SARTRE L'amour
SARTRE L'amour
SARTRE L'amour
Sur papier, c’est génial: la liberté et la sincérité. Dans les faits, c’est un peu
plus compliqué… Sartre a profité du pacte beaucoup plus que de Beauvoir
car celle-ci ne s’épanouissait pas dans ce schéma conjugal et elle fit part de
sa gêne auprès de lui en lui demandant l’exclusivité, ce à quoi il répondit:
``vous êtes donc une bourgeoise’’ (car seuls les bourgeois se plient aux
interdits sociaux). On a gardé du couple Sartre/de Beauvoir une image d’un
couple soudé par la liberté, anti conformiste, uni par la loyauté et la
transparence, mais la réalité était beaucoup moins idyllique. Leur pacte n’a
pas tenu. Les mensonges sur leurs amours parallèles ont commencé à
s’accumuler, la jalousie s’est invitée à la table et paradoxalement, S et de B
se sont trouvés en situation d’infidélité au sens moral, alors que leur
entente était censée les en prémunir. En conclusion: amertume et idéal
contrarié. Le couple ayant échoué à incarner dans leur vie, leur aspiration
philosophique commune à la liberté.
Question: qu’est-ce qui, dans l’expérience ordinaire de l’amour comme
nous le vivons tous, va à l’encontre de l’idéal philosophique sartrien, voire
l’idéal de la liberté?
Car c’est différent. On peut vouloir s’unir à l’autre sans vouloir le posséder…
Eh bien, non! On ne peut pas. Pourquoi? Parce que nous sommes des
individus et si l’amour est désir d’union, mais que dans les faits, nous
restons des individus, l’amour est confronté à un problème: le problème
des sentiments de l’autre. En effet, l’amour, ce n’est pas seulement avoir
des sentiments pour l’autre, c’est aussi désirer que l’autre éprouve les
mêmes sentiments pour nous.
Par exemple, on veut qu’il nous montre son amour par des gestes, qu’il
l’exprime en mots. Comment puis-je être sûr qu’il m’aime, s’il n’en fait pas
la démonstration par son comportement? L’amour, c’est quelque chose qui
doit se traduire dans le comportement. On demande des preuves pour se
persuader que l’autre nous aime comme nous l’aimons. L’autre n’est plus la
personne que j’aime, il devient celui qui a le devoir de m’aimer autant que
je l’aime. C’est ça, le désir de possession: le désir de conformer l’autre, de
modeler son comportement à nos attentes de confirmation. Aimer, c’est
attendre de l’autre la confirmation de son amour pour nous et donc la
confirmation du bien-fondé de notre amour.
Si vous dites «je t’aime» à quelqu’un, votre attente, c’est qu’il vous
réponde «moi aussi», parce que c’est la preuve de l’union, d’une
réciprocité. Dire «je t’aime», c’est dire «est-ce que tu m’aimes?» Les choix
de celui qu’on aime nous engagent, car il nous affecte. Le désir de
s’approprier l’autre, c’est la traduction de notre désir d’union avec l’autre,
accompagné de la conscience que l’autre nous est fondamentalement
inaccessible. L’autre est condamné à rester l’autre. Notre désir profond,
lorsqu’on aime quelqu’un, c’est d’être son absolu. C’est d’être l’objet
exclusif de son amour. Qu’est-ce que cela révèle? Qu’à travers le sentiment
amoureux, l’amant cherche à s’approprier la liberté de l’être aimé. Il veut la
main-mise sur son corps, son esprit et ses sentiments.
Dans la deuxième partie de la citation, on lit «en tant qu’être libre». On sait
qu’aimer, c’est vouloir être aimé et il est extrêmement rare d’avoir des
sentiments intenses pour quelqu’un et que cette intensité se retrouve dans
les sentiments de l’autre à notre égard. Justement, pour Sartre, c’est ça le
fondement de la valeur que nous accordons à l’amour de l’autre: son
caractère imprévisible et immaîtrisable. En effet, si on pouvait contrôler les
sentiments de l’autre, son amour n’aurait plus aucune valeur. L’amour doit
venir d’un être libre de nous aimer ou de ne pas nous aimer. L’amour au
sens de spontané. L’amour de l’autre n’a de valeur que parce qu’il est libre.
Quand on aime quelqu’un, on aime une liberté.