Troubles Somatoformes
Troubles Somatoformes
Troubles Somatoformes
Troubles somatoformes,
troubles factices et simulation : l’art
difficile du diagnostic différentiel
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Progressivement, l’équipe commence à s’interroger sur le
une flambée de douleurs2 (céphalées dans la région
diagnostic, hésitant à ce stade entre troubles factices10-12 et
occipitale, irradiant vers la zone temporale et frontale)
simulation.
ainsi qu’une vision floue. Elle se dit triste, présente une
L’amélioration foudroyante de la clinique à l’annonce
anxiété et voit son avenir bouché une fois dans son
de la suspension du renvoi et le brusque changement de
pays. Elle dit préférer mourir ici plutôt que retourner
comportement à domicile (attesté dans la durée par le
chez elle.
biais du suivi ambulatoire), renforcera l’intensité de ce
Après un passage au CHUV pour un nouveau bilan
questionnement.
somatique normal (NFS complète, électrolytes, tests hé-
Il est intéressant de souligner que le facteur culturel,13
patiques, rénaux et bilan neurologique), elle est réhos-
qui pose autant de questions qu’il est source de réponses
pitalisée en psychiatrie. Elle présente une humeur som-
toutes faites, n’a pas interféré dans le cas présent, la pa-
bre,3 avec tristesse, peur d’un retour dans son pays,
tiente ayant été prise en charge par un thérapeute de sa
troubles du sommeil, irritabilité, émoussement des
culture et parlant sa langue.
affects. Elle se plaint de troubles de la mémoire. Les
En effet, de nombreux éléments socioculturels sont sou-
entretiens se concentrent sur ses douleurs somatiques.
vent désignés comme pouvant fausser le diagnostic: mécon-
Quelques semaines après qu’elle ait reçu une déci-
naissance de la langue française, manque d’explication quant
sion de suspension provisoire du renvoi dans son pays,
aux structures de soins proposées, craintes du patient devant
une amélioration de son humeur est observée : sa tris-
le regard d’un médecin autochtone, incompréhension de
tesse a disparu, son sommeil trouve un rythme normal,
celui-ci devant une certaine façon d’exprimer la souffrance (le
le contact est meilleur, la patiente est plus collaborante.
célèbre «syndrome méditerranéen»), rejet des soignants
Elle décrit une diminution des céphalées, dont l’inten-
devant cette trop grande différence dans la souffrance, sans
sité est de 2 sur une échelle de 0 à 10. Elle retourne à
parler du rampant soupçon de racisme, toujours possible.
son domicile et continue un suivi en ambulatoire. Son
Dès le premier entretien, malgré l’effort d’établir une
état clinique reste stable. Elle s’investit dans des projets
relation de confiance et d’empathie, la patiente se montre
d’intégration et commence une école de langue fran-
fuyante et peu collaborante. Avec l’équipe, on peut invo-
çaise afin de trouver une activité professionnelle.
quer la barrière linguistique, mais pas avec le psychiatre
traitant, de langue maternelle albanaise. Avec lui, la plainte
se transpose immédiatement dans la sphère somatique,
DIAGNOSTIC ET DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL envahissant les entretiens et le réduisant à l’impuissance.
En reprenant cette vignette, voyons la façon dont le L’anamnèse est imprécise et fluctuante. La patiente se
questionnement va se faire jour dans l’esprit des diffé- livre peu, reste fermée, de contact superficiel, inaccessible
rents praticiens. quant à son vécu sur le plan émotionnel. Le thérapeute se
Dans un premier temps, les plaintes, de nature essen- trouve face à une plainte «murée», bien différente d’une
tiellement psychiatrique, peuvent être mises en lien avec éventuelle expression culturelle de l’angoisse.
des événements dramatiques et un diagnostic psychiatri- Durant la prise en charge de cette patiente sur le plan
que est posé.4,5 psychopharmacologique,14 un traitement de sertraline (150
Puis, suite au retour à domicile, la symptomatologie se mg/jour) a été introduit, en raison d’une humeur sombre
transpose dans la sphère physique. Des douleurs appa- avec tristesse, peurs et sentiment de perte d’espoir. Après
raissent, suffisamment présentes et opiniâtres pour moti- plusieurs semaines d’observation, cette symptomatologie
ver une première série d’examens complémentaires, dont ne s’améliore pas vraiment, elle se modifie dans un mode
les résultats sont normaux. Le champ diagnostique se mo- plaintif avec douleurs, irritabilité, troubles du sommeil et
difie quelque peu et tend alors à se déplacer sur une zone angoisses. Les antalgiques de type acide méphénamique
intermédiaire, frontière entre médecine somatique 6,7 et (2 g/jour) n’ont montré aucun effet positif. Avec un traite-
psychiatrie : les troubles somatoformes.8 ment de mirtazapine (30 mg/jour) et d’alprazolam (2 mg/jour),
Ensuite intervient un facteur extérieur, à savoir la on a constaté une légère amélioration concernant la qualité
menace de renvoi, qui occasionne une recrudescence du sommeil et une diminution de l’anxiété.
des symptômes, tant physiques que psychiques. La Parallèlement, des essais d’une prise en charge psy-
question du diagnostic se repose lors de la nouvelle hos- chothérapeutique15,16 tant dans les groupes intrahospita-
pitalisation en psychiatrie, du fait du contact très parti- liers sur l’axe cognitivo-comportemental17 que de manière
culier établi par la patiente avec l’équipe et le médecin. individuelle ont été effectués. La patiente s’est montrée
Elle est alors perçue comme fuyante, peu collaborante, peu collaborante, voire même opposante, et n’a adhéré à
voire franchement oppositionnelle, envahissant – et aucun projet thérapeutique.
contrôlant – l’entier des entretiens par l’omniprésence Face à un questionnement qui est lourd de conséquen-
de la plainte somatique, ce qui ferme l’accès à toute ces, non seulement sur le plan légal ou assécurologique,
autre problématique. mais surtout pour la prise en charge de tels patients au vu
Une nouvelle caractéristique apparaît : la plainte étant du risque de suspicion et de rejet qu’ils occasionnent, il est
d’orientation somatique 9 en milieu psychiatrique et deve- important d’arriver à établir un diagnostic aussi précis et
nant plus psychiatrique quand les investigations somati- dépassionné que possible.
ques se révèlent négatives, cette plainte reste mystérieuse Trouble somatoforme ? Trouble factice ? Simulation ?
et inexplorable pour les soignants. Reprenons les définitions de base.
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RAPPEL DES DÉFINITIONS CLASSIQUES – les sujets ayant ce mode de comportement présentent
SELON LA CIM-1018 les signes de nombreuses autres anomalies de la person-
nalité et des relations interpersonnelles.
Les troubles somatoformes
La caractéristique de ces troubles est la présence de La simulation
symptômes physiques associés à des demandes d’inves- Toujours selon la CIM-10, en plus des éléments sus-
tigations médicales malgré des bilans négatifs répétés. mentionnés relativement aux troubles factices en général,
Même quand la survenue et la persistance des symptômes la simulation est mise en lien avec des mobiles externes
sont étroitement liées à des difficultés ou à des conflits, tels qu’échapper à des poursuites judiciaires ou au servi-
même quand il existe des symptômes anxieux ou dépres- ce militaire, obtenir des drogues illicites, des indemnités,
sifs manifestes, le patient s’oppose habituellement à toute une pension ou de meilleures conditions de vie. La simu-
hypothèse supposant l’implication de facteurs psychologi- lation est mentionnée comme peu fréquente dans la vie
ques dans la survenue des symptômes. civile ordinaire.
Sont regroupés sous ce vocable : Tant dans la simulation que dans les troubles factices,
– La somatisation ; le patient est conscient de produire lui-même les symp-
– le trouble hypochondriaque ; tômes dont il se plaint. Mais dans la simulation, il sait très
– les troubles de conversion ; bien dans quel but, concret et pratique, il le fait (motivation
– le trouble somatoforme indifférencié ; consciente), ce qui n’est pas le cas dans les troubles fac-
– le dysfonctionnement neurovégétatif somatoforme ; tices (motivation inconsciente).
– le syndrome douloureux persistant ;
– les autres troubles somatoformes (comprenant les plain-
tes se rapportant à des systèmes ou à des parties du corps DISCUSSION (tableau 1)
spécifiques). Le premier point commun de ces trois grands groupes
diagnostiques est sans conteste la multiplicité et la varia-
Les troubles factices bilité tant des plaintes que des symptômes, qui portent
Selon la CIM-10, les troubles factices sont assimilés à la aussi bien sur la sphère psychique que somatique.
simulation. Cette classification est moins fine car elle ne Sur le plan physique, les examens complémentaires ne
tient pas compte de la dimension de la motivation, cons- permettent pas d’objectiver un substrat somatique aux
ciente ou pas, du patient à produire des symptômes mais plaintes et aux symptômes.
nous y reviendrons. Les principaux points relevés sont : Sur le plan psychique, les plaintes tournent le plus sou-
– Une simulation ou production répétée et cohérente de vent autour de l’axe anxio-dépressif.
symptômes en l’absence d’un trouble physique ou mental ; Tous les traitements tentés se révèlent sans effet ou
– un trouble des conduites visant à acquérir un statut de presque, en même temps que les patients continuent d’en
malade ou à présenter un comportement de malade ; réclamer d’autres.
Tableau 1.Tableau synoptique comparant les troubles somatoformes, les troubles factices et la simulation
La dernière colonne signale la présence (+) ou l’absence (-) de différents signes et symptômes chez la patiente.
Mensonges pathologiques - + + ?
Manque d’observance - + + +
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Tous ces patients font état d’importants retentissements fait pas compliants aux traitements et prennent la fuite si
de leurs troubles sur leur vie quotidienne, ce qui n’est pas l’étau diagnostique se resserre trop, par crainte de perdre
réellement le cas pour les simulations. ce statut.
La différence majeure est apportée par la dimension Les simulateurs étant mus par un intérêt matériel, il est
des bénéfices secondaires acquis grâce aux troubles : les évident que leurs symptômes disparaissent une fois obte-
personnes atteintes de troubles somatoformes ne «gag- nu le bénéfice en question comme ils vont eux-mêmes
nent» rien à être malades. Leur souffrance est installée, disparaître de la consultation, ce qui n’est pas le cas des
rebelle aux traitements malgré leur compliance ; elle leur autres catégories de ces patients.
«gâche la vie» et ne s’améliore pas, même après l’obten-
tion d’une rente invalidité !19
Centrés sur leur souffrance et son historique, ces pa- CONCLUSION
tients ont à disposition une anamnèse certes longue, par- La présente vignette clinique, une fois contournée
fois dramatique, mais précise et très documentée (ils ont l’éventuelle barrière socioculturelle, correspond de toute
en général gardé des classeurs entiers de copies d’exa- évidence à un diagnostic de simulation, grâce à l’observa-
mens et de rapports d’investigations). tion de la guérison de tous les symptômes dès le bénéfice
L’anamnèse des troubles factices10,11 et des simulateurs secondaire externe obtenu. On voit ici clairement la diffé-
est souvent bien plus dramatique, mais toujours insaisis- rence avec les troubles factices, dont le principal bénéfice
sable et invérifiable. est le statut de malade, ce qui n’autorise aucune «guéri-
Les patients présentant des troubles factices y trouvent son», mais seulement une persistance des symptômes quel
un gain très particulier : celui d’être perçus et considérés en que soit le traitement ou le contexte de vie.
tant que malades dont il faut s’occuper. Ils ne sont de ce
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