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CAHIERS DU CENTRE DE RECHERCHES
INFORMATIQUE ET DROIT
Objectifs :
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CAHIERS DU CENTRE DE RECHERCHE
INFORMATIQUE ET DROIT
RÉGULER LE COMMERCE
ÉLECTRONIQUE PAR LA
RÉSOLUTION DES LITIGES EN
LIGNE
THOMAS SCHULTZ
DOCTEUR EN DROIT, LL.M.
UNIVERSITÉ DE GENÈVE
FACULTÉ DE DROIT
2005
Comité scientifique :
Prof. Herbert Burkert (Université de Saint-Gallen, Suisse) – Prof.
Santiago Cavanillas (Université des Baléares) – Prof. Jos Dumortier (K.U.
Leuven) – Prof. Yves Poullet (FUNDP) – Prof. André Prüm (Université
de Nancy) – Prof. Pierre Trudel (Université de Montréal) – Prof. Michel
Vivant (Université de Montpellier).
Comité de rédaction :
M. Bernard Amory (Conseiller juridique, Jones, Days, Reavis and Pogue)
– Me Jean-Pierre Buyle (Avocat au Barreau de Bruxelles) – Mme Marie
Demoulin (assistante, FUNDP) – M. Hervé Jacquemin (aspirant, FNRS)
– Prof. Xavier Thunis (FUNDP) – Me Jean-Paul Triaille (Avocat au Bar-
reau de Bruxelles).
Directeur de rédaction :
Prof. Étienne Montero (FUNDP)
Secrétaire de rédaction :
Mme Sarah Fievet
Centre de Recherches Informatique et Droit (CRID)
Faculté de Droit
Rempart de la Vierge, 5
5000 Namur
Tél. : (32) 81 72 47 70
Télécopie : (32) 81 72 52 02
E-mail : [email protected]
Abonnements :
Etablissement Emile Bruylant
Rue de la Régence, 67
1000 Bruxelles
Tél. : (32)2 512 98 45
ISBN
D/2005
2005 Établissements Emile Bruylant, S.A.
rue de la Régence, 67, 1000 Bruxelles
IMPRIMÉ EN BELGIQUE
Introduction générale.............................................................................................................. 1
Troisième Partie. — La validité d’une régulation par les ODR .................. 297
L.J.
BEUC Bureau Européen des Consommateurs
BLI Business Law International (Londres)
Brooklyn J. Int’l L. Brooklyn Journal of International Law (Brooklyn, New York)
Brooklyn L. Rev. Brooklyn Law Review (Brooklyn, New York)
Buff. L. Rev. Buffalo Law Review (Buffalo, New York)
B.U. Int’l L.J. Boston University International Law Journal (Boston)
B.U. J. Sci. & Boston University Journal of Science & Technology Law
Tech. L. (Boston)
Bull. ASA Bulletin de l’Association suisse de l’arbitrage (Bâle)
Bull. CCI Bulletin de la Cour internationale d’arbitrage de la CCI (Paris)
Bus. Law. The Business Lawyer (Chicago)
B.Y.U. L. Rev. Brigham Young University Law Review (Provo, Utah)
c. contre
CA Cour d’appel (France)
Cal. California
Calif. L. Rev. California Law Review (Berkeley, Californie)
nd
Cal. Rptr. California Reporter, 2 series – State cases
Canadian J. L. & Canadian Journal of Law and Technology (Halifax)
Tech.
Can.–U.S. L.J. Canada–United States Law Journal (Cleveland)
Cardozo Online J. Cardozo Online Journal of Conflict Resolution (New York)
Conflict Resol.
Cass. Cour de cassation (France)
CCH Commerce Clearinghouse
CCI Chambre de commerce internationale (Paris)
C.D. Cal. Central District Court of California
CE Traité instituant la Communauté européenne, JO C 325 du
24.12.2002, p. 33
CEDH Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950 (RS
0.101)
cf. confer (comparez)
ch. chiffre
Chi.-Kent. L. Chicago-Kent Law Review (Chicago)
Rev.
chron. chronique
CIArb Chartered Institute of Arbitrators
CIO Comité international olympique
Cir. Circuit
Cj Code judiciaire (Belgique)
CJCE Cour de justice des Communautés européennes
CLP Commercial Law Practitioner (Dublin)
CLug Convention de Lugano concernant la compétence judiciaire
et l’exécution des décisions en matière civile et commer-
ciale, du 16 septembre 1988 (RS 0.275.11)
CL&SR Computer Law and Security Report (Oxford)
Rev.
OCDE Organisation de coopération et de développement
économiques
ODR Online dispute resolution
Ohio N.U. L. Rev. Ohio Northern University Law Review (Ada, Ohio)
Ohio St. J. on Ohio State Journal on Dispute Resolution (Columbus, Ohio)
Disp. Resol.
OMC Organisation mondiale du commerce
OMPI Organisation mondiale de la propriété intellectuelle
op. cit. opus citato (œuvre citée)
Or. L. Rev. Oregon Law Review (Eugene, Oregon)
passim à divers endroits
P3P Platform for Privacy Preferences
Pepperdine Disp. Pepperdine Dispute Resolution Law Journal (Malibu,
Res. L.J. Californie)
PICS Platform for Internet Content Selection
RabelsZ Rabels Zeitschrift für ausländisches und internationales Privat-
recht (Tubingue)
RB I Règlement 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000,
concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,
JO L 12 du 16.1.2001, p. 1 (Règlement Bruxelles I)
RDAI Revue de droit des affaires internationales (Paris)
RDIPP Rivista di diritto internazionale privato e processuale (Padoue)
RDS Revue de droit suisse, Zeitschrift für Schweizerisches Recht (Bâle)
RDTI Revue du Droit des Technologies de l’Information (Bruxelles)
RDUS Revue de droit de l’Université de Sherbrooke (Sherbrooke,
Québec)
Rec. Recueil de jurisprudence de la Cour de justice des Commu-
nautés européennes (CJCE)
Rec. Cours La Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye
Haye (La Haye)
REDC Revue européenne de droit de la consommation (Louvain-la-
Neuve)
Rev. arb. Revue de l’arbitrage (Nancy)
Rev. crit. Revue critique de droit international privé (Paris)
Rev. dr. unif. Revue de droit uniforme (Rome)
RFAP Revue française d’administration publique (Paris)
RGDIP Revue générale de droit international public (Paris)
Rich. J.L. & Tech. Richmond Journal of Law and Technology
RIDE Revue internationale de droit économique (Bruxelles)
RIEJ Revue interdisciplinaire d’études juridiques (Bruxelles)
RIW Recht der Internationalen Wirtschaft (Heidelberg)
RJES Revue juridique et économique du sport (Paris)
RQDI Revue québécoise de droit international (Montréal)
RRJ Revue de la recherche juridique (Aix-en-Provence)
RS Recueil systématique du droit fédéral
relativement large, soit à tous ceux qui ont un intérêt pour l’évolution du
droit du cyberespace et du commerce électronique, à ceux qui s’attachent à
l’évolution de l’arbitrage, de la médiation, des diverses formes de résolution
en ligne des différends, du droit judiciaire et du droit de procédure, et de
l’impact de ces évolutions sur le milieu dans lequel ils interviennent. Il
s’adresse également aux adeptes de la théorie du droit, de la sociologie du
droit, du pluralisme juridique et de la théorie générale de la régulation,
ainsi qu’à ceux qui s’intéressent davantage au commerce international dans
son ensemble ou à la globalisation et aux diverses formes qu’elle prend. Il
n’est par contre pas destiné à ceux qui s’attachent à l’étude du droit positif
des divers domaines du commerce électronique. Il ne conviendra également
que partiellement à ceux qui recherchent une analyse du droit positif de la
résolution des litiges en ligne, sujet pour lequel nous renvoyons le lecteur à
l’ouvrage Online dispute resolution : challenges for contemporary justice, publié
en 2004 aux éditions Kluwer et co-rédigé avec la Professeure Gabrielle
Kaufmann-Kohler.
Une telle étude nous a semblé nécessaire, parce que le phénomène online
dispute resolution n’a à notre avis par reçu à ce jour la considération scienti-
fique qu’il mérite. De plus, la régulation du cyberespace en général, et du
commerce électronique en particulier, reçoit de la part des théoriciens du
droit une attention qui demeure limitée alors que ces domaines sont, à
notre sens, porteurs d’un nombre non négligeable d’enseignements pouvant
éclairer le phénomène juridique tout entier. Finalement, c’est la relation
entre règlement en ligne des différends et régulation du commerce électro-
nique qui est largement incomprise. L’examen de cette relation permet d’en
comprendre les enjeux, puis de promouvoir, de corriger ou de freiner les
divers aspects de la résolution des litiges en ligne et d’utiliser celle-ci, cons-
ciemment et à bon escient, pour améliorer la régulation du commerce élec-
tronique.
Ce travail est le fruit d’une thèse de doctorat soutenue le 14 janvier 2005
à l’Université de Genève, qui s’est inscrite en continuité d’un projet de re-
cherche réalisé à cette même université et financé par le Fonds national
suisse de la recherche scientifique, d’études effectuées pour un groupe de
travail des Nations unies sur la résolution des litiges en ligne, de divers
travaux sur les modes de régulation rédigés lors d’un LL.M. à l’Académie
européenne de théorie du droit, à Bruxelles, et de diverses contributions à
des colloques entre 2000 et 2004.
Publication réalisée dans le cadre de projets de recherche financés par le Fonds national
suisse de la recherche scientifique.
(3) G. KAUFMANN-KOHLER et Th. SCHULTZ, Online Dispute Resolution : Challenges for Con-
temporary Justice, La Haye, Kluwer, 2004, p. 10 et seq. et 249 et seq. et M. CONLEY TYLER,
« One Hundred and Fifteen and Counting : The State of Online Dispute Resolution 2004 » in
Proceedings of the Third Annual Forum on Online Dispute Resolution, s. dir. M. Conley Tyler, E.
Katsh et D. Choi, Amherst, Mass., Publ. de l’Université de Massachusetts, 2004, <www.odr.info/-
unforum2004/ConleyTyler.htm>.
(4) Th. FRIEDMAN, The Lexus and the Olive Tree, Glasgow, HarperCollins, 2000, p. xvi et seq.
(5) Sur ces transformations économiques par Internet et de manière générale sur leurs effets
fondamentaux pour l’intervention du droit, voir par exemple Ch. REED, Internet Law, 2ème éd.,
Cambridge, Cambridge Univ. Press, 2004, pp. 3–6.
les parties à de tels litiges sans recours à la justice. Cette difficulté d’accès à
la justice, à son tour, constitue un obstacle à la confiance dans le commerce
électronique, freine son développement et ralentit l’économie mondiale.
Les ODR fournissent une possibilité de réponse à ce problème. En consé-
quence, ils pourraient bien devenir la manière privilégiée, voire habituelle
du règlement des différends dans de telles situations. Mais s’ils deviennent
de telles références centrales, l’application du droit ne s’en trouve-t-elle pas
modifiée, puisqu’elle est déplacée hors de ses lieux traditionnels ? Et si
l’application du droit est altérée, sa production ne risque-t-elle pas de suivre
le même chemin ?
Cela revient à poser la question de savoir quelles sont les sources norma-
tives de la régulation du commerce électronique. Au vu de l’évolution ra-
pide des nouvelles technologies, d’Internet, du commerce électronique et
du règlement en ligne des différends, il nous semble nécessaire de se de-
mander non seulement quelles sont les sources normatives actuelles, mais
aussi d’ouvrir l’horizon temporel et de tenter une réflexion plus spéculative
sur l’évolution de ces sources normatives. De nombreux ouvrages et
d’innombrables analyses ont été écrits ces dernières années sur la problé-
matique de la régulation du cyberespace et du commerce électronique.
Pourtant, nulle part le phénomène du règlement des litiges en ligne n’a été
sérieusement pris en considération. Dans d’autres domaines, on conçoit
aisément l’existence de la lex mercatoria, dont l’un des principaux acteurs est
l’arbitrage commercial international (11). L’on évoque aussi l’idée d’un ou
de plusieurs ordres juridiques sportifs, dont l’un des principaux acteurs
serait l’arbitrage international en matière de sport (12). Mais on n’avance
jamais sérieusement l’idée d’une formation de systèmes juridiques dans le
cyberespace, qui seraient spécifiques à la résolution des litiges en ligne, ni
même l’influence normative que celle-ci peut avoir. En conséquence, nous
nous attacherons ici à introduire les ODR comme nouvel acteur de la ré-
(11) Parmi une littérature abondante et souvent prestigieuse, l’une des études les plus rigoureu-
ses nous semble être donnée par F. MARRELLA, La nuova lex mercatoria. Principi UNIDROIT ed
usi dei contratti del commercio internazionale, Padoue, CEDAM, 2003, not. p. 246 et seq. Voir aussi
K.P. BERGER, The Creeping Codification of the Lex Mercatoria, La Haye, Kluwer, 1999.
(12) A. RIGOZZI, L’arbitrage international en matière de sport, Bâle, Helbing & Lichtenhahn,
2005, § 140 et seq.
gulation du commerce électronique (13). Notre thèse est que cet acteur
peut développer, dans certaines situations bien précises, un pouvoir régula-
teur significatif, caractérisé par une indépendance marquée vis-à-vis des
droits étatiques. Ce pouvoir régulateur peut englober le droit applicable au
contrat, le règlement du différend et l’exécution du résultat de ce règle-
ment. L’entrée en scène de la résolution en ligne des litiges comme acteur
de régulation est due en premier lieu au fait que les méthodes de règlement
en ligne des litiges constituent dans certaines situations le seul recours éco-
nomiquement accessible et donc le seul lieu de justice réellement ouvert aux
parties. Un exemple édifiant de ce phénomène de régulation nous est par
ailleurs donné par la procédure UDRP (Uniform Domain Name Dispute
Resolution Policy), relative à la résolution en ligne des différends afférents
aux noms de domaine. Les études les plus systématiques montrent que
cette procédure crée un corpus de décisions formant un ordonnancement
juridique faisant émerger un droit différent des droits étatiques en la ma-
tière (14). En ce qui concerne la présente étude, le champ d’analyse de
l’influence des ODR sera de manière générale limitée au commerce élec-
tronique, étant donné que ces méthodes de règlement des différends ne
jouent guère de rôle en dehors des activités commerciales qui se déroulent
dans le cyberespace. Plus précisément, la toile de fond sera donnée par les
petits litiges, surtout transfrontaliers. Nous nous rapprocherons ainsi du
domaine d’intervention du droit de la consommation, mais notre perspec-
tive inclura également d’autres litiges à faible valeur litigieuse, découlant
par hypothèse de transactions conclues par des PME. Au-delà de cette
réflexion sur les sources du droit, la question se pose de toute évidence, si
cette indépendance par rapport aux droits étatiques devait s’avérer réelle, de
savoir quelles pourraient être les garanties éthiques existantes ou désirables
pour encadrer une telle production du droit.
(13) On retiendra ici la concept d’« acteur de régulation » au sens où il est par exemple utilisé
par Philippe Amblard : « être un acteur de la régulation de l’Internet, c’est prétendre pouvoir
influer sur son cadre normatif » : Ph. AMBLARD, Régulation de l’Internet. L’élaboration des règles de
conduite par le dialogue internormatif, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 69.
(14) A. CRUQUENAIRE, Le règlement extrajudiciaire des litiges relatifs aux noms de domaine. Ana-
lyse de la procédure UDRP, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 193 et seq. et M. MUELLER, Ruling the
Root : Internet Governance and the Taming of Cyberspace, Cambridge (Mass.), MIT Press, 2002,
p. 212 et seq., sous titre « ICANN as Global Regulatory Regime ».
(15) A.-J. ARNAUD, J.-G. BELLEY, J. COMMAILLE, F. OST, J.-F. PERRIN, R. TREVES, M.
VAN DE KERCHOVE, Nouvelle préface au premier numéro de Droit et Société. Revue internationale
de théorie du droit et de sociologie juridique, 1985, vol. 1, p. 11 et seq., spéc. p. 12, faisant suite à la
Revue internationale de la théorie du droit, préfacée en 1926 par L. DUGUIT et H. KELSEN (vol. 1,
p. 3).
(16) Voir surtout G. KAUFMANN-KOHLER et Th. SCHULTZ, Online Dispute Resolution :
Challenges for Contemporary Justice, op. cit. n. 3.
(17) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique
du droit, Bruxelles, Publ. FUSL, 2002, p. 315.
(18) La conception de la validité juridique retenue ici est celle défendue dans F. OST,
« Validité » in Dictionnaire encyclopédique de sociologie et de théorie du droit, s. dir. A.-J. Arnaud, 2ème
éd., Paris, LGDJ, 1993, p. 431 et seq.
(19) G. KAUFMANN-KOHLER et Th. SCHULTZ, Online Dispute Resolution : Challenges for
Contemporary Justice, op. cit. n. 3.
compréhension du concept est d’abord d’évoquer un certain jeu, au sens où un mécanisme peut
avoir du jeu » : ibid., p. 53. Voir aussi G. CANGUILHEM, « Régulation » in Encyclopaedia
universalis, vol. 14, p. 1 et seq., F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour
une théorie dialectique du droit, Bruxelles, Publ. FUSL, 2002, p. 26, qui expliquent que le concept
renvoie, dans cette acception de type ou modèle d’intervention normative à l’idée d’un
« ordonnancement assoupli, décentralisé, adaptatif et souvent négocié » et G. TIMSIT, « Les deux
corps du Droit – Essai sur la notion de régulation » in RFAP, 1996, no 78, p. 375 et seq., spéc.
p. 377 : « lorsque l’État moderne est apparu, il a […] trouvé sa traduction dans un droit qui
conservait des origines historiques de son Auteur : l’État, le caractère mystique et abstrait dont
celui-ci était paré. C’est ce droit qui a été le premier corps du droit : un droit abstrait général et
désincarné que j’appelle le droit-réglementation […] Abstrait et désincarné, il ne correspond plus
aux exigences de la gestion des sociétés post-modernes. Trop complexes pour être gérées aussi
généralement, abstraitement et pour ainsi dire d’aussi loin, elles requièrent un autre droit – actuel-
lement en formation – qui se caractérise, au contraire, par son adaptation au concret, son rappro-
chement des individus, son adéquation au contexte exact des sociétés qu’il prétend régir. Concret,
individualisé, contextualisé, c’est un droit que j’appelle de régulation. »
(22) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 21, p. 26.
(23) Ibid., p. 43 et seq. Voir aussi A. JEAMMAUD, « Introduction à la sémantique de la régula-
tion juridique », op. cit. n. 20, p. 56, qui renvoie à l’idée d’un « pouvoir unilatéral et normatif ».
LE CYBERESPACE, UN ENVIRONNEMENT
TECHNIQUE DE NORMATIVITÉ
(25) Ce développement se fit dans le cadre d’une expérience de communication financée par le
gouvernement des États-Unis (Advanced Research Projects Agency – Arpa), qui deviendra en 1971 le
Defense Advanced Research Projects Agency (Darpa), pour redevenir Arpa en 1993, puis à nouveau
Darpa en 1996). L’élément defense montre les interactions croissantes entre les secteurs privés et
militaires.
(26) Soit une série décentralisée de liens redondants entre des ordinateurs et des réseaux
d’ordinateurs, dont le but est de permettre la continuation de recherches et de communications
essentielles même en cas de destruction de parties du réseau, par exemple en situation de guerre :
voir Harvard Law Review, « Developments in the Law – The Law of Cyberspace », Partie I,
« Introduction » in Harv. L. Rev., 1999, vol. 112, p. 1574 et seq., spéc. p. 1578.
(27) Notamment Bitnet, reliant de grandes unités centrales académiques, Usenet, un réseau
spécifique aux systèmes d’exploitation Unix, Mfenet et Hepnet, reliant les chercheurs du Départe-
ment de l’énergie des États-Unis, Span, mettant en communication les chercheurs de la Nasa, et
CSnet pour une communauté académique et industrielle d’informaticiens.
(28) Le TCP/PI remplaça les autres protocoles le 1er janvier 1983 (et entraîna la distribution de
pins « j’ai survécu à la transition TCP/IP »). Ce protocole avait été créé spécifiquement pour
répondre aux besoins d’un réseau à architecture ouverte. Les développeurs du TCP/IP, Robert
Kahn et Vinton Cerf, s’étaient appuyés sur les quatre concepts fondamentaux suivants, découlant
selon eux des besoins de l’architecture ouverte : chaque réseau doit être indépendant et ne doit pas
avoir à s’adapter pour pouvoir communiquer avec les autres réseaux ; l’intégralité de la transmission
des données doit être assurée par une communication dialectique garantissant le renvoi des paquets
de données non arrivés ; des boîtes noires (appelées des routeurs) doivent être utilisées pour
connecter les réseaux entre eux sans que ces boîtes noires conservent des informations et, plus
importants pour notre propos, il ne doit pas y avoir de contrôle global au niveau opérationnel :
B.M. LEINER, V.G. CERF, D.D. CLARK, R.E. KAHN, et al., A Brief History of the Internet, Inter-
net Society, 2003, <www.isoc.org/internet/history/brief.shtml>.
(29) Pour une description plus approfondie d’Internet, voir par exemple A. DUFOUR et S.
GHERNAOUTI-HÉLIE, Internet, 9ème éd., Paris, PUF, 2002, A. DUFOUR, Le cybermarketing, Paris,
PUF, 1997, Harvard Law Review, « Developments in the Law – The Law of Cyberspace », Partie
I, « Introduction », op. cit. n. 26, p. 1577, M. GEIST, « The Reality of Bytes : Regulating Eco-
nomic Activity in the Age of the Internet » in Wash. L. Rev., 1998, vol. 73, p. 521 et seq., spéc.
pp. 525–531 et K.W. GREWLICH, Governance in ‘Cyberspace’. Access and Public Interest in Global
Communications, La Haye, Kluwer, 1999, p. 28 et seq.
(30) Avant 1991, l’usage commercial d’Internet était interdit par l’administration américaine :
voir L.J. GIBBONS, « No Regulation, Government Regulation, or Self-Regulation : Social En-
forcement or Social Contracting for Governance in Cyberspace » in Cornell J.L. & Pub. Pol’y,
1997, vol. 6, p. 475 et seq., spéc. p. 501. Voir aussi E.G. THORNBURG, « Going private : Tech-
nology, Due Process, and Internet Dispute Resolution » in U.C. Davis L. Rev., 2000, vol. 34,
p. 151 et seq., spéc. p. 156.
(31) Voir par exemple G. KAUFMANN-KOHLER, « Internet : mondialisation de la communica-
tion – mondialisation de la résolution des litiges » in Internet : Quel tribunal décide ? Quel droit
s’applique ?, s. dir. K. Boele-Woelki et C. Kessedjian, La Haye, Kluwer, 1998, p. 89 et seq., spéc.
p. 91 : « il ne s’agit pas d’un espace, d’un lieu ou de lieux, mais d’un moyen de communication. Par
opposition aux moyens de communication classiques, tels le téléphone ou la télécopie, qui relient
en principe deux interlocuteurs, les réseaux connectent un très grand nombre d’utilisateurs. Il n’en
reste pas moins un moyen de communication, non un espace. »
(32) Y. BENKLER, « From Consumers to Users : Shifting the Deeper Structures of Regula-
tion » in Fed. Comm. L.J., 2001, vol. 51, p. 561 et seq., spéc. pp. 562–563.
(33) Si les sites web correspondent à ce troisième niveau, le web lui-même si situe autant au se-
cond niveau (en raison des hyperliens organisant la transmission d’informations) qu’au troisième
(en raison du contenu des pages web). Voir W3C Consortium, « About the World Wide Web »,
2001, <www.w3.org/WWW> : « the [web] is the universe of network-accessible information »,
W3C Consortium, « Architecture of the World Wide Web », 2003, <www.w3.org/TR/2003/-
WD-webarch-20031209> : « the [web] is a network-spanning information space of resources
interconnected by links », E. IZAWA, « The Word Wide Web for the Clueless », Massachusetts
Institute for Technology, 2002, <www.mit.edu/people/rei/wwwintro.html> : the web « is basically
a lot of different files (all over the world) that are linked to each other, so that you can look at a file
that has a link to another file and then follow that link to read the next file. »
(34) Voir par exemple Ch. REED, Internet Law, 2ème éd., Cambridge, Cambridge Univ. Press,
2004, p. 4 : « the Internet is nothing more than a method of transporting digital information. »
Plus précisément, selon la définition usuelle, Internet est composé d’« une partie matérielle (ordi-
nateurs, terminaux, cartes d’interface réseau, câbles etc.), une partie logicielle (applications, pro-
grammes de gestion du réseau, systèmes de sécurité etc.) et une composante humaine, constituée
d’une part des techniciens et des gestionnaires chargés de la mise en oeuvre du réseau, d’autre part
des clients du réseau, c’est-à-dire des utilisateurs bénéficiaires des services offerts par le réseau. […]
En anglais, hardware–software–manware » : A. DUFOUR, Internet, 5ème éd., Paris, PUF, 1997, p. 4.
Voir aussi, plus simplement, M. GRENIÉ, Dictionnaire de la micro-informatique, Paris, Larousse,
1997, qui, sous le vo « Internet », propose « réseau d’interconnexion mondiale des réseaux informa-
tiques ».
(35) Fondamentalement dans le même sens, L. LESSIG, The Future of Ideas : The Fate of the
Commons in a Connected World, New York, Vintage Books, 2002, p. 19 : « global networks, par-
ticularly the Internet, are technical architectures composed of many devices such as layers, proto-
cols, etc » et p. 26 : « Internet is a network of networks […] This vast networks […] has built one
of the most important innovation commons that we have ever known. Built on a platform that is
controlled [the first layer], the protocols of the Internet [the second layer] have erected a free space
of innovation » (nous soulignons). Voir aussi J. BARKER, « What is the Internet, the World Wide
Web, and Netscape ? », Teaching Library Internet Workshops, UC Berkeley Library, 2004,
<www.lib.berkeley.edu/TeachingLib/Guides/Internet/WhatIs.html> : « the Internet is a network
of networks, linking computers to computers sharing the TCP/IP protocols. »
(36) Comme l’écrit Manuel Castells, le cyberespace, en tant que plateforme globale de com-
munication, ne peut être réduit à sa dimension instrumentale, M. CASTELLS, La galaxie Internet,
trad. Ph. Chemla, Paris, Fayard, 2001, p. 13. Voir aussi M. WERTHEIM, The Pearly Gates of
Cyberspace. A History of Space from Dante to the Internet, Londres, Virago, 1999, p. 299 : le cyber-
espace est un espace social, un « réseau de relations », P. TRUDEL, « Quel droit pour le cyberes-
pace ? » in Légipresse, 1996, no 129, II, p. 9 et seq. : le cyberespace est un « lieu social » et B.D.
LOADER, « The Governance of Cyberspace : Politics, Technology and Global Restructuring » in
Governance of Cyberspace : Politics, Technology & Global Restructuring, s. dir. B.D. Loader, Londres,
Routledge, 1997, p. 1 et seq., spéc. p. 1 : « a computer-generated public domain which has no
territorial boundaries or physical attributes and is in perpetual use. »
Un débat passionné a animé ces dernières années une scène sociale, juridi-
que et politique, sur laquelle des acteurs de renom ont endossé des rôles
souvent radicaux de partisans ou de détracteurs du caractère réellement
révolutionnaire d’Internet au plan sociojuridique. Au centre des débats se
situe le terme cyberespace. Ce néologisme, attribué à un romancier du genre
cyberpunk, William Gibson (38), a ainsi été reçu de manières très variées
par la doctrine juridique, allant d’un rejet complet, le reléguant au statut de
fantasme libertaire ne décrivant rien de réel, à une prise en considération de
ce concept en tant que véritable espace international.
Le statut qu’on lui donne conditionne toute proposition ultérieure de ré-
gulation des activités y relatives ; un fantasme libertaire désengagé de la
réalité ne mérite pas la même considération juridique qu’un réel espace
international. De la même manière, la notion de cyberespace entretient une
(37) Pour être plus précis, il faudrait ajouter que le code informatique n’est pas le même pour
tous les domaines, toutes les zones du cyberespace. La transmission d’informations connaît des
contraintes différentes selon ces zones. En conséquence, certains auteurs considèrent que l’on ne
peut pas parler de cyberespace au singulier, qu’il en existe une pluralité. Du point de vue de la
théorie générale de la régulation du cyberespace qui nous concerne ici, nous pouvons toutefois
laisser cette précision de côté puisque notre étude se veut globale et indépendante des spécificités
du code informatique à un moment donné et dans un (cyber)lieu donné. Sur cette question, voir
notamment S. BIEGEL, Beyond our control ? Confronting The Limits of Our Legal System in the Age of
Cyberspace, Londres, MIT Press, 2001, p. 37 et seq. et L. LESSIG, « The Zones of Cyberspace » in
Stan. L. Rev., 1996, vol. 48, p. 1403 et seq.
(38) W. GIBSON, Neuromancer, New York, Ace Books, 1984.
(39) Pour une telle classification, voir S. BIEGEL, Beyond our control ?, op. cit. n. 37, pp. 31–40,
O. CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, Paris, LGDJ, 2002, pp. 13–14,
R.H. WEBER, Regulatory Models for the Online World, La Haye, Kluwer / Zurich, Schulthess,
2002, pp. 44–45.
(40) Pour de telles comparaisons, voir D.R. JOHNSON et D.G. POST, « Law and Borders –
The Rise of Law in Cyberspace » in Stan. L. R., 1996, vol. 48, p. 1367 et seq., M. BURNSTEIN,
« Conflicts on the Net : Choice of Law in Transnational Cyberspace » in Vand. J. Transnat’l L.,
1996, vol. 29, p. 75 et seq., ID., « A Global Network in a Compartmentalised Legal Environ-
ment » in Internet : Which Court Decides, Which Law Applies ?, s. dir. K. Boele-Woelki et C.
Kessedjian, La Haye, Kluwer, 1999, p. 23 et seq., spéc. pp. 24–25, T. BALLARINO, Internet nel
mondo della legge, Padoue, Cedam, 1996, p. 40, J.-J. LAVENUE, « Cyberespace et droit internatio-
nal : pour un nouveau jus communicationis » in RRJ, 1998, p. 811 et seq. et J.A. GRAHAM, Les
aspects internationaux des contrats conclus et exécutés dans l’espace virtuel, thèse Paris I dact., 2001.
Aussi, mais avec une opinion moins tranchée, E. KATSH, Law in a Digital World, New York,
Oxford Univ. Press, 1995 et ID., « Cybertime, Cyberspace, and Cyberlaw » in J. Online L., 1995,
§ 56. Voir aussi, pour un survol, S. BIEGEL, Beyond our control ?, op. cit. n. 37, pp. 38–40 et O.
CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, op. cit. n. 39, p. 13.
(41) Voir B. — Approche normative de la non-réglementation, p. 99 et seq. infra.
(42) S. BIEGEL, Beyond our control ?, op. cit. n. 37, p. 4 et seq., évoquant l’image du cyberespace
comme un territoire semblable aux prairies d’apparence infinie des westerns.
(43) Voir par exemple J.P. BARLOW, « Déclaration d’indépendance du Cyberespace », Davos,
8 février 1996 : « Gouvernements du monde industriel, je viens du Cyberespace, le nouveau domi-
cile de l’esprit. Au nom du futur, je vous demande à vous du passé de nous laisser tranquilles. Vous
n’êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n’avez pas de souveraineté où nous nous rassemblons
[…] Je déclare l’espace social global que nous nous construisons naturellement indépendant des
tyrannies que vous cherchez à nous imposer […] Le Cyberespace ne se situe pas dans vos frontiè-
res. Ne pensez pas que vous pouvez le construire, comme si c’était un projet de construction publi-
que. C’est un produit naturel, et il croît par notre action collective. » Barlow conçoit par ailleurs le
cyberespace comme permettant le développement d’une véritable « civilisation » alternative, d’un
« monde parallèle » : J.P. BARLOW, « Thinking Locally, Acting Globally », Liste de discussion
Cyber-rights, 15 janvier 1996.
(44) Une synthèse de ce courant idéaliste est par exemple présentée dans B. LOADER, « The
Governance of Cyberspace : Politics, Technology and Global Restructuring », op. cit. n. 36, p. 4 et
seq. Voir aussi A. — Approche descriptive de la non-réglementation, p. 95 et seq. infra.
(45) Sur ces difficultés de localisation, voir G. KAUFMANN-KOHLER, « Commerce électroni-
que : droit applicable et résolution des litiges » in Rec. Cours La Haye, à paraître et ID.,
« Arbitration agreements in online business transactions » in Law of International Business and
Dispute Settlement in the 21st Century. Liber Amicorum Karl-Heinz Böckstiegel, s. dir. R. Briner, L.Y.
Fortier, K.P. Berger et J. Bredow, Cologne, Heymanns, 2001, p. 355 et seq., spéc. P. 357. Voir
aussi D.L. BURK, « Jurisdiction in a World Without Borders » in Va. J.L. & Tech., 1997, vol. 1,
art. 3.
(46) Sur les diverses acceptions de la lex electronica, voir Sous-section III. — De la lex
electronica aux systèmes juridiques de places de marché, p. 470 et seq. infra.
cher tout litige par des cyberjuridictions. Le cyberespace serait ici réellement
un territoire doté, à terme, d’un corps de règles matérielles qui pourrait (ou
plutôt devrait) être désigné par les règles de conflit de lois des divers droits
étatiques (47).
A. — Flou de la notion
Si l’on considère que le terme cyberespace renvoie à l’ensemble des activités
véhiculées par le réseau, il est aisé de conclure qu’une régulation dotée
d’une densité normative significative est certainement impossible au vu de
la diversité des activités et que, partant, un « jus communicationis réduit à
quelques principes généraux ne présente pas grand intérêt » (48). En
d’autres termes, il faudrait nier toute pertinence au concept de cyberespace
parce qu’un réel droit du cyberespace, au sens d’un corps de règles applicables
à toute activité relative au cyberespace, est irréaliste. Cet argument, s’il est
en soi fort convaincant, n’enlève rien à la pertinence du concept de cyber-
espace pour penser la théorie générale des modes de régulation : le
(47) Pour une description de cette position, O. CACHARD, La régulation internationale du mar-
ché électronique, op. cit. n. 39, p. 13, l’auteur rejetant fermement cette position. Voir aussi B.
FAUVARQUE-COSSON, « Le droit international privé classique à l’épreuve des réseaux » in Le droit
international de l’internet, s. dir. G. Chatillon, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 55 et seq., spéc. pp. 61–
63, qui évoque la « lex electronica » et le « fantasme du cyberjuge ».
(48) O. CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, op. cit. n. 39, p. 16.
(49) Voir Chapitre II : Le droit dans le cyberespace : perturbations annoncées, p. 37 et seq. in-
fra.
(50) O. CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, op. cit. n. 39, p. 14. Un
tel flottement terminologique se retrouve notamment dans P. TRUDEL, « La lex electronica » in Le
droit saisi par la mondialisation, s. dir. Ch.-A. Morand, Bruxelles, Bruylant / Bruxelles, Éd. de
l’Université de Bruxelles / Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 2001, p. 221 et seq., spéc. p. 227.
(51) Voir plus avant O. CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, op. cit. n.
39, p. 14 et seq.
(52) En ce sens, voir par exemple E. VOLOKH, « Technology and the Future of Law » in Stan.
L. Rev., 1995, vol. 47, p. 1375 et seq. et J.L. GOLDSMITH, « Against Cyberanarchy » in U. Chi. L.
Rev., 1998, vol. 65, p. 1199 et seq.
nouveau corps de règles, mais au plus une légère adaptation des règles
existantes et prévues pour la vente à distance (qui impliquent régulièrement
les réseaux téléphoniques, de radio et de télévision) (53).
(53) Par exemple R.H. WEBER, Regulatory Models for the Online World, op. cit. n. 39, p. 44 :
« the need for a new legal framework governing the online world can be justified only under the
condition that cyberspace is materially different from real space […] Some scholars recognize
occasional differences ; however, such differences are not substantial enough to justify a new legal
regime since the problems occurring could be overcome by an adaptation of and amendment to the
existing legal framework. Consequently, even the term cyberspace is called into question as a meta-
phor » et J. KAUFMANN-WINN, « Open Systems, Free Markets, and Regulation of Internet
Commerce » in Tulane L. Rev., 1998, vol. 72, p. 1177 et seq.
(54) F. RIGAUX, « Les situations juridiques individuelles dans un système de relativité géné-
rale » in Rec. Cours La Haye, 1989, vol. 213, p. 68.
(55) Howard Rheingold a traduit cette approche par la définition suivante du cyberespace : il
s’agit de « l’espace conceptuel dans lequel les communications, les relations sociales, les données,
les richesses et le pouvoir se manifestent par des personnes utilisant des communications électroni-
ques » : H. RHEINGOLD, The Virtual Community : Homesteading on the Electronic Frontier,
Reading, Mass., Addison-Wesley, 1993, p. 5. Précisément dans le même sens, D. FOSTER,
« Community and identity in the electronic village » in Internet culture, s. dir. D. Porter, Londres,
Routledge, 1997, p. 23 et seq., spéc. p. 24.
(56) S. BIEGEL, Beyond our control ?, op. cit. n. 37, p. 37 : « just how different cyberspace – or a
portion of cyberspace – might be is necessarily a function of design and activity. »
(57) Ibid., 33 : « many of the differences in networked environments are function of the unique
combination of features governing interaction in this medium, including the ability to communi-
cate instantaneously on a one-to-one, one-to-many, and many-to-many basis, the independence of
communication from physical distance, the relatively low barriers to entry to communication, and
the entirely software-mediated nature of all communication and interaction. »
(58) Voir notamment Sous-section I. — Ubiquité : dématérialisation, détemporalisation,
déterritorialisation, p. 31 et seq. infra.
(59) R.H. WEBER, Regulatory Models for the Online World, op. cit. n. 39, p. 41: « the Internet as
a new forum for the exchange of information and communication, has three (sic) features that
distinguish it from previous technologies : - the Internet makes possible an instantaneous global
transmission of messages […], - the Internet enables individuals and organizations to communi-
cate with a large number of people, offering three different communication channels, namely one-
to-one, one-to-many, and many-to-many communications., - the internet allows communicating
participants to retain their anonymity to a great extent, - the Internet has become a vehicle for
unprecedented access to information through databases, search engines and robots. » S. BIEGEL,
Beyond our control ?, op. cit. n. 37, p. 34 : « by connecting simultaneously and engaging in varying
levels of simultaneous communication across many geographical barriers, people take part in
activity where things begin to happen in a very different manner. » Voir aussi B. COTTIER,
« Impact des nouveaux médias sur la science et la pratique du droit » in Quelques facettes du droit de
l’Internet. Droit des nouvelles technologies de l’information et de la communication, s. dir. N. Tissot,
Neuchâtel, PAN, 2001, p. 1 et seq.
que semble réellement pouvoir y mettre fin (on pense par exemple aux
échanges de fichiers musicaux MP3). Si ces différences rendent possibles,
en ligne, certains comportements qui ne l’étaient pas hors ligne, elles ne
doivent toutefois pas occulter le fait que les actions s’exprimant dans le
cyberespace ne sont pas toujours, loin s’en faut, sans conséquence pour le
monde hors ligne. Il va par ailleurs de soi qu’un internaute n’est pas présent
seulement dans le cyberespace mais que, bien au contraire, il demeure tou-
jours localisé sur le territoire d’un État (60).
En somme, s’il est vrai que le cyberespace ne peut guère être considéré
comme un nouvel espace au sens géographique du terme, rien ne s’oppose
en revanche à suivre la thèse selon laquelle il constitue un nouvel espace
social, un « milieu de vie » comme dirait Pierre Trudel (61), qui mérite une
analyse juridique propre (62). Dans cette perspective, les activités du cyber-
espace, véhiculées par le réseau, ont lieu dans cet environnement technique
où certains paradigmes (63) juridiques traditionnels sont ébranlés par les
spécificités architecturales et les comportements qui s’ensuivent (64). Le
cyberespace est donc un environnement particulier (65), dont les parti-
(60) Sur tout ceci, voir B. — La nécessité de l’activité réglementaire, p. 137 et seq. infra.
(61) P. TRUDEL, F. ABRAN, K. BENYEKHLEF et S. HEIN, Droit du cyberespace, Montréal,
Thémis, 1997, dernière de couverture : « au fur et à mesure que le cyberespace devient un milieu de
vie, s’accroît l’importance d’y trouver des règles du jeu adaptées et équilibrées. »
(62) R.H. WEBER, Regulatory Models for the Online World, op. cit. n. 39, p. 45, « most scholars
assume that the online world is different enough (in terms of architectural design, nature of activi-
ties, a unique combination of features, etc.) to give rise to new regulatory issues which need to be
tackled with different approaches ; however, the degree of deviation from traditional legal notions
can be greater or lesser. »
(63) Un paradigme est un modèle fondamental à une discipline ou sous-discipline qui fournit
aux chercheurs de cette discipline ou sous-discipline « pour un temps au moins, des problèmes-
types et des solutions » : Th. KUHN, La structure des révolutions scientifiques, 2ème éd, Paris, Fayard,
1973, p. 10. Pour une application à la science du droit, F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Jalons
pour une théorie critique du droit, Bruxelles, Publ. FUSL, 1987, p. 116 et seq. et ID., De la pyramide
au réseau ?, op. cit. n. 21, p. 13 et seq.
(64) On notera au demeurant que l’on a souvent pu dire qu’il n’existait pas un cyberespace, mais
plusieurs, parce que les différences architecturales et de types d’activités peuvent être aussi grandes
entre deux activités du cyberespace qu’entre le cyberespace et les activités hors ligne en général. En
ce sens, « chaque technologie crée un nouvel espace » : J.D. BOLTER, Writing Space : The Com-
puter, Hypertext, and the History of Writing, Hillsdale, NJ, Erlbaum, 1991, p. 11. Voir aussi S.
BIEGEL, Beyond our control ?, op. cit. n. 37, p. 40 et L. LESSIG, Code and other Laws of Cyberspace,
New York, Basic Books, 1999, pp. 63–85.
(65) R.H. WEBER, Regulatory Models for the Online World, op. cit. n. 39, p. 28 : « from a legal
point of view, cyberspace can be defined as the invisible, intangible world of electronic information
and processes stored at multiple interconnected sites, with controlled access and manifold possi-
bilities for interaction. Cyberspace thus includes the interaction of people, business, and other
entities over computer networks. This broad definition recognizes the important role of technol-
ogy for cyberspace without limiting the concept to a technology as such », avec de nombreuses
références.
(66) L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 64, p. 3 et seq., sous le titre évo-
cateur de « Code is law » et p. 82 : « cyberspace is not a place ; it is many places. Its places don’t
have one nature ; the places of cyberspace have many different natures. These natures are not given,
they are made. They are set (in part at least) by the architectures that constitute these different
spaces. These architectures are themselves not given ; these architectures of code are set by the
architects of cyberspace – code writers. » Voir aussi W.J. MITCHELL, City of Bits – Space, Place,
and the Infobahn, Cambridge, Mass., MIT Press, 1995, p. 111 : « code is the law. The rules gov-
erning any computer-constructed microworld – of a video game, your personal computer desktop,
a word processor window, an automated teller machine, or a chat room on the network – are
precisely and rigorously defined in the text of the program that constructs it on your screen » et E.
KATSH, « Software Worlds and the First Amendment : Virtual Doorkeepers in Cyberspace » in U.
Chi. Legal F., 1996, p. 335 et seq., spéc. p. 339 : « Software […] determines what we interact with,
how the screen appears, and what options users have. » Pour plus de développements, voir Sous-
section I. — La normativité de la technique, p. 123 et seq. supra.
SOUS-SECTION I. — UBIQUITÉ :
DÉMATÉRIALISATION, DÉTEMPORALISATION,
DÉTERRITORIALISATION
(67) R.H. WEBER, Regulatory Models for the Online World, op. cit. n. 39, p. 89 : « the rule-set-
ting process by whatever body, be it the national government, an international organization, or the
Cyberian community, cannot be successful if the foundations do not adequately consider the
particularities of global networks », voir aussi ID., Vom Monopol zum Wettbewerb : Regulierung der
Kommunikationsmärkte im Wandel, Zurich, Schulthess, 1995, 13-14, l’auteur arguant que
l’évolution technologique peut restreindre les modalités effectives d’intervention par le droit.
(68) G. KAUFMANN-KOHLER, « Commerce électronique : droit applicable et résolution des
litiges », op. cit. n. 45. Dans le même sens, voir Th. HOEREN, « Internet und Recht – Neue
Paradigmen des Informationsrechts » in NJW, 1998, vol. 39, p. 2849 et seq., spéc. p. 2849–2852,
l’auteur retenant « die Dematerialisierung », « die Deterritorialisierung » et « die Extemporalisie-
rung ».
(69) D’autres auteurs retiennent une acception plus modeste de cette caractéristique : l’ubiquité
s’entend pour eux du fait qu’une même information soit disponible sur plusieurs sites web en
même temps, sur ce que l’on appelle des sites miroirs. Cette technique de duplication est quelque-
fois tout à fait intentionnelle, visant à décharger les réseaux de télécommunications vers un seul
site ; les résultats des Jeux olympiques d’Atlanta, par exemple, étaient reproduit sur plusieurs sites
correspondants à plusieurs serveurs de par le monde. Voir par exemple P. TRUDEL et al., Droit du
cyberespace, op. cit. n. 61, p. 1/17 et S. GUILLEMARD, Le droit international privé face au contrat de
vente cyberspatial, thèse Laval et Paris II dact., 2003, p. 228 et seq.
(70) Sur la difficulté, en général, pour les États d’appréhender des phénomènes dématérialisés :
H. RUIZ-FABRI, « Immatérialité, territorialité et État » in ARSP, 1999, vol. 43, p. 187 et seq. et F.
CONSTANTIN, « L’informel internationalisé ou la subversion de la territorialité » in Cultures &
Conflits, 1996, vol. 21/22, no spécial L’international sans territoire, s. dir. B. Badie et M.-C. Smouts,
p. 311 et seq.
(71) Sur tout ceci, Th. FRIEDMAN, The Lexus and the Olive Tree, Glasgow, HarperCollins,
2000, p. xvi et seq.
(72) C’est donc la dématérialisation qui conduit à la détemporalisation. qui conduit à la déter-
ritorialisation : en ce sens Th. HOEREN, « Internet und Recht – Neue Paradigmen des Informati-
onsrechts », op. cit. n. 68, p. 2850 : « die elektronische Geschwindigkeit deterritorialisiert das
Recht ».
(73) Pour une discussion de ce caractère ubiquitaire, U. SIEBER, « Informationsrecht und
Recht der Informationstechnik – Die Konstituierung eines Rechtsgebietes in Gegenstand,
Grundfragen und Zielen » in NJW, 1998, vol. 30, p. 2569 et seq., spéc. p. 2579.
(74) M. MCLUHAN, Explorations in Communication, Boston, Beacon Press, 1960.
(75) Voir par exemple R. CARRÉ DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État, t. 1,
Paris, Sirey, 1920, p. 5 : « la sphère de puissance de l’État coïncide avec l’espace sur lequel
s’étendent ses moyens de domination » et « l’État exerce sa puissance non seulement sur un terri-
toire, mais sur un espace, espace qui, il est vrai, a pour base de détermination le territoire lui-
même. »
(76) F. OST, Le temps du droit, Paris, Odile Jacob, 1999, par exemple pp. 281–293, sous titre
« Quand le droit se met à courir », où l’auteur relève diverses inadéquations entre la temporalité
juridique accélérée de l’urgence, très contemporaine et similaire à celle du cyberespace, et les ryth-
mes du droit dans ses fonctions socialisantes fondamentales.
(77) Voir Section II. — Le temps, p. 56 et seq. infra.
(78) Un numéro du type « 129.174.46.232 » (correspondant ici à l’ordinateur sur lequel cette
thèse est écrite).
(79) Internet, l’inter-réseau, est constitué de l’interconnection de plusieurs réseaux. On distin-
gue par exemple les réseaux suivants : les réseaux continentaux servant de support à tous les autres
réseaux (les backbone providers, par exemple Ebone et Europanet pour l’Europe, MCInet,
SPRINTlink, ANSnet-AOL et CERFnet aux États-unis), les réseaux de desserte (par exemple
Renater ou Oléane), les réseaux des fournisseurs d’accès régionaux et les réseaux fermés, internes
ou propriétaires (par exemple AOL ou CompuServe).
(80) A. DUFOUR, Internet, op. cit. n. 34, p. 6 : « la diversité des liaisons utilisées pour véhiculer
les informations sur Internet est totalement […] imperceptible pour l’utilisateur [de telle manière]
que l’on ignore généralement les supports et les routes empruntés réellement par les informations
que l’on reçoit ou que l’on envoie. »
(81) Voir par exemple Sh.E. GILLETT et M. KAPOR, « The Self-Governing Internet :
Coordination by Design » in Coordinating The Internet, s. dir. B. Kahin et J.H. Keller, Cambridge,
Mass. et Londres, MIT Press, 1997, p. 3 et seq., affirmant qu’Internet est « à 99 pour cent décen-
tralisé » et « centralisé pour un pour cent ».
(82) Rappelons ici que, si les noms de domaine en <.com>, <.org> et <.net>, notamment, ne
correspondent pas à une localisation spécifique, les adresses IP relatives à ces noms de domaine,
quant à elles, sont géodépendantes.
(83) Pour une présentation technique du fonctionnement du système de nommage, W.R.
STEVENS, TCP/IP illustré, vol. 1, Les protocoles, trad. E. Tyberghier, Paris, Thomson, 1997, p. 9 et
seq.
(84) Voir B. — L’affaire Yahoo, p. 69 et seq. infra et Sous-section VI. — Vers un
morcellement du cyberespace ?, p. 229 et seq. infra.
(85) Pour un survol de toute cette problématique, on peut lire D.J.B. SVANTESSON, « The
characteristics making Internet communications challenge traditional models of regulation – What
every international jurist should know about the Internet » in Int. J. L. & Tech., 2005, vol. 13, p. 39
et seq.
(86) G. ABI-SAAB, « Cours général de droit international public » in Rec. Cours La Haye, 1987,
vol. 207, p. 9 et seq., spéc. pp. 62 et 75.
(87) J.P. BARLOW, « Déclaration d’indépendance du Cyberespace », op. cit. n. 43.
(88) De manière globale sur les interactions entre droit et technologie, voir Y. POULLET, « La
technologie et le droit : du défi à l’alliance » in Liber amicorum Guy Horsmans, Bruxelles, Bruylant,
2004, p. 943 et seq.
(89) J. LECA, « L’État creux » in La France au-delà du siècle, La Tour d’Aigues, DATAR / Ed.
de l’Aube, 1994, p. 91 et seq.
(90) Y. POULLET, « La technologie et le droit : du défi à l’alliance », op. cit. n. 88, pp. 946–947.
mative juridique, de tous les intérêts en jeu, de tous les rapports de force et
de tous les acteurs. Partant, les normes s’appliquant dans ce contexte sont
souvent assouplies, rendues plus générales pour que les décisions concrètes
puissent a posteriori bénéficier d’une plus grande marge de manœuvre et
donc prendre en compte les intérêts de manière plus adaptée. Cette si-
tuation entraîne un déplacement des centres de la production du droit vers
les acteurs plus rapides, plus adaptatifs, parmi lesquels on compte les insti-
tutions de la résolution des litiges.
(91) Pour une analyse économique de l’information et de sa mise en réseau, ainsi que de ses
implications pour la régulation du cyberespace, voir B. DU MARAIS, « Auto-régulation, régulation
et co-régulation des réseaux » in Le droit international de l’internet, s. dir. G. Chatillon, Bruxelles,
Bruylant, 2003, p. 293 et seq., spéc. p. 299 : « d’une part, le fonctionnement du réseau crée des
économies d’envergure. Plus le réseau est étendu d’un point de vue géographique ou démographique,
plus l’utilité que chaque intervenant retire, quantitativement, de sa participation au réseau devient
importante. D’autre part, il existe au sein de tout réseau des effets de club. L’appartenance au réseau
a des effets positifs de nature non seulement quantitative, mais aussi de nature qualitative. Chaque
acteur s’enrichit lui-même du contact avec les autres et inversement, l’ensemble de la collectivité
s’enrichit également de l’existence et de la participation de chacun des individus. »
(92) Voir par exemple M. CASTELLS, La galaxie Internet, op. cit. n. 36, p. 11, pour qui « les
activités économiques, sociales, politiques et culturelles cruciales, sur toute la planète, sont au-
jourd’hui structurées par et autour d’Internet. Le non-accès à ces réseaux [i.e. la fracture digitale,
soit l’exclusion en 2000 de 93% de la population mondiale d’Internet] est devenu la forme la plus
dommageable d’exclusion dans notre économie et notre culture. »
ition, qui non seulement prive les habitants de ces derniers d’importantes
possibilités de développer leur capital économique, social et culturel, mais
risque également d’accentuer progressivement les écarts de pouvoir écono-
mique entre les pays riches et les pays pauvres (93). Mais il existe égale-
ment d’autres types de fractures numériques, par exemple entre les
générations ou entre les foyers plus ou moins riches (94). Finalement, il
faut introduire l’idée d’une gradation dans la fracture : d’un côté, il peut
être plus ou moins difficile (et non possible ou impossible) pour une popu-
lation donnée d’accéder au cyberespace et, de l’autre, certaines informations
disponibles par Internet ou certaines zones du cyberespace peuvent être
plus ou moins facilement accessibles.
L’importance de cette fracture est telle que d’aucuns y voient le risque de
l’avènement d’une nouvelle lutte des classes (95). Celle-ci n’opposerait plus
aristocrates, bourgeois et prolétaires, mais ceux que l’on appelle aux États-
Unis les « information haves » et les « information have-nots » (96), c’est-à-
dire ceux qui ont accès aux informations et ceux qui n’y ont pas accès. Si
l’on reprend l’idée de la gradation, cette lutte des classes se laisse bien en-
tendu affiner au-delà des catégories de ceux qui accèdent à Internet et les
autres, pour prendre en compte les divers degrés d’accessibilité aux infor-
mations que l’on trouve sur Internet. Dans ce contexte, la réflexion huma-
niste sur l’accès aux réseaux ne prend plus des allures de justice
redistributive, comme elle le fait dans le contexte socioéconomique général,
mais elle se concentre sur la notion d’« accès universel », qui est entendu
« non […] comme le seul accès aux moyens techniques de communication
(l’infrastructure et le service de transport [des informations]), mais éga-
lement comme l’exigence de création et de mise à disposition de contenus
informationnels auxquels chacun doit pouvoir accéder » (97).
L’information transmise par Internet devient donc de plus en plus im-
portante. Elle constitue une ressource de valeur, donnant corps à cette ex-
pression très à la mode de « société de l’information ». Or, comme nous
aurons l’occasion de le revoir dans le cadre de cette étude (98), celui qui
contrôle une ressource de valeur acquiert de ce fait un certain pouvoir nor-
matif, car qui veut accéder aux ressources doit se conformer aux règles
édictées par celui qui les contrôle. Une perspective fondée sur le pluralisme
juridique (c’est-à-dire sur l’idée qu’il existe du droit autre qu’étatique) per-
met d’y voir dans certains cas un pouvoir normatif juridique, que celui-ci
soit d’ailleurs reconnu ou non par l’État. Ce pouvoir normatif permet à
celui qui participe au contrôle de l’accès à Internet ou à certaines zones du
cyberespace (c’est-à-dire à certains univers d’informations) de jouer le rôle
d’un acteur de la régulation du cyberespace.
Concrètement, un tel pouvoir normatif se retrouve par exemple dans le
contexte de l’accès au réseau lui-même (contrôlé en partie par les
fournisseurs d’accès à Internet), des noms de domaine (contrôlé notam-
ment par l’ICANN) (99) et de l’accès aux biens informationnels (les in-
formations sur lesquelles leurs auteurs prétendent avoir un droit d’auteur et
les font protéger par des mesures techniques) (100). Étant donné que tout
contrôle d’accès au cyberespace et au sein de celui-ci repose sur la technique
(puisque les lois de la nature y sont remplacées par les contraintes et les pos-
sibilités de la technique (101)), les acteurs de la régulation qui émergent ici
sont ceux qui contrôlent la technique ; nous les appellerons les producteurs
de technologies (102). L’émergence de ces nouveaux acteurs entraîne inévi-
tablement, dans certains secteurs, une modification des équilibres qui
avaient été instaurés par le droit. Les exemples qui suivent en témoignent.
endroit, les données n’en devinrent pas moins accessibles de manière dé-
localisée et la diffusion en fut largement facilitée. La révolution ne s’arrêta
toutefois pas à la conservation et à la diffusion, mais s’étendit également
aux traitement des informations, avec le développement de possibilités de
croisement des bases de données et de recherches globales, multicritères et
souvent presque instantanées (105). Quant aux risques suscités par cette
transformation dans la conservation, la diffusion et le traitement des in-
formations, il suffit de se remémorer cette erreur d’un employé de l’en-
treprise pharmaceutique Eli Lilly, produisant le célèbre antidépresseur
Prozac : cliquant par inadvertance sur un mauvais bouton, il avait com-
muniqué à tous les abonnés d’une liste de diffusion pour utilisateurs de
Prozac les noms de tous les autres abonnés de la liste…
La fragilisation contemporaine du respect de la vie privée connaît son
expression la plus radicale dans le contexte du cyberespace. Tout d’abord,
l’un des principaux actifs des sociétés dont l’activité première s’exerce ex-
clusivement en ligne (les dot.coms) a été pendant longtemps leur possession
de banques de données de clients actuels ou potentiels. Ceci les poussait à
développer diverses stratégies d’intrusion dans la vie privée de leurs clients
pour en établir les profils ; en ce sens la fourniture de services gratuits sur
Internet avait souvent pour seul but de récolter de telles infor-
mations (106). Quant aux utilisateurs, ils ne réalisent souvent pas que la
finalité du traitement de ces informations peut être aisément détournée.
Pire encore, ils ne se rendent souvent pas compte du fait qu’ils se trouvent
dans une situation où des données les concernant sont divulguées, parce
que la divulgation a en de nombreuses occasions une composante automa-
tique. Par exemple, les cookies permettent d’établir aisément un profil
d’utilisateur en suivant les mouvements de celui-ci sur les diverses pages
d’un site web ou sur celles de sites partenaires (107), révélant ainsi ses pré-
(105) Sur tout ceci, D. GILLIEROT et A. LEFEBVRE, Internet : la plasticité du droit mise à
l’épreuve, Bruxelles, Fondation Roi Baudouin, 1998, p. 28.
(106) Sur tout ceci, L. EDWARDS, « Consumer Privacy, On-Line Business and the Internet :
Looking for Privacy in all the Wrong Places » in Int. J. L. & Tech., 2003, vol. 11, p. 226 et seq.,
spéc. pp. 227–232.
(107) Certains sites web vendent en effet les informations glanées par leurs cookies à des socié-
tés de cybermarketing, ou les échangent avec des sites partenaires. La société DoubleClick, à
laquelle nous reviendrons sous peu, compte ainsi plus de 12'000 sites desquelles elle achète les
(111) Ce chiffre se fonde sur les estimations de la société new-yorkaise Basex et la société cali-
fornienne The Radicati Group : voir J. LYMAN, « Spam Costs $20 Billion Each Year in Lost
Productivity » in E-Commerce Times, 29 décembre 2003, <www.basex.com> et The Radicati
Group, Anti-Spam Market Trends, 2003-2007, juillet 2003. Voir aussi E.A. ALONGI, « Has the
U.S. Canned Spam ? » in Ariz. L. Rev., 2004, vol. 46, p. 263 et seq. et J.E. BROCKHOEFT,
« Evaluating the Can Spam Act of 2003 » in Loy. L. & Tech. Ann., 2004, vol. 4, p. 1 et seq.
(112) Y. POULLET, « La technologie et le droit : du défi à l’alliance », op. cit. n. 88, p. 949 et
seq. : « Si l’expression de ‘Privacy Enhancing Technolgies’ (PETS) a ainsi été promue pour dési-
gner des technologies protectrices de notre vie privée, on peut désormais de manière parallèle
parler de ‘Intellectual Property Enhancing Technologies’ (IPETS) voire de ‘Consumer Protection
Enhancing Technologies’ (CPETS) bref regrouper l’ensemble de ces technologies sous le vocable
générique de ‘Rights Enhancing Technologies’ (RETS). »
(113) Voir par exemple H. BURKERT, « Privacy Enhancing Technologies : Typology, Critique,
Vision » in Technology and Privacy : New Landscape, s. dir. Ph. Agre et M. Rotenberg, Cambridge,
Mass., MIT Press, 1997, p. 125 et seq.
(114) Voir <www.w3.org/PICS>, R.P. WAGNER, « Filters and the First Amendment » in
Minn. L. Rev., 1998, vol. 83, p. 755 et seq. et Y. POULLET, « How to Regulate the Internet : New
Paradigms for Internet Governance » in E-Commerce Law and Practice in Europe, s. dir. I. Walden
et J. Hörnle, Cambridge, Woodhead, 2001, Section 1, Chapitre 2, p. 1 et seq., spéc. pp. 2 et 7.
(115) Voir <www.w3.org/P3P> et L.F. CRANOR, « Agents of Choice : Tools that Facilitate
Notice and Choice about Web Site Data Practices », actes du colloque de la 21ème International
Conference on Privacy and Personal Data Protection, 13–15 septembre 1999, Hong Kong, p. 19
et seq., <lorrie.cranor.org/pubs/hk.pdf>.
(116) Par exemple L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 64, pp. 159–163.
(117) J.F. PERRIN, « La notion d’‘effectivité’ en droit européen, international et comparé de la
protection des données personnelles » in Mélanges en l’honneur de Bernard Dutoit, s. dir. R. Bieber,
Genève, Droz, 2002, p. 197 et seq., spéc. pp. 200 et 201.
(118) Pour une présentation de ces trois facteurs : Y. POULLET, Compte rendu de l’audition,
op. cit. n. 24, pp. 3–4.
(119) Voir Sous-section II. — Protection de la vie privée, p. 43 et seq. supra.
(120) Sur tout ceci, Y. POULLET, Compte rendu de l’audition, op. cit. n. 24, p. 3.
(121) Voir Section II. — Le temps, p. 56 et seq. infra.
(122) Voir Chapitre VII : La résolution des litiges en ligne comme accès à la justice, p. 251 et
seq. infra.
(123) Voir par exemple, avec toutefois une position extrêmement radicale, S. GUILLEMARD,
« Le cyberconsommateur est mort, vive l’adhérent » in JDI, 2004, p. 7 et seq., spéc. pp. 31–37, qui
conclut que « le cyberconsommateur n’existe pas » ou plutôt qu’il ne devrait pas, au sens juridique du
terme, exister parce qu’il ne mérite pas la protection juridique prévue pour le consommateur
moyen.
Platon, raconte-t-on, se plaignait déjà que des copies de ses discours circu-
laient sans son autorisation en Sicile. S’il s’en plaignait réellement, on peut
penser qu’il ne pouvait guère s’y opposer : le droit d’auteur n’existait pas. Il
n’existait pas parce qu’il ne semblait pas nécessaire d’interdire les copies
(124) C. KESSEDJIAN, « Aspects juridiques du e-trading : règlement des différends et droit ap-
plicable » in Journée 2000 de droit bancaire et financier, s. dir. L. Thévenoz et Ch. Bovet, Berne,
Stämpfli, 2000, p. 65 et seq., spéc. p. 69 et seq.
sous forme numérique et peut, en principe, faire l’objet d’un nombre infini
de copies parfaites, sans dégradation de qualité et à des coûts quasi
nuls (128). John Perry Barlow, célèbre défenseur radical du caractère liber-
taire du cyberespace, clamait ainsi fièrement que « tout ce que vous savez
sur la propriété intellectuelle est [désormais] faux » (129). Il était également
des auteurs beaucoup plus sérieux, comme René-Jean Dupuy, pour défen-
dre la même thèse et affirmer que « pour l’heure, le régime de l’Internet est
celui de la totale liberté. [Le cyberespace] réduit à néant la protection de la
propriété intellectuelle et rend malaisée la perception des droits
d’auteur » (130).
Toutefois, la réalité semble actuellement évoluer dans le sens contraire.
À côté de la crainte d’un manque de protection des titulaires de droits
d’auteur émerge en effet celle d’une surprotection des détenteurs de « biens
informationnels » (131). On se rend compte, aujourd’hui, que la technique,
qui permet de porter atteinte aux droits d’auteur, peut également être uti-
(128) N. NEGROPONTE, Being Digital, New York, Vintage Books, 1995, p. 58 : « most people
worry about copyright in terms of the ease of making copies. In the digital world, not only the ease
is at issue, but also the fact that the digital copy is as perfect as the original and, with some fancy
computing, even better than the original. »
(129) J.P. BARLOW, « Selling Wine Without Bottles : The Economy of Mind on the Global
Net » in Wired, 2 mars 1993.
(130) R.J. DUPUY, « Le dédoublement du monde » in RGDIP, 1996, p. 313 et seq., spéc.
p. 317. Dans le même sens, T. VINJE, « A brave new world of technical protection : will there still
be a room for copyright ? » in EIPR, 1996, vol. 8, p. 430 et seq. Pour une discussion de cette
position, L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 64, pp. 124–125 et G.
GREENLEAF, « An Endnote on Regulating Cyberspace : Architecture vs Law ? » in UNSW Law
Journal, 1998, vol. 21, p. 593 et seq., spéc. 618.
(131) L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 64, p. 127 : « the power to regu-
late access to and use of copyrighted material is about to be perfected. Whatever the mavens of the
mid-1990s may have thought, cyberspace is about to give holders of copyrighted property the
biggest gift of protection they have ever known » et p. 135 et seq., Y. POULLET, « Quelques
considérations sur le droit du cyberespace » in Les dimensions internationales du droit du cyberespace,
s. dir. T. Fuentes-Camacho, Paris, Éd. UNESCO/Economica, 2000, p. 185 et seq., spéc. p. 192 :
« ces protections rendent inutiles les régimes de protection juridique, elles assurent aux détenteurs
de simples ‘biens’ informationnels une protection dont l’efficacité et l’ampleur sont sans commune
mesure avec celles accordées par le droit de propriété intellectuelle en exception au principe sacré
de libre circulation des idées », ID., Compte rendu de l’audition, op. cit. n. 24, p. 4 et seq., G.
GREENLEAF, « An Endnote on Regulating Cyberspace : Architecture vs Law ? », op. cit. n. 130,
p. 618 et seq., D. GILLIEROT et A. LEFEBVRE, Internet : la plasticité du droit mise à l’épreuve, op.
cit. n. 105, p. 32 et seq. et M. STEFIK, « Shifting the Possible : How Trusted Systems and Digital
Property Rights Challenge Us to Rethink Digital Publishing » in Berkeley Tech. L.J., 1997, vol. 12,
p. 137 et seq.
lisée pour protéger, par des intellectual property enhancing technologies, les
œuvres couvertes par ces droits (132). En d’autres termes, comme l’écrit
Charles Clark, « the answer to the machine is in the machine » (133). Or cette
protection peut atteindre une efficacité que la législation, opérant par la
menace de sanctions, n’aurait jamais pu déployer. Mais cette très grande
efficacité conduit à une trop grande protection : les systèmes de gestion
numérisée des droits d’auteur (que l’on appelle souvent ECMS pour elec-
tronic copyright management systems) confèrent à leurs utilisateurs une dou-
ble surprotection, celle-ci étant à la fois trop large et trop stricte (134).
Nous y reviendrons.
Les ECMS recouvrent un nombre relativement important de techno-
logies (135). Parmi celles-ci, on citera tout d’abord les filigranes ou ta-
touages numériques (digital watermarks), qui peuvent être apposés sur tout
type de document textuel ou graphique, pour autant qu’il soit sous forme
électronique (136). Ces filigranes peuvent contenir des informations inef-
façables sur les titulaires de droits sur le document. Les agents indexeurs
(spiders, crawlers, ou encore bots), qui parcourent le web à la recherche de
copies électroniques d’œuvres identifiables, en forment un autre exem-
ple (137). On mentionnera encore les œuvres numériques envoyant au-
tomatiquement un rapport à une centrale lors de chaque utilisation ou
visualisation de celles-ci et, dans le même ordre d’idées, les conteneurs
(132) Pour une introduction aux mesures techniques de protection des droits d’auteurs, voir par
exemple Th. VERBIEST et É. WÉRY, Le droit de l’internet et de la société de l’information. Droits
européen, belge et français, Bruxelles, Larcier, 2001, p. 122 et seq. Pour une défense de ces méca-
nismes, M. MOSSÉ, « Droits d’auteurs et exception pour copie privée à l’ère de l’Internet » in Le
droit international de l’internet, s. dir. G. Chatillon, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 459 et seq.
(133) Ch. CLARK, « The answer to the machine is in the machine » in The future of copyright in
a digital environment, s. dir. B. Hugenholtz, La Haye, Kluwer, 1996, p. 139 et seq.
(134) De manière générale, voir T.W. BELL, « Fair Use vs. Fared Use : The Impact of Auto-
mated Rights Management on Copyright’s Fair Use Doctrine » in N.C. L. Rev., 1998, vol. 76,
p. 557 et seq.
(135) Sur ces systèmes, S. DUSOLLIER, Droit d’auteur et protection des oeuvres dans l’univers
numérique – Droits et exceptions à la lumière des dispositifs de verrouillage des œuvres, Bruxelles,
Larcier, 2005, à paraître et J. KAESTNER, « Intellectual Property – Law and Technology Conver-
gence : Copyright » in E-Commerce Law and Practice in Europe, s. dir. I. Walden et J. Hörnle,
Cambridge, Woodhead, 2001, Section 3, Part 2.
(136) Voir par exemple Th. VERBIEST et É. WÉRY, Le droit de l’internet et de la société de
l’information, op. cit. n. 132, p. 124.
(137) Sur ces agents, voir L. LESSIG, The Future of Ideas, op. cit. n. 35, pp. 180–183.
(138) L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 64, p. 129 : « this system would
function by discriminating in the intercourse it has with other systems […] and copyrighted mate-
rial would be traded only among systems that properly controlled access » et M. STEFIK, « Shifting
the Possible », op. cit. n. 131. Pour des exemples, G. GREENLEAF, « An Endnote on Regulating
Cyberspace : Architecture vs Law ? », op. cit. n. 130, p. 620 et seq.
(139) S. DUSOLLIER, « Incidences et réalités d’un droit de contrôler l’accès aux œuvres en droit
européen » in Le droit d’auteur : un contrôle de l’accès aux œuvres, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 26 et
seq., spéc. pp. 40–41 : « en matière de cryptographie et d’accès sécurisé, la technique n’épouse plus
parfaitement les prérogatives de l’auteur. Il ne s’agit plus seulement de renforcer l’effectivité des
droits exclusifs, droits de reproduction, de communication ou droit moral, par exemple, par le fait
de la technique mais bien d’exercer de manière automatisée la gestion d’un service de distribution
de contenus digitaux, qu’ils soient protégés par le droit d’auteur ou non » (nous soulignons). Voir aussi
Y. POULLET, Compte rendu de l’audition, op. cit. n. 24, p. 5.
(140) Y. POULLET, « Quelques considérations sur le droit du cyberespace », op. cit. n. 131,
p. 192 et D. GILLIEROT et A. LEFEBVRE, Internet : la plasticité du droit mise à l’épreuve, op. cit. n.
105, pp. 32–33.
(141) Sur tout ceci, T.W. BELL, « Fair Use vs. Fared Use », op. cit. n. 134, p. 563 et seq., L.
LESSIG, The Future of Ideas, op. cit. n. 35, p. 180 et seq., ID., Code and Other Laws of Cyberspace, op.
cit. n. 64, pp. 134, 137–139, 197 et Y. POULLET, « Quelques considérations sur le droit du cyber-
espace », op. cit. n. 131, p. 192.
(142) L’art. 11 Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, du 20 décembre 1996 dispose ainsi que
« les Parties contractantes doivent prévoir une protection juridique appropriée et des sanctions
juridiques efficaces contre la neutralisation des mesures techniques efficaces qui sont mises en
œuvre par les auteurs dans le cadre de l’exercice de leurs droits en vertu du présent traité et qui
restreignent l’accomplissement, à l’égard de leurs œuvres, d’actes qui ne sont pas autorisés par les
auteurs concernés ou permis par la loi. »
(143) Art. 6 al. 1 Directive 2001/29 du Parlement Européen et du Conseil, du 22 mai 2001,
sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de
l’information, JO L 167 du 22.6.2001, p. 10 : « les États membres prévoient une protection juridi-
Comme nous l’avons exposé plus haut (146), les nouvelles technologies en
matière de télécommunication, de transmission d’information et de stoc-
kage des données, les fibres optiques et les satellites évoluant en orbite
basse ont permis de transmettre plus d’informations en moins de temps. Ils
ont en conséquence accéléré le temps de la communication. Conjuguée
avec d’autres causes sociétaires contemporaines, l’accélération du temps de
la communication a conduit à celle du temps social : on veut, pour le dire
simplement, que tout aille vite. L’accélération du temps social a, à son tour,
que appropriée contre le contournement de toute mesure technique efficace, que la personne
effectue en sachant, ou en ayant des raisons valables de penser, qu’elle poursuit cet objectif. » Pour
une analyse de cette directive, S. DUSOLLIER et A. STROWEL, « La protection légale des systèmes
techniques : analyse de la directive 2001/29 sur le droit d’auteur dans une perspective compara-
tiste » in Propriétés Intellectuelles, 2001, vol. 1, p. 10 et seq.
(144) Art. 7 al. 1, lit. c Directive 91/250 du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection
juridique des programmes d’ordinateur, JO L 122 du 17.5.1991, p. 42 : « les États membres pren-
nent […] des mesures appropriées à l’encontre des personnes qui […] mett[ent] en circulation ou
dét[iennent] à des fins commerciales tout moyen ayant pour seul but de faciliter la suppression non
autorisée ou la neutralisation de tout dispositif technique éventuellement mis en place pour proté-
ger un programme d’ordinateur. »
(145) Digital Millennium Copyright Act, Pub. L. no 105-304, 112 Stat. 2860, 1998, codifié en
diverses sections de 17 U.S.C., 28 U.S.C. et 35 U.S.C. Voir spéc. 17 U.S.C. 1201, lit. a, ch. 1,
sub-lit. A : « no person shall circumvent a technological measure that effectively controls access to
a work protected under this title ». Voir aussi, pour une discussion critique, L. LESSIG, « Law
Regulating Code Regulating Law » in Loy. U. Chi. L.J., 2003, vol. 35, p. 1 et seq., spéc. p. 7 et seq.
(146) Voir Sous-section I. — Ubiquité : dématérialisation, détemporalisation,
déterritorialisation, p. 31 et seq. supra.
(147) Sur l’accélération du temps du droit, voir surtout F. OST, Le temps du droit, op. cit. n. 76,
pp. 251 et seq.
(148) Th. BOURGOIGNIE, Éléments pour une théorie du droit de la consommation, Bruxelles,
Story-scientia, 1988, p. 197, cité par F. OST, « Le commerce en ligne : courts-circuits et excès de
vitesse » in Le consentement électronique, s. dir. B. de Nayer et J. Laffineur, Louvain-la-Neuve,
Centre de droit de la consommation, 2000, p. 187 et seq., spéc. p. 198.
(149) Pour des statistiques confirmant la réalité de ce phénomène, B. BIZEUL, Le télé-achat et le
droit des contrats, Paris, CNRS, 1998, pp. 114 et seq. et 130 et seq.
(150) Voir Sous-section II. — Protection de la vie privée, p. 43 et seq. supra et Sous-section
III. — Affaiblissement des consommateurs, p. 47 et seq. supra.
(151) Art. 6 al. 1 Directive 97/7 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 1997,
concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance (Directive sur la
vente à distance), JO L 144 du 4.6.1997, p. 19.
(152) L’art. 3 Directive sur la vente à distance prévoit ainsi que « la présente directive ne
s’applique pas aux contrats : portant sur les services financiers dont une liste non exhaustive figure à
l’annexe II, [c’est-à-dire les ‘services d’investissement, les opérations d’assurance et de réassurance,
les services bancaires, les opérations ayant trait aux fonds de pensions et les services visant des
opérations à terme ou en option’], […] [ou] conclus lors d’une vente aux enchères » et l’art. 6 al. 3
dispose que « sauf si les parties en ont convenu autrement, le consommateur ne peut exercer le
droit de rétractation […] pour les contrats : de fourniture de services dont l’exécution a commencé,
avec l’accord du consommateur, avant la fin du délai de sept jours ouvrables […], de fourniture de
biens ou de services dont le prix est fonction de fluctuations des taux du marché financier, que le
fournisseur n’est pas en état de contrôler, de fourniture de biens confectionnés selon les spécifica-
tions du consommateur ou nettement personnalisés ou qui, du fait de leur nature, ne peuvent être
réexpédiés ou sont susceptibles de se détériorer ou de se périmer rapidement, de fourniture
d’enregistrements audio ou vidéo ou de logiciels informatiques descellés par le consommateur, de
fourniture de journaux, de périodiques et de magazines, de services de paris et de loteries. »
(153) En ce sens, Th. HOEREN, « Internet und Recht – Neue Paradigmen des Informations-
rechts », op. cit. n. 68, pp. 2851–2852. Sur le « temps des facteurs », F. OST, « Le commerce en
ligne : courts-circuits et excès de vitesse », op. cit. n. 148, p. 195.
(154) F. OST, « Le commerce en ligne : courts-circuits et excès de vitesse », op. cit. n. 148,
p. 197, qui poursuit, p. 198, en affirmant que « loin de relever d’un formalisme dépassé, ces enga-
gements personnels et ces documents écrits permettent, en effet, outre l’appropriation personnelle
de l’opération par le débiteur, l’indispensable temps de réflexion nécessaire à celle-ci. »
(155) Th. HOEREN, « Internet und Recht – Neue Paradigmen des Informationsrechts », op.
cit. n. 68, p. 2852 « in der Tat wird erfüllt eine digitale Signatur bei Beachtung der [...]
Sicherheitsanforderungen die meisten Funktionen der Unterschrift, von der Abschluss- bis hin zur
Echtheitsfunktion. Großzügig hinweggegangen wird dabei jedoch über den Verlust der Warn-
lera encore que la signature manuscrite n’est certes pas requise ad validatem
pour les transactions de consommateurs hors ligne, mais elle est, de fait,
souvent exigée ad probationem par les fournisseurs. La perte de temps de
réflexion et de décision causée par le gain de temps dans la transaction doit
être compensée et le droit doit réapprendre à instituer la lenteur, au détri-
ment de l’accélération du temps social (156). L’accélération du temps
transactionnel et la facilitation de la conclusion des transactions se réalisent
toujours au désavantage du consommateur ; cela constitue une évidence qui
se dégage inéluctablement de l’expérience quotidienne de tout consomma-
teur ordinaire.
En l’absence de cette protection par la lenteur, on peut s’attendre à ce
que les consommateurs se tournent vers d’autres sources de protection, par
exemple celle des acteurs technologiques (bots pour la comparaison des
prix) ou privés (codes de conduite respectés par les marchands, attestés par
un label et assurés par un moyen spécifique de résolution des litiges opérant
par exemple en ligne).
funktion. Wer etwas handschriftliches zu unterzeichnen hat, wird durch diesen Vorgang deutlich
darauf hingewiesen, dass er dabei ist, etwas Rechtserhebliches zu tun. Diese Warnung entfällt,
wenn digitale Signaturen binnen Sekundenbruchteilen automatisiert generiert und verschickt
werden. »
(156) Ibid., p. 2852 : « Dieser Verlust [an Zeitlicher Verzögerung] muss kompensiert werden ;
es bedarf in größerem Umfang der juristischen (Wieder-)Entdeckung der Langsamkeit » et F.
OST, « Le commerce en ligne : courts-circuits et excès de vitesse », op. cit. n. 148, p. 198, concluant
qu’il faut « rendre le temps au consommateur en ligne, [ce] temps de refroidir les passions et de
passer de l’impulsion électronique, si bien accordée à la toute puissance du désir, à la médiation
juridique, gage du retour à la réalité. »
dique ? On peut en douter car l’évolution de la technologie est telle que les
textes législatifs devraient être refondus avec une périodicité incompatible
avec la notion même de la loi » (157).
Il s’agit donc ici, dans le contexte global de la régulation des activités vé-
hiculées par les réseaux, de la remise en chantier permanente de la norme,
de l’incessante production normative juridique, de la temporalité contin-
gente d’une intervention normative qui doit sans cesse être adaptée à
l’évolution technologique et sociale. Or, dans cette course à la régulation,
« l’importance nouvelle des flux signale un changement des modalités de
contrôle, qui se situent désormais », écrit Habermas, « moins dans l’espace
que dans le temps. Le déplacement du centre d’intérêt, avec le passage du
‘souverain du territoire’ au ‘maître de la vitesse’, semble priver l’État natio-
nal de son pouvoir » (158). En d’autres termes, puisque les territoires et les
frontières se délitent sous l’effet de l’ubiquité de l’information dans le
cyberespace, il devient moins important de maîtriser un territoire (privilège
de l’État) pour pouvoir y imposer sa normativité que d’être le premier à
occuper le terrain régulatoire. Il importe d’être le premier à proposer et
faire accepter – ou d’imposer, si l’acteur non étatique peut mobiliser une
forme de contrainte autre que celle physique sur un territoire délimité (159)
– un corpus de normes, une forme de régulation.
Or ce sont les secteurs privés, et non l’État, qui s’approprient le rôle de
maître de la vitesse en raison de la simplicité, de la souplesse et de la ré-
activité de leurs processus de production normative (160). Par ailleurs, plus
Fribourg, Éd. univ. Fribourg, 2001, p. 493 et seq., spéc. p. 501 et seq., sous titre « Légiférer plus
rapidement ».
(161) Voir Chapitre VII : La résolution des litiges en ligne comme accès à la justice, p. 251 et
seq. infra.
(162) Sur ceci, voir Section II. — Premier modèle : l’autorégulation, p. 102 et seq. infra et
Section IV. — Troisième modèle : la co-régulation, p. 134 et seq. infra.
(163) Pour une telle approche, dépassant le contexte du cyberespace mais offrant une grande
clarté dans l’analyse : J. LECA, « L’État creux », op. cit. n. 89, p. 98.
des effets extraterritoriaux. En réaction, les États sont poussés à donner eux
aussi des effets extraterritoriaux à leurs lois, afin de protéger leurs popula-
tions et les intérêts essentiels de leurs ordres juridiques. Ensuite, nous exa-
minerons la souveraineté sous l’angle de la puissance d’État, c’est-à-dire la
relation entre ce dernier, dominant, et ses sujets, dominés. En d’autres
termes, nous y évoquerons des questions relatives à son pouvoir de mise en
œuvre du droit. Ici, le problème est que l’ubiquité et l’accessibilité de
l’information dans le cyberespace sapent ce pouvoir de domination en per-
mettant le développement de stratégies d’évitement législatif. Ces stratégies
suscitent le risque d’un dumping réglementaire et conduisent à l’émergence
de nouvelles formes d’intermédiation politique sans l’État. De plus, le dé-
veloppement des technologies contemporaines de cryptographie et d’ano-
nymisation, ainsi que la difficulté technique et temporelle de la régulation
de certains domaines relevant du droit du cyberespace affaiblissent le
pouvoir de l’État par rapport à ses sujets. Avant d’aborder toutefois ces
deux dimensions de la souveraineté mises à mal par le développement d’In-
ternet et les différentes problématiques que nous venons d’énumérer, arrê-
tons-nous quelques instants sur le principe ou paradigme de la territorialité,
afin de donner un premier cadre théorique à la discussion qui suivra.
SOUS-SECTION I. — CONSIDÉRATIONS
GÉNÉRALES SUR LE PRINCIPE DE TERRITORIALITÉ
ET LE CYBERESPACE
(164) A. GIDDENS, The Nation-State and violence, Cambridge, Polity Press, 1985, p. 121. Voir
aussi R. CARRÉ DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État, op. cit. n. 75, p. 5.
(165) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 21, p. 128.
Ce principe est formé de deux éléments, qui posent tous deux problème
dans le cyberespace : d’un côté, un territoire, « une implantation stable dans
l’espace, délimité par l’existence de frontières » et, de l’autre, un pouvoir de
contrainte, « c’est-à-dire des organes spécialisés investis du pouvoir de
commandement et dotés du privilège de recourir à la force » (166). Ces
deux éléments donnent son efficacité et sa légitimité au processus normatif
étatique. Dans le cyberespace, le premier élément se trouble, s’émousse,
entraînant une certaine perte de contrôle du second.
Le principe de territorialité est donc affaibli dans le cyberespace.
L’efficacité des frontières diminue, les espaces nationaux perdent de leur
pertinence, le pouvoir de contrainte s’amenuise. « D’un côté », écrivait le
grand internationaliste René-Jean Dupuy, « nous avons le monde des
États, qui est celui du cloisonnement. Les pouvoirs s’y répartissent sur des
espaces ajustés ». De l’autre, nous avons le cybermonde, construit sur un
« écheveau communicationnel », « ouvert aux communications et aux
échanges », permettant « à chacun de communiquer avec tous les autres » ;
partant, il « évoque la mappemonde dont la surface lisse n’oppose aucune
entrave aux flux transnationaux » (167). Ces deux mondes co-existent,
entrent en tension, en conflit, tandis que les internautes, eux, se trouvent
dans les deux en même temps. Au détriment d’une souhaitable simplicité
de l’analyse juridique, l’État n’est pas simplement évacué du cyberespace.
Celui-ci n’est pas un nouvel espace en dehors des États ; bien au contraire,
il est dans les États, les traversant sans respect pour leurs frontières ; il est
transnational.
On pourrait, plus avant, risquer une certaine analogie avec l’ordre juridi-
que international, dont François Rigaux rappelle qu’il « ne dispose pas d’un
territoire » (168) : tous deux sont à la fois partout où il y a un État et en
même temps nulle part (puisqu’ils n’ont pas de territoire). Toutefois, la
(177) G. JELLINEK, Allgemeine Staatslehre, 3ème éd., Berlin, Springer, 1921, p. 435 (trad. par
l’auteur).
(178) G. BURDEAU, F. HAMON, M. TROPER, Droit constitutionnel, 24ème éd., Paris, LGDJ,
1995, p. 178, les autres acceptions étant, pp. 178–179, la souveraineté au sens de Herrschaft, c’est-à-
dire « le caractère, la puissance d’un organe, qui, étant situé au sommet d’une hiérarchie, n’est
soumis à aucun contrôle et dont la volonté est productrice de droit » ; la souveraineté au sens de
Staatsgewalt, savoir « l’ensemble des pouvoirs que cet être [de l’acception précédente] peut exer-
cer » ; et l’essence de la souveraineté, soit « la qualité de l’être, réel ou fictif, au nom de qui est exercé
le pouvoir de l’organe souverain [au sens de Herrschaft]. »
(179) G. JELLINEK, Allgemeine Staatslehre, op. cit. n. 177, p. 454.
(180) G. BURDEAU, F. HAMON, M. TROPER, Droit constitutionnel, op. cit. n. 178, p. 178.
(181) G. ABI-SAAB, « Cours général de droit international public », op. cit. n. 86, pp. 62 et 75.
(182) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 21, p. 162.
(183) Voir par exemple, sur la compétence normative exclusive reconnue à l’État, B. STERN,
« Une élucidation du concept d’application extraterritoriale du droit » in RQDI, 1986, p. 49 et seq.
Voir aussi H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Droit international privé, t. II, 7ème éd., Paris, LGDJ,
1983, no 710, ainsi que B. GOLDMAN, « Le champ d’application territoriale des lois sur la concur-
rence » in Rec. Cours La Haye, 1969, vol. 128, p. 696 et seq., spéc. p. 710. On peut toutefois conce-
voir qu’un État entendant régir une activité menée depuis l’étranger puisse invoquer l’effet de cette
activité sur son territoire, effet qui doit cependant présenter une intensité particulière ainsi qu’un
« caractère intentionnel, au moins prévisible, substantiel, direct et immédiat » : ID.,
« L’extraterritorialité revisitée. Où il est question des affaires Alvarez Machain, Pâte de bois et de
quelques autres... » in AFDI, 1992, vol. 38, p. 239 et seq. Sur ceci, dans le contexte du commerce
électronique, voir G. KAUFMANN-KOHLER, « Internet : mondialisation de la communication –
mondialisation de la résolution des litiges », op. cit. n. 31, p. 92 et seq. et les nombreuses références
citées ainsi que O. CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, op. cit. n. 39,
p. 54 et seq.
(184) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 21, p. 129. Voir
aussi I. BROWNLIE, Principles of International Public Law, 4ème éd., Oxford, Oxford Univ. Press,
1990, p. 307 : « the governing principle is that a state cannot take measures on the territory of
another state by way of enforcement of national laws without the consent of the latter ».
(185) J.-M. JACQUET, « La norme juridique extraterritoriale dans le commerce international »
in JDI, 1985, vol. 112, p. 327 et seq., spéc. p. 347. Voir aussi F. RIGAUX, « Les situations juridi-
ques individuelles dans un système de relativité générale », op. cit. n. 54, p. 292 « serait extraterrito-
riale une application de la norme […] qui se saisit ou s’efforce de se saisir de faits localisés hors du
territoire de l’État dont cette norme émane » et, pour un importante analyse en droit américain et
des interactions entre extraterritorialité et doctrines de relations internationales, A.-M.
SLAUGHTER, « Liberal International Relations Theory And International Economic Law » in Am.
U. J. Int’l L. & Pol’y, 1995, vol. 10, p. 717 et seq., spéc. p. 731 et seq.
(186) Si l’on peut concevoir que cette norme de droit international public manque sérieusement
d’effectivité, parce que la violation de cette norme est rarement portée devant une juridiction
internationale, il n’en demeure pas moins qu’une réelle perturbation se développe en cas de viola-
tions fréquentes, ce qui semble bien être le cas dans le cyberespace. Sur ce manque d’effectivité, P.
DE VAREILLES-SOMMIÈRES, La compétence internationale de l’État en matière de droit privé, Paris,
LGDJ, 1997, § 256 et seq. et P. MAYER, « Droit international privé et droit international public
sous l’angle de la notion de compétence » in Rev. crit., 1979, pp. 1–29, 349–388, 537–583, spéc.
p. 544 et seq.
(187) Pour la problématique dans le cyberespace, P. TRUDEL, « L’influence d’Internet sur la
production du droit », op. cit. n. 175, p. 90 : « en favorisant une redéfinition des espaces de réfé-
rence, Internet porte le germe d’une mutation des paramètres selon lesquels se conçoit la légitimité
du droit » et D.R. JOHNSON et D.G. POST, « Law and Borders – The Rise of Law in Cyber-
space » in Stan. L. Rev. 1996, vol. 48, p. 1367 et seq., spéc. p. 1380, qui évoquent l’idée d’un
« illegitimate extra-territorial power grab ».
(188) J.-M. CHEVALIER, I. EKELAND, M.-A. FRISON-ROCHE et M. KALIKA, Internet et nos
fondamentaux, Paris, PUF, 2000, p. 41. Sur les difficultés de contrôler techniquement les flux
d’information sur Internet, conduisant à remettre en question le principe de la souveraineté inter-
nationale, A. MEFFORD, « Lex Informatica : Foundations of law on the Internet » in Ind. J. Global
Legal Stud., 1997, p. 211 et seq. et J.L. GOLDSMITH, « Against Cyberanarchy », op. cit. n. 52,
pp. 1203–1204 : « regulation of the local effects of cyberspace information flows permits all nations
simultaneously to regulate all web-based transactions. The result is multiple and inconsistent
regulation of the same activity. »
(189) Voir G. KAUFMANN-KOHLER, « Commerce électronique : droit applicable et résolution
des litiges », op. cit. n. 45.
B. — L’affaire Yahoo
Au début de l’année 2000, des internautes français découvrirent que des
milliers de reliques, d’insignes, d’emblèmes et d’autres objets du même type
ème
à la gloire du 3 Reich étaient proposés à la vente sur le site d’enchères de
la société californienne Yahoo ! Inc. De plus, cette société hébergeait des
pages personnelles reproduisant des passages de Mein Kampf et du Proto-
cole des Sages de Sion. Les internautes en alertèrent des associations fran-
çaises de lutte contre le racisme et l’antisémitisme (192), qui saisirent le
Tribunal de grande instance de Paris. Par ordonnance de référé rendue le
22 mai 2000, le Tribunal se déclara compétent en arguant que l’événement
causal du dommage (le téléchargement des pages web en question (193))
ainsi que le dommage (194) moral causé aux associations de lutte contre le
racisme et l’antisémitisme avait lieu en France (195). Puis, se fondant sur
pour un résumé, M.-A. RENOLD, « Internet et le droit d’auteur » in SJ, 2002, no II, p. 83 et seq.,
spéc. p. 86.
(196) Union des Étudiants Juifs de France et la Ligue contre le Racisme et l’Antisémitisme c. Yahoo !
Inc. et Yahoo France, TGI Paris, ordonnance de référé du 11 août 2000, <www.legalis.net>.
(197) Rapport d’expertise établi par F. Wallon, V. Cerf et B. Laurie et remis au TGI Paris le 6
novembre 2000.
(198) Union des Étudiants Juifs de France, la Ligue contre le Racisme et l’Antisémitisme et MRAP
(intervenant volontaire) c. Yahoo ! Inc. et Yahoo France, TGI Paris, ordonnance de référé du 20
novembre 2000, <www.juriscom.net/txt/jurisfr/cti/tgiparis20001120.pdf >.
(199) On peut toutefois douter du caractère strict de cette interdiction, puisque un nombre non
négligeable (mais inférieur aux « milliers » du début de l’année 2000) d’objets nazis purent être
trouvés sur Yahoo.com en 2002 et en août 2004, date à laquelle nous écrivons : voir, pour la re-
cherche effectuée en 2002, D.A. LAPRÈS, « L’exorbitante affaire Yahoo » in JDI, 2002, vol. 129,
p. 975 et seq., spéc. p. 977. En août 2004, une recherche sous Mein Kampf, laissait encore appa-
raître deux liens publicitaires sur le site de Yahoo. Le terme nazi renvoyait à une trentaine d’objet
dont certains avaient clairement une légitimité historique, d’autres moins (par exemple la Very Rare
Nazi Color Adolf Hitler Tobacco Card vendue par une personne dont l’identifiant est reichstamps). Le
terme swastika conduisait à un certain nombre de cartes postales arborant des croix gammées…
On peut se demander quelle a été la véritable raison de cette interdiction, et l’on évoquera à ce
titre des intérêts de marketing, les pressions des associations de défense des intérêts juifs aux États-
Unis (en ce sens Y. POULLET, « L’affaire Yahoo ! Inc. ou la revanche du droit sur la technolo-
gie ? » in Ubiquité, 2001, vol. 9, p. 81 et seq., spéc. p. 84) ou celle des autres fournisseurs de servi-
ces de ventes aux enchères sur Internet visant à protéger le secteur tout entier. On observera qu’il
s’agit là de formes de régulation sociale se rapprochant de l’autorégulation.
(200) Yahoo ! Inc. c. La Ligue Contre Le Racisme et L’Antisémitisme et autres, 169 F. Supp. 2d
1181, p. 1194 (N.D. Cal. 2001) : « in light of the Court’s conclusion that enforcement of the
French order by a United States court would be inconsistent with the First Amendment, the
factual question of whether Yahoo ! possesses the technology to comply with the order is immate-
rial. Even assuming for purposes of the present motion that Yahoo ! does possess such technology,
compliance still would involve an impermissible restriction on speech. »
(201) Yahoo ! Inc. c. La Ligue Contre Le Racisme et L’Antisémitisme et autres, 379 F.3d 1120 (9th
Cir. Cal. 2004). Le juge conclut que les actions des associations françaises sur le territoire califor-
nien ne remplissaient pas le critère de purposeful availment.
(202) Comme le relève Valérie Sédaillan, « les informations disponibles sur Yahoo.com sont des-
tinées aux internautes américains, elles sont rédigées en langue anglaise, les publicités sur ce site
font la promotion de produits destinés aux américains, la monnaie de référence est le dollar et les
conditions d’utilisations du service sont rédigées en langue anglaise et soumises à la loi américaine »
et il s’agit d’objets de faible valeur nécessitant une livraison physique : V. SÉDAILLAN,
« Commentaire de l’affaire Yahoo !. À propos de l’ordonnance du Tribunal de grande instance de
Paris du 22 mai 2000 » in Juriscom.net, 24 octobre 2000, <www.juriscom.net/chr/2/fr20001024.-
htm>, § 27. Par ailleurs, Yahoo France, la filiale française de Yahoo ! Inc., s’était expressément
conformée à l’interdiction de mettre en vente des objets liés à l’apologie du nazisme et indiquait
aux internautes passant de Yahoo.fr à Yahoo.com que, sur ce dernier site, ils pourraient accéder à
des pages glorifiant le 3ème Reich et dont l’accès était interdit selon le droit français : voir P.S.
BERMAN, « The Globalization of Jurisdiction » in U. Pa. L. Rev., 2002, vol. 151, p. 311 et seq.,
spéc. p. 338.
(203) Pour un résumé, P.S. BERMAN, « The Globalization of Jurisdiction », op. cit. n. 202,
p. 337 et seq.
(204) J.-C. BURKEL, Le vieux continent et la révolution de l’information, Genève, euryopa, 2003,
p. 55 et V. SÉDAILLAN, « Commentaire de l’affaire Yahoo ! », op. cit. n. 202, § 19.
(205) P.S. BERMAN, « The Globalization of Jurisdiction », op. cit. n. 202, p. 337 et B. DE
GROOTE et J.-F. DERROITTE, « L’internet et le droit international privé : un mariage boiteux ? À
propos des affaires Yahoo ! et Gutnick » in Ubiquité, 2003, vol. 16, p. 61 et seq., spéc. p. 63 :
« l’ordre juridique le plus sévère servirait de norme minimale à respecter pour les sites hébergés
sous le portail de Yahoo. »
(206) Sur ce « zoning », voir L. LESSIG et A. RESNICK, « Zoning Speech on the Internet : A
Legal and Technical Model » in Mich. L. Rev., 1999, vol. 98, p. 395 et seq. et L. LESSIG, « The
Zones of Cyberspace », op. cit. n. 37.
(207) Voir par exemple Y. POULLET, « L’affaire Yahoo ! Inc. ou la revanche du droit sur la
technologie ? », op. cit. n. 199, p. 83 : « l’adresse IP révèle, sauf quelques exceptions (passage par un
fournisseur d’accès non local tel AOL, accès à travers un [réseau] dont le gateway est situé hors
frontières, ou passage par un serveur d’anonymisation hors frontières), l’origine du message. Celle-
ci peut donc être détectée automatiquement et déclencher le blocage d’accès aux pages jugées
contraires à l’ordre public. »
(208) Par exemple, l’adoption du protocole IPv6 serait, semble-t-il, un pas important dans cette
direction : S.E. DEERING et R.M. HINDEN, « Internet Protocol, Version 6 (IPv6) Specification »,
décembre 1998, <www.ietf.org/rfc/rfc2460.txt?number=2460> et M. FAGIN, « Regulating Speech
Across Borders : Technology vs. Values » in Mich. Telecomm. & Tech. L. Rev., 2003, vol. 9, p. 395
et seq., spéc. p. 412.
(209) H. MUIR-WATT, « Yahoo ! Cyber-Collision of Cultures : Who Regulates ? » in Mich. J.
Int’l L., 2003, vol. 24, p. 673 et seq., spéc. p. 687 et seq., pour qui le filtrage est de plus en plus
possible, le cyberespace évoluant avec l’introduction de nouvelles techniques de zonage. Voir, de
manière générale sur ces évolutions et ses moteurs, L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace,
op. cit. n. 64, pp. 39–42, sous titre « The controls for commerce ».
(210) Y. POULLET, « L’affaire Yahoo ! Inc. ou la revanche du droit sur la technologie ? », op.
cit. n. 199, p. 84 : « le juge français eût pu parvenir au même résultat sans franchir les frontières. Il
lui suffisait de réclamer des fournisseurs d’accès localisés en France le blocage des demandes d’accès
aux pages litigieuses. »
(211) Sur cette problématique, voir par exemple V. SÉDAILLAN, « Commentaire de l’affaire
Yahoo ! », op. cit. n. 202, § 30 : « il ne suffit pas de déterminer l’origine géographique de
l’internaute, ce qui soulève déjà un certain nombre de problèmes, il faut également identifier les
contenus litigieux à filtrer. »
(212) Ibid., § 20, qui conclut que ce critère de rattachement conduit « à doter toutes les lois
d’une portée extraterritoriale absolue ».
(213) Sur le targeting test, M. GEIST, « Is There a There, There ? Towards Greater Certainty
for Internet Jurisdiction » in Berkeley Tech. L.J., 2001, vol. 16, p. 1345 et seq., spéc. pp. 1384 et seq.
et 1406 (concluant que le critère aurait été satisfait). Sur les éléments fondant notre opinion que le
critère n’aurait pas été satisfait, voir n. 202 supra. Tout dépend en définitive, bien entendu, de
l’exigence de connexité que l’on traduit par le critère de targeting.
çais dans cette affaire n’aurait pas dû se déclarer compétent, pour des rai-
sons autres que de technique juridique (c’est-à-dire pour des raisons
axiologiques) ? À notre sens, il s’agit là de l’une de ces situations « où refu-
ser cette extraterritorialité équivaudrait purement ou simplement à priver
des nationaux de protection ou à admettre des contraventions patentes au
droit national » (214). Ne s’en prendre dans l’affaire Yahoo qu’à la filiale
française, Yahoo.fr, aurait été illusoire en vue de protéger la mémoire col-
lective appréhendée par la disposition invoquée, puisque les internautes, par
un simple clic de souris sur le lien proposé sur Yahoo.fr, pouvaient accéder
au site Yahoo.com (215). On ne peut que suivre Yves Poullet quand il af-
firme, au terme de son analyse de l’affaire Yahoo, que « l’appartenance d’un
individu à un État lui donne le droit de bénéficier d’une protection par son
État des garanties et libertés constitutionnelles qui lui sont octroyées [et
celles-ci] ne peuvent être remises en cause du seul fait que les technologies
de l’information […] abolissent les frontières physiques. La souveraineté
doit dès lors être envisagée comme l’obligation positive de l’État et de ses
juges d’obtenir, y compris vis-à-vis des États étrangers et des opérateurs
étrangers, le respect de telles valeurs dans leurs relations avec les personnes
résidant sur son territoire » (216). Par ailleurs, rejeter le critère de rattache-
ment au lieu de téléchargement conduit à ce qu’« un contenu banni d’un
territoire soit [simplement] diffusé depuis [un autre] » (217).
(214) M. PINET, « Directive 95/46 du 24 octobre 1995 et droit national applicable », Confé-
rence relative à la mise en oeuvre de la Directive 95/46 du 24 octobre 1995, Bruxelles, 30 septem-
bre–1er octobre 2002, <europa.eu.int/comm/internal_market/privacy/docs/lawreport/pinet_fr.pdf>,
p. 3 qui poursuit en affirmant que « ce fut cette pure logique qui guida les choix respectifs des
tribunaux allemands dans la célèbre affaire Compuserve2 et les tribunaux français dans l’affaire
Yahoo. »
(215) P.S. BERMAN, « The Globalization of Jurisdiction », op. cit. n. 202, p. 338 : « of course,
one can easily see why the court and the complainants in this action would have taken this addi-
tional step. Shutting down access to web pages on Yahoo.fr does no good at all if French citizens
can, with the click of a mouse, simply go to Yahoo.com and access those same pages. On the other
hand, Yahoo ! argued that the French assertion of jurisdiction was impermissibly extraterritorial in
scope. »
(216) Y. POULLET, « L’affaire Yahoo ! Inc. ou la revanche du droit sur la technologie ? », op.
cit. n. 199, p. 84. Voir aussi J.R. REIDENBERG, « Yahoo and Democracy on the Internet » in
Jurimetrics J., 2002, vol. 42, p. 261 et seq., spéc. p. 265, qui conclut que le juge du pays où les effets
ont lieu peut difficilement se déclarer incompétent, laissant sa population exposée à ce qui contre-
vient fondamentalement à l’ordre public de son pays.
(217) P. TRUDEL, « Les implications de l’affaire Yahoo ! Inc. : entrevue avec le Professeur
Pierre Trudel » in Juriscom.net, janvier/mars 2001, <www.juriscom.net/uni/doc/yahoo/trudel.htm>.
Voir aussi H. MUIR-WATT, « Yahoo ! Cyber-Collision of Cultures : Who Regulates ? », op. cit. n.
209, p. 677 : « on the one hand, persons in the United States denounce European regulations
restricting the content of public expression as extraterritorial meddling with democratic values ; on
the other, the same values cause European observers to denounce the perverse race to the bottom
generated by First Amendment liberalism, as neo-Nazi websites seeking safe haven relocate mas-
sively across the Atlantic. »
(218) P. TRUDEL, « L’influence d’Internet sur la production du droit », op. cit. n. 175,
p. 91 : « des systèmes de valeurs différents les uns des autres coexistent dans le cyberespace. Ce
dernier possède la faculté de télescoper les manifestations de valeurs procédant de civilisations
éloignées. En rapprochant les territoires, Internet brouille les cadres de référence. Les communau-
tés sont de plus en plus les usagers que l’on définit en fonction de leurs intérêts, de la langue qu’ils
utilisent ou des prédilections qu’ils partagent. Cela réclame une normativité qui serait apte à ré-
pondre aux préoccupations des communautés du cyberespace plutôt qu’à celles des États-nations. »
(219) Voir par exemple R.H. WEBER, Regulatory Models for the Online World, op. cit. n. 39,
p. 62: « the attempt to create an international legal framework cannot be successful by simply
inducing a national legislator to take an initiative on behalf of the whole world. As international
regulation requires a collaborative effort by many nations, this approach only makes sense if at least
a majority of the nations whose citizens use the tools of the online world participates in the norm-
setting process » et A. ROßNAGEL, « Weltweites Internet – globale Rechtsordnung ? » in MMR,
2002, p. 67 et seq., spéc. p. 70.
(220) Voir Section II. — Premier modèle : l’autorégulation, p. 102 et seq. et Section III. —
Deuxième modèle : la régulation par la technique, p. 123 et seq.
(221) Pour d’autres affaires ayant défrayé la chronique en raison des effets extraterritoriaux
qu’elles impliquaient : R.H. WEBER, Regulatory Models for the Online World, op. cit. n. 39, p. 49.
(222) F.H. HINSLEY, Sovereignty, 2ème éd., Cambridge, Cambridge Univ. Press, 1986, p. 1.
(223) Voir Chapitre IX : Validité : l’efficacité juridique en trois temps, p. 305 et seq. infra.
A. — L’affaire Mitterrand
Onze fois ministre sous la Quatrième République, titulaire du plus long
mandat présidentiel de l’histoire de France, homme de culture, génie poli-
tique, constructeur de l’Europe. Voici comment on décrit, aujourd’hui en-
core, François Mitterrand. Face à une telle aura, on imagine aisément, ou
l’on se souvient, du raz-de-marée médiatique que provoqua l’affirmation
publique de son médecin personnel, Claude Gubler, que le grand homme
était accablé par un cancer durant toute la durée de sa présidence et qu’il
était même, à la fin de son second mandat, incapable d’exercer ses fonc-
tions. Cette affirmation avait saisi le public au travers d’un livre, Le grand
secret, publié par une maison d’édition prestigieuse en janvier 1996, quel-
ques jours après la mort du président. Sa famille réagit immédiatement et
obtint en référé le retrait du livre deux semaines après sa publication. Jus-
que-là, l’histoire est relativement classique.
Malgré la décision prononcée en référé, le livre réapparut, sur Internet.
À l’heure où moins de cinq pour cent de la population des pays industria-
lisés disposaient d’une adresse de courrier électronique (225), la possibilité
(224) En ce sens, parmi une littérature abondante, R. VERNON, Sovereignty at Bay, New York,
Basic Books, 1971.
(225) En 1996, on estimait à 50 millions le nombre d’utilisateurs du courrier électronique dans
le monde (pour comparaison, l’estimation actuelle est d’un milliard), sur une population, à
l’époque, d’un peu moins de 6 milliards. La majorité de ces utilisateurs se situant dans les pays
industrialisés, on peut raisonnablement estimer à moins de cinq pour cent la population disposant
d’une adresse de courrier électronique dans ces pays : C. ROMM, N. PLISKIN et W. RIFKIN,
« Diffusion of Email : An Organisational Learning Perspective » in Information and Management,
1996, vol. 31, p. 37 et seq., spéc. p. 37 et B.R. GAINES, « The Learning Curves Underlying
Convergence », Centre for Person-Computer Studies Research Reports, 1998, <www.repgrid.-
com/reports/MFIT/Converge/Converge.pdf>, p. 6.
de lire dans les cybercafés naissants ou chez des voisins connectés à Internet
un livre interdit et retiré de toutes les librairies laissa plus d’un Français
perplexe. Pascal Bourbaud, gérant d’un cybercafé de Besançon, avait acheté
le livre avant son interdiction, l’avais scanné et mis en ligne, clamant qu’il
ne faisait là que répondre à son obligation d’informer le public sur la santé
et la capacité à exercer ses fonctions de feu le plus haut personnage de
l’État. Les médias assurant à cette action la publicité qui en fit une réelle
atteinte à la vie privée du président défunt, les internautes encore relative-
ment rares de l’époque se précipitèrent sur leurs ordinateurs et, étant
jusqu’à 30'000 à se connecter sur les lignes de téléphone de la Franche-
Comté, mirent l’ensemble du réseau téléphonique de l’Est de la France
hors service. Les possibilités et les dangers créés par Internet entrèrent pour
la première fois réellement dans la conscience collective.
La famille Mitterrand sommant Bourbaud de retirer l’ouvrage des ré-
seaux et le menaçant de poursuites, celui-ci déclara que si la force publique
devait le contraindre à retirer le livre de son site hébergé à Besançon, il
l’enverrait aux États-Unis, le délocaliserait à l’étranger. On retrouva effecti-
vement l’ouvrage, quelque temps après, sur des sites web aux États-Unis,
au Royaume-Uni et au Canada. Ces sites web étaient bien entendu acces-
sibles depuis la France… Quelques jours plus tard, l’affaire connut une
chute burlesque : le matériel informatique de Bourbaud fut saisi à l’occasion
d’une poursuite pour dette intentée longtemps avant le début de l’affaire
par l’un de ses fournisseurs et Bourbaud lui-même dut peu après purger une
peine de prison parce qu’il refusait de payer une pension alimentaire… Le
grand secret disparut ainsi du serveur du cybercafé. Quant aux autres copies
du livre, hébergées sur des sites web de par le monde, elles sont toujours
accessibles à l’heure où nous écrivons (226).
En 1996, les médias présentèrent la situation comme relevant du « vide
juridique », ce qui traduisait en réalité la perception, fort justifiée, de
l’ineffectivité du droit et de l’affaiblissement de la puissance d’État. La
plupart des juristes commentant l’affaire à l’époque considérèrent qu’il ne
s’agissait en aucun cas d’un « vide juridique », puisque le droit demeurait
(226) Sur les faits de l’affaire Mitterrand, voir J.C. GINSBURG, « The Private International
Law of Copyright in an Era of Technological Change » in Rec. Cours La Haye, 1998, vol. 273,
p. 239 et seq., spéc. pp. 253–354. Pour une copie du livre accessible actuellement, voir par exemple
<alain.knaff.linux.lu/grand-secret.pdf>.
(227) Voir Chapitre IX : Validité : l’efficacité juridique en trois temps, p. 305 et seq. infra.
(228) Voir G. BURDEAU, F. HAMON, M. TROPER, Droit constitutionnel, op. cit. n. 178,
p. 178 : « ces attributs ne se situent pas tous sur le même plan. L’un d’eux implique l’exercice d’une
puissance supérieure, qui permet à son titulaire de dominer les autres. C’est évidemment le pouvoir
de faire des lois. Si les décisions de justice ne sont que l’application de la loi, la souveraineté
consiste non dans l’exercice de la fonction juridictionnelle, mais dans celui de la fonction législa-
tive. La souveraineté peut donc être entendue seulement comme puissance législative. » Il ne s’agit
bien entendu ici que de la conception traditionnelle, moderne et dogmatique de la structuration
des pouvoirs au sein des États, conception qui est notamment remise en question par les théories
de Ost et van de Kerchove (surtout au plan national) ainsi que de Slaughter (surtout au plan trans-
national) : voir F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 21 et A.-
M. SLAUGHTER, « International Law in a World of Liberal States » in EJIL, 1995, vol. 6, p. 503
et seq. Voir également Chapitre IV : Le réseau : un méta-modèle de régulation, p. 151 et seq. infra.
(229) Voir Sous-section I. — Considérations générales sur le principe de territorialité et le
cyberespace, p. 62 et seq. supra.
(230) Ch. JARROSSON, « Réflexions sur l’imperium » in Études Offertes à Pierre Bellet, Paris,
Litec, 1991, p. 245 et seq., spéc. p. 251.
(231) Nous laissons de côté ici la problématique liée à la limitation de la puissance législative
par le droit international public, qui relève de la même question puisqu’elle provoque une limita-
tion de la souveraineté au sens de Staatsgewalt, mais dépasse le cadre de cette étude. Pour un très
bref résumé de cette question, voir J. STARKE, Introduction to International Law, 7ème éd. Londres,
Butterworths, 1972, p. 106 : « sovereignty of a state means the residuum of power which it pos-
sesses within the confines laid down by international law ».
(232) Il nous semble utile de rappeler que la modernité, en philosophie politique et juridique
comme en histoire, s’entend de la période s’étendant de la fin du Moyen Âge à la Révolution
française.
(233) R.J. DUPUY, « Souveraineté » in Répertoire de droit international, t. II, 1ère éd., s. dir. Ph.
Francescakis, Paris, Dalloz, 1969, p. 861 et seq., spéc. p. 862, § 7.
(234) J. CHEVALLIER, L’État, op. cit. n. 166, p. 104.
(235) Voir n. 231 supra.
(236) Voir « Décisions judiciaires : après les hébergeurs, les registrars » in Homo Numericus, 17
juin 2002, <www.homo-numericus.net/breve.php3?id_breve=312>.
(237) On citera simplement, dans le domaine particulièrement illustratif des casinos virtuels,
cette étude de l’Institut suisse de droit comparé, Cross-border gambling on the Internet : challenging
national and international law, Zurich, Schulthess, 2004.
(238) Sur ces phénomènes dans le cadre du cyberespace, voir A. — Approche descriptive de la
non-réglementation, p. 95 et seq. infra.
(239) A.-M. SLAUGHTER, « International Law in a World of Liberal States », op. cit. n. 228,
pp. 534–535 : « the State is composed of multiple centres of political authority […] each of these
institutions operates in a dual regulatory and representative capacity with respect to individuals and
groups in domestic society […] The proliferation of transnational economic and social transactions
creates links between each of these institutions and individuals and groups in transnational society
[which] in turn generates contacts among these institutions, either directly or indirectly […]
Interactions among counterpart or coordinate institutions from different States […] are shaped by
both an awareness of a common or complementary function transcending a particular national
identity, and a simultaneous recognition of an obligation to defend and promote the interests of a
particular subset of individuals and groups in transnational society […] A world [which] could be
conceptualized as a transnational polity. » Une raison supplémentaire à ce mouvement réside dans
l’accroissement de l’interdépendance économique des États causé par l’ubiquité des informations :
H.H. PERRITT, « The Internet as a Threat to Sovereignty ? Thoughts on the Internet’s Role in
Strengthening National and Global Governance » in Ind. J. Global Leg. Stud., 1998, vol. 5, p. 423
et seq., spéc. pp. 438–439 et Th. FRIEDMAN, The Lexus and the Olive Tree, op. cit. n. 71, p. xvii et
seq. Pour un raisonnement similaire, mais appliqué aux réseaux d’acteurs de la société civile, défen-
dant notamment des valeurs fondamentales ancrées dans le droit de l’environnement et les droits
de l’homme, voir Y. DEZALAY et B.G. GARTH, « Legitimating the New Legal Orthodoxy » in
Global Prescriptions. The Production, Exportation and Importation of a New Legal Orthodoxy, s. dir. Y.
Dezalay et B.G. Garth, Ann Arbor, Michigan Univ. Press, 2002, p. 306 et seq.
Internet und der Nationalstaat » in Völkerrecht und Internationales Privatrecht in einem sich globali-
sierenden internationalen System – Auswirkungen der Entstaatlichung transnationaler Rechtsbeziehun-
gen, Heidelberg, Müller, 2000, p. 353 et seq., spéc. p. 395 et Ch.R. KEDZIE, « The Third Wave »
in Borders in Cyberspace. Information Policy and the Global Information Infrastructure, Cambridge, s.
dir. B. Kahin et Ch. Nesson, Mass. et Londres, MIT Press, 1977, p. 106 et seq., spéc. p. 125 :
« while many of the least democratic states became more democratic without being interconnected,
not a single one of them became even moderately interconnected without also becoming more
free. » Pour une analyse moins négative (diminution de la puissance d’État) et plus positive (capa-
citation des acteurs non étatiques), voir H.H. PERRITT, « The Internet as a Threat to Sover-
eignty », op. cit. n. 239, p. 439, sous titre « Empowering non-state actors » et, de manière générale,
J. ABRAMSON, « Democracy and Global Communications » in Governance of Global Networks in
the Light of Differing Local Values, s. dir. Ch. Engel et K.H. Keller, Baden-Baden, Nomos, 2000,
p. 119 et seq., spéc. 124 : « if Tocqueville was right to stress the importance of voluntary associa-
tions to the spirit of democracy in the United States, then the proliferation of such associations on
the web is a positive development. »
(243) Exemples mentionnés par F. OST, « Mondialisation, globalisation, universalisation :
s’arracher, encore et toujours, à l’état de nature » in Le droit saisi par la mondialisation, s. dir. Ch.-
A. Morand, Bruxelles, Bruylant / Bruxelles, Éd. de l’Université de Bruxelles / Bâle, Helbing &
Lichtenhahn, 2001, p. 5 et seq., spéc. p. 28. Pour d’autres exemples, au niveau national, O.
RABINOVICH-EINY, « Balancing the Scales : The Ford-Firestone Case, the Internet, and the
Future Dispute Resolution Landscape » in Yale J. of L. & Tech., 2004, vol. 6, p. 2 et seq.
(244) F. OST, « Mondialisation, globalisation, universalisation », op. cit. n. 243, p. 28. Il
s’agirait donc ici, comme le cite d’ailleurs l’auteur, d’un « modèle d’organisation dans lequel les
citoyens, où qu’ils se trouvent dans le monde, ont une voix, un accès et une représentation dans les
affaires internationales, de façon parallèle et indépendante par rapport à leurs propres gouverne-
ments » (traduction par F. Ost) : D. ARCHIBUGI et D. HELD, « Introduction » in Cosmopolitan
Democracy : An Agenda for a New World Order, s. dir., D. Archibugi et D. Held, Oxford et
Cambridge, Mass., Polity Press, 1995, p. 1 et seq., spéc. p. 13.
(245) Voir par exemple K. BENYEKHLEF, « L’Internet : un reflet de la concurrence des sou-
verainetés », op. cit. n. 169, § 4.
(246) Voir par exemple S. SINGH, Fermat’s Last Theorem, Londres, Fourth Estate, 1998,
pp. 103–105, 166–175, qui démontre le caractère révolutionnaire de la cryptographie contempo-
raine, utilisée essentiellement dans le contexte de communications véhiculées par Internet. Pour
une analyse circonstanciée des conséquences de l’évolution de la cryptographie moderne sur le
caractère gouvernable des activités véhiculées sous format électronique, voir S.A. BAKER et P.R.
HURST, The Limits of Trust : Cryptography, Governments, and Electronic Commerce, La Haye,
Kluwer, 1998, not. p. xv.
(247) A.M. FROOMKIN, « The Internet as a Source of Regulatory Arbitrage » in Borders in Cy-
berspace. Information Policy and the Global Information Infrastructure, s. dir. B. Kahin et Ch. Nesson,
Cambridge, Mass., MIT Press, 1997, p. 129 et seq., spéc. pp. 133–140.
(248) K.W. GREWLICH, Governance in ‘Cyberspace’, op. cit. n. 29, p. 326.
(249) A.-M. SLAUGHTER, « International Law in a World of Liberal States », op. cit. n. 228,
p. 537 : « sovereignty becomes the capacity to participate in an international regulatory process.
The redefinition of sovereignty in a world of liberal States pushes this redefinition one step fur-
ther, devolving it onto the component institutions of individual States and giving it substantive
content with regard to the relationship between these institutions and individuals and groups in
transnational society. »
(250) Voir Chapitre IV : Le réseau : un méta-modèle de régulation, p. 151 et seq. infra.
(251) Conseil d’État (français), Internet et les réseaux numériques, Paris, La documentation fran-
çaise, 1998.
discours qui allait plus tard défrayer la chronique, s’écria qu’il était aussi
pertinent pour un juriste de s’intéresser au « droit du cyberespace » qu’au
« droit du cheval » (252).
D’autres penseurs prirent une position diamétralement opposée. Cons-
tatant l’efficacité des stratégies d’évitement des acteurs du cyberespace, la
difficulté de les localiser et même de les identifier, ils conclurent que l’État
n’avait aucun pouvoir de contrôle sur les activités véhiculées par les réseaux
numériques. Mêlant ce constat à l’euphorie générale qu’avait entraîné la
popularisation d’Internet, ils transformèrent cet argument descriptif en un
argument normatif : l’État ne devait en aucun cas intervenir dans le cyber-
espace, qui était désormais perçu comme le royaume de la pensée libre. La
bannière sous laquelle se regroupent les partisans de ce courant libertaire
est, aujourd’hui encore, la flamboyante Déclaration d’indépendance du cyber-
espace de John Perry Barlow dans laquelle son auteur clame cette revendica-
tion radicale : « Gouvernements du monde industriel […] je déclare
l’espace social que nous nous construisons naturellement indépendant des
tyrannies que vous cherchez à nous imposer ». Et de conclure que « vos
définitions légales de propriété, d’expression, d’identité, de mouvement, de
contexte ne s’appliquent pas à nous » (253).
S’inspirant de ces deux pôles de pensée mais sans s’y identifier, un troi-
sième courant doctrinal tente aujourd’hui de dépasser le débat entre les
tenants de la présence et de l’absence du droit étatique dans le cyberespace,
pour réfléchir à un nouveau paradigme (254) de régulation, apte à rendre
compte des phénomènes de normativité dans les environnements numéri-
ques. De ce courant, trois modèles de régulation émergent, qui tous ont
vocation à remplacer le paradigme de la réglementation par l’État, sans
toutefois nier la présence du droit dans le cyberespace. Il s’agit de
l’autorégulation, dont la forme la plus poussée défend l’idée de la souverai-
neté de l’utilisateur ; de la régulation par la technique, dont la forme la plus
radicale érige les producteurs de standards techniques au rang de souve-
rains ; et de la co-régulation, qui suggère plus simplement une forme atté-
(252) F.H. EASTERBROOK, « Cyberspace and the Law of the Horse » in U. Chi. Legal F.,
1996, p. 207 et seq. Voir aussi la réponse amusée et non moins célèbre de L. LESSIG, « The Law
of the Horse : What Cyberlaw Might Teach » in Harv. L. Rev., 1999, vol. 113, p. 501 et seq.
(253) J.P. BARLOW, « Déclaration d’indépendance du cyberespace », op. cit. n. 43.
(254) Pour une définition de la notion de paradigme, voir n. 63 supra.
(255) Elle ne prend par exemple pas en compte le rôle normatif de la technologie.
(256) Elle n’explique par exemple pas l’affaiblissement de la souveraineté par les stratégies
d’évitement et les effets extraterritoriaux des droits étatiques, notamment révélés par l’affaire
Yahoo.
(257) La communauté juridique, de plus en plus, est convaincue que l’on ne peut réguler les ac-
tivités véhiculées par les réseaux numériques sans s’intéresser aux effets pratiques et aux conséquen-
ces en termes éthiques et moraux d’une simple application des divers droits nationaux.
Explicitons brièvement ici ces trois critères, qui permettent l’évaluation de la pertinence d’une
théorie : la congruence est fonction du nombre d’indices, d’éléments qu’une théorie prend en
compte ; le critère de la fécondité se rapporte à la capacité de rendre compte des événements qui se
produisent ou qui vont se produire ; et le critère de la rhétorique signifie simplement que la théorie
doit convaincre une communauté scientifique. L’approche est, par ces trois critères, gradualiste : F.
OST, « Science du droit » in Dictionnaire encyclopédique de sociologie et de théorie du droit, s. dir. A.-J.
Arnaud, 2ème éd., Paris, LGDJ, 1993, p. 540 et seq.
(258) Nous empruntons ici la distinction entre « vérité du droit » et « vérité sur le droit » de J.-
F. PERRIN, « Définir le droit… selon une pluralité de perspectives » in Droit, Revue française de
théorie juridique, 1989, no 10, p. 63 et seq., spéc. pp. 64–66.
(259) On conçoit également que la vision que l’on a du cyberespace influence le sentiment que
l’on a de ce que sa régulation doit être : si l’on considère qu’il est une opportunité commerciale
merveilleuse ou un espace de libre expression répondant à nos intimes aspirations libertaires, on sera
plus facilement tenté, d’un point de vue émotionnel, de franchir l’obstacle épistémologique que si
l’on perçoit le cyberespace comme « une allée sombre, dans laquelle la pornographie est produite,
où l’on porte atteinte à la pudeur des enfants, où les trafics de stupéfiants s’organisent et où l’argent
est blanchi tandis que les citoyens honnêtes sont victimes de fraudes à large échelle » : sur tout ceci
V. MAYER-SCHÖNBERGER, « The Authority of Law in Times of Cyberspace » in U. Ill. J.L. Tech.
& Pol’y, 2001, p. 1 et seq., spéc. p. 5 et seq.
(263) M. WEBER, Économie et société, t. 2, L’organisation et les puissances de la société dans leur
rapport avec l’économie, trad. J. Freund et al., Paris, Plon, 1995, p. 11.
(264) Voir par exemple P. HUET, H. MAISL, J. HUET et A. LUCAS, Le droit du multimédia, de
la télématique à Internet, Paris, Éd. du téléphone, 1996 et O. ITÉANU, Internet et le droit. Aspects
juridiques du commerce électronique, Paris, Eyrolles, 1996. Sur ce courant, P. TRUDEL et al., Droit du
cyberespace, op. cit. n. 61, p. 8/1.
En guise d’aparté ludique, rapportons ici une saillie emblématique de certaines réactions
tentant radicalement de se démarquer de cette approche : « en abordant Internet comme un simple
outil de communication, [l]a France est extrêmement en retard, car son élite ne comprend pas ce
qui se passe. Elle n’est pas moins intelligente que l’élite américaine, mais, à l’Université, elle n’a pas
appris à utiliser le clavier et le courrier électronique » : Entretien avec J.M. Billaut, responsable de
la « veille technologique » à la Compagnie bancaire, Le Monde, 8 juillet 1997, p. 14, cité par J.A.
GRAHAM, Les aspects internationaux des contrats conclus et exécutés dans l’espace virtuel, thèse Paris I
dact., 2001, p. 62.
(265) J. SOMMER, « Against Cyberlaw » in Berkeley Tech. L.J., 2000, vol. 15, p. 1145 et seq.,
spéc. p. 1168, sous titre « Is anything new ? »
(266) Ibid., p. 1147.
(267) Ibid., p. 1146 : « de Tocqueville is a good starting point. He is surprisingly topical :
surprisingly little has changed […] De Tocqueville always seems current. »
(268) O. CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, op. cit. n. 39, p. 13.
(269) Conseil d’État (français), Internet et les réseaux numériques, op. cit. n. 251, cité par O.
CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, op. cit. n. 39, p. 12.
(270) O. CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, op. cit. n. 39, p. 11.
(271) Ibid., p. 16.
(272) Ibid., p. 11.
(273) Ibid.
(278) De manière générale, voir Sh. SHIPHANDLER, « The Wild Wide Web : Non-Regulation
as the Answer to the Regulatory Question » in Cornell Int’l L.J., 2000, vol. 33, p. 435 et seq.
(279) L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 64, p. 24, se référant notamment
à T. STEINERT-THRELKELD, « Of Governance and Technology » in Inter@active WeekOnline, 2
octobre 1998 : « some things never change about governing the Web. Most prominent is its innate
ability to resist governance of any form. »
(280) Voir par exemple P. TRUDEL, « Quel droit et quelle régulation dans le cyberespace ? » in
Sociologie et sociétés, 2000, vol. 32, no 2, p. 190 et seq., spéc. p. 200, qui rappelle que « dans les
premières époques d’Internet, on a proclamé que tout n’étant désormais que des ‘bits
d’informations’, les lois ne pouvaient rien dans cet univers d’extrême liberté ! »
(281) N.W. NETANEL, « Cyberspace Self-Governance : A Skeptical View from Liberal De-
mocratic Theory », op. cit. n. 277, p. 401 : « by its very architecture and global reach, [cyberians]
contend, cyberspace will ultimately elude the strictures of state-created law, challenging the effi-
cacy and theoretical underpinnings of the territorial sovereign state. »
(282) N. NEGROPONTE, Being Digital, op. cit. n. 128, p. 237 (trad. par l’auteur)
(283) Voir aussi, pour un survol de cette problématique, Harvard Law Review, « Developments
in the Law – The Law of Cyberspace », Partie II, « Communities Virtual and Real : Social and
Political Dynamics of Law in Cyberspace » in Harv. L. Rev., 1999, vol. 112, no 7, p. 1586 et seq.,
spéc. p. 1587 : « many commentators have argued that regardless of how carefully designed Inter-
net legal rules are, they may be irrelevant because they are largely unenforceable, as a result of both
jurisdictional and practical constraints. »
(284) Voir par exemple S. BIEGEL, Beyond our control ?, op. cit. n. 37, pp. 112-113 et B. —
Caractéristiques contemporaines du cyberespace affaiblissant la puissance d’État, p. 80 et seq.
supra.
urnes, sur un site web genevois, auquel plusieurs quotidiens parisiens ont
simplement renvoyé par lien hypertexte (285).
Dans la mesure où les États ont un certain avantage à conserver la pré-
sence d’acteurs sur leur territoire (notamment pour des raisons fiscales),
l’effet cumulé des diverses tentatives de réglementation conduirait forcé-
ment, affirment les tenants de ce courant de pensée, vers un dumping ré-
glementaire, vers une réduction progressive de la présence du droit étatique
tendant vers sa disparition, exactement comme un marché en situation de
concurrence parfaite fait tendre le superprofit vers sa disparition (286).
Le constat de ces difficultés de contrôle a conduit certains auteurs à ce
qui peut être qualifié de nomoscepticisme (287), qui défend l’idée que les
normes juridiques n’ont pas de rôle à jouer dans le cyberespace, où
l’autodétermination et l’autonormativité règnent en maître. Pour Pierre
Trudel, dans cette ligne de pensée, c’est « la configuration [même] du
cyberespace [qui] situe au niveau de l’individu le lieu de détermina-
(285) Si cette action n’avait à notre connaissance pas été jugée illicite à l’époque, il en irait pro-
bablement autrement en l’état actuel du droit : Th. VERBIEST et É. WÉRY, Le droit de l’internet et
de la société de l’information, op. cit. n. 132, p. 164 et seq.
(286) Sur tout ceci, voir par exemple A.M. FROOMKIN, « The Internet as a Source of Regula-
tory Arbitrage », op. cit. n. 247, D.L. BURK, « Virtual Exit in the Global Information Economy »
in Chi.-Kent. L. Rev., 1998, vol. 73, p. 943 et seq., L.J. GIBBONS, « No Regulation, Government
Regulation, or Self-Regulation », op. cit. n. 30, p. 501 et seq. : « the legal enforcement model uses
positive law enforced through administrative agencies and the courts. There is very little to be said
for this approach. The futility of a nation-state approach to law, jurisdiction, and dispute resolu-
tion is best shown by some cyberspace aphorisms [such as] the unique nature of the cyberspace
requires a uniform global system of regulation [and bars] nation-states from enacting inconsistent
national legislation. » Voir aussi D.R. JOHNSON et D.G. POST, « Law and Borders – The Rise of
Law in Cyberspace », op. cit. n. 187, pp. 1373–74, R. QUECK et Y. POULLET, « En conclusion –
Le droit face à Internet » in Internet face au droit, s. dir. É. Montero, Bruxelles, Story Scientia,
1997, p. 232 et seq., spéc. p. 235 et Y. POULLET, « Quelques considérations sur le droit du cyber-
espace », op. cit. n. 131, p. 196 : « on notera, en outre, que la dimension internationale d’Internet
conduit à une certaine concurrence. Lorsqu’un État veu[t] réglementer tel comportement, il est
loisible aux acteurs de déplacer leurs activités et de préférer un cadre plus souple et moins contrai-
gnant. Ce phénomène de dumping réglementaire est réel » et, pour une analyse plus économique de
cette problématique, Ch.T. MARSDEN, « Towards Regulation of the Global Information Society »
in L. Rev. M.S.U.-D.C.L., 2001, p. 355 et seq., spéc. p. 17 et seq.
(287) En anglais, le terme regulation skeptics est courant, voir par exemple J.L. GOLDSMITH,
« Against Cyberanarchy », op. cit. n. 52, p. 1202 et seq., sous titre « The Regulation Skeptics’
Claims ».
(288) P. TRUDEL, « Quel droit et quelle régulation dans le cyberespace ? », op. cit. n. 280,
p. 199.
(289) R.J. DUPUY, « Le dédoublement du monde », op. cit. n. 130, pp. 314–316.
(290) Dans le sens du courant des théories décrites, B.M. RYGA, « Cyberporn : Contemplating
the First Amendment in Cyberspace » in Seton Hall Const. L.J. 1995, vol. 6, p. 221 et seq., spéc.
p. 223: « in the world of Cyberspace… anarchy reigns. There is no regulatory body, and computer
users are capable of anything. The Internet is a place where everyone is welcome, regardless of
gender, age, race, or association… Since there is no regulatory body policing the Internet, the
extent to which an individual is capable of [acting] without restriction is an enigma » et W.S.
BYASSEE, « Jurisdiction in Cyberspace : Applying Real World Precedent to the Virtual Commu-
nity » in Wake Forest L. Rev. 1995, vol. 30, p. 197 et seq., spéc. p. 199.
(291) On relèvera ici l’amalgame entre droit et droit étatique. Pour une description de cette po-
sition, L.J. GIBBONS, « No Regulation, Government Regulation, or Self-Regulation », op. cit. n.
30, p. 476, sous titre « Cyberspace in a State of Nature ? »
(292) Le cyberespace est par ailleurs devenu plus régulable par le développement de nouvelles
technologies et de la maîtrise des technologies existantes. Parmi les nombreuses références sur la
régulabilité du cyberespace, voir S. BIEGEL, Beyond our control ?, op. cit. n. 37, p. 4, B.D. LOADER,
« The Governance of Cyberspace : Politics, Technology and Global Restructuring », op. cit. n. 36,
pp. 5–7, sous titre « Demystifying the electronic frontier », N.W. NETANEL, « Cyberspace Self-
Governance : A Skeptical View from Liberal Democratic Theory », op. cit. n. 277, pp. 402, 446–
451, T. WU, « Cyberspace sovereignty ? The Internet and the International System » in Harv. J.L.
& Tech., 1997, vol. 10, p. 647 et seq., spéc. p. 649 et seq., L. LESSIG, Code and Other Laws of
Cyberspace, op. cit. n. 64, pp. 40–42, A.L. SHAPIRO, The Control Revolution : How The Internet is
Putting Individuals in Charge and Changing the World We Know, New York, Public Affairs, 1999,
N.W. NETANEL, « Cyberspace 2.0 » in Texas L. Rev., 2000, vol. 79, p. 447 et seq., spéc. p. 453 et
par les États en vue de réglementer les activités et les acteurs du cyber-
espace ne permettent pas de conclure à une absence totale de réglementa-
tion. En ce sens, Lawrence Lessig rappelle qu’« une réglementation n’a pas
besoin d’une effectivité absolue pour avoir une effectivité suffisante. Il n’est
pas nécessaire d’augmenter infiniment le coût d’une activité [que l’on en-
tend empêcher] pour réduire substantiellement le taux de pratique de cette
activité. Si une réglementation augmente le coût d’[un comportement], elle
réduira ce [comportement], même si elle ne le réduit pas à zéro » (293).
(296) V. CERF, « The Internet Is for Everyone » in On the Internet, juillet-août 1999, cité par J.
BERLEUR, « Risk and Vulnerability of Democracy in Information Societies » in Report of
COMEST Sub-Commission on “The Ethics of the Information Society”, Paris, UNESCO, 2001, p. 40
et seq., spéc. p. 48.
(297) Sur cette question, voir Sous-section II. — Extraterritorialité, p. 65 et seq. supra. Voir
aussi P. FRISSEN, « The virtual state. Postmodernisation, informatisation and public administra-
tion » in The Governance of Cyberspace : Politics, Technology and Global Restructuring, s. dir. B.D.
Loader, Londres–New York, Routledge, 1997, p. 111 et seq., spéc. p. 115 : « the trend towards
deterritorialisation produced by ICTs therefore undermines the legitimacy of a political system
which is territory-bound and which receives support on the basis of elections held in a territory. »
(298) S. BIEGEL, Beyond our control ?, op. cit. n. 37, p. 111, indiquant que « le cyberespace a été
perçu, autant selon un point de vue interne qu’externe, comme un enchevêtrement extrêmement
complexe de réalités interconnectées, disposant d’une vie propre et incompréhensible. »
(299) Ibid., p. 76 (« against the very nature of cyberspace itself ») et cf. J.P. BARLOW,
« Déclaration d’indépendance du cyberespace », op. cit. n. 43 : « le Cyberespace ne se trouve pas à
l’intérieur de vos frontières. Ne pensez pas que vous pourrez le construire comme un projet de
travaux publics. Vous ne le pouvez pas. C’est une création de la nature, qui croît d’elle-même. »
(300) S. BIEGEL, Beyond our control ?, op. cit. n. 37, p. 76 (« outmoded rules »).
(301) R.H. WEBER, Regulatory Models for the Online World, op. cit. n. 39, p. 56 : « les premiers
partisans du cyberspace le concevaient comme un nouveau lieu anarchique, sans organes de régula-
tion, laissant aux utilisateurs une liberté d’action totale. » Il s’agissait ainsi du « rêve d’un espace
sans règles ni contrôle » (trad. par l’auteur).
James Dale Davidson et Lord William Rees-Mogg ont écrit un livre quel-
que peu étonnant, mais révélateur d’une conception importante de la régu-
lation juridique à l’heure où l’on évoque la montée en puissance de la
société de l’information. Étonnant, il l’est par son titre qui, en traduction
française, se lit : L’individu souverain : comment survivre et prospérer pendant
del : die Globalisierung des Rechts als Herausforderung der Rechts- und Wirtschaftstheorie » in
E-Commerce und Wirtschaftspolitik, Stuttgart, Lucius&Lucius, 2001, p. 189 et seq., spéc. p. 202.
(306) M. VIVANT, « Internet et modes de régulation » in Internet face au droit, s. dir. É.
Montero, Bruxelles, Story Scientia, 1997, p. 215 et seq., spéc. pp. 220 et 219 : « Internet est ainsi
un espace social et, comme tel, doit être ‘naturellement’ saisi par le droit qui n’a d’autre objet que
de réguler les relations sociales. Espace social par le mot, par l’image… mais espace social où l’on
peut séduire, blesser, commercer tout autant que dans une espace plus traditionnel. »
(307) Voir A. — Approche descriptive de la non-réglementation, p. 95 et seq. supra.
(308) Par exemple E. LONGWORTH, « Opportunité d’un cadre juridique applicable au cyber-
espace – y compris dans une perspective néo-zélandaise » in Les dimensions internationales du droit
du cyberespace, s. dir. T. Fuentes-Camacho, Paris, Éd. UNESCO/Economica, 2000, p. 11 et seq.,
spéc. p. 13, sous titre « L’abandon du paradigme du droit positif centralisé » et M.J. RADIN et R.P.
WAGNER, « The Myth of Private Ordering : Rediscovering Legal Realism in Cyberspace » in
Chi-Kent L. Rev., 1998, vol. 73, p. 1295 et seq., les auteurs alléguant qu’il faut cesser de voir le
débat en termes de top-down et bottom-up, de réglementation ou absence de réglementation, mais
qu’il faut réfléchir à d’autres modèles de régulation. Pour une synthèse de ce mouvement
d’inadaptation / reconstruction des modes de production du droit, voir notamment D. GILLEROT
et A. LEFEBVRE, Internet : la plasticité du droit mise à l’épreuve, op. cit. n. 105. Voir aussi P.
TRUDEL, « Le cyberespace et le droit » in Interface, 1997, vol. 18, no 5, <agora.qc.ca/textes/-
trudel1.html> : « pour rendre compte de l’application du droit dans le cyberespace, un nouveau
paradigme doit émerger. Il faut se défaire de la conception étroitement étatiste du droit pour
reconnaître l’activité normative des autres acteurs. L’État n’est pas et n’a jamais été le seul produc-
teur de règles de conduite. Le cyberespace, en rendant futiles les frontières des États, nous invite à
revoir nos manières d’envisager le droit en général. »
SOUS-SECTION I. — PRÉCISIONS
TERMINOLOGIQUES ET ASPECTS DE
L’AUTORÉGULATION DANS LE CYBERESPACE
Avant toute analyse, il est nécessaire d’extraire un sens commun des dif-
férentes acceptions que connaît le concept d’autorégulation et d’examiner
plus spécifiquement la signification qu’il faut lui donner dans le contexte du
cyberespace et du commerce électronique. L’étude du modèle de l’auto-
régulation requiert ensuite que nous dégagions les sources de cette forme
de régulation du cyberespace et que nous examinions les instruments juri-
diques mettant en œuvre les normes produites par ces sources.
A. — Le concept d’autorégulation
De manière générale, l’autorégulation s’entend du mode de production de
droit fondé sur l’adoption par les acteurs d’un système social de normes
(309) J.D. DAVIDSON et W. REES-MOGG, The Sovereign Individual : How to Survive and
Thrive During the Collapse of the Welfare State, New York, Simon & Schuster, 1997, p. 17–26.
(310) Voir sous A. — Approche descriptive de la non-réglementation, p. 95 et seq. supra.
(311) Pour une introduction, et plus particulièrement sur le principe de subsidiarité qui anime
le concept d’autorégulation, voir A. LANGHART, Rahmengesetz und Selbstregulierung : kritische
Betrachtungen zur vorgeschlagenen Struktur eines Bundesgesetzes über die Börsen und den Effektenhan-
del unter Berücksichtigung des amerikanischen und englischen Börsenrechts, Zurich, Schulthess, 1993,
pp. 103–106.
B. — Sources de l’autorégulation
Pour des auteurs comme Trotter Hardy, le cyberespace est (et doit être)
régulé par des « mécanismes de régulation contractuelle » (322), c’est-à-
dire par l’effet combiné des normativités issues des contrats conclus dans le
cyberespace (323). Pour cet auteur, le principal flux normatif dans les envi-
ronnements électroniques s’articule (et doit s’articuler) selon le « paradigme
contractuel » (324), selon lequel tout sur le réseau est (et doit demeurer)
contrat (325). Cette position repose sur une progression simple : toute
action dans le cyberespace (à commencer par la visite d’une page web) se-
rait intercommunication et plus précisément échange de volontés, corres-
pondant en termes juridiques à la notion de contrat (326). Ce dernier en
devient, en quelque sorte par la force des choses, « l’instrument régulateur
le plus important du cyberespace » (327).
La légitimation de cette progression repose sur le postulat que, dans le
cyberespace, tout est laissé à la liberté des usagers, qui demeurent toujours
libres (et donc responsables) de leurs choix, décidant de se connecter à tel
ou tel service, de visiter telle ou telle page web, choisissant librement de
recueillir ou non une information, de communiquer avec une personne
which contracts are an appropriate response ? We know that parties who deal with each other in
regard to transactions that have high value to the participants, relative to the costs of the transac-
tion, can be expected to form their own contracts. The Coase theorem, moreover, tells us that in
such circumstances, the parties will reach an economically efficient result. »
(323) N.W. NETANEL, « Cyberspace Self-Governance : A Skeptical View from Liberal De-
mocratic Theory », op. cit. n. 277, p. 401, qui indique que pour les « cyberiens », c’est-à-dire les
défenseurs d’une autorégulation du cyberespace sans contrôle extérieur, les contrats ne sont pas de
simples arrangements locaux, leurs normativités se combinant pour former un système de régula-
tion tout entier.
(324) R.L. DUNNE, « Deterring Unauthorized Access to Computers : Controlling Behavior in
Cyberspace Through a Contract Law Paradigm » in Jurimetrics J., 1994. vol. 35, p. 1 et seq. Plus
spécifiquement pour les droits d’auteurs, M.A. JACCARD, « Securing Copyright in Transnational
Cyberspace : The Case for Contracting with Potential Infringers » in Colum. J. Transnat’l L., 1997,
vol. 35, p. 619 et seq., discuté dans J.C. GINSBURG, « The Private International Law of Copyright
in an Era of Technological Change », op. cit. n. 226, pp. 394–398.
(325) T. HARDY, « The proper legal regime for ‘Cyberspace’ », op. cit. n. 322, p. 1015 et seq.
(326) Décrivant cette optique, M. VIVANT, « Internet et modes de régulation », op. cit. n. 306,
p. 221. On notera également que s’il est vrai que du point de vue étatique le fait de visiter un site
web peut ne pas équivaloir, faute de consentement explicite, à l’adhésion à un contrat
d’« utilisation » (voir par exemple en ce sens Ticketmaster Corp. c. Tickets.com, 2003 U.S. Dist.
LEXIS 6483, Copy. L. Rep. (CCH) P28607 (C.D. Cal. 2003)), cela n’a aucune pertinence à
l’égard de la présente perspective, qui considère précisément que le droit du cyberespace évolue en
marge du droit étatique. On verra par ailleurs que les mécanismes de mise en œuvre (enforcement)
du droit étatique sont quelquefois remplacés par des mécanismes d’autoexécution. Contra J.A.
GRAHAM, Les aspects internationaux des contrats conclus et exécutés dans l’espace virtuel, op. cit. n. 264,
pp. 243–244.
(327) P. TRUDEL et al., Droit du cyberespace, op. cit. n. 61, p. 18/1.
plutôt qu’une autre, d’échanger des biens, des services, des sommes d’argent
sans jamais qu’une telle action ne leur soit imposée. La technologie est
réputée permettre des choix et donc offrir à l’internaute la possibilité de
prendre ses propres responsabilités, par exemple en consentant aux cook-
ies (328), à tel traitement de ses données à caractère personnel, de révéler
son identité, de s’opposer à l’envoi de courriers non sollicités et, bien en-
tendu, de conclure une transaction commerciale (329). L’idée est donc,
comme l’explique Yves Poullet, que « l’interactivité des réseaux donne au
consentement de l’internaute des potentialités d’application sans précé-
dent » (330). Cette liberté de l’usager conduirait à sa responsabilité, qui
s’exprimerait juridiquement sous la forme d’un contrat. On reconnaît ainsi
que les principes juridiques sur lesquels se base le paradigme contractuel de
l’autorégulation sont l’autonomie de la volonté et la convention-loi, unani-
mement reconnus dans tous les ordres juridiques.
Finalement, la responsabilité démocratique et collective de l’État de ré-
glementer les agissements est ainsi remplacée par la responsabilité
individuelle de l’acteur lui-même qui, par son consentement ou ses
consentements successifs, autorisera ou non les agissements d’un autre
acteur entrepris à son égard (331).
Par ailleurs, cette ligne de pensée retient également comme source de
l’autorégulation, en prolongement de l’autonomie de la volonté, les usages
et les pratiques contractuelles. Pour Pierre Trudel par exemple, l’obser-
vation de certains comportements des acteurs du cyberespace montre « des
régularités donnant à conclure que, sur Internet, les usages se développent
selon une vélocité différente de celle qui prévaut dans le monde phy-
sique » (332). L’auteur constate par exemple une émergence très claire des
éléments considérés comme constitutifs d’une déclaration de volonté,
puisque « la pratique est quasi universelle d’assimiler le ‘clic’ à un consente-
(328) Un cookie est un fichier texte situé sur l’ordinateur d’un internaute visitant un site web. Il
est utilisé pour l’enregistrement d’informations, personnelles ou non, par le serveur du site web
visité.
(329) P. TRUDEL, « Le cyberespace : réseaux constituants et réseau de réseaux » in Les autorou-
tes de l’information : enjeux et défis, Montréal, Chemins de la recherche, 1996, p. 137 et seq.
(330) Y. POULLET, « Les diverses techniques de réglementation d’Internet : l’autorégulation et
le rôle du droit étatique » in Ubiquité, 2000, vol. 5, p. 55 et seq., spéc. p. 59.
(331) Ibid.
(332) P. TRUDEL, « L’influence d’Internet sur la production du droit », op. cit. n. 175, p. 96.
Parmi les techniques de mise en œuvre, on rencontre avant tout les mé-
canismes de certification et de labellisation visant à rassurer les cyber-
consommateurs du respect par l’acteur accrédité de certains standards dans
ses transactions (339). De plus, l’autorégulation peut aussi inclure des élé-
ments de mise en œuvre technologique. Celle-ci peut avoir elle-même un
effet normatif sur les comportements des utilisateurs d’Internet et peut
devenir un instrument à l’usage de l’autorégulation. On peut plus précisé-
ment distinguer plusieurs cas de figure : soit les parties s’y réfèrent
contractuellement (la certification peut ainsi être liée à un standard techni-
que mis en œuvre par un filtre) ; ou une autorité privée de standardisation
élabore et impose un standard technique (340) ; ou encore la technologie
est utilisée comme sanction ou comme moyen de contrainte (déconnexion,
flaming) (341). Finalement, ce sont les mécanismes de résolution des litiges
en ligne qui viennent compléter cette liste.
Au travers de tous ces instruments, on peut observer que l’autorégulation
du cyberespace acquiert graduellement un caractère systémique, qu’elle
au réseau Usenet, aux courriers électroniques ou encore au web), Th. VERBIEST et É. WÉRY, Le
droit de l’internet et de la société de l’information, op. cit. n. 132, p. 554 et seq.
(338) Sur ces divers documents, voir par exemple Y. POULLET, « How to Regulate the Inter-
net : New Paradigms for Internet Governance », op. cit. n. 114, p. 1 et seq., spéc. p. 2, J. BERLEUR
et Y. POULLET, « Réguler Internet » in Revue Études, 2002, vol. 397, no 5, p. 463 et seq., spéc. p
467 et J. BERLEUR, « Self-regulation : Content, Legitimacy and Efficiency – Governance and
Ethics » in Human Choice and Computers. Issues of Choice and Quality of Life in the Information
Society, s. dir. K. Brunnstein et J. Berleur, Norwell, Mass., Kluwer, 2002, p. 89 et seq.
(339) Par exemple les labels Webtrust (certification très large, comprenant le respect de la vie
privée, la confidentialité, la sécurité, l’accessibilité, les pratiques commerciales – voir <www.cpa-
webtrust.org/onlnover.htm>) ou ICPA et TrustE (essentiellement protection de la vie privée des
consommateurs). La présente section ne servant que d’introduction à la thèse de l’autorégulation
du cyberespace, la problématique de la mise en œuvre des normes juridiques d’origine privée sera
développée plus longuement sous Section VI. — Mécanismes d’autoexécution et ODR, p. 349 et
seq. infra.
(340) Y. POULLET, « How to Regulate the Internet : New Paradigms for Internet Govern-
ance », op. cit. n. 114, p. 2 et 7. De tels standards sont notamment, dans le contexte de la protec-
tion de la vie privée, PICS et P3P, tous deux développés par le W3C, un consortium d’entreprises
élaborant des recommandations et des standards pour le Web : voir Sous-section II. —
Protection de la vie privée, p. 43 et seq. supra. Cette problématique connaîtra finalement plus de
développements sous Section III. — Deuxième modèle : la régulation par la technique, p. 123 et
seq. infra. Sur ces standards, voir aussi L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 64,
pp. 159–163 et L. EDWARDS, « Consumer Privacy, On-Line Business and the Internet », op. cit.
n. 106, pp. 244–247.
(341) Le flaming est l’envoi massif de messages délibérément hostiles et insultants à un groupe
de discussion, un forum, une liste de diffusion ou une adresse de courrier électronique individuelle.
A. — Arguments contingents
Tout d’abord, le caractère technique et évolutif d’Internet appelle une ré-
gulation flexible, à temporalité juridique courte (donc facilement révisable),
qui s’oppose à l’élaboration législative par les lentes administrations de
l’État, que les secteurs privés perçoivent souvent comme affectée d’une
complexité quasi kafkaïenne. Seules les procédures informelles et privées,
qui ne s’embarrassent pas de l’établissement de compromis acceptables pour
les tiers affectés par les externalités de la régulation d’un secteur, seraient
suffisamment flexibles et rapides (345).
Cet informalisme entraîne par ailleurs une certaine efficience, les normes
rapidement adoptées par une procédure autorégulative simplifiée et proche
des destinataires minimisant les coûts (346).
Ensuite, la qualité des auteurs de l’élaboration normative est perçue
comme supérieure quand elle s’attache à des producteurs juridiques plus
proches des comportements à réguler : les acteurs appartenant eux-mêmes
aux secteurs à réguler sont les seuls capables de reconnaître les enjeux des
solutions adoptées (347). L’État est réputé être un organisme allochtone et
incapable de comprendre en profondeur les nouvelles formes d’intercom-
munication, de commerce et de sociabilité propres au cyberespace (348).
(345) R.H. WEBER, Regulatory Models for the Online World, op. cit. n. 39, p. 84 : « meaningful
self-regulation provides the opportunity to adapt the legal framework to changing technology in a
flexible way » et « effective self-regulation induces the concerned persons to be open to a perma-
nent consultation process in respect of development and implementation of the rules » et L.J.
GIBBONS, « No Regulation, Government Regulation, or Self-Regulation », op. cit. n. 30, p. 509 et
seq. Voir aussi P. MANKOWSKI, « Wider ein transnationales Cyberlaw » in AfP, 1999, p. 138 et
seq., l’auteur s’engageant dans une conclusion aussi critique que positiviste.
(346) R.H. WEBER, Regulatory Models for the Online World, op. cit. n. 39, p. 84 : « self-regula-
tion can usually be implemented at reduced costs (saving effect) ».
(347) Ibid., p. 83 : « rules created by the participants of a specific community are efficient be-
cause they respond to real needs and mirror the technology. »
(348) M.D. GOODMAN, « Why the Police Don’t Care About Computer Crime » in Harv. J.
Law & Tech., 1997, vol. 10, p. 465 et seq., spéc. pp. 482–484 et M.A. LEMLEY, « Shrinkwraps in
Cyberspace » in Jurimetrics J., 1995, vol. 35, p. 311 et seq., spéc. p. 313
(349) Voir T. HARDY, « The proper legal regime for ‘Cyberspace’ », op. cit. n. 322, p. 1033 et
seq. et Y. POULLET, « Les diverses techniques de réglementation d’Internet : l’autorégulation et le
rôle du droit étatique », op. cit. n. 330, p. 58, l’auteur relevant l’argument « de l’adéquation et de
l’effectivité des sanctions proposées l’autoréglementation : le blocage immédiat par l’ensemble des
fournisseurs d’accès d’un site dénoncé par le mécanismes d’une hot-line constitue la réponse appro-
priée et efficace à l’existence d’un site pornographique, bien plus qu’une condamnation juridiction-
nelle. »
(350) R.H. WEBER, Regulatory Models for the Online World, op. cit. n. 39, p. 84 : « since rules
are not imposed by a specific authority in cases of self-regulation, chances are good that the rules
contain incentives for compliance. Their involvement is necessary to ensure that the self-regulatory
mechanism accurately reflects real needs. »
(351) M. VIVANT, « Internet et modes de régulation », op. cit. n. 306, p. 226.
(352) D.R. JOHNSON et D.G. POST, « Law and Borders – The Rise of Law in Cyberspace »,
op. cit. n. 187, p. 1370, Y. POULLET, « How to Regulate the Internet : New Paradigms for Inter-
net Governance », op. cit. n. 114, p. 1 et ID., « Les diverses techniques de réglementation
d’Internet : l’autorégulation et le rôle du droit étatique », op. cit. n. 330, p. 58.
(353) Nous n’avons pas retenu ici un argument qui était quelques fois allégué aux premières
heures d’Internet, mais qui fut rapidement rejeté : cet argument s’appuyait sur une notion qui
ressemble étrangement au droit à l’autodétermination des peuples, ses défenseurs avançant que le
cyberespace était composé d’une communauté à part entière, distincte des États et que, en consé-
quence, toute ingérence de ceux-ci s’apparente à du colonialisme. Étant donné que personne ne
peut être citoyen du web sans être en même temps citoyen d’un État, l’argument a fait long feu. Voir
sur ceci N.W. NETANEL, « Cyberspace Self-Governance : A Skeptical View from Liberal De-
mocratic Theory », op. cit. n. 277, pp. 402–403.
(354) Voir A. — Approche descriptive de la non-réglementation, p. 95 et seq. supra.
(355) J.L. GOLDSMITH, « Against Cyberanarchy », op. cit. n. 52, p. 1204.
(356) Voir B. — Approche normative de la non-réglementation, p. 99 et seq. supra.
(357) D.R. JOHNSON et D.G. POST, « The New Civic Virtue of the Internet » in The Emerging
Internet : The 1998 Report of the Institute for Information Studies, Washington DC, Aspen Institute,
1998, p. 25 et seq., spéc. pp. 30–31 et D.L. BURK, « Federalism in Cyberspace » in Conn. L. Rev.,
1996, vol. 28, p. 1095 et seq., spéc. pp. 1123–34.
(358) Voir par exemple B. BADIE, « Du territoire à l’espace » in La France au-delà du siècle, La
Tour d’Aigues, DATAR / Éd. de l’Aube, 1994, p. 7 et seq., spéc. pp. 13–14 : « toutes les tendan-
ces vont ainsi dans le même sens et réaménagent l’espace de la même manière : en déterritorialisant
le jeu social, en relativisant le niveau national qui perd son statut prioritaire, en libérant de façon
peu contrôlée les identités, en démultipliant les réseaux, en inscrivant chaque individu et chaque
groupe dans des espaces multiples d’action et d’identification […] En bref, ce changement de
millénaire nous fait passer d’une politique du territoire, faite de centres et de périphéries, de borna-
ges et de compétences exclusives, à une politique de l’espace faite d’appartenances multiples,
d’échanges et de réseaux. »
(359) Sur ceci, A.-J. ARNAUD, Entre modernité et mondialisation. Cinq leçons d’histoire de la phi-
losophie du droit et de l’État, Paris, LGDJ, 1998, p. 32 et E. JAYME, Identité culturelle et intégration :
le droit international privé postmoderne, La Haye, Nijhoff, 1996. Voir aussi M. VOGLIOTTI, « De
l’auteur au rhapsod” ou le retour de l’oralité dans le droit contemporain » in RIEJ, 2005, vol. 50,
p. 81 et seq., spéc. p. 119, pour qui « la configuration de la narration juridique est liée au contexte
(au temps et au lieu) de la performance des différents acteurs connectés à la Toile du droit. »
(360) Voir Section III. — Reformer des communautés de confiance, p. 211 et seq. infra.
(361) En générale, voir B.D. LOADER, « The Governance of Cyberspace : Politics, Technol-
ogy and Global Restructuring », op. cit. n. 36, pp. 7–19. Sur la dimension globale, voir J. BERLEUR
et Y. POULLET, « Réguler Internet », op. cit. n. 338, p. 475 : « sans doute la réalité du cyberespace
l’ouvre-t-il chaque jour davantage aux autres cultures et valeurs, et dès lors plaide pour la recherche
de consensus non plus locaux ni nationaux, mais à l’échelon de régions ou mondiaux. » Sur la
dimension locale, voir D.G. POST, « Governing Cyberspace » in Wayne L. Rev., 1996, vol. 43,
p. 155 et seq., spéc. pp. 170–171.
(362) En ce sens, G.-P. CALLIESS, « Globale Kommunikation – staatenloses Recht. Zur
(Selbst-)Regulierung des Internet durch prozedurales Recht am Beispiel des Verbraucherschutzes
im elektronischen Geschäftsverkehr » in ARSP, 2001, Beiheft no 79, p. 61 et seq.
(363) Voir D.G. POST, « The Unsettled Paradox : The Internet, the State, and the Consent of
the Governed » in Ind. J. Global Legal Stud., 1998, vol. 5, p. 521 et seq., spéc. p. 535–542. Cette
thèse est décrite brièvement dans N.W. NETANEL, « Cyberspace Self-Governance : A Skeptical
View from Liberal Democratic Theory », op. cit. n. 277, pp. 402–403.
(364) Voir R.A. DAHL, A Preface to Democratic Theory. How does popular sovereignty function in
America ?, Chicago, Phoenix, 1956.
(365) G. MAJONE, « Regulatory Legitimacy » in Regulating Europe, s. dir. G. Majone, Londres
et New York, Routledge, 1996, p. 284 et seq., spéc. p. 286 (trad. par l’auteur).
(366) Ibid., p. 285 et seq.
A. — Déficiences mineures
Nous pensons pouvoir qualifier de mineures les déficiences que nous abor-
derons brièvement ici, quelques fois en raison de la faiblesse du désavantage
qu’elles représentent pour les individus ou les intérêts concernés, à d’autres
occasions par le fait de la relative facilité avec laquelle il est possible d’y
remédier et dans certaines situations à cause de la contingence temporelle
qui les caractérise.
Tout d’abord, on relève quelques fois le manque de transparence des
processus de production de normes juridiques par l’autorégulation (367).
Dans le cyberespace, le constat de cette déficience concerne tout particu-
lièrement l’ICANN (368) – dont on dit parfois qu’elle constitue l’archétype
de l’autorégulation dans le cyberespace (369) – au sujet de laquelle un cer-
tain nombre d’auteurs ont dénoncé le caractère parfaitement opaque des
procédures de prise de décision (370). On notera à cet effet que ce manque
(367) De manière générale, voir D.C. MICHAEL, « Federal Agency Use of Audited Self-Regu-
lation as A Regulatory Technique » in Admin. L. Rev., 1995, vol. 47, p. 171 et seq., spéc. pp. 190–
191.
(368) L’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) est la société qui admi-
nistre la majorité des noms de domaine, dont les groupes les plus importants, par exemple les noms
se terminant en <.com>, <.org> ou <.net>.
(369) Bertelsmann Stiftung, « Wer regiert das Internet ? Empfehlungen zu Internet Gover-
nance », 2001, <www.democratic-internet.de/berlin2001/empfehlungen.pdf>, p. 18 : « damit ist
ICANN [ein] herausragendes Modell für die Selbstregulierung von technischen Sachverhalten im
Internet. ».
(370) O. ITÉANU, « L’Icann, un exemple de gouvernance originale ou un cas de law intelli-
gence ? » in Homo Numericus, 2002, <www.homo-numericus.net/IMG/_article_PDF/article_154-
.pdf>, p. 10 : « mais peut être plus grave que tout, c’est l’absence totale de transparence qui frappe
lorsque l’on s’approche du saint des saints. Une épaisse brume faite d’acronymes multiples qui
recouvrent des réalités très diverses, des procédures de travail et de décisions qui font la part belle à
ceux qui sont capables de disposer du temps et des moyens de suivre sur l’ensemble de la planète
des échanges disparates et peu structurés. Ainsi, peu nombreux sont ceux qui ont une connaissance
réelle des travaux de l’ICANN. »
(371) A.M. FROOMKIN, « [email protected] : Towards a Critical Theory of Cyber-
space » in Harv. L. Rev., 2002, vol. 116, p. 749 et seq., spéc. p. 838 et seq.
(372) Le but de l’IETF est d’assurer la pleine interopérabilité des réseaux par la promotion de
standards et de normes conçus à cet effet. Tout standard et toute norme technique relative à
l’architecture d’Internet est traité par l’IETF. Indépendante, elle est soutenue depuis sa création, en
1986, par l’Internet Society (ISOC). Elle est composée de fournisseurs de services sur Internet,
d’utilisateurs d’Internet, de vendeurs de matériel informatique et de logiciels, de chercheurs,
d’opérateurs réseau et de toute autre personne intéressée. Sur l’IETF et l’ISOC, voir Th. HART et
G. ROLLETSCHEK, « The challenges of regulating the Web » in Info, 2003, vol. 5, no 5, p. 6 et
seq., spéc. p. 10 et seq.
(373) J. HABERMAS, Raison et légitimité. Problèmes de légitimation dans le capitalisme avancé,
trad. F. Lacoste, Paris, Payot, 1978, pp. 149–153. Ces conditions sont, fondamentalement, les
suivantes : les participants et les thèmes de la discussion ne doivent pas être limités ; aucune
contrainte ne doit s’exercer en dehors du meilleur argument ; et les arguments avancés doit l’être de
manière hypothétique et en admettant la possibilité d’alternatives. Voir aussi les écrits ultérieurs de
l’auteur, tels que ID., Morale et communication : conscience morale et activité communicationnelle, trad.
Ch. Bouchindhomme, Paris, Cerf, 1991, chapitre 3 et ID., De l’éthique de la discussion, trad. M.
Hunyadi, Paris, Cerf, 1992, pp. 16–19.
par les participants, étant donné que la très grande majorité des participants
ne se connaissent pas et n’entretiennent aucune relation entre eux. Cette
situation écarte l’essentiel des pressions et des hiérarchies qui pourraient
affaiblir la force du meilleur argument.
En deuxième lieu, on relève parfois le problème des free riders des pro-
cessus de production normative (374). Dans le système de la réglemen-
tation, chacun contribue financièrement au fonctionnement de l’État et par
ce biais aux coûts de la production des normes juridiques du droit étatique.
Par contre, dans le système de l’autorégulation, certains individus investis-
sent d’importantes ressources dans l’élaboration et la mise en œuvre de
codes, de standards ou d’autres instruments, alors que d’autres destinataires
de ces normes ne font que retirer les avantages découlant de l’existence de
celles-ci. On peut toutefois estimer que ce désavantage est souvent com-
pensé par le pouvoir d’influence sur la production normative acquis en re-
tour sur l’investissement.
En troisième lieu, on peut aussi relever le manque de prévisibilité du
droit produit par l’autorégulation (375), parce que ce mode de production
du droit présente une double tendance. D’un côté, il répond de manière
pragmatique à un problème concret et procède selon une casuistique réac-
tive au lieu de mettre en place une action programmatique de régulation
d’un secteur appréhendé avec une perspective globale (376). De l’autre, il
conduit à l’édiction de principes trop généraux et trop vagues (377). Toute-
fois, selon toute vraisemblance, ces déficiences sont appelées à s’atténuer au
fur et à mesure que l’autorégulation s’organisera, se systématisera et pro-
(374) R.H. WEBER, Regulatory Models for the Online World, op. cit. n. 39, p. 84.
(375) Voir par exemple J.M. CHEFFERT, « Le commerce électronique : autorégulation et asy-
métrie d’information » in Ubiquité, 2002, vol. 12, p. 31 et seq.
(376) La problématique est plus particulièrement connue dans la contexte d’Internet pour ce
qui a trait à certaines données techniques des réseaux, telles que les protocoles de transmission de
données (notamment le protocole IP constituant le fondement de toutes les communications sur
Internet, qui doit bientôt être remplacé par l’IPv6), qui durent être révisés souvent, en raison du
manque de perspective à moyen terme des organismes qui les ont adoptés.
(377) On pense ici notamment aux codes de conduite ne prévoyant que des dispositions mini-
males, vagues et indéterminées. On rencontre notamment de tels codes de conduite dans le
contexte de la résolution des litiges en ligne : voir G. KAUFMANN-KOHLER et Th. SCHULTZ,
Online Dispute Resolution : Challenges for Contemporary Justice, La Haye, Kluwer, 2004, p. 96 et seq.
gressera vers un système de normes plus complet, comme cela a été le cas
pour le système de nommage dans le cyberespace (378).
Finalement, l’argument est quelques fois soulevé que l’autorégulation,
n’ayant pas accès à la contrainte physique, qui est du ressort exclusif de
l’État, ne saurait assurer la mise en œuvre des normes qu’elle produit (379).
Il existe toutefois, comme nous le verrons plus tard, un certain nombre
d’autres formes de contrainte que celle physique (notamment les contrain-
tes sociale, économique et architecturale), qui peuvent toutes être utilisées
pour conférer aux systèmes d’autorégulation un réel pouvoir de sanc-
tion (380).
B. — Insuffisance réflexive
Le défaut majeur de l’autorégulation concerne à notre sens son insuffisance
réflexive, c’est-à-dire l’équilibre toujours fragile de la représentativité de
tous les intérêts des destinataires des normes produites (381).
other mechanisms – particularly those of the market – rarely can. Such laws represent a means by
which people control or proscribe antisocial behavior. »
(382) J. BERLEUR, « Risk and Vulnerability of Democracy in Information Societies », op. cit. n.
296, p. 51 : « we must see to it that all the persons who are interested are able to take part in the
debate on matters of concern to them in what Habermas calls their ‘world experience’ » ; l’auteur
n’utilise toutefois pas le terme réflexivité.
(383) J. BERLEUR et Y. POULLET, « Réguler Internet », op. cit. n. 338, p. 470.
(384) M. MAESSCHALCK et T. DEDEURWAERDERE, « Autorégulation, éthique procédurale
et gouvernance de la société de l’information », op. cit. n. 314, p. 88.
comme le PICS et le P3P sont élaborées au sein de groupes privatifs tels que W3C. Les décisions
de ces groupes imposent les règles de participation des citoyens au sein de la société d’information
sans qu’ils y soient représentés. Ce processus est contraire aux principes démocratiques qui accor-
dent le droit aux citoyens de participer aux décisions d’ordre réglementaire. »
(390) M. MAESSCHALCK et T. DEDEURWAERDERE, « Autorégulation, éthique procédurale
et gouvernance de la société de l’information », op. cit. n. 314, p. 88, les auteurs renvoyant notam-
ment aux études M. MUELLER, « ICANN and Internet Governance, Sorting Through The
Debris of ‘Self-Regulation’ », op. cit. n. 378 et ID., « Technology and Institutional Innovation, In-
ternet Domain Names » in IJCLP, 2000, vol. 5, p. 1 et seq.
(391) Ibid.
(392) Ibid.
(393) É. BROUSSEAU, « Régulation de l’Internet : L’autorégulation nécessite-t-elle un cadre
institutionnel ? » in Revue Économique, hors série Économie de l’Internet, s. dir. É. Brousseau et N.
Curien, 2001, vol. 52, p. 349 et seq., notons toutefois que l’auteur n’en conclut pas à l’inévitable
intervention de l’État : la « coordination centralisée dans certains domaines [et ses] modalités
[sont] non nécessairement étatiques, mais obligatoirement hiérarchiques. »
tration des biens » (394). C’est, autrement dit, la co-régulation qui est ici
recherchée (395). Nous y reviendrons (396).
SOUS-SECTION I. — LA NORMATIVITÉ DE LA
TECHNIQUE
(400) Pour une étude de cette forme de régulation, au travers notamment des cookies et du
standard PICS, voir R.C. SHAH et J.P. KESAN, « Manipulating the governance characteristics of
code » in Info, 2003, vol. 5, no 4, p. 3 et seq.
(401) Voir Sous-section III. — Contrainte architecturale, p. 346 et seq. infra.
(402) Parmi de nombreuses références, citons simplement E.G. THORNBURG, « Going pri-
vate : Technology, Due Process, and Internet Dispute Resolution », op. cit. n. 30, p. 157 :
« sometimes this exercise of power is hidden because it is embedded in the very architecture of the
Internet. When a result is compelled by software programming, or by the way the Internet is
structured, it obtains the power of law » et, p. 154, « the law becomes what is specified in the
contract or programmed into the software. »
(403) Le World Wide Web Consortium (W3C), organisme de régulation technique d’Inter-
net, dont le directeur est le créateur du protocole de base du web, le hypertext transfer protocol
(http), est par exemple réputé pour laisser largement ses idéaux politiques, qui avaient déjà marqué
la création du http, – ouverture et décentralisation – imprégner les normes techniques qu’il émet.
(404) Voir Sous-section IV. — Protection des détenteurs de biens informationnels, p. 50 et
seq. supra. Voir aussi, par exemple, J.R. REIDENBERG, « L’instabilité et la concurrence des régimes
réglementaires dans le Cyberespace », op. cit. n. 389, pp. 142–143 : « la technologie impose ses
contraintes aux flux d’informations. Ces contraintes et ces choix d’architecture ont des conséquen-
ces réglementaires fondamentales sur les activités des acteurs du cyberespace. La technologie peut
imposer des droits qui dépassent les limites des règles juridiques notamment dans le domaine du
droit d’auteur. Par exemple, la loi peut autoriser le reverse engineering par l’utilisateur d’un logiciel,
tandis qu’une protection technique interdit cette utilisation par ailleurs licite. En effet, les choix
technologiques et les règles qui en découlent sont de fait des droits aux flux d’information. »
(405) C’est précisément à ce constat qu’appelle le manifeste posant les bases du « mouvement
technoréaliste » : « la technologie n’est pas neutre. Une des grandes méprises de notre époque
consiste à croire que les technologies ne comportent pas de biais sous prétexte qu’il s’agit d’objets
inanimés qui n’ont aucun impact sur nos comportements. En réalité, les technologies comportent
volontairement ou involontairement des biais sociaux, politiques et économiques. Chaque outil
amène ses usagers à voir le monde et à interagir avec les autres d’une certaine façon. Il importe de
bien analyser ces biais et les orientations qu’elles sous-tendent et de choisir celles qui reflètent nos
127. Voir aussi Sous-section IV. — Protection des détenteurs de biens informationnels, p. 50 et
seq. supra.
(411) Sur ces exemples, voir Sous-section II. — Accès à Internet, spamming, noms de
domaine et certification, p. 330 et seq. infra. Pour une comparaison de l’efficacité des mesures
légales et des mesures techniques de lutte contre le spamming, voir D.E. SORKIN, « Technical and
Legal Approaches to Unsolicited Electronic Mail » in U.S.F. L. Rev., 2001, vol. 35, p. 325 et seq.
et É. LABBÉ, « Spamming en Cyberespace : à la recherche du caractère obligatoire de
l’autoréglementation » in Lex Electronica, 2000, vol. 6, n°1, <www.lex-electronica.org/articles/v6-
1/labbe.htm>. Pour un survol du cadre juridique du spamming en Europe, voir Th. VERBIEST et
É. WÉRY, Le droit de l’internet et de la société de l’information, op. cit. n. 132, p. 177 et seq.
(412) Bertelsmann Stiftung, « Self-Regulation of Internet Content », septembre 1999 et M.E.
PRICE et S. VERHULST, « The Concept of Self Regulation and the Internet » in Protecting our
Children on the Internet : Towards a New Culture of Responsibility, s. dir. J. Waltermann et M.
Machill, Gütersloh, Bertelsmann Foundation Publishers, 1999, p. 133 et seq.
(413) L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 64, pp. 142–164.
(414) S. BIEGEL, Beyond our control ?, op. cit. n. 37, pp. 199–200 et G. GREENLEAF, « An
Endnote on Regulating Cyberspace : Architecture vs Law ? », op. cit. n. 130, pp. 609–612.
(415) G. GREENLEAF, « An Endnote on Regulating Cyberspace : Architecture vs Law ? », op.
cit. n. 130, pp. 612–613.
(416) Parmi de nombreuses références, voir notamment S. BIEGEL, Beyond our control ?, op. cit.
n. 37, pp. 194–198 et Sous-section II. — Accès à Internet, spamming, noms de domaine et
certification, p. 330 et seq. infra, Sous-section III. — Contrainte architecturale, p. 346 et seq.
infra, E. — Autoexécution technologique, p. 374 et seq. infra et B. — Un système juridique
pour les noms de domaine : l’ICANN et l’UDRP, p. 481 et seq. infra.
(417) L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 64, pp. 164–186.
(418) G. GREENLEAF, « An Endnote on Regulating Cyberspace : Architecture vs Law ? », op.
cit. n. 130, p. 616 et seq., plus spécifiquement sur les moteurs de recherche.
(419) Notons que le mot code dans code-based regulation couvre aussi bien la partie matérielle
que la partie logicielle des réseaux. Voir de manière générale L. LESSIG, Code and Other Laws of
Cyberspace, op. cit. n. 64.
(420) En ce sens que « l’architecture représente ici l’encadrement technique dans lequel évolue
l’activité humaine du cyberespace » : É. LABBÉ, « La technique dans la sphère de la normativité :
aperçu d’un mode de régulation autonome » in Juriscom.net, novembre 2000, <www.juriscom.net/-
uni/doc/20001108.htm>, § 40.
(421) R.H. WEBER, Regulatory Models for the Online World, op. cit. n. 39, p. 89 et seq.
(422) É. LABBÉ, « La technique dans la sphère de la normativité : aperçu d’un mode de régula-
tion autonome », op. cit. n. 420, § 1.
(423) Pour une meilleure mise en contexte de cette affirmation, rappelons simplement, en em-
pruntant la plume d’Arnaud Dufour, que « les réseaux comportent une partie matérielle (ordina-
teurs, terminaux, cartes d’interface réseau, câbles, etc.), une partie logicielle (applications, pro-
grammes de gestion du réseau, systèmes de sécurité, etc.) et une composante humaine, constituée
d’une part des techniciens et des gestionnaires chargés de la mise en oeuvre du réseau, d’autre part
des clients du réseau, c’est-à-dire des utilisateurs bénéficiaires des services offerts par le réseau. Les
trois composantes matériel-logiciel-humain sont à la base de toute question télématique » : A.
DUFOUR, Internet, op. cit. n. 34, p. 4. C’est donc la « partie humaine » des réseaux (à l’exclusion, en
principe, des utilisateurs) qui constitue les acteurs privilégiés que nous avons mentionnés. La
technique ou technologie qu’ils instrumentalisent pour leur activité régulatrice est formée de la
« partie matérielle » et de la « partie logicielle ». En ce sens, L. LESSIG, Code and Other Laws of
Cyberspace, op. cit. n. 64, p. 89 : « an analog for architecture regulates behavior in cyberspace – code.
The software and hardware that make cyberspace what it is constitute a set of constraints on how
you can behave […] they are features selected by code writers ; they constrain some behavior by
making other behavior possible, or impossible. The code embeds certain values or makes certain
values impossible. In this sense, it too is regulation, just as the architectures of real-space codes are
regulations. » Voir aussi T. WU, « Cyberspace sovereignty ? The Internet and the International
System », op. cit. n. 292, pp. 650–655, analysant successivement la « regulation via hardware » et la
« regulation via software ».
(424) À la suite notamment de Labbé, nous ne ferons pas ici de réelle distinction entre la tech-
nique et la technologie, si ce n’est un simple rapprochement de la technique à un certain pragma-
tisme et de la technologie à une certaine sophistication. Pour une discussion de ces différences et
(429) É. LABBÉ, « La technique dans la sphère de la normativité : aperçu d’un mode de régula-
tion autonome », op. cit. n. 420, passim, spéc. § 7. Voir L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyber-
space, op. cit. n. 64, p. 130 : « the code in effect is doing the work that the law used to do […] far
more effectively than the law used to do », concluant que cela conduit à « a shift in effective regu-
latory power – from law to code ». Voir aussi J.R. REIDENBERG, « L’instabilité et la concurrence
des régimes réglementaires dans le Cyberespace », op. cit. n. 389, pp. 142–143.
(430) Une telle tendance était surtout prédite à la fin des années 1990 par L. LESSIG, Code and
Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 64, pp. 39–42, sous titre « The controls for commerce » et
p. 206 : « while nations argue about what regulation there should be, the code of cyberspace con-
tinues to develop with a certain kind of sovereign authority », prédiction qui s’est largement réali-
sée depuis, tout particulièrement dans le domaine de la protection des droits d’auteurs ou plus
généralement des biens informationnels : voir Sous-section IV. — Protection des détenteurs de
biens informationnels, p. 50 et seq. supra et L. LESSIG, The future of ideas, op. cit. n. 35 et ID., Free
Culture, op. cit. n. 127.
(431) Sur la composante humaine du réseau, voir n. 423 supra.
(432) Voir par exemple S. BIEGEL, Beyond our control ?, op. cit. n. 37, p. 188.
(433) J.R. REIDENBERG, « L’instabilité et la concurrence des régimes réglementaires dans le
Cyberespace », op. cit. n. 389, p. 148.
dans son rôle régulateur » (434), que les solutions technologiques condui-
sent au contournement de la protection offerte par l’État. Toutefois, cela
ne constitue pas nécessairement un défaut. Il est sans doute vrai que, dans
de nombreuses situations où les solutions imposées par la technique sont
différentes de celles prévues par la plupart des ordres juridiques étatiques,
les premières sont jugées moins bonnes, moins désirables, plus problémati-
ques d’un point de vue éthique que les secondes (435). Néanmoins, cela
n’est en aucun cas une nécessité ontologique, tant il est vrai que le droit
étatique produit parfois, dans le domaine qui nous intéresse ici comme
dans tous les autres, des solutions tout à fait inadaptées.
Par contre, l’insuffisance réflexive, que nous avons déjà rencontrée dans
le contexte de l’autorégulation (436) et qui concerne le manque de par-
ticipation des destinataires des normes à leur élaboration, constitue néces-
sairement un défaut (437). Le problème est toutefois encore plus marqué
ici que dans le cas de l’autorégulation. Une brève présentation du concept
d’effectivité d’une norme permet d’éclairer ce propos.
Comme nous allons le voir plus en détail, le respect d’une norme par ses
destinataires est fonction, d’un côté, de son effectivité instrumentale, c’est-
à-dire en substance de sa capacité à contraindre et, de l’autre, de son effec-
tivité symbolique, concept qui couvre notamment la capacité d’une norme à
convaincre les destinataires du bien-fondé du commandement qu’elle in-
corpore (438). La plupart des normes connaissent les deux formes
d’effectivité. Toutefois, chacune des formes peut, jusqu’à un certain degré,
compenser l’absence ou du moins la faiblesse de l’autre : une norme qui
convainc parfaitement les destinataires (en principe parce qu’elle est en
(439) Sur les formes techniques de l’autorégulation et la distinction, dans ce cas de figure, entre
autorégulation et régulation par la technique, voir Sous-section II. — Le modèle de la régulation
et la souveraineté du réseau, p. 127 et seq. supra, in fine.
(440) Voir A. — Déficiences mineures, p. 116 et seq. supra et, sur les formes de contrainte,
Section V. — Instruments de coercition et modalités de contrainte dans le cyberespace, p. 337 et
seq. supra.
(441) Voir Sous-section II. — Accès à Internet, spamming, noms de domaine et certification,
p. 330 et seq. infra, Sous-section III. — Contrainte architecturale, p. 346 et seq. infra, E. —
Autoexécution technologique, p. 374 et seq. infra et B. — Un système juridique pour les noms de
domaine : l’ICANN et l’UDRP, p. 481 et seq. infra.
(442) L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 64, p. 206 (trad. par l’auteur).
Dans le même sens, R.H. WEBER, Regulatory Models for the Online World, op. cit. n. 39, p. 89 :
« the architecture gives a technical framework whereas the self-regulatory concept allows a nego-
tiation approach. »
(443) J.R. REIDENBERG, « L’instabilité et la concurrence des régimes réglementaires dans le
Cyberespace », op. cit. n. 389, p. 143. Voir aussi M. MAHER, « An Analysis of Internet Standardi-
zation » in Va. J.L. & Tech., 1998, vol. 3, art. 5, spéc. § 32 et seq.
(444) L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 64, p. 59 : « but isn’t it clear that
government should do something to make this architecture consistent with important public
values ? If commerce is going to define the emerging architectures of cyberspace, isn’t the role of
government to ensure that those public values that are not in commerce’s interest are also built into
the architecture ? » et J. BERLEUR et Y. POULLET, « Réguler Internet », op. cit. n. 338, pp. 474-
475 : « les autorités publiques ne peuvent rester absentes des débats techniques, dans la mesure où
les choix opérés ont un impact important sur les droits et libertés des utilisateurs. […] Si, comme
chacun se plaît à l’affirmer, les technologies de l’information gouvernent de plus en plus nos modes
d’action, conditionnent le vie des entreprises et déterminent l’avenir de nos sociétés, il ne peut être
question de laisser de tels choix à la discrétion des forces du marché ou de lobbies. »
(445) Dans un sens proche, Y. POULLET, « Quelques considérations sur le droit du cyberes-
pace », op. cit. n. 131, p. 198 : « on notera deux tendances particulières du droit étatique. D’une
part, celle de préférer le recours à des notions à contenu vague, évolutif et susceptibles de moult
interprétations, des ‘standards’ et, d’autre part, celle de confier l’interprétation de ces standards à
des organes-relais, parfois qualifiés d’autorités administratives indépendantes : ainsi les commis-
sions multiples créées en matière de vie privée, d’audiovisuel, de télécommunications, etc. »
(446) Voir respectivement Section II. — Premier modèle : l’autorégulation, p. 102 et seq. su-
pra et Section III. — Deuxième modèle : la régulation par la technique, p. 123 et seq. supra.
(447) J. BERLEUR et Y. POULLET, « Réguler Internet », op. cit. n. 338, p. 470 : « parmi les ré-
gulateurs d’Internet, certains auteurs ont, trop rapidement sans doute, enterré le législateur décrit
comme trop lent, trop peu expert, trop national pour encadrer une réalité aussi mouvante, techni-
que et globale que le cyberespace. »
(448) Par activité réglementaire, nous entendons ici l’activité qui consiste en la mise en œuvre
du modèle de la réglementation et non l’adoption d’un règlement par opposition à l’adoption d’une
loi.
(450) N.W. NETANEL, « Cyberspace Self-Governance : A Skeptical View from Liberal De-
mocratic Theory », op. cit. n. 277, p. 400: « as cyberspace grows to encompass ever-increasing areas
of human thought, interaction, and commerce, it regularly commingles with the sorts of real world
activity, ranging from product sales to criminal conspiracy, commonly subject to state regulation.
As a result, courts and legislators have increasingly applied real world, state-promulgated law to
cyberspace activity, steadily constricting the domain of semiautonomous cyberspace rule making. »
(451) J. BERLEUR et Y. POULLET, « Réguler Internet », op. cit. n. 338, p. 471. Voir aussi, sur
cette question, B. HOLZNAGEL, « Neues europäisches Recht für Elektronische Kommunikation »
in Rechtstheorie, 2003, vol. 34, p. 307 et seq. et S. BIEGEL, Beyond our control ?, op. cit. n. 37,
p. 157.
effet d’un contrat de vente traditionnel, conclu hors ligne, que par le moyen
de communication utilisé pour sa conclusion ; les conséquences sur le
monde réel sont exactement les mêmes que le contrat soit conclu par quel-
ques clics de souris, par une conversation téléphonique, par un échange de
lettres ou encore lors d’une rencontre in persona. Une entreprise confrontée
à l’impossibilité d’obtenir un site web dont l’adresse correspond à sa raison
sociale sera plus difficile à trouver sur le web pour les internautes désirant
obtenir des informations ou conclure une transaction. Cela peut lui faire
perdre des parts de marché, même si l’entreprise fournit ses prestations
exclusivement hors ligne – on pense par exemple à une compagnie aé-
rienne. Une diffamation découlant de propos publiés dans un journal
n’existant que sur le web peut porter atteinte à la réputation d’une personne
qui, par hypothèse, ne s’est même jamais connectée à Internet. La vente en
ligne d’objets nazis contribue à alimenter l’antisémitisme et la diffusion de
propos racistes sert la cause de la haine raciale. Les exemples peuvent être
multipliés à souhait. Il importe simplement de retenir l’existence d’exter-
nalités du monde virtuel sur le monde réel, c’est-à-dire que certaines actions
réalisées dans le premier sortent des effets sur le second (452). Puisque ces
externalités se réaliseront nécessairement sur le territoire d’un ou de plu-
sieurs États, ceux-ci auront à ce titre une certaine légitimité, voire un
certain devoir, d’intervenir. Plus un domaine social causera des externalités
pour d’autres domaines sociaux, moins ses prétentions à l’autorégulation
seront acceptables (453).
(452) M.A. LEMLEY, « The Law and Economics of Internet Norms » in Chi.-Kent. L. Rev.,
1998, vol. 73, p. 1257 et seq., spéc. p. 1277 et seq., l’auteur insistant sur l’argument que les normes
sociales d’une communauté ont en principe toutes la caractéristique de ne pas prendre suffisam-
ment en compte les externalités qu’elles produisent pour d’autres communautés.
(453) Sur tout ceci, voir par exemple A.L. SHAPIRO, « The Disappearance of Cyberspace and
the Rise of Code » in Seton Hall Const. L.J., 1998, vol. 8, p. 703 et seq., ID., The Control Revolu-
tion, op. cit. n. 292, pp. 217–230, L. LESSIG, « The Zones of Cyberspace », op. cit. n. 37, ID., Code
and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 64, pp. 213-221, ID., « The Constitution of Code », op. cit.
n. 406, p. 872, O. CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, op. cit. n. 39,
p. 15, R.H. WEBER, Regulatory Models for the Online World, op. cit. n. 39, pp. 56–58, K. LENK,
« The Challenge of Cyberspatial Forms of Human Interaction to Territorial Governance and
Policing » in Governance of Cyberspace : Politics, Technology & Global Restructuring, s. dir. B.D.
Loader, Londres, Routledge, 1997, p. 126 et seq. et S.R. SALBU, « Who Should Govern the Inter-
net ? Monitoring and Supporting a New Frontier » in Harv. J.L. & Tech., 1998, vol. 11, p. 429 et
seq., spéc. p. 450 et seq.
(454) J. BERLEUR et Y. POULLET, « Réguler Internet », op. cit. n. 338, pp. 470-471.
(455) M. MAESSCHALCK et T. DEDEURWAERDERE, « Autorégulation, éthique procédurale
et gouvernance de la société de l’information », op. cit. n. 314, p. 94.
(456) Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), « Cooperative
Approaches to Regulation », Public Management Occasional Paper no 18, Paris, 1997.
A. — Traits généraux
En termes généraux, la co-régulation s’envisage donc comme une notion
hybride, alliant réglementation et autorégulation, visant un réel dialogue
internormatif entre l’État et les opérateurs privés en vue de la recherche
d’alliances. Elle correspond à cette idée générale que nous venons
d’évoquer, qui consiste à dire que « loin d’être un substitut à la réglementa-
tion, l’autorégulation doit être plutôt son complément, offrant une réelle
valeur ajoutée » (457). En ce sens, la co-régulation se veut donc une « nou-
velle forme de coopération entre la société civile et les pouvoirs pu-
blics » (458), une « meilleure combinaison entre l’autorégulation des acteurs
et l’action étatique » (459), une « autorégulation réglementée » (460).
(460) W. SCHULZ et Th. HELD, Regulierte Selbstregulierung als Form modernen Regierens,
Hambourg, éd. du Hans-Bredow-Institut für Medienforschung (coll. « Arbeitspapiere des Hans-
Bredow-Instituts », no 10), 2002, passim (trad. par l’auteur).
(461) P. TRUDEL, « L’influence d’Internet sur la production du droit », op. cit. n. 175, p. 97.
Voir aussi P. FRISSEN, « The virtual state. Postmodernisation, informatisation and public admini-
stration », op. cit. n. 297, p. 119, qui observe que « vertical bureaucratic relations of command and
control are substituted increasingly by horizontal relations of compromising and organizing con-
sensus on a non-hierarchical basis ».
(462) M. MAESSCHALCK et T. DEDEURWAERDERE, « Autorégulation, éthique procédurale
et gouvernance de la société de l’information », op. cit. n. 314, p. 91.
(463) J. COMMAILLE, « La régulation des temporalités juridiques par le social et le politique »
in Temps et droit. Le droit a-t-il pour vocation de durer ?, s. dir. F. Ost et M. van Hoecke, Bruxelles,
Bruylant, 1998, p. 317 et seq., spéc. p. 335. Voir aussi Y. PAPADOPOULOS, « Gouvernance et
transformations de l’action publique : quelques notes sur l’apport d’une perspective de sociologie
historique » in Historicité de l’action publique, s. dir. P. Laborier et D. Trom, Paris, PUF, 2003,
p. 119 et seq., spéc. p. 120 : « on souligne désormais le caractère nécessairement communicationnel
et délibératif d’une action publique inévitablement polycentrique. Par conséquent sont mises en
place des procédures de coordination (policy networks à configurations variables, commissions,
cercles d’experts, tables rondes, etc.) destinées avant tout à transcender le point de vue particulier
des divers acteurs, en les intégrant dans la formulation ou la mise en œuvre des politiques publi-
ques. »
(464) Y. POULLET, « Quelques considérations sur le droit du cyberespace », op. cit. n. 131,
p. 213.
(465) Ch. PAUL, Du droit et des libertés sur l’internet, op. cit. n. 458, p. 75 : « un échange perma-
nent et fourni entre les acteurs de l’internet et les autorités de la régulation publique, de manière à
soulever les questions importantes, à les instruire plus rapidement en tenant mieux compte de la
dimension technique ainsi que de la réalité et de l’évolution des usages. Une coopération entre les
instances de la régulation publique, qui interviennent chacune dans leur domaine de compétence,
et les différentes formes d’autorégulation des acteurs économiques et sociaux, qui contribuent à
définir les usages et à offrir aux utilisateurs les espaces de liberté et de confiance qu’ils demandent.
C’est cet échange et cette coopération que nous désignerons comme la corégulation. »
(466) M. MAESSCHALCK et T. DEDEURWAERDERE, « Autorégulation, éthique procédurale
et gouvernance de la société de l’information », op. cit. n. 314, p. 91.
(467) Y. POULLET, « Technologies de l’information et de la communication et ‘co-régulation’ :
une nouvelle approche ? » in Liber amicorum Michel Coipel, s. dir. Y. Poullet, P. Wéry et P.
Wynants, La Haye, Kluwer, 2004, p. 167 et seq., spéc. p. 187. Une version anglaise de cet article
est à paraître sous le titre « ICT and co-regulation : Towards a new regulatory approach ».
d’égalité. Nous reviendrons à cette définition étroite après avoir présenté les
diverses formes de la co-régulation que l’on peut répertorier.
On peut donc tout d’abord concevoir la co-régulation, du côté de son
acception la plus proche du modèle de la réglementation, comme une sim-
ple procédure de consultation des acteurs privés. Elle prend dans ce cas la
forme d’un « processus ‘pré-normatif’ [intervenant] dans la phase prélimi-
naire d’une réglementation qui, si elle est prise par l’État ou une autre au-
torité de régulation, verra sa légitimité renforcée et son effectivité mieux
assurée » (468). Il s’agit en d’autres termes simplement d’une forme adoucie
de la réglementation étatique, déjà très largement répandue dans tous les
domaines du droit. Le caractère innovateur de cette acception du modèle
est (nous semble-t-il) tout à fait limité.
La co-régulation peut ensuite prendre la forme d’une délégation de com-
pétences, qui n’est pas sans rappeler les rapports qu’entretiennent parlement
et administration. Dans cette perspective, la co-régulation consiste, comme
le définit par exemple l’Accord interinstitutionnel européen Mieux légiférer,
en un « mécanisme par lequel un acte législatif […] confère la réalisation
des objectifs définis par l’autorité législative aux parties concernées
reconnues dans le domaine (notamment les opérateurs économiques, les
partenaires sociaux, les organisations non gouvernementales ou les associa-
tions) » (469). Ici aussi, il ne s’agit que d’une forme de réglementation dont
l’interventionnisme est limité par des considérations de subsidiarité et
d’efficience : il vaut mieux laisser les acteurs s’auto-organiser dans les limi-
tes du droit imposé par l’État que de leur imposer, souvent à grands frais,
(470) Le principe de subsidiarité, consacré notamment à l’art. 5 CE, prévoit en substance que
le niveau supérieur ne doit intervenir que si le niveau inférieur ne peut régler la question de ma-
nière adéquate. Il convient encore de mentionner que la délégation aux acteurs privés, au plutôt la
non-intervention de l’État dans les activités régulatrices de ceux-ci, est prévue aux art. 16 et seq.
Accord interinstitutionnel européen : « les trois institutions rappellent que la Communauté ne
légifère que dans la mesure nécessaire, conformément au [principe] de subsidiarité […] Elles
reconnaissent l’utilité de recourir […], lorsque le traité CE n’impose pas spécifiquement le recours
à un instrument juridique, à des mécanismes de régulation alternatifs » tels que la co-régulation
(art. 18 et seq.) ou l’autorégulation (art. 22 et seq.).
(471) Y. POULLET, « Technologies de l’information et de la communication et ‘co-régulation’ :
une nouvelle approche ? », op. cit. n. 467, p. 181.
(472) Ibid.
(478) Sur les concepts d’efficacité pratique et juridique, d’efficience et d’effectivité, voir F. OST,
« Validité » in Dictionnaire encyclopédique de sociologie et de théorie du droit, s. dir. A.-J. Arnaud, 2ème
éd., Paris, LGDJ, 1993, p. 431 et seq., ID. et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?,
op. cit. n. 21, pp. 309 et 314 (efficacité juridique), 331–332 (effectivité, efficacité pratique, effi-
cience) et C. MINCKE, « Effets, effectivité, efficience et efficacité du droit : le pôle réaliste de la
validité » in RIEJ, 1998, vol. 40, p. 115 et seq., spéc. pp. 126–137. Voir aussi Chapitre IX :
Validité : l’efficacité juridique en trois temps, p. 305 et seq. infra.
(479) Ch. PAUL, Du droit et des libertés sur l’internet, op. cit. n. 458, p. 18.
(480) Ibid., p. 17.
(481) Sur la question de la territorialité, pour laquelle l’avantage de la co-régulation est moins
évident, on notera simplement que le rapport d’activité 2003 du Forum des Droits sur l’internet,
auquel nous reviendrons, annonce la création d’un réseau européen de co-régulation, impliquant
des organismes de six pays européens : Forum des droits sur l’internet, Le forum des droits sur l’inter-
net. Rapport d’activité 2003, op. cit. n. 449.
(482) Y. POULLET, « Quelques considérations sur le droit du cyberespace », op. cit. n. 131,
p. 213.
réalités vécues par les usagers » (483) dans le but de « faire naître des
consensus » (484), d’« assurer la rencontre entre les points de vue » (485),
de « dégager les tendances et consensus et [finalement de] favoriser
l’adoption de règles de droit » (486). Or, pour que les conclusions tirées de
ces « réalités vécues » soient réellement entendues, il semble indispensable
qu’il y ait une « expression normative plurielle » (487) et donc que « les
régulations privées individuelles, communautaires ou économiques [soient]
encouragées » (488). Et l’on conclut, finalement, que « la co-régulation naît
de l’existence reconnue de ces deux dynamiques » (489).
Avec le modèle de la co-régulation, nous nous dirigeons donc, nous
l’avons dit, vers la reconnaissance d’une possible égalité de l’État et des
acteurs privés sur le plan de la production du droit. Au contraire de la ré-
glementation et de l’autorégulation, qui érigent un acteur ou un type d’ac-
teurs au rang d’une suprématie fermement établie dans la production du
droit, la co-régulation pose l’hypothèse d’un réel partenariat entre plusieurs
producteurs de droit, édifiant ainsi une pyramide de normativité au som-
met de laquelle ne se situent plus un, mais deux types d’acteurs. La pyra-
mide des normes semble toutefois demeurer fermement établie.
Afin de tester plus avant ce modèle, il convient de se demander si la ré-
alité qu’il tente d’affirmer n’est pas profondément remise en cause si le
partenariat entre l’État et les acteurs privés prend la forme d’un pacte léo-
nin, en faveur de l’un ou de l’autre des partenaires. En vérité, on peut se
demander ce qui peut réellement empêcher qu’un acteur de la production
normative – l’État, les secteurs privés ou, parmi ceux-ci, les producteurs de
technologies – prenne un réel ascendant sur les autres producteurs de droit,
dans un domaine spécifique, voire même dans tout un secteur d’activités.
Qu’est-ce qui peut s’opposer à ce que l’un des acteurs devienne capable
d’imposer ses normes à la volonté des autres ? N’est-ce pas là une réalité
patente que la régulation d’un secteur donné ne sera toujours que la somme
(483) P. TRUDEL, « L’influence d’Internet sur la production du droit », op. cit. n. 175, p. 97.
(484) Ch. PAUL, Du droit et des libertés sur l’internet, op. cit. n. 458, p. 17
(485) Ibid., p. 17.
(486) Ibid., p. 18.
(487) Y. POULLET, « Quelques considérations sur le droit du cyberespace », op. cit. n. 131,
p. 213.
(488) Ch. PAUL, Du droit et des libertés sur l’internet, op. cit. n. 458, p. 18.
(489) Ibid.
des forces en présence, chaque acteur tentant d’imposer les normes proté-
geant les intérêts qu’il entend défendre ? Or aucun des modèles présentés
jusqu’ici ne prend réellement en compte l’enchevêtrement des hiérarchies
entre les différents acteurs de la production normative que les rapports de
force entre ces derniers semblent nécessairement devoir instituer. La co-
régulation repose certes sur la reconnaissance d’une importante montée en
puissance des secteurs privés débouchant sur une quasi-égalité, à tout le
moins un partenariat avec l’État dans leurs influences normatives. Cepen-
dant, ce modèle ne va à notre sens pas encore assez loin dans la reconnais-
sance de la diversité des sources normatives. Il est par ailleurs trop statique,
concrétisant simplement l’état des rapports de force à un moment donné,
alors que ces forces évoluent sans cesse. Il ne peut finalement pas prendre
en compte tous les intérêts des destinataires des normes, tels qu’ils pour-
raient par exemple être exprimés par une diversité d’acteurs ; le modèle de
la co-régulation est en principe limité au partenariat retenu.
La co-régulation constitue un modèle normatif attrayant de régulation,
mais elle demeure un modèle descriptif inexact. Ce n’est certes pas qu’il soit
indésirable qu’État et acteurs privés collaborent sur un pied d’égalité, mais
il est douteux que leurs relations se situent toujours réellement dans un tel
rapport. La hiérarchie entre les producteurs de droit, si l’on admet que le
droit puisse ne pas être qu’étatique, ne peut sans doute jamais être définiti-
vement établie a priori. Sa réalité dépendra toujours des rapports de force
entre les acteurs. Cette impossibilité d’une définition ex ante de l’identité
des producteurs de droit et de la hiérarchie que ceux-ci entretiennent est
précisément l’élément central d’un autre modèle de régulation : le réseau.
Là où la co-régulation évoquait un partenariat fermement établi et stati-
que entre un nombre limité d’acteurs bien définis, le réseau présente
l’image d’une concurrence en mouvement permanent, dont l’issue n’est pas
toujours prévisible, entre un nombre ouvert d’acteurs à l’identité incertaine.
Le réseau prend ici la forme d’un méta-modèle de régulation englobant
tous les autres modèles que nous avons rencontrés jusqu’ici. C’est que
l’avènement d’un nouveau modèle de régulation n’a souvent pas pour effet
de supprimer l’ancien. Au contraire, les nouveaux modèles et les anciens
s’entremêlent, créant une tension dialectique qui reste ouverte (490). En
(490) Ainsi R.J. DUPUY, « Le dédoublement du monde », op. cit. n. 130, p. 319.
cela, le réseau est prospectif. Les autres modèles, prévoyant une hiérarchie
statique, ne peuvent être que rétrospectifs et propres à une situation et un
moment donnés. Le réseau modélise le dynamisme des rapports de force.
En raison de ce caractère englobant du réseau, de son importance parti-
culière au regard de la théorie générale du droit et de la dimension nova-
trice de sa prise en considération pour la théorie générale de la régulation
du cyberespace, nous lui consacrerons l’intégralité du chapitre qui s’ouvre.
LE RÉSEAU : UN MÉTA-MODÈLE DE
RÉGULATION
SOUS-SECTION I. — LA RÉGLEMENTATION
Selon la conception traditionnelle et dogmatique de la création du droit –
qui se conçoit comme forcément étatique – une norme juridique est élabo-
rée selon un processus unidirectionnel allant du haut vers le bas (top-down).
Cette vision du phénomène de l’élaboration normative, particulièrement
typique de l’Europe continentale, est appréhendée par le modèle de la ré-
(496) M. FOUCAULT, La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1975, pp. 128 et 122, cité par F.
OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 21, p. 12.
(497) Voir F. OST, « Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles du juge » in La force du droit, s.
dir. P. Bouretz, Paris, Esprit, 1991, p. 241 et seq., spéc. p. 245 et seq. Voir aussi F. OST, « Le rôle
du juge. Vers de nouvelles loyautés » in Le rôle du juge dans la cité, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 15
et seq.
(498) F. OST, « Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles du juge », op. cit. n. 497, p. 242.
(499) H. KELSEN, Théorie pure du droit, trad. Ch. Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962, p. 266.
(500) Ibid., p. 259.
(501) Ibid., p. 316.
(502) Voir M.P. GOLDING, « Kelsen and the Concept of Legal System » in More Essays in Le-
gal Philosophy. General Assessments of Legal Philosophies, s. dir. R.S. Summers, Berkeley et Los
Angeles, Univ. of California Press, 1971, p. 69 et seq., spéc. p. 93.
(503) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Jalons pour une théorie critique du droit, op. cit. n. 63,
p. 187.
(504) F. OST, « Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles du juge », op. cit. n. 497, p. 246.
(505) Ibid., pp. 246-247, citant la célèbre formule de J.-J. ROUSSEAU, Du contrat social, ou prin-
cipes du droit politique, Paris, Bordas, 1972, p. 107. Voir aussi W. KRAWIETZ, « Die Lehre vom
Stufenbau des Rechts. Eine säkularierte politische Theologie ? » Rechtstheorie, 1984, Beiheft no 5,
1984, p. 257 et seq.
(506) F. OST, « Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles du juge », op. cit. n. 497, pp. 242–243,
249–256.
(507) O.W. HOLMES, « The Path of the Law » in Harv. L. Rev., 1897, vol. 10, p. 457 et seq.,
spéc. p. 461 : « the prophecies of what the courts will do in fact, and nothing more pretentious, are
what I mean by the law. » Pour des positions comparables, voir K. LLEWELLYN, The Bramble
Bush, New York, Oceana, 1930, pp. 3–4, J. FRANK, Law and the Modern Mind, New York,
Brentano’s, 1930, p. 46 et F. COHEN, « Transcendental nonsense and the functional approach » in
Colum. L. Rev., 1935, vol. 35, p. 809 et seq., spéc. pp. 828–829, 839.
(508) F. OST, « Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles du juge », op. cit. n. 497, p. 243.
(509) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Jalons pour une théorie critique du droit, op. cit. n. 63,
p. 194. C’est ce que l’on appelle la théorie prédictive du réalisme américain. Elle peut être résumée
ainsi : « according to the predictive theory, a norm is a norm of law just in case it constitutes an
accurate prediction of what a court will do […] If a court declines to find an enforceable contract
in the case at hand, then, on the predictive theory, there is, as a matter of law, no contract. Thus,
the final criterion of legality, for the predictive theory, is what courts do in the particular case, and
an accurate statement of law is equivalent to an accurate prediction of what the court will do […]
We abandon the normative ambition of telling judges how they ought to decide cases in order to
undertake the descriptive study of the causal relations between input (facts and rules of law) and
outputs (judicial decisions) » : B. LEITER, « Legal Realism » in A Companion to Philosophy of Law
and Legal Theory, s. dir. D. Patterson, Cambridge, Mass. et Oxford, Blackwell, 1996, p. 261 et
seq., spéc. pp. 262 et 264.
cette fois du bas vers le haut (bottom-up), « toutes les sources du droit
convergeant […] dans la personne du juge, seul interprète de la juridi-
cité » (510). Les autres acteurs de la production du droit sont également
toujours hiérarchisés, car ils ne font que rationaliser, par le biais de règles,
les prophéties relatives aux comportements futurs des tribunaux (511).
Considérant ces deux visions du monde juridique comme étant les « Scylla
et Charybde de la théorie juridique » (512), Hart a adopté une position
intermédiaire – mais non dialectique. En substance, elle se résume en cela
qu’il distinguait, pour toute règle juridique, à côté des « cas centraux et
clairs auxquels elle s’applique avec certitude, d’autres pour lesquels il existe
des raisons aussi bien d’affirmer que de nier qu’elle s’y applique » (513). Les
premiers, les easy cases, forment ce que l’auteur qualifiait de zones de clarté ;
les seconds, les hard cases, constituaient les zones de pénombre. On peut
soutenir que Hart opposait en réalité deux hiérarchies linéaires et unidirec-
tionnelles, l’une allant du haut vers le bas pour les zones de clarté et l’autre
allant en sens inverse pour les zones de pénombre. Retenant le principe
hiérarchique de la dogmatique classique pour les « vastes domaines cen-
traux du droit » (514), c’est-à-dire pour les zones de clarté, il accueillait en
(510) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Jalons pour une théorie critique du droit, op. cit. n. 63,
p. 196.
(511) O.W. HOLMES, « The Path of the Law », op. cit. n. 507, pp. 457-458 : « when we study
law we are studying […] what we shall want in order to appear before judges […] The reason why
it is a profession, why people will pay lawyers to argue for them or to advise them, is that in socie-
ties like ours the command of the public force is intrusted to the judges […] The object of our
study, then, is prediction, the prediction of the incidence of the public force through the instru-
mentality of the courts […] Far the most important and pretty nearly the whole meaning of every
new effort of legal thought is to make these prophecies more precise, and to generalize them into a
thoroughly connected system. […] It is to make the prophecies easier to be remembered and to be
understood that the teachings of the decisions of the past are put into general propositions and
[…] that statutes are passed in a general form. […] a legal duty so called is nothing but a predic-
tion that if a man does or omits certain things he will be made to suffer in this or that way by
judgment of the court ; - and so of a legal right. » Voir aussi F. OST et M. VAN DE KERCHOVE,
Jalons pour une théorie critique du droit, op. cit. n. 63, p. 194.
(512) H.L.A. HART, Le concept de droit, trad. M. van de Kerchove, Bruxelles, Publ. FUSL,
1976, p. 181.
(513) Ibid., p. 153.
(514) Ibid., p. 188.
services qui lui sont offerts, l’utilisateur est ici perçu comme un pouvoir
dominant de la régulation en raison des choix dont il dispose d’utiliser à ses
fins l’un ou l’autre des systèmes juridiques étatiques. Les usages et pratiques
commerciales, dont on allègue qu’elles émergent dans le cyberespace, sont
perçues comme une autre manifestation de la formation de la règle à partir
des choix répétés, et libres, des utilisateurs (520).
(520) Voir A. — La lex electronica n’est pas un système juridique, p. 472 et seq. infra.
(521) F. BACON, Novum Organum, voir supra, n. 397.
(522) Voir Sous-section I. — La normativité de la technique, p. 123 et seq. supra.
(523) Voir Sous-section II. — Le modèle de la régulation et la souveraineté du réseau, p. 127
et seq.
(524) Imaginons un réseau Internet Solidaire (IRIS), Pour une alternative démocratique à la coré-
gulation d’Internet : Proposition de création d’une mission interministérielle pour la citoyenneté et l’accès
au droit sur Internet (MICADNET). Contribution d’IRIS au débat sur la corégulation d’Internet, 2002,
<www.iris.sgdg.org/documents/rapport-coreg/index.html> (nous soulignons).
pouvoir combiné de ces deux parties, sur tous les autres acteurs de la régu-
lation.
rent » et, p. 475, « il s’agit surtout [pour l’État] de mettre sur pied des lieux de dialogue et de veille
où tous les acteurs intéressés pourront confronter leurs points de vue, analyser les solutions techni-
ques et autoréglementaires, et proposer des actions – y compris, si nécessaire, législatives. »
(527) Voir par exemple, en ce qui concerne la régulation par la technique, le pouvoir
qu’exercent, à tout le moins quelques fois, les opérateurs économiques ou l’État sur les opérateurs
technologiques : L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 64, pp. 34 et 52, A.L.
SHAPIRO, The Control Revolution, op. cit. n. 292, p. 203 et D.G. POST, « What Larry Doesn’t
Get : Code, Law, and the Consent of the Governed » in Stan. L. Rev., 2000, vol. 52, p. 1439 et
seq., spéc. pp. 1450–1451 et N.W. NETANEL, « Cyberspace Self-Governance : A Skeptical View
from Liberal Democratic Theory », op. cit. n. 277, pp. 461–62. Voir aussi Y. POULLET, « How to
Regulate the Internet : New Paradigms for Internet Governance », op. cit. n. 114, p. 9 : « the
parties themselves are calling for legal measures to legitimize technical solutions and, on the other
hand, the law is calling on the parties to implement those technical measures ». En fait, la techno-
logie développe souvent des solutions qui sont ensuite largement utilisées avant d’être adoptées par
la législation. Il s’agit bien là d’un renversement de hiérarchie : les producteurs de code détermi-
nent le contenu de normes juridiques, qui sont simplement avalisées par les États. Les signatures
électroniques et les ECMS, qui ont notamment conduit à la réforme de la convention de Berne sur
les droits d’auteurs, constituent des exemples importants : voir ibid., p. 9 : « in the case of ECMS,
the recent reform of the Bern Convention on author’s rights criminalizes any attempts to outwit
the technological protection systems offered by copyright management services. » Dans d’autres
situations, le droit enjoint aux opérateurs technologiques de prendre des mesures techniques : ibid.,
pp. 9–10 : « the application of the principle of liability could lead a judge to sanction, in a civil or
criminal suit, access providers and servers who have not taken acceptable and appropriate technical
measures to prevent possible harm to clients using their services. It is in reaction to such fears and
particularly the fear of a legislative intervention like the ‘Decency Act’ that the American industry
has developed the filter standard known as PICS. It is quite clear that the legislator sometimes has
an interest to maintain high level standards of liability as a way to exercise pressure on the eco-
nomic actors so that these actors will develop technological solutions in order to avoid liability. »
(528) Voir en ce sens les critiques, que nous rapportées ci-dessus, des défenseurs de la régle-
mentation en réaction à la perte de souveraineté étatique que ce modèle de régulation implique :
Imaginons un réseau Internet Solidaire (IRIS), Pour une alternative démocratique à la corégulation
d’Internet, op. cit. n. 524.
On peut estimer que les défauts que nous venons d’énumérer soient
contextuels, qu’ils dépendent du domaine ou du contexte à réguler. Le
rapport de la Mission interministérielle française sur l’Internet, présidée par
Isabelle Falque-Pierrotin, affirmait à ce propos qu’« aucune démarche uni-
voque ne sera efficace, [qu’]il n’existe pas un remède, une solution
unique » (530) ; bien au contraire, certains modèles de régulation s’avèrent
désirables et correspondent à la réalité pour certains secteurs des activités
véhiculées par les réseaux, mais pas pour d’autres. Le Conseil supérieur de
l’audiovisuel en France lui emboîte le pas en déclarant à son tour qu’« à des
enjeux de société différents (commerce, information, communication pri-
vée, communication audiovisuelle, lutte contre la cybercriminalité …), il
faudra appliquer, comme pour toutes les activités humaines, des règles
spécifiques. Ni régulation unique, ni simple corégulation, il faudra parler
d’une multirégulation, c’est-à-dire de coexistence sur le réseau de plusieurs
types de régulation répondant à des objectifs différents, par des méthodes
différentes et également légitimes » (531). Quant à Michel Vivant, il
conclut au terme d’une analyse remarquée des divers modèles de régulation
du cyberespace qu’« au final, c’est bien de régulations – au pluriel – qu’il
(529) Chez S. BIEGEL, Beyond our control ?, op. cit. n. 37, p. 9, il apparaît très clairement que le
type d’acteurs et leurs interactions sont « jockeying for positions of power » et créent des structures de
normativité où il n’y a pas de hiérarchie prédéfinie, inaltérable, pyramidale. Bien au contraire, il y
observe une bataille de pouvoirs d’acteurs tous indispensables, mais tous interdépendants. Voir
aussi R.H. WEBER, Regulatory Models for the Online World, op. cit. n. 39, p. 53 : « considering the
structure of the players in the online world […], it can be hardly said that any specific entity (na-
tional government, international organization, private enterprise) has gained control over the
online world » et Ph. AMBLARD, Régulation de l’Internet, op. cit. n. 319, p. 69 et seq., par exemple
p. 69 : « l’ensemble des acteurs du réseau […] détiennent tous potentiellement une part du pouvoir
normatif dans le cyberespace. Mais seuls, ils ne sont rien, l’ordre de l’Internet n’est assuré que par la
somme de leurs activités régulatrices. »
(530) I. FALQUE-PIERROTIN, Les technologies de l’information – Mission interministérielle sur
l’Internet, Paris, 1996, <www.internet.gouv.fr>.
(531) Propos rapportés par M. MAESSCHALCK et T. DEDEURWAERDERE, « Autorégulation,
éthique procédurale et gouvernance de la société de l’information », op. cit. n. 314, p. 88.
ne pourra pas, dans tous les cas, décider librement, comme s’il n’existait
d’autre volonté que la sienne, du modèle de régulation qui existera effecti-
vement pour un secteur et un contexte donnés. Il devra bien plus composer
avec les volontés et les forces des autres acteurs de la production normative
juridique.
C’est en définitive le tableau dessiné par la combinaison des effets de
toutes ces forces qui révélera le modèle de régulation régissant un secteur et
un contexte donnés. C’est la création de ce tableau que tente de décrire le
modèle du réseau, qui se conçoit donc, dans le sens que nous voulons lui
donner ici, comme un méta-modèle de régulation, c’est-à-dire un modèle
sur les modèles de régulation.
À la base du modèle du réseau se situe, on l’a compris, la remise en
question de ces souverainetés que nous avons rapportées au début de ce
chapitre. Il s’agit plus précisément de l’idée qu’aucun des modèles abordés
dans le chapitre précédent (réglementation, autorégulation, régulation par
la technique, co-régulation) ne couvre à lui seul tous les secteurs et tous les
contextes de la normativité dans le cyberespace. Au contraire, la régulation
se fait en réalité selon les rapports de force existants entre les différents
acteurs. Ces rapports de force détermineront, pour chaque secteur, dans
chaque contexte, le modèle de régulation applicable. À notre sens, le mo-
dèle du réseau décrit ainsi mieux la réalité des flux normatifs et la capacité
des acteurs à s’imposer en renversant la hiérarchie des normes et des pro-
ducteurs de ces normes. C’est précisément cette hiérarchie des normes et de
leurs producteurs qui constitue le point d’ancrage et l’instrument d’analyse
de ce modèle : unilatérales et linéaires dans les modèles érigeant un acteur
ou un type d’acteurs en souverain, les hiérarchies deviennent ici enchevê-
trées, fluctuantes, au sommet toujours incertain dans une perspective a
priori.
(540) M. VAN DE KERCHOVE et F. OST, Le système juridique entre ordre et désordre, Paris,
PUF, 1988, pp. 108–109. Voir aussi F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Jalons pour une théorie
critique du droit, op. cit. n. 63, p. 229, qui retiennent notamment cet exemple donné par un arrêt du
Conseil d’État belge qui, se prononçant sur la question du champ d’application du principe
d’égalité devant la loi, a jugé que « le champ d’application de ce principe est nécessairement déter-
miné par la conception [...] que le législateur se fait à tout moment des exigences de son respect ;
que ce champ d’application [...] varie selon les extensions que le législateur lui donne à raison des
circonstances qu’il prend en considération » (nous soulignons). Notons encore que si la suite que
prend une telle interprétation inconstitutionnelle de la Constitution est celle, possible et réelle,
d’une modification de celle-ci, alors l’influence du niveau inférieur sur le niveau supérieur, qui avait
au départ lui-même influencé le niveau inférieur, s’accomplit définitivement : voir F. DELPÉRÉE,
« Au nom de la loi » in JT, 1976, p. 489 et seq., spéc. p. 490.
(541) J.-F. PERRIN, Sociologie empirique du droit, Bâle et Francfort-sur-le-Main, Helbing &
Lichtenhahn, 1997, p. 74 et seq.
(542) Voir F. DELPÉRÉE, « La Constitution, la loi, le décret et l’ordonnance » in JT, 1990,
p. 108 et seq.
(543) Ibid., p. 108, affirmant que dans ce contexte « toute ordonnance a force de loi ».
(544) Art. 7 loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises (nous souli-
gnons).
(545) F. DELPÉRÉE, « La Constitution, la loi, le décret et l’ordonnance », op. cit. n. 542,
p. 109.
(546) De manière moins nette mais plus générale, on peut ajouter ici cette idée que quand les
administrations préparent les lois qu’elles sont ensuite amenées à appliquer, leur contenu est
« largement déterminé par les contraintes et les facteurs qui s’exercent au plan spécifique de
l’exécution » : F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Jalons pour une théorie critique du droit, op. cit. n.
63, p. 239. Voir aussi G. MAJONE, « Theories of Regulation » in Regulating Europe, s. dir. G.
Majone, Londres et New York, Routledge, 1996, p. 28 et seq., spéc. p. 36 et D.B. WOOD et R.W.
WATERMAN, « The Dynamics of Political Control of the Bureaucracy » in APSR, 1991, vol. 85,
p. 801 et seq., spéc. pp. 802–803.
(547) CJCE, arrêt Stork c. Haute Autorité de la CECA du 4 février 1959, aff. 1/58, Rec. 1959,
p. 43, jurisprudence confirmée par CJCE, arrêt Comptoir de vente de charbon de la Ruhr du 15 juillet
1960, aff. 36 à 38/59 et 40/59, Rec. 1960, p. 857.
(548) Bundesfinanzhof, arrêt du 10 juillet 1968, dans lequel ce tribunal juge qu’« un règlement
[communautaire] peut ne pas être applicable dans un État membre s’il contrevient à des règles [...]
relatives à la protection des droits fondamentaux » et Corte costituzionale, arrêt Frontini no 183 du
27 décembre 1973, reproduit in RTD eur., 1974, p. 148, cités par M. DARMON, « La prise en
compte des droits fondamentaux par la Cour de justice des Communautés européennes » in Vers un
sieurs étapes, durant les quelques années qui suivirent (549). Les juridic-
tions nationales, hiérarchiquement inférieures à la CJCE, avaient de la
sorte poussé cette dernière à se soumettre à leurs décisions.
Plus proche de notre problématique, on peut encore aborder les prati-
ques de lex et de forum shopping (550), elles aussi constitutives de boucles
étranges. Par ces pratiques, les opérateurs économiques parviennent à dé-
terminer une partie de la production juridique, en poussant à l’adoption
d’un certain droit, par exemple par l’importation du droit d’un autre État.
De toute évidence, un droit national donné connaîtra généralement la pré-
férence des opérateurs à qui il est particulièrement favorable. Une suite
logique à cette situation est le déplacement, l’importation de ces opérateurs
vers l’État en question ; mais il se peut aussi que le droit de cet État soit
exporté vers d’autres États soucieux d’attirer ces opérateurs. Comme l’écrit
Mireille Delmas-Marty, « il y a en effet un marché de la loi, car la règle de
droit subit elle-même la concurrence entre places financières. Si la règle de
droit est défavorable à un acteur financier, qu’il soit l’émetteur,
l’investisseur, ou même l’intermédiaire, il ira faire l’opération sur une autre
place. De ce fait, la vitalité d’une place financière va dépendre du caractère
attractif de sa réglementation » (551). Ainsi, un droit particulièrement
droit pénal communautaire ? Le titre VI du Traité sur l’Union européenne et la matière pénale, s. dir. M.
Delmas-Marty, Paris, Dalloz, 1995, p. 23 et seq., spéc. pp. 26–28, qualifiant le second arrêt de
« coup de semonce ».
(549) Dans l’arrêt Stauder c. Ville d’Ulm du 12 novembre 1969, aff. C-29/69, Rec. 1969, p. 419,
la CJCE déclare qu’elle peut prendre en compte les droits fondamentaux au travers des « principes
généraux du droit communautaire » et, dans l’arrêt Internationale Handelsgesellschaft c. Einfuhr und
Vorratsstelle für Getreide und Futtermittel du 17 décembre 1970, aff. C-11/70, Rec. 1970, p. 1125,
elle franchit une étape de plus en déclarant assurer la sauvegarde des droits fondamentaux compris
dans les « principes généraux du droit ». Un pas supplémentaire est entrepris dans l’arrêt Nold,
Kohlen und Baustoffgroßhandlung c. Commission du 14 mai 1974, aff. C-4/73., Rec. 1974, p. 491, où
la Cour affirme assurer la sauvegarde des droits fondamentaux compris dans les « principes géné-
raux du droit », dans les « constitutions des États membres » ainsi que dans les « instruments
internationaux concernant la protection des droits de l’homme ».
(550) Pour une synthèse de la problématique du lex et forum shopping dans le commerce électro-
nique, voir par exemple J.L. GOLDSMITH, « Against Cyberanarchy », op. cit. n. 52, pp. 1245–46.
(551) M. DELMAS-MARTY, Trois défis pour un droit mondial, Paris, Seuil, 1998, p. 22. À cet
égard on mentionnera le « réseau des régulateurs » étatiques qui se forme notamment en réaction à
ces problèmes de lex et forum shopping : A.-M. SLAUGHTER, « The Real New World Order » in
Foreign Affairs, septembre–octobre 1997, p. 183 et seq., sous titre « The Regulatory Web » : « the
densest area of transgovernmental activity is among national regulators. Bureaucrats charged with
the administration of antitrust policy, securities regulation, environmental policy, criminal law
enforcement, banking and insurance supervision – in short, all the agents of the modern regulatory
state – regularly collaborate with their foreign counterparts » et M.L. CHEEK, « The Limits of
Informal Regulatory Cooperation in International Affairs : A Review of the Global Intellectual
Property Regime » in Geo. Wash. Int’l L. Rev., 2001, vol. 33, p. 277 et seq., spéc. pp. 316–321.
(552) M. DELMAS-MARTY, Le flou du droit, Paris, PUF, 1986, p. 210.
(553) L. SILANCE, « Logique, sport et droit » in Justice et argumentation, essais à la mémoire de
Chaïm Perelman, s. dir. G. Haarscher et L. Ingber, Bruxelles, Éd. de l’Univ. de Bruxelles, 1986,
p. 29 et seq., p. 38 (nous soulignons), se référant à CJCE, arrêt Walrave et Koch c. Association Union
Cycliste Internationale du 12 décembre 1974, aff. C-36/74, Rec. 1974, p. 1405, CJCE, arrêt Dona c.
Mantero du 14 juillet 1974, aff. C-13/76, Rec. 1976, p. 1333, Cour de cassation (Belgique), arrêt
du 16 juin 1969, Pas. 1969-I-650, Lassalle c. Bouc, Cass. 2ème civ., 21 juin 1979, in Bulletin des arrêts
de la Cour de cassation, 1979, p. 136 et seq., Corte di Cassazione, arrêt du 9 octobre 1950, in Giust.
Pen., 1951, no 2, p. 230 et seq., Carpentier c. Baur et Roux, CA Douai, 3 décembre 1912, in D.,
1913, p. 189 et seq. et Martin c. International Olympic Committee, 740 F.2d 670, 1984 U.S. App.
LEXIS 21274, 35 Empl. Prac. Dec. (CCH) P34705 (9th Cir. Cal. 1984).
(554) Ibid., p. 46.
(555) Ibid., p. 45 (nous soulignons).
(556) M. CASTELLS, La société en réseaux, t. 1, L’ère de l’information, op. cit. n. 492, p. 526. Une
définition plus étoffée a été proposée par F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au
réseau ?, op. cit. n. 21, p. 24 : « le réseau constitue une ‘trame’ ou une ‘structure’, composée
d’‘éléments’ ou de ‘points’, souvent qualifiés de ‘nœuds’ ou de ‘sommets’, reliés entre eux par des
‘liens’ ou ‘liaisons’, assurant leur ‘interconnexion’ ou leur ‘interaction’ et dont les variations obéis-
sent à certaines ‘règles de fonctionnement’. De manière négative, par ailleurs, on souligne généra-
lement que, à la différence sans doute de la structure d’un système, et certainement d’une structure
pyramidale, arborescente ou hiérarchique, dans un réseau, ‘aucun point n’est privilégié par rapport
à un autre, aucun n’est univoquement subordonné à tel ou tel’ » (références omises).
(557) F. OST, « Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles du juge », op. cit. n. 497, p. 255.
(558) ID., « La régulation : des horloges et des nuages… » in Élaborer la loi aujourd’hui, mission
impossible ?, s. dir. B. Jadot et F. Ost, Bruxelles, Publ. FUSL, 1999, p. 11 et seq., spéc. p. 16.
(559) ID., « Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles du juge », op. cit. n. 497, p. 256.
(560) ID., « La régulation : des horloges et des nuages… », op. cit. n. 558, p. 17.
(561) ID., « Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles du juge », op. cit. n. 497, pp. 244 et 255 et
seq.
(562) Voir P. TRUDEL, « L’influence d’Internet sur la production du droit », op. cit. n. 175,
p. 98 : « les règles de droit sont de plus en plus exprimées comme une composante d’un réseau dans
lequel elles ne constituent qu’un relais », p. 101 : « des processus de négociation, de médiation de
même que le développement d’outils techniques contribuent à dégager la teneur des règles qui
trouvent application à l’égard des activités prenant place sur Internet. Internet favorise le délaisse-
ment des processus hiérarchiques d’élaboration des normes. Les normes s’élaborent en réseau : elles
sont proposées, débattues, appliquées ou remodelées dans le cadre de processus informels relayant
les valeurs et principes et consensus obtenus dans les forums officiels ou dans les communautés » et
P. FRISSEN, « The virtual state. Postmodernisation, informatisation and public administration »,
op. cit. n. 297, p. 115 : « the increase in electronic connections within and between organisations
has led to the horizontalisation of relations. Horizontal relations are becoming more important
than vertical relations. In public administration […] this leads to a growing correspondence be-
tween electronic networks and policy networks or configurations. Policy-making, then, is less
hierarchical in nature. As a result, the so-called primacy of politics (for instance the concept of
ministerial responsibility) is at stake. The multi-centred world of cyberspace relates to the multi-
centred world of policy domains » et p. 119 « a more networking type of policy-making, the recog-
nition of the relative autonomy of societal domains, the increasing participation of societal actors
in policy-making, the non-hierarchical and non-bureaucratic mode of steering » et p. 123 « the
grand narrative of political ideology is increasingly problematic, partly because of the previously
sketched developments. The pyramidal nature of public administration increasingly changes into
an archipelago of network configurations. » Voir aussi Ch.D. SIEGAL, « Rule Formation in Non-
Hierarchical Systems » in Temp. Envtl. L. & Tech. J., 1998, vol. 16, p. 173 et seq., spéc. pp. 179-
208, qui traite toutefois essentiellement de la formation de règles (qui sont plutôt sociales que
juridiques) dans LambdaMOO, une plateforme multi-utilisateurs interactive, accessible par Inter-
net, conçue pour la construction de jeux d’aventure textuels.
(563) Pour une énumération plus développée de ces acteurs, voir par exemple R.H. WEBER,
Regulatory Models for the Online World, op. cit. n. 39, pp. 51-52 et S. BIEGEL, Beyond our control ?,
op. cit. n. 37, pp. 4–9 qui retiennent comme acteurs : les gouvernements, les fournisseurs d’accès et
de contenu, les compagnies de téléphonie locale, les opérateurs des réseaux longue distance (Inter-
net backbones), les producteurs de logiciels et de matériel informatique, les organisations de standar-
disation pour Internet, les communautés virtuelles (implicitement pour Weber, voir p. 53) et
l’ICANN (pour Biegel, p. 9). Voir aussi K.W. GREWLICH, Governance in ‘Cyberspace’, op. cit. n.
29, pp. 36-37, J. HUET, « Réflexions sur les sources du jeune ‘droit de l’Internet’ » in D., 2000,
vol. 28, p. iv et seq. et Ph. AMBLARD, Régulation de l’Internet, op. cit. n. 319, p. 69 et seq. Pour une
énumération des instruments qui expriment ces normativités, voir par exemple P. TRUDEL, « La
lex electronica », op. cit. n. 50, p. 236 et seq., qui énumère « l’architecture technique », « les pratiques
contractuelles », « les usages », « les textes internationaux », « les textes modèles », « les lois modè-
les », « les modèles d’autoréglementation », les standards des « instances des normalisation » et les
décisions des « structures adjudicationnelles du cyberespace ». Voir aussi N.W. NETANEL,
« Cyberspace Self-Governance : A Skeptical View from Liberal Democratic Theory », op. cit. n.
277, pp. 399–400 : « rule making […] finds expression in myriad forms and settings, including
web site terms of use ; behavioral norms of virtual chat rooms and discussion groups ; network
administration guidelines ; listserv moderator filtering ; Internet service provider contracts ; Usenet
voting procedures ; local area network acceptable use policies ; newsgroup frequently-asked ques-
tion files ; decisions of virtual magistrates ; help manners and programmers’ manuals for multi-user
dimensions ; the code embedded in browsers, servers, and digital content ; and the technical
protocols that enable intra- and internet work communication. All such norms shape and delimit
the possibilities for human interaction and commerce in cyberspace. In that sense, they have much
the same effect as formal state-promulgated law. »
(564) J. LECA, « L’État creux », op. cit. n. 89, p. 98. Notons que le modèle de réseau se rappro-
che ici du concept de gouvernance, mais en ce qui concerne une acceptation différente de ce
concept que celle que nous avions relevée en relation avec la co-régulation : il s’agit ici de cette
acception où « governance is about a varied cast of actors : people acting together in formal and
informal ways, in communities and countries, within sectors and across them, in non-governmen-
tal bodies and citizens’ movements, and both nationally and internationally » : Commission on
Global Governance, Our Global Neighborhood, Oxford/New York, Oxford Univ. Press 1995,
p. 225.
(565) M. CASTELLS, La société en réseaux, t. 1, L’ère de l’information, op. cit. n. 492, p. 525.
(566) Dans un sens proche, voir J.R. REIDENBERG, « L’instabilité et la concurrence des régi-
mes réglementaires dans le Cyberespace », op. cit. n. 389, pp. 137 et 141 : « la réglementation du
cyberespace provient des trois sources. La plus classique est le droit, mais il y a aussi une série de
règles issues des coutumes et usages des participants aux réseaux. Finalement, les normes et les
contraintes de la technologie créent tout un régime de règles. […] La juxtaposition de ces trois
régimes est […] à la source d’une concurrence […] parmi les régimes juridiques et chaque régime
cherche à trouver une solution en même temps » (nous soulignons) et P. TRUDEL, « L’influence
d’Internet sur la production du droit », op. cit. n. 175, p. 101 : « sur Internet, le droit résulte de la
synergie parfois transitoire de normativités interagissantes » (nous soulignons).
Hart (567), les zones d’ombres (où l’on constate a posteriori que l’on est en
situation de réglementation) et les zones de clarté (où l’on constate a pos-
teriori que l’on est dans une situation correspondant aux hypothèses du
réalisme américain). Tout changement dans les rapports de force entre les
producteurs de droit produit en conséquence un « flux d’ajustements quasi
réflexes d’une multitude de points en interaction » (568). Les cartes sont
redistribuées, le paysage normatif (habité par les acteurs de la production
juridique) se redessine et l’on peut passer d’une situation correspondant à
un modèle de régulation à une situation correspondant à autre modèle, car
« nous vivons », selon Boaventura de Sousa Santos, « dans un temps de
légalité poreuse ou de porosité juridique, où de multiples réseaux d’ordres
juridiques nous forcent constamment à des transitions ou des empiéte-
ments » (569).
Selon ce modèle, la création du droit est dialectique et complexe. Dia-
lectique, elle l’est en ce sens qu’elle correspond à une pensée, pour repren-
dre les termes de Merleau-Ponty, « à plusieurs centres et plusieurs
entrées » (570). Complexe – paradigme se substituant à celui de compliqué –
elle l’est en ce sens que l’on ne peut plus rendre compte de la réalité de
l’élaboration normative en la modélisant selon un agencement purement
déductif d’éléments, selon un processus linéaire et prévisible (571), mais
que l’on doit au contraire prendre en considération, comme l’expliquent
Michel van de Kerchove et François Ost, « la relative imprévisibilité [de ce
phénomène] (échappe à l’observateur un certain nombre d’informations sur
leur fonctionnement qui peut dès lors évoquer un désordre apparent) et [...]
les structures de rétroaction qui s’y développent » (572).
(567) Voir Sous-section III. — Les zones de clarté et les zones de pénombre de Hart, p. 156
et seq. supra.
(568) F. OST, « Le temps virtuel des lois postmodernes ou comment le droit se traite dans la
société de l’information » in Les transformations de la régulation juridique, s. dir. J. Clam et G.
Martin, Paris, LGDJ, 1998, p. 423 et seq., spéc. p. 429.
(569) B. DE SOUSA SANTOS, « Droit : une carte de lecture déformée. Pour une conception
postmoderne du droit » in D&S, 1988, vol. 10, p. 379 et seq., spéc. p. 382.
(570) M. MERLEAU-PONTY, Les aventures de la dialectique, Paris, Gallimard, 1955, p. 274, cité
par F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 21, p. 37.
(571) M. VAN DE KERCHOVE et F. OST, Le système juridique entre ordre et désordre, op. cit. n.
540, p. 106.
(572) Ibid.
*
* *
Nous avons vu, dans cette première partie, que le cyberespace est un espace
social reposant sur un environnement technique où le code technologique
remplace les lois de la nature et dont les spécificités (caractère déterritoria-
lisé, décentralisé, global et multipersonnel des communications) condition-
nent les modalités et les conséquences des activités véhiculées par les
réseaux, ainsi que les formes des normativités qui s’y construisent ou s’y
expriment. Cet environnement crée corrélativement des perturbations pour
la production et l’application du droit selon leurs modes traditionnels. Il
remet en cause les équilibres sur lesquels ceux-ci reposaient et introduit de
nouveaux acteurs de régulation. Il accélère les dimensions sociale, commer-
(573) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 21, p. 315.
(574) Voir Chapitre X : Validité empirique : l’effectivité d’une régulation par les ODR, p. 311
et seq. infra.
(575) La présentation de la résolution des litiges en ligne qui suit constitue une mise à jour et
une adaptation de certains passages de Th. SCHULTZ, « Online dispute resolution (ODR) : réso-
lution des litiges et ius numericum » in RIEJ, 2002, vol. 48, p. 153 et seq., spéc. p. 195 et seq. La
mise à jour se fonde essentiellement sur les données empiriques rapportées dans G. KAUFMANN-
KOHLER et Th. SCHULTZ, Online Dispute Resolution : Challenges for Contemporary Justice, La
Haye, Kluwer, 2004, p. 10 et seq. et 249 et seq. et dans M. CONLEY TYLER, « One Hundred and
Fifteen and Counting : The State of Online Dispute Resolution 2004 » in Proceedings of the Third
Annual Forum on Online Dispute Resolution, s. dir. M. Conley Tyler, E. Katsh et D. Choi,
Amherst, Mass., Publ. de l’Université de Massachusetts, 2004, <www.odr.info/unforum2004/-
ConleyTyler.htm>.
(576) Le terme alternatif fait l’objet d’un flou conceptuel. Dans le contexte des ADR, il désigne
en principe les alternatives à la justice. Ces dernières peuvent être définies selon trois axes, dépen-
dant de la dimension de la justice dont on se distingue. Il s’agit de procédures ou de pratiques qui
sont soit extrajudiciaires (dimension institutionnelle), soit informelles (dimension procédurale), ou
encore non juridictionnelles (dimension décisionnelle). La définition anglo-saxonne, que nous
retiendrons ici, se réfère en principe à la deuxième acception, ce qui permet notamment d’y inclure
l’arbitrage et les cybertribunaux : voir A.-J. ARNAUD et J.-P. BONAFÉ-SCHMITT, « Alternatif
(Droit) – Alternative (Justice) » in Dictionnaire encyclopédique de sociologie et de théorie du droit, s.
dir. A.-J. Arnaud (éd.), 2ème éd., Paris, LGDJ, 1993, p. 11 et seq.
(577) Sur ces catégories fondamentales, voir par exemple Ch. JARROSSON, « Les modes alter-
natifs de règlement des conflits : présentation générale » in RID comp., 1997, p. 325 et seq., B.
OPPETIT, « Arbitrage, médiation et conciliation » in Rev. arb., 1984, p. 307 et seq. et Ph.
FOUCHARD, « Alternative dispute resolution et arbitrage » in Souveraineté étatique et marchés
internationaux à la fin du 20e siècle : à propos de 30 ans de recherche du CREDIMI : mélanges en
l’honneur de Philippe Kahn, s. dir. Ch. Leben et al., Paris, Litec, 2000, p. 95 et seq.
(582) Pour une catégorisation des types de procédures résultant de l’utilisation des nouvelles
technologies, voir M. WAHAB¸ « The Global Information Society and Online Dispute Resolu-
tion : A New Dawn for Dispute Resolution » in JintArb, 2004, vol. 21, p. 143 et seq., l’auteur
distinguant (p. 168) : « (a) technology-assisted ODR mechanisms, where the role of technology is
restricted to the provision of an adequate and secure medium of communication and information
exchange ; (b) technology-based ODR mechanisms, where a fully-fledged application of cutting-
edge technology is utilized to resolve e-disputes ; and (c) technology-facilitated online dispute
prevention (‘ODP’) guarantees, which help reduce the risk of potential e-disputes and incontro-
vertibly enhance trust and security in e-business. »
(583) Pour un aperçu de la diversité des procédures en ligne, voir par exemple A.
VAHRENWALD, « Out-of-court dispute settlement systems for e-commerce, Report on legal
issues », Partie III, « Types of Out-of-Court Dispute Settlement », rapport du Joint Research
Center, Commission européenne, Ispra, 2000, <econfidence.jrc.it>.
(584) Sur le rôle fondamental de la négociation dans la résolution des conflits, Y. DEZALAY,
« Négociation » in Dictionnaire encyclopédique de sociologie et de théorie du droit, s. dir. A.-J. Arnaud
(éd.), 2ème éd., Paris, LGDJ, 1993, p. 387 et seq.
SOUS-SECTION I. — LA NÉGOCIATION
AUTOMATISÉE
(585) Chacun des centres fournissant ce type de service définit cette marge à l’avance. En géné-
ral, elle est fixée à 30 pour cent, mais elle peut descendre, selon les centres ou les montants en jeu, à
10 voire 5 pour cent.
(586) Le nombre de rounds de négociation est en principe limité à trois, quoique certains cen-
tres ne prévoient pas de limites.
(587) Un seul fournisseur de négociation automatisée permet aux parties de prendre connais-
sance réciproquement de leurs offres (il s’agit de The Claim Room).
(588) Plus de 20 institutions proposent de la négociation automatisée, parmi lesquels on citera
ClickNsettle, Cybersettle, DisputeManager, Intersettle, MARS, SmartSettle, The Claim Room,
WebAssured, WebMediate et WeCanSettle. Cybersettle administre en moyenne 3'000 litiges par
mois. Pour davantage d’information sur la pratique de la négociation automatisée, voir G.
KAUFMANN-KOHLER et Th. SCHULTZ, Online Dispute Resolution : Challenges for Contemporary
Justice, op. cit. n. 575, p. 17 et seq. et M. CONLEY TYLER, « One Hundred and Fifteen and
Counting », op. cit. n. 575.
ligne. Dans ce cas aussi, la procédure est simple : les parties négocient à
l’aide d’outils informatiques, d’une manière similaire à ce que nous ferions
in persona, par téléphone ou par écrit. Les services fournis par les centres
proposant de la négociation assistée consistent en des plateformes de com-
munication, des logiciels de communication à télécharger, des sites web
sécurisés, des logiciels interactifs guidant les parties vers des agendas et des
solutions types ou encore des formules types de transaction. Le succès de ce
type de procédures est impressionnant : SquareTrade, qui traite notam-
ment des litiges émergeant de la place de marché électronique eBay, admi-
nistre aujourd’hui la négociation en ligne d’environ 800'000 différends par
an (589).
(589) Une quinzaine d’institutions d’ODR proposent de la négociation assistée, parmi lesquels
on nommera l’Association des Consommateurs d’Islande, ECODIR, Eurochambres (Online-
Confidence), Internet Ombudsman, Intersettle, MARS, MediationFirst (OurDivorceAgreement),
Online Resolution, Resolution Forum, SquareTrade, TheClaimRoom.com, TRUSTe
(Watchdog), Trusted Shops et Web Assured.com.
(590) Pour une description de ces variantes de médiation, voir par exemple A. BEVAN, Alterna-
tive Dispute Resolution, Londres, Sweet & Maxwell, 1992, pp. 21–23, Th.F. MASTRONARDI,
Mediation als Weg, Kunst und Technik der Vermittlung, Ittigen, Signifix, 2000, p. 192 et seq., M.
GUILLAUME-HOFNUNG, La médiation, Paris, PUF, 1995, pp. 71-92, G. HERRMANN, « La
conciliation, nouvelle méthode de règlement des différends » in Rev. arb., 1985, p. 343 et seq. et
Ph. FOUCHARD, « Alternative dispute resolution et arbitrage », op. cit. n. 577, p. 109 et seq.
(591) Online Resolution, notamment, se réfère aux standards de médiation émis par trois gran-
des institutions d’arbitrage ou de médiation (l’American Bar Association, la Society of Profession-
als in Dispute Resolution et l’American Arbitration Association).
Dans un arbitrage en ligne, un tiers communique avec les parties par des
moyens de communication électroniques, en vue de remplir la mission juri-
dictionnelle qu’il a reçue des parties pour trancher leur différend (596). Les
(592) Chez e-Mediator et MARS par exemple, la communication s’opère uniquement par des
courriers électroniques que chacune des parties adresse au médiateur. Par contre, chez Cybercourt
et Online Resolution par exemple, les parties ne peuvent que laisser des messages sur un forum
commun de discussion.
(593) The Claim Room, par exemple, offre de telles possibilités étendues de communication.
(594) Parmi ceux-ci figurent notamment The Claim Room, ARyME, BRC, la Camera Arbi-
trale di Milano, le Cibertribunal Peruano, ClickNsettle, DisputeManager, Consensus Mediation,
eNeutral, Internet Neutral, JAMS, MARS, Mediation First, National Arbitration Forum,
NovaForum, Online Resolution, PrivateJudge.com, Resolution Forum, Retail Tenancy Unit NSW
Online Mediation, SettleTheCase, SquareTrade et WebMediate
(595) Par exemple environ 600 pour Mediate.com.
(596) Sur la notion d’arbitrage, voir par exemple Ch. JARROSSON, La notion d’arbitrage, Paris,
LGDJ, 1987, ID., « Les frontières de l’arbitrage » in Rev. arb., 2001, p. 5 et seq., J.-F. POUDRET
et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, Bruxelles, Bruylant / Paris, LGDJ / Zu-
rich, Schulthess, 2002, p. 3, A. REDFERN et M. HUNTER, Law and Practice of International Com-
mercial Arbitration, 3ème éd., Londres, Sweet & Maxwell, 1999, pp. 3-4, M.J. MUSTILL,
« Arbitration : History and Background » in JintArb, 1989, vol. 6, p. 43 et seq., A.J. VAN DEN
BERG, The New York Convention of 1958 : Towards a Uniform Judicial Interpretation, Deventer,
Kluwer, 1981, p. 44 et seq. et T.E. CARBONNEAU, Cases and Materials on the Law and Practice of
Arbitration, 2ème éd., Yonkers, NY, Juris Publ., 2000, p. 2.
(597) Le Virtual Magistrate limite les communications aux courriers électroniques.
(598) MARS et NovaForum, par exemple, proposent des forums de discussion pour la soumis-
sion de mémoires ou de pièces ainsi que pour l’équivalent d’audiences écrites en temps réel.
(599) Voir par exemple MARS, NovaForum, eNeutral, Internet Neutral, JAMS, Mediation
First, DisputeManager.com, ClickNsettle, SmartSettle et e@dr.
(600) Des conférences téléphoniques sont prévues chez MARS et RisolviOnline. L’utilisation
du fax est suggérée auprès d’ECODIR et Word&Bond.
(601) WebMediate et SmartSettle prévoient des auditions hors ligne.
(602) Pour une introduction générale à l’utilisation des technologies de l’information en arbi-
trage, voir A.R. LODDER et G.A.W. VREEWIJK, « Les services d’arbitrage en ligne à la croisée des
chemins » in Bull. CCI (numéro spécial sur la technologie au service des différends commerciaux),
2004, p. 35 et seq. Voir aussi, pour une analyse centrée sur le développement projeté des technolo-
gies utilisées, D. PROTOPSALTOU, Th. SCHULTZ et N. MAGNENAT-THALMANN, « Taking the
fourth party further ? Considering a shared virtual workspace for arbitration » in Information and
Communication Technology Law (numéro spécial sur online dispute resolution), à paraître 2005. Sur
l’influence probable des ODR sur les procédures d’arbitrage hors ligne, G. KAUFMANN-
KOHLER, « Online Dispute Resolution and its Significance for International Commercial Arbi-
tration » in Festschrift Robert Briner, à paraître 2005.
raison des questions que cette forme d’arbitrage soulève, nous lui consa-
crerons des développements spécifiques (603).
Quant au succès de l’arbitrage en ligne, on observe que, sur la vingtaine
d’institutions qui le proposent (604), celles qui prévoient des formes non
contraignantes d’arbitrage bénéficient actuellement du plus grand nombre
d’affaires inscrites au rôle. À titre indicatif, on notera que le Chartered In-
stitute of Arbitrators à Londres, dont la plupart des procédures d’arbitrage
en ligne ne sont qu’optionnellement contraignantes, a administré environ
400 litiges. L’UDRP, à laquelle nous consacrerons la prochaine section, a
déjà régi plus de 11'000 litiges.
(603) Voir Sous-section III. — L’arbitrage non contraignant : vers une distanciation par
rapport aux droits étatiques, p. 428 et seq.
(604) Une vingtaine d’institutions de règlement en ligne des litiges proposent des services
qu’elles qualifient d’arbitrage, parmi lesquelles l’American Arbiration Association, le ADR Group,
ARyME, BBBOnline, BRC, CIArb, le Cibertribunal Peruano, Consensus Mediation, Dispute
Manager, eNeutral, JAMS, MARS, NovaForum, le Online Public Disputes Project, Online
Resolution, PrivateJudge, Resolution Canada, Resolution Forum, SettleTheCase, SquareTrade, le
Virtual Magistrate, Web Assured, WebMediate et Word&Bond.
(605) Pour plus de développements sur les noms de domaine, voir Sous-section II. — Accès à
Internet, spamming, noms de domaine et certification, p. 330 et seq. infra et B. — Un système
juridique pour les noms de domaine : l’ICANN et l’UDRP, p. 481 et seq. infra
(606) M. MUELLER, « ICANN and Internet Governance, Sorting Through The Debris of
‘Self-Regulation’ » in Info, 1999, vol. 1, no 6, p. 477 et seq.
Internet Corporation of Assigned Names and Numbers » in JintArb, 2000, vol. 17, p. 115 et seq.,
spéc. pp. 137–138.
(620) L’art. 4 lit. k des principes directeurs dispose ainsi que la procédure UDRP « n’interdit
pas [au titulaire du nom de domaine], non plus qu’elle n’interdit au requérant, de porter le litige
devant un tribunal compétent appelé à statuer indépendamment avant l’ouverture de cette procédure
[…] ou après sa clôture » (nous soulignons).
(621) Sur ces caractéristiques de l’arbitrage, nous renvoyons aux références citées n. 596 supra.
(622) En septembre 2004, les statistiques indiquaient que plus de 6'500 affaires avaient été sou-
mises à l’OMPI (voir <arbiter.wipo.int/domains/statistics/cumulative/results-fr.html>), plus de
4'400 au National Arbitration Forum, (voir <www.arb-forum.com/domains/domain-decisions.-
asp> et effectuer une recherche sans entrée), environ 90 au CPR Institute (voir <www.cpradr.org/-
ICANN_Cases.htm>) et près de 50 à l’Asian Domain Name Dispute Resolution Centre.
EResolution, avant sa fermeture, avait eu à connaître d’environ 400 litiges.
supervision par une tierce partie : T. FENOULHET, « The Policies and Activities of the European
Union in the Field of Online Dispute Resolution (ODR) » in actes du Premier Forum sur la
résolution des litiges en ligne de la Commission Économique pour l’Europe des Nations Unis
(UNECE), Genève, 6–7 juin 2002 (trad. par l’auteur).
(643) De manière générale sur la confiance dans la connaissance par l’électronique, voir T.
GOVIER, Dilemmas of Trust, Montréal et Kingston, McGill et Queen’s Univ. Press, 1998, p. 125,
l’auteur arguant que la connaissance personnelle et directe a un statut plus élevé que, par exemple,
la connaissance médiate fondée sur des communications sans présence humaine directe, parce que
cette dernière est basée sur une expérience multidimensionnelle permettant de se faire une impres-
sion de la personne en entier en la voyant, en établissant un contact visuel, en entendant sa voix, en
voyant et jaugeant ses mouvements, ses gestes, ses réponses, etc.
(644) J. NADLER, « Electronically-Mediated Dispute Resolution and E-Commerce » in Negot.
J., 2001, 17, p. 333 et seq., spéc. pp. 335–336.
(645) Sur les différences structurelles entre le commerce en ligne et hors ligne, G.
KAUFMANN-KOHLER, « Commerce électronique : droit applicable et résolution des litiges » in
Rec. Cours La Haye, à paraître, l’auteur concluant à la dématérialisation, la détemporalisation et la
délocalisation du commerce électronique.
lement que l’autre partie ne remplisse pas les siennes (646). De surcroît,
tout contrat à distance implique des risques supérieurs à un simple échange
de main à main (647). Cependant, de nombreuses études laissent penser
que le vrai problème semble résider davantage dans la perte des repères
connus dans l’environnement électronique que dans les risques objective-
ment encourus (648). Partant, même si la protection des cybercommer-
çants et des consommateurs en ligne doit sans aucun doute être encore
renforcée, l’internaute doit avant tout être simplement replacé dans un
environnement de confiance. Comme l’écrit Ethan Katsh, « les signes de
confiance, qui étaient jusqu’à présent perçus implicitement et qui ont été
formés depuis bien longtemps par l’expérience, doivent maintenant être
créés ou recréés par le code informatique. Tout comme il existe de nouvel-
les possibilités de susciter le développement de relations sociales en ligne, il
y a également de nouvelles manières de gérer le risque perçu dans un nou-
vel environnement » (649).
Recréer un environnement de confiance, arguerons-nous, ne peut se
faire que par une transformation partielle de l’architecture dans laquelle la
(646) Sur la méfiance inhérente aux rapports contractuels dans lesquels l’exécution des presta-
tions est asynchrone, L.H. BLUHM, « Trust, Terrorism, and Technology » in J. Bus. Ethics, 1987,
vol. 6, p. 333 et seq., spéc. p. 338 : « in the marketplace, where the self-interest of one actor is
likely to be advanced at the expense of another, there is an inherent fear that others will succumb
to the temptation to misrepresent behavior and use deception in the exchange process ».
(647) Pour une liste des risques inhérents à la vente à distance pour le consommateur, H.
KÖHLER, « Die Rechte des Verbrauchers beim Teleshopping (TV-Shopping, Internet-Shop-
ping) » in NJW, 1998, p. 185 et seq., spéc. p. 186.
(648) La crainte la plus fréquemment citée par les internautes est l’utilisation frauduleuse de
leur carte de crédit. Pourtant, les détenteurs de cartes de crédit sont en général bien protégés contre
ce risque : en droits européens, R. PICHLER, « Kreditkartenzahlung im Internet » in NJW, 1998,
p. 3234 et seq., spéc. p. 3237. En droit américain, R. GAINER, « Allocating the Risk of Loss for
Bank Card Fraud on the Internet » in J. Marshall J. Computer & Info. L., 1996, vol. 15, p. 39 et
seq., spéc. p. 48 : « consumers should not be concerned about potential theft of their bank card
data, because federal statutes generally prevent the consumer from incurring liability for any sig-
nificant misuse of the card data » et J. KAUFMAN WINN, « Clash of the Titans : Regulating the
Competition Between Established and Emerging Electronic Payment Systems » in Berkeley Tech.
L.J., 1999, vol. 14, p. 675 et seq., spéc. p. 687 : « [US laws on credit cards] minimize the trans-
action risks assumed by consumers in Internet transactions by shifting the risks back onto the
merchant, the merchant’s bank or the card issuer. »
(649) E. KATSH, « Adding Trust Systems to Transaction Systems : The Role of Online Dis-
pute Resolution » in actes du Premier Forum sur la résolution des litiges en ligne de la Com-
mission Économique pour l’Europe des Nations Unis (UNECE), Genève, 6–7 juin 2002, <www.-
ombuds.org/un/unece_june2002.doc>, p. 4.
(650) G.L. GRANT, Understanding Digital Signatures : Establishing Trust over the Internet and
other Networks, New York, McGrave-Hill, 1998, p. 5.
(651) La déclaration la plus libertaire, correspondant largement à l’idéal du jeune Internet, est
probablement celle de John Perry Barlow, quand il s’exclamait, dans sa célèbre Déclaration
d’indépendance du cyberespace, que « [l]e Cyberespace est constitué de transactions, de relations et de
Pensée elle-même, surgissant partout, telle une vague, sur la toile de nos communications. Notre
monde est à la fois partout et nulle part, mais pas là où vivent nos corps. Nous sommes en train de
bâtir un monde où tous peuvent entrer sans privilège ni préjudice accordé par la race, le pouvoir
économique, la force militaire ou le rang de naissance. Nous sommes en train de créer un monde
où n’importe qui, n’importe où, peut exprimer ses croyances, aussi étranges soient-elles, sans
crainte d’être réprimé et enfermé dans le silence ou le conformisme. Vos définitions légales de
propriété, d’expression, d’identité, de mouvement, de contexte ne s’appliquent pas à nous. Ils sont
basés sur la matière, et ici, il n’y pas de matière... Nos identités n’ont pas de corps, donc, contrai-
rement à vous, nous ne pouvons pas créer l’ordre par la coercition physique. »
(652) L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, New York, Basic Books, 1999, not. p. 30 :
« the nature of the Net is set by its architecture, and […] the possible architectures of cyberspace
are many. The values that these architectures embed are different, and one type of difference is
regulability – a difference in the ability to control behavior within a particular cyberspace. Some
architectures make behavior more regulable ; other architectures make behavior less regulable.
These architectures are displacing architectures of liberty. […] As the Net is being remade to fit
the demands of commerce, architectures are being added to make it serve commerce more effi-
ciently. »
(653) L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 653, p. 40 (trad. par l’auteur).
(654) Une première réalisation de cette prophétie nous est donnée par la Chine, qui a récem-
ment introduit une carte d’identité pour Internet, obligatoire dans les cybercafés. La carte fonc-
tionne de cette manière : « [the] system requires customers to register their names, ages and ad-
dresses, information which is then loaded into a police database […]. They get an access card,
which is swiped on an identifying machine when they go online. That sends a signal to police who
continuously monitor the Web for people attempting to reach barred sites. Police can also block
access to selected cardholders » : Ch. BODEEN, « China Launches Net Cafe ID System » in
FindLaw (Associate Press), 4 Novembre 2002, <news.findlaw.com/ap/ht/1700/11-4-2002/2002-
1104124501_01.html>.
(655) L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 653, p. 42 (trad. par l’auteur).
dans ce contexte que les ODR doivent opérer, sur cette scène, notamment,
qu’ils doivent jouer leur rôle.
Le mouvement de rematérialisation et la résolution des litiges en ligne
entretiennent deux relations, que nous examinerons tour à tour dans ce qui
suit.
(658) On peut ainsi lire, dans les commentaires introductifs à la loi modèle CNUDCI sur le
commerce électronique, ce passage qui reflète bien les différentes fonctions de l’écrit, qui consti-
tuent autant de repères matériels pour un acteur commercial : §16 « la Loi type propose donc une
nouvelle approche, parfois désignée sous l’appellation ‘approche fondée sur l’équivalent fonction-
nel’, qui repose sur une analyse des objectifs et des fonctions de l’exigence traditionnelle de docu-
ments papier et vise à déterminer comment ces objectifs ou fonctions pourraient être assurés au
moyen des techniques du commerce électronique. Par exemple, un document papier assume no-
tamment les fonctions suivantes : fournir un document lisible par tous ; fournir un document
inaltérable ; permettre la reproduction d’un document de manière à ce que chaque partie ait un
exemplaire du même texte ; permettre l’authentification des données au moyen d’une signature ;
enfin, assurer que le document se présentait sous une forme acceptable par les autorités publiques
et les tribunaux. Il convient de noter que pour toutes les fonctions du papier susmentionnées, les
enregistrements électroniques peuvent garantir le même niveau de sécurité. »
(659) Les formats d’échange d’informations standardisés sont des protocoles de transmission de
données permettant aux systèmes informatiques de comprendre les informations échangées, c’est-à-
dire d’appréhender la signification de leur contenu sémantique. Ces formats, plus connus sous le
nom d’XML (Extensible Markup Language), sont parfois développés spécifiquement pour les
ODR : voir par exemple les travaux du Joint Research Center, Commission européenne, <econfi-
dence.jrc.it>.
(660) Sur la réalité de l’utilisation de tels agents électroniques filtrant et enregistrant toutes les
communications, voir par exemple E-Arbitration-T, Online Arbitration : What Technology can do for
(664) E. KATSH, « Adding Trust Systems to Transaction Systems : The Role of Online Dis-
pute Resolution », op. cit. n. 649, p. 3 : « the systems that bring buyers and sellers together so that
it is possible for transactions to occur need to be joined by systems that allow buyers to feel com-
fortable and confident in engaging in the transaction. For this to occur, transaction systems must
be joined by trust systems. »
(665) Ibid. : « bringing the parties together was the first challenge that ecommerce entrepre-
neurs needed to address. Once online opportunities for interaction were designed, it was necessary
to construct the payment and other processes that allow for the commercial exchange of goods. »
(666) Ibid. : « we have impressive new systems for bringing interested buyers together with in-
terested sellers. eCommerce will not thrive, however, only by making it possible to make purchases.
Buyers also need to be willing to make purchases. »
(667) « L’expression d’‘infrastructure à clé publique’ désigne l’organisation des activités de certi-
fication selon un modèle pyramidal et hiérarchisé. […] L’organisation pyramidale de
l’infrastructure de signature électronique est ainsi coiffée dans chaque État par un organisme de
contrôle appelé root authority. Le système est fondé sur une certification en cascade, l’autorité
centrale exerçant un contrôle sur les organismes de certification qui, à leur tour, certifieront des
organes se trouvant sous leur dépendance (par exemple, les autorités d’enregistrement chargées de
procéder à la vérification de l’identité du signataire) » : O. CACHARD, La régulation internationale
du marché électronique, Paris, LGDJ, 2002, p. 300. Sur le fonctionnement de la cryptographie à clé
publique et de celle à clé privée (dans la première, la clé de décryptage est accessible librement sur
Internet, dans la seconde, elle doit être communiquée par le crypteur au destinataire), voir B.
SCHAUER, E-Commerce in der Europäischen Union, Vienne, Manz, 1999, pp. 52–57.
(668) La terminologie anglo-américaine des labels dans le cadre des ODR utilise le terme trust-
mark.
(670) Le Petit Robert définit le vo « confiance » par : « Espérance ferme, assurance de celui qui
se fie à quelqu’un ou à quelque chose », et le vo « espérance » par : « sentiment qui fait entrevoir
comme probable la réalisation de ce que l’on désire ».
(671) Nous venons de conclure que la dématérialisation rend nécessaire l’édification d’une ar-
chitecture technologique de contrôle, importante autant pour la prévisibilité des comportements du
cocontractants (donc pour le trust) que pour l’activité des ODR (donc pour la reliance).
(672) Voir par exemple D.R. JOHNSON et D.G. POST, « Law and Borders – The Rise of Law
in Cyberspace » in Stan. L. Rev., 1996, vol. 48, p. 1367 et seq., spéc. p. 1387, évoquant la
« communauté du Net » et les « citoyens du cyberespace ».
(673) Les premiers internautes étaient largement des contestataires désireux de construire un
monde nouveau, ils interagissaient beaucoup et présentaient des traits de caractère communs assez
marqués : M. CASTELLS, La galaxie Internet, trad. Ph. Chemla, Paris, Fayard, 2001, p. 150.
(674) A.L. SHAPIRO, « The Disappearance of Cyberspace and the Rise of Code », op. cit. n.
453, p. 710 : les communautés originaires ont été dissoutes par l’utilisation commerciale du Net,
moins interactive et socialisante.
(675) Pour une synthèse des diverses définitions du terme communauté et leurs applications à la
problématique du cyberespace, voir Harvard Law Review, « Developments in the Law – The Law
of Cyberspace », Partie II, « Communities Virtual and Real : Social and Political Dynamics of Law
in Cyberspace » in Harv. L. Rev., 1999, vol. 112, p. 1586 et seq., spéc. p. 1589, retenant comme
facteurs communs de ces définitions la continuité de la qualité de membre, le partage d’expérience,
de projets, de délibérations et d’objectifs par les membres, un certain investissement personnel,
l’existence de frontières établies et la possibilité de distinguer les membres des non-membres.
(676) N’oublions toutefois pas que l’altérité, entraînant la dérégulation et la déformalisation (des
thèmes chers à la normativité dans le cyberespace) ne sont pas l’apanage exclusif du cyberespace et
ne sont pas dus exclusivement à l’ubiquité entraînant le panachage culturel ; elles correspondent à
une mouvance généralisée dans les sociétés développées : J. DE MUNCK, « Déformalisation, déré-
gulation et justice procédurale » in Les Carnets du Centre de Philosophie du Droit, 1993, vol. 9, p. 5
et seq., spéc. pp. 6–7.
(677) M. CASTELLS, La galaxie Internet, op. cit. n. 673, pp. 147–169, l’auteur démontrant que
la plasticité d’Internet lui permet de servir les phénomènes sociaux les plus divers et même les plus
contradictoires. L’auteur consacre un chapitre entier aux communautés virtuelles.
(678) Ibid., pp. 157-159.
(679) Voir également G.S. ALEXANDER, « Dilemmas of Group Autonomy : Residential Asso-
ciations and Community » in Cornell L. Rev., 1989, vol. 75, p. 1 et seq., spéc. p. 25 : « this emerg-
ing conception shifts the focus of attention from the territorial context of community to the quality
of social relationships within groups. That is, it locates community, both as a concept and as a
social practice, in a particular kind of social experience rather than in a particular territorial envi-
ronment. »
(680) Voir aussi P. VIRILIO, La bombe informatique, Paris, Galilée, 1998, pp. 69–70, relevant
un « nouveau type de proximité, la téléproximité sociale », qui surgit quand des internautes tissent
des liens sociaux en raison d’un intérêt commun, par exemple autour d’un site web spécifique (qui
peut être commercial), formant ainsi une communauté.
(681) M. CASTELLS, La société en réseaux, t. 1, L’ère de l’information, trad. Ph. Delamare, Paris,
Fayard, 1998, p. 160.
(682) Voir en général ibid., passim.
(683) Ibid., pp. 161–162.
(684) Ibid., p. 163. Voir par ailleurs Ph. GIORDANO, « Invoking Law as a Basis for Identity in
Cyberspace » in Stan. Tech. L. Rev., 1998, p. 1 et seq., spéc. § 10 : « cyberspace users have been
able to create thriving and multi-dimensional relationships for a number of reasons. First, the
members of a newsgroup have much in common – they self-select according to their interest in a
particular topic » et H. RHEINGOLD, The Virtual Community : Homesteading the Electronic Frontier,
Dallas, Addison-Wesley, 1993.
(685) Dans le sens de communautés organisées autour d’intérêts communs, R.C. BORDONE,
« Electronic Online Dispute Resolution : A Systems Approach – Potential, Problems, and a Pro-
posal » in Harv. Negotiation L. Rev., 1998, vol. 3, p. 175 et seq., spéc. pp. 178 : « cyberspace com-
munities, unlike real space communities, are organized around unidimensional areas of interest.
That is to say, individuals join specific conversations relating to ‘communities of interest, educa-
tion, tastes, belief, and skill’. In physical communities we may often find that the only significant
thing we share in common with our neighbors is physical proximity. Yet that physical proximity
prompts us to deal with our neighbor along other dimensions that we may not otherwise choose
were it not necessary ».
(686) Sur les différents types de confiance et le rôle qu’ils peuvent jouer dans l’établissement
d’une transaction en ligne, voir R. PICHLER, « Trust and Reliance – Enforcement and Compli-
ance : Enhancing Consumer Confidence in the Electronic Marketplace », Stanford Law School,
2000, <www.law.stanford.edu/library/biblio/rufus.pdf>, pp. 35-44.
(687) Un rapide regard du côté de l’analyse économique du droit (plus précisément du dilemme
du prisonnier), nous permet même de conclure au caractère irrationnel du fait de faire confiance à
un inconnu dans une situation où l’exploitation d’un risque généré par le type de relation est profi-
table quel que soit le comportement de l’autre partie (rappelons le, l’exécution asynchrone des
prestations caractéristiques des ventes à distances fait intrinsèquement courir un risque à tout le
moins subjectif à la partie qui s’exécute en premier) : voir par exemple G. TULLOCK, « The Pris-
oner’s Dilemma and Mutual Trust » in Ethics, 1967, vol. 77, p. 229 et seq. et V. HELD, « On the
Meaning of Trust » in Ethics, 1968, vol. 78, p. 156 et seq. Toutefois, le dilemme du prisonnier ne
permet de conclure à l’irrationalité de la confiance que dans une situation de one-shot transaction.
En situation de rapports commerciaux répétés, chacune des parties profiterait de la non-exploita-
tion du risque lié au caractère asynchrone de l’exécution des obligations, ce qui rend la confiance
rationnelle. Or, créer une situation de rapports commerciaux répétés est justement l’un des buts de
l’établissement de communautés numériques.
On réservera bien entendu ici les situations, tout à fait minoritaires, dans lesquelles la présence
physique des interlocuteurs inspire la méfiance. À cet égard, relevons que Jerry Kang conclut à un
avantage pour la confiance interpersonnelle constitué par « l’anonymat racial » que l’environnement
électronique permet. Kang se fonde sur une étude démontrant que l’identité éthnique est une
composante de la formation de la confiance interpersonnelle et que celle-là peut être décisive pour
la réalisation d’une transaction commerciale. En l’absence d’identité éthnique, il n’y pas de percep-
tion subjective d’un risque transactionnel de ce fait et donc un accroissement de transactions : J.
KANG, « Cyber-race » in Harv. L. Rev., 2000, vol. 113, p. 1131 et seq., spéc. pp. 1191–1192 et
1195 : « we have before us an opportunity to abolish race in significant economic transactions that
affect the lives of racial minorities. To the extent that disparate treatment still prevents minorities
from enjoying equal economic opportunities, abolition [of racial identity on the Net] delivers a
concrete payoff we should pursue. »
(688) Nous pensons par exemple aux craintes de vol de numéros de cartes de crédit et de leur
subséquente utilisation frauduleuse, voir supra, n. 648.
l’un sur l’autre, les parties pourront en effet décider de se faire confiance
soit sur la base des communications qu’elles auront pu établir entre elles
(confiance interpersonnelle), soit sur la base de l’appartenance de l’autre
partie à une communauté (confiance sociale).
Une communauté permet d’instituer la confiance sociale grâce au double
rôle qu’elle joue dans un contexte transactionnel. Premièrement, les mem-
bres d’une communauté constituent une source importante d’informations
sur la partie adverse. D’un côté, l’environnement social permet l’évaluation
du cocontractant par le jeu de la prévisibilité des comportements sur la base
d’agissements passés. De l’autre, cet environnement constitue en lui-même
un mécanisme d’incitation à éviter les litiges ou à en faciliter la résolution.
Il suscite en effet la confiance par la prévisibilité des comportements selon
une rationalité économique, aucune partie économiquement rationnelle ne
désirant avoir une réputation dénotant une attitude anti-commerciale lors
de la survenance de litiges (689). Deuxièmement, une communauté facilite
l’établissement d’une certaine homogénéité normative entre les membres
(prévisibilité de comportements selon les normes de cette communauté).
Nous reviendrons plus tard à cette dernière idée (690). Retenons pour
l’instant que la confiance sociale caractérise les relations entre un individu
et la communauté dont il fait partie, où chaque individu constitue, pour les
autres, un repère social de confiance dans une relation d’affaires.
Nous pensons que les communautés numériques constituent une condi-
tion nécessaire et suffisante pour permettre à la confiance sociale de se
développer dans certains cyberlieux du commerce électronique. L’idée est
en conséquence de promouvoir la réalisation de transactions grâce à une
confiance sociale plutôt que d’espérer la confiance interpersonnelle. La
dépersonnalisation du commerce électronique se caractérise notamment par
l’absence de liens sociaux préexistants à une relation commerciale ; cela
cause, nous l’avons dit, un manque de confiance interpersonnelle. Une
(689) A.M. FROOMKIN, « The Essential Role of Trusted Third Parties in Electronic Com-
merce » in Or. L. Rev., 1996, vol. 75, p. 49 et seq., spéc. p. 72, comparant les architectures de
confiance du commerce hors ligne et du commerce électronique : « the accessibility of the store’s
physical location also makes it easier for an irate customer to create bad publicity, either in the
store itself or in the store’s community, further creating an incentive for [the seller] to resolve any
difficulty. »
(690) Voir Sous-section V. — L’homogénéisation des normes de référence, p. 226 et seq. in-
fra.
communauté numérique peut être une solution car elle se fonde, justement,
sur l’établissement de liens sociaux prolongés dans le temps.
Selon Francis Fukuyama, qui considère que la confiance sociale est l’une
des conditions essentielles au développement économique d’une société, à
sa capacité à être compétitive (691), cette tentative d’impliquer les commu-
nautés numériques est déjà exploitée dans la réalité du commerce électroni-
que. Il existe des stratégies commerciales visant à attirer de nouveaux
clients vers un site web en exploitant la tendance naturelle au regroupement
social. Ces stratégies, convenant de la difficulté d’établir la confiance inter-
personnelle dans le cyberespace, reposent sur le remplacement de la relation
client / marchand par une relation client / communauté, sur l’encourage-
ment du sentiment de communauté chez les acteurs économiques et de leur
confiance sociale dans cette communauté. Dans ce qui suit, nous tenterons
d’en apporter quelques exemples probants.
(691) F. FUKUYAMA, La confiance et la puissance. Vertus sociales et prospérité économique, trad. P.-
E. Dauzat, Paris, Plon, 1997, p. 19 : « la prospérité d’une nation et sa compétitivité sont condi-
tionnées par une seule et unique caractéristique culturelle omniprésente : le niveau de confiance
propre à la société. »
(692) Voir surtout L. DOWNES et Ch. MUI, L’innovation irrésistible. Produit ou services : straté-
gies numériques pour dominer le marché, trad. M. Le Seac’h, Paris, Village Mondial, 1998, pp. 125–
134 ainsi que J. HAGEL et A.G. ARMSTRONG, Bénéfices sur le Net, trad. M. Le Seac’h (titre origi-
nal : Net Gain : Expanding Markets through Virtual Communities), Paris, Éd. d’Organisation, 1999 :
le meilleur résumé de l’idée de base est exprimé dans la version originale, p. ix : « our view is that
the profit motive will in fact create new forms of virtual communities whose strong commercial
element will enhance and expand the basic requirements of community - trust and commitment to
each other. »
(693) Voir par exemple et J. HAGEL et A.G. ARMSTRONG, Bénéfices sur le Net, op. cit. n. 692,
p. 26 : l’économie en réseau crée des « marchés inversés », où « ce sont les clients qui recherchent
les fournisseurs et négocient avec eux sur un pied bien plus égalitaire grâce aux informations dont
ils disposent ».
(694) On pensera notamment aux cartes de membres, à l’envoi de vœux pour certains événe-
ments de la vie des clients, ou encore aux bases de données permettant à l’entreprise de se souvenir
de certaines particularités personnelles de ses clients.
(695) Le nom SportsZone a été repris par de nombreux sites proposant des activités sociales
(salons de discussion en ligne, jeux, etc.) relatives au sport. Le géant de la télévision sportive câblée
ESPN l’utilisait largement il y a quelques années, mais ne s’en sert actuellement que pour les
moteurs de recherches. Le concept du site n’a pas changé. Voir <msn.espn.go.com/main.html>.
(696) Voir notamment les rubriques people & chat sur le site <www.aol.com>.
(701) « Les dirigeants d’une importante brasserie à la marque mondialement connue nous ont
demandés s’ils devaient bientôt investir le cyberespace. Avec une simple recherche sur le Web,
nous avons découvert que des milliers de pages, créées la plupart du temps par des consommateurs
enthousiastes, présentaient déjà leur produit. […] Une telle ferveur affichée pour un produit, c’est
le rêve de tout commercial. […] La gestion de marques dans le cyberespace nécessite une véritable
collaboration avec les clients. Vous devez vous assurer que leur satisfaction se transforme en bit qui
augmentent la valeur de vos actifs informationnels, et leur offrir un forum organisé pour exprimer
leur désapprobation. Même les plaintes peuvent devenir des bits fort précieux », L. DOWNES et
Ch. MUI, L’innovation irrésistible, op. cit. n. 692, pp. 131–132.
(702) L’avantage économique pour les sites web peut tenir par exemple aux commissions sur les
transactions. L’idée, dans sa version la plus optimiste, est qu’avec l’agrandissement de la commu-
nauté, le nombre de transactions augmente, et réciproquement. Les communautés numériques se
comporteraient donc selon la loi des rendements croissants (« plus vous vendez, plus vous ven-
dez ») : J. HAGEL et A.G. ARMSTRONG, Bénéfices sur le Net, op. cit. n. 692, pp. 19, 61–62.
(703) Ph. GIORDANO, « Invoking Law as a Basis for Identity in Cyberspace », op. cit. n. 684,
§§ 9–34, l’auteur arguant que la liberté d’expression est la passage obligé du développement d’une
identité numérique, elle-même requise pour la création d’une communauté numérique.
(704) Ibid., Giordano poursuivant son raisonnement sur la liberté d’expression en affirmant que
le pouvoir de s’exprimer électroniquement est le seul canal possible de création d’une normativité
juridique en ligne, §§ 35-72, spéc. §§ 47 et seq. Réguler Internet pour y limiter la liberté
d’expression, ainsi, « [would] threaten to encroach not just upon electronic speech, but upon the
quasi-legal institutions that define community and identity online » (§ 79). Voir aussi L. LESSIG,
Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 653, pp. 65-82.
(705) Sur la normativité juridique, l’ordre et le désordre en anthropologie juridique, voir L.
ASSIER-ANDRIEU, « Le juridique des anthropologues » in D&S, 1987, p. 91 et seq., spéc. p. 101 :
« au droit, on attribue volontiers ces deux fonctions, logiquement opposées, d’encadrement du
champ social : l’énonciation de l’ordre et l’aménagement du désordre. Dans cette logique, toute trans-
gression de l’ordre édicté, de la norme proéminente, apparaît comme l’effet d’une pathologie –
quelle que soit la forme que revête la règle. »
(706) J. HAGEL et A.G. ARMSTRONG, Bénéfices sur le Net, op. cit. n. 692, p. 60 et seq.
(707) E.C. LIDE, « ADR and Cyberspace : The Role of Alternative Dispute Resolution in
Online Commerce, Intellectual Property and Defamation » in Ohio St. J. on Disp. Res., 1996,
vol. 12, p. 193 et seq., spéc. p. 218 (trad. par l’auteur).
(708) De manière générale sur cette question de la proximité du lieu de résolution des litiges,
appliquée aux ODR, voir F. GÉLINAS, « Le point sur l’ODR : du concept à la réalité commer-
ciale » in Bull. ICC (numéro spécial sur la technologie au service des différends commerciaux),
2004, p. 7 et seq., spéc. pp. 17–18 : « une place de marché sur Internet est un espace virtuel nette-
ment délimité dans lequel un système d’ODR pourrait jouer un jour le rôle d’un palais de justice
virtuel. »
(709) L’importance du particularisme en droit économique s’accroît par la poussée des acteurs
commerciaux qui poursuivent, selon Dezalay, un double mouvement : premièrement, l’adage « un
mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès » ne vaut plus dans les milieux d’affaires.
Deuxièmement, la complexification technico-légale du droit économique et la spécialisation des
avocats de ce milieu se renforcent mutuellement, favorisant de la sorte « l’émergence d’un nouveau
champ de compétence et l’autonomisation de cette catégorie de professionnels » : Y. DEZALAY,
Marchands de droit. La restructuration de l’ordre juridique international par les multinationales du droit,
Paris, Fayard, 1992, p. 203 et seq., spéc. p. 205. C’est en des termes très voisins que Max Weber
écrivait que « im Gegenteil hat gerade die Rechtsentwicklung der neuesten Zeit eine zunehmende
Partikularisierung des Rechts gezeigt. […] Typisch dafür ist einer der wichtigsten Fälle moderner
Rechtspartikularität : das Handelsrecht. […] [Die Entstehung dieser Partikularitäten sind] Folge
der Berufsdifferenzierung und der steigenden Rücksichtnahme, welche die Interessenten des
Güterverkehrs und der betriebsmäßigen gewerblichen Güterproduktion sich erzwungen haben. Sie
erwarten von diesen Partikularitäten eine fachmäßig sachkundige Erledigung ihrer Rechtsangele-
genheiten » : M. WEBER, Wirtschaft und Gesellschaft, 1ère éd., Tübingen, Mohr / Siebeck, 1922,
p. 502, sous titre « Die formalen Qualitäten des modernen Rechts » (ce chapitre de l’œuvre de
Weber n’étant pas traduit dans la plupart des éditions françaises, nous citons ici la version alle-
mande).
(710) Une brillante analyse sociologique, dans le domaine voisin des ODR qu’est l’arbitrage
commercial international, a relevé un glissement clair dans le profil recherché chez un arbitre
(c’est-à-dire son capital symbolique) : on ne demande plus une grande compétence juridique géné-
rale, un profil politique marqué ou des indices d’une forte intégrité personnelle, mais des compé-
tences techniques en matière d’arbitrage commercial international. On est ainsi passé des « grand
old men » aux « technocrates » : Y. DEZALAY et B.G. GARTH, Dealing in Virtue : International
Commercial Arbitration and the Construction of a Transnational Legal Order, Chicago et Londres,
Chicago Univ. Press, 1996, pp. 18–30 (sous titre « Becoming an Arbitrator : Building and Ex-
changing National and International Symbolic Capital »).
justice étatique et monde des affaires est plus grande à cause du manque de
spécialistes dans les tribunaux. Il s’agit d’une véritable fuite, poursuivent les
auteurs, loin de la justice étatique et loin de ses juristes qui tentent de
ramener l’arbitrage dans le giron qui leur est familier, c’est-à-dire le droit
étatique et le domaine judiciaire, contribuant par là même à ce qui a
souvent été décrié comme la dérive procédurale de l’arbitrage. Il s’agit d’une
fuite vers la business justice, une justice privée, propre à la communauté
d’affaires des parties.
L’idée de cette business justice est de développer, à partir de la base, une
justice spécifique pour un domaine donné. Pour accroître au maximum la
spécificité de cette justice, il est nécessaire de réduire au minimum
l’influence des autres formes de justice, notamment de celle étatique, c’est-
à-dire de renforcer le plus possible l’indépendance de celle-là par rapport à
celle-ci. La plupart des auteurs se bornent à constater ces velléités
d’indépendance uniquement d’un point de vue de mécanique juridique,
relevant par exemple la limitation des voies de recours (judiciaires) ouvertes
contre les sentences arbitrales. Garth et Dezalay, en sociologues, observent
une manifestation supplémentaire de cette volonté d’indépendance :
l’influence sociale et culturelle des juristes fortement rattachés au droit
étatique et au système judiciaire tente également d’être atténuée. Le groupe
social que forment les personnes actives dans le domaine de l’arbitrage
montre ainsi une certaine tendance à la fermeture et cela notamment dans
le but de limiter l’influence des acteurs trop marqués par l’idée que la justice
étatique constitue l’idéal de la justice. Pour qu’une justice spécifique puisse
réellement être développée à partir de la base, il convient donc de restrein-
dre l’influence de la justice étatique, ce qui s’opère tant au moyen de la
mécanique juridique que par la sélection des acteurs (711). La mise en
œuvre de ces deux moyens traduit l’idéal de la privatisation de la justice.
(711) Ibid., chapitre 6 : « Between the Worlds of Law and Business : The Contradiction of
Business Justice and Its Permanent Reconstruction through Dispute Resolution Mechanisms »,
pp. 117-128. Notons par ailleurs que la promotion de la résolution extrajudiciaire des litiges est
particulièrement marquée depuis ce que les auteurs appellent la « renaissance de l’arbitrage » des
années 60 (p. 126), mais qu’elle est en réalité promue par les acteurs économiques depuis des
siècles, comme le rappelle J.J. AUERBACH, Justice without Law ?, New York, Oxford Univ. Press,
1983, p. 5.
(712) Sur cette problématique dans le cadre général de la globalisation, voir J. LECA, « L’État
creux » in La France au-delà du siècle, La Tour d’Aigues, DATAR / Éd. de l’Aube, 1994, p. 91 et
seq., spéc. p. 92 : « un nouveau pluralisme culturel tend à émerger, où la société globale est vue
comme rassemblant des individus n’ayant aucun accord substantiel sur des valeurs communes, mais
seulement un accord éventuel sur des procédures de négociation. » Plus spécifiquement pour le
commerce électronique, voir A.H. BOSS, « The Emerging Law of International Electronic Com-
merce » in Temple Int’l and Comp L.J., vol. 6, 1992, p. 293 et seq. Sur le droit de l’informatique,
problématisant la tendance inévitable à l’internationalisation du droit par la globalisation des
échanges et des communications, voir A. LEFEBVRE et É. MONTERO, « Informatique et droit :
vers une subversion de l’ordre juridique » in Droit des technologies de l’information. Regards prospec-
tifs, s. dir. É. Montero, Bruxelles, Bruylant, 1999, p. iii et seq., spéc. p. xi : « il semble difficile de
réconcilier des ordres juridiques nationaux parce que les systèmes culturels, sociaux et politiques
sont riches de diversités importantes, à moins de se limiter au plus petit commun dénominateur,
qui concernerait un noyau normatif peu substantiel. »
(713) Voir par exemple N. FEMENIA, « ODR And The Global Management Of Customers’
Complaints : How Can ODR Techniques Be Responsive To Different Social And Cultural
Environments ? » in WOA, 2002, vol. 3, p. 4 et seq.
rente) (714), soit par le lien des membres à un même lieu d’édiction de
l’ordre et de réaménagement du désordre. Pour s’assurer l’adhésion des
acteurs d’une communauté, une solution consiste à les faire participer à la
création des règles qu’ils devront respecter ; le site web autour duquel une
telle communauté s’organiserait pourrait par exemple prévoir une procé-
dure organisant la délibération des acteurs, au lieu de leur imposer des
comportements prédéterminés et pouvant choquer leurs références cultu-
relles, sociales ou politiques (715).
Le but d’une homogénéisation des normes de référence consiste à aug-
menter la confiance que se portent réciproquement les différents acteurs
numériques et de réduire les litiges (716). Fukuyama a même pu observer,
dans le commerce international hors ligne, une augmentation de la colla-
boration de concurrents économiques grâce à un tel phénomène ; il rap-
porte ainsi, ayant analysé quatre grandes scènes de la vie économique du
ème
20 siècle, que « chaque fois, les acteurs économiques se sont épaulés
parce qu’ils étaient convaincus de former une communauté fondée sur la
confiance mutuelle, […] née d’un ensemble d’habitudes éthiques et
d’obligations morales réciproques intériorisées par chaque membre de la
communauté » (717).
Une telle homogénéisation normative dans une communauté numérique
a été rapportée par l’analyse sociologique de Katsh, Rifkin et Gaitenby du
site de ventes aux enchères transnational eBay. Observant les phénomènes
de règlement des différends sur ce site, les auteurs sont arrivés à la conclu-
sion que le droit dans l’ombre duquel la résolution des litiges avait lieu
(c’est-à-dire les normes juridiques de référence) était celui du site eBay,
bien plus que n’importe quelle autre norme, qu’elle soit étatique ou d’une
(714) Sur la formation et l’internalisation intersubjectives des normes dans une communauté,
on consultera par exemple R.C. POST, « Community and the First Amendment » in Ariz. St. L.J.,
1997, vol. 29, p. 473 et seq., spéc. pp. 475–476.
(715) Constatant dans le cyberespace un développement général de telles procédures organisant
la délibération (qui constituent le mouvement de procéduralisation du droit du cyberespace, que
nous retrouverons plus bas), A. LEFEBVRE et É. MONTERO, « Informatique et droit : vers une
subversion de l’ordre juridique », op. cit. n. 712, p. xii et seq.
(716) C’est en ce sens que les consultants en stratégies numériques ont pu conclure qu’il fallait
« créer des communautés de valeurs en valorisant la communauté [parce que] les communautés
créent leurs propres valeurs en se développant » : L. DOWNES et Ch. MUI, L’innovation irrésistible,
op. cit. n. 692, p. 125.
(717) F. FUKUYAMA, La confiance et la puissance, op. cit. n. 691, p. 20.
(721) Pour un parallèle critique concernant l’homogénéisation culturelle par la résolution extra-
judiciaire des litiges dans un environnement global pluraliste, montrant les limites et les dangers
d’une telle homogénéisation parce qu’elle peut aboutir à une imposition hégémonique des plus
puissants, voir L. NADER, « The Influence of Dispute Resolution on Globalization : The Political
Economy of Legal Models » in Globalization and Legal Cultures, s. dir. J. Feest, Oñati, Interna-
tional Institute for the Sociology of Law, coll. Oñati Papers, vol. 7, 1999, p. 87 et seq.
que nous avons pu tirer de manière répétée est que de telles communautés
nécessitent un système de résolution des litiges, plus spécifiquement un
mécanisme de règlement en ligne. Nous nous sommes placés par cette
conclusion en continuité de l’argumentaire que nous poursuivons depuis le
début de cette partie, à savoir que les ODR sont voués à un développement
massif. Le but de cet argumentaire, rappelons-le, est d’élargir temporel-
lement le champ d’investigation de la régulation du commerce électronique
par les ODR, en donnant à ces derniers une perspective d’avenir.
Le développement des communautés numériques nous amène cependant
à une observation supplémentaire. Nous devons ici attirer l’attention sur
une incidence fondamentale de ces communautés sur la régulation du com-
merce électronique : le morcellement du cyberespace et du commerce
électronique.
Ordinairement, on attribue au cyberespace et au commerce électronique
une nature déterritorialisée, sans dimensions. Les communautés numéri-
ques permettent de penser autrement ; elles laissent entrevoir la possibilité
de réintroduire des frontières dans le cyberespace.
En réalité, une certaine reterritorialisation de l’environnement électroni-
que semble possible. Le cyberespace se fracture de plus en plus en zones
distinctes, délimitées par le code informatique, par des outils tels que mots
de passe ou adresse IP de l’internaute (722). Le problème s’était d’ailleurs
concrètement posé en 2000, lors de la célèbre affaire Yahoo. Le Tribunal
de grande instance de Paris avait ordonné à la société Yahoo ! Inc. de met-
tre en œuvre des mesures dissuadant et rendant impossible aux internautes
français toute consultation du service aux enchères d’objets nazis du site
Yahoo.com, ces objets violant le droit français. Le but de ces mesures était
donc bien de fractionner le cyberespace en érigeant une frontière devant les
(722) L. LESSIG, « The Zones of Cyberspace » in Stan. L. Rev., 1996, vol. 48, p. 1403 et seq.
Voir aussi A.W. BRANSCOMB, « Anonymity, Autonomy, and Accountability : Challenges to the
First Amendment in Cyberspaces » in Yale L.J., 1995, vol. 104, p. 1639 et seq., spéc. p. 1640 :
« many of these new experiments have led to the development of user groups that look upon
themselves as virtual communities entitled to deal with problems arising in the electronic environ-
ment as they find appropriate. Such virtual communities can be said to occupy separate and diverse
cyberspaces, essentially carving out domains of their own over which they choose to exert jurisdic-
tion. Therefore, the generic term cyberspace does not aptly describe these evolving communities.
For the purpose of this Essay, I shall refer to the varying electronic domains as cyberspaces and
refer to the whole as the Networld. »
(726) La notion d’adéquation se place ici dans une rationalité économique fondée sur la
confiance de l’utilisateur. Il est vrai qu’une rationalité purement légaliste peut amener à conclure
que les normes produites dans les lieux habituels de régulation sont tout à fait applicables au com-
merce électronique par les instances habituelles de résolution des litiges : pour une telle approche
positiviste, O. CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, op. cit. n. 667, p. 219
et seq.
(727) Parmi une littérature abondante, voir par exemple G.-P. CALLIESS, « Globale Kommu-
nikation – staatenloses Recht. Zur (Selbst-)Regulierung des Internet durch prozedurales Recht am
Beispiel des Verbraucherschutzes im elektronischen Geschäftsverkehr » in ARSP, 2001, Beiheft
no 79, p. 61 et seq.
(728) Parmi de très nombreuses références, voir par exemple Ch.T. MARSDEN, « Cyberlaw
and International Political Economy : Towards Regulation of the Global Information Society » in
L. Rev. M.S.U.-D.C.L., 2001, p. 355 et seq., spéc. p. 422 : « the presence of the Internet in the
corner of the room, with instant access to all other users globally, and thus the opportunity for all
users to engage in what was considered the privilege of a transnational class, does transform our
view of the national polity or society. In essence, globalization has arrived. The hard choices are
now to reintroduce politics and sociology into the globalized environment paradigmatically repre-
sented by the Internet. » Voir aussi Th. FRIEDMAN, The Lexus and the Olive Tree, Londres,
Harper Collins, 2000, p. xvi et seq., considérant qu’il y a eu une première ère de globalisation
caractérisée par la facilitation des transports et une deuxième, celle que nous vivons actuellement,
qui se caractérise par l’intégration mondiale des marchés et l’ubiquité des informations. Il exprime
le paradigme de cette deuxième ère en ces termes : « this globalization system is also characterized
by a single word : the Web ».
(729) « Les exigences sociales pesant sur ce droit auto-créé par la société mondiale ne sont plus
essentiellement celles de la régulation politique des processus sociaux, mais proviennent des be-
soins juridiques originels de sécurité et de règlement des conflits » : G. TEUBNER, « Un droit
spontané dans la société mondiale ? » in Le droit saisi par la mondialisation, s. dir. Ch.-A. Morand,
Bruxelles, Bruylant / Bruxelles, Éd. de l’Université de Bruxelles / Bâle, Helbing & Lichtenhahn,
2001, p. 197 et seq., spéc. p. 199. Les termes « besoins […] de sécurité » désignent la sécurité
juridique, la prévisibilité du droit appliqué : ID., « Zur Eigenständigkeit des Rechts in der Welt-
gesellschaft : Eine Problemskizze », op. cit. n. 719, p. 145, dans lequel l’auteur fonde la même
problématique sur les « Rechtsbedürfnisse auf Erwartungssicherheit und Konfliktlösung » (nous
soulignons).
Les États ne peuvent plus assurer ces besoins juridiques, car ils sont aux
prises avec une « une réelle problématisation de la conception territoriale de
la juridicité », expliquent à leur tour François Ost et Michel van de
Kerchove. Ils ne peuvent en conséquence plus « réaliser, grâce aux vertus de
la territorialité, une première forme de coordination universalisante des
différences individuelles » (730). Tant que les phénomènes juridiques
étaient limités au territoire d’un État-nation, celui-ci pouvait intervenir, il
pouvait proposer un cadre normatif prévisible et des lieux de résolution des
litiges efficaces. Maintenant que ces phénomènes sont plus globaux, le
droit d’un État ne suffit plus, son assise territoriale d’intervention est trop
restreinte ; la capacité des États à répondre à ces « besoins juridiques origi-
nels » est déficiente parce que l’ampleur géographique des phénomènes
juridiques les dépasse. Les institutions et le droit étatiques ne suffisent plus.
L’idée est posée : il s’agit d’une crise institutionnelle-légale.
La réaction à cette crise est une prise de relais par les processus périphéri-
ques de production du droit. Il y a, selon Teubner, autoproduction du droit
parce que les acteurs privés de l’élaboration normative gagnent, tout sim-
plement, la course à la globalisation. Ces besoins juridiques originels que
les États ne peuvent combler individuellement pourraient fort bien l’être
par une coalisation d’États, mais une telle collaboration ne peut jouer sur le
rythme que donnent les producteurs privés de droit. La conséquence en est
que « les processus dominants d’élaboration du droit [se détachent] de leurs
centres institutionnalisés (législatifs et juridictionnels) [pour se retrouver]
dans le gouvernement privé, la régulation privée et la justice privée » (731).
Les secteurs concernés, cherchant à combler leur « besoins juridiques origi-
nels », développent d’autres lieux et d’autres systèmes de production nor-
mative : de nouveaux processus d’élaboration du droit émergent pour
répondre aux besoins de sécurité et de résolution des litiges.
Dans une perspective commerciale, il apparaît que ces besoins originels
de sécurité juridique et de règlement des différends constituent des prére-
quis de la confiance nécessaire à l’activité économique. Chacune des parties
(730) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique
du droit, Bruxelles, Publ. FUSL, 2002, p. 133.
(731) G. TEUBNER, « Un droit spontané dans la société mondiale ? », op. cit. n. 729, pp. 200–
201.
dans une relation d’affaires doit pouvoir savoir quelles sont les règles du jeu
et doit avoir à disposition des mécanismes pour rendre efficaces, pour met-
tre en œuvre ces règles. L’une des fonctions du droit consiste ainsi à susci-
ter la confiance dans le commerce pour que celui-ci se développe. En
termes d’architecture de confiance, le droit réalise cette fonction en mettant
des repères de justice à disposition des acteurs.
L’extraordinaire pluralisme hétérogène que connaît le cyberespace exige
des repères de justice forts pour rendre les comportements prévisibles, per-
mettant à la confiance de s’installer et au commerce électronique de fleurir.
Or le développement d’un tel cadre juridique de confiance pour le com-
merce électronique connaît les mêmes difficultés de mise en œuvre que les
autres secteurs globalisés, mais de manière plus radicale. Ni les institutions
ni le droit étatiques, développés pour le monde hors ligne, ne peuvent jouer
leur rôle à satisfaction.
(732) Pour une approche généraliste, voir par exemple Ch. ENGEL, « Das Internet und der
Nationalstaat » in Völkerrecht und Internationales Privatrecht in einem sich globalisierenden internatio-
nalen System – Auswirkungen der Entstaatlichung transnationaler Rechtsbeziehungen, Heidelberg,
Müller, 2000, p. 353 et seq., pour qui l’affaiblissement des États-nations, de leur souveraineté et de
leurs institutions les empêche d’offrir le cadre institutionnel-légal de confiance nécessaire au déve-
loppement du commerce électronique, ce cadre ayant par ailleurs acquis une importance toute par-
ticulière dans le contexte polyculturel d’Internet.
(733) G. KAUFMANN-KOHLER, « Internet : mondialisation de la communication – mondiali-
sation de la résolution des litiges » in Internet : Quel tribunal décide ? Quel droit s’applique ?, s. dir. K.
Boele-Woelki et C. Kessedjian, La Haye, Kluwer, 1998, p. 89 et seq., P. MANKOWSKI, « Das In-
ternet im internationalen Vertrags- und Deliktsrecht » in RabelsZ, 1999, vol. 63, p. 203 et seq., A.
JUNKER, « Internationales Vertragsrecht im Internet » in RIW, 1999, vol. 45, p. 809 et seq., A.
ROßNAGEL, « Weltweites Internet – globale Rechtsordnung ? » in MMR, 2002, p. 67 et seq., P.
MANKOWSKI, « Herkunftslandprinzip und Günstigkeitsvergleich in § 4 TDG-E » in CR, 2001,
p. 630 et seq. et Th. HOEREN, « Vorschlag für eine EU-Richtlinie über E-Commerce » in MMR,
1999, p. 194 et seq. Voir aussi, sur le besoin d’autolimitation de la souveraineté juridictionnelle que
cette problématique implique : A.R. STEIN, « Frontiers of Jurisdiction : From Isolation to
Connectedness » in U. Chi. Legal F., 2001, p. 373 et seq., spéc. p. 399 et seq.
(734) Sur la localisation des acteurs et des actes dans une perspective de droit international
privé, voir surtout G. KAUFMANN-KOHLER, « Commerce électronique : droit applicable et réso-
lution des litiges », op. cit. n. 645. Voir aussi, pour une approche fondée essentiellement sur le droit
fiscal, J. CATCHPOLE, « The Regulation of Electronic Commerce : A Comparative Analysis of
the Issues Surrounding the Principles of Establishment » in Int. J. L & Tech., 2001, vol. 9, p. 1 et
seq.
(735) Sur l’application cumulative des législations et l’ouverture des fors dans ces cas, voir par
exemple V. SÉDAILLAN, Droit de l’Internet : réglementation, responsabilités, contrats, Cachan, Éd.
Net Press, 1997, p. 266 et seq.
(736) L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 653, p. 197 : « international
agreements for the most part are agreements between sophisticated actors. Before cyberspace,
ordinary consumers were not international actors. »
tige (737). Cela est dû principalement au fait que les coûts générés par la
saisine d’un tribunal situé dans un pays lointain, avec un système et une
culture juridique différents et dans une autre langue seront souvent écono-
miquement prohibitifs (738). Au cas où le tribunal local se déclarerait com-
pétent, l’exécution forcée posera alors le même problème.
La distance géographique existant dans le monde de la résolution des li-
tiges hors ligne produit ainsi de fortes incitations économiques à ne pas
tenter la résolution des différends devant un tribunal. Cette situation invite
par-devers elle à la fraude, qui entraîne des litiges, puisque celle-ci ne peut
être efficacement sanctionnée par les mécanismes classiques de règlement
des différends (739).
L’éloignement des parties affaiblit ainsi l’effectivité du processus répres-
sif du droit applicable, quel qu’il soit (740). À terme, cela risque d’affecter
tions : la norme indicative ou prescriptive peut être connue et reçue, sa violation n’en est par pour
autant automatiquement sanctionnée. »
(741) Le concept de « validité » est ici celui de la théorie contemporaine du droit et non celui,
trop réducteur, habituellement retenu dans une approche positiviste, où il se confond avec le
concept de « légalité » : F. OST, « Validité » in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie
du droit, s. dir. A.-J. Arnaud, Paris, LGDJ, 1993, p. 431 et seq. : « la validité d’une norme ou d’un
acte juridique peut être établie en référence à trois critères distincts qui sont comme trois catégories
transcendantales permettant de saisir l’expérience juridique : la validité formelle [la légalité], la
validité empirique [l’effectivité] et la validité axiologique [la légitimité] . »
(742) L’expression, célèbre, de « shadow of the law » est de R.H. MNOOKIN et L.
KORNHAUSER, « Bargaining in the Shadow of the Law » in Yale L.J., 1979, vol. 88, p. 950 et seq.
(743) E. KATSH, « Adding Trust Systems to Transaction Systems : The Role of Online », op.
cit. n. 649, p. 4. Voir aussi ID., « Online Dispute Resolution : Some Lessons from the E-Com-
merce Revolution » in N. Ky. L. Rev., 2001, vol. 28, p. 810 et seq., spéc. p. 816: « there are many
disputes where face-to-face meetings are not feasible, and […] for such disputes there would be no
dispute resolution process at all without ODR. ODR, it can be argued, is not meant to replace or
be a substitute for face-to-face settings when they can be part of the process. For online disputes,
therefore, where parties may be located at great distances, it is not hard to persuade even skeptics
that ODR is useful and appropriate. »
(744) É. CAUSIN, « Déjudiciarisation » in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du
droit, s. dir. A.-J. Arnaud, Paris, LGDJ, 1993, p. 172 et seq.
(746) Voir Chapitre III : Les trois principaux modèles de régulation du cyberespace, p. 87 et
seq. supra.
(747) G.-P. CALLIESS, « Rechtssicherheit und Marktbeherrschung im elektronischen Welt-
handel : die Globalisierung des Rechts als Herausforderung der Rechts- und Wirtschaftstheorie »
in E-Commerce und Wirtschaftspolitik, s. dir. J. Donges et S. Mai, Stuttgart, Lucius, 2001, p. 189 et
seq., spéc. p. 199 et seq. et ID., « Globale Kommunikation – staatenloses Recht », op. cit. n. 727,
pp. 74-79.
(748) Le spamming, c’est-à-dire la pratique de l’envoi en masse de courriers électroniques pu-
blicitaires, est l’un des problèmes les plus abhorrés de la plupart des utilisateurs d’Internet. À cause
de dissensions internationales sur la notion de spamming et de craintes de limitations de la liberté
toute assez limitée, mais tout de même beaucoup plus importante que celle
de tout autre régulateur), elle est par contre confrontée à un problème fon-
damental de légitimité. La condamnation des spammeurs par MAPS selon
ses règles ne peut se baser sur une quelconque forme de consentement, ni
contractuel (les spammeurs n’ont conclu aucun contrat avec la société cali-
fornienne) ni par le jeu du pouvoir législatif d’un État (il s’agit d’une régu-
lation privée et globale).
Il est vrai que dans certaines situations, telle justement celle du spam-
ming, les États n’auront parfois d’autre choix, pour qu’un quelconque cor-
pus normatif efficace et prévisible soit présent, que de laisser le secteur
s’autoréguler (749), à tout le moins en attendant de trouver une autre solu-
tion. Toutefois, dans ces cas, l’absence de consentement des destinataires
des normes pose un problème de légitimité. Cela nous amène au deuxième
d’expression, un traité international ne verra très probablement pas le jour avant de nombreuses
années. MAPS tient une liste d’adresses de courrier électronique (la real-time blackhole list - RBL)
depuis lesquelles du spam a été envoyé. Ses abonnés (près de 40 pour cent des fournisseurs de
services sur Internet) sont protégés contre les courriers indésirables par un filtrage sur la base de la
RBL. Se trouver ou non sur la RBL dépend du respect des règles élaborées par MAPS. La société
californienne est devenue l’un des principaux régulateurs du spamming ; il s’agit même, actuelle-
ment, de la seule source de régulation quelque peu efficace au niveau global (et tout, ou presque,
est global sur Internet) : D.G. POST, « Of Black Holes and Decentralized Law-Making in Cy-
berspace » in Vand. J. Ent. L. & Prac., 2000, vol. 2, p. 70 et seq., spéc. p. 74 : « the [other regula-
tors] will soon discover that [their] anti-spam statute has little effect on the amount of spam that
its citizens receive, because […] spam originating elsewhere […] is largely immune to [their]
control. » Voir aussi S.-A. KELIN, « State Regulation of Unsolicited Commercial E-mail » in
Berkeley Tech. L.J., 2001, vol. 16, p. 435 et seq. et L. LESSIG, « The Law of the Horse : What
Cyberlaw Might Teach » in Harv. L. Rev., 1999, vol. 113, p. 501 et seq., spéc. 546: « this black-
listing is a kind of vigilantism – it is an example of private people taking the law into their own
hands. »
(749) A.R. STEIN, « Frontiers of Jurisdiction : From Isolation to Connectedness », op. cit. n.
733, p. 402–403 : « one inevitable response to regulatory confusion is [that] private ordering holds
out the promise of providing legal certainty in an environment of jurisdictional confusion. […] It
may well be that there is greater international consensus on honoring private ordering than on the
principles that ought to govern interjurisdictional transactions in the absence of private ordering.
An internet service agreement that forbids selling offensive material over the internet is far more
likely to be enforced internationally than is the law of any country in which information about the
sale was disseminated. » Voir aussi H.H. PERRITT, « Towards a Hybrid Regulatory Scheme for
the Internet » in U. Chi. Legal F., 2001, p. 215 et seq., spéc. p. 221 : « private regulation represents
one interesting solution to jurisdictional problems presented by the internet’s indifference to geo-
graphic boundaries that historically have determined adjudicatory and prescriptive jurisdiction. It
may be more efficient ; it may promote compliance ; it may adapt better to changing technologies
and business practices. »
(750) En ce qui concerne les usages du commerce électronique, rejetant fermement leur capa-
cité régulatrice, O. CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, op. cit. n. 667,
p. 18 et seq. Voir toutefois, pour une consécration judiciaire de l’interdiction du spamming en tant
que « pratique du milieu de l’Internet », Ph. AMBLARD, Régulation de l’Internet. L’élaboration des
règles de conduite par le dialogue internormatif, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 422 et seq. De manière
plus générale, voir G.-P. CALLIESS, « Rechtssicherheit und Marktbeherrschung im elektronischen
Welthandel », op. cit. n. 747 et ID., « Globale Kommunikation – staatenloses Recht », op. cit. n.
727. Sur l’harmonisation internationale du droit régissant les activités véhiculées par les réseaux,
voir notamment V.L. BENABOU, « Faut-il un harmonisation minimale du droit ? » in Le droit
international de l’internet, s. dir. G. Chatillon, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 177 et seq.
(751) L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 653.
(752) Sur les codes de conduite, voir Sous-section I. — Précisions terminologiques et aspects
de l’autorégulation dans le cyberespace, p. 103 et seq. supra.
(753) La fragilité de la normativité de source étatique dans le cyberespace a conduit très rapide-
ment au développement de codes de conduite. L’Internet Activities Board (intégré en 1992 dans
l’Internet Society) a ainsi rendu, en janvier 1989, l’un des premiers codes d’Internet, intitulé
« Ethics and the Internet » et contenant des principes généraux de l’utilisation des ordinateurs et
des logiciels formant Internet : voir Internet Activities Board, « Ethics and the Internet », RFC-
1087, janvier 1989, <ftp://nic.merit.edu/documents/rfc/rfc1087.txt>. Ces principes ont été repris
et développés en 1995 dans la Netiquette, le code de conduite du Network Working Group (de-
venu ultérieurement le célèbre Internet Engineering Task Force) : voir Network Working Group
(S. Hambridge), « Netiquette Guidelines », RFC-1855, octobre 1995, contenant une longue liste
de comportements à respecter sur Internet. L’utilisation des codes de conduite à été encouragée par
l’Union européenne dès 1992 : voir Recommandation 92/295 de la Commission, du 7 avril 1992,
concernant des codes de conduite pour la protection des consommateurs en matière de contrats
négociés à distance, JO L 156 du 10.6.1992, p. 21, §§ lim. 18-19 et art. 16 Directive 97/7 du
Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 1997, concernant la protection des consommateurs
(756) Notons, par ailleurs, que les autres codes de conduite et labellisateurs voient leur fonction
de la même manière. Par exemple, la Fédération romande des consommateurs indique que son but
est « [d’]offrir aux consommateurs une sécurité juridique bien supérieure à ce que prévoient les
textes nationaux européens actuels », grâce au label européen WebTrader, voir <web-trader.ch/-
reseau_ch.html>.
(757) Voir Section III. — Reformer des communautés de confiance, p. 211 et seq. supra.
(758) Comme nous l’avons écrit plus haut, ces deux concepts ont été utilisés avec beaucoup de
fertilité par Rufus Pichler, constituant les deux points focaux du travail de cet auteur : « Consumers
will not engage in impersonal exchange unless they either trust the merchant they are dealing with
and believe that everything will go alright or they can comfortably rely on a third party to effec-
tively afford them redress if things go wrong. Trust and reliance, which are to a large extent
grounded on expected compliance and effective enforcement, are two distinct components of
consumer confidence » : R. PICHLER, « Trust and Reliance – Enforcement and Compliance », op.
cit. n. 594, p. ii, sur la reliance, voir, spéc. p. 44 et seq.
(759) Sur l’idée que le droit est un palliatif commercial au trust, voir F. FUKUYAMA, La
confiance et la puissance, op. cit. n. 691, pp. 35– 38 : « les hiérarchies sont nécessaires parce qu’on ne
peut espérer de chacun qu’il se plie à des règles éthiques intériorisées et assume la part qui lui
revient. En définitive, on ne peut faire l’économie de la contrainte par des règles explicites, ni de
sanctions » (pp. 35–36), l’auteur se référant en conclusion à l’« appareil juridique » comme
« substitut de la confiance » (p. 38).
(760) L.H. BLUHM, « Trust, Terrorism, and Technology », op. cit. n. 646, p. 338: « if one be-
lieves that potential negative consequences can be neutralized […], it matters little if the person
with whom one is interacting is untrustworthy. »
(761) D.C. NORTH, Institutions, Institutional Change, and Economic Performance, op. cit. n. 739,
p. 34 : « the greater the specialization and the number and variability of valuable attributes, the
more weight must be put on reliable institutions that allow individuals to engage in complex
contracting with a minimum of uncertainty about whether the terms of the contract can be real-
ized. Exchange in modern economies […] necessitates institutional reliability. »
(762) J. NADLER, « Electronically-Mediated Dispute Resolution and E-Commerce », op. cit.
n. 644, p. 336 : « in a […] setting where a supplier and buyer who are already known to one an-
other engage in regular, predictable on-line transactions, the need for readily available […] dispute
resolution is likely to be low. On the other hand, in an on-line […] transaction, where the business
is not backed by a well-recognized brand name, the consumer might have doubts about the quality
of goods, or even about the legitimacy of the company. In this case, an easily available dispute
resolution service can be reassuring to the consumer and can play a role in the decision to go
forward with the transaction. »
(763) Voir par exemple les commentaires lors de la conférence de la Federal Trade Commis-
sion, « Joint Workshop on Alternative Dispute Resolution for Online Consumer Transactions »
du 21 juin 2000, notamment celles de Charles Underhill (BBBOnline), de Yuko Yasunaga (mi-
nistère du commerce et de l’industrie du Japon), de la National Consumer League des États-Unis,
de Paul Skehan (Eurochambres), toutes disponibles à partir de <www.ftc.gov/bcp/altdisres-
olution/comments/index.htm>. Voir aussi, de manière plus générale, la Recommandation du
Conseil de l’OCDE relative aux lignes directrices régissant la protection des consommateurs dans
le contexte du commerce électronique, <www.oecd.org>.
(764) Voir par exemple E. KATSH et J. RIFKIN, Online Dispute Resolution. Resolving Disputes in
Cyberspace, San Francisco, Jossey-Bass, 2001, pp. 82–89, spéc. p. 88 : « Online Dispute Resolu-
tion, we expect, will become a [confidence]-building enhancement to many sites. » Sur le rôle que
joue SquareTrade, le plus grand centre d’ODR, J. NADLER, « Electronically-Mediated Dispute
Resolution and E-Commerce », op. cit. n. 644, p. 336 : « Squaretrade’s motto is ‘Building Trust in
Transactions’. Squaretrade explicitly promotes its ability to ‘build trust between on-line buyers and
sellers’ because its seal is visible to potential customers. Squaretrade’s strategy suggests that the
presence of a highly visible and readily available dispute resolution system for on-line transactions
has two key beneficial effects : (1) it provides a guaranteed method for securing third-party assis-
tance with a dispute should one arise ; and (2) it sends a signal to potential customers that they will
have recourse if the deal goes sour. » Notons aussi que l’institution canadienne d’ODR eResolution
(qui a fermée en 2002) utilisait les termes « Integrity Online » dans sa propre description, et
WebAssured se dit être « the dot confidence company ».
comme nous l’avons dit plus haut (765), un mécanisme de règlement des
différends structurellement adapté au commerce électronique doit « faire fi
de toute géographie », il doit être ubiquitaire. Or l’ubiquité est une pro-
priété qui n’est donnée que si l’accès au système est dématérialisé. La dé-
matérialisation de l’accès n’est rendue possible que par la communication
électronique. Et la communication électronique est précisément l’un des
éléments définitoires des ODR. L’efficacité juridictionnelle des ODR, ce
qui détermine leur reliability (c’est-à-dire leur fiabilité) et induit la
confiance, est ainsi fondamentalement assurée par leur aterritorialité qui
permet de garder les coûts impliqués suffisamment bas pour qu’ils restent
saisissables en cas de litiges transnationaux de moyenne ou faible valeur.
L’autre élément qui détermine leur fiabilité réside dans l’usage de moyens
alternatifs de production de la force contraignante. Être effectivement saisissa-
bles ne suffit en effet pas à instaurer la confiance ; ils doivent encore pro-
duire des résultats (décision ou accord) qui peuvent effectivement être mis
en œuvre, s’il le faut contre la volonté d’une partie qui s’y opposerait. En
d’autres termes, les résultats des procédures de règlement en ligne doivent
être factuellement contraignants pour être efficaces et induire la confiance,
c’est-à-dire pour être reliable (fiables). Les ODR peuvent ainsi notamment
faire respecter et rendre effectifs ces codes de conduite mentionnés plus
haut en menaçant leurs violateurs d’un retrait de label ; dans ce cas, la force
contraignante est produite par le contrôle du label par l’institution de réso-
lution des litiges en ligne. Ces institutions peuvent encore avoir recours à
d’autres méthodes pour contrôler les comportements des acteurs du com-
merce électronique, par exemple en se liant à des intermédiaires de paie-
ment (les compagnies de carte de crédit, par exemple) ou en assurant la
réparation du dommage par la constitution de fonds de jugement ou en
concluant des partenariats avec des assurances de transactions. Ces moyens
alternatifs de production de la force contraignante seront examinés plus
tard (766). Le but ici est simplement d’évoquer les capacités des ODR à
être saisissables et effectifs, deux facteurs de leur efficacité juridictionnelle,
(765) Voir Sous-section II. — Des processus déterritorialisés d’élaboration du droit, p. 235 et
seq. supra.
(766) Voir Section VI. — Mécanismes d’autoexécution et ODR, p. 349 et seq. infra.
(767) Cette notion a été utilisée dans la célèbre analyse sociologique par Dezalay et Garth de
l’arbitrage commercial international : les arbitres qui ont le plus fort capital symbolique (on pour-
rait dire : ceux en qui est placé le plus de crédit et de confiance en tant que juges privés) sont les
plus souvent nommés pour résoudre un litige : Y. DEZALAY et B. GARTH, Dealing in Virtue, op.
cit. n. 710, pp. 18–29. Pour une définition de la notion, P. BOURDIEU, Raisons pratiques : sur la
théorie de l’action, Paris, Seuil, 1994, p. 161 « j’appelle capital symbolique n’importe quelle espèce
de capital (économique, culturel, scolaire ou social) lorsqu’elle est perçue selon des catégories de
perception […] qui sont […] le produit de l’incorporation des structures objectives du champ
considéré, c’est-à-dire de la structure de la distribution du capital dans le champ considéré. » Voir
aussi A. ACCARDO, Initiation à la sociologie : l’illusionnisme social : une lecture de Bourdieu, 2ème éd.,
Bordeaux, Le Mascaret, 1991, p. 51 : « le capital symbolique est un crédit (au sens à la fois de
croyance et de confiance accordée à l’avance) mis à la disposition d’un agent par l’adhésion d’autres
agents qui lui reconnaissent telle ou telle propriété valorisante. L’agent qui dispose de ce crédit
consenti par les autres se trouve par là même placé en position de force, quelles que soient les
propriétés qu’il possède intrinsèquement. »
un réel repère de justice (même si cette justice est privée), à condition toutefois que la procédure
contienne les attributs fondamentaux de la justice, à savoir qu’elle respecte les principes fonda-
mentaux de bonne justice (le due process) et qu’elle tranche le litige. Sur une définition de l’arbitrage
en ce sens, Ch. JARROSSON, La notion d’arbitrage, op. cit. n. 596, p. 367 et seq.
(771) Voir par exemple Th. CLAY, L’arbitre, Paris, Dalloz, 2001, pp. 1-10, spéc. p. 1, l’auteur
ouvrant son livre en affirmant que la « permanence de l’arbitrage est un élément essentiel de la
compréhension du phénomène ».
(772) Voir Section I. — L’informalisme en théorie, la processualisation en pratique ?, p. 273
et seq. supra.
(773) H. MOTULSKY, Écrits. Études et note sur l’arbitrage, Paris, Dalloz, 1974, p. 208.
(774) Th. CLAY, L’arbitre, op. cit. n. 771, p. 9.
(775) Nous entendons ici la notion d’accès à la justice dans le sens que consacre, notamment, le
projet de Directive sur la médiation, qui, au § 1.1.1 de l’exposé des motifs, indique que « la notion
d’accès à la justice devrait couvrir, dans ce contexte, l’encouragement du recours à des procédures
adéquates de résolution des litiges pour les particuliers et les entreprises, et non pas uniquement
l’accès au système judiciaire » : proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil sur
certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, 22 octobre 2004, COM (2004)
718 final.
(776) L’internationalisation des petits litiges ne concerne pas exclusivement le commerce élec-
tronique. Il s’agit là bien plus d’un élément général de la mondialisation des échanges commer-
ciaux, conséquence de l’affaiblissement global des coûts liés aux déplacements des produits et des
services, de leurs consommateurs et des informations les concernant. Les ODR constituent en
conséquence un accès privilégié à la justice dans un contexte plus large que le seul commerce
électronique : voir en ce sens L. CAPLIN, « Resolving Consumer Disputes Online : A Review of
Consumer ODR » in CLP, 2003, p. 207 et seq. Nous traiterons néanmoins essentiellement du
commerce électronique, ce domaine délimitant le sujet de cette étude.
(à l’exclusion, notamment, des PME, dont les moyens financiers peuvent être tout aussi limités) et,
même pour un consommateur, les jugements rendus devront encore faire l’objet d’une procédure
en exécution forcée à l’étranger, réinjectant de la sorte des coûts supplémentaires et souvent dispro-
portionnés.
(780) Sur tout ceci, R. PICHLER, « Trust and Reliance – Enforcement and Compliance », op.
cit. n. 594, pp. 82–97. Voir aussi, pour un survol, P. DE LOCHT, « Les modes de règlement extra-
judiciaires des litiges » in Le commerce électronique européen sur les rails ? : analyse et proposition de
mise en oeuvre de la directive sur le commerce électronique, s. dir. É. Montero, Bruxelles, Bruylant,
2001, p. 327 et seq., spéc. pp. 360–362 : « l’obstacle financier que rencontre le justiciable, généra-
lement un consommateur, réside dans la disproportion entre la valeur limitée de l’affaire et le coût
d’une procédure judiciaire qui l’incite souvent à renoncer à faire valoir ses droits. […] En outre, les
difficultés linguistiques sont susceptibles de poser des problèmes. En effet, s’il est relativement aisé
de choisir et de payer un objet dans une autre langue, tout autre est l’expression de son insatisfac-
tion. Enfin, le manque de connaissance des droits étrangers et du fonctionnement du système
judiciaire des autres États décourage le consommateur d’intenter une action afin de faire reconnaî-
tre ses droits. »
(781) A. BEBCHUK, « A New Theory Concerning the Credibility and Success of Threats to
Sue » in J. Legal. Stud., 1996, vol. 25, p. 1 et seq., spéc. p. 1.
(782) R.A. POSNER, « An Economic Approach to Legal Procedure and Judicial Administra-
tion » in J. Legal. Stud., 1973, vol. 2, p. 399 et seq., spéc. pp. 404, 429–435 et 441.
(783) S. SHAVELL, « Suit, Settlement, and Trial : A Theoretical Analysis Under Alternative
Methods for the Allocation of Legal Costs » in J. Legal. Stud., 1982, vol. 11, p. 55 et seq., spéc.
p. 56.
(784) R.A. POSNER, « An Economic Approach to Legal Procedure and Judicial Administra-
tion », op. cit. n. 782, p. 438 et R.D. COOTER et D.L. RUBINFELD, « Economic Analysis of Legal
Disputes and Their Resolution » in J. Econ. Lit., 1989, vol. 27, p. 1067 et seq., spéc. p. 1089.
(785) H. VON FREYHOLD, V. GESSNER, E.L. VIAL et H. WAGNER, The Cost of Judicial Bar-
riers for Consumer in the Single Market, Bruxelles, Publ. Commission européenne, 1996 et B.
FELDTMANN, H. VON FREYHOLD et E.L. VIAL, The Cost of Legal Obstacles to the Disadvantage of
the Consumers in the Single Market, Bruxelles, Publ. Commission européenne, 1998, <europa.eu.-
int/comm/dgs/health_consumer/library/pub/pub03.pdf>. Le même problème avait été abordé dans
le Livre vert de la Commission européenne relatif à l’accès des consommateurs à la justice et au
règlement des litiges de consommation dans le marché unique, 16 novembre 1993, COM (93) 576
final.
(786) Rappelons ici que la reconnaissance et l’exécution des jugements en Europe est très large-
ment facilitée par le RB I et la CLug. Le champ d’application territorial du premier couvre l’Union
européenne à l’exception du Danemark. Celui de la seconde s’étend aux États membres de l’Union
avant l’entrée des dix nouveaux pays, ainsi que l’Islande, la Norvège, la Pologne et la Suisse.
(787) Selon l’une des études réalisées pour la Commission européenne, une procédure judiciaire
concernant un petit litige dure en moyenne deux ans : H. VON FREYHOLD, V. GESSNER, E.L.
VIAL et H. WAGNER, The Cost of Judicial Barriers for Consumer in the Single Market, op. cit. n. 785.
(788) Voir par exemple G.B. BORN, International Civil Litigation, 3ème éd., La Haye, Kluwer,
1996, p. 5.
(789) Voir par exemple J. ROTHCHILD, « Protecting the Digital Consumer : The Limits of
Cyberspace Utopianism » in Ind. L.J., 1999, vol. 74, p. 893 et seq., spéc. p. 912 et L. LESSIG, Code
and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 653, p. 197.
(790) R. PICHLER, « Trust and Reliance – Enforcement and Compliance », op. cit. n. 594,
pp. 84–85.
(791) Sur ceci, voir G. KAUFMANN-KOHLER et Th. SCHULTZ, Online Dispute Resolution :
Challenges for Contemporary Justice, op. cit. n. 575, p. 71.
(792) Sur les tribunaux dont les procédures se déroulent en ligne, voir Section V. —
Procédures judiciaires en ligne et cybertribunaux, p. 191 et seq. supra.
(793) Voir de manière générale sur la résolution multipartite des litiges en ligne, C. RULE, « A
Simulation of Online Mediation in a Zoning Dispute » in Online-Mediation. Neue Medien in der
Konfliktvermittlung – Mit Beispielen aus Politik und Wirtschaft, s. dir. O. Märker et M. Trénel,
Berlin, Sigma, 2003, p. 349 et seq.
(794) R. SUSSKIND, Transforming the Law : Essays on Technology, Justice and the Legal Market-
place, Oxford, Oxford Univ. Press, 2000, p. 267.
(795) E. KATSH, Law in a Digital World, op. cit. n. 778, p. 180 : « electronic tools to access le-
gal spaces and legal information reduce the informational distance that previously enhanced the
lawyer’s role as translator and interpreter. »
(796) R. SUSSKIND, The Future of Law : Facing the Challenges of Information Technology,
Oxford, Oxford Univ. Press, 1998, p. 271 : « in the legal advisory paradigm of the print-based
society, lawyers have enjoyed a dual role, combining that of being legal information engineers as
providers [but] in the IT-based information society (of tomorrow), in contrast, the process of
analysis and formulation of information can and will be separated from that of the provision of
legal information » et p. 267 : « multi-media will enhance legal service as an information service
and will render the law still further accessible ». Voir aussi O. RABINOVICH-EINY, « Balancing
the Scales : The Ford-Firestone Case, the Internet, and the Future Dispute Resolution Land-
scape » in Yale. J. of L. & Tech., 2004, vol. 6, p. 2 et seq., spéc. pp. 12–13.
(797) Voir par exemple D. KING, « Internet Mediation - A Summary » in Australasian Dispute
Resolution Journal, 2000, vol 11, p. 180 et seq.
(798) En ce sens par exemple J.-B. RACINE, « Les dérives procédurales de l’arbitrage » in Les
transformations de la régulation juridique, s. dir. J. Clam et G. Martin, Paris, LGDJ, 1998, p. 229 et
seq., spéc. p. 246.
tronique baisse ces barrières à l’entrée. Il est ainsi souvent argué que les
coûts de développement et de modification des systèmes de résolution des
litiges en ligne sont plus faibles parce que leur matière première n’est for-
mée que de logiciels et non de briques et de ciment, d’octets et non
d’atomes ; il s’ensuivrait un accroissement de la concurrence, et donc une
augmentation de l’efficience de ces systèmes (799). Cette affirmation appa-
raît erronée si l’on considère les deux exemples suivants, qui sont notoires
dans le milieu de l’ODR : le centre d’arbitrage non contraignant en ligne
fonctionnant le mieux actuellement a investi plusieurs millions d’euros pour
développer une structure permettant de résoudre quelques milliers de litiges
à valeur relativement faible ; le plus prospère des organismes de médiation
et de négociation en ligne a quant à lui dû attendre la résolution d’environ
700'000 litiges pour dégager un retour sur investissement positif. De toute
évidence, le développement de systèmes performants a également son coût.
La concurrence entre les organismes de règlement des différends en ligne
n’est donc pas aussi importante qu’on le prétend habituellement.
Ces questions relatives à la rentabilité des ODR ont ceci d’important
qu’elles mettent en lumière le risque de conséquences négatives des diffi-
cultés de financement, à moyen terme, sur les tarifs pratiqués et donc sur la
capacité des modes de règlement de litiges à constituer une justice accessi-
ble. Pour que les ODR conservent cette adéquation aux petits litiges inter-
nationaux que nous avons évoquée ici, il nous semble essentiel que l’État
exerce à moyen terme une surveillance importante sur la résolution des
litiges en ligne, contrairement au leitmotiv de l’autorégulation très large-
ment répandu dans ce milieu (800). Cela est d’autant plus vrai que, comme
nous avons pu en conclure ailleurs (801), le développement de l’arbitrage en
p. 420 et R. BEDDARD, Human Rights and Europe, 3ème éd., Cambridge, Grotius, 1993, p. 166 et I.
CABRAL BARRETO, « L’article 6 de la Convention et la procédure d’exécution » in Protecting the
Human Rights : The European Perspective. Studies in Memory of Rolv Ryssdal, s. dir. P. Mahoney, F.
Matscher, H. Petzold et L. Wildhaber, Cologne, Heymanns, 2000, p. 135 et seq., spéc. p. 137 (sur
l’exigence que l’exécution forcée de la décision doit également être une procédure accessible). Voir
aussi, sur la possibilité de remplacer l’accès aux tribunaux par un accès à un arbitrage, l’ouvrage de
van Dijk et van Hoof cité, p. 427, O. JACOT-GUILLARMOD, « L’arbitrage privé face à l’article 6
§1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme » in Protecting Human Rights, The Euro-
pean Dimension. Studies in honour of Gérard J. Wiarda, s. dir. F. Matscher et H. Petzold, Cologne,
Heymanns, 1988, p. 281 et seq., spéc. p. 283, B. BOVAY et L. ZEITER, « Les garanties fonda-
mentales de procédure en droit suisse de l’arbitrage » in JdT, 2002, p. 36, et seq., spéc. p. 39, L.E.
PETTITI, E. DECAUX et P.H. IMBERT, La Convention européenne des droits de l’homme. Commen-
taire article par article, Paris, Economica, 1995, p. 261 (le lieu de justice accédé doit pouvoir tran-
cher le litige, seul l’arbitrage en ligne, et non la médiation, semble donc pouvoir satisfaire à cette
exigence) et P. LAMBERT, « L’arbitrage et l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de
l’homme » in L’arbitrage et la Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles,
Bruylant/Nemesis, 2001, p. 9 et seq., spéc. p. 13 (les droits procéduraux fondamentaux doivent
être respectés).
(802) Sur la catharsis et les ODR, plus précisément sur la grammaire de la ritualisation de la
justice, voir K. BENYEKHLEF et F. GÉLINAS, Le règlement en ligne des conflits. Enjeux de la cyber-
justice, Paris, Romillat, 2003, pp. 22–25.
(803) Sur ces aspects légaux, voir surtout Section II. — Intégration de la résolution des litiges
en ligne dans les ordres juridiques étatiques, p. 389 et seq. infra.
(804) Les développements qui suivent sont une traduction adaptée d’un chapitre de Th.
SCHULTZ, « Online Dispute Resolution : An Overview and Selected Issues », rapport présenté au
Premier Forum sur la résolution des litiges en ligne de la Commission économique pour l’Europe
des Nations unies (UNECE), Genève, 6–7 juin 2002, <www.online-adr.org/thomas>. Voir aussi
G. KAUFMANN-KOHLER et Th. SCHULTZ, Online Dispute Resolution : Challenges for Contempo-
rary Justice, op. cit. n. 575, p. 65 et seq. et 149 et seq. Sur les questions de financement, voir aussi
R.C. BORDONE, « Electronic Online Dispute Resolution : A Systems Approach–Potential, Prob-
lems, And A Proposal », op. cit. n. 685, p. 209, l’auteur défendant l’idée étonnante d’un finance-
ment par une taxe, très faible, imposée à tout utilisateur d’Internet, faisant un peu penser à la taxe
Tobin, A. CRUQUENAIRE et F. DE PATOUL, « Le développement des modes alternatifs de règle-
ment des litiges de consommation : Quelques réflexions inspirées par l’expérience ECODIR » in
Lex Electronica, 2000, vol. 8, no 1, <www.lex-electronica.org/articles/v8-1/cruquenaire-patoul.-
htm>, § 39 et L.M. PONTE, « Throwing Bad Money After Bad : Can Online Dispute Resolution
(ODR) Really Deliver the Goods for the Unhappy Internet Shopper ? » in Tul. J. Tech. & Intell.
Prop., 2001, vol. 3, p. 55 et seq., spéc. p. 67.
A. — Formes de financement
Il existe essentiellement trois formes de financement pour les institutions
privées de résolution des litiges : le financement bilatéral par les deux par-
ties, unilatéral par l’une des parties et le recours à des sources externes.
Le financement bilatéral par les deux parties est assuré par les frais de
procédure payés par les parties. S’il ne suscite pas de question
d’indépendance, il présente une réelle difficulté de pérennité financière
pour l’institution, ou d’accessibilité pour les parties à des litiges de faible
valeur économique. Afin que la possibilité d’accéder à une procédure de
règlement des différends soit réelle, les coûts attendus doivent être infé-
rieurs aux bénéfices attendus. Pour les litiges de faible valeur, pour lesquels
les bénéfices attendus sont limités, les frais des parties devront donc être
nécessairement restreints. Si ceux-ci sont trop élevés, ce n’est pas seulement
l’accès à la procédure qui est remis en question, mais également le finance-
ment de l’institution : sans réel accès à la procédure, il n’y a que peu
d’affaires soumises et ainsi un faible chiffre d’affaires. La problématique
s’exprime en pratique par le fait qu’aucune institution fonctionnant sur ce
mode de financement n’est actuellement réputée économiquement profita-
ble (805).
Le financement unilatéral permet de parer à ce problème de rendement
économique et d’accessibilité. Dans sa modalité la plus courante, le profes-
sionnel, vendeur ou fournisseur de service, s’affilie à une institution de rè-
glement en ligne qui lui octroie un certificat à apposer sur son site web,
attestant de son engagement à participer, à la demande du client, à un rè-
glement en ligne (806). Les frais de fonctionnement de l’institution et les
coûts de la procédure sont alors couverts par les frais d’affiliation. La pro-
cédure est en principe gratuite ou très peu onéreuse pour l’autre partie.
SquareTrade, par exemple, seule institution de résolution des litiges en
ligne actuellement réputée rentable, fonctionne selon ce modèle. Le pro-
blème qui surgit ici a trait à l’indépendance, puisque le financement dépend
(805) Pour une analyse empirique des pratiques de financement des diverses institutions, voir
G. KAUFMANN-KOHLER et Th. SCHULTZ, Online Dispute Resolution : Challenges for Contempo-
rary Justice, op. cit. n. 575, p. 249 et seq.
(806) Sur ces certificats, voir A. — Labellisation des sites web, p. 353 et seq. infra.
de l’une des parties seulement (807). À cet égard, on peut toutefois imagi-
ner le renforcement d’autres garanties d’indépendance, à divers stades de la
procédure. Nous y reviendrons ci-dessous.
La troisième forme de financement, reposant sur des fonds externes,
présente les plus fortes garanties d’indépendance sans susciter de question
de pérennité financière, à tout le moins quand il s’agit de fonds publics, ce
qui est la règle. Si ces fonds externes proviennent de représentants d’un
secteur d’activité ou d’une association de consommateurs, des questions
d’indépendance peuvent émerger, mais celles-ci demeureront mineures par
rapport à celles que suscite le financement unilatéral.
Relevons finalement que ces diverses formes de financement peuvent
être combinées : on pourrait envisager de cumuler fonds public, contribu-
tions d’un représentant de l’industrie (par exemple la CCI ou le GBDe) et
d’une ou de plusieurs associations de consommateurs, puis frais d’affiliation
pour les professionnels et enfin frais de procédure, pour les deux parties,
proportionnels à la valeur litigieuse.
B. — Garanties d’indépendance
Les garanties d’indépendance visant à contrebalancer d’éventuelles diffi-
cultés liées à la forme de financement peuvent se situer à trois niveaux.
Tout d’abord, elles peuvent intervenir au plan de la sélection du ou des tiers
et de la composition du panel, puis lors de la procédure elle-même et enfin
au niveau de l’architecture globale de l’institution.
En ce qui concerne la sélection du ou des tiers et la composition du pa-
nel, on considère généralement que, indépendamment de considérations
financières, la meilleure solution pour une procédure adjudicative est un
panel de trois membres. Deux de ceux-ci sont alors choisis par les parties,
le troisième par l’institution (808). Si le panel n’est constitué que d’un tiers,
(807) Notons toutefois que le problème ne se pose généralement pas en ces termes en ce qui
concerne SquareTrade. Cette institution fournit en effet de manière primordiale ses services à des
plateformes de vente aux enchères en ligne : dans ces situations, c’est la plateforme qui est affiliée
au programme de certification de SquareTrade alors qu’elle n’est en principe pas elle-même partie
à la procédure, qui oppose généralement un vendeur à un acheteur.
(808) Voir M. GEIST, « Fair.com ? : An Examination of the Allegations of Systemic Unfair-
ness in the ICANN UDRP » in Brooklyn J. Int’l L., 2002, vol. 27, p. 903 et seq. et B. — Un
système juridique pour les noms de domaine : l’ICANN et l’UDRP, p. 481 et seq. infra.
ce qui permet de limiter les coûts, il semble désirable que celui-ci soit sé-
lectionné par l’institution. De préférence, cette sélection s’opère en tenant
compte des choix des parties (chacune d’entre elles dressant par exemple
une liste de préférences, l’institution déterminant ensuite le tiers le mieux
placé dans les deux listes) et non en exerçant un pouvoir discrétionnaire.
En effet, pour autant que le demandeur puisse librement choisir de se ré-
férer à une institution ou à une autre, cette dernière, si elle exerce un pou-
voir discrétionnaire, pourrait être tentée de nommer un tiers favorable au
demandeur et donc partial. Ceci aurait pour but de maximiser le nombre
d’affaires soumises. Certaines études indiquent que ce risque s’est effecti-
vement matérialisé dans le contexte de la procédure UDRP (809).
Quant aux garanties d’indépendance intervenant au plan de la procédure
elle-même, on mentionnera simplement l’importance de règles strictes de
procédure et d’un maximum de transparence durant la procédure et surtout
après celle-ci. La transparence après la procédure peut par exemple être
assurée par la publication des résultats (de manière anonyme), que ceux-ci
soient des décisions ou des accords conclus à l’issue d’une médiation (810).
Au niveau de l’architecture globale de l’institution, on songe par exemple
à une procédure d’appel en ligne (811) (surtout pour les procédures adjudi-
catives, pour lesquelles on peut mentionner l’idée d’un deuxième niveau
d’arbitrage (812)), à la labellisation de l’institution par une entité externe et
digne de confiance (813) ou encore à une représentation équilibrée des
intérêts des diverses parties. Cette représentation concerne autant la cons-
titution de la liste d’arbitres, de médiateurs ou d’autres tiers que l’administ-
ration de l’institution de résolution des litiges en ligne (814).
(809) Ibid.
(810) Voir Sous-section I. — Publication des résultats, p. 288 et seq. infra.
(811) Sur les instances de recours en ligne, voir Sous-section III. — Instances de recours en
ligne, p. 544 et seq. infra.
(812) Sur l’arbitrage à deux niveaux, voir 1. Effectivité symbolique : vers l’arbitrage à deux
niveaux ?, p. 430 et seq. supra.
(813) Voir A. — Labellisation des sites web, p. 353 et seq. infra.
(814) La compensation de formes de financement potentiellement problématiques sur le plan
de l’indépendance par une représentation équilibrée des intérêts des diverses parties au sein de
l’administration de l’institution est notamment recommandée par certains associations de
consommateurs : voir Organisation internationale des consommateurs (Consumers International),
« Disputes in Cyberspace. Update of online dispute resolution for consumers in cross-border
A. — Simplicité
Le système technologique utilisé pour une procédure de résolution des
litiges en ligne doit tout d’abord être accessible (820), ce qui d’un point de
vue purement technique se confond avec la propriété que l’on appelle plus
fréquemment en informatique la simplicité du système. Si l’on se borne
généralement à évoquer la fracture numérique pour désigner les difficultés
des pays moins développés technologiquement de profiter pleinement des
avantages économiques découlant de l’accès à Internet, une série d’autres
fractures numériques existent également. De telles fractures existent no-
tamment entre les utilisateurs férus d’informatique (en jargon les high-tech
users) et les utilisateurs ordinaires (low-tech users), puis entre les parties
pouvant se permettre des investissements considérables en temps et en
argent et celles qui ne le peuvent pas, et enfin entre les utilisateurs réguliers
(repeat players) et les utilisateurs occasionnels (one-shot players). Plus une
procédure est complexe, plus la fracture entre ces catégories d’utilisateurs
est importante. Si ce type de déséquilibres existe dans toutes les procédures
de règlement des différends, y compris celles qui ont lieu hors ligne (821),
il importe de ne pas l’exacerber par les technologies utilisées, sans quoi
l’accès à la prétendue justice en ligne risque bien de se réduire comme peau
de chagrin. En d’autres termes, la simplicité technologique de la procédure
(819) Notons que nous ne distinguons pas ici entre, d’un côté, l’accès à la justice au sens strict
du terme, tel qu’il est garanti notamment par la CEDH (voir n. 801 supra) et qui ne concerne dans
le contexte des ODR que l’arbitrage en ligne et, de l’autre, l’accès à la justice au sens large du
terme, qui vise toute procédure permettant de mettre fin à un litige et qui couvre également, dans
le contexte des ODR, la médiation voire, dans une certaine mesure, la négociation en ligne (voir n.
775 supra).
(820) Pour un survol de cette question, voir L.M. PONTE et Th.D. CAVENAGH, Cyberjustice :
Online Dispute Resolution, New Jersey, Prentice Hall, 2004, pp. 129–130 et M.S.A. WAHAB, « La
technologie sape-t-elle la confiance ? La confidentialité et la sécurité dans l’arbitrage en ligne » in
Bull. ICC (numéro spécial sur la technologie au service des différends commerciaux), 2004, p. 45 et
seq., spéc. pp. 45–46.
(821) Pour une discussion de cette problématique en arbitrage hors ligne, voir par exemple L.J.
GIBBONS, « Private Law, Public ‘Justice’ : Another Look at Privacy, Arbitration, and Global E-
Commerce » in Ohio St. J. on Disp. Resol., 2000, vol. 15, p. 769 et seq., spéc. p. 786.
est une condition de l’accès à la justice par la résolution des litiges en li-
gne (822).
B. — Adaptabilité
L’adaptabilité d’un système technique de résolution des litiges en ligne est
un critère concernant autant l’accessibilité que l’efficacité d’un système
technique. D’un côté, celui-ci doit être accessible à des utilisateurs ne dis-
posant que d’un équipement informatique non standard. De l’autre, les
systèmes doivent pouvoir s’adapter aisément aux particularités des utilisa-
teurs et du litige. Ces deux impératifs ont pour but, tout d’abord, de maxi-
miser la densité informationnelle des flux de communication : une
procédure en ligne doit par exemple pouvoir être aisément étendue à l’utili-
sation de vidéoconférences, de forums de discussion, de techniques de
transmission automatisée de données récoltées sur un site marchand lors de
la conclusion voire de l’exécution d’un contrat, etc. Au-delà de cet objectif
de maximisation du flux informationnel, il est également souhaitable que la
méthode de communication la plus adéquate soit toujours disponible et
puisse valablement être utilisée. Ce qui détermine l’adéquation de la mé-
thode de communication est les compétences informatiques des parties
(notamment celles relatives à la saisie de données (823)), les fuseaux horai-
res dans lesquels les parties se situent et la tension émotionnelle impliquée
par un différend spécifique ou un type de différends (824). Finalement,
l’adaptabilité de la technologie peut constituer un facteur de sauvegarde de
(822) Pour une discussion plus approfondie de cette problématique, E. KATSH et J. RIFKIN,
Online Dispute Resolution. Resolving Disputes in Cyberspace, op. cit. n. 764, p. 78 et J. LINDEN,
« Low Tech On-Line Dispute Resolution » in ODR Monthly, mai 2002, <www.ombuds.org/cen-
ter/adr2002-5.html>.
(823) Une grande différence dans la compétence de saisir de données entre les parties peut
créer des déséquilibres significatifs entre celles-ci : A. DUVAL SMITH, « Problems in Conflict
Management in Virtual Communities » in Communities in Cyberspace, s. dir. P. Kollock and M.
Smith, Londres, Routledge Press, 1998, p. 134 et seq. et J.B. EISEN, « Are We Ready for Media-
tion in Cyberspace ? » in B.Y.U. L. Rev., 1998, p. 1305 et seq., spéc. p. 1355.
(824) C.E. LIDE, « ADR in Cyberspace : the Role of Alternative Dispute Resolution in
Online Commerce, Intellectual Property and Defamation » in Ohio St. J. Disp. Resol., 1996,
vol. 12, p. 221 et seq., E. KATSH, « The New Frontier : Online ADR Becoming a Global Prior-
ity » in Dispute Resolution Magazine, 2000, p. 6 et seq., B.L. BEAL, « Online Mediation : Has its
Time Come ? » in Ohio St. J. Disp. Resol., 2000, vol. 15, p. 735 et seq., spéc. p. 736, E. KATSH, J.
RIFKIN et A. GAITENBY, « E-Commerce, E-Dispute, and E-Dispute Resolution : In the Shadow
of ‘eBay Law’ », op. cit. n. 641, pp. 714–717.
l’égalité des parties, qui peuvent encore, à l’heure actuelle, avoir des niveaux
de maîtrise de la technologie fort variables (825). Concrètement, tout ceci
signifie que, au minimum, des modes de communication synchrones (vi-
déoconférences, messagerie instantanée) et asynchrones (courriers électro-
niques, certaines formes de forums de discussion) doivent être disponi-
bles (826).
PERSPECTIVE : VERS LA
PROCESSUALISATION ?
Dans ce chapitre, nous reviendrons tout d’abord plus en détail sur cette
mouvance généralisée que nous avons évoquée, en expliquant que
l’idéologie de la résolution des litiges est passée, dans nos sociétés contem-
poraines, du formalisme à l’informalisme tandis que la pratique du règle-
ment des différends semblait devoir inévitablement développer une dy-
namique de processualisation opposée à son idéologie. Ensuite, nous
tenterons de replacer les ODR dans le contexte ainsi énoncé.
(831) Sur ces questions, Th.M. FRANCK, The Structure of Impartiality : Examining the Riddle of
one Law in a Fragmented World, New York, Simon & Schuster, 1968, spéc. pp. 11-19.
SOUS-SECTION I. — IDÉOLOGIE : DU
FORMALISME À L’INFORMALISME, DE L’IMPOSÉ AU
NÉGOCIÉ
A. — Le formalisme du modernisme
La pensée moderne avait établi comme idéal de la gestion des litiges,
comme sens du progrès, le formalisme et le droit imposé. De nombreuses
théories évolutionnistes ont dressé un parallèle entre le développement
d’une société et la transformation de son idéologie de règlement des litiges :
quand une société se développe, sortant du giron des sociétés tribales pour
devenir moderne, l’idéologie de la gestion des litiges se modernise égale-
ment. Le progrès est dans le formalisme et l’imposé (835) ; l’émergence des
tribunaux (au sens moderne du terme) est une conséquence du niveau de
développement social.
Ce sens de l’évolution de l’idéologie dans la résolution des litiges, appré-
hendée par la pensée moderne, a pour raison principale la division et la
diversification de la société, correspondant à la juxtaposition de différents
groupes ne partageant pas les mêmes valeurs. Selon Durkheim, la société
traditionnelle est unitaire, la conscience collective est forte et ses membres,
aux rôles relativement peu différenciés, font référence aux mêmes valeurs,
aux mêmes normes, qui sont acceptées universellement dans la commu-
nauté. Dans la société moderne, la conscience collective s’affaiblit et ses
membres, aux rôles complémentaires et plus clairement différenciés, font
référence, c’est-à-dire accordent leur légitimité, à des valeurs et des normes
plus diversifiées. Pour combattre cette individualisation et renforcer la co-
hésion sociale, on tente de mettre en place un système de valeur rigoureux
(834) Reprenant cette réflexion, mais d’un point de vue légèrement décalé, ce sont les types de
lieux de la résolution des litiges qui peuvent être catégorisés en privé-informel, public-informel,
privé-formel, public-formel. Le privé-informel est typique de la gestion traditionnelle, le public-
formel est typique de la gestion moderne, processuelle et gravitant autour de l’idéal-type des tribu-
naux : A. SARAT et J. GROSSMAN, « Courts and Conflict Resolution : Problems in the Mobiliza-
tion of Adjudication » in APSR, 1975, vol. 69, p. 1200 et seq., spéc. p. 1209.
(835) Pour un résumé des différentes thèses, L.M. FRIEDMANN, « Courts Over Time », op. cit.
n. 833, pp. 15-16 : « d’autres lignes directrices traversent les différentes études évolutionnistes […]
L’histoire commence avec des sociétés simples, dans lesquelles les litiges sont réglés par médiation
ou la lame invisible de l’opinion publique […] Les sociétés modernes, plus complexes, sont passées
à une autre phase. Ces sociétés ne peuvent se fonder sur des expériences partagées […] Elles requiè-
rent des tribunaux formels, avec une force de coercition pour les seconder, si nécessaire » (trad. par
l’auteur).
qui doit par sa nature être imposé et non négocié (836). En effet, la média-
tion ne semble être réellement efficace qu’au sein d’une communauté ca-
ractérisée par une cohésion sociale relativement forte. Dans les sociétés
modernes, plus individualistes, la coercition est davantage nécessaire et le
tiers doit avoir plus de pouvoir pour trancher dans la diversité. Les tribu-
naux sont en conséquence le mode de règlement privilégié (837).
Une distinction supplémentaire peut encore contribuer à notre propos :
d’un côté, on perçoit les différends d’intérêts, où les parties se placent dans
le même système de normes mais désirent quelque chose qui ne peut être
attribué aux deux. De l’autre, on retient les différends de valeurs, où les
parties se réfèrent à des systèmes de normes différents (phénomène dit de
« conflits internormatifs ») (838). Un différend d’intérêts apparaît par ex-
emple dans une communauté de marchands partageant les mêmes normes,
ou au moins des normes similaires, sur le prix ou d’autres modalités des
échanges. Un différend d’intérêt connaît une probabilité plus importante de
pouvoir être résolu par un processus informel et négocié (une médiation,
par exemple) qu’un différend de valeur, qui requerra plus généralement un
tiers ayant suffisamment de pouvoir (moral, physique ou juridique) pour
imposer une décision, c’est-à-dire un juge ou un arbitre (839).
(836) É. DURKHEIM, De la division du travail social, Paris, Alcan, 1893, passim, not. pp. 115–
116 : « sans doute, en raisonnant dans l’abstrait, on peut bien démontrer qu’il n’y a pas de raison
pour qu’une société défende de manger telle ou telle viande, par soi-même inoffensive. Mais une
fois que l’horreur de cet aliment est devenue partie intégrante de la conscience commune, elle ne
peut disparaître sans que le lien social se détende […] Il en est de même de la peine. […] Elle ne
laisse pas de jouer un rôle utile. Seulement, ce rôle n’est pas là où on le voit d’ordinaire. Elle ne sert
que très secondairement à corriger le coupable ou à intimider ses imitateurs possibles […] Sa vraie
fonction est de maintenir intacte la cohésion sociale en maintenant toute sa vitalité à la conscience
commune. Niée aussi catégoriquement […] il en résulterait un relâchement de la solidarité so-
ciale. »
(837) H. WIMBERLY, « Legal Evolution : One Further Step » in Am. J. Socio., 1973, vol. 79,
p. 78 et seq.
(838) Sur les conflits internormatifs, voir J. CARBONNIER, Essais sur les lois, Evreux, Répertoire
du notariat defrénois, 1979, p. 264, cité par J.-F. PERRIN, Sociologie empirique du droit, Bâle et
Francfort-sur-le-Main, Helbing & Lichtenhahn, 1997, p. 54. On parle aussi, à cet égard, de litiges
sur le droit (opposition de prétentions invoquant différents systèmes de normes) et de litiges sous le
droit (opposition de prétentions invoquant un même système de normes) : M. VAN DE
KERCHOVE, « Médiation et législation » in La médiation : un mode alternatif de résolution des liti-
ges ?, Zurich, Schulthess, 1992, p. 331 et seq., spéc. p. 349.
(839) Sur tout ceci, V. AUBERT, « Competition and Dissensus : Two Types of Conflict and of
Conflict Resolution » in J. Conflict Res., 1963, vol. 7, p. 26 et seq., spéc. pp. 27-30 et 33-34.
B. — L’informalisme du postmodernisme
Dans la pensée postmoderne, l’idéal de la gestion des litiges et le sens du
progrès ont été mis « sens dessus dessous », observent les anthropologues
du droit (841). On veut le doux et le négocié, on aspire à des modes de
règlement des différends et de production du droit informels et consen-
suels.
L’inversion du progrès constitue ainsi une réaction à l’inadaptation du
modèle formaliste et imposé, retenu par la modernité. Habermas relève que
l’on a pu observer dans les sociétés modernes une surinflation du droit écrit
et une surjuridicisation (Verrechtlichung) de relations sociales qui étaient
réglées jusque-là de manière informelle (842). Le phénomène a pour corol-
laire la judiciarisation généralisée des modes de règlement des différends,
c’est-à-dire un glissement vers l’idéal-type moderne de la gestion des liti-
(840) M. GALANTER, « Why the ‘Haves’ Come Out Ahead : Speculations on the Limits of
Legal Change » in Law & Soc’y Rev., 1974, vol. 9, p. 95 et seq.
(841) L.M. FRIEDMANN, « Courts Over Time », op. cit. n. 833, p. 14 (« upside down »).
(842) J. HABERMAS, Théorie de l’agir communicationnel, t. 2 Pour une critique de la raison fonc-
tionnaliste, trad. J.-L. Schlegel, Paris, Fayard, 1987, pp. 391-410, spéc. pp. 392-393 : « l’expression
extension du droit (Verrechtlichung) se réfère très communément à la tendance, observable dans les
sociétés modernes, d’une inflation du droit écrit. Dans cette tendance, nous pouvons distinguer
entre l’extension du droit, donc entre les normes juridiques mises sur des réalités sociales nouvelles,
jusque-là régulées de manière informelle, et la concentration du droit, c’est-à-dire la désagrégation,
par les spécialistes, des faits juridiques globaux au profit de nouveaux faits particuliers. »
ges, vers le modèle du tribunal (843). Avec François Ost, on comprend que
cette surinflation juridique est une indication de l’inadaptation du modèle
du droit rationnel, centralisé, hiérarchique, formaliste et imposé (844) : la
machine s’emballe, tentant de réagir aux déficiences causées par des règles
trop formelles et précises, par d’autres règles, elles-mêmes formelles et
précises comme le veut le modèle du droit selon lequel elles sont adoptées.
En réaction, l’État se fait « réflexif » comme le note Günther Teubner :
il ne place que les cadres procéduraux de l’autorégulation (845), baissant
ainsi la pression juridique. Du côté de la gestion des litiges, on déjudiciarise
pour mettre en place des formes non adjudicatives de règlement des diffé-
rends (846). Concrètement, cela signifie que l’on veut éviter le juge civil,
parce que l’encombrement des rôles des juridictions, la dérive des procé-
dures judiciaires en temps et en argent, la complexité des procédures ont
affaibli l’efficacité du droit d’accès à la justice ; les actions judiciaires ne
sont plus adaptées à la société contemporaine, on veut de l’informel, des
procédures plus courtes, moins chères, on veut se débarrasser des litiges le
plus tôt possible (847). À ce but d’informalisme correspond un mouvement
général de contractualisation de la procédure et un espoir que la justice,
négociée, puisse être « douce comme il existe des médecines douces » (848).
vingt ans déjà, les statistiques aux États-Unis indiquaient que 90–95 pour cent des actions inten-
tées se soldaient par une transaction : Administrative Office of the United States, Federal Judicial
Workload Statistics for the Twelve Months Period Ending December 31, 1980, A-20, A-21,
Washington DC, 1981.
(849) J. HABERMAS, Théorie de l’agir communicationnel, t. 2 Pour une critique de la raison fonc-
tionnaliste, op. cit. n. 842, p. 408.
(850) Sur le mouvement ADR et les remises en cause qu’il entraîne, A.-J. ARNAUD et J.-P.
BONAFÉ-SCHMITT, « Alternatif (Droit) – Alternative (Justice) », op. cit. n. 576, p. 11 et seq.
(851) J.-P. BONAFÉ-SCHMITT, « La médiation : du droit imposé au droit négocié ? », op. cit.
n. 843, p. 427 et seq.
(852) Relevons toutefois, ici encore au niveau théorique, les critiques de certains auteurs améri-
cains, qui dénoncent cette idéologie de l’harmonie reposant, selon eux, sur la négation du conflit et
l’idée que les conflits ne seraient que des problèmes de communication ou des différends relation-
nels et affectifs. Ils soulignent par ailleurs que les défenseurs des ADR, trop manichéens, ne voient
dans le tribunal, tout noir, qu’aliénation, hostilité et coûts excessifs tandis que la médiation, toute
blanche, encouragerait des vertus telles que les responsabilités civiques et communautaires : voir
par exemple R.L. ABEL, « Conservative Conflict and the Reproduction of Capitalism : The Role
of Informal Justice » in Int. J. Soc. L., 1981, vol. 9, p. 245 et seq. Cette critique peut toutefois être
adoucie en la limitant géographiquement : dans une société individualiste comme les États-Unis le
conflit est souvent considéré comme normal et inévitable, et les individus ont une perception claire
de leurs droits, qui doivent être mis en œuvre, fût-ce au détriment de l’harmonie sociale. Dans une
culture plus communautaire, comme on en trouve dans le Sud de l’Europe, en Asie et en Amérique
du Sud, les individus mettront plus d’importance à la reconstruction du lien social par le compro-
mis : N. FEMENIA, « ODR and the Global Management of Customer’ Complaints : How Could
ODR Techniques be Responsive to Different Social and Cultural Environments » in WOA, 2002,
vol. 3, p. 4 et seq., analysant l’importance de ces différences pour un système global de résolution
des litiges comme les ODR.
(853) Comme le relèvent B. YNGVESSON et L. MATHER, « Courts, Moots, and the Disputing
Process », op. cit. n. 832, pp. 55-63, des études anthropologiques ont montré que la mise en œuvre
de la procédure ne correspond souvent pas complètement à son idéologie : selon les auteurs c’est
d’une réelle rupture dont il faut prendre acte. Par exemple, un tribunal peut être concrètement plus
consensuel qu’une médiation, quand le juge pousse les parties à transiger, par hypothèse de ma-
nière très libre, tandis qu’un médiateur tente quelques fois d’imposer à tout prix sa recommanda-
tion aux parties (sur cette forme de « médiation musclée », A. BEVAN, Alternative Dispute
Resolution, Londres, Sweet & Maxwell, 1992, pp. 21-23). De manière plus radicale, ce sont les
tendances d’évolution de l’idéologie et de la mise en œuvre des procédures qui peuvent être oppo-
sées. Si une observation au niveau idéologique montre un renversement de la notion du progrès
vers l’informel et le consensuel, une observation de la mise en œuvre des procédures, des stratégies
utilisées pour la résolution des litiges semble indiquer que la tendance moderne se poursuit dans la
direction opposée.
(854) Ph. FOUCHARD, « Alternative dispute resolution et arbitrage », op. cit. n. 577, p. 112.
Voir aussi ID., « Où va l’arbitrage international ? » in McGill L.J., 1989, vol. 34, p. 435 et seq.,
spéc. p. 450 et seq.
(866) J.S. AUERBACH, Justice without law ? Resolving Disputes without Lawyers, New York,
Oxford Univ. Press, 1983, p. 15.
(867) F. OST, « Le rôle du juge. Vers de nouvelles loyautés ? » in Le rôle du juge dans la cité,
Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 15 et seq.
(868) S. GUINCHARD, « L’évitement du juge civil », op. cit. n. 848, p. 225.
(869) L’un de ces derniers modes de règlement des différends plus informel et plus consensuel
est – hors les ODR – un ensemble de procédures que l’on désigne par des vocables tels que dispute
management, dispute prevention, ou encore partnering, qui visent toutes à appréhender un différend
avant qu’il ne prenne trop d’ampleur et cela de manière plus informelle et négociée que lors d’une
médiation (et bien sûr d’un arbitrage), dont on décrie les dérapages procéduraux : M. HUNTER,
« International Commercial Dispute Resolution : The Challenge of the Twenty-first Century »,
op. cit. n. 847, p. 379.
litiges vers une procédure plus formelle et plus organisée tandis que de
nouveaux modes seraient de temps à autre placés au commencement du
tapis, du côté de l’informel, répondant ainsi aux exigences de l’idéologie
dominante. Ou d’un Sisyphe qui apporterait à chaque fois une nouvelle
pierre vers le haut de sa colline, chaque pierre étant inévitablement vouée à
rouler dans la même direction que celles qui l’ont précédée. L’idéal post-
moderne est à l’opposé de l’idéal moderne, mais la dynamique de la prati-
que semble être largement la même.
Les ODR étant avant tout des ADR opérant en ligne, on peut a priori
s’attendre à leur processualisation. Tout porte à croire, à notre sens, que
l’idéal postmoderne de la gestion informelle des litiges continuera à mar-
quer l’idéologie des modes d’ODR : des modes rapides, simples, aux coûts
modestes et laissant la part large à la négociation. En parallèle, il semble
que l’on puisse s’attendre à ce qu’une dynamique propre au phénomène de
résolution des litiges marquera l’organisation concrète des procédures, cel-
les-ci semblant devoir glisser continuellement vers le lent, le complexe,
l’imposé.
À la lumière des développements qui ont précédé, on conçoit que les mo-
des de règlement des différends en ligne constituent l’une des plus récentes
concrétisations de l’idéologie postmoderne, contemporaine, d’une justice
simple, négociée, peu coûteuse et rapide. Les procédures sont parfois radi-
calement simplifiées (l’exemple le plus frappant étant la négociation auto-
matisée), souvent négociées (on pense notamment à l’arbitrage non
contraignant, dont le consensualisme le place à la frontière de la notion
d’arbitrage, traditionnellement strictement juridictionnel), en principe peu
onéreuses, toujours rapides. Néanmoins, les développements qui ont pré-
cédé permettent également de penser que les ODR glisseront dorénavant
vers l’idéal-type des tribunaux et vers le formalisme, c’est-à-dire qu’ils se
processualiseront.
(883) Voir par exemple L.J. GIBBONS, « Private Law, Public ‘Justice’ », op. cit. n. 821, passim,
L.M. PONTE, « Boosting Consumer Confidence in E-Business : Recommendations For Estab-
lishing Fair and Effective Dispute Resolution Programs for B2C Online Transactions » in Alb. L.J.
Sci. & Tech., 2002, vol. 12, p. 441 et seq., spéc. pp. 488–489, O. RABINOVICH-EINY, « Going
Public : Diminishing Privacy in Dispute Resolution in the Internet Age » in Va. J.L. & Tech.,
2002, vol. 7, art. 4, § 165 : « we will see a growing body of agreements, readily available to all via
the Internet, that were generated extra-judicially [through online mediation] in the private sec-
tor. »
(884) De manière générale sur l’importance de la transparence sur Internet en vue de la régula-
tion du cyberespace, voir J.-M. CHEVALIER, I. EKELAND, M.-A. FRISON-ROCHE et M.
KALIKA, Internet et nos fondamentaux, Paris, PUF, 2000, p. 53 et seq., spéc. pp. 54–55 : « la seule
façon de préserver les valeurs dans le système juridique est de prendre modèle sur le procès, en
permettant à des cercles concentriques d’auditoires d’apprécier la justesse de la décision juridique :
d’abord les parties, puis le groupe social concerné, puis la société entière, et enfin […] l’auditoire
universel, notion abstraite qui exprime […] la rationalité et qui pourrait ici être concrètement les
utilisateurs mondiaux d’Internet. » Ce modèle de cercles d’auditeurs correspond à la pensée de Ch.
PERELMAN, Logique juridique, la nouvelle rhétorique, Paris, Dalloz, 1979.
(885) Cette position est notamment défendue par ABA Task Force on E-Commerce and
ADR and Shidler Center, « Addressing Disputes in Electronic Commerce : Final Recommenda-
tions and Report », op. cit. n. 640, pp. 444–446 et Organisation internationale des consommateurs
(Consumers International), « Disputes in Cyberspace », op. cit. n. 878, p. 17. Voir aussi Th.
SCHULTZ, « An Essay on the Role of Government for ODR. Theoretical considerations about the
future of ODR », op. cit. n. 800.
(886) Cf., sur la catharsis, son rôle et sa présence dans les procédures formelles et informelles
de résolution des litiges, A. GARAPON, Bien juger. Essai sur le rituel judiciaire, Paris, Odile Jacob,
1997, pp. 220–221, 249 et ID., « L’archéologie du jugement moderne » in Les rites de la justice, s.
dir. C. Gauvard et R. Jacob, Paris, Le Léopard d’Or, 1999, p. 230 et seq.
(887) Sur ces diverses questions, voir E. KATSH, The Electronic Media and The Transformation
of Law, Oxford, Oxford Univ. Press, 1989, p. 197 et seq. et Section I. — La perte des repères,
p. 198 et seq. supra.
(888) Sur la transparence et la publication, d’un côté, et la confidentialité et la sécurité, de
l’autre, voir par exemple M.S.A. WAHAB, « La technologie sape-t-elle la confiance ? La confiden-
tialité et la sécurité dans l’arbitrage en ligne », op. cit. note 820, pp. 48–52.
(889) Voir par exemple Global Business Dialogue on electronic commerce (GBDe) et Organi-
sation internationale des consommateurs (Consumers International), « Alternative Dispute Reso-
lution Guidelines », op. cit. n. 876, p. 58.
(890) Voir en ce sens Transatlantic Consumer Dialogue (TACD), « Alternative Dispute Reso-
lution in the Context of Electronic Commerce », op. cit. n. 877, p. 3.
(891) Sur les différentes modalités de cette production du droit par les mécanismes de résolu-
tion des litiges en ligne, voir Sous-section I. — Formes de régulation par la résolution des litiges
en ligne, p. 513 et seq. infra.
(892) Voir par exemple J.D.M. LEW, L.A. MISTELIS et S.M. KRÖLL, Comparative Inter-
national Commercial Arbitration, La Haye, Kluwer, 2003, §§ 17/8–17/9, pp. 413–414
(893) J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, op. cit. n. 830,
p. 626 et seq.
(894) Ibid., pp. 652 et seq. et 662 et seq.
autonomie des parties est le respect des règles d’ordre public (895). Quant
au principe de stare decisis, il n’est en vérité qu’une modalité de détermi-
nation du droit applicable : il renvoie aux règles de droit émergeant de la
pratique antérieure des tribunaux arbitraux de la même institution. Pour
autant que celles-ci ne violent pas de règles d’ordre public, il ne semble pas
exister de raison d’exclure le choix de règles de stare decisis du champ de
l’autonomie procédurale des parties.
Il convient encore de mentionner que si l’effet de la référence à la prati-
que antérieure est bien entendu plus faible en médiation qu’en arbitrage, il
ne nous semble toutefois pas totalement absent dans le premier cas, comme
nous le verrons ci-dessous (896).
Un nombre croissant de recommandations suggèrent de publier les ré-
sultats des procédures, avec toutefois des divergences quant aux modalités
de la publication. De manière générale, les associations de consommateurs
maintiennent les revendications les plus poussées à ce sujet. Celles-ci vont
de la publication de tous les résultats de toutes les procédures, qu’elles
soient adjudicatives comme l’arbitrage ou non adjudicatives comme la mé-
diation (897), avec indication des noms des parties (898), à la seule publi-
cation de sentences arbitrales anonymisées (899). Les recommandations
émanant de milieux professionnels ou gouvernementaux sont pour l’heure
généralement plus modestes à cet égard, ne suggérant que la publication de
tendances générales, de données compilées, de statistiques et d’informa-
tions globales sur les résultats des procédures (900). Cependant, ces recom-
Nous serons plus bref en ce qui concerne les mécanismes de contrôle des
résultats des procédures, ceux-ci faisant l’objet d’une présentation et d’une
étude plus approfondie dans un autre chapitre (903). On notera simple-
ment ici qu’il en va essentiellement de systèmes d’accréditation, de centres
de traitement et d’instances de recours en ligne. Les premiers exercent un
contrôle plutôt diffus sur la production des institutions d’ODR. Dans cette
hypothèse, l’accréditeur vérifie par exemple la qualité générale des décisions
rendues ou des accords conclus à l’issue d’une procédure de règlement en
ligne des différends. Cette vérification influe ensuite sur la reconduction
des services d’accréditation. Ces derniers consistent en la publication
d’informations concernant les institutions accréditées, ce qui devrait
conduire à l’orientation des parties vers telle ou telle institution d’ODR.
Les seconds exercent un contrôle plus direct, reprenant la fonction des
systèmes d’accréditation, mais en allant au-delà. Cette fois, ce ne sont pas
seulement des informations qui sont fournies sur les institutions, mais les
centres de traitement assistent encore les parties pendant les premières
phases de la procédure. Ces centres peuvent ainsi tout d’abord constituer
un relais entre des parties confrontées à un litige et une institution de rè-
glement en ligne dont les résultats des procédures sont jugées les plus
adaptées à la cause. Ensuite, ces centres peuvent assister les demandeurs,
surtout s’il s’agit de consommateurs, dans la préparation de la requête ou du
dossier de médiation. Les troisièmes, les mécanismes de recours en ligne,
constituent la forme la plus directe de contrôle, puisque ce sont les déci-
sions ou les accords eux-mêmes qui sont remis en cause par une instance
supérieure de résolution en ligne.
(902) Voir The Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy Database (UDRP-DB), déve-
loppée par The Cornell Legal Information Institute, University of Massachusetts – Center for Informa-
tion Technology and Dispute Resolution, The Online Public Disputes Project et The Markle Foundation,
<udrp.lii.info/udrp/index.php>.
(903) Voir Section IV. — Architectures de contrôle étatique comme garants de légitimité,
p. 536 et seq. infra.
(904) L.R. HELFER et G.B. DINWOODIE, « Designing Non-National Systems : The Case of
the Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy » in Wm. & Mary L. Rev., 2001, vol. 43,
p. 141 et seq., spéc. p. 252.
(905) Voir aussi, de manière plus générale, M. MUELLER, « Rough Justice : An Analysis of
ICANN’s Dispute Resolution Policy », novembre 2000, <dcc.syr.edu/miscarticles/roughjustice.-
pdf>, p. 19 et M.S. DONAHEY, « Divergence in the UDRP and the Need for Appellate Review »
in J. Internet L., 2002, vol. 5, no 11, p. 1 et seq.
(906) Voir Chapitre IX : Validité : l’efficacité juridique en trois temps, p. 305 et seq. infra.
ce titre que cette production du droit peut se faire aussi bien par le pro-
noncé d’une décision que par la conclusion d’un accord issu d’une média-
tion voire d’une négociation. Dans la première situation, une norme
régissant le cas particulier est produite et celle-ci pourra, selon les circons-
tances, se généraliser et influencer la création d’autres normes individuelles
et concrètes. Dans la seconde situation, moins évidente il est vrai, si
l’application stricte de règles de droit substantiel est effectivement écartée,
la référence à ces mêmes règles demeure toutefois, en ce sens qu’elles sont
souvent utilisées comme « ressources potentielles », « référents pour l’ac-
tion », « repères », « alternatives au contenu du règlement amiable », objets
de « contemplation » ou encore comme critères de « détermination du
champ de la négociation » (907). Ces repères opèrent soit par la menace de
leur application lors d’une éventuelle procédure adjudicative suivant une
médiation ou négociation échouée, soit, de manière plus diffuse, par la
référence qu’on leur fait naturellement lors du règlement d’un diffé-
rend (908). Si la négociation et la médiation ne conduisent pas à l’appli-
cation immédiate de règles de droit substantielles, on peut toutefois estimer
qu’elles font entrer ces règles dans la production consensuelle du droit par
les parties, à titre de référent du consentement (909). Nous avons finale-
ment constaté, à l’issue de cette deuxième partie, que les ODR semblent
(907) Ces expressions sont recensées par M. VAN DE KERCHOVE, « Médiation et législation »
in La médiation : un mode alternatif de résolution des litiges ?, Zurich, Schulthess, 1992, p. 331 et
seq., spéc. p. 348.
(908) En ce sens J.-F. PERRIN, « Médiation et législation : exposé introductif » in La média-
tion : un mode alternatif de résolution des litiges ?, Zurich, Schulthess, 1992, p. 315 et seq., spéc.
p. 316 : « dans la mesure où l’on veut trancher un conflit, il faut nécessairement faire appel à des
principes de décision. Ceux-ci peuvent sans doute être issus d’une cristallisation de la pratique,
mais, à moins d’admettre que médiateurs et médiés changent d’univers en entrant en médiation, ils
ne peuvent être fermés aux représentations de ce qui est juste ou injuste, bon ou mauvais, bref aux
normes morales et/ou juridiques. Il en résulte que le caractère informel n’équivaut nullement à
l’absence de normes agissantes. » Voir aussi G. TEUBNER, « Zur Eigenständigkeit des Rechts in
der Weltgesellschaft : Eine Problemskizze » in Festschrift für Jean-Nicolas Druey, s. dir. R.J.
Schweizer, H. Burkert et U. Gasser, Zurich, Schulthess, 2002, p. 145 et seq., sur l’effet de la
transformation d’un litige social en un litige juridique, ce qui constitue l’une des activités du média-
teur.
(909) Voir aussi, plus précisément dans le contexte de la résolution des litiges en ligne, la posi-
tion du Bureau européen des consommateurs (BEUC), « Alternative Dispute Resolution –
BEUC’s Position on the Commission’s Green Paper », op. cit. n. 879, p. 10, pour qui la publica-
tion des accords issus de procédures non adjudicatives de règlement des différends est nécessaire en
vue de « further the development of precedents and the provision of reference cases ».
ques. Mais avec d’autres appareils coercitifs, d’autres droits que celui étati-
que peuvent évoluer en marge de ce dernier et même tenter d’imposer à
leurs destinataires leurs normes plutôt que celles du droit étatique. Cette
imposition procède de la menace d’une contrainte plus efficace que celle de
l’État. Cela conduit ainsi à une concurrence des appareils coercitifs. En
d’autres termes, cette concurrence libère, conformément à l’idée du réseau,
les divers ordonnancements juridiques de la hiérarchie habituelle dans la-
quelle l’État se place en souverain (910). Nous verrons ainsi que les ODR,
pouvant recourir à des appareils coercitifs relativement développés, sem-
blent disposer d’une réelle possibilité d’imposer une production normative
en lieu et place de celle des États, à tout le moins dans certaines situations.
Nous observerons finalement dans ce chapitre que ces appareils coercitifs
sont constitués par des mécanismes d’autoexécution des résultats des pro-
cédures de règlement en ligne des litiges.
Le chapitre 11 sera ensuite le lieu d’une analyse des relations que peu-
vent entretenir la production du droit par le règlement des litiges en ligne
et le droit étatique, cette fois dans une perspective non plus empirique et
centrée sur la force de production de la normativité, mais formelle et sys-
témique. Nous nous y interrogerons en conséquence d’abord sur les rela-
tions formelles entre résolution des litiges en ligne et droit étatique du
point de vue de ce dernier, en examinant comment celui-là peut intégrer
celui-ci. Nous déplacerons ensuite le point de vue vers les ODR et vérifie-
rons l’hypothèse de la constitution de systèmes juridiques étroitement liés à
certaines institutions de résolution des litiges en ligne.
Le chapitre 12 sera finalement l’occasion d’examiner les aspects éthiques
de la production du droit par les ODR. La nécessité de cet examen découle
directement des deux chapitres précédents. Nous y aurons en effet conclu à
la réalisation de l’hypothèse que les ODR peuvent disposer de leurs propres
moyens de coercition, ce qui leur permet de créer du droit sans respect des
(910) À titre introductif, sur l’idée de cette concurrence, voir J.R. REIDENBERG, « L’instabilité
et la concurrence des régimes réglementaires dans le Cyberespace » in Les incertitudes du droit, s.
dir. E. MacKaay, Montréal, Thémis, 1999, p. 133 et seq., spéc. p. 145 : « la multiplicité des sour-
ces de réglementation et l’instabilité introduite par chacune de ces sources sont à l’origine d’une
concurrence des régimes. Un nouvel équilibre réglementaire doit émerger qui tiendra compte de
ces régimes concurrents. D’une part, l’importance du droit diminue. D’autre part, la puissance des
règles technologiques s’accroît. »
(911) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique
du droit, Bruxelles, Publ. FUSL, 2002, p. 307.
(912) J. RAZ, The Authority of Law : Essays on Law and Morality, Oxford, Clarendon Press,
1979, p. 150. Voir aussi ID., « Legal Validity » in ARSP, 1977, vol. 63, p. 339 et seq., spéc. p. 346
et seq.
(913) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911, p. 314 et
ID., Jalons pour une théorie critique du droit, Bruxelles, Publ. FUSL, 1987, pp. 270–314. Voir aussi
F. OST, « Validité » in Dictionnaire encyclopédique de sociologie et de théorie du droit, s. dir. A.-J.
Arnaud, 2ème éd., Paris, LGDJ, 1993, p. 431 et seq. et ID., « Considérations sur la validité des
normes et systèmes juridiques » in JT, 1984, p. 1 et seq. Pour une application de ces théories à la
régulation du cyberespace, voir Y. POULLET, « Les diverses techniques de réglementation d’Inter-
net : l’autorégulation et le rôle du droit étatique » in Ubiquité, 2000, vol. 5, p. 55 et seq., spéc.
pp. 61–68 et ID., « How to Regulate the Internet : New Paradigms for Internet Governance » in
E-Commerce Law and Practice in Europe, s. dir. I. Walden et J. Hörnle, Cambridge, Woodhead,
2001, Section 1, Chapitre 2, p. 1 et seq., spéc. p. 13. Voir aussi C. LAZARO, « Synthèse des
débats » in Gouvernance de la société de l’information. Loi – Autoréglementation – Éthique, s. dir. J.
Berleur, C. Lazaro et R. Queck, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 153 et seq., spéc. p. 164 et seq.
(914) H.L.A. HART, Le concept de droit, trad. M. van de Kerchove, Bruxelles, Publ. FUSL,
1976, p. 116 et seq. Les normes primaires imposent ou prohibent des comportements, les normes
secondaires déterminent l’appartenance des normes primaires à un système juridique.
(915) Voir par exemple J. CARBONNIER, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur,
8ème éd., Paris, LGDJ, 1995, p. 134 et seq.
(916) Cette limitation aux normes impératives contribuera à déterminer la définition de
l’effectivité et de la validité empirique que nous retiendrons. En effet, comme l’écrit Jean
Carbonnier, ibid., p. 136 : « on ne saurait pousser la notion d’effectivité, pour les lois permissives,
jusqu’à cette conséquence que tout ce qui est permis devrait être effectivement pratiqué ».
(917) J.-F. PERRIN, Sociologie empirique du droit, Bâle et Francfort-sur-le-Main, Helbing &
Lichtenhahn, 1997, p. 39.
(918) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911, p. 324 et
seq., sous Section 2 : « Les critères de validité : légalité, effectivité, légitimité », A. AARNIO, Le
de tirer sa validité de trois critères : la légitimité des auteurs, la conformité du contenu aux normes
supérieures et l’effectivité de la règle posée. »
(920) F. OST, « Validité », op. cit. n. 913, p. 434 : « Sur la base [d’une représentation graphique
des éléments de la validité par trois cercles séquents], on pourrait d’abord réaliser une typologie
statique des normes juridiques d’après la place qu’elles occupent à l’égard de ces trois cercles. On
pourrait également réaliser une typologie dynamique, tant il est vrai que les normes juridiques sont
des réalités vivantes animées de mouvements spécifiques, de telle sorte qu’on enregistre des glisse-
ments permanents d’une position à l’autre. » Voir aussi C. MINCKE, « Effets, effectivité, efficience
et efficacité du droit : le pôle réaliste de la validité » in RIEJ, 1998, no 40, p. 115 et seq., spéc.
p. 148.
(926) Pour une typologie des effets du droit, voir notamment C. MINCKE, « Effets, effectivité,
efficience et efficacité du droit », op. cit. n. 920, p. 118 et seq.
(927) F. OST, « Validité », op. cit. n. 913, p. 433.
(928) P. AMSELEK, Méthode phénoménologique et théorie du droit, Paris, LGDJ, 1964, p. 257.
(929) J. CARBONNIER, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, op. cit. n. 915,
p. 134, expliquant que le droit ne peut être conçu exclusivement en « termes dramatiques de com-
mandement et d’obéissance », puisque « beaucoup de lois ne font, pour ainsi dire, que des proposi-
tions [ou établissent] des catalogues ou des formulaires ».
(930) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911, p. 331 (voir
aussi, p. 330 : « est effective la règle utilisée par ses destinataires pour orienter leur pratique », nous
soulignons).
(931) J.-F. PERRIN, Pour une théorie de la connaissance juridique, Paris et Genève, Droz, 1979,
p. 91.
(932) C. MINCKE, « Effets, effectivité, efficience et efficacité du droit », op. cit. n. 920, p. 126.
(933) Ce genre d’évaluation est notamment typique de la légistique : L. MADER, L’évaluation
législative. Pour une analyse empirique des effets de la législation, Lausanne, Payot, 1985, p. 56.
vité (934). On observe dans la réalité sociale que telle norme a tel effet,
qu’elle est effective ou non (935). Nous nous tournerons toutefois ici essen-
tiellement vers une analyse a priori, examinant les potentialités de pro-
duction de normes effectives par les ODR. Nous n’entendons guère faire
une évaluation des normes telles qu’elles sont appliquées ; les données
empiriques pour une telle analyse font encore cruellement défaut (936). Ce
qui nous intéressera avant tout, ce sont les potentialités d’effectivité, l’éva-
luation a priori de « la capacité de la règle à orienter le comportement de
ses destinataires dans le sens souhaité » (937).
La troisième distinction ou précision qui définit notre approche tient au
fait que nous n’analyserons pas ici l’effectivité d’une norme ou même d’un
groupe de normes identifiables, mais l’effectivité d’un mode de régulation
tout entier. Il s’agit ici d’une réflexion systémique, s’intéressant à l’ensemble
du système de production juridique qui fonde le modèle de la régulation
par les ODR. En d’autres termes, nous nous demanderons si un mode de
régulation se donne les moyens d’être effectif, si le système de production
du droit se donne les moyens de mettre en œuvre ses normes (au sens de
enforcement), s’il dispose des moyens de coercition pour le faire et si ces
normes peuvent avoir une réelle influence sur le comportement des desti-
nataires en pratique. Nous analyserons donc les potentialités d’effectivité du
système de la production du droit par les ODR.
(934) C. MINCKE, « Effets, effectivité, efficience et efficacité du droit », op. cit. n. 920, p. 126.
(935) J.-F. PERRIN, Sociologie empirique du droit, op. cit. n. 917, p. 69 : « la mesure de [la] dis-
tance entre les effets réels et les effets attendus est une mission importante pour la sociologie
empirique du droit. La mise en œuvre réelle (application) du dispositif normatif est évaluée sous le
couvert des études portant sur l’effectivité. »
(936) Les seules données empiriques disponibles dans ce domaine se fondent sur des estima-
tions statistiques, faites par les fournisseurs d’ODR eux-mêmes, du respect des résultats de procé-
dures ODR par les parties. Ces estimations se basent la plupart du temps sur le nombre de
procédures judiciaires intentées après l’achèvement d’une procédure ODR – recours contre une
sentence arbitrale, rejet d’une sentence non contraignante (UDRP, par exemple) et saisine d’un
tribunal, ou action intentée contre un accord issu d’une médiation ou négociation – ou les récla-
mations déposées par les parties auprès du fournisseur d’ODR. Toutes ces estimations concluent à
un degré extrêmement haut de ce respect, à plus de 80 pour cent. Nous avions rapporté ces estima-
tions dans G. KAUFMANN-KOHLER et Th. SCHULTZ, Online Dispute Resolution : Challenges for
Contemporary Justice, La Haye, Kluwer, 2004, pp. 156, 249 et seq., 278 et seq. Par ailleurs, les
résultats des procédures sont, à l’heure actuelle, pour la très grande majorité confidentiels. Il n’est
dès lors guère possible de faire une analyse en substance a posteriori d’une régulation par les ODR.
(937) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911, p. 329.
Pour Hart, qui se concentrait comme nous ici sur le volet de l’obligatoriété
ou de l’impérativité de l’effectivité, « l’existence du droit a pour effet de
rendre la conduite humaine […] non facultative et obligatoire » (939).
L’idée d’obligation est quant à elle composée de deux éléments : les desti-
nataires des normes peuvent « avoir l’obligation » et « être obligés » (940).
Le premier élément renvoie à l’idée d’adhésion à la règle tandis que le se-
cond évoque la contrainte. Cette distinction nous permet d’introduire les
notions d’effectivité symbolique et d’effectivité instrumentale.
Quand le destinataire d’une norme juridique déclare qu’il avait l’obliga-
tion d’agir d’une certaine manière, qu’il avait l’obligation de se conformer à
la norme en question, cela implique une certaine adhésion morale ou
éthique à la règle. Celle-ci est internalisée par son destinataire, elle oriente
son comportement en dirigeant sa conscience ; elle agit sur ses représenta-
tions de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas (941). Les normes juridi-
ques ont ainsi, à des degrés variables, ce que Pierre Bourdieu appelait le
(938) Y. POULLET, « Les diverses techniques de réglementation d’Internet », op. cit. n. 913,
p. 62.
(939) H.L.A. HART, Le concept de droit, op. cit. n. 914, p. 106.
(940) Ibid., p. 107.
(941) Il s’agit ici, comme le rappellent Ost et van de Kerchove, de la vis directiva d’une norme,
comme l’avait défini le droit canonique : F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au
réseau ?, op. cit. n. 911, p. 335.
(942) P. BOURDIEU, « Les rites comme actes d’institution » in Actes de recherche en sciences socia-
les, 1982, vol. 43, p. 59 et seq.
(943) M. WEBER, Économie et société, t. 2, L’organisation et les puissances de la société dans leur
rapport avec l’économie, trad. J. Freund et al., Paris, Plon, 1995, p. 14.
(944) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911, p. 334.
(945) Voir Chapitre XII : Validité axiologique : légitimité d’une régulation par les ODR, p.
505 et seq. infra.
(946) L’auteur poursuivant en relevant qu’une telle prédiction « peut non seulement apporter de
nombreuses révélations relatives au groupe, mais elle pourrait encore l’aider à y vivre sans endurer
les conséquences désagréables qui risquent de frapper celui qui s’efforcerait de la faire en se passant
d’une telle [prédiction] » : H.L.A. HART, Le concept de droit, op. cit. n. 914, p. 114.
(947) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911, p. 335.
(948) J.-F. PERRIN, Sociologie empirique du droit, op. cit. n. 917, p. 72, nous soulignons.
(949) L’expression « modalités de contrainte » est de L. LESSIG, Code and other Laws of Cyber-
space, New York, Basic Books, 1999, p. 235 et seq., voir aussi ID., « The New Chicago School » in
J. Legal Stud., 1998, vol. 27, p. 661 et seq.
Kant écrivait que « le droit est lié à la faculté de contraindre » (951). Rudolf
von Jhering, de son côté, affirmait que « l’État, c’est la société devenue
détentrice de la force réglée et disciplinée de la contrainte [et] le droit est
l’ensemble des principes qui forment cette discipline » (952). Quand bien
même l’effectivité instrumentale ne saurait résumer à elle seule toutes les
interactions entre le droit et le réel, quand bien même la contrainte n’est ni
le seul mode opératoire du droit ni un mode opératoire de toutes les normes,
la capacité à contraindre demeure indispensable à tout ordonnancement
juridique. Il est ainsi souvent argué que l’absence de capacité à contraindre
remet en question la juridicité même d’un ordonnancement juridi-
(953) C’est ainsi que François Rigaux a pu écrire que « ce qui pourrait faire douter de la nature
juridique des ordonnancements sportifs est leur caractère apparemment non contraignant » (argu-
ment qu’il rejette par la suite en constatant l’existence de la contrainte) ou encore que
« l’appartenance à un ordre juridique dose toujours à des degrés divers adhésion et contrainte » : F.
RIGAUX, « Les situations juridiques individuelles dans un système de relativité générale » in Rec.
Cours La Haye, 1989, vol. 213, p. 66. Dans un sens comparable, M. WEBER, Économie et société, t.
2, op. cit. n. 943, p. 13 : « il faut entendre par droit objectif garanti celui dont la garantie est assurée
par l’existence d’un appareil de coercition. »
(954) F. RIGAUX, La loi des juges, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 17.
(955) Sur tout ceci, Ch. JARROSSON, « Réflexions sur l’imperium » in Études Offertes à Pierre
Bellet, Paris, Litec, 1991, p. 245 et seq., spéc. pp. 245 et 248.
(956) Ibid., p. 249, l’auteur indiquant par ailleurs, p. 247, que « dans la mesure que l’on évoque
son aspect prédominant, le pouvoir de contrainte, [l’imperium] ne peut être dissocié de l’État ».
Voir aussi R. PERROT et Ph. THÉRY, Procédures civiles d’exécution, Paris, Dalloz, 2000, p. 1, qui
relèvent que les mesures d’exécution forcée, donc de mise en œuvre de l’imperium, sont « une
pression légitime exercée en vertu d’un ordre souverain ».
(957) F. RIGAUX, Droit public et droit privé dans les relations internationales, Paris, Pedone,
1977, pp. 315 et seq., sous titre « Les actes matériels de coercition ».
(958) H. KELSEN, Théorie pure du droit, trad. Ch. Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962, p. 73. Sur
tout ceci, F. RIGAUX, « Les situations juridiques individuelles dans un système de relativité géné-
rale », op. cit. n. 953, p. 31 : « Kelsen établit une équation entre ordre juridique et droit étatique. Il
y parvient en introduisant dans sa définition du droit un élément propre à l’État moderne :
l’exercice d’une contrainte physique réglée sur l’étendue d’un territoire où l’État dispose du mono-
pole de ce type de contrainte. Cela a placé Kelsen devant une difficulté insurmontable quand il a
voulu affirmer la juridicité du droit international, ordre juridique imputable à la volonté des États.
Ne pouvant s’évader de la définition du droit trop restrictive qu’il avait posée à l’origine, un ordre
accompagné de contrainte (physique), Kelsen a trouvé refuge dans une fiction, largement démentie
par l’évolution ultérieure du droit international : la guerre et les représailles procureraient à celui-ci
un tel type de contrainte. »
(959) R. VON JHERING, L’évolution du droit, op. cit. n. 952, respectivement pp. 213, 207 et 215.
Voir aussi G. TIMSIT, Thèmes et systèmes de droit, Paris, PUF, 1986, p. 34 et seq., concluant que
« c’est donc d’un statocentrisme, définitif, intégral, qu’il s’agit chez Jhering. D’un statocentrisme
mal camouflé. À peine masqué, tout juste grimé… »
(960) F. RIGAUX, La loi des juges, op. cit. n. 954, p. 17, nous soulignons. Voir aussi ID., « Les
situations juridiques individuelles dans un système de relativité générale », op. cit. n. 953, p. 79 :
« dans toute l’étendue de son territoire l’État jouit du pouvoir exclusif de la contrainte physique »,
nous soulignons ici aussi.
(961) M. WEBER, Économie et société, t. 2, op. cit. n. 943, p. 13 et seq., spéc. p. 15 :
« actuellement, la contrainte juridique par la force est le monopole de l’État. Toutes les commu-
nautés qui exercent une contrainte juridique par la force sont considérées aujourd’hui comme
hétéronomes et aussi, le plus souvent, hétérocéphales. Mais ceci est une particularité de certains
stades de développement » et 18 et seq. sur la diversité des appareils coercitifs et des moyens de
contrainte, auxquels nous reviendrons.
(962) Voir F. RIGAUX, Droit public et droit privé dans les relations internationales, op. cit. n. 957,
p. 439, sous titre « Définition du pluralisme juridique », écrivant que « la règle de droit s’adresse à
des êtres humains vivant en société : son respect est soutenu par diverses formes de contrainte,
dont la plus irrésistible, la coercition physique, s’appuie à la maîtrise d’un territoire par le groupe
social ».
(963) Sur ce concept, Ch. JARROSSON, « Réflexions sur l’imperium », op. cit. n. 955.
d’autoexécution des décisions par les ODR, dont l’importance réside no-
tamment en cela qu’elles contribuent à permettre la formation d’ordres
juridiques autour de certaines places de marché (964).
(964) Voir Section VI. — Mécanismes d’autoexécution et ODR, p. 349 et seq. infra et Sous-
section III. — De la lex electronica aux systèmes juridiques de places de marché, p. 470 et seq.
infra.
(965) G.W.F. HEGEL, Principes de la philosophie du droit ou Droit naturel et science de l’État en
abrégé, trad. R. Derathé, Paris, Vrin, 1975, § 182, add : « la société civile est la différence qui vient
se placer entre la famille et l’État, même si sa formation est postérieure à celle de l’État, qui doit la
procéder comme une réalité indépendante, pour qu’elle puisse subsister. Du reste, la création de la
société civile appartient au monde moderne, qui seul a reconnu leur droit à toutes les détermina-
tions de l’Idée » et, sous titre « L’existence empirique de la loi », § 217 : « dans la société civile, le
droit en soi devient la loi ».
diques en dehors de l’État (966). C’est que si le droit est lié à la contrainte,
si la présence de la contrainte semble être un élément nécessaire à la cons-
titution du droit (ce qui ne signifie pas, comme le rappelait par exemple
Santi Romano, que toute norme doit être assortie d’un mécanisme de sanc-
tion et de contrainte pour être juridique (967)), il existe d’autres formes de
contrainte que la contrainte physique et monopolisée par l’État. C’est ainsi
que François Rigaux a pu affirmer que « sans approfondir l’épineuse ques-
tion de la définition du droit, il est permis de faire observer que si une telle
définition ne devait retenir qu’un système réglé de coercition physique, le
droit international resterait en deçà du seuil de la juridicité » (968).
C’est en partant de la reconnaissance de la pertinence juridique d’autres
moyens de contrainte que la force physique et d’autres appareils coercitifs
que celui de l’État que Max Weber a développé sa théorie de la concur-
rence d’ordonnancements juridiques selon l’effectivité instrumentale de ces
appareils coercitifs (969). Max Weber considère donc que « l’appareil de
coercition peut prendre des formes très diverses », ayant recours à des
(966) Sur tout ceci, F. RIGAUX, « Les situations juridiques individuelles dans un système de
relativité générale », op. cit. n. 953, p. 31, relevant notamment l’opposition entre Hegel et Aristote,
pour qui l’homme, animal purement politique, « est par nature un être destiné à vivre en cité »
(citant ARISTOTE, La politique, Paris, « Les belles lettres », 1968, t. I, p. 14).
(967) S. ROMANO, L’ordre juridique, trad. L. François et P. Gothot, Paris, Dalloz, 1975,
p. 15 : « on peut considérer de manière analogue l’autre élément dit formel du droit, à savoir sa
sanction, qui en serait même, aux dires de certains, le seul élément formel caractéristique […] Ne
doit-on pas au contraire, comme nous le pensons, se contenter d’une simple garantie, directe ou
indirecte, médiate ou immédiate, préventive ou répressive, assurée ou seulement probable et,
partant, incertaine, mais toujours, en un sens, préétablie et organisée au sein même de l’ordre
juridique ? Ce qu’il faut relever, c’est que, lorsqu’on croit que le droit est norme assortie de sanc-
tion, dans un sens ou dans un autre, cela ne peut signifier, contrairement à ce qui semble être reçu,
que le droit soit fait de normes flanquées chacune d’une norme portant sanction. »
(968) F. RIGAUX, La loi des juges, op. cit. n. 954, p. 19. Voir aussi, dans un sens proche mais
avec une approche différente, F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op.
cit. n. 911, p. 222 : « la sanction d’une règle de droit ne se réduit pas à l’institution de sanctions
proprement juridiques, mais s’appuie pour une très large part, et parfois exclusivement, sur des
sanctions de nature morale, sociale, religieuse, voire physique ou naturelle. »
(969) Sur la pertinence juridique des moyens de contrainte autres que physiques, Max Weber
s’exprime en ces termes : « nous repoussons évidemment le point de vue selon lequel on ne peut
parler de droit que là où existe une perspective de contrainte juridique garantie par le pouvoir
politique. Du point de vue pratique, nous n’avons aucune raison pour cela. Au contraire, nous
parlerons d’ordre juridique partout où il faut compter avec l’emploi de moyens de coercition quel-
conques, physiques ou psychiques, et où cet emploi est entre les mains d’un appareil de coerci-
tion » : M. WEBER, Économie et société, t. 2, op. cit. n. 943, p. 19.
« moyens de coercition non violents qui agissent avec une puissance égale,
voire, selon le cas, supérieure à celle des moyens de force », c’est-à-dire
qu’ils exercent une « action beaucoup plus sûre que l’appareil de coercition
politique ». L’auteur qualifie ces formes de coercition de « moyens de
contrainte dont disposent des groupements d’intérêts » et les illustre no-
tamment par l’exclusion d’une société ou d’une communauté, ou encore par
les « listes noires ». Weber reconnaît ensuite qu’ils peuvent bien évidem-
ment « s’étendre à des prétentions qui ne sont aucunement garanties par
l’État », formant ainsi des ordonnancements juridiques « partout où il faut
compter avec l’emploi de moyens de coercition quelconques ». Il constate
finalement, en sociologue, une ostensible « lutte entre les moyens de coer-
cition de sociétés diverses ». Cette lutte est « aussi ancienne que le droit » et
dans celle-ci « la contrainte juridique par la force qu’exercent les appareils
de coercition de la communauté politique a très souvent eu le dessous
quand elle s’est trouvée en face des moyens de coercition d’autres pouvoirs »
devant lesquels « l’État, dans une certaine mesure, a baissé pavillon » (970).
C’est dans le même sens que François Rigaux, dans le domaine du sport,
a écrit que « ce qui pourrait faire douter de la nature juridique des ordon-
nancements sportifs est leur caractère apparemment non contraignant
[puisque] les autorités sportives sont privées du pouvoir de contrainte phy-
sique sur un territoire déterminé » ; toutefois cette objection n’est pas per-
tinente, poursuit-il, parce que « la force de coercition des ordres juridiques
sportifs […] prend la forme de l’exclusion (analogue à l’excommunication
du droit canonique), laquelle est souvent plus efficace que les actes maté-
riels de contrainte physique appliqués par l’État sur son territoire, mais
dont la force s’éteint au-delà de ses frontières ». Dans cette perspective « la
peine de l’exclusion est la plus redoutable qui soit » (971).
D’autres auteurs relèvent que même au sein du droit étatique, où la
contrainte physique est disponible, elle n’est pas toujours perçue comme
étant la plus effective. Parfois, par exemple, les « juges préfèrent utiliser des
moyens de contrainte indirects comme l’astreinte » (972).
L’idée est donc ici que les divers ordonnancements normatifs qui cher-
chent à s’appliquer à une même situation de fait peuvent entrer en concur-
rence. L’effectivité de l’appareil coercitif constitue l’un des facteurs
déterminants dans cette course à la régulation. Il contribue à permettre à
un ordonnancement juridique plutôt qu’un autre de remporter cette com-
pétition et donc de déterminer le comportement des destinataires. Or,
l’effectivité de l’appareil coercitif dépend notamment de la forme de
contrainte exercée.
Nouveaux pouvoirs. Mélanges en l’honneur de Roger Perrot, Paris, Dalloz, 1996, p. 477 et seq., spéc.
pp. 482–484.
(973) F. RIGAUX, « Les situations juridiques individuelles dans un système de relativité géné-
rale », op. cit. n. 953, pp. 46–48.
distant de la personne lésée. Cela a pour effet que les internautes sont sou-
vent dépourvus de la protection des États. Dans ces situations, le recours
aux ODR constitue le seul accès rationnel à la justice, comme nous avons
pu en conclure plus haut (976). Les organismes de règlement des différends
en ligne en deviennent non seulement des lieux centraux de la résolution
des litiges, mais aussi de l’élaboration normative (977). Ainsi émerge
l’hypothèse que, par le jeu de la concurrence des appareils coercitifs, l’effec-
tivité instrumentale des mécanismes de résolution des litiges en ligne peut
bénéficier de la place laissée libre par l’ineffectivité du droit étatique dans
ces situations.
(976) Voir Chapitre VII : La résolution des litiges en ligne comme accès à la justice, p. 251 et
seq. supra.
(977) E.G. THORNBURG, « Going private : Technology, Due Process, and Internet Dispute
Resolution » in U.C. Davis L. Rev., 2000, vol. 34, p. 151 et seq., spéc. p. 154 : « by eliminating the
courts as the arbiters of disputes, these processes decrease the power of government to shape and
enforce substantive law. The ‘law’ becomes what is specified in the contract or programmed in to
the software, and courts lose the ability to enforce mandatory rules and to subject contractual ‘law’
to the needs of public policy. »
(978) Nous avions pu tenter une première application de l’idée de la création du droit grâce à
l’effectivité conférée par le contrôle des ressources dans Th. SCHULTZ, « Online dispute resolution
(ODR) : résolution des litiges et ius numericum » in RIEJ, vol. 48, p. 153 et seq., spéc., pp. 195–
202.
(979) Ce courant avait été présenté sous Sous-section I. — Le cyberespace comme espace
géographiquement distinct, p. 23 et seq supra.
(980) L’exemple, ainsi que le concept de contrôle des ressources, est emprunté à T.L.
ANDERSON et J.B. GREWELL, « Property Rights Solutions for the Global Commons : Bottom-
Up or Top-Down ? » in Duke Envtl. L. & Pol’y F., 1999, vol. 10, p. 73 et seq., spéc. pp. 77-83.
arrivants par les armes. Ainsi était garantie l’effectivité (purement instru-
mentale) des droits de propriété : par la contrainte économique ou physi-
que, rendue possible grâce au contrôle des ressources, c’est-à-dire les
pâturages et le bétail (981).
On peut remarquer un raisonnement très proche chez François Rigaux,
dans son analyse de l’effectivité d’ordonnancements juridiques non étati-
ques. Il écrit ainsi que « la maîtrise exercée sur [certains secteurs de
l’activité humaine] par une organisation privée s’explique par son exclusi-
vité. Celui qui veut faire courir ses chevaux sur les hippodromes régis par le
Jockey Club doit se soumettre aux conditions qui lui sont imposées […]
Aucun sportif ne peut participer aux Jeux olympiques s’il […] ne satisfait
aux critères prévus par l’organisation ». Ayant ainsi observé l’effectivité
instrumentale de ces ordonnancements, il relève que le facteur qui rend
cette effectivité possible est le contrôle de ce que nous appellerons la res-
source qui intéresse les destinataires de l’ordonnancement juridique : l’accès
aux compétitions. L’auteur en conclut que « l’existence d’un monopole de
fait [c’est-à-dire le monopole du contrôle de l’accès aux compétitions] in-
troduit l’élément de coercition qui contribue à leur signification juridi-
que » (982).
Comme l’écrit Gabrielle Kaufmann-Kohler pour le cyberespace, si « la
mainmise de fait par des particuliers sur certaines ressources n’est pas un
phénomène nouveau », elle « est toutefois plus marquée » dans le contexte
du cyberespace, « vu les caractéristiques de l’inter-réseau » (983). On peut
aussi observer, avec Henry Perritt, l’un des précurseurs théorisant la régula-
tion du cyberespace, que les spécificités du cyberespace et le contrôle de
ressources permettent la création d’ordonnancements juridiques non étati-
ques dans au moins trois situations. Celles-ci sont, par ordre croissant de
l’étendue du contrôle de ressources : la liberté d’expression, contrôlée par
les fournisseurs d’accès ; la régulation du spamming, par la liste noire RBL
(981) Notons par ailleurs que l’armée fédérale, quelques années plus tard, imposa son contrôle
sur ces terres. Ce contrôle fut exercé conformément aux droits établis par entente entre les éleveurs
originaires. Les États-Unis, par l’armée fédérale, avaient de la sorte cautionné ce droit d’origine
privée.
(982) F. RIGAUX, « Les situations juridiques individuelles dans un système de relativité géné-
rale », op. cit. n. 953, p. 67.
(983) G. KAUFMANN-KOHLER, « Commerce électronique : droit applicable et résolution des
litiges » in Rec. Cours La Haye, à paraître.
Les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) peuvent prévoir, dans les condi-
tions générales des contrats les liant aux particuliers désireux d’obtenir un
accès à Internet, certaines restrictions quant aux informations mises en
ligne par les internautes. Si ces conditions ne sont pas respectées, les FAI
ont le pouvoir d’interdire et de rendre impossible toute nouvelle connexion
à Internet par leurs serveurs. Ainsi, ils peuvent réguler, en partie, la liberté
d’expression des personnes utilisant leurs services. La ressource contrôlée
est ici l’accès au forum de l’expression publique et privée que constitue In-
ternet. Toutefois, pour patent que soit cet exemple, il demeure celui qui a
le moins d’impact en pratique. D’un côté, les FAI ne peuvent pas, en prati-
que, contrôler tout le flux d’information des utilisateurs vers Internet et
refusent donc systématiquement de le faire. De l’autre côté, la concurrence
entre FAI est relativement développée, ce qui conduit à un dumping des
restrictions imposées à l’utilisateur (on pourrait parler ici, en analogie avec
le forum shopping, du « FAI shopping ») (985).
La régulation du spamming par MAPS nous amène vers un degré plus
élevé d’effectivité. MAPS, cette société privée californienne active dans la
lutte anti-spam, que nous avons déjà rencontrée (986), filtre tous les cour-
riers électroniques adressés à ses clients. Si l’adresse IP d’un expéditeur
correspond à l’une des adresses figurant sur sa « real-time blackhole list », ses
courriers sont interceptés et détruits. Les règles définissant le spamming et
posant les conditions pour qu’un expéditeur soit placé sur la liste sont
(984) H.H. PERRITT, « Towards a hybrid regulatory scheme for the Internet » in U. Chi. Legal
F., 2001, p. 215 et seq., spéc. p. 238 et seq.
(985) Sur la régulation du cyberespace par les FAI, tout à fait limitée en pratique, voir par
exemple Ch. REED, Internet Law, 2ème éd., Cambridge, Cambridge Univ. Press, 2004, pp. 89–139
et H.H. PERRITT, « Jurisdiction in Cyberspace : The Role of Intermediaries » in Borders in Cyber-
space. Information Policy and the Global Information Infrastructure, s. dir. B. Kahin et Ch. Nesson,
Cambridge, Mass., MIT Press, 1997, p. 164 et seq.
(986) Voir Sous-section III. — Des codes de conduite pour la prévisibilité de la justice, p. 240
et seq. supra.
(987) Pour une description plus approfondie des activités de MAPS, on se référera notamment
à H.H. PERRITT, « Towards a hybrid regulatory scheme for the Internet », op. cit. n. 984, p. 244 et
seq.
(988) Sur l’effectivité de cet ordonnancement juridique et la question de savoir si l’effectivité de
cette forme de régulation peut contrebalancer son absence de fondement démocratique (ou autre-
ment consensuelle) : S.A. KELIN, « State Regulation of Unsolicited Commercial E-Mail » in
Berkeley Tech. L.J., 2001, vol. 16, p. 435 et seq., spéc. p. 440 et seq., D.G. POST, « Of Black Holes
and Decentralized Law-Making in Cyberspace » in Vand. J. Ent. L. & Prac., 2000, vol. 2, p. 70 et
seq., spéc. p. 74 et D.E. SORKIN, « Technical and Legal Approaches to Unsolicited Electronic
Mail » in U.S.F. L. Rev., 2001, vol. 35, p. 325 et seq.
(989) A.R. STEIN, « Frontiers of Jurisdiction : From Isolation to Connectedness » in U. Chi.
Legal F., 2000, p. 373 et seq., spéc. p. 402 (trad. par l’auteur).
(990) En juillet 2000, Harris Interactive porta une action contre MAPS devant le tribunal du
district Ouest de New York. Elle fut retirée le 13 septembre 2000 : <www.harrisinteractive.com/-
news/index.asp?NewsID=145&HI_election=All>. Harris Interactive resta sur la liste noire jusqu’au
22 août 2001, date à laquelle elle modifia son système d’opt-in, se conformant ainsi aux exigences
de MAPS : <news.com.com/2100-1023-272039.html?legacy=cent>.
Durant ce même mois de juillet, MAPS menaça de placer les courriers électroniques émanant
de l’entreprise YesMail.com sur sa liste noire si elle n’adoptait pas un système de double opt-in
pour ses courriers publicitaires. Le tribunal du district nord de l’Illinois accorda, le 13 juillet 2000,
des mesures provisionnelles à YesMail.com, interdisant à MAPS de le placer sur sa liste. Les
parties transigèrent quelque temps plus tard, YesMail.com ayant consenti à modifier ses pratiques
d’envoi de courriers électroniques publicitaires : S.-A. KELIN, « State Regulation of Unsolicited
Commercial E-mail », op. cit. n. 988, p. 442.
En décembre 2000, Media3 demanda des mesures provisionnelles devant le tribunal de
district du Massachusetts. Elles furent refusées. Les parties transigèrent quelques mois après :
Media3 Techs., LLC c. Mail Abuse Prevention System, LLC, 2001 U.S. Dist. LEXIS 1310 (D.
Mass., 2001) et <mail-abuse.org/pressreleases/2001-08-30.html>.
Fin 2000, la société Black Ice introduisit une action devant le tribunal supérieur du comté de
Santa Clara. L’affaire n’est toujours pas tranchée : Mail Abuse Prevention c. Black Ice Software, aff.
o
n 1-00-CV-788630, Superior Court of California, County of Santa Clara.
En novembre 2001, la société Exactis.com engagea une action contre MAPS devant le tribunal
de district de Denver. Le tribunal accorda à Exactis.com des mesures provisionnelles ordonnant à
MAPS de supprimer la demanderesse de sa liste noire. Peu après, les parties transigèrent : <www.-
adlawbyrequest.com/inthecourts/MAPS101501.shtml>.
(991) En ce sens L. LESSIG, « The Law of the Horse : What Cyberlaw Might Teach » in
Harv. L. Rev., 1999, vol. 113, p. 501 et seq., spéc. p. 546.
(992) En anglais Generic Top Level Domains (gTLDs). Les noms de domaine génériques
étaient à l’origine ceux ayant un suffixe en <.com>, <.org> ou <.net>. L’ICANN a ensuite progres-
sivement introduit de nouvelles extensions, qui sont à l’heure actuelle <.biz>, <.info>, <.name>,
<.aero>, <.coop>, <.museum> et <.pro>. Cela représente la plupart des noms de domaine à l’échelle
mondiale, les seuls sites au suffixe <.com> représentant environ 45 pour cent des sites mondiaux.
Voir aussi B. — Un système juridique pour les noms de domaine : l’ICANN et l’UDRP, p. 481
et seq. infra.
contrôle l’accès des internautes aux sites ayant un nom de domaine se ter-
minant par l’un des suffixes mentionnés : sans conversion, l’accès au site est
en effet quasiment impossible (996). Vu dans la perspective inverse, l’accès
des sites web au réseau des interconnections qui engendrent Internet dé-
pend lui aussi des conversions de cette base de données. L’ICANN
contrôle ainsi la ressource nécessaire à l’activité d’un site web lié à un nom
de domaine générique (997). Notons par ailleurs que le routage et l’ache-
minement des courriers électroniques rattachés à ces sites web s’opèrent eux
aussi en fonction de la même base de données.
L’application du règlement UDRP par les institutions de résolution en
ligne accréditées par l’ICANN vient parfaire l’effectivité instrumentale de
l’ordonnancement juridique constitué par la régulation des noms de do-
maine par cet organisme. Quand bien même les décisions de ces institu-
tions n’ont pas de force juridiquement contraignante, elles disposent d’une
certaine force économiquement contraignante ; la procédure UDRP peut
être engagée à moindres frais, tandis qu’un recours ou une procédure pa-
rallèle devant les tribunaux s’avère souvent trop coûteux en comparaison
avec l’intérêt économique que présente un nom de domaine. Il s’ensuit une
distanciation et une autonomie accrue de cet ordonnancement juridique par
rapport aux ordres juridiques étatiques. Si l’institution de règlement décide
d’ordonner le transfert du nom de domaine au demandeur titulaire d’un
droit de marque, le défendeur n’aura souvent pas d’autre choix économique
2003, art. 7, l’auteur concluant qu’aucune réforme réelle ne peut être réalisée pour faire face aux
nombreux dysfonctionnements de l’ICANN sans mettre fin au monopole du contrôle de cette base
de données. Voir aussi G. KAUFMANN-KOHLER, « Commerce électronique : droit applicable et
résolution des litiges », op. cit. n. 983, l’auteur relevant par ailleurs que « l’on peut certes affirmer
que la position d’ICANN et des registrars de noms de domaine résulte de l’accord conclu avec le
Département du commerce des États-Unis. En réalité, elle dérive tout autant du contrôle de fait
exercé par l’ICANN sur la banque de données qui traduit les noms de domaine en adresses IP. »
(996) Il est toutefois possible de contourner tout ce système d’aiguillage par noms de domaine
en utilisant directement l’adresse IP d’un site donné, mais, comme il s’agit d’une suite de chiffres,
la symbolique de la référence en disparaît presque totalement et seul un nombre très limité
d’internautes sont disposés à surfer sur Internet en n’utilisant que l’adresse IP. Il ne semble par
contre pas possible de convertir des noms de domaine en adresse IP sans avoir recours aux banques
de données centralisées (donc à l’ICANN pour les sites <.com>, <.org> et <.net>). Au surplus,
l’ICANN est seule compétente (juridiquement et matériellement) pour la création de nouveaux
suffixes. De temps en temps, des mécanismes de contournement de l’ICANN sont tentés, et
échouent.
(997) Voir de manière générale A.M. FROOMKIN, « Wrong Turn in Cyberspace », op. cit. n.
995.
que de se plier à la décision (998). Il s’agit ici de l’une des formes les plus
complètes de l’établissement de l’effectivité instrumentale grâce au contrôle
des ressources.
En ce qui concerne les certificats électroniques, leur importance pour
l’effectivité du droit qui y est rattachée – les codes de conduite – découle de
leur qualité de promoteur de la confiance des internautes dans les sites
commerciaux certifiés. Cette confiance des utilisateurs d’Internet est ac-
tuellement faible et difficile à susciter (999). Cela est notamment dû au fait
que la mise en présence de personnes physiques, qui est encore la règle dans
la plupart des échanges et qui donne normalement accès à des éléments
objectifs d’évaluation du partenaire, disparaît avec les technologies actuelles
de l’information. Ceci facilite la création d’illusions et engendre le besoin
de nouveaux repères pour les clients des sites commerciaux (1000). Or, il
semble que les certificats puissent constituer de tels repères, et la certifica-
tion un bon outil pour instaurer ou susciter la confiance en des sites com-
merciaux. C’est en tout cas à cette conclusion que conduit une étude socio-
logique de BBBOnline, selon laquelle 84 pour cent des internautes s’esti-
meraient rassurés par une certification (1001). C’est sur cette idée que s’est
fondé le gouvernement canadien – après avoir isolé la confiance comme
(998) En ce sens, E.G. THORNBURG, « Going private : Technology, Due Process, and Inter-
net Dispute Resolution », op. cit. n. 977, p. 197 : « si le titulaire du nom de domaine a perdu la
procédure ICANN et qu’il ne peut financer [une action judiciaire], le nom de domaine est perdu »
(trad. par l’auteur).
(999) Voir Chapitre VI : La confiance dans le commerce électronique, p. 195 et seq. supra.
(1000) En ce sens B. Brun, analysant l’enjeu de la certification électronique pour le commerce
électronique, remarque que : « [c]e manque de confiance constitue à ce jour le principal obstacle au
développement du commerce électronique avec les particuliers. En effet, comment savoir si
l’entreprise existe, quelle juridiction est applicable, quelles sont ses politiques concernant la sécurité
ou la gestion des renseignements personnels, quelles sont ses pratiques commerciales, bref, quelle
sera la situation si une difficulté se présente dans le cadre de la transaction ? » : B. BRUN, « Nature
et impacts juridiques de la certification dans le commerce électronique sur Internet » in Lex Elec-
tronica, vol. 7, n°1, été 2001, <www.lex-electronica.org/articles/v7-1/brun.htm>. Sur la difficulté
en général d’établir la confiance en matière de commerce électronique, voir D. KOSUR, Under-
standing Electronic Commerce, Redmond (USA), Microsoft Press, 1997.
(1001) Étude rapportée par T. TROMPETTE, « Une nouvelle mission : la certification des sites
Web de commerce électronique » in Les Cahiers de l’Audit, 1999, vol. 4, p. 34 et seq. Dans le même
ordre d’idées, une étude qualitative a indiqué qu’un élément central pour l’établissement de la
confiance des Internautes est la présence sur le site commercial d’une marque reconnue : Cheskin
Research et Studio Archetype/Sapient, « Commerce Trust Study », janvier 1999, <www.-
studioarchetype.com/cheskin>. Voir aussi Sous-section II. — ODR, labels et confiance dans le
commerce électronique, p. 208 et seq. supra.
Avant de nous pencher sur les divers instruments de coercition et les di-
verses modalités de contrainte dans le cyberespace et en rapport avec les
ODR, il est utile de faire un rapide retour en arrière sur les points acquis,
afin de mettre en perspective l’analyse qui suivra. La contrainte physique
n’est pas la seule contrainte pertinente au regard de l’effectivité instru-
mentale, avons-nous dit tout d’abord (1007). François Rigaux, par exem-
ple, relevait que ce n’est pas parce que « les autorités sportives sont privées
du pouvoir de contrainte physique » qu’elles ne peuvent être productrices
de normes juridiques effectives. Elles ont à leur disposition la possibilité de
l’exclusion, qui est « la force de coercition des ordres juridiques sportifs,
[…] laquelle est souvent plus efficace que les actes matériels de contrainte
physique » (1008). Ensuite, nous avons abordé la problématique de la
concurrence des ordonnancements juridiques selon la capacité de
contrainte de leurs appareils coercitifs respectifs. À ce sujet, Max Weber
notait que « ce genre de contrainte [non physique] peut s’étendre à des
prétentions qui ne sont aucunement garanties par l’État » et qu’il s’ensuit
une « lutte entre les moyens de coercition […] aussi ancienne que le
droit » (1009). Finalement, nous avons affirmé que l’efficacité d’un appareil
de coercition et l’effectivité instrumentale d’un ordonnancement juridique
dépendent essentiellement du contrôle des ressources qui intéressent les
destinataires des normes. Nous nous proposons maintenant d’établir une
typologie illustrative de ces autres modalités de contrainte permettant la
concurrence des appareils coercitifs ; l’intérêt de leur étude réside en cela
qu’elles peuvent être utilisées par les institutions d’ODR pour assurer
l’effectivité instrumentale de leur production normative.
Selon Lawrence Lessig, l’un des penseurs les plus fertiles de la régulation
du cyberespace, il existe à tout le moins quatre modalités principales de
contrainte juridique : physique, sociale, économique et architectu-
(1007) Voir Section III. — Concurrence des appareils coercitifs, p. 317 et seq. supra.
(1008) F. RIGAUX, « Les situations juridiques individuelles dans un système de relativité géné-
rale », op. cit. n. 953, p. 66.
(1009) M. WEBER, Économie et société, t. 2, op. cit. n. 943, pp. 20–21.
(1010) L. LESSIG, Code and other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 949, pp. 85 et seq. et 235 et seq.
et ID., « The New Chicago School », op. cit. n. 949.
(1011) Dans un sens proche, voir aussi M. COIPEL, « Quelques réflexions sur le droit et ses
rapports avec d’autres régulations de la vie sociale » in Gouvernance de la société de l’information. Loi
– Autoréglementation – Éthique, s. dir. J. Berleur, C. Lazaro et R. Queck, Bruxelles, Bruylant, 2002,
p. 43 et seq., spéc. pp. 57–58 : « l’identité de prescription [des normes juridiques et des autres
normes] renforce l’impératif juridique en lui conférant un surcroît de légitimité et d’adhésion au
sein du corps social. Ensuite, les régulations non juridiques ont leurs sanctions propres, parfois
redoutables, et la crainte de celles-ci contribue au respect de la prescription relative au comporte-
ment. »
(1012) Voir surtout Sous-section I. — L’appareil coercitif étatique et la contrainte physique,
p. 318 et seq. supra.
(1013) L. LESSIG, « The New Chicago School », op. cit. n. 949, p. 662 : « [norms] constrain
because of the enforcement of a community ».
(1014) ID., Code and other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 949, p. 235 : « by social norms, I mean
those normative constraints imposed not through the organized or centralized actions of a state,
but through the many slight and sometimes forceful sanctions that members of a community
impose on each other […] A norms governs socially salient behavior, deviation from which makes
you socially abnormal. »
(1015) Sur le renforcement et l’affaiblissement des communautés et leur effet sur l’effectivité
des normes sociales, voir E.A. POSNER, « The Regulation of Groups : The Influence of Legal and
Nonlegal Sanctions on Collective Action » in U. Chi. L. Rev., 1996, vol. 63, p. 133 et seq. et ID.,
Law and Social Norms, Cambridge, Mass., Harvard Univ. Press, 2000, p. 219 et seq., l’auteur
relevant que l’État a plus souvent cherché l’affaiblissement, plutôt que le renforcement, des com-
munautés, afin de remplacer les normes sociales par des normes juridiques.
(1016) L. LESSIG, Code and other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 949, p. 87 et ID., « The New
Chicago School », op. cit. n. 949, p. 667.
(1017) Le flaming est l’envoi massif de longs messages, en principe hostiles, dans le but de ren-
dre une boîte de courrier électronique inutilisable.
(1018) Voir Section I. — La perte des repères, p. 198 et seq. supra.
(1019) Pour une première approche et un aperçu très général de cette problématique, voir R.
SALI, « ODR : la risoluzione online delle controversie » in Commercio elettronico, autodisciplina e
risoluzione extragiudiziale delle controversie, s. dir. S. Azzali et A. Zoppini, Milan, IPSOA, 2004,
p. 71 et seq., spéc. p. 78 : « Internet è il contesto più allargato che ci sia, ma è un ambiente e
nell’ambiente funziona la giustizia corporativa dei partecipanti : se sei corretto e risolvi i contenziosi
secondo le regole deontologiche dell’ambiente ne continui a far parte, altrimenti ne vieni espulso. I
marketplaces, da questo punto di vista, non sono altro che la continuazione storica delle curie dei
mercanti. »
(1020) Voir Sous-section I. — Autoexécution indirecte : incitation, p. 353 et seq. infra.
(1021) E.A. POSNER, Law and Social Norms, op. cit. n. 1015, p. 221 : « to minimize the influ-
ence of nonlegal enforcement of such norms, the state protects privacy, which deprives the crowd
of the information it needs to inflict sanctions » et ID., « Symbols, signals, and social norms in
politics and the law » in J. Legal Stud., 1998, vol. 27, p. 765 et seq.
(1022) Voir L. LESSIG, « What Things Regulate Speech : CDA 2.0 vs. Filtering » in Jurimet-
rics J., 1998, vol. 38, p. 629 et seq., spéc. pp. 629–630.
(1023) Voir Section I. — La perte des repères, p. 198 et seq. supra.
(1024) Voir Sous-section II. — ODR, labels et confiance dans le commerce électronique,
p. 208 et seq. supra et Section III. — Reformer des communautés de confiance, p. 211 et seq.
supra.
(1025) Voir par exemple Transatlantic Consumer Dialogue (TACD), « Alternative Dispute
Resolution in the Context of Electronic Commerce », Ecom-12-00, février 2000, <www.tacd.org/-
db_files/files/files-82-filetag.pdf>, p. 3 et Bureau européen des consommateurs (BEUC),
« Alternative Dispute Resolution – BEUC’s Position on the Commission’s Green Paper »,
BEUC/X/048/2002, 21 novembre 2002, <www.beuc.org>by topic>access to justice>Topics
ADR>, p. 10.
Mais le marché peut aussi être lui-même instrumentalisé par le droit afin
de mettre en œuvre des normes juridiques ou, à une échelle plus large, des
politiques législatives : l’effectivité instrumentale du droit peut être assurée
par le jeu des mécanismes économiques du marché pertinent. Les lois du
marché constituent une contrainte qui s’exerce sur tous les acteurs écono-
miques. Quand l’État intervient dans un marché, il modifie ces lois et en
conséquence altère la contrainte s’exerçant sur les acteurs, qui constituent
par ailleurs les destinataires indirects ou finaux de la norme. Le droit régule
le comportement de ses destinataires par le biais de la contrainte économi-
que.
Cette approche, quelque fois qualifiée de « nouvelle école de Chicago »,
se nourrit du courant Law and economics, c’est-à-dire de l’analyse économi-
que du droit telle qu’elle a notamment été développée par Richard Posner,
l’un des chefs de file de la « vieille école de Chicago » (1026). L’analyse
économique du droit connaît traditionnellement trois centres d’intérêts.
Tout d’abord, elle vise à expliquer, en mobilisant les enseignements de la
science économique, les comportements des destinataires de normes juridi-
ques par rapport à celles-ci – notamment l’obéissance et la désobéissance
vis-à-vis de la norme. Ce courant s’est d’abord attaqué aux domaines expli-
citement économiques (tels que le droit de la concurrence ou le droit fiscal)
puis, depuis Calabresi (1027) et Coase (1028), à tous les domaines de la vie
juridique (du droit des obligations au droit judiciaire, en passant par le
droit administratif et le droit de la propriété) (1029). Ensuite, l’analyse
économique du droit s’intéresse, avec l’émergence des pratiques d’éva-
luation législative, à l’efficience des solutions juridiques retenues ; l’analyse
porte ici sur les coûts engagés pour atteindre le but visé par une norme :
moins une solution juridique engendre de coûts pour atteindre le but visé,
(1026) Sur les écoles de Chicago, L. LESSIG, « The New Chicago School », op. cit. n. 949. Sur
le courant Law and economics en général, voir R.A. POSNER, Economic Analysis of Law, 3ème éd.,
Boston, Little Brown, 1986 et ID., The Economic Structure of the Law. The Collected Economic Essays
of Richard A. Posner, éd. par F. Parisi, Cheltenham, Elgar, 2000.
(1027) G. CALABRESI, « Some Thoughts on Risk Distribution and the Law of Torts » in Yale
L.J., 1961, vol. 80, p. 499 et seq.
(1028) R.H. COASE, « The Problem of Social Cost » in J.L. & Econ., 1960, vol. 3, p. 1 et seq.
(1029) Sur cet aspect du courant Law and economics, R.A. POSNER, Economic Analysis of Law,
op. cit. n. 1026, p. 19.
(1030) L. UUSITALO, « Efficiency and legitimation : criteria for the evaluation of norms » in
Ratio iuris, 1989, p. 194 et seq.
(1031) Cet argument étant extrêmement courant, on ne fera référence ici qu’à sa place dans la
continuité du mouvement en général et de l’école de Chicago en particulier : G.S. CRESPI, « Does
the Chicago School Need to Expand Its Curriculum ? » in Law & Soc. Inquiry, 1997, vol. 22,
p. 149 et seq. et L. LESSIG, « The New Chicago School », op. cit. n. 949, p. 674.
(1032) Sur l’analyse économique du droit et le débat entre les tenants de l’autorégulation et de
la réglementation étatique, voir I. AYRES et J. BRAITHWAITE, Responsive regulation : transcending
the deregulation debate, New York, Oxford Univ. Press, 1992, plus spéc., pp. 1-4 ; plus spécifique-
ment sur le droit de l’environnement et la protection par les forces du marché de valeurs non
économiques, voir E.D. ELLIOTT, « Recipe for Industrial Policy : Blending Environmentalism
and International Competitiveness » in Can.–U.S. L.J., 1993, vol. 19, p. 303 et seq., plus spéc.
p. 313 ; à propos de l’analyse économique du droit appliquée au droit de l’environnement, et no-
tamment des bons de pollution, de véritables droits à la pollution cessibles d’une entreprise à une
autre dans une même zone géographique, voir T. TIETENBERG, Environmental and Natural
Resource Economics, 6ème éd., Boston, Addison-Wesley, 2003. Pour une intégration de ces travaux
dans l’évolution de l’analyse économique du droit et dans la question générale de l’ingénierie so-
ciale, voir L. LESSIG, « The New Chicago School », op. cit. n. 949, pp. 673–674.
(1033) Y. POULLET, « Les diverses techniques de réglementation d’Internet », op. cit. n. 913,
p. 589, abordant les pratiques de certification, qui sont des labels de qualité visant à assurer à leurs
bénéficiaires un avantage économique ; Poullet conclut ainsi que « la certification présente une
solution qui peut être complémentaire soit à une source normative étatique, soit à l’autorégulation,
dans la mesure où elle se référera soit à une loi, soit à un code de bonne conduite ».
(1034) La légistique (science de la législation) nous enseigne un nombre important
d’instruments financiers incitatifs. Parmi ceux-ci, l’on mentionnera les subventions, les avantages
fiscaux, l’octroi ou la facilitation de crédit, les taxes d’orientation, les marchés artificiels (par exem-
ple la création de bons de pollution, voir n. 1032 supra), les labels de qualité attribués par l’État
(soit un instrument indirect améliorant la position économique du bénéficiaire, créant ainsi une
incitation à obtenir le label et donc à se conformer à la loi) : J.-D. DELLEY, « Penser la loi. Intro-
duction à une démarche méthodique » in Légistique formelle et matérielle, s. dir. Ch.-A. Morand,
Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 1999, p. 81 et seq., spéc. pp. 104–106.
Voir aussi Ch.-A. MORAND, « Éléments de légistique formelle et matérielle » in ibid., p. 17 et seq.
(1035) L. LESSIG, Code and other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 949, p. 87.
(1036) Cette forme de régulation s’inscrit dans l’idée plus générale que le contrat peut consti-
tuer à la fois un objet de régulation (régulation immédiate par l’État) et un instrument de régula-
tion (régulation médiate à travers le contrat) : M.A. FRISON-ROCHE, « Le contrat et la
responsabilité : consentement, pouvoirs et régulation économique » in RTD civ., 1998, p. 43 et
seq.
(1037) C. SCOTT, « Private Regulation of the Public Sector : A Neglected Facet of Contem-
porary Governance » in J. Law & Soc., 2002, vol. 29, p. 56 et seq., spéc. pp. 64–65 :
« l’accréditation renforce la régulation publique du secteur privé plus qu’elle n’agit comme une
forme privée de régulation » (trad. par l’auteur) et C.C. HAVIGHURST, « The place of private
accrediting among the instruments of government », op. cit n. 1006, p. 3.
(1038) Sur l’idée que les contrats de certification participent à la régulation du cyberespace, voir
S. PARISIEN et P. TRUDEL, L’identification et la certification dans le commerce électronique, op. cit n.
1006, P. TRUDEL et al., Droit du Cyberespace, op. cit. n. 1003, p. 3/34 et O. CACHARD, La régula-
tion internationale du marché électronique, Paris, LGDJ, 2002, pp. 271–322.
(1039) L. LESSIG, « Law Regulating Code Regulating Law » in Loy. U. Chi. L.J., vol. 35,
2003, p. 1 et seq., spéc. pp. 1–2.
(1040) Voir par exemple Section III. — Deuxième modèle : la régulation par la technique,
p. 123 et seq. supra et Sous-section III. — Contrainte architecturale, p. 346 et seq. supra.
(1041) La notion d’architecture, au sens que nous voulons lui donner ici, est donc celui
d’environnement construit. En ce sens, voir T.J. BARTUSKA et G.L. YOUNG (éds), Built Environ-
ment : A Creative Inquiry into Design and Planning, Menlo Park, Californie, Crisp, 1994 et L.
LESSIG, Code and other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 949, p. 236 : « the constraint of architecture –
the way the world is, or the ways specific aspects of it are. Architects call it the built environment ;
those who don’t give out names just recognize it as the world around them. »
(1042) L’idée trouve notamment son expression dans certains travaux de Michel Foucault, voir
notamment M. FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, qui
écrit que les procédures pour surveiller, dresser et contrôler les individus qui se développèrent du
16ème au 19ème siècle prennent par exemple la forme de modifications architecturales.
(1043) E. LABBÉ, « La technique dans la sphère de la normativité : aperçu d’un mode de ré-
gulation autonome » in Juriscom.net, 2000, <www.juriscom.net>, p. 1. Aussi J. REIDENBERG,
« Lex Informatica : The Formulation of Information Policy Rules Through Technology » in Tex.
L. Rev., 1998, vol. 76, p. 553 et seq., spéc. p. 554.
(1044) L. LESSIG, Code and other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 949, pp. 85–108.
(1045) E. KATSH, « Software Worlds and the First Amendment : Virtual Doorkeepers in
Cyberspace » in U. Chi. Legal F., 1996, p. 335 et seq., spéc. p. 340.
(1046) L. LESSIG, « The New Chicago School », op. cit. n. 949, p. 676. Pour une application
de cette théorie au système des noms de domaine et à l’ICANN, voir par exemple F.C. MAYER,
« The Internet and Public International Law – Worlds Apart ? » in EJIL, 2001, vol. 12, p. 617 et
seq.
(1047) M. WEBER, Économie et société, t. 2, op. cit. n. 943, p. 22.
(1048) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911, p. 315.
(1049) Pour ne prendre qu’un seul exemple, on rappellera ici brièvement les difficultés
d’efficacité juridictionnelle (donc d’effectivité du droit) auquel les juges doivent faire face dans le
cyberespace, comme l’affaire Yahoo l’avait montré avec tant de clarté ; c’est ainsi que Cyril Rojinski
a pu écrire que « le juge ne se demande plus seulement ‘suis-je compétent pour me prononcer ?’,
mais ‘quelle peut être l’efficacité concrète des mesures que je souhaite prendre ?’ » : C. ROJINSKI,
« Cyberespace et nouvelles régulations technologiques » in D., 2001, chron., p. 845 et seq., spéc.
p. 845.
(1050) Rappelons que c’est en principe le système étatique qui assure l’exécution des actes ju-
ridiques qu’il veut bien reconnaître, en menaçant du recours à la force, dont il a le monopole ; les
États ont la « souveraineté quant à l’usage de la contrainte pour faire exécuter [les] jugements
[étrangers et] les autorités nationales restent seules compétentes pour exécuter par la force ces
décisions » et tout autre acte juridique, comme notamment les résultats des procédures extrajudi-
ciaires de résolution des litiges : Ch. JARROSSON, « Réflexions sur l’imperium », op. cit. n. 955,
pp. 249–250.
(1051) L’imperium, comme nous l’avons vu, est la prérogative appartenant à l’État de recourir à
la force et à la contrainte physique (c’est-à-dire l’appareil coercitif étatique), notamment pour faire
exécuter les jugements. Elle est déléguée, dans une certaine mesure, au juge, mais non aux acteurs
de la résolution extrajudiciaire des litiges, et notamment pas à l’arbitre : ibid., pp. 278–279. Le juge
et l’arbitre ont tous deux la jurisdictio, c’est-à-dire le pouvoir de dire le droit, mais le premier dis-
pose d’un accès nettement privilégié par rapport au second de mettre en œuvre l’appareil coercitif
étatique. L’arbitre ne dispose pas de l’imperium parce qu’il fonde ses pouvoirs non sur une déléga-
tion de l’État, mais sur la seule volonté des parties. Pour plus de précisions et sur les différentes
composantes de la notion d’imperium, dont la prise en considération ici ne ferait qu’alourdir
l’argumentation, voir ibid., p. 260 et seq. Sur tout ceci, voir aussi Sous-section I. — L’appareil
coercitif étatique et la contrainte physique, p. 318 supra.
(1052) Pour une approche gradualiste de la capacité des systèmes de résolution des litiges
d’accéder à l’appareil coercitif étatique, voir par exemple M. SHAPIRO, Courts : a comparative and
political analysis, Chicago, Chicago Univ. Press, 1983, p. 7 : « we often distinguish the arbitrator
from the mediator on the basis that the arbitrator’s decisions are subsequently enforceable by court
action. Judges are furthest along the spectrum toward complete enforcement, typically having
means to tap the organized forces of coercion in the society to enforce their solution. »
(1053) Voir par exemple, dans le contexte du cyberespace, G.K. HADFIELD, « Privatizing
Commercial Law : Lessons from ICANN » in J. Small & Emerging Bus. L., 2002, vol. 6, p. 257 et
seq., spéc. p. 267 « markets for private legal regimes require that the public regime ‘lend’ its coer-
cive power to the enforcement of private legal rules » et M.J. RADIN and R.P. WAGNER, « The
Myth of Private Ordering : Rediscovering Legal Realism in Cyberspace » in Chi-Kent L. Rev.,
1998, vol. 73, p. 1295 et seq., spéc. pp. 1298–1309.
(1054) En principe, pour qu’une norme ou un droit soit effectif, pour qu’il puisse disposer d’un
pouvoir de contrainte, il devra se conformer aux exigences posées par le droit étatique pour recon-
naître une telle norme ou un tel droit. Une telle norme (qui peut d’ailleurs être générale et abstraite
ou individuelle et concrète comme une décision, une sentence arbitrale, un accord de médiation)
devra satisfaire aux conditions du droit étatique pour assurer son exécution grâce à la menace du
recours à la force, qui est le fondement de l’exécution forcée.
(1055) Pour une application de cette perspective à l’arbitrage en ligne, concluant qu’il doit sa-
tisfaire aux conditions d’accès à l’appareil coercitif étatique posé par le droit étatique, voir J.L.
GOLDSMITH et L. LESSIG, « Grounding the Virtual Magistrate », NCAIR Dispute Resolution
Conference, Washington DC, 22 mai 1996, <mantle.sbs.umass.edu/vmag/groundvm.htm>.
(1056) Il est vrai qu’après une procédure de résolution des litiges satisfaisante, la plupart des
parties s’exécutent volontairement. Toutefois, les cas où la contrainte est mise en œuvre pour
arriver à une exécution forcée comptent comme référence pour tous les autres cas. La menace de
l’exécution forcée constitue un vecteur important du conformisme des parties débitrices. Sur ces
questions, voir par exemple A.S. RAU, « Contracting out of the arbitration act » in Am. Rev. Int’l
Arb, 1997, vol. 8, p. 225 et seq., spéc. p. 242 : « the parties may think of a trial run of their case,
ending in a prediction by a neutral expert, which may cause the more recalcitrant among them to
reassess their own partisan estimates of the likely outcome of adjudication », et pour les modes en
ligne, E. KATSH and J. RIFKIN, Online Dispute Resolution, Resolving Conflicts in Cyberspace, San
Francisco, Jossey-Bass, 2001, p. 108-109: « while a loser in such a process could still go to court, it
is likely that the litigation option will not be exercised very often if the losing party senses that they
have obtained a fair hearing and that their position was not as persuasive as they might have
thought it was. »
(1057) Voir par exemple L.M. PONTE, « Throwing Bad Money After Bad : Can Online Dis-
pute Resolution (ODR) Really Deliver the Goods for the Unhappy Internet Shopper ? » in Tul. J.
Tech. & Intell. Prop., 2001, vol. 3, p. 55 et seq., spéc. p. 69 : « parties could run into difficulties
when trying to collect on the settlement amount. What happens if a party does not pay the agreed-
upon amount within a reasonable time period ? Cybersettle and any other ODR service cannot
guarantee reasonable compliance or enforce party settlements without some form of judicial assis-
tance » et H.H. PERRITT, « Will the Judgment-Proof Own Cyberspace ? » in Int’l Law., 1998,
vol. 32, p. 1121 et seq., spéc. p. 123 : « the real problem is turning a judgment supported by juris-
diction into meaningful economic relief. The problem is not […] obtaining jurisdiction in a theo-
retical sense. The problem is obtaining meaningful relief. »
(1058) Il est certes vrai que le problème de l’exécution forcée n’est pas nouveau dans le présent
contexte ; toutefois on ne saurait oublier qu’en dehors du cyberespace, les consommateurs ordinai-
res ne s’engagent pas, ou seulement rarement, dans des transactions commerciales internationales
n’impliquant que des montants modestes : L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n.
949, p. 197 : « international agreements for the most part are agreements between sophisticated
actors. Before cyberspace, ordinary consumers were not international actors. »
(1059) Nous avions pu faire les même distinctions dans G. KAUFMANN-KOHLER et Th.
SCHULTZ, Online Dispute Resolution : Challenges for Contemporary Justice, op. cit. n. 936, p. 223 et
seq. Voir aussi G. KAUFMANN-KOHLER, « Commerce électronique : droit applicable et résolution
des litiges », op. cit. n. 983, l’auteur distinguant les « mécanismes augmentant l’incitation de la
partie débitrice à s’exécuter », les « mécanismes d’autoexécution des résultats par le contrôle des
valeurs en jeu » et les « mécanismes d’autoexécution par contrôle technique ». Voir aussi Th.
SCHULTZ, « Online Arbitration : Binding or Non-Binding ? » in ODR Monthly, novembre 2002,
SOUS-SECTION I. — AUTOEXÉCUTION
INDIRECTE : INCITATION
certificat prend la forme d’un signe distinctif, un logo, dont l’affichage sur
un site web est contrôlé à distance par l’organisme de certification (1062).
Ce logo est relié à un hyperlien renvoyant vers une page web décrivant les
conditions de la labellisation, c’est-à-dire le standard prédéfini qui doit être
respecté. L’organisme de certification peut être aussi bien une autorité pu-
blique, une autorité administrative indépendante ou une entité purement
privée ; certains organismes d’ODR proposent de tels labels (1063). Dans
le cadre du commerce électronique, l’objet de la certification peut être très
variable, par exemple le respect de la vie privée, les pratiques publicitaires,
certains aspects de transparence des activités commerciales, l’utilisation de
certaines clauses contractuelles, le respect de certaines pratiques commer-
ciales, les mesures de sécurité informatique adoptées, la prise en charge de
litiges ou leur soumission à des modes spécifiques de règlement des diffé-
rends (1064). Les standards de la certification peuvent émaner d’une source
publique ou privée. Dans le deuxième cas, qui nous intéresse plus particu-
lièrement ici, ces standards figurent en principe dans un code de conduite.
Le code de conduite déterminant les standards que le site web certifié
doit satisfaire peut fort bien instaurer le respect des décisions ou autres
résultats de procédures d’un organisme d’ODR comme condition d’attri-
(1065) C’est par exemple la pratique du système d’ODR des Eurochambres, dénommé Online-
Confidence, dans le cadre de son programme OC Trust Seal.
(1066) Voir Sous-section II. — Contrainte économique, p. 342 et seq. supra.
(1067) Voir Section I. — La perte des repères, p. 198 et seq. supra. Voir aussi ABA Task
Force on E-Commerce and ADR and Shidler Center, « Addressing Disputes in Electronic Com-
merce : Final Recommendations and Report », op. cit. n. 1061, p. 437 : « it is considered axiomatic
that the creation of trust and confidence is the most critical factor for an online business to build
and maintain satisfactory customer relationships. One approach to encourage consumer confidence
has been for online sellers to commit to codes of conduct or ‘best practices’ guidelines that have
been developed by various ‘trustmark’ organizations » et J. FONTANA, « Certification plans to help
Web confidence » in Communications Week, 1996, vol. 622, p. 75 et seq.
(1068) Néanmoins, certaines statistiques ont révélé que la majorité des internautes se verraient
rassurés par la présence d’un label sur un site web : voir T. TROMPETTE, « Une nouvelle mission :
la certification des sites Web de commerce électronique », op. cit. n. 1001. D’autres études ont
montré que « la présence de logos appartenant à des compagnies de cartes de crédit n’emporte que
peu de confiance de la part des consommateurs, bien qu’ils soient universellement reconnus. Par
contre, des certificats de sécurité électronique, tels celui de VeriSign, quand ils sont reconnus,
créent réellement la confiance » : Cheskin Research and Studio Archetype / Sapient, « Commerce
Trust Study », op. cit. n. 1001. Pour des recommandations incitant les commerçants à faire certifier
leurs sites et suggérant aux consommateurs de rechercher la présence de tels certificats : Industrie
Canada, « Magasiner dans Internet. Renseignez-vous », op. cit. n. 1002 et recommandation du 8
novembre 1999, <strategis.ic.gc.ca/SSGF/ca01187f.html>, et ID., « Votre commerce dans Inter-
net. Gagner la confiance des consommateurs », op. cit. n. 1002.
(1069) Sur la label SquareTrade, par exemple, voir S. ABERNETHY, « Building Large-Scale
Online Dispute Resolution & Trustmark Systems » in Online Dispute Resolution (ODR) : Technol-
ogy as the “Fourth Party”, Amherst, Mass., Publ. des Nations unies et de l’Université de
Massachusetts, 2003, p. 70 et seq., spéc. p. 85 : « the seal program has already been adopted by
tens of thousands of sellers in over 80 countries, representing an annual run rate of over $1billion
in seal member sales. Analysis shows an average increase in sales of over 15% after seal members
display the seal on their auction listings (based on weighted average of a full year of user data
comparing the month prior to use to the first month of use of the Seal in item listings). »
(1070) A. CRUQUENAIRE et F. DE PATOUL, « Le développement des modes alternatifs de rè-
glement des litiges de consommation : Quelques réflexions inspirées par l’expérience ECODIR »
in Lex Electronica, 2000, vol. 8, no 1, <www.lex-electronica.org/articles/v8-1/cruquenaire-patoul.-
htm>, §§ 40–41 : « il semble également souhaitable de coupler l’ADR à un système de labellisa-
tion, afin de trouver un moyen d’assurer une mise en œuvre des accords ou recommandations
émanant d’ECODIR. En effet, le label permettrait de contraindre contractuellement les commer-
çants à exécuter les solutions trouvées via la plateforme ECODIR […] L’émergence des codes de
conduite au sein du commerce électronique vise à répondre au besoin de régulation face au
contexte sans cesse évolutif et polymorphe de la société de l’information […] Le label, le code de
conduite et un ADR tel qu’ECODIR seraient en mesure de remplir ce besoin de sécurité dont
manque le commerce électronique, et cela, grâce à des instruments souples et basés sur la bonne
volonté des parties. » Dans le même sens, B. YUNIS, « Rechtsfragen der Online-Mediation » in
Online-Mediation. Neue Medien in der Konfliktvermittlung – Mit Beispielen aus Politik und Wirt-
schaft, s. dir. O. Märker et M. Trénel, Berlin, Sigma, 2003, p. 201 et seq., spéc. pp. 219–220,
arguant qu’un système de retrait d’un label est nécessaire pour accroître l’effectivité instrumentale
de la médiation en ligne. De manière plus générale, B. BRUN, « Nature et impacts juridiques de la
certification », op. cit. n. 1000, p. 13 : « dans le cas du réseau Internet, malgré le fait qu’il s’agisse
d’un réseau ouvert, il n’en demeure pas moins que l’élaboration de standards et l’instauration de la
certification constituent un mode de contrôle de ce nouveau moyen de commercer. »
(1071) ABA Task Force on E-Commerce and ADR and Shidler Center, « Addressing Dis-
putes in Electronic Commerce : Final Recommendations and Report », op. cit. n. 1061, pp. 456–
457 : « the ADR providers can take additional steps in regard to sellers that have trustmark ac-
creditation, since repeated refusal to comply with settlements or awards would be a cause to revoke
the seller’s right to display the trustmark. Unfortunately, this remedy is asymmetric (no such
sanction can be levied against buyers unless they also happen to be trustmarked sellers), and
underinclusive (many sellers are unaccredited). »
B. — Listes noires
Les listes noires se conçoivent essentiellement comme un complément aux
labels, permettant une réaction plus graduelle que le retrait pur et simple de
celui-ci. Par listes noires, nous entendons des rapports indiquant les noms
des cybermarchands n’ayant pas exécuté le résultat d’une procédure en li-
gne. De préférence liées à un label pour faciliter leur accessibilité – pour
qu’elles puissent être trouvées par les internautes envisageant de passer un
contrat avec un cybermarchand donné – ces listes pourraient constituer une
mise en œuvre de l’exigence de naming and shaming, souvent adressée au
commerce électronique en général. Pour leur donner plus de poids, on
pourrait également envisager la publication des circonstances du litige. De
telles listes permettraient toute une gamme de mentions concernant les
manquements du site certifié, permettant ainsi une approche plus souple
que la révocation du label.
Afin d’éviter une possible responsabilité pour diffamation, l’existence de
ces listes devrait toutefois être prévue contractuellement, par exemple dans
le contrat de certification (1072).
Le but de telles listes noires serait, à nouveau, de faciliter l’émergence
d’une réputation en ligne, de donner aux internautes des repères pour
l’établissement de leur confiance dans un site marchand. La contrainte a ici
une composante économique, par la publicité négative produite, et une
composante sociale, par la publication de comportements socialement ré-
préhensibles. Il est vrai que plus l’internaute doit entreprendre des recher-
ches longues et difficiles pour trouver sur une telle liste la mention du mar-
chand avec lequel il entend passer contrat, plus la contrainte sera faible. Il
serait en conséquence utile de prévoir par exemple une mention particulière
(1072) Une telle affaire de diffamation avait notamment été intentée aux États-Unis contre
l’entreprise BadBusinessBureau.com, <www.badbusinessbureau.com>, qui affichait une liste conte-
nant des commentaires de consommateurs en ligne ayant eu un litige avec un cybermarchand.
L’entreprise n’avait aucune relation contractuelle avec les cybermarchands visés qui lui aurait
expressément permis de publier de tels commentaires. Le tribunal, qui s’était déclaré incompétent
pour des raisons tenant aux spécificités du droit international privé américain, laissa entendre que
l’entreprise publiant la liste aurait été tenue responsable si elle avait elle-même rédigé ces com-
mentaires. En d’autres termes, un centre d’ODR rédigeant et publiant des commentaires vouant
aux gémonies des cybermarchands qui n’auraient pas exécuté les obligations découlant du résultat
de la procédure ODR pourrait, selon cet arrêt, être poursuivi pour diffamation. Voir Hy Cite c.
BadBusinessBureau.com, 2004 U.S. Dist. LEXIS 206 (W.D. Wi.).
sur le label auquel cette liste serait reliée, un signe distinctif indiquant la
présence ou l’absence du marchand certifié sur la liste.
(1073) Pour une description de ce système, qualifié par eBay d’« évaluations », <pages.ebay.fr/-
services/forum/feedback.html> : « grâce aux évaluations, vous disposez d’informations sur vos
interlocuteurs, vous pouvez connaître leur réputation et exprimer votre opinion en laissant des
commentaires d’évaluation concernant vos transactions. Les commentaires des membres permet-
tent aux millions d’acheteurs et vendeurs eBay de gagner la confiance des autres membres et de
partager leur expérience […] Chaque membre eBay possède un Profil d’évaluation qui contient des
informations de base le concernant, ainsi que la liste des évaluations laissées par les autres membres
avec lesquels il a effectué des transactions. La réputation d’un membre eBay est fortement influen-
cée par les évaluations laissées par les utilisateurs qui ont déjà effectué des transactions avec lui. »
(1074) Ibid. : « pour chaque transaction, seuls le meilleur enchérisseur / acheteur et le vendeur
peuvent réciproquement évaluer leurs transactions à l’aide de commentaires d’évaluation. Une
évaluation peut être positive, négative ou neutre et est constituée d’un bref commentaire. Faire
preuve d’objectivité dans les commentaires laissés sur un membre eBay permet aux autres membres
de la communauté de se faire une idée assez précise du comportement de ce membre. En effet, les
évaluations laissées dans le Profil d’évaluation du membre concerné ne peuvent être retirées que
dans de très rares cas. »
(1075) L’avatar est, par référence à la religion hindoue, l’incarnation en ligne d’une personne,
son représentant virtuel.
(1076) Voir <pages.ebay.fr/help/community/index.html>.
que sur le pouvoir coercitif étatique. Ces mécanismes de résolution des litiges en ligne fondés sur
des marchés dépendent de la confiance mutuelle des participants du marché pertinent et de leurs
intérêts à établir une réputation au sein de la place de marché » (trad. par l’auteur).
(1079) Voir Sous-section V. — L’homogénéisation des normes de référence, p. 226 et seq.
supra.
(1080) E. KATSH, J. RIFKIN et A. GAITENBY, « E-Commerce, E-Dispute, and E-Dispute
Resolution : In the Shadow of ‘eBay Law’ » in Ohio St. J. on Disp. Resol., 2000, vol. 15, p. 705 et
seq., spéc. p. 728.
(1081) O. CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, op. cit. n. 1038, p. 7.
Sur le pouvoir (qualifié de « soft power ») découlant de la capacité d’exclusion de l’accès à
l’information dans le cyberespace, celle-ci constituant la ressource fondamentale dans le cyber-
espace, voir K.W. GREWLICH, Konstitutionalisierung des Cyberspace : zwischen europarechtlicher
Regulierung und völkerrechtlicher Governance, Baden-Baden, Nomos, p. 18. Il s’ensuit une impor-
tance croissante acquise par les places de marché contrôlant l’accès à l’information qu’elles offrent
ou font circuler.
(1082) Voir <www.worldwideretailexchange.com>, cité par Cachard, ibid., p. 178.
des particuliers, on pensera par exemple au site déjà évoqué d’eBay, dont on
rappellera toutefois qu’il n’est pas limité aux particuliers, constituant éga-
lement un circuit économique habituel pour certains professionnels. Il
existe également une forme atténuée de place de marché électronique,
éclatée, répartie sur plusieurs sites web ; on parle alors d’un webring, c’est-
à-dire un « système de référencement et de publicité croisés, chaque mem-
bre renvoyant vers tous les autres » (1083).
L’exclusion d’une place de marché (ou d’un webring) consiste à ne plus
rendre accessible les offres ou demandes des acteurs de la place de marché.
Concrètement, cela implique une mesure telle que la désactivation de
l’accès au domaine réservé aux membres, la suppression des pages web rela-
tives à l’acteur, la destruction de son avatar ou l’annulation du référen-
cement de l’opérateur dans un webring (1084).
Il s’agit ici d’une mesure beaucoup plus efficace que le fait, pour un four-
nisseur d’hébergement, de ne plus mettre en ligne le site web d’un com-
merçant. La différence est que, dans le cas du fournisseur d’hébergement, le
commerçant est exclu d’un réseau ouvert (Internet) tandis que l’exclusion
d’une place de marché se fait par rapport à un réseau fermé.
Il est vrai que le type de contrainte est le même dans les deux cas : il
s’agit de diminuer la capacité de l’acteur sanctionné à diffuser ou recevoir
des informations. Cela a évidemment une importance commerciale cru-
ciale, si l’on considère qu’un marché – que ce soit ici Internet en général ou
la place de marché en particulier – est au fond un « espace d’échange
d’informations » (1085).
La différence entre réseaux ouverts et fermés révèle son importance si
l’on considère que quand un opérateur économique est exclu par un four-
nisseur d’hébergement, l’entrave à sa capacité à diffuser ou recevoir des
informations est extrêmement limitée dans le temps. L’opérateur peut en
effet très rapidement accéder à nouveau à Internet en utilisant les services
de n’importe quel autre fournisseur d’hébergement, sans que cela ait une
(1086) Sur l’efficacité d’une mesure d’exclusion prise par un mécanisme de résolution des litiges
dans le cadre de communautés en ligne, voir notamment H.H. PERRITT, « Dispute Resolution in
Electronic Network Communities » in Vill. L. Rev., 1993, vol. 38, p. 349 et seq.
(1087) O. CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, op. cit. n. 1038,
pp. 260–261 : « l’exclusion d’une place de marché électronique, ou plus généralement d’un réseau
fermé par un code d’accès, est d’une efficacité supérieure [à l’exclusion d’un réseau ouvert], car elle
pourra être maintenue dans le temps […] Tandis que les groupements éphémères exercent princi-
palement des pressions, les groupements d’opérateurs plus stables et plus organisés peuvent mettre
en œuvre une véritable contrainte. »
(1088) E. KATSH, J. RIFKIN et A. GAITENBY, « E-Commerce, E-Dispute, and E-Dispute
Resolution : In the Shadow of ‘eBay Law’ », op. cit. n. 1080, p. 731, qui relèvent, parmi les diffé-
rents processus juridiques formant le « droit d’eBay », celui du « pouvoir d’exclusion, un pouvoir
qui, dans le contexte d’eBay, est un pouvoir sur l’existence » (trad. par l’auteur).
E. — Astreintes
L’astreinte est une mesure coercitive destinée à forcer l’exécution d’une
décision de justice, en imposant à la partie récalcitrante une condamnation
pécuniaire fixée à une certaine somme par jour de retard dans l’exécution de
(1089) Ph. FOUCHARD, L’arbitrage commercial international, Paris, Dalloz, 1965, p. 503 : « les
mesures qui consistent à interdire à un commerçant l’accès de marchés ou de bourses où s’exerce
l’essentiel de son activité appellent de très sérieuses réserves. »
(1090) Sur la « contractualisation de la répression » : M.A. FRISON-ROCHE, « L’efficacité des
décisions en matière de concurrence : notions, critères, typologie » in Ateliers de la concurrence,
L’efficacité des décisions en matières d’ententes et de concentrations, Paris, 7 juin 2000, <www.finances.-
gouv.fr/dgccrf/02_actualite/ateliers_concu/decisions.htm>.
(1091) O. CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, op. cit. n. 1038,
pp. 263-270 : « la contrainte électronique qui exclut les opérateurs des circuits d’information et des
circuits économiques […] est parfaitement licite quand elle repose sur une base contractuelle. »
Notons par ailleurs qu’il ne s’agit pas ici d’un cas de justice privée, puisqu’« on parle de justice
privée au cas où une personne poursuit elle-même l’exécution de son droit sans l’intervention des
autorités » ; en l’occurrence, c’est un tiers (centre d’ODR ou place de marché) qui poursuit
l’exécution du droit d’une des parties à la procédure ODR : R. DEMOGUE, Les notions fondamen-
tales du droit privé : essai critique, Paris, La mémoire du droit, 2001 (réimpression de l’éd. de 1911),
p. 623, voir aussi J. BÉGUIN, « Rapport sur l’adage : ‘nul ne peut se faire justice à soi-même’ en
droit français » in Nul ne peut se faire justice à soi-même : le principe et ses limites, Paris, Dalloz, 1966,
p. 50 et seq.
la décision (1092). Elle pourrait être utilisée dans le domaine des ODR
dans deux buts. D’un côté, elle permet d’inciter la partie débitrice à
s’exécuter, tout retard dans l’exécution étant défavorable à cette dernière.
De l’autre, l’astreinte donne la possibilité au créancier de saisir un tribunal
et d’engager les actions requises pour l’exécution forcée du résultat de la
procédure ODR. Ce second but appelle quelques commentaires.
L’une des principales difficultés s’opposant à l’effectivité instrumentale
des résultats de procédures ODR est, comme nous l’avons déjà re-
levé (1093), le coût généré par les actions judiciaires nécessaires à l’exé-
cution forcée, qui peut même dans certaines situations dépasser la valeur
litigieuse. On peut alors envisager une astreinte, imposée à la partie ayant
succombé dans la procédure et refusant de s’exécuter volontairement. Les
montants de l’astreinte s’ajouteraient dans cette hypothèse à la créance de la
partie ayant triomphé dans la procédure. À mesure que le temps passe, la
créance grandirait et les frais impliqués par l’accès aux tribunaux
deviendraient proportionnellement plus abordables. Le créancier n’aurait
ainsi qu’à attendre que la somme due soit suffisamment élevée pour que la
saisine d’un tribunal étatique en vue de l’exécution forcée soit économi-
quement raisonnable.
Il s’agit ici, il est vrai, d’une forme particulière de mécanismes
d’autoexécution, puisqu’elle recourt en dernière instance à l’appareil coer-
citif étatique. Une certaine forme de contrainte économique s’exerce tout
de même, puisque l’organisme d’ODR peut menacer indirectement les
parties d’une sanction économique, même si celle-ci requerra le concours
du bras armé de l’État pour être mise en œuvre.
Précisons encore que l’astreinte doit être stipulée contractuellement.
Pour une négociation ou une médiation, ce que nous entendons ici par
(1092) Voir par exemple L. LÉVY, « Les astreintes et l’arbitrage international en Suisse » in
Bull. ASA, 2001, vol. 19, p. 21 et seq., spéc. p. 21 : les astreintes se définissent comme la
« condamnation pécuniaire accessoire et éventuelle […] qui s’ajoute à la condamnation principale
pour le cas où celle-ci ne serait pas exécutée dans le délai prescrit ».
(1093) Voir l’introduction à la Section VI. — Mécanismes d’autoexécution et ODR, p. 349 et
seq. supra, Sous-section II. — Des processus déterritorialisés d’élaboration du droit, p. 235 et seq.
supra, Section I. — L’inadéquation des tribunaux étatiques, p. 253 et seq. supra et Sous-section
III. — La faiblesse de l’appareil coercitif étatique dans le cyberespace, p. 325 et seq. supra.
(1094) Sur les conditions générales d’admissibilité des clauses pénales : en droit suisse, M.
MOOSER ad art. 160 CO in Code des obligations I. Commentaire, s. dir. L. Thévenoz et F. Werro,
Genève, Bâle et Munich, Helbing & Lichtenhahn, 2003, p. 863 et seq. ; en droit français, Ph.
MALAURIE et L. AYNÈS, Droit civil. Les obligations, 8ème éd., Paris, Cujas, 1998, § 864 et seq. ; en
droit allemand (Vertragsstrafe), D. MEDICUS, Schuldrecht, t. I, Allgemeiner Teil, 14ème éd., Munich,
Beck, 2003, p. 221 et seq. ; en droit anglais (liquidated damage clause), E. MCKENDRICK, Contract
Law, Oxford, Oxford Univ. Press, 2003, pp. 1096–1097, 1100–1102 (admissibilité plus délicate) ;
en droit américain (stipulated damage), C.D. ROHWER et A.M. SKROCKI, Contracts, 5ème éd., St.
Paul, Minn., West, 2000, pp. 419–422 (admissibilité plus délicate) et, sur les raisons des limita-
tions quant à l’admissibilité des clauses pénales et les méthodes de contournement de ces li-
mitations, E.A. FARNSWORTH, Contrats, Boston, Little, Brown & Co., 1982, pp. 895–904.
(1095) Il est ainsi généralement admis, avec l’exception notable du droit suédois, que l’arbitre
peut prononcer une astreinte si ce pouvoir résulte de la convention d’arbitrage : de manière géné-
rale J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, Bruxelles, Bruylant /
Paris, LGDJ / Zurich, Schulthess, 2002, § 540, p. 494–496 ; pour le droit néerlandais, art. 1056
WBR ; pour le droit belge, 1709bis Cj ; pour le droit suisse, L. LÉVY, « Les astreintes et l’arbitrage
international en Suisse », op. cit. n. 1092, p. 29 ; pour le droit français, Ph. FOUCHARD, E.
GAILLARD et B. GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, Paris, Litec, 1996,
§ 1274 ; pour le droit allemand, H. RAESCHKE-KESSLER et K. BERGER, Recht und Praxis des
Schiedsverfahrens, 3ème éd., Cologne, RWS, 1999, p. 141 ; et pour le droit suédois, art. 25 al. 4 SU.
somme en dépôt peut, sous certaines conditions, être restituée à celui qui l’a
versée sur le compte de garantie. En cas de litige, ces montants restent
bloqués jusqu’à l’issue de la procédure de règlement des différends appli-
cable. En général, les clauses contractuelles prévoyant le paiement par
compte de garantie bloqué soumettent tout litige à une phase de négocia-
tion durant une période limitée (60 jours, par exemple), suivie d’un arbi-
trage hors ligne (1099). De la même manière, il est possible de soumettre la
restitution ou le transfert des sommes bloquées au résultat d’une procédure
ODR, que ce soit une négociation, une médiation ou un arbitrage. L’orga-
nisme d’ODR pourrait même être lui-même le gestionnaire du compte
bloqué. Par ailleurs, si la restitution ou le transfert de la somme n’emporte
aucune finalité juridique quant au litige que la décision ou l’accord n’aurait
pas par lui-même, dans un nombre non négligeable de cas les parties s’en
tiendront selon toute vraisemblance à ce résultat. Il en va particulièrement
ainsi si la valeur litigieuse est faible, que les distances sont grandes et que la
procédure fut satisfaisante à leurs yeux.
Le groupe de travail pour les ADR et le commerce électronique de
l’Association du barreau américain suggère même de recourir à un compte
de garantie bloqué constitué après la survenance du litige. Chacune des
parties verserait le montant que l’autre exige (si tant est que les conclusions
des parties s’expriment en termes monétaires) sur un tel compte, pour la
durée de la procédure de résolution du litige, prévue en ligne notamment
afin de limiter cette période le plus possible (1100). Toutefois, une telle
solution, pour séduisante qu’elle soit, nous semble devoir inévitablement
susciter une forte opposition des parties et donc, dans certaines situations,
une véritable difficulté à les amener à participer à la procédure en ligne.
(1099) Voir par exemple Escrow.com : « Qu’arrive-t-il en cas de différend concernant une
transaction ? […] Si l’acheteur et le vendeur n’ont pas réussi à s’accorder sur une solution dans les
60 jours, le litige sera réglé par arbitrage selon les règles pour l’arbitrage commercial de l’American
Arbitration Association » (trad. par l’auteur) : <https://www.escrow.com/support/faq/index.asp?-
qid=41>.
(1100) ABA Task Force on E-Commerce and ADR and Shidler Center, « Addressing Dis-
putes in Electronic Commerce : Final Recommendations and Report », op. cit. n. 1061, p. 456 :
« another option, in some instances, is to require the parties to put into escrow each party’s consid-
eration in the transaction that is the subject of the dispute, so the escrow agent can distribute the
assets in accordance with the ADR result. »
B. — Fonds de jugement
Par fonds de jugement, nous entendons un compte à disposition de
l’institution de résolution des litiges lui permettant d’y prélever la somme
allouée par la décision ou due selon l’accord issu de la médiation ou de la
négociation, et de la créditer directement sur le compte de la partie créan-
cière.
Des fonds de jugement, à ce jour encore inutilisés dans le contexte du
commerce électronique, sont actuellement mis en œuvre dans le cadre de
mécanismes de règlement des différends de droit international public rela-
tifs à l’indemnisation de victimes de conflits internationaux. Les exemples
les plus connus concernent la première guerre du Golfe et les exactions de
l’Allemagne nazie. Le « fonds de compensation » de la Commission d’in-
demnisation des Nations unies pour l’Irak, chargée de l’indemnisation des
victimes de l’invasion du Koweït par l’Irak durant la première guerre du
Golfe, était alimenté par le produit de la vente du pétrole irakien. Les som-
mes allouées à titre d’indemnisation étaient directement prélevées sur ce
fonds et versées aux parties (1101). Le Programme allemand de dédomma-
gement du travail forcé, administré par l’Organisation internationale des
migrations, a été développé en vue de dédommagements relatifs au travail
effectué en situation d’esclavage, au travail forcé et aux préjudices corporels
subis sous le régime national-socialiste et dans lesquelles des entreprises
allemandes ont joué un rôle direct. Ici aussi, un fonds de jugement, consti-
tué notamment de versements de l’Allemagne et d’entreprises allemandes,
avait été prévu (1102).
l’Organisation mondiale des migrations avait été désignée pour traiter des demandes. Voir <www.-
compensation-for-forced-labour.org/index_french.html>.
(1103) Sur les rapports contractuels entre ces trois parties, voir Ch. GAVALDA et J.
STOUFFLET, Effets du commerce. Chèques, carte de paiement et de crédit, 3ème éd., Paris, Litec, 1998,
pp. 397–409. Pour un aperçu plus complet de toutes les relations contractuelles encadrant le paie-
ment par cartes de crédit, voir M. VASSEUR, « Les transferts internationaux de fonds » in Rec.
Cours La Haye, 1993, vol. 239, p. 117 et seq., spéc. p. 374.
(1104) J. ALLIX, « Consommateurs et paiement électroniques transfrontières » in Banque,
1993, p. 58 et seq., spéc. p. 60.
(1105) Sur ces questions, ID., « La protection du consommateur en matière de contrats à dis-
tance » in REDC, 1993, p. 95 et seq., spéc. p. 108. Voir aussi R. BRADGATE, « Distance selling in
the United Kingdom and the proposed E.C. Directive » in Consum. L.J., 1993, p. 19 et seq., spéc.
p. 31. Les cartes de crédit étant destinées à circuler lors de paiements hors ligne, il est aisé pour un
tiers de prendre connaissance des informations figurant sur la carte, seules nécessaires à ordonner le
paiement : voir J. HUET, « Aspects juridiques du télépaiement » in La Semaine Juridique (JCP),
1991, Doctrine, no 3524.
(1106) Sur le droit européen touchant à cette question : X. FAVRE-BULLE, Les paiements trans-
frontières dans un espace financier européen, Genève et Bruxelles, Helbing-Lichtenhahn et Bruylant,
1998, p. 331. Voir aussi R. PICHLER, « Kreditkartenzahlung im Internet » in NJW, 1998, p. 3234
et seq. Relevons par ailleurs que la Directive européenne sur la protection des consommateurs
prévoit que « les États membres veillent à ce que de mesures appropriées existent pour que le
consommateur […] puisse demander l’annulation d’un paiement en cas d’utilisation frauduleuse de
sa carte [et qu’il] soit recrédité des sommes versées » : art. 8 Directive 97/7 du Parlement européen
et du Conseil, du 20 mai 1997, concernant la protection des consommateurs en matière de contrats
à distance (Directive sur la vente à distance), JO L 144 du 4.6.1997, p. 19.
Sur la situation juridique aux États-Unis, voir J. KAUFMAN WINN, « Clash of the Titans :
Regulating the Competition Between Established and Emerging Electronic Payment Systems » in
Berkeley Tech. L.J., 1999, vol. 14, p. 675 et seq., spéc. p. 686 et seq. et R. PICHLER, « Finality of
Credit Card Payments and Consumer Confidence – Different Approaches in the United States
and in Europe » in Electronic Payment Systems Observatory Newsletter, 2001, vol. 5, <epso.jrc.es/-
newsletter>. Le droit à la refacturation en cas d’utilisation frauduleuse de la carte découle du US
Truth-in-Lending Act, 15 U.S.C. §§ 1601–1667 (2004) et de la US Federal Reserve Board’s
implementing regulation Z, 12 C.F.R. § 226.12, lit. b (2001).
Sur la pratique contractuelle en la matière, R. BROWNSWORD et G. HOWELLS, « When Surf-
ers Start to Shop. Internet commerce and contract law » in Legal Studies, 1999, vol. 19, p. 287 et
seq., A. SALAÜN, « Les paiements électroniques au regard de la vente à distance » in Droit de
l’Informatique et des Télécoms, 1999, vol. 99/2, p. 19 et seq. et X. FAVRE-BULLE, Les paiements
transfrontières dans un espace financier européen, op. cit. n. 1106, pp. 327-328, qui relève que quatre
situations semblent exister dans la pratique contractuelle : quelques fois le risque est contractuelle-
ment attribué dans tous les cas au porteur de la carte (ce qui est douteux quant à la validité de la
clause le prévoyant au regard des législations en matière de clauses abusives) ; d’autres fois il est
attribué sans condition au fournisseur acceptant le paiement (ce qui semble être la pratique la plus
courante, mais qui est largement insatisfaisante pour le fournisseur car la répudiation de mauvaise
foi est trop facile), il arrive aussi qu’aucune clause précise ne soit prévue (la question étant alors
réglée à l’amiable entre le fournisseur, l’émetteur de la carte et son porteur) ; enfin, il arrive égale-
ment que « les contrats bancaires prévoient d’une manière contradictoire, d’un côté que le
consommateur supporte les risques, de l’autre que les mêmes risques sont supportés par le commer-
çant. »
(1107) R. PICHLER, « Finality of Credit Card Payments and Consumer Confidence », op. cit.
n. 1106 : « en application de l’art. 8 Directive 97/7/CE […], en cas d’utilisation frauduleuse de la
carte de crédit, le consommateur ne peut être tenu pour responsable que si la fraude a été causée
par sa négligence. Toutefois, la transmission des informations figurant sur la carte de crédit par
D. — Assurance de transactions
Les assurances de transactions, couplées à un système de résolution des
litiges en ligne, peuvent constituer un mécanisme d’autoexécution équi-
valent, à certains égards, au contrôle de la refacturation par cartes de crédit.
Les assurances de transactions couvrent en principe autant le risque de la
répudiation d’une commande par un client alléguant une utilisation frau-
duleuse de sa carte par un tiers usurpateur (1115) que le risque
d’inexécution ou de mauvaise exécution par le marchand de ses obliga-
tions (1116). Le couplage d’une telle assurance à un système d’ODR
concerne essentiellement la deuxième situation. En effet, une assurance de
transactions dédommage le marchand auquel une répudiation de com-
mande est opposée, que l’utilisation de la carte ait réellement été fraudu-
(1114) Ibid., p. 376 : « dans tous les cas, la décision [rendue à l’issue de la procédure interne de
résolution du litige] est définitive. Il apparaît toutefois juridiquement difficile de qualifier
d’arbitrage juridictionnel l’intervention des plus hautes instances de Visa International, qui paraît
plutôt se situer à un niveau administratif élevé qui évoque les cellules consuméristes existant au
niveau des grandes banques, en vue du traitement du litige. »
(1115) Comme nous l’avons vu, en cas de paiement par carte de crédit, le porteur de la carte
peut être recrédité des sommes versées en paiement s’il allègue que sa carte a été utilisée fraudu-
leusement par un usurpateur. Dans la plupart des cas, il en résultera un dommage pour le mar-
chand. C’est ce dommage qui est, entre autres dommages, couvert par l’assurance de transactions :
voir par exemple les services fournis par Fia-Net, <www.fia-net.com/reserve.asp> et <www.fia-
net.com/reserve_garantie2.asp>.
(1116) Voir par exemple le mécanisme du programme de labellisation de Trusted Shops : « si la
marchandise n’est pas livrée, Trusted Shops interviendra immédiatement auprès du vendeur. Si le
litige ne peut être résolu à ce stade, la société Gerling vous remboursera votre paiement après une
procédure interne d’approbation de votre réclamation » (trad. par l’auteur), <www.trustedshops.-
com/en/consumers/guarantee_en.html> et « Trusted Shops, avec son système de remboursement
garanti par Gerling, vous assure lors de vos achats en ligne contre tout dommage dû à la non-
livraison ou au retour d’une marchandise » (trad. par l’auteur), <www.trustedshops.com/en/consu-
mers/index.html>.
leuse ou non. Aucun système de résolution des litiges n’est donc nécessaire
dans cette situation.
Le dédommagement du client en cas d’inexécution ou de mauvaise exé-
cution du marchand est toujours soumis à certaines conditions, dont la
réalisation est généralement constatée par une procédure interne à la com-
pagnie d’assurance. Comme pour les cartes de crédit, on pourrait toutefois
externaliser cette procédure et prévoir que la condition du dédommage-
ment est un résultat en ce sens (décision ou accord) d’une procédure ODR.
L’externalisation de cette procédure de résolution des litiges permettrait
à la compagnie d’assurance de limiter sa responsabilité, de garantir une
meilleure indépendance et plus de transparence dans la résolution du litige,
voire d’obtenir une décision finale s’il s’agit d’un arbitrage en ligne.
Par la soumission de la décision de dédommagement à un organisme
d’ODR, celui-ci acquiert la possibilité de faire autoexécuter les décisions ou
accords résultant de la procédure en ligne. L’institution d’ODR contrôle
dans ce cas la ressource en jeu : les sommes versées en dédommagement.
E. — Autoexécution technologique
La technologie elle-même, quelques fois, est la ressource en jeu dans le
litige. Dans ces situations, son contrôle par un organisme d’ODR peut
constituer le fondement d’un mécanisme d’autoexécution. L’exemple le
plus connu d’une régulation par une institution d’ODR grâce à son
contrôle de la technologie est celui du système international des noms de
domaine géré par l’ICANN, dont les litiges sont résolus en application de
la procédure UDRP.
Selon les règles UDRP et les contrats liant l’ICANN à tous les opéra-
teurs de registre de noms de domaine génériques ou internationaux (1117),
une décision d’un panel de l’une des institutions d’ODR accréditées par
l’ICANN d’annuler ou de transférer un nom de domaine est exécutée par
(1117) La procédure UDRP s’applique, il est vrai, également à d’autres systèmes de noms de
domaine nationaux, qui sont toutefois d’importance mineure, d’un point de vue quantitatif, par
rapport aux domaines génériques ou internationaux, dont on rappellera qu’ils concernent les sites
en <.com>, <.org> ou <.net>, <.biz>, <.info>, <.name>, <.aero>, <.coop>, <.museum> et <.pro>. À
notre connaissance, les domaines en <.eu> sont les seuls noms internationaux auxquels la procédure
UDRP ne s’applique pas.
(1118) Voir l’article 4(k) principes UDRP, qui prévoit notamment que « si une commission ad-
ministrative décide que votre enregistrement de nom de domaine doit être radié ou transféré, nous
surseoirons à l’exécution de cette décision pendant dix (10) jours ouvrables (selon les usages établis
au lieu de notre siège) après en avoir été informés par l’institution de règlement compétente. Nous
exécuterons ensuite cette décision, à moins d’avoir reçu de vous dans ce délai de dix (10) jours
ouvrables un document officiel (par exemple la copie d’une plainte, portant le tampon
d’enregistrement d’un greffe de tribunal) attestant que vous avez engagé des poursuites judiciaires à
l’encontre du requérant en un for dont le requérant a accepté la compétence conformément au
paragraphe 3(b)xiii) des règles de procédure. (En règle générale, ce sera soit au lieu de notre siège,
soit à celui de votre adresse telle qu’elle figure dans notre répertoire […]). »
(1119) En ce sens, E.G. THORNBURG, « Going private : Technology, Due Process, and Inter-
net Dispute Resolution », op. cit. n. 977, p. 197, arguant que « si le titulaire du nom de domaine a
perdu la procédure ICANN et qu’il ne peut financer [une action judiciaire], le nom de domaine est
perdu » (trad. par l’auteur) et ID., « Fast, Cheap, and Out of Control : Lessons from the ICANN
Dispute Resolution Process » in J. Small & Emerging Bus. L., 2002, vol. 6, p. 191 et seq., spéc.
p. 224 : « bien qu’une partie insatisfaite du résultat de la procédure UDRP peut saisir un tribunal
pour tenter de renverser la décision, il ne s’agit pas ici d’un recours, mais d’un procédure judiciaire
de novo. Une telle procédure a également de grandes chances d’être affligée par les coûts et les
délais que l’UDRP devait précisément éviter. Il y a eu plus de 3’000 décisions UDRP et environ 25
procédures judiciaires subséquentes. Bien que cela puisse refléter une satisfaction totale avec la
procédure UDRP, il semble beaucoup plus réaliste de dire que cela est dû à tout le moins en partie
au délai excessivement bref et aux coûts probables d’une procédure judiciaire. Une procédure de
recours interne, particulièrement si elle a lieu devant un panel aussi représentatif que possible des
titulaires de noms de domaine et des titulaires de droits de marque, impliquerait moins de frais
pour les parties et leur conférerait un meilleur contrôle sur les décisions erronées » (trad. par
l’auteur).
(1120) Th. SCHULTZ, « Online dispute resolution (ODR) : résolution des litiges et ius nume-
ricum », op. cit. n. 978, p. 198 et seq.
(1123) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911, p. 315, F.
OST, « Validité », op. cit. n. 913, p. 433 : « l’appartenance d’une norme juridique à un système
juridique ».
(1124) F. OST, « Validité », op. cit. n. 913, p. 433.
(1125) H.L.A. HART, Le concept de droit, op. cit. n. 914, p. 130 : « dire qu’une règle donnée est
valide, c’est reconnaître qu’elle satisfait à tous les critères fournis par la règle [secondaire] de recon-
naissance et qu’elle constitue ainsi une règle du système. Nous pouvons même dire simplement que
le jugement selon lequel une règle particulière est valide signifie qu’elle satisfait à tous les critères
fournis par la règle de reconnaissance. »
(1126) J. WROBLEWSKI, « Verification and Justification in the Legal Sciences » in Rechtstheo-
rie, Beiheft no 1, 1979, p. 195 et seq., spéc. p. 207 : « a norm is valid in the systemic meaning of
this term, if it fulfils the following conditions : (a) it is properly enacted and came in force ; (b) is
not derogated ; (c) is not inconsistent with another norm valid in the system in question ; (d) if it
is inconsistent, then it does not [lose] its validity according to the accepted rules of conflicts of
law. » Sur l’importance de la non-contradiction et de la résolution de conflits de normes au sein
d’un même système, contribuant à la construction intellectuelle de la « pyramide des normes », voir
H. KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit. n. 958, p. 274.
(1127) A. AARNIO, Le rationnel comme raisonnable, op. cit. n. 918, p. 49 : « la norme N est léga-
lement valide au sens systémique interne […] si la norme N peut être dérivée d’une transformation
(interne) d’une norme formellement valide eu égard à la Constitution et […] si la validité juridique
de la Constitution peut être justifiée par une norme fondamentale. »
(1128) Pour un exemple de l’adoption de cette solution dans le contexte du droit du cyber-
espace, voir Y. POULLET, « Les diverses techniques de réglementation d’Internet », op. cit. n. 913,
pp. 61-62 : « F. Ost affirmait que la validité d’un système juridique reposait sur trois critères que
nous paraphrasons comme suit : la légitimité des auteurs, la conformité du contenu aux normes
supérieures et, en définitive, l’effectivité de la règle posée. Appliquées à l’autorégulation, […] la
conformité de la norme à la norme supérieure suppose, lorsque la norme provient de sources pri-
vées, que son contenu ne déroge pas et applique le contenu de la norme supérieure. Cette norme
supérieure peut provenir d’un texte international ou national, d’une norme à contenu précis ou au
contraire vague » et ID., « How to Regulate the Internet », op. cit. n. 913, p. 13 : « selon certains
auteurs, tels que Ost, par exemple, il est possible de déterminer la validité d’une norme juridique
selon trois critères […] Le second critère est certainement la conformité du contenu de la norme
par rapport à d’autres normes. À nouveau, ce critère est relativement facile à satisfaire en ce qui
concerne les réglementations traditionnelles, où chaque effort de réglementation doit prendre en
considération des règles à valeur supérieure. Il semble plus difficile à satisfaire quand la conformité
avec les textes législatifs est précisément inexistante, dans la mesure où l’autorégulation est fré-
quemment une manière d’échapper aux modalités traditionnelles de production juridique » (trad.
par l’auteur). Voir aussi ID., « Technologies de l’information et de la communication et ‘co-régula-
tion’ : une nouvelle approche ? », op. cit. n. 919 et C. LAZARO, « Synthèse des débats », op. cit. n.
913, pp. 164–166 : « si l’on raisonne par analogie avec le système juridique étatique,
l’autorégulation, en tant que source normative, serait susceptible de tirer sa validité de trois critè-
res : la légitimité des auteurs, la conformité du contenu aux normes supérieures et l’effectivité de la
règle posée […] Les instruments d’autorégulation se doivent de respecter le contenu des normes
supérieures issues, par exemple, d’un texte national ou international, et ne peuvent, en aucun cas, y
déroger » (nous soulignons).
(1129) Notons qu’Yves Poullet se place dans la même position épistémologique : Y. POULLET,
« Les diverses techniques de réglementation d’Internet », op. cit. n. 913, p. 61, où il affirme que
dans la perspective « d’une reconnaissance claire et indiscutable du pluralisme juridique […] l’acte
d’autoréglementation, et plus généralement les sources privées du droit […] apparaissent au plein
sens du terme comme des ordres juridiques ». Dans « How to regulate the Internet », op. cit. n.
913, p. 12, il adopte la même position.
(1130) La validité formelle étant essentiellement fondée sur des considérations systémiques, qui
reposent en définitive sur la logique formelle, la définition de la validité en logique constitue dans
ce contexte un critère de référence central ; elle s’y définit de la manière suivante : « on dira que le
raisonnement est valide chaque fois que toutes les prémisses (dans le cas d’une règle d’inférence) ou
toutes les hypothèses (dans le cas d’une déduction) ont la valeur vrai dans un monde donné, alors la
conclusion doit aussi avoir la valeur vrai dans ce monde » : Encyclopédie philosophique universelle, t.
II, Les notions philosophiques, t. 2, Paris, PUF, 1990, p. 2963.
(1131) Voir par exemple F. RIGAUX, « Les situations juridiques individuelles dans un système
de relativité générale », op. cit. n. 953, pp. 64–68, P. LAGARDE, « Approche critique de la lex
mercatoria » in Le droit des relations économiques internationales : études offertes à Berthold Goldman,
Paris, Litec, 1982, p. 125 et seq., spéc. p. 147 et Th. CLAY, L’arbitre, Paris, Dalloz, 2001, p. 215.
(1132) Ph. FRANCESCAKIS, « Introduction à l’édition française » de S. ROMANO, L’ordre juri-
dique, op. cit. n. 967, p. xiii : « C’est que l’existence d’un ordre juridique ne dépend pas de sa licéité au
regard de l’ordre étatique. Leur juridicité ne leur vient en effet de rien d’autre que de leur caractère
institutionnel, qui peut, dans des cas extrêmes rappelés par l’auteur, traduire une organisation fort
poussée, comparable à celle de l’État, voire parfois conçue sur son modèle. Leur refuser le caractère
d’ordre juridique, ce ne pourrait être qu’en vertu d’un jugement moral, lequel est précisément
étranger au droit. Ainsi, ces ordres proscrits par l’État et, de même et à plus forte raison, ceux qui
sont pour l’État irrelevants existent chacun dans sa sphère et peu importe que selon le droit de l’État
ils soient antijuridiques. » Voir aussi F. RIGAUX, Droit international privé, t. I, Théorie générale, 2ème
éd., Bruxelles, Larcier, 1987, p. 13 : « il faut joindre l’une à l’autre deux vérités complémentaires :
que chaque société humaine se construit de manière autonome, adoptant des règles et créant des
institutions dont la validité et la juridicité ne sauraient être évaluées de l’extérieur et notamment
par un autre ordre juridique ; qu’aucune société humaine ne peut s’isoler de toutes les autres socié-
tés. »
(1133) F. RIGAUX, La loi des juges, op. cit. n. 954, p. 28. Voir aussi ID., « Les situations juridi-
ques individuelles dans un système de relativité générale », op. cit. n. 953, p. 83 : « seule une identi-
fication périmée entre l’État et le droit conduit à subordonner la juridicité des droits étrangers (ce
qui inclut le droit d’un autre État et le droit non étatique) à leur réception dans le système de la lex
fori. Selon la doctrine traditionnelle, pareil au roi Midas qui transformait tout ce qu’il touchait en
or, seul le droit d’un État serait en mesure de rendre juridique, par son simple contact, une situa-
tion qui n’aurait pu, par elle-même, acquérir ce caractère. Contrairement à cette doctrine il est
erroné de réduire la juridicité des ordres juridiques transnationaux aux phénomènes sporadiques de
leur réception par le droit étatique. » Voir aussi Y. POULLET, « Les diverses techniques de régle-
mentation d’Internet », op. cit. n. 913, p. 61 : « faut-il pour autant considérer que les ordres juridi-
ques privés et publics sont sur pied d’égalité ? De nombreux auteurs affirment le double privilège
étatique par rapport à ceux privés. Le premier est celui du recours ultime devant les juridictions de
l’ordre juridique étatique. Nul ne peut être privé de la possibilité d’un recours devant de telles
juridictions ; le second est précisément la possibilité pour de telles juridictions, d’une part, de juger
de la validité des autres systèmes juridiques et, d’autre part, d’analyser leur conformité à certains
principes-clés de tout ordre juridique. »
(1134) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Jalons pour une théorie critique du droit, op. cit. n.
913, p. 76
(1135) Voir de manière générale, dont le titre est évocateur : F. RIGAUX, « Les situations juri-
diques individuelles dans un système de relativité générale », op. cit. n. 953. Voir aussi ID., « Le
droit au singulier et au pluriel » in RIEJ, 1982, vol. 9, p. 45 et seq., spéc. p. 56, relevant « le carac-
tère essentiellement relatif de tout ordre juridique » et, encore ID., « La relativité générale des
ordres juridiques » in L’extranéité ou le dépassement de l’ordre juridique étatique, s. dir. E. Wyler et A.
Papaux, Paris, Pedone, 1999, p. 75 et seq.
(1136) F. RIGAUX, Droit international privé, t. I, Théorie générale, op. cit. n. 1132, p. 13 : « en
l’absence d’un métasystème et parce que chaque ordre juridique particulier est autonome, il règle à
sa manière et selon la perspective qui lui est propre les relations qu’il entretient avec les autres
systèmes, pure modalité de son propre fonctionnement. »
(1137) En ce sens, on lira avec intérêt ces lignes de François Rigaux : « il arrive que le droit éta-
tique reçoive certains effets juridiques produits par un ordonnancement qui lui est extérieur sans
être celui d’un autre État, ni se rattacher d’aucune manière au droit international […] Citons la
reconnaissance d’un acte de l’autorité religieuse, l’exclusion de la compétence juridictionnelle
étatique par l’effet d’une clause arbitrale, l’application des règles du jeu par le juge de la responsabi-
lité. Encore faut-il entendre la nature de tels phénomènes […] On peut en minimiser la portée en
affirmant que l’acte émanant d’une autorité non étatique est un simple fait au regard du droit
étatique. C’est en vertu de la même qualification réductrice que le droit étatique est tenu pour un
fait par le droit international » : F. RIGAUX, La loi des juges, op. cit. n. 954, p. 28.
(1138) Nous nous plaçons ici en continuité d’une réflexion, menée notamment par François
Ost et Michel van de Kerchove, sur la distinction entre validité interne (« qui s’attache aux actes et
B. — Légalité et effectivité
Du point de vue de l’effectivité, premier pôle d’importance concrète du
critère de légalité appliqué au droit produit par la résolution des litiges en
ligne, le rôle du contrôle de légalité est de vérifier si les conditions, fixées
par le droit étatique, sont satisfaites pour qu’une norme, un ordonnan-
cement juridique, une modalité de production du droit puisse avoir accès à
l’appareil coercitif du système juridique étatique (c’est-à-dire le système
juridique auquel la validité formelle lui prête appartenance) (1140). De
normes juridiques ») et validité externe (« qui caractérise les systèmes juridiques envisagés globale-
ment »). On notera que les auteurs relèvent, en rapport avec cette distinction, que « la validité
interne s’apprécie de façon dominante à l’aide de critères formels et systémiques (pôle légalité),
tandis que, en revanche, la validation des systèmes eux-mêmes procédera pour l’essentiel de consi-
dérations de légitimité et d’effectivité – tant du moins que ne se sera pas imposé un ordre juridique
mondial fixant des critères impératifs de reconnaissances des ordres juridiques » : F. OST et M. VAN DE
KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911, p. 325 (nous soulignons), la référence à un
hypothétique ordre juridique mondial indique, nous semble-t-il, que les auteurs ont adopté un
point de vue externe ; le système de relativité générale et de reconnaissance réciproque des systèmes
juridiques que nous avons évoqué nous semble se placer en exacte continuité avec ce développe-
ment, avec toutefois une perspective légèrement différente. Voir aussi A. AARNIO, Le rationnel
comme raisonnable, op. cit. n. 918, p. 47 : « la question centrale consiste à se demander comment
justifier la norme fondamentale en recourant (seulement) à des critères externes. S’occuper de cette
sorte de validité systémique externe au sens formel nous conduit à prendre en considération le
problème de la légitimité du système de normes en tant que système juridique. »
(1139) Voir Section I. — Le concept de légitimité, p. 509 et seq. infra.
(1140) C’est en ce sens que François Rigaux a pu écrire que « la reconnaissance des actes et des
décisions étrangers s’articule au pouvoir exclusif de contrainte physique exercée par un État sur son
territoire » et qu’« entre le droit étatique et les ordres juridiques transnationaux s’établissent aussi
des relations analogues à celles que les ordres juridiques étatiques entretiennent entre eux. Le droit
international privé des contrats et l’arbitrage transnational en procurent les exemples les plus
significatifs. Quand le réseau institutionnel de l’État accueille un phénomène de juridicité non
étatique, il y fait produire les effets prévus par le droit de cet État. Pareille réception confère à la
situation régie par un ordre juridique transnational une juridicité nouvelle propre au droit étatique,
mais ce n’est pas d’elle que dépend la force obligatoire qui y est inhérente en vertu de l’ordre juridi-
que dont elle émane » : F. RIGAUX, « Les situations juridiques individuelles dans un système de
relativité générale », op. cit. n. 953, pp. 81–82.
(1141) Effectivité et validité formelle sont donc liées. Si une règle est jugée formellement inva-
lide, elle sera exclue du système juridique de référence et ne pourra donc pas bénéficier de l’appareil
de coercition de ce système juridique. Par exemple, un contrat jugé illicite ne pourra plus bénéficier
des procédures d’exécution forcée offertes par le système juridique étatique. Dans un sens proche,
on se rappellera ce passage de Max Weber, que nous avions déjà évoqué : « une règle de droit est
pour nous une prescription assortie de certaines garanties spécifiques qui lui donnent la possibilité
d’entrer dans les faits. Et il faut entendre par droit objectif garanti celui dont la garantie est assurée
par l’existence d’un appareil de coercition » : M. WEBER, Économie et société, t. 2, op. cit. n. 943,
p. 13.
(1142) C’est dans un sens proche que le grand internationaliste René-Jean Dupuy écrivait, dans
le contexte de la globalisation et du cyberespace, qu’en principe « le droit a besoin de l’État, légi-
slateur interne et international qui, doté du monopole de la violence légitime, donne aux normes
juridiques leur effectivité » : R.J. DUPUY, « Le dédoublement du monde » in RGDIP, 1996, p. 313
et seq., spéc. pp. 316–317. Rappelons-nous toutefois ces mots de l’autre grand internationaliste,
François Rigaux : « [certains] ordonnancements non étatiques n’ont pas besoin du bras séculier
pour déployer leurs effets, car ils bénéficient du double attribut de circularité et de clôture qui
appartient à tout ordre juridique » : F. RIGAUX, La loi des juges, op. cit. n. 954, p. 28.
(1143) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911, p. 327.
C. — Légalité et éthique
Du point de vue éthique, deuxième pôle d’importance, le contrôle de léga-
lité est un test de conformité d’une norme, d’un groupe de normes, d’une
modalité de production du droit ou même d’un système juridique tout en-
tier avec ce que l’on peut appeler, avec Lon Fuller, la « moralité interne du
droit » (1144). Il s’agit ici d’une moralité procédurale constituée de princi-
pes considérés nécessaires pour assurer à la production du droit une cer-
taine intégrité morale. Le droit doit être produit en respectant certains
principes (1145) visant à garantir au résultat de la production (c’est-à-dire
le droit en substance) une certaine conformité aux valeurs éthiques ou mo-
rales de ses destinataires. En d’autres termes, le contrôle de légalité est
perçu ici comme un test de moralité visant directement à garantir une cer-
taine justice procédurale ou formelle (1146) et, indirectement, à garantir la
moralité substantielle du droit – cette dernière se confondant avec sa légi-
timité, pôle de la validité auquel nous reviendrons dans le prochain chapi-
tre.
Partant, et en accord avec l’idée centrale de Lon Fuller, la moralité in-
terne est constituée de principes d’efficacité juridique (1147) qui sont en
même temps des idéaux moraux (1148). En simplifiant quelque peu, on
(1144) L.L. FULLER, The Morality of Law, New Haven et Londres, Yale Univ. Press, 1964,
p. 33 et seq. Pour une intégration de ce concept dans le contexte de la validité formelle du droit, F.
OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911, pp. 327–328 : « par
ailleurs, un examen plus attentif des diverses conditions de validité procédurale propres à l’État de
droit révèle un souci qui va bien au-delà d’un pur formalisme : il y va, pour reprendre la lumineuse
expression de L. Fuller, d’une ‘moralité interne du droit’. »
(1145) Selon ces principes, les normes doivent notamment être générales, publiées, non rétro-
actives, claires, non contradictoires, ne pas prescrire l’impossible, ne pas être modifiée avec une
fréquence telle qu’elles en deviennent imprévisibles et leur mise en oeuvre doit pouvoir être atten-
due au regard de leur énoncé : L.L. FULLER, The Morality of Law, op. cit. n. 1144, p. 39 et ID.,
« Eight ways to fail to make law » in Philosophy of Law, s. dir. J. Feinberg, J. Coleman et J.L.
Coleman, 7ème éd., Belmont, Calif., Wadsworth, 2003, p. 20 et seq.
(1146) Voir par exemple J. BARNETT, « The Ninth Amendment and Constitutional Legiti-
macy » in Chi.-Kent. L. Rev., 1988, vol. 64, p. 37 et seq., spéc. p. 43.
(1147) L’efficacité juridique étant, on s’en souvient, la capacité d’une norme à sortir ses effets
juridiques.
(1148) C’est en ce sens qu’il écrit que « what I have called the internal morality of law is […] a
procedural version of natural law […] concerned, not with the substantive aims of legal rules, but
with the ways in which a system of rules for governing human conduct must be constructed and
administered if it is to be efficacious and at the same time remain what it purports to be »: L.L.
FULLER, The Morality of Law, op. cit. n. 1144, pp. 96–97.
(1149) Une célèbre critique de Hart consistait à affirmer que des critères d’efficacité ne consti-
tuent pas des critères de moralité, affirmation illustrée par le passage suivant : « the author’s insis-
tence on classifying these principles of legality as a morality is a source of confusion both for him
and his readers […] The crucial objection to the designation of these principles of good legal
craftsmanship as morality, in spite of the qualification inner, is that it perpetrates a confusion
between two notions that it is vital to hold apart : the notions of purposive activity and morality.
Poisoning is no doubt a purposive activity, and reflections on its purpose may show that it has its
internal principles. (‘Avoid poisons however lethal if they cause the victim to vomit’…) But to call
these principles of the poisoner’s art the morality of poisoning would simply blur the distinction
between the notion of efficiency for a purpose and those final judgments about activities and
purposes with which morality in its various forms is concerned » : H.L.A. HART, « Book Review
of The Morality of Law » in Harv. L. Rev., 1965, vol. 78, p. 1281 et seq., spéc. pp. 1285-86. Si
tout critère d’efficacité ne constitue, en effet, pas un critère de moralité, l’exclusion catégorique
entre ces deux types de critères est trop radicale, étant donné, par exemple, que des critères de
moralité peuvent tout à fait, comme on l’a vu, constituer des critères d’efficacité.
(1150) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911, p. 328.
(1151) L.L. FULLER, The Morality of Law, op. cit. n. 1144, p. 39.
(1152) Rappelons encore ici que cette garantie quant à la substance du droit n’est qu’indirecte,
étant donné que la validité formelle (incluant donc la légalité) est de nature purement procédurale.
Si l’on inclut dans cette question, au titre de meilleure expression de la validité formelle, le principe
hiérarchique (le contenu d’une norme inférieure ne doit pas contredire le contenu d’une norme
supérieure), ce critère de fond n’est en réalité qu’un cas d’application des procédures d’adoption
déterminant la hiérarchie des autorités créatrices de droit. En ce sens, voir F. OST et M. VAN DE
KERCHOVE, Jalons pour une théorie critique du droit, op. cit. n. 913, p. 272 (sur la place du principe
hiérarchique dans le critère de la validité formelle) et, ID., De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911,
p. 326 : « sans doute faut-il, de surcroît, que la règle inférieure ne contredise pas le contenu des
règles supérieures, mais ce critère de fond est lui-même dérivé par rapport à l’ordonnancement
institutionnel formel qui détermine le rang des autorités créatrices de droit. »
(1153) Voir Chapitre XI : Validité formelle : légalité et systèmes juridiques, p. 377 et seq. su-
pra.
cruciale que cette approche soulève, on l’aura deviné, est celle de l’existence
de tels systèmes juridiques non étatiques et, pour notre propos, celle de
l’existence de systèmes étroitement liés à la résolution des litiges en ligne.
L’importance de la question de la validité formelle au regard de tels sys-
tèmes juridiques et corrélativement de l’existence de ces derniers est ici, à
notre sens, qu’elle permet d’identifier les acteurs et les procédures de la
production juridique dans ces contextes. Il faut donc analyser la cons-
titution de systèmes juridiques pour comprendre, d’un point de vue struc-
turel et non substantiel, les phénomènes de production du droit, les inter-
actions entre les acteurs de la production normative et les enjeux posés par
ces phénomènes, notamment du point de vue des garanties éthiques.
Ces enjeux éthiques nous conduiront, au prochain chapitre, à l’examen
de la légitimité du droit produit par la résolution des litiges en ligne et à la
proposition d’architectures de contrôle visant à garantir, pour autant que
faire se peut, cette légitimité. Avant cela, la question de la constitution de
systèmes juridiques étroitement liés à la résolution des litiges en ligne
constituera, en conséquence de ces quelques remarques, la dernière section
du présent chapitre.
(1154) F. RIGAUX, « Souveraineté des États et arbitrage transnational » in Le droit des relations
économiques internationales : études offertes à Berthold Goldman, Paris, Litec, 1982, p. 261 et seq.,
spéc. p. 279.
(1160) L’analyse qui suit reprend, dans les grandes lignes, certaines études que nous avions pu
rapporter dans G. KAUFMANN-KOHLER et Th. SCHULTZ, Online Dispute Resolution : Challenges
for Contemporary Justice, op. cit. n. 936, pp. 135 et seq., 153 et seq., 169 et seq., 209 et seq. et dans
Th. SCHULTZ, « Online Arbitration : Binding or Non-Binding ? », op. cit. n. 1059.
(1161) Voir A. — Légalité et relativité générale, p. 381 et seq. supra.
A. — Clauses de médiation
La question principale qui se pose à l’égard des clauses de médiation (pour
autant qu’elles instituent un préalable obligatoire, et non optionnel, pour
cette forme de règlement des litiges) est de savoir si leur non-respect cons-
titue simplement une violation du contrat qui l’incorpore ou si ces clauses
peuvent être assorties d’une sanction particulière. Ainsi, si une partie liée
par une telle clause intente une action judiciaire ou entame une procédure
d’arbitrage sans recourir préalablement à la médiation, le tribunal doit-il se
déclarer incompétent si la violation de la clause est soulevée à titre de fin de
non-recevoir, doit-il surseoir à statuer ou doit-il prononcer une injonction
renvoyant les parties à la médiation ?
Dans la plupart des ordres juridiques et jusqu’à certaines décisions ré-
centes, la règle générale relative à la conséquence du non-respect d’une
clause de médiation était qu’il s’agissait d’une simple violation du
contrat (1163). Toutefois, de récentes décisions aux États-Unis, en Angle-
(1162) Pour une analyse en droit interne en Allemagne et aux États-Unis de ces questions, voir
A. SPLITTGERBER, Online-Schiedsgerichtsbarkeit in Deutschland und den USA, Aachen, Shaker,
2003, pp. 10, 23–40, 131–152.
(1163) Voir en ce sens le Livre vert de la Commission européenne sur les modes alternatifs de
résolution des conflits relevant du droit civil et commercial, 19 avril 2002, COM (2002) 196 final,
qui a été établi sur la base d’une étude de droit comparée couvrant peu ou prou les 25 États mem-
bre de l’Union européenne. En Suisse, si l’on considère généralement qu’une clause de médiation
n’a aucun effet juridictionnel, qu’elle ne constitue qu’un contrat dont la violation engage la res-
ponsabilité de celui qui refuse de participer à la médiation à concurrence des dommages qui en
découlent, certains auteurs semblent soutenir qu’elle peut constituer une fin de non-recevoir : E.J.
HABSCHEID, « Die außergerichtliche Vermittlung (Mediation) als Rechtsverhältnis » in AJP,
2001, p. 938 et seq., spéc. p. 941 : « diese materiellrechtliche Pflichtenbindung tritt an die Stelle
der öffentlich-rechtlichen bei Einreichung einer Klage. Das ist die materiellrechtliche Seite der
Vereinbarung. Prozessrechtlich wirkt sie wie eine prozesshindernde Einrede, d.h., solange die
Mediation schwebt, ist eine Klage unzulässig. Es handelt sich also um einen materiellrechtlichen
Vertrag mit auch prozessrechtlichen Wirkungen. »
(1170) Ch. NEWMARK, « Agree to mediate… or face the consequences – A review of the Eng-
lish courts’ approach to mediation » in SchiedsVZ, 2003, vol. 1, p. 23 et seq., spéc. pp. 23–24 : « the
encouragement of ADR was only part of a wide ranging reform of the English civil court system
[…] Three years after their introduction, the backlog of cases before the courts has disappeared
and the Lord Chancellor’s Department is now faced with the opposite problem to that which he
faced a decade ago : how to generate enough revenue from a dwindling case load in order to fund
the judicial system. »
(1171) De manière générale sur les clauses d’arbitrage conclues en ligne, voir G. KAUFMANN-
KOHLER, « Arbitration agreements in online business transactions » in Law of International Busi-
ness and Dispute Settlement in the 21st Century. Liber Amicorum Karl-Heinz Böckstiegel, s. dir. R.
Briner, L.Y. Fortier, K.P. Berger et J. Bredow, Cologne, Heymanns, 2001, p. 355 et seq. et ID.,
« Commerce électronique : droit applicable et résolution des litiges », op. cit. n. 983. Voir aussi G.
KAUFMANN-KOHLER et Th. SCHULTZ, Online Dispute Resolution : Challenges for Contemporary
Justice, op. cit. n. 936, p. 138 et seq.
1. Forme écrite
La plupart des droits nationaux (avec l’exception notable des droits fran-
çais (1172) et suédois (1173)) et des textes internationaux exigent la forme
écrite pour la validité des conventions d’arbitrage (1174), sans toutefois
exiger, de manière générale, la signature manuscrite (1175). Étant donné
que l’exigence de l’écrit telle qu’elle fut ancrée dans ces divers textes sous-
entendait toujours l’existence d’un document papier, la question se pose de
savoir dans quelle mesure un message électronique peut satisfaire à cette
condition.
Un certain nombre de droits nationaux et de textes internationaux re-
connaissent expressément le principe de l’équivalence (1176) entre le sup-
port papier et les supports électroniques. Il en va ainsi notamment en droits
(1177) § 1031 al. 1 ZPO, voir P. SCHLOSSER, « La nouvelle législation allemande sur
l’arbitrage » in Rev. arb., 1998, p. 291 et seq., spéc. pp. 295–296.
(1178) Sect. 5 al. 6 Arb. Act., voir J. HÖRNLE, « Online Dispute Resolution » in Bernstein’s
Handbook of Arbitration and Dispute Resolution Practice, s. dir. J. Tackaberry et A. Marriott, 4ème éd.,
Londres, Sweet & Maxwell, 2002, p. 779 et seq., spéc. p. 789.
(1179) Lieschke c. Realnetworks, 2000 WL 198424 (N.D. Ill. 2000), in Yearbook Comm Arb’n,
2000, vol. 25, p. 530 et Rev. arb., 2002, p. 193 et seq., obs. O. Cachard.
(1180) Art. 178 al. 1 LDIP, voir P. VOLKEN ad art. 17 LDIP in Zürcher Kommentar zum
IPRG, 2ème éd., Zurich, Schulthess, 2004, p. 1969 et seq., spéc. p. 1975 et O. ARTER, F.S. JÖRG et
R. GNOS, « Zuständigkeit und anwendbares Recht bei internationalen Rechtsgeschäften mittels
Internet unter Berücksichtigung unerlaubter Handlungen » in AJP, 2000, p. 277 et seq., spéc.
p. 279.
(1181) L’art. 7 al. 2 loi modèle CNUDCI dispose ainsi que : « la convention d’arbitrage doit se
présenter sous forme écrite. Une convention est sous forme écrite si elle est consignée dans un
document signé par les parties ou dans un échange de lettres, de communications télex, de télé-
grammes ou de tout autre moyen de télécommunications qui en atteste l’existence. »
(1182) Art. II al. 2 CNY.
(1183) Voir J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, op. cit. n.
1095, p. 157, avec de nombreuses références.
(1184) Sur cette question, voir J.D.M. LEW, L.A. MISTELIS et S.M. KRÖLL, Comparative In-
ternational Commercial Arbitration, La Haye, Kluwer, 2003, § 7/9.
(1185) G. KAUFMANN-KOHLER, « Arbitration agreements in online business transactions »,
op. cit. n. 1171, p. 360 et seq., A.J. VAN DEN BERG, « The 1958 New York Arbitration Conven-
tion Revisited » in Arbitral Tribunals or State Courts : Who Must Defer to Whom ?, Bâle, ASA, 2001,
p. 125 et seq. et P. MANKOWSKI, « Das Internet im Internationalen Vertrags- und Deliktsrecht »
in RabelsZ, 1999, vol. 63, p. 203 et seq., spéc. pp. 215–216.
(1186) G. KAUFMANN-KOHLER, « Commerce électronique : droit applicable et résolution des
litiges », op. cit. n. 983.
(1187) CNUDCI, rapport du Groupe de travail sur l’arbitrage sur les travaux de sa 34ème ses-
sion, New York, 21 mai – 1er juin 2001, A/CN.9/487, § 63. La question, dont l’importance a été
soulignée, n’a plus été soulevée depuis lors par les Groupes de travail de la CNUDCI.
(1188) G. KAUFMANN-KOHLER, « Arbitration agreements in online business transactions »,
op. cit. n. 1171, pp. 362–363.
(1189) Cette exigence découle de manière générale du principe de l’équivalence fonctionnelle et
n’est pas applicable seulement à l’arbitrage. On en trouve d’ailleurs les mentions les plus explicites
dans les textes qui ne s’appliquent pas (ou du moins pas directement) à l’arbitrage : art. 6 al. 1 loi
modèle CNUDCI sur le commerce électronique : « lorsque la loi exige qu’une information soit
sous forme écrite, un message de données satisfait à cette exigence si l’information qu’il contient
est accessible pour être consultée ultérieurement. » Quant au Guide pour l’incorporation de la loi
type, il précise, § 50, que « le mot accessible implique qu’une information se présentant sous la
forme de données informatisées doit être lisible et interprétable et que le logiciel qui pourrait être
nécessaire pour assurer la lisibilité de pareille information doit être préservé. » Voir aussi l’art. 9 al.
2 projet de convention sur l’utilisation de communications électroniques dans les contrats interna-
tionaux, en l’état rapporté dans le document de travail de la CNUDCI A/CN.9/WG.IV/WP.110,
18 mai 2004 : « lorsque la loi exige qu’un contrat ou toute autre communication soit sous forme
doivent tout d’abord être fixées sur un support durable : une clause figurant
simplement sur le site web du vendeur ne suffira pas comme telle, mais les
informations qui la constituent doivent pouvoir être téléchargées par
l’acheteur et inscrites sur disquette, disque dur, CD-ROM, DVD, etc. De
plus, ces informations doivent pouvoir être téléchargées dans un format
susceptible d’être compatible avec les technologies émergeantes pendant un
certain temps (dont la durée pourrait notamment être établie en s’inspirant
en première approximation des délais de prescription, forts variables il est
vrai, des actions fondées sur les obligations découlant du contrat principal
dans lequel figure la clause d’arbitrage) (1190).
Au-delà de ces exigences de validité, on évoquera encore brièvement la
preuve du contenu de la convention d’arbitrage. Le problème principal qui
se pose à cet égard est de savoir comment protéger les documents électro-
niques contre la falsification. À cet égard, il y a lieu de souligner qu’il existe
certaines technologies qui permettent d’exclure tout risque sérieux
d’altération d’informations enregistrées électroniquement : filigranes nu-
mériques (digital watermarks) apposées sur un document, signatures élec-
écrite, ou prévoit des conséquences en l’absence d’un écrit, une communication électronique satis-
fait à cette exigence si l’information qu’elle contient est accessible pour être consultée ultérieure-
ment. » Des dispositions similaires sont prévues à l’art. 102 lit. a, ch. 55 UCITA, dans l’US E-
Signature Act, 15 U.S.C. § 7006 ch. 9 (2000), à l’art. 1.11 Principes UNIDROIT relatifs aux
contrats du commerce international (« – le terme écrit s’entend de tout mode de communication
qui permet de conserver l’information qui y est contenue et qui est de nature à laisser une trace
matérielle ») et à l’art. 23 al. 2 RB I.
(1190) Cette durée n’est à ce jour définie dans aucun texte légal ou conventionnel. On en
trouve seulement quelques indications, évoquant l’idée que la durée ne doit être que relativement
courte. Ainsi le Guide pour l’incorporation de la loi modèle CNUDCI sur le commerce électroni-
que, qui indique, § 50, que « le mot accessible implique […] que le logiciel qui pourrait être néces-
saire pour assurer la lisibilité de pareille information doit être préservé […] Quant à l’expression
être consultée ultérieurement, elle a été préférée à la notion de durabilité ou à celle d’inaltérabilité, qui
auraient constitué des normes trop strictes, et à des notions comme la lisibilité ou l’intelligibilité,
qui auraient représenté des critères trop subjectifs. » Pour une interprétation du US E-Signature
Act, concluant que la durée d’accessibilité ultérieure ne devrait s’étendre qu’au minimum nécessaire
pour que les obligations prévues par le contrat puissent être exécutées, ce qui, appliqué à une clause
d’arbitrage, revient à calquer cette durée sur celle de la prescription des actions fondées sur les
obligations découlant du contrat de base : R. DENNY, « Electronic Contracting in Delaware : The
E-Sign Act and the Uniform Electronic Transactions Act » in Del. L. Rev., 2001, vol. 4, p. 33 et
seq., spéc. p. 41.
(1191) Voir notamment, avec une approche avant tout technologique, Th. SCHULTZ, V.
BONNET et al., « Electronic Communication Issues Related to Online Dispute Resolution Sys-
tems » in actes du colloque WWW2002 – The Eleventh International World Wide Web Confer-
ence – Alternate Track CFP : Web Engineering, Honolulu, Hawaii, 7–11 mai 2002, <www2002.-
org/globaltrack.html>. Voir aussi P.G. FRINGUELLI et M. WALLHÄUSER, « Formfordernisse
beim Vertragsschluss im Internet » in CR, 1999, vol. 93, p. 99 et seq.
(1192) De manière générale sur ces clauses, voir J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé
de l’arbitrage international, op. cit. n. 1095, pp. 175–189 et, pour l’application de cette problémati-
que aux clauses arbitrales conclues en ligne, G. KAUFMANN-KOHLER, « Arbitration agreements
in online business transactions », op. cit. n. 1171, pp. 364–369.
(1193) J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, op. cit. n. 1095,
pp. 175–189, analysant la Convention de New York, la loi modèle CNUDCI sur l’arbitrage com-
mercial international, les droits suisse, belge, français, néerlandais, italien, anglais et allemand, et
concluant (p. 189) : « qu’elle soit expressément réglementée ou non, la clause arbitrale par référence
est compatible avec toutes les normes ici étudiées, même avec l’art. II de la Convention de New
York qui a suscité le plus de réticences. Lorsqu’elle est globale ou implicite, une première difficulté
consiste à déterminer si le destinataire en a eu connaissance. […] La deuxième question est celle de
l’acceptation. En principe, celle-ci est soumise aux règles générales concernant la validité à la fois
formelle et matérielle de la convention d’arbitrage. Dans la plupart des droits, qui imposent la
forme ou la preuve par écrit, cette acceptation devra résulter d’un document et ne pourra être
tacite. »
(1194) Ibid., p. 176.
(1195) Voir par exemple A.J. VAN DEN BERG, « New York Convention of 1958 Consolidated
Commentary Cases Reported in Volumes XXII (1997) – XXVII (2002) » in Yearbook Comm.
Arb’n, 2003, vol. 28, p. 566 et seq., spéc. p. 589 et seq., pour qui, à l’égard de la Convention de
New York, les situations dans lesquelles une référence globale est admissible sont les suivantes : les
conditions générales ont déjà été communiquées auparavant à la partie censée avoir accepté la
clause, les parties entretiennent une relation d’affaires dans laquelle les mêmes conditions généra-
les, contenant une clause d’arbitrage, sont toujours utilisées et les deux parties appartiennent à un
secteur d’activité où le recours à l’arbitrage est usuel et le contrat est conclu en relation avec une
activité de ce secteur.
(1196) K.P. BERGER, International Economic Arbitration, op. cit. n. 1175, pp. 152 et 155.
(1197) Art. 5bis loi modèle CNUDCI.
cette disposition signifie que les règles régissant l’incorporation par réfé-
rence hors ligne doivent également s’appliquer en ligne (1198). En regard
des conclusions établies pour l’aspect hors ligne de cette problématique, il
convient d’observer que dans la plupart des situations du commerce élec-
tronique, les parties ne s’attendront pas, à l’heure actuelle, à la présence
d’une clause arbitrale dans les contrats qu’ils concluent en ligne. En consé-
quence, une incertitude non négligeable demeure quant à la validité (maté-
rielle) de la convention arbitrale conclue en ligne et incorporée par
référence globale. Il est par contre probable qu’il suffira généralement, pour
établir le consentement d’un acheteur en ligne, (i) de prévoir sur le site web
du vendeur une mention expresse et immanquable indiquant que le contrat
est régi par les conditions générales, (ii) de s’assurer que les conditions gé-
nérales soient effectivement aisément accessibles pour un utilisateur nor-
malement diligent et (iii) d’insérer un champ dans lequel l’utilisateur doit
cliquer pour indiquer qu’il a accepté les conditions générales avant qu’il
puisse procéder à la conclusion du contrat. Toutefois, comme en conclut
Gabrielle Kaufmann-Kohler, il semble préférable d’inclure une mention
expresse de la clause arbitrale dans la référence aux conditions générales
régissant le contrat (1199).
genre sont résolus – quand ils le sont en ligne – par voie de négociation ou
de médiation. Toutefois, la préférence pour ces deux méthodes semble
reposer, d’un côté, sur la difficulté en termes juridiques d’établir un système
d’arbitrage en ligne respectant les exigences des diverses législations de
protection des consommateurs potentiellement applicables (1200) et, de
l’autre, du manque de confiance que l’arbitrage inspire aux consomma-
teurs (1201). Quant à la première de ces raisons, on notera que les dif-
ficultés juridiques diminuent au fur et à mesure que progressent les
recherches en la matière. D’ailleurs, des centres d’arbitrage proposant des
procédures spécifiques pour ce type de différends se développent actuel-
lement, notamment en Angleterre (1202) et en Espagne (1203). Quant à la
deuxième raison, il semble que l’évolution se fasse en direction de
l’arbitrage non contraignant ou plus spécifiquement unilatéralement
contraignant (1204), c’est-à-dire une procédure dans laquelle la décision
peut être rejetée par le consommateur mais non par le professionnel (1205).
Ce genre de procédures réduit certains problèmes de confiance, puisqu’il
est possible, comme en médiation ou en négociation, de renoncer à une
solution qui paraît injuste.
Cela nous amène à notre première question : les conditions de validité
des conventions d’arbitrage en matière de consommation sont-elles égale-
ment applicables à l’arbitrage unilatéralement contraignant ? À la suite de
cette première question, nous examinerons celle du droit applicable à la
convention d’arbitrage, puis l’arbitrabilité des différends qui nous intéres-
sent ici, le rôle limitatif des règles de compétence protectrice, la validité des
clauses compromissoires (par opposition aux compromis arbitraux, conclus
(1200) En ce sens, voir l’entretien avec Steve Abernethy, reproduit dans G. KAUFMANN-
KOHLER et Th. SCHULTZ, Online Dispute Resolution : Challenges for Contemporary Justice, op. cit. n.
936, p. 307 et seq.
(1201) Th. SCHULTZ, « Does Online Dispute Resolution Need Governmental Intervention ?
The Case for Architectures of Control and Trust » in N.C. J.L. & Tech., 2004, vol. 6, p. 71 et seq.,
spéc. p. 89.
(1202) Voir notamment les diverses procédures du CIArb, <www.arbitrators.com> .
(1203) A. MONTESINOS, « Arbitraje online en la nueva Ley de Arbitraje 60/2003, de 23 de
diciembre » in Revista de la Corte Española de Arbitraje, 2004, vol. 19, p. 243 et seq.
(1204) Th. SCHULTZ, « Online Arbitration : Binding or Non-Binding ? », op. cit. n. 1059.
(1205) Voir Sous-section III. — L’arbitrage non contraignant : vers une distanciation par
rapport aux droits étatiques, p. 428 et seq. infra.
(1209) Ceci sera également étudié sous Sous-section III. — L’arbitrage non contraignant :
vers une distanciation par rapport aux droits étatiques, p. 428 et seq. infra.
(1210) Voir par exemple, pour une analyse nuancée, P. MAYER, « Les limites de la séparabilité
de la clause compromissoire » in Rev. arb., 1998, p. 359 et seq.
(1211) A. REDFERN et M. HUNTER, Law and Practice of International Commercial Arbitration,
op. cit. n. 1174, p. 157.
(1212) A.J. VAN DEN BERG, The New York Convention of 1958 : Towards a Uniform Judicial In-
terpretation, Deventer, Kluwer, 1981), pp. 291–292.
(1213) Sur cette question, A. REDFERN et M. HUNTER, Law and Practice of International
Commercial Arbitration, op. cit. n. 1174, pp. 157–159, J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé
de l’arbitrage international, op. cit. n. 1095, p. 274 et seq., J.D.M. LEW, « The Law Applicable to
the Form and Substance of the Arbitration Clause », op. cit. n. 1174, p. 136, L. COLLINS, « The
law governing the agreement and procedure in international arbitration in England » in Contem-
porary Problems in International Arbitration, s. dir. J.D.M. Lew, Londres, Publ. Queen Mary
College, 1986, p. 127 et seq., A.J. VAN DEN BERG, The New York Convention of 1958 : Towards a
Uniform Judicial Interpretation, op. cit. n. 1212, pp. 292–294 et P. SCHLOSSER, Das Recht der
internationalen privaten Schiedsgerichtsbarkeit, 2ème éd., Tubingen, Mohr, 1989, pp. 192–193.
(1214) Notamment L. COLLINS, « The law governing the agreement and procedure in inter-
national arbitration in England », op. cit. n. 1213, M.J. MUSTILL et S.C. BOYD, The law and
practice of commercial arbitration in England, 2ème éd., Londres et Edimbourg, Butterworths, 1989,
p. 63 et A. REDFERN et M. HUNTER, Law and Practice of International Commercial Arbitration, op.
cit. n. 1174, pp. 157–158.
(1215) En Angleterre, Black-Clawson Intl Ltd c. Papierwerke Waldhof – Aschaffenburg AG,
Queen’s Bench, in Lloyd’s Reports, 1981, no 2, p. 446 et seq., spéc. p. 455, The « Marques de
Bolarque », Queen’s Bench, in Lloyd’s Reports, 1984, no 1, p. 652 et seq. et ABB c. Keppel, in Lloyd’s
Reports, 1999, no 2, p. 24 et seq., spéc. p. 35. En Allemagne, Bundesgerichtshof, arrêt du 12 février
1976, in NJW, 1976, p. 1591. En Italie, SpA Coveme c. Compagnie française des isolants SA, Corte di
Appello di Bologna, 21 décembre 1991, in Yearbook Comm. Arb’n, 1993, vol. 18, p. 422 et seq. En
Belgique, Company M. c. M. SA, Cour d’appel de Bruxelles, 4 octobre 1985, in Yearbook Comm.
Arb’n, 1989, vol. 14, p. 618 et seq.
(1216) A.J. VAN DEN BERG, The New York Convention of 1958 : Towards a Uniform Judicial In-
terpretation, op. cit. n. 1212, p. 293, P. SCHLOSSER, Das Recht der internationalen privaten Schieds-
gerichtsbarkeit, op. cit. n. 1213, pp. 192–193 et J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de
l’arbitrage international, op. cit. n. 1095, pp. 271–272. La principale raison invoquée pour ce rejet
est « le rôle fondamentalement différent de la clause compromissoire par rapport aux autres dispo-
sitions du contrat » (Poudret et Besson, loc. cit.).
(1217) Voir J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, op. cit. n.
1095, p. 277.
(1218) A. REDFERN et M. HUNTER, Law and Practice of International Commercial Arbitration,
op. cit. n. 1174, pp. 129–130 et 158–159.
(1219) J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, op. cit. n. 1095,
p. 333.
(1220) Voir notamment A. REDFERN et M. HUNTER, Law and Practice of International Com-
mercial Arbitration, op. cit. n. 1174, p. 148 et A. RIGOZZI, « L’arbitrabilité des litiges sportifs » in
Bull. ASA, 2003, vol. 21, p. 501 et seq., spéc. pp. 502–503.
(1221) J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, op. cit. n. 1095,
p. 298 et Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD et B. GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial inter-
national, op. cit. n. 1095, § 532. L’arbitrabilité relève ainsi de considérations d’ordre public : K.H.
BÖCKSTIEGEL, « Public Policy and Arbitrability » in Comparative Arbitration Practice and Public
Policy in Arbitration, Deventer, etc., Kluwer, ICCA Congress Series no 3, 1999, p. 177 et seq.
(1222) On notera toutefois qu’un courant doctrinal minoritaire considère que l’arbitrabilité est
soumise non au droit du siège, mais au droit applicable à la convention d’arbitrage, qui peut être
élu par les parties. Ce rattachement subjectif de l’arbitrabilité ferait de cette dernière un élément à
la libre disposition des parties, ce qui, à notre sens, contrevient à l’essence de la notion
d’arbitrabilité, qui est de véhiculer des considérations d’ordre public. Défendant cette position, B.
HANOTIAU, « L’arbitrabilité et la favor arbitrandum : un réexamen » in JDI, 1994, p. 899 et seq.,
spéc. pp. 909–911.
(1223) Sur ces diverses situations, J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage
international, op. cit. n. 1095, pp. 303–306 et 947–948. Sur la dernière situation, voir art. V al. 2
CNY.
(1224) Des conditions de forme supplémentaires pour la validité de clauses d’arbitrage en ma-
tière de consommation sont prévues par le droit allemand : § 1031 al. 5 ZPO. Voir aussi J.
SAMTLEBEN, « Zur Wirksamkeit von Schiedsklauseln bei grenzüberschreitenden Börsentermin-
geschäften » in ZEuP, 1999, vol. 4, p. 974 et seq., spéc. p. 977 et C. BÖCKER, Das neue Recht der
objektiven Schiedsfähigkeit : Deutschland, Österreich, Spanien, Aachen, Shaker, 1998, p. 81. En raison
de ces conditions de forme, la doctrine soutenant l’inarbitrabilité des litiges ne peut que partir
d’une conception différente (généralement non définie par les auteurs) de l’arbitrabilité : N.
REICH, « Zur Wirksamkeit von Schiedsklauseln bei grenzüberschreitenden Börsentermingeschäf-
ten » in ZEuP, 1998, vol. 3, p. 974 et seq., spéc. p. 981 et R. HAUSMANN, « Einheitliche An-
knüpfung internationaler Gerichtsstands- und Schiedsvereinbarungen ? » in Festschrift für Werner
Lorenz, s. dir. B. Pfister et M.R. Will, Tübingen, Mohr, 1991, p. 359 et seq.
(1225) J.T. MCLAUGHLIN, « Arbitrability : Current Trends in the United States » in Arb. Int.,
1996, p. 123 et seq., R.M. ALDERMAN, « Consumer Arbitration in the United States : A System
in Need of Reform » in Revista Latinoamericana de Mediación y Arbitraje, 2002, vol. 3, p. 118 et
seq., spéc. p. 122 et seq. et L. ALLE-MURPHY, « Are Compulsory Arbitration Clauses in Con-
sumer Contracts Enforceable ? A Contractual Analysis » in Temple L. Rev., 2002, vol. 75, p. 125 et
seq.
(1226) Le Consumer Arbitration Agreements Act 1988 anglais prévoit des conditions spécifi-
ques pour la validité d’une convention d’arbitrage dans le domaine de la consommation. Voir aussi
V. ALLOTTI, « La clausole arbitrali nei contratti con i consumatori : l’esperienza inglese » in
Rivista dell’arbitrato, 1998, vol. 8, p. 360 et seq.
(1227) M.A. LÓPEZ et M. ORERO NÚÑEZ, « Le système espagnol d’arbitrage des litiges de
consommation » in REDC, 1996, p. 120 et seq.
(1237) Voir K.P. BERGER, International Economic Arbitration, op. cit. n. 1175, pp. 690–691, P.
SCHLOSSER, Das Recht der internationalen privaten Schiedsgerichtsbarkeit, op. cit. n. 1213, § 875 et
I. SCHWANDER, Einführung in das internationale Privatrecht. Erster Band : Allgemeiner Teil, op. cit.
n. 1232, p. 252 et seq.
(1238) En ce sens, voir H. VON FREYHOLD, V. GESSNER, E.L. VIAL et H. WAGNER, The
Cost of Judicial Barriers for Consumer in the Single Market, Bruxelles, Publ. Commission européenne,
1996 et B. FELDTMANN, H. VON FREYHOLD et E.L. VIAL, The Cost of Legal Obstacles to the
Disadvantage of the Consumers in the Single Market, Bruxelles, Publ. Commission européenne,
1998, <europa.eu.int/comm/dgs/health_consumer/library/pub/pub03.pdf>. Voir aussi Section I.
— L’inadéquation des tribunaux étatiques, p. 253 et seq. supra.
(1239) Voir aussi G. ALPA, « La clausola arbitrale nei contratti con i consumatori » in Rivista
dell’arbitrato, 1997, p. 681 et seq., l’auteur concluant de manière similaire en ce qui concerne
l’arbitrage hors ligne.
(1240) M.A. LÓPEZ et M. ORERO NÚÑEZ, « Le système espagnol d’arbitrage des litiges de
consommation », op. cit. n. 1227, p. 128 et A.-M. DE MATOS, Les contrats transfrontières conclus par
les consommateurs, Aix-en-Provence, PUF, 2001, p. 470 et seq.
(1241) En droit suisse, aucune condition particulière n’est explicitement posée à la validité de
telles clauses. Certains auteurs considèrent toutefois que les règles de compétence protectrice (art.
114 al. 2 LDIP), qui ne visent expressément que les clauses d’élection de for, devraient également
s’appliquer à l’arbitrage et ainsi invalider les clauses compromissoires incluses dans des contrats de
consommation : voir F. KNOEPFLER, note sous ATF 118 II 353 (Fincantieri Cantieri Navali) in
Rev. arb., 1993, p. 695 et seq., spéc. pp. 698–699. Nous avons déjà conclu ci-dessus que nous
estimons que ces règles de compétence protectrice ne doivent pas s’appliquer à l’arbitrage si celui-ci
est économiquement accessible : voir sous 4. Règles de compétence protectrice, p. 408 et seq.
supra.
(1242) P. ULMER, H.E. BRANDNER, H.D. HENSEN et H. SCHMIDT, AGB Gesetz. Kommen-
tar, 9ème éd., Cologne, O. Schmidt, 2001, § 622. Contra M. WOLF, N. HORN et W.F.
LINDACHER, AGB-Gesetz : Gesetz zur Regelung der allgemeinen Geschäftsbedingungen, 4ème éd.,
Munich, Beck, 1999, § 214.
(1243) Voir sect. 1 al. 1 Consumer Arbitration Agreements Act 1988 anglais.
(1244) Directive 93/13 du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les
contrats conclus avec les consommateurs, JO L 95 du 21.4.1993, p. 29.
(1245) CJCE, arrêt Océano Grupo Editorial SA et Salvat Editores SA c. Rocio Murciano Quintero
du 27 juin 2000, aff. jtes C-240/98 à C-244/98, Rec. 2000, p. I-4941. Voir aussi L.
BERNARDEAU, « Clauses abusives : l’illicéité des clauses attributives de compétences et
l’autonomie de leur contrôle judiciaire (à la suite de l’arrêt CJCE, 27 juin 2000, Océano, aff. C-
240/98) » in REDC, 2000, p. 261 et seq.
(1246) Voir l’art. 6 al. 1 de la directive, selon lequel « les clauses abusives figurant dans un
contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs ». Selon
son art. 3 al. 3, « l’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être
déclarées abusives » (nous soulignons). Les clauses mentionnées à l’annexe ne sont donc pas néces-
sairement abusives. En ce qui concerne les clauses d’arbitrage, voir le § q de l’annexe à la Directive,
qui dispose que peuvent être abusives les clauses ayant pour effet « q) de supprimer ou d’entraver
l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obli-
geant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d’arbitrage non couverte par des disposi-
tions légales » (nous soulignons).
Il convient de noter qu’en France, où ces dispositions de la directive ont été transposées par
l’art. L132-1 du code de la consommation, ce caractère potentiellement abusif a été étendu par une
loi du 20 janvier 2005, au-delà des clauses compromissoires, aux clauses qui obligent le consom-
mateur à « passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges ». À notre sens, le
terme exclusivement doit être interprété en ce sens qu’il couvre également les clauses requérant une
simple participation à une procédure avant de pouvoir intenter une action en justice. Il ne nous
semble pas limité aux seules clauses prévoyant le recours à une procédure telle que l’expertise
irrévocable, dont la mise en œuvre aboutirait à interdire définitivement le consommateur d’intenter
une action en justice ab initio. L’art. L132-1 couvrirait donc notamment les clauses de médiation
préalable. Toutefois, selon nous, le caractère abusif de la clause demeure soumis à la condition que
celle-ci crée un déséquilibre significatif entre les parties, par analogie avec les conclusions de l’arrêt
Océano concernant les clauses d’élection de for. C’est précisément en ce sens qu’a récemment
conclu la Cour de cassation, dans un arrêt Confédération de la consommation du logement et du cadre
de vie (CLCV) c. Foncia Franco Suisse, Cass. 1ère civ., 1er février 2005, no de pourvoi 03-19692. La
Cour y casse un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait décidé qu’une clause instituant un
préliminaire obligatoire de conciliation présentait en elle-même un caractère abusif pour le
consommateur. La Cour de cassation statue que « exempte d’un quelconque déséquilibre significatif au
détriment du consommateur, [la clause de conciliation] ne revêt pas un caractère abusif » (nous
soulignons).
lant du contrat » (1247). S’il est vrai que cette décision ne concernait direc-
tement que les clauses d’élection de for, il ne semble pas y avoir de raison
de ne pas l’appliquer par analogie aux clauses d’arbitrage, étant donné que
la directive les mentionne expressément (1248). Dans cette affaire, le désé-
quilibre découlait du fait que la clause d’élection de for désignait les tribu-
naux du lieu de domicile du professionnel et qu’ainsi celui-ci pouvait
concentrer géographiquement son contentieux alors que les consommateurs
devaient se déplacer, ce qui générait pour ces derniers des coûts dissuasifs.
On peut en déduire qu’une clause compromissoire prévoyant un arbitrage
en ligne n’est en principe pas nulle parce qu’elle ne crée pas de déséquilibre
significatif entre les parties, à condition que l’arbitrage soit économi-
quement accessible. De manière générale, le déséquilibre est largement
réduit du fait qu’aucune des parties ne devra se déplacer pour suivre la pro-
cédure. Cependant, les coûts impliqués par l’arbitrage ne devront pas être
élevés au point d’être dissuasifs pour le consommateur, la différence habi-
tuelle de pouvoir économique entre le professionnel et le consommateur
constituant dans ce cas, à notre sens, un déséquilibre potentiellement si-
gnificatif entre les parties (1249). L’accessibilité économique de la procé-
dure nous semble donc constituer, en dernière analyse, un élément essentiel
à un équilibre minimal des parties.
En droit américain, généralement beaucoup plus favorable à l’arbitrage
en matière de consommation que les droits européens (1250), la
(1247) Au § 24 de son arrêt, la CJCE déclare plus précisément « qu’une clause attributive de
juridiction, qui est insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle dans un contrat
conclu entre un consommateur et un professionnel et qui confère compétence exclusive au tribunal
dans le ressort duquel est situé le siège du professionnel, doit être considérée comme abusive au
sens de l’article 3 de la directive, dans la mesure où elle crée, en dépit de l’exigence de bonne foi, au
détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des
parties découlant du contrat. » La référence à l’absence de négociation individuelle montre que
seules les clauses conclues avant la survenance du litige sont ici concernées.
(1248) Voir § q annexe de la Directive et n. 1246 supra.
(1249) Pour une discussion de cet arrêt en relation avec l’arbitrage en ligne, concluant en des
termes substantiellement similaires aux nôtres, voir G. KAUFMANN-KOHLER, « Commerce
électronique : droit applicable et résolution des litiges », op. cit. n. 983.
(1250) Th.E. CARBONNEAU, « The Exercise of Contract Freedom in the Making of Arbitra-
tion Agreements » in Vand. J. Transnat’l L., 2003, vol. 36, p. 1189 et seq., spéc. pp. 1192 et 1206
et R.S. HAYDOCK et J.D. HENDERSON, « Arbitration and Judicial Civil Justice : An American
Historical Review and a Proposal for a Private/Arbitral and Public/Judicial Partnership » in
Pepperdine Disp. Res. L.J., 2002, p. 141 et seq.
6. Formalités additionnelles
Dans certains cas, la validité d’une convention d’arbitrage en matière de
consommation est soumise à des formalités plus strictes que si le contrat est
conclu entre professionnels ou entre consommateurs. Ainsi, en Allemagne, la
validité de l’incorporation par référence, que celle-ci soit globale ou spécifi-
que, d’une clause d’arbitrage exige la signature par le consommateur, éven-
tuellement sous forme électronique, d’un document contenant la clause
d’arbitrage qui soit distinct du document incorporant les conditions géné-
(1251) En ce sens, H. SMIT, « May an Arbitration Agreement Calling for Institutional Arbi-
tration be Denied Enforcement Because of the Costs Involved ? » in Am. Rev. Int’l Arb., 1997,
vol. 8, p. 167 et seq.
(1252) Green Tree Financial Corp. c. Randolph, 531 U.S. 79 (2000).
(1253) Gutierrez c. Autowest, Inc., 7 Cal. Rptr. 3d 267 (Ct. App. 2003), p. 271 : « consumers
may challenge a predispute arbitration clause as unconscionable if the fees required to initiate the
process are unaffordable, and the agreement fails to provide the consumer an effective opportunity
to seek a fee waiver. »
(1254) Ting c. AT&T, 319 F.3d 1126 (9th Cir. Cal. 2003), p. 1150, Ingle c. Circuit City Stores,
328 F.3d 1165 (9th Cir. 2003), pp. 1175-76 et Szetela c. Discover Bank, 118 Cal. Rptr. 2d 862 (Ct.
App. 2002), pp. 867-68. Voir aussi, pour un survol, Harvard Law Review, « The Supreme Court,
2002 Term : Leading Cases », Partie III. C, « Federal Arbitration Act » in Harv. L. Rev., 2003,
vol. 117, p. 410 et seq.
(1257) Pour le droit suisse, W.J. HABSCHEID, Droit judiciaire privé suisse, 2ème éd., Genève, Li-
brairie de l’Université Georg, 1981, p. 283 ; pour le droit français, Ph. MALAURIE et L. AYNÈS,
Contrats spéciaux, 12ème éd., Paris, Cujas, 1999, p. 590 ; pour le droit allemand, Bundesgerichtshof,
Das bürgerliche Gesetzbuch : mit besonderer Berücksichtigung der Rechtsprechung des Reichsgerichts und
des Bundesgerichtshofes : Kommentar, vol. 2, 12ème éd., Berlin et New York, de Gruyter, 1982, no 55
ad art. 779.
(1258) L’art. 51 CLug et l’art. 58 RB I disposent ainsi que « les transactions conclues devant le
juge au cours d’un procès et exécutoires dans l’État membre d’origine sont exécutoires dans l’État
membre requis aux mêmes conditions que les actes authentiques. » Les transactions judiciaires sont
soumises, pour leur exécution dans le cadre de la CLug et du RB I, aux dispositions de ces textes
portant sur les actes authentiques et non sur les jugements : CJCE, arrêt Solo Kleinmotoren GmbH
c. Emilio Boch du 2 juin 1994, aff. C-414/92, Rec. 1994, p. I-2237.
(1259) Voir, pour le droit communautaire, l’arrêt Solo Kleinmotoren précité et, pour le droit
américain, A.S. RAU, E.F. SHERMAN et S.R. PEPPER, Mediation and Other Non-Binding ADR
Processes, 2ème éd., New York, Foundation Press, 2002, p. 193. Ce problème est reconnu dans la
proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil sur certains aspects de la médiation
en matière civile et commerciale, 22 octobre 2004, COM (2004) 718 final, (voir points 10 et 11 du
préambule) et elle prévoit ainsi, en son art. 5 al. 1, que : « Les États membres font en sorte qu’à la
demande des parties, un accord transactionnel atteint à l’issue d’une médiation puisse être confirmé
au moyen d’un jugement, d’une décision, d’un instrument authentique ou de tout autre acte par un
tribunal ou une autorité publique qui rend l’accord exécutoire au même titre qu’un jugement en
droit national, sous réserve que ledit accord ne soit pas contraire au droit européen ou au droit
national de l’État membre dans lequel la demande est introduite. »
tion des litiges en ligne, il convient d’examiner si les accords issus de mé-
diations extrajudiciaires en ligne ne peuvent bénéficier d’autres régimes
juridiques (1260).
On pensera tout d’abord à faire d’un tel accord un acte authentique au
sens du Règlement Bruxelles I et de la Convention de Lugano. L’exercice
ne s’annonce cependant pas aisé : le concept même d’acte authentique im-
plique sinon une participation, du moins un certain contrôle de la part de
l’État (1261). Sans une implication importante de l’État à un stade ou un
autre de la procédure, il ne sera pas permis à des particuliers de produire un
acte authentique (1262). Ainsi, les principaux cas de figure dans lesquels un
accord issu d’une médiation est reconnu acte authentique, au sens des deux
textes internationaux mentionnés, sont les transactions conclues lors d’une
médiation ordonnée par un juge, celles qui sont conclues devant un centre
de médiation accrédité par l’État et celles qui sont authentifiées par un
notaire (1263). La principale solution pour la médiation en ligne semble à
(1260) Pour plus de développements sur tout ceci, G. KAUFMANN-KOHLER et Th. SCHULTZ,
Online Dispute Resolution : Challenges for Contemporary Justice, op. cit. n. 936, p. 211 et seq. Voir
aussi, pour un survol, B. YUNIS, « Rechtsfragen der Online-Mediation » in Online-Mediation.
Neue Medien in der Konfliktvermittlung – Mit Beispielen aus Politik und Wirtschaft, s. dir. O. Märker
et M. Trénel, Berlin, Sigma, 2003, p. 201 et seq., spéc. p. 218.
(1261) Voir pour plus de précisions H. GAUDEMET-TALLON, Compétence et exécution des juge-
ments en Europe, 3ème éd., Paris, LGDJ, 2002, p. 387 et seq., J. KROPHOLLER, Europäisches Zivil-
prozessrecht. Kommentar zur EuGVO und Lugano-Übereinkommen, 7ème éd., Heidelberg, Recht und
Wirtschaft, 2002, p. 484 et seq. et le Rapport Jenard-Möller sur la Convention de Lugano, JO C
189 du 28.7.1990, p. 57, § 72.
(1262) CJCE, arrêt Unibank A/S c. Flemming G. Christensen du 17 juin 1999, aff. C-260/97,
Rec., p. I-3715, § 21 : « un titre de créance exécutoire en vertu du droit de l’État d’origine mais
dont l’authenticité n’a pas été établie par une autorité publique ou toute autre autorité habilitée à ce
faire par cet État ne constitue pas un acte authentique au sens de l’article 50 de la Convention. »
(1263) J. RISSE, Wirtschaftsmediation, op. cit. n. 1164, pp. 444–445, V. D’HUART, « La procé-
dure de médiation » in La médiation en matière commerciale, Liège, Éd. du Jeune Barreau de Liège,
2000, p. 87 et seq., M. SANTA-CROCE, « L’efficacité des modes alternatifs de règlement des
litiges dans le contentieux international et européen » in Gaz. Pal., 2001, p. 936 et seq., spéc.
p. 938, H. GAUDEMET-TALLON, Compétence et exécution des jugements en Europe, op. cit. n. 1261,
p. 389 et J. KROPHOLLER, Europäisches Zivilprozessrecht, op. cit. n. 1261, pp. 485–486. Quant à
l’authentification par le notaire : N. WATTÉ, A. NUYTS et H. BOULARBAH, « La Convention de
Bruxelles » in JT, 2000, vol. 8, p. 225 et seq., spéc p. 237 : « l’authentification doit […] être le fait
d’une autorité publique ou de toute autre autorité habilitée par la loi de l’État d’origine et elle doit
porter non seulement sur les éléments extrinsèques de l’acte, comme la date et la signature, mais également
sur le contenu de l’acte. Les actes privés munis d’une certification de signature par une personne
habilitée […] ne sont, partant, pas des actes authentiques même s’ils sont exécutoires dans l’État
dans lequel ils ont été accomplis. » En ce sens, voir aussi T. COLIN, Le Notaire français et le Notaire
suisse face à l’Europe, Paris, LGDJ, 1993, p. 82.
(1264) Sur ces centres, voir J. RISSE, Wirtschaftsmediation, op. cit. n. 1164, p. 444.
(1265) K.P. BERGER, International Economic Arbitration, op. cit. n. 1175, p. 582, A.J. VAN DEN
BERG, The New York Convention of 1958 : Towards a Uniform Judicial Interpretation, op. cit. n.
1212, pp. 49–51, Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD et B. GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial
international, op. cit. n. 1095, §§ 1364–1366 et W.L. CRAIG, W.W. PARK et J. PAULSSON,
International Chamber of Commerce Arbitration, op. cit. n. 120, p. 358.
(1266) Ces procédures sont notamment suggérées par l’Association du barreau américain :
ABA Task Force on E-Commerce and ADR and Shidler Center, « Addressing Disputes in Elec-
tronic Commerce : Final Recommendations and Report », op. cit. n. 1061, p. 456. La deuxième
d’entre elles à également été envisagée lors de l’élaboration de l’Uniform Mediation Act américain,
mais elle a été rejetée parce que la commission d’expert considéra que la voie habituelle d’exécution
des accords issus de médiations constitue une possibilité de contrôle nécessaire du caractère équita-
ble des accords : Th.J. STIPANOWICH, « Contract and Conflict Management », op. cit. n. 1166,
p. 903.
(1267) Les contacts ex parte, c’est-à-dire les communications entre l’arbitre (ou les arbitres) et
l’une seulement des parties, violent le devoir d’impartialité de l’arbitre et le principe du contra-
dictoire si ces communications portent sur le litige et non sur des questions purement procédurales
(calendrier, futures audiences, etc.) : A. REDFERN et M. HUNTER, Law and Practice of Inter-
national Commercial Arbitration, op. cit. n. 1174, § 4/58. En médiation, la règle générale est que le
médiateur s’isole tour à tour avec chacune des parties pour s’entretenir du litige ; ces réunions
(caucus) sont admissibles, fréquentes et désirables en médiation. Plus avant sur ces réunions : A.
BEVAN, Alternative Dispute Resolution, Londres, Sweet & Maxwell, 1992, p. 19 et J. RISSE, Wirt-
schaftsmediation, op. cit. n. 1164, p. 241 et seq.
(1268) Pour les renonciations ex ante au droit à l’impartialité de l’arbitre, voir notamment Cour
eur. D.H., Suovaniemi et autres c. Finlande, 23 février 2999, décision non publiée sur la recevabi-
lité, requête no 31737/96, présenté et étudié dans G. KAUFMANN-KOHLER et Th. SCHULTZ,
Online Dispute Resolution : Challenges for Contemporary Justice, op. cit. n. 936, p. 205 et seq.
(1269) Voir Th. CLAY, L’arbitre, op. cit. n. 1131, p. 43 et seq.
(1270) Ch. JARROSSON, La notion d’arbitrage, Paris, LGDJ, 1987, spéc. §§ 175–181.
(1271) En ce sens, J. RISSE, Wirtschaftsmediation, op. cit. n. 1164, p. 442.
(1272) Pour une analyse de ces questions en droit interne en Allemagne et aux États-Unis, voir
A. SPLITTGERBER, Online-Schiedsgerichtsbarkeit in Deutschland und den USA, op. cit. n. 1162,
pp. 87 et seq. et 183 et seq.
(1273) Art V al. 1, lit a CNY.
(1274) Voir Sous-section I. — Premier point de passage : conventions de résolution
extrajudiciaire des litiges, p. 391 et seq. supra.
(1275) Art. IV al. 1 CNY.
(1276) L’authentification ne concerne que la signature (on parle également de légalisation d’une
signature) tandis que la certification conforme de la copie porte sur l’intégralité du document :
P.M. PATOCCHI et C. JERMINI ad Article 194 LDIP in Kommentar zum Schweizerischen Privat-
recht. Internationales Privatrecht, s. dir. H. Honsell, N.P. Vogt et A.K. Schnyder, Bâle et
Francfort-sur-le-Main, Helbing & Lichtenhahn, 1996, p. 1730 et seq., spéc. p. 1752, § 50 et A.J.
VAN DEN BERG, The New York Convention of 1958 : Towards a Uniform Judicial Interpretation, op.
cit. n. 1212, p. 251.
(1277) L’autorité compétente pour établir l’authenticité ou la certification sont en principe les
tribunaux, les notaires et les agents diplomatiques ou consulaires de l’État d’origine : Ph.
FOUCHARD, E. GAILLARD et B. GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, op. cit.
n. 1095, § 1675 et A.J. VAN DEN BERG, The New York Convention of 1958 : Towards a Uniform
Judicial Interpretation, op. cit. n. 1212, pp. 255–256.
(1278) J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, op. cit. n. 1095,
p. 920, P.M. PATOCCHI et C. JERMINI ad art. 194 LDIP, op. cit. n. 1276, § 51, Ph. FOUCHARD,
E. GAILLARD et B. GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, op. cit. n. 1095,
§ 1675, A.J. VAN DEN BERG, The New York Convention of 195 8: Towards a Uniform Judicial
Interpretation, op. cit. n. 1265, pp. 252–253.
(1279) Pour le droit français, voir D. FROGER, « L’authenticité électronique » in Le droit inter-
national de l’internet, s. dir. G. Chatillon, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 395 et seq., spéc. p. 397 :
« il n’y a plus besoin de se préoccuper de la manière électronique ou non, certifiée ou non, dont les
cocontractants vont manifester leur consentement. Ils peuvent tout simplement cliquer sur une
icône, l’essentiel est que cela se passe devant le notaire, en sa présence. » De manière générale sur la
question, I. DE LAMBERTERIE (éd), Les actes authentiques électroniques : réflexion juridique prospec-
tive, Paris, La Documentation française, 2002.
On peut à notre avis également interpréter en ce sens, en ce qui concerne le droit Suisse, l’art.
28 du règlement du Service diplomatique et consulaire suisse ou l’art. 21 al. 2 de la loi genevoise
sur le notariat – prévoyant que la signature manuscrite doit pour l’authentification être apposée sur
le document devant l’agent diplomatique ou consulaire – à la lumière du futur art. 14 al. 2bis CO
(appliqué par analogie), qui prévoit l’équivalence de certaines signatures numériques et des signa-
tures manuscrites. L’interprétation conduirait donc à admettre que, pour qu’il y ait authentifica-
tion, la signature numérique doit être apposée sur le document électronique devant l’agent
diplomatique ou consulaire.
(1280) Nous avions déjà pu conclure en ce sens dans Th. SCHULTZ, « Online Arbitration :
Binding or Non-Binding ? », op. cit. n. 1059. Dans le même sens, J. ARSIC, « International Com-
mercial Arbitration on the Internet - Has the Future Come Too Early ? » in JintArb., 1997,
vol. 14, p. 209 et seq., spéc. p. 217, M.E. SCHNEIDER et Ch. KUNER, « Dispute Resolution in
International Electronic Commerce » in JintArb., 1997, vol. 14, p. 5 et seq., spéc. p. 24, R. HILL,
« Online Arbitration : Issues and Solutions » in JintArb., 1999, vol. 15, p. 199 et seq., spéc. p. 207
et I. KALANKE, Schiedsgerichtsbarkeit und schiedsgerichtsähnliche Verfahren im Internet, op. cit. n.
1059, pp. 127–128.
(1281) V. DELICATO, « Le autenticazioni necessarie per il riconoscimento e l’esecuzione dei
lodi esteri secondo la Convenzione di New York del 1958 » in RDIPP, 1988, vol. 24, p. 659 et
seq., spéc. p. 665 et seq.
(1282) Le problème a été évoqué par la CNUDCI, qui conclut provisoirement en 2002 (la
question ayant été laissée de côté depuis lors) à la nécessité d’un protocole additionnel à la CNY :
voir CNUDCI, Groupe de travail sur le commerce électronique, Aspects juridiques du commerce
électronique, Les obstacles juridiques au développement du commerce électronique dans les ins-
truments internationaux relatifs au commerce international, New York, 14 février 2002,
A/CN.9/WG.IV/WP.94, § 152. Plus spécifiquement sur le protocole additionnel comme instru-
ment juridique adéquat : CNUDCI, rapport du Groupe de travail sur l’arbitrage sur les travaux de
sa 36ème session, New York, 12 avril 2002, A/CN.9/508.
(1283) Voir J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, op. cit. n.
1095, pp. 920-921, Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD et B. GOLDMAN, Traité de l’arbitrage com-
mercial international, op. cit. n. 1095, § 1675 et A.J. VAN DEN BERG, The New York Convention of
1958 : Towards a Uniform Judicial Interpretation, op. cit. n. 1212, p. 249.
(1284) On notera également ici que la jurisprudence américaine semble admettre
l’authentification de l’original de la sentence par l’institution d’arbitrage elle-même : voir Conti-
nental Grain Co. c. Foremost farms, 1998 U.S. Dist. LEXIS 3509 (S.D.N.Y. 1998), in Yearbook
Comm. Arb’n, 2000, vol. 25, p. 820 et seq., voire par les arbitres eux-mêmes : Bergesen c. Joseph
Müller Corp., 710 F.2d 928, 934 (2d Cir. 1983), in Yearbook Comm. Arb’n, 1984, vol. 9, p. 487 et
seq.
(1285) Notons également que, à notre sens, une telle impression de la sentence après la fin de
la procédure d’arbitrage ne constitue pas une correction de la sentence par le tribunal arbitral,
correction qui, en tant qu’exception au principe selon lequel le tribunal arbitral est dissout dès la
communication de la sentence (principe de functus officio), nécessite une base légale ou le consen-
tement des parties, possiblement consacré par le règlement d’arbitrage. Sur ce principe, G.
KAUFMANN-KOHLER et A. RIGOZZI, « Correction and interpretation of awards in international
arbitrations held in Switzerland. Note on a decision of the Swiss Federal Court (ATF 126 III
524) » in Jusletter, 19 mars 2001 et A. REDFERN et M. HUNTER, Law and Practice of International
Commercial Arbitration, op. cit. n. 1174, §§ 8/93 et 8/94.
(1286) Il convient de mentionner ici que seule l’annulation dans l’État d’origine de la sentence
joue un rôle quant à une subséquente procédure d’exequatur : voir par exemple K.P. BERGER,
International Economic Arbitration, op. cit. n. 1175, p. 649.
(1287) Art. V al. 1, lit. e CNY. Il est très généralement admis que cette disposition n’a pas une
portée absolue, le texte de quatre des cinq langues officielles (la version française étant la cin-
quième) disposant que la demande d’exécution peut être refusée (may be refused) en raison de
l’annulation de la sentence : voir J. PAULSSON, « May or Must Under the New York Convention.
An Exercise in Syntax and Linguistics » in Arb. Int., 1998, p. 227 et seq. et ID., « The case for
disregarding LSAS (local standard annulments) under the New York Convention » in Am. Rev.
Int’l Arb., 1996, vol. 7, p. 99 et seq. De plus, l’art. VII CNY prévoit l’applicabilité des dispositions
nationales plus favorables à l’exécution des sentences. Certains tribunaux, en France, en Belgique,
aux Pays-Bas et aux États-Unis ont ainsi donné suite à une demande d’exequatur portant sur une
sentence annulée sur recours dans son pays d’origine : Ph. FOUCHARD, « La portée internationale
de l’annulation de la sentence dans son pays d’origine » in Rev. arb., 1997, p. 329 et seq., spéc. 334
et seq. et J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, op. cit. n. 1095,
pp. 898–904 et 962–964.
(1288) Voir B. — Conventions d’arbitrage : aspects généraux, p. 394 et seq. supra et C. —
Clause d’arbitrage en matière de consommation, p. 401 et seq. supra. Pour le surplus, nous ren-
voyons à J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, op. cit. n. 1095,
pp. 426–429 et 772–777.
(1289) Voir par exemple, sur cette question, Th. SCHULTZ, « Human rights : speed bumps for
arbitral procedures ? » in L’impact des droits de l’homme sur les différentes disciplines du droit, s. dir. F.
Werro, à paraître 2005/2006.
(1290) Voir art. 1039 al. 2 WBR et J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage
international, op. cit. n. 1095, p. 500
(1291) Selon P. BERNARDINI, Rapport national pour l’Italie, in International Handbook on
Commercial Arbitration, s. dir. J. Paulsson, suppl. du 31 septembre 2000, La Haye, Kluwer, ICCA
Series, p. 23.
(1292) Ainsi la loi modèle CNUDCI sur l’arbitrage commercial international (art. 24 al. 1) et
les droits allemand (art. 1057 ZPO), belge (art. 1694 Cj et J. LINSMEAU, L’arbitrage volontaire en
droit privé belge, Bruxelles, Bruylant, 1991, § 245 ainsi que P. DE BOURNONVILLE, Droit judi-
ciaire : l’arbitrage, Bruxelles, Larcier, 2000, p. 175), français (selon C. KESSEDJIAN, « Principe de la
contradiction et arbitrage » in Rev. arb., 1995, p. 381 et seq., spéc. p. 405, contra Ph. FOUCHARD,
E. GAILLARD et B. GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, op. cit. n. 1095,
§ 1296) et suédois (art. 24 al. 1 SU). Voir aussi G. KAUFMANN-KOHLER, « Identifying and
Applying the Law Governing the Arbitration Procedure – The Role of the Law of the Place of
Arbitration » in Improving the Efficiency of Arbitration Agreements and Awards : 40 Years of Applica-
tion of the New York Convention : ICCA International Arbitration Conference, Paris, 1998, s. dir. A.J.
van den Berg, La Haye et Cambridge, Mass., Kluwer, ICAA Congress Series no 9, 1999, p. 336 et
seq., spéc. pp. 357, 359, 363–364.
(1293) Voir sect. 34 al. 2, lit. h Arb. Act.
(1294) ATF 117 II 346 (U. c. Époux G.), in Bull. ASA, 1991, vol. 9, p. 415 et seq. Voir aussi J.-
F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, op. cit. n. 1095, pp. 500,
780–781 et J.-F. POUDRET, « Expertise et droit d’être entendu dans l’arbitrage international » in
Études de droit international en l’honneur de Pierre Lalive, Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 1993,
p. 607 et seq.
(1295) G. MÖLLER, Rapport national pour la Finlande, in International Handbook on Commer-
cial Arbitration, s. dir. J. Paulsson, suppl. d’octobre 1995, La Haye, Kluwer, ICCA Series, p. 13.
(1296) Voir par exemple K.P. BERGER, International Economic Arbitration, op. cit. n. 1175,
p. 374, Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD et B. GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial inter-
national, op. cit. n. 1095, § 1638 et J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage
international, op. cit. n. 1095, p. 780 et seq.
(1297) Voir aussi D. GIRSBERGER et D. SCHRAMM, « Cyber Arbitration und prozessuale
Fairness » in Geschäftsplattform Internet IV. Open Source – Multimedia – Online Arbitration, s. dir.
R.H. Weber, M. Berger et R. auf der Maur, Zurich, etc., Schulthess, 2003, p. 189 et seq., spéc.
198.
(1298) G. KAUFMANN-KOHLER et Th. SCHULTZ, Online Dispute Resolution : Challenges for
Contemporary Justice, op. cit. n. 936, p. 204 et seq., D. GIRSBERGER et D. SCHRAMM, « Cyber-
Arbitration » in EBOR, 2002, vol. 3, p. 605 et seq., spéc. pp. 613–614 et S. SCHIAVETTA, « The
Relationship Between e-ADR and Article 6 of the European Convention of Human Rights
pursuant to the Case Law of the European Court of Human Rights » in JILT, 2004, no 1, <elj.-
warwick.ac.uk/jilt/04-1/schiavetta.html>.
(1299) Voir sur ceci J. HÖRNLE, « Online Dispute Resolution », op. cit. n. 1178, §§ 11/59 et
11/74–11/77 et O. CACHARD, « Electronic Arbitration », module 5.9 du cours de la CNUCED
sur la résolution des litiges dans le commerce international, l’investissement et la propriété intel-
lectuelle, UNCTAD/EDM/Misc.232/Add.20, New York et Genève, Publ. Nations unies, 2003,
<www.unctad.org/en/docs/edmmisc232add20_en.pdf>, p. 36.
ques largement diffusés et connus, même s’ils sont peut-être moins perfor-
mants.
Le principal vice pouvant affecter la sentence dans le contexte de
l’arbitrage en ligne concerne la forme écrite et la signature de la sentence et,
dans une moindre mesure, sa motivation. Ne pas motiver une sentence, ou
ne l’accompagner que d’une motivation très succincte, peut constituer une
tentation assurément réelle pour un tribunal arbitral visant à minimiser le
plus possible les coûts et la durée de la procédure. Nonobstant le fait que la
plupart des lois d’arbitrage permettent d’annuler une sentence non ou in-
suffisamment motivée (1300), la difficulté ne doit pas être surestimée. Il
suffira généralement (sauf pour un arbitrage ayant son siège en Belgique,
aux Pays-Bas ou en Italie (1301)) de prévoir l’absence de motivation dans
les règles de procédure (1302), les parties pouvant le plus souvent dispenser
les arbitres de motiver leurs sentences (1303). La forme écrite et la signa-
ture par les arbitres de la sentence est une question un peu plus problémati-
que. La plupart des lois d’arbitrage, à l’exception notable des droits français
et suisse (1304), permettent d’annuler une sentence si elle n’a pas été ren-
due en forme écrite et signée (1305), et seul le droit anglais (1306) permet
aux parties de renoncer à cette exigence de forme. Dans les États recon-
naissant l’équivalence des documents électroniques et des documents pa-
pier, ainsi que des signatures électroniques et manuscrites, l’exigence de
l’écrit et de la signature ne devrait pas poser de difficulté ; tout au plus sera-
(1300) Deux exceptions notables étant la Suisse et, selon certains auteurs, la France : J.-F.
POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, op. cit. n. 1095, p. 799 et, pour
la Suisse, ATF 116 II 373 = JdT 1991 I 186.
(1301) Voir, respectivement, art. 1706 al. 6 et 1704 al. 2, lit. i Cj ; art. 1057 al. 4, lit. e et 1065
al. 1, lit. d WBR ; art. 832 al. 2, ch. 3 et 829, al. 1, ch. 3 CPCI.
(1302) Les parties peuvent notamment renoncer à la motivation de la sentence selon la loi mo-
dèle de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, ainsi qu’en droits anglais et alle-
mand : voir respectivement art. 31 al. 2 loi modèle CNUDCI ; sect. 52 al. 4 et 70 al. 4 Arb. Act. ;
§ 1052 al. 2 ZPO.
(1303) De manière générale, J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage inter-
national, op. cit. n. 1095, pp. 708–713.
(1304) Ibid., p. 797.
(1305) Il en va ainsi notamment selon la loi modèle de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial
international (art. 31 al. 1) et les droits allemand (art. 1054 al. 1 ZPO), autrichien (art. 577 et 592
al. 2 ZPO), belge (art. 1701 et 1704 al. 2, lit. h Cj), italien (art. 823 al. 1, 829 al. 1, ch. 5, 823 al. 2
et 837 CPCI) et néerlandais (art. 1057 WBR). Le droit suédois l’érige en condition de nullité
absolue (art. 31 et 33 SU).
(1306) Sect. 52 Arb. Act.
Le constat de l’analyse que nous venons de mener est que si aucune diffi-
culté capitale ne semble exister à l’intégration de la production juridique
des mécanismes de résolution des litiges en ligne, certaines incertitudes
demeurent et certains obstacles sont encore posés. Ceci est tout particuliè-
rement vrai en matière d’arbitrage en ligne impliquant des consommateurs.
Or il semblerait que ces obstacles poussent les institutions d’arbitrage en
ligne à se distancer des ordres juridiques étatiques en développant des for-
mes d’arbitrage qui sont, aux États-Unis (1308), encore marginales, au
Royaume-Uni (1309), récentes et peu pratiquées et, en Europe continen-
tale, radicalement non orthodoxes. On pense à ces procédures que l’on peut
regrouper sous le terme d’arbitrage non contraignant. Il convient tout
d’abord d’expliciter les concepts que couvre ce terme, d’en évoquer les di-
verses formes. Ensuite, nous étudierons le but premier de l’arbitrage non
contraignant, soit la reconstruction de l’effectivité en palliant les obstacles
posés par le droit étatique. Enfin, nous nous pencherons sur l’intégration
du droit produit par les procédures d’arbitrage non contraignant dans
l’ordre juridique étatique.
(1307) De manière générale, voir art. 6 et 7 loi modèle CNUDCI sur le commerce électroni-
que.
(1308) Voir par exemple A.S. RAU et C. PÉDAMON, « La contractualisation de l’arbitrage : le
modèle américain » in Rev. arb., 2001, p. 451 et seq., spéc. p. 448 et seq., sous titre « Le pouvoir
des parties de limiter conventionnellement l’étendue de la compétence arbitrale » et, en matière de
propriété intellectuelle, S.H. BLACKMAND et R.M. MCNEILL, « Alternative Dispute Resolution
in Commercial Intellectual Property Disputes » in Am. U. L. Rev., 1998, vol. 47, p. 1709 et seq.,
spéc. p. 1714.
(1309) Sect. 58 al. 1 Arb. Act. : « unless otherwise agreed by the parties, an award made by the
tribunal pursuant to an arbitration agreement is final and binding both on the parties and on any
persons claiming through or under them » (nous soulignons).
(1310) En ce sens, avec une approche fondée essentiellement sur l’anthropologie juridique, M.
SHAPIRO, Courts : a comparative and political analysis, op. cit. n. 1052, p. 7, l’auteur évoquant la
« compulsory nonbinding arbitration […] that is, the parties may be compelled by statute or a
contract provision to go to arbitration if a contract provision is in dispute, but the same statute
and/or contract may not compel them the arbitrator’s award ».
(1311) Sur ces clauses unilatéralement contraignantes, généralement considérées comme valides
par analogie aux clauses unilatérales d’élection de for, dont la validité est clairement établie, voir
par exemple L. IDOT, « Arbitrage et droit communautaire » in RDAI, 1996, vol. 7, p. 561 et seq.,
spéc. p. 582 et Ph. FOUCHARD, « Clauses abusives en matière d’arbitrage » in Rev. arb., 1995,
p. 147 et seq., spéc. pp. 148–149. La question est cependant moins clairement tranchées aux États-
Unis, où un risque d’invalidité demeure : L.A. NIDDAM, « Unilateral Arbitration Clauses in
Commercial Arbitration » in ADRLJ, 1996, vol. 5 p. 147 et seq. ainsi que W.W. PARK, « Making
Sense of Financial Arbitration » in ICC Bull. (numéro spécial sur l’arbitrage, la finance et les
assurances), 2000, vol. 7, p. 12 et seq.
(1312) Pour plus de développements sur ces formes d’arbitrage, Th. SCHULTZ, « Online Ar-
bitration : Binding or Non-Binding ? », op. cit. n. 1059. et G. KAUFMANN-KOHLER et Th.
SCHULTZ, Online Dispute Resolution : Challenges for Contemporary Justice, op. cit. n. 936, p. 153 et
seq.
(1313) Voir Section II. — Effectivité symbolique et instrumentale, p. 315 et seq. supra.
(1314) Pour une brève introduction à ces formes d’assistance à la négociation, voir A.-J.
ARNAUD et J.-P. BONAFÉ-SCHMITT, « Alternatif (Droit) – Alternative (Justice) » in Dictionnaire
encyclopédique de sociologie et de théorie du droit, s. dir. A.-J. Arnaud, 2ème éd., Paris, LGDJ, 1993,
p. 11 et seq., spéc. p. 14. Pour une comparaison entre l’arbitrage non contraignant et d’autres
formes d’assistance à la négociation, voir A.S. RAU, « Contracting Out of the Arbitration Act » in
Am. Rev. Int’l Arb., 1997, vol. 8, p. 225 et seq., spéc. p. 242 : « the parties may see the virtues of
what is in effect an advisory opinion as an aid to evaluating a case for settlement purposes – al-
though they may be unwilling to give up all notion of recourse to litigation […] In this respect
non-binding arbitration has much in common with other formal reality testing devices such as court-
annexed arbitration, the summary jury trial, the mini-trial, and fact finding in public-sector em-
ployment disputes. »
(1315) Sur cette dernière phase de la médiation, voir par exemple « Should Mediators Evalu-
ate ? : A Debate Between Lela P. Love and James B. Boskey » in Cardozo Online J. Conflict Resol.,
1999–2000, vol. 1, p. 1 et seq. et, dans le contexte de procédures en ligne de recommandation, A.
CRUQUENAIRE et F. de PATOUL, « Le développement des modes alternatifs de règlement des
litiges de consommation : Quelques réflexions inspirées par l’expérience ECODIR », op. cit. n.
1070, §§ 75–80.
(1316) En plus de l’exemple évoqué ci-après, voir l’art. 10 du règlement d’arbitrage de la Grain
and Feed Trade Association (GAFTA) à Londres, qui prévoit une procédure de recours interne
devant un « board of appeal ».
(1317) Voir sur cela Th. SCHULTZ, « Does Online Dispute Resolution Need Governmental
Intervention ? », op. cit. n. 1201, p. 100 et seq.
(1318) Art. 17 règlement d’arbitrage de la Chambre arbitrale de Paris.
(1319) Pour d’autres procédures d’arbitrage à deux niveaux et de manière générale sur ce sujet,
voir É. LOQUIN, « L’examen du projet de sentence par l’institution et la sentence au deuxième
degré. Réflexions sur la nature et la validité de l’intervention de l’institution arbitrale sur la sen-
tence » in Rev. arb., 1990, p. 427 et seq., spéc. p. 440 et seq. Voir aussi A. KASSIS, Réflexions sur le
règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale – Les déviations de l’arbitrage institu-
tionnel, Paris, LGDJ, 1988, p. 139 et seq.
(1320) Sect. 6 al. 2 règlement d’arbitrage du Chartered Institute of Arbitrators pour les litiges
impliquant des membres de l’association britannique des agences de voyages.
en tient au double examen du bien-fondé des moyens des parties, qui affine
l’image de la probable solution devant une subséquente procédure judiciaire
ou arbitrale, et au simple dédoublement des possibilités des parties
d’obtenir une sentence dont ils considèrent le contenu légitime (1321).
En définitive, on comprend que l’effectivité symbolique des décisions
rendues par arbitrage non contraignant est une forme de compensation de
la difficulté d’accès à la force publique. L’augmentation de la probabilité
d’une exécution volontaire de la décision, par la partie débitrice à l’issue de
la procédure, contrebalance les obstacles posés à l’arbitrage en ligne en vue
de l’obtention d’une exécution forcée par l’appareil coercitif étatique.
L’effectivité symbolique de la décision vise donc à compenser le manque
d’effectivité instrumentale, qui est d’ordinaire assurée par la force publique
mais qui peut aussi l’être par des mécanismes d’autoexécution.
(1321) Plus généralement sur l’importance des instances de recours en ligne, voir Sous-section
III. — Instances de recours en ligne, p. 544 et seq. infra.
(1322) Voir Section VI. — Mécanismes d’autoexécution et ODR, p. 349 et seq. supra.
(1323) Voir A. — Labellisation des sites web, p. 353 et seq. supra. Voir au surplus <www.on-
lineconfidence.org/To-Resolve/ODR-Proced/index.htm>.
(1324) Voir Section IV. — La procédure UDRP de l’ICANN, p. 188 et seq. supra.
(1325) Voir E. — Autoexécution technologique, p. 374 et seq. supra.
(1326) Voir A. — Légalité et relativité générale, p. 381 et seq. supra.
(1327) Voir A. — Définition et formes de l’arbitrage non contraignant, p. 429 et seq. supra.
(1328) Voir Section IV. — La procédure UDRP de l’ICANN, p. 188 et seq. supra.
(1329) E.G. THORNBURG, « Going private : Technology, Due Process, and Internet Dispute
Resolution », op. cit. n. 977, p. 197, arguant que « si le titulaire du nom de domaine a perdu la
procédure ICANN et qu’il ne peut financer [une action judiciaire], le nom de domaine est perdu »
(trad. par l’auteur) et voir B. — Un système juridique pour les noms de domaine : l’ICANN et
l’UDRP, p. 481 et seq. infra.
(1330) Voir B. — Un système juridique pour les noms de domaine : l’ICANN et l’UDRP,
p. 481 et seq. infra.
(1331) Voir « Evaluation. How the Expert Evaluation System Works », <www.onlineresolu-
tion.com/oe-how.cfm> (trad. par l’auteur). Les règles de procédure elles-mêmes ne sont pas
accessibles.
(1332) Voir art. 3 al. 3, ch. 3 règlement ECODIR et A. CRUQUENAIRE et F. de PATOUL,
« Le développement des modes alternatifs de règlement des litiges de consommation : Quelques
réflexions inspirées par l’expérience ECODIR », op. cit. n. 1070, § 78.
(1333) Nous avions déjà pu conclure en ce sens dans G. KAUFMANN-KOHLER et Th.
SCHULTZ, Online Dispute Resolution : Challenges for Contemporary Justice, op. cit. n. 936, p. 159 et
seq. Nous renvoyons à cet ouvrage pour de plus amples développements sur la nature de l’arbitrage
non contraignant au regard du droit (étatique) de l’arbitrage.
(1334) Voir en ce sens Ch. JARROSSON, « Les frontières de l’arbitrage » in Rev. arb., 2001, p. 5
et seq., spéc. p. 21 : « l’arbitre impose sa solution » et ID., La notion d’arbitrage, op. cit. n. 1270,
p. 197, J.-F. POUDRET et S. BESSON, Droit comparé de l’arbitrage international, op. cit. n. 1095,
p. 3, T.E. CARBONNEAU, Cases and Materials on The Law and Practice of Arbitration, 2ème éd.,
Yonkers, NY, Juris Publ. 2000, p. 2 : « once the parties entrust the arbitral tribunal with the au-
thority to rule, they – subject to a possible settlement – relinquish control of the dispute and of its
resolution to the arbitrators » et M. HUYS et G. KEUTGEN, L’arbitrage en droit belge et internatio-
nal, Bruxelles, Bruylant, 1981, p. 21.
(1339) M. VAN DE KERCHOVE et F. OST, Le système juridique entre ordre et désordre, op. cit. n.
540, p. 22.
(1340) Ces trois premières distinctions sont rapportées par van de Kerchove et Ost, ibid.,
pp. 23–24, se référant, pour (1) à N. BOBBIO, Teoria dell’ordinamento giuridico, Turin,
Giappachelli, 1960, p. 23 et à A.-J. ARNAUD, Critique de la raison juridique, t. I., Où va la sociologie
du droit ?, Paris, LGDJ, 1981, p. 21 ; pour (2) à J. COMBACAU, « Le droit international : bric-à-
brac ou système ? » in APD, 1986, vol. 31, p. 85 et seq. ; pour (3) à M. JORI, « Ordre juridique » in
APD, 1984, vol. 29, p. 347 et seq., spéc. p. 349.
(1341) C. ALCHOURRÓN et E. BULYGIN, Normative Systems, Vienne et New York, Springer,
1971.
(1344) F. RIGAUX, Droit international privé, t. I, Théorie générale, op. cit. n. 1132, p. 11.
(1345) Ibid., p. 12 : « les doctrines monistes sont les plus fidèles au modèle scientifique idéal ».
Voir aussi, sur le monisme, H. KELSEN, « Les rapports de système entre le droit interne et le droit
international » in Rec. Cours La Haye, 1926, vol. 14, p. 227 et seq.
(1346) H. KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit. n. 958, p. 436, sous titre « Le caractère iné-
vitable d’une construction moniste », l’auteur évoquant également, p. 430, « l’unité scientifique de
la totalité du droit ».
(1347) Ibid., p. 378, titre du § 41.
(1348) Ibid., p. 380.
au même titre que le droit étatique. Ils ne doivent pas être relégués au rang
d’infra-droit (1356). La présence de l’État n’est alors, bien entendu, plus un
critère d’identification d’un système juridique. Partant, la question se pose
de savoir quels sont les nouveaux critères d’identification.
Une forme radicale et paradigmatique du pluralisme juridique est défen-
due par Jean-François Perrin, dans un ouvrage qu’une recension qualifia de
« révolution copernicienne » (1357). « Il y a autant d’ordres juridiques que
de groupes » (1358), écrit l’auteur, relevant ainsi l’importance cruciale, pour
la constitution d’un système juridique, de la présence d’une entité sociale,
d’une « unité collective réelle » (1359). Quant à l’identification de ce qui
constitue la juridicité d’une assertion normative, elle dépend de la
« reconnaissance du caractère juste d’un rapport de droit et de de-
voir » (1360). En d’autres termes, un ordre (ou système) juridique existe
(1356) J.-F. PERRIN, Sociologie empirique du droit, op. cit. n. 917, p. 27 et références.
(1357) F. OST, Compte-rendu de Jean-François Perrin, Sociologie empirique du droit, in RIEJ,
1998, vol. 40, p. 181 et seq., spéc. p. 181 : « sous les allures anodines d’une introduction à la so-
ciologie du droit, ce livre développe les éléments de quelques chose comme une révolution juridi-
que […] un changement de paradigme qui serait à la science du droit ce que la révolution
copernicienne fut à l’astronomie. »
(1358) J.-F. PERRIN, Sociologie empirique du droit, op. cit. n. 917, p. 38.
(1359) Ibid., p. 40. Sur le concept d’« unité collective réelle », voir G. GURVITCH, Éléments de
sociologie juridique, Paris, Aubier-Montaigne, 1940, p. 180 : « tout groupe, toute unité collective
réelle, représente une synthèse, un équilibre des formes de sociabilité, une unité intégrée en même
temps dans un ensemble plus vaste de la société globale. Ce qui caractérise un groupe particulier,
c’est l’élément de synthèse unifiante qui cependant n’est pas totale. » L’importance de la présence
d’une entité sociale pour la constitution d’un système juridique est aussi retenue par S. ROMANO,
L’ordre juridique, op. cit. n. 967, pp. 17–18, pour qui il faut, en vue de la détermination du concept
de droit et donc de système juridique, « avant tout se rapporter au concept de société. […] Ce que
l’on doit entendre par société, ce n’est pas simplement une relation entre individus, telle l’amitié,
où le droit n’a aucune part, mais une entité distincte des individus qui la composent et constituent
de façon concrète une unité, même d’un point de vue formel et extrinsèque. Il s’agit bien d’une
unité effectivement constituée : […] une classe ou une couche sociale, non pas organisée comme
telle, mais résultant d’une simple affinité entre les personnes qui en font partie, n’est pas une
société au sens propre. » Pour une approche en anthropologie du droit de cette question, voir S.F.
MOORE, Law as Process. An Anthropological Approach, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1978,
p. 54, retenant le concept de « champ social semi-autonome ». Pour une approche en droit inter-
national privé, tout particulièrement dans le contexte de la lex mercatoria : P. LAGARDE,
« Approche critique de la lex mercatoria », op. cit. n. 1131, p. 134 : pour qui la notion de système
juridique est fondée, notamment, sur un « élément d’organisation sociale, d’unité structurée en vue
d’une certaine fin ». Notons que ce concept d’entité sociale correspond largement à ce que nous
avons pu qualifier, dans ce travail, de communauté : voir Sous-section I. — Des réseaux choisis de
sociabilité, p. 212 et seq. supra.
(1360) J.-F. PERRIN, Sociologie empirique du droit, op. cit. n. 917, p. 30.
dans cette optique chaque fois que plusieurs personnes forment un groupe
reconnaissant le caractère juste d’un rapport de droit et de devoir qui leur
est propre (1361). C’est ainsi que l’auteur évoque, à titre d’illustration, la
famille comme constituant un groupe social (1362). C’est dire que le nom-
bre de systèmes juridiques existant, qui se passent de toute évidence de la
présence de l’État, est réellement gigantesque.
Bien qu’elle soit profondément réaliste, et donc particulièrement
convaincante, cette approche, par son caractère radicalement empirique et
sociologique, ne nous semble pas contenir en elle-même les éléments opé-
ratoires requis pour notre étude. Néanmoins, sans développer plus avant les
nombreux avantages d’un tel pluralisme radical pour la science juridique,
nous en tirerons à tout le moins deux enseignements. Tout d’abord, nous
retiendrons que les réseaux des groupes sociaux et de leurs aspirations au
droit sont innombrables et qu’il n’existe guère de raisons que dogmatiques
pour écarter purement et simplement ces relations du phénomène de la
juridicité. Ensuite, nous poursuivrons l’idée qu’il convient d’adopter une
approche gradualiste, parce que, si tous ces groupes forment des systèmes
juridiques, il faudra bien n’en retenir que certains pour les besoins de
l’analyse. Au lieu d’affirmer que seuls les systèmes juridiques que nous re-
tiendrons méritent réellement cette qualification, nous admettrons qu’il
existe certainement de nombreux autres systèmes juridiques, mais que seuls
ceux que nous qualifierons comme tel nous semblent établis avec suffisam-
ment de force pour constituer un objet d’analyse adéquat pour notre étude.
En d’autres termes, si ce pluralisme radical n’aura cesse de jouer un impor-
tant rôle d’arrière-plan, nous nous devons de rechercher des critères
d’identification d’un système juridique plus opérants pour notre propos. À
cette fin, la première étape consiste à clarifier l’idée de la gradualité que
nous venons d’évoquer.
(1361) Voir aussi F. OST, Compte-rendu, op. cit. n. 1357, p. 183 : « dans [les] pratiques [socio-
juridiques] et les représentations qui y sont liées, la sociologie empirique du droit voit plutôt
l’expression de faits normatifs, de normes, tantôt spontanées, tantôt organisées, constitutives
d’autant d’ordres juridiques distincts. »
(1362) J.-F. PERRIN, Sociologie empirique du droit, op. cit. n. 917, p. 30, p. 43, sous titre « Quels
types de groupes sociaux rencontre-t-on, le plus souvent ? » : « on observe en effet que des entités
nouvelles naissent souvent. Il n’est pas possible de proposer un numerus clausus des groupes sociaux.
Ainsi, par exemple, la famille monoparentale est un groupe social d’émergence assez récente. »
(1363) J. RAZ, Practical reasons and norms, Londres, Hutchinson, 1975, p. 150 (trad. par
l’auteur).
(1364) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911, p. 188,
poursuivant en indiquant qu’« en d’autres termes, on peut admettre que l’autonomie d’un système
juridique par rapport aux autres systèmes juridiques est aussi relative qu’elle l’est par rapport au
système social et à d’autres systèmes normatifs non juridiques ».
(1365) Dans un sens proche à cette idée de spectre définitoire, donnant au concept de système
juridique une très grande largeur de champ sémantique, fondée d’un côté sur l’idée qu’il faut don-
ner à un concept le sens qu’il a acquis par son utilisation en pratique (suivant ainsi le Wittgenstein
d’après-guerre) et, de l’autre, sur le principe qu’il faut qualifier un système de juridique quand cette
qualification constitue, simplement, la meilleure acception de sa nature : S. COYLE, « Hart, Raz,
and the concept of a legal system » in L. & Phil., 2002, vol. 21, p. 275 et seq., spéc. p. 301 : « a
system of law need only be classified as such on the grounds that it is best explained as legal rather
than anything else : the notion of a legal system can remain, in semantic terms, indeterminate » et
« there is no reason to accept (and many reasons to doubt) that a single theoretical framework can
effectively account for the concept of law ».
(1366) Ainsi, selon Locke, un groupe ne quitte pas l’état de nature parce qu’il n’existe pas de
règles qui lui sont propres (c’est-à-dire la présence de ce qu’il faut probablement reconnaître
comme un système juridique au sens de Perrin), mais parce qu’il « manque une loi établie, fixée,
connue […] ; il manque un juge connu de tous et impartial […] ; la puissance manque à l’appui de
la décision pour l’imposer quand elle est juste et la mettre à l’exécution comme il se doit » : J.
LOCKE, Deuxième traité de gouvernement civil, trad. B. Gilson, Paris, Vrin, 1977, p. 146 et seq.
Pour davantage de développements et de clarifications sur cette idée, F. OST et M. VAN DE
KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911, pp. 368–371, parlant ainsi de la
« constitution progressive des systèmes juridiques » et de du fait que « la genèse de la juridicité est
progressive ».
(1367) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911, p. 189.
(1368) M. VAN DE KERCHOVE et F. OST, Le système juridique entre ordre et désordre, op. cit. n.
1350, p. 191, écrivant qu’en général « les conventions privées ne constituent pas un système juridi-
que distinct du système juridique étatique, bien qu’elles émanent des particuliers, pour la simple
raison que ceux-ci n’agissent pas comme membres d’un groupement distinct de la société globale ».
suivant Ost et van de Kerchove, ci-dessus. En effet, l’auteur écrit, p. 26, que « nous entendons par
institution tout être ou corps social » (autonomie sociale), puis p. 28, qu’il faut se poser la question
de savoir si les institutions sont « intégrées à la structure de l’institution supérieure […] ou seule-
ment protégées et garanties par celle-ci » (autonomie organique), et que les institutions doivent
être en possession « des moyens nécessaires aux fins qui leur sont réservées » (autonomie organisa-
tionnelle). Pour une interprétation de Santi Romano en ce sens, voir aussi F. OSMAN, Les principes
généraux de la lex mercatoria, Paris, LGDJ, 1992, p. 407, qui note, au sujet de la théorie de Santi
Romano, que « l’institution apparaît alors sous le jour d’une structure organisationnelle, ferment de
l’unité du corps social ».
(1381) F. RIGAUX, « Les situations juridiques individuelles dans un système de relativité géné-
rale », op. cit. n. 953, p. 28, l’auteur en tire ensuite la conséquence qu’une « proposition normative
n’acquiert cette nature que si elle émane d’un pouvoir institué, et à la double condition que les
contestations que peut faire naître son application soient soumises à une autorité apte à les trancher
et que la décision rendue soit exécutoire, le cas échéant par la contrainte » et ID., « Souveraineté
des États et arbitrage transnational », op. cit. n. 1154, p. 279 : « pour mériter la qualification d’ordre
juridique, un système de relations sociales [doit] se composer de trois séries d’éléments : des règles
de conduite observées par leurs destinataires, des règles de décision appliquées par un juge, des
mécanismes de contrainte qui assurent l’effectivité du système. » La présence de ces trois compé-
tences est par ailleurs, selon Locke, le but d’une société tentant de s’arracher à l’état de nature : la
sortie de cet état de nature s’opère en effet en raison de l’absence d’une « loi établie, fixée, connue »,
d’un « juge connu de tous et impartial » et de « la puissance […] à l’appui de la décision pour
l’imposer quand elle est juste et la mettre à l’exécution comme il se doit » : J. LOCKE, Deuxième
traité de gouvernement civil, op. cit. n. 1366, p. 146. Voir aussi M. VIRALLY, La pensée juridique,
Paris, LGDJ, 1960, p. 200: « un ordre juridique complet, c’est-à-dire qui dispose à la fois de
sources du droit originaires, où il puise sa propre validité, et d’un appareil de contrôle et
d’exécution forcée, n’est tributaire d’aucun autre ni au point de vue de la création, ni au point de
vue de l’application des normes qui le composent. Dès lors, il fonctionne naturellement en se
refermant sur lui-même et en n’admettant comme valables que les normes qu’il secrète. Il consti-
tue, structurellement, un système clos. »
(1382) Voir par exemple F.A. MANN, « The Doctrine of International Jurisdiction Revisited
After Twenty Years » in Rec. Cours La Haye, 1984, vol. 186, p. 19 et seq.
pour qu’ils soient facilement opératoires, mais elle semble encore constituer
une concrétisation efficace des critères d’identification d’un système juridi-
que rapportés plus haut (1383).
L’ensemble de ces théories, et tout spécialement l’idée de la gradualité de
la qualification de système juridique liée aux repères que constituent ces
diverses définitions, constituera l’arrière-plan de l’analyse de la constitution
de systèmes juridiques dans le contexte de la résolution des litiges en ligne.
Toutefois, nous retiendrons essentiellement comme critères explicites
d’analyse le triptyque de compétences mentionné par Rigaux. Cette ma-
nière de procéder nous semble la plus féconde et la plus opératoire tout en
couvrant, par sa référence au fondement institutionnel de Santi Romano,
une partie importante des éléments retenus par Ost et van de Kerchove.
Il est bien évidemment possible qu’un système juridique ait une préten-
tion à être reconnu par un autre (prétention unilatérale à la relevance) mais
que ce dernier refuse la reconnaissance (1392). La relevance se concevant
comme graduelle, on peut à tout le moins distinguer, à titre illustratif, deux
cas de figure. Le premier est relevé par Hart. Il concerne l’hypothèse où le
système juridique d’une colonie anglaise refuse de reconnaître la supériorité
du droit anglais en arguant de l’absence de compétences législatives du
Parlement de Westminster à son égard (1393). Il s’agit ici du refus de re-
connaître, au travers de la contestation de la hiérarchie, l’efficacité juridique
du contenu normatif comme tel d’un autre système au sein du système
opérant la reconnaissance. Le second cas de figure est celui où un système
juridique va jusqu’à refuser la prétention d’un système juridique à
l’existence, en le traitant « comme un simple fait, éventuellement illicite, tel
qu’une association de malfaiteurs ou un mouvement terroriste » (1394). Il
s’agit ici du refus, plus radical, de reconnaître l’existence d’un autre système
juridique comme tel (1395).
De manière générale, on peut affirmer que le droit étatique a une pré-
tention à être relevant pour les systèmes juridiques non étatiques (1396). Le
(1397) En ce qui concerne les systèmes juridiques sportifs, voir notamment L. SILANCE, « Les
ordres juridiques dans le sport » in Sport et droit, s. dir. E. Bournazel, Bruxelles, Bruylant, 2000,
p. 107 et seq., spéc. p. 114.
(1398) J.-F. PERRIN, Sociologie empirique du droit, op. cit. n. 917, p. 53.
(1399) Pour des exemples, voir ibid. et, plus spécifiquement en matière de sport, A. RIGOZZI,
L’arbitrage international en matière de sport, op. cit. n. 856, § 153 : « nombreux sont les exemples de
pressions de tout ordre exercées par les organisations sportives afin d’empêcher les sportifs de saisir
les tribunaux étatiques. On peut notamment citer ici la menace de la FIFA d’exclure tous les clubs
français des compétitions internationales suite au dépôt par l’Olympique de Marseille d’une re-
quête de mesures provisionnelles devant les tribunaux bernois visant à annuler la suspension infli-
gée au club phocéen dans le cadre de l’affaire de corruption connue sous le nom d’OM-
Valenciennes. Or force est de constater que dans l’énorme majorité des cas, l’organisation sportive
l’emporte. »
(1400) J.-F. PERRIN, Sociologie empirique du droit, op. cit. n. 917, pp. 53 et 56 et seq. Sur la no-
tion d’internormativité, voir J. CARBONNIER, « Internormativité » in Dictionnaire encyclopédique de
théorie et de sociologie du droit, s. dir. A.-J. Arnaud, Paris, LGDJ, 1993, p. 199 et seq., qui définit ce
terme comme l’« ensemble des phénomènes constitués par les rapports qui se nouent et se dé-
nouent entre deux catégories, ordres ou systèmes de normes ».
(1401) J.-F. PERRIN, Sociologie empirique du droit, op. cit. n. 917, p. 55.
(1402) Ibid., p. 53 et seq., aussi p. 54 : « l’existence ou l’inexistence de contacts entre deux or-
dres normatifs est une question de fait […] La relevance est donnée non seulement lorsqu’un ordre
tel conflit peut être résolu soit par une professio iuris (c’est-à-dire par une
modalité consensuelle), soit par une réelle concurrence entre les systèmes
juridiques (1403).
En simplifiant radicalement, on pourrait dire que la résolution d’un
conflit internormatif par une professio iuris consiste en ceci que les deux
parties optent pour le résultat prévu par un système juridique (par hypo-
thèse le système non étatique) et qu’aucune des parties ne porte le litige
devant l’instance juridictionnelle de l’autre système juridique (par hypo-
thèse les tribunaux étatiques). La convention des parties détermine alors le
système applicable. Quant à la concurrence réelle entre les systèmes juridi-
ques, elle conduira en général à la prééminence du système étatique (1404),
notamment en raison de la puissance de son appareil coercitif, activé par la
saisine des tribunaux (1405).
Toutefois, il arrive que les parties n’aient pas réellement de choix, en
raison d’« obstacles à l’internormativité » (1406). Il s’agit là d’obstacles au
entend déterminer l’existence, le contenu et l’efficacité d’un autre, mais surtout lorsqu’il y parvient
en fait. »
(1403) Ibid., pp. 56–61, notons que Perrin distingue plus précisément entre (1) résolution par
professio iuris et (2)(a) « la loi du plus fort » et (2)(b) « une partie impose le recours au juge ». No-
tons également que les situations relevant typiquement du droit international privé ne présentent
pas véritablement de conflits internormatifs, puisque chaque système étatique prévoit des règles (le
droit international privé) de coordination des différents systèmes ; on pourrait également dire qu’en
droit international privé il existe des conflits de lois mais non des conflits de systèmes : dans un sens
proche, voir H. BATIFFOL, Aspects philosophiques du droit international privé, Paris, Dalloz, 1956,
p. 19 : « le développement récent du droit international privé suggère l’idée qu’il tend vers un ordre
de systèmes, en ce sens qu’il travaille à la coordination de systèmes distincts coexistants, afin de
soumettre à un régime défini les relations privées qui, par leur caractère international, se présentent
comme s’insérant simultanément dans plusieurs systèmes différents. »
(1404) Notons toutefois que prééminence du système étatique ne signifie pas forcément pré-
éminence du droit matériel étatique, étant donné que le système étatique peut tout à fait accorder la
préférence au droit non étatique et s’en inspirer pour interpréter le droit étatique, celui-ci se cal-
quant sur celui-là. Ce genre de relations, notamment, est constitutif de hiérarchies enchevêtrées,
propre au modèle du réseau de Ost et van de Kerchove, que nous avons pu évoquer sous référence
croisée. Pour des exemples concrets où le système étatique suit le droit non étatique, J.-F. PERRIN,
Sociologie empirique du droit, op. cit. n. 917, pp. 58–61.
(1405) Voir Section III. — Concurrence des appareils coercitifs, p. 317 supra.
(1406) G. ROCHER, « Les phénomènes d’internormativité : faits et obstacles » in Le droit soluble :
contributions québécoises à l’étude de l’internormativité, s. dir. J.-G. Belley, Paris, LGDJ, 1996, p. 25
et seq., p. 28 : « l’internormativité ne suppose pas nécessairement le passage d’une règle d’un ordre
normatif vers un autre […] L’internormativité peut prendre la forme d’une résistance à ce passage,
tout autant que celle de l’emprunt d’une norme étrangère. Les porteurs d’un ordre normatif peuvent
s’employer à faire obstacle à un transfert de normes, perçu comme une intrusion ou un envahis-
sement non souhaité. »
(1407) J.-F. PERRIN, Sociologie empirique du droit, op. cit. n. 917, pp. 56–57, relevant l’exemple
suivant : « un nombre important de contrats de vente par acomptes sont nuls parce qu’ils contre-
viennent à des dispositions légales impératives destinées à protéger les consommateurs. Nous avons
pu observer que, dans un certain nombre de cas, les consommateurs, pourtant dûment informés au
sujet de leurs droits, renoncent à agir en justice. Les normes qui régissent ces contrats découlent
d’une convention tacite, contraire au droit impératif. On peut affirmer que ces situations ne sont
pas isolées. La recherche a permis de montrer que cette illégalité (du point de vue du droit étatique)
se rencontre fréquemment, en pratique. »
(1408) Pour des exemples en ce sens, on pensera notamment à l’affaire OM/Valenciennes, rele-
vant du droit du sport, et notamment décrite dans J.P. KARAQUILLO, « Réflexion sur la décision
du tribunal de Berne dans l’affaire UEFA-FIFA/OM-FFF » in RJES, 1993, vol. 29, p. 19 et seq.
Lire aussi Ch.-A. MORAND, « Le droit saisi par la mondialisation : définition, enjeux et trans-
formations » in Le droit saisi par la mondialisation, s. dir. Ch.-A. Morand, Bruxelles, Bruylant /
Bruxelles, Éd. de l’Université de Bruxelles / Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 2001, p. 87 et seq.,
spéc. p. 100 : « l’autonomie [des systèmes juridiques non étatiques] est renforcée par le fait que
certains groupes interdisent le recours au droit étatique et qu’ils assurent l’efficacité de l’interdiction
par des pénalités très graves. Cela est particulièrement vrai en matière de droit sportif. Bernard
Tapie s’en est rendu compte, lorsqu’il a tenté de recourir aux tribunaux bernois contre une sanction
sportive dans l’affaire OM/Valenciennes. Le droit sportif l’a emporté, parce que la transgression de
l’interdiction de porter le conflit devant les tribunaux étatiques aurait créé un préjudice considéra-
ble au club en question », l’auteur affirmant par ailleurs, p. 99, que « le critère décisif [de
l’autonomie d’un système juridique] réside dans le fait que le groupe spécialisé réussit, en cas de
conflit, à substituer au moins dans une certaine mesure sa propre justice à celle de l’État ».
(1409) M. VIRALLY, La pensée juridique, op. cit. n. 1381, p. 200.
(1410) Voir B. — Critères d’identité d’un système juridique,p. 440 et seq. supra. Voir aussi
Th. SCHULTZ, « eBay : un système juridique en formation ? » in RDTI, 2005, vol. 22, p. 27 et seq.
(1411) Nous avions déjà pu ébaucher cette théorie dans Th. SCHULTZ, « Online dispute reso-
lution (ODR) : résolution des litiges et ius numericum », op. cit. n. 978, p. 203.
(1412) B. BADIE, La fin des territoires, Paris, Fayard, 1995, 4ème de couverture.
(1413) J. CHEVALLIER, « Mondialisation du droit ou droit de la mondialisation ? » in Le droit
saisi par la mondialisation, s. dir. Ch.-A. Morand, Bruxelles, Bruylant / Bruxelles, Éd. de
l’Université de Bruxelles / Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 2001, p. 37 et seq., spéc. p. 38.
(1414) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911, p. 125.
Voir aussi, sur la notion d’« espace juridique », F. RIGAUX, Droit public et droit privé dans les rela-
tions internationales, op. cit. n. 957, p. 408 et seq. et 442 et seq. et Ch.-A. MORAND, « Le droit
saisi par la mondialisation : définition, enjeux et transformations », op. cit. n. 1408, p. 101 : « dans
l’espace transnational, la division n’est plus territoriale, mais sectorielle. »
A. — Lex sportiva
Depuis l’accession du sport au statut de véritable phénomène commercial,
et ce moment n’est pas innocent, de nombreux débats ont émergé concer-
nant l’existence ou l’inexistence d’une lex sportiva (1416). Toutefois, si le
concept est fréquemment utilisé par les théoriciens du droit du sport et
quelques fois même par les tribunaux, il est plus rare d’en rencontrer une
réelle définition ou une véritable étude basée sur une conjecture théorique
vérifiée en pratique (1417). L’utilisation de la notion révèle par ailleurs une
(1415) On pourrait préciser encore que le phénomène de la lex sportiva montre de manière ma-
nifeste l’existence de systèmes juridiques non étatiques fortement établis, clairement délimités et
dont les velléités de clôture ont une efficacité assez marquée ; en substance, cela revient à dire que,
suivant l’idée de la gradualité que nous avions pu évoquer, ces systèmes sont relativement proches
de l’idéal type d’un système juridique. En ce qui concerne la lex mercatoria, l’existence de tels sys-
tèmes, si elle semble incontestable, est moins nettement marquée. Sur cette gradualité de la carac-
téristique d’un système juridique, voir B. — Critères d’identité d’un système juridique, p. 440
supra. Dans un sens très proche, voir D. REUTER, « Das selbstgeschaffene Recht des internationa-
len Sports im Konflikt mit dem Geltungsanspruch des nationalen Rechts » in DWiR, 1996, p. 1 et
seq., spéc. p. 8, pour qui les analogies entre lex sportiva et lex mercatoria sont à manier avec pru-
dence, étant donné qu’il existe, dans le contexte du commerce international, « une domination non
autoritaire du marché, tandis que [dans le contexte du sport, on est confronté à] une domination
autoritaire de fédérations monopolistiques » (texte original : « doch es ist angesichts der unter-
schiedlichen Strukturen – hier nichtautoritäre Herrschaft des Marktes, dort autoritäre Herrschaft
von Monopolverbänden – vor vorschnellen Analogien zu warnen »). La même approche que la
nôtre (lex sportiva puis lex mercatoria) est suivie notamment par F. RIGAUX, « Les situations juridi-
ques individuelles dans un système de relativité générale », op. cit. n. 953, pp. 64–69.
(1416) A. RIGOZZI, L’arbitrage international en matière de sport, op. cit. n. 856, § 1248 : « À
l’époque où l’histoire du mouvement sportif a atteint le stade de la commercialisation et de
l’intervention des tribunaux étatiques, le recours à la notion de lex sportiva représente […] un
moyen d’échapper à l’application du droit étatique national et d’éviter ainsi de porter atteinte à
l’homogénéité de l’ordre juridique sportif » (références omises). Voir également J. ADOLPHSEN,
« Eine lex sportiva für den internationalen Sport ? » in Die Privatisierung des Privatrechts – rechtliche
Gestaltung ohne staatlichen Zwang, Stuttgart, Boorberg, 2003, p. 281 et seq., spéc. p. 286.
(1417) Ainsi Antonio Rigozzi relève-t-il que l’« on parle de la lex sportiva – mais aussi de la lex
electronica ou informatica – en terme de ‘phénomène analogue’ à la lex mercatoria, souvent sans autre
précision ni explication, si ce n’est que ces phénomènes s’insèrent dans le mouvement social plus
large de la globalisation » (références omises) : A. RIGOZZI, L’arbitrage international en matière de
sport, op. cit. n. 856, § 1240. Pour quelques exemples de l’utilisation du concept : T. BACH, « Der
Dopingfall Harry ‘Butch’ Reynolds – Plädoyer für internationale Sportgerichtsbarkeit » in SpuRt,
1995, p. 142 et seq., M.R. WILL, « Les structures du sport international » in Scritti in onore di
Rodolfo Sacco, Milan, Giuffrè, 1994, p. 1211 et seq., spéc. pp. 1230–1231, M. BLESSING, Intro-
duction to arbitration, op. cit. n. 1232, p. 295. Voir aussi l’arrêt de l’Oberlandsgericht de Francfort,
citant le concept de lex sportiva, pour en rejeter l’existence : « eine von jedem staatlichen Recht
unabhängige lex sportiva gibt es nicht » : Baumann c. DLV, Oberlandesgericht de Francfort, arrêt
du 18 avril 2001, in SpuRt, 2001, p. 159 et seq., spéc. p. 161.
(1418) É. LOQUIN et L. RAVILLON, « La volonté des opérateurs, vecteurs d’un droit mondia-
lisé » in La mondialisation du droit, s. dir. E. Loquin et C. Kessedjian, Dijon, Litec, 2000, p. 91 et
seq., spéc. p. 123 et les références citées.
(1419) M. COCCIA, « Fenomenologia della controversia sportiva e dei suoi mosi di risolu-
zione » in Rivista di diritto sportivo, 1997, p. 605 et seq., spéc. p. 621.
(1420) E. BOURNAZEL, « Le sport et le droit : antiquité, modernité » in Sport et droit, s. dir. E.
Bournazel, Bruxelles, Bruylant, 2001 p. 35 et seq., spéc. p. 37, relevant que le droit du sport se
situe « à la confluence de plusieurs ordres juridiques ».
(1421) Cf. J. GHESTIN, « L’utile et le juste dans les contrats » in APD, 1981, vol. 26, p. 35 et
seq., spéc. p. 57 : « la réalité vivante et complexe des relations contractuelles se laisse difficilement
enfermer dans des concepts ».
(1422) G. SIMON, Justice, droit et sport : la résolution des conflits sportifs, Paris, INSEP, 1996,
p. 13, relevant le souci des instances sportives de vouloir « laver le linge sale en famille » et, de
manière plus générale, Ph. KAHN, « L’autorégulation » in L’émergence de la société civile internatio-
nale : vers la privatisation du droit international ?, Paris, Pedone, 2003, p. 197 et seq., spéc. p. 197,
relevant que les qualifications de lex (sportiva, mercatoria, electronica, etc.) sont des « néologismes
qui cherchent un titre de reconnaissance dans un simili-latin, [qui] veulent symboliser l’autonomie,
l’indépendance des milieux d’affaires [ou d’autres milieux, par exemple sportifs], le grand méchant
loup étant la communauté des États. » Voir aussi J. ADOLPHSEN, « Eine lex sportiva für den
internationalen Sport ? », op. cit. n. 1416, p. 286.
(1423) Dans ce sens, A. RIGOZZI, L’arbitrage international en matière de sport, op. cit. n. 856,
§ 140 et les références citées.
(1424) M.R. WILL, « Les structures du sport international », op. cit. n. 1417, p. 1230.
(1425) É. LOQUIN, « Chronique des sentences arbitrales du Tribunal arbitral du sport » in JDI,
2002, p. 266.
(1426) F. RIGAUX, « Les situations juridiques individuelles dans un système de relativité géné-
rale », op. cit. n. 953, p. 67, poursuivant, un peu plus loin, en ces termes : « sans doute la maîtrise
que dans de nombreux cas les organisations sportives forment des systèmes
juridiques qui sont par ailleurs fortement marqués en leur qualité de sys-
tème, puisqu’ils disposent des trois compétences que nous venons de rele-
ver.
Quant à savoir s’il existe un ou plusieurs systèmes juridiques sportifs, il
semble falloir admettre la deuxième hypothèse. L’un des principaux systè-
mes juridiques sportifs, fondé sur le mouvement olympique, s’est constitué
sous l’égide du Comité international olympique (CIO), de la Charte olym-
pique, du recours au TAS en cas de litiges et de la possibilité d’exclure un
athlète des Jeux olympiques. Cependant, on notera que certaines grandes
fédérations, telles la Fédération internationale automobile (FIA), la Fédé-
ration internationale de rugby amateur et la World Karate Federation, ne
sont pas liées par la Charte olympique et, ne participant en rien aux Jeux,
ne peuvent en être exclus. Il semblerait en conséquence plus conforme à
l’acception de la notion de système juridique que nous avons retenu de
penser qu’il existe – à tout le moins – un système juridique du CIO, un
autre de la FIA et d’autres encore pour certaines disciplines évoluant en
marge du mouvement olympique (1427). Si l’on suit cette ligne de pensée,
il semble plus juste de parler de leges sportivae que de lex sportiva, pour au-
exercée par les Jockey Clubs sur les champs de course ou par le Comité olympique sur le sport non
professionnel est-elle un pur élément de fait : il n’est interdit à personne de lancer une initiative
concurrente. Toutefois, l’existence d’un monopole de fait introduit dans l’adhésion aux règles
posées l’élément de coercition qui contribue à leur signification juridique. » Sur la diversité des
types de coercition, voir Sous-section II. — Autres appareils coercitifs pouvant conférer au droit
l’effectivité requise pour sa validité, p. 322 supra.
(1427) Sur cette question, voir A. RIGOZZI, L’arbitrage international en matière de sport, op. cit.
n. 856, § 144 : « analysée en elle-même, chaque discipline sportive représente un ordre juridique
sous l’égide d’une fédération internationale : chaque discipline a ses propres réglementations, qui
divergent entre elles non seulement au niveau des règles techniques mais aussi sur des questions qui
ne relèvent pas de la spécificité de la discipline. De plus, chaque discipline a ses propres organes
disciplinaires et de justice interne, organisés différemment et développant des pratiques différentes.
Cela n’exclut toutefois pas que l’on puisse envisager un seul ordre juridique sportif chapeautant en
quelque sorte les ordres juridiques de chaque fédération internationale », l’auteur considérant
ensuite que cet ordre chapeautant les autres ordres est celui du CIO, impliquant des obligations
communes dans tous les ordres juridiques (élément législatif) et un recours au TAS (élément
juridictionnel). Voir aussi J. ADOLPHSEN, « Eine lex sportiva für den internationalen Sport ? », op.
cit. n. 1416, p. 284 et seq. et T. SUMMERER, « Internationales Sportrecht – eine dritte Rechtsord-
nung ? » in Festschrift für Hans Hanisch, Cologne, Heymans, 1994, p. 267 et seq., spéc. pp. 113–
118.
tant que l’on considère que la notion de lex sportiva renvoie à l’idée d’un
système juridique (1428).
Comme le phénomène de la distanciation du sport par rapport au droit
étatique pouvait le laisser prévoir, un certain nombre de conflits inter-
normatifs apparaissent entre les droits étatiques et les systèmes juridiques
sportifs, c’est-à-dire, pour reprendre les termes de Jean Carbonnier, qu’il
existe des dissonances entre les diverses normes juridiques s’appliquant à
des mêmes situations de fait (1429). L’une des particularités de la problé-
matique de la lex sportiva au sens large est qu’un certain nombre de ces
conflits d’internormativité ont conduit à de réelles luttes de pouvoir entre
les fédérations sportives internationales et les États (par opposition à la
résolution, plus souvent observée dans d’autres contextes, de ce genre de
conflits par le recours au juge étatique). Ces luttes ont montré un extra-
ordinaire pouvoir de négociation des fédérations faces aux États (1430). On
pensera notamment à l’opposition de l’Union des associations européennes
de football (UEFA) contre la Belgique suite au drame du Heysel, où
(1428) En ce sens, sans parler toutefois de leges sportivae, F. RIGAUX, « Les situations juridi-
ques individuelles dans un système de relativité générale », op. cit. n. 953, pp. 68-69 : « pas plus
qu’il n’existe un ordre juridique qui regrouperait toutes les confessions religieuses ou toutes les
organisations sportives, il n’existe un seul ordre juridique transnational se posant en rival de l’ordre
juridique international, celui-ci étant le seul qui puisse aspirer à pareille universalité. Dans l’espace
transnational se laisse distinguer un nombre indéterminé d’ordres juridiques ayant chacun leurs
sujets, leurs institutions, leurs normes, leurs secteur d’activité. Il suffit d’ailleurs de rappeler qu’un
ordre juridique se définit par ses institutions, pour que soit condamnée l’idée d’un système institu-
tionnel unique qui inclurait l’indéfinie diversité et le renouvellement perpétuel des ordres juridiques
transnationaux » et Ch.-A. MORAND, « Le droit saisi par la mondialisation : définition, enjeux et
transformations », op. cit. n. 1408, pp. 98–99, considérant qu’il s’agit là d’« une série d’ordres
juridiques partiels ».
(1429) J. CARBONNIER, Essais sur les lois, Evreux, Répertoire du notariat defrénois, 1979,
p. 264, pour qui la dissonance entre divers ordres normatifs renvoie à l’idée d’un climat conflictuel
entre les normes cherchant à s’appliquer. Voir aussi J.-F. PERRIN, Sociologie empirique du droit, op.
cit. n. 917, pp. 54 et seq.
(1430) M. VAN HOECKE, « Des ordres juridiques en conflits : sport et droit » in RIEJ, 1995,
vol. 35, p. 61 et seq., spéc. p. 73, relevant les « luttes de pouvoirs » et P. ZEN-RUFFINEN, Droit du
sport, Zurich, Schulthess, 2002, p. 9, relevant le « poids social, économique et politique considéra-
ble » de certaines fédérations internationales. Notons toutefois qu’il existe dans ce domaine égale-
ment des exemples d’« obstacles internormatifs », où les systèmes juridiques sportifs ont réussi à
interdire le recours aux tribunaux étatiques par la menace de sanctions mises en œuvre par
l’appareil coercitif sportif : voir J.P. KARAQUILLO, « Réflexion sur la décision du tribunal de Berne
dans l’affaire UEFA-FIFA/OM-FFF », op. cit. n. 359, p. 19 et seq., relatant l’affaire
OM/Valenciennes.
(1431) Sur les détails de ces affaires, A. RIGOZZI, L’arbitrage international en matière de sport,
op. cit. n. 856, § 152.
(1432) On notera par ailleurs que la lutte doctrinale contre ces velléités de clôture a entraîné un
certain nombre d’auteurs à déguiser un argument normatif (le droit du sport doit revenir dans le
giron de l’État, seul capable d’assurer une protection jugée suffisante) en un argument descriptif (il
n’existe pas de système juridique sportif non étatique) : voir par exemple M. BADDELEY, « Le
sportif, sujet ou objet ? La protection de la personnalité du sportif » in RDS, 1996, p. 135 et seq. Si
une telle prise de position est certainement légitime dans son fondement axiologique, il n’en de-
meure pas moins qu’elle fait violence à la réalité des faits.
(1433) A. RIGOZZI, L’arbitrage international en matière de sport, op. cit. n. 856, § 153.
(1434) Voir par exemple Ch.-A. MORAND, « Le droit saisi par la mondialisation : définition,
enjeux et transformations », op. cit. n. 1408, pp. 99–100, notant que « l’autonomie n’est jamais
totale, le collier du droit étatique n’est jamais complètement arraché » et concluant ainsi qu’il y a en
cette matière une forme de « co-régulation », qui « atteste de l’autonomie partielle acquise par la
réglementation sportive ».
(1435) Sur ces questions, A. RIGOZZI, L’arbitrage international en matière de sport, op. cit. n.
856, § 154.
(1436) S’il semble tout à fait juste d’affirmer, d’un point de vue interne dans un système juridi-
que étatique, que « l’autonomie que l’État accorde aux associations ne peut impliquer la violation
du droit, même dans son interprétation la plus large » (M. BADDELEY, L’association sportive face au
droit, Genève, Helbing & Lichtenhahn, 1994, p. 228), il n’en va bien évidemment pas de même
d’un point interne dans un autre système juridique (par hypothèse non étatique) ou d’un point de
vue externe. Cela n’est pas seulement une conséquence logique de la notion de système juridique
telle que nous l’avons retenue, mais cela se vérifie d’une certaine manière également en pratique :
« [l’ordre juridique sportif] puise son efficacité en lui-même sans reposer sur celle d’autres ordres
juridiques : en d’autres termes, l’ordre juridique sportif ne doit rien au droit de l’État. Dans une
optique pluraliste, le fait que [l’État ne reconnaît aucune autre institution produisant du droit au
même titre que le droit étatique] ne saurait rien y changer » : A. RIGOZZI, L’arbitrage international
en matière de sport, op. cit. n. 856, § 143. Notons par ailleurs, avec Michel van de Kerchove, que les
systèmes juridiques étatiques reconnaissent quelques fois l’existence et la relevance des systèmes
juridiques sportifs : M. VAN DE KERCHOVE, « La diversité des rapports entre ordres juridiques,
l’exemple des ordres sportifs et des ordres ecclésiastiques » in Pour un droit pluriel, Études offertes au
professeur Jean-François Perrin, Genève et Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 2002, p. 235 et seq., spéc.
p. 248, pour qui l’arrêt Bosman de la CJCE (CJCE, arrêt Bosman c. UEFA et al. du 15 décembre
1995, aff. C-415/93, Rec. 1995, p. I-5040) reconnaît « la relevance respective des ordres juridiques
en la matière »
(1437) Voir A. — Légalité et relativité générale, p. 381 supra.
(1438) En ce sens A. RIGOZZI, L’arbitrage international en matière de sport, op. cit. n. 856,
§ 142 : « au-delà des positions dogmatiques et idéologiques, il est incontestable que le recours à la
notion d’ordre juridique sportif permet de mieux appréhender la réalité sociale du phénomène
sportif » (références omises).
des appareils coercitifs non étatiques. Par ailleurs, nous reviendrons à plu-
sieurs reprises à cette notion de lex sportiva lors de raisonnements par ana-
logie.
B. — Lex mercatoria
La vie de la lex mercatoria, semblable à celle d’un phénix renaissant de ces
cendres, peut être décrite en trois phases (1439). Tout d’abord, elle consti-
tuait au Moyen-Âge un corps de règles d’origine coutumière régulant les
échanges commerciaux dans les divers ports et foires commerciales de ce
que l’on considérait alors comme le monde civilisé. Dans sa deuxième
ème
phase, sous la montée du nationalisme qui culmina au 19 siècle, du dé-
veloppement du concept d’État-nation et de la souveraineté nationale
westphalienne, la lex mercatoria se subdivisa et se diversifia au travers de son
incorporation dans une pluralité de droits nationaux réglementant les
échanges commerciaux. La troisième phase, contemporaine, est concomi-
tante à l’affaiblissement de la souveraineté des États et à la mondialisation
croissante des échanges commerciaux. La combinaison du retour à
l’internationalisme en politique et en économie, de la distanciation critique
des citoyens par rapport aux États et de la montée en puissance des grandes
entreprises amena certains groupes d’acteurs commerciaux à élaborer leurs
propres règles de conduite, en marge des droits étatiques. Les juristes se
devant d’appréhender conceptuellement ce phénomène, les normes émer-
geant de cette pratique reçurent d’abord, sous la plume de Jessup qui écri-
vait il y a un demi-siècle (1440), la qualification générale de « droit trans-
national », l’auteur relevant essentiellement par ce terme la transition du
droit international privé à quelque chose comme un droit privé internatio-
nal. Quelques années plus tard, Clive Schmitthoff fit ressurgir le terme de
lex mercatoria, en la définissant comme un « corps de règles autonome »,
c’est-à-dire comme des normes que l’on retrouve régulièrement dans les
contrats et la pratique des opérateurs du commerce international, dont le
but serait avant tout de remédier aux problèmes de sécurité juridique par
(1439) En ce sens, C.M. SCHMITTHOFF, « International business law : A new law merchant »
in Clive M. Schmitthoff’s selected essays on international trade law, Dordrecht / Boston, Nijhoff /
Graham & Trotman, 1988, p. 20 et seq., spéc., pp. 21–22, publié originairement dans Current
Law and Social Problems, 1961, vol. 2, p. 129 et seq.
(1440) Ph.C. JESSUP, Transnational law, New Haven, Yale Univ. Press, 1956.
(1441) C.M. SCHMITTHOFF, « International business law : A new law merchant », op. cit. n.
1439, p. 31 (« the new law merchant as an autonomous body of law ») et p. 33 (« the autonomous
law merchant as a means of conflict avoidance »). Dans un autre article, paru quelques années plus
tard, il qualifia la lex mercatoria de « domaine du droit » (« Rechtsgebiet ») : ID., « Das neue Recht
des Welthandels » in RabelZ, 1964, vol. 28, p. 47 et seq., spéc. p. 48.
(1442) F. DE LY, » Emerging New Perspectives Regarding Lex Mercatoria in an Era of In-
creasing Globalization » in Festschrift für Otto Sandrock zum 70. Geburtstag, s. dir. K.P. Berger et
al., Heidelberg, Recht und Wirtschaft, 2000, p. 179 et seq., spéc. p. 182.
(1443) B. GOLDMAN, « Frontières du droit et lex mercatoria » in APD, 1964, vol. 9, p. 177 et
seq.
(1444) P. LAGARDE, « Approche critique de la lex mercatoria », op. cit. n. 1131, p. 125.
(1445) En ce sens Ch.-A. MORAND, « Le droit saisi par la mondialisation : définition, enjeux
et transformations », op. cit. n. 1408, p. 98.
(1446) La métaphore est de G. ABI-SAAB, « Cours général de droit international public » in
Rec. Cours La Haye, 1987, vol. 207, p. 9 et seq., spéc. pp. 62 et 75.
(1447) J. BASEDOW, « The effects of globalization on private international law » in Legal As-
pects of Globalization, s. dir. J. Basedow and T. Kono, Londres, Kluwer, 2000, p. 1 et seq.
(1448) Dans ce sens, G. DE LA PRADELLE, « La justice privée » in L’émergence de la société ci-
vile internationale : vers la privatisation du droit international ?, s. dir. H. Gherari et S. Szurek,
Paris, Pedone, 2003, p. 125 et seq., spéc. p. 134.
(1449) Voir par exemple MARRELLA F., La nuova lex mercatoria. Principi UNIDROIT ed usi
dei contratti del commercio internazionale, Padoue, CEDAM, 2003.
(1450) Voir par exemple K.P. BERGER, The Creeping Codification of the Lex Mercatoria, La
Haye, Kluwer, 1999.
(1451) Dans le même sens, É. LOQUIN, « Où en est la lex mercatoria » in Souveraineté étatique
et marchés internationaux à la fin du 20e siècle : à propos de 30 ans de recherche du CREDIMI : mélanges
en l’honneur de Philippe Kahn, s. dir. C. Leben et al., Paris, Litec, 2000, p. 23 et seq., spéc. pp. 25–
26.
(1452) É. LOQUIN, L’amiable composition en droit comparé et international, Paris, Litec, 1980,
pp. 308–309.
(1453) F. RIGAUX, « Les situations juridiques individuelles dans un système de relativité géné-
rale », op. cit. n. 953, p. 69, rappelant de manière plus générale que « dans l’espace transnational se
laisse distinguer un nombre indéterminé d’ordres juridiques ayant chacun leurs sujets, leurs institu-
tions, leurs normes, leur secteur d’activité. Il suffit d’ailleurs de rappeler qu’un ordre juridique se
définit par ses institutions, pour que soit condamnée l’idée d’un système institutionnel unique qui
inclurait l’indéfinie diversité et le renouvellement perpétuel des ordres juridiques transnationaux. »
(1454) Sur ces critères, voir B. — Critères d’identité d’un système juridique, p. 440 supra.
(1455) Les termes sont de Goldman, qui rejette l’idée de cette pluralité : B. GOLDMAN,
« Nouvelles réflexions sur la lex mercatoria » in Études de droit international en l’honneur de Pierre
Lalive, Bâle et Francfort-sur-le-Main, Helbing & Lichtenhahn, 1982, p. 241 et seq., p. 249.
Contra F. OSMAN, Les principes généraux de la lex mercatoria, op. cit. n. 1380, pp. 407–410, qui,
pour rejeter l’idée d’une pluralité de sociétés de marchands, considère que le corps social ne doit pas
être défini comme « un unité organique, un tout formant un corps physique. Tout comme l’idée de
Nation, il s’agit d’un être spirituel, et donc une abstraction » (nous soulignons). Notons toutefois
que si l’on retirait tout support concret à une nation, s’il ne lui existait plus de corps social physique,
on en viendrait à conclure à la fin de la présence d’une nation. C’est dire que si la notion est abs-
traite, elle renvoie à une réalité sociale que l’on ne peut ignorer.
(1456) En ce sens, P. LAGARDE, « Approche critique de la lex mercatoria », op. cit. n. 1131,
pp. 135–137, 139 : « il semble que ce soient seulement des îlots d’organisation qui apparaissent
dans le commerce international, non une organisation unique. On peut admettre que telle opéra-
tion du commerce international relève, sous réserve d’une vérification ponctuelle, de règles maté-
rielles issues de tel de ces îlots auquel ressortissent, de près ou de loin, les parties. Mais il paraît
difficile d’aller plus loin. Même si la pratique contractuelle devait en fournir quelques exemples, la
soumission globale d’un contrat à la lex mercatoria en général paraîtrait vide de sens, car elle pré-
supposerait l’existence d’un ordre juridique, donc d’une organisation sociale, que l’expérience ne
permet pas encore de constater. » Voir aussi A. KASSIS, Théorie générale des usages du commerce,
Paris, LGDJ, 1984, p. 396. Dans un sens très proche, voir F. RIGAUX, « Les situations juridiques
individuelles dans un système de relativité générale », op. cit. n. 953, p. 257, pour qui « inviter les
arbitres à statuer selon la lex mercatoria consiste, soit à leur permette une sélection discrétionnaire
des principes de droit applicables au contrat, soit à les inviter à recueillir des usages particuliers
propres au milieu professionnel des parties. »
(1457) F. RIGAUX, « Les situations juridiques individuelles dans un système de relativité géné-
rale », op. cit. n. 953, p. 256.
(1458) En ce sens, mais sans utiliser le terme leges mercatoriae, F. RIGAUX, « Les situations juri-
diques individuelles dans un système de relativité générale », op. cit. n. 953, p. 257 : « l’hypothèse
d’ordres juridiques transnationaux est acceptable mais elle est liée à l’originalité [sectorielle] de
chacun de ces systèmes » et É. LOQUIN, « Où en est la lex mercatoria », op. cit. n. 1451, p. 26 : « il
nous paraît certain qu’il existe dans les relations commerciales internationales des ordres juridiques
anationaux complets propres à une branche du commerce », voir aussi ID., « La réalité des usages
du commerce international » in RIDE, 1989, p. 163 et seq. On trouvera une utilisation du terme
leges mercatoriae, sans toutefois qu’elles soient clairement identifiées comme autant de systèmes
juridiques, notamment chez G. HERRMANN, « The future of trade law unification » in Internatio-
nales Handelsrechts, 2001, vol. 1, p. 6 et seq., spéc. p. 11 et L. MISTELIS, « Is Harmonisation a
Necessary Evil ? The Future of Harmonisation and New Sources of International Trade Law » in
Foundations and Perspectives of International Trade Law, s. dir. I. Fletcher, L. Mistelis et M.
Cremona, Londres, Sweet & Maxwell, 2001, p. 3 et seq., spéc. p. 23.
(1459) Voir en ce sens É. LOQUIN, « Où en est la lex mercatoria », op. cit. n. 1451, pp. 26–27,
qui considère qu’il existe, au sein de la lex mercatoria, des systèmes juridiques que là où il existe « un
milieu fortement homogène de commerçants liés par des intérêts communs et organisés par des
institutions ayant les moyens d’imposer des normes et de les faire sanctionner le plus souvent par
l’intermédiaire d’un recours systématique à l’arbitrage », poursuivant avec l’exemple suivant : « la
filière d’un produit concerné est susceptible de constituer un ordre juridique complet lorsqu’elle est
fortement organisée par une association professionnelle […] » (nous soulignons).
(1460) B. GOLDMAN, « La lex mercatoria dans les contrats et l’arbitrage internationaux » in
JDI, 1979, p. 475 et seq.
(1461) Notons que c’est également ce qu’admettait le principal défenseur de la lex mercatoria :
B. GOLDMAN, « Nouvelles réflexions sur la lex mercatoria », op. cit. n. 1455, p. 249 : « cet ordre
juridique n’est pas, ou n’est pas encore complet ». Dans un sens proche, É. LOQUIN, « Où en est la
lex mercatoria », op. cit. n. 1451, p. 25 : « la lex mercatoria [forme] une collection de règles d’origine
variable rassemblées sur le seul fondement de leur adéquation aux besoins du commerce international »
(nous soulignons) et, plus radical, E. GAILLARD, « Trente ans de lex mercatoria. Pour une applica-
tion sélective de la méthode des principes généraux du droit » in JDI, 1995, p. 5 et seq., spéc. p. 22
et seq., qui considère qu’il s’agit, avec la lex mercatoria, davantage d’une méthode de sélection (ou
de reconnaissance) des règles que d’une liste de règles.
(1462) Sur cette question, voir A. PELLET, « La lex mercatoria, ‘tiers ordre juridique’ ? Remar-
ques ingénues d’un internationaliste de droit public » in Souveraineté étatique et marchés internatio-
naux à la fin du 20e siècle : à propos de 30 ans de recherche du CREDIMI : mélanges en l’honneur de
Philippe Kahn, s. dir. C. Leben et al., Paris, Litec, 2000, p. 53 et seq., spéc. p. 59, qui indique
précisément que comme le droit international public, la lex mercatoria « est marquée par une forte
décentralisation normative ; elle émane des sujets mêmes auxquels elle s’applique et le droit
spontané, qui n’est pas formellement posé par leur volonté y joue un grand rôle » et, plus loin (p.
63) : « alors que, dans l’État, le pouvoir d’édicter des règles de droit est monopolisé par un (ou un
petit nombre de) législateur(s) spécialisé(s), dans la société internationale, il est diffus, partagé
entre des pouvoirs réputés également souverains dont la concordance de vues constitue le moyen le
plus commode et le plus fréquent de créer des normes. La même chose se passerait dans la société
internationale des marchands. »
retenue pour la présente étude (1463), est que cette identité est graduelle :
une entité normative donnée peut constituer plus ou moins un système
juridique. De ces théories se sont ensuite dégagés certains critères fondant
cette identité. En raison de la gradualité de la notion étudiée, ceux-ci sont
eux-mêmes graduels, leur importance est toujours relative et certains
d’entre eux sont interdépendants ou au moins s’inter-influencent. Ces cri-
tères sont tout d’abord la présence d’une entité sociale autonome – on parle
aussi de la condition de l’autonomie sociale. Ensuite, il importe de consta-
ter l’existence de pouvoirs législatif, juridictionnel et d’exécution propres à
cette entité. Puis, il sied de considérer l’autonomie organique, soit la non-
soumission, toujours relative rappellerons-nous pour insister, des trois pou-
voirs évoqués à des institutions externes au système étudié, et l’autonomie
organisationnelle, soit l’auto-organisation de la création et de l’application
des normes. Enfin, il convient d’étudier la secondarité des personnes et des
normes. En synthèse de ces différents critères, on dira que dès lors qu’un
groupe existe, des normes apparaissent. Avec leur apparition émerge un
pouvoir d’élaboration des normes, c’est-à-dire un pouvoir législatif. Cette
première phase est suivie de l’application de ces normes à des cas concrets,
traduisant le développement d’un pouvoir adjudicatif ou juridictionnel.
Enfin, avec l’inévitable refus de certains membres du groupe de se confor-
mer aux règles et principes ainsi élaborés et appliqués, c’est le pouvoir
d’exécution qui se développe. Dans certains cas, et nous touchons ici au
critère le plus spécifique à la juridicité, se produira un dédoublement des
normes et de certains membres du groupe : à côté des normes primaires de
comportement émergent des normes secondaires attribuant une ou plu-
sieurs compétences spécifiques (législative, juridictionnelle ou d’exécution)
à certains membres du groupe.
Nous avons ensuite, dans un second temps, étudié brièvement les phé-
nomènes de la lex sportiva et de lex mercatoria. On en retiendra quatre
constats principaux. Premièrement, il existe clairement des systèmes coer-
citifs reposant sur des formes de contrainte autre que le recours à la force
publique. Deuxièmement, on peut observer, d’un côté, des velléités de clô-
ture dans certains ordres juridiques et, de l’autre, l’importance particulière
de l’accès à divers appareils coercitifs pour la réalisation de ces velléités.
(1463) Voir Chapitre IX : Validité : l’efficacité juridique en trois temps, p. 305 et seq. supra.
(1465) Rappelons-nous que le concept de lex mercatoria avait à l’origine de sa renaissance été
pensé de la même manière, à savoir pour éviter les conflits de lois : voir la position de Schmittoff,
rapportée n. 1439 supra.
(1466) P. TRUDEL, « La lex electronica » in Le droit saisi par la mondialisation, s. dir. Ch.-A.
Morand, Bruxelles, Bruylant / Bruxelles, Éd. de l’Université de Bruxelles / Bâle, Helbing &
Lichtenhahn, 2001, p. 221 et seq., spéc. p. 231 : « dans le cyberespace, la capacité de contourner
les règles ou tout simplement de s’exclure de leur application demeure toujours disponible et paraît
plus aisée que pour les activités se déroulant sur le territoire d’un État. D’où la quête d’un corpus de
règles qui transcenderait le droit étatique. » Voir aussi J.-J. LAVENUE, « Cyberespace et droit
international : pour un nouveau jus communicationis » in RRJ, 1998, p. 811 et seq., l’auteur propo-
sant, pour faire face à ce sentiment d’insécurité juridique, un projet de « convention internationale
sur les principes régissant les activités dans le cyberespace » et B. FAUVARQUE-COSSON, « Le
droit international classique privé à l’épreuve des réseaux » in Le droit international de l’internet, s.
dir. G. Chatillon, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 55 et seq., spéc. p. 55 : « Conceptualisation, locali-
sation, réglementation caractérisent le droit international privé ; vélocité, ubiquité, liberté caracté-
risent les réseaux, et sans doute également notre temps. De là l’engouement pour des voies
nouvelles, de prime abord plus adaptées que celles proposées par la science des conflits de lois et de
juridictions ; de là le succès des cyberjuridictions, affranchies de tout lien territorial et libres
d’appliquer cette fameuse lex electronica, venant se substituer aux lois étatiques. À l’heure des auto-
routes de l’information, pourquoi s’égarerait-on encore sur les sentiers du droit international
privé ? »
(1467) Un tel parallèle est notamment défendu par P. TRUDEL et al., Droit du Cyberespace, op.
cit. n. 1003, p. 3/57–3/58, ID., « La lex electronica », op. cit. n. 1466, p. 235, V. GAUTRAIS, Le
contrat électronique international. Encadrement juridique, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 235 et seq.,
V. GAUTRAIS, G. LEFEVBRE et K. BENYEKHLEF, « Droit du commerce électronique et normes
applicables : l’émergence de la lex electronica » in RDAI, 1997, p. 547 et seq., spéc. p. 548, consi-
dérant que la lex electronica « copie » les développement de la lex mercatoria, A. MEFFORD, « Lex
Informatica : Foundations of law on the Internet » in Ind. J. Global Legal Studies, 1997, p. 211 et
seq., J. REIDENBERG, « Lex Informatica : The Formulation of Information Policy Rules Through
Technology », op. cit. n. 1043, pp. 553–554, T. HARDY, « The proper legal regime for ‘cyber-
space’ » in U. Pitt. L. Rev., 1994, vol. 55, p. 993 et seq., spéc. p. 1019, É. CAPRIOLI et R.
SORIEUL, « Le commerce international électronique : vers l’émergence de règles juridiques trans-
nationales » in JDI, 1997, p. 323 et seq., spéc. p. 330, les auteurs utilisant le terme lex mercatoria
numerica, L.E. TRAKMAN, « From the medieval law merchant to e-merchant law » in U. Toronto
L.J., 2003, vol. 53, p. 265 et seq. et C. KESSEDJIAN, Rapport de synthèse, in Internet : Quel tribu-
nal décide ? Quel droit s’applique ?, s. dir. K. Boele-Woelki et C. Kessedjian, La Haye, Kluwer,
1998, p. 143 et seq., spéc. p. 149, l’auteur évoquant la « néo lex mercatoria » et la « net lex ».
(1468) O. CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, op. cit. n. 1038, p. 18,
relevant, avant de se défendre de ce courant, que « les propositions doctrinales convergent pour
reconnaître la juridicité d’un corps de règles et d’usages qui formerait le droit transnational des
réseaux ».
(1469) J. REIDENBERG, « Lex Informatica : The Formulation of Information Policy Rules
Through Technology », op. cit. n. 1043, pour qui il s’agit, avec la lex informatica, d’un système à la
juridicité incertaine de règles techniques adoptées notamment par des organismes de standardisa-
tion et exerçant leurs effets normatifs au travers de l’architecture du cyberespace : p. 555 : « the set
or rules for information flows imposed by technology and communication networks form a Lex
Informatica that policymakers must understand, consciously recognize, and encourage. »
(1470) Voir par exemple W.S. BYASSEE, « Jurisdiction of cyberspace : Applying real world
precedent to the virtual community » in Wake Forest L. Rev., 1996, vol. 30, p. 197 et seq., spéc.
p. 219–220 : « establishing self-government in cyberspace, or implementing some other means to
resolve the application of existing law to virtual communities, will occur only within established
political institutions » et T. HARDY, « The proper legal regime for ‘cyberspace’ », op. cit. n. 1467,
p. 1021 : « a ‘law cyberspace’ co-existing with existing laws would be an eminently practical and
efficient way of handling commerce in the networked world. » Ces deux auteurs voient la lex
electronica comme un véritable système juridique en formation, doté d’institutions ayant notam-
ment des compétences juridictionnelles (surtout chez Hardy, qui retient en ce sens les systèmes de
résolution des litiges en ligne) et législatives (surtout Byassee). Dans un sens proche, E.J.
VALAUSKAS, « Lex networkia : Understanding the Internet community » in First Monday, 1996,
vol. 1, no 4, <www.firstmonday.dk/issues/issue4/index.html>, qui appelle à la formalisation de la
production normative afin de donner davantage d’efficacité aux velléités de clôture de ce qu’il
conçoit comme un système juridique : « For the Internet and its diverse communities, the formali-
zation of its many regulations and rules into a Lex Network might be its best hope for survival in
the next century […] The Internet community already in a fashion has invented an informal Lex
Networkia. What is needed is a certain flexible formalization to slow the controlling lunatic fringes
in certain traditional governmental agencies around the world. » Voir aussi A. MEFFORD, « Lex
Informatica : Foundations of law on the Internet », op. cit. n. 1467, p. 229.
(1471) O. CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, op. cit. n. 1038, p. 19 :
« la lex electronica concerne principalement les modalités des communications électroniques et leur
portée juridique. Ainsi la question de la valeur juridique des écrits et des signatures électroniques
des parties relève de la lex electronica. Au contraire, la lex electronica ne devrait pas être entendu
comme un corps de règles relatif à la substance du contrat conclu par électronique. Comment
pourrait-il en aller autrement quand on sait que le marché électronique permet la mise en réseau
d’opérations relevant d’une pluralité de branches d’activités ? » Aussi É. CAPRIOLI, « Aperçus sur
le droit du commerce électronique (international) » in Souveraineté étatique et marchés internatio-
naux à la fin du 20e siècle : à propos de 30 ans de recherche du CREDIMI : mélanges en l’honneur de
Philippe Kahn, s. dir. C. Leben et al., Paris, Litec, 2000, p. 247 et seq., spéc., p. 253 : « parler de
l’émergence de règles juridiques transnationales du commerce électronique ne se discute plus […]
Le droit du commerce électronique se caractérise par le pluralisme de ses sources ; même s’il puise
ses sources dans le droit du commerce international, il s’en différencie néanmoins, spécialement
parce qu’il ne touche pas, en principe, aux transactions sous-jacentes et qu’il relève pour partie
exclusivement du droit interne. Il ne se confond avec aucun droit tant celui de la propriété intel-
lectuelle, de l’informatique ou celui des télécommunications, c’est un droit spécifique qui emprunte
des parcelles de son contenu à de multiples domaines juridiques. »
(1472) Voir par exemple P. TRUDEL, « La lex electronica », op. cit. n. 1466, p. 235, l’auteur rele-
vant que la notion de lex electronica « fait écho » à « l’émergence d’un droit a-national du cyber-
espace composé des divers usages et coutumes de la communauté ou des communautés existant
dans l’Internet » constituant (p. 221) « l’un des ensembles de règles de droit encadrant les activités
se déroulant dans l’espace virtuel résultant du raccordement des ordinateurs suivant les protocoles
Internet », rendant ainsi compte « des différents phénomènes normatifs encadrant les participants à
la communauté électronique comme celle se déroulant sur Internet ». Voir aussi A. MEFFORD,
« Lex Informatica : Foundations of law on the Internet », op. cit. n. 1467, p. 229.
(1473) V. GAUTRAIS, Le contrat électronique international., op. cit. n. 1467, p. 231 : pour qui la
lex electronica est « l’ensemble des normes juridiques informelles applicables dans le commerce
électronique international ». Une autre conception, proche de celle-ci, en restreint le champ
d’application aux seuls marchands, aux seuls commerçants professionnels : il s’agit de la lex merca-
toria numerica défendue notamment par É. CAPRIOLI et R. SORIEUL, « Le commerce internatio-
nal électronique : vers l’émergence de règles juridiques transnationales », op. cit. n. 1467, p. 330.
(1474) Sur tout ceci, P. TRUDEL, « La lex electronica », op. cit. n. 1466, pp. 236–259 et V.
GAUTRAIS, G. LEFEVBRE et K. BENYEKHLEF, « Droit du commerce électronique et normes
applicables : l’émergence de la lex electronica », op. cit. n. 1466, pp. 559–583.
(1475) Sur ce dernier point, voir A.E. ALMAGUER et R.W. BAGGOTT, « Shaping New Legal
Frontiers : Dispute Resolution for the Internet » in Ohio St. J. on Disp. Resol., 1998, vol. 13, p. 711
et seq., spéc. P. 717, sous titre « Un mécanisme d’ADR peut être fondé sur, et contribuer au déve-
loppement naturel des coutumes d’Internet » : « Internet a ses propres coutumes et usages qui
doivent déterminer de la formation de la résolution des litiges dans le cyberespace. Si les usages du
cyberespace sont le fondement des décisions des mécanismes de résolution des litiges propres à la
communauté du cyberespace, nous aurons des décisions de règlement des différends que la com-
munauté du cyberespace se prête à considérer comme juste » et considérant plus loin, p. 748, que la
mise en œuvre généralisée des ODR contribuera à une « évolution naturelle du droit coutumier du
cyberespace » (trad. par l’auteur), et V. GAUTRAIS, G. LEFEVBRE et K. BENYEKHLEF, « Droit du
commerce électronique et normes applicables : l’émergence de la lex electronica », op. cit. n. 1466,
p. 564 : « il apparaît que l’idée de départ [du Virtual Magistrate, l’un des premiers centre d’arbitrage
en ligne] est de susciter, de par ses faibles coûts, l’engouement des usagers et de créer ainsi une
pratique portant tant sur le contenu décisionnel que sur la procédure à suivre », les auteurs consta-
tant plus loin à regret que « le Virtual Magistrate ne peut constituer dans ce secteur d’activité le
catalyseur d’usages que l’on pouvait attendre de lui ».
(1476) Voir Sous-section I. — Des réseaux choisis de sociabilité, p. 212 et seq. supra.
(1477) J.P. BARLOW, « Déclaration d’indépendance du Cyberespace », Davos, 8 février 1996,
s’adressant aux « Gouvernements du Monde Industrialisé » : « Le Cyberespace ne se trouve pas à
l’intérieur de vos frontières. Ne pensez pas que vous pourrez le construire comme un projet de
travaux publics. Vous ne le pouvez pas. C’est une création de la nature, qui croît d’elle-même, au
travers de nos actions collectives. Vous n’avez pas pris part à notre grande et fraternelle conversa-
tion, vous n’avez pas créé les richesses de nos places de marché. Vous ne connaissez pas notre
culture, notre éthique, les règles non écrites qui confèrent à notre société plus d’ordre que l’on n’en
obtiendra jamais d’aucune de vos règles imposées. » En ce sens aussi : D.R. JOHNSON et D.G.
POST, « Law and Borders – The Rise of Law in Cyberspace » in Stan. L. Rev. 1996, vol. 48,
p. 1367 et seq., spéc. p. 1387, évoquant la « communauté du Net » et « des citoyens du cyber-
espace ». Pour une affirmation du caractère réaliste de cette position pendant les premières années
d’Internet : M. CASTELLS, La galaxie Internet, trad. P. Chemla, Paris, Fayard, 2001, p. 150.
manière d’autant plus marquée que l’objet d’étude concerne, au-delà des
seuls commerçants professionnels concernés par la lex mercatoria, tous les
individus susceptibles de se connecter à Internet ou d’y conclure des trans-
actions, selon la conception de la lex electronica que l’on retient. En effet,
même si l’on conçoit celle-ci de manière restreinte, ne s’appliquant qu’aux
activités commerciales du cyberespace (c’est-à-dire le commerce électroni-
que), on ne saurait voir un réel groupe social dans l’ensemble des mar-
chands et des consommateurs, des fournisseurs de services et de leurs
clients (1478). C’est donc la croissante diversification des acteurs et des
activités du cyberespace, dont le seul point commun demeure le fait que les
communications se font par électronique, qui nous empêche de défendre
raisonnablement l’hypothèse d’une communauté globale du cyberespace de
nos jours (1479). Partant, on ne saurait guère concevoir un système juridi-
que unique couvrant tout le cyberespace, ni même, de manière plus res-
treinte, tout le marché électronique.
Si cet argument ne suffisait pas à convaincre de l’inexistence d’un sys-
tème juridique global, couvrant tout le cyberespace, on relèvera également
que le critère de la secondarité des institutions et des normes n’est pas rem-
pli (1480). Même si l’on admettait, avec les auteurs les plus enthousiastes à
l’égard de la lex electronica, qu’il existe dans le cyberespace un certain nom-
bre de règles de comportement, formées pour l’essentiel par les pratiques
contractuelles, les usages, les standards techniques, les recommandations et
les codes de conduite (1481), on serait bien en mal d’identifier des règles
conférant à certains personnes du groupe un statut leur permettant de dé-
terminer quelles sont les règles de comportements applicables (normes et
pouvoir de reconnaissance), de les amender pour les adapter à l’évolution
sociale (normes et pouvoir de changement) et les appliquer à des cas
concrets (normes et pouvoir d’application). Le fait que les règles de com-
portement évoquées soient formées sur la base de sources informelles ré-
vèle, justement, que les producteurs de ces règles n’ont pas de statut
particulier au sein du groupe ; si l’on admet que ces producteurs de règles
sont des institutions de normalisation, le caractère informel de leur pro-
duction indique qu’il n’y a pas eu de secondarisation des institutions. Cette
absence de secondarisation montre que les normes sociales que constituent
ces règles informelles ne sont pas devenues ces normes sociales qualifiées
que sont les normes juridiques. Ainsi, quand bien même on admettrait qu’il
existe une entité ou un groupe social du cyberespace, il faut conclure que ce
groupe ne s’est pas subdivisé en gouvernants et gouvernés. En conséquence,
le caractère de secondarité des normes et des institutions, qui caractérise un
système juridique, fait défaut.
Ce problème de secondarité se traduit également par l’absence des com-
pétences législative, juridictionnelle et d’exécution. Il existe, comme nous
avons pu le relever plus haut, une multitude d’acteurs et de sources de la
normativité dans le cyberespace. Mais il n’existe pas d’institution unique
dont on reconnaîtrait qu’elle dispose d’une compétence législative pour
toutes les activités véhiculées par le cyberespace, ni même pour toutes les
activités commerciales qui s’y déroulent. Il y a des mécanismes de résolu-
tion des litiges en ligne propres à certaines activités en ligne. Mais on ne
saurait y voir la juridiction ordinaire ni des activités du cyberespace en gé-
néral ni des transactions commerciales électroniques en particulier. Il est,
comme nous avons pu le relever au chapitre précédent, des institutions
ayant compétence pour mettre en œuvre les normes issues de la multitude
de sources de normativité et exécuter les résultats des procédures ODR, en
recourant à des formes de contrainte qui peuvent être sociale, économique
(1481) V. GAUTRAIS, Le contrat électronique international., op. cit. n. 1467, pp. 271–288, V.
GAUTRAIS, G. LEFEVBRE et K. BENYEKHLEF, « Droit du commerce électronique et normes
applicables : l’émergence de la lex electronica », op. cit. n. 1466, p. 554 et seq., et P. TRUDEL, « La
lex electronica », op. cit. n. 1466, pp. 236–259.
(1482) P. TRUDEL, « La lex electronica », op. cit. n. 1466, p. 259. Nous avons déjà eu l’occasion,
dans Th. SCHULTZ, « Online dispute resolution (ODR) : résolution des litiges et ius numeri-
cum », op. cit. n. 978, d’avancer la notion d’un « ius » numericum, plus que d’une « lex » numerica,
entendant établir par là un parallèle avec le ius commune médiéval, en ce sens que ce dernier cons-
titue « un cadre de pensée, une méthode de raisonnement, de nature à maîtriser la complexité des
différentes sources de droit faisant autorité » : A. WIJFFELS, « Ius commune européen », communi-
cation au 3ème Séminaire Erasmus de théorie du droit (Bruxelles, 16 mars 1991), cité dans F. OST,
« La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme : amorce d’un nouveau ius com-
mune ? » in Le droit commun de l’Europe et l’avenir de l’enseignement juridique, s. dir. B. de Witte et
C. Forder, Deventer, Kluwer, 1992, p. 683 et seq., spéc. p. 684.
(1483) Dans un sens proche, mais sans utiliser le terme lex electronica, B. COTTIER, « From In-
ternet Gaming Law to Cyberspace Law », op. cit. n. 1480, p. 409 : « cyberspace law will continue
to remain a fragmented area of the law, made of different and uncoordinated rules dealing with
certain aspects of the Internet, some embodied in criminal statutes or civil codes, others in data
protection laws or telecommunication laws, still others in intellectual property laws or even broad-
casting laws. »
(1484) Pour une comparaison entre droit de l’environnement et droit du cyberespace, voir par
exemple R.S. ZEMBEK, « Jurisdiction and the Internet : Fundamental Fairness in the Networked
World of Cyberspace » in Alb. L.J. Sci. & Tech., 1996, vol. 6, p. 339 et seq., spéc. pp. 376–380.
(1485) Pour une comparaison entre droit maritime et droit du cyberespace : M.R. BURNSTEIN,
« Conflicts on the Net : Choice of Law in Transnational Cyberspace » in Vand. J. Transnat’l L.,
1996, vol. 29, p. 75 et seq., spéc. p. 90 et seq.
une protection qu’ils n’auraient pas selon les diverses réglementations tou-
chant aux droits de la propriété intellectuelle (1489). Ce qui nous intéresse
à ce stade de l’analyse n’est pas tant la réalité de la surprotection des titu-
laires de droits de la propriété intellectuelle (1490) – qui semble être une
problématique généralisée dans le cyberespace (1491) – que l’hypothèse de
l’émergence d’un système juridique spécifique à l’ICANN et à l’UDRP.
Un bref rappel du fonctionnement du système mis en place par
l’ICANN s’impose. Nous nous tournerons ensuite vers l’examen des divers
critères qui nous permettrons de conclure à la présence d’un système juridi-
que spécifique, dont nous relèverons au surplus qu’il dispose de forts élé-
ments de clôture par rapport aux systèmes juridiques étatiques.
G.B. DINWOODIE, « A New Copyright Order : Why National Courts Should Create Global
Norms » in U. Pa. L. Rev., 2000, vol. 149, p. 469 et seq., spéc. pp. 524–525.
(1489) Voir par exemple A. CRUQUENAIRE, Le règlement extrajudiciaire des litiges relatifs aux
noms de domaine. Analyse de la procédure UDRP, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 193 et seq., l’auteur
concluant notamment que, d’un côté, « de nombreuses décisions s’appuient sur une motivation
lacunaire, voire incorrecte » et « une partie importante de la jurisprudence UDRP montre [une]
tendance à alléger la charge de la preuve […] Les panels se contentent souvent de vagues pré-
somptions », favorisant de la sorte les titulaires de droits de marque, et, de l’autre côté, « le champ
d’application de la procédure UDRP a été sensiblement étendu par un jurisprudence abondante,
qui afin de pouvoir sanctionner un maximum de cas d’enregistrements abusifs, ignore les limites
posées par les principes directeurs UDRP », ce qui a été opéré notamment en appliquant à l’échelle
mondiale la « notion très souple de common law trademark […] alors que la procédure est censée
reposer sur une assise internationale commune (le droit des marques tel que nous l’entendons
traditionnellement en droit continental, c’est-à-dire reposant sur un acte de dépôt). » K.
BLACKMAN, « The Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy : A Cheaper Way to
Hijack Domain Names and Suppress Critics » in Harv. J.L. & Tech., 2001, vol. 15, p. 211 et seq.,
spéc. pp. 233–236, l’auteur analysant une série de décisions traduisant une interprétation extrê-
mement souple de l’UDRP et conduisant à une « recapture illicite de nom de domaine ». M.
MUELLER, Ruling the Root : Internet Governance and the Taming of Cyberspace, Cambridge (Mass.),
MIT Press, 2002, p. 231. Voir aussi Ph. GILLIÉRON, La procédure de résolution en ligne des conflits
relatifs aux noms de domaine, Lausanne, Cedidac, 2002, p. 51 : « les conditions d’application de la
UDRP ne se recoupent pas avec celles qui existent notamment en droit des marques ; à ce titre, on
peut estimer qu’elle constitue une source de droit autonome »
(1490) En ce qui concerne l’ICANN, cette question sera traitée infra, sous Section II. — Où
va la régulation par la résolution des litiges en ligne ? Questions axiologiques, p. 512 et seq.
(1491) Voir Sous-section IV. — Protection des détenteurs de biens informationnels, p. 50 et
seq. supra et, de manière générale, L. LESSIG, The future of ideas : The fate of the commons in a
connected world, New York, Vintage Books, 2002 et ID., Free Culture : How Big Media Uses Tech-
nology and the Law to Lock Down Creativity, New York, Penguin Press, 2004.
Tout d’abord, rappelons que tous les titulaires de noms de domaine gé-
nériques ou internationaux (1492) ainsi que les titulaires de certains noms
de domaine nationaux d’importance mineure (1493) sont contraints d’ad-
hérer à une clause prévoyant la compétence des quatre organes de résolu-
tion des litiges accrédités par l’ICANN et appliquant l’UDRP (1494). Une
telle clause est en effet obligatoirement incorporée dans le contrat d’enre-
gistrement d’un nom de domaine auprès d’une unité d’enregistrement (ou
opérateur de registre) (1495). L’incorporation de cette clause dans les
contrats d’enregistrement est imposée aux opérateurs de registre par
l’ICANN ; elle constitue l’une des conditions à l’accréditation de ces
derniers par l’ICANN. Cette accréditation, quant à elle, est nécessaire pour
accéder au « root », le cœur du réseau, la base de données (contrôlée par
l’ICANN) qui convertit les noms de domaine en adresses IP (1496). Cette
(1492) C’est-à-dire les noms de domaine en <.com>, <.org>, <.net>, <.biz>, <.info>, <.name>,
<.aero>, <.coop>, <.museum> et <.pro>. Sur le champ d’application de l’UDRP, voir par exemple le
site web du Centre d’Arbitrage et de Médiation de l’OMPI : <arbiter.wipo.int/domains/index-fr.-
html>.
(1493) Au début de l’année 2004, la répartition mondiale de tous les noms de domaine suivait
les pourcentages suivants : <.com> : 44%, <.net> : 8%, <.org> : 5%, <.info> : 2%, <.biz> : 2%, pour
les noms de domaine internationaux, et <.de> : 12%, <.uk> : 8% et tous les 238 autres noms de
domaine nationaux additionnés : 19%. Les noms de domaine internationaux constituent la majo-
rité des noms dans la plupart des pays, mis à part quelques exceptions, telles que l’Allemagne, où
90% des noms de domaine sont nationaux (c’est-à-dire en <.de>) : « The VeriSign Domain Re-
port » in The Domain Name Industry Brief, 2004, vol. 1, no 1, <www.verisign.com/static/002690.-
pdf>.
(1494) Voir Sous-section II. — Accès à Internet, spamming, noms de domaine et
certification, p. 330 et seq. supra.
(1495) L’UDRP prévoit ainsi, art. 1 des principes directeurs, qu’« incorporés par renvoi dans
[le] contrat d’enregistrement, [les principes directeurs] énoncent les clauses et conditions applica-
bles à l’occasion d’un litige entre vous et toute partie autre que nous-mêmes (l’unité
d’enregistrement) au sujet de l’enregistrement et de l’utilisation d’un nom de domaine de l’Internet
enregistré par vous ». Pour un exemple d’une telle clause, voir le contrat type d’enregistrement
auprès de Gandi, l’une des principales unités d’enregistrement françaises : article VII al. 6 :
« Conformément aux obligations souscrites par Gandi auprès de l’ICANN, le Client reconnaît et
accepte que son enregistrement de Nom de Domaine est sujet à suspension, annulation ou trans-
fert suivant toute règle adoptée par l’ICANN » et article VIII al. 4 : « Le Client reconnaît avoir lu
et compris et s’engager à respecter la charte de résolution des conflits de l’ICANN (‘Uniform
Domain Name Dispute Resolution Policy’ – UDRP) » : <www.gandi.net/contract.fr.txt>.
(1496) A.M. FROOMKIN, « Wrong Turn in Cyberspace : Using ICANN to Route Around the
APA and the Constitution », op. cit. n. 995, p. 49 : « une utilisation plus subtile, mais déjà large-
ment répandue, du cœur du réseau [root authority] consiste à fixer contractuellement des conditions
d’accès. L’ICANN a ainsi imposé un grand nombre de conditions aux opérateurs de registre […]
que ces derniers n’ont d’autres choix que d’accepter » (trad. par l’auteur). Voir aussi M. MUELLER,
Ruling the root, op. cit. n. 1489, p. 13 et seq., sous titre « The Root as Resource ». Il faut par ailleurs
souligner que le système de nommage (ou Domain Name System - DNS), c’est-à-dire le système
d’allocation et de correspondance des adresses IP et des noms de domaine, est tout à fait centralisé,
au contraire de la nature globalement décentralisée du cyberespace. Voir par exemple P.
MOUNIER, « L’ICANN : Internet à l’épreuve de la démocratie » in Mouvement, 2001, vol. 18,
p. 100 et seq., spéc. p. 105 : l’auteur concluant qu’« en quelques années, l’ICANN s’est imposé au
centre d’un réseau censé en être dépourvu. » De cette centralité découlent d’ailleurs des allégations
selon lesquels l’ICANN serait dans une situation monopolistique qui devrait être soumise au droit
de la concurrence : A.M. FROOMKIN et M.A. LEMLEY, « ICANN and Antitrust » in U. Ill. L.
Rev., 2003, p. 1 et seq. et L. BLUE, « Internet and Domain Name Governance : Antitrust Litiga-
tion and ICANN » in Berkeley Tech. L.J., 2004, vol. 19, p. 387 et seq.
(1497) Voir Sous-section II. — Accès à Internet, spamming, noms de domaine et
certification, p. 330 et seq. supra.
(1498) Notons que cette clause est dite « unilatérale », en ce sens qu’elle lie le titulaire du nom
de domaine mais non le titulaire d’éventuelles marques correspondantes : le demandeur, c’est-à-
dire le titulaire d’une marque, est libre d’engager une procédure ICANN (devant l’une des quatre
institutions accréditées au choix) ou toute autre procédure, tandis que le défendeur, c’est-à-dire le
titulaire du nom de domaine, est contractuellement tenu de se soumettre à la procédure ICANN,
si c’est celle qui est engagée. L’art. 4 lit. d principes directeurs UDRP dispose ainsi que « le requé-
rant choisit l’institution de règlement parmi celles qui sont agréées par l’ICANN en soumettant sa
plainte à cette institution de règlement. L’institution de règlement choisie administre la procé-
dure. »
(1499) A.M. FROOMKIN, « Wrong Turn in Cyberspace : Using ICANN to Route Around the
APA and the Constitution », op. cit. n. 995, p. 96 et seq., l’auteur analysant par ailleurs les diverses
questions de constitutionalité que cette compétence législative posent à l’égard du droit américain.
(1500) En ce sens, voir par exemple T. FRANKEL, « The managing lawmaker in cyberspace : a
power model » in Brooklyn J. Int’l L., 2002, vol. 27, p. 859 et seq., spéc. p. 860 : « ICANN estab-
lishes some of the Internet’s constitutive rules that facilitate universal connectivity. It has used its
power to determine the process under which new top-level domain names (TLDs) are allocated.
To this extent it is a lawmaker. »
La saisine d’un tribunal dans ce délai étant extrêmement rare (moins d’un
pour cent des cas, nous reviendrons aux raisons de ce faible pourcentage),
ces décisions sont dans les faits quasiment toujours exécutées par l’opéra-
teur de registre (1504).
Des organismes privés interviennent ainsi en amont du litige en adop-
tant les Principes directeurs et les Règles d’application, lors du litige en
statuant sur les prétentions relatives aux noms de domaine et en aval du
litige en (auto)exécutant la décision. C’est ici toute la chaîne de la produc-
tion du droit qui est sous contrôle d’organismes privés : adoption des nor-
mes par l’ICANN, interprétation des normes par les organes de résolution
des litiges, exécution des normes par les opérateurs de registre. On recon-
naît ici les trois compétences législatives, juridictionnelle et d’exécution, qui
sont autant de critères d’identification d’un système juridique. En d’autres
termes, l’ICANN constitue pour ce système juridique la compétence et le
pouvoir législatif, les organes d’ODR accrédités fondent la compétence et
le pouvoir juridictionnel, et les opérateurs de registre accrédités forment la
compétence et le pouvoir exécutif (1505).
Certains auteurs remettent en cause la compétence juridictionnelle de ce
système juridique au titre qu’il ne s’agit pas, avec la procédure UDRP,
d’arbitrage au sens du droit de l’arbitrage. L’argument est que, puisqu’une
décision UDRP n’est pas une sentence arbitrale et n’emporte pas autorité
de la chose jugée, elle n’empêche pas la saisine postérieure d’un juge étati-
que, qui serait habilité à rendre un jugement contraire à cette décision.
Dans ce cas, le jugement prévaudrait auprès de l’ICANN, pour autant qu’il
soit reconnu en Californie, où se situe le siège de l’ICANN. Partant, « c’est
la condition d’autonomie de la sentence par rapport au juge étatique qui
mément au paragraphe 3)b)xiii) des règles de procédure. (En règle générale, ce sera soit au lieu de
notre siège, soit à celui de votre adresse telle qu’elle figure dans notre répertoire […]). »
(1504) En ce sens, E.G. THORNBURG, « Going private : Technology, Due Process, and Inter-
net Dispute Resolution », op. cit. n. 977, p. 197.
(1505) Dans un sens proche : G.B. DINWOODIE, « A new copyright order : why national
courts should create global norms », op. cit. n. 1488, pp. 524–525 : « la procédure [UDRP] a un
potentiel significatif de création de normes transnationales de droit des marques : la procédure
d’enregistrement d’un nom de domaine crée la possibilité d’imposer une obligation [d’accepter la
compétence des organes de résolution des litiges appliquant l’UDRP], les décisions des [panels]
sont publiées sur le site de l’ICANN et il existe […] un système centralisé – l’ICANN – au travers
duquel les procédures de résolution des litiges peuvent être établies à l’échelle mondiale » (trad. par
l’auteur).
fait défaut » (1506) ; on entend par là que ces décisions sont ainsi placées
« sous la dépendance des ordres juridiques étatiques » (1507).
Toutefois, s’il est effectivement incontestable que la procédure UDRP
ne peut être qualifiée d’arbitrage (1508), cela n’enlève rien à la dimension
de compétence juridictionnelle de ce mode de résolution des litiges. Si l’on
retient en général l’absence d’un « pouvoir général de révision [des déci-
sions] de la part du juge étatique saisi d’une demande d’exécution,
d’infirmation ou d’annulation » (1509) comme un critère de la qualification
de jurisprudence arbitrale ou comme un critère de « form[ation] de normes
jurisprudentielles » (1510), c’est qu’il s’agit là d’un élément de clôture (dont
on se souviendra qu’elle est toujours relative, jamais absolue (1511)) du
système. C’est un élément qui lui donne l’indépendance minimale néces-
saire vis-à-vis de son environnement pour constituer un système juridique.
C’est en ce sens que Fouchard, Gaillard et Goldman écrivent que « toute
sentence arbitrale que le juge étatique peut confirmer ou infirmer à sa guise
n’est en définitive qu’un élément qui s’intègre dans la hiérarchie de
l’organisation judiciaire, et les solutions qu’elle exprime ne sont que celles
qu’autorise, au sommet de cette hiérarchie, la Cour suprême, régulatrice au
(1506) O. CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, op. cit. n. 1038, p. 21.
Dans une perspective différente, nous avions pu écrire ailleurs, au sujet de cet argument : « Mais
n’est-ce pas là une approche trop positiviste, trop légaliste ? Si les décisions ICANN sont soumises
aux ordres juridiques étatiques mais que ceux-ci n’interviennent presque jamais, si ces décisions ne
sont pas autonomes par rapport aux juges étatiques, mais que ceux-ci ne sont presque jamais saisis
d’affaires ayant fait l’objet d’une décision ICANN, ne faut-il pas alors délaisser les questions de la
qualification d’arbitrage de cette procédure et de jurisprudence arbitrale de ce corpus décisionnel ?
Si on arrive, et c’est bien le cas, à la conclusion que les décisions ICANN connaissent une très forte
effectivité, ne faut-il pas conclure à la validité d’un droit transnational des noms de domaine pro-
duit par les centres d’ODR appliquant le règlement ICANN ? » : Th. SCHULTZ, « Online dispute
resolution (ODR) : résolution des litiges et ius numericum », op. cit. n. 978, pp. 194–195.
(1507) Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD et B. GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial inter-
national, op. cit. n. 1095, p. 200 : « pour que l’on puisse parler, sans abus de langage, de ‘jurispru-
dence arbitrale’ […] il faut que les solutions dégagées dans les sentences ne soient pas exposées à
une éventuelle résolution judiciaire qui les placerait sous la dépendance des ordres juridiques étati-
ques. »
(1508) Voir Section IV. — La procédure UDRP de l’ICANN, p. 188 et seq. supra.
(1509) Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD et B. GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial inter-
national, op. cit. n. 1095, p. 201.
(1510) Ibid.
(1511) J. CHEVALLIER, « L’ordre juridique », op. cit. n. 1385, p. 19 : « tout système juridique
est […] à la fois et nécessairement ouvert, dans la mesure où il s’insère dans un environnement, et
fermé, dans le mesure où il s’en détache par la constitution d’une identité spécifique. »
de registre est tenu d’exécuter la décision UDRP s’il n’a pas reçu preuve de
l’introduction d’une procédure judiciaire dans les dix jours (1516).
L’élément de clôture est donc constitué ici par une barrière économique et
temporelle au recours au juge étatique (1517). Nous sommes donc très
précisément dans la situation, envisagée plus haut, d’un obstacle à l’inter-
normativité : il s’agit ici de la barrière économique. Cette barrière rend plus
difficile la résolution d’un conflit d’internormativité (quand un système
juridique étatique prévoit une autre solution que le système juridique de
l’ICANN-UDRP) par le juge étatique, ce qui contribue à la clôture du
système juridique (1518).
Le contrôle (technologique) des ressources en jeu – c’est-à-dire la base
de données permettant la conversion du nom de domaine en adresse IP –
confère à la décision UDRP un appareil de coercition, une forme de
contrainte qui ne doit rien à d’autres systèmes juridiques (1519). L’exé-
cution de la décision est totalement indépendante des systèmes juridiques
étatiques (1520). L’élément de clôture, qui renvoie ici à la compétence et au
pouvoir d’exécution de ce système juridique, est constitué par la disponibili-
té d’un appareil coercitif autonome (1521) mettant en œuvre un mécanisme
d’autoexécution (technologique) des décisions (1522).
En définitive, la présence très nette des trois compétences, législative,
juridictionnelle et d’exécution, qui montrent clairement qu’il y a ici secon-
(1516) En ce sens, K. BLACKMAN, « The uniform domain name dispute resolution policy : A
cheaper way to hijack domain names and suppress critics », op. cit. n. 1489, p. 236, concluant que
la possibilité pour un titulaire de nom de domaine de saisir les tribunaux à la suite d’une procédure
UDRP est « illusoire », à tout le moins pour tous les individus et les PMEs qui ne sont pas habi-
tués à saisir les tribunaux. Voir aussi B. SANDBURG, « ICANN Needs Fine Tuning, Lawyers mull
pros and cons of adding an appeals process » in Nat’l L.J., 2000, 6 novembre, p. B10.
(1517) En ce sens, voir par exemple E.G. THORNBURG, « Going private : Technology, Due
Process, and Internet Dispute Resolution », op. cit. n. 977, p. 151 et seq., spéc. p. 197 : « si le
titulaire du nom de domaine qui a perdu la procédure ICANN n’est pas à même de financer un
avocat pour rédiger le mémoire et de payer les frais d’une action en justice, le nom de domaine est
perdu » (trad. par l’auteur).
(1518) Sur cette situation au plan théorique et la terminologie utilisée ici, voir C. — Rapports
entre systèmes juridiques, p. 450 et seq. supra.
(1519) Voir Sous-section III. — Contrainte architecturale, p. 346 et seq. supra.
(1520) Notons ici que l’élément de clôture est dans cette hypothèse endogène ou intrasystémi-
que, en ce sens que la clôture trouve son origine dans le système qui prétend à la clôture.
(1521) Voir Sous-section II. — Autres appareils coercitifs pouvant conférer au droit
l’effectivité requise pour sa validité, p. 322 et seq. supra.
(1522) Voir E. — Autoexécution technologique, p. 374 et seq. supra.
(1523) B. BADIE, La fin des territoires, op. cit. n. 1412, p. 14, à propos des structures sociales et
géopolitiques contemporaines de manière générale.
(1524) Pour une analyse avec cette perspective de la place de marché eBay, voir Th. SCHULTZ,
« eBay : un système juridique en formation ? », op. cit. n. 1410.
(1525) Voir Sous-section I. — Des réseaux choisis de sociabilité, p. 212 et seq. supra.
(1526) Voir B. — Critères d’identité d’un système juridique, p. 440 et seq. supra. Sur la trans-
formation de règles sociales coutumières en règles juridiques par leur reformulation institution-
nelle, voir P. BOHANNAN, « The differing realms of the law » in Am. Anthropol., 1964, vol. 67,
no 6 (numéro spécial), p. 33 et seq., spéc. p. 35–36 : « law may be regarded as a custom that has
been restated in order to make it amenable to the activities of the legal institutions ».
(1527) E. KATSH, J. RIFKIN et A. GAITENBY, « E-Commerce, E-Dispute, and E-Dispute
Resolution : In the Shadow of ‘eBay Law’ », op. cit. n. 1080, p. 732 : « online marketplaces are
environments in which there is law, authority, and power, and in which there are also disputes ».
(1528) P. TRUDEL et al., Droit du cyberespace, op. cit. n. 1003, pp. 3/53–3/54 : « même si les
usages et pratiques dans un champ d’activité donné sont souvent pris en compte et ainsi intégrés,
en quelque sorte, au droit étatique, l’intérêt de ce type de norme réside dans sa capacité à organiser
de façon autonome les comportements et les transactions des membres d’une communauté. Le
respect des usages et pratiques est, dans de telles circonstances, la condition essentielle de
l’adhésion d’un participant à une communauté donnée […] Si l’importance de la communauté le
justifie, les usages et pratiques pourraient constituer une technique de réglementation complète,
parallèle au droit étatique, qui réglerait les rapports des participants d’un communauté et qui serait
administrée par ses propres instances. »
(1529) Notamment O. CACHARD, La régulation internationale du marché électronique, op. cit. n.
1038, p. 20, où l’auteur, après avoir affirmé qu’il n’existait pas une communauté, un groupe social
global du cyberespace et qu’en conséquence les usages ne sauraient y apparaître, relève que « ces
usages apparaîtront sur un segment du marché électronique, par exemple dans les relations entre
professionnels sur des places de marché électroniques », notant ensuite que « ce constat [de
l’inexistence d’une communauté globale des internautes] n’exclut pas que des communautés secto-
rielles se constituent. Simplement, le présupposé qui fait du cyberespace un espace autonome ou
une communauté unitaire produit une vision simpliste de la réalité », aussi p. 260 et seq.
(1530) Organisation internationale des consommateurs (Consumers International), « Disputes
in Cyberspace. Online Dispute Resolution for Consumers in Cross-Border Disputes – An In-
ternational Survey », 2000, <www.consumersinternational.org/document_store/Doc29.pdf>, p. 29,
admettant que l’on peut considérer les mécanismes de résolution des litiges en ligne comme « un
moyen d’éliminer les questions de droit applicable et de compétence des tribunaux, et de créer un
place de marché virtuelle régulée par les contrats et les ‘cybertribunaux’ » (trad. par l’auteur).
(1531) S. MALLABY, « Tangling the wild web » in Washington Post, 2 avril 2001 : « the fact
that private companies are issuing online ‘passports’, and that they are assuming quasi-judicial
functions, fuels the cyberlibertarian idea that government need not regulate the Internet. »
(1532) G. KAUFMANN-KOHLER, « La resolución de los litigios en línea – perspectivas y retos
del contencioso internacional contemporáneo » in Revista Latinoamericana de Mediación y Arbitraje,
2003, vol. 3, no 4, p. 11 et seq., spéc. p. 21, qui relève que « certains […] vont jusqu’à penser que le
recours [aux] mécanismes d’autoexécution permettrait de détacher complètement l’ODR de tout
droit d’émanation étatique […] Des groupes de sites commerçants adhèreraient à un système
d’ODR, adopteraient leurs propres règles, tant de droit des obligations matériel que de procédure,
établirait un mécanisme d’exécution des décisions, et fonctionnerait ainsi en quelque sorte en
autarcie, groupés en marketplaces, sans recours nécessaire ni au droit, ni aux tribunaux étatiques. »
(1533) Voir Sous-section III. — La réalité des communautés numériques, p. 218 et seq. supra.
(1534) P. VIRILIO, La bombe informatique, Paris, Galilée, 1998, pp. 69–70.
(1535) M. CASTELLS, La galaxie Internet, op. cit. n. 1477, pp. 157–63, pour qui les commu-
nautés numériques sont ainsi « des réseaux de sociabilité, à géométrie variable et composition
changeante, selon l’évolution des centres d’intérêt des acteurs sociaux et la forme du réseau lui-
même. Le thème autour duquel il s’édifie contribue largement à déterminer ses membres. » Voir
aussi Ph. GIORDANO, « Invoking Law as a Basis for Identity in Cyberspace » in Stan. Tech. L.
Rev., 1998, p. 1 et seq., spéc. p. 10 : « Cyberspace users have been able to create thriving and
multi-dimensional relationships for a number of reasons. First, the members of a newsgroup have
much in common – they self-select according to their interest in a particular topic » et H.
RHEINGOLD, The Virtual Community : Homesteading on the Electronic Frontier, Reading, Mass.,
Addison-Wesley, 1993.
(1536) Voir Sous-section VI. — Vers un morcellement du cyberespace ?, p. 229 et seq. supra.
Voir aussi J.R. REIDENBERG, « Governing Networks and Rule-Making in Cyberspace » in Borders
in Cyberspace, s. dir. B. Kahin et Ch. Nesson, Cambridge, Mass., MIT Press, 1997, p. 84 et seq.,
spéc. pp. 90–91, l’auteur considérant qu’en plus de la nouvelle géographie des frontières tracées par
les réseaux des réseaux fermés sur Internet, on peut observer l’émergence de règles et d’une citoyen-
neté propres à ces réseaux ; la possibilité d’exclure un membre d’un tel réseau confère à ce dernier
un important pouvoir de contrainte et donc d’élaboration normative.
(1537) Voir Sous-section III. — Contrainte architecturale, p. 346 et seq. supra et D. —
Exclusion de places de marché, p. 360 et seq. supra.
(1538) Voir B. — Critères d’identité d’un système juridique, p. 440 et seq. supra.
(1539) Voir B. — Critères d’identité d’un système juridique, p. 440 et seq. supra.
(1540) Voir B. — Critères d’identité d’un système juridique, p. 440 et seq. supra.
(1541) F. OSMAN, Les principes généraux de la lex mercatoria, op. cit. n. 1380, pp. 260–291, en ce
qui concerne la forme des actes normatifs formant la lex mercatoria (ou les leges mercatoriae), l’auteur
concluant que « les codes de conduite constituent d’ores et déjà une manifestation de la lex merca-
toria dans la mesure où ils aspirent à définir précisément le comportement de l’opérateur diligent et
avisé […] Transposés aux échanges transfrontières, les codes de conduite sont révélateurs de
l’existence d’un ordre juridique a-étatique, propre aux opérateurs du commerce international. Plus
précisément nous pouvons considérer qu’ils contribuent à la formation du droit anational : ils en
constituent l’une des sources formelles. »
(1542) Voir <pages.ebay.fr/help/community/index.html>. En anglais : « eBay policies », qui se
subdivisent en « user agreement » et divers corps de « rules » : <pages.ebay.com/help/policies/hub.-
html>. En allemand : « eBay-Grundsätze » : <www.pages.ebay.de/help/policies/index.html>.
(1557) Voir sur ceci l’introduction à la Troisième partie, p. 297 et seq. infra.
(1558) Voir le compte rendu de l’entrevue avec Brian Hutchinson, secrétaire général
d’ECODIR dans G. KAUFMANN-KOHLER et Th. SCHULTZ, Online Dispute Resolution : Chal-
lenges for Contemporary Justice, op. cit. n. 936, p. 287 et seq.
De manière générale sur les sanctions juridiques des violations de codes de conduite et la juridi-
cisation croissante de ces derniers, voir F. OSMAN, Les principes généraux de la lex mercatoria, op. cit.
n. 1380, p. 286 et seq., sous titre « Des codes dont la violation est sanctionnée juridiquement » et
G. FARJAT, « Réflexions sur les codes de conduites privés » in Le droit des relations économiques
internationales : Études offertes à Berthold Goldman, Paris, Litec, 1982, p. 56 et seq., spéc. pp. 56–57,
pour qui la conjonction de « l’exigences de normes […] techniques » et « l’existence de pouvoirs
privés économiques » conduit immanquablement à l’émergence de « sources formelles privées »,
constituées notamment par les codes de conduite. Voir aussi A.-J. ARNAUD, « Les transformations
de la régulation juridique et la production du droit. Introduction » in Les transformations de la
régulation juridique, s. dir. J. Clam et G. Martin, Paris, LGDJ, 1998, p. 75 et seq., spéc. p. 77 qui
observe la « juridicisation croissante [de la] normalisation technique ».
Sur l’application des codes de conduite par les arbitres dans le cadre de la lex mercatoria, voir par
exemple P. SANDERS, « Codes of Conduct and Sources of Law » in Le droit des relations économi-
ques internationales : Études offertes à Berthold Goldman, Paris, Litec, 1982, p. 281 et seq., spéc.
p. 289.
(1559) Voir Chapitre IX : Validité : l’efficacité juridique en trois temps, p. 305 et seq. supra.
(1560) Voir Sous-section II. — Validité formelle et systèmes juridiques non étatiques, p. 388
et seq. supra. Plus spécifiquement sur les codes de conduite dans le contexte de la lex mercatoria,
certains auteurs observent ainsi qu’« il n’est pas à exclure que les normes des codes arrêtent leur
évolution quelque part entre le non-droit et le hard law » : S.A. METAXAS, Entreprises trans-
nationales et codes de conduite. Cadre juridique et questions d’effectivité, Zurich, Schulthess, 1988,
pp. 322–323.
marché (ce qui est déterminé par les règles secondaires de reconnaissance).
En pratique, il n’y aura que rarement des règles explicites d’édiction – qui
sont une forme de règles de reconnaissance – pour les codes de conduite,
les règlements, les règles d’utilisation et les autres instruments de guidance
contractuelle. Une règle non écrite existera toutefois dans la plupart des cas
selon laquelle ces instruments ne peuvent être adoptés que par le cyber-
marchand propriétaire ou gérant de la place de marché : c’est ce dernier,
comme le montre l’exemple d’eBay (1561), qui détermine les règles du jeu
et qui est, pour ainsi dire, souverain quant à l’organisation de sa place de
marché (1562). Il existera par contre plus souvent des règles explicites (en
principe des règles de procédure) indiquant que les codes de conduite ou
autres instruments de normativité des places de marché constituent des
normes applicables ou de référence lors de procédures de résolution des
litiges (1563) – ces règles sont une autre forme de règles de reconnaissance.
À l’égard de cette faiblesse très relative de la secondarité des règles, on rap-
pellera simplement la gradualité de la juridicité (ou, ce qui revient au même
ici, la gradualité de la qualité de système juridique), qui dépend notamment
de cette secondarité (1564) ; ce qui nous permet de dire que la juridicité ou
la qualité de système juridique des places de marché est bien réelle. Elle
n’est cependant pas aussi radicalement marquée que celle des systèmes
juridiques étatiques – ce qui semble au demeurant évident – ou que celle
des systèmes appartenant à la lex sportiva au sens large.
La conformité des normes en question ici avec les règles secondaires du
système juridique de la place de marché – c'est-à-dire leur reconnaissance
par ce système – est importante parce qu’elle leur donne accès à l’appareil
(1561) Sur la place de marché eBay, tous les règlements que nous avions évoqués plus haut ont
été adoptés par la société eBay.
(1562) Cf. E. KATSH, J. RIFKIN et A. GAITENBY, « E-Commerce, E-Dispute, and E-Dispute
Resolution : In the Shadow of ‘eBay Law’ », op. cit. n. 1080, p. 731 : « the obstacle that has frus-
trated most online ADR projects thus far is that there has been no sovereign authority that could
compel any party to appear and participate. This is a power that marketplace owners do have, since
parties that refuse to participate and abide by decisions could be threatened with exclusion » (nous
soulignons).
(1563) Voir n. 1556 et 1558 supra et sect. 1.8 règlement d’arbitrage CIArb pour litiges ABTA :
« in considering the Parties’ cases, the Arbitrator shall have regard to ABTA’s Code of Conduct.
In the event of a conflict between a rule of law and a provision of the code, the interpretation most
favourable to the customer shall prevail. »
(1564) Sur la gradualité et la qualité de système juridique et le critère de la secondarité des nor-
mes, voir B. — Critères d’identité d’un système juridique, p. 440 et seq. supra.
powerful law probably was eBay’s law and the power it exercised as a result of users agreeing to the
terms and conditions for participation that eBay presents to them […] There may have been other
laws casting shadows on our process, but federal law or recourse to any court system rarely was
mentioned. »
(1570) Global Business Dialogue on electronic commerce (GBDe) et Organisation inter-
nationale des consommateurs (Consumers International), « Alternative Dispute Resolution
Guidelines. Agreement reached between Consumers International and the Global Business Dia-
logue on Electronic Commerce », novembre 2003, <www.gbde.org/adragreement03.pdf>, notam-
ment p. 59, sous titre « Applicable law » : « one of the principal reasons why business, consumers
and governments consider the development of ADR systems to be of such strategic importance for
the enhancement of consumer trust in electronic commerce is that such systems can settle disputes
in an adequate fashion without necessarily engaging in cumbersome, costly, and difficult research
on the detailed legal rules that would have to be applied in an official court procedure. Govern-
ments in particular, must be confident that the rights of both consumers and businesses are pro-
tected, while at the same time avoiding actions that could adversely impact the growth of global
electronic commerce. ADR dispute resolution officers may decide in equity and/or on the basis of
codes of conduct. This flexibility as regards the grounds for ADR decisions provides an opportu-
nity for the development of high standards of consumer protection worldwide. »
(1571) F. GÉLINAS, « Le point sur l’ODR : du concept à la réalité commerciale » in Bull. CCI
(numéro spécial sur la technologie au service des différends commerciaux), 2004, p. 7 et seq., spéc.
pp. 17–18 : « dans la mesure où ces places de marché fonctionnent comme des groupements pro-
fessionnels traditionnels, elles peuvent résoudre l’énigme de la justice transfrontière en intégrant
dans la structure – juridique et technique – du marché un système obligatoire de résolution des
différends (culminant par l’arbitrage si nécessaire), faisant ainsi d’un système d’ODR la juridiction
par défaut de cette ‘place’ virtuelle. »
(1572) Sur ces tribunaux, voir par exemple L. NADER, « Styles of Court Procedure : To Make
the Balance » in Law in Culture and Society, s. dir. L. Nader, Chicago, Aldine, 1969, p. 69 et seq.,
et seq., spéc. pp. 74–75.
(1573) Voir G. KAUFMANN-KOHLER, Arbitration at the Olympics : Issues of Fast-Track Dispute
Resolution and Sports Law, La Haye, Kluwer, 2001.
(1574) Nous avions déjà pu évoquer ces questions dans Th. SCHULTZ, « Connecting
complaint filing processes to online resolution systems » in CLP, 2003, vol. 10, p. 307 et seq.
(1578) On se souvient que l’accès à l’appareil coercitif étatique, au travers des procédures
d’exécution forcées, de la reconnaissance et de l’exécution de sentences arbitrales, accords issus de
médiations, jugements étrangers, est l’un des principaux « points de passage » du droit non étatique
dans le droit étatique, et donc l’un des principaux points de contrôle : voir Section II. —
Intégration de la résolution des litiges en ligne dans les ordres juridiques étatiques p. 389 et seq.
supra.
(1579) On rappellera par exemple la réglementation de l’accès, l’identification et le suivi des
transactions dans la place, la possibilité d’exclusion, le contrôle des flux de sommes monétaires par
les tiers de confiance et les comptes de garantie bloqués. Sur les aspects technologiques de ces
contrôles, L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 949, pp. 28 et 30 seq.
(1580) Voir par exemple ibid., p. 33 et seq. et S. HANDA, « Cyber-borders for the Borderless
Internet » in Int’l Tech. L. Rev., 2001, vol. 17, p. 18 et seq.
(1581) Sur la constitution de zones dans le cyberespace par des barrières technologiques, no-
tamment des outils de contrôle des œuvres concernées par la propriété intellectuelle, voir L.
LESSIG, « Zones in Cyberspace » in Stan. L. Rev., 1996, vol. 48, p. 1403 et seq., spéc. p. 1409 et
seq. Précisons encore que la constitution de « zones juridiques » (c’est-à-dire d’espaces et de systè-
mes juridiques) est une conséquence et non une cause de cette délimitation ou de ce « zoning ».
(1582) Voir Sous-section IV. — La présence d’un système de résolution des litiges, p. 221 et
seq. supra.
Les normes que se donne une bande de brigands pour régir leurs activités
peuvent-elles constituer un ordre juridique ? Ce thème central pour la vali-
dité du droit a traversé les âges depuis saint Augustin pour nous rappeler
constamment que le droit ne peut, sans se dénaturer, évoluer en marge de
certaines valeurs qui nous sont fondamentales (1583). Quand une bande de
brigands, se conformant aux règles qu’elle s’est données, adopte des actions
qui choquent foncièrement notre sens moral ou éthique, nous ne pourrions
accepter de qualifier sans réserve ces normes de droit (1584). La juridicité
n’émerge qu’au prix d’un respect minimal de nos aspirations morales et
éthiques. Il n’est pas suffisant qu’une norme ait été adoptée conformément
aux règles posées par le système auquel elle entend appartenir (validité for-
melle, légalité) et qu’elle soit respectée en pratique (validité empirique,
effectivité) pour que nous puissions la qualifier de juridique ou de juridi-
quement valide. Encore faut-il que nous lui prêtions un minimum de légi-
timité. Il serait en effet choquant de qualifier les règles imposées par la
(1583) SAINT AUGUSTIN, La cité de Dieu, livre IV, chap. IX, trad. L. Moreau revue par J.-C.
Eslin, Paris, Éd. du Seuil, 1994, p. 167 : « sans la justice […] les royaumes sont-ils autre chose que
de grandes troupes de brigands ? Et qu’est-ce qu’une troupe de brigands, sinon un petit royaume ?
Car c’est une réunion d’hommes où un chef commande, où un pacte social est reconnu, où certai-
nes conventions règlent le partage du butin. »
(1584) Nous suivons ici la théorie de la validité retenue depuis le début pour cette étude, voir F.
OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911, p. 325 et seq. Pour
Santi Romano, la validité juridique n’a de dimension que formelle et empirique et il ne fait en
conséquence aucune distinction entre le système normatif d’une bande de brigands organisée et un
système juridique étatique : voir S. ROMANO, L’ordre juridique, op. cit. n. 967, pp. 89–91. Kelsen
rejette également ce critère de la légitimité, considérant que la validité ne doit être que formelle
(bien que l’auteur admette des éléments empiriques) : H. KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit. n.
958, pp. 60–68, sous titre « Le droit en tant qu’ordre normatif. Communauté juridique et ‘bande
de voleurs’ ».
(1585) J. BERLEUR et Y. POULLET, « Réguler Internet » in Revue Études, 2002, vol. 397, no 5,
p. 463 et seq., spéc. pp. 474–475.
(1586) B. FRYDMAN, « Quel droit pour l’Internet ? » in Internet sous le regard du droit, Internet
sous le regard du droit, Bruxelles, Ed. du Jeune Barreau, 1997, p. 279 et seq., spéc. p. 295.
(1587) Sur ces élections, voir H. KLEIN, « The feasibility of global democracy : Understanding
ICANN’s at-large election » in Info, 2001, vol. 3, p. 333 et seq. ainsi que le site de l’ICANN :
<www.icann.org/committees/at-large/at-large.htm>.
(1588) O. ITÉANU, « L’Icann, un exemple de gouvernance originale ou un cas de law intel-
ligence ? » in Homo Numericus, 2002, <www.homo-numericus.net/IMG/_article_PDF/arti-
cle_154.pdf>, p. 7.
(1589) Une étude ultérieure aurait ainsi démontré qu’une moitié des suffrages validés étaient
frauduleux : P. MOUNIER, « L’ICANN : Internet à l’épreuve de la démocratie », op. cit. n. 1496,
p. 103 : « les possibilités de fraudes sont extrêmement importantes et entraînent des procédures de
validation (par courrier postal) et de vérification coûteuses et techniquement incertaines. Au total,
l’ICANN a validé près de 76'000 inscriptions parmi lesquelles un peu moins de la moitié ont
effectivement participé au vote. » De manière générale sur les déficiences démocratiques de
l’ICANN, voir R. MARLIN-BENNETT, « ICANN and democracy : contradictions and possibili-
ties » in Info, 2001, vol. 3, p. 299 et seq.
(1590) A.M. FROOMKIN, « [email protected] : Towards a Critical Theory of Cyber-
space » in Harv. L. Rev., 2002, vol. 116, p. 749 et seq., spéc. p. 838 et seq. Voir aussi J.
WEINBERG, « Geeks and greeks » in Info, 2001, vol. 3, p. 313 et seq., l’auteur considérant que ce
projet démocratique imparfait est préférable à une absence totale de représentation populaire.
(1591) L.R. HELFER et G. DINWOODIE, « Designing Non-National Systems : The Case of
the Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy » in Wm. & Mary L. Rev., 2001, vol. 43,
p. 141 et seq., spéc. p. 199 et W.M. REISMAN, Systems of Control in International Adjudication and
Arbitration : Breakdown and Repair, Durham/Londres, Duke Univ. Press, 1992, pp. 1–7. Voir aussi
H.H. PERRITT, « Towards a hybrid regulatory scheme for the Internet », op. cit. n. 984, p. 303 et
seq.
cas, le contrôle est exercé par une entité extérieure aux parties impliquées
dans le règlement des différends (1592). Dans le second, le contrôle est
exercé par les tiers intervenant dans les procédures de résolution des litiges
eux-mêmes (arbitres ou médiateurs, par exemple), suivant volontairement
certaines règles qui permettent le contrôle de leur propre travail. Concrè-
tement, cela nous amènera à étudier certaines architectures de contrôle,
puis la technique juridique de la pesée des intérêts.
Ces instruments de contrôle ont pour rôle d’améliorer les garanties de
légitimité des normes produites par ces mécanismes de règlement des dif-
férends. En cela, ils ont un double but, empirique et éthique. Le but empi-
rique est tout d’abord une conséquence de la typologie dynamique de la
validité : comme nous l’avons évoqué dans l’introduction au concept de
validité (1593), une régulation manquant de légitimité tendra à perdre de
son effectivité et de sa légalité. Pour que les ODR puissent continuer à
exercer une influence régulatrice sur le cyberespace en général et le com-
merce électronique en particulier (ce qui est en soi souhaitable), ils doivent
assurer une certaine légitimité à leur production normative. Le but empiri-
que est également, dans le même ordre d’idées, celui de faciliter l’exécution
des décisions en augmentant la probabilité d’une exécution volontaire (ac-
croissement de l’efficacité juridictionnelle, ou de l’effectivité des normes
produites, par l’amélioration de l’effectivité symbolique). Le but éthique est
simplement celui de garantir une certaine qualité de la justice comme fin en
soi.
Avant d’étudier les architectures de contrôle (4) et la pesée des intérêts
(5), plusieurs problématiques devront encore être traitées. Ainsi examine-
rons-nous tout d’abord diverses significations du concept de légitimité (1),
afin de dégager un cadre notionnel plus précis pour les développements qui
suivront. Puis, afin de faire ressortir plus clairement les défis qui se posent
en termes de légitimité, nous prendrons un peu de distance par rapport à la
(1592) Dans une perspective légèrement différente, on pourrait faire correspondre ces deux ty-
pes de contrôle à deux pôles de gouvernance, l’un actantiel (« apprentissage organisationnel »),
l’autre institutionnel (mise en place d’une forme institutionnalisée de contrôle) : sur ces termes, M.
MAESSCHALCK et T. DEDEURWAERDERE, « Autorégulation, éthique procédurale et gouver-
nance de la société de l’information » in Gouvernance de la société de l’information. Loi – Auto-
réglementation – Éthique, s. dir. J. Berleur, C. Lazaro et R. Queck, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 77
et seq., spéc. p. 93.
(1593) Voir Chapitre IX : Validité : l’efficacité juridique en trois temps, p. 305 et seq. supra.
(1595) Sur ces diverses assimilations, F. OST, « La légitimité dans le discours juridique : cohé-
rence, performance, consensus ou dissensus ? » in ARSP, 1985, Beiheft no 25, p. 191 et seq., spéc.
p. 191.
(1596) F. JAVER DE LUCAS, « Légitimité » in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de socio-
logie du droit, s. dir. A.-J. Arnaud, Paris, LGDJ, 1993, p. 225 et seq., spéc. p. 225.
(1597) Ibid. : considérant que la légitimité est, au sens strict, la « qualité qui, attribuée à un or-
dre juridico-politique, suppose sa reconnaissance comme domination, et la reconnaissance de sa
capacité à dicter des ordres auxquels on doit obéir ».
(1598) La légitimité ou validité axiologique est donc « méta-positive », elle dépend de la
conformité avec des « règles, valeurs ou idéaux méta-positifs : conformité avec un Sollen qui excède
le Sollen dérivé de la norme fondamentale d’un système juridique donné » : F. OST, « Validité », op.
cit. n. 913, p. 433.
(1599) Sur la légalité ou la validité formelle du régime juridique du 3ème Reich, voir par exemple
F. RIGAUX, La loi des juges, op. cit. n. 954, p. 96 et seq. et seq. et H.O. PAPPE, « On the Validity of
Judicial Decisions in the Nazi Era » in MLR, 1960, vol. 23, p. 260 et seq.
(1600) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911, p. 337, les
auteurs retenant que le critère de la légitimité « entend apprécier la validité des actes et normes
juridiques à l’aune de valeurs méta-positives [qui ] se ne cesse[nt] de se creuser soit dans l’ordre du
devoir moral inconditionnel, soit dans le registre de la surabondance de l’éthique. »
(1601) F. OST, « La légitimité dans le discours juridique », op. cit. n. 1595, p. 191.
(1602) H.L.A. HART, Le concept de droit, op. cit. n. 914, p. 116 et seq. et voir, sur Hart,
Chapitre IX : Validité : l’efficacité juridique en trois temps, p. 305 et seq. supra ainsi que B. —
Critères d’identité d’un système juridique, p. 440 et seq. supra. L.L. FULLER, The Morality of Law,
op. cit. n. 1144, p. 33 et seq. et voir, sur Fuller, C. — Légalité et éthique, p. 386 et seq. supra.
(1603) Cf. N. BOBBIO, « Sur le principe de légitimité » in L’idée de légitimité, Paris, PUF (coll.
Annales de philosophie politique, vol. 7), 1967, p. 47 et seq., pour qui, pp. 48–49, la « légitimité […]
est un attribut du pouvoir […] Lorsqu’on exige qu’un pouvoir soit légitime, on demande que celui
qui le détient ait un juste titre pour le détenir […] Le pouvoir légitime est un pouvoir, dont le titre
est juste. » Ce second aspect du principe de légitimité a une importance particulière dans le
contexte de la régulation du cyberespace et du commerce électronique, en raison du fréquent
recours au mode de l’autorégulation, ce qui implique des auteurs et une procédure de production
normative qui ne correspondent pas à ceux du mode traditionnel d’intervention normative par la
réglementation. Ainsi Yves Poullet a-t-il insisté sur cet aspect de la légitimité dans le cadre d’une
analyse des techniques de régulation du cyberespace : « la légitimité des auteurs suppose que les
auteurs de la règle soient reconnus compétents par les destinataires de cette règle pour l’émettre » :
Y. POULLET, « Les diverses techniques de réglementation d’Internet », op. cit. n. 913, p. 62.
(1604) Cf. F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit. n. 911,
p. 361 : « quant aux modalités de la réception des règles par les sujets de droit, on peut dire qu’aux
pôles légalité et compétence correspond l’obéissance (neutre, non autrement définie) des individus,
qu’aux pôles effectivité et force correspond la conformation ou sujétion des sujets de droit, tandis
qu’aux pôles légitimité et autorité répondent des attitudes d’allégeance ou d’adhésion en cons-
cience. »
(1605) A. CRUQUENAIRE, Le règlement extrajudiciaire des litiges relatifs aux noms de domaine, op.
cit. n. 1489, p. 193 et seq.
(1606) Voir l’introduction à la Troisième partie, p. 297 et seq. supra.
accord. Les organes de résolution des litiges sont donc toujours producteurs
de droit, ou acteurs de la régulation.
Au regard du commerce électronique en général, l’apport normatif de la
résolution des litiges en ligne peut intervenir à différentes échelles, dans
diverses situations et les ODR participent donc de la régulation du com-
merce électronique de plusieurs manières. En schématisant quelque peu, on
peut affirmer que cette participation à la régulation peut être globale et
diffuse (les ODR jouant le rôle de l’un des acteurs du réseau global et ou-
vert de la régulation du commerce électronique) ou locale et focalisée (les
ODR comme pouvoir juridictionnel d’une place de marché électronique ou
d’un secteur centralisé et restreint, tel que le système des noms de do-
maine). De plus, au travers de la mise en tension de plusieurs ordonnance-
ments juridiques localisés, causée notamment par les potentialités du lex
shopping entre plusieurs places de marché, une troisième forme de régula-
tion peut émerger. Les paragraphes suivants abordent tour à tour ces trois
formes de régulation par la résolution des litiges en ligne.
(1607) Voir A. — La lex electronica n’est pas un système juridique, p. 472 et seq. supra.
(1608) Ibid., on rappellera ici les références suivantes : A.E. ALMAGUER et R.W. BAGGOTT,
« Shaping New Legal Frontiers : Dispute Resolution for the Internet », op. cit. n. 1475, p. 717 et
seq., sous titre « Un mécanisme d’ADR peut être fondé sur, et contribuer au développement natu-
rel des coutumes d’Internet » et V. GAUTRAIS, G. LEFEVBRE et K. BENYEKHLEF, « Droit du
commerce électronique et normes applicables : l’émergence de la lex electronica », op. cit. n. 1466,
p. 564.
Au même titre, il importe que la justice des ODR (c’est-à-dire leur pro-
duction normative) ait une certaine qualité, importance qui augmente au
demeurant avec l’accroissement des litiges résolus ; il est nécessaire, d’un
point de vue éthique, que les normes individuelles et concrètes produites
par les ODR aient une certaine légitimité, qu’elles se conforment aux aspi-
rations axiologiques de leurs destinataires.
(1609) Voir aussi S. SASSEN, « On the Internet and Sovereignty » in Ind. J. Global Legal Stud.,
1998, vol. 5, p. 545 et seq., spéc. p. 552, l’auteur retenant le terme de « cyber-ségmentation ».
(1610) Voir plus avant Th. SCHULTZ, « eBay : un système juridique en formation ? », op. cit. n.
1410.
(1611) Voir Chapitre IX : Validité : l’efficacité juridique en trois temps, p. 305 et seq. supra.
Ces diverses formes de régulation par la résolution des litiges en ligne po-
sent, nous l’avons évoqué, un certain nombre de questions à l’égard de leur
légitimité. C’est à l’examen de ces questions que seront employés les para-
graphes qui suivent. On y abordera d’abord la problématique des acquis
juridiques que le droit étatique, reflétant l’évolution de nos sociétés, avait
inscrit au sein de celles-ci. La question se posera ainsi de savoir ce qu’il
advient de ces acquis avec l’éloignement des lieux de production du droit
par rapport à l’État. On y évoquera ensuite la problématique, très généra-
D’un côté, on arguera que le litige résolu en ligne n’aurait de toute façon
pas été soumis au juge étatique, pour des raisons pratiques tenant notam-
ment à des questions de coûts ; les ODR se développent justement, rap-
pellera-t-on, en raison de ces difficultés de saisir le juge. Cela pousserait à
conclure que les ODR n’affaiblissent pas le droit étatique, qui était déjà
faible de lui-même en raison du nombre de litiges qui ne peuvent pas être
rationnellement portés devant le juge étatique.
D’un autre côté, on relèvera tout d’abord que certains litiges, en raison
de leur importance aux yeux des parties, auraient été portés devant le juge
étatique mais n’ont pu l’être en raison d’une clause d’arbitrage en ligne
insérée dans les conditions générales d’un contrat d’adhésion. La problé-
matique n’est pas neuve en arbitrage en matière de consommation et l’on
sait qu’elle conduit dans ce domaine à une réticence générale des milieux
consuméristes à ce genre d’arbitrage, ce qui révèle à tout le moins la per-
ception par ces milieux que l’acquis du droit de la consommation en est
remis en jeu. De plus, il existe toute une gamme de litiges que la soumis-
sion à une procédure de règlement en ligne fait basculer dans la catégorie
des litiges qui ne sont en principe plus soumis au juge étatique, quel que
soit le caractère contraignant au plan formel et la qualité de la procédure et
de la décision. La procédure UDRP, quand bien même elle n’entre pas
dans le champ du droit de la consommation, est éloquente à ce titre. En
principe, trois facteurs semblent devoir pousser les parties à saisir les tribu-
naux. Tout d’abord, les règles de procédure permettent une telle saisine à
tout moment, soit avant, pendant ou après l’instance. Ensuite, on peut
estimer que le litige a souvent une importance non négligeable pour les
parties. Finalement, selon de très sérieuses recherches empiriques, on peut
observer dans les affaires tranchées en application de l’UDRP de trop fré-
quentes solutions juridiques sinon nettement erronées, du moins peu
convaincantes (1622). En dépit de ces trois facteurs, les tribunaux ne sont
saisis à la suite d’une procédure UDRP que dans moins d’un pour cent des
cas. La raison de la faiblesse de ce nombre n’est pas clairement établie. On
peut cependant spéculer que la brièveté radicale du délai (dix jours) entre la
notification de la décision et l’(auto)exécution de la décision – après la-
(1622) Voir surtout A. CRUQUENAIRE, Le règlement extrajudiciaire des litiges relatifs aux noms
de domaine, op. cit. n. 1489, passim.
(1623) Voir Section II. — Intégration de la résolution des litiges en ligne dans les ordres
juridiques étatiques, p. 389 et seq. supra.
(1624) Voir Section VI. — Mécanismes d’autoexécution et ODR, p. 349 supra. On rappellera
que Lawrence Lessig s’exprimait en des termes très proches sur les défis posés de manière générale
par la normativité dans le cyberespace : L. LESSIG, « The Law of the Horse : What Cyberlaw
Might Teach », op. cit. n. 991, 530-531: « with every enforced contract – with every agreement that
subsequently calls upon an enforcer to carry out the terms of that agreement – there is a judgment
made by the enforcer about whether this obligation should be enforced. In the main, these judg-
ments are made by a court […] When the code enforces agreements, however, or when the code
carries out a self-imposed constraint, these public values do not necessarily enter into the mix. »
Voir aussi ID., Code and other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 949, p. 136 : « the ultimate power of a
contract is a decision by a court–to enforce the contract of not […] The same is not true of code. »
(1625) Nous mentionnerons simplement ici, pour ne pas entrer dans une digression qui nous
détournerait de l’essence de notre exposé, une partie de la politique de la Commission européenne
en matière de résolution extrajudiciaire (essentiellement hors ligne) des litiges, qui à notre sens
reconnaît cette distanciation et la nécessité de réintroduire des mécanismes de garantie. Nous nous
limiterons à rapporter les propos de Philippe Amblard, qui écrit que « l’Union européenne entend
organiser un véritable dispositif informationnel comparable à la jurisprudence des ordres judiciaires
nationaux ou communautaires. L’objectif est d’uniformiser les règles de conduite appliquées par ces
différents organismes extrajudiciaires afin d’accroître l’influence normative de ces normes élaborées
consensuellement par les acteurs dans le respect des principes édictées par l’Union européenne. Afin de
pérenniser un corpus de grandes décisions d’organismes extrajudicaires de règlement des litiges
[…] la directive dite commerce électronique prévoit en son article 17 al. 3 que ‘les États membres
encouragent les organes de règlement extrajudiciaire des litiges à communiquer à la Commission
les décisions importantes qu’ils prennent en matière de services de la société de l’information’ »
(nous soulignons) : Ph. AMBLARD, Régulation de l’Internet. L’élaboration des règles de conduite par le
dialogue internormatif, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 411–412.
(1626) Dans le même sens, voir par exemple E.G. THORNBURG, « Going Private : Techno-
logy, Due Process, and Internet Dispute Resolution », op. cit. n. 977, p. 154, qui retient notam-
ment que « ni l’autorégulation volontaire par l’industrie ni les développements ad hoc lors de
procédures de résolution des litiges ne seront suffisants pour assurer la protection des valeurs
fondamentales sur Internet. »
(1629) J. LECA, « L’État creux » in La France au-delà du siècle, La Tour d’Aigues, DATAR /
Ed. de l’Aube, 1994, p. 91 et seq., spéc. p. 92.
(1630) Ibid.
(1631) Voir aussi G.-P. CALLIESS, Prozedurales Recht, Baden-Baden, Nomos, 1999, p. 271 :
« wenn in der modernen Gesellschaft die materiellen Regeln derart komplex und kurzlebig wer-
den, dass weder deren Kenntnis erwartet noch auf deren Fortgeltung vertraut werden kann, so
müssen wenigstens die Prozeduren, in denen über die Inhalte entschieden wird, transparent sein,
und die Rechte der Subjekte auf Teilnahme an der Definition der sie betreffenden Rechtsinhalte
müssen unverbrüchlich garantiert sein [...] Im Lichte des prozeduralen Rechtsparadigmas kommt
dem Recht die Funktion eines Supervisors autonomer gesellschaftlicher Selbststeuerungsprozesse
zu, der mit der notwendigen Distanz und Neutralität die Einhaltung der prozeduralen Spielregeln
überwacht, ohne selbst als Mitspieler Partei zu ergreifen. »
entité sociale, nous intéresse moins ici que la défection. Celle-ci advient de
la manière la plus ostensible lorsqu’un consommateur mécontent d’un pro-
duit se tourne vers celui d’une autre entreprise, ce qui a pour effet non seu-
lement d’améliorer sa propre position, mais également d’inciter la première
entreprise à redresser la qualité de sa production. La qualité moyenne d’un
produit tend ainsi à s’améliorer dans un secteur donné. La défection ad-
vient aussi, de manière plus générale, lorsqu’un acteur social juge qu’il
existe un dysfonctionnement dans une entité sociale (communauté, orga-
nisation, entreprise, marché, etc.) et qu’il décide de s’en départir, pour se
joindre à une autre entité. Cette défection, à nouveau, non seulement amé-
liore la position de l’acteur social, mais incite aussi l’entité sociale à corriger
son dysfonctionnement. Par-dessus tout, cela crée une concurrence entre
les diverses entités sociales, l’acteur se tournant toujours, selon le postulat
de cette théorie, vers l’entité la plus attrayante. Finalement, le dysfonction-
nement en question peut bien entendu être constitué par le caractère illégi-
time de l’ordonnancement normatif de l’entité sociale, son inadéquation
avec les aspirations morales et éthiques de ses destinataires. Il se crée dans
ce cas, si l’on suit la théorie de la défection, une concurrence entre les or-
donnancements normatifs, qui tendraient naturellement vers un maximum
d’adéquation morale et éthique, un maximum de légitimité. On peut donc
voir dans cette théorie l’idée que la possibilité de la défection conduit non
seulement à une présomption irréfragable de légitimité d’un ordonnance-
ment normatif (parce que son application présuppose la non-défection),
mais elle crée également des externalités positives sur tous les ordonnan-
cements normatifs d’un même secteur, puisqu’ils sont en concurrence les
uns avec les autres. Il s’agit réellement ici de l’idée d’un darwinisme des
normes et des ordonnancements normatifs, seuls survivent ceux qui sont
acceptables pour leurs destinataires, c’est-à-dire légitimes à tout point de
vue, les autres étant éliminés par la concurrence. Et si pour Darwin les
races tendent à s’améliorer par épuration, les secteurs normatifs suivent
aussi, d’après la théorie de ce libéralisme radical, le chemin naturel du pro-
grès.
(1639) Pour un survol, voir aussi E. LONGWORTH, « Opportunité d’un cadre juridique appli-
cable au cyberespace – y compris dans une perspective néo-zélandaise » in Les dimensions inter-
nationales du droit du cyberespace, s. dir. T. Fuentes-Camacho, Paris, Éd. UNESCO/Economica,
2000, p. 11 et seq., spéc. p. 39, sous titre « L’internet la stratégie de sortie ». Pour une mise en
œuvre de ses théories dans le contexte de la création de l’ICANN, voir S.D. MCDOWELL et Ph.E.
STEINBERG, « Non-state governance and the internet : civil society and the ICANN » in Info,
2001, vol. 3, p. 279 et seq.
(1640) P. TRUDEL, « L’influence d’Internet sur la production du droit » in Le droit internatio-
nal de l’internet, s. dir. G. Chatillon, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 89 et seq., spéc. p. 100.
(1641) E. KATSH, J. RIFKIN et A. GAITENBY, « E-Commerce, E-Dispute, and E-Dispute
Resolution : In the Shadow of ‘eBay Law’ », op. cit. n. 1080, p. 732 : « competition among ‘rule-
sets’ ».
(1642) Voir, parmi de nombreuses références, Center for Democracy & Technology, « An
Analysis of the Bertelsmann Foundation Memorandum on Self-Regulation of Internet Content :
Concerns from a User Empowerment Perspective », octobre 1999, <www.cdt.org/speech/-
991021bertelsmannmemo.shtml>, M. D’UDEKEM-GEVERS et Y. POULLET, « Concerns from a
European User-Empowerment Perspective Relating to Internet Content Regulation : An Analysis
of Some Recent Statements » in CL&SR, 2002, vol. 17, p. 371 et seq. et vol. 18, p. 11 et seq. et H.
BURKERT, « The Post-Deregulatory Landscape in International Telecommunications Law : A
Unique European Union Approach ? » in Brooklyn J. Int’l L., 2002, vol. 27, p. 739 et seq., spéc.
p. 775.
(1643) D.R. JOHNSON et D.G. POST, « Law and Borders – The Rise of Law in Cyberspace »,
op. cit. n. 1477, pp. 1398–1399 : « the ease with which individuals can move between different rule
sets in Cyberspace has important implications for any contractarian political philosophy […] In
the nonvirtual world, this consent has a strong fictional element […] In Cyberspace, though, any
given user has a more accessible exit option, in terms of moving from one virtual environment’s
rule set to another’s, thus providing a more legitimate selection mechanism by which differing rule
sets will evolve over time. » Voir aussi D.R. JOHNSON et K.A. MARKS, « Mapping Electronic
Data Communications onto Existing Legal Metaphors : Should We Let Our Conscience (and
Our Contracts) Be Our Guide ? » in Vill. L. Rev., 1993, vol. 38, p. 487 et seq.
(1644) D.G. POST, « Governing Cyberspace » in Wayne L. Rev., 1996, vol. 43, p. 155 et seq.,
spéc. p. 167 : « mobility – our ability to move unhindered into and out of these individual networks
with their distinct rule-sets – is a powerful guarantee that the resulting distribution of rules is a just
one. »
(1645) D.G. POST, « Anarchy, State, and the Internet : An Essay on law Making in Cyber-
space » in J. Online L., 1995, art. no 3, § 43 : « the prospect of relatively unfettered individual
choice among competing sets of rules is surely an attractive prospect, to the extent that what
emerges represents the rules that people have voluntarily chosen to adopt rather than rules that
have been imposed by others upon them. » Les mêmes idées sont encore défendues dans les arti-
cles suivants : ID., « The Unsettled Paradox : The Internet, the State, and the Consent of the
Governed » in Ind. J. Global Legal Stud., 1998, vol. 5, p. 521 et seq., spéc. p. 539 et seq. et ID.,
« The New Electronic Federalism » in Am. Law., 1996, p. 93 et seq.
(1646) D.C. NUNZIATO, « Exit, Voice, and Values on the Net » in Berkeley Tech. L.J., 2000,
vol. 15, p. 753 et seq., spéc. p. 763 : « in an unregulated cybermarketplace, different market actors
will produce a wide and divergent range of code-sets, embodying different value choices (some
consistent with the First Amendment, for example, others not), offering users the freedom to
choose which value-set or code-set best accords with their preferences and values […] In short, the
Net libertarian claim is that a market on the Internet that aggregates our individual preferences in
response to individual acts of exit will be sufficient to reflect our important values. »
(1647) D.R. JOHNSON et D.G. POST, « Law and Borders – The Rise of Law in Cyberspace »,
op. cit. n. 1477, p. 1398 et D.G. POST, « Governing Cyberspace », op. cit. n. 1644, p. 167 « [online
communities] rather than territorially-based states, become the essential units of governance ; users
in effect delegate the task of rule-making to them – confer sovereignty on them – and choose
among them according to their own individual views of the constituent elements of an ordered
society. »
En premier lieu, tout comme l’on sait pertinemment qu’un marché to-
talement libre, sans intervention de l’État, produit des externalités négati-
ves notamment en termes moraux et éthiques (on évoquera simplement les
questions environnementales ou de santé publique), on réalise aisément que
les mêmes externalités négatives se produiront inévitablement dans le
cyberespace. Dans le contexte du commerce électronique, on évoquera
simplement la problématique de la vente d’objets qui heurtent gravement
les aspirations morales ou éthiques de la population en générale, tels que les
objets nazis concernés par la célèbre affaire Yahoo, que nous avons eu
l’occasion de mentionner (1648). Le problème de ce type d’externalités
négatives est qu’elles touchent, justement, l’éthique et la morale de la so-
ciété en générale, et non celles des acheteurs qui acceptent d’intégrer une
entité sociale permettant ce genre de ventes ; à ce titre, ces questions de
légitimité ne peuvent pas entrer dans la théorie de la défection, puisqu’elle
ne prend en compte que les aspirations des individus directement concer-
nés, dans notre hypothèse les vendeurs et les acheteurs. Or tout projet de
société, tel celui de la société globale de l’information, se doit de tenir
compte des aspirations morales et éthiques de l’ensemble de la société.
Ensuite, croire que les acteurs commerciaux, tout particulièrement s’il
s’agit de consommateurs et non de professionnels, ont réellement connais-
sance du cadre normatif d’une place de marché, d’un marchand, ou encore
d’un produit ou service, et tout particulièrement de la production normative
des ODR qui fait partie de ce cadre général de règles, est illusoire. La pro-
blématique est ici sensiblement la même que dans le contexte des clauses
d’arbitrage incorporées par référence dans les contrats d’adhésion en ma-
tière de consommation. Les associations de consommateurs se battent
contre la validité de telles clauses compromissoires – c’est-à-dire quand
elles sont conclues avant la survenance du litige, par opposition aux com-
promis arbitraux. La raison pour cela tient à ce que la renonciation à la
justice étatique que ces clauses impliquent repose sur le consentement du
consommateur (1649) alors que l’on sait pertinemment que ce consen-
tement n’existe généralement pas en réalité. Les personnes qui lisent de
(1650) Pour une discussion des problèmes éthiques liés au fait de considérer les clauses
d’arbitrage incorporées dans les contrats de consommation comme une simple caractéristique des
biens ou services proposés, qui devrait être prise en considération par les consommateurs au mo-
ment de choisir entre plusieurs fournisseurs : J.R. STERNLIGHT, « Panacea or Corporate Tool ? :
Debunking the Supreme Court’s Preference for Binding Arbitration » in Washington U. L.Q.,
1996, vol. 74, p. 637 et seq.
(1651) On comparera avec intérêt cette situation à celle de la Rome primitive, où le droit de la
Cité n’était pas encore clairement établi et uniforme : M. SHAPIRO, Courts : a comparative and
political analysis, op. cit. n. 1052, p. 49: « the most fundamental device for maintaining the triad is
consent. Early Roman law procedures provide a convenient example. The two parties at issue first
met to decide under what norm their dispute would be settled. Unless they could agree on a norm,
the dispute could not go forward in juridical channels. Having agreed on the norm, they next had
to agree on a judge, a third person who would find the facts and apply the previously agreed upon
norm to settle the dispute. The eventual loser was placed in the position of having chosen both the
law and the judge and thus of having consented to the judgment rather than having had it imposed
on him [...] All of this can, of course, be put in the form of the classic political question : Why
would I obey ? The loser is told that he should obey the third man because he has consented in
advance to obey. He has chosen the norm of decision. He has chosen the decider. He has thus
chosen to obey the decision. »
(1652) Voir Section III. — Reformer des communautés de confiance, p. 211 et seq. supra.
(1653) En ce sens, L. LESSIG, Code and Other Laws of Cyberspace, op. cit. n. 949, pp. 199–204,
spéc. p. 202, l’auteur allant jusqu’à conclure que l’option défection est en réalité plus riche en
conséquences négatives pour celui qui l’exerce dans le cyberespace que dans le monde réel.
(1654) Voir D. — Exclusion de places de marché, p. 360 et seq. supra.
(1655) Nous avons pu évoquer ceci sous B. — Régulation locale : places de marché, noms de
domaine, p. 516 et seq. supra.
SOUS-SECTION I. — SYSTÈMES
D’ACCRÉDITATION
(1656) Les paragraphes concernant ces trois premiers mécanismes s’inscrivent en prolongement
des études que nous avions pu rapporter dans Th. SCHULTZ, « An Essay on the Role of Govern-
ment for ODR. Theoretical considerations about the future of ODR » in Online Dispute Resolution
(ODR). Technology as the “Fourth Party”, s. dir. E. Katsh et D. Choi, Genève et Amherst, Mass.,
Publ. des Nations unies et de l’Université de Massachusetts, 2003, p. 99 et seq. et dans G.
KAUFMANN-KOHLER et Th. SCHULTZ, Online Dispute Resolution : Challenges for Contemporary
Justice, op. cit. n. 936, p. 121 et seq.
(1657) Dans le même sens que nos conclusions quant à la théorie de la défection abordée plus
haut, le groupe de travail sur les ODR et le commerce électronique de l’Association du barreau
américain conclut ainsi que « l’un des principaux problèmes [quant à l’établissement de standards
dans le domaine des ODR] est l’absence de structures permettant aux consommateurs et aux
professionnels d’obtenir les informations nécessaires pour opérer des choix éclairés entre les divers
fournisseurs dans le domaine du commerce électronique et de la résolution des litiges en ligne » :
ABA Task Force on E-Commerce and ADR and Shidler Center, « Addressing Disputes in Elec-
tronic Commerce : Final Recommendations and Report », op. cit. n. 1061, p. 446 (trad. par
l’auteur).
(1658) Sur la résolution extrajudiciaire comme marché où le respect par les institutions de rè-
glement des différends de certains standards constitue un élément important de concurrence : J.B.
RACINE, « Les dérives procédurales de l’arbitrage » in Les transformations de la régulation juridique,
s. dir. J. Clam and G. Martin, Paris, LGDJ, 1998, p. 229 et seq., spéc. p. 233.
(1659) Sur la question de la confiance dans l’ODR, voir Th. SCHULTZ, « Does Online Dispute
Resolution Need Governmental Intervention ? », op. cit. n. 1201, p. 89 et seq. et M.S.A. WAHAB,
« La technologie sape-t-elle la confiance ? La confidentialité et la sécurité dans l’arbitrage en
ligne » in Bull. ICC (numéro spécial sur la technologie au service des différends commerciaux),
2004, p. 45 et seq.
(1660) Sur ces formes d’accréditation, voir M. PHILIPPE, « Where Is Everyone Going With
Online Dispute Resolution (ODR) ? » in RDAI, 2002, vol. 13, p. 167 et seq., spéc. pp. 183–184 et
ABA Task Force on E-Commerce and ADR and Shidler Center, « Addressing Disputes in Elec-
tronic Commerce : Final Recommendations and Report », op. cit. n. 1061, p. 449 et seq.
(1661) M. CONLEY TYLER et D. BRETHERTON, Research into Online Alternative Dispute
Resolution : Exploration Report Prepared for the Department of Justice Victoria, International Conflict
Resolution Centre, Université de Melbourne, Mars 2003, <www.justice.vic.gov.au>, p. 49, L.E.
TEITZ, « Providing Legal Services For The Middle Class In Cyberspace : The Promise And
Challenge Of On-Line Dispute Resolution » in Fordham L. Rev., 2001, vol. 70, p. 985 et seq.,
spéc. pp. 1013–1014 et ABA Task Force on E-Commerce and ADR and Shidler Center,
« Addressing Disputes in Electronic Commerce : Final Recommendations and Report », op. cit. n.
1061, p. 448.
(1662) Voir par exemple la liste tenue par le Centre de Résolution des Litiges et des Techno-
logies de l’Information de l’Université de Massachusetts, <www.odr.info/providers.php>.
(1663) M. PHILIPPE, « Where Is Everyone Going With Online Dispute Resolution
(ODR) ? », op. cit. n. 1660, p. 186.
(1664) Dans ce sens, ABA Task Force on E-Commerce and ADR and Shidler Center,
« Addressing Disputes in Electronic Commerce : Final Recommendations and Report », op. cit. n.
1061, pp. 453–454.
(1665) Voir ibid. pp. 27–29, F. WALTER, « E-Confidence in E-Commerce durch Alternative
Dispute Resolution » in AJP, 2001, p. 755 et seq. et A. WIENER, « Regulations and Standards for
Online Dispute Resolution. A Primer for Policymakers and Stakeholders », 15 février 2001,
<www.mediate.com/articles/awiener2.cfm>, p. 3.
(1666) En ce sens, voir M. PHILIPPE, « Where Is Everyone Going With Online Dispute
Resolution (ODR) ? », op. cit. n. 1660, p. 184.
(1667) De tels mécanismes ont également été étudiés par l’Association du barreau américain,
mais ils n’ont pas à notre connaissance fait l’objet d’un réel projet de mise en œuvre : voir ABA
Task Force on E-Commerce and ADR and Shidler Center, « Addressing Disputes in Electronic
Commerce : Final Recommendations and Report », op. cit. n. 1061, p. 449, décrivant des « entités
dont le rôle serait de recevoir des réclamations de consommateurs du monde entier pour ensuite
référer ces litiges à des centres d’ADR/ODR ‘certifiés’ de manière interne » (trad. par l’auteur).
(1668) La liste des institutions provisoirement sélectionnées est reproduite dans le document
Chambre de commerce internationale (CCI), « Business-to-Consumer and Consumer-to-
Consumer Alternative Dispute Resolution (ADR) Inventory Project », 18 juillet 2002, <www.-
iccwbo.org/home/ADR/ADR%20PROJECT%20REPORT%20final.pdf>.
(1669) Ces six fonctions ont été décrites dans le document Chambre de commerce internatio-
nale (CCI), Commission sur les télécommunications et les technologies de l’information, « ICC
and business-to-consumer Alternative Dispute Resolution in E-Commerce : A Strategy Paper »,
DOC CTIT 373/404, 12 février 2000, présenté par Christopher Kuner lors d’une conférence sur
la résolution des litiges en ligne à l’Université de Münster, Allemagne, le 22 juin 2001.
(1670) Voir Résolution du Conseil, du 25 mai 2000, relative à un réseau au niveau communau-
taire d’organes nationaux chargés du règlement extrajudiciaire des litiges de consommation, JO C
155 du 6.6.2000, p. 1. Voir aussi Union européenne, Synthèse de la législation, Réseau pour la
résolution extrajudiciaire des litiges de consommation (Réseau EJE), <europa.eu.int/scadplus/leg/-
fr/lvb/l32043.htm> et le site <www.eejnet.org>.
(1671) Pour un description plus détaillée du réseau EJE, voir Commission européenne, DG
Sanco, « Document de travail relatif à la création d’un Réseau extrajudiciaire européen (EJE) », 20
mars 2000, <europa.eu.int/comm/consumers/redress/out_of_court/eej_net/acce_just06_fr.pdf> et,
de manière générale, Commission européenne, DG Sanco, Réseau EJE, <europa.eu.int/comm/-
consumers/redress/out_of_court/eej_net/index_fr.htm>.
(1672) Recommandation 98/257 de la Commission, du 30 mars 1998, concernant les principes
applicables aux organes responsables pour la résolution extrajudiciaire des litiges de consommation,
JO L 115 du 17.4.1998, p. 31.
(1673) Recommandation 2001/310 de la Commission, du 4 avril 2001, relative aux principes
applicables aux organes extrajudiciaires chargés de la résolution consensuelle des litiges de
consommation, JO L 109 du 19.4.2001, p. 56.
bilité de saisir les tribunaux pour recourir contre les sentences arbitrales ou
pour faire invalider un accord issu d’une médiation pour vice de consen-
tement. Cette possibilité juridique ne se traduira toutefois que rarement en
une réelle possibilité pratique si le litige en question n’a qu’une valeur liti-
gieuse relativement faible, ce qui concerne la plupart des litiges soumis au
règlement en ligne. Une opposition au stade de la procédure d’exequatur,
par hypothèse entamée contre une partie considérant que le résultat de la
procédure est incorrect et qui refuserait en conséquence de s’exécuter vo-
lontairement, n’est pas réellement plus réaliste. Les frais judiciaires occa-
sionnés sont similaires et les mécanismes d’autoexécution permettent, dans
les cas où ils sont utilisés, de mettre hors circuit la possibilité d’une telle
opposition. Si les résultats des procédures ODR doivent pouvoir faire
l’objet d’un recours ou d’une action en annulation, la seule voie réaliste, la
seule manière de mettre en œuvre une voie de recours réellement accessible
est à notre sens de prévoir un deuxième niveau d’ODR, une instance de
recours en ligne – le terme recours n’est donc pas à prendre ici en son sens
strict, mais englobant toute possibilité d’invalider le résultat d’une procé-
dure de règlement de litiges (1676).
Au-delà de ces avantages, soit le contrôle de la qualité des résultats des
procédures en ligne et l’amélioration de l’accessibilité des voies de recours,
une telle deuxième instance présenterait également un autre effet désirable.
Elle permettrait d’harmoniser la production juridique de divers tribunaux
arbitraux d’une même institution et d’améliorer ainsi la sécurité juridique
de ces ordonnancements juridiques. Bien entendu, ici comme pour le
contrôle de la qualité, plus grand est le pouvoir de l’instance de recours de
revoir la décision ou l’accord, plus important sera l’effet d’harmonisation. Il
est ainsi souhaitable que le recours soit notamment plus large que celui
prévu par la plupart des droits nationaux à l’égard des sentences arbitrales,
qui est en principe limité à la violation des principes fondamentaux de pro-
cédures et de l’ordre public international.
Notons à ce propos qu’il est possible de prévoir des voies de recours dif-
férentes de celles qui sont ordinairement ouvertes devant les tribunaux.
(1676) M. PHILIPPE, « Where is everyone going with online dispute resolution (ODR) ? », op.
cit. n. 1660, p. 188, l’auteur suggérant qu’un organisme d’appel en ligne est la réponse à la question
de savoir « quel recours peut être offert afin de ne pas perdre les avantages du règlement à
l’amiable ».
(1677) Voir sous point 1. Effectivité symbolique : vers l’arbitrage à deux niveaux ?, p. 430 et
seq. supra.
(1678) Ibid.
(1679) En ce sens, M. MUELLER, « Rough Justice : An Analysis of ICANN’s Dispute Resolu-
tion Policy », op. cit. n. 1487, p. 19.
(1680) En ce sens, M.S. DONAHEY, « A Proposal for an Appellate Panel for the Uniform Do-
main Name Dispute Resolution Policy » in JintArb, 2001, vol. 18, p. 131 et seq., spéc. p. 132.
(1681) Pour un historique de ces projets, voir A.M. FROOMKIN, « ICANN’s’Uniform Dispute
Resolution Policy’ – Causes and (Partial) Cures » in Brooklyn L. Rev., 2002, vol. 67, p. 605 et seq.,
spéc. p. 638.
(1682) Voir par exemple M.S. DONAHEY, « Divergence in the UDRP and the Need for Ap-
pellate Review » in J. Internet L., 2002, vol. 5, no 11, p. 1 et seq., spéc. p. 1, l’auteur, ayant constaté
les fortes divergences entre les solutions juridiques retenues par les divers panel, se demande si
« l’UDRP est un système juridique ou simplement une loterie » et conclut qu’« il manque à
l’UDRP une instance de recours qui permettrait d’apporter un minimum d’uniformité à cette
procédure » (trad. par l’auteur) et ID., « A Proposal for an Appellate Panel for the Uniform Do-
main Name Dispute Resolution Policy », op. cit. n. 1680, p. 132, l’auteur considérant qu’une
harmonisation est hautement improbable si l’on compte sur l’effet des recours aux tribunaux étati-
ques. Voir aussi L.R. HELFER and G.B. DINWOODIE, « Designing Non-National Systems », op.
cit. n. 1591, p. 251.
(1683) En ce sens L.R. HELFER and G.B. DINWOODIE, « Designing Non-National Sys-
tems », op. cit. n. 1591, p. 252 et M. MUELLER, « Rough Justice : An Analysis of ICANN’s Dis-
pute Resolution Policy », op. cit. n. 1487, p. 19, concluant qu’une instance de recours rendrait
l’UDRP « davantage comme un droit global et moins comme un système de résolution alternative
des litiges ».
une telle instance de recours, notamment dans le cadre du Réseau EJE que
nous venons d’évoquer, pour le commerce électronique européen.
Au-delà de ces formes de contrôle externes de la légitimité du droit pro-
duit par les mécanismes de résolution des litiges en ligne, nous nous
proposons d’aborder maintenant une forme interne de contrôle. Nous pas-
serons ainsi de l’idée de la construction d’architectures encadrant cette
production normative à une proposition de repenser de manière très géné-
rale les raisonnements juridiques des tiers dans des procédures de résolution
des litiges. À notre sens, la pesée des intérêts est une technique juridique
importante pour ces raisonnements juridique et elle peut être améliorée par
une méthodologie.
le verra, au point de passage entre le droit et les faits. Cette réalité sociale
est par ailleurs devenue plus complexe, diversifiée et multiculturelle.
L’accélération du temps juridique, qui correspond à une accélération de la
réalité sociale, contribue également à la montée en importance de l’intérêt
en droit, puisqu’il faudra souvent adapter les textes juridiques à des réalités
changeantes (1686). Divers acquis juridiques (acquis sociaux en général,
acquis environnementalistes ou, plus près de notre propos, acquis consu-
méristes) imposent également au droit la prise en compte d’un plus grand
nombre d’intérêts que par le passé ; la fonction de l’intérêt est dans cette
optique de « promouvoir la participation de nouveaux partenaires dans le
jeu juridique » (1687). Résultat de tous ces facteurs, la pesée des intérêts
devient un mode central des processus contemporains de décision juridi-
que, un « nouveau mode de production du droit » (1688).
À notre sens, un certain nombre de ces facteurs sont encore exacerbés
dans le cyberespace. On relèvera tout d’abord le plus manifeste : le multi-
culturalisme. Il s’agit du panachage des cultures et des cultures juridiques
dans ce monde, sans guère de frontières géographiques, que génère la
« téléproximité sociale » (1689) propre au cyberespace. Ce multicultura-
lisme, on l’a noté (1690), conduit nécessairement à une justice procédurale,
qui devra veiller à ménager un équilibre entre les diverses aspirations mo-
rales et éthiques, qui sont autant d’intérêts qu’il faudra peser. Ensuite, ce
sont les normes applicables lors de la résolution des litiges par les ODR qui
seront souvent vagues, notamment quand il s’agit de codes de conduite ou
de principes généraux du commerce (1691) ; ce caractère vague, on le verra,
(1686) À ce propos, F. OST, Le temps du droit, Paris, Odile Jacob, 1999 et ID., « Le commerce
en ligne : courts-circuits et excès de vitesse » in Le consentement électronique, s. dir. B. de Nayer et J.
Laffineur, Louvain-la-Neuve, Centre de droit de la consommation, 2000, p. 187 et seq.
(1687) ID., Droit et intérêt, op. cit. n. 1685, p. 156.
(1688) Ibid., chapitre IV : « La fonction régulatrice exercée par l’intérêt. Un nouveau mode de
production du droit ? », p. 155 et seq.
(1689) P. VIRILIO, La bombe informatique, op. cit. n. 1534, pp. 69–70.
(1690) Voir B. — Société globale de l’information et justice procédurale, p. 525 et seq. supra.
(1691) Cf. Y. POULLET, « Quelques considérations sur le droit du cyberespace » in Les di-
mensions internationales du droit du cyberespace, s. dir. T. Fuentes-Camacho, Paris, Éd.
UNESCO/Economica, 2000, p. 185 et seq., spéc. pp. 198-199 « à propos des ‘environnements
électroniques’ […] on notera [parmi les] tendances particulières du droit étatique […] celle de
préférer le recours à des notions à contenu vague, évolutif et susceptibles de moult interprétations,
des ‘standards’. »
(1692) Th. BOURGOIGNIE, Éléments pour une théorie du droit de la consommation, Bruxelles,
Story-scientia, 1988, p. 212.
(1693) Voir par exemple Ph. HECK, Gesetzauslegung und Interessenjurisprudenz, Tubingue,
Mohr / Siebeck, 1914, ID., Interessenjurisprudenz. Gastvorlesung, Tubingue, Mohr / Siebeck, 1933,
ID., « Rechtsphilosophie und Interessenjurisprudenz » in AcP, 1937, p. 194 et seq. et ID., « The
Jurisprudence of Interests. An outline » in The Jurisprudence of Interests, selected writings,
Cambridge, Mass., Harvard Univ. Press, 1948, p. 31 et seq. Voir aussi, sur le mouvement de
l’Interessenjurisprudenz : M. BÜRGISSER et J.-F. PERRIN, « Interessenjurisprudenz : statut et inter-
prétation de la loi dans l’histoire du mouvement » in Droit et intérêt, t. 1, Approche interdisciplinaire,
s. dir. Ph. Gérard, F. Ost et M. van de Kerchove, Bruxelles, Publ. FUSL, 1990, p. 327 et seq.
(1694) Voir sous Sous-section III. — Pesée d’intérêt et pouvoir d’appréciation, p. 556 et seq.
infra.
(1695) Voir Chapitre VIII : Perspective : vers la processualisation ?, p. 271 et seq. supra.
(1696) Ces mécanismes de contrôle externe ont été abordés dans la Section IV. —
Architectures de contrôle étatique comme garants de légitimité, p. 536 et seq. supra.
sans qu’il y ait de jugement de valeur une fois la norme produite. L’intérêt
se range par contre du côté de ce que l’on qualifierait alors d’idées de va-
leur : si l’on attribue un intérêt à quelque chose, on fait un jugement de
valeur, on considère qu’il s’agit de quelque chose de bon (moralement ou
éthiquement, par exemple (1703)), qui procure un sentiment de plaisir.
Que l’intérêt ne soit pas un fait brut découle notamment de ce jugement
de valeur que nous venons d’évoquer. À son origine, l’intérêt est un dé-
sir (1704). Il puise en effet de toute évidence son essence dans l’utile et le
profitable et il correspond à la volonté de son titulaire d’inscrire dans une
norme juridique l’un de ses désirs : j’ai le désir que ma vie privée soit proté-
gée, j’ai un intérêt (juridiquement reconnu) à la protection de ma vie privée,
le droit prescrit de respecter ma vie privée. L’intérêt constitue ainsi une
étape sur le chemin des désirs aux normes juridiques. Tout ce chemin est
une suite de sélection des désirs légitimes.
bon ou mauvais ; elles aboutissent à des sentiments de plaisir ou de regret. Les deuxièmes concer-
nent la conduite et elle n’ont rien à voir avec le plaisir ou le regret que la conduite provoque par
elle-même ou bien moyennant ses conséquences. »
(1703) Ch.-A. MORAND, « Vers une méthodologie de la pesée des valeurs constitutionnelles »
in De la Constitution. Études en l’honneur de Jean-François Aubert, s. dir. P. Zen-Ruffinen et A.
Auer, Bâle, etc., Helbing & Lichtenhahn, 1996, p. 57 et seq., spéc. p. 59, l’auteur rapprochant
intérêt de valeur. Voir aussi E. HUBER, Code civil suisse. Avant-projet, Berne, Éd. Chancellerie
fédérale, 1900, p. 1 et seq., qui rapproche intérêt de besoin de la vie. Voir au surplus le vo « Intérêt »
in Vocabulaire juridique, s. dir. G. Cornu, Paris, PUF, 1987, pp. 429 et seq., spéc. p. 430 : l’intérêt
est « ce qui importe (à l’état brut, avant toute qualification) : considération d’ordre moral (affection,
bonheur, haine) ou économique (argent, possession d’un bien) qui, dans une affaire (contrat,
procès,...), concerne, attire, préoccupe une personne (ce qui lui importe). »
(1704) F. OST, Droit et intérêt, op. cit. n. 1685, p. 14 : « en pointant, à la suite de Carbonnier, le
lien intime qui relie l’intérêt au désir, peut-être avons-nous touché l’essentiel – en tout cas, la
racine profonde de la méfiance que suscite l’intérêt dans la pensée juridique classique. L’intérêt ne
serait-il pas l’interprète du désir, ce terrible désir, subjectif et ravageur, qui se joue, ou pourrait se
jouer, craint-on, des contraintes sociales et des interdits juridiques ? »
(1705) Voir, pour l’idée des sélections préjuridiques, ibid.
des normes sociales faisant le tri entre ces désirs ayant passé le premier filet
psychologique. C’est seulement après ces deux sélections qu’un désir peut
devenir intérêt, par le choix des producteurs de droit de le faire apparaître
dans le paysage juridique. Et c’est seulement après ce triple critère
d’élimination qu’un désir peut devenir agissant en droit, dans sa traduction
juridique d’intérêt. C’est en ce sens que nous retiendrons l’idée que l’intérêt
est un désir agissant en droit et relatif à un comportement.
Nous devons maintenant nous demander comment ces producteurs de
droit doivent faire leur sélection, quels sont les désirs qui doivent devenir
des intérêts, quels doivent être ces intérêts.
Dans un chemin allant de la foule de désirs originaires, ces désirs d’avant
leur première sélection, aux décisions des cas concrets, après leur dernière
sélection, nous en sommes à l’acceptation par les producteurs de droit de la
traduction en intérêt (c’est-à-dire en droit) de certains désirs ayant passé
avec succès les premiers tests de conformité psychologiques et sociaux. La
question, à ce stade, est de savoir s’il est possible de dégager des critères
abstraits de sélection, des critères qui permettraient d’établir, a priori, un
groupe d’intérêts qui pourraient plus tard entrer dans la pesée des intérêts.
La nature de la délimitation du groupe que nous retiendrons se fonde
sur la distinction entre intérêts solipsistes et universalisables. François Ost
relève ainsi que dans le langage courant et sous la plume d’auteurs tels que
Bentham ou Habermas, la conception de l’intérêt est plurielle et fait preuve
d’au moins deux acceptions opposées : l’intérêt peut ainsi être identifié d’un
côté au dessein de lucre, à l’appât de gain, en son sens le plus péjoratif
d’intérêt égoïste, comme l’exprime l’expression « agir par intérêt » (1706).
Mais il peut aussi viser une fin noble et altruiste qui jette l’opprobre sur le
désintéressement, qui est le refus de la prise en compte de désirs que certai-
nes valeurs nous commandent de considérer comme légitimes (1707). Ces
(1706) Ibid., p. 16 : « sous la plume d’un utilitariste comme Bentham, [l’intérêt] se charge du
plus lourd égoïsme individuel. »
(1707) J. HABERMAS, Raison et légitimité. Problèmes de légitimation dans le capitalisme avancé,
trad. F. Lacoste, Paris, Payot, 1978, pp. 149–153, qui retient le concept d’« intérêts universalisa-
bles », qui constituent autant d’« intérêts établis sans méprise », fruits d’un « consensus rationnel »
dégagé par la raison pratique. En d’autres termes, les intérêts universalisables correspondent, pour
Habermas, aux choix éthiques collectifs d’une société, choix qui doivent s’opérer non simplement
par un vote majoritaire, mais suivant un processus discursif entre les divers acteurs en présence. Ce
processus discursif, pour aboutir à résultats raisonnablement acceptables par tous, doit respecter les
deux conceptions (extrêmes opposés d’un axe définitoire) peuvent être qua-
lifiées d’intérêts solipsistes et universalisables (1708). D’un côté de l’axe, les
intérêts sont des désirs du « plus lourd égoïsme individuel » (1709). De
l’autre, ce sont des désirs correspondant à des aspirations morales et éthi-
ques, dont la prise en compte généralisée constitueraient une norme géné-
rale d’une grande moralité (1710) – un intérêt qui pourrait être rapproché
d’un impératif catégorique kantien. La légitimité d’un intérêt se détermine
selon sa position sur cet axe, graduel, allant des intérêts solipsistes d’un côté
(pôle d’illégitimité), aux intérêts universalisables de l’autre (pôle de légiti-
mité).
Ceci nous conduit à deux premières conclusions : tout d’abord que les
intérêts trop proches du pôle solipsiste doivent être rejetés lors de la créa-
tion d’une norme juridique (y compris, bien entendu, la norme du cas
d’espèce). On pense par exemple au désir de profiter d’un enrichissement
indu, c’est-à-dire, justement, illégitime. Ensuite, que la recherche des in-
térêts (au sens de « la pesée de tous les intérêts pertinents ») lésés par une
norme doit être d’autant plus approfondie que l’intérêt prépondérant tend
vers le pôle solipsiste. À l’inverse, si l’intérêt majeur de la pesée des intérêts
est universalisable, l’importance de la recherche de tout autre intérêt à
prendre en compte est moindre. L’édiction d’une norme (soit-elle celle du
cas particulier) selon un nombre limité d’intérêts tendant au solipsisme, au
mépris d’autres intérêts semblables ou universalisables, correspond à son
accaparement par le bénéficiaire des intérêts que la norme traduit.
Nous avons évoqué à plusieurs reprises l’idée d’une prise en compte sélec-
tionnée des intérêts lors de la création de normes. Cette prise en compte
implique certains choix. Choix de l’acceptation ou du rejet d’accorder un
poids à un intérêt considéré, choix dans la hiérarchisation des intérêts rete-
nus. Ce double choix est désigné par les syntagmes, équivalent, de « pou-
voir d’appréciation » et de « pouvoir discrétionnaire ».
Pour analyser le concept de pouvoir d’appréciation et son rapport avec la
pesée d’intérêts, partons de deux autres concepts qui se distinguent l’un de
l’autre par leurs relations avec le pouvoir d’appréciation : les règles et les
principes (1711).
Ces deux types de normes sont deux bornes par lesquelles passe l’axe
d’indétermination (qui est un corollaire du pouvoir d’appréciation) (1712).
D’un côté, les règles tendent vers la réduction du tiers dans une procédure
de résolution des litiges à une bouche de la loi, sans jamais y parvenir (1713),
sans jamais parvenir à exclure totalement son pouvoir d’appréciation. De
l’autre, les principes laissent au tiers un pouvoir plus ou moins large de
création du droit, car la norme qu’est le principe est plus ou moins floue,
(1711) L’essentiel de l’étude qui suit a fait l’objet d’une première publication dans Th.
SCHULTZ, « Pesée d’intérêts : réflexions autour de la notion d’intérêt », op. cit. n. 1699, p. 305 et
seq.
(1712) De manière générale sur la distinction entre règles et principes reposant sur leur généra-
lité ou indétermination, voir R. DWORKIN, Prendre les droits au sérieux, trad. M.-J. Rossignol et al.,
Paris, PUF, 1995, p. 69 et seq., J. RAZ, « Principles and the Limits of Law » in Yale L.J., 1972,
vol. 81, p. 823 et seq., spéc. p. 838 : « rules prescribe relatively specific acts, principles presribe
highly unspecific actions », G.C. CHRISTIE, « The Model of Principles » in Duke L.J., 1968,
p. 649 et seq., spéc. p. 669 : « [if] we have difficulty in formulating and applying rules because of
the vagueness of language, we look for even vaguer rules called principles […] Presumably, if we
have difficulty in applying principles we would look to still vaguer rules, which we would perhaps
call maxims or second-order principles », G. HUGHES, « Rules, Policy and Decision Making » in
Yale L.J., 1968, vol. 77, p. 411 et seq., spéc. p. 419 : « no precise distinctions can be made between
rules, principles and maxims, but the terms serve to mark differences of degree in the precision of
guides to decision-making. Rules are fairly concrete guides for decisions geared to narrow catego-
ries of behavior and prescribing narrow patterns of conduct. Principles are vague signals which
alert us to general considerations that should be kept in mind in deciding disputes under rules. So
we decide under rules but in light of principles. » Sur le concept de généralité ou d’indétermination,
voir R.M. HARE, Freedom and Reason, Oxford, Oxford Univ. Press, 1963, p. 39 et seq.
(1713) R. DWORKIN, Prendre les droits au sérieux, op. cit. n. 1712, p. 82.
sans jamais laisser une liberté totale, ce qui correspondrait à une absence de
norme (1714). Ces deux extrêmes, totale liberté et absence totale de liberté,
ne peuvent jamais être atteints, mais entre ces deux pôles, toutes les grada-
tions sont possibles (1715). Règles et principes ne sont que deux pôles
entre lesquels chaque norme trouve sa place, c’est « le degré d’indétermi-
nation de la norme qui permettra de [la] classer dans l’une ou l’autre des
catégories » (1716). Plus il y a d’indétermination dans la norme, plus le
pouvoir d’appréciation sera important et plus la pesée d’intérêts sera
« grande » (1717).
Une pesée d’intérêts a pour corollaire nécessaire une pluralité de solu-
tions juridiquement correctes au regard de la norme à appliquer. En
d’autres termes, le pouvoir d’appréciation est le libre choix d’une solution
dans une pluralité de solutions juridiquement correctes. Cela signifie qu’il y
a un choix possible soit dans les intérêts à prendre en compte, ou dans leur
hiérarchisation (c’est-à-dire leur pesée), ou encore dans les deux.
On s’accord généralement à dire qu’en cas de confrontation entre deux
règles, l’une d’elles est écartée par une (méta-)règle de préférence, tandis
que deux principes contradictoires peuvent subsister, donnant simplement
(1714) Ch.-A. MORAND, « Vers une méthodologie de la pesée des valeurs constitutionnelles »,
op. cit. n. 1703, p. 59.
(1715) Notre approche des règles et des principes repose donc sur l’idée de la gradualité (règles
et principes ne se distinguent que par le grade d’indétermination, toujours relatif, qui les caracté-
rise). Les règles et les principes peuvent en conséquence être eux-mêmes plus ou moins indétermi-
nés et se rapprocher plus ou moins des idéaux-types de la règle parfaitement claire et du principe
parfaitement vague. Pour une approche dichotomique, voir D. DWORKIN, Prendre les droits au
sérieux, op. cit. n. 1712, p. 79 et seq. et not. p. 82 : « la distinction entre principes juridiques et
règles de droit est une distinction logique […] Les règles sont applicables dans un style tout-ou-
rien. Si les faits qu’une règle stipule sont donnés, alors soit cette règle est valide, auquel cas la
réponse qu’elle fournit doit être acceptée, soit elle ne l’est pas, auquel cas elle n’apporte rien pour la
décision. » Pour une critique de la fertilité de cette distinction dichotomique chez Dworkin, voir R.
ALEXY, « Rechtsregeln und Rechtsprinzipien » in ARSP, 1985, Beiheft no 25, p. 13 et seq., spéc.
pp. 15–19.
(1716) Ch.-A. MORAND, « Vers une méthodologie de la pesée des valeurs constitutionnelles »,
op. cit. n. 1703, p. 60.
(1717) ID., « Pesée d’intérêts et décisions complexes » in La pesée globale des intérêts, droit de
l’environnement et de l’aménagement du territoire, s. dir. Ch.-A. Morand, Bâle–Francfort-sur-le-
Main, Helbing & Lichtenhahn, 1997, p. 41 et seq., spéc. p. 46, l’auteur affirmant qu’il y a une
« petite pesée d’intérêt » lors de l’application des règles, en raison de leur faible flou (ou de leur
faible indétermination) et qu’il y a une « grande pesée d’intérêt » lors de l’application de principes,
en raison de leur fort flou (ou de leur forte indétermination).
(1718) ID., « Vers une méthodologie de la pesée des valeurs constitutionnelles », op. cit. n.
1703, p. 59. Voir aussi R. ALEXY, « Rechtsregeln und Rechtsprinzipien », op. cit. n. 1715, pp. 18–
19 : « es bleibt also dabei, dass die Spannungslage etwas ist, was zwischen Prinzipien besteht […]
Prinzipienkollisionen und Regelkonflikte sind also auf kategorial verschiedenen Ebenen anzusie-
deln. Während es bei Regelkonflikten stets um ein Innen-Außen-Problem geht, finden Prinzipien-
kollisionen stets innerhalb der Rechtsordnung statt. »
(1719) Cf. R. ALEXY, « Rechtsregeln und Rechtsprinzipien », op. cit. n. 1715, p. 24, qui note
simplement que « dem Problem der Vorrangrelationen zwischen Prinzipien [korrespondiert] das
Problem einer Rangordnung der Werte. »
intérêts qui ne l’avaient pas été par le pouvoir législatif (1720). Mais ne
peut-on trouver une délimitation générale de la liberté que peut prendre le
pouvoir juridictionnel par rapport à l’œuvre du pouvoir législatif ? L’exa-
men de la relation entre indétermination, interprétation et pesée d’intérêts
peut être révélateur à cet égard.
(1720) Cf., sur l’hypothèse où une norme précise devient indéterminée par une simple évolu-
tion de la réalité sociale, J.-F. PERRIN, « Comment le juge suisse détermine-t-il les notions juridi-
ques à contenu variable (Quelques réflexions concernant la dogmatique et la pratique judiciaire de
l’article 4 du Code civil suisse) » in Les notions à contenu variable en droit, s. dir. Ch Perelman et R.
van der Elst, Bruxelles, Bruylant, 1984, p. 201 et seq., spéc. pp. 212–213 : « la pression exercée par
une nouvelle prise en compte des besoins sociaux gérés sous le couvert de l’équité va avoir pour
conséquence l’introduction d’un flou, d’une ‘indétermination’, sans changement de vocable [dans la
loi] […] On voit [ainsi] que le juge peut, par le biais de la théorie de l’interprétation […] utiliser
[par exemple] l’équité pour transformer un concept précis en un concept flou. »
(1721) Ch.-A. MORAND, « Vers une méthodologie de la pesée des valeurs constitutionnelles »,
op. cit. n. 1703, p. 61. Contra R. DWORKIN, A Matter of Principle, Cambridge, Mass. et Londres,
Harvard Univ. Press, 1985, p. 128 et seq., dans le chapitre intitulé « Is there really no right answer
in hard cases ? »
(1722) Ch.-A. MORAND, « Vers une méthodologie de la pesée des valeurs constitutionnelles »,
op. cit. n. 1703, p. 61. Voir aussi, avec une position nettement plus circonstanciée, H. KELSEN,
Théorie pure du droit, op. cit. n. 958, p. 455 et seq., qui distingue l’indétermination accidentelle, due
par exemple à (p. 456) « l’ambiguïté d’un mot ou d’une suite de mots par lesquels la norme
s’exprime : le sens linguistique de la norme n’est pas univoque », et l’indétermination intention-
nelle, créée par le recours, dans la loi, à des termes tels que « adéquat », « convenable » ou
« équitable. » Les indéterminations accidentelles (qui seront généralement plus des règles que des
principes) doivent être résolues en recherchant la volonté du législateur, donc en interprétant ses
mots, tandis que les indéterminations intentionnelles (qui prendront plus généralement la forme
d’un principe) doivent conduire à une spécification par activité créatrice de droit, exercée par celui
qui applique la norme. L’auteur reconnaît cependant qu’il ne s’agit là que d’une distinction de
degrés, étant donné que l’interprétation constitue toujours un acte volontaire de création du droit
(sur ceci, voir p. 458 et seq.). Sur cette distinction de Kelsen et son utilisation théorique dans la
jurisprudence du Tribunal fédéral suisse, voir J.-F. PERRIN, « Comment le juge suisse détermine-
t-il les notions juridiques à contenu variable », op. cit. n. 1720, pp. 204–205, 214–230, qui conclut,
p. 221, que « [cette] distinction est dogmatiquement indispensable mais sociologiquement imprati-
cable ».
(1723) H. KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit. n. 958, p. 457 : « le résultat d’une interpréta-
tion juridique ne peut être que la détermination du cadre que le droit à interpréter représente, et
par là la reconnaissance de plusieurs possibilités qui existent à l’intérieur de ce cadre. »
(1724) Sur ces questions, Ch.-A. MORAND, « Pesée d’intérêts et décisions complexes », op. cit.
n. 1717, p. 46.
(1725) H. KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit. n. 958, pp. 459–460 : « la tâche qui consis-
terait à déterminer le jugement seul correct ou l’acte administratif seul correct à partir de la loi est
pour l’essentiel le même que celle qui consisterait à créer dans le cadre de la Constitution les lois
qui seraient seules correctes […] Certes, il existe une différence entre ces deux cas, mais une diffé-
rence simplement quantitative, et non pas qualitative. »
(1730) Ibid., p. 234, renvoyant à U. ECO, Les limites de l’interprétation, op. cit. n. 1728, p. 41 et
seq.
(1731) Ibid.
(1732) Voir Ph. HECK, « Die Leugnung der Interessenjurisprudenz » in AcP, 1933, reproduit
in Interessenjurisprudenz, s. dir. G. Hellscheid et W. Hassemer, Darmstadt, Wissenschaftliche
Buchgesellschaft, 1974, p. 238 et seq., spéc. p. 240 et seq. Sur Heck, voir M. BÜRGISSER et J.-F.
PERRIN, « Interessenjurisprudenz : statut et interprétation de la loi dans l’histoire du mouvement »,
op. cit. n. 1693, not. p. 349 : « Heck prévoit aussi la nécessité d’une pesée d’intérêts complé-
mentaire qui pourrait ou devrait être effectuée lors de la solution des cas particuliers. Il parle à cet
égard de Eigenwertung. Le processus qui est effectué à titre subsidiaire par le juge est identique en
tout point à celui qu’effectue le législateur. »
(1733) Voir aussi H. KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit. n. 958, loc. cit. n. 1725 et p. 459 :
« la nécessité d’une interprétation résulte […] de ce que les normes à appliquer […] laissent ouver-
tes plusieurs possibilités – autrement dit : de ce qu’[elles] ne contiennent pas de décision sur le
point de savoir lequel des intérêts en jeu a le plus de valeur, mais remettent cette décision, cette
indétermination du rang respectif des intérêts à un acte de création de normes qu’il va s’agir de
faire, aux décisions juridictionnelles par exemple. »
Principes
Intérêts
Désirs
Passant des désirs aux intérêts, les producteurs de droit ont un pouvoir
d’appréciation, ils ont une liberté de choisir les désirs qu’ils retiendront. En
édictant des principes (les normes les plus générales), ils auront également
un tel pouvoir, car ils peuvent pour le moins arriver à plusieurs principes
conformes à l’ordre juridique dans lequel ils seront insérés. Il n’en va pas
différemment pour les règles, qu’elles soient ou non la concrétisation d’un
ou de plusieurs principes. Lors de l’édiction de la règle du cas particulier, il
reste toujours un pouvoir d’appréciation. Quelle que soit la norme édictée,
ce sera toujours la prise en compte d’intérêts et leur pesée qui constitueront
le chemin y menant. Il y a ainsi une pesée d’intérêts avant un principe et
après ce même principe (1734). Toute norme est le résultat d’une pesée
d’intérêts (1735).
(1734) Ainsi Ch.-A. MORAND, Pesée d’intérêts et décisions complexes, op. cit. n. 1717, p. 54, qui
évoque la « pesée d’intérêts progressive et en cascade ».
(1735) F. GÉNY, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif – Essai critique, 2éme éd.,
Paris, LGDJ, 1919, t. 1, p. 167 : « ce principe, qu’on peut appeler principe de l’équilibre des inté-
rêts en présence, doit guider le jurisconsulte interprète du droit, aussi bien que le législateur ou les
organes de la coutume [...] L’objet de l’organisation juridique positive, en effet, n’est pas autre que
de donner la satisfaction la plus adéquate aux diverses aspirations rivales, dont la juste conciliation
apparaît nécessaire pour réaliser la fin sociale de l’humanité. Le moyen général d’obtenir ce résultat
consiste à reconnaître les intérêts en présence, à évaluer leur force respective, à les peser, en quelque
sorte, avec la balance de la justice, en vue d’assurer la prépondérance des plus importants, d’après
un critérium social, et finalement d’établir entre eux l’équilibre éminemment désirable. »
(1736) Si l’intérêt qui tend à faire pencher la balance du juge d’un côté est un intérêt relatif à un
droit fondamental, à la préservation de l’environnement ou à un autre idéal louable, il nous semble
juste de penser que l’intérêt qui serait lésé par une décision allant dans le sens de l’intérêt précité
devrait bénéficier d’une protection moindre que l’intérêt lésé par une décision allant dans le sens
d’un intérêt purement pécuniaire, par exemple.
(1737) On se rappellera à ce titre ces mots de François Rigaux : « la vérité n’émane pas d’un
passé mythique, elle ne se laisse découvrir dans l’avenir. La tradition nous livre un langage et un
réseau de significations qui cessent d’être pertinents au moment même où ils sont mis en œuvre.
En tout ordre juridique les institutions ont le pas sur les normes » : F. RIGAUX, « Le juge, ministre
du sens » in Justice et argumentation, essais à la mémoire de Chaïm Perelman, s. dir. G. Haarscher et
L. Ingber, Bruxelles, Éd. de l’Univ. de Bruxelles, 1986, p. 79 et seq., spéc. p. 92.
(1738) En ce sens Ch.-A. MORAND, « Pesée d’intérêts et décisions complexes », op. cit. n.
1717, pp. 69 et seq. et ID., « Vers une méthodologie de la pesée des valeurs constitutionnelles », op.
cit. n. 1703, pp. 65 et seq., qui évoque la « pondération des intérêts ».
(1739) S. BIEGEL, Beyond our control ? Confronting The Limits of Our Legal System in the Age of
Cyberspace, Londres, MIT Press, 2001, p. 66.
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(1741) H. VON FREYHOLD, V. GESSNER, E.L. VIAL et H. WAGNER, The Cost of Judicial
Barriers for Consumer in the Single Market, Bruxelles, Publ. Commission européenne, 1996 et B.
FELDTMANN, H. VON FREYHOLD et E.L. VIAL, The Cost of Legal Obstacles to the Disadvantage of
the Consumers in the Single Market, Bruxelles, Publ. Commission européenne, 1998, <europa.eu.-
int/comm/dgs/health_consumer/library/pub/pub03.pdf>.
(1742) S. ABERNETHY, « Building Large-Scale Online Dispute Resolution & Trustmark Sys-
tems » in Online Dispute Resolution (ODR) : Technology as the “Fourth Party”, Amherst, Mass., Publ.
des Nations unies et de l’Université de Massachusetts, 2003, p. 70 et seq., spéc. p. 85 : « analysis
shows an average increase in sales of over 15% after seal members display the seal on their auction
listings (based on weighted average of a full year of user data comparing the month prior to use to
the first month of use of the Seal in item listings) ». Voir aussi <www.squaretrade.com/business/-
sslFAQs03.jsp>, dernière visite le 26.01.05 : « a recent study of SquareTrade customers showed a
17% increase in sales after implementing a SquareTrade Trust Seal » ; <www.squaretrade.-
com/business/securityHowItHelps.jsp>, dernière visite le 26.01.05 : « a recent study of Square-
Trade customers showed a 14 % increase in sales after implementing a SquareTrade seal » et S.
ABERNETHY, « Online Dispute Resolution : ‘Trusted Access to the Global Digital Economy’ », in
actes du Premier Forum sur la résolution des litiges en ligne de la Commission économique pour
l’Europe des Nations unies (UNECE), Genève, 6–7 juin 2002, diapositive 11 : « SquareTrade Seal
Trust Framework […] increases sales by over 25%, increases bids by over 10%, reduces disputes by
over 45%. »
(1744) Sur ces trois pouvoirs et leur relation avec l’identité d’un système juridique, voir F.
RIGAUX, « Les situations juridiques individuelles dans un système de relativité générale » in Rec.
Cours La Haye, 1989, vol. 213, p. 28. L’attribution formelle de ces pouvoirs correspond à l’idée de
l’apparition de normes secondaires, propres à la formation d’un système juridique : F. OST et M.
VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles,
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(1746) M. MUELLER, Ruling the Root : Internet Governance and the Taming of Cyberspace,
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USA – Yahoo ! Inc. c. La Ligue Contre
Le Racisme et L’Antisémitisme et
HOBBES, Th., 38, 319 PERRIN, J.-F., 166, 316, 443, 445,
HOEREN, Th., 57 446, 450, 453
HOLMES, O., 151, 155 PERRITT, H., 83, 182, 329
HUGO, V., 51 PICHLER, R., 244
JARROSSON, Ch., 319 PLATON, 50, 528
JELLINEK, G., 66 POPPER, K., 165
JESSUP, Ph.C., 465 POSNER, R., 343
JOHNSON, D., 182, 531 POST, D., 531, 532
KANT, E., 318 POUDRET, J.-F., 400, 406
KATSH, E., 200, 208, 227, 238, 266, POULLET, Y., 17, 39, 54, 75, 107,
348, 360, 520, 531 120, 137, 139, 142, 315, 506
KAUFMANN-KOHLER, G., 10, 31, RACINE, J.-B., 281
239, 329, 397, 401, 519 RAZ, J., 306, 445
KELSEN, H., 7, 91, 154, 320, 441, REES-MOGG, W. (Lord), 102
442, 447, 509, 572 REIDENBERG, J., 125, 130, 133
KOBRIN, S., 64 RIFKIN, J., 227, 360, 520, 531
LACAN, J., 553 RIGAUX, F., 27, 63, 319, 321, 323,
LAGARDE, P., 390 324, 325, 326, 329, 337, 382, 383,
LALIVE, P., 281, 472 389, 441, 442, 449, 450, 464, 467
LECA, J., 39, 526 RIGOZZI, A., 463
LEFEBVRE, A., 59 ROMANO, S., 323, 382, 448, 450, 451
LESSIG, L., 95, 99, 125, 132, 202, SAINT AUGUSTIN, 505
204, 239, 242, 332, 337, 348 SCHMITTHOFF, C., 465
LOCKE, J., 446, 449 SILANCE, L., 169
LUHMANN, N., 447 SLAUGHTER, A.-M., 82, 86
MAESSCHALCK, M., 116, 122 SOCRATE, 528
MCLUHAN, M., 33 SOMMER, J., 92
MERLEAU-PONTY, M., 173 TEUBNER, G., 228, 233, 234, 278,
MONTERO, É., 59 447
NASH, J., 142 TRUDEL, P., 29, 97, 107, 123, 480,
531
NEGROPONTE, N., 96
VAN DE KERCHOVE, M., 151, 152,
NOZICK, R., 529, 530
155, 165, 173, 174, 234, 305, 306,
NUNZIATO, D., 533 311, 316, 349, 383, 385, 387, 445,
OPPETIT, B., 282 446, 450, 509, 519
OST, F., 57, 151, 152, 154, 155, 165, VAN DEN BERG, J., 404
173, 174, 234, 278, 305, 306, 311, VIRALLY, M., 455
316, 349, 383, 385, 387, 445, 446,
VIRILIO, P., 492
450, 509, 519, 548, 553, 554, 561
VIVANT, M., 101, 112, 162
PAUL, Ch., 146
CONFIANCE - et temps : 57 à 59
- communauté de – : 199, 211 à 31 - et temps de réflexion : 59
- dans le commerce électronique : 195 à - et transactions internationales : 352
250 - et vie privée : 48
- dans les ODR : 248 à 49, 289, 538 - renforcement : 49 à 50
- définition : 211, 244 à 45 CONSTITUTION : 165 à 66
- et communautés numériques : 215 à - des USA : v. Yahoo (affaire –)
18, 340
- et dilemme du prisonnier : 216 CONTENEUR CRYPTOGRAPHIQUE : 54
- et États : 137, 139 CONTRACTUALISATION
- et homogénéisation des normes : 226 à - de la contrainte : 363 v. aussi
29 autoexécution
- et label : v. label - de la procédure : 278
- et présence d’un système de résolution CONTRAINTE : v. aussi effectivité
des litiges : 221 à 26, 569 (instrumentale)
- et rematérialisation : 201 à 11
- architecturale : 346 à 49, 362, 460
- et rôle du droit : 245
- comme élément constitutif du droit :
- interpersonnelle : 215 à 17 318 à 25, 442, 445
- repères de – : 198 à 201, 335 à 36, 357 - économique : 342 à 46, 355, 356, 357,
à 58 v. aussi labels 359, 363, 364, 516
- sociale : 216 à 18 - et adéquation éthique des normes : 132
- système de – : 208 à 10 - étatique : 318 à 22, 325 à 27, 350 à 51,
CONFLIT DE LOIS : 317 364, 384 à 85, 390, 442 v. aussi
souveraineté (puissance d’État)
CONSENSUALISME : 271 à 95
- formes de –
CONSENTEMENT diversité : 321 à 25
- à l’achat : 57 v. aussi incitation (à typologie : 337 à 49
l’achat) - non étatique : 68, 104, 108, 109, 112,
- à la résolution des litiges : 517, 534 à 119, 247 à 48, 350 à 51, 430 à 34, 460,
35 479 à 80, 485 à 86, 489, 498 à 99, 502
- des destinataires de normes : 133, 391 à 3, 516, 570 à 71
- et régulation par la technique : 240 à - ordres de – : 317 à 27
42 v. aussi insuffisance réflexive - physique : 119, 202, 318 à 22, 325 à
- par une clause de résolution des litiges : 27, 338, 350, 390, 442
512 - sociale : 338 à 42, 357, 359 à 60, 516
CONSOMMATEURS : v. aussi droit de - technologique : 124, 132, 346 à 49,
la consommation 362, 374 à 76, 485 à 86, 489, 499, 502,
- acquis juridiques : 521 à 24, 549 516, 570
- affaiblissement : 47 à 50 ex ante : 130
- association de – : 257, 264, 291, 521, CONTRAT
571 - modèle : 108, 494 à 500
- autres protections que le droit de la - régulation par – : v. régulation
consommation : 59 (contractuelle)
- et accès à la justice : 49, 251 à 61, 409,
CONTRAT SOCIAL : 273
410 à 14
- et cookies : 48 CONVENTION D’ARBITRAGE : 394 v.
- et coûts de procédure : 409 aussi clause arbitrale
- et délai de réflexion : 34, 58 - authentification : 421 à 23
- et distances : 49 - certification : 421 à 23
NOMS DE DOMAINE : 36, 126, 188 à - comme service client : 222 à 23, 569
91, 332 à 35, 374 à 76, 434, 435, - contrôle des – : 293 à 94, 536 à 48, 572
481 à 90, 536, 569 v. aussi ICANN - coûts : 257 à 61, 410 à 14, 570
/ UDRP / système de nommage - et État : 260, 521 à 24, 536 à 48, 572
- et homogénéisation du droit : 293 à 95,
NON-RÉPUDIATION (propriété
545 v. aussi sécurité juridique /
informatique) : 202 à 4 confiance
NORME(S) : v. aussi pyramide - évolution possible : 249, 271 à 95
- application : v. positivisme juridique - financement : 259 à 61, 262 à 65
- darwinisme des – : 530 - instance de recours : 293 à 94, 544 à
- généralité des – : 40, 118, 133 48, 572 v. aussi recours (contre le
- individuelle et concrète : 155, 174, résultat d’une procédure d’ODR)
300, 313, 352, 391, 513, 514, 515, 516, leave to appeal : 546
535, 550, 563 writ of certiorari : 546
- primaires (Hart) : 307, 511 - labellisation des institutions d’– : 265,
- remise en chantier permanent : v. 540
temps (de l’élaboration normative) - nombre de litiges résolus : 2, 179
- secondaires (Hart) : 307, 379 à 80, - procédure : 265, 271 à 95, 537 à 39
391, 447 à 48, 511 agent électronique : 206
- sociales : v. contrainte (sociale) communication : v. courrier
- sociales et – juridiques : 338 à 42, 360 électronique / forum de
discussion / vidéoconférence /
téléconférence / arbitrage
O (procédure) / téléphone / fax
initiatives de régulation : 286 à 87
OBLIGATORIÉTÉ : 307, 313 à 15 matérialisation : 205 à 7
principes fondamentaux : 286 à 87,
OBSTACLE ÉPISTÉMOLOGIQUE : v.
545
positivisme juridique
processualisation : 271 à 95, 551
- définition : 91
- propriétés informatiques requises : 266
OC TRUST SEAL : 433 à 69
OCDE (Organisation de coopération - raisons d’être : 4 à 5, 6, 232 à 50, 251 à
et de développement 61, 570
économiques) : 137, 195, 286 - régulation : v. procédure / architecture
de contrôle / accréditation / centre de
OCÉANO (affaire –) : 412 traitement / recours / régulation
ODR (online dispute resolution) : v. - rentabilité : 259 à 61
aussi négociation / médiation / - typologie : 181 à 93
arbitrage / cybertribunaux ŒUVRES
- accréditation : 541, 543, 572 - (non) originales : 54 à 55
certification : 540 - relevant du domaine public : 54 à 55
évaluation : 540 OIM (Organisation internationale des
guide : 539 à 40 migrations) : 368
registre : 539
- centre de traitement des affaires : 293 à OM/VALENCIENNES (affaire –) : 462
94, 541 à 44, 572 OMBRE DU DROIT : 227 à 28, 238
- comme accès à la justice : 5, 6, 246 à OMC (Organisation mondiale du
47, 251 à 61, 326 à 27, 410 à 14, 568,
commerce) : 84, 137
570
- fermeture : 450 à 56, 463, 489, 502 à 3, TÉLÉCHARGEMENT (de pages web) :
514, 516 à 18, 547, 570 à 71 v. aussi v. for
internormativité (obstacle à l’–)
- hiérarchie entre les – : 169, 381 à 84,
TÉLÉCONFÉRENCE : 186, 426
450 à 56 v. aussi relativité TÉLÉPHONE : 187
- hors l’État TEMPS
ICANN-UDRP (noms de - accélération du – : 34, 549
domaine) : 481 à 90, 517 à 18
commercial : 56, 57 à 59
leges mercatoriae : 465 à 70
de l’élaboration normative : 56, 59 à
leges sportivae : 458 à 65 61
lex electronica : 472 à 81 social : 56
places de marché : 490 à 504, 516 à - des facteurs : 57
18, 571 - et consommateurs : 38, 49, 57 à 59
- ordre juridique international : 63 à 64 - et États : 38, 100, 111, 135, 147 v.
- ouverture : 450 à 56 aussi régulation (course à la –)
- qualité graduelle : 440, 444 à 46, 469, - maître de la vitesse : 60 v. aussi
471, 474, 498 régulation (course à la –)
- temporalité du cyberespace : 31 à 32,
38, 56 à 61, 85, 100, 111
T
- temporalité du droit moderne : 34, 37
VALEUR LITIGIEUSE
U
- et accès à la justice : 49, 253 à 57
- et consommateurs : 49, 253 à 57
UBIQUITÉ : 3, 32, 33 à 34, 213, 247,
567 v. Internet / territorialité / VALEURS
- différends de – : 276
dématérialisation
- et capacité régulatrice : 60 VALIDITÉ
- et capacité régulatrice des États : 34, - axiologique : v. légitimité
78, 81, 325 à 27 - d’une norme et – de l’ordre juridique et
- et contrats à distance : 236 à 38 – d’un mode de régulation : 309
- et localisation : 68 - définition : 238, 305 à 10
- et sécurité juridique : 240 à 44 - empirique : v. effectivité
- et temporalité : 60 - et droit étatique : 308
UDRP (Uniform Domain Name - formelle : v. système(s) juridique(s) /
légalité
Dispute Resolution Policy) : 188 à
définition : 379 à 89
91, 265, 332 à 35, 374 à 76, 435,
513, 522 à 23, 536, 546 à 47, 569 VENTE AUX ENCHÈRES : v. aussi eBay
- comme ordre juridique : 6, 481 à 90, - et délai de réflexion : 58
517 à 18, 571 VERISIGN : 333
compétence d’exécution : 485 à 86
VÉRITÉ
compétence juridictionnelle : 483 à
- concernant le droit : 4, 89
84, 486 à 88
- du droit : 4, 89
compétence législative : 484 à 85
- procédure : 189 à 90, 483 à 86 VERRECHTLICHUNG (Habermas) : 277
- qualification juridique : 190 à 91
PAGES
AVANT-PROPOS........................................................................................................... XXI
PREMIÈRE PARTIE
THÉORIE GÉNÉRALE DE LA RÉGULATION DU
CYBERESPACE
INTRODUCTION ............................................................................................................. 13
PAGES
Sous-section I. — Ubiquité : dématérialisation, détemporalisation,
déterritorialisation ................................................................................................. 31
Sous-section II. — Décentralisation ........................................................................... 34
PAGES
DEUXIÈME PARTIE
LE MOUVEMENT ONLINE DISPUTE RESOLUTION (ODR)
TROISIÈME PARTIE
LA VALIDITÉ D’UNE RÉGULATION PAR LES ODR
PAGES
Sous-section III. — La faiblesse de l’appareil coercitif étatique dans le cyberespace. 325
SECTION IV. — Le contrôle des ressources comme véhicule de l’effectivité ............... 327
Sous-section I. — Le concept de contrôle des ressources ......................................... 328
Sous-section II. — Accès à Internet, spamming, noms de domaine et certification . 330
SECTION V. — Instruments de coercition et modalités de contrainte dans le
cyberespace ............................................................................................................. 337
Sous-section I. — Contrainte sociale........................................................................ 338
A. — Renforcement ou création de normes sociales par les normes juridiques................. 339
B. — Exposition de comportements aux normes sociales .............................................. 341
Sous-section II. — Contrainte économique.............................................................. 342
Sous-section III. — Contrainte architecturale .......................................................... 346
SECTION VI. — Mécanismes d’autoexécution et ODR .............................................. 349
Sous-section I. — Autoexécution indirecte : incitation ............................................ 353
A. — Labellisation des sites web ............................................................................... 353
B. — Listes noires .................................................................................................... 357
C. — Systèmes de gestion de la réputation.................................................................. 358
D. — Exclusion de places de marché .......................................................................... 360
E. — Astreintes ....................................................................................................... 363
Sous-section II. — Autoexécution directe : décision ou accord autoexécutoire ........ 365
A. — Compte de garantie bloqué............................................................................... 366
B. — Fonds de jugement .......................................................................................... 368
C. — Contrôle de la refacturation par cartes de crédit ................................................. 370
D. — Assurance de transactions ................................................................................ 373
E. — Autoexécution technologique ............................................................................ 374
PAGES
Sous-section III. — De la lex electronica aux systèmes juridiques de places de
marché................................................................................................................. 470
A. — La lex electronica n’est pas un système juridique ................................................ 472
B. — Un système juridique pour les noms de domaine : l’ICANN et l’UDRP............... 481
C. — Vers des systèmes juridiques construits autour de places de marché électroniques.... 490