbe, le petit — mais sans cesse croissant —réseau
de Dulles comptait d'autres agents importants. L'un d'entre eux était
membre d'une organisation antinazie secrète. Il informa Dulles du
projet d'assassinat d'Hitler. En juillet 1944, le complot faillit
fonctionner. Hélas, il en résulta que les frontières allemandes furent
fermées, ce qui empêcha Kolbe de venir en Suisse et réduisit les
autres informateurs au silence. Dulles n'apprit leur exécution
qu'après la fin de la guerre. À ce moment-là, le maître espion avait
acquis la conviction que l'Union soviétique était la menace contre
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Trois ans plus tôt, le 4 février 1945 — alors que la victoire des
Alliés était en vue et que leurs armées étaient prêtes à prendre Berlin
—, Stewart Menzies et Allen Dulles faisaient tous deux partie des
agents représentant leurs délégations à la Grande Alliance : les États-
Unis, la Grande-Bretagne et la Russie s'étaient, en effet, réunis pour
s'entendre sur les frontières du monde d'après-guerre. En cette
froide journée, à Yalta, l'ancien terrain de jeu des tsars, cinquante
nations s'étaient jointes à la cause alliée et soixante millions c'e
soldats avaient été mobilisés.
Churchill et Roosevelt avaient beau avoir exprimé le vain espoir
que les tueries seraient bientôt terminées, le nombre de morts était
sur le point d'augmenter. La veille au soir, au dîner, Staline avait
exigé que Dresde soit détruite afin d'empêcher les renforts allemands
de monter jusqu'à la ligne de front de l'Armée rouge. Menzies avait
alors demandé à l'un des membres de la délégation britannique, le
maréchal Lord Alexander, sur quelles informations reposait cette
requête de Staline. Alexander avait ouvert les bras et haussé les
épaules. Quelques jours plus tard, plus de mille deux cents
bombardiers anglais et américains dévastèrent Dresde : trente-neuf
mille sept cent trente-sept corps furent officiellement identifiés et
vingt mille furent classés « trop brûlés pour être reconnaissables ».
Vers la fin de la réunion, Staline avait imposé sa méthode pour
obtenir ce qu'il voulait : la reddition inconditionnelle d'Hitler et une
Allemagne qui ne pourrait plus jamais menacer la Russie, comme elle
l'avait déjà fait deux fois au cours des trente ans passés, ainsi qu'un
vaste emmaillotage de l'Europe de l'Est, qui se soumettrait désormais
à sa souveraineté pour devenir un ensemble d'États satellites de
Moscou. Ceci marqua le point de départ de l'Union soviétique.
Le pire cauchemar de Churchill — qu'il avait espéré pouvoir
éviter grâce à la conférence de Yalta — était devenu réalité. Il le
poursuivait jusque pendant ses trajets entre le palais de Vorontsov,
où était installée la délégation britannique, et les réunions avec
Staline et Roosevelt. Le plus haut point avait été atteint lorsqu'il avait
rencontré Staline pour tenter de sauver quelque chose pour la
Grande-Bretagne. « Cela vous conviendrait-il d'avoir quatre-vingt-dix
pour cent de prédominance en Roumanie, que nous ayons quatre-
vingt-dix pour cent de pouvoir décisionnel en Grèce, et que nous
fassions moitié-moitié pour la Yougoslavie ? » avait demandé le
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gazon et, dans son temps libre, il écrivait des romans policiers. Ce
dernier point avait été son plus proche rapport avec le monde du
renseignement jusqu'au jour où on l'avait engagé pour diriger le
Comité vingt, qui supervisait les agents doubles ayant survécu aux
interrogatoires de Robin Stephens, à Latchmere House. Si le signe
distinctif de Stephens était son monocle, celui de Masterman était
d'aimer dormir à même le sol, dans le salon de coiffure pour
hommes de son club, le Reform. « J'y restais étendu, éveillé, à
écouter les bombes volantes puis le silence assourdissant, en
espérant qu'au prochain silence, je ne serais pas mort », se souvint-il,
plus tard.
Masterman avait choisi le nombre vingt comme symbole du
comité parce qu'il avait une signification dans son esprit d'homme
éduqué : en chiffres romains, il s'écrit XX, une double croix.
En cette chaude nuit de juin, alors que la sirène venait de signaler
la fin des bombardements, la question que Churchill posa à
Masterman était directe : comment ses agents doubles pouvaient-ils
faire passer à leurs contrôleurs allemands des informations qui
auraient pour effet de pousser les techniciens des sites de lancement
de missiles à modifier les coordonnées de leurs cibles ?
Dans le silence de la salle de conférence, tout le monde comprit
ce qu'il voulait dire. De nouvelles coordonnées trop éloignées du
centre de Londres susciteraient immédiatement les soupçons des
Allemands.
Tout le monde se souvenait que les agents doubles avaient déjà
joué un rôle important pour les berner sur le lieu du débarquement
du Jour J. Et personne ne doutait qu'avant la fin de la guerre, on
aurait encore plus besoin de leur savoir-faire. D'autre part, si les
attaques sur le centre de Londres continuaient, les conséquences
seraient désastreuses. Mais si l'on pouvait persuader les techniciens
des sites de lancement de raccourcir leur portée en leur faisant croire
que, pour l'instant, ils envoyaient leurs bombes trop loin, cela ferait
une grande différence. En fait, cela signifierait que les missiles
tomberaient sur l'East End, déjà bien abîmé, et dans la campagne
environnante, qui, jusque-là, avait était largement épargnée par la
mort et la destruction. Churchill était-il prêt à réduire
considérablement les risques pour le centre de Londres — le siège
du gouvernement — en approuvant un plan qui, s'il devenait connu
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il fait des avances à sa mensahib, son épouse », avait écrit une grande
dame à une cousine en Angleterre. Harry Philby avait la réputation
d'être coureur de jupons. Sir Harry avait été l'un de ces Anglais dont
la voix braillarde avait fait dire à Mohandas Gandhi : « Les Anglais
descendent de l'âne et non du singe comme le reste de l'humanité. »
Puis il avait quitté l'Inde sur un paquebot dont il avait débarqué en
Égypte, au port de Suez.
Plein de rancœur et d'animosité envers la Grande-Bretagne, il
s'était rendu en Arabie saoudite, où il avait trouvé l'oreille attentive
d'Ibn Saoud, le fondateur de la famille royale saoudienne, qui
estimait que la Grande-Bretagne l'avait dupé sur ses droits pétroliers.
Sir Harry avait alors fait usage de ses incontestables talents de
négociateur pour permettre à des compagnies américaines d'obtenir
des concessions.
À ce moment-là, Kim — que son père avait ainsi baptisé en
référence au héros du roman d'espionnage et d'aventures de Rudyard
Kipling — était devenu correspondant étranger pour le Times de
Londres après avoir décroché ses diplômes à Cambridge. En 1937,
on l'avait envoyé couvrir la guerre d'Espagne. Sa réserve et son
espagnol courant lui avaient valu d'être bien accueilli par les forces
fascistes du général Franco. Personne ne se doutait que la Russie
l'avait déjà recruté comme espion pendant ses études.
La première mission que lui avait confiée son contrôleur
moscovite, un agent du GRU, le renseignement militaire russe,
consistait à envoyer des rapports sur les endroits où Franco avait
l'intention d'attaquer les forces républicaines. Parmi les cibles, Philby
avait identifié Guernica, la capitale spirituelle historique du Pays
basque.
Franco donna l'ordre à la légion nazie Condor de détruire la ville
— un acte condamné par toute la communauté internationale qui a
inspiré à Picasso son célèbre tableau anti-guerre. Peu après, Philby
fut blessé par un obus de l'artillerie républicaine, fourni par la Russie.
À son retour en Angleterre, son contrôleur soviétique lui demanda
de présenter sa candidature au MI-6. Il passa le cap du processus
d'approbation et fut nommé à la section ibérique du SIS ; l'un de ses
collègues était Graham Greene. Des années plus tard, le romancier
se souvenait : « Une fois devenu chef de la section, Kim couvrait
toutes les erreurs que nous pouvions faire. Il avait l'art de sembler
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parfaitement loyal envers son personnel alors que, bien sûr, toute sa
véritable loyauté allait à la Russie. »
Cela faisait déjà longtemps que le GRU savait combien il était
important de recruter des espions dans les universités traditionnelles
britanniques que sont Oxford et Cambridge.
L'organisation russe n'ignorait pas qu'en s'y prenant tôt, il était
possible de convaincre des étudiants intelligents et ambitieux
d'embrasser la cause communiste et de continuer à la servir tout au
long des grandes carrières que leurs diplômes leur garantissaient
pratiquement. En bonus, il était possible d'exploiter le fait que ces
deux campus attiraient des Américains. Whittaker Chambers, un
rédacteur de Time Magazine et Alger Hiss, un officiel du département
d'État — qui participa à la conférence de Yalta et fut secrétaire
général de la session de création des Nations unies —, avaient été
recrutés par les services secrets soviétiques durant leurs études à
Cambridge.
Ayant accès au registre, Philby transmettait à son contrôleur les
renseignements qu'il y puisait sur les agents et les informateurs du
MI-6 dans le monde entier. Quand la Grande-Bretagne et l'Union
soviétique étaient devenues alliées, pendant la guerre, Philby avait
reçu une nouvelle mission : découvrir si Churchill et Roosevelt
prévoyaient de faire la paix avec l'Allemagne séparément, ce qui
permettrait à Hitler de consacrer toute sa puissance militaire à
attaquer l'Union soviétique. Philby avait rapporté que plusieurs
agents de haut niveau du MI-5 et du MI-6 n'avaient rien contre cette
idée. En mars 1943, un espion allemand, Otto John, qui travaillait
pour l'amiral Canaris, le directeur du renseignement allemand, s'était
secrètement rendu à Lisbonne pour y rencontrer une petite équipe
du MI-6, à laquelle appartenait Philby. John avait révélé qu'un
groupe de hauts dirigeants militaires allemands étaient prêts à
entamer des négociations de paix avec la Grande-Bretagne.
Philby était rentré à Londres et avait fait un rapport à Stewart
Menzies, dans lequel il affirmait que ce plan n'était « rien de plus
qu'une façon de gagner du temps en faveur de l'effort de guerre
nazi ». Il y expliquait également : « Si nous y adhérions, il faudrait que
nous réduisions nos bombardements et nous nous concentrions
davantage sur la guerre dans le Pacifique. Nous devrions également
accepter d'arrêter de fournir des armes à l'Armée rouge. Otto John
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d'un total de douze mille cinq cents agents hautement qualifiés et des
tout derniers appareils de décryptage.
Le message que le cryptologue de la NSA avait déchiffré en ce
jour d'octobre avait été envoyé en 1945 à un agent soviétique basé à
New York. Il contenait une copie d'un télégramme privé de
Churchill à Truman concernant l'attitude à adopter avec Staline après
la guerre. Le télégramme n'était pas sans rappeler la fois où, aux
premiers jours de la guerre, Roosevelt avait déclaré, en plaisantant à
moitié, qu'il trouvait parfois plus facile de conclure une affaire avec
Staline qu'avec Churchill.
Même si ce dernier savait que la bravoure du peuple de Stalingrad
pendant son siège avait généré chez de nombreux Américains
quelque chose de proche du culte du héros, son télégramme rappelait
à Truman que la famine déclenchée par Staline en Ukraine et
l'horreur des goulags étaient « en tout point, aussi graves que les
camps de concentration nazis ». Il ne fallait pas laisser
l'isolationnisme américain d'avant-guerre faire son retour, insistait-il.
Tout en continuant d'éprouver du respect pour la façon dont les
Russes avaient fermement résisté à l'Allemagne nazie, il fallait tenir
compte de la réalité : la politique internationale exigeait que l'Améri-
que admette que Joseph Staline était un tyran aussi diabolique que
l'avait été Hitler.
Ce qui avait électrisé le cryptologue, c'était que le télégramme
révélait qu'il restait un informateur « d'une valeur inestimable ». Mais
de qui s'agissait-il ? Il persévéra patiemment dans ses recherches. Au
bout d'une semaine, il découvrit un nouvel indice. Il apprit dans un
message que la taupe était de sexe masculin et avait une sœur dans
une université américaine. Mais laquelle ? Était-elle étudiante ou
enseignante ? Où employée dans un autre service ? Un troisième
message contenait une demande de clarification des derniers termes
scientifiques utilisés pour « le projet ». Le cryptologue reconnut ces
mots. Il les avait déjà vus dans d'autres messages qu'il avait décodés
et ils appartenaient au lexique du projet Manhattan.
Le FBI vérifia dans tous les campus des États-Unis. Il lui fallut
plusieurs semaines pour découvrir que Kristel Fuchs était
« probablement » la mystérieuse sœur. Elle étudiait au Swarthmore
College. Une autre vérification transforma la probabilité en
certitude : son frère était Klaus Fuchs, un scientifique qui avait
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pour glisser la question fatale qui mènerait aux aveux ; au MI-5, ses
méthodes en la matière étaient considérées comme des références
dignes d'une master-class. Skardon s'était fendu d'un hochement de
tête compatissant lorsque, dès leur première rencontre, Fuchs avait
affirmé vivre depuis des années « dans un état schizophrénique ».
Sous une pression modérée, l'espion avoua qu'il était déchiré entre
son « amour » pour la Grande-Bretagne et sa « haine » envers le rôle
qu'elle avait joué dans la destruction d'Hiroshima. Au fil des
semaines, Fuchs révéla tout ce qu'il savait sur l'infiltration soviétique
dans le projet de bombe atomique anglo-américain. Il parlait d'une
voix basse et faisait des pauses pour laisser le temps à Skardon de
prendre ses notes. Il développait volontiers quand on le lui
demandait mais sans jamais admettre la gravité de sa trahison. Il avait
déjà dénoncé deux Américains, Julius et Ethel Rosenberg, comme
membres du réseau soviétique et révélé que son intermédiaire à Los
Alamos était Harvey Gold. Américain naturalisé, d'origine russe,
Gold avait d'abord nié connaître Fuchs ou les Rosenberg et
maintenu qu'il n'avait jamais mis les pieds du côté de Los Alamos.
Mais en fouillant son appartement, à Philadelphie, on avait trouvé
des notes d'hôtel de Santa Fe, près du site.
Le 10 février 1950, Klaus Fuchs fut jugé à Old Bailey, où il plaida
coupable à quatre accusations de divulgation d'informations à
l'Union soviétique. Le procès dura quatre-vingt-cinq minutes. On n'y
évoqua ni son dossier au MI-5 ni son contenu accablant qui prouvait
qu'on le soupçonnait d'être un espion à la solde des Russes depuis
presque dix ans. Lord Goddard, le président de la Cour suprême de
Grande-Bretagne, le condamna à quatorze ans de réclusion. Ethel et
Julius Rosenberg furent exécutés par électrocution pour espionnage,
après une dernière manifestation devant la Maison-Blanche, durant
laquelle les opposants à la sentence luttèrent contre ses partisans qui
portaient des pancartes où était inscrit : « Deux Rosenberg frits ! Ça
vient tout de suite ! » Gold eut la vie sauve et fut condamné à la
réclusion à perpétuité, en grande partie parce qu'il avait coopéré avec
le FBI.
À Washington, on estima que Fuchs avait été le pivot central de
l'une des opérations les plus réussies de toute l'histoire de
l'espionnage international. Il avait été en mesure de décrire, en détail,
le processus de diffusion gazeuse qui permet de séparer l'uranium
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VII
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l'histoire, elle n'est que la plus récente illustration d'une longue lignée
de gouvernants aussi cruels que dilapidateurs, qui ont toujours
implacablement imposé à leur peuple des sommets toujours plus
hauts de puissance militaire afin d'assurer la sécurité extérieure de
leurs régimes faibles au niveau intérieur. » Le président avait
également admis que puisque la survie de l'Union soviétique
dépendait de son agressivité, les États-Unis ne pourraient pas
l'emporter seuls. Pour venir à bout de la volonté de dominer le
monde des communistes, ils auraient besoin de l'aide de leur alliée de
la guerre, la Grande-Bretagne. Ce fut là que Bedell Smith et Dulles
découvrirent que l'alliance anglo-américaine s'était encore plus
détériorée qu'ils ne le pensaient.
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Ils étaient plus que jamais convaincus qu'une autre taupe opérait
au sein du MI-5 ou du MI-6 depuis que les cryptologues de Verona
avaient découvert qu'il y avait eu un espion soviétique à l'ambassade
britannique de Washington durant la dernière année de la guerre.
Dans le message intercepté, les seuls indices sur son identité étaient
une référence à son nom de code, « Homer », et la révélation qu'il
était toujours en activité. J. Edgar Hoover avait ordonné au FBI de
procéder à des vérifications sans précédent sur les membres du
personnel de l'ambassade qui avait été engagés sur place, persuadé
que c'étaient ceux qui risquaient le plus d'avoir été recrutés par l'un
des espions basés à l'ambassade soviétique de Washington. À l'instar
du CSIS canadien avec Pontecorvo, Hoover avait fait l'erreur de
supposer que les diplomates de l'ambassade de Grande-Bretagne
avaient été soumis à des contrôles de sécurité à Londres avant d'être
envoyés à Washington et qu'ils disposaient d'une accréditation
suffisante pour avoir accès aux informations secrètes américaines.
Philby, qui était arrivé à Washington en septembre 1949, déjeunait
régulièrement avec James Angleton qui, après avoir brillamment
travaillé pour l'OSS en Italie pendant la guerre, avait été l'un des
fondateurs de la CIA. Ils étaient souvent rejoints par Bill Harvey, un
agent du FBI que Hoover avait désigné pour diriger la traque
d'Homer. Quand il avait commencé à spéculer sur son identité,
Philby avait fait valoir l'idée que s'il y avait une taupe — en insistant
sur le fait que c'était un grand « si » —, il y avait de fortes chances
pour qu'elle appartienne à ce qu'il appelait, avec son désarmant
bégaiement, « la brigade des nettoyeurs de tapis et des laveurs de
bouteilles ».
Philby commençait à sentir que Harvey et Angleton pensaient de
plus en plus qu'Homer n'était pas qu'un simple employé de
l'entretien. Guy Burgess et Donald Maclean, deux des fondateurs,
avec Philby, du réseau d'espions soviétiques, occupaient alors des
postes diplomatiques à l'ambassade et leur présence lui compliquait
incontestablement la vie. Burgess avait réussi à persuader Philby de
partager son logement et celui-ci n'avait pas tardé à devenir réputé
pour ses soirées copieusement alcoolisées et ses invités homosexuels.
Ces rassemblements avaient fini par attirer l'attention de
l'ambassadeur qui avait recommandé que Maclean — dont les
incursions dans la communauté de la prostitution masculine
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d'être sûr qu'il accepte, Philby rappela à Burgess les risques qu'il
prenait en restant à Washington. Il lui demanda de se faire arrêter
trois fois pour excès de vitesse dans la même journée et, à chaque
fois, d'insulter l'agent jusqu'à ce qu'il le menace de l'arrêter.
Évidemment, il n'aurait aucun mal à éviter cela mais son
comportement n'en serait pas moins un abus flagrant de son
immunité diplomatique. Comme prévu, après cela, l'ambassadeur
ordonna à Burgess de quitter les États-Unis sous quarante-huit
heures et à Philby, de l'accompagner à l'aéroport.
Burgess obtint un poste au Foreign Office. L'avertissement de
Philby semblait avoir porté ses fruits. Burgess se mit à mener ce qui
était pour lui une vie sobre ; on le voyait rarement dans ses vieux
repaires de Soho et il ne se rendait plus dans les soirées gay
auxquelles on l'invitait.
Burgess avait laissé chez lui des documents prouvant que Blunt était
une taupe soviétique. Cependant, ces documents ne furent jamais
récupérés, à cause — selon des explications ultérieures — d'une
« étrange décision » de Guy Liddell qui avait demandé à son vieil ami
Anthony Blunt de l'aider à fouiller l'appartement. « Cette fine
mouche d'esthète a discrètement glissé les documents
compromettants dans sa poche pendant que la branche spéciale
cherchait des indices ailleurs. Ensuite, il a brûlé les preuves », m'a
plus tard confié une source du milieu du renseignement.
Le 13 juin 1951, trois semaines après la fuite de Burgess et
Maclean, l'agent du FBI Bill Harvey envoya une copie d'une longue
note de service adressée au chef des opérations spéciales. Faisant
preuve d'un grand sens déductif, il y rappelait que Philby était l'une
des rares personnes à vraiment savoir où en était l'enquête Homer,
dans le cadre de laquelle on avait démasqué Maclean. Il avait
également été impliqué dans l'affaire Volkov, à Istanbul. Dulles avait
remis à Harvey des copies des messages du consul britannique de la
ville dans lesquels on pouvait lire que le Russe avait proposé de
dénoncer un agent britannique et deux employés du Foreign Office
en échange de l'asile. Harvey en avait conclu que Volkov parlait de
Burgess et Maclean et qu'étant donné leur amitié avec Philby, ce
dernier devait être l'agent en question. Kim Philby était un espion
soviétique ! Cinq jours plus tard, le 18 juin, Angleton, envoya, à son
tour, un mémo aboutissant aux mêmes conclusions à Walter Bedell
Smith. Le directeur de la CIA transmit ces deux documents à Stewart
Menzies avec une annotation d'une ligne seulement : « Virez Philby
ou nous interrompons nos relations professionnelles. » Bedell Smith
ne pouvait rien faire de plus. C'était au MI-6 de renvoyer Philby.
Mais, selon Menzies : « Il n'y [avait] pas suffisamment de preuves
solides pour cela. »
Moins d'une semaine plus tard, Philby était de retour à Londres. Il
savait qu'on n'avait guère plus que des soupçons pour l'associer à
Maclean ; il n'avait jamais été proche de lui. Mais il en allait
autrement pour Burgess. Ils avaient habité la même maison et
partagé les mêmes secrets. À Washington, Bedell Smith enrageait.
Comment se faisait-il que personne n'ait soupçonné Burgess ? À
défaut d'autre chose, pourquoi personne n'avait-il prêté plus
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Le 14 mai 1988, à Moscou, Kim Philby fut enterré, avec tous les
honneurs réservés aux membres du KGB, dans un cimetière de la
banlieue ouest de la ville. Guy Burgess était mort en 1963, après
avoir fini sa vie en ivrogne acariâtre et déshérité, ignoré par le KGB
mais toujours accroché à ses convictions marxistes. David Maclean
s'essaya à l'écriture et remporta un succès modéré avec un ouvrage
d'analyse sur la politique extérieure britannique. Il se languissait de
l'Angleterre et espérait pouvoir y revenir un jour. Ce vœu ne fut
jamais exaucé.
À la CIA et au FBI, certains sont encore convaincus que les
services ne se sont pas encore totalement remis de la grande trahison
de Philby — à Washington, il avait réussi à avoir des contacts
jusqu'au sommet de la hiérarchie de l'espionnage américain. La
plupart du temps, il avait opéré seul ; un solitaire dans le monde des
agents doubles. Personne ne saura jamais combien de morts il a
causé par la main de ceux qui lui faisaient confiance.
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jours que les scientifiques de Los Alamos étaient à ses petits soins,
dans son abri d'Elugelab, où elle était entourée de spectrographes à
rayons bêta et de containeurs d'uranium et d'hydrogène. À l'aube,
heure locale, les chronomètres qui se trouvaient à l'intérieur de la
bombe atteignirent zéro et la première étoile de fabrication humaine
s'éleva à quarante kilomètres d'altitude dans la stratosphère. Elle
masqua le soleil de son nuage gris-bleu tandis qu'en dessous d'elle
Elugelab fut littéralement calcinée et s'enfonça dans l'océan soudain
devenu bouillant. Au fond de la mer, Ivy Mike creusa un canyon
d'une longueur de mille cinq cents mètres et d'une profondeur de
cent soixante-quinze mètres, ce qui constituait également une
première de l'ère nucléaire. Dans plusieurs capitales, des scientifiques
utilisèrent des repères locaux pour mieux visualiser l'ampleur des
dégâts que pourrait causer cette boule de feu de plus de soixante
kilomètres de large : la volatilisation de Manhattan ou du centre de
Londres, Paris ou Madrid. « On n'a jamais connu de vision plus
effrayante depuis la création », avait alors écrit un témoin qui se
trouvait pourtant à plus de quatre-vingt-dix kilomètres de
l'explosion. Neuf mois plus tard, au moment de l'anniversaire de la
bombe atomique sur Hiroshima, le président du Conseil des
ministres russe, Gueorgui Malenkov, annonça : « Les États-Unis
n'ont plus le monopole de la bombe à hydrogène. » Les résultats de
l'enquête à huis clos restent enveloppés d'un linceul de secret. À ce
jour, la seule certitude est que Bruno Pontecorvo, le scientifique qui
avait trahi la Grande-Bretagne, était arrivé suffisamment tôt en
Russie pour pouvoir affirmer cela. Le cauchemar que craignait Albert
Einstein s'était matérialisé. « L'anéantissement général représente de
plus en plus la conséquence inéluctable », avait-il déclaré aux
journalistes.
Au moment de cette prédiction, les directions du MI-5 et du MI-6
connaissaient d'importants changements.
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avaient proposé de faire arrêter Nasser par l'armée puis de faire jurer
à l'ex-Premier ministre de mener une politique pro-occidentale.
L'offre fut présentée à Dick White. Il alla voir le secrétaire aux
Affaires étrangères, Selwyn Lloyd, qui, après une courte discussion,
rejeta l'idée. Mais durant l'été 1965, la question de ce qu'il fallait faire
de Nasser redevint urgente. À Washington, les frères Dulles trou-
vaient qu'il avait besoin d'une leçon qui nuirait à sa crédibilité auprès
de ses compatriotes et montrerait à ces derniers où se trouvait leur
véritable avenir : « Cesser de se blottir contre l'ours russe pour
s'abriter sous les ailes de l'aigle américain », comme l'avait formulé
Allen Welsh Dulles dans l'un de ses rares moments de poésie.
L'hiver précédent, John Foster avait accepté que les États-Unis
prêtent cinquante-six millions de dollars à l'Égypte pour construire
un barrage de trois mille six cents mètres à Assouan, sur le haut du
Nil. Six mois plus tard, Nasser avait reconnu la Chine communiste,
annoncé une visite d'État à Moscou et vendu pour deux cents
millions de dollars de coton à la Tchécoslovaquie. Le 19 juillet 1956,
John Foster Dulles annula le prêt américain.
N'ayant plus de quoi financer ce qu'il avait présenté comme le
projet qu'il laisserait à la postérité, Nasser cracha son venin contre les
États-Unis. Il se répandit en injures sur Radio Le Caire : « Je regarde
les Américains et je leur dis : étouffez-vous à mort sur votre furie !
Nous construirons le haut barrage comme nous le désirons ! Le canal
de Suez rapporte cent millions de dollars par an. Pourquoi ne les
prendrions-nous pas ? »
Chaque jour, un million et demi de barils de pétrole circulaient
par le canal et les quatre-vingt-dix pour cent destinés à l'Europe de
l'Ouest fournissaient les deux tiers du carburant nécessaire à son
chauffage et à sa production. Le canal était la voie vitale qui
permettait à la Grande-Bretagne et à la France d'accéder au pétrole
iranien, à leurs marchés orientaux et à leurs lointaines colonies sans
avoir à contourner le cap de Bonne-Espérance, en Afrique du Sud.
À Londres, la nécessité d'assassiner Gamal Nasser faisait l'objet
de plus en plus de discussions. Le service juridique du MI-6 avait
estimé que, la défense du royaume étant une priorité et la Grande-
Bretagne étant gravement menacée, il était acceptable d'éliminer un
chef d'État. On consulta le manuel d'assassinat de la CIA et George
Young rencontra l'agent américain James Eichelberger, qu'Allen
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ce temps, le SIS avait affiné son projet d'utiliser ses stations de radios
« pirates », basées à Chypre et Aden, pour diffuser des menaces
d'attaques égyptiennes contre Israël.
Alors qu'août laissait place à septembre, au Moyen-Orient, les
tambours de guerre grondaient chaque jour plus fort au rythme des
ondes manipulées par le MI-6.
Peu après, à l'heure où la planification de l'intervention à Suez
battait son plein, l'attention du MI-6 — tout comme celle des autres
services secrets occidentaux — fut contrainte de se tourner vers l'est
et, plus précisément, vers la Hongrie. Des dizaines de milliers
d'étudiants avaient envahi les rues de Budapest pour exiger le retrait
des troupes soviétiques, la libération de tous les prisonniers
politiques et l'établissement d'un « régime communiste
indépendant ». Dick White avait alors ordonné à John Bruce-
Lockhart, le médiateur du MI-6, de se rendre sur place pour
surveiller les événements. Le temps qu'il arrive, des milliers de
travailleurs en colère avaient rejoint les manifestations estudiantines
et scandaient les mêmes slogans. Dans un câble à Dick White,
Bruce-Lockhart écrivit alors : « Ce qui aurait semblé impossible il y a
un mois pourrait très bien se produire. »
À Paris et à Londres, Guy Mollet et Anthony Eden estimaient,
l'un comme l'autre, que l'accord tripartite signé en 1950 permettait à
la Grande-Bretagne et à la France d'occuper en toute légalité la zone
du canal si la guerre éclatait entre Israël et l'Égypte. Eden ordonna à
Dick White d'augmenter la propagande diffusée sur les stations de
radio du MI-6 et le Mossad mobilisa ses contacts dans les médias
internationaux afin que l'on y parle encore plus de la menace que
Nasser représentait pour Israël. Il s'agissait là d'un exemple typique
de cet art obscur qu'est la manipulation médiatique.
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Perez, qui ne s'était pas engagé sur le plan politique. Ils avaient
également reçu des coups de téléphone du ministre des Affaires
étrangères égyptien, Mahmoud Faouzi, qui se voulait rassurant en
affirmant que son pays n'avait aucune intention hostile envers Israël.
Quand Faouzi avait demandé que la France transmette cette
promesse à Israël, Guy Mollet s'était contenté de lui accorder une
oreille polie.
L'arrivée de ces groupes sur l'aérodrome français, en cette froide
nuit d'octobre, prouvait que la requête égyptienne n'avait abouti à
rien. Leur présence devait beaucoup à l'habile organisation de Pierre
Boursicot, le directeur du SDECE, qui dirigeait l'antenne parisienne
de l'opération « Musketeer » et supervisait la méticuleuse préparation
de la participation française au projet d'invasion de l'Égypte. Aucun
détail n'avait échappé à son attention. Sa limousine ouvrit le convoi
pour sortir de l'aérodrome. Isser Harel était assis à l'arrière. Trois
voitures de diplomates le suivaient. White et Dennys étaient dans le
dernier véhicule. Au château où devait se tenir la réunion, Boursicot
avait fait préparer des plats casher, français et anglais, ainsi que des
boissons non-alcoolisées. En cuisine, on avait mis du champagne au
frais pour le cas où les groupes présents parviendraient à s'entendre
pour déclencher une guerre sans la moindre approbation de leurs
gouvernements ou des Nations unies. Pour Isser Harel, « la situation
avait quelque chose de médiéval ».
Cependant, pour parvenir à un consensus, le temps était limité. Il
avait été convenu que cette rencontre prendrait fin à minuit afin que
la délégation israélienne puisse être de retour à Tel-Aviv avant l'aube
et que personne ne remarque l'absence de ses membres.
C'était Boursicot qui avait choisi le grand salon du château, avec
son superbe mobilier et ses murs ornés de visages oubliés dans des
cadres dorés, comme salle de réunion. La pièce adjacente était
occupée par des techniciens du GCHQ et des services israéliens qui
étaient arrivés plus tôt dans la journée pour mettre en place des
connexions avec Londres et Tel-Aviv.
De l'autre côté de l'Atlantique, la NSA avait déjà repéré les tests
de transmissions émanant du château et, vers le milieu de la soirée,
elle enregistra une soudaine augmentation de la circulation des
signaux codés. Les cryptologues de Fort Meade, à qui l'on avait
demandé de se tenir prêts, se penchèrent alors sur les messages mais
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ils ne parvinrent pas à déchiffrer les codes. Pour Allen et John Foster
Dulles, l'important débit des signaux pouvait vouloir dire qu'Israël
allait demander son soutien à la France pour intervenir en Jordanie si
l'armée irakienne envahissait le royaume hachémite. Cette hypothèse
n'était que le fruit de la campagne de désinformation du Mossad.
À minuit, au château, un accord fut conclu. Israël lancerait un
assaut terrestre contre l'Égypte dans le désert du Sinaï. Son objectif
serait d'atteindre le canal de Suez en vingt-quatre heures, un
engagement auquel Moshe Dayan avait ajouté : « Sinon moins. » La
Grande-Bretagne et la France poseraient alors un ultimatum à
Nasser : elles lui demanderaient de laisser leurs troupes entrer
temporairement dans la zone du canal pour y maintenir la paix. Ceci
fait, les forces israéliennes se retireraient du côté de la voie d'eau qui
donne sur le Sinaï. Si Nasser refusait cette proposition, « sans autre
avertissement », les Britanniques et les Français envahiraient l'Égypte
et reprendraient la zone du canal. Le protocole fut rédigé avec des
traductions française, anglaise et hébraïque en pièces jointes. L'un
après l'autre, les ministres signèrent le document et s'engagèrent tous
solennellement à ce que son contenu reste toujours secret. Après un
signe de Boursicot, des serveurs apportèrent du champagne au salon
pour fêter l'entente.
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On l'installa dans l'un des box d'une grande salle sans fenêtre de
Leconfield House. Sur son bureau se trouvait le dernier numéro du
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était en train d'entrer dans la guerre civile qui allait mener l'IRA —
consciente de bénéficier de l'attention discrète mais bienveillante de
Moscou — à la confrontation ouverte et aux échanges de tirs. En ce
jour de février 1972, Frank Steele fut récompensé d'avoir pris
Alexandre Feoktisov en filature dans les rues de Dublin, avant son
déjeuner avec le fidèle partisan de l'IRA qu'était Charles Haughey.
De ses contacts, l'IRA avait appris l'importance d'avoir une
structure impénétrable, organisée sous forme de cellules, et dans
laquelle la trahison était synonyme d'exécution par ses escadrons de
la mort. Elle avait également découvert les techniques de fabrication
des faux passeports et la nécessité d'exploiter les convictions
religieuses des membres de l'IRA, qui, pour la plupart, continuaient
d'assister à la messe et de se confesser régulièrement. Un bon
nombre de prêtres, tout en condamnant la violence, considéraient les
membres de l'IRA comme des combattants de la liberté.
Alors que cela faisait un an qu'il participait aux opérations du MI-
6, Steele informa Rennie qu'il allait bientôt devenir impossible de
remporter la lutte armée contre l'IRA et qu'il lui semblerait
« pragmatique de dialoguer avec son commandement ». À Londres,
lors d'une réunion présidée par William Whitelaw, le secrétaire d'État
à l'Irlande du Nord, et à laquelle assistaient Rennie et son homologue
du MI-5, Michael Hanley, la proposition de Steele, bien
qu'approuvée par les dirigeants militaires en Ulster, et les plus hauts
représentants du RUC, fut violemment rejetée.
Peu après, quelques membres importants de l'IRA traversèrent la
frontière pour se rendre à Dublin et y prendre un vol Aer Lingus à
destination de Francfort, où ils en prirent un autre pour Beyrouth. Ils
étaient invités par le docteur Georges Habache, le chrétien
palestinien qui avait abandonné la pratique de la médecine pour
diriger le FPLP. Il en avait rapidement fait la plus sophistiquée des
organisations terroristes du Moyen-Orient : les instructeurs du KGB
avaient appris à ses agents à utiliser des encres invisibles, des codes
et des boîtes aux lettres. En outre, le Hezbollah et les autres groupes
terroristes admiraient les compétences du FPLP en matière de
fabrication de bombes.
Pour un sommet se tenant dans un camp de réfugiés, au Liban,
Habache avait réuni des groupes terroristes aussi différents que
l'ETA espagnole, l'Armée rouge japonaise ou les Brigades rouges
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italiennes. Ils étaient tous là pour qu'il leur parle de sa vision d'un
réseau terroriste à l'échelle mondiale. Parmi ceux qui applaudissaient
le projet d'Habache se trouvait un mince guitariste sud-américain,
porté sur les femmes et disposant de finances illimitées grâce à sa
mère exagérément aimante, une séduisante divorcée très appréciée
dans le milieu diplomatique londonien. Il s'appelait Ilich Ramirez
Sanchez mais on le connaîtrait plus tard sous le nom de Carlos le
Chacal et il deviendrait la bête noire de tous les services secrets du
monde. Le dernier soir du sommet, il étonna la délégation de l'IRA
en lui jouant des chansons folkloriques irlandaises avant qu'elle ne
reparte pour Belfast dire à tout le monde que l'IRA devait participer
à la révolution d'Habache. Cette rencontre marqua le début d'une
décennie de terrorisme jusqu'alors sans précédent.
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loin que le dîner. Tout en menant l'existence d'un bon vivant, sous la
couverture d'avoir hérité d'une fortune de famille, il était également
chargé de trouver des moyens de compromettre des agents de l'IRA
présents dans la république, de manière à embarrasser le
gouvernement irlandais, qui, selon le MI-6, semblait les tolérer.
Finalement, la chance finit par lui sourire.
En faisant le tour des bars du centre-ville, il rencontra deux frères,
Kenneth et Keith Littlejohn. Ils étaient tous deux venus d'Angleterre
dans l'espoir de mieux gagner leur vie. Tout en prenant quelques
verres, Kenneth avait dit à Holroyd : « Nous sommes prêts à tout. »
Keith avait ajouté : « Le problème, c'est que ces satanés Irlandais
n'aiment pas les Britanniques. » Holroyd avait senti une ouverture et,
quelques jours plus tard, il avait invité les Littlejohn à dîner au
Shelbourne, le plus grand hôtel de la ville. Il était accompagné de
John Wyman, un agent du MI-6 qui dirigeait déjà plusieurs
informateurs dans la république ; il se présenta sous le nom de
Douglas Smythe et déclara aux frères qu'il pourrait peut-être les aider
« sur le plan professionnel ».
À mesure que le vin coulait, les deux espions finirent par être
convaincus que, non seulement, les Littlejohn avaient peu d'estime
pour les Irlandais mais également qu'ils détestaient l'IRA. Au
moment des derniers verres, dans un recoin tranquille du bar de
l'hôtel, Wyman proposa aux deux frères de travailler pour lui. Leur
tâche serait inhabituelle et comporterait quelques risques. En
revanche, la rétribution financière serait considérable. Les Littlejohn
devraient braquer plusieurs banques de la république de manière à ce
que l'on puisse en accuser l'IRA. L'offre fut immédiatement
acceptée.
De nouvelles rencontres avec Wyman eurent lieu à Phoenix Park
pour affiner les détails des braquages. Plus tard, Kenneth Littlejohn,
évoqua la fin de l'un de ces entretiens : « Smythe a dit qu'il aimerait
que nous accomplissions les assassinats politiques de certains
dirigeants de l'IRA. Il m'a remis une liste sur laquelle se trouvaient les
noms de Seamus Costello et de Joe McCann. » Il fut décidé que
McCann serait la première cible. Mais avant que les Littlejohn n'aient
eu le temps de le tuer, une patrouille britannique l'avait abattu à
Belfast.
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récupéraient leurs salaires —, elle repérait des signes à la craie sur des
réverbères ou des bouteilles de lait abandonnées sous des bancs
publics, servant à signaler aux taupes qu'elles devaient contacter leur
contrôleur russe. Elle épiait également des agents du GRU dans les
bibliothèques. Ils y passaient des heures à photocopier des revues
techniques et scientifiques, toutes librement accessibles au public.
« Nous supposions qu'ils les estampillaient "secret" pour leur donner
plus d'importance avant de les envoyer à Moscou », écrivit-elle dans
son autobiographie, Open Secret (Secret de polichinelle).
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reste du monde, avaient levé les yeux, ébahis. Jusque là, on avait
toujours considéré les États-Unis comme le berceau de l'innovation
scientifique d'après-guerre : de la bombe atomique au vaccin contre
la poliomyélite, de la chirurgie cérébrale à incision minimale aux
médicaments contre les problèmes psychiatriques, des centaines de
fois, les scientifiques américains avaient placé la barre au plus haut.
Là, Moscou avait fait un grand pas en avant ; il faudrait attendre
encore deux ans avant que l'astronaute Neil Armstrong marche sur la
Lune et laisse à la postérité son « bond de géant pour l'humanité ».
Le 4 octobre 1957, un bip-bip dans le ciel avait montré que l'Union
soviétique avait déjà conquis l'espace avec son Spoutnik — un nom
qui signifiait « compagnon de route ».
Johnson annonça à ses invités qu'il avait une nouvelle qui
replaçait les États-Unis en tête de la course.
« Nous avons dépensé trente-cinq ou, plus probablement,
quarante milliards de dollars pour ce dont je vais vous parler. Ce que
nos scientifiques ont accompli vaut dix fois ce prix. Nous savons,
aujourd'hui, où se trouvent les missiles et les bases de lancement des
Soviétiques. Nous avons vu leurs visages en train d'attendre de
pousser le bouton sur leurs sites principaux. Nous savons où se
trouvent les installations radars des Nord-Coréens et nous avons
regardé à l'intérieur de leurs bâtiments à leur insu. Nous savons où se
trouvent les camps de terroristes en Libye ou en Syrie et nous avons
vu la marque de leurs armes russes. Nous savons tout cela grâce à
quelque chose de spécial. »
Johnson fit une pause, regarda ses auditeurs un à un, tel l'acteur
confirmé qu'il s'était avéré être en retenant l'attention de millions de
gens lors de sa campagne. Puis il planta un morceau de viande au
bout de sa fourchette et l'agita en direction du ciel.
« Ce que nous avons, c'est la photographie spatiale en temps réel !
Nous sommes de nouveau en tête. »
Si certains de ses auditeurs ne comprenaient pas tout à fait ce qu'il
entendait par « photographie spatiale en temps réel », cela ne les
empêcha pas d'applaudir. L'Amérique était de nouveau en tête. C'était
tout ce qui comptait.
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Cet immense système était si secret que pas une seule des
personnes ayant accès au produit final — le président des États-
Unis, le directeur des chefs d'état-major américains et les directeurs
de la CIA et du MI-5 et du MI-6 — ne savait ni comment on
l'obtenait ni quel était le budget de l'ensemble du dispositif (en 2006,
il était estimé à six cents milliards de dollars).
Le jargon relatif à ce système extrêmement complexe regorgeait
de termes anodins — tels que Magnum, Chalet, Jumpseat, Oxcart,
Idealist ou Keyhole — derrière lesquels se dissimulaient les plus
noires des opérations noires. Seuls quelques rares élus savaient ce
qu'elles avaient permis de découvrir : les directeurs des services
secrets, les stratèges militaires et quelques présidents et Premiers
ministres de pays occidentaux en bons termes avec les États-Unis.
Grâce à ces informations, ils étaient mieux à même de faire face aux
diverses menaces de l'Union soviétique ou de la Chine et de prendre
les mesures adéquates. Cependant, pour leur parvenir, les ren-
seignements devaient d'abord être recueillis et analysés par des
spécialistes. On les appelait les Deep Black Operators (ceux qui opèrent
dans le noir absolu). Ils travaillaient sur des secrets découverts grâce
à l'espionnage spatial, dans l'immensité, où des sentinelles
silencieuses voyaient et entendaient tout.
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X
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Arthur Temple Franks, qui fut directeur pendant quatre ans (de
1978 à 1981), était arrivé à ce poste par une voie maintes fois
éprouvée : il avait d'abord été agent du SOE, en Europe, pendant la
guerre, avant de passer trois ans à Téhéran, où il avait contribué à
placer le jeune shah sur le « Trône du Paon ». De retour à Londres, il
était d'abord devenu contrôleur pour le Moyen-Orient et responsable
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Soviétiques avaient envahi le pays deux ans plus tôt et leur présence
rappelait à Figures un certain adage : « On ne peut pas acheter la
loyauté d'un Afghan, on ne peut que la louer. »
Même si Figures était en bonne condition physique pour ses
cinquante-six ans, le voyage à travers les montagnes de l'Hindou
Kouch qu'il avait entrepris pour rencontrer des dirigeants du
Moudjahid — le mouvement de résistance afghan — restait
physiquement éprouvant. Il s'était habillé de façon adaptée à
l'occasion ; il portait un chapeau plat appelé kapol et le shalwar kamiz,
l'ample tenue traditionnelle des montagnards. Pendant deux jours,
Figures et son guide — qu'il avait rencontré à Peshawar avec le chef
de la station locale du MI-6 — étaient passés par des rivières
gonflées par la neige fondue des montagnes et par des cols escarpés.
Leur cible était un jeune combattant moudjahidine surnommé « le
Lion du Panshir » (ou « le Lion des montagnes » au MI-6) à cause de
son habileté à attaquer les Russes. Entre d'innombrables tasses de
thé vert, tout en mangeant de la chèvre des montagnes rôtie, Figures
et le Lion s'étaient entendus sur une alliance. Le Lion avait expliqué
qu'il avait besoin de matériel de communication récent pour savoir
quand les bombardiers soviétiques approchaient ou quand les tanks,
en-dessous, avançaient en grondant. Il avait également ajouté que ses
hommes avaient besoin d'être formés aux tactiques de guérilla
moderne. En échange, ils évinceraient les Russes. Figures avait
répondu que si le Lion pouvait envoyer ses meilleurs hommes à
Peshawar, il ferait en sorte qu'un avion les amène en Grande-
Bretagne pour y apprendre les techniques de combat adéquates. En
deux mois, plus de cent moudjahidine arrivèrent secrètement en
Écosse et y suivirent une formation au fin fond des Highlands, avant
de repartir, tout aussi discrètement, pour Peshawar afin de montrer
au Lion ce qu'on leur avait enseigné.
C'était presque un summum idéal à la carrière d'un directeur chez
qui de nombreux membres du MI-6 retrouvaient les excellentes
qualités qui avaient caractérisé le premier chef. Lorsque Figures prit
sa retraite en 1985, il emporta deux objets personnels de son bureau :
sa photo de mariage et le poste de radio sur lequel il écoutait les
commentaires des matchs de cricket. Il mourut le 8 décembre 2006,
à l'âge de quatre-vingt-un ans. Sur sa table de chevet, sa radio
attendait, prête à lui donner les prochains résultats détaillés.
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Hors de l’ombre
Ce furent ces trois hommes très différents les uns des autres —
Oldfield, Franks et Figures — qui débarrassèrent progressivement le
MI-6 des conséquences de l'invasion de Suez et du déclin dû à la
trahison de Philby et des autres taupes soviétiques. Ce fut eux qui
menèrent le SIS vers le rétablissement de ses relations avec la CIA. Si
l'Agence n'avait pas oublié les mauvais moments, elle les avait
pardonnés et, désormais, les services de renseignement des deux
pays étaient bien déterminés à remporter la guerre froide ensemble.
Cela ne serait pas facile. Le régime islamiste de l'ayatollah
Khomeini avait destitué le shah en 1979. Le Nord-Vietnam était en
train de prendre le contrôle sur le reste de l'Indochine. Au
Nicaragua, le vieux régime dictatorial de la famille Somoza avait été
renversé et remplacé par un régime soutenu par Moscou. Fidel
Castro avait recommencé à menacer de laisser Cuba devenir un
satellite soviétique.
Où que le MI-6 et la CIA posent les yeux, une nouvelle crise
semblait éclater. Mais, bien souvent, ils n'en avaient pas été
suffisamment avertis ; et même, pas du tout quand le gouvernement
polonais avait imposé la loi martiale et que l'armée du pays s'en était
prise à Solidarnosc ; pas du tout non plus quand un marxiste, Maurice
Bishop, s'était emparé du pouvoir sur la minuscule île de Grenade et
avait aussitôt entamé des relations diplomatiques avec Cuba et
Moscou. Les deux allaient lui fournir des armes pour « résister aux
agresseurs impérialistes ».
Ces échecs découlaient de faiblesses antérieures. Jusqu'à la fin peu
glorieuse de la guerre de Corée, en 1953, la CIA avait encore deux
cents agents à Séoul. « Nous avions nos propres bars, nos propres
filles, et un bordel de chaque côté de notre bâtiment, rue Pasteur, le
quartier général de la CIA, à Cholon, dans la banlieue de la ville »,
m'a plus tard confié Bill Buckley. « La plupart des agents dépendaient
des informations des espions coréens. La plupart d'entre elles étaient
inventées de toutes pièces. Mais, comme la fin était proche, personne
ne semblait s'en soucier. »
245
Histoire des services secrets britanniques
Peu avant de quitter ses fonctions, John Rennie avait, une fois de
plus, été forcé par une nouvelle révision du budget du MI-6 à
diminuer ses activités sur le continent sud-américain. La station
depuis laquelle on épiait les conversations en portugais avait dû
fusionner avec la station hispanophone de Buenos Aires. À cause de
la réduction de personnel qui en découla et d'un curieux message
dans lequel Rennie demandait à son commandant de Buenos Aires,
Mark Heathcote, d'accorder « la priorité à la collecte d'informations
mais de basse catégorie », Londres ne reçut, dès lors, pas grand-
chose de plus que des traductions d'articles de journaux.
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une défaite aux Malouines ; le fait qu'il n'avait pas découvert le projet
d'invasion de Grenade du Pentagone avant que les troupes des États-
Unis ne soient en train de débarquer en masse sous les projecteurs
des chaînes de télévision américaines ; l'humiliation quand on s'était
aperçu qu'un agent de haut niveau de la station de Paris fabriquait de
toutes pièces de faux rapports provenant prétendument d'un
informateur au nom duquel il demandait des sommes substantielles,
qu'il utilisait, en réalité, pour mener la belle vie. Quand Richard
Dearlove, un futur directeur, avait découvert la supercherie, Colin
Figures, le prédécesseur de Curwen, avait estimé que la seule façon
d'éviter un scandale public était de permettre à l'agent de
démissionner et lui trouver un poste important dans une banque de
la City.
En ce jour de juillet, en cherchant le meilleur moyen d'exfiltrer
Oleg Gordievski, Curwen et Scarlett savaient tous deux qu'il faudrait
que l'opération soit approuvée par Margaret Thatcher. Depuis
l'arnaque de Paris, elle avait clairement fait savoir qu'elle voulait
connaître les « risques d'embarras » de chaque opération.
Elle se trouvait alors à Balmoral, la résidence écossaise de la
famille royale, où elle était allée voir la reine, ainsi que tous les
Premiers ministres devaient le faire tous les ans, vers la fin de l'été.
Curwen prit le premier vol pour l'Écosse pour aller l'informer. Un
peu plus tard, tandis que la reine promenait ses corgis dans le
domaine de Balmoral, le Premier ministre et son chef espion
sirotaient du grand whisky à l'intérieur du château.
« Quels que soient les risques, nous devons le faire sortir,
Madame le Premier ministre », déclara Curwen pour clore leur
conversation. « Alors, faites-le. Je vais appeler Geoffrey pour le pré-
venir. »
Geoffrey Howe était le secrétaire aux Affaires étrangères et le
patron politique du SIS. Quand il repartit, Curwen avait réussi à
convaincre Margaret Thatcher que, du fait des informations que
détenait Gordievski, cela valait la peine de prendre des risques pour
le faire venir en Angleterre — ce qui nécessiterait, entre autres, un
passeport britannique.
Le PET, le service de renseignement danois, qui entretenait
depuis longtemps des relations avec le MI-6, proposa de cacher
Gordievski dans l'une de ses planques, à Skovlunde, afin qu'il y soit
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Hors de l’ombre
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Hors de l’ombre
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Hors de l’ombre
Avant son départ pour la Russie, Howard, comme tous les agents
qui entraient à la direction des opérations, dut passer au détecteur de
mensonges. Ses résultats révélèrent qu'il avait un grave problème de
boisson, mentait régulièrement et avait une petite tendance au vol.
Son contrat fut immédiatement résilié. Mais, selon une enquête
ultérieure, Casey n'en fut pas informé.
En avril 1985, Howard prit un vol pour Vienne avant qu'on ait eu
le temps d'annuler son passeport. Dans ses bagages, il avait le nom
d'un agent du KGB qui, selon les dossiers de la CIA qu'il avait été
autorisé à lire, se trouvait dans la capitale autrichienne. Comme
Ames, il avait apporté des preuves de sa volonté de trahir : une
photocopie du dossier de Tolkatchev et le nom de son agent traitant,
ainsi que ceux de tous les agents basés à l'ambassade américaine de
Vienne. Vingt-quatre heures après sa rencontre avec l'agent du KGB,
Howard se trouvait à bord d'un appareil militaire volant en direction
de Moscou.
Tolkatchev fut interrogé et torturé au sous-sol de la Loubianka
avant d'être jugé et abattu par un peloton d'exécution.
À ce moment-là, Howard vivait dans un appartement moscovite
proche de l'endroit où Guy Burgess vivrait ses derniers jours. Si l'on
a toujours aucune idée de ce qu'il est advenu d'Howard, l'ampleur
des préjudices qu'il a causés se reflétait dans une note de service de
Casey à Clair George, le directeur adjoint des opérations, dans
laquelle il se déclarait consterné « par la simple possibilité qu'un
agent espionne pour le compte de l'Union soviétique ».
Ce qui rendait Casey furieux, c'était que, pendant un certain
temps, Howard avait été l'un des leurs. La CIA l'avait formé.
Pourtant, il avait trahi l'Agence et son propre pays. N'était-ce qu'un
ivrogne mécontent qui avait voulu se venger ? Ou quelque chose de
plus profond était-il à l'origine de sa déloyauté ? La recherche de ces
réponses allait consumer Casey jusqu'à la fin de son mandat.
Pourtant, le 1er août 1985, une lueur d'espoir sembla se dessiner
après cette avalanche d'histoires abominables.
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XII
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exploits et ce n'était que dans les plus hauts rangs du MI-6 qu'on
l'appelait « l'espion parmi les espions ».
À soixante-trois ans, McColl n'avait été nommé à la tête du SIS
que récemment mais, contrairement au directeur de la CIA, il y avait
longtemps qu'il était entré dans l'univers sombre et dangereux qu'il
avait choisi après avoir été repéré à Oxford. On l'avait d'abord
envoyé à l'École de langues orientales et africaines, à Londres, pour y
apprendre le thaïlandais. Après cela, il avait pris des cours à Fort
Monkton — le centre de formation du MI-6 — pour y acquérir les
bases essentielles du métier : des codes aux boîtes mortes, en passant
par la manipulation des armes. Ses instructeurs lui avaient accordé la
meilleure mention possible : « hautement capable ».
Fort de tout ce qu'il avait appris, McColl avait été envoyé sur le
terrain. À New York, il avait traqué les financiers qui fournissaient de
l'argent à l'IRA pour acheter des armes. Il avait recruté des
informateurs irlandais qui assistaient aux dîners de « bienfaisance »
du Sinn Fein. Ils y repéraient les riches invités qui prenaient ensuite
des vols Aer Lingus pour Dublin avec des bagages à main bourrés de
dollars qu'ils remettaient à l'IRA à l'aéroport de Shannon. McColl
avait lui-même fait le trajet pour évaluer les défaillances de la sécurité
de l'aéroport Kennedy et de la police irlandaise à Shannon.
D'abord à Varsovie puis à Vienne, McColl avait consolidé sa
réputation en parvenant à recruter des informateurs dans ces villes
où l'on savait que le KGB assassinait impitoyablement les agents
doubles. On n'avait pas tardé à le considérer comme l'un des
meilleurs agents de l'unité bloc soviétique du MI-6.
Des années plus tard, Richard Tomlinson m'a raconté : « Être
dans le bloc soviétique signifiait être sur la corde raide à chaque
instant de la journée. Pour en être capable, il fallait être quelqu'un
d'exceptionnel. »
McColl jouait très bien de la flûte traversière et le son envoûtant
de son instrument s'échappait souvent de son bureau. Il trouvait que
la flûte avait un effet apaisant. Cela lui permettait de se détendre
pendant qu'il continuait d'enchaîner les opérations réussies contre le
KGB.
Il avait repéré certains des blanchisseurs d'argent du service russe
à Genève et découvert qu'ils utilisaient le respecté Crédit suisse, à
son insu, pour financer des liens avec le crime organisé et des
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façon tranquille qui allait bien avec son passé insulaire d'habitante de
Guernesey, l'une des îles Anglo-Normandes. Bien que n'étant pas
dotée du même type de beauté que les femmes qui posaient sur les
couvertures des ouvrages de la maison d'édition pour laquelle elle
travaillait, elle ne manquait pas d'attrait : de longs cheveux blonds,
des yeux bleu-gris et un sourire timide. Elle était également diplômée
de Cambridge en langues classiques et connaissait suffisamment bien
le français, l'allemand et le russe pour les utiliser dans un cadre
professionnel. Travailler pour le Foreign Office lui permettrait
d'assouvir son désir de « servir [son] pays ».
Au lieu de cela, elle reçut une lettre du ministère de la Défense lui
signalant qu'il y existait un autre travail qu'elle trouverait peut-être
plus intéressant. Tout ce qu'elle avait à faire, c'était de composer un
certain numéro de téléphone. Sa première réaction fut : « Seigneur !
C'est le MI-5 ! » Tout ce qu'elle connaissait du monde du
renseignement, c'était ce qu'elle avait vu dans les films de James
Bond, au cinéma, ou dans l'adaptation télévisée de La Taupe de John
Le Carré qu'elle avait regardée avec son père. Mais elle appela.
À Londres, le MI-5 disposait de bureaux de « première étape » où
l'on distinguait rapidement les « improbables » des « possibles », les
candidats qui pouvaient être envoyés vers la deuxième phase du
recrutement. Chacun de ces endroits contenait un bureau standard
du gouvernement avec une chaise de chaque côté. Le sol était
recouvert de moquette et l'éclairage était aussi morne que les rideaux.
L'un des bureaux se trouvait au-dessus d'une agence spécialisée dans
la vente de spectacles aux boîtes de nuit de province, un autre était
proche du marché de Covent Garden et un troisième, sur Fulham
Road.
Celui où Annie Machon avait été conviée était situé sur
Tottenham Court Road, dans un quartier de fast-foods et de
magasins pour petits budgets. Une femme, relativement jeune,
portant une jupe longue de style hippie, était assise derrière le
bureau. Les premières étapes furent celles d'un entretien d'embauche
classique : parcours personnel, origines familiales, études. Puis on
passa aux questions d'investigation : pourquoi se présentait-elle pour
ce travail ? Avait-elle une véritable idée de ce que cela impliquait ?
Quelles seraient ses attentes si on lui proposait un poste ?
Accepterait-elle un salaire relativement modeste en dépit de ses
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Sans que l'on s'attarde sur le fait qu'en réalité le MI-5 s'occupait
toujours de tous les ennemis de l'État, quelle que soit leur étiquette,
l'entretien revint à Annie.
« Vous allez être soumise à l'EPV (Enhanced Positive Vetting/
Processus d'approbation approfondi), le plus haut niveau
d'accréditation de sécurité », déclara la femme. Annie se souvint plus
tard qu'elle lui avait expliqué qu'elle devrait donner les noms de
quatre personnes liées à « différentes phases de [sa] vie afin de
dresser un tableau complet de [sa] personnalité ».
Le processus d'approbation comprenait un interrogatoire sur la
vie sexuelle d'Annie Machon, qui a, plus tard, décrit son
interlocutrice : « Une gentille vieille dame qui, bien qu'étant
exactement comme ma grand-mère, savait comment vous pousser à
parler en douceur. » Les hommes qui voulaient entrer au MI-5 ou au
MI-6 étaient également interrogés sur leur vie sexuelle.
Quand Annie eut fini de subir cette enquête sur sa vie intime, on
lui demanda de participer à deux jours d'examens au conseil de la
section du service civil. Un agent du MI-5 l'interrogea et un
psychologue lui posa une série de questions préparées par le docteur
William Sargant.
Tous les entretiens d'Annie Machon se passèrent bien et elle fut
admise au Service de sécurité. L'avenir lui semblait infiniment plus
exaltant que si elle avait travaillé au Foreign Office.
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« les Rouges cachés sous le lit étaient encore quelque chose de très
présent au MI-5 », m'a-t-elle affirmé plus tard. Mais elle fit ce qu'on
lui demandait et ses rapports méticuleux lui valurent les louanges du
directeur de son service.
Pendant deux ans, Annie Machon travailla dans les bureaux et
s'occupa aussi bien des communistes présumés que de la menace que
représentaient les attentats à la bombe de l'IRA, qui s'étaient
propagés de l'Irlande du Nord au reste du territoire britannique. Si
elle comprenait bien l'utilité de lutter contre l'IRA, elle se sentait de
plus en plus mal à l'aise par rapport aux centaines de dossiers que
constituait le MI-5 sur des « citoyens ordinaires » qui, selon elle, ne
représentaient aucun danger pour la sécurité nationale.
Ainsi commença-t-elle à être de plus en plus convaincue que, si
l'IRA était effectivement un dangereux ennemi de l'État, les libertés
civiques élémentaires de trop de gens étaient bafouées par la façon
dont opérait le MI-5 dans un système prétendument démocratique.
Le fossé entre les ordres qu'elle recevait et ses valeurs morales se
creusait chaque jour un peu plus. À cette époque, elle avait une
relation avec un de ses collègues, David Shayler.
Avec ses cheveux longs et son air suffisant, Shayler travaillait
pour la branche antiterroriste du MI-5. Il y dirigeait le bureau de la
Libye, et ses briefings aux hauts fonctionnaires lui avaient valu des
éloges dans son dossier personnel. Son travail l'avait également
amené à être en contact avec le SIS et il avait découvert que des
dissidents libyens projetaient d'assassiner leur chef d'État, le colonel
Kadhafi.
Le côté théâtral de Shayler s'illustra particulièrement quand on
découvrit le complot organisé par l'une de ses sources au MI-6, un
autre personnage spectaculaire qui tenait absolument à se faire
appeler PT16B. Cette conspiration donnait à Shayler l'impression de
participer à un événement exceptionnel qui, en cas de réussite,
changerait indubitablement la carte politique du monde arabe.
Hormis PT16B, les principaux intervenants étaient un officiel de
haut rang du gouvernement libyen répondant au nom de
« Tunworth » — un pseudonyme digne d'un roman d'espionnage —
et un groupe d'extrémistes de la même nationalité que lui, appelé Al
Jamaa al islamiya al muqatila, la Force de combat islamique. PT16B les
avaient rencontrés à Malte et ils s'étaient entendus pour que
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qu'il était revenu sur ses engagements envers Saddam Hussein. Son
supercanon se trouvait désormais en pièces détachées dans le désert
irakien. Mais se pouvait-il que Saddam dispose d'armes biologiques
ou chimiques ?
Pour Shabtaï Shavit, la seule façon d'en être certain était
d'envoyer un espion en Irak. Le nom de code de ce dernier était
Sholam — en référence au légendaire Sholam Weiss, l'un des
membres de l'équipe du Mossad qui avait capturé Eichmann — et il
s'agissait d'un agent rompu aux missions dangereuses.
Né à Bagdad, il était le fils aîné d'un commerçant juif qui avait
emmené toute sa famille en Israël lorsque Saddam avait pris le
pouvoir. Sholam avait été repéré pendant son service obligatoire à
Tsahal, puis envoyé au centre de formation du Mossad, à Herzliya,
avant de suivre un entraînement spécial dans le désert du Néguev.
Il avait suivi une formation pour apprendre à se faire passer pour
un sarami, c'est-à-dire un membre de la plus ancienne des sectes
soufres. Il avait dormi dans le Néguev, partagé la nourriture des
nomades et bu l'eau saumâtre des oueds. Il avait couru sous le soleil
brûlant de midi pour améliorer son endurance. Pendant tout le
temps qu'avait duré ce rigoureux entraînement, un psychologue du
Mossad avait évalué son niveau de stress.
Sholam avait passé un mois à endurcir son corps noueux afin
d'être capable d'affronter ce qui l'attendait. Dans le passé, il avait été
envoyé au Yémen et en Arabie saoudite. Shavit lui avait dit que
c'était pendant sa mission dans le désert de l'ouest irakien qu'il avait
le plus de chances de repérer des traces de lance-roquettes mobiles
qui pourraient ne pas avoir été détectés par les satellites à cause des
tourbillons des tempêtes de sable. Ce serait encore plus dangereux
que d'habitude car il faudrait qu'il s'approche suffisamment des
lance-missiles pour les photographier.
Pendant les nuits sans lune, un instructeur l'avait emmené loin
dans le désert du Néguev et lui avait rapidement montré une pile de
photos de véhicules ou d'empreintes, dont des traces de porte-
missiles. Sholam devait tout identifier à deux secondes d'intervalles.
Après cela, un hélicoptère de Tsahal, dont on avait assourdi les
rotors, amena Sholam à la frontière irakienne, et il disparut dans la
nuit.
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filets pour aller les faire brûler dans les monts de l'Ouest, près de
Pékin. Le nombre de morts est estimé entre cinq et dix mille.
Personne n'a jamais su le chiffre exact. La puanteur des bûchers resta
sur la ville pendant des semaines.
À Washington, le président Bush condamna ce massacre en
soignant bien la formulation. Les Chinois le comprirent. Sa façon de
penser était plus proche de la leur que celle de la plupart des
dirigeants occidentaux. Ses paroles furent prises pour ce qu'elles
étaient : le strict minimum de protestation nécessaire pour apaiser la
colère publique dans le pays. À l'insu des citoyens, des diplomates
anonymes du bureau chinois du département d'État américain
avaient commencé à rencontrer leurs homologues de l'ambassade de
la République populaire de Chine, à quelques pas de la Maison-
Blanche. Séparément, ils longeaient Jackson Place jusqu'à la porte
716, une maison de ville en briques, propriété du gouvernement, où
de nombreuses conversations clandestines avaient déjà eu lieu.
C'était dans ce bâtiment, vieux de cent treize ans, que Nelson
Aldrich Rockefeller avait mené son enquête sur les activités
intérieures de triste notoriété de la CIA dans les années 1960. C'était
là également qu'un ancien directeur de l'Agence, l'amiral Stansfield
Turner, avait informé le président Carter que la Chine avait permis à
la CIA d'installer des postes d'écoute à sa frontière nord pour
espionner la Russie, à l'époque où Moscou était toujours considéré
comme le principal ennemi de l'Amérique. Les détails des
négociations — Qui proposa quoi ? Qui demanda du temps pour
recevoir de nouvelles instructions ? — ne resteraient que pures
conjectures. « Tout ce que je peux dire, c'est que c'était comme jouer
au poker à l'aveugle », m'a déclaré un des participants.
Ce que le gouvernement Bush attendait de ce marché était crucial
pour l'opération « Tempête du désert » : connaître l'emplacement
exact de tous les sites de missiles chinois Silkworm en Irak, celui des
barils de lithium 6 et les caractéristiques de toutes les autres armes
fournies par la Chine. En échange, Washington mettrait fin à toutes
les restrictions commerciales américaines imposées après le massacre
de la place Tian'anmen, soutiendrait l'entrée de la Chine à l'OMC et
au GATT, et s'assurerait que le prêt de la Banque mondiale à la
Chine, qui avait également été suspendu après le massacre des
étudiants, puisse reprendre comme avant. À New York, le secrétaire
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utilisation contre les terroristes — qui avaient déjà prouvé que leur
haine envers le pays pouvait les amener à massacrer des femmes et
des enfants — serait défensive et non offensive.
À en croire Basson, faire croître des micro-organismes n'avait rien
de compliqué : « Pour un chimiste qualifié, c'était un peu comme
brasser de la bière. » Pourtant, d'après ce qu'il avait lu, « la SADF
semblait ignorer jusqu'aux bases de la manipulation biologique : pour
que les germes puissent être lancés contre un ennemi, il fallait, avant
de les stocker, les transformer en armes en les congelant pour qu'ils
sèchent. »
Dans le bush rhodésien, comme dans plusieurs pays situés au
nord du fleuve Limpopo, les forces spéciales de la SADF s'était
contentées d'empoisonner les puits et les rondavels — des cabanes à
toit rond où l'on entreposait de la nourriture. Pour vraiment semer la
terreur chez l'ennemi, il fallait disséminer des microbes dans l'air,
comme les Japonais l'avaient fait contre les Chinois dans les années
1930, ou les nazis, pendant leurs expériences de la Seconde Guerre
mondiale. Basson estimait que la SADF avait négligé d'étudier
comment les diffuser de sorte qu'ils infiltrent insidieusement les
défenses naturelles du système respiratoire humain, en vainquant les
barrages des vibrisses et les cils de la trachée-artère pour atteindre
directement les poumons et traverser leurs tissus humides jusqu'à
entraîner la mort du sujet. L'anthrax pouvait faire cela. Mais, d'après
ce qu'avait lu Basson, il n'en existait pas une spore en Afrique du Sud
et personne à la SADF n'avait encore envisagé d'utiliser des microbes
comme arme alors qu'il suffisait d'une boîte d'anthrax pour tuer des
millions de gens. Pourquoi cela ne s'était-il jamais fait ? Même les
Soviétiques ne l'avaient pas fait au summum de la guerre froide.
Était-ce par crainte des représailles ? Était-ce pour cela que l'Afrique
du Sud avait signé la convention des Nations unies qui interdisait les
armes biologiques ? Les questions auxquelles Wouter Basson ne
trouvait pas de réponses étaient innombrables.
À la fin de son service militaire, fier détenteur d'une maîtrise dans
les deux sujets qu'il avait choisis, le jeune scientifique en savait plus
sur le potentiel de l'utilisation de pathogènes en tant qu'armes que
n'importe qui dans la république. Il ne soupçonnait pas que cet
intérêt avait été remarqué par son commandant, le médecin-général
Nicol Nieuwoudt. Il ne savait pas non plus que ce dernier avait
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pourrait que Floyd ait prit conscience que l'apartheid était voué à
disparaître et que le président Mandela souhaitait que le changement
de pouvoir s'opère aussi pacifiquement que possible.
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Basson s'était redressé sur son siège et avait réfléchi avant de parler.
Aucun de ces microbes n'avait été utilisé comme arme « parce que
[son équipe et lui] n'avaient pas trouvé de bon moyen pour les faire
entrer dans la chaîne alimentaire ».
Restait-il des armes biologiques ? Basson répondit avec mépris :
« Nous n'avons pas fabriqué d'armes biologiques telles que vous
l'entendez. » Le docteur Kelly ne lâcha pas. Il existait de nombreuses
preuves qu'on en avait fabriquées. « Mais aucune n'a dépassé la phase
des essais », insista Basson. Avait-on conservé certaines de celles qui
étaient allées jusqu'à ce stade — cachées, peut-être ? Basson
rétorqua : « Bon sang, nous les avons détruites. » « Comment ? »,
demanda Kelly. « Par la chaleur et avec de l'eau de Javel », révéla Bas-
son.
Le MI-6 prit la relève et le questionna sur ses voyages en Libye.
L'entretien fut bref. Les agents voulaient juste confirmer ce qu'ils
savaient déjà. « Vous avez conscience, docteur Basson, que votre
nom est sur une liste du Mossad. Si jamais vous retournez en Libye,
vous n'en sortirez pas vivant. C'est bien clair ? » demanda l'un des
agents. Wouter Basson acquiesça de la tête. L'interrogatoire était
terminé. L'avertissement était sans équivoque. S'il essayait de
reprendre ses activités, il serait assassiné par le Kidon, l'unité du
Mossad spécialisée dans l'exécution des ennemis d'Israël.
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Il s'avéra que ce rapport était tiré de deux ouvrages. L'un était The
Coming War With Japan (La Guerre imminente contre le Japon) de
George Friedman et Merith Lebard, deux économistes
conservateurs, selon qui la concurrence commerciale avec le Japon
« aboutirait presque certainement à une guerre ». D'après le second
livre — de Shintaro Ishibari, un magnat des affaires japonais connu
pour son radicalisme —, le Japon allait devoir « se confronter à
l'Amérique s'il voulait survivre en tant que grande puissance du
Pacifique avec des liens commerciaux dans le monde entier ». La
Maison-Blanche avait commandé des exemplaires de ces ouvrages
pour les envoyer aux membres du gouvernement — non sans avoir
d'abord qualifié, avec mépris, le rapport de la CIA de « pauvre
pastiche de points de vue réfléchis ».
Webster, le seul Américain à avoir dirigé le FBI et la CIA, se retira
de la fonction publique, entra dans un cabinet juridique
washingtonien et obtint de nouvelles récompenses.
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militaire, elle fit décrocher une épée, offerte par un autre service de
renseignement européen, que son prédécesseur avait suspendue au
mur de son bureau. Ensuite, elle fit repeindre la pièce et y apporta
des plantes.
Quand le livret fut publié, après avoir été plusieurs fois approuvé
par de hauts fonctionnaires de Whitehall — qui avaient passé des
heures à se torturer l'esprit sur certains mots et les implications de
chaque phrase —, il devint le premier best-seller jamais produit par
un service de renseignement britannique. Rimington posa pour une
séance de photos, tirée à quatre épingles et maquillée. Ayant réussi à
sourire à l'objectif, elle avait plus l'air d'une directrice de pension
pour jeunes filles que d'une contre-espionne. Peu après, elle
prononça un discours sur la sécurité en démocratie à la télévision. Là
encore, chaque mot avait été décortiqué pour s'assurer qu'elle
pouvait l'utiliser. Par la suite, Rimington dut trouver qu'il s'était glissé
dans l'air de Whitehall un peu de l'ambiance de sa dernière nuit à
Moscou — le soir où elle avait eu l'impression d'échapper de justesse
aux griffes du méchant dans un film de James Bond.
Pendant plusieurs semaines après son apparition télévisée, on
parla beaucoup d'elle. Dans les médias sérieux, c'était surtout parce
qu'il était nouveau de voir sortir un espion — qui plus est, une
espionne — encore en fonction. Pour les tabloïds, elle devint un
personnage d'un intérêt infini : ce qu'elle portait, où elle faisait ses
courses ; rien n'était trop inepte pour remplir les colonnes. Quand
elle organisa un déjeuner pour un comité parlementaire de super-
vision du renseignement et proposa des « côtelettes réforme » à ses
invités, le menu fut largement reproduit dans la presse du lendemain.
Mais au-delà du comportement qui lui valait de faire les gros
titres, elle restait profondément impliquée dans la lutte contre le
terrorisme à un moment où la campagne de l'IRA s'intensifiait et où
des attentats à la bombe avaient frappé les Docklands de Londres et
le cœur même de Manchester.
Consciente que la branche spéciale était sous haute pression, elle
envoya une équipe, composée de ses meilleurs agents féminins, aider
Scotland Yard. Beaucoup d'entre elles avaient une expérience
considérable pour ce qui était de traquer l'IRA. Le jour de leur
arrivée au Yard, elles furent fraîchement accueillies et on les harcela
pour les pousser à retourner au MI-5. Le summum fut atteint lorsque
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déjeuner dans le même restaurant. Tout cela était bien mignon mais
ce n'était pas une de ces histoires qui fleurissaient et fanaient
régulièrement à Thames House. C'était une bonne vieille
conspiration. »
À un certain moment, en janvier 1996, Lander demanda à voir
Rimington. Il lui expliqua qu'elle devait bien comprendre qu'il
comptait sur son soutien pour son remplacement. Si la directrice fut
étonnée par une aussi flagrante tentative de lobbying, elle le cacha
bien — en grande partie parce qu'elle savait que c'était le Premier
ministre en place qui prenait la décision finale et qu'elle avait pris
soin de ne pas faire connaître ses préférences à Downing Street. Le
moment venu, elle ne pourrait rien faire de plus que de donner des
recommandations.
Quelques jours plus tard, Lander demanda une nouvelle fois à la
voir. Cette fois, il arriva avec Manningham-Buller. Ils dirent tous
deux qu'ils n'étaient pas convaincus que Hanser ait les compétences
nécessaires pour la remplacer à la direction du MI-5. Lander le
qualifia d'« inefficace » et Manningham-Buller dit qu'il « manquait de
présence ».
Derrière sa porte close, après avoir demandé à sa secrétaire de ne
pas lui passer d'appels, Rimington écouta Lander et Manningham-
Buller jouer à quitte ou double : si Hansen était nommé directeur
général, ils démissionneraient. Leur départ ferait non seulement
beaucoup de bruit dans les médias mais il aurait également
d'énormes conséquences sur le moral du Service de sécurité. À la fin
de l'entretien, Rimington accepta de demander à Hansen
d'abandonner son projet de prendre sa succession. En retour, elle
s'assurerait qu'il reste directeur adjoint. Hansen accepta de bonne
grâce, conscient qu'il était victime des manœuvres d'un puissant
nouvel axe au sein du MI-5. On apprit plus tard que Lander avait
promis à Manningham-Buller de la prendre pour adjointe et de
soutenir sa candidature à la direction générale lorsqu'il prendrait sa
retraite. C'était un coup d'État classique, digne d'un roman de John
Le Carré.
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millions d'Afghans y avait laissé la vie. Leurs villages avaient été rasés
et leur bétail, massacré.
Cela avait été un tournant pour Ben Laden. Déjà touché par les
discours grisants de l'ayatollah iranien Rouhollah Khomeini, il
considérait qu'il se devait d'être un combattant engagé dans la lutte
contre les ennemis de l'islam. Son interprétation du Coran lui
permettait de donner une justification théologique aux paroles qu'il
avait constamment répétées aux hommes qu'il avait menés au
combat contre les Soviétiques : « L'épée est la clé du paradis que
seuls les guerriers saints peuvent utiliser. »
Même pour les agents de la CIA avec qui il avait combattu, il
restait un personnage distant qui ne leur parlait que par
l'intermédiaire d'un interprète et, généralement, pour leur demander
plus de vitamines et de l'Arcalon, un médicament servant
normalement à régénérer les muscles, ce qui conduisit, des années
plus tard, à la déduction qu'il avait contracté son insuffisance rénale
en Afghanistan. Il maintenait que ce médicament l'aidait à se
concentrer sur la façon d'affronter ses ennemis. Les agents le
considéraient comme un drôle de type qui vivait dans une tente au
plein cœur de l'hiver, mâchait de la glace et se baignait dans des
rivières pratiquement gelées. Entre-temps, il priait. Il déroulait son
tapis cinq fois par jour, son fusil près de son bras gauche, sur lequel
il portait une montre qu'il avait prise sur le cadavre d'un officier
russe.
Après ses ablutions, il s'asseyait et écrivait des discours définissant
ses ambitions à long terme. Il les griffonnait sur un bloc-notes avec
un stylo à bille tiré de la boîte qu'il avait toujours dans son sac à dos.
Pas un seul instant, les agents ne s'étaient doutés qu'il écrivait sa
haine de tout ce que leur pays représentait. Des copies de ses textes
avaient été envoyées à Langley mais la demi-douzaine d'analystes du
bureau du Moyen-Orient avait des préoccupations plus urgentes : ce
que la presse arabe disait de Yasser Arafat, du Hezbollah et de
l'OLP. De plus, l'équipe des interprètes du bureau ne comportait
aucun membre dont l'un des dix-neuf parlers de la région était la
langue maternelle.
Avant de partir pour l'Afghanistan, Ben Laden avait synthétisé
son point de vue : « Parce que les infidèles ont tué, nous devons
vous tuer. Nos innocents ne sont pas moins innocents que les
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sur la table qui se trouvait devant. lui : si quelqu'un voulait lui dire
quelque chose d'« ultrasensible », il devait l'appeler sur cet appareil.
Il se tourna vers Gayle Smith. Elle serait responsable du matériel
lourd sur les sites dévastés. C'était une priorité, pour retrouver les
corps et peut-être — seulement peut-être — secourir quelques
survivants. L'Air Force enverrait des équipes médicales. Elles
partiraient de leur base en Allemagne pour aller chercher les blessés
dans leurs ambulances volantes.
Clarke s'adressa à l'écran sur lequel Susan Rice, la secrétaire
adjointe aux Affaires africaines, regardait fixement la caméra. Elle
devait organiser des sites médicaux pour les blessés en Europe :
Espagne, France, Grande-Bretagne — partout où elle trouverait des
lits d'hôpital, elle devrait les réserver.
Il se tourna vers un autre écran, sur lequel apparaissait le visage de
Louis Freeh, le directeur du FBI, assis, l'air impassible, dans son
studio vidéo, à quelques bâtiments de son bureau. Il devrait envoyer
ses équipes spécialisées chercher des indices sur les deux sites.
Freeh leva la main et prit la parole : « J'ai eu John O'Neill, à New
York. Il a une équipe de l'Air Force basée au New Jersey. »
O'Neill était agent résident responsable à New York. C'était un
Irlandais, gros buveur, qui triait ses agents sur le volet et les
défendait avec une loyauté inébranlable. Clarke avait fait de lui l'un
des membres fondateurs du CTG (Counter-Terrorism Group/Groupe
de lutte antiterroriste).
« Louis, John part par le premier vol. »
Clarke se tourna vers la femme qui se trouvait à sa gauche, Lisa
Gordon-Hegarty, du Conseil de sécurité nationale, son aide la plus
fiable. Il annonça aux autres qu'elle serait la contrôleuse générale de
la mission.
Pendant une heure, Clarke donna des ordres de son ton calme et
autoritaire à la fois. Trois C-141 de l'Air Force étaient parés à
décoller. Il en fallait douze autres et encore six après cela. Le
département de la Défense se chargerait du ravitaillement en vol.
Enfin, le spécialiste de l'antiterrorisme s'adressa à Tenet. La CIA
s'occuperait de la réponse. Tenet hocha la tête : il n'y avait rien à
ajouter à cela.
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Clarke fit le tour des visages qui l'entouraient, dans la salle comme
sur les écrans, et s'adressa à tous : « Quand vous en aurez fini avec
ça, nous commencerons à élaborer un plan pour éviter le prochain. »
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une contribution financière, soit ils avaient été contactés par télé-
phone ou par fax. Aucune formation politique occidentale ne
disposait d'un aussi bon système de collecte d'argent. Mais les fonds
avaient-ils circulé grâce à des virements bancaires ? D'après les
premiers indices, ils transitaient par des organismes financiers basés
en des lieux aussi divers que : Le Caire, Damas, la City londonienne,
Paris, Francfort, l'Afrique du Sud, Hong Kong, Taïwan, Rangoon,
Tokyo, Minsk, Leningrad et Bucarest. Mais comment cela se passait-
il ?
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pour porter des ogives nucléaires mais que l'on pouvait également les
équiper d'ogives chimiques ou biologiques.
Personnellement, son travail consistait, entre autres, à acheter des
pièces pour les systèmes de guidage. Pour la plupart, elles venaient
du Japon. Des représentants venaient régulièrement à l'usine faire
des démonstrations de leur nouveau matériel. Ku sortit des
documents de sa mallette et les tendit au traducteur. On pouvait y
lire les noms des représentants et ceux des sociétés pour lesquelles ils
travaillaient. Le calme et la façon posée dont Ku donnait des
informations aussi importantes impressionnaient Tim. En effet, cette
attitude semblait confirmer qu'il était un oiseau rare : un informateur
qu'on n'avait pas besoin d'amadouer, faire chanter, corrompre ou
forcer à parler.
Les renseignements sur les représentants furent transmis à la
station de la CIA à Tokyo ; on allait, peut-être, enfin pouvoir recruter
un informateur ayant accès à l'usine 395.
Ku développa la description, malheureusement trop connue, de
l'oppression du régime qu'il avait commencée lors du premier
entretien : les rafles à l'aube, les familles à qui l'on demandait de
s'espionner mutuellement, la famine et les abus de pouvoir de ceux
qui avaient la faveur du gouvernement. Le cas de sa femme illustrait
bien la sévérité avec laquelle on punissait la moindre indiscrétion.
Des hommes étaient envoyés au goulag pour avoir souri devant l'un
des portraits du dirigeant du pays qui ornaient tous les lieux publics.
Des femmes étaient victimes de viols collectifs dans des casernes de
la police. Après cela, certaines d'entre elles se suicidaient.
Ku avait soigneusement noté les noms de certaines victimes de
brutalités, ceux de leurs tortionnaires et les lieux où les actes avaient
été commis. À l'usine, il avait vu une femme être rôtie dans un four
électrique et un autre battu à mort avec des barres d'acier. Ils avaient
tous deux, été pris à voler de la nourriture dans les cuisines de
l'usine.
Un jour, Ku avait été convoqué à une réunion au quartier général
de l'état-major, à Pyongyang, pour y faire un rapport sur le dernier
système de guidage développé à l'usine. Il supposait qu'une grande
partie des informations techniques échapperait à son auditoire mais il
n'avait pris aucun risque. Quand son prédécesseur n'avait pas réussi à
donner suffisamment de détails lors d'une conférence militaire et
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claire : Khan pouvait faire en sorte que des nations plus faibles
disposent des armes nécessaires pour attaquer les États-Unis et leurs
alliés. « Il a bien fait comprendre qu'il avait tout ce qu'il fallait pour
cela », avait noté l'agent.
Tenet prit alors immédiatement rendez-vous avec Richard
Dearlove et Efraïm Halevy. Ils étaient d'accord sur le fait que même
si Khan représentait un grave danger, il ne servirait à rien de
l'éliminer car il laisserait derrière lui une organisation disposant déjà
de ses scientifiques nucléaires, probablement recrutés en ex-Union
soviétique, et d'un nombre considérable d'employés pour faire
tourner ses laboratoires. Tant que son réseau ne serait pas détruit, le
mieux serait encore de surveiller Khan de près pour voir si sa piste
menait plus loin que la Corée du Nord.
Il fut convenu qu'il faudrait former une équipe mixte, composée
de membres de la CIA, du MI-6 et du Mossad, pour espionner
l'organisation. Les trois directeurs sélectionneraient dans leurs
propres services les agents qui devraient s'infiltrer dans le monde où
Khan et ses cohortes tenteraient de faire passer des États voyous à
l'ère atomique. À son retour, George Tenet était conscient qu'il
s'engageait dans un projet qui allait occuper la CIA, le MI-6 et le
Mossad pour quelque temps. À l'heure actuelle, les résultats de
l'équipe comptent toujours parmi les secrets les mieux gardés des
trois agences.
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Le docteur Kelly savait que l'on pouvait créer de telles armes dans
des laboratoires aussi peu sophistiqués que ceux dont sont équipés
les lycées. Mais cela avait-il réellement été fait ? Si oui, comment
avait-on obtenu les germes ? Où avaient-ils été transformés ? Par
qui ? Nul ne savait. Pourtant la CIA n'arrêtait pas d'avertir qu'il ne
fallait pas seulement craindre une bombe atomique mais également
des pathogènes. Les cibles présumées étaient une demi-douzaine des
plus grandes villes du monde, dont New York, Londres et Paris.
L'une d'entre elles allait être victime de ce que l'on surnommait « la
bombe à hydrogène du pauvre ».
À Londres, un agent du MI-6 montra au docteur Kelly un e-mail
de Richard Clarke à Condoleezza Rice, daté du 29 mai : « Quand ces
attentats auront lieu, ce qui est très probable, nous nous
demanderons ce que nous aurions pu faire avant. »
Le docteur Kelly savait que Clarke avait la réputation de savoir
évaluer une menace : s'il lui semblait qu'un attentat était probable, il
fallait le prendre au sérieux. Cependant, si Kelly n'ignorait pas qu'il
existait plus de trente moisissures, bactéries et virus dont on pouvait
faire des armes, leur propagation nécessitait des systèmes
compliqués, prenant en compte les caprices du climat — la force du
vent, la pluie et la neige étaient des facteurs cruciaux. Mais si on
utilisait des puces ou des rats, plusieurs millions de personnes mour-
raient : un quart de la population européenne avait succombé à la
« mort noire » au quatorzième siècle. Une seule piqûre de puce
pouvait envoyer jusqu'à vingt-quatre mille cellules de la peste dans le
système sanguin d'un individu. En une journée, une puce pouvait
infecter des milliers de gens qui, à leur tour, en contamineraient des
milliers d'autres. En une semaine, un million de personnes pouvaient
être touchées.
Selon les réponses apportées aux scrupuleuses questions du
docteur Kelly, aucun insecte ou rongeur infecté n'avait été trouvé
hors des laboratoires de haut confinement de niveau 3 du centre. Il
n'existait aucun cas avéré de victime d'arme biologique aux États-
Unis, ni même ailleurs. Mais on continuait à entendre qu'une attaque
était imminente : si ce n'était pas la peste, la yersinia pestis, alors
c'étaient des germes d'anthrax ou de variole qui, d'une façon ou
d'une autre, était tombés entre les mains des terroristes, prêts à les
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répandre. Dans les deux cas, les taux de mortalité étaient très élevés.
Mais, encore une fois, on n'avait pas la moindre preuve.
Avant de s'envoler pour Washington, le docteur Kelly en parla
avec Vladimir Pasechnik, le scientifique russe qu'il avait interrogé
après sa défection. Les deux hommes étaient devenus amis et Kelly
avait aidé Pasechnik à monter sa propre société de recherche,
Regma, près de Porton Down. Il avait également fait en sorte que le
Russe ait un petit laboratoire au centre de recherche. Pasechnik avait
alors tenu à annoncer que Regma était un nouvel acteur du monde
scientifique et avait émis un communiqué de presse. Le docteur s'en
était légèrement irrité : « Le communiqué fleurait un peu le charlatan
et j'ai bien rappelé à Vladimir qu'il ne devait pas impliquer Porton
Down. »
Le docteur Kelly savait que certains des diplomates de
l'ambassade russe étaient chargés de lire les publications scientifiques
britanniques. Il était donc probable que l'un d'entre eux ait fait passer
les informations sur les projets de Pasechnik, et sur l'endroit où il se
trouvait, à ses collègues du renseignement. Cependant, le MI-6 avait
expliqué à Kelly que le transfuge n'était plus sous protection car les
Russes ne représentaient plus un danger pour lui.
À la cafétéria de Porton Down, au cours d'un déjeuner où il était
question de la probabilité d'un attentat biologique commis par des
terroristes, Pasechnik affirma qu'à moins que ces derniers ne
parviennent à recruter des experts capables de créer un système de
diffusion pour leurs microbes, ils n'avaient pratiquement aucune
chance de réussir. Plus tard, Kelly se souvint de l'avoir entendu dire :
« Un tel système nécessiterait, au minimum, une petite roquette
équipée d'une ogive remplie de germes ». Sur l'instant, il avait trouvé
rassurant qu'il partage son point de vue. Quoi qu'il en soit, il lui avait
demandé si, tant qu'il serait à Washington,'il pourrait voir le docteur
Ken Alibek. Celui-ci avait été le patron de Pasechnik à Biopreparat.
« À ma grande surprise, Vladimir avait répondu : "Ça vous regarde
mais quand je travaillais avec lui, il était du genre à affirmer trop de
choses." »
Avant de passer aux États-Unis, à l'automne 1992, Kanatjan
Alibekov avait dirigé Biopreparat. Peu après son arrivée en
Amérique, il avait changé son nom en Ken Alibek. « C'était ma façon
d'intégrer ma nouvelle vie », avait-il confié à des journalistes. Sous la
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Une minute plus tard, sur la côte est des États-Unis, à 8h46
(heure d'hiver de New York), le mardi 11 septembre 2001, débuta
une succession d'événements qui allaient changer pour toujours la
vie de George Tenet, de Richard Clarke, de Stephen Lander, d'Eliza
Manningham-Buller, de John Scarlett et de millions de personnes
anonymes. Le premier de deux avions s'encastra dans l'une des tours
jumelles du World Trade Center, à Manhattan, et quelques minutes
plus tard, un autre avion de passagers détourné plongea sur le
Pentagone, tandis qu'un quatrième appareil, qui visait la Maison-
Blanche ou le Capitole, s'écrasait dans un champ en Pennsylvanie.
Telles d'inexorables ondes de choc, les images de l'effondrement
des tours jumelles et du Pentagone en flammes firent le tour du
monde. On n'avait jamais rien connu de tel : le nombre de morts
civils, trois mille, dépassait celui de tout autre massacre moderne ; le
coup catastrophique porté à la suprématie de l'Amérique en tant que
plus grande puissance commerciale et financière du monde ; tout
ceci, et bien plus, allait s'ancrer profondément dans la mémoire
collective de l'humanité pour des générations. Mais, pour le moment,
en ce jour de septembre, au-delà des conséquences de l'événement,
une question se posait : comment ce qu'on appelle aujourd'hui « le 11
septembre » avait-il pu se produire ?
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Sans attendre de réponse, Bush était sorti à vive allure et, pour
Clarke, ce fut la confirmation du début de la guerre d'Irak.
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approché par d'autres pays depuis. Alibek avait laissé entendre que
ses refus mettaient sa vie en danger.
Plus le docteur Kelly réfléchissait à la question, plus il se
demandait si la mort de ses confrères microbiologistes pouvait être
liée à leur refus de travailler ailleurs. Chacun de ces hommes avait
des connaissances susceptibles de faire gagner des mois, voire des
années, de coûteuses recherches, à une nation cherchant à
développer ou améliorer son programme d'armement biologique.
Kelly dressa alors une liste des pays qui, selon lui, seraient capables
de tuer des scientifiques repoussant leurs offres d'emploi. Le premier
de la liste était la Corée du Nord et l’Iran venait en deuxième
position.
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XIX
Par une chaude soirée de juin 2003, Sir Richard Billing Dearlove
traversa la plus vieille loge d'entrée de toutes les universités de
Cambridge, celle du Pembroke College. Depuis l'intérieur, il jouissait
d'une splendide vue sur la magnificence architecturale du lieu.
L'ancien tribunal dans lequel l'établissement avait été fondé presque
huit siècles plus tôt ; la chapelle adjacente, conçue par Christopher
Wren ; les jardins, réputés pour disposer de plus d'espèces végétales,
soigneusement sélectionnées, que ceux de n'importe quelle autre uni-
versité de Cambridge ; la zone protégée de végétation semi-sauvage
qui datait de la veille de Noël de l'an 1347, quand Édouard III avait
autorisé Marie de Saint-Pol, la veuve du comte de Pembroke, à
fonder l'établissement ; les rangées de platanes, tous là depuis des
siècles, aussi impressionnants que ceux de Vauxhall Cross.
En dirigeant le Pembroke College, Dearlove allait régner sur un
fief très différent du MI-6. Il ne serait plus responsable d'espions
mais de plus de six cents étudiants. Il n'aurait plus à signer de notes
de services rédigées à l'encre verte ; ni à se faire porter des dossiers Y
ultrasecrets ; ni à répondre à des appels téléphoniques au milieu de la
nuit ; ni à assister aux réunions du JIC ; ni à prendre des avions pour
Washington afin d'y rencontrer Tenet.
Des liens s'étaient noués entre les deux chefs espions au
lendemain du 11 septembre : Dearlove s'était alors rendu à
Washington en jet privé, en compagnie d'Eliza Manningham-Buller,
alors directrice adjointe du MI-5, et David Manning, le conseiller en
politique étrangère de Tony Blair. Tenet avait été très étonné de les
voir : pratiquement aucun avion n'était admis dans l'espace aérien
américain. Dearlove avait souri et murmuré qu'ils étaient venus pour
manifester leur soutien. Tenet en avait été visiblement touché et,
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l'écran, il avait l'air aussi triste que seul ; représentant malgré lui de
deux factions diamétralement opposées : l'une pour et l'autre contre
la guerre.
Le docteur Kelly se trouvait dans la même situation que
Rubashov, le héros impuissant du roman d'Arthur Koestler Le Zéro et
l'Infini, qui traite des procès spectacles du stalinisme. Exactement
comme dans le livre, il était devenu le personnage central d'un
monde où l'hésitation signifiait la culpabilité, où le silence avait
valeur d'aveu et où la réprobation et la stigmatisation étaient les deux
faces d'une même pièce. Il se demandait probablement comment
tout cela avait pu arriver. Il avait parlé au journaliste de la BBC en se
croyant protégé par la règle de la confidentialité des sources. Il
appelait ce genre de rencontres des « entretiens de vision globale »
car il n'y livrait que des informations contextuelles qui, bien souvent,
étaient déjà accessibles au public. Il l'avait fait plusieurs fois et avait
toujours clairement précisé aux reporters que, s'il traitait
effectivement avec les services de renseignement, il n'en était pas un
employé. Il se considérait comme « un consultant, une sorte de
témoin expert ».
Les conseillers combinards et les « docteurs Folimage » à la solde
de Whitehall se l'étaient renvoyé comme une balle jusqu'à le laisser
au bord des larmes face au comité parlementaire. Ses amis avaient
été sidérés de le voir autant mettre ses émotions à nu. Pour eux, il
était resté l'homme à la voix douce qui avait toujours des tas de
choses à raconter sur ses trente-sept voyages en Irak ; celui qui leur
avait relaté comment il avait tenu la route, toast après toast, en levant
son verre avec des biologistes russes lors d'un banquet organisé juste
après le démantèlement de leurs sites d'armement biologique qu'il
avait supervisé à la fin de la guerre froide. Et là, ses proches le
voyaient victime de cruelles humiliations et calomnies publiques.
Ce jeudi-là, en déjeunant avec Janice, dans la cuisine de leur
maison de Southmoor, le docteur Kelly ne montrait aucun signe de
la colère qui s'était emparée de lui suite au comportement de ses
supérieurs du ministère de la Défense et de ceux auprès de qui il
avait travaillé dans le monde obscur du renseignement. Quoi qu'il en
soit, il en résultait que le gouvernement de Blair allait être ébranlé par
une crise telle qu'il n'en avait jamais connue ; que la façon dont le
public percevait la BBC ne serait plus jamais comme avant ; et que
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À table, dans la cuisine, Janice trouva que son mari avait l'air
« fatigué et triste mais pas déprimé ». Elle l'avait déjà vu dans cet
état : au retour d'un voyage à l'étranger, par exemple, ou encore
d'une longue journée à Londres ou à Porton Down. Mais, pendant le
repas, ce fut Janice qui montra les premiers signes d'épuisement par
rapport à la tempête politique de plus en plus forte qui ne cessait de
les engloutir. Elle quitta la table en s'excusant pour aller s'étendre à
cause des douleurs que lui causaient son arthrite et de violents maux
de tête. Pendant qu'elle montait les escaliers, le téléphone sonna, une
fois de plus, dans le bureau du docteur. Après avoir répondu, il
monta à l'étage pour voir si Janice se sentait mieux. Elle le rassura et,
satisfait, il dit qu'il allait faire une courte promenade pour soulager le
mal de dos dont il souffrait depuis quelques années.
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Chez elle, Janice était étendue sur son lit, paralysée par une crise
d'arthrite et espérait que son mari ne tarderait pas à rentrer.
Normalement, il ne marchait pas plus d'une demi-heure. Au bout
d'une heure, elle commença à se demander où il était passé. Au
crépuscule, elle appela la police et des recherches furent lancées.
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regarder avec lui des rediffusions de la série Lone Ranger. En bien des
points, son travail correspondait à sa personnalité ; il était autoritaire
et aimait lire les derniers rapports de la Law Society — le barreau
britannique.
Downing Street avait fait savoir que la nomination de Lord
Hutton à la place du coroner de l'Oxfordshire Nicholas Gardiner
avait pour objectif de rendre l'enquête plus formelle. Au lieu de cela,
cette décision avait déclenché une controverse. Des experts en
médecine légale firent remarquer que Hutton avait beau être un haut
magistrat siégeant à la Chambre des Lords, il n'avait jamais conduit
d'enquête auparavant. Plusieurs grands juristes rappelèrent qu'il avait
acquis sa réputation en agissant pour la Couronne à l'époque où il
avait représenté l'armée dans l'affaire du Bloody Sunday avant de
devenir président de la Haute Cour d'Irlande du Nord. L'avait-on
sorti de sa retraite pour s'assurer, selon les termes d'un avocat, que
« l'enquête se limite strictement à la façon dont David Kelly était
mort » ? Roy Hattersley, ancien leader adjoint du parti travailliste, fit
publiquement la spéculation suivante : « Ce choix est tactique. Tony
Blair a nommé Hutton pour être sûr qu'on ne poserait pas de
questions sur le fait que Kelly n'ait pas réussi à trouver d'armes de
destruction massive en Irak. » Mais en ce vendredi matin, on n'en
était pas encore là.
Quelques minutes après la découverte du corps, l'inspecteur chef
Young reçut un coup de téléphone. Il ajouta sa dernière note au
dossier de l'opération Mason : 09.00 18.07.03. Corps retrouvé.
Plus tard dans la matinée, le rapport fut transmis au Home Office,
l'autorité suprême des forces de police britannique, et Young ne
travailla plus sur l'affaire par la suite. Le Home Office envoya ensuite
des copies du document au MI-5 et à Downing Street. Après sa
nomination, Hutton en reçut également une. Il l'avait lue lorsqu'il se
rendit chez Janice Kelly, une semaine après la mort de son époux. Il
resta moins d'une heure avec elle, sur la chaise où David Kelly avait
l'habitude de s'asseoir. À la demande du magistrat, le contenu de leur
conversation est resté secret. L'existence du dossier sur l'opération
Mason n'a été révélée que durant l'audience, quand Hutton a autorisé
que sa première page soit rendue publique. Le reste du texte est
toujours enfermé au registre du MI-5.
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apparaître sur les visages, à mesure qu'il devenait clair que Lord
Hutton était en train de lancer une offensive froide et calculée contre
la BBC, à propos de sa désormais tristement célèbre diffusion de
l'émission Today consacrée au « dossier rendu sexy ».
L'expression était déjà considérée comme crue ; là, elle fut
littéralement expédiée aux oubliettes. « La formule sexed up (rendu
plus sexy), dit-il en faisant bien sonner la dernière consonne, est une
expression argotique dont la signification manque de clarté dans le
contexte de la discussion de ce dossier. » À partir de là, il continua en
décortiquant la hiérarchie de la BBC, exposant ce qu'il considérait
comme une veine de défaillance collective partant du plus haut de la
corporation — où ses dirigeants étaient assis dans une position aussi
élevée que celle de Lord Hutton sur son estrade — jusqu'à Gilligan.
À chaque fois qu'il mentionnait « monsieur Gilligan » la répugnance
transparaissait dans sa voix. Lord Hutton conclut que le
gouvernement — Tony Blair, les hauts fonctionnaires du numéro 10,
ceux du ministère de la Défense et John Scarlett, du JIC — avait
« agi raisonnablement » en prenant les décisions qui avaient permis
de découvrir que « la source de monsieur Gilligan » était le docteur
Kelly. Il regarda longuement et fixement les avocats de la BBC avant
de reprendre :
« Après avoir étudié une grande quantité d'éléments, je considère
que. le Premier ministre et ses collaborateurs n'ont jamais élaboré de
stratégie indigne, frauduleuse ou marquée par la duplicité. »
Dans les regards, l'incrédulité augmentait chaque fois qu'on
l'entendait renforcer ses accusations accablantes avec des termes
meurtriers comme « infondé », « en faute » ou « critiquable ». Quand
il eut terminé, après quatre-vingt-cinq minutes, les journalistes
avaient déjà noté quelques commentaires : « C'est un affront aux
indices que nous avons entendus » ; « Des têtes vont tomber ».
Gavin Davis, le président de la BBC, et Greg Dyke, son directeur
général, démissionnèrent pratiquement aussitôt.
Lord Hutton n'avait pas catégoriquement expliqué ce qui avait
poussé le docteur Kelly au suicide ; ni pourquoi le microbiologiste
n'avait pas laissé de mot ; ni pourquoi — dans l'hypothèse où il se
serait vraiment donné la mort — il avait choisi une méthode
tellement rare qu'elle était pratiquement inconnue. Pourquoi le
rapport complet de l'opération Mason n'avait-il pas été présenté aux
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Histoire des services secrets britanniques
audiences, afin que Lord Hut-ton puisse porter son propre jugement
sur un document que l'on avait commencé à rédiger une bonne
heure avant la mort du docteur Kelly ? Lord Hutton n'avait pas non
plus ne serait-ce qu'effleuré les allégations selon lesquelles le docteur
Kelly aurait pu être assassiné.
Ces absences ne pouvaient qu'aboutir à ce que l'enquête Hutton
soit qualifiée de parodie de justice — et pas uniquement sur les sites
Web conspirationnistes dédiés à ce sujet ; les théories des internautes
ne seraient considérées que comme les délires d'une bande de
marginaux. Cependant, un investigateur beaucoup plus difficile à
dédaigner n'allait pas tarder à faire surface : Norman Baker, un
député qui démissionna de ses responsabilités de porte-parole du
parti libéral démocrate au Parlement pour mener sa propre enquête.
Déjà connu pour avoir l'habitude de s'en prendre à l'establishment, il
avait révélé les dépenses extravagantes des députés ; il avait forcé un
ministre du gouvernement travailliste, Peter Mandelson, à
démissionner ; il avait mené des campagnes contre la vivisection et
les persécutions chinoises au Tibet. Au sujet du rapport Hutton, il
m'a un jour confié : « Dès le début, il m'est apparu comme un abus
de pouvoir. »
En novembre 2007, Baker a publié ses découvertes dans un
ouvrage très documenté, The Strange Death of David Kelly (La Mort
étrange de David Kelly). Comme tant d'autres personnes ayant
publié leurs hypothèses sur les circonstances du décès du
scientifique, on l'a catalogué comme théoricien de la conspiration. Il
s'était, en effet, « écarté du droit chemin » en affirmant que le
docteur Kelly avait été tué par un « escadron de la mort » irakien :
soit des loyalistes voulant venger Saddam soit, plus probablement,
des dissidents soutenus par la CIA et le MI-6, Ahmed Chalabi et
Iyad Allaoui, qui avaient tous deux espéré se voir confier le pouvoir
après l'invasion anglo-américaine. Le fait que le docteur Kelly ait
affirmé qu'il n'y avait pas d'armes de destruction massive alors que
Chalabi et Allaoui maintenaient qu'elles existaient, ainsi qu'ils me
l'ont dit personnellement — avait mis fin à tous leurs espoirs de
devenir les pantins de Washington en Irak. Ses découvertes publiées,
Baker fut invité par la BBC à un célèbre talk-show télévisé du
dimanche matin. Le journaliste vétéran de la corporation, Tom
Mangold — qui se présentait comme un ami de la famille Kelly —
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Retour vers le futur
trouvait sur son bureau. Il avait été élaboré par son ancien adjoint,
Richard Kerr, le seul homme qu'il avait estimé capable de rédiger un
rapport détaillé et impartial sur la façon dont on en était arrivé à
affirmer que l'Irak possédait ces fameuses armes. Tenet avait été
dévasté en y lisant qu'après avoir cherché pendant dix ans la vérité
sur l'arsenal de Saddam, les espions de la CIA avaient puisé leurs
informations auprès de sources aussi trompeuses que douteuses. En
étudiant le rapport de Kerr, Tenet avait compris qu'on le jugerait
incompétent et que l'on se souviendrait de lui comme du directeur
qui se trouvait à la tête de l'Agence au moment de sa plus grande
défaillance. Rien, de ce qui s'était passé au cours des sept ans
précédents ne pouvait effacer cela : l'Amérique et ses alliés étaient
partis en guerre sur une énorme contrevérité. L'Irak ne possédait pas
d'armes de destruction massive.
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Un bilan provisoire
estiment que, même sur des questions de sécurité, le mystère n'a plus
forcément lieu d'être une fin en soi.
C'est, d'ailleurs, dans cet état d'esprit que cet ouvrage a été rédigé.
S'il a été perçu ainsi, il a atteint son objectif.
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Une note personnelle
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Une note personnelle
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Gordon Thomas,
février 2008.
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Directeurs de services
de renseignement
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Acronymes
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Acronymes
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Sources principales.
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Sources principales
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