Janil Louis Juste Haiti Jeunesse Univers 2

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Haiti : Jeunesse, Université et Société *

vendredi 6 août 2004


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Par Jn Anil Louis-Juste [1]
Soumis à AlterPresse le 5 aout 2004
I.- Problématique.-
Notre population est jeune : plus de la moitié des Haïtiens n’ont pas encore atteint 25 ans. Ils se
développent dans une société en crise : l’emploi est très rare (30% environ) ; l’éducation est
souvent inaccessible : « 54% des enfants de 15 ans et plus déclarent savoir lire et écrire [2] ». Un
consensus politique tarde encore à être atteint après 200 ans d’Indépendance [3], et l’économie
haïtienne est très chancelante. Au niveau culturel, nous sommes toujours dépendants.
C’est dans ce contexte que le bachelier haïtien va tenter sa chance d’être admis à l’Université.
L’Université étant l’école supérieure où l’on forme des professionnels et chercheurs, et où l’on
préserve la culture nationale, comment des adolescents haïtiens vivent-ils l’expérience
universitaire ? Quelle est la position du jeune universitaire haïtien dans la crise sociale actuelle ?
Ce questionnement va nous permettre d’aborder l’étude de la relation jeunesse/université/société
à partir des mouvements suivants : économie et culture, histoire et société, jeunesse et société.
Les pratiques éducatives haïtiennes vont servir de cadres d’illustration de ces relations.
II.- Histoire de la formation sociale haïtienne
Nous sommes un peuple qui a connu l’expérience de l’esclavage. Nos ancêtres ont dû lutter pour
devenir indépendants. Vivre libre ou mourir a été le cri de guerre lancé à la face du monde dit
civilisé pour clamer la volonté de jouir pleinement de leur liberté.
Ils ont expérimenté la liberté concrète dans la culture des places-à -vivres concédées en 1680, par
les planteurs de Saint-Domingue qui luttèrent contre les colonialistes métropolitains dans la
répartition des richesses produites dans la colonie. L’expérience de liberté des soldats
cultivateurs de 1793, s’accompagnait de l’appropriation familiale des produits récoltés sur les
places-à -vivres ; la propriété familiale est au cœur du mode de reproduction sociale dans la
campagne.
Les règlements de culture de Toussaint Louverture, tel par exemple celui pris en mai 1801 et
interdisant aux notaires de passer des actes de vente de moins de 50 carreaux de terre, et
d’astreindre les soldats cultivateurs aux travaux des plantations sous prétexte de faire prospérer
la colonie devenue autonome, ont sacrifié le projet de libération de ces travailleurs. Et le 25
novembre de la même année, il empêcha légalement les soldats cultivateurs de déménager d’une
habitation à l’autre. Le Code Rural qui réunit plus tard, l’ensemble des politiques agraires de
Louverture, n’a fait que lutter contre les pratiques de liberté instaurées à partir des lopins de terre
concédées par les planteurs de Saint-Domingue. L’orientation extravertie de l’économie
haïtienne fondée sur la culture de denrées et leur exportation, a créé un marché que contrôle la
reproduction du capital au détriment de la reproduction sociale dans la paysannerie.
Le développement des luttes sociales a donné naissance dès l’abord, à deux classes sociales
fondamentales en Haïti : celle qui a accaparé l’objet de travail qu’est la terre, à savoir le grandon,
et celle qui travaille directement la terre : le paysan. Etant donné la relation privilégiée de la
première avec le marché capitaliste, elle noue des rapports d’alliance avec les commerçants du
bord de mer, comme par exemple dans la spéculation de denrées et la circulation des produits
manufacturés. Le paysan remit alors en vigueur, la stratégie du marronnage pour se reproduire
dans les lacous qu’il a créés. La puissance du marché organisé par l’Etat, a défait cette stratégie
de survie jusqu’à l’épuisement des réserves naturelles dont l’exploitation d’une infime partie [4]
permettait l’amélioration du revenu agricole [5].
La propriété familiale, - selon l’IHSI, le ménage agricole-type est établi sur 2 parcelles de 0,77
carreau chacune [6] - qui supporte la petite production marchande du paysan, devient alors une
propriété simplement formelle, puisque le marché fixe, par son mécanisme de prix, le revenu
familial. La première occupation étatsunisienne du pays allait diminuer l’élan vers ce type de
propriété, par le déguerpissement et l’implantation des exploitations agricoles capitalistes dans le
pays. Du même coup, la centralisation politique et la concentration économique se produisirent
en faveur de la capitale. Les provinces perdirent leur autonomie, et la ville prit sa revanche sur la
campagne au niveau politique : les grandons féodaux devinrent incapables d’imposer leur
gouvernement. La petite-bourgeoisie intellectuelle s’allia alors aux nouveaux maîtres de
l’économie.
L’exploitation et la domination que subit le paysan, s’accompagne d’une discrimination
culturelle : les premières écoles haïtiennes furent créées dans les villes et à l’intention des enfants
de ceux qui avaient rendu service à la patrie. L’école rurale ne fut fondée qu’en 1859, et sous la
première occupation, elle devint une ferme-école pour marquer son rapport intime avec le type
d’agriculture que l’occupant voulait promouvoir chez nous. C’est pourquoi d’ailleurs, son
administration fut confiée au Département de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du
Développement Rural, tandis que l’enseignement urbain était placé sous l’autorité du
Département de l’Instruction Publique. On a dû attendre jusqu’en 1940 pour penser à la nécessité
d’alphabétiser des ruraux et fonder l’Office National d’Education Communautaire, qui deviendra
l’ONAAC en 1960,. Pourtant, jusqu’en 1932, seul le travail du paysan contribue à la constitution
de l’assiette financière de l’Etat. Et les dettes de l’Etat étaient garanties par la production
caféière !
L’éducation scolaire a été refusée aux couches majoritaires de la population, pour mieux asseoir
l’hégémonie des élites. Cette hégémonisation conservatrice a abouti à la dépendance quasi totale
du pays. De nos jours, même notre alimentation dépend de l’importation et de l’aide alimentaire.
Des étrangers d’origine libanaise et syrienne, alliés à des autochtones qui se sont enrichis dans
l’appauvrissement des paysans, contrôlent le commerce, la sous-traitance et la finance ; ils n’ont
que faire du développement industriel du pays. Et la nouvelle donne néo-libérale agit en leur
faveur.
La formation sociale haïtienne est construite dans l’inégalité et l’injustice sociales. Des paysans
victimes migrent ou émigrent. Selon l’IHSI, 80% des actifs occupés sont des migrants, et 60%
des chômeurs sont des migrants (p. 62). En termes qualitatifs, la majorité des ouvriers et
ouvrières de l’industrie de la sous-traitance et les petits marchands et marchandes qui jonchent
les rues du Centre-ville, sont originaires de la paysannerie. Tant à la campagne que dans la ville,
le métabolisme social du capital structure l’organisation de leur travail et de leur vie. Et toute la
politique scolaire de nos gouvernements est basée sur la reproduction élargie du capital qui
subordonne la petite production marchande des paysans. La discrimination culturelle participe
donc de la domination de la société par le grand capital étranger.
Au départ, c’est-à -dire dès 1860, les écoles supérieures étaient destinées à des enfants de la
bourgeoisie et de la bureaucratie haïtiennes. Avec la fondation de l’Université d’Haïti, en 1944,
le profil social des étudiants n’avait pas changé. Il a fallu la caporalisation de l’UH sous le règne
de François Duvalier pour que des enfants issus des couches populaires aient accès parrainé
à l’enseignement supérieur. L’exode rural et la baisse de la barrière scolaire semblent être aussi
à l’origine du phénomène. Le contact avec la ville a modifié en quelque sorte, les comportements
du migrant ou du paysan par rapport à l’éducation, au point que de nos jours, toute la stratégie de
la reproduction sociale de la famille paysanne est fondée sur le développement physico-
intellectuel, aussi élevé que possible, de l’un des siens.
III.- Economie et Culture
Au départ, l’économie comme sphère de production, de distribution et de consommation de biens
et services, est une activité humaine créatrice de culture. Karl Marx, dans le Capital, a fait
ressortir la relation : le travail est le premier acte humain. Pour satisfaire ses besoins, l’homme a
conçu le projet d’extraire de la nature, les matières nécessaires, et à l’aide d’outils qu’il a
fabriqués, il arrive à donner à ces matières, des formes utiles à la reproduction de sa vie. Par
ainsi, il a transformé la nature et s’est produit lui-même. L’échange entre l’homme et la nature
est établi par la médiation du travail [7]. Le travail est donc à l’origine de la production de la
culture. « Les premières manifestations de la culture sont nées à partir de l’interaction de la
téléologie ou finalité de l’acte de transformation, et de la causalité ou potentialité contenue dans
la nature. Mais, ces éléments culturels ont besoin d’être transmis et renouvelés pour la survie de
l’espèce. En ce sens, l’éducation poursuit l’acte de transformation de la nature à travers la
science, et la technologie, et reproduit l’institution sociale historiquement créée à partir de
l’appropriation privée des richesses [socialement] produites [8] . »
Quand l’école n’était pas encore inventée, la transmission de culture d’une génération à l’autre,
s’opérait sur le tas, c’est-à -dire dans les expériences de travail. Mais, avec le développement de
la division sociale du travail et la fondation de l’école, le travail créateur s’est scindé en travail
manuel et travail intellectuel. Dès lors, la tendance dominante devient la séparation
théorie/pratique dans le processus d’enseignement-apprentissage. On peut être instruit sans
aucune référence aux pratiques quotidiennes qui structurent sa vie réelle.
Par contre, ce développement de la culture agit sur la production en perfectionnant les outils de
travail pour augmenter la productivité de ce dernier. Autrement dit, si dès l’abord, le travail crée
la culture, celle-ci devient par la suite autonome et influence du même coup, l’organisation du
travail et de la vie. C’est dans ce contexte que l’Université symbolise le haut lieu de production
culturelle qui peut contribuer significativement à améliorer ou à transformer une société. En
étudiant la nature de l’université, un auteur brésilien du nom de Dermeval Saviani, a fait ressortir
la simultanéité entre la production matérielle et la construction spirituelle : « Dans le processus
de production de son existence, les hommes produisent simultanément et en action réciproque,
les conditions matérielles (agriculture, industrie, travail productif en général) et les formes
spirituelles (idées et institutions) qui se structurent organiquement de manière à constituer la
société concrète . [9] »
Le travail productif en vue de la reproduction sociale, crée la culture et celle-ci, à son tour, agit
sur l’économie grâce à la création de nouvelles technologies, dans les sociétés modernes. Ce
qu’on appelle la Révolution industrielle, n’est autre que l’application de nouvelles connaissances
scientifiques naturelles dans le domaine de la production. Une révolution culturelle avait donc
préparé la transformation des modes de production antérieurs. En Haïti, l’économie semble rester
peu développée, parce que le développement de la culture n’a pas été encouragé à travers
l’histoire du pays. De plus notre université est fondée en déconnexion d’avec les problématiques
sociales et technologiques de l’espace, même si elle « synthétise l’historique, le sociologique, le
philosophique, l’économique, le culturel, en un mot, la réalité humaine dans son
ensemble [10]. » Autrement dit, elle a été créée pour reproduire la discrimination culturelle, la
dépendance socio-culturelle et l’inégalité sociale. Maintenant que beaucoup plus de jeunes ont
accès à l’éducation scolaire et universitaire, ne leur incombe-t-il pas d’agir pour la
transformation des structures de production archaïques du pays ?
IV.- Jeunesse et Université en Haïti
La mise en question et le désir de changement caractérisent la jeunesse. L’adolescence conçue
comme période de préparation à la vie active, ne se vit pas sans heurts : le jeune s’identifie
davantage à ses camarades qu’à sa famille. Cette interaction est le point de départ de la révolte
contre la socialisation formelle. L’incertitude qui caractérise l’adolescence, fait peur à la
bureaucratie chargée de reproduire les générations pour la conservation de la société. Les
disciplines humaines abordent cette incertitude comme le fait de confusions qui peuplent
l’univers mental des jeunes, alors qu’elle exprime une caractéristique distinctive de l’homme
comme être inachevé et en quête constante de nouvelles solutions.
En Haïti, la jeunesse universitaire peut signifier la couche politique contestataire de la société :
en 1929, au cri de Vive la Jeunesse et A Bas Freeman, les jeunes universitaires de Damien [11]
ont défait le gouvernement de Borno et préparé la désoccupation militaire du pays ; en 1946,
avec l’aide des lycéens, ils ont mis à plat, la dictature mulâtriste de Lescot. En 1986, les jeunes
contestataires ont déchouqué le dictateur Jean-Claude Duvalier, et plus près de nous, en 2004, le
mouvement « Grenn nan Bounda [12] » a eu gain de cause de la machine de répression
chimérisée mise en place par Jean Bertrand Aristide.
C’est qu’à l’Université, on fait des expériences d’autonomie : le jeune universitaire est celui qui
veut produire de nouvelles connaissances en mettant en question celles qui existaient déjà ; il
n’est plus sous la dépendance d’un maître qui lui dicte ses devoirs. Il doit donner libre cours à sa
créativité pour inventer de nouvelles solutions aux problèmes qu’il affronte présentement et
projeter le mode de vie future de la société. N’était-ce l’éducation métaphysique qu’il a subie
dans sa trajectoire scolaire, on retiendrait de lui, des actes essentiellement révolutionnaires.
L’université est, par contre, construite pour reproduire la société. Depuis sa création au Moyen-
Age, elle était destinée à sauvegarder le régime de la féodalité fondé sur le droit divin. Aussi la
théologie dominait-elle les connaissances enseignées. La défaite des Anciens a conditionné la
réorganisation de l’université sur la base des mathématiques et des sciences naturelles. La
physique prend le dessus sur la théologie et la métaphysique à partir des critères d’objectivité et
de liberté, et les théories sociales vont naître sous le signe de ce positivisme transposé. La vie
universitaire est donc conditionnée à la dominance théorique.
En ce sens, l’expérience universitaire se vit souvent comme un emprisonnement des jeunes
à l’intérieur d’un champ clos de connaissances. La didactique de l’enseignement supérieur ne se
différencie pas essentiellement de celle utilisée aux autres degrés de l’école. Le choix des textes
et le mode d’évaluation, par exemple, ne font pas intervenir la participation des étudiants. Malgré
tout, l’étudiant questionne et agit en fonction des questions posées.
La jeunesse haïtienne vient de vivre l’expérience baptisée Grenn nan bounda. Ce mouvement est
né de la contestation de la volonté du président Aristide de mettre l’Université d’Etat d’Haïti
sous sa coupe réglée [13]. Le 27 juillet 2002, il révoqua le Recteur Pierre Marie Paquiot et lui
substitua un commissaire de facto appelé Charles Tardieu. Le 14 août, un petit groupe
d’étudiants et de professeurs organisa un sit-in devant les locaux du ministère de l’éducation
nationale pour exiger le retrait immédiat de cette mesure dictatoriale [14] ; le 22 août, à l’Ecole
Normale Supérieure, des étudiants et professeurs, des membres d’organisations populaires et
démocratiques ont été pris en ôtage par les sbires du président, dans l’objectif d’étouffer la
manifestation dans l’œuf. Cette intimidation n’a pas empêché la grande manifestation de
novembre 2002, qui a secoué le repos politique du gouvernement : désormais, des jeunes
contestataires partagent la rue avec les manifestants soudoyés de Lavalas jusqu’au retrait de la
mesure en janvier 2003.
Depuis lors, les partis politiques et la société dite civile ont repris confiance dans leur lutte contre
la fraude électorale de mai 2000. Le groupe des 184 s’agite au pays, avec un contrat social
prétendument nouveau. Après quelques caravanes à travers le pays, son leader, André Apaid
Junior, avait organisé le 14 novembre 2003, un rassemblement au Champ de Mars (Port-au-
Prince), pour exiger du régime lavalassien, le partage du pouvoir avec l’opposition politico-
civile [15]. Des organisations étudiantes comme la Fédération des Etudiants Universitaires
Haïtiens et l’Association Nationale des Etudiants Haïtiens par exemple, appuyaient ce mot
d’ordre, tandis que la Coordination Inter-Facultés qui était utilisée pour orchestrer le scénario
favorable à la re-tutellisation de l’UEH, soutenait la position intransigeante de Lavalas. Cette
manifestation allait être dispersée par les bandes dénommées chimères, et cette répression
contribuait à radicaliser la position des étudiants. Le 5 décembre 2004, Lavalas voulait répéter
ses agissements du 22 août 2002 : très tôt, des chimères investissent la rue Christophe, à hauteur
de la Fleur du Chêne ; ces contre-manifestants déclenchèrent les hostilités quand l’un d’entre eux
tirait à bout portant, sur un groupe d’étudiants qui voulait ébranler le cortège. Un étudiant fut
atteint, et les étudiants se barricadèrent alors derrière le portail de la Faculté des Sciences
Humaines, pour riposter à l’aide de jets de pierre. Entre 9 heures et demi et 1 heure 45, des
étudiants et sympathisants résistèrent farouchement à l’assaut des lavalassiens chimérisés.
L’atmosphère était intenable quand le Premier Ministre d’alors avait convaincu le Recteur alors
en conférence avec le ministre Marie Carmelle Austin [16], de se rendre à la FASCH pour
constater le port d’armes [17] par des étudiants. Entre temps, le Corps d’Intervention et de
Maintien de l’Ordre occupait le côté est du bâtiment. Quelques minutes après l’entrée de la
délégation rectorale composée du Recteur et du Vice-Recteur, des détonations se firent entendre ;
elles devinrent plus lourdes quand le Recteur et moi conversèrent avec un cadre du Secrétariat
à la Sécurité Publique. Le Corps dénommé CIMO avait perforé le mur, et les chimères
envahirent l’espace universitaire, matérialisant une autre fois, le viol de l’enceinte universitaire
protégée par la Constitution de 1987. Les jambes du Recteur avaient été brisées à coups de barre
de fer, des étudiants bastonnés et blessés et des matériels de la Faculté, saccagés et détruits.
Cette répression sauvage n’a pas su endormir la détermination des étudiants ni inquiéter leur
bravoure. Au contraire, elle les a galvanisés et a révolté la conscience d’un grand nombre de la
population qui désormais, accompagnait les étudiants dans leur marche. Le 1er janvier, le
mouvement Grenn nan Bounda allait perdre son autonomie quand le groupe des 184 avait réussi
à coopter le Comité de Coordination des Etudiants, qui accepta d’invstir les rues sous la direction
de André Apaid Junior. La Faculté des Sciences Humaines perdit alors l’initiative de la lutte,
jusqu’au renversement du pouvoir, précipité par la révolte des partisans du régime aux Gonaïves
dès l’assassinat de Armiot Métayer [18] et, le 5 février 2003, par l’entrée en scène planifiée en
haut lieu, de Guy Philippe [19] et de ses lieutenants dits anciens membres des Forces Armées
d’Haïti. Des alliances de facto allèrent renverser le pouvoir le 29 février 2004.
Qu’on le veuille ou non, l’éducation comporte une dimension politique non négligeable. La
formation est orientée dans un sens ou dans l’autre : l’école prépare à la vie et conditionne la
reproduction de la société. Cette orientation pédagogico-politique peut être inversée pour créer la
possibilité d’émergence de groupes de jeunes révolutionnaires. De même la réalité socio-
politique ou l’école de la vie peuvent mettre en question la vie de l’école. Dans la société
haïtienne en crise, des étudiants connaissent la faim, le dénuement, la maladie, etc. La « question
sociale » du pays les interpelle aussi. Dans la pratique de discussions libres, il arrive qu’ils
posent des questions sur l’origine de ces problèmes sociaux, et leur mode d’approche
conditionne leur style de révolte. Les mouvements d’étudiants qui arrivent pas à renverser des
gouvernements en Haïti, ne posent pas la question de prise insurrectionnelle du pouvoir et celle
de la transformation révolutionnaire de la société. Le plus souvent, ce sont des mouvements
spontanés qui parviennent à mobiliser un grand nombre de la population, mais ils ne sont pas
connectés organiquement aux couches majoritaires de celle-ci. Ces mouvements pratiquent
concrètement la séparation théorique que l’éducation institue entre le mouvement social et le
mouvement politique.
Depuis longtemps, la jeunesse universitaire haïtienne a toujours joué son rôle politique actif [20].
Aujourd’hui, il est impérieux de se poser la question à savoir, pourquoi la jeunesse haïtienne rate
encore la possibilité de développer la science, la culture et la technologie en Haïti, donc
d’impulser le développement économico-social du pays ? En attendant l’ouverture des débats, il
serait intéressant d’indiquer des éléments de compréhension suivants :
la pédagogie haïtienne est orientée vers des réalités étrangères aux pratiques quotidiennes de la
population ;
la perception de branches d’activités techniques est biaisée à partir de la discrimination
culturelle subie par les pourvoyeurs de budgets nationaux, à savoir les paysans ;
le profil de citoyens et professionnels à former, est étranger à la philosophie de liberté pleine
ébauchée par l’action révolutionnaire des masses de soldats cultivateurs ;
la domination idéologico-politique instaurée par les gouvernements en éloignant les masses de
l’espace scolaire, réduit considérablement la possibilité de développer les forces productives du
pays.
Jn Anil Louis-Juste
3 août 2004.
* Texte de conférence préparé par Jn Anil Louis-Juste, à l’intention du groupe dénommé
« Cellule de Renouvellement pour le Développement Durable » (CRDD) de Carrefour (7 août
2004).
[1] Professeur à l’Universitè d’Etat d’Haiti
[2] Enquête sur les conditons de vie en Haïti, IHSI, MEF, 2003, p. 70.
[3] On peut s’en rendre compte dans la crise qui éclate entre les membres du Conseil Electoral
Provisoire : ces petits-bourgeois ne peuvent pas s’entendre sur le rôle que leur a assigné le grand
capital dans la reproduction politique du servo-capitalisme haïtien ; ils s’entredéchirent pour faire
bénéficier à leurs protégés, le maximum de gains possibles dans la République des Consultants
(ils sont grassement payés à la Primature : 8000 dollars US le mois ; et les ministères sont invités
à réquisitionner la quantité de consultants dont ils ont besoin pour faire fonctionner la
bureaucratie ministérielle) que le gouvernement Latortue-Alexandre est en train
d’institutionnaliser en Haïti. L’opinion publique prône la sérénité et l’unité dans le conflit, et
stigmatise la division comme si cette dernière n’est pas le fait de toute société classiste. Par
ailleurs, cette opinion semble oublier que le comportement de nos chers conseillers traduit la
représentation qu’ils ont eue du pays depuis leur éducation scolaire et familiale. La coopération
et la solidarité ne sont pas des caractéristiques de notre système d’éducation. La crise au sein du
Conseil est donc le prolongement de la crise sociale haïtienne née de l’injustice agraire et de
l’inégalité des échanges, et qui se développe dans la dépendance politico-culturelle de la Nation.
[4] La politique de concession forestière inaugurée sous le gouvernement de Fabre Nicolas
Geffrard, a bénéficié surtout à des étrangers et nationaux bien souchés. Cette politique agraire est
à l’origine de l’exploitation irrationnelle de nos sols, la vocation pédologique n’ étant pas
respectée.
[5] Selon l’IHSI, il est de l’ordre de 3750 gourdes par an.
[6] Selon toute vraisemblance, cette information traduit la réalité d’une minorité de paysans,
puisque l’accès à la terre reste et demeure une revendication paysanne. En témoignent les
occupations de terre à Verrettes (Bas Artibonite) et dans le Nord’Ouest, par des organisations
paysannes dénommées Mouvement de Revendication de Petits Paysans de Verrettes et Tèt Kole
Ti Peyizan.
[7] Karl Marx in le Capital, pp. 180-181.
[8] Jn Anil Louis-Juste, in De la crise de l’Education à l’éducation de la Crise, p.58.
[9] Dermeval Saviani in Do senso comum à consciência filosófica, p. 73.
[10] Dermeval Saviani, op.cit., cité par Jn Anil Louis Juste in « Université et Citoyenneté », titre
de conférence prononcée à la FASCH en octobre 2003, p. 2).
[11] Banlieue de la Capitale haïtienne.
[12] C’est le cri de guerre de jeunes universitaires haïtiens qui se lancèrent à l’assaut de la
forteresse dictatoriale de Jean Bertrand Aristide. Ce nom symbolise la mise en mouvement de
l’énergie et de l’intrépidité pour vaincre la peur et la torpeur.
[13] Le dictateur pariait sous ce contrôle idéologico-politique pour renouveler la couche de ses
partisans lettrés.
[14] Depuis le 21 février 1997, un protocole d’accord signé entre le ministre Jacques Edouard
Alexis et des doyens de faculté, matérialisa la consécration constitutionnelle de l’autonomie de
l’UEH qui est régie par un Rectorat élu placé sous l’autorité du Conseil de l’Université. Ce
protocole baptisé Dispositions transitoires, voulait combler le vide légal constaté depuis la
caducité du décret de 1960.
[15] Des groupes d’anciens membres des Forces Armées d’Haïti, tristement célèbres, s’agitèrent
à Pernal (localité de Belladère, Bas Plateau Central) contre le régime, en y commettant
régulièrement des actes de sabotage.
[16] Il faut noter qu’elle jouait un rôle actif dans la prise en ôtage du Rectorat en juillet 2002 par
le groupe de la CIF. Des journalistes avaient constaté le va-et-vient de son véhicule immatriculé
officiellement, qui transportait des sacs de couchage d’occasion, à l’intention des « grévistes de
la faim ». Marie Carmelle Austin occupait alors la fonction de Directrice générale au Ministère
de la Condition féminine.
[17] Un chimère fut atteint d’un projectile en voulant prendre d’assaut le portail dela FASCH.
[18] Il était un partisan zélé du régime aux Gonaïves ; sous la direction des ministres du
gouvernement et des cadres de Lafanmi Lavalas, il y organisa la répression de l’opposition le 17
décembre 2001. Pressé par l’OEA, le gouvernement était obligé de le jeter en prison jusqu’à son
évasion en plein jour, par des commandos qui démolissaient des murs de la prison des Casernes
Toussaint Louverture, le 2 août 2002. La Justice haïtienne, toujours contrôlée par l’Exécutif, était
impuissante devant les demandes politiques de réincarcération du tout-puissant chef de chimères,
et le Palais National a conçu le plan de l’éliminer physiquement, lequel plan a été exécuté le 22
juin 2003 par un certain Odonel Paul que l’on n’a jamis revu depuis.
[19] Il est l’un des hommes disgraciés par Lavalas. Commissaire de Police à Delmas, il
participait activement à l’organisation des élections frauduleuses de mai 2000. Mais, pour des
raisons non encore élucidées, le régime l’avait écarté en lui donnant la chance de prendre l’exil.
Mis en résidence surveillée en République dominicaine depuis la tentative de coup d’Etat de
décembre 2002, il allait pouvoir traverser en toute quiétude, la frontière nord’est du pays, en
compagnie de ses soldats bien équipés.
[20] On doit particulièrement penser à l’UNEH qui organisa la lutte contre la macoutisation de la
société et de l’université en 1960, et à la FENEH qui était le fer de lance de la revendication
d’autonomie universitaire. C’est l’ensemble de ces luttes qui permettent d’espérer l’entrée non-
pistonnée à l’UEH.
Source : http://www.alterpresse.org/spip.php?article1554

Date de consultation : 18/03/2013

Réforme de l’Université d’État d’Haïti : Compétence professionnelle et


Responsabilité citoyenne

dimanche 25 avril 2004


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Par Jean Anil Louis-Juste, Professeur à l’Université d’Etat d’Haiti
Soumis à AlterPresse le 12 avril 2004
Une tendance s’est clairement exprimée sur l’orientation de la nouvelle réforme de
l’Université d’Etat d’Haïti : l’UEH formera des professionnels compétitifs sur le marché. C’est la
conclusion que l’on peut tirer de l’article intitulé : « L’Université d’Etat d’Haïti et la nouvelle
donne économique », et paru au No 36892 du journal Le Nouvelliste. L’auteur est parti de
l’absence de la recherche dans la pratique universitaire haïtienne pour repenser l’UEH selon les
vœux de la nouvelle donne économique. La Réforme de l’UEH serait alors fondée sur
l’introduction des nouvelles technologies d’information et de communication dans la nouvelle
pédagogie universitaire.
Il semblerait que Jacques Abraham, membre du Conseil de l’Université, ait « opposé »
l’autonomie à la responsabilité pour justifier son point de vue d’adaptation universitaire à la
nouvelle donne économique :
« Un nouveau registre idéologique est (Â…) est mis de l’avant : le concept d’indépendance et
d’autonomie s’estompe au profit de celui de responsabilité, (Â…)
« (Â…), l’UEH est sommée, aujourd’hui, de justifier socialement sa productivité, sa bonne
utilisation des fonds et sa ’moralité’. »
L’organisation de l’article est construite sur cette atténuation, mais l’auteur n’établit pas
explicitement la raison politique de sa nouvelle UEH.
La nouvelle donne économique tombe sur la tête de l’UEH ?
A lire l’article en question, on s’aperçoit que l’auteur relie l’UEH à la nouvelle donne
économique par la « crise que traverse le pays », sans toutefois penser à présenter cette crise dans
ses principales causes et manifestations ; « la qualité de la formation universitaire » aurait suffi
à établir la relation :
« S’interroger sur la question de la formation des professeurs de l’UEH, c’est aborder un
ensemble de préoccupations et débats qui ont cours actuellement sur le rôle de l’UEH dans la
crise que traverse le pays, sur le concept de la qualité de la formation universitaire ou sur la
pédagogie universitaire elle-même. »
Celle-ci semble être conçue selon la vision entrepreneuriale :
« Le programme et chaque activité pédagogique constituent (Â…) un contrat éducatif, dont les
objectifs de formation visés constituent des clauses explicites. »
Le niveau intellectuel des professeurs de l’UEH semble être le problème fondamental de
l’enseignement supérieur public, mais on peut se poser la question, à savoir comment des doyens
aussi qualifiés, continuent-ils à pratiquer le « caciquisme » dans la gestion des facultés de
l’UEH ? Pourquoi leur haute qualification n’a-t-elle pas produit la transparence administrative ?
Par ailleurs, qu’est-ce qui permet d’établir le contrat éducatif dont parle l’auteur ? La nouvelle
donne économique ou la crise que traverse le pays ? D’où vient la première ? Comment a-t-elle
pu avoir des incidences sur la seconde ? Autant de questions qui restent sans réponse dans
l’article du membre de conseil !
La nouvelle donne économique est une construction qui remonte aux années 70. Elle consiste en
la substitution de la rigidité fordiste-keynésienne par la felxibilité ohniste-hayeckienne dans la
régulation socio-économique. A partir des chocs pétroliers (1973 et 1979), le capital est passé du
modèle fordiste au modèle d’accumulation flexible. Par exemple, la production et la
consommation de masse, la concentration de travailleurs, l’intervention de l’Etat, etc., ne sont
plus viables pour la reproduction du capital ; il s’agit dès lors, de relocaliser des entreprises, de
mondialiser la production, de produire selon la logique du « just in time », d’évincer l’Etat de sa
place centrale de principal régulateur de la vie sociale et économique, etc. C’est dans cette
conjoncture que s’est développé le sous-secteur économique de la sous-traitance en Haïti, notre
pays ayant présenté des avantages comparatifs de main-d’œuvre à bon marché, de faible
organisation de travailleurs et de bas impôts sur le revenu. L’irrigation de la Vallée de
l’Artibonite, grenier rizicole du pays, a été méprisée au profit de l’électrification du parc
industriel de Delmas ; le cheptel porcin haïtien a été décimé en 1981, sous prétexte de lutte
contre la peste porcine africaine. La résistante agriculture de subsistance paysanne a subi un rude
coup de la part de la restructuration du capital étatsunien. Les stocks forestiers sont alors utilisés
dans une quête incessante d’amélioration du revenu paysan. Quand on considère que la question
agraire n’a a jamais été résolue en faveur des paysans et que l’équilibre écologique s’est
considérablement entamé depuis plus de deux décennies, on comprend que la crise actuelle du
pays, caractérisée entre autres, par la baisse de la production agricole et le chômage structurel
urbain, est aussi un produit de la nouvelle donne économique. La sous-traitance,
l’informalisation, la compradorisation modernisée, etc., sont autant d’expressions spécifiques de
la crise du capital en Haïti. Une pédagogie universitaire haïtienne ne saurait ignorer cette
situation critique, si l’enseignement universitaire devait être « critique et sceptique »
La nouvelle donne économique prône la compétence professionnelle sans la responsabilité
éthique
Depuis la crise du capital ressurgit la théorie du capital humain dans les recettes néo-libérales :
l’investissement en éducation aurait garanti non seulement l’augmentation du revenu individuel,
mais aussi la croissance de la productivité. L’école est alors chargée de former les nouveaux
sujets propres à accepter le développement du nouveau modèle économique comme une fatalité
historique ou une norme naturelle (Lire les analyses d’étudiants sur la Réforme Bernard, à la
Faculté des Sciences Humaines). L’éducation ne fait plus partie de dépenses sociales de l’Etat,
mais d’investissements des « usagers ». La Banque Mondiale est connue pour être l’institution de
l’Internationale Communautaire, qui, depuis les années 80, implémente le processus de
décentralisation éducative et d’autonomie scolaire comme mécanismes de garantie pour une plus
grande participation des usagers dans la gestion scolaire et une moindre participation de l’Etat
dans le financement de l’éducation. De plus, ses préférences de financement vont pour
l’éducation de base au détriment de la formation universitaire dans les pays périphériques.
La compétence professionnelle exigée, s’acquiert dans des centres privés de formation. Le
démantèlement du système éducatif public en Haïti résulte de la politique néo-libérale de
déresponsabilisation de l’Etat [1] ; le principe de responsabilité citoyenne, cher à l’éducation
publique est alors mis en veilleuse au profit de la compétitivité individuelle.
L’économie de la connaissance ou la société du savoir a donc émergé de la crise du système
productif fondé sur les productions d’automobiles, électromécanique et pétrochimique. La
production est aujourd’hui articulée autour de la télécommunication, de l’informatique et de
l’industrie culturelle, mais le travail des femmes et des hommes reste et demeure le moteur de
cette transformation, car les nouvelles technologies de l’information et de la communication
(NTICs) ne seraient pas possibles sans la combinaison intelligente du travail intellectuel et du
travail manuel dans le contexte de la restructuration productive, de la globalisation et du néo-
libéralisme, qui sont des « moments constitutifs d’un même processus [2] » de lutte contre le
travail.
La nouvelle division internationale du travail nous a confiné dans l’opération d’assemblage de
pièces électroniques et non dans l’invention électronique. Les NTICs servent chez nous
à faciliter la gestion à distance de la sous-traitance. Dans ces conditions, on comprend mal que
« les enjeux pour l’UEH de s’adapter à cette nouvelle donne d’une économie fondée sur la
valorisation et l’échange des connaissances [soient] très importants et lourds de conséquences
pour sa croissance en tant qu’institution de service public. » Le sens public de l’UEH plaide
plutôt en faveur de la formation de citoyens compétents et responsables, c’est-à -dire pour la
formation de professionnels qui posent et résolvent avec succès les problèmes sociaux et
technologiques du développement en Haïti, la technologie étant ici prise dans le sens de
médiation entre le travail et la science.
L’autonomie universitaire comme garantie de la responsabilité citoyenne
Le déterminisme technologique ne doit pas guider la réforme de l’UEH, si l’on veut sortir le pays
de la tutelle corruptrice du capital. L’autonomie universitaire doit rester le principe fondamental
dans la construction d’une autre université publique, puisqu’elle signifie, dans le contexte actuel,
la liberté de penser autrement. La pensée néo-libérale unique qui active les pratiques de gestion
technologique de la question sociale, veut fermer toute issue souveraine, en déresponsabilisant
l’Etat et le citoyen à l’égard des problèmes de la société. Le sens éthique de la Réforme de
l’UEH, c’est la formation pour l’engagement envers la liberté, l’égalité et la solidarité ; la
responsabilité citoyenne n’a pas d’autre signification sociale.
La Réforme de l’UEH est un gage pour cultiver la responsabilité chez des jeunes haïtiens. Ils
doivent être éduqu pour leur pleine réalisation et celles des autres Haïtiens, et non pas seulement
« pour un emploi ou une carrière intéressante bien rémunérée. » La jeunesse n’est pas seulement
une période de préparation à la vie productive ; c’est aussi et surtout le moment vital de
construction de nouvelles civilisations humaines. Sa créativité doit être développée, et
l’autonomie de pensée reste le cadre intellectuel le plus intéressant pour ce développement. En ce
sens, nous partageons l’idée que « l’activité pédagogique ou le programme ne doivent pas être
considérés comme un ensemble donné, élaboré une fois pour toutes. » Ils doivent être ouverts sur
l’utopie des jeunes et non sur la programmation de la nouvelle donne économique.
C’est l’autonomie universitaire qui libèrera les énergies créatrices de la jeunesse ; c’est la liberté
académique qui la poussera vers la compréhension des problématiques sociales et technologiques
du pays ; c’est la participation des jeunes étudiants à la gestion de l’UEH, qui les
responsabilisera envers la société. L’auto-gestion financière des ressources, facilitera la rtion du
triptyque Enseignement/Recherche/Communication Universitaire [3].
La Réforme de l’UEH doit donc être orientée vers la formation de professionnels compétents et
engagés dans la lourde tâche de reconquête de la liberté bafouée par l’autoritarisme politique,
l’exploitation économique et la discrimination culturelle. Notre jeunesse universitaire saura ainsi
se hisser à la hauteur des jeunes Haïtiens qui ont su réaliser la Révolution de 1791, en forgeant la
nation haïtienne à partir de l’unification de tribus africaines transplantées sur les plantations de la
colonie de Saint-Domingue sous le mot d’ordre de Liberté Pleine et Entière.
Jn Anil Louis-Juste
[1] Depuis 1985, l’enseignement public haïtien ne forme que 20% des citoyens scolarisés, par
suite de l’application systématique du Plan d’Ajustement Structurel en Haïti.
[2] Francisco Oliveira, cité par Janete Bezera dans « Trajetoria da lei de educaçao na Colombia,
1998. Thèse de maîtrise au Département de Service Social à l’UFPE, Brésil".
[3] Nous avons estimé nécessaire de remplacer l’extension ou le service à la communauté par la
Communication universitaire, pour mieux faire ressortir l’importance d’échanges horizontaux
entre les chercheurs de l’UEH et la population haïtienne.
Source : http://www.alterpresse.org/spip.php?article1352

Date de consultation : 18/03/2013


Réforme Universitaire et Révolution Éthico-politique : Pour une nouvelle
pratique intellectuelle en Haïti

lundi 12 avril 2004


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Par Anil Louis-Juste, professeur à l’Université d’Etat d’Haiti
Soumis à AlterPresse le 6 avril 2004
Une nouvelle pratique intellectuelle est une lutte contre le bovarysme et
l’éclectisme dans la représentation sociale en Haïti. Nous sommes un peuple qui a lutté contre la
déshumanisation opérée par le capital esclavagiste [1] à Saint-Domingue, pour forger une autre
liberté : c’est la liberté pleine, c’est-à -dire l’autonomie dans l’organisation de notre vie et de
notre travail. La culture de solidarité construite sur les plantations, à partir de l’invention des
places-à -vivres dans le régime colonial, peut être résumée dans la formule "laisser choisir laisser
jouir" qui a structuré le projet de vie et de travail des marrons et esclaves de Saint-Domingue.
L’agriculture de subsistance devient la base matérielle de cette philosophie économique qui
prône l’harmonie dans les échanges avec l’environnement. Cependant, le laisser faire laisser
passer a prélevé de manière parasitaire, sur les richesses produites dans cette économie agraire et
provoqué la rupture de l’équilibre écologique.
La Nation haïtienne avait été forgée dans l’unification des tribus qui luttèrent contre le
nationalisme esclavagiste français fondé sur la philosophie de la liberté lacunaire [2] . Le
nationalisme haïtien est produit dans la reconquête de l’humanité des esclaves et marrons
d’Ayiti. Aujourd’hui, s’il est question de refonder la Nation haïtienne, les intellectuels ne devront
pas suggérer une refondation dominée par le capital néo-libéraliste, qui est la forme actuelle du
capital libéraliste et industrialiste dans les métropoles, esclavagiste et mercantiliste dans les
colonies, selon la division du travail imposée par la nouvelle civilisation.
Nous sommes un peuple qui s’est révolté contre la continuité esclavagiste dans l’Haïti
indépendante. Nous avons exigé, en 1843, une rupture dans la réalité et la représentation des
relations sociales : l’égalité dans les échanges. Même si le manifeste de 1843 contenait des
propositions contradictoires, il avait dénoncé l’exploitation économique qui s’opérait tant dans la
production agricole semi-féodale que dans la distribution capitaliste des produits manufacturés.
La célèbre mise en garde de Jean Jacques Acaau invitait déjà , à dépasser la limite épidermiste du
projet de société des rebelles du Sud : "Nèg rich, se milat. Milat pòv, se nèg". Le Manifeste
Communiste n’était pas encore écrit ; la Commune de Paris n’était pas encore expérimentée.
Le vrai romantisme haïtien est conçu dans la dramatisation de la dignité humaine dans le servo-
capitalisme haïtien. Jacques Roumain et Jacques Stéphen Alexis avaient déjà tracé le chemin de
la liberté intellectuelle qu’ils n’ont pas conçue en dehors de la lutte pour l’émancipation sociale
en Haïti. Leur représentation authentique de l’âme haïtienne semble être à la hauteur de leur
reconnaissance internationale. La littérature typiquement haïtienne est une littérature éprise de
liberté pleine. Elle représente le mouvement de la réalité anti-capitaliste qui tend à reconstruire la
dignité humaine dans l’espace haïtien. La résistance des pratiques économiques non-capitalistes
des paysans haïtiens reste l’illustration la plus éloquente face à l’agression bi-séculaire de la
civilisation du capital.
La révolution de Saint-Domingue portait sa propre devise : Liberté, Egalité, Solidarité, Mais,
malheureusement, on préférait copier celle de la France, à savoir Liberté, Egalité, Fraternité. La
liberté des esclaves est plus concrête que celle du Tiers-Etat : elle symbolisait le "laisser produire
laisser jouir" selon le mode de travail solidaire dans les champs. La substance de la Révolution
de Saint-Domingue, c’est la Liberté pleine ; c’est l’unification des dimensions multiples de
l’esclave et du marron, séparées par le capital esclavagiste. Ce contenu est inséparable de la
méthode radicale qu’elle a recélée dans son mouvement : les paroles célèbres de Toussaint
Louverture devaient inspirer les intellectuels haïtiens : "En me renversant à Saint-Domingue, on
n’abattu que le tronc de l’arbre de la liberté des noirs. Il repoussera par ses racines, parce qu’elles
sont profondes et nombreuses". La racine de la liberté en Haïti, c’est la déshumanisation opérée
par le capital à Saint-Domingue. La marchandisation de l’esclave participe du processus de
déshumanisation. La méthode de déshumanisation, c’est la séparation de l’esclave en instrument
de travail, en marchandise et en sauvage. C’est la négation de la dignité de l’homme comme être
appelé à vivre librement. Par la lutte, nous avons dépassé la représentation sauvage de l’être,
mais il nous reste à récupérer notre totalité en nous élevant au niveau de la conscience de l’être
pleinement libre, qui se réalise dans l’économie, la culture et la politique. L’économie ne se
développe pas hors de la culture qui produit les instruments de travail, mais la culture est
impensable sans la satisfaction des besoins matériels de l’homme-projet. La politique, c’est cette
forme de communication entre l’économique et le culturel, qui harmonise les échanges
nécessaires dans le monde des hommes. Les chefs de la Révolution de 1791 avaient, par contre,
fondé l’équilibre interne des nouveaux et anciens libres sur la domination des grandons et
commerçants compradores d’Haïti.
L’ancien régiem est parti, mais de nouvelles pratiques tardent encore à venir
La culture du chef pénètre les schèmes de pensée et d’action de l’intellectuel haïtien [3]. Ils sont
rares, les intellectuels qui cultivent le sens du collectif. Il semble que la vocation de nos
intellectuels est d’être des leaders individualistes. La vie politique haïtienne est émaillée
d’illustrations actuelles : le GREH ou Groupe de Réflexion sur Haïti de Himler Rébu projette de
se transformer en parti politique ; l’ADEBHA ou Action Démocratique pour Bâtir Haïti, s’est
déjà transformé en parti politique. La prise du pouvoir paraît être, dans ce cas, plus individuelle
que collective, puisque entre les deux formations, il n’existe pas de différence de taille ; elles
sont toutes deux de la droite nationaliste. Avant la fondation de ces dernières, le Mouvement pour
le Développement National (MDN) et le Rassemblement des Démocrates Nationalistes
Progressistes (RDNP) militent dans le pays. Pourquoi l’ex-colonel des Forces Armées d’Haïti,
Himler Rébu et l’ex-député jeanclaudiste, René Julien ne se voient-ils pas obligés d’adhérer
à l’une ou à l’autre de ces formations antérieures ? Sont-ils contraints de former leur propre
organisation en vue de négocier des postes électifs ou nominatifs ? L’éducation scolaire de
l’Haïtien n’est pas encore orientée vers la coopération solidaire.
L’actualité haïtienne du 30 mars 2004 offre d’autres exemples de chefferie assimilée à l’existence
d’une autorité morale. Le scandale du gasoil arrive pour mettre en évidence l’état d’esprit de nos
intellectuels. Pressenti comme Ministre de l’Intérieur, l’ex-Lieutenant-Général des Forces
Armées d’Haïti, Hérard Abraham s’est arrogé le droit de commander un volume de gasoil pour le
compte de la Compagnie d’Electricité d’Haïti, au mépris de la loi sur la passation de marché.
L’autre chef du parti démocrate chrétien haïtien, Osner Févry s’est mêlé au contrat dit douteux,
mais il n’est pas encore parvenu à convaincre de son innocence dans l’affaire. Où est la
transparence publique qui a fondé le mouvement pour le dechoukay du régiem lavalassien ?
Un groupe de syndicalistes proches du Groupe des 184, vient de perturber une réunion
convoquée par le Ministre des Affaires Sociales, sous le prétexte de la présence de syndicalistes
liés à l’ancien régime. Joseph Montès eut même à proférer des menaces de bastonnade : il
pouvait, a-t-il dit, rouer ces représentants de "syndicat jaune [4]" de coups de baton. Où est la
tolérance si chère à la Plate-forme Démocratique [5] ? Ce n’est pas que nous confondions
l’acceptation des antagonismes comme pratique culturelle ; mais, nous pensons que, par le
dialogue, nous pouvons dépasser les différences pour poser les problèmes de l’autoritarisme
politique, de la discrimination culturelle et de l’exploitation économique.
Autre exemple non moins éloquent : un millitant politique intervient sur les ondes de Radio
Quisqueya pour proclamer que la Convergence Démocratique ne dispose pas de force
organisationnelle pour pouvoir vendre aujourd’hui, son programme politique à la population. Où
est la participation dont l’absence dans la gestion politique lavalassienne a été mise en avant pour
justifier la mobilisation de la population dans la chute du régime ? Le rapport Parti politique-
Population est de l’ordre du marché, puisqu’il s’agit d’aliéner politiquement les couches
majoritaires de la population ; celle-ci est interdite de participer activement dans la construction
du pouvoir. La politique du capital est déjà choisie comme le mode de gestion de la chose
publique.
L’hégémonie politique de l’église, une survivance coloniale ?
La famille et l’école sont les deux principales institutions sociales qui ont participé à la
permanence de la direction idéologique de l’église dans les pratiques politiques haïtiennes.
L’éducation familiale haïtienne est militarisée comme au vieux temps de l’esclavage. Le père de
famille est un commandeur moderne qui broye tous ceux qui peuvent résister à son
commandement ; dans la structure familiale de type pyramidal, il détient l’autorité absolue. Il
transmet ses ordres à la mère qui est chargée de les exécuter sans discussion. La mère et les
enfants n’ont qu’à obéir aux desirs du chef ; sinon, ils peuvent recevoir des fessées ou des
raclées. Entre les enfants, la hiérarchisation des relations humaines se poursuit : les garçons ont
la préséance sur les filles. L’instruction des premiers est plus poussée que celle des secondes.
L’organisation pyramidale de la famille laisse peu de place à la communication horizontale. La
croissance émotionnelle des enfants reste bloquée, et leur créativité, atrophiée ; le développement
de leurs sentiments est programmé selon le bon vouloir du père. Devenus adolescents ou adultes,
ils réagissent le plus souvent, de manière violente à chaque situation communicationnelle réelle,
car ils ont développé des réflexes de protection très poussés. Toute demande de communication
véritable est interprétée, même consciemment, comme une agression verbale. Quand la révolte
aveugle ne résulte pas de la socialisation familiale militarisée et sexiste, c’est la soumission
irréfléchie qui caractérise les comportements de ces jeunes élevés selon le principe de
déshumanisation mis en place au temps de la colonie.
Ni l’une ni l’autre attitude ne font progresser l’instauration de la démocratie dans la société
haïtienne. Quand la famille est disloquée, la maturation émotionnelle et affective se produit sans
borne et avant le développement biologique normal. Des causes économiques forment des
soubassements matériels qui aident au développement de l’insécurité intellectuelle et morale
chez ces enfants. L’épaisse misère qui recouvre la vie de ces derniers dans le milieu paysan et les
bidonvilles d’Haïti, construction de l’escamotage de la question agraire, a conditionné la
formation de l’esprit vindicatif dans les couches majoritaires de la population. La formation
sociale inégalitaire et injuste d’Haïti porte en elle-même, les germes de l’intolérance, de la haine
et de l’envie, tandis qu’une certaine "école psychologique haïtienne" répète engoulûment la thèse
de la délinquance juvénile associée à une mauvaise adaptation de l’enfant [6].
En ce sens, nos ancêtres, les esclaves et marrons de Saint-Domingue, ont su forger une liberté
qu’ils nous ont léguée, mais ils n’ont pas pu rompre les chaines idéologiques qui les ont amarrés
aux style et mode de vie de leurs anciens maîtres. Nous avons hérité d’un pays qui reste encore
sous la direction éthico-politique de l’église. Au lendemain de la chute du dictateur Jean-Claude
Duvalier, les élites intellectuelles et politiques ont accepté la participation active de l’église dans
la transition dite démocratique. Le Conseil Electoral Provisoire comptait des membres d’église
dans son sein.
On pourrait arguer que nul ne saurait nier la présence assez significative de l’église dans la lutte
contre la dictature plus que trentenaire, mais tel n’est pas le cas dans la conjoncture actuelle.
Pourtant, le Conseil des Sages ayant appelé à statuer sur la formation du gouvernement
provisoire, a réuni au moins, deux membres issus de l’église, et le prochain Conseil Electoral
Provisoire siègera avec des représentants d’église.
L’hégémonie éthico-politique de l’église en Haïti, est une construction aussi vieille que l’histoire
du pays. Cette direction éthique est même antérieure à la constitution nationale du pays. Déjà ,
l’instruction religieuse occupait une place de choix dans le mécanisme culturel de justification de
la colonisation. Des prêtres étaient chargés de baptiser et de convertir les esclaves, pour que ces
derniers acceptent la domination de la "civilisation" du capital. Plus tard, en 1847, on fera appel
aux frères de l’instruction chrétienne et aux soeurs de Saint Vincent de Paul pour l’éducation des
futurs citoyens du pays. Le gouvernement de Geffrard aura signé, en 1860, le concordat qui
consacrera l’hégémonie nationale de l’église catholique dans les Affaires de la République
d’Haïti [7].
Les élites intellectuelles haïtiennes sont formées selon des valeurs chrétiennes. Qui ne se
souvient plus de ces phrases écrites en grandes lettres, au tableau noir : "Aide-toi, le Ciel
t’aidera ! Chacun pour soi, Dieu pour tous !". Ces maximes font l’éloge de l’individualisme au
détriment de la solidarité collective ; elles élèvent l’esprit de l’élève au coin de l’isolement.
L’amour du prochain apparait dès lors comme une forme d’hypocrisie dans la sécheresse de
l’éducation chrétienne ; le désintéressement du chrétien à l’égard des biens matériels est le
comble de cette tromperie : "Dieu, Patrie et Propriété" est la devise de beaucoup de pays
anciennement colonisés. [8] Rares sont des chrétiens qui n’aient pas adopté la propriété privée
comme valeur morale suprême ; la très grande majorité d’entre eux se réfugie dans des pratiques
de charité pour tromper leur conscience. En fait, ils feignent de s’intéresser à la transcendance,
mais toute leur intelligence est déliée dans le processus d’appropriation privée des choses d’ici-
bas, c’est-à -dire des richesses produites dans la société.
Une fausse modestie semble recouvrir leurs actes : ils cultivent le mensonge en vivant leur foi
dans l’accomplissement de la charité ; ils donnent l’aumône aux pauvres en signe de
manifestation d’une certaine fraternité. La pauvreté est alors vécue comme une mise à l’épreuve
de leur bonté. Dieu aurait créé des pauvres pour examiner la capacité des riches de travailler pour
mériter du royaume des cieux.
Le culte du mensonge, c’est l’admiration trompeuse de la transcendance. Mentir religieusement,
c’est exhiber le mensonge transcendantal comme vérité suprême. Tout ce qui transcende l’esprit
humain sans viser la réalisation de l’humanité, est étranger à l’historicité de l’homme. La
religiosité humaine est réelle et vraie, parce qu’elle traduit une certaine faiblesse de femmes et
d’hommes à résoudre eux-mêmes, des problèmes sociaux qu’ils confrontent quotidiennement, ce
qui les empêche de se réaliser librement. Certes, on doit partir de l’expérience religieuse si l’on
veut s’élever à la conscience philosophique, mais le catéchisme assigne au prêtre, la mission
d’intercéder dans l’interpellation de la miséricorde d’un seigneur. L’intercesseur est alors élevé
au niveau de la vénération.
En Haïti, l’image du président ou de tout chef dérive de la représentation religieuse ; cette
réfraction dicte ou commande le comportement des citoyens dans la vie quotidienne. Le
président est sollcitié en toute circonstance ; le citoyen réclame sa bienveillante intervention en
tout lieu et accepte ses dons sans penser une seconde à la corruption. Le président est alors érigé
en grand propriétaire de la Nation et grand prêtre de la Société : il a le droit d’intervenir dans
toutes les choses et de décider de tout. Dans toutes les questions sociales, la figure du président
est évoquée comme celle d’un seigneur omnipotent ; il reste à savoir si ce seigneur partage une
vie temporelle ou intemporelle avec les citoyens-fidèles.
En somme, nos comportements politiques ont contribué à reproduire l’autoritarisme politique, la
discrimination culturelle et l’exploitation économique qui caractérisent les relations sociales dans
le servo-capitalisme haïtien. [9]
La nécessité d’une nouvelle pratique intellectuelle comme médiation transformatrice
Une autre pratique intellectuelle s’avère nécessaire dans la lutte contre l’hégémonie de l’église
dans l’orientation de la politique en Haïti. L’éthique chrétienne dit s’intéresser aux choses de
l’au-delà , mais elle tolère la gabegie administrative dont se sont rendu coupables les croyants
dans la gestion de la chose publique, et recèle les us et abus des chrétiens dans la vie sociale. A
l’école, elle continue à discriminer la relation de genre et à reproduire l’inégalité culturelle : dans
l’éducation scolaire, elle maintient séparés les filles et garçons confiés par des parents. Elle
encourage la division du système éducatif haïtien en école privilègiée et en école dépourvue [10].
La crise politique du 5 décembre 2003 offre l’opportunité d’observer cette division. Tandis que le
Ministère de l’Education Nationale se débat pour réaaménager le calendrier scolaire, des écoles
congréganisttes sont en train de boucler le deuxième trimestre, en organisant régulièrement les
examens de Pâques. C’est que dans la lutte contre la tyrannie lavalassienne, l’Instruction
chrétienne avait retenu des jeunes dans les salles de classe, comme si la politique ne les
concernait pas. Aucune forme de solidarité agissante n’est donc manifestée à l’égard des autres
jeunes qui ont sacrifié leur promotion scolaire au profit de la libération du pays.
La réforme de l’université doit poser la question éthico-politique, mais la réponse peut être une
révolution intellectuelle. La Réforme de l’enseignement supérieur ne participera pas à la
transformation sociale nécessaire au libre développement de toutes les citoyennes et de tous les
citoyens, si elle n’a pas suscité la construction d’un autre type d’intellectuel : ce nouvel
intellectuel doit être compétent et engagé dans le développement social du pays. L’introduction
de la culture populaire [11] dans la formation des Haïtiens, demeure le point de départ de cette
révolution intellectuelle. Nous sommes réputé pour un peuple qui traduit excellemment ses
sentiments dans la peinture. Alors, pourquoi ne pas utiliser cette capacité artistique pour, comme
dirait Regina Barros Leal, "redécouvrir et réinventer leur [jeunes] manière de vivre et de
comprendre le monde".
La révolution intellectuelle doit introduire la joie, la félicité et le plaisir dans l’éducation. L’élève
ou l’étudiant doivent pouvoir apprendre en dansant et en chantant. Le tambour et les rythmes
populaires, introduits à l’école, aideront à développer le corps et l’esprit ; l’intelligencce s’en
déliera, car l’apprentissage du langage corporel créera des dispositions pssychologiques pour la
maîtrise de la connaissance abstraite. Autour du tambour et des rythmes populaires, on organisera
des jeux qui introduisent l’apprentissage de règles de coopération et de partenariat, étant donné
que "le jeu fait partie du processus de formation de l’homme, dans ses formes de manifestation
culturelle les plus diverses" (Leal, 1997). La pédagogie active du travail, que nous avons prônée
dans "La crise de l’Education et l’éducation de la Crise, 2003", développera la personnalité des
élèves et leur capacité de s’engager dans la reconquête de la liberté bafouée ; cette pédagogie
créera chez eux, de nouvelles attitudes envers le pays et à l’égard des travailleurs. La révolution
intellectuelle se fondera sur le respect mutuel et la compréhension de tout un chacun.
L’organisation du travail coopératif sera orientée vers la facilitation de l’apprentissage individuel
et collectif.
Vers la construction d’ une éthique fondée sur la coopération solidaire
A propos, il semble qu’aucun éducateur haïtien n’ait encore posé la question de l’inexistence de
lien axiologique entre l’école et la famille en Haïti. Pourquoi la très forte culture de solidarité qui
caractérise la famille haïtienne, n’a pas influé sur le mode d’évaluation pratiqué à l’école, par
exemple ? Comment des élites intellectuelles continuent-elles à êtres solidaires dans la vie
familiale et égoïstes dans le vie publique ? Quelles sont les possibilités de communication
horizontale entre l’école et la famille en Haïti ? Seulement, nous savons que la pratique sociale
assimilant le voisinage à la famille, reste l’expression la plus significative de la solidarité dans le
monde haïtien. L’être de l’Haïtien et son devenir-être devaient être formés dans la valeur de la
solidarité. Selon Leal, il n’est pas possible de penser les êtres humains même loin de l’éthique,
encore moins, hors de celle-ci.
Notre littérature authentique est une source inépuisable de contes qui traitent de questions
éthiques. Avec notre riche histoire encore mal comprise, la littérature populaire inspirera des
dramatisations qui puissent contribuer à la formation de sujets éthiques. Au moment de
recréation, de petits sociodrames seront représentés. Des leçons morales vivantes en seront tirées.
La représentation dramatique est capable de mieux modeler les comportements des élèves qu’un
ensemble de maximes étrangères écrites au tableau pour être apprises par coeur, étant donné que
ces élèves seront libres de représenter des scènes de leur vie quotidienne.
Les dimensions éthique, ludique et axiologique de la nécessaire révolution intellectuelle, se
matérialisent dans le processus de redécouverte de la réaalité sociale. Autant dire que la réforme
de l’enseignement supérieur doit promouvoir la reconnaissance explicite de la dimension
politico-sociale de l’éducation. "L’école est le locus de la vie sociale que l’élève expérimente, au-
delà de son noyau familial. Il est important de créer des situations dans lesquelles l’élève se
perçoit comme sujet" [12]. La participation dans des conseils et la formation de groupes de
jeunes développeront l’interaction sociale, renforceront les liens de coopération et de générosité.
Le développement du sentiment de confiance entraînera la croissance émotionnelle et
consolidera l’établissement de relations de proximité aptes à transporter l’éthique de la solidarité,
de la famille à l’école et de l’école à la société. Par exemple, la pratique de lecture groupale est
une dynamique où le professeur comme médiateur entre les élèves et leur monde, facilitera des
exercices de délibération collective, la formation de groupes d’étude solidaires, la promotion de
la communication horizontale. La dynamique de lecture en salle de classe incitera des situations
qui suggèrent l’expérience de la discussion comme mode de dépassement de conflits.
L’école de la vie est le lieu de rencontre de ces sujets conflictuels. Seulement, la vision de
totalité, le choix de contenus socialement significatifs doivent guider la production des nouveaux
savoirs.
Des citoyens de la Réforme universitaire
La troisième occupation militaire du pays présente le moment critique idéal pour évaluer notre
incapacité de nous comprendre nous-mêmes. Nous devons en profiter pour renouer avec la
valeur suprême qui avait guidé le mouvement ascensionnel de la Révolution de 1791 : la liberté
pleine et entière !
La Réforme de l’Université doit former des citoyens ccompétents et responsables, doués de
connaissances, d’habiletés, de dispositions et de conduites pour réaliser avec succès, des activités
propres à nous faire recouvrer la liberté perdue. Nos professionnels doivent pouvoir s’engager
dans la solution de nombreuses crises en Haïti, telles la crise écologique, la crise agraire, la crise
politique, la crise alimentaire, la crise de l’éducation, la crise de logement, etc. La Réforme de
l’Université participe donc du processus fondamental de construction d’un nouveau pouvoir : la
révolution éthico-politique, c’est la transformation radicale des relations sociales dans le sens du
respect de la dignité humaine, de la vocation de l’homme et de la réalisation de l’humanité. Il ne
s’agit pas de promouvoir une autre forme d’élitisme : les nouveaux intellectuels haïtiens seront
formés dans une rupture épistémologique. L’école unique, la pédagogie active du travail,
l’insertion de la culture populaire dans les curricula, l’évaluation scolaire émancipatrice, etc.,
sont autant d’éléments paradigmatiques qui permettent de rompre la relation de l’école avec la
discipline et l’obéïssance dans le travail aliéné. A l’école, la culture de l’autonomie de pensée
aidera à développer les rêves et projets des élèves et étudiants à travers la formation intégrale qui
tendra vers la rencontre de la créativité, de la ludicité, de la relation axiologique école-famille, de
la coopération solidaire et de l’exercice de la citoyenneté pleine. Pour paraphraser Paulo Freire,
l’école doit cesser de former pour la félicité ; elle doit devenir le lieu même de l’allégresse et du
libre développement. Dans ces conditions, l’élève ou l’étudiant ne sont pas instruits dans la
discipline du travail ; ils sont plutôt éduqués par le travail librement partagé. La jeunesse cessera
alors d’être une période de préparation au travail productif, pour recouvrer son sens plein de
questionnement, d’aventure, d’utopie et de liberté.
Entre la réforme de l’université et la révolution éthico-politique, il sied bien d’intercaler la
révolution intellectuelle. Celle-ci n’a pas de sens en dehors du questionnement des structures de
négation de la liberté, de l’égalité et de la solidarité, telles par exemple, la structure agraire
injuste d’Haïti. Le point de départ de toute révolution intellectuelle en Haïti, c’est la prise en
compte de la "question sociale" dans l’éducation, à partir du point de vue de la liberté pleine. La
porte d’entrée à cette révolution, reste la contestation de l’hégémonie de l’église dans les affaires
publiques du pays, la religion étant une affaire purement privée dans toute République. On n’est
pas libre quand on coexiste avec des prisons invisibles. Le dogme de la foi qui instruit dans le
désintéressement trompeur envers les choses d’ici-bas, est aussi pervers que le matérialisme
desséchant et fermé. Pour vaincre leur résistance invisible, il faut utiliser l’arme du convaincre
qui rend visibles l’hypocrisie de l’au-delà ou le passéisme de l’ici et maintenant. L’ouverture
à l’autre, c’est la clé de voûte de cette énigme transcendentale : par la discussion de problèmes
quotidiens, on parviendra à se rendre compte de l’aliénation et de la subordination de la politique
à l’église. La dialectique du dialogue substantiel sera mise à la disposition de la décolonisation
de la politique. Les secteurs majoritaires de la population doivent pouvoir participer à la
révolution intellectuelle nécessaire. Une école publique populaire deviendra le lieu de
construction de cette participation, à côté bien sûr, de l’alphabétisation dans des cercles
populaires de culture.
Les nouveaux citoyens de la Réforme universitaire poseront la question de la famille dans la
problématisation de l’autoritarisme politique. Ils ne vont pas qualifier ipso facto, de délinquancce
juvénile, le phénomène de rebellion de jeunes épris de liberté. Ils étudieront plutôt concrètement,
la structure pyramidale de la famille où le père détient l’autorité absolue. La Réforme de
l’Université agitera la question de la formation de la personnalité de la femme et de l’homme
haïtiens. Elle produira de nouveaux professionnels compétents et engagés dans la réforme des
moeurs en Haïti.
Jn Anil Louis-Juste, 6 avril 2004
[1] L’esclavagisme est la forme sociale qu’a épousée le capital émergeant de l’Europe dans
l’économie de plantation. L’esclave nègre était d’abord vendu comme marchandise aux marchés
de la Croix des Bossales et de Cluny, avant de produire du sucre. Le capital l’avait donc
"civilisé" en instrument de travail et vendu comme marchandise.
[2] Il s’agit de la liberté pour le capital de suborndonner toutes les relations humaines à sa
nécessité d’accumulation et de reproduction, sous couvert de la liberté d’entreprise. Le
travailleur est alors reconnu comme citoyen dont les droits peuvent être reconnus dans l’espace
public. Dans le privé, il est assujetti aux dictats du capital qui achète sa force de travail. La
liberté du nationalisme français prône l’équilibre interne des forces sociales, placé sous la
direction politique et morale de la bourgeoisie ascendante.
[3] Tout le monde est intellectuel, nous dit Gramsci, mais il existe la profession d’intellectuel. A
notre sens, tous ceux qui ont eu la chance de fréquenter l’école, se comportent comme des
intellectuels en Haïti.
[4] M. Joseph Montès a parlé dans la presse et travesti le sens de l’expression "syndicat jaune",
sans que le journaliste ait rectifié, comme si les médias ne sont pas des institutions d’éducation.
Sa communication perverse peut avoir un certain impact éducatif. Aussi croyons-nous nécessaire
de lui dire que son syndicat est plus proche de la catégorie dont il reprochait ses adversaires
politiques, puisqu’il y milite sous la direction intellectuelle et morale de la bourgeoisie.
[5] Ce regroupement comprend la Convergence Démocratique et le Groupe des 184, instruments
politiques de la Communauté Internationale qui sert et défend les intérêts du grand capital dans
le monde.
[6] N’est-ce pas là , l’occasion de questionner l’orientation techniciste de l’enseignement
psychologique donné à la Faculté des Sciences Humaines ? La psychologique clinique qui
domine le curriculum au département de psychologie, n’incite pas les étudiants à rechercher les
causes historiques, matérielles et spirituelles de l’éducation familiale et scolaire, très militarisée
en Haïti. Dès lors, ils sont le plus souvent incapables de comprendre leurs propres
comportements égoïstes, individualistes et exotiques.
[7] Il y a lieu de mentionner ici, que la participation politique des églises réformées aura été
préparée depuis la première occupation militaire du pays par des marines étatsuniennes.
[8] Le pays du grand capital maintient sa devise "In God we truth", vulgarisée de manière non
moins significative à travers son papier-monnaie et les pièces monétaires métalliques.
[9] Il s’agit du régime économique haïtien qui a subordonné des relations économiques de
dépendance (dans la paysannerie, particulièrement) à la production-reproduction du capital. Le
capitaliste haïtien est alors dépendant tant de la production de denrées en régime de servage
moderne, que de la distribution de marchandises manufacturées dans les principaux centres
capitalistes du monde.
[10] Des congrégations ont l’habitude d’instituer des écoles à l’intention des enfants de riches ;
l’après-midi ou le soir, les frères et soeurs dirigent des écoles appauvries.
[11] Bien entendu, dépouillée des scories de la domination et de l’oppression.
[12] Leal, 1999.
Source : http://www.alterpresse.org/spip.php?article1323

Date de consultation : 18/03/2013

Autoritarisme et dépendance : Les enjeux de la réforme universitaire en Haïti

jeudi 18 mars 2004


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Par Jn Anil Louis-Juste, Professeur à l’Université d’Etat d’Haiti
Soumis à AlterPresse le 14 mars 2004
La vision de pouvoir qui oriente nos pratiques, est nourrie de la dialectique maître-
esclave : le premier commande, le second obéit ; alors que le premier dépend du travail du
second pour se reproduire. Toute l’histoire du pays se fait et se défait dans le respect scrupuleux
de ce modèle colonial. Jusqu’après 200 ans de l’Indépendance, l’économie haïtienne reste
extravertie, même si l’extraversion économique épouse aujourd’hui une autre forme. Nous étions
un pays réservé à la production agro-exportatrice ; nous sommes devenus vendeurs de force de
travail sans « valeur » et consommateurs de produits valorisés depuis les pays impérialistes.
L’application néo-libérale a approfondi notre dépendance à l’égard de l’extérieur. Cette nouvelle
division internationale du travail fondée sur la mobilité du capital et la dictature du marché, a
maintenu la spirale de la dette. De la « dette » de l’Indépendance à la dette du
« développement », nous participons au financement de notre dépendance.
Ce modèle d’organisation de la vie et du travail, est doublement imposé : politiquement et
culturellement. L’autoritarisme politique de notre système de gouvernement et la dépendance
culturelle de notre système éducatif, sont des expressions concrètes de l’imposition socio-
économique. Nos gouvernements, les occidentalisés et les occidentaux, dominent les africanisés
en empêchant à ces derniers de vivre dans la solidarité et l’harmonie avec la nature. Les premiers
imposaient leur religion et leur philosophie. Aujourd’hui, le développement est la nouvelle
religion qui domine à travers la foi dans la technologie. Le manque technologique devient la
carence à combattre par les nouveaux fidèles aidés de leur pasteur, l’impérialisme. Dans ces
circonstances, on a perverti la coopération en la transformant en un instrument de négation de
l’autre et d’appauvrissement de la majorité.
Quand tombe l’illusion du développement ou s’ouvre une crise politique créée par la mésentente
entre nos gouvernants, ceux-ci ont recours à la répression et/ou à l’invasion comme moyens de
restauration de l’« ordre ». Comme au temps de l’esclavage, l’écrasement de l’autre reste la
forme de traitement du différend politique. La désobéissance civile ou la rébellion militaire, le
mouvement social ou l’action politique n’ont pas eu d’autre sort. En dépit du libre
développement de la citoyenneté, initié par nos ancêtres, les esclaves et marrons de Saint-
Domingue, à travers leur communication politique gestuelle, le système politique haïtien reste et
demeure profondément autoritaire. La rupture politique coloniale ne s’est pas opérée jusqu’aux
racines ; la base matérielle de commandement/obéissance qu’est la structure agraire injuste, a été
tout simplement transférée à une nouvelle fondation politique. Les propriétaires terriens
maintiennent des rapports verticaux avec les travailleurs agricoles et les paysans, parce qu’ils
détiennent les moyens d’organisation de la vie et du travail de ces derniers ; les patrons nient aux
ouvriers l’existence du contrat de travail, parce que, en plus de la détention des moyens de
production, ils considèrent l’emploi créé comme une faveur donnée aux pauvres [1]. C’est
pourquoi d’ailleurs, ils confondent le poste de travail avec le travail lui-même. Souvent, disent-
ils, « nous donnons du travail aux gens ». En fait, étant donné qu’ils se croient supérieurs aux
autres, ils dérobent à ceux-ci la capacité de produire de la richesse, objectivement et
subjectivement [2]. En gros, le développement de l’injustice agraire, alimentée de l’injustice
fiscale, a renforcé l’autoritarisme politique et consolidé la dépendance culturelle.
L’éducation comme pratique sociale autoritaire et dépendante en Haïti
L’orientation extravertie de notre économie agraire est soutenue par le Code Rural qui organise la
vie et le travail du paysan. Ce dernier est obligé de rester sur les habitations et d’y travailler du
lundi au samedi pour produire des denrées destinées à l’exportation. Tout déplacement doit être
autorisé. Ces dispositions avaient renforcé les règlements de cultures de Toussaint Louverture,
qui interdisaient aux soldats-cultivateurs, l’accès à la propriété de la terre.
L’agro-exportation s’opère en Haïti à partir des expériences acquises par les travailleurs dans la
chaîne coloniale. Les gouvernants nationaux se soucient très peu de la diffusion technologique
dans la paysannerie, et de l’élévation du niveau culturel des paysans. Le taux d’analphabétisme
actuel est le plus élevé en signe de cette insouciance. L’école rurale qui s’est implantée depuis
1860 et renforcée durant la première occupation étatsunienne, à travers l’enseignement
professionnel, n’était pas à la portée de tous les enfants. La scolarisation laissait à désirer. Par
ailleurs, n’était organisée aucune campagne d’alphabétisation à l’intention des adultes. Il a fallu
attendre l’arrivée du gouvernement Estimé pour avoir l’Office National d’Education
Communautaire. C’est que la qualité de l’agro-exportation ne constituait pas une préoccupation
pour nos gouvernants ; la riche fertilité du sol compensait alors l’absence de développement
technologique et permettait ainsi de récolter la quantité ou le volume désiré de denrées.
L’éducation scolaire, quand elle existe, est plutôt organisée de manière autoritaire et dépendante.
La pédagogie de Comenius reste en vigueur dans nos écoles fondamentales : un maître
omniscient distribue des connaissances à des élèves supposés ignorants. Le matériel didactique
n’a commencé à s’adapter au milieu qu’à partir de 1980. L’évaluation s’opère au niveau de
l’apprentissage et non de l’enseignement ; la performance individuelle est encouragée au
détriment du travail scolaire coopératif. L’esprit de solidarité qui animait la prise d’armes de
1803 et le soulèvement général de 1791 est méprisé au profit de l’individualisme.
L’organisation curriculaire de l’école haïtienne ne favorise guère l’éclosion de la créativité. La
culture européenne, et particulièrement française, y est enseignée ; la synthèse féconde des
cultures amérindienne, européenne et africaine y est, par contre, méconnue. Ainsi les
connaissances que porte cette symbiose culturelle, ne franchissent pas la barrière de l’école,
même si des enfants qui symbolisent la représentation de la culture nationale, sont admis dans
des salles de classe. L’école réprime donc la culture populaire, au point qu’elle interdit
jusqu’à un certain moment, l’expression et la communication tant sur les cours de récréation que
dans les salles. Dans ces conditions, n’y a-t-il pas lieu de mettre en question le test d’intelligence
pratiqué en Haïti, ainsi que l’explication de la déperdition scolaire ou du redoublement comme
phénomènes liés au manque d’intelligence ?
La pratique scolaire forme des individus égoïstes, aliénés et bourrés de préjugés ; ce sont des
êtres dépendants de réponses étrangères appliquées à des problèmes locaux [3]. Entre l’économie
et la politique, se place une éducation scolaire qui déconnecte la première de la seconde.
L’économie n’est alors pas pensée selon les besoins de la population haïtienne, et les hommes
politiques se prennent pour des étrangers qui s’empressent de s’enrichir pour aller vivre dans des
pays pour lesquels ils sont formés depuis longtemps. La tradition de l’exil politique est contenue
dans les rapports sociaux de production et de gestion de la chose publique [4]. L’autoritarisme
politique et la dépendance culturelle sont particulièrement inscrits dans les schèmes de pensée de
l’élève et de l’étudiant haïtiens, à travers le processus de scolarisation. Devenu professionnel ou
homme politique, il agit comme il a été formé.
La centralisation universitaire et la dispersion facultaire : des stratégies contre l’autonomie
et l’interdisciplinarité ?
L’insouciance de nos gouvernants pour l’éducation, a rejailli sur l’administration universitaire en
Haïti. Fondée en 1860 [5], l’Université d’Haïti reste confinée dans la capitale ; les principales
villes de province ne sont dotées d’écoles de droit qu’à partir des années 1950. La concentration
universitaire s’est accompagnée de la centralisation administrative quand, en 1960, François
Duvalier, ayant maté la rébellion de l’UNEH, avait transformé l’Université d’Haïti en Université
d’Etat d’Haïti (UEH) : c’était l’université d’un seul chef, le Président à vie de la République, qui
nomma et révoqua les recteurs, doyens, professeurs et fonctionnaires, et sélectionna les étudiants
devant être admis à l’UEH. Et la pratique du pistonnisme académique s’est instaurée
à l’Université [6]. Des personnes de confiance qui transmettent, dans ces cas, les ordres du
pouvoir politique.
En dépit des luttes menées par la Fédération Nationale des Etudiants Haïtiens et de l’existence
des Dispositions transitoires de 1997 [7], la centralisation reste la marque administrative
fondamentale de la gestion universitaire. Les Recteurs et Vice-Recteurs et le Conseil de
l’Université agissent sans consultation des communautés facultaires. Le choix du « sage » devant
représenter l’Université dans la transition politique de 2004, illustre le mode d’agir de nos
gestionnaires universitaires. Dans les facultés, la situation ne diffère pas. Les conseils de
coordination agissent comme des seigneurs modernes :ils s’entourent d’un petit groupe de
professeurs et cooptent des étudiants les plus entreprenants. Les deux groupes défendent le point
de vue de ces seigneurs dans les assemblées et les salles de classe. La participation est ici
manipulée.
La centralisation universitaire empêche l’éclosion de la liberté de pensée, en rendant professeurs
et étudiants dépendants d’un chef qui oriente le processus de l’enseignement-apprentissage ; la
dispersion facultaire renforce la dépendance en empêchant la création d’écoles de pensée
haïtienne. L’interdisciplinarité comme mode cohérent d’aborder sous diverses dimensions, un
problème quelconque, est alors découragée dans nos pratiques universitaires. L’espace de
rencontre est nécessaire pour entretenir des discussions académiques. L’existence de nouvelles
technologies d’information et de communication ne saurait résoudre ce problème, puisque
l’esprit d’approche unitaire et diverse n’est pas encore constitué au cours de notre histoire
universitaire.
En somme, on aurait pu croire que la centralisation universitaire et la dispersion universitaire
sont des stratégies pensées de manière délibérée pour lutter contre l’autonomie ou
l’interdisciplinarité scientifique, mais la question est d’abord et avant tout politique. Il n’en
demeure pas moins vrai que l’objectif politique de contrôle social montre des incidences néfastes
sur l’autonomie de pensée.
Luttes universitaires et autonomie du pays
Nous sommes un pays devenu dépendant, parce que la liberté voulue par nos ancêtres, les
esclaves et marrons de Saint-Domingue, est confisquée par l’appropriation privée des terres
agricoles. L’aristocratie terrienne d’Haïti restreint la liberté à la seule condition d’être gouverné
par ses concitoyens et ceci, quelle que soit l’orientation conservatrice de ces derniers.
L’extraversion économique, la singerie politique et le verbiage culturel forment le cadre
dépendant de la société haïtienne. Toutes nos politiques économiques ont été pensées selon les
besoins de la France et des Etats-Unis ; l’organisation politique du pays est construite selon le
modèle français de la démocratie libérale, encore que les pouvoirs législatif et judiciaire
demeurent tributaires du pouvoir exécutif. La culture de la forme prime aujourd’hui encore sur la
question de fond : l’école haïtienne est instituée contre toute possibilité de rupture d’avec le
passé colonial. La pédagogie bancaire interdit aux élèves de poser les problèmes qu’ils
confrontent dans leur vie quotidienne, et de penser aux solutions de problèmes proprement
nationaux ou locaux. En dépit de l’importance de la mémoire dans la pratique éducative
haïtienne, la pédagogie reste amnésique en ce qui a trait à la récupération critique du projet de
liberté nourri par nos ancêtres. On répète à l’école, la leçon de la nature agricole de l’économie
haïtienne, mais on se soucie peu de poser la question agraire et de connaître nos potentialités
minières [8].
Nos luttes universitaires ont, depuis leur origine, posé la question de la dépendance. En 1929, les
étudiants de Damien se soulevèrent au cri de : A bas l’Occupation ! Les membres de l’Union
Nationale des Etudiants Haïtiens (UNEH, 1960) contestèrent la main-mise de François Duvalier
sur les institutions du pays au nom de la liberté de pensée et de l’autonomie de gestion. Des
militants de la Fédération Nationale des Etudiants Haïtiens (FENEH, 1986) revendiquèrent
l’autonomie au nom du peuple qui a eu besoin d’être alphabétisé, scolarisé et compris. Plus près
de nous, le Front de Résistance (2002) a suivi les traces de ces organisations. Donc, le
mouvement étudiant a, en quelque sorte, promu une rupture dans les rapports économique,
politique et culturel qui régissent la société. Il s’est toujours allié aux luttes et organisations
démocratiques populaires. L’autonomie universitaire est « inconcevable » et impraticable en
dehors du processus d’émancipation des secteurs majoritaires de la population. A l’université
haïtienne est attribuée la tâche de dessiner les lignes directrices de la reconquête de la liberté
pleine. Le processus de déconcentration du pouvoir autoritaire à l’intérieur de l’université, peut
être, dans ces conditions, un pas vers la récupération de l’Indépendance nationale.
Nos luttes universitaires veulent démocratiser l’avoir, le savoir et le pouvoir. C’est pourquoi elles
sont fortement populaires. La participation et l’auto-gestion restent les deux piliers de la lutte
pour l’autonomie. Comme principe ou cause première des activités universitaires, l’autonomie
porte à la récupération critique du projet de liberté ancestral. L’activité universitaire doit être
menée dans la jouissance de l’autonomie didactique-scientifique, administrative, de gestion
financière et patrimoniale. Nos luttes universitaires sont des batailles dirigées pour la formation
de citoyens libres et autonomes, donc capables de penser et de réaliser, avec leurs concitoyens, la
démocratie dans le pays.
Des pratiques sociales autres, nous mèneront à la construction démocratique. La liberté
d’apprendre, d’enseigner, d’investiguer et de diffuser la pensée et le savoir, est un principe
basique de ces pratiques. Il s’agit de pouvoir : 1) établir ses objectifs en organisant
l’enseignement, la recherche et l’extension sans veto politique ; 2) définir ses lignes de
recherche ; 3) créer, organiser, modifier des cours ; 4) élaborer le calendrier scolaire et le régime
de travail didactique ; 5) fixer des critères et normes de sélection, d’admission, de promotion et
de transfert d’étudiants ; 6) octroyer des grades, diplômes, certificats et autres titres académiques.
Cette liberté didactique-scientifique ne peut pas s’exercer sans l’autonomie administrative
conçue comme la pleine liberté de : 1) s’organiser à l’intérieur par l’établissement des instances
de décision ; 2) élaborer et reformuler ses statuts ; 3) établir son cadre de recrutement du
personnel enseignant et technico-administratif, selon le plan didactique-scientifique. Enfin,
l’auto-gestion financière et patrimoniale complète la série. Elle consiste à pouvoir élaborer,
exécuter et restructurer les budgets, constituer son patrimoine et en disposer. Comme l’a dit
Maria de Lourdes de Albuquerque Fávero, l’université doit cesser d’être une industrie de service
pour assumer sa fonction d’institution sociale aspirant à l’universalité de la connaissance, à la
réflexion et à la critique [9].
Le contenu populaire de nos luttes universitaires est le fondement de la démocratisation de la
société haïtienne. Le mouvement universitaire haïtien s’opère contre l’exploitation économique
et l’exclusion sociale. C’est en ce sens qu’il rejoint le Soulèvement Général des Esclaves de
1791, qui a su nous ôter les boulets aux pieds, en voulant nous libérer l’esprit.
La question de l’autonomie selon des organisations socio-politiques haïtiennes
La réforme de l’Université d’Etat d’Haïti préoccupe divers secteurs de la société, mais les
préoccupations s’expriment surtout au moment de crise. Par exemple, beaucoup d’entre elles ont
rejeté la mesure de contrôle prise le 27 juillet 2002 par le régime lavalas. Dans ces positions de
rejet s’exprime aussi leur conception de l’Université.
Dans « Luttes universitaires et Démocratie », le professeur Fritz Deshommes a annexé une série
de notes de presse dont il est possible de dégager la vision universitaire de chacune d’elles. Nous
avons ici tenté d’en repérer les plus significatifs.
Le Conseil de l’UEH, instance suprême de l’institution, la considère comme « l’un des derniers
espaces de liberté, de débat et de fonctionnement démocratique dans le pays ». L’Association des
Etudiants de la Faculté des Sciences exprime le principe d’autonomie que des professeurs de la
même faculté ont développé comme des règles de liberté d’expression académique, de gestion
financière et d’inviolabilité de l’espace de l’UEH, alors conçue comme service public.
L’Association Nationale des Agro-Professionnels Haïtiens a condamné la mesure d’intervention
du pouvoir, en réaffirmant le principe d’auto-gestion financière.
Il est ici intéressant de relater les positions de deux groupes d’anciens membres de la FENEH : la
première s’en tient à l’enseignement de qualité et au service public :
« Nous ne pouvons tolérer que contre toutes les règles d’éthique et de morale, les responsables
publics choisissent d’anéantir les efforts consentis par la société haïtienne dans la construction
d’une université publique qui, quoi que l’on dise, assure une formation de qualité à la jeunesse
haïtienne et commence à offrir une expertise appréciée à la société dans certains champs
scientifiques et technologiques »
La qualité ou l’excellence académique semble être orientée vers le marché ; l’université comme
prestataire de services, est alors louée. Dans ces conditions, n’est-ce pas de l’incohérence logique
ou de l’éclectisme épistémologique à rattacher l’enseignement de qualité au Service public par la
vente de services au marché ?
La seconde conception institue l’université dans la crise sociale que traverse le pays. L’esprit
universitaire qui se caractérise par la liberté de penser et la pensée libre, doit construire le
développement durable. D’où le rôle d’avant-garde dans la recherche des mécanismes et
dispositifs devant permettre au pays de sortir de cette crise structurelle et de s’inscrire dans une
modernité construite en fonction de nos vécus, de notre histoire, de nos besoins, de notre culture
et capable d’assumer une développement durable ».
La note des professeurs de l’IERAH est très laconique ; ils y renouvellent leur croyance dans
l’Université-Temple du Savoir. Cette vision prétend déconnecter le savoir de l’avoir et du
pouvoir, en isolant l’institution de la société dans laquelle elle a été fondée. Quant à eux, des
professeurs de la Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire se contentent de condamner
l’ingérence du pouvoir, en prenant soin de rappeler le principe d’autonomie universitaire.
Par contre, en dépit de la longueur de sa note de protestation, la Fédération des Etudiants
Universitaires Haïtiens n’a livré aucune conception de l’université ; elle n’a fait que rappeler le
principe d’autonomie, exprimer son adhérence au processus électoral dit démocratique que
venaient de perturber des étudiants cooptés par le pouvoir [10].
La Confédération Nationale des Enseignants Haïtiens a une conception plutôt élitiste de
l’université ; elle fait l’éloge de l’intelligence et de la compétence tout en affichant un air de
mépris à l’égard des organisations populaires qu’elle a même confondues avec des ’bandes de
chimère » :
« Tanpri souple minis, kite demokrasi vanse anndan inivèsite a. Nou gen konfyans nan entelijans
ak konpetans pwofesè ak etidyan nan inivèsite a pou rezoud pwoblèm nan.
« Yon move mesaj ki fè kwè moun ki save pa ka rezoud pwòp pwoblèm yo, ale wè pou yo ta
jwenn solisyon sou kriz peyi a. Talè na tande òganizasyon popilè ak chime okipe lekòl ak
inivèsite pou yo mete deyò pwofesè konsekan yo »
Les organisations de femmes partagent la conception de l’Université comme institution du
savoir, mais elles l’ont aussi érigée en porteuse d’espoir pour la nation tout entière. De plus, elles
l’associent à la quête de la démocratie, plus précisément à celle de la démocratique :
« Les luttes des populations haïtiennes ont clairement démontré la volonté de vivre dans une
société où priment le respect des personnes, la liberté d’expression et la participation. »
Par ailleurs, dix organisations du mouvement dit démocratique, dont l’Initiative Citoyenne, la
FEUH, l’Initiative de la Société Civile, ont exprimé leur solidarité à la communauté universitaire
en rappelant seulement l’article 21 des Dispositions Transitoires, relatif à la responsabilité du
Conseil Exécutif dans la gestion académique, administrative et financière de l’UEH.
Il semble que seule la prise de position du Collectif de Professeurs de l’UEH avait inscrit la
« crise » du 27 juillet 2002, dans une perspective globale. Le « processus multiforme de
destruction des institutions du pays » participe du fonctionnement d’« un Etat oligarchique et
prédateur qui a toujours empêché l’émergence d’un authentique projet de développement
national. » « L’agression du 27 juillet s’inscrit aussi dans le cadre des politiques dominantes
ultra-libérales en application en Haïti depuis 1982 sous la férule du FMI. »
Le CPUEH associe l’université à une vision assez large de l’éducation supérieure, et livre ainsi
sa conception de service public universitaire :
« Nous réaffirmons que la construction de la nation haïtienne exige aujourd’hui une option
vigoureuse en faveur d’un service public de l’enseignement supérieur capable - grâce à la qualité
de sa production scientifique, grâce à sa capacité à adapter des savoirs et des savoir-faire au
processus de transformation sociale, grâce aux débats pluriels qu’elle anime, grâce à sa
préoccupation constante pour l’étude approfondie des problèmes de notre pays - d’accompagner
l’émergence d’un nouveau projet de société qui soit à la hauteur de défis du XXI ème siècle.
L’université est appelée à jouer un rôle capital pour que nous puissions sortir de la grave crise de
sens qui nous afflige aujourd’hui.
« Le CPUEH est convaincu que l’Indépendance et l’Autonomie de l’UEH sont des principes
cardinaux pour la promotion d’une Université critique, seule apte à former des citoyennes et des
citoyens capables de poser sérieusement la question de la démocratie fondamentale et
substantielle et de s’engager dans sa construction. »
Il ne faut donc pas croire que les luttes universitaires haïtiennes renvoient simplement
à l’instauration de l’Etat de droit, nouvelle idéologie de la dictature du marché. Sous prétexte de
lutter pour la démocratie, on brandit l’étendard du droit désincarné. Par ainsi, on comprend le
mouvement universitaire comme la lutte et l’organisation pour obtenir la satisfaction des droits
d’autonomie académique, d’auto-gestion financière, etc. Alors que le mouvement pour
l’autonomie dépasse le cadre de l’université pour s’inscrire dans la trame des relations sociales
dominantes à transformer au cours du processus de désaliénation de la société. La question de
l’autonomie pose donc le problème des enjeux de la réforme universitaire. Faut-il créer en Haïti,
une université publique qui singe l’orientation néo-libérale de la société dite du savoir, sous
prétexte de modernisation technologique de l’enseignement supérieur ou une Université publique
qui poursuit l’œuvre civilisatrice du Soulèvement Général des Esclaves et Marrons de Saint-
Domingue, fondée sur la pleine jouissance du travail comme la plus haute signification sociale
de la liberté ? N’est-ce pas là , l’occasion de poser sérieusement la question de notre souveraineté
populaire au moment de notre troisième occupation militaire [11] ? Le contexte de globalisation
économique qui tend à homogénéiser toutes les cultures pour mieux asseoir la domination du
capital, reste dans ces conditions, un défi à lever dans la lutte pour l’autonomie de l’université et
le recouvrement de l’Indépendance du pays.
Jn Anil Louis-Juste
10 mars 2004
[1] Il s’agit d’une survivance de l’histoire coloniale de la société haïtienne.
[2] En leur faisant accroire par exemple, que la machine est la source du travail, ils sont portés
à nier leur propre capacité à changer le monde.
[3] Déjà , en 1847, les Frères de l’Instruction Chrétienne et les Sœurs de Saint Vincent de Paul
étaient appelés à nous aider dans la tâche nationale d’éducation des futurs citoyens du pays.
Mais, c’est en 1860 que le Concordat de Damien viendra réaliser ce programme. L’instruction
religieuse sera modernisée et renforcée. L’administration scolaire, établie sous l’égide de la
paroisse, utilisera la chapelle pour répandre cette instruction dans la population.
[4] Etant donné que le système servo-capitaliste haïtien est incapable de produire des richesses
pour être distribuées même de manière inégalitaire, des hommes et femmes de pouvoir pillent les
caisses de l’Etat pour se donner un train de vie digne d’un prince étranger.
[5] La loi du 29 décembre 1848 prévoyait déjà « l’institution d’une école nationale de Droit
(Â…), l’adjonction à celle de Port-au-Prince, de deux écoles de médecine et de chirurgie au Cap
et aux Cayes » (Edner Brutus, Instruction Publique en Haïti 1492-1945, p. 166). C’est en 1860
que l’Université d’Haïti commença à fonctionner. Elle se composait alors de l’école de Droit, de
l’école de Musique, de l’école de Dessin et de Peinture, et de l’école de Médecine. L’Ecole des
Sciences Appliquées ne sera fondée qu’en 1902.
[6] L’école haïtienne est pourtant née sous le régime de l’élitisme et du « pistonnisme ». Une
Commission d’Instruction Publique était chargée d’octroyer les rares places disponibles dans les
écoles nationales et lycées, aux enfants de l’aristocratie militaire, administrative et/ou terrienne,
et aux élèves « de bonne conduite et intelligence » (cf. : article 95 de la loi du 29 décembre 1848)
(Edner Brutus, p. 162). D’autres raisons politiques justifiaient le pistonnisme pratiqué sous la
dictature de François Duvalier. Il s’agissait de lutter contre la montée de la pensée critique, alors
taxée de subversive. Il y a lieu ici de mentionner que l’approche radicale de phénomènes sociaux
est liée au mouvement de la réalité et ne peut donc ne pas être une méthode dérivée d’une
philosophie qui met en question, toute politique fondée sur l’esprit positif du monde.
[7] Il s’agit des mesures prises le 21 février 1997, par le Ministre de l’Education Nationale,
Jacques Edouard Alexis, pour gérer l’UEH, en attendant la publication de la loi portant création
de l’université publique autonome d’Haïti.
[8] Le bruit court que le sous-sol de Jacmel renferme un important gisement d’un minerai assez
intéressant dans la construction de vaisseaux spatiaux, mais, pour le moment, nous ne disposons
d’aucune connaissance sur cette ressource.
[9] In "Autonomia universitairia no Brasil : uma Utopia ?", EPAA, 1999.
[10] Le Front de Résistance n’a pas droit à la publication de sa conception de l’université. Le
professeur Deshommes s’est contenté de publier une photo de conférence donnée en août 2002.
[11] Il y a lieu de se rappeler que cette occupation a été préparée en vue d’éteindre les feux
populaires de la commémoration du Bicentenaire de l’Indépendance.
Source : http://www.alterpresse.org/spip.php?article1265

Date de consultation : 18/03/2013

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