Can't Help Myself

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Introduction

Bien qu’encore au début du XXIème siècle, notre société se tourne de plus en plus vers
la technologie pour habiter son monde. L’automatisation de notre vie quotidienne, d’abord
appréhendée puis lentement acceptée, et à présent encouragée, a ouvert de nombreuses pistes
de réflexion quant à la place de la machine dans notre vie et les changements qu’elle impose.
Certains tels que Stelarc voient dans la technologie comme l’obsolescence de l’homme; la vie
n’est plus un commencement par naissance et une fin par mort mais une expérience digitale.
D’autres tel que N. Wiener, pour qui la création d’un simulacre d’être vivant fascine les
Hommes depuis longtemps, voient l’expansion de la technologie comme la complétion d’un
désir de produire et d’étudier. Ce qui m’a personnellement marqué dans cette œuvre est
l’humanité que l’on peut donner à ces êtres d’acier. Mis en parallèle avec d’autres robots tels
que Curiosity ou Opportunity, j’ai pu remarquer que chacun d’entre eux, une fois nommé
semblait occuper la même place qu’un être humain dans la pensée générale. On peut aussi y
voir la pâte du créateur : les ingénieurs programmant le « joyeux anniversaire » de Curiosity ou
les derniers mots d’Opportunity. Bien que la poésie de ces moments ne se révèlent qu’avec le
temps et l’action humaine, j’ai voulu comprendre la pensée derrière Can’t Help Myself qui m’a
ainsi marqué.
On peut se demander, à travers cette œuvre, comment l’art avant-guardiste permet de
véhiculer certains messages de manière plus efficace qu’un art plus traditionnel en ce début de
XXIème siècle.
Dans un premier temps, nous nous intéresserons au contexte qui a influencé la création
de cette œuvre, de ses créateurs à l’intention du commanditaire vis-à-vis de son actualité. Puis
dans un deuxième temps nous étudierons comment Can’t Help Myself s’inscrit dans befwijesj
grâce à sa constitution singulière. Enfin, nous observerons les différentes interprétations que
l’on peut prêter à l’installation.

I] Entre politique et puissance artistique


Can’t Help Myself est une œuvre qui, a bien des égards, se lit et se comprend dans son
contexte historique. En effet, il s’agit de la première installation robotique commanditée par le
musée Guggenheim à New York et ce choix n’est pas anodin.
Sun Yuan et Peng Yu sont les auteurs de cette œuvre qui s’inscrit dans une série
d’installations fortes d’intention. Étudiants à l’Académie Centrale des Beaux-Arts de Beijin en
Chine, les deux s’intéressent d’abord à la peinture à l’huile. Cependant, insatisfaits par les
limitations de ce medium, ils s’associent en 2000 et travaillent sur un nouveau moyen de
transmettre leur curiosité et leur amour du monde matériel de manière plus directe. Pour ce
faire, ils vont travailler avec des matériaux non-conventionnels et organiques. Ainsi, ils
cherchent toujours, à travers divers supports à défier les systèmes politique et l’autorité sociale.
En effet, Peng Yu explique dans une interview pour le Guggenheim qu’elle perçoit toutes les
relations – qu’elles soient entre hommes, homme et nation, nations entre elles ou homme et
animal, comme politique, et donc possible de critique.
Chacune de leurs créations a pour objectif de créer un choc chez le spectateur afin de
mieux l’inviter à s’interroger. Ils sont à la recherche d’une réaction autant physique que
psychologique. Comme on peut le voir dans Freedom (2009); un tuyau d’arrosage est attaché à
une pompe qui, à intervalles choisis, envoie une pression hydraulique qui donne vie au tuyau
qui se tord sur le sol et gicle sur les murs avec violence. De plus, l’installation n’est observable
que par un trou percé dans une plaque de métal. Ils veulent ainsi exposer les paradoxes de la
liberté : tout d’abord le puissant souhait de liberté qui engendre immanquablement des
sacrifices et du sang, mais aussi le fait que dans certains pays la « liberté » prenne une forme
qui lui est dictée. Ils s’intéressent principalement à une critique de la modernité en incorporant
des aspects technologiques dans leurs larges installations.

C’est leur sensibilité et leur démarche inconventionnelle qui attira l’attention du


commanditaire de Can’t Help Myself, Xiaoyu Weng pour le musée Guggenheim. L’œuvre
s’inscrit dans l’exposition « Tales of Our Time » dédiée aux lieux qu’ils soient concrets – une
ville, des îles inhabitées, ou abstraits – comme le concept de territoires, de frontières, ou même
d’utopie. L’œuvre du duo a pour but de s’interroger sur la question des barrières aux frontières.
Cette thématique est forte pour 2016 avec deux événements marquants l’année; la campagne
électorale suivie de l’élection de Trump dont un des objectifs principaux est la création d’un
gigantesque mur séparant les États-Unis d’Amérique et le Mexique, et la surveillance de celui-
ci, et la fermeture de la Route des Balkans avec la fermeture des frontières slovènes, croates,
macédoniennes, empêchant les migrants d’entrer en Europe.

II] Un concept d’acier


Avant de s’interroger sur la pensée philosophique et l’idée qui ont poussé à la réalisation
de cette œuvre, il faut comprendre son intérêt technique et sa place sur la scène avant-gardiste.
Can’t Help Myself s’inscrit dans l’art contemporain, aussi appelé art postmoderniste. Arrivé à
la fin des années 60, le concept de post-modernité se veut une analyse sociale et culturelle du
capitalisme tardif et qui, bien que beaucoup abordé par philosophes et sociologues tels que J.
Braudillard ou A. Possamaï, tient son origine chez les artistes. L’art postmodernisme en général
s’inscrit dans la pensée avant-gardiste et a conduit à l’apparition de nouvelles formes d’art telles
que l’art féministe, l’art corporel, l’installation d’art ou encore l’art conceptuel. L’œuvre de Sun
Yuan et Peng Yu peut être répertoriée dans cette dernière forme. En effet, l’art conceptuel
« donne la priorité à une idée présentée par des moyens visuels qui sont eux-mêmes secondaires
à cette idée ». Son objectif n’est donc pas sa valeur en tant que tel mais bien celle du message
délivré. L’art n’est plus le seul fruit de l’artiste mais nécessite la présence du spectateur. Cela
démontre que l’art conceptuel mélange conceptions, installations et performances que l’on peut
retrouver dans Can’t Help Myself.
Can’t Help Myself se démarque aussi par la nature de son installation. Loin des
sculptures ou des installations auxquelles on peut s’attendre, l’œuvre du duo chinois met en
scène un bras robotique industriel. Très exactement, il s’agit d’un bras industriel KUKA en
acier, du même type que ceux utilisé dans la manufacture de voitures. L’extrémité en pince a
été remplacée par une raclette. Cependant, l’ingéniosité de cette œuvre ne vient pas uniquement
des matériaux utilisés bien qu’étonnants. En effet, le bras est équipé de capteurs sensoriels
visuels qui activent un programme contenant une série de séquences de mouvements. Les 32
mouvements répertoriés dans le système du robot ont été écrit avec l’aide de deux ingénieurs et
portent tous des noms tel que « pirouette », « gratter une démangeaison » ou « révérence et
secousses » qui reflètent l’intention des artistes dans leur animation de la machine.

L’installation est finalisée par deux éléments essentiels; un liquide rouge, sombre et
épais qui semble couler de la base du bras mécanique et des panneaux d’acrylique transparents
qui délimitent la zone de présentation. Les capteurs implantés dans le robot lui permettent de
détecter lorsque le liquide s’éloigne trop du socle déclenchant ainsi son objectif premier :
nettoyer le liquide.

III] Un message qui se décline


Cette œuvre, de par sa nature conceptuelle, ne propose pas d’explication unique. En
effet, l’art étant créé autant par l’artiste que le spectateur, celui-ci peut interpréter l’installation
comme il le ressent. On peut tout de même noter l’intention de départ de la commanditaire mais
aussi des artistes. Pour X. Weng, cette œuvre est une critique de la violence qui résulte de la
surveillance des frontières, une conséquence de l’autoritarisme qui veut créer plus de barrières
entre les lieux et les cultures. La nature robotique de l’œuvre insiste aussi sur l’accroissement
de technologies créées pour mieux surveiller notre environnement. Pour les artistes, Can’t Help
Myself est autant un examen de notre réalité de plus en plus automatisée, gouvernée par des
machines, de la relation homme/machine qui change, qu’une tentative de retirer l’artiste et ne
conserver que sa volonté en utilisant un intermédiaire, ici la machine. Ils soulèvent aussi la
question de qui est le plus vulnérable : l’Homme qui crée la machine ou la machine contrôlée
par l’Homme ?
Le mouvement continuel et répété du bras mécanique comme une danse sans fin atteste
de l’humour provocateur des artistes qui offrent une vision sisyphéenne de la migration et de la
souveraineté. Ils y voient aussi le plaisir et la panique qui viennent avec l’anticipation du futur,
en effet le plaisir et l’espoir étant impossible sans la peur de l’inconnu. De même, la cage
d’acrylique de l’œuvre l’expose tel un animal capturé se débattant avec lui-même vers un destin
pré-déterminé, ce qui procure au spectateur qui l’observe sans rien faire une satisfaisante
impression de voyeurisme.
On peut presque parler d’humanisation de la machine. En effet, ses mouvements se
veulent dansants presque interactifs avec son public. De plus, on peut aussi noter la réaction du
public lorsqu’il fut comparé en fin 2021 avec son état lors de sa première apparition; du fait de
son unique objectif, chaque rabattement du liquide vers son centre entraîne la substance dans
une autre direction, n’étant jamais vraiment contenue. Ainsi, les mouvements de plus en plus
frénétiques de la machine ont projeté du liquide sur les murs couverts de traces rouges, le sol
est sombre et tâché de rouge lui aussi. Le bras se déplace lentement, toute sa vigueur semble
avoir disparue, la raclette est couverte de liquide rouge séché qui attaque peu à peu le robot.
Particulièrement remarquable, la transition de 2016 à 2021 est frappante et réveille chez
beaucoup de la sympathie pour ce robot qui a pour seule tâche de nettoyer le liquide rouge, et
ne peut s’en empêcher ni s’arrêter. Pour d’autres cependant, Can’t Help Myself représente aussi
un héros tragique mais plus similaire au Golem ou au Monstre de Frankenstein. Il devient alors
une métaphore de solitude et désespoir.

Conclusion
Comme nous avons pu le voir, Can’t Help Myself appartient à la catégorie de l’art
conceptuel dans l’art avant-gardiste ainsi qu’à l’art post-moderniste. Ces deux qualités révèlent
donc l’ingéniosité et la force de l’avant-garde; l’œuvre d’art étant une allégorie d’un concept,
elle fait de sa lecture une réflexion obligatoire afin d’en comprendre un des sens. De plus, son
appartenance à la pensée post-moderniste reflète le fort message que les artistes et le
commanditaire veulent déclamer. L’art avant-gardiste étant une confrontation des règles
traditionnelles renforce donc ce message et le met à nu à la vue de tous de telle manière qu’il
est difficile d’y résister, comme nous avons pu le voir avec la réaction du public, bien que les
interprétations soient diverses.
L’œuvre fut cependant comprise par beaucoup comme le reflet saissant de notre société
actuelle; forcés de se retenir de s’écrouler, cachant le sang qui nous fuit sans fin, jusqu’à
l’épuisement, confinés dans une cage comme un spectacle aux plus puissants. Nous pouvons
alors nous demander si la large sphère artistique de l’avant-gardisme, bien que véhiculant de
manière plus efficace certains messages, n’entraîne pas une modification de celui-ci.
Bibliographie

Livres
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Videos
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Articles Web
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