Figures de La Révolution Africaine-Said Bouamama
Figures de La Révolution Africaine-Said Bouamama
Figures de La Révolution Africaine-Said Bouamama
2017
Présentation
Jomo Kenyatta, Aimé Césaire, Ruben Um Nyobè, Frantz Fanon, Patrice Lumumba,
Kwame Nkrumah, Malcolm X, Mehdi Ben Barka, Amílcar Cabral, Thomas Sankara…
Longtemps regardés avec dédain par ceux qui, depuis les années 1980, décrétèrent la
mort du tiers-mondisme et le triomphe du néolibéralisme, ces noms reviennent à l’ordre
du jour. Avec l’atmosphère de révolte que l’on sent monter aux quatre coins du monde,
ces figures majeures de la libération africaine suscitent un intérêt croissant auprès des
nouvelles générations.
Refusant d'en faire de simples icônes, Saïd Bouamama redonne corps et chair à ces
penseurs de premier plan qui furent aussi des hommes d’action. Leurs vies rappellent
en effet que la bataille pour la libération, la justice et l’égalité n’est pas qu’une affaire de
concepts et de théories : c’est aussi une guerre, où l’on se fourvoie parfois et dans
laquelle certains se sacrifient. S’il ne cache pas son admiration pour ces figures
rebelles, dont la plupart moururent effectivement au combat, Saïd Bouamama n’en fait
pas des martyrs absolus : la pensée en action est toujours située, incertaine,
inachevée.
C’est pourquoi ce livre s’attache, avec beaucoup de pédagogie, à inscrire ces
parcours dans leurs contextes sociaux, géographiques et historiques. On comprend
mieux dès lors comment ces hommes, qui ne vécurent pas tous sur le continent
africain, mais furent tous confrontés à l’acharnement des puissances impériales,
cherchèrent les armes pour sortir l’Afrique de la nuit coloniale et faire émerger une
nouvelle universalité.
À l’heure où l’on se demande comment avoir prise sur le monde, ce portrait politique
collectif rappelle qu’il a toujours été possible, hier comme aujourd’hui, de changer le
cours des choses.
« À l’heure où la France joue les gendarmes en Afrique, une piqûre de rappel sur les
grandes figures de la décolonisation ne peut pas faire de mal. [...] En réexaminant les
parcours politiques d'une dizaine de révolutionnaires africains, dont Ruben Um Nyobè
et Patrice Lumumba, Saïd Bouamama médite le legs spirituel laissé par les grands
acteurs de la décolonisation, à la recherche de pistes pour imaginer l’avenir. »
LIBÉRATION
L’auteur
Saïd Bouamama est sociologue et militant associatif. Engagé professionnellement et
personnellement dans les luttes d’émancipation dans toutes leurs dimensions, il est
notamment l’auteur de Les Discriminations racistes : une arme de division massive
(L’Harmattan, 2010) et La France. Autopsie d’un mythe national (Larousse, 2008). Avec
le Collectif Manouchian dont il est un des animateurs, il a établi un Dictionnaire des
dominations de sexe, de race, de classe (Syllepse, 2012).
Collection
Poches / Essais n 461
Copyright
Cet ouvrage a été précédemment publié en 2014 aux Éditions Zones.
Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé
du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de
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La négritude
Le premier apport de Césaire au processus qui conduira aux
indépendances africaines est son appel à rompre avec l’assimilation
culturelle. La négritude césairienne est à la fois une rupture avec le
complexe d’infériorité que produit la violence coloniale et un appel à
construire un universalisme authentique.
Né en 1913 à Basse-Pointe en Martinique d’un père fonctionnaire et
d’une mère couturière, Aimé Césaire arrive à Paris en 1931, à dix-huit ans,
pour poursuivre ses études. Boursier, il fait partie, comme beaucoup de
grandes figures de l’émancipation des colonisés, de cette élite indigène que
le système colonial met en avant comme symbole de sa « mission
civilisatrice ». La Martinique que quitte Césaire est minée par les inégalités
sociales et raciales. Ce que dénonce en 1932 Jules Monnerot, lui aussi
étudiant boursier venu poursuivre ses études en Métropole, dans la revue
Légitime défense :
Une ploutocratie blanche héréditaire, qu’aucune révolution n’a jamais
réussi à déposséder, détient les quatre cinquièmes du sol et se sert du
matériel humain du prolétariat noir qui de la canne à sucre fait le sucre et
le rhum. Tous les postes importants des usines ainsi que la direction de
beaucoup de maisons de commerce sont occupés par des membres de
cette ploutocratie1.
La minorité de colonisés accédant à la scolarisation se trouve dans une
situation singulière. Présentée comme la preuve d’une mission civilisatrice
réussie, elle n’en est pas moins consciente du maintien de l’inégalité
coloniale et du racisme consubstantiel au colonialisme. La France dans
laquelle s’installe Césaire est encore celle des zoos humains, pudiquement
baptisés « expositions ethnographiques », où – comme le rappelle
l’historien Nicolas Bancel – se bousculent des foules gonflées par l’orgueil
colonial :
Ainsi pendant l’été 1929, le nombreux public avait pu admirer, dans
l’enceinte du Jardin, des chimpanzés dressés, un village de Lilliputiens et
un groupe de négresses, qui ôtaient et remettaient leurs plateaux de 22
centimètres de diamètre devant des spectateurs toujours aussi friands de
« monstruosités ». Apparemment, entre le spectacle presque humain de
certains animaux et la vision de « monstres » humains qui paraissaient
bien proches de l’animalité, la distinction n’était pas toujours facile à
faire chez certains2.
Qu’ils soient originaires des Antilles, d’Afrique ou d’Amérique, les
étudiants noirs sont confrontés aux préjugés racistes qui imbibent toute la
société, ses universités comprises. Aux contradictions entre le mythe de la
« mission civilisatrice » et la réalité coloniale déjà perçue au pays s’ajoutait
pour les étudiants en Métropole « la brûlure des confrontations quotidiennes
avec le racisme. Ceux-là ne pouvaient guère éviter de se trouver en
première ligne de la lutte contre le colonialisme3 ».
Désillusion et désenchantement brisent dans les consciences une des
fondations idéologiques centrales du système colonial, le mythe d’une
supériorité de l’homme blanc. C’est dans ce contexte qu’un certain nombre
de jeunes intellectuels noirs, installés en Métropole dans les années 1930,
développent le concept de « négritude ».
La réaffirmation culturelle et identitaire comme forme de résistance à la
domination a une histoire avant la négritude. Elle est aussi vieille que
l’esclavage lui-même. Transplantée violemment hors de leur univers
culturel, cette première diaspora africaine ressent le besoin d’une identité
commune qu’elle trouve dans l’idée d’une appartenance à une même
spécificité. Les premières théorisations datent, elles, de 1893 avec
l’universitaire noir états-unien et futur diplomate du Liberia, Edward
Wilmot Blyden avant d’être étoffées par de nombreux autres penseurs. Du
Bois, qui intitule un de ses livres Les Âmes du peuple noir4 en 1903, est
considéré par la spécialiste de la littérature négro-africaine Lilyan Kesteloot
comme le « véritable père de la négritude5 ». Garvey est pour sa part
l’auteur de la formule célèbre : « La peau noire n’est pas un insigne de la
honte, mais plutôt un symbole de grandeur nationale6. » Bien qu’opposés
politiquement, Garvey et Du Bois sont ensemble à l’origine, dans l’entre-
deux-guerres, d’un vaste mouvement culturel dit de Negro Renaissance ou
Harlem Renaissance. « Nous, créateurs de la nouvelle génération nègre,
nous voulons exprimer notre personnalité noire sans honte ni crainte »,
énoncé en 1926 le manifeste de ce mouvement qui réunit des écrivains, des
peintres, des photographes, des musiciens et des danseurs7. Plusieurs
écrivains du mouvement séjournent à Paris dans l’entre-deux-guerres, où
des étudiants africains et antillais dévorent leurs œuvres. La publication à
Paris en 1931 d’une revue bilingue (anglais-français) La Revue du monde
noir contribue à diffuser en France ce mouvement d’idées. « Ce n’est pas
nous, précisera plus tard Aimé Césaire, qui avons inventé la négritude, elle
a été inventée par tous ces écrivains de la Negro Renaissance que nous
lisions en France dans les années 19308. »
La greffe prend rapidement en France. En juin 1932, un petit groupe
d’étudiants antillais est à l’origine de la publication du numéro unique de
Légitime défense qui se revendique du marxisme et du surréalisme. Étienne
Léro, René Ménil et Jules Monnerot y dénoncent avec virulence la honte de
soi, le mimétisme et la dépersonnalisation. Les thèmes abordés par ce
numéro unique sont considérés par Lilyan Kesteloot comme fondateurs de
la pensée de la négritude : « Critique du rationalisme, souci de reconquérir
une personnalité originale, refus d’un art asservi aux modèles européens,
révolte contre le capitalisme colonial9. » En 1934, la revue L’Étudiant noir,
portée entre autres par Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon-
Gontran Damas, prend le relais. Elle a pour objectif de « rattacher les Noirs
de nationalité et de statut français à leur histoire, leurs traditions et leurs
langues10 ». En 1937, Léon-Gontran Damas publie le recueil Pigments dans
lequel il s’insurge contre toutes les aliénations portées par l’assimilation
culturelle : aliénation alimentaire, vestimentaire, religieuse11.
Publié en 1939, le Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire a un
effet immédiat sur les étudiants africains en France. « Le Cahier d’un retour
au pays natal était très connu des étudiants africains, constate Amady Ali
Dieng dans son Histoire des organisations d’étudiants africains en France.
Certains d’entre eux en connaissaient des passages par cœur12. » Césaire s’y
inscrit pleinement dans la rupture initiée par les intellectuels noirs états-
uniens. En opposition avec la négation de soi, l’assimilation culturelle et le
complexe d’infériorité qui l’accompagne, il brandit le terme de négritude.
Le mot « nègre », symbole d’infériorisation, est revendiqué et brandi
comme emblème d’appartenance. Le stigmate infamant est retourné :
« J’accepte… J’accepte… Entièrement sans réserve… ma race qu’aucune
ablution d’hysopea et de lys mêlés ne pourrait purifier13. » Revendiquer sa
négritude c’est s’accepter comme Noir. Le nègre, jadis honteux de lui-
même, peut s’exprimer : « Il est beau et bon et légitime d’être nègre14. »
Léopold Sédar Senghor participe également au mouvement de la
négritude. Si le courant intellectuel a pour axe central la réaffirmation de soi
face à la négation coloniale, ce mouvement n’est pas homogène.
Rapidement, en effet, la conception que Césaire se fait de la négritude
diverge de la signification qu’en donne Senghor. Pour ce dernier, la
négritude est la marque d’une identité éternelle gravée dans le marbre de
l’identité noire. Une conception que résume fort bien cette célèbre formule,
qu’il emploie en 1939 : L’émotion est nègre comme la raison est hellène15. »
L’approche de Césaire, à l’inverse, est historique – et par conséquent
politique. Elle situe les différences comme résultat de l’histoire et des
interactions inégalitaires qui se nouent dans l’esclavage et la colonisation.
La divergence entre Césaire et Senghor n’est pas sans rappeler certains
aspects de la polémique entre Du Bois et Garvey. Nulle trace
d’essentialisme, donc, chez Aimé Césaire. Comme il le soulignera avec
force en 1971 :
Ma conception de la négritude n’est pas biologique, elle est culturelle et
historique. Je crois qu’il y a toujours un certain danger à fonder quelque
chose sur le sang que l’on porte, les trois gouttes de sang noir… Je crois
que c’est mauvais de considérer le sang noir comme un absolu et de
considérer toute l’histoire comme le développement à travers le temps
d’une substance noire qui existerait préalablement à l’histoire16.
Malgré cette divergence essentielle, Césaire refuse toute sa vie la
confrontation théorique entre les deux approches de la négritude en général
et avec Senghor en particulierb. Il faut, selon nous, comprendre cette
ambiguïté comme le signe du bouleversement que constitue la rencontre
avec Senghor dans la vie du poète martiniquais. La rencontre qui se réalise
dans les métropoles coloniales entre Antillais et Africains est aussi, pour les
premiers, une rencontre avec l’Afrique. Cela n’est pas rien quand il s’agit
de sortir d’une négation aussi totale que celle de l’esclavage et de renouer
avec ses racines. Césaire en témoignera lui-même bien des années plus
tard :
Bien entendu, le contact avec l’Europe a été pour moi essentiel. Ce n’est
pas tellement la révélation du fait que je suis noir, que je suis nègre que
l’Europe m’a apportée. L’Europe m’a apporté bien d’autres choses, et dès
le premier jour, deux jours après mon arrivée à Paris, j’étais au Lycée
Louis le Grand. Et qui est devenu mon ami ? Léopold Sédar Senghor.
Autrement dit, l’Europe m’a apporté l’Afrique. Voilà ! En raccourci, le
grand don qui m’a été fait est ce compagnonnage avec Senghor, cette
révélation qu’il m’a faite de la terre première17.
La fierté noire que promeut Aimé Césaire, en réaction à cette forme
d’« universalisme » strictement occidental qui se conçoit comme ayant
vocation à s’imposer aux autres cultures, ouvre cependant la voie à d’autres
lignes de fracture qui se cristalliseront peu à peu autour de l’« Antillanité18 »
ou de la « Créolité19 » dont parle l’écrivain martiniquais Jean Bernabé :
Le mouvement de la créolité […] se veut, en effet, tout à la fois,
accomplissement (continuité) et dépassement (discontinuité) de la
négritude. Dépassement, parce que, ce faisant, il ramène la
reconnaissance des valeurs et la promotion des valeurs africaines (même
si elles furent initiatiques et emblématiques) au rang de composante
d’une démarche plus globale, au même titre que celle qui intéresse les
valeurs indiennes, amérindiennes ou autres. Autrement dit, l’imposante
densité de notre identité culturelle africaine, mais qui reste une identité
en creux, doit lui assurer une éminente considération dans
l’ordonnancement de nos héritages, mais ne saurait suffire à lui procurer
une exclusivité20.
L’appel au dépassement de la négritude par prise en compte des autres
héritages se revendique de Césaire lui-même. « Nous sommes à jamais fils
d’Aimé Césaire », insistent Raphaël Confiant, Patrick Chamoiseau et Jean
Bernabé, auteurs du livre Éloge de la créolité21. Un tel dépassement sans
rejet de la filiation est possible du fait du caractère universaliste de la
négritude césairienne. Celle-ci marque en effet un rejet déterminé de la
« mission civilisatrice » de la colonisation en tant que négation d’un
véritable universalisme. Elle réaffirme ces civilisations niées comme
condition de l’émergence d’une véritable universalité. Dans une interview
parue dans Le Nouvel Observateur en 1994, Aimé Césaire rappellera
l’ambiance et le contexte qui l’ont mené, avec d’autres, à la négritude.
Faisant référence à une discussion avec Senghor, il raconte :
Nous étions hantés par les mêmes questions : celles de la race nègre, de
l’identité, de l’aliénation. Nous étions bons élèves, mais, au cours de nos
études, jamais nous ne perdions de vue ces questions fondamentales.
Nous cherchions éperdument dans les livres des armes pour notre
combat. Montesquieu, Rousseau, Hegel, Marx… tout nous servait. Je
découvrais par exemple cette citation de Hegel : « Il ne faut pas opposer
la singularité à l’universalité », et aussitôt je m’écriais : « Tu as compris,
Léopold, plus nous serons nègres, plus nous serons universels »22.
Césaire refusera que l’universalisme s’arrête aux frontières européennes.
Dans sa lettre adressée en 1956 à Maurice Thorez, alors secrétaire général
du PCF, il devancera les critiques :
Je ne m’enterre pas dans un particularisme étroit. Mais je ne veux pas
non plus me perdre dans un universalisme décharné. Il y a deux manières
de se perdre : par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution
dans l’« universel ». Ma conception de l’universel est celle d’un
universel riche de tout le particulier, approfondissement et coexistence de
tous les particuliers23.
L’engagement
Le Cahier d’un retour au pays natal ne se limite pas à un appel à
l’acceptation et à la fierté de soi. Il contient également un appel à la
mobilisation. Il s’agit de se mettre debout :
Et elle est debout la négraille
la négraille assise
inattendument debout
debout dans la cale
debout dans les cabines
debout sur le pont
debout dans le vent
debout sous le soleil
debout dans le sang
debout
et libre24.
Cette exhortation à l’engagement deviendra une constante des ouvrages
et textes ultérieurs d’Aimé Césaire. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il
anime la revue poétique et politique Tropiques en Martinique.
Rétrospectivement, il expliquera que cette revue se donnait pour mission
d’« apprendre aux Martiniquais à se reconquérir, à redevenir eux-
mêmes25 ». André Breton raconte comment il découvrit, en avril 1941, le
premier numéro de la revue à Fort-de-France :
En plein contraste avec ce qui, durant les mois précédents, s’était publié
en France, et qui portait la marque du masochisme quand ce n’était pas
celle de la servilité, Tropiques continuait de creuser la route royale.
« Nous sommes, proclamait Césaire, de ceux qui disent non à
l’ombre »26.
Les publications d’après guerre se caractérisent par le même souci
d’engagement. Il publie ainsi trois recueils de poésie qui élargissent encore
son audience auprès des étudiants noirs de Paris. Le premier, Les Armes
miraculeuses27, publié en 1946, comporte un long poème : « Et les chiens se
taisaient ». Il y décrit la révolte d’un esclave en dépit des efforts déployés
par sa mère et son amante pour qu’il renonce à la lutte. Il y présente sous
une forme tragique le dilemme de tout révolté : vivre en restant esclave ou
mourir en étant libre. Le rebelle choisit la mort plutôt que l’oppression.
L’offense et l’humiliation appellent la rébellion et la révolte : « Mon nom :
offense ; mon prénom : humilié ; mon état : révolté ; mon âge : l’âge de
pierre28. » Les deux autres recueils (Soleil cou coupé, publié en 1948, et
Corps perdu, en 1949) abordent les mêmes thèmes : la souffrance des
nègres, l’oppression et l’insurrection. En cohérence avec ces appels, Césaire
s’investit dans un double combat : l’engagement littéraire et la lutte
politique.
Sur le plan littéraire, Aimé Césaire participe en novembre 1947 à la
fondation de la revue Présence africaine, sous-titrée « Revue culturelle du
monde noir », qui deviendra le point de ralliement de nombreux futurs
militants des indépendances. La cheville ouvrière de la revue est le
Sénégalais Alioune Diop mais elle compte également parmi ses participants
la plupart des poètes et écrivains noirs installés à Paris : Paul Niger, Guy
Tirolien, Léopold Sédar Senghor, Léon-Gontran Damas, Birago Diop,
Jacques Rabemananjara, ou encore Mongo Beti.
À la différence de toutes les tentatives de revues de l’entre-deux-guerres
qui sont restées éphémères, Présence africaine s’inscrit dans la durée et
accompagne les prises de conscience anticolonialistes. À la revue s’ajoute,
en 1949, une maison d’édition éponyme qui publiera ce que la chercheuse
Lilyan Kesteloot appelle les « piliers de la négritude » :
[Alioune Diop] fonda les éditions de Présence africaine, dont le premier
volume, La Philosophie bantoue du R. P. Tempels, parut au cours du
premier trimestre 1949. L’ouvrage devint vite un « livre culte » que tout
étudiant noir arrivant en France se devait d’avoir lu, tout comme le
Discours sur le colonialisme (1950) d’Aimé Césaire, Peau noire,
masques blancs (1952) de Frantz Fanon et Nations nègres et Culture
(1956) de Cheikh Anta Diop. Ce furent véritablement à cette époque les
quatre piliers de la négritude29.
Dès le Cahier d’un retour au pays natal, Aimé Césaire ne cesse
d’appeler à l’engagement des intellectuels. Mais c’est dans son intervention
au premier Congrès des écrivains et artistes noirs en 1956, organisé à la
Sorbonne par Présence africaine, qu’il expose le plus nettement son analyse
du rôle des intellectuels. À cette date, le monde a considérablement changé.
La bataille de Diên Biên Phù et la conférence de Bandung (voir chapitre 6)
ont eu lieu, la guerre d’Algérie fait rage.
Titrant de manière significative son discours Culture et colonisation,
Aimé Césaire magnifie la conférence de Bandung et dénonce les illusions
d’une colonisation positive :
Partout où il y a eu colonisation des peuples entiers ont été vidés de leur
culture, vidés de toute culture […]. Il n’y a pas une mauvaise
colonisation qui détruit les civilisations et attente à la « santé morale des
colonisés », et une autre colonisation, une colonisation éclairée, une
colonisation appuyée sur l’ethnographie qui intégrerait harmonieusement,
et sans risque pour la « santé morale des colonisés » des éléments
culturels du colonisateur dans le corps des civilisations indigènes30.
Au moment où les peuples colonisés intensifient leurs luttes pour
l’émancipation nationale, le poète martiniquais appelle les artistes et
intellectuels à prendre leur place dans le combat :
Telle est la situation que nous, hommes de culture noirs, nous devons
avoir le courage de regarder bien en face. Et alors une question se pose :
devant une telle situation que devons-nous faire, que pouvons-nous
faire ? Que devons-nous faire ? Il est clair que de graves responsabilités
pèsent sur nos épaules. Que pouvons-nous faire ? […] Nous sommes là
pour dire et pour réclamer : donnez la parole aux peuples. Laissez entrer
les peuples noirs sur la grande scène de l’histoire31.
Dans un monde où les colonisés se révoltent, l’engagement littéraire
mène pour Césaire à l’engagement politique.
Contre le « fraternalisme »
La première publication du Discours sur le colonialisme en juin 1950 est
le fait d’une maison d’édition du Parti communiste français : les éditions
Réclame. Elle est préfacée par Jacques Duclos, qui deviendra dans les mois
suivants secrétaire général du PCF. Aimé Césaire choisit de mettre en
exergue du livre une citation du dirigeant communiste : « Le colonialisme,
une honte du XXe siècle. » La préface et l’exergue ne figurent plus dans la
deuxième édition, publiée en 1955 par Présence africaine, ni dans les
éditions ultérieures. En l’espace de cinq ans, Césaire prend ses distances
avec le PCF.
Le Parti communiste français est indéniablement celui qui a le plus aidé
les mouvements et leaders indépendantistes de l’Empire français. Le
soutien financier, la formation des militants, les actions de solidarité
distinguent ce parti de tous les autres.
Cependant, la ligne politique du PCF sur la question coloniale a fluctué
au gré des conjonctures politiques. À l’époque du Front populaire par
exemple, l’alliance avec la SFIO pousse les communistes à abandonner le
mot d’ordre d’indépendance des colonies au profit de celui d’assimilation50.
La même logique assimilationniste resurgit dans les années 1940. La
revendication d’indépendance immédiate est, dans cette logique, présentée
comme dangereuse : elle ferait le jeu de l’ennemi, d’abord allemand, puis
américain. Le soutien à l’Union française fait disparaître l’indépendance,
même comme perspective à long terme : « Si, dans le présent,
l’indépendance était illusoire, dans le futur, elle devenait inutile51. »
Cette analyse conduit le PCF à présenter les manifestations du 8 mai
1945 en Algérie de la manière suivante : « À Sétif, attentat fasciste le jour
de la victoire ». Ce titre, publié dans L’Humanité le 11 mai 1945, est suivi
d’une déclaration, reproduite sans réserve, du gouverneur général en
Algérie parlant « d’éléments troubles d’inspiration hitlérienne ». La même
analyse se retrouve à propos des soulèvements indépendantistes de Syrie et
du Liban à propos desquels le PCF dénonce l’activité d’« agents doriotistes
en Syrie52 ». L’insurrection de Madagascar en 1947 est appréhendée de la
même façon : « À Madagascar comme dans d’autres parties de l’Union
française, déclare Maurice Thorez à la tribune du onzième congrès du PCF,
certaines puissances étrangères ne se privent pas d’intriguer contre notre
pays53. »
A contrario, le Parti communiste se mobilise fortement pour des
négociations au Vietnam. En dépit des positions prises en mai 1945, le PCF
et le Parti communiste algérien (PCA) font « campagne pour la libération
des détenus depuis l’automne 1945 et dénoncent la démesure de la
répression54 ». À Madagascar, le PCF dénonce l’arrestation des députés
malgaches en avril 1947 puis la « terreur coloniale55 ». Enfin, après le
déclenchement de la guerre de libération nationale algérienne, les positions
du PCF restent « incertaines et ambiguës » pour reprendre l’expression de
Diego Masson, un des porteurs de valises du réseau Jeanson puis militant au
sein du FLN. En 1955, ce militant était « de plus en plus insatisfait de cette
politique qui, bien qu’opposée à la répression, refusait toute idée
d’indépendance56 ».
C’est dans ce contexte que Césaire décide de s’adresser directement à
Maurice Thorez, secrétaire général du PCF, le 24 octobre 1956. Les
massacres de Sétif et Guelma sont déjà vieux de neuf ans, ceux de
Madagascar de sept. La guerre d’Algérie a débuté depuis deux ans et le
PCF vient de voter les pouvoirs spéciaux à Guy Mollet le 12 mars. Enfin, le
rapport Khrouchtchev et l’insurrection hongroise marquent également cette
année 1956.
Que dit Aimé Césaire de la question coloniale dans cette Lettre à
Maurice Thorez ? Il commence par reprocher au PCF de traiter la question
coloniale comme une question secondaire sur laquelle on peut, une nouvelle
fois, transiger pour des besoins tactiques :
C’est assez dire que nous sommes convaincus que nos questions, ou si
l’on veut la question coloniale, ne peut pas être traitée comme une partie
d’un ensemble plus important, une partie sur laquelle d’autres pourront
transiger ou passer tel compromis qu’il leur semblera juste de passer eu
égard à une situation générale qu’ils auront seuls à apprécier57.
Que l’on ne s’y trompe pas. Aimé Césaire ne considère pas que la lutte
anticoloniale est entièrement détachée des autres luttes (contre le fascisme,
pour la paix et le désarmement, etc.). Ce que reproche Aimé Césaire, c’est
le sacrifice des intérêts des peuples colonisés sur l’autel de l’unité avec les
socialistes. Il donne dans son courrier l’exemple, alors tout récent, du vote
des pouvoirs spéciaux à Guy Mollet par les élus communistes – décision
dont, dit-il, « nous n’avons aucune garantie qu’elle ne puisse se
renouveler58 ».
C’est donc le lien de subordination entre le PCF et les mouvements pour
l’émancipation nationale que Césaire remet en cause :
Ce n’est pas volonté de se battre seul et dédain de toute alliance. C’est
volonté de ne pas confondre alliance et subordination. Solidarité et
démission. Or c’est là très exactement de quoi nous menacent quelques-
uns des défauts très apparents que nous constatons chez les membres du
Parti communiste français : leur assimilationnisme invétéré ; leur
chauvinisme inconscient ; leur conviction passagèrement primaire –
qu’ils partagent avec les bourgeois européens – de la supériorité
omnilatérale de l’Occident ; leur croyance que l’évolution telle qu’elle
s’est opérée en Europe est la seule possible ; la seule désirable ; qu’elle
est celle par laquelle le monde entier devra passer59.
Même « bienveillante » la subordination est devenue insupportable.
Aimé Césaire invente le terme de fraternalisme :
Inventons le mot : c’est du « fraternalisme ». Car il s’agit bel et bien d’un
frère, d’un grand frère qui, imbu de sa supériorité et sûr de son
expérience, vous prend la main (d’une main hélas ! parfois rude) pour
vous conduire sur la route où il sait se trouver la Raison et le Progrès
[…]. Dans ces conditions, on comprend que nous ne puissions donner à
personne délégation pour penser pour nous ; délégation pour chercher
pour nous ; que nous ne puissions désormais accepter que qui que ce soit,
fût-ce le meilleur de nos amis, se porte fort pour nous60.
Une telle clarification ne pouvait que toucher fortement de nombreux
militants qui ont fait leurs premières armes avec le PCF, qui ont été formés
par lui, qui ont mené des combats avec lui, qui ont bénéficié de son soutien.
Ces militants trouveront dans le concept de fraternalisme une description de
leurs rapports contradictoires avec le PCF, rapports faits à la fois de
solidarité et de subordination.
Avec son Discours sur le colonialisme et sa lettre à Maurice Thorez,
Césaire opère un basculement : celui du passage de l’affirmation identitaire
à la remise en cause radicale du colonialisme et contribue ainsi à la
transition entre deux moments de la conscience nationale. Pour la
Martinique, le poète estime que les conditions de l’indépendance ne sont
pas réunies mais il dénonce les violences et les inégalités de la colonisation.
Pour l’Afrique, ses positions sont celles d’un soutien aux luttes de libération
nationale qui s’accélèrent. Il pense cependant qu’une sortie pacifique de la
colonisation reste possible et souhaitable. Il n’est pas le seul. Au Cameroun,
Ruben Um Nyobè partage cette croyance – qui lui coûtera la vie.
Notes du chapitre 4
a. L’hysope est un arbrisseau vivace appelé également « herbe sacrée ».
b. Il en est d’ailleurs de même sur le plan politique. Césaire restera
silencieux en 1960, lorsque Senghor, devenu président de la République
sénégalaise, fera voter à l’ONU pour faire accréditer Joseph Kasavubu
comme représentant légitime du Congo à la place de Patrice Lumumba ou
pour s’opposer au projet de résolution afro-asiatique exigeant un
référendum d’autodétermination en Algérie sous contrôle de l’ONU.
5
Ruben Um Nyobè
Ce que nous voulons affirmer une
fois de plus, c’est que nous
sommes contre les colonialistes et
leurs hommes de main, qu’ils
soient blancs, noirs ou jaunes, et
nous sommes les alliés de tous les
partisans du droit des peuples et
nations à disposer d’eux-mêmes,
sans considération de couleur.
Ruben UM NYOBÈ,
« Religion ou colonialisme ? »,
avril 1955.
La trajectoire d’Aimé Césaire marque le passage de l’affirmation
identitaire à la prise de conscience nationale. Le parcours du Camerounais
Ruben Um Nyobè (1913-1958) incarne pour sa part la transformation de
cette conscience en action et témoigne de la popularisation du combat
nationaliste dans le contexte d’après guerre. La formation politique qu’il
reçoit au sein du Cercle d’études marxistes, l’expérience syndicale, la
croyance profonde dans la force du droit international et de l’ONU et
l’attachement à la non-violence sont autant de dimensions étroitement liées
aux nouvelles possibilités ouvertes par la défaite du nazisme.
Du syndicalisme au nationalisme
Cette prise de conscience est en outre facilitée par une poignée
d’anticolonialistes blancs installés aux colonies. Membres du PCF, ceux-ci
suivent en effet la consigne de leur parti, en 1943, de mettre en place des
« Groupes d’études communistes » (GEC) dans les territoires où ils sont
installés6. En septembre 1945, le secrétariat du PCF fixe trois objectifs à ces
groupes : agir auprès des Africains, constituer des syndicats regroupant
Africains et Européens, et constituer dans chaque territoire un parti
progressiste africain7.
Un GEC se met en place à Yaoundé de juin 1944 à septembre 1945 sous
le nom de Cercle d’études marxistes. Il est fondé par l’instituteur
communiste et syndicaliste Gaston Donnat et l’artiste communiste Maurice
Méric. Ruben Um Nyobè « le plus attentif, le plus participant, le mieux
préparé à ce genre d’activités, y a acquis une formation qui a contribué à
faire de lui le grand dirigeant tel qu’il se révéla dès 1948 », rapportera plus
tard Gaston Donnat8.
La question syndicale est, bien entendu, abordée dans les réunions du
Cercle. Avant même la parution du décret autorisant la syndicalisation, la
séance du 28 juillet 1944 est consacrée à ce thème9. La mise en œuvre
pratique est immédiate. Le 18 décembre 1944 est fondée l’Union des
syndicats confédérés du Cameroun (USCC) qui s’affilie à la CGT10. La
mobilisation est intense et, comme le relève l’ex-militante Marie-Irène
Ngapeth Biyong dans ses mémoires, Ruben Um Nyobè se révèle un
propagandiste hors pair :
Calme et plein de dynamisme, ce jeune militant syndicaliste, Ruben Um
Nyobè […], s’attelle à l’organisation méthodique des travailleurs. Il les
regroupe par secteurs d’activité. Très tôt, il gagne la confiance d’un grand
nombre de travailleurs et […] la CGT s’implante profondément dans tous
les secteurs et particulièrement dans le secteur dominant de la
paysannerie qui représente les 95 % de la population active
camerounaise11.
En situation coloniale, la question sociale débouche presque
naturellement sur la question nationale. En témoigne la manifestation que
les syndicats organisent le 8 mai 1945, à Yaoundé, capitale administrative
du Territoire. Devant la banderole appelant à « enterrer » dans un même
geste « le nazisme, le racisme et le colonialisme », les colons blêmissent :
« Les Européens voyant passer les Camerounais avec une telle banderole
n’eurent pas la larme à l’œil, mais furent choqués, scandalisés : ils sentaient
bien qu’il y avait quelque chose de changé dans leur “chasse gardée”12. » Si
les colons sont « choqués », les indigènes, eux, ne supportent plus les
discriminations racistes, en particulier en matière salariale. En exigeant
l’égalité de traitement, les travailleurs camerounais se confrontent au
colonialisme. « Aux revendications salariales, résume l’historien Martin-
René Atangana, ne tardèrent pas à se conjuguer celles remettant en cause
les relations d’autorité entre l’administration française et les populations
camerounaises. La revendication prenait ainsi un tour anticolonialiste13. »
Gaston Donnat date de la mi-mai 1945 la discussion au sein du Cercle
d’études marxistes (rebaptisé Cercle d’études sociales et syndicales) portant
sur la création d’« un mouvement national camerounais avec comme
objectif : l’indépendance14 ». Deux facteurs accélèrent ensuite le
développement d’une conscience nationaliste chez les militants. Le premier
est la répression à Douala, en septembre 1945, d’une grève des cheminots
qui s’étend rapidement à tous les secteurs d’activité et aux nombreux
chômeurs qui peuplent la capitale économique du Cameroun. Les colons,
auxquels l’administration distribue des armes, tirent sur une manifestation
la faisant dégénérer en émeute. « Les Européens se mirent à tourner dans
Douala, explique l’historien Richard Joseph, spécialiste du mouvement
national camerounais, et la suite ne peut être décrite que comme un
massacre, les huit morts et les vingt blessés du rapport officiel ne reflétant
certainement pas la réalité. Les Blancs utilisèrent même un avion, duquel ils
mitraillèrent les émeutiers15. » Les dizaines d’assassinats de septembre 1945
cimentent le nationalisme de nombreux jeunes Camerounais. L’expulsion
vers la métropole des militants français de l’USCC, dans les semaines qui
suivent les événements de septembre 1945, accélère le transfert des postes
de responsabilité syndicaux aux jeunes militants camerounais. Um Nyobè
devient secrétaire général de l’USCC en 1947. L’expérience syndicale a
préparé ces jeunes militants au combat pour l’indépendance.
Le second facteur qui favorise la cristallisation du sentiment national au
Cameroun après guerre est la création du Rassemblement démocratique
africain (RDA). Ruben Um Nyobè participe, en tant que secrétaire général
de l’USCC, au premier Congrès du nouveau parti panafricain qui se tient à
Bamako en octobre 1946. Tandis que l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny
occupe le poste de président, Um Nyobè devient un des vice-présidents du
mouvement. De retour au Cameroun, il se met au travail pour fonder un
mouvement national en lien avec la dynamique du RDA. C’est dans ce
cadre que sera fondée, en avril 1948, l’Union des populations du Cameroun
(UPC), dont Um Nyobè devient le secrétaire général – et la figure
emblématique – quelques semaines plus tard.
L’enjeu de la réunification
Au moment historique où se constitue l’UPC, l’espoir d’un changement
rapide né de l’après-guerre est déjà déçu. La Constitution française de 1946
– qui fonde l’Union française – instaure une assemblée de l’Union française
qui est purement consultative et institue le système du double collège
électoral (ce qui, dans le cas de l’« Assemblée représentative » du
Cameroun, signifie « d’un côté un conseiller pour 250 Européens […]. Et
de l’autre un conseiller pour 166 000 Camerounais25 »). De surcroît, les
accords de tutelle, signés en décembre 1946 dans le cadre des Nations unies
et prolongeant le système du mandat de la SDN, permettent à la France,
selon leur article 4, d’administrer le Territoire « comme partie intégrante du
territoire français » en s’octroyant les « pleins pouvoirs de législation,
d’administration et de juridiction »26. En d’autres termes, souligne Um
Nyobè, le système de la « tutelle » onusienne permet à la France de décréter
« l’inclusion pure et simple de notre pays dans l’empire colonial
français27 ». (Les accords de tutelle pour le Cameroun sous administration
britannique reprennent les mêmes formulations.)
Les deux puissances administrantes du Cameroun tentent de jouer la
politique du fait accompli afin de faire valider par l’ONU la partition
définitive de l’ex-Kamerun allemand. Pendant que la France tente
d’intégrer dans l’Union française la partie du Territoire qu’elle administre,
le Royaume-Uni cherche de son côté à intégrer la sienne dans le Nigéria
voisin, l’une des principales colonies britanniques en Afrique. Accepter
l’Union française revient ainsi, pour les Camerounais, à renoncer à la
réunification. « C’est donc dire, explique Ruben Um Nyobè, que, pour le
Cameroun, la question d’être membre ou non de l’Union française ne
saurait être posée avant la réunification et avant la constitution d’un
gouvernement camerounais, comportant d’autre part la création d’une
Assemblée législative camerounaise28. »
Or, pour Ruben Um Nyobè, sans la réunification, l’indépendance est
artificielle. La réunification est une condition sine qua non d’une
indépendance économiquement viable capable d’assurer de véritables droits
aux travailleurs : « Et quand nous posons la question de la réunification,
nous avons la conscience de soutenir l’ensemble des revendications des
masses camerounaises car, nous ne cesserons de le répéter, tant que les
conquêtes politiques ne seront pas effectives, aucune amélioration véritable
du sort des travailleurs ne pourra intervenir29. »
On le voit dans son argumentaire, Ruben Um Nyobè est un fin stratège
qui sait articuler ses revendications en mêlant souplesse tactique et fermeté
sur les principes. C’est cette articulation virtuose entre souplesse et fermeté
qui explique pourquoi l’UPC est longtemps restée très modérée sur la
question de l’échéance de la tutelle onusienne sur le pays. Pendant des
années, face à une France cramponnée à la thèse de l’« indépendance
prématurée », le mouvement se contente en effet de réclamer qu’un délai
soit fixé pour que l’indépendance du Cameroun devienne réalité. « Nous
sommes modérés dans notre action, précise ainsi Um Nyobè en 1952. Nous
ne demandons pas d’indépendance immédiate. Nous demandons
l’unification immédiate de notre pays et la fixation d’un délai pour
l’indépendance30. » Ce n’est que lorsque l’administration française lance, au
cours des premiers mois de l’année 1955, une offensive contre ses militants
pour mieux préparer une « indépendance sous contrôle », que l’UPC
revendiquera l’indépendance et la réunification immédiates du pays
estimant que « la question du délai se trouve périmée31 ». La radicalisation
des positions d’Um Nyobè et ses camarades n’a fait que suivre celle de
l’oppression coloniale.
La modération tactique de Ruben Um Nyobè fera de lui un rassembleur
de toutes les sensibilités nationales. La fermeté sur les principes en fera un
homme à abattre pour le système colonial. L’alliance des deux le transforme
en référence bien au-delà de son pays.
L’arme du droit
Ce qui est également frappant dans la stratégie de l’UPC et de son
secrétaire général, c’est leur confiance dans l’Organisation des Nations
unies et dans la force du droit international. Même après les accords de
tutelle de 1946 qui mettent pourtant en évidence les limites de
l’organisation internationale en matière d’application du droit des peuples,
Um Nyobè n’abandonne pas l’idée que le droit international est une arme
de combat. C’est pour cette raison que ses discours s’appuient
méthodiquement sur de multiples textes juridiques, règlements
administratifs et autres conventions internationales. Il demande ainsi sans
relâche l’abrogation du fameux article 4 des accords de tutelle qu’il juge
contradictoire avec l’esprit du système de tutelle en général et avec l’article
76 de la Charte de Nations unies en particulier. Ce dernier article stipule en
effet que les puissances administrantes devront « favoriser » chez les
peuples qu’elles administrent « l’évolution progressive vers la capacité à
s’administrer eux-mêmes ou l’indépendance32 ».
Pour obliger la France (et la Grande-Bretagne) à respecter cet
engagement, l’UPC se saisit de tous les instruments juridiques qu’offre le
statut international particulier du Cameroun : elle multiplie les pétitions en
direction des Nations unies, organise des manifestations chaque fois qu’une
mission d’inspection onusienne se rend au Cameroun (tous les trois ans) et
prépare minutieusement chacune des interventions de son secrétaire général
à New York (au grand dam des autorités françaises, Um Nyobè est entendu
à trois reprises par la commission des tutelles de l’ONU entre 1952
et 1954). Ce contact direct que l’UPC cherche à établir avec l’ONU, court-
circuitant ainsi l’administration française, constitue une des stratégies les
plus audacieuses et les plus novatrices d’Um Nyobè. Lequel estime que les
« Kamerunais » pourront de cette façon faire l’économie de la violence à
laquelle la plupart des autres peuples colonisés – qui ne disposent pas de
l’arme du droit qu’offre, même de façon limitée, le régime de tutelle – sont
obligés de recourir. C’est ce qu’il explique très clairement fin 1952 :
La lutte armée a été menée une fois pour toutes par les Camerounais qui
ont largement contribué à la défaite du fascisme allemand. Les libertés
fondamentales dont nous revendiquons l’application et l’indépendance
vers laquelle nous devons marcher résolument ne sont plus des choses à
conquérir par la lutte armée. C’est justement pour prévenir une telle
éventualité que la Charte de l’Atlantique et la Charte des Nations unies
ont préconisé le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes33.
S’il sait faire preuve de souplesse tactique, parce qu’il pense que c’est la
meilleure manière d’atteindre les objectifs qu’il s’est fixés, Um Nyobè n’est
pas pour autant un naïf. Il sait que la politique est toujours une affaire de
rapports de forces, à l’échelle locale comme à l’échelle internationale. De
fait, sa confiance dans l’ONU est aussi le fruit d’une réflexion sur
l’évolution des équilibres internationaux : misant sur l’entrée progressive
des pays décolonisés dans l’organisation internationale, il compte sur le
soutien de ces « nations sœurs » pour remporter le bras de fer qui oppose, à
New York, les nationalistes camerounais aux colonialistes franco-
britanniques. D’où cette vision très optimiste qu’il expose en janvier 1954 :
Mon impression sur les Nations unies est que la constitution d’un bloc
arabo-asiatique représente, avec le groupe soviétique et les démocraties
populaires, un atout sérieux pour les pays non autonomes, notamment les
pays sous tutelle. À ce groupe se joint presque toujours la Yougoslavie
dont la position sur les questions coloniales reste bonne. Il y a également
quelques pays de l’Amérique latine34.
La conférence de Bandung, en 1955, et les premières indépendances
africaines ne feront que renforcer cette conception optimiste des Nations
unies et du droit international. Mais c’est précisément au moment de la
conférence de Bandung, et alors que les nationalistes algériens lancent leur
révolution, que les autorités françaises décident de serrer la vis sur les
nationalistes camerounais. Le 13 juillet 1955, alors que ces derniers
bénéficient d’une popularité immense au Cameroun et d’un soutien
croissant sur la scène internationale, le gouvernement français interdit et
dissout purement et simplement l’UPC, privant ainsi Um Nyobè de ses
armes favorites au moment précis ou celles-ci commençaient à faire leurs
preuves.
La question de la violence
Um Nyobè espère une décolonisation progressive, pragmatique, telle
qu’elle est envisagée dans les colonies britanniques. Ce n’est qu’en raison
du refus obstiné du colonialisme français d’envisager la moindre évolution
vers l’indépendance qu’Um Nyobè et ses camarades se résolvent à
envisager la violence comme forme de lutte. Le refus initial de la lutte
armée, exprimé par le secrétaire général de l’UPC, n’est pas un absolu. Il ne
s’inscrit pas dans une philosophie prônant la non-violence comme principe.
C’est dans son analyse des rapports de forces, internes et internationaux,
que s’enracine son choix d’une lutte pacifique.
L’effervescence panafricaine
L’évolution de la politique coloniale française et britannique, qui mute de
la colonisation directe à la colonisation indirecte, est aussi une réponse au
développement de la dynamique panafricaine de luttes et de solidarités.
Déjà dénoncé à Bandung, le néocolonialisme est justement le thème central
du cycle de conférences qui débute en Afrique à la fin des années 1950.
La conférence de solidarité afro-asiatique qui se tient en décembre 1957
au Caire est significativement surnommée « fille de Bandung44 ». Cette fois
c’est en Afrique même et dans un État qui vient de sortir victorieux d’un
affrontement avec les deux empires coloniaux les plus importants que se
réunit ce que l’on commence à appeler le « tiers monde ». Les objectifs
poursuivis par les participants à la conférence du Caire, énoncés dans une
des résolutions, ne peuvent qu’inquiéter les puissances coloniales : il ne
s’agit plus seulement d’obtenir l’indépendance politique mais de
« continuer la lutte contre toutes les formes du colonialisme et de
l’impérialisme, notamment en vue d’assurer la complète indépendance
économique45 ». D’autres résolutions recommandent la nationalisation des
industries stratégiques et encouragent le développement d’échanges
économiques entre les pays d’Afrique et d’Asie. La conférence décide la
création de l’Organisation de solidarité des peuples d’Afrique et d’Asie
(OSPAA).
En 1958, le Ghana accueille dans sa capitale, Accra, la première
conférence des États indépendants d’Afrique, puis, une autre conférence
rassemblant les mouvements de libération nationale et les partis politiques
de l’ensemble du continent. Cette deuxième conférence, qui se tient du 5 au
13 décembre 1958, compte la participation de multiples mouvements en
lutte : le Front de libération nationale algérien (FLN), représenté par Frantz
Fanon ; l’Union des populations du Cameroun (UPC), représentée par son
président Félix Moumié et son vice-président Ernest Ouandié ; le
Mouvement national congolais (MNC), représenté par Patrice Lumumba ;
la Tanganyika African National Union (TANU), représentée par Julius
Nyerere ; la Zambian African National Congress (ZANU), représenté par
Kenneth Kaunda, etc. La conférence appelle à l’action pour l’indépendance
immédiate de tout le continent et « accorde également son soutien à tous
ceux qui sont obligés d’employer des méthodes violentes pour faire face à
la brutalité à laquelle ils sont soumis46 ». Les délégués algériens et
camerounais sont fortement applaudis et des résolutions spéciales sont
votées en soutien au FLN et à l’UPC. La perspective des États-Unis
d’Afrique est posée.
La dynamique panafricaine se décline également selon les secteurs
sociaux. Des conférences panafricaines des femmes, des étudiants, de la
jeunesse, des syndicats, des journalistes, des artistes et écrivains se
succèdent chaque année dans les différents pays nouvellement indépendants
avec la participation des mouvements de libération nationale des pays
encore colonisés. L’effervescence panafricaine reflète la prise de conscience
d’une nécessaire coordination des luttes à l’échelle continentale.
La violence légitime
Bien entendu, ces rassemblements continentaux ne sont pas exempts de
clivages et de contradictions. La question de la lutte armée fait partie de ces
sujets de débat et de discorde qui ne peuvent manquer d’émerger en cette
période marquée par les guerres du Vietnam, du Kénya, d’Algérie et du
Cameroun. Plusieurs des leaders présents à Accra en 1958 ont engagé leur
pays dans une dépendance néocoloniale et ne souhaitent pas, par
conséquent, s’opposer à leur ancienne puissance coloniale. L’évolution des
positions au fur et à mesure des trois conférences des peuples africains
d’Accra en 1958, de Tunis en 1960 et du Caire en 1961, reflète cependant
un changement d’époque. Aux espoirs d’émancipation pacifique, grâce
notamment à l’arme du droit international, succède une conception moins
optimiste de la lutte. La croyance en la toute-puissance de la non-violence
recule devant la politique de force engagée par les puissances colonialistes.
À Accra en 1958 les illusions sont encore prégnantes. Nkrumah ouvre la
conférence par un discours enflammé mais « en même temps, il limitait
prudemment la résolution de son pays au soutien de toutes les formes
d’action non violente et en appelait à la compréhension de nos “amis
occidentaux”47 ». Si Frantz Fanon, au nom du FLN, défend à Accra la
légitimité de la violence décolonisatrice et la nécessité d’une solidarité
incluant la dimension militaire, le Ghanéen Nkrumah, le Zambien Kaunda
et le Kényan Tom Mboya plaident pour une lutte uniquement pacifique.
Pendant que le droit à l’indépendance fait consensus, la question de la lutte
armée divise. Le point 10 de la « résolution sur l’impérialisme et le
colonialisme » est dans sa formulation un compromis entre les deux points
de vue :
La conférence générale des peuples africains d’Accra déclare son soutien
total à tous les combattants de la liberté en Afrique, à tous ceux qui
recourent à des moyens pacifiques et non violents, et à la désobéissance
civile, autant qu’à tous ceux qui sont contraints de répondre à la violence
pour acquérir l’indépendance nationale et la liberté du peuple. Là où une
telle réponse devient nécessaire, la Conférence condamne toutes les
législations qui considèrent ceux qui se battent pour leur indépendance et
leur liberté comme des criminels ordinaires48.
La deuxième conférence qui se tient à Tunis en janvier 1960 est ouverte
par un discours de Bourguiba dans des termes proches de ceux d’Accra sur
la question de la lutte armée. Il précise sa préférence pour la lutte pacifique
mais admet la possibilité de la lutte armée lorsque les circonstances
l’imposent. Le fait nouveau est la reprise d’une proposition algéro-
marocaine formulée quelques mois plus tôt à Accra : celle de la constitution
d’une légion de volontaires africains pour aider militairement les
combattants algériens. Cette fois, la proposition est intégrée dans une
résolution. Le 5 février, le journal du FLN El Moudjahid titre : « Des
volontaires pour l’Algérie49 ». La résolution ne sera jamais appliquée.
La troisième conférence, qui se tient au Caire en 1961, parachève
l’évolution des positions concernant la lutte armée et approuve sans
restriction « le recours à la force pour liquider l’impérialisme ».
Accompagnant cette prise de position sans ambiguïté, la conférence du
Caire dénonce le néocolonialisme comme une « forme indirecte et subtile
de domination par des moyens politiques, économiques, sociaux, militaires
ou techniques50 ». Enfin, elle appelle à la constitution d’un fonds de
solidarité alimenté par les États indépendants pour soutenir le combat de
ceux qui sont encore en lutte. Dénonciation du néocolonialisme et des
indépendances factices, prise de conscience de la nécessité d’une
coordination des luttes et d’une solidarité agissante et soutien à la lutte
armée font de cette période celle des espoirs révolutionnaires. Frantz Fanon,
Patrice Lumumba et Kwame Nkrumah sont trois figures emblématiques de
ce tournant révolutionnaire du continent africain.
Notes du chapitre 6
a. Salah Ben Youssef est contraint de quitter le pays en janvier 1956 et
condamné à mort par contumace un an plus tard. La répression des partisans
yousséfistes est sanglante.
7
Frantz Fanon
Le peuple, qui au début de la lutte
avait adopté le manichéisme
primitif du colon : les Blancs et
les Noirs, les Arabes et les
Roumis, s’aperçoit en cours de
route qu’il arrive à des Noirs
d’être plus blancs que les Blancs
et que l’éventualité d’un drapeau
national, la possibilité d’une
nation indépendante n’entraînent
pas automatiquement certaines
couches de la population à
renoncer à leurs privilèges ou à
leurs intérêts.
Frantz FANON, Les Damnés de la
terre, 1961.
Tous les facteurs ayant conduit à la maturation de la conscience
anticoloniale, aux premiers assauts et enfin aux premières victoires contre
un système d’oppression qui semblait invincible, convergent dans la pensée
de Frantz Fanon (1925-1961). Dans sa trajectoire peuvent se lire les
interactions entre l’Amérique noire, l’Afrique noire et l’Afrique du Nord ;
entre l’intellectuel et le militant ; entre la pensée et l’action ; entre
l’idéalisme et le pragmatisme ; entre l’analyse individuelle et le mouvement
collectif ; entre la vie psychologique et le combat physique ; entre
nationalisme et panafricanisme ; entre la question du colonialisme et celle
du néocolonialisme.
Fanon publie son premier livre, Peau noire, masques blancs1, deux ans
avant Diên Biên Phù et écrit son dernier ouvrage, Les Damnés de la terre2,
en 1961, au moment où les pays africains accèdent à l’indépendance. Le
colonialisme ayant commencé sa mue entre ces deux dates, la pensée de
Fanon évolue, s’enrichit, intègre de nouvelles dimensions souvent inédites.
Concevant la théorie comme indissociable de l’action, Fanon est allergique
au dogmatisme. Il cherche des réponses concrètes aux questions nouvelles
qui se posent aux peuples colonisés. Malgré sa courte existence – il est
terrassé par une leucémie à l’âge de trente-six ans –, Fanon est un auteur
prolifique et d’une extraordinaire fécondité.
Rencontres militantes
Comme pour de nombreuses autres figures de la libération africaine les
rencontres militantes jouent un rôle considérable dans l’évolution de la
pensée politique de Lumumba. Grâce à ces rencontres, ce dernier découvre
les idéologies et théories panafricaniste, tiers-mondiste et communiste.
L’impact de ces découvertes n’est pas immédiat.
Ainsi, sa participation à la conférence de Bandung, en tant
qu’observateur pour l’Association des évolués de Stanleyville (AES), ne
semble pas avoir ébranlé ses certitudes dans un premier temps. Le peu de
référence dans ses écrits et propos sur la conférence souligne qu’il n’est pas
encore perméable aux espoirs d’émancipation qui secouent les colonies. En
1955, Lumumba limite encore ses objectifs de lutte à l’amélioration du sort
des évolués. Ni l’autonomie ni l’indépendance ne font partie de son champ
de réflexion. Il en est de même lors de son séjour à Bruxelles en tant que
participant à un séjour d’étude organisé par le ministère des Colonies en
1956. Lumumba revient enthousiaste de Belgique : il insiste sur le décalage
entre la colonie et la métropole, où le racisme lui paraît absent. Ce qu’il
craint en revanche, c’est l’importation au Congo de la lutte des classes…
Deux ans plus tard, Lumumba retourne à Bruxelles pour la première
Exposition universelle de l’après-guerre du 17 avril au 19 octobre 1958.
Mais ni le Congo ni Lumumba ne sont désormais les mêmes. L’État
colonial belge n’a pas pu maintenir entièrement son empire du silence. De
l’Empire colonial français voisin parviennent des espoirs d’émancipation.
Bien que limités à l’autonomie gaulliste, ces espoirs élargissent le champ de
pensée politique de l’élite congolaise.
Le premier signe de cet éveil est la publication, le 30 juin 1956, par un
groupe d’« évolués » du manifeste dit « de la Conscience africaine »13. Ce
groupe d’intellectuels participe à la rédaction du périodique catholique du
même nom. Le ton du manifeste est nouveau. Il ne se situe plus dans la
supplique et la doléance mais dans l’affirmation d’une volonté : « Nous
voulons être des Congolais civilisés, non des Européens à peau noire. » Il
met en garde : « Il faut que les Belges comprennent dès maintenant que leur
domination sur le Congo n’est pas éternelle. » Le manifeste revendique
enfin une « émancipation totale » pour les Congolais inscrite dans la
perspective d’une communauté belgo-congolaise. Quelques semaines plus
tard, le 23 août 1956, l’Association pour le perfectionnement et
l’unification de la langue kikongo, plus connue sous le nom d’Association
des BaKongo (ABAKO), publie ses « Commentaires sur le Manifeste de
conscience africaine »14. Le document prend rapidement le titre de Contre-
manifeste et revendique une « émancipation pour aujourd’hui même », un
« rejet de la communauté belgo-congolaise » et la constitution d’une
« fédération congolaise à base ethnique ».
Comme les autres membres de l’élite, Lumumba suit de près ces débats.
Il est désormais favorable à l’autonomie de la colonie. C’est avec ce nouvel
état d’esprit qu’il se rend à Bruxelles, à l’invitation des autorités coloniales
(preuve qu’il est toujours considéré comme un « modéré ») pour assister à
l’Exposition universelle. Organisée, entre autres, pour exalter l’œuvre
coloniale belge, l’exposition permet paradoxalement à des courants et des
personnalités qui s’y opposent de se rencontrer et de se coordonner. À
Bruxelles, les Congolais rencontrent des représentants de la gauche
métropolitaine et des autres pays, d’anciens colonisés de pays désormais
indépendants, d’autres issus des colonies françaises engagées dans le
processus d’« autonomie interne » initiée par la loi-cadre de 1956. Ils font
également la connaissance des militants de l’association des Amis de la
revue Présence africaine dont les animateurs défendent des positions
anticolonialistes et panafricaines.
Cependant, c’est la conférence d’Accra en décembre 1958 qui constitue,
dans la trajectoire de Lumumba, le tournant politique essentiel. Sa présence
à Accra est le fruit de sa rencontre avec Jean Van Lierde, militant
anticolonialiste belge et fondateur de l’Association des amis de Présence
africaine, qui deviendra plus tard son conseiller politique. Van Lierde
raconte :
En mai 1958, comme une coïncidence extraordinaire, deux de mes amis,
des Noirs américains, qui sont des objecteurs de conscience, travaillent
au cabinet de Nkrumah au Ghana. Ils m’envoient des télégrammes et des
lettres en me disant : « Jean, nous sommes en mai 1958. Nous préparons
une grande conférence en décembre 1958 pour la libération non violente
de tous les peuples d’Afrique. Débrouille-toi pour trouver une délégation
du Congo belge »15.
À Accra, Lumumba rencontre, entre autres, l’Antillo-Algérien Fanon, le
Ghanéen Nkrumah, le Camerounais Moumié. Ces trois figures des
indépendances africaines ont en commun d’insister sur les effets délétères
du régionalisme, de l’ethnisme ou du tribalisme, autant d’idéologies qui,
minant l’unité nationale, constituent des voies de pénétration au
néocolonialisme. À l’issue de la conférence, c’est un Lumumba
enthousiaste qui est nommé membre permanent du comité de coordination.
Des convictions anciennes sont confortées, d’autres se formalisent, un
vocabulaire nouveau, plus précis et plus politique, est acquis. C’est à Accra
que Lumumba devient indépendantiste. « Le Congo ne peut être considéré
comme une colonie ni d’exploitation ni de peuplement, déclare-t-il au cours
de la conférence, et son accession à l’indépendance est la condition sine qua
non de la paix16. »
Revenu d’Accra, le militant congolais utilise de nouvelles expressions. Il
décrit, le 28 décembre 1958, l’objectif de son organisation, le Mouvement
national congolais (MNC) en évoquant « la liquidation du régime
colonialiste et de l’exploitation de l’homme par l’homme17 ». Très vite, les
termes « impérialisme », « progressisme », « neutralisme positif », « vraie
indépendance » entrent dans son vocabulaire. S’il est influencé par le
marxisme ce n’est que par la médiation des analyses qu’il entend dans les
conférences panafricaines. La prise de conscience progressive de la
dimension économique des enjeux de l’indépendance du Congo ne peut que
le renforcer dans l’attirance vers ces analyses. Comme de nombreux autres
leaders des indépendances, c’est la question de l’indépendance nationale
qui est le critère de jugement et de positionnement :
En Afrique, tout ce qui est progressiste, tout ce qui tend au progrès est
qualifié de communiste, de destructeur. Il faut toujours faire des
courbettes et accepter tout ce que les colonialistes vous offrent. Alors là-
bas ils vont vous louer. Nous sommes simplement des hommes honnêtes,
nous ne voulons tromper personne et notre seul objectif a été : libérer
notre pays, construire une nation libre et indépendante18.
Courage et naïveté
L’évolution de la pensée de Lumumba après Accra est aussi rapide que
radicale. Il ne s’agit plus de revendiquer l’autonomie mais l’indépendance
qui est, précise-t-il « la jouissance d’un droit que le peuple congolais avait
perdu19 ». Dépassées par l’enthousiasme que rencontre un tel mot d’ordre au
sein des populations congolaises, les autorités belges répondent par la
provocation et la répression, dans l’espoir de neutraliser les deux principaux
mouvements indépendantistes : le MNC et l’ABAKO (Association des
Bakongo pour l’unification, la conservation et l’expansion de la langue
kikongo). L’interdiction d’un meeting de l’ABAKO, le 4 janvier 1959
déclenche une émeute qui se solde officiellement par quarante-deux morts.
L’organisation nationaliste avance pour sa part le chiffre de 710 décès et
469 blessés. L’ABAKO est dissoute et son dirigeant, Joseph Kasa-Vubu
déporté en Belgique. Lors du congrès national du MNC à Stanleyville en
octobre 1959, les gendarmes tirent sur la foule faisant trente morts et des
centaines de blessés. Lumumba est arrêté, condamné à six mois de prison
ferme et exilé au Katanga.
Le gouvernement belge peut alors annoncer la réunion d’une « table
ronde » qu’il espère tenir sans l’encombrant Lumumba pour le 20 janvier
1960. Mais les délégués congolais convoqués font bloc dès la première
séance : ils refusent de siéger sans Lumumba. Celui-ci est donc libéré et
participe aux travaux. Les résultats de la table ronde sont sans équivoque :
loin de la « communauté belgo-congolaise » que souhaitaient imposer les
autorités belges, l’indépendance est fixée au 1er juillet 1960. En dépit de
multiples manœuvres, le MNC emporte largement les élections législatives
de mai 1960. Le 24 juin 1960, un gouvernement congolais est constitué
avec Kasa-Vubu comme président de la République et Lumumba comme
Premier ministre. Malgré son succès électoral, le leader le plus populaire du
Congo s’est mis au second plan par souci d’unité nationale.
C’est dans ce contexte que se déroulent les cérémonies tant attendues de
l’indépendance le 30 juin 1960. Dans son discours, le roi Baudouin présente
cette indépendance comme un cadeau du colonisateur et comme
l’aboutissement de l’épopée coloniale. L’indépendance couronne l’œuvre
d’un Léopold II qui, précise-t-il, « ne s’est pas présenté à vous en
conquérant mais en civilisateur20 ». L’ensemble du discours est imprégné
d’une logique paternaliste et raciste. Brisant l’atmosphère consensuelle des
cérémonies officielles, Lumumba prononce un discours imprévu, critique
radicale du colonialisme, qui deviendra célèbre.
Ignorant le roi, il s’adresse au peuple : « Congolais et Congolaises,
combattants de l’indépendance aujourd’hui victorieux, je vous salue au nom
du gouvernement congolais. » Il poursuit en rappelant que l’indépendance
est le résultat de la lutte « dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces,
ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang ». Il répond au roi et à
son discours sur l’« œuvre » belge au Congo :
Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers
jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste,
une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous
était imposé par la force. Ce que fut notre sort en quatre-vingts ans de
régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses
encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire. Nous
avons connu le travail harassant, exigé en échange de salaires qui ne nous
permettaient ni de manger, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment,
ni d’élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les
ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir,
parce que nous étions nègres. […]. Nous avons connu que nos terres
furent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient
que reconnaître le droit du plus fort. Nous avons connu que la loi n’était
jamais la même selon qu’il s’agissait d’un Blanc ou d’un Noir […]. Nous
avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques
ou croyances religieuses ; exilés dans leur propre patrie, leur sort était
vraiment pire que la mort elle-même. Nous avons connu qu’il y avait
dans les villes des maisons magnifiques pour les Blancs et des paillotes
croulantes pour les Noirs, qu’un Noir n’était admis ni dans les cinémas,
ni dans les restaurants, ni dans les magasins dits européens ; qu’un Noir
voyageait à même la coque des péniches, aux pieds du Blanc dans sa
cabine de luxe. Qui oubliera enfin les fusillades où périrent tant de nos
frères, les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus
se soumettre au régime d’une justice d’oppression et d’exploitation ?
Puis Lumumba fixe un objectif sans ambiguïté : « créer une économie
nationale prospère qui consacrera notre indépendance économique21 ».
Enfin, de manière significative, sa conclusion relie dans un même ensemble
« l’indépendance et l’unité africaine ». Le Premier ministre est longuement
ovationné. Tous les Congolais et, au-delà, tous les colonisés ont entendu
dans ce discours la force d’une dignité retrouvée et la détermination de
parachever l’indépendance politique par une souveraineté économique.
Pour le roi, le camouflet est cinglant. Le projet néocolonial menacé,
Lumumba, évidemment taxé de dangereux « communiste », devient un
homme à abattre.
Il y a dans ce discours historique de Lumumba un étrange mélange de
courage et de naïveté, comme si celui qui est devenu en quelques mois la
figure emblématique du nationalisme congolais ne mesurait pas les
conséquences de ses actes et de ses mots. Après avoir envisagé avec naïveté
une possible égalité raciale dans le cadre colonial, c’est avec la même
ingénuité qu’il contemple désormais la possibilité d’accéder à
l’indépendance réelle sans trop de fracas, d’intrigues, de trahisons et de
complots. Relatant une discussion avec Frantz Fanon, Jean-Paul Sartre
mentionne l’opinion de celui-ci sur la naïveté de Lumumba :
Fanon m’a souvent parlé de Lumumba ; […] il voyait en lui l’adversaire
intransigeant de toutes les restaurations d’un impérialisme déguisé. Il ne
lui reprochait – et l’on devine avec quelle tendresse – que cette
inaltérable confiance en l’homme qui fit sa perte et sa grandeur. « On lui
donnait, m’a dit Fanon, les preuves qu’un de ses ministres le trahissait. Il
allait le trouver, lui montrait les documents, les rapports et lui disait : Es-
tu un traître ? Regarde-moi dans les yeux et réponds. Si l’autre niait en
soutenant son regard, Lumumba concluait : c’est bien, je te crois »22.
La trahison de l’ONU
La réalité donne rapidement raison à Lumumba à propos de l’unité
nationale. À défaut de pouvoir contrôler un Congo unifié, le colonialisme
belge cherche à instrumentaliser la diversité ethnique du Congo
indépendant pour le fragiliser et le fragmenter. À peine indépendant, le
Congo est confronté à la sécession du Katanga une province riche en
minerais de toutes natures. Soutenu par l’Union minière du Haut Katanga
(UMHK), Moïse Tshombe proclame l’indépendance de l’État du Katanga le
11 juillet 1960. Amputé de cette province, l’indépendance économique du
Congo est impossible. Les troupes sécessionnistes sont encadrées par 300
paracommandos belges débarqués la veille et, « trente-six heures après le
premier débarquement, plus de 9 000 militaires belges occupent le
Katanga31 ».
Le gouvernement du Congo rompt les relations diplomatiques avec la
Belgique le 14 juillet et fait appel à l’ONU. Confiant dans le droit
international, comme cela est fréquent en Afrique à l’époque, et persuadé
que les Nations unies ne laisseront pas la Belgique démembrer son ex-
colonie, Lumumba annonce sur un ton euphorique la décision de l’ONU
d’envoyer des troupes au Congo : par deux résolutions, les 14 et 22 juillet
1960, la Belgique se voit ordonner d’évacuer ses troupes et la mission
confiée aux contingents de l’ONU est le rétablissement de l’intégrité
territoriale du Congo. Mais la désillusion est violente. Les troupes de
l’ONU tardent à entrer au Katanga. « Les Nations unies ont laissé la
sécession katangaise se consolider », commente le vice-Premier ministre
Antoine Joseph Gizenga, dans un discours du 30 juillet 196032.
Le 9 août, le Conseil de sécurité prend une troisième résolution remettant
en cause les deux précédentes. Elle qualifie en effet le conflit au Katanga de
« conflit intérieur » auquel les troupes de l’ONU ne peuvent participer. Le
même jour, c’est au tour du Kassaï, une autre région riche en minerais, situé
au nord-est du Katanga, de se proclamer indépendante. Plus grave encore,
le représentant des Nations unies au Congo signe, le 12 août, un accord
avec Tshombe reconnaissant ainsi de facto l’État du Katanga. Ces décisions,
véritables coups de poignard dans le dos du Premier ministre congolais,
annoncent sa chute. « Le tort de Lumumba a été dans un premier temps de
croire en l’impartialité amicale de l’ONU, analysera Fanon quelque temps
plus tard. Il oubliait singulièrement que l’ONU dans l’état actuel n’est
qu’une assemblée de réserve, mise sur pied par les Grands, pour continuer
entre deux conflits armés la “lutte pacifique” pour le partage du monde33. »
Reste que l’évolution tragique de la situation congolaise fait bouger les
positions de Lumumba, sur les Nations unies comme sur la non-violence.
Le partisan farouche de l’action pacifique qu’il était appelle maintenant à
une contre-offensive militaire. En quarante-huit heures la sécession du
Kassaï est vaincue et les troupes fidèles à Lumumba entrent au Katanga.
Alors que la résolution du Conseil de sécurité du 9 août 1960 stipule « que
la force des Nations unies au Congo ne sera pas partie à un conflit intérieur,
constitutionnel ou autre, n’y interviendra pas et ne sera pas utilisée pour en
influencer l’issue », l’ONU décide d’imposer militairement un cessez-le-
feu34. En d’autres termes : les Nations unies ne participent pas au
rétablissement du gouvernement légitime de Lumumba mais protègent
militairement les sécessionnistes katangais…
Encouragé par la CIA, le président Kasa-Vubu se prépare à se
débarrasser de son Premier ministre désormais placé au pied du mur. Dans
un télégramme en date du 26 août, le directeur de l’agence Allan Dulles
fixe le cap à un de ses agents à Léopoldville : « Nous avons décidé que son
éloignement est notre objectif le plus important et que, dans les
circonstances actuelles, il mérite grande priorité dans notre action
secrète35. »
À l’épreuve du pouvoir
La négation des clivages sociaux est lourde de conséquences dans un
pays comme le Ghana dont l’économie nationale et le budget étatique
dépendent presque exclusivement des revenus engendrés par la
monoproduction exportatrice (en l’occurrence, celle du cacao). Dès 1954
pourtant, Nkrumah, alors Premier ministre, aurait pu en prendre conscience
lorsqu’il a vu se lever face à lui un mouvement, le National Liberation
Movement, animé par une petite bourgeoisie appuyée sur les planteurs de
cacao d’origine ashanti48. Au lieu de s’intéresser à la composition sociale et
aux motivations de cette opposition, Nkrumah a préféré la solution de
facilité : la répression des opposants et la négation des divergences sociales.
Son parti, le CPP (qui devient parti unique en 1964), est ainsi défini non pas
comme un mouvement défendant les classes populaires mais comme une
« organisation ouverte à tous les Ghanéens de toutes les classes sociales et
de toutes les idéologies49 ». Or la petite bourgeoisie intellectuelle qui accède
aux responsabilités dans un tel parti, et dans l’appareil d’État, défend
d’abord ses propres intérêts. Népotisme, clientélisme et détournements des
deniers publics sont des moyens d’enrichissement qu’utilise cette « petite
caste aux dents longues, avide et vorace, dominée par l’esprit gagne-petit »
(selon l’expression de Fanon50).
Si Nkrumah fustige parfois ces nouveaux riches et menace de saisir leurs
immeubles et propriétés51, les faits ne suivent pas. « Vouloir construire une
société socialiste avec un parti dominé par des clans procapitalistes, dont
bien des membres brillaient par leur vénalité, était une gageure », résume
l’économiste et politologue Manga Kuoh52. L’illusion idéaliste de Nkrumah
consistant à vouloir construire le socialisme sans lutte des classes le conduit
à s’éloigner des travailleurs industriels et des salariés agricoles. Pour
maintenir son effort d’investissement dans un contexte de baisse du prix du
cacao sur le marché mondial, Nkrumah décrète en juillet 1961 un
programme d’austérité et ordonne un emprunt obligatoire sous la forme
d’un prélèvement de 5 % sur les salaires pour renflouer les caisses de l’État.
L’effort demandé est d’autant plus illégitime aux yeux des salariés que
certains ministres et membres du comité central du CPP affichent une
nouvelle richesse ostentatoire. La grève générale des dockers et des
travailleurs des chemins de fer et des mines contre le plan d’austérité est
sévèrement réprimée. Dix-sept syndicalistes sont emprisonnés pour
« subversion ». Nkrumah commence à se couper ainsi des travailleurs qui
étaient son meilleur soutien. Après 1961, la situation des travailleurs
industriels et agricoles ne cesse d’empirer sous le coup de l’inflation
galopante, de l’augmentation des impôts et de la corruption. L’Africain le
plus populaire au monde en 1957 est entièrement isolé. Le coup d’État
militaire de février 1966 ne suscite aucune réaction significative.
Les échecs et la dérive de Kwame Nkrumah reflètent la difficulté qu’il
éprouve – à l’instar de la plupart des dirigeants africains progressistes – à
sortir de la phase réactive de la lutte anticoloniale qu’a si bien analysée
Frantz Fanon : après avoir détruit le colonialisme direct, comment
construire une société juste dans un contexte marqué par la perpétuation de
la domination impérialiste ? Confronté à cette épineuse question, Nkrumah
s’est contenté de réponses trop simples, trop rapides ou trop irréalistes :
pour dépasser la balkanisation coloniale, il a réclamé l’avènement immédiat
de l’unité continentale ; pour conjurer les injustices léguées et entretenues
par le colonialisme, il a installé un parti-État aussi autoritaire qu’inefficace ;
face à un Occident qui se nourrit de l’exploitation des faibles, il a exalté une
chimérique « Afrique sans classes ». Ces illusions et ces erreurs n’enlèvent
rien à la notoriété dont le dirigeant ghanéen jouit, aujourd’hui encore, en
Afrique. Nkrumah reste un des symboles de l’espoir d’émancipation du
continent.
III
De l’anticolonialisme à l’anti-impérialisme
(1962-1975)
10
Un continent à l’assaut du ciel
La lutte contre l’impérialisme
pour rompre les liens coloniaux et
néocoloniaux, qu’elle soit menée
avec des armes politiques, des
armes réelles ou avec les deux à
la fois, n’est pas sans lien avec la
lutte contre le retard et la misère ;
toutes deux sont des étapes sur
une même route menant à la
création d’une société nouvelle, à
la fois riche et juste.
Ernesto « Che » GUEVARA,
« Discours au séminaire
économique de solidarité afro-
asiatique », Alger, 24 février
1965.
Le début de la décennie 1960 en Afrique est marqué par l’espoir et
l’enthousiasme. L’Afrique, pour reprendre l’expression de Marx dans un
autre contexte, est un continent lancé « à l’assaut du ciel ». L’indépendance
algérienne, en 1962, semble indiquer un sens inéluctable de l’histoire et
inspire de nombreux militants africains. La « révolution africaine », titre
donné par les éditions Maspero à un recueil de textes de Frantz Fanon
publié à titre posthume, semble plus que jamais d’actualité. Des luttes
armées se déclenchent dans les derniers bastions coloniaux : en Angola
(1961), en Afrique du Sud (1961), en Guinée Bissau (1963), au Congo
(1963), au Mozambique (1964) et en Rhodésie (1966). Le souffle
révolutionnaire qui secoue le continent se heurte cependant à un nouveau
contexte mondial et continental porteur de nombreux obstacles.
Entre la « détente »…
La construction du mur de Berlin en août 1961 puis la crise dite « des
missiles » à Cuba, en octobre 1962, mettent en évidence la fragilité de la
« coexistence pacifique » entre les États-Unis et l’Union soviétique. La
réforme agraire déclenchée en mai 1959 par Fidel Castro puis la
nationalisation, en juin 1960, des entreprises états-uniennes installées à
Cuba et la proclamation l’année suivante du caractère socialiste de la
révolution cubaine font du régime cubain un ennemi à abattre pour
Washington. Les Cubains anticastristes réfugiés aux États-Unis multiplient
les actions d’éclat avec la bénédiction du président Eisenhower. Le 17 avril
1961, 1 500 hommes débarquent dans la « Baie des Cochons », appuyés par
des bombardiers américains. L’opération, assumée par le nouveau président
Kennedy, est un fiasco. Fidel Castro sort renforcé de l’affrontement et
devient un symbole mondial de la résistance anti-impérialiste.
La menace est néanmoins sérieuse et durable. En février 1962, les États-
Unis imposent un embargo qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Après
l’agression militaire, l’arme économique finit de convaincre Castro
d’accepter l’installation de missiles soviétiques sur le sol cubain. Pour
Moscou, ces missiles constituent une riposte à la décision états-unienne de
novembre 1961 de déployer quinze missiles en Turquie et trente en Italie, à
des distances permettant d’atteindre le territoire soviétique. La découverte,
le 14 octobre 1962, par un avion espion états-unien, de l’installation des
missiles soviétiques déclenche une escalade de menaces mutuelles faisant
courir le risque d’une guerre nucléaire. Le 29 octobre, Khrouchtchev
accepte le démantèlement des sites de missiles contre l’engagement des
États-Unis de ne plus tenter d’intervenir à Cuba et le démantèlement des
missiles états-uniens de Turquie et d’Italie.
Les négociations de sortie de crise se sont déroulées uniquement entre les
États-Unis et l’Union soviétique. Pour les Cubains, qui apprennent la
décision soviétique par un message de Khrouchtchev à la radio, le constat
est amer. Fidel Castro dénonce dans une lettre à Khrouchtchev le 31 octobre
1962 le caractère unilatéral de la décision soviétique : « Je ne vois pas
comment on peut affirmer que nous avons été consultés sur la décision que
vous avez prise1. » Le démantèlement de la base militaire états-unienne de
Guantánamo et la levée de l’embargo ne figurent même pas dans l’accord
conclu. Nikita Khrouchtchev rappelle dans ses Mémoires, publiés en 1971,
que les relations de l’URSS avec Cuba « prirent brusquement un tour moins
favorable. Castro cessa même de recevoir notre ambassadeur […]. Il était
furieux que nous ayons repris les fusées2 ».
À l’issue de la crise des missiles se met en place entre les États-Unis et
l’Union soviétique la politique dite de « détente ». Présentée comme la
poursuite de la politique de la coexistence pacifique, elle provoque
cependant des évolutions notables qui changent la donne pour les pays
africains nouvellement indépendants et pour les mouvements de libération
nationale. Symbolisée par la création d’un « téléphone rouge » entre la
Maison Blanche et le Kremlin et le développement de négociations pour la
réduction des armes nucléaires, la détente pose surtout le principe d’une
coopération préalable entre les États-Unis et l’Union soviétique pour
prévenir les conflits. Dans ce cadre, les mouvements de libération nationale
sont perçus comme des acteurs passifs, ou comme des instruments, sur des
questions qui les concernent pourtant au premier chef. La résolution de la
crise cubaine par négociation entre les deux Grands et sans consultation des
Cubains crée en ce sens un précédent, avec le risque de sacrifier les intérêts
nationaux des peuples d’Afrique sur l’autel des nécessités de la détente.
Faisant le bilan de la période nassérienne en 1975, les journalistes marxistes
égyptiens Baghgat Elnadi et Adel Rifaat présentent de la manière suivante
la situation internationale à l’issue de la crise des missiles :
Après l’affrontement direct entre elles [États-Unis et URSS] autour de
Cuba, fin 1962, et le recul de Khrouchtchev devant les menaces de
Kennedy, les deux superpuissances s’acheminaient vers un accord –
d’abord tacite et puis de plus en plus explicite – de mener la concurrence
entre elles, pour le partage des zones d’influence et de domination, sur un
autre terrain que celui des affrontements directs3.
… et l’affrontement sino-soviétique
Déjà active à Bandung et se présentant comme faisant partie du tiers
monde, la Chine populaire éveille l’intérêt des leaders nationalistes
africains. Outre la posture assez radicale qu’elle adopte dans son soutien
aux mouvements de libération, elle développe un modèle économique qui
suscite une attention particulière dans les pays du tiers monde. Mehdi Ben
Barka, par exemple, parle en 1959 de « fascination » à propos de
l’expérience chinoise :
Ce mot fascination est bien celui qui convient à l’attitude de la plupart
des peuples, en tout cas ceux dont je connais les représentants, à l’égard
de la Chine. Pour ne parler que du Maroc, les observateurs sont
unanimement frappés par le succès immense du pavillon chinois à la
Foire internationale de Casablanca. Cela tient au fait que la Chine se
présente comme le pays qui a le plus de similitudes avec le nôtre, par son
passé, par l’immense retard qu’il a eu à rattraper, par les erreurs
également commises au lendemain de sa libération4.
Au cours des années 1960 et 1970, la Chine populaire est en plein conflit
idéologique et politique avec l’Union soviétique. Elle considère que la
politique de la détente est une trahison des luttes de libération nationale en
ce qu’elle incite à étendre le principe de la coexistence pacifique entre États
« aux rapports entre classes opprimées et classes oppresseuses, entre nations
opprimées et nations oppresseuses » et de « subordonner la lutte
révolutionnaire des nations opprimées à la politique de coexistence
pacifique des pays socialistes »5.
Avec les années, le conflit sino-soviétique ne fera que s’envenimer.
L’Union soviétique est bientôt caractérisée par les communistes chinois
comme « social-impérialisme », c’est-à-dire socialiste en paroles et
impérialiste dans les faits. À partir du début de la décennie 1970, l’Union
soviétique devient l’ennemi principal des Chinois, les États-Unis étant
considéré comme une puissance en déclin. En retour, ils sont accusés par les
Soviétiques d’être des aventuristes et des diviseurs faisant le jeu de
l’impérialisme.
En Afrique, le conflit sino-soviétique provoque de graves dissensions au
sein des mouvements de libération nationale. Jusqu’à la fin des années
1950, les deux puissances socialistes étaient considérées comme des appuis
solides pour les nationalistes et les indépendantistes africains, tant sur le
plan diplomatique, notamment à l’ONU, que sur le plan de l’armement pour
ceux des mouvements qui s’étaient engagés dans la lutte armée. Avec la
montée des tensions internes au camp « socialiste », les rencontres
panafricaines, afro-asiatiques puis tricontinentales sont parasitées par
l’affrontement entre les deux puissances rivales. Au cours des années 1960
et 1970, le soutien que ces dernières apportent aux mouvements de
libération nationale est de plus en plus dépendant des intérêts géopolitiques
des « grands frères » chinois ou soviétique. Dans ses Mémoires, le militant
anticolonialiste français Gérard Chaliand résume ainsi les attitudes
politiques respectives des deux pays socialistes :
L’Union soviétique prônait la coexistence pacifique, la Chine, la
révolution en Asie, en Afrique et en Amérique latine. La ligne chinoise,
apparemment, était beaucoup plus mobilisatrice mais, sur le terrain
africain, nous constations que se livrait surtout une compétition pour la
prééminence et que la Chine soutenait les mouvements qui n’étaient pas
soutenus par l’Union soviétique, même s’ils étaient plus conservateurs
dans leurs options. Mes sympathies allaient à la ligne la plus
révolutionnaire mais je commençais à constater qu’il s’agissait de part et
d’autre, de s’assurer une clientèle d’alliés redevables6.
En raison de ce « clientélisme », le positionnement de la Chine populaire
paraît de plus en plus tortueux. Ainsi en va-t-il au Congo, où elle soutient la
guérilla de Pierre Mulele contre Mobutu de 1963 à 1968, avant de changer
radicalement de cap en janvier 1973 quand elle accueille triomphalement
Mobutu et lui décerne un brevet de « révolutionnaire ». Même constat en
Angola : après avoir soutenu en 1961 la lutte armée du Mouvement
populaire pour la libération de l’Angola (MPLA) aux côtés de l’URSS, elle
fait volte-face dès 1966 pour appuyer une nouvelle organisation, rivale de la
précédente, le Front national de libération de l’Angola (FNLA). Une fois
l’indépendance acquise en 1975 une guerre civile se déroule et dure vingt-
cinq ans entre le MPLA, soutenu par l’Union soviétique et Cuba, et l’Union
nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA) soutenue par les
États-Unis, la Chine populaire et l’Afrique du Sud. Confrontés à de tels
retournements d’alliance, les révolutionnaires africains constatent assez
rapidement que, derrière les discours généreux, l’intérêt des populations
africaines n’est pas toujours l’objectif principal des puissances « amies »,
toutes « socialistes » qu’elles puissent se proclamer…
Un « changement de route »
La popularité de la lutte de libération nationale vietnamienne contribue à
décrédibiliser les États-Unis. Le coût social et matériel gigantesque de cette
guerre, le développement du mouvement contre la guerre du Vietnam,
auquel s’ajoute le vaste mouvement de revendication pour les droits
civiques, limitent les possibilités d’intervention militaire directe, en Afrique
comme ailleurs. C’est dans ce contexte que Washington élabore une
nouvelle doctrine.
À partir de 1969, la doctrine Nixon, encore appelée doctrine de Guam, du
nom de l’île sur laquelle le président l’expose pour la première fois en
juillet 1969, pose les lignes directrices d’une nouvelle stratégie : réduction
des engagements militaires états-uniens dans le monde, soutien militaire et
matériel aux « pays amis », soutien aux pays susceptibles d’assurer une
stabilité régionale pro-américaine (Arabie saoudite, Iran, Afrique du Sud,
Israël), intensification de l’aide économique comme outil de présence en
Afrique, rapprochement avec la Chine dans le contexte du conflit
idéologique sino-soviétique. Dans leur travail sur la politique américaine en
Afrique australe, les journalistes Barry Cohen et Howard Schissel résument
bien cette nouvelle orientation de Washington :
La doctrine Nixon appelait à un « désengagement » partiel de l’armée
américaine dans les pays du tiers monde. En corollaire venait le
renforcement du concept d’indépendance à l’intention des régimes clients
pro-américains. On attendait d’eux qu’ils supportent tout le poids de la
répression des futures « révoltes ». La doctrine envisageait toute une
série de « sous-centres », sorte de partenaires juniors, qui serviraient à
maintenir la « stabilité régionale » politique et économique […]. En un
sens, cela devait être la mise en pratique, à l’échelle mondiale, de la
politique de « vietnamisation » que l’ancien ambassadeur du Vietnam,
Ellsworth Bunker, avait décrite comme le « changement de couleur des
cadavres »10.
En renforçant le « concept d’indépendance » pour les régimes amis, tout
en développant un solide système de sous-traitance, la doctrine Nixon
valide définitivement l’orientation néocoloniale de la politique états-
unienne à l’égard des pays du tiers monde.
Si le néocolonialisme émerge et se développe en réponse aux luttes de
libération nationale et aux solidarités qu’elles suscitent, il correspond
également à des mutations économiques en œuvre dans les principales
puissances coloniales. Les années 1960 sont marquées par la montée en
puissance des entreprises multinationales qui, contrairement aux formes
entrepreneuriales antérieures, sont moins dépendantes du colonialisme
direct et du contrôle politique des pays du tiers monde pour agir et
prospérer. C’est ce « changement de route » qu’évoque l’historien et
journaliste anticolonialiste Yves Benot en s’appuyant notamment sur le cas
de l’Algérie :
Bien entendu, s’il y a eu changement de route, c’est à la fois parce qu’il y
a eu cette résistance accrue des peuples dominés que soulèvements et
guerres de libération ont concrétisée, et parce que dans le même temps il
y a eu modification des structures du capitalisme mondial en son centre.
Seule, l’ère des multinationales donne au néocolonialisme l’ampleur et la
puissance nécessaires pour être une forme de domination rentable,
productrice de surprofits. Et la longueur même de certaines guerres, celle
d’Algérie en particulier, qui offre un tel contraste avec l’apparente
rapidité des indépendances octroyées de 1960 que certains seraient tentés
d’y voir une absurdité, a pour principale raison, au-delà des bénéfices
immédiats qu’elles ont assurés, de gagner le temps nécessaire aux
réadaptations financières et économiques impliquées par ce passage11.
Le « changement de route » néocolonial divise les nouveaux États
indépendants et mine la solidarité avec les peuples des pays encore
colonisés du continent. Il révèle un clivage profond portant sur le contenu et
les buts des indépendances.
La Tricontinentale
Si les espoirs fondés dans l’OUA sont rapidement déçus, une autre
organisation semble devoir réjouir les révolutionnaires africains : la
Tricontinentale. Le cadre est plus large (trois continents), mais les objectifs
paraissent plus clairs (abattre le colonialisme et l’impérialisme). La
première proposition d’une conférence anti-impérialiste réunissant les
révolutionnaires d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine date de la
deuxième conférence de solidarité des peuples afro-asiatiques qui se tient à
Conakry en 1961. Les Soviétiques soutiennent l’initiative mais les Chinois
s’y opposent. En raison de la paralysie provoquée par le conflit sino-
soviétique, il faut attendre la quatrième conférence de l’Organisation
permanente de solidarité afro-asiatique (OPSAA), qui se déroule en
mai 1965 à Winneba, au Ghana, pour que la décision soit prise de tenir cette
conférence en janvier 1966 à La Havane. Le leader marocain Mehdi Ben
Barka est nommé président du comité international préparatoire et
l’Égyptien Youssef El Sabai, secrétaire général.
La nouvelle organisation a pour vocation de développer la solidarité
concrète avec les peuples en lutte sur les plans tant politique que financier
et militaire. Les militants anticolonialistes n’ont jamais cessé d’appeler à
cette solidarité concrète qui s’est maintes fois heurtée à la realpolitik des
États nouvellement indépendants, y compris de ceux se proclamant
révolutionnaires. L’appel de Frantz Fanon à la mobilisation d’une légion de
volontaires africains pour aider militairement les combattants algériens n’a
ainsi jamais pu se concrétiser. Des tentatives ont certes été menées, à
l’exemple de celle de Che Guevara au Congo : en avril 1965, le
révolutionnaire cubain met en application les propos qu’il a tenus devant
l’Assemblée générale des Nations unies, en décembre 1964, quelques
semaines après l’agression de ce pays par des troupes belges et états-
uniennes renforcées par des mercenaires rhodésiens et sud-africains : « Tous
les hommes libres du monde doivent se préparer à venger le crime du
Congo17. » Avec une centaine de volontaires cubains, le Che tente
d’organiser le maquis des révolutionnaires congolais. Mais, comme le
révèlent les premiers mots de son Journal du Congo, la solidarité concrète
est un exercice périlleux : « Ceci est l’histoire d’un échec18. »
C’est pour éviter de tels échecs et pour organiser un solide mouvement de
solidarité que se tient, du 3 au 15 janvier 1966, à La Havane la première
Conférence tricontinentale en présence de 600 militants issus de quatre-
vingt-deux pays mais en l’absence de son principal architecte, Mehdi Ben
Barka, enlevé à Paris le 29 octobre 1965 et assassiné. S’il y a toujours des
compromis dans ce type de rencontres, les analyses et les résolutions
adoptées à La Havane sont particulièrement claires : la politique
réactionnaire des États-Unis est décortiquée ; l’apparition d’un
« colonialisme collectif » est mise en exergue ; le rôle des entreprises
multinationales est analysé ; la « suppression de l’exploitation de l’homme
par l’homme » est fixée comme objectif commun ; un appel est lancé aux
peuples pour soutenir les luttes de libération nationale des trois continents
car « notre lutte est commune, notre ennemi est commun ».
Bien que les déclarations ne manquent pas d’emphase, voire de
grandiloquence, la solidarité dont il est question à La Havane ne se limite
pas aux « beaux discours » évoqués par Ben Bella à Addis-Abeba : elle est
concrète. C’est ce dont témoignent par exemple les objectifs fixés au
« Comité tricontinental de solidarité avec le Vietnam » mis sur pied au
cours de la conférence. Il s’agit, est-il expliqué, de « soutenir et [d’]aider le
peuple vietnamien sur les plans moral, politique, matériel et économique en
lui envoyant même des volontaires et des armes de tous les pays, de tous les
continents et de l’ensemble des trois continents19 ». Au-delà du seul cas
vietnamien, la résolution de politique générale soutient clairement la
légitimité de la lutte armée, dans le cadre non seulement du combat contre
le colonialisme direct mais également contre l’« exploitation impérialiste » :
Face à la violence des impérialistes, les peuples des trois continents
doivent répondre par la violence révolutionnaire, tant pour protéger
l’indépendance nationale conquise que pour obtenir la libération des
peuples qui luttent pour secouer le joug de l’exploitation impérialiste
[…]. Les peuples doivent alors recourir aux formes de lutte les plus
énergiques, et, parmi elles, la lutte armée est l’une des formes supérieures
permettant de remporter la victoire finale20.
Comme le soulignera en 1997 la militante égyptienne Didar Fawzi, avec
la Tricontinentale les mouvements de libération nationale passent, en
théorie comme en pratique, « de l’anticolonialisme à l’anti-impérialisme,
signifiant ainsi que la souveraineté juridique ne suffisait pas à se libérer de
la dépendance21 ».
Contre-offensives impérialistes
Si cette transition entre anticolonialisme et anti-impérialisme est
progressive, et se manifeste différemment selon les pays, les leaders et les
mouvements, elle donne globalement l’« air du temps » politique de
l’Afrique dans la première moitié des années 1960. Tout en étant le
prolongement de la phase anticoloniale, la phase anti-impérialiste est
beaucoup plus menaçante pour les puissances qui dominent l’économie
mondiale. La contre-offensive ne tarde pas : contre-insurrections,
interventions militaires, coups d’État et assassinats politiques se multiplient
pour éliminer les gêneurs et mettre au pouvoir ceux que Frantz Fanon
qualifiait de manière prémonitoire, dans Les Damnés de la terre, de
« courroie de transmission » et d’« agents d’affaires de la bourgeoisie
occidentale22 ».
Le modèle militaire d’intervention comprend deux volets. En premier
lieu, un contrat d’allégeance est passé, de façon formelle ou informelle,
entre donneurs d’ordres occidentaux et « agents d’affaires » locaux. En
échange, ces derniers bénéficient de substantiels programmes d’aide et
d’assistance – militaire, policière, financière – leur permettant d’écraser
dans l’œuf toute contestation politique et sociale. Tout au long des années
1960, grâce aux accords secrets de défense que Paris a fait signer au
dictateur camerounais Ahidjo en 1960, les troupes françaises participent à la
guerre contre-révolutionnaire contre l’UPC. En janvier 1964, les
parachutistes britanniques interviennent successivement au Kénya, au
Tanganyika et en Ouganda. En août de la même année ce sont les troupes
françaises qui volent au secours du président du Gabon, Léon Mba, menacé
par un coup d’État. En novembre 1964, c’est au tour des troupes belges et
états-uniennes d’entrer en action au Congo. Ces interventions directes
continuent les années suivantes : Afrique du Sud en Rhodésie de 1966 à
1975, France au Tchad de 1968 à 1971, Portugal en Guinée en 1970, etc.
Le second volet est le recours aux coups d’État et aux assassinats pour les
récalcitrants. Ainsi, pendant que des chefs d’État ou de gouvernement
étaient renversés – Kwame Nkrumah au Ghana en 1966, Modibo Keita au
Mali en 1968, Milton Oboté en Ouganda en 1971 –, d’autres, au pouvoir ou
non, étaient purement et simplement liquidés : Sylvanus Olympio au Togo
en 1963, Mehdi Ben Barka en 1965, Ernest Ouandié au Cameroun en 1971,
Amílcar Cabral en 1973 en Guinée, etc. De quoi, au passage, convaincre les
dirigeants « amis » des grandes puissances, de rester dans le droit chemin…
Bien qu’ils aient souvent été organisés et exécutés par les services secrets
étrangers, ces assassinats et ces coups d’État s’appuient aussi sur les
nouveaux équilibres internes qui se dessinent après les indépendances
africaines. Alors que l’opposition au système colonial avait tendance à
gommer les lignes de clivage internes et à unifier les sociétés africaines, la
libération du joug colonial tend à faire émerger de nouvelles lignes de
fracture entre classes sociales au sein de chaque nation. Une nouvelle
bourgeoisie jusque-là contrainte dans son développement par l’ancien cadre
colonial se trouve dorénavant en porte-à-faux avec les « masses
populaires » et s’oppose aux velléités d’indépendance économique des
leaders progressistes. Postulant au rôle de « chargé d’affaires »
qu’entrevoyait Frantz Fanon, cette bourgeoisie souvent qualifiée de
« compradore » constitue le relais interne idéal des intérêts néocoloniaux
des puissances impériales. Dans cette nouvelle configuration, les
interventions militaires, les coups d’État et autres assassinats ne peuvent
être réduits à de simples ingérences étrangères. Ils s’appuient aussi sur de
nouveaux équilibres internes, au sein desquels des groupes sociaux
cherchent à tirer le meilleur parti des évolutions en cours.
Attaqués directement, les courants révolutionnaires africains sont
également fragilisés par une rupture incomplète, que l’on constate chez
certains de ceux qui s’en réclament, avec les modèles idéologiques
dominants. Ainsi en est-il de la conception de la nation « unitaire » et
négatrice de sa diversité culturelle. Une fois le carcan colonial explosé, des
réaffirmations ethniques, identitaires, culturelles, religieuses se font jour. La
négation et, plus souvent encore, la répression de ces mouvements ne
manquent pas de produire des mécontentements aisément
instrumentalisables par les puissances étrangères lorsque celles-ci y voient
leurs intérêts. L’idée selon laquelle la démocratie serait un « luxe » de pays
riches inapplicable dans de jeunes nations confrontées au fractionnement
ethnique, à la misère sociale et à l’urgence économique est également une
erreur politique largement répandue en Afrique. Pour le plus grand bonheur
des dirigeants qui, se contentant au mieux d’élections factices, se
maintiennent au pouvoir pendant d’interminables décennies…
Dès lors, c’est une conception paternaliste et « autoritaire » de l’État ne
prévoyant que rarement l’implication des peuples aux décisions, qui se
déploie trop souvent, y compris dans les pays qui se proclament
« révolutionnaires ». On le constate en particulier dans le cadre des
politiques de « développement » de l’élaboration desquelles les populations,
au nom desquelles elles sont initiées, sont presque toujours écartées. La
notion de « développement » en elle-même témoigne d’un manque de
distance critique avec les schémas mentaux hérités de la colonisation. Il
n’est certes plus question de « civilisation », mais on parle toujours de
« rattrapage » et de « retard », comme si les Africains devaient toujours
marcher dans les pas de quelque société « supérieure ». Comme le souligne
Gilbert Rist, l’idéologie du « développement » telle qu’elle a été formulée
par les puissances occidentales au cours du XXe siècle fait partie intégrante
des mécanismes de domination, réduisant bien souvent l’être humain et son
environnement à de simples données quantitatives qu’il s’agirait de
« valoriser » dans une quête éperdue à la « croissance » économique.
Nombre de responsables et de militants du tiers monde, et d’Afrique en
particulier, ont fait leur cette obsession du « développement », sans prendre
conscience de la fragilisation des liens sociaux et des écosystèmes
qu’engendre cette folle « croyance occidentale23 ».
Toutes ces réflexions, qui marquent la crise de l’idéal de liberté et de
justice qui avait émergé au cours du processus de décolonisation de
l’Afrique et qu’ont continué à porter Malcolm X, Mehdi Ben Barka et
Amílcar Cabral, tous les trois assassinés, nous incitent à étudier le cas de
Thomas Sankara qui a sans doute représenté le dernier authentique espoir
de « révolution africaine » dans un climat pourtant défavorable marqué par
les profondes mutations du capitalisme dont les années 1970-1980 ont été le
théâtre : crise pétrolière, crise de la dette, triomphe de l’idéologie
néolibérale. Authentique espoir jusqu’à ce qu’il soit, à son tour, assassiné.
Notes du chapitre 10
a. Le groupe s’élargira dans les mois suivants à des pays non
francophones (Nigéria, Libéria, Sierra Léone, etc.), et sera alors connu sous
le nom de « groupe de Monrovia ».
11
Malcolm X
Et tout comme vous voyez les
opprimés partout dans le monde
aujourd’hui se mettre ensemble,
les Noirs en Occident voient aussi
qu’ils sont opprimés. Au lieu de
simplement se décrire comme une
minorité opprimée aux États-
Unis, ils font partie des masses
opprimées partout dans le monde
aujourd’hui qui réclament à
grands cris d’agir contre
l’oppresseur commun.
Malcolm X,
« Discours à l’école d’économie
de Londres »,
11 février 1965.
Il peut paraître étonnant de présenter Malcolm X (1925-1965) dans un
livre consacré aux figures africaines de libération. Les interactions entre le
combat pour l’égalité en Amérique du Nord et la lutte anticoloniale en
Afrique sont si fortes et permanentes que le leader afro-américain a pourtant
toute sa place parmi les figures de la révolution africaine. L’« Afrique »
n’est pas qu’un continent. C’est une communauté de destin qui s’est forgée
en réaction à la violence esclavagiste et coloniale. Ce que Malcolm X
formule de cette manière, dans un mémorandum qu’il envoie en 1963 aux
chefs d’État réunis à Addis-Abeba pour instituer l’OUA :
Puisque vingt-deux millions d’entre nous étaient originellement africains,
que nous sommes désormais en Amérique, pas par choix mais par un
cruel accident de l’histoire, nous croyons fermement que les problèmes
africains sont nos problèmes et que nos problèmes sont des problèmes
africains1.
Figure majeure de la lutte des descendants d’esclaves en Amérique,
source d’inspiration pour nombre de militants en Afrique, modèle pour de
nombreux « Afro-descendants » en Europe, Malcolm X est, avec Martin
Luther King et Angela Davis, un des Afro-Américains les plus célèbres du
XXe siècle. Fruit de la circulation transatlantique des idées qui n’a cessé de
s’intensifier au cours du dernier siècle, sa trajectoire personnelle,
intellectuelle et politique révèle une évolution caractéristique : de la
tentation assimilationniste au nationalisme noir, de celui-ci à
l’anticolonialisme, de ce dernier à l’anti-impérialisme et à
l’internationalisme.
Le « commis-voyageur de la révolution »
Pour des raisons de sécurité, Ben Barka s’exile une première fois à Paris
de janvier 1960 à mai 1962. À l’issue de cet exil, c’est un Ben Barka plus
déterminé que jamais qui rentre au pays pour participer au deuxième
congrès de l’UNFP. Il est accueilli par une foule enthousiaste de plusieurs
dizaines de milliers de personnes. Quelques jours avant le congrès, le
20 mai 1962, il exprime avec force son engagement internationaliste,
engagement qui s’est affermi du fait des nombreuses rencontres qu’il a
faites pendant son séjour à l’étranger : « Notre mouvement constitue une
partie d’une lutte mondiale qui va de la Chine à Cuba27. »
Populaire et radical, Ben Barka est plus que jamais la bête noire du
Palais. Le 15 novembre 1962, il échappe à un attentat. Quelques mois plus
tard, en juin 1963, au prétexte d’un soi-disant « complot » contre le roi, de
nombreux militants de l’UNFP sont arrêtés. Le 16 juillet, c’est au tour des
membres du Conseil national de l’UNFP d’être emprisonnés. Ben Barka,
alors en visite en Égypte, décide de ne pas rentrer au Maroc. Lors du procès
du « complot de juillet », il est condamné à mort par contumace avec onze
autres dirigeants et militants de son parti.
Entre 1960 et 1965, Ben Barka devient une personnalité d’envergure
internationale. Il profite de son exil pour tirer le bilan de son expérience
politique et consacre une grande énergie à décortiquer cette nouvelle phase
de la domination que constitue le néocolonialisme. Pour Ben Barka, ce
dernier n’est pas qu’un phénomène politique mais doit se comprendre dans
le cadre des mutations du capitalisme occidental :
Cette orientation [néocoloniale] n’est pas un simple choix dans le
domaine de la politique extérieure ; elle est l’expression d’un
changement profond dans les structures du capitalisme occidental. Du
moment qu’après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe occidentale, par
l’aide Marshall et une interpénétration de plus en plus grande avec
l’économie américaine, s’est eloignée de la structure du XIXe siècle, pour
s’adapter au capitalisme américain, il était normal qu’elle adopte
également les relations des États-Unis avec le monde ; en un mot qu’elle
ait aussi son « Amérique latine »28.
Les concepts sont empruntés à l’analyse marxiste, l’échelle de la
réflexion est mondiale et la base de la résistance est tricontinentale. C’est en
comprenant que l’indépendance réelle est impossible sans élargissement à
l’échelon international de la solidarité des dominés que Ben Barka prend
toute la mesure de l’importance de construire un front tricontinental.
Cette solidarité doit se matérialiser d’abord à l’échelle continentale. Ben
Barka s’engage avec passion pour clarifier le débat sur l’unité africaine. À
la veille de la conférence d’Addis-Abeba, prévue pour le mois de mai 1963,
alors que Nkrumah s’apprête à défendre une unité immédiate et totale du
continent et que d’autres chefs d’État, comme Senghor, soutiennent à
l’inverse une union formelle sans contenu concret, Ben Barka projette de
publier une revue théorique et politique africaine dont le premier numéro
serait consacré à démontrer, « premièrement, que l’union politique est
actuellement impossible à cause des séquelles du colonialisme traditionnel ;
deuxièmement, que l’union est possible et essentielle dans le domaine
économique par rapport à l’aide étrangère et au commerce29 ». Il se
démarque autant de l’idéalisme du leader ghanéen que du « réalisme » aux
allures de sabotage que défendent les régimes néocoloniaux.
Être internationaliste, selon Ben Barka, c’est aussi refuser
l’instrumentalisation du nationalisme à des fins impérialistes. Il dénonce les
revendications territoriales du Maroc et l’agression militaire déclenchée par
Mohammed V contre la toute jeune république algérienne en octobre 1963.
Pour lui, cette « guerre des sables » s’inscrit dans la stratégie globale de
l’impérialisme. Le régime algérien est, en effet, dans ces premières années
de l’indépendance, un soutien à l’ensemble des mouvements de libération,
du Cap-Vert à l’Afrique du Sud, du Congo à l’Angola. Alger est devenue,
selon l’expression d’Amílcar Cabral, « La Mecque des révolutionnaires ».
Outre Cabral lui-même, on y croise Che Guevara, Ben Barka, Nelson
Mandela, Samora Machel, Malcolm X et bien d’autres. Alger est également
le lieu de l’organisation d’une aide concrète aux militants révolutionnaires
africains. Le 16 octobre 1963, il appelle à dénoncer l’agression marocaine
qu’il considère être une « traîtrise […] contre le Mouvement mondial de
libération » :
Il est de mon devoir comme porte-parole de l’UNFP et interprète des
aspirations des masses marocaines de proclamer ici que jamais le peuple
marocain n’acceptera d’entrer en conflit armé avec son frère le peuple
algérien. […] Cet impérialisme n’accepte pas qu’échoue en Algérie son
plan qui, ailleurs, lui a permis de dénaturer le pouvoir dans les pays
nouvellement indépendants, en installant dans ces pays, derrière un
paravent de soi-disant gouvernement national, l’instrument docile pour le
maintien de la domination économique, militaire, technique et culturelle.
C’est là, d’ailleurs, l’essence même du néocolonialisme30.
Le passage de l’anticolonialisme à l’anti-impérialisme est désormais
achevé dans la pensée politique de Ben Barka. On le voit à la deuxième
Conférence des peuples africains, qui se tient à Tunis en janvier 1960,
appeler à l’élargissement de la solidarité « à tous les mouvements de
libération dans le monde, en particulier aux mouvements authentiquement
progressistes en Occident31 ». Le rapport qu’il présente à cette conférence,
intitulé « Caractéristiques des mouvements de libération en Afrique », est
particulièrement remarqué « car c’est sans doute la première fois qu’un
leader du tiers monde présente un exposé doctrinal aussi systématique et
lucide sur les voies et les moyens d’une lutte réelle contre le sous-
développement32 ».
Ben Barka fait si forte impression à Tunis qu’il est élu, quelques mois
plus tard, à la deuxième Conférence de solidarité des peuples afro-
asiatiques, qui se tient à Conakry en avril 1960, membre du comité
directeur de l’Organisation de solidarité avec les peuples d’Asie et
d’Afrique (OSPAA) créée en 1957. L’élargissement de l’OSPAA à
l’Amérique latine est une décision de la réunion, à Gaza, de son comité
exécutif de décembre 1961. Pendant plusieurs années, cette décision était
« restée sous le boisseau à cause du conflit sino-soviétique », expliquera
Ben Barka en 196533. C’est de nouveau son habileté tactique et son
insistance sur la solidarité concrète qui permet au leader marocain de
neutraliser les effets paralysants du conflit sino-soviétique sur les luttes
anti-impérialistes au cours du cinquième Congrès de l’OSPAA qui se tient à
Accra en mai 1965. Il relate lui-même les débats et les décisions de ce
congrès de la manière suivante :
Nous craignions que ce congrès ne fût une autre occasion de voir
prédominer le conflit sino-soviétique. […] Nous avons réussi à renverser
l’orientation du Congrès depuis le premier jour et à empêcher
l’affrontement dont le mouvement révolutionnaire de libération ne
pourrait tirer aucun bénéfice et ce, en constituant un bloc composé de
mouvements de libération homogènes (Algérie, Guinée, Ghana, Mali,
Tanzanie, République arabe unie, Maroc, Vietnam). […] Nous avons
réussi à faire que le Congrès concentre son attention sur les problèmes de
l’heure : la lutte des peuples contre le colonialisme. […] Au-delà des
résolutions politiques qui vous sont parvenues à travers la délégation du
Front, je voudrais enregistrer que le résultat le plus important est
l’annonce de la réunion du Congrès de la Tricontinentale à La Havane en
janvier 196634.
Le rôle unanimement reconnu de Ben Barka dans la décision d’élargir
l’OSPAA à l’Amérique latine en constituant une Tricontinentale, lui vaut
d’être élu président du comité préparatoire. À ce titre, il multiple les
déplacements pour éviter les revirements et consolider les acquis de la
conférence d’Accra. On le retrouve en juillet à Pékin et à Moscou, en
septembre au Caire, en octobre à La Havane, à Conakry et à Beyrouth, etc.
Il est devenu, selon l’expression de Jean Lacouture, le « commis voyageur
de la révolution35 ».
Et, pour Ben Barka, cette révolution est bien internationale. En
septembre 1965, le comité préparatoire se réunit au Caire pour préciser les
objectifs de la Tricontinentale. Les propositions du leader marocain sont
adoptées : « aide aux mouvements de libération nationale – notamment au
mouvement palestinien ; intensification des luttes, y compris armées, sur les
trois continents ; soutien à Cuba ; liquidation des bases militaires
étrangères ; opposition aux armes nucléaires, à l’apartheid et à la
ségrégation raciale ». La finalité est la « libération totale », rappelle René
Galissot avant de souligner que « c’est dans cet élan révolutionnaire de la
Tricontinentale que se trouve la cause profonde de l’enlèvement et de
l’assassinat de Ben Barka36 ».
Villes et campagnes
Cohérent avec cette aspiration, le retour de Cabral en Afrique est un
choix politique autant qu’un choix de vie. Il renonce à un poste de
chercheur à la station agronomique de Lisbonne pour un emploi d’ingénieur
de deuxième classe en Guinée. Il théorisera plus tard ce renoncement
personnel aux avantages matériels dans l’une de ses thèses les plus célèbres,
celle du « suicide de classe » de la petite bourgeoisie.
En attendant, son expérience au sein des services de l’exploitation
agricole et forestière, où il est chargé du recensement agricole, lui permet de
sillonner la Guinée, pendant deux ans, et d’observer le fonctionnement
sociopolitique des populations locales. Grâce à ce travail d’observation et à
l’abondante documentation à laquelle il a accès, Cabral peut étudier les
positions des différentes composantes de la société guinéenne à l’égard des
forces coloniales. Ces matériaux s’ajoutent à ceux recueillis sur le Cap-Vert
au cours d’un travail de recherche effectué pendant ses études d’agronomie.
Au sortir du recensement, il est profondément imprégné de la réalité et de la
diversité du pays et de ses habitants. Ces observations lui permettront plus
tard de proposer une analyse subtile des sociétés guinéenne et cap-
verdienne et d’élaborer une stratégie de lutte adaptée à la réalité concrète.
Les préoccupations de Cabral sont en effet concrètes : il est rentré au
pays pour organiser un mouvement nationaliste. Dès 1954, il tente de créer
une association sociale, culturelle et sportive à Bissau, capitale de la Guinée
portugaise. L’administration coloniale ne s’y trompe pas : elle rejette la
demande de création de l’association et oblige Cabral à quitter le territoire
guinéen (où il n’est autorisé à revenir qu’une fois par an). Il est de nouveau
contraint à l’exil à Lisbonne. Pendant les quatre années qui suivent, de 1954
à 1958, il travaille pour plusieurs compagnies agricoles, ce qui lui permet
de faire de longues missions en Angola et d’en profiter pour renouer avec
ses connaissances angolaises. « Il n’y a […] pas de preuve qu’Amílcar
Cabral ait participé à la fondation du MPLA en Angola, précise un de ses
biographes, Patrick Chabal, mais disons qu’il était en Angola, en contact
avec les nationalistes angolais, à l’époque où le MPLA est censé avoir été
fondé6. »
Hors de Guinée, Cabral ne peut pas participer, en 1955, à la création de la
première organisation nationaliste guinéenne, le Mouvement pour
l’indépendance nationale de la Guinée (MING). Initiée par Rafael Barbosa,
l’expérience du MING, rapidement dissous, est éphémère. Lors de son
séjour annuel en Guinée, en septembre 1956, Cabral est en revanche à
l’initiative, avec cinq autres militants, de la création du Parti africain pour
l’indépendance de la Guinée et des îles du Cap-Vert (PAIGC) dont il est
désigné secrétaire général. De façon particulièrement originale pour
l’époque, la nouvelle organisation inclut d’emblée à la fois le Cap-Vert et la
Guinée dans sa lutte, produisant ainsi une situation de combat binational
unique en Afrique. De façon nettement moins innovante en revanche, le
nouveau parti concentre son action sur les villes, à la recherche de ce
« prolétariat » voué, selon l’orthodoxie marxiste, à diriger la lutte. Mais,
dans un pays où la classe ouvrière est quasi inexistante, cette approche
dogmatique ne peut mener qu’à une impasse. L’historien britannique Basil
Davidson précise ainsi dans son livre – publié à Londres en 1969, traduit en
français la même année et préfacé par Cabral lui-même – que le PAIGC ne
comptait, trois ans après sa création, qu’« une cinquantaine de membres
actifs, mais presque tous à Bissau. Peu d’entre eux devaient avoir des liens
étroits avec les villages7 ».
Il faut attendre un événement tragique pour que la stratégie évolue.
Initiée par le PAIGC, une manifestation des travailleurs du port de Bissau se
solde, le 3 août 1959, par un massacre sur les docks de Pidjiguiti. Cinquante
dockers sont tués par les forces de l’ordre portugaises, et on dénombre plus
de cent blessés. Ce drame constitue, selon Jean Ziegler, « un tournant de la
réflexion et de la stratégie des nationalistes révolutionnaires8 ». La
conférence du parti qui se tient un mois plus tard pour tirer le bilan de la
situation décide d’un changement radical d’orientation : le passage à la lutte
armée et l’implantation dans les milieux ruraux. La méfiance à l’égard du
dogmatisme et la nécessité d’un effort théorique ancré dans les réalités
concrètes sont les deux leçons que tire le secrétaire général du massacre de
Pidjiguiti.
Expériences locales…
Cabral reconnaît que la lecture de Lénine a contribué à la formation de sa
pensée politique (Ben Barka le surnommait d’ailleurs le « Lénine
africain »). Il retient en particulier du révolutionnaire russe la nécessité
d’une « analyse concrète de chaque situation concrète9 ». Cette formule
qu’il reprend à son compte s’adapte entièrement au travail auquel se livre
Cabral après 1959. Intervenant au Caire en mars 1961 à la troisième
Conférence des peuples africains, et tirant à cette occasion le bilan des
indépendances acquises au cours de l’année précédente, il s’interroge sur la
victoire du néocolonialisme dans plusieurs pays africains. Cet échec des
mouvements progressistes est moins le signe d’une « crise de croissance »
que d’une « crise de la connaissance », relève-t-il : trop de mouvements de
libération sont coupés « de la réalité concrète » dans laquelle ils évoluent et
négligent les « expériences locales » des populations qu’ils défendent10.
Ayant décidé d’implanter les forces nationalistes dans les campagnes
après le massacre de 1959, Cabral met immédiatement en œuvre cet effort
de « connaissance ». Il se replonge dans la masse de données recueillie au
cours de ses études et à l’occasion du recensement. Quelque temps plus
tard, il exposera les résultats de son travail dans le cadre d’un séminaire
organisé par le Centre Frantz Fanon de Milan11. À la différence de
nombreux leaders africains qui se contentent de concepts larges comme
« peuple » ou « masse laborieuse », souligne l’universitaire états-unien
Ronald Chilcote12, Cabral se penche sur « les divisions et les
contradictions » pour comprendre concrètement ce « peuple » et ces
« masses ». Prenant en compte les structures sociales des différents groupes
ethniques qui cohabitent en Guinée rurale, mais aussi les contradictions
d’intérêts qui les caractérisent, Cabral élabore une analyse fine du rapport
de chacune des composantes (ethnique et sociale) au pouvoir colonial. Pour
la Guinée urbaine, Cabral distingue les fonctionnaires, les salariés et les
« déclassés ». Concernant les salariés, l’auteur précise qu’il prend « soin de
ne pas les appeler prolétariat ou classe ouvrière ». Surtout, il mentionne une
catégorie de « sans-classe » comptant de nombreux jeunes venant des
campagnes et ayant gardé des liens avec elles. Une analyse spécifique aussi
détaillée est faite pour les îles du Cap-Vert13.
L’analyse concrète de la situation concrète « a servi de base à notre lutte
de libération », précise Cabral en introduction de son intervention de
Milan14. Effectivement, la lutte armée déclenchée en 1963 a été précédée
par quatre ans de préparation politique avec des militants, formés par
Cabral lui-même, et des « sans-classe », qui ont aidé à la prise de contacts
dans les campagnes. Ainsi, les premières bases ont été créées chez les
Balante, qui apparaissent dans l’analyse sociale de Cabral comme le groupe
le plus opposé au pouvoir colonial, pendant qu’un long travail de
persuasion a été mené en direction des paysans des autres groupes décrits
par Cabral comme les groupes sociaux le plus exploités.
Si Cabral met toujours la théorie au service de la pratique, il dispose pour
cela d’un meilleur recul sur les évolutions historiques en cours sur le
continent africain. La décolonisation portugaise étant en retard sur les autres
(voir chapitre 2), Cabral et ses camarades peuvent étudier les expériences,
négatives ou positives, des premières indépendances et bénéficient de
l’apport théorique et politique de ceux qui les ont précédés sur le chemin de
la libération. Comme le souligne l’historien Achille Mbembe, Cabral a en
particulier pris la mesure de l’importance des réflexions de Frantz Fanon :
Sans [ces] réflexions sur la nature de la paysannerie, le pouvoir des
« masses » ou le potentiel révolutionnaire des classes lumpen, l’œuvre
d’Amílcar Cabral n’aurait sans doute pas pris la forme qu’elle finira par
prendre. Les trajectoires de la lutte armée contre le colonialisme
portugais en Guinée Bissau, en Angola, au Zimbabwé et au Mozambique
non plus15.
Mais la revendication d’un héritage ne signifie pas pour Cabral un
mimétisme dogmatique. En témoigne le désaccord qui se fait jour entre
Fanon, conseiller du GPRA, et les responsables nationalistes des colonies
portugaises à propos de l’opportunité de déclencher la lutte armée.
Rencontrant le psychiatre martiniquais au deuxième Congrès des écrivains
et des artistes noirs, à Rome en 1959, Mario de Andrade rappelle la position
de Fanon sur ce sujet : « Fanon était un immédiatiste, il ne faisait pas de
quartiers, lui, à l’impérialisme. Il fallait ouvrir un front, immédiatement, en
Angola et au Mozambique simultanément16. » Alors que Fanon propose une
préparation militaire pour les militants des colonies portugaises, Cabral, en
pleine réorientation stratégique depuis le massacre de Pidjiguiti, défend
l’idée d’un long et patient travail politique auprès de la paysannerie comme
étape préalable au déclenchement de la lutte armée. De fait, cette dernière
n’est déclenchée qu’en 1963.
Ce travail gigantesque de « conscientisation » des paysans et de
formation des militants ne s’est pas fait sans erreurs ni problèmes. Le
premier congrès du PAIGC en 1964 à Cassaca, en « zone libérée », est en
grande partie consacré à ces écueils. La première année de guérilla a en
effet mis en évidence des tendances au militarisme et à l’ethnisme. Alors
que l’armée portugaise, qui espère encore pouvoir vaincre militairement la
résistance, met une pression permanente sur les partisans, certains
combattants dérapent. « Des commandants d’unités de la guérilla d’origine
balante avaient lâché des porcs dans les mosquées des villages fula », note
par exemple Jean Ziegler17. Cabral se prononce pour que ces actes soient
sanctionnés. Pour lui, la lutte est d’abord politique avant d’être militaire. Ce
qu’il résume en une formule qu’il ne cessera de répéter : « Nous sommes
des militants armés et non pas des militaires18. »
Un militaire insoumis
Interrogé en 1985 par le journaliste Jean-Philippe Rapp sur les dirigeants
africains, Sankara distingue ceux qui ont « une disponibilité mentale de
condescendance » et ceux qui ont été amenés à « baigner au milieu du
peuple »3. Il résume cette approche en février 1986 : « Karl Marx le disait,
on ne pense ni aux mêmes choses ni de la même façon selon que l’on vit
dans une chaumière ou dans un palais4. »
Né en décembre 1949 d’un père tirailleur, le jeune Thomas échappe à la
pauvreté des « indigènes » de l’époque coloniale. Les affectations
successives de son père, devenu infirmier-gendarme auxiliaire, dans
plusieurs régions du pays, font cependant de lui un témoin de cette misère
et des humiliations qui l’accompagnent5. Il racontera plus tard, par exemple,
avoir vu des pères envoyés en prison parce que leur fils avait osé emprunter
une bicyclette, véhicule réservé aux enfants des colons, ou parce que leur
fille avait eu l’audace de cueillir des fruits, ce qui était interdit aux enfants
africains. « Il y a des événements, des occasions qui constituent une
rencontre, un rendez-vous avec le peuple, commentera-t-il en guise
d’autoanalyse. Il faut les rechercher très loin dans le passé, dans le
background de chacun. On ne décide pas de devenir un chef d’État, on
décide d’en finir avec telle ou telle forme de brimades, de vexations, tel
type d’exploitation, de domination. C’est tout6. »
L’enfance de Thomas Sankara est également très pieuse. Il reçoit une
éducation catholique par son père qui, converti au christianisme, enseigne la
catéchèse. Enfant de chœur assidu, le jeune homme est bientôt repéré par
les missionnaires. Il fait partie des « Cœurs vaillants », un mouvement
chrétien d’éducation populaire français s’adressant aux enfants de six à
quinze ans. Il en hérite un respect pour la foi et pour les croyants qui ne le
quittera jamais. Interrogé en 1986 sur les livres qu’il emporterait sur une île
déserte, il répondra : L’État et la Révolution de Lénine, la Bible et le Coran.
« Je considère que ces trois ouvrages constituent les trois courants de
pensée les plus forts dans le monde où nous sommes, sauf en Asie peut-
être », justifiera-t-il7.
L’enfance et l’adolescence de Sankara se déroulent donc sous le double
signe de la caserne et de la mission. Ses projets professionnels en sont
logiquement imprégnés. Après une scolarité primaire studieuse, il hésite
entre le séminaire et le lycée. Il décide finalement d’intégrer le Prytanée
militaire du Kadiogo (PMK), dans la banlieue de Ouagadougou, où il entre
en 1966, quelques mois après le renversement du premier président
voltaïque, Maurice Yaméogo, au pouvoir depuis l’indépendance de 1960, et
l’installation d’un régime militaire autoritaire à la tête du pays.
C’est à partir de cette époque que Thomas Sankara s’initie au marxisme
et découvre l’anti-impérialisme. Le jeune homme, qui n’a alors que dix-sept
ans, rencontre en effet un personnage étonnant : Adama Abdoulaye Touré8.
Directeur des études au PMK, ce dernier milite en parallèle au sein de la
section voltaïque du Parti africain de l’indépendance (PAI), formation qui
se revendique du socialisme et se définit comme marxiste-léniniste. Comme
le raconte le biographe de Sankara, Bruno Jaffré, Adama Touré anime un
cercle anti-impérialiste clandestin que fréquentent assidûment le futur
président du Burkina Faso et ses camarades :
Adama Touré leur parle du néocolonialisme qui oppresse leur pays, des
mouvements de libération ailleurs en Afrique et dans le monde, des
révolutions chinoise et soviétique, de l’impérialisme qu’il faut anéantir,
du peuple en marche vers sa libération, le socialisme puis le
communisme9.
L’attachement de Sankara à la formation politique date de cette période.
Il ne cessera plus d’appeler les soldats et les officiers à lire et à se former.
« Sans formation politique patriotique, prend-il coutume de dire, un
militaire n’est qu’un criminel en puissance10. »
Ayant obtenu son bac en 1969, Sankara entame une formation de quatre
ans d’officier à l’Académie militaire d’Antsirabé à Madagascar. Sur la
« Grande Île », il est le témoin de la révolution de mai 1972 qui renverse le
régime néocolonial de Philibert Tsiranana. L’action conjuguée de jeunes
militaires et de militants syndicaux et politiques conduit à la chute du
régime malgache, pourtant soutenu à bout de bras par Paris. Thomas
Sankara restera fortement marqué par ce mouvement que les Malgaches
appellent, de manière significative, la « deuxième indépendance ».
De retour au pays avec le grade de sous-lieutenant, fin 1973, Sankara est
affecté à la formation des jeunes recrues. Il s’y fait remarquer par sa
conception de la formation militaire dans laquelle il inclut un enseignement
sur les droits et les devoirs du citoyen. Invité par ses supérieurs, le 22 août
1974, à donner une conférence sur le rôle des forces armées dans le
« développement », il fustige – au grand dam de sa hiérarchie – l’« armée
budgétivore » et l’« oisiveté des soldats »11. Ou comment être à la fois
militaire et insoumis…
Quelques mois plus tard, en décembre 1974, Sankara participe à la guerre
qui oppose le Mali et la Haute-Volta à propos de la zone frontalière dite
« Bande d’Agacher ». La percée militaire qu’il réalise avec ses soldats lui
donne une renommée immédiate auprès des soldats mais aussi plus
largement auprès du peuple. « Sankara entre dans la légende nationale
comme héros », souligne un de ses préfaciers David Gakunzi12. Les faits
d’armes lors de cette guerre ouvrent à Sankara les portes de la promotion
militaire. En 1976, il est nommé à la direction du nouveau Centre national
d’entraînement commando (CNEC) à Pô, à 150 km au sud de
Ouagadougou, et se voit proposer en 1978 des stages de spécialisation dans
les écoles de parachutisme de Rabah au Maroc et de Pau en France.
Près de vingt ans après l’indépendance, la Haute-Volta reste marquée par
le marasme économique, les disettes et famines régulières, une dépendance
totale vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale. La révolte gronde et
Sankara partage ce sentiment de colère. Il profite de son séjour en France
pour prendre contact avec les différentes tendances de la gauche africaine.
6. Achille MBEMBE, Sortir de la grande nuit : Essai sur l’Afrique décolonisée, La Découverte,
Paris, 2010, p. 127.
7. Maria-Benedita BASTO et Jim COHEN, « Quelles possibilités pour les
études postcoloniales en France », in Christine EYENE (dir.), Diaspora : identité
plurielle, L’Harmattan, Paris, 2008, p. 78.
8. David MACEY, Frantz Fanon. Une vie, La Découverte, Paris, 2013, p. 49.
9. Robert J. C. YOUNG, Postcolonialism. An historical introduction, Blackwell, Oxford,
2001, p. 169.
10. Frantz FANON, Pour la révolution africaine, Maspero, Paris, 1964. Les œuvres de
Frantz Fanon ont été publiées en un volume : Frantz FANON, Œuvres, La
Découverte, Paris, 2011.
Notes du chapitre 1
1. Mohamed Chérif SAHLI, Décoloniser l’histoire. Introduction à l’histoire du Maghreb, Maspero,
Paris, 1965, p. 135.
2. Voir sur cet aspect Kabolo Iko KABWITA, Le Royaume Kongo et la mission catholique, 1750-
1838. Du déclin à l’extinction, Karthala, Paris, 2004. Ce livre est élaboré, entre autres, à
20. Frantz FANON, Les Damnés de la terre, in Œuvres, op. cit, p. 477.
21. Mostefa LACHERAF, L’Algérie, nation et société, S.N.E.D, Alger, 1978, p. 12.
22. Fidèle-Pierre NZÉ-NGUEMA, L’État au Gabon de 1929 à 1990, L’Harmattan, Paris,
1998, p. 44.
23. Amadou Hampâté BÂ, Amkoullel, l’enfant peul. Mémoires, Actes Sud, Paris, 1991,
p. 184.
24. Hamid AÏT AMARA, L’Agriculture africaine en crise dans ses rapports à l’État colonial,
L’Harmattan, Paris, p. 73.
25. Georges MAZENOT, Sur le passé de l’Afrique noire, L’Harmattan, Paris, 1996, p.
358.
26. Charles-Robert AGERON, « Fiscalité française et contribuables
musulmans dans le Constantinois », Revue d’histoire et de civilisation du Maghreb, nº 9,
juillet 1970, p. 93.
27. Amadou Hampâté BÂ, Oui, mon commandant ! Mémoires (II), Actes Sud, Paris,
1994, p. 86.
28. Abdeljalil AKARI et Pierre DASEN, Pédagogies et pédagogues du Sud, L’Harmattan,
Paris, 2004, p. 187.
29. Katrin LANGEWIESCHE, Mobilité religieuse : changements religieux au Burkina Faso, LTD,
Munster, 2003, p. 142.
30. Jean-Louis TRIAUD, « Un cas de passage collectif à l’islam en Basse
Côte-d’Ivoire : le village d’Ahua au début du siècle », Cahiers d’études africaines,
vol. 14, nº 54, 1974, p. 335.
31. Jean-Gabriel FOKOUO, Donner et transmettre. La discussion sur le don et la constitution des traditions
religieuses et culturelles africaines, LIT, Munster, 2006, p. 224.
XIII et XIV.
12. The Atlantic Charter, 14 août 1941 (consultable en fac-similé, dans la version
états-unienne, sur <www.merchantnavyofficers.com>).
13. Jean SURET-CANALE et Albert ADU BOAHEN, « L’Afrique
occidentale », in Histoire générale de l’Afrique. Tome 8, op. cit., p. 183.
14. COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, Charte des Nations unies, statut et règlement de la cour et
autres textes, Nations unies, Genève, 2007, p. 36.
15. René-Pierre ANOUMA, Aux origines de la nation ivoirienne 1890-1946. Tome 2 : Corset
colonial et prise de conscience, L’Harmattan, Paris, 2006.
16. Cité in Cécile LARONCE, Nkrumah, le panafricanisme et les États-Unis, Karthala, Paris,
2000, p. 81.
17. Marguerite GUYON DE CHEMILLY, Asie du Sud-Est. La décolonisation britannique et française :
étude comparative, L’Harmattan, Paris, 2010, p. 50.
29. Cité in Serge BERSTEIN, La Décolonisation et ses problèmes, Armand Colin, Paris,
1969, p. 33.
30. Serge TØNNESSON, 1946, déclenchement de la guerre d’Indochine, les vêpres tonkinoises du 19 décembre,
L’Harmattan, Paris, 1987.
31. Yves BENOT, Massacres coloniaux, op. cit.
32. Christine MESSIANT, 1961 : L’Angola colonial, histoire et société. Les prémisses du mouvement
nationaliste, P. Schlettwein Publishing, Bâle, 2006, p. 199.
33. Pierre POIRIER, La Force internationale d’urgence, LGDJ, Paris, 1962, p. 140.
34. René PELISSIER, « La Guinée espagnole », Revue française de sciences politiques, vol.
13, nº 13, 1963, p. 633.
35. Jean-Marie DOMONT, « Élite noire, Office de publicite, Bruxelles,
1953 », cité in Tony BUSSELEN, Une histoire populaire du Congo, Aden, Bruxelles, 2010,
p. 43-44.
Notes du chapitre 3
1. John LONSDALE, « Les procès de Jomo Kenyatta. Destruction et
construction d’un nationaliste africain », Politix, vol. 17, nº 66, Paris, 2004, p.
165.
2. Robert et Marianne CORNEVIN, Histoire de l’Afrique, Payot, Paris, 1964, p. 367-
370.
3. Fenner BROCKWAY, « Crise sociale au Kénya », La Tribune des peuples, nº 1,
mars-avril 1953, p. 105.
4. Jomo KENYATTA, Au pied du mont Kénya, Maspero, Paris, 1960, p. 25-26.
5. Ann BECK, « Some observations on Jomo Kenyatta in Britain, 1929-
1930 », Cahiers d’études africaines, vol. 6, nº 22, 1966, p. 310 (traduit par nos soins).
6. Robert BUIJTENHUIJS, Le Mouvement « Mau Mau ». Une révolte paysanne et anticoloniale en Afrique
noire, Mouton, Paris, 1971, p. 123.
7. John SPENCER, The Kenya Africa Union, KPI Limited, Londres, p. 42-43.
8. Cyril Lionel Robert JAMES, Les Jacobins noirs, Éditions caribéennes, Paris,
1984 [rééd.], p. 341.
9. Marc-Antoine PÉROUSE DE MONTCLOS, « Étranger dans son propre
pays : l’expérience kényane », in Catherine COQUERY-VIDROVITCH, Être étranger et
migrant en Afrique au XXe siècle : enjeux identitaires et modes d’insertion, tome 1, L’Harmattan, Paris,
2003, p. 102.
10. John LONSDALE, « La pensée politique kikuyu et les idéologies du
mouvement Mau Mau », Cahiers d’études africaines, vol. 27, nº 107-108, 1987, p. 344.
11. Ibid., p. 346.
12. Annie LENOBLE-BART et Brice RAMBAUD, « Traditions libérales des
médias au Kénya », Politique africaine, nº 97, mars 2005, p. 83.
13. Ann BECK, loc. cit., p. 308-329.
14. Cité in Jonathan DERRICK, Africa’s Agitators. Militant-Anticolonialism in Africa and the West, 1918-
1939, Columbia University Press, New York, 2008, p. 206 (traduit par nos
soins).
15. Tony MARTIN, Marcus Garvey, Hero. A First Biography, Majority Press, Dover, Mass.,
1983, p. 125.
16. Leland CONLEY BARROWS, « Kenyatta, Jomo », in Francis ABIOLA
IRELE et Biodun JEYIFO (dir.), The Oxford Encyclopedia of Africa Thought, Oxford University
Press, New York, 2010, p. 32.
17. Nancy CUNARD, Negro. An Anthology, The Continuum Publishing Group, New
York, 2002 [rééd.], p. 452 (traduit par nos soins).
18. Yvan DROZ, « Circoncision féminine et masculine en pays kikuyu.
Rite d’institution, division sociale et droits de l’homme », Cahiers d’études africaines,
nº 158, 2000, p. 218.
19. Compte rendu d’interview, cité in Anne BECK, loc. cit., p. 321 (traduit par
nos soins).
20. L’Ouvrier nègre, juin 1934, cité in Philippe DEWITTE, Les Mouvements nègres…, op. cit., p.
313.
21. Cité in George PADMORE, op. cit., p. 178.
22. Robert BUIJTENHUIJS, op. cit., p. 142.
23. Peter ANYANG’ NYONG’O, « Succession et héritage politiques. Le
Président, l’État et le Capital après la mort de Jomo Kenyatta », Politique africaine,
nº 3, septembre 1981, p. 11.
24. Georges BALANDIER, « Préface », in Jomo KENYATTA, op. cit., p. 15.
25. Douglas ROGERS, « Panique au Kénya », La Tribune des peuples, nº 2, mai-juin
1953, p. 102.
26. John LONSDALE, « Les procès de Jomo Kenyatta », loc. cit., p. 195-196.
27. Gene DAUCH et Denis MARTIN, L’Héritage de Kenyatta. La transition politique au Kénya, 1975-
1982, L’Harmattan, Paris, 1985, p. 14.
38. Thierry MICHALON, Quel État pour l’Afrique ?, L’Harmattan, Paris, 1984, p. 72.
39. Paulin HOUNTONJI, Sur la « Philosophie africaine ». Critique de l’ethnophilosophie, Maspero,
Paris, 1976, p. 214.
40. Jomo KENYATTA, « Talk about the trade unionism », 2 juillet 1965, in
Suffering Without Bitterness. The Founding of the Kenya Nation, East African Publishing House,
6. Cité in Edmund David CRONON, Black Moses. The Story of Marcus Garvey and the Universal Negro
Improvement Association, University of Wisconsin Press, Madison, 1969, p. 4.
21. Jean BERNABÉ, Patrick CHAMOISEAU, Raphaël CONFIANT, op. cit., p. 18.
22. Aimé CÉSAIRE, « Le long cri d’Aimé Césaire », Interview au Nouvel
Observateur, 17 février 1994 (disponible sur <http://bibliobs.nouvelobs.com>).
26. André BRETON, « Préface », in Aimé CÉSAIRE, Cahier d’un retour…, op. cit., p.
78-79.
27. Aimé CÉSAIRE, Les Armes miraculeuses, Flammarion, Paris, 1970 [rééd.].
28. Aimé CÉSAIRE, Et les chiens se taisaient, Présence africaine, Paris, 1956, p. 68.
29. Lilyan KESTELOOT, Histoire de la littérature négro-africaine, op. cit., p. 217.
30. Aimé CÉSAIRE, « Culture et colonisation », in Le Premier Congrès international des
écrivains et artistes noirs, Présence africaine, Nouvelle série, nº 8-10, juin-novembre
2002, p. 77.
49. Ibid., p. 75.
50. Benjamin STORA, Nationalistes algériens et révolutionnaires français au temps du Front populaire,
L’Harmattan, Paris, 1987.
51. Grégoire MADJARIAN, La Question coloniale et la politique du Parti communiste français, 1944-
1947, La Découverte, Paris, 1977, p. 254.
52. Alain RUSCIO, La Question coloniale dans « l’Humanité » (1904-2004), La Dispute, Paris,
2005, p. 202.
53. Ibid.
54. René GALLISSOT, Algérie colonisée, Algérie algérienne (1870-1962), Barzakh, Alger,
2007, p. 162.
55. Claude LIAUZU, Histoire de l’anticolonialisme en France, du XVIe siècle à nos jours, Armand
Colin, Paris, 2007, p. 213.
56. « Diego Masson. Réseau Jeanson puis participation directe au FLN.
Paris, 29 octobre 1989 », in Martin EVANS, Mémoires de la guerre, L’Harmattan, Paris,
2009, p. 89.
57. Aimé CÉSAIRE, « Lettre à Maurice Thorez », op. cit., p. 30.
58. Ibid., p. 30-31.
59. Ibid., p. 34.
60. Ibid., p. 35-36.
Notes du chapitre 5
1. Pierre KAMÉ BOUOPDA, « Annexe 2 : Traité germano-duala du 12
juillet 1884 », in Cameroun, du protectorat vers la démocratie, 1884-1992, L’Harmattan, Paris,
2008, p. 417.
2. Ruben UM NYOBÈ, « Observations devant la quatrième commission de
l’ONU, 17 décembre 1952 », in Ruben UM NYOBÈ, Le Problème national kamerunais,
présenté par Achille Mbembe, L’Harmattan, Paris, 1984, p. 186.
3. Woodrow WILSON, « Message du 8 janvier 1918 », in Pierre RENOUVIN,
L’Armistice de Rethondes, 11 novembre 1918, Gallimard, Paris, 1968, p. 357.
57-70 et Gaston Donna, Afin que nul n’oublie, itinéraire d’un anticolonialiste, L’Harmattan, Paris,
1986.
11. Marie-Irène NGAPETH BIYONG, Cameroun. Combats pour l’indépendance,
L’Harmattan, Paris, 2009, p. 55.
12. Ibid., p. 8.
13. Martin-René ATANGANA, Capitalisme et nationalisme au Cameroun au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale (1946-1956), Publications de la Sorbonne, Paris, 1998, p. 46.
Notes du chapitre 6
1. George MCGHEE, Discours à Oklahoma City, 8 mai 1950, cité in Robert
CUMMINGS, « La politique américaine à l’égard de l’Afrique. Continuité et
changement », Politique étrangère, vol. 53, nº 3, 1988, p. 695.
2. Richard NIXON, Discours du 2 novembre 1956, cité in Pierre-Michel
DURAND, L’Afrique et les relations franco-américaines des années soixante. Aux origines de l’obsession américaine,
L’Harmattan, Paris, 2007, p. 43.
3. Marc AICARDI DE SAINT-PAUL, La Politique africaine des États-Unis, mécanismes et conduites,
vol. 1, Economica, Paris, 1984, p. 131.
4. Francois DURPAIRE, op. cit., p. 173.
5. Richard NIXON, The Emergence of Africa. Report to President Eisenhower by Vice President Nixon,
Department of State Bulletin, 22 avril 1957, p. 636 (traduit par nos soins).
6. Ibid., p. 638.
7. Ferhat ABBAS, Guerre et révolution d’Algérie. La nuit coloniale, Julliard, Paris, 1962, p.
16.
8. Ruben UM NYOBÈ, « Comment faire pour gagner la bataille du
référendum pour l’unification du Cameroun », in Le Problème national kamerunais, op. cit.,
p. 138.
9. Ahmed SOEKARNO, in Asia-Africa speaks from Bandung, Ministry of foreign Affairs,
Republic of Indonesia, Djakarta, 1955, p. 20 (traduit par nos soins).
10. Gamal Abdel NASSER, cité in Arthur CONTE, Bandoung, tournant de l’histoire, 18 avril
1955, Robert Laffont, Paris, 1965, p. 263.
21. Onésime RECLUS, Lâchons l’Asie, prenons l’Afrique : Où renaître ? Et comment durer ?, Librairie
universelle, Paris, 1904.
22. François MITTERRAND, Présence française et abandon, Plon, Paris, 1957, p. 237.
23. Juliette BESSIS, « La crise de l’autonomie et de l’indépendance
tunisienne, classe politique et pays réel », Mouvement social, nº 3, Éditions
Ouvrières, Paris, 1978, p. 272.
24. Pierre MENDÈS FRANCE, « Discours de Carthage », 31 juillet 1954,
cité in Gouverner c’est choisir (1954-1955), Œuvres complètes, tome 3, Gallimard, Paris, 1986, p.
184.
25. Vincent GEISSER et Michel CAMAU, Habib Bourguiba. La trace et l’héritage, Karthala,
Paris, 2004, p. 395-396.
26. Gaston DEFFERRE, « Intervention devant le Conseil de la
République », cité in L’Année politique, économique, sociale et diplomatique en France (1956), PUF, Paris,
1957, p. 64.
27. Michel BROT, « Mitterrand et l’Afrique en 1957. Une interview
révélatrice », Politique africaine, nº 58, 1995, p. 52.
28. Cité in Bernard ASSO, Le Chef d’État. L’expérience des États africains de succession française,
Albatros, 1976, p. 63.
29. Ibid.
30. Cité in Lamine GUEYE, Itinéraire africain, Présence africaine, Paris, 1966, p.
190.
31. Kalidou DIALLO, Le Syndicalisme dans l’enseignement public en Afrique Occidentale Française,
L’Harmattan-Sénégal, Dakar, 2011, p. 313.
32. Constitution française du 4 octobre 1958, La Documentation française, Paris, 1976, p.
30.
33. Charles DE GAULLE, Déclaration du 28 avril 1959 à Pierre Laffont,
directeur de L’Écho d’Oran, cité in Yves COURRIÈRE, La Guerre d’Algérie. L’heure des colonels,
Paris, Fayard, 1970, p. 508.
34. Charles DE GAULLE, Discours de Brazzaville du 24 août 1958, cité in
Pierre-Francois GONIDEC, Constitution des États de la Communauté, Sirey, Paris, 1959, p. 3.
35. Ahmed Sékou TOURÉ, Discours du 25 août 1958, in Conférences, discours et
rapports. L’action politique du Parti démocratique de Guinée pour l’émancipation africaine, tome 2, Imprimerie
33. Ibid.
34. Ibid., p. 626.
35. Frantz FANON, « Lettre au Ministre Résident (1956) », loc. cit., p. 734.
36. Mongo BETI et Odile TOBNER, Dictionnaire de la négritude, L’Harmattan, Paris,
1989, p. 107.
37. Frantz FANON, « L’Algerie face aux tortionnaires français », in Pour la
révolution africaine, op. cit., p. 747.
38. Frantz FANON, « Les intellectuels et les démocrates français devant la
révolution algérienne », in Pour la révolution africaine, op. cit., p. 768.
39. Frantz FANON, « Pourquoi nous employons la violence (1960) », in L’An
V de la Révolution algérienne (in Œuvres, op. cit., p. 413).
10. Patrice LUMUMBA, Le Congo terre d’avenir est-il menacé ?, Office de Publicité,
Bruxelles, 1961.
11. Ibid., p. 29.
12. Ibid., p. 7 et 8.
13. Le manifeste est reproduit dans son intégralité in Jean LABRIQUE, Congo
politique, Éditions de l’Avenir, Léopoldville, 1957, p. 252-264.
20. Albert BAUDOUIN, Discours du 30 juin 1960, cité in Jef VAN BILSEN,
Congo 1945-196. La fin d’une colonie, Centre de recherche et d’information sociopolitique
22. Jean Paul SARTRE, « Préface » in La Pensée politique…, op. cit., p. II.
23. Patrice LUMUMBA, Discours de la conférence d’Accra du 11 décembre
1958, loc. cit., p. 12.
24. Patrice LUMUMBA, Exposé à la séance de clôture du séminaire
international d’Ibadan (Nigéria), 22 mars 1959, in La Pensée politique…, op. cit., p. 29.
25. Patrice LUMUMBA, Déclaration devant le comité directeur de la
Conférence des peuples africains du 9 octobre 1959, in La Pensée politique…, op. cit., p.
74.
26. Patrice LUMUMBA, Discours d’ouverture de la Conférence
panafricaine de Léopoldville du 25 août 1960, in La Pensée politique…, op. cit., p. 317-
324.
27. Ibid., p. 320- 321.
28. Frantz FANON, « La mort de Lumumba », loc. cit., p. 878.
29. Patrice LUMUMBA, Discours de la conférence d’Accra du 11 décembre
1958, loc. cit., p. 12.
30. Patrice LUMUMBA, Conférence à l’association de Présence africaine
du 6 février 1960, in La Pensée politique…, op. cit., p. 141-142.
31. Jules CHOMÉ, L’Ascension de Mobutu. Du sergent Joseph Désiré au général Sese Seko, Complexe,
Bruxelles, 1974, p. 37.
32. Antoine GIZENGA, Discours du 30 juillet 1960, in Jules-Gérard LIBOIS
et Benoît VERHAEGEN, Congo 1960, CRIPS, Bruxelles, 1961, p. 615.
33. Frantz FANON, « La mort de Lumumba », loc. cit., p. 876.
34. Jules CHOMÉ, op. cit., p. 52.
35. Télégramme d’Alan Dulles du 26 août 1960 à Lawrence Devlin, cité
in Ludo DE WITTE, L’Assassinat de Lumumba, Karthala, Paris, 2000, p. 56.
2003, p. 24.
24. David ROONEY, Nkrumah, l’homme qui croyait à l’Afrique, Jalivres, Paris, 1990, p. 31.
25. Elikia M’BOKOLO, L’Afrique au XXe siècle. Le continent convoité, Seuil, Paris, 1985, p.
141.
26. Lansiné KABA, op. cit., p. 66.
27. David ROONEY, op. cit., p. 37.
28. Kwame NKRUMAH, Autobiographie, op. cit., p. 112.
29. Cécile LARONCE, op. cit., p. 149.
30. Yves BENOT et Augusta CONCHIGLIA, « Le Cas du Ghana », Géopolitique
africaine, nº 15-16, été-automne 2004, p. 121-139.
33. Kwame NKRUMAH, La Lutte des classes en Afrique, Présence africaine, Paris,
1972, p. 98-99.
34. Jean-Paul AZAM et Timothy BESLEY, « Le Cas du Ghana », in OCDE,
Offre de biens manufacturés et développement agricole, OCDE Development Center, Paris, 1989,
p. 19.
35. John ESSEKS, « Political independence and economic decolonization.
The case of Ghana under Nkrumah », The Western Political Quarterly, vol. 24, nº 1,
1971, p. 59-64.
36. Makhtar DIOUF, L’Afrique dans la mondialisation, L’Harmattan, Paris, 2002, p. 98.
37. Jacques ARNAULT, Du colonialisme au socialisme, Hanoï – La Havane – Alger – Bamako – Conakry –
Accra, Éditions sociales, Paris, 1966, p. 185.
38. Alan ROE, Hartmut SCHNEIDER, Graham PYATT, Ajustement et équité au Ghana,
OCDE, Paris, 1992, p. 14.
39. Arghiri EMMANUEL, L’Échange inégal. Essai sur les antagonismes dans les rapports économiques
internationaux, Maspero, Paris, 1969.
40. Samir AMIN, Trois Expériences africaines de développement : le Mali, la Guinée et le Ghana, PUF,
Paris, 1965.
41. Samuel Gomsu IKOKU, Le Ghana de Nkrumah. Autopsie de la Ire République, 1957-1966,
Maspero, Paris, 1971, p. 149.
42. Voir sur cet aspect les analyses de Fanon sur la bourgeoisie nationale,
in Les Damnés…, op. cit.
43. Kwame NKRUMAH, Le Consciencisme, Présence africaine, Paris, 1976
[rééd.], p. 71.
44. Ibid., p. 87.
45. Ibid., p. 87.
46. Kwame NKRUMAH, « African socialism revisited », in The Struggle Continues. Six
Pamphlets, Panaf Books, London, 1973, p. 79.
47. Kwame NKRUMAH, La Lutte des classes en Afrique, op. cit., p. 66.
48. Christian CHAVAGNEUX, Ghana, une révolution de bon sens. Économie politique d’un ajustement
structurel, Karthala, Paris, 1997, p. 37.
49. Harris MEMEL-FÔTÉ, L’Esclavage dans les sociétés lignagères de la forêt ivoirienne, IRD
Éditions, Paris, 2007, p. 128.
50. Frantz FANON, Les Damnés…, op. cit., p. 168.
51. Discours radiodiffusé du 6 avril 1961, voir Samuel Gomsu IKOU, op. cit.,
p. 58.
52. Manga KUOH, Palabre africaine sur le socialisme, L’Harmattan, Paris, 2009, p. 104.
Notes du chapitre 10
1. Lettre de Fidel Castro à Nikita Khrouchtchev du 31 octobre 1962, Le
Monde, 24 novembre 1990.
1964, p. 83-84.
17. Ernesto Che GUEVARA, Discours devant l’Assemblée générale des
Nations unies, in Philippe GODART, Che Guevara, fils prodigue de la révolution. Discours de Che
Guevara, Syros, Paris, 2010, p. 52.
18. Ernesto Che GUEVARA, Journal du Congo, Mille et Une Nuits, Paris, 2009
[rééd.].
19. Résolution sur le Vietnam de la première Conférence des peuples des
trois continents, in La Nouvelle Revue internationale, vol. 9, nº 1-4, 1966, p. 17.
20. Résolution politique générale de la première Conférence des peuples
des trois continents, in ibid., p. 11-12.
21. Didar FAWZI, « Ben Barka, Curiel, la Tricontinentale et solidarité
afro-asiatique », in René GALLISSOT et Jacques KERGOAT (dir.), Mehdi Ben Barka. De
l’indépendance marocaine à la Tricontinentale, Karthala, Paris, 1997, p. 167.
14. Frank STEIGER, Malcolm X. Les trois dimensions d’une révolution inachevée, L’Harmattan,
Paris, 2003, p. 15-16.
15. Daniel GUÉRIN, De l’oncle Tom aux Panthères noires, Les Bons caractères, Pantin,
2010, p. 208.
16. Ahmed SHAWKI, Black and Red. Les mouvements noirs et la gauche américaine, 1850-2010,
Syllepse, Paris, 2012, p. 193.
17. Ibid., p. 193.
18. Pierre RONDOT, « Les “Blacks Muslims” », Études, vol. 319, décembre
1963, p. 360.
19. Malcolm X, Penser par vous-mêmes. Un discours de Malcolm X présenté par Philippe Godard, Syros,
Paris, 2006, p. 24.
20. Georges BREITMAN, « Préface à l’édition française », in Malcolm X, Le
Pouvoir noir, La Découverte, Paris, 2008 [rééd.], p. 22.
34. Malcolm X, « Entrevue du Young Socialist », 18 janvier 1965, in Malcolm X parle aux
jeunes, Pathfinder, New York, 2011, 138.
33. Mehdi BEN BARKA, Rapport rédigé par Mehdi Ben Barka à
l’intention du président de la République d’Algérie (10 juin 1965), in René
GALLISOT et Jacques KERGOAT (dir.), op. cit., p. 142.
34. Ibid.
35. Jean LACOUTURE, Le Nouvel Observateur, nº 52, 10-16 novembre 1965, p. 7.
36. René GALISSOT, « Après Bandung, du Caire et d’Alger à La Havane,
Ben Barka et la Tricontinentale », in Bachir BEN BARKA (dir.), Mehdi Ben Barka en
, Syllepse, Paris, 2007, p. 153 et 155.
héritage. De la Tricontinentale à l’altermondialisme
37. Ahmed BOUKHARI, Le Secret Ben Barka et le Maroc. Un ancien agent des services spéciaux parle,
Michel Lafon, Paris, 2002.
38. Fidel CASTRO, « Discours de clôture de la Conférence
Tricontinentale » (15 janvier 1966), in Révolution cubaine : 1962-1968, Maspero, Paris,
1968, p. 100.
39. Jean-Jacques BRIEUX, « La “Tricontinentale” », Politique étrangère, vol. 31,
nº 1, 1966, p. 27.
40. Ibid., p. 43.
Notes du chapitre 13
1. Amílcar CABRAL, « Quel rôle l’étudiant africain veut-il jouer en
Afrique ? », in Unité et lutte, tome 1 : L’arme de la théorie, Maspero, Paris, 1975, p. 36.
2. Oscar ORAMAS OLIVA, Amílcar Cabral. Un précurseur de l’indépendance africaine, Indigo,
Paris, 1998, p. 11.
3. Mário DE ANDRADE, Entretien, in Christine MESSIANT, Sur la première génération du
MPLA (1948-1960). L’Angola postcolonial, tome 2 : Sociologie politique d’une oléocratie, Karthala, Paris,
2008, p. 115.
4. Eduardo MONDLANE, Mozambique. De la colonisation portugaise à la libération nationale,
L’Harmattan, Paris, 1979, p. 110.
5. Amílcar CABRAL, « Le rôle de l’étudiant africain », in Les Étudiants noirs parlent,
Présence africaine, Cahier spécial, nº 14, Paris, 1953.
19. Toutes les citations qui suivent sont issues de : Amílcar CABRAL,
« Fondements et objectifs de la libération nationale et structure sociale », in
Unité et lutte, tome 1, op. cit., p. 287-304.
20. Roger FALIGOT, Tricontinentale. Quand Che Guevara, Ben Barka, Cabral, Castro et Hô Chi Minh
préparaient la révolution mondiale (1964-1968), La Découverte, Paris, 2013, p. 267.
21. Yves BENOT, Idéologies des indépendances africaines, op. cit., p. 269.
22. Frantz FANON, Les Damnés…, op. cit., p. 544.
23. David et Marina OTTAWAY, Afrocommunism, Africana Publishing Company,
Teaneck, 2006 [rééd.], p. 26.
24. Michel CAHEN, « Le socialisme, c’est les soviets plus l’ethnicité »,
Politique africaine, nº 42, juin 1991, p. 94.
25. Jay O’BRIEN, « Tribe, class and nation. Revolution and the weapon of
theory in Guinea-Bissau », Race & Class, vol. 19, nº 1, juillet 1977, p. 7.
26. Amílcar CABRAL, « La création de l’Assemblée nationale populaire
en Guinée-Bissau », in Unité et lutte, tome 2 : La pratique révolutionnaire, Maspero, Paris,
1975, p. 270.
27. Amílcar CABRAL, « Libération nationale et culture » (1970), in Unité et
lutte, tome 1, op. cit., p. 316-335. Toutes les citations de la partie suivante sont
issues de ce texte.
28. Amílcar CABRAL, « Le rôle de la culture dans la lutte pour
l’indépendance » (1972), in Unité et lutte, tome 1, op. cit., p. 336-357.
29. Antonio GRAMSCI, « Socialisme et culture » (1916), in Écrits politiques. Textes
choisis, tome 1, 1914-1920, Gallimard, Paris, 1977, p. 76.
8. Adama Abdoulaye TOURÉ, Une vie de militant. Ma lutte du collège à la révolution de Thomas
Sankara, Hamaria, Ouagadougou, 2001.
11. Ernest Nongma OUEDRAOGO, Thomas Sankara en marche vers le pouvoir d’État,
Intervention pour le Symposium de commémoration du 20e anniversaire de
la mort de Thomas Sankara, Ouguadougou, octobre 2007 (disponible sur
<http://thomassankara.net>), p. 5.
12. David GAKUNZI, Préface à l’édition française, in Thomas SANKARA,
« Oser inventer l’avenir ». La parole de Sankara, L’Harmattan, Paris, 1991,
p. 8.
13. Babou Paulin BAMOUNI, Burkina Faso. Processus de la révolution, L’Harmattan, Paris,
1986, p. 173-174.
14. Victoria BRITTAIN, « Introduction to Sankara and Burkina Faso », Review
of African Political Economy, nº 32, avril 1985, p. 42.
15. Cité in Année politique et économique africaine éditions 1983, Société africaine d’édition,
Dakar, 1983, p. 173.
16. Pierre ENGLEBERT, La Révolution burkinabé, L’Harmattan, Paris, 1986, p. 71.
17. Thomas SANKARA, « Qui sont les ennemis du peuple ? », in Thomas Sankara
parle, op. cit., p. 55.
21. Bug-Parga, Journal du PCRV, nº 23, juin 1987, cité in Ludo MARTENS,
Sankara, Compaoré et la révolution burkinabè, Éditions EPO, Anvers, 1989, p. 127.
38. Ibid.
39. Thomas SANKARA, « Message d’outre-tombe », Interview à Jeune Afrique,
nº 1401, 11 novembre 1987, p. 37.
40. Thomas SANKARA, Entretien avec Simon Malley, Afrique-Asie, nº 318 du
26 mars 1984, p. 20.
41. Bruno JAFFRÉ, op. cit., p. 202.
42. Ibid., p. 211.
43. Thomas SANKARA, « Première conférence nationale des CDR » (4
avril 1986), in Thomas Sankara parle, op. cit., p. 299-302.
44. Alfred SCHWARTZ, « L’évolution du pouvoir local villageois sous
l’impact de la révolution sankariste dans les sociétés acéphales de l’Ouest :
continuité dans le changement », in René OTAYEK, Filiga Michel SAWADOGO
et Jean-Pierre GUINGANÉ (dir.), Le Burkina entre révolution et démocratie (1983-1993), Karthala,
Paris, 1996, p. 166.
45. Thomas SANKARA, « La Révolution a besoin d’un peuple de
convaincus, pas de vaincus », in Thomas Sankara parle, op. cit., p. 418.
46. In Thomas Sankara, l’homme intègre, film de Robin Shuffield, op. cit.
47. Thomas Sankara parle, op. cit., p. 262-263.
48. Thomas SANKARA, « Réception officielle pour François Mitterrand »
(17 novembre 1986), in Thomas Sankara parle, op. cit., p. 348.
49. Thomas SANKARA, « Sur la mort de Samora Machel » (octobre 1986),
in Thomas Sankara parle, op. cit., p. 335-336.