Rips1 064 0067

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 37

Naissance de l’éthique des affaires en France, trajectoire

historique d’une comète théorique


Yoann Bazin, Emmanuelle Garbe
Dans Revue internationale de psychosociologie et de gestion des
comportements organisationnels 2020/64 (Vol. XXVI), pages 67 à 102
Éditions ESKA
ISSN 2262-8401
ISBN 9782747230612
DOI 10.3917/rips1.064.0067
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
Article disponible en ligne à l’adresse
https://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychosociologie-de-gestion-des-comportements-
organisationnels-2020-64-page-67.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour ESKA.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
Naissance de l’éthique des affaires en France, trajectoire
historique d’une comète théorique
Yoann BAZIN
EM Normandie
Emmanuelle GARBE
IAE Paris

Résumé
Cet article propose une généalogie de la trajectoire du concept d’ « Éthique des affaires »
dans les sciences de gestion françaises. Partant du constat d’un important décalage tempo-
rel – et conceptuel – entre la business ethics anglo-américaine et sa version européenne, nous
analysons, avec une approche historique, les causes de ces différences. Nous retraçons dans
un premier temps son émergence, avant de nous interroger sur les causes et les conséquences
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
de son déclin dans les sphères pédagogique, professionnelle et académique. Nous conclurons
sur les questions que pose la disparition relative de l’éthique des affaires dans la recherche en
sciences de gestion au profit du thème de la responsabilité sociale de l’entreprise.

Mots-clés
éthique des affaires, histoire, éthique, entreprise, RSE

1. INTRODUCTION
Dans les publications académiques étasuniennes, le terme de « business ethics » apparaît déjà
au tout début du 20e siècle, débouchant sur des manuels dès les années 1920 (Taeusch, 1926 ;
Lord, 1926). Après la Seconde Guerre mondiale, cette business ethics devient une discipline
à part entière dans les programmes et syllabus des business schools outre-Atlantique (Abend,
2013). En France en revanche, et dans une certaine mesure en Europe, l’éthique des affaires
n’émergera explicitement dans les travaux académiques qu’à la fin des années 1980. C’est sur
cette période (1988-2002) que nous proposons de nous concentrer en regardant comment un
nouvel objet de recherche peut émerger dans la sphère académique, dans ses liens complexes
avec les entreprises, la politique et le ‘grand public’. Nous nous inscrivons donc pleinement
dans un projet d’histoire de la pensée managériale (Poivret, 2017).
Dans les années 1980, une nébuleuse d’évènements et de publications autour de pro-
blématiques éthiques liées au monde des affaires émerge en France. En 1982, Bourbeau est
l’un des premiers à formuler, dans le champ académique francophone (la revue Gestion est
québécoise), une question qui va devenir rapidement centrale : Quelle importance l’entreprise
doit-elle accorder à l’éthique ? Conscient de l’ambition de cette interrogation, il admet dès
l’ouverture que « pour parler de l’importance de l’éthique dans l’entreprise, il faudrait, idéale-

RIPCO64.indd 67 10/07/2020 15:22


68 [2] L’ETHIQUE DES AFFAIRES

ment, avoir à la fois le détachement et le recul du philosophe, et l’engagement dans l’action du


cadre d’entreprise. Rares sont ceux, s’il en est, qui peuvent se targuer de réunir de telles quali-
tés » (Bourbeau, 1982). D’autres auteurs suivront rapidement avec des articles portant sur ce
rapprochement entre éthique et entreprise, mais sans « label » commun à l’époque : de Laubier
sur « l’éthique de l’entreprise » dans la Revue Thomiste (de Laubier, 1988), Padioleau qui
pose la question « L’éthique est-elle un outil de gestion ? » dans la Revue Française de Gestion
(Padioleau, 1989). On y trouvera également les analyses de Denis Sureau sur ce moment où
« l’entreprise découvre l’éthique » (Sureau, 1990). Ce mouvement intellectuel et académique
liant éthique et entreprise amène Pierre-Olivier Monteil à proposer, dans un article paru dans
la revue Autre Temps en 1989, une « enquête sur une préoccupation à la mode » (Monteil,
1989). Viendront ensuite des ouvrages plus « grand public » avec La valse des éthiques d’Alain
Etchegoyen et la célèbre Éthique des affaires d’Octave Gélinier en 1991, ou encore le Main
basse sur la Cité de Faber l’année suivante.
Les titres des textes et des colloques montrent à cette époque une variabilité des termes
(éthique, morale, entreprise, affaires, valeurs, économie…) qui se stabilisera dans le début des
années 1990 autour d’une expression : « l’éthique des affaires ». Nous nous proposons dans
cet article d’examiner l’émergence et l’institutionnalisation de cette discipline, ancienne aux
États-Unis mais alors nouvelle en France (et dans une large mesure en Europe continentale).
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
Pour ce faire, nous commençons par retracer la chronologie des évènements et publications
qui vont participer à faire converger ces préoccupations et travaux autour d’une expression
commune et d’un corpus théorique en « éthique des affaires ». Nous verrons ensuite les rôles
joués par les auteurs et leurs publications académiques ainsi que les réseaux, organisations et
institutions pour comprendre l’émergence et les spécificités d’une approche française et, plus
largement, continentale. Nous conclurons ce travail historique au début des années 2000,
période qui constitue non seulement un tournant, mais également, dans une certaine mesure,
un déclin de l’éthique des affaires pour des raisons que nous exposerons. Le « remplacement »
d’un concept par un autre est d’autant plus important à cette époque que les sciences de ges-
tion sont encore un champ académique jeune, ce qui fait de ces variations conceptuelles un
enjeu majeur dans la constitution du cadre théorique de la discipline.

2. L’ETHIQUE DES AFFAIRES : UN PROBLEME, UNE ETIQUETTE,


UNE DISCIPLINE

2.1. 1988-1989 : Les sciences de gestion se saisissent d’une problématique émergente


S’il fallait donner une année de naissance à l’éthique des affaires (ce qui n’est pas possible à
strictement parler), 1989 en serait probablement la meilleure approximation. En effet, bien
que l’expression ne soit pas encore employée de manière stabilisée, c’est à ce moment que les
sciences de gestion se saisissent de la problématique, en lien avec le monde des affaires et la
sphère politique comme nous le verrons juste après.

2.1.1. 1988 : de Laubier met en lien « l’éthique de l’entreprise » et la doctrine sociale de l’Église
Notice biographique : Patrick de Laubier est l’un des premiers académiques à utiliser
l’expression « éthique des affaires » dans ses travaux. Sociologue et universitaire de for-

RIPCO64.indd 68 10/07/2020 15:22


[2] L’ETHIQUE DES AFFAIRES 69

mation, il s’intéresse particulièrement aux mouvements ouvriers et aux syndicats avant


de se tourner vers la religion : il obtient une licence en théologie puis devient prêtre
catholique au début des années 2000.

En 1988, de Laubier publie un article intitulé « L’éthique de l’entreprise » dans la Re-


vue Thomiste. Bien que ce soit une revue de théologie et de philosophie catholique, c’est, à
notre connaissance, le premier article académique qui soit explicitement consacré aux aspects
éthiques du monde des affaires, en lien avec la doctrine sociale de l’Église.
Pour de Laubier, l’objectif n’est pas que l’Église catholique propose une « troisième voie »
entre libéralisme et socialisme, mais plutôt qu’elle se doit d’apporter un éclairage sur les alter-
natives au regard de « l’enseignement social de l’Église » (de Laubier, 1988, p. 116). Or, même
si elle n’est pas toujours audible, la question de la gestion des entreprises n’est pas absente de
ses préoccupations. Comme il le rappelle : « Dans la lettre des évêques américains intitulée
Economic justice for all, Catholic Social Teaching and the US Economy (1986), neuf paragraphes
(§ 110-118) sur trois cent soixante-cinq sont consacrés aux propriétaires et aux chefs d’entre-
prise » (p. 117). Il les analyse alors en détail pour présenter certaines problématiques éthiques
qui s’imposent aux managers, comme la confiance, la participation des salariés, le profit éco-
nomique, la croissance et le développement. Nous en restituons ici les principaux arguments
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
tant ils restent d’actualité :
− « La confiance dont ils sont investis ne doit pas leur faire oublier que les ressources qu’ils
gèrent n’ont pas été créées par eux seuls, elles sont le fruit du travail humain à tous les
niveaux. Par ailleurs, la recherche de profit à court terme pourrait avoir des conséquences
néfastes sur le plus long terme si elle s’effectuait de manière irresponsable. On pense à
l’environnement, au gaspillage de biens provisoirement abondants, etc. » (p. 118)
− « L’appropriation privée est légitime pour des raisons d’efficacité et en vue de développer
l’esprit de responsabilité nécessaire à la maturité du caractère, mais l’usage de biens obte-
nus par la gestion doit être, pour une part du moins, commun. Cette règle ne vaut pas que
pour la gestion d’un bien privé, elle s’applique aussi au niveau de l’entreprise où les profits
doivent faire l’objet d’une répartition relevant du jugement éthique. » (p. 119)
− « Il est clair que l’activité de l’entrepreneur comprend une part essentielle de risque dont
un certain profit constitue la récompense financière éventuelle, mais cette incitation ne
doit pas devenir la finalité principale de l’activité économique qui est au service du bien
commun. » (p. 120)
− « Les exigences de l’enseignement social de l’Église vont pourtant très loin sur le plan
éthique et en particulier à propos de l’entrepreneur à qui l’on confie une tâche au service
du bien commun local, national et même international, en lui refusant la recherche du
profit pour lui-même, en insistant sur la haute valeur des personnes, de chaque salarié, quel
que soit son niveau hiérarchique. » (p. 122)

Pour de Laubier, vouloir suivre la doctrine de l’Église catholique tout en étant entrepre-
neur ou dirigeant d’entreprise est parfaitement possible, mais cela exige une démarche active
de réflexion et d’application de valeurs et de principes contraignants au quotidien dans les
décisions et les actes de gestion. Comme il le dit, « on voit que l’accent n’est guère mis sur le
dynamisme des entreprises pour créer des richesses, mais sur les obligations des entrepreneurs
à l’égard des salariés » (p. 121). Ces valeurs et obligations pourraient être détournées par ce

RIPCO64.indd 69 10/07/2020 15:22


70 [2] L’ETHIQUE DES AFFAIRES

qu’il appelle « de possibles récupérations du dynamisme religieux par le commercial ». Or, il


est selon lui « indispensable de relever le défi et de rendre évangélique la vie dans la société
industrielle et postindustrielle où l’entrepreneur tient un rôle important et typique » (1988,
p. 123).
Dans cette perspective, il n’y a pas tant d’éthique des affaires à proprement parler, au
sens d’une éthique autonome et spécifique au milieu des affaires, mais plutôt la nécessité,
pour les acteurs du milieu des affaires qui se disent catholiques de mettre en pratique une
éthique définie par la doctrine sociale de l’Église. L’article ne dénonce pas spécifiquement le
monde des affaires (ce que feront beaucoup d’auteurs par la suite), mais propose plutôt une
analyse érudite de ce que la doctrine sociale de l’Église peut dire sur le sujet de la gestion
des entreprises.

2.1.2. Octobre 1988 : Traduction d’un manuel américain sur « éthique et management »
Fin 1988, Les Éditions d’Organisation – qui publieront l’année suivante les travaux de
Jean Moussé sur le sujet – sortent une traduction de l’ouvrage des étasuniens Blanchard et
Norman Peale paru la même année outre-Atlantique : Éthique et management – Réussir en
restant intègre (Blanchard & Peale, 1988). L’ouvrage prend la forme d’une longue parabole
(141 pages) présentant les difficultés et tourments d’un directeur commercial qui fait face à
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
divers dilemmes éthiques, et ses conversations avec différents acteurs qui vont (plus ou moins)
l’aider dans ses prises de décisions. La morale de l’histoire est relativement claire dès le début
et l’ouvrage se concentre plutôt sur les enjeux et contraintes qui pèsent un manager voulant
‘faire ce qu’il faut’. Le livre tourne entièrement autour de la parabole qui en contient tout le
propos – il n’y a pas d’introduction ou conclusion proposant un résumé, une analyse ou un
cadre conceptuel plus ou moins formel. Les auteurs invitent simplement les lecteurs « à [se]
mettre à la place du manager en difficulté dans cette histoire » (p. 13).
La première préconisation des auteurs pour résoudre un dilemme éthique se fait en 3 ques-
tions : « Est-ce légal ? » (p. 24), « Cette décision est-elle équilibrée ? » (p. 26) et, « Serai-je fier de
cette décision ? » (p. 28). Blanchard et Peale affirment ensuite, à travers leurs personnages, que
l’éthique se fonde sur 5 piliers, qui ont l’heureuse coïncidence de commencer par la même
lettre (comme souvent en sciences de gestion…) :
− La finalité : « votre but, votre dessein dans la vie, votre intention, ce vers quoi tendent vos
efforts de façon permanente » (p. 48).
− La fierté : « la satisfaction que vous tirez de vos réalisations et de celles des gens qui
comptent pour vous, comme votre famille ou vos collègues » (p. 51).
− La foi (et la patience) : « on a la foi quand on croit en quelque chose et que l’on fonde ses
actions, et même sa vie entière, sur cette croyance » (ibid., p. 61).
− La fermeté : « la persévérance, le fait de respecter ses résolutions » (p. 67).
− La faculté de distanciation : « Prendre du recul, c’est être capable de voir ce qui est réelle-
ment important dans une situation donnée » (p. 73).

La position sous-jacente à l’ensemble de l’ouvrage est celle d’un business case qui se
déploie du début (« Nous estimons qu’un solide code moral est le premier élément de la
réussite de toute entreprise. Nous pensons que les managers qui agissent selon des principes
moraux sont les managers qui gagnent » affirment-ils dans l’introduction), à la conclusion :

RIPCO64.indd 70 10/07/2020 15:22


[2] L’ETHIQUE DES AFFAIRES 71

« Je commençais à voir des progrès lents mais sûrs dans le comportement des gens : ils
commençaient à se sentir plus à l’aise et la force morale dans le management donnait des
résultats positifs » (p. 135).
Si l’ouvrage n’est pas du tout académique, il reste néanmoins important pour la struc-
turation du champ émergent de l’éthique des affaires, car (1) c’est un des premiers livres
sur le sujet, (2) il est légitimé par son origine étasunienne (où la discipline est structu-
rée et reconnue depuis longtemps) et (3) ses auteurs sont relativement connus. En effet,
Blanchard a publié en 1982 un One-minute manager, écrit avec Johnson (Blanchard &
Johnson, 1982), qui a eu beaucoup de succès lors de sa traduction française en 1987. Ses
travaux sur le leadership situationnel sont également connus dans le champ académique.
Éthique et management est porteur d’une logique proche de celle du One-manager minute
: un ouvrage grand public, destiné aux managers, légitimé par ses auteurs (des consultants
étasuniens avec une formation académique) mais accessible et sans véritable référence à la
littérature. Dans le cas de l’éthique des affaires, son co-auteur n’a pas le même profil. Peale
était un pasteur connu pour ses thèses sur Le pouvoir de la pensée positive (Peale, 1952),
sans doctorat mais dont le profil légitime sa réflexion sur les questions éthiques. Sans faire
de procès d’intention, on pourra s’amuser du fait que la toute dernière phrase de cet ou-
vrage consacré à l’éthique puisse être interprétée comme une forme d’autopromotion : « La
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
société Blanchard Training and Development Inc. organise des séminaires et des consulta-
tions détaillées en matière d’éthique professionnelle, de management et de compétence de
direction » (Blanchard & Peale, 1988, p. 143). Cela semble parfaitement cohérent avec leur
approche business case de la business ethics.

2.1.3. Avril 1989 : Un premier colloque sur « Éthique, économie et entreprise » au Sénat
Le 20 avril 1989, le Palais du Luxembourg accueille un symposium international organisé par
l’Institut de la communication sociale (ICOS), intitulé « Éthique, économie et entreprise ». Sa
notice de présentation affirme que « l’éthique des affaires devient la clef stratégique de la sur-
vie et de la performance des firmes engagées dans la concurrence mondiale ». Michel le Net,
alors directeur de recherche à l’École Nationale des Points et Chaussées et futur fondateur et
président du Cercle d’Éthique des Affaires en fait l’introduction.
Les interventions sont ensuite regroupées en deux sessions thématiques :
− La dimension morale de l’économie, où sont présentés les sujets suivants : « Les pratiques
internes et internationales en matière d’épargne et de crédit », « La préoccupation éthique
modifie-t-elle le jeu de la rationalité des affaires ? », « L’éthique et les placements finan-
ciers », « L’éthique industrielle au Japon », « Pratiques stratégiques » et « Éthique de l’éco-
nomie et de l’entreprise » – suivies d’une conférence-débat sur « L’éthique d’une grande
entreprise : le cas de la société nationale Elf Aquitaine » ;
− Pour des pratiques déontologiques en économie, où sont présentés les sujets « La bourse et
la vie », « Déontologie de la dette », « Propositions pour une éthique des affaires en Europe »
et « Pratiques de gestion – Morale et efficacité : Conflits ? Compromis ? Convergence ? Le
point de vue d’un chef d’entreprise ».

La journée est clôturée par Rocard, Premier ministre du gouvernement de l’époque, ac-
compagné de son ministre du travail, Soisson.

RIPCO64.indd 71 10/07/2020 15:22


72 [2] L’ETHIQUE DES AFFAIRES

On peut constater une certaine diversité dans les profils des intervenants de ce sympo-
sium :
− Des membres de la fonction publique, comme René Lenoir (ancien ministre et directeur
de l’ENA) ou Lacoste (amiral) ;
− Des professeurs, comme Dunfee (Wharton School), Pierre de Calan (European Business
School), Henk J.L. van Luijk (Netherlands School of Business et président du European
Business Ethics Network) ;
− Des praticiens, comme Louis Deschamps (consultant), Nobutaka Takashima (cadre diri-
geant), Courtaigne (chef d’entreprise), Michel Pecqueur (dirigeant d’Elf Aquitaine)7,
Corm (consultant) et François Guiraud (président de l’Institut de l’Entreprise).

Le Net, l’un des initiateurs de ce mouvement, que nous avons pu interroger, organise en
1989 au Palais du Luxembourg, à Paris, le premier symposium international « éthique, éco-
nomie et entreprise » qui réunit parmi les plus grands experts au monde sur le sujet. Question
principale posée : l’éthique des affaires induit-elle des pratiques concrètes dans la gouver-
nance de l’entreprise ? La réponse affirmative qui suit les délibérations le conduit à créer cette
même année le « Cercle d’éthique des affaires » (cf. notice biographique plus bas).
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
2.1.4. Juin 1989 : La Revue Française de Gestion publie un dossier spécial sur « Éthique et pratique
de la gestion »
Dans son numéro 74 de Juin-Juillet-Août 1989, la RFG consacre un dossier de quatre articles
au sujet « Éthique et pratique de la gestion ». Dans son éditorial, de Rochebrune explique que
le projet est né durant l’hiver 1987-1988 : « Il y a dix-huit mois, en effet, il n’était sans doute
pas nécessaire d’être devin pour sentir se profiler à l’horizon une montée du souci éthique,
mais les signes annonciateurs de la vague étaient ténus. Les principaux, comme souvent en
matière de gestion, nous venaient d’outre-Atlantique » (de Rochebrune, 1989, p. 1). Il cite
alors la financiarisation des marchés, les OPA agressives, les golden boys « trop vite célébrés
comme les nouveaux héros positifs de l’Amérique », l’émergence de codes éthiques dans les
multinationales et le succès des ethical investments.
Plusieurs initiatives françaises avaient également inspiré le projet de dossier : le congrès
annuel du Centre des jeunes dirigeants consacré au sujet « Éthique et mutations » en 1988,
un débat organisé par les anciens de l’ESC Lyon sur « Management de l’éthique et éthique
du management » en mai 1989 et, surtout, « le mois précédent, on avait sans doute assisté au
point d’orgue de cette période d’introduction du souci éthique en France avec la tenue, au Pa-
lais du Luxembourg, en présence de ministres, anciens ministres et de nombreuses personna-
lités de tous horizons et de tous pas, dirigeants d’entreprise en tête, du symposium ‘Éthique,
économie et entreprise’ qui a fait la une des médias » (p. 2). Le résultat est un regroupement
de quatre articles écrits par Padioleau (professeur à l’ESSEC), Michel Pecqueur (ancien pré-
sident d’Elf Aquitaine de 1983 à 1989), Jean Pasquero (professeur à l’Université du Québec
à Montréal) et de Jacques Orsoni (professeur à l’IAE de Nantes).
Padioleau ouvre donc ce dossier spécial en posant la question suivante : « L’éthique est-elle
un outil de gestion ? » Très ancré dans la littérature académique anglo-saxonne, Padioleau

7
Pour cette intervention, voir la synthèse dans la section suivante sur le dossier spécial de la Revue Française
de Gestion.

RIPCO64.indd 72 10/07/2020 15:22


[2] L’ETHIQUE DES AFFAIRES 73

(1989, pp. 82-83) constate d’abord « la vogue de la morale des affaires » aux États-Unis où
« les universitaires tentent d’institutionnaliser en discipline la morale des affaires ». Repro-
chant à ces derniers une approche trop abstraite et moraliste, il propose une autre voie : « nous
entendrons par morale des affaires les règles définissant les rapports perçus comme efficaces
et légitimes entre les partenaires immédiats ou éloignés d’une interaction marchande ou ges-
tionnaire [et] dans ce cadre de pensée, l’éthique des affaires correspond à un phénomène de
structuration par l’intermédiaire duquel les agents économiques engagés dans des situations
marchandes ou gestionnaires concrétisent, ‘construisent’, tant bien que mal, des rapports ré-
ciproques perçus comme efficaces et légitimes » (p. 86). Par ce qu’il nomme cette « définition
positive », Padioleau insiste sur l’importance de la nature problématique de la morale des
affaires, la pluralité des parties prenantes, les jeux de pouvoir et les aspects collectifs dans
lesquels se déploie l’éthique dans les entreprises. Ces différentes dimensions lui permettent
d’affirmer l’importance pour les acteurs de se doter d’un « regard éthique » qui les amènera
à enrichir leur conception de ce qu’est une entreprise (contre les modèles purement écono-
mique ou actionnarial), ce qu’est le marketing ou encore comment se prend une décision.
L’ensemble du texte est d’un style clairement académique, régulièrement adossé à des articles
ou des ouvrages de recherche universitaires – la plupart du temps étasuniens.
Le témoignage de Pecqueur sur « L’éthique au quotidien » est issu de sa présentation au sym-
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
posium de l’ICOS au Palais du Luxembourg plus tôt dans la même année8. S’il considère que
« l’opposition traditionnelle entre éthique et entreprise est aujourd’hui dépassée » (sic), il n’en
considère pas moins que « l’entreprise, véritable colonne vertébrale de l’économie, est avant tout
un creuset de création de richesses, tout le reste en découle » (Pecqueur, 1989, p. 92). Dans son
texte, il considère trois niveaux d’exercice de la responsabilité du chef d’entreprise. Le premier,
celui de l’action économique, soulève le problème de la diversité des parties prenantes (qu’il
ne nomme pas ainsi, parlant plutôt d’« interlocuteurs appartenant à des milieux multiples ») et
de « Comment concilier des points de vue souvent contradictoires ? » – question à laquelle il ne
répondra pas clairement, mais indiquera que « notre éthique se lit derrière la démarche qui nous
est propre » (pp. 92-93). Il s’intéresse dans un second temps à « la responsabilité humaine et so-
ciale » d’un management qui doit maintenant placer « l’homme au centre des préoccupations de
l’entreprise » – sans oublier pour autant « le souci de l’efficacité » et à « veiller également à la co-
hérence de l’image de l’entreprise », précise-t-il en passant (pp. 93-94). Enfin, troisième niveau
de responsabilité du dirigeant, « les rapports avec l’environnement de l’entreprise » qui incluent
la vie de la cité, les risques industriels, le système éducatif ou encore la pollution et l’humani-
taire. Ceci étant dit, il conclut son propos en rappelant que « l’entreprise ne doit pas s’écarter
de ses principes fondamentaux : sans profit, pas de survie (…) La responsabilité centrale de ses
dirigeants est de réconcilier à tout moment l’économique et le social » (p. 96). Restant sur le
registre du témoignage, cet article n’a pas de bibliographie. Il ne renvoie pas à la littérature aca-
démique, mais fait plutôt référence à Elf Aquitaine, régulièrement présenté comme modèle plus
que comme exemple, et à l’expérience de Michel Pecqueur comme dirigeant.
Le troisième texte du dossier spécial est écrit par Pasquero : « Fusion et acquisition :
principes d’analyse éthique ». Dès l’introduction, il explique utiliser le mot d’éthique « par
8
Les lecteurs plus âgés, et ceux n’ayant pas la mémoire courte, s’amuseront de voir apparaître le nom d’un
ancien dirigeant d’Elf Aquitaine, entreprise dont on connaît aujourd’hui le caractère plus que discutable en
matière de décisions et de culture organisationnelle. Si Michel Pecqueur n’a pas été condamné (il est décédé
en 1995, avant les procès), les enquêtes ont démontré sa participation à des pratiques plus que douteuses.

RIPCO64.indd 73 10/07/2020 15:22


74 [2] L’ETHIQUE DES AFFAIRES

commodité comme équivalent des mots ‘déontologique’, ‘moral’ ou autres termes employés
par les auteurs de langue française » (Pasquero, 1989, p. 97). Cette précision (ou plutôt ex-
plication d’approximation) faite, il commence par rappeler que « le souci pour les considé-
rations d’éthique n’a rien de superflu [et que] l’analyse éthique constitue un véritable outil
de gestion » (p. 98) – il offre ainsi une forme de business case pour l’éthique des affaires dans
les fusions-acquisitions. Il propose ensuite un cadre général d’analyse dans lequel il utilise
l’éthique comme critère d’acceptabilité d’une action donnée, ce qui l’amène à « l’envisager
plutôt comme un processus de questionnement permanent » reposant sur trois principes :
« utilité, respect des droits, justice » (p. 100). Ce cadre lui permet de proposer une typologie
des problèmes d’éthique qui croise les quatre phases des fusions, acquisitions et offres pu-
bliques d’achat (préparation, négociation, intégration et gestion) avec trois niveaux d’opé-
ration (individus, entreprise, société) qui va intégrer de multiples problématiques : délits
d’initiés, conflits d’intérêts, profits excessifs, effets sur les communautés locales, dégrada-
tion morale ou encore pouvoirs politiques et lobbyings. Pour y faire face, Pasquero offre
quatre outils : « une analyse systématique (des) impacts (des décisions) sur les intervenants
concernés directement ou indirectement », « les guides que constituent la loi et les tribu-
naux », la création « d’une culture d’entreprise favorable au respect des normes éthiques »
et la tentative de « modifier les jugements éthiques (que des intervenants extérieurs portent
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
à son égard) en défendant son point de vue sur la place publique » (p. 107). Contrairement
à l’article précédent, le format et le style du texte sont clairement académiques, adossés
à un ensemble de travaux de recherche universitaire conséquent – presque intégralement
anglo-saxons.
Orsoni, de son côté, s’intéresse à « L’enseignant de gestion face à la morale d’entreprise ». Là
encore, éthique et morale sont deux concepts peu distingués : « Le terme d’éthique est généra-
lement tenu dans ce domaine comme synonyme de morale, c’est-à-dire comme science ou art
de diriger sa conduite » (Orsoni, 1989, p. 109). Il décrit cet attrait pour la morale d’entreprise
comme reposant sur deux piliers : « la recherche d’une morale dans les affaires ‘donne de l’âme’ »
(entre une amélioration de l’image en externe et un outil de gestion en interne) et « les pratiques
morales [qui constituent] une cause directe et nécessaire de l’augmentation des profits » (en
tournant les acteurs vers le long terme et en s’attaquant aux passagers clandestins) (p. 109). Le
style d’écriture oscille entre la revue de littérature et l’adhésion aux arguments, donnant lieu à
des phrases relativement ambiguës sur la position de l’auteur : « la morale devient un outil desti-
né, comme d’autres, à accroitre l’efficacité de l’action des responsables engagés dans la conduite
de la firme » (p. 112). Les choses se clarifient dans la transition vers la seconde partie consacrée
au cœur du propos qu’est l’enseignement : « Le professeur de gestion peut-il accepter sans ré-
serve une telle conception de la morale métamorphosée en utilité économique ? » (pp. 112-113).
Opposant d’abord les éthiques de responsabilité et de conviction chez Weber, il trouve une issue
dans le compromis : « au fond, la morale des affaires évolue entre ces deux termes extrêmes, car,
de toute évidence, il n’y a pas d’éthique de la responsabilité qui ne reste comme imprégnée par
une conviction exprimée ou latente » (p. 114). Il finit alors par prôner (avec Aristote) les qualités
de la prudence comme vertu. Si le style du texte est académique, ses fondations philosophiques
sont relativement éparses (Kant, Weber ou encore Aristote sont couverts en quelques phrases) et
les références à des travaux de recherche universitaire sont limitées (une douzaine, en majorité
anglo-saxonnes). L’ensemble du texte semble fortement influencé par la lecture de Blanchard &
Peale (1988) décrit plus haut.

RIPCO64.indd 74 10/07/2020 15:22


[2] L’ETHIQUE DES AFFAIRES 75

Pour conclure sur ce dossier spécial, la diversité des styles et des approches des différents
textes fait surtout écho à l’intention éditoriale initiale : « Le phénomène est donc avéré, et la
mode de l’éthique ne sera peut-être pas éphémère. Faut-il s’en féliciter ? On peut d’un côté
rester prudent devant un discours qui, pour sympathique qu’il soit, vise de facto autant à
masquer qu’à corriger une situation dangereuse : si on parle tant d’éthique, nous l’avons vu,
c’est parce que cette dimension est depuis quelques années tombée en désuétude au royaume
des affaires. On peut aussi craindre que la promotion de l’éthique au rang d’outil de gestion
[…] ne serve le plus souvent une visée utilitariste qui, en fin de compte, par un retournement
pervers, aggrave une situation qu’elle est censée tempérer » (de Rochebrune, 1989, pp. 2-3).
L’édition d’un dossier spécial dans une des revues académiques de référence des sciences de
gestion naissantes matérialise et institutionnalise l’éthique des affaires comme (sous-)disci-
pline légitime. On notera au passage que l’expression n’est pas encore parfaitement stabilisée
(certains auteurs parlent de « morale des affaires » ou d’une « éthique de l’entreprise »), même
si elle s’impose progressivement (notamment parce qu’elle traduit littéralement l’expression
anglaise de business ethics).

2.1.5. Novembre 1989 : Jean Moussé examine les « Fondements d’une éthique professionnelle »
Pour Moussé, le choc pétrolier et les premières critiques du modèle de croissance écono-
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
mique appellent « une transformation d’ordre éthique dans les pratiques de l’économie et
de la politique » (Moussé, 1989a, p. 14). Pour analyser cette transformation, il proposera en
1989 deux ouvrages : « Les fondements d’une éthique professionnelle » (Moussé, 1989a) et
« Pratiques d’une éthique professionnelle » (Moussé, 1989b) – tous deux parus simultanément
aux Éditions d’Organisation en novembre. Comme il le formule dans l’introduction du premier
tome : « depuis une décennie, les responsables de l’économie s’éveillent de façon neuve à ces
questions de tous les temps. Avant de se demander comment, il est intéressant de se demander
pourquoi » (Moussé, 1989a, p. 13).
Le premier tome est composé de deux parties traitant des « Conditions générales de
l’éthique » et de « L’individu dans les institutions ». L’ouvrage n’est pas un essai, bien que les
positions et valeurs de l’auteur apparaissent clairement et de manière régulière, ni un ouvrage
académique qui ferait une revue de la littérature sur le sujet. S’il peut être qualifié d’universi-
taire (par le niveau et la profondeur de son analyse), il n’est pas non plus un manuel – même
s’il permettrait aisément à un professeur de construire un cours très complet sur le sujet. Sa
forme pourrait être finalement plutôt rapprochée d’une critique, au sens philosophique, qui
cherche à analyser les origines de la question éthique, à mobiliser les idées et auteurs permet-
tant d’en décortiquer le concept central, tout en s’attachant à construire un cadre cohérent et
capable de saisir les subtilités de la pratique. Ainsi, chaque chapitre s’ouvre sur un « cas », en
général issu de la littérature académique et universitaire (Crozier et sa célèbre manufacture
de tabac, Kergoat (1973) à propos d’une grève, l’ouvrage d’Antoine Barrière (1983) sur son
expérience de contremaître, ou encore Falise (1985) pour l’analyse d’un licenciement collec-
tif) laissant place à des interrogations et problèmes sans que la ‘morale de l’histoire’ ne soit
évidente – ce qui le distingue radicalement des fables d’Etchegoyen que nous décrirons plus
loin. En effet, chaque cas se termine sur des questions hétérogènes et ouvertes, une démarche
pleinement assumée par Moussé qui précise, après le premier des cas : « Les questions qui
suivent ce cas, comme celles qui suivront les autres cas, n’attendent pas d’autres réponses

RIPCO64.indd 75 10/07/2020 15:22


76 [2] L’ETHIQUE DES AFFAIRES

que celles du lecteur. Leur but est de faire préciser l’enjeu du débat et l’axe de la réflexion
personnelle » (p. 14). Quelques exemples synthétisant l’étendue des problématiques couvertes
par l’ouvrage :
− « Quelles sont les parts de l’affectivité et de la rationalité dans les réponses à l’enquête chez
Bulledor » (p. 34)
− « Pourquoi le chef d’équipe se tait-il face au chef de service ? À quelles conditions pour-
rait-il s’exprimer librement ? » (p. 56)
− « Qu’auriez-vous fait à la place du directeur ? » (p. 80)
− « Pensez-vous que le droit de grève doit être réglementé de manière plus précise ?
Pourquoi ? Comment ? Avec quels avantages et quels inconvénients ? » (p. 103)
− « Pensez-vous que le gouvernement a eu raison de se mêler de cette affaire ? » (p. 129)
− « Par quel moyen le chef d’entreprise se montre-t-il attentif à chacun des membres de son
personnel ? Risque-t-il d’y avoir des injustices ? Dans quelle mesure le chef d’entreprise en
est-il responsable ? » (p. 142)

On peut déceler, derrière la richesse et la rigueur de cet ouvrage, le passé religieux et


académique de Jean Moussé. En effet, il a été l’aumônier national du Mouvement des cadres
ingénieurs et dirigeants chrétiens, avant de devenir professeur d’éthique des affaires à l’Institut
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
catholique de Lille. Cette trajectoire l’a probablement doté d’un solide bagage philosophique,
d’une réflexion riche sur la question des valeurs, d’un sens de la rigueur intellectuelle et d’une
démarche pédagogique – qualités qu’il faut bien reconnaître à cet ouvrage, d’autant plus qu’il
est le premier paru en France sur le sujet. De manière très structurée, procédant par examen
précis de chaque élément de son cadre conceptuel, Jean Moussé mobilise tour à tour les
théories de Kohlberg sur les stades du développement moral, les analyses d’Adam Smith et
de Karl Marx sur les marchés économiques, celles de Weber et Girard sur la communauté et
la société, ou encore les considérations de John Rawls et de Nozik sur la justice et le rôle de
l’État.
Après avoir posé les bases de la formation de la conscience morale dans le premier cha-
pitre (à l’aide des travaux de Kohlberg), Jean Moussé expose dans le second ce qui s’avère-
ra être le cœur éthique de sa matrice conceptuelle : la reconnaissance mutuelle. « Quelles
que soient ses convictions d’ordre éthique, chacun ne se construit lui-même que dans ses
relations au monde et aux autres et c’est à travers la manière dont il vit ces relations que
s’inscrivent la reconnaissance ou la méconnaissance, dont nous venons de postuler l’impor-
tance » (p. 35) – ce faisant, il anticipe les contributions à venir d’Emmanuel Levinas et de
Jacques Derrida à la business ethics (Bruna & Bazin, 2018). Jean Moussé examine ensuite,
dans le troisième chapitre, les multiples façons dont les jeux de pouvoir vont permettre et
contraindre l’éthique dans le contexte professionnel. Mobilisant tour à tour philosophes et
sociologues (dont Mintzberg et Crozier), il propose une analyse fine des dynamiques de
pouvoir en reconsidérant le rôle de la puissance, de la force, de la direction et de l’autorité,
débouchant alors sur des questions encore largement d’actualité : « Comment échapper aux
manipulations d’un chef charismatique ? Comment s’intégrer humainement à la discipline ?
Comme exclure les slogans de l’irresponsabilité ? […] À aucune de ces questions, il n’existe
de réponse codée à l’avance, même s’il existe des routines auxquelles il est toujours tentant
de se conformer. Mais elles doivent être mises en question. L’éthique ne saurait s’en accom-
moder. Elle appelle une perpétuelle invention » (p. 73).

RIPCO64.indd 76 10/07/2020 15:22


[3] 1991-1992 : DES EXPERTS ‘GRAND PUBLIC’ S’INQUIETENT 77

Dans la seconde partie de l’ouvrage, après avoir examiné l’opposition entre éthiques de
conviction et de responsabilité chez Weber dans le chapitre 4, Moussé consacre le 5e chapitre
à la difficile question de la justice et le 6e aux lois. Ce faisant, il cherche à ancrer l’éthique
professionnelle sur des fondations ambitieuses qui dépassent largement les organisations dans
lesquelles les acteurs travaillent. Il va même jusqu’à étendre son analyse dans le 7e et dernier
chapitre à « la main invisible ».
En élargissant autant son cadre conceptuel (du développement moral de l’individu aux
jeux des contraintes rencontrés dans les organisations, les marchés et les sociétés), Moussé
se dote d’une impressionnante capacité à saisir les enjeux de la discipline encore balbutiante
qu’est l’éthique des affaires. Par sa culture philosophique, sa rigueur académique et une claire
proximité avec les enjeux des praticiens, il couvre et articule un grand nombre de problé-
matiques. Relire la conclusion de son ouvrage 30 ans plus tard prouve sa pertinence et son
actualité : « Aujourd’hui, des responsables de l’activité économique de plus en plus nombreux
prennent conscience qu’au-delà de l’économie et de la politique elle-même, surgit la question
de l’éthique. Il n’est pas question, pour autant, d’imposer des codes moralisateurs à une socié-
té en désarroi qui a de la peine à s’orienter. Les choses sont trop compliquées pour cela. Mais
la transformation des esprits n’en est que plus urgente. Elle s’identifie à la transformation
des manières de voir le monde, d’apprécier la réalité, de se fixer des objectifs et de gérer les
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
rapports individuels et collectifs au cœur desquels les hommes collaborent ou se combattent »
(pp. 174-175).
Ayant posé un cadre conceptuel solide dans le premier tome, Jean Moussé examine dans
le second des questions plus pratiques et spécifiques au monde des entreprises et des affaires :
les responsabilités financières (du délit d’initié à la spéculation en passant par les marchés
monétaires), le commerce d’armes, la concurrence, la publicité, la communication ou encore
l’environnement (Moussé, 1989b). On retrouve dans les deux ouvrages les mêmes qualités de
précision conceptuelle, de richesse des références (philosophiques comme académiques) et de
clarté de l’écriture.

3. 1991-1992 : DES EXPERTS ‘GRAND PUBLIC’ S’INQUIETENT


DES « DERIVES » ET « VALSES » DE L’ETHIQUE DANS LES
ENTREPRISES
Si certains auteurs médiatiques s’étaient déjà alarmés de certaines dérives du capitalisme
(mondialisation, financiarisation, spéculation, etc.) dans les années 19809, il faut attendre 1991
pour voir apparaître deux ouvrages ‘grand public’ sur la question de l’éthique des affaires, d’abord
celui de Gélinier « Éthique des affaires – Halte à la dérive ! » puis celui d’Alain Etchegoyen sur
« La valse des éthiques » – suivis de près par Faber en 1992 avec « Main basse sur la Cité ». Nous
employons l’expression ‘grand public’ sans aucun jugement, mais simplement parce que les maisons
d’édition, la visibilité des auteurs et leur style d’écriture assurent à ces ouvrages une diffusion plus
large que les travaux académiques cités avant.
9
On pensera par exemple au livre d’Alain Minc sur « L’argent fou » paru en janvier 1990 dans lequel il affirme
que « si notre capitalisme ne se dote pas très vite de règles, s’il s’avère incapable de contrebalancer par une
éthique la religion de l’argent, la France pourrait bien finir par ressembler davantage à une société du tiers
monde qu’à un pays réellement développé » – et de proposer une solution : « la vertu, encore la vertu, toujours
la vertu » (Minc, 1990).

RIPCO64.indd 77 10/07/2020 15:22


78 [3] 1991-1992 : DES EXPERTS ‘GRAND PUBLIC’ S’INQUIETENT

Notice biographique : Octave Gélinier (1916 – 2004) est l’une des figures historiques
du management français. Ingénieur de formation (il était ingénieur civil des Mines
de Paris) mais aussi diplômé en sciences économiques et en droit, il est surnommé le
« Drucker à la française » (l’expression est très fréquente, et elle est ainsi reprise par
exemple dans l’hommage que lui consacra Drancourt suite à son décès) pour ses tra-
vaux à la croisée entre pratiques opérationnelles et travaux universitaires.

Très introduit au sein du patronat français, il participe au conseil de direction de nom-


breuses entreprises françaises et internationales et prend à partir de 1958, et pour près de 40
ans, la direction de la Cegos (dont il restera le Président d’honneur, jusqu’à son décès). A ce
titre, il participe largement au développement de cette institution, aujourd’hui internationa-
lement reconnue dans les domaines du conseil en entreprise et de la formation continue en
management.
Très proche par ailleurs des milieux universitaires de l’époque, Gélinier contribue à la
structuration de la discipline des sciences de gestion, plus particulièrement en stratégie, ma-
nagement et éthique des affaires. Très ouvert à l’international, Gélinier s’inspire notamment
des pratiques des entreprises japonaises et anglo-saxonnes pour développer une pensée libé-
rale. Sa réflexion concourt notamment au développement d’une réflexion pragmatique de
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
l’éthique des affaires et à la mise en place en place d’outils éthiques tels que les chartes
éthiques ou déontologiques dans les entreprises françaises.
Nombre de ses ouvrages font aujourd’hui référence dans le champ de la gestion. Nous
pouvons notamment mentionner Le secret des structures compétitives : management ou bu-
reaucratie (1966) qui présente les différentes « physiologies » des structures d’entreprises en
France et qui promeut celle du « Management moderne » considéré source de compétitivité
ou Direction Participative Par Objectifs (1968), ouvrage dans lequel il s’attache à montrer l’im-
portance d’impliquer les collaborateurs dans les activités de l’entreprise.
Il contribue par ailleurs, au développement du champ académique des sciences de gestion à travers
le lancement de la Revue Française de Gestion dont il est membre du comité de rédaction.

3.1. Gélinier lance l’alerte : « Halte à la dérive ! »


Le premier ouvrage francophone utilisant l’expression « Éthique des affaires » comme titre et
de manière systématique parait en 1991 aux Éditions du Seuil. Il est écrit par Octave Gélinier,
un économiste et directeur de l’institut de formation Cegos, qui lui adjoint pour sous-titre
« Halte à la dérive ! ». L’auteur présente dès l’introduction les motifs de son livre :
− L’impératif logique de l’éthique, car « il n’y a pas de progrès pour l’économie et pour les
hommes sans le haut niveau d’éthique qui va au-delà des exigences légales pour obtenir la
confiance ».
− La nécessité de répondre aux scandales du monde des affaires « qui émeut l’opinion par
leur ampleur et par leur cynisme : scandales financiers (Société générale, Péchiney, etc.) et
scandales de corruption » (Gélinier, 1991, pp. 9-10).

Pour Gélinier, l’éthique des affaires serait une manière d’assainir l’ensemble du système
dont il déplore les évolutions, ou plutôt les écarts. « Cette éthique des affaires et de l’entreprise
est actuellement menacée par une dangereuse dérive. L’ambition de ce livre est de contribuer

RIPCO64.indd 78 10/07/2020 15:22


[3] 1991-1992 : DES EXPERTS ‘GRAND PUBLIC’ S’INQUIETENT 79

à arrêter cette dérive » (p. 11). Critiquant l’éthique minimaliste, voire l’absence de valeurs,
du monde des affaires, il met en avant la nécessité d’une éthique forte pour l’économie et le
commerce. Le ton employé est celui d’un business case de l’éthique pour « inspirer confiance »
par « le respect de la parole donnée » et des « grandes règles du jeu » (p. 13). D’ailleurs, pour
lui, « les vrais hommes d’entreprise » sauront reconnaître, et savent en fait déjà, que l’éthique
est une nécessité. Il ouvre ainsi son ouvrage sur une synthèse de 25 témoignages de dirigeants
d’entreprise – qui sont ouvertement la cible principale. On retrouve ici une approche qu’il
développe depuis le début de sa carrière. En effet, dans les années 1960 déjà, Gélinier avait
consacré un ouvrage à La morale de l’entreprise et destin de la nation (Gélinier, 1965) dans
lequel il affirmait : « Détenteur du pouvoir de décision économique [le dirigeant d’entreprise]
est responsable de la valeur économique et sociale de ses décisions, de leur conformité à l’in-
térêt général, de leur acception comme telle par l’opinion publique […] Pour être efficace,
cette action doit être collective. Une action collective implique une doctrine et une morale,
rattachant explicitement ses prescriptions aux exigences de l’intérêt général et du bien com-
mun » (pp. 386-387).
Pour expliquer et justifier l’émergence et la nécessité de se consacrer à une éthique des
affaires en France, Gélinier (et bien d’autres à sa suite) insiste sur les scandales, problèmes et
dérives des années 1980. Il mentionne ainsi pêle-mêle les scandales (financiers et politiques,
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
ainsi que les risques industriels et de sécurité), les inégalités (la pauvreté des « laissés-pour-
compte du développement », mais aussi les « profits indus (et) choquants », la pollution (« de
l’environnement… et de la planète ») et la mondialisation (« concurrence mondiale », « inter-
nationalisation des marchés »). Et d’en conclure : « C’est pourquoi, depuis 1985, on voit se
multiplier les colloques, ouvrages, cours, débats sur l’éthique des affaires : ce bouillonnement
d’initiatives reflète clairement une situation de crise » (p. 17). Ce faisant, il insiste particuliè-
rement sur 3 points : la montée de l’individualisme, l’excessive déréglementation et la corrup-
tion de l’État.
Le ton de l’ouvrage est teinté de moralisme et d’une approche fortement normative par-
faitement assumée. Si Octave Gélinier critique le monde des affaires, c’est pour ses dérives et
non sa nature fondamentale. Il en parle de l’intérieur : « À ce débat très actuel, sur un thème
aux dimensions innombrables, le présent ouvrage se propose d’apporter une contribution mo-
deste mais distinctive, en se plaçant délibérément du point de vue des responsables d’entre-
prise » (p. 17). C’est donc plus un essai pour le monde des affaires qu’un ouvrage de réflexion
académique sur l’éthique des affaires – il n’y a d’ailleurs pas de références à des articles et
études scientifiques sur le sujet. C’est assumé dès l’introduction, et se traduit à la fois dans le
style d’écriture, la structure de l’ouvrage et les références. Les définitions précises de l’éthique
sont nombreuses et varient au fil du texte, allant du Petit Larousse aux documents du Euro-
pean Business Ethics Network. Le panorama philosophique et historique relève d’ailleurs plus
de l’exposé cultivé que du cadre conceptuel rigoureux. Gélinier mentionne ainsi les travaux
de Kant, des utilitaristes, de Rawls, de Smith, de Bergson et de Weber – sans réellement les
mettre en perspective ou les articuler – tout en proposant un panorama historique du capi-
talisme et du libéralisme allant du Moyen-Âge aux années 1990 (panorama qu’il faisait déjà
de manière très similaire dans les chapitres 6, 7, 8 et 9 de son ouvrage de 1965). À travers
l’exposé, l’auteur manifeste régulièrement des positions très tranchées.
La conception qu’a Gélinier de l’éthique, si elle n’est pas véritablement académique et
rigoureuse dans son expression, n’en est pas pour autant simpliste. Les variations des réfé-

RIPCO64.indd 79 10/07/2020 15:22


80 [3] 1991-1992 : DES EXPERTS ‘GRAND PUBLIC’ S’INQUIETENT

rences et des remarques autour du thème dessinent tout au long de l’ouvrage, une conception
subtile de l’éthique comme questionnement continu, comme confrontation sincère face aux
contradictions, comme nécessité de se méfier des arbitrages et approches décidés à l’avance
et à répliquer partout. Il conjugue cette conception avec des positions philosophico-politiques
fortes et souvent affichées dans l’ouvrage : confiance dans le monde des affaires français (et
européen dans une certaine mesure), scepticisme quant à une extension du rôle de l’État10,
inquiétude face aux dérives du système liées la financiarisation et l’internationalisation des
entreprises, et foi dans le rôle que l’éthique des affaires pourrait jouer pour l’ « assainir » et le
« désintoxiquer ».
Dans le chapitre 4, Gélinier expose formellement les postulats de sa conception de l’éthique
des affaires :
− Les entreprises non éthiques et le capitalisme non éthique n’ont pas d’avenir.
− L’éthique des affaires est une moralité fondée sur l’argent.
− Le véritable progrès éthique consiste en des actions éthiques et non des mots.
− L’éthique est inutile sans un système de sanction.
− La transparence est l’arme éthique de notre ère.

Partant d’une critique des dérives du monde des affaires, l’approche de Gélinier vise donc
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
à convaincre ses lecteurs de l’intérêt de l’éthique des affaires pour le monde des affaires lui-
même. En effet, il s’agit de « développer l’éthique personnelle et reconnue des dirigeants » (p.
163), d’ « organiser la responsabilité éthique dans l’entreprise » (p. 171), ou encore d’ « assainir
l’éthique du milieu » (p. 195). Dans la même veine, il le formulera sous forme de slogans aux
Cahiers de l’Institut de l’Entreprise à l’occasion de la sortie de son ouvrage : comme il n’y
a « Pas de bonne gestion sans éthique », il faut « Conjuguer éthique et stratégie » (Gélinier,
1991b).

3.1.2. Etchegoyen déplore « la valse des éthiques »


Notice biographique : Alain Etchegoyen, participe à la fondation d’une pensée euro-
péenne de l’éthique des affaires avec, cependant, une posture assez éloignée de la vision
pragmatique proposée par Gélinier. Pour lui, le développement d’un courant de pensée
d’éthique des affaires en Europe et en France plus particulièrement ne doit pas être
comprise comme une « bonne chose », à savoir une prise de conscience ou un sursaut
moral de la part des collectifs de travail, mais comme le symptôme d’un problème
sociétal : celui de la nécessité de réguler les comportements de l’entreprise. Agrégé de
philosophie, il appuie ses idées sur des principes issus de la philosophie morale, disci-
pline qu’il enseigne notamment en classe préparatoire aux grandes écoles de commerce
au lycée Louis-le-Grand à Paris. Proche par ailleurs du milieu des affaires, il participe
au développement d’un cabinet d’études en sciences sociales qu’il fonde et qui vise
à conseiller des entreprises telles que Danone, Vuitton, à travers la mise en place d’
« expériences d’ethnologie ».

10
Scepticisme qu’on retrouvait déjà en 1965 dans son opinion à demi-cachée du communisme : « Un diri-
geant d’entreprise au comportement cynique fait plus pour miner l’économie concurrentielle que cent pro-
pagandistes marxistes » (Gélinier, 1965, p. 386).

RIPCO64.indd 80 10/07/2020 15:22


[3] 1991-1992 : DES EXPERTS ‘GRAND PUBLIC’ S’INQUIETENT 81

La même année, le philosophe et consultant Etchegoyen publie « La valse des éthiques ».


Il s’y inquiète très ouvertement d’une dérive qui pour lui dépasse largement les frontières
du monde des affaires : « Nous sommes aujourd’hui démoralisés. Ce qui signifie, ici et main-
tenant, que nous n’avons plus de morale. Les repères ont disparu, les devoirs s’effacent et
nous héritons du vide » (Etchegoyen, 1991, p. 13). Face à cette disparition de la morale, qu’il
déplore sans forcément clairement l’expliciter ou même précisément la définir, il indique que
l’individu « ne sait plus où donner de la conscience. Le voilà pris dans une valse des éthiques
au rythme dissonant de partitions hétérogènes » (p. 15). Après avoir examiné dans les deux
premiers chapitres les phénomènes de « démoralisation » et de « mode des éthiques », il se
concentre ensuite sur « trois lieux : l’entreprise, la communication et la recherche biomédi-
cale » (p. 93).
Le ton est clairement celui de l’essai présentant une réflexion argumentée adossée à des ré-
férences philosophiques (qu’il n’explore ouvertement pas en détail), souvent connues du grand
public (Serres, Comte-Sponville et Minc reviennent ainsi régulièrement). Mais les exemples
d’entreprises abondent (en grande partie issus de l’expérience de consultant d’Etchegoyen) et
la structure du livre cherche clairement à le rendre aussi accessible que possible. Par exemple,
chaque chapitre s’ouvre sur une « fable », des fictions de quelques pages qui servent à intro-
duire et illustrer le propos à venir : « Le bon commerçant et la petite fille » (p. 67), « Le mana-
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
ger qui jouait avec les valeurs » (p. 95), « L’homme qui ne voulait pas faire un scoop » (p. 159),
ou encore « Le chercheur sceptique, le spermatozoïde apathique et l’embryon de qualité » (p.
195) – pour chaque fable, la morale de l’histoire est plus qu’évidente. On est bien loin des cas
présentés par Moussé.
Le cœur de l’argumentation (et de l’inquiétude) d’Etchegoyen est le déplacement d’une
morale unique, contraignante et partagée (d’inspiration ouvertement kantienne) à ce qu’il
appelle la valse des éthiques. « Aujourd’hui, la société civile est envahie par les (x)-éthiques.
Ainsi parle-t-on, sans même sourire, de bioéthique, de business-éthique ou de markéthique.
La laideur des mots est souvent un présage (…) Les mots évoquent la série et une sorte
de taylorisme de la réflexion morale » (p. 75). Il voit, derrière l’extrême croissance des
références et du vocabulaire de la morale et des valeurs, un symptôme d’une dégradation
généralisée.
Kant revient souvent, plus ou moins explicitement, comme référence pour distinguer la
morale de l’éthique : « la morale est un impératif catégorique ; l’éthique est un impératif hypo-
thétique » (p. 78). Etchegoyen s’oppose à l’idée que l’éthique serait une morale appliquée, et la
voit plutôt comme « un compromis entre la morale et l’intérêt » (p. 80). Pour lui, l’éthique – ou
plutôt les éthiques – n’est pas une solution mais un symptôme – « le symptôme d’un manque »
dit-il à un moment (p. 86) –, voire parfois le problème en lui-même. En cela, il s’oppose ou-
vertement à Gélinier, qui fait d’ailleurs partie de la bibliographie et se méfie à de nombreuses
reprises de cette idée que « ethics pays » (pp. 15, 81, 84, 100, 115, 124).
Dans la perspective d’Etchegoyen, l’éthique est avant tout, à cette époque, affaire de com-
munication et de gestion de l’image – « des initiatives qui relèvent moins de préoccupations
authentiques que de communication corporate » (p. 82). Comme il le dit clairement : « l’essence
des éthiques est peut-être leur publicité » (p. 83), voire même « relève d’une illusion » (p. 88).
Le résultat est, selon lui, que l’éthique telle qu’elle se présente est toujours versatile et
multiple – ce qu’il considère comme problématique. Contrairement à la morale, « on peut
toujours échapper à une éthique professionnelle au nom d’autres arguments éthiques » (ibid.,

RIPCO64.indd 81 10/07/2020 15:22


82 [3] 1991-1992 : DES EXPERTS ‘GRAND PUBLIC’ S’INQUIETENT

p. 87). La morale, elle, « produit un effet sur la conscience individuelle (…) Elle tient tête au
monde » (ibid., p. 91). Alors que pour les éthiques, « l’opportunisme en est la règle » (p. 92).
Le chapitre sur l’entreprise s’ouvre sur une fable qui raconte le revirement de la culture
managériale initié par « Frind », le nouveau PDG de la société imaginaire Hard-Top. Alain
Etchegoyen fait dire à son personnage, qui a convoqué les différents directeurs pour un sé-
minaire du comité stratégique : « Nous gagnerons derrière une bannière que vous ignorez :
l’éthique de l’entreprise, une éthique forte, puissante, partagée par tous et totalement mise au
service de nos objectifs (…) Nous gouvernerons désormais Hard-Top avec une valeur forte : la
hardiesse, cette valeur de tous les instants » (p. 100). Le PDG fictif est épaulé d’un consultant
« en éthique et en charisme » qui explique aux équipes que « le management par les valeurs
succédait à toutes les recettes déjà connues (…) Et, vous verrez, l’éthique finit toujours par
payer » ibid., (p. 100). Comme dans toute fable, la caricature n’est pas loin et la morale peu
déguisée : l’éthique dans les entreprises est en fait une technique de management, voire un
mode de contrôle.
Pour Alain Etchegoyen, l’entreprise est le lieu par excellence de la valse des éthiques. Il
déplore donc que « en France, la littérature managériale restait assez pauvre sur le thème »
avant de s’enrichir en quelques mois – une remarque sans référence dont on peut imaginer
qu’elle renvoie sûrement aux ouvrages de Moussé en 1988 ou au numéro spécial de la Revue
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
Française de Gestion de 1989. Pour dater le passage de la morale aux éthiques, dont on sait ce
qu’il pense, il évoque la transition entre « l’ère giscardienne » et « l’ère socialiste », « l’une aurait
été vraiment morale, l’autre débouche sur les éthiques » (p. 111). C’est pour lui pendant cette
période faite de privatisations et de mise en avant des patrons que les entreprises passent dans
une forme d’excès, tout en s’institutionnalisant. Dès lors, « devenues modèles d’organisation,
de mobilisation et de gestion, il leur restait à devenir un parangon de vertu » (p. 115).
Sur la question de l’éthique de l’entreprise, Etchegoyen propose une analyse conceptuelle
relativement fine, montrant en quoi « la culture d’entreprise » et même « l’âme de l’entreprise »
(p. 118) ne sont pas de simples outils de management dont le contenu peut être décrété par
les dirigeants – il fait peut-être référence à l’ouvrage de Peale & Blanchard traduit en 1988
mais sans le mentionner clairement. Il met ainsi en tension la quête de sens et les valeurs
émergentes partagées par les acteurs d’une entreprise et les velléités de management par les
valeurs des chefs d’entreprise. De plus, il voit dans la référence à l’éthique, en ce début des
années 1990, une énième mode venue des États-Unis.
Dans son cadre, l’éthique de l’entreprise tend à être le produit d’une stratégie de commu-
nication et l’éthique des affaires serait plutôt ce qui « régit les rapports avec l’extérieur ou le
marché » (p. 119) et « concerne davantage les relations avec l’extérieur » (p. 143). En appro-
chant l’éthique d’entreprise comme un phénomène plutôt que comme un concept, il offre une
critique fine des dérives et problèmes qu’il constate. Ainsi, il anticipe les analyses que pro-
poseront les CMS anglo-américaines (Willmott, 1993 par exemple) qui n’auraient pas renié
des phrases comme : « L’éthique est un nouvel opium du peuple », ou encore « elle confisque
l’identité des comportements au travail et les soumet à l’arbitraire des dirigeants » (p. 124).
Pour Etchegoyen, l’éthique dans l’entreprise est avant tout une mode managériale visant à
mieux contrôler, voire manipuler, les employés. Cela est en totale opposition avec sa vision de
la morale qui privilégiait le questionnement, le doute, la liberté et le choix. « L’éthique d’en-
treprise est donc bien souvent obstacle à toute moralité » (p. 134). Il laisse cependant par mo-
ment des ouvertures : « Si l’éthique consistait avant tout à mieux connaître les comportements

RIPCO64.indd 82 10/07/2020 15:22


[3] 1991-1992 : DES EXPERTS ‘GRAND PUBLIC’ S’INQUIETENT 83

des femmes et des hommes qui ont fait et dont l’entreprise dans son histoire et ses produits,
elle serait inattaquable » (p. 137). Cela pourrait le rapprocher des analyses de Moussé (1988a ;
1988b), ou même de Gélinier (1991), mais les formules lapidaires reviennent rapidement :
« En fait, il n’existe pas de management par les valeurs : il n’est qu’un management par les
hommes et pour les hommes. Tout le reste est fantasme, recette et manipulation » (p. 139).
Pour Etchegoyen, l’éthique n’est donc pas la solution aux dérives. Ce qu’il faut, c’est une
re-moralisation. « La morale peut et doit se substituer au goût des éthiques multiples » (p.
143). Mais comme la morale tend à échapper aux discours et autres règles formelles, dans sa
vision, la prescription est difficile et le ton de l’essai se fait plus hésitant. Il consacre quelques
pages à Michelin (où « l’absence de discours éthique » serait un bon signe) puis cherche à trou-
ver des indicateurs « de bon augure » (pp. 144-150) comme la proportion de salariés en situa-
tion de handicap, l’aide à la réinsertion des chômeurs ou à l’intégration travailleurs immigrés.

3.1.3. L’année suivante, Faber dénonce une « main basse sur la Cité »
En 1992, Faber, un ancien consultant en stratégie alors haut dirigeant d’une banque d’af-
faires, publie chez Hachette « Main basse sur la Cité – Éthique et entreprise ». Il y développe
une analyse critique très proche de celle d’Alain Etchegoyen. Selon lui, « le capitalisme a
remporté une victoire de politique intérieure dans les pays industrialisés » (Faber, 1992, p.
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
15) qui permet à ses acteurs centraux, les managers et dirigeants d’entreprises, de devenir
prescripteurs en matière de moralité. Cette vision l’amène à affirmer que « l’éthique est confis-
quée par l’entreprise » (p. 13) ; celle-ci devient alors universelle et immortelle. Dans la veine
d’Etchegoyen, il voit donc la multiplication des références à l’éthique des affaires comme un
symptôme et critique lui aussi Octave Gélinier qui serait, selon lui, naïf dans son plaidoyer en
faveur de l’éthique : « l’éthique est une maladie insidieuse qui gagne l’ensemble de l’organi-
sation » (p. 17). Le ton se fait parfois aussi acerbe que celui d’Etchegoyen quand il dénonce :
« l’éthique de l’entreprise performante n’est rien d’autre que la loi gravitationnelle d’un trou
noir dans l’espace social dont la matière même ; agrégation des consciences individuelles, est
absorbée pour y être annulée par le vide technicien et le non-sens implacable de la perfor-
mance qui le sert » (p. 22).
L’originalité de l’approche de Faber, par rapport à celle d’Etchegoyen, est qu’il pose la
question de la possibilité même de cette emprise de l’entreprise sur l’éthique. En effet, il
consacre les chapitres 3 et 4 à deux questions dans ce sens : « L’usurpateur est-il crédible ? »
(p. 113) et « La conspiration peut-elle réussir » (p. 151). Or, comme il le développe dans la
seconde partie de son ouvrage, cette idée est vouée à l’échec : « La confiscation du sens ne
peut réussir, et l’entreprise ne fera pas main basse sur la Cité impunément » (p. 188). Pour
autant, il accepte la possibilité d’une approche descriptive qui se bornerait à « constater qu’une
morale (par opposition à la morale) n’est ni plus ni moins qu’un référent de l’action, qu’il soit
explicite ou pas » (p. 18). Mais il n’en reste pas moins que, pour lui, « l’entreprise morale est
immorale » (p. 22).
Si la thèse et le ton de Faber (1992) sont sensiblement proches de ceux d’Etchegoyen
(1991), la structure de l’ouvrage et le mode d’argumentation sont assez différents. En effet, ce-
lui-ci présente sa thèse de manière plus structurée et cherche à construire une démonstration
plus rigoureuse – et donc moins provocatrice que son prédécesseur. L’écriture est d’un niveau
stylistique et académique similaire à la « Valse des éthiques » – les deux étant tout de même

RIPCO64.indd 83 10/07/2020 15:22


84 [3] 1991-1992 : DES EXPERTS ‘GRAND PUBLIC’ S’INQUIETENT

moins accessibles que l’ouvrage de Gélinier. Faber cite dans l’ensemble peu d’études acadé-
miques sur l’éthique des affaires, se référant plus volontiers à quelques philosophes classiques
(Aristote, Hegel, Habermas, Kant, Levinas), d’autres plus contemporains (Comte-Sponville,
Ellul) et un certain nombre d’essais de l’époque (Attali, Minc, Finkielkraut). Mais surtout, il
se réfère explicitement au corpus émergent mais dorénavant constitué de l’éthique des affaires
‘à la française’ : Gélinier, Etchegoyen, Moussé ou encore Blanchard.

3.2. La structuration d’un champ académique dans les années 1990

3.2.1. Une association académique en trame de fond : le European Business Ethics Network
Notice historique : L’EBEN (European Business Ethics Network) est le réseau aca-
démique européen des chercheurs en éthique des affaires. Constitué de plus d’une
quarantaine de réseaux nationaux et locaux, l’EBEN, réunit des groupes de travail
académiques et organise annuellement une conférence visant à promouvoir une pen-
sée européenne de l’éthique des affaires – en résonnance avec la Business Ethics amé-
ricaine. La diversité des membres du EBEN et la taille du réseau induisent, bien
évidemment, une diversité des points de vue, mais cette diversité est perçue comme
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
source de richesse et surtout comme un garde-fou contre le développement d’une
pensée dogmatique.

Sous l’impulsion du professeur Henk van Luijk, et avec le soutien de l’EMFD, le European
Business Ethics Network (EBEN) voit le jour en 1988. L’objectif de l’association, résumé en
1992 par un de ses fondateurs, le norvégien Lillebo, est ambitieux : il s’agit de « cultiver les
ressources du milieu des affaires et du milieu académique pour bâtir une Europe meilleure »
(1992, p. 48). La création de l’EBEN constitue l’un des maillons centraux de la naissance
d’une éthique des affaires « à l’européenne ». Les conférences de l’EBEN permettent notam-
ment aux chercheurs intéressés par ces problématiques de se retrouver, d’échanger et de ren-
contrer leurs collègues venus d’autres continents. Ils le feront à Bruxelles en 1987, Barcelone
en 1989, Milan en 1990, Paris en 1992 ou encore Oslo en 1993. De son côté, van Luijk (1997)
insiste sur l’importance de la newsletter de l’EBEN qui permet de suivre les initiatives et avan-
cées dans les différents pays du réseau. De ces initiatives résulte, en 1992, la préparation d’un
« manuel d’études de cas » visant à « promouvoir l’enseignement de l’éthique des affaires sur
la base d’un cadre Européen » (Lillebo, 1992, p. 49).
Au-delà de l’EBEN, l’expansion d’une pensée européenne prend aussi corps au sein de
la Community of European Management Schools (CMES) (fondée en 1988) avec la création en
1998 de l’Inter-faculty Group in Business Ethics. Celui-ci vise, selon son organisateur, Laszlo
Zsolnai de la Budapest University of Economic Sciences, à développer une approche euro-
péenne de l’éthique des affaires profondément ancrée dans la culture continentale. L’année
suivante, il coordonne un ouvrage collectif intitulé The Europen Difference – Business ethics in
the Community of European Management Schools. Dans chaque chapitre, les auteurs partagent
des perspectives et états des lieux de leur pays respectif, l’ouvrage couvrant ainsi le Danemark,
la Suède, les Pays-Bas, la France, l’Espagne, la Suisse, la République Tchèque et la Hongrie.
En introduction, il indique que « ce livre peut servir comme guide de mouvement européen
d’éthique des affaires » (Zsolnai, 1998, p. vii).

RIPCO64.indd 84 10/07/2020 15:22


[3] 1991-1992 : DES EXPERTS ‘GRAND PUBLIC’ S’INQUIETENT 85

Nous reviendrons dans la seconde partie sur la manière dont l’émergence de l’éthique des
affaires en France s’articule avec le contexte européen.

3.2.2. En 1995, Fred Seidel coordonne un premier ouvrage pédagogique


Notice biographique : Fred Seidel est professeur à l’EM Lyon. Il participe dans les
années 1990 à la création d’une chaire d’éthique au sein de son institution l’EM Lyon
(à l’époque l’ESC Lyon) financée notamment par la ville de Lyon et la Lyonnaise des
eaux. Il devient membre de l’EDEN, association à laquelle il participe activement en
tant que membre puis administrateur. De nationalité allemande, il observe l’arrivée puis
le développement de la pensée éthique à la fois en France et en Allemagne, ce qui lui
permet de comparer les contextes mais aussi de porter un regard sur le développement
d’une éthique des affaires « européenne » qu’il distingue de la Business Ethics américaine.
Conscient de la portée pédagogique de l’éthique des affaires, il enseigne la discipline
au sein de son institution et co-dirige un ouvrage écrit avec plusieurs de ses collègues
intitulé « Guide pratique et théorique de l’éthique des affaires et de l’entreprise ».

En 1995, Seidel, professeur à ce qui s’appelait à l’époque l’ESC Lyon (actuelle EM Lyon),
coordonne un « Guide pratique et théorique de l’éthique des affaires et de l’entreprise » auquel
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
participent des collègues rattachés à la Chaire d’Éthique des Affaires créée par l’institution
en 1991. C’est un ouvrage à vocation pédagogique décrit comme un manuel. Partant du
constat d’une « crise morale des pays riches » (Seidel, 1995, p. 8) suite aux différents scan-
dales et mises en accusation de grands dirigeants d’entreprises et d’une « pauvreté du débat
français » (p. 9) en matière d’éthique, les auteurs proposent avec cet ouvrage de réaliser « une
action éducative ». Leur cible assumée va des étudiants en formation initiale aux dirigeants
en exercice et cherche à « présenter un bon équilibre entre dimension théorique et dimension
pratique » (p. 10).
L’ouvrage est divisé en trois parties : le cadre conceptuel, les enjeux fonctionnels pour les en-
treprises et la question de l’internationalisation. Dans la première partie intitulée « Fondements
philosophiques et économiques de l’Éthique des Affaires », Fred Seidel propose une synthèse du
« Débat contemporain » (p. 23), Laurent examine les liens entre « Économie et morale » (p. 45)
et Gomez s’intéresse au « Collaborateur trop efficace » (p. 61). Une fois ce cadre posé, la deu-
xième partie est consacrée à « La mise en œuvre en entreprise » avec les contributions de Fred
Seidel, à nouveau, pour la stratégie (« Une nouvelle dimension de la politique d’entreprise », p.
79), Poirson pour la GRH, Gilles Marion et Robert Revat pour le marketing, Gilles Marion
pour la publicité et Belletante et Gomez pour la finance. Enfin, la troisième partie se concentre
sur « Un nouveau défi : Éthique et internationalisation des affaires » avec Péron sur « l’exemple
américain » (p. 177), Yoneyama sur le Japon et Seidel sur l’Europe.
Bien que plusieurs ouvrages pédagogiques existent déjà aux États-Unis ou en Allemagne
à cette époque, les auteurs considèrent que l’enseignement de l’éthique des affaires est « dif-
ficile à transplanter dans d’autres contextes », et considèrent notamment que « la conception
des libertés et responsabilités de l’individu » et de « l’approche utilitariste et contractualiste »
américaine reste très éloignée de la culture et des traditions françaises du monde des affaires
(p. 19). La question de la diffusion, de la réplication et de l’adaptation des cadres conceptuels
et des pratiques en matière d’éthique des affaires traverse l’ensemble de l’ouvrage.

RIPCO64.indd 85 10/07/2020 15:22


86 [3] 1991-1992 : DES EXPERTS ‘GRAND PUBLIC’ S’INQUIETENT

Dans l’ensemble, l’ouvrage se donne trois objectifs : « Informer » ou proposer un cadre


d’analyse permettant de mieux comprendre le domaine de l’éthique des affaires ; « Sensi-
biliser » en mettant en évidence les enjeux éthiques relatifs à l’activité de l’entreprise et en
proposant un panorama des enjeux éthiques des grandes fonctions de l’entreprise (Ressources
Humaines, Marketing, Finance…) et « Proposer » aux lecteurs des outils et des démarches
permettant de résoudre les conflits d’ordre éthique, notamment dans le contexte d’internatio-
nalisation des activités des années 1990. Ces trois objectifs esquissent en filigrane une volonté
de la part de ces chercheurs de trouver un équilibre entre rigueur conceptuelle, souplesse
dans la mise en pratique et perspective critique sur l’entreprise et le monde des affaires. Cet
ouvrage pose en ce sens le premier jalon d’une définition et d’une pédagogie de l’éthique des
affaires « à la française ».
En effet, le contenu de l’ouvrage permet ainsi à un professeur ou une équipe pédagogique
de monter un cours ou un ensemble de cours. Il propose un panorama de perspectives et
d’approches, mais reste « positionné » dans le sens où il offre un cadre qui n’est pas générique.
L’introduction et le premier chapitre proposent ainsi une articulation entre plusieurs réfé-
rences classiques (le développement moral de Kohlberg, l’éthique de la vertu chez Aristote,
l’utilitarisme de Mill, la déontologie kantienne et la morale communicationnelle d’Habermas)
mais ne prétendent pas à l’exhaustivité d’un manuel, et prennent même position sur ces écoles
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
ainsi que sur certains concepts (la distinction entre morale et éthique par exemple).
L’ouvrage est ouvertement porté par Seidel qui en est à la fois le coordinateur et le prin-
cipal contributeur (il rédige l’introduction et trois chapitres, dont celui de conclusion). Il est
un des principaux acteurs de l’émergence et de la tentative d’institutionnalisation de l’éthique
des affaires comme discipline – il fait donc partie des personnes avec qui nous avons conduit
un entretien pour enrichir la seconde partie de cet article.

3.2.3. De 1995 à 1999, courte existence de la revue académique « Éthique des affaires »
Notice biographique : Ancien élève de l’ENSET, Yvon Pesqueux est Professeur
titulaire de la chaire « Développement des systèmes d’organisation » du Conservatoire
national des arts et métiers (Paris). Professeur à HEC dans les années 1990, il dirige
pendant plusieurs années le groupe « Community of European Management Schools »
ce qui l’amène à s’intéresser de plus près aux questions d’éthiques d’entreprise et à
devenir membre de l’EBEN. Il décline par ailleurs un volet pédagogique de l’éthique
des affaires avec l’ouverture d’un cours électif dédié au sujet au sein de son insti-
tution. Fort de l’intérêt porté à l’éthique en entreprise par les étudiants mais aussi
certains praticiens et académiques, il crée en 1995 la revue « Éthique des affaires »
dont il devient l’éditeur en chef et co-écrit en 2002, avec Biefnot, un ouvrage intitulé
« L’éthique des affaires ».

La sphère académique se saisit de son côté du sujet de l’éthique des affaires notamment
via la création d’une revue académique et professionnelle : « Éthique des affaires ». Elle est
fondée en janvier 1995 sous la direction de Pesqueux, alors professeur à HEC. Cette revue a
« pour objectif de publier des articles de réflexion et de recherche dans le champ de l’éthique
des affaires » explique son rédacteur en chef dans l’éditorial du premier numéro (Pesqueux,
1995). Plus encore, la revue visait à connecter et fédérer les acteurs de l’éthique des affaires en

RIPCO64.indd 86 10/07/2020 15:22


[3] 1991-1992 : DES EXPERTS ‘GRAND PUBLIC’ S’INQUIETENT 87

relayant également des informations sur l’actualité de la discipline, des colloques de recherche
aux ouvrages plus « grand public ». Elle accueille des partages de pratiques et de difficultés,
relaie des expériences pédagogiques et des méthodes.
Il s’agit, avec cette revue, de constituer la communauté de l’ « éthique des affaires » tout au-
tant avec des idées et des concepts qu’avec des manières de les mettre en pratique, et l’examen
critique de leurs limites. Les articles, également publiés en anglais, ont aussi pour vocation
de construire des ponts avec le European Business Ethics Network (EBEN). Pesqueux, dans le
premier éditorial, distingue d’ailleurs (sans les définir clairement dans le texte) l’éthique des
affaires « à la française » et la « Business Ethics ». Les rubriques illustrent bien la diversité des
acteurs ciblés :
− « Éthique et entreprise » sur l’éthique des affaires en elle-même,
− « Libres opinions » et « Commentaires » avec des essais et points de vue,
− des « faits bruts » sans commentaires (extraits de codes d’éthique, des décisions de « phi-
losophie, éthique et management » pour des considérations plus philosophiques, les liens
entre éthique des affaires et droit, les approches philosophiques tribunaux, etc.).

Pour Pesqueux (1995), « c’est donc le pari de la diversité des approches qui a été retenu
ici ». Si la diversité sera entretenue pendant les 4 années d’existence de la revue, celle-ci verra
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
progressivement se tarir les contributions (nous reviendrons sur ce point plus en détail dans
la seconde partie de l’article).

3.2.4. En 2002, Pesqueux et Biefnot publient le premier manuel universitaire


En 2002, c’est au tour de Pesqueux et Biefnot de publier aux Éditions d’Organisation un
ouvrage pédagogique intitulé « L’éthique des affaires » et sous-titré « Management par les
valeurs et responsabilité sociale ». La quatrième de couverture le positionne explicitement
comme un manuel universitaire : « – Un livre de synthèse sur les éléments fondateurs du
management par les valeurs et de la responsabilité sociale de l’entreprise. – Un livre péda-
gogique sur les filiations et relations réciproques ente ces thèmes et celui du développement
durable. – Un livre pratique sur les instrumentations concrètes en entreprise ». En six cha-
pitres et un peu moins de 250 pages, dans un format classique des manuels universitaires, les
auteurs examinent l’émergence de la discipline « éthique des affaires », ses liens avec la morale
et la déontologie, les codes d’éthique et le management par les valeurs, la RSE comme pro-
longement de l’éthique et les labels du développement durable.
Le premier chapitre est consacré aux facteurs de l’émergence d’une nouvelle discipline des
sciences de gestion. Les auteurs en identifient cinq principaux :
− Le choc de la mondialisation (en tension avec la culture et l’américanisation du monde des
affaires européen).
− L’extension du libre-échange (« L’éthique des affaires, corollaire de l’avènement de l’éco-
nomie libérale » écrivent-ils page 5).
− La réapparition de la rente financière dans les années 1980 qui entraine la modification des
critères habituels des placements.
− La complémentarité entre régimes de retraite par répartition et par capitalisation.
− L’impact des technologies de l’information et de la communication « au service du marché
parfait ».

RIPCO64.indd 87 10/07/2020 15:22


88 [4] REGARDS RETROSPECTIFS ET ANALYSE

L’ensemble de ces facteurs conduit selon les auteurs « à la mise en exergue d’une nou-
velle représentation de la société et de l’acteur privilégié du marché, l’entreprise, sous
une dimension totalement renouvelée aujourd’hui (et l’on peut effectivement parler, à
ce titre, d’évolution du capitalisme) et mènent à poser la question du sens de l’activité
de l’entreprise » (Pesqueux & Biefnot, 2002, p. 19). Pour les auteurs, l’émergence de
l’éthique des affaires comme discipline s’explique par l’arrivée de différents scandales
dans ce contexte nouveau : « L’éthique des affaires apparaît après le Watergate comme
discipline du management à part entière (à parité avec le marketing, la finance…) dans
les programmes des MBA. Elle est le lieu de réflexion sur les conséquences éthiques des
actes de gestion des entreprises (l’entreprise y est vue comme ‘actant’) et il s’agit de se
poser la question des conséquences éthiques de ces actes de gestion dans et en dehors de
l’entreprise » (p. 20).
Pour eux, la discipline arrive en Europe dans les années 1980, via l’Angleterre, mais
comme thème de discussion plutôt que comme discipline à proprement parler. « L’explication
en est d’ordre ‘culturel’, en particulier du fait de la forte tradition philosophique en Europe
continentale qui conduit d’ailleurs, en France par exemple, à l’obligation, pour les élèves
de terminale, d’avoir suivi un cours de philosophie. » (p. 21). L’arrivée en France du terme
« éthique des affaires » s’expliquerait par un effet de traduction, un mimétisme académique et
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
culturel, mais aussi plus généralement par une « évidence éthique » qui s’impose. L’ensemble
se manifeste par : des codes d’éthique en interne dans les entreprises et la nomination de
responsables en matière d’éthique, l’idée d’entreprise citoyenne et de RSE, le développement
d’une approche par les parties prenantes. Pour eux, « l’éthique des affaires repose sur un for-
malisme croissant de l’éthique de l’entreprise sur la base de documents dont le ‘code éthique’
est l’exemple privilégié » (p. 23).
Derrière une même expression, ils opposent une approche américaine (à tendance consé-
quentialiste et pratique) et une approche européenne plus axiologique, critique et philoso-
phique. L’éthique des affaires va ainsi rapidement être intégrée comme un outil de management
« par les valeurs », qui « permet aux dirigeants de construire un sentiment d’appartenance »
(p. 29) et devenir un pilier de la culture organisationnelle et du contrat psychologique.

4. REGARDS RETROSPECTIFS ET ANALYSE


L’étude chronologique des ouvrages, évènements et organisations fondateurs d’une sous-dis-
cipline des sciences de gestion appelée « éthique des affaires » met en évidence une volonté
forte de la part des acteurs français, mais aussi européens, de développer une pensée propre
de l’éthique dans l’entreprise, se distanciant de facto de la Business Ethics étasunienne.
Afin de mieux comprendre cette démarche, de compléter notre généalogie de l’éthique des
affaires mais aussi et surtout de rendre la parole aux acteurs qui y ont contribué, nous avons
conduit des entretiens avec certains des acteurs clés de l’émergence de l’éthique des affaires
comme thématique de gestion et comme discipline académique.
Certains étant malheureusement décédés (Etchegoyen, de Gélinier, Moussé), des zones
d’ombres subsisteront – comme toujours. Ceci étant dit, les regards rétrospectifs d’Yvon Pes-
queux du CNAM (anciennement HEC) et de Fred Seidel de l’EM Lyon, ainsi que ceux de
le Net et Lamoureux du Cercle d’éthique des affaires (respectivement ancien et nouveau prési-
dents) permettent d’apporter des regards rétrospectifs riches sur cette période.

RIPCO64.indd 88 10/07/2020 15:22


[4] REGARDS RETROSPECTIFS ET ANALYSE 89

Tableau 1. Récapitulatif des interviews réalisés

Interview 1 Yvon Pesqueux Professeur au Conservatoire national des arts et métiers

Interview 2 Fred Seidel Professeur à l’EM Lyon

Interview 3 Michel Le Net Fondateur et ancien président du Cercle d’éthique des affaires

Interview 4 Dominique Lamoureux Actuel président du Cercle d’éthique des affaires

Les questions principales de ces entretiens portaient sur les contextes et conditions d’émer-
gence de l’éthique des affaires en France, mais d’autres thèmes convergents ont émergé spon-
tanément, comme ses spécificités françaises et continentales ou encore les raisons du décalage
temporel avec les États-Unis (où l’on trouve des articles académiques sur le sujet avant même
la Première Guerre mondiale).

Notice historique : Le Cercle d’éthique des affaires a été créé en 1993 par Le Net
rejoint par Octave Gélinier (alors considéré comme le plus grand expert européen
en management). En 1993, il devient une organisation pluridisciplinaire et s’impose
comme un think tank qui réunit praticiens (directeurs de l’éthique, déontologues et
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
directeurs de la conformité (compliance) mais aussi chercheurs et experts autour des
problématiques d’éthiques des entreprises françaises, notamment en matière de mana-
gement et de gouvernance. À travers l’élaboration de groupes de travail mais aussi de
publications et de manifestations, le Cercle d’éthique des affaires vise à promouvoir
l’action éthique dans l’entreprise, considérée aujourd’hui comme incontournable, pour
assoir la pérennité du business de l’entreprise. Il représente aujourd’hui l’une des plus
importantes structures européennes promotrices de l’éthique professionnelle. Une
majorité des entreprises du CAC 40 y sont adhérentes.

Un autre sujet s’est également imposé, que nous discutons dans la conclusion de l’article :
la disparition (relative) du thème de l’éthique des affaires au profit de celui de la Responsabi-
lité Sociale/Sociétale des Entreprises (RSE). Sur la base des entretiens, mais aussi d’articles
académiques et d’une étude bibliographique, nous tenterons d’expliquer pourquoi une dis-
cipline aussi vivace et nécessaire peut péricliter au profit d’une autre. Nous proposons ici de
présenter le point de vue de nos interlocuteurs sur ces différents sujets et de compléter ces
propos avec des références à la littérature, afin de brosser un tableau le plus exhaustif possible
de la généalogie de l’éthique des affaires.

4.1. Pourquoi un tel décalage temporel entre les États-Unis et l’Europe ?


Les personnes rencontrées constatent toutes le décalage chronologique important entre le
développement de la pensée nord-américaine en « Business ethics » et celle de l’« Éthique des
affaires » de l’autre côté de l’Atlantique. Pesqueux, ces problématiques ont, en effet, assez peu
passionné les académiques européens avant les années 1990. Il a ainsi pu témoigner person-
nellement de l’étonnement des chercheurs américains face au peu d’intérêt porté sur le sujet
par les chercheurs français et allemands : « J’ai été contacté par plusieurs collègues américains
qui m’ont demandé ‘Mais pourquoi n’y a-t-il rien en France et plus globalement en Europe

RIPCO64.indd 89 10/07/2020 15:22


90 [4] REGARDS RETROSPECTIFS ET ANALYSE

Continentale ?’ ». Notons que Vogel faisait le même constat dans un article en 1992, mais en
précisant que « si l’intérêt pour ce sujet était largement confiné aux États-Unis pendant les
années 1970, il se répandit ensuite à un certain nombre d’autres nations capitalistes dans les
années 1980 (Vogel, 1992, p. 34). Cette chronologie est par ailleurs confirmée par Henk van
Luijk qui considère que l’éthique des affaires n’a acquis qu’un relatif momentum en Europe à
partir du milieu des années 1980, dans le milieu académique comme dans celui des affaires
(van Luijk, 1997). Le Net, fait le même constat dans le milieu des affaires : « L’éthique des
affaires est restée en France, pendant longtemps, un terme relevant du marketing ou de la
cosmétique. On pouvait résumer cela à une plaquette avec de petites fleurs et une déclara-
tion du président ». Il est intéressant de voir que, côté étasunien, Peter Drucker lui-même
doutait de l’honnêteté de la démarche, voyant dans l’éthique des affaires une tendance du
moment : l’« ethical chic » (Drucker, 1981). Fred Seidel indique, de son côté, avoir observé
une tendance similaire en Allemagne, avec un développement de l’éthique des affaires dans les
mêmes années qu’en France (avec quelques années d’avance cependant). La discipline ne se
développe donc que très tardivement au sein de l’Europe continentale. Pour lui, le poids des
syndicats et autres contre-pouvoirs en Europe a, en effet, permis de canaliser la moralisation
du monde des affaires sans passer par une formalisation de l’éthique des affaires telle que
celle mise en œuvre aux États-Unis : « En Europe, le désir de moraliser existait aussi mais il
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
s’est institutionnalisé et a été canalisé par l’action des syndicats, etc. Pendant très longtemps
l’éthique est passée chez nous par l’action de l’État et par l’existence de contre-pouvoir par
rapport à l’entreprise. Et ça, ça faisait complètement défaut aux États-Unis. Le capitalisme
était déchaîné. Il y a très peu de contrepoids. D’où la nécessité d’en appeler à la moralité des
patrons ».
Ces propos se retrouvent à nouveau chez Vogel (1992), qui voit également dans l’ensemble
des différences institutionnelles, sociales, légales et culturelles entre les États-Unis et l’Europe
une explication de décalage temporel. Ciulla (1991, p. 68) en fait même le fondement d’une
certaine suspicion : « les étrangers voyaient le sujet comme une forme typiquement américaine
d’arrogance morale – les USA avaient protégé le monde au nom de la démocratie et main-
tenant ils partaient en mission pour le sauver des pratiques d’entreprises peu scrupuleuses ».
Mais comme elle le dit juste après : « aujourd’hui, les choses sont différentes ».

4.2. L’émergence d’une éthique des affaires « continentale »


Malgré ces différences culturelles fondamentales, l’internationalisation des entreprises euro-
péennes à partir des années 1980-1990 les contraint à s’ouvrir aux pratiques anglo-saxonnes
en matière d’éthique des affaires. Ces deux décennies sont celles de la mondialisation progres-
sive des échanges et de l’ouverture des entreprises européennes aux marchés et investisseurs
internationaux. Il en résulte une « vague d’éthique venant des États-Unis » qui se concrétise,
selon Lamoureux et Le Net, par le développement de chartes déontologiques et de discours
éthiques au sein des filiales européennes des multinationales souvent étasuniennes, mais aussi
des grands groupes français en voie de multinationalisation et à la recherche de légitimité à
l’international. On retrouve ces pratiques et préoccupations en écho dans la pensée managé-
riale et ses publications que nous avons présentées dans la première partie.
Comme l’explique Pesqueux : « C’est l’époque où les chartes éthiques des multinationales
qui ont des entités en France débarquent en Europe. Et bien sûr les grands groupes fran-

RIPCO64.indd 90 10/07/2020 15:22


[4] REGARDS RETROSPECTIFS ET ANALYSE 91

çais en voie de multinationalisation se doivent d’avoir une charte éthique ». Toutes les entre-
prises n’adoptent cependant pas un comportement moutonnier et certains grands groupes
« se posent des questions ». Face à cette arrivée massive de la business ethics en Europe, les ac-
teurs européens s’organisent pour proposer une approche différente de l’éthique des affaires.
Pour Le Net, le développement du Cercle d’éthique des affaires peut, à ce titre, être compris
comme une volonté des Français de « résister à la vague américaine », considérée comme trop
normative et utilitariste.
Ainsi, comme le formule l’Américain Enderle (1998, p. 33), « les Européens en Amérique
du Nord et les Nord-Américains en Europe Continentale font l’expérience de choses
nouvelles, comme des sensibilités différentes en matière de questions éthiques, des pro-
blèmes linguistiques, des manières bien distinctes de réfléchir et des sujets étranges et
inattendus ».

Il y aurait donc des spécificités continentales en matière d’éthique des affaires. On retrouve
cette tension dans autre article de Enderle publié en 1996 dans la revue Business Ethics :

Tableau 2. Dissemblance entre l’Amérique du Nord et l’Europe Continentale en éthique des


affaires, Adapté de Enderle (1996, p. 37)
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
Amérique du Nord Europe Continentale

Une seule langue Multiples langues


Sémantique Aisé de parler de l’éthique des Résistance à parler de l’éthique des
affaires affaires

Niveau MICRO, meso MACRO, micro

Portée Moins internationale Plus internationale

Liberté des acteurs Contrainte des acteurs


Paramètre de choix
(choix sous la contrainte) (choix des contraintes)

Arguments pour l’éthique Arguments des scandales et des Argument de l’économisme


des affaires « bonnes affaires »

Accent pratique Fort Faible

Paradigme Orientation clairement normative Liens avec les sciences sociales

Large acceptation dans les écoles de Début des efforts


Enseignement
commerce

Large dissémination des codes de Dissémination en développement


Initiatives du monde des conduite ; émergence de postes continu des codes de conduite ; peu
affaires officiels dédiés à éthique et de pro- de programmes de formation en
grammes de formation en éthique éthique ; pas de postes dédiés

Principalement enseignée à des Enseignement à des étudiants dans


Rôle des spécialistes de futurs managers ; plus de recherches diverses disciplines ; moins de re-
l’éthique des affaires orientées vers la pratique ; augmen- cherches orientées vers la pratique ;
tation des activités de conseil le conseil commence tout juste

De même, d’après Seidel, les acteurs allemands s’organisent et le projet de développe-


ment d’une éthique des affaires continentale bénéficie d’un soutien public fort : « Globale-
ment on peut dire que le soutien public était fort, plus fort qu’en France ». L’Allemagne se

RIPCO64.indd 91 10/07/2020 15:22


92 [4] REGARDS RETROSPECTIFS ET ANALYSE

caractérise, par ailleurs, par une adhésion croissante des entreprises mais aussi de l’église
protestante qui, se saisissant du sujet, met en œuvre de nombreuses actions pour appuyer le
mouvement : « Les églises protestantes en Allemagne possèdent beaucoup d’institutions de
formation et de recherche et ont pu proposer de nombreuses actions pour appuyer le mou-
vement ». Pesqueux & Ramanantsoa (1995, p. 16) insistent eux aussi sur le rôle du Centre
Français du Patronat Chrétien dans l’émergence de l’éthique des affaires en France, ainsi
que « l’intérêt des Églises ». On se rappellera que c’est également sur un corpus religieux que
s’ancre un des articles français fondateur mentionné plus haut (de Laubier, 1988).
De même que la fondation du Cercle d’éthique des affaires a constitué pour Le Net la
naissance d’une éthique des affaires à la française, la création de l’EBEN à cette même époque
symbolise pour Fred Seidel le moment de l’arrivée de l’éthique des affaires en Europe et donc
d’une vision alternative à celle proposée outre-Atlantique : « l’EBEN a été créé comme une
expression de l’arrivée de l’éthique des affaires en Europe. Parce que dans les autres pays
européens, c’était la même chose (qu’en France), c’était nouveau, surtout dans le domaine
des sciences de gestion ». Beaucoup d’entreprises allemandes adhèrent d’ailleurs au réseau
et donnent à l’ensemble une légitimité plus importante, les entreprises françaises entrant
quelque temps après parce que « en Europe, c’est la France qui s’intéresse à l’éthique des
affaires en dernier ».
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
Pour nos interlocuteurs, cette vision européenne de l’éthique se construit plus particuliè-
rement autour de trois dimensions : pédagogique tout d’abord, économique et sociale ensuite
et, dans une moindre mesure académique.

4.2.1. L’importance de la pédagogie


À la fin des années 1980, face à une approche américaine déjà fortement institutionnalisée, les
écoles de commerce européennes s’organisent pour proposer une pédagogie de l’éthique qui
leur corresponde. Pour Pesqueux, « il y a une réelle volonté pédagogique » qui se concrétise
par « la création d’une communauté », la Community of European management schools, et plus
particulièrement de la Inter-faculty Group in Business Ethics, mentionnée plus haut, dont les
membres « qui assument un héritage européen » cherchent à s’éloigner de la visée utilitariste
de la business ethics étasunienne. Laszlo Zsolnai, un des coordinateurs du groupe, corrobore
complètement ce propos. Il écrit ainsi dans leur premier ouvrage collectif qu’
« une certaine distance critique par rapport au l’approche mainstream américaine de
l’éthique des affaires est certainement une caractéristique commune des universités du
CEMS (…) La pertinence et l’applicabilité des théorie et modèles américains semblent
être limitées dans le contexte européen » (Zsolnai, 1998, p. viii).

Dans le même ouvrage, c’est d’ailleurs Pesqueux qui rédige l’article sur la France (Pes-
queux, 1998) avec un titre explicite : « Business ethics in France : Comment faire sans la
philosophie ?’ ». Il y recense les références majeures de l’éthique des affaires française – Smith,
Kant, Platon, Aristote, Bergson, Rawls et Habermas – et montre comment la pensée de ces
sept philosophes permet de rendre compte des approches des premiers auteurs français sur le
sujet. Pour lui, le fait que nous ayons en France un enseignement de la philosophie dès le lycée
change complètement la manière donc l’éthique des affaires est alors pensée et appréhendée
– puisque nous y serions moins réfractaires et plus sensibles.

RIPCO64.indd 92 10/07/2020 15:22


[4] REGARDS RETROSPECTIFS ET ANALYSE 93

L’émergence de l’éthique des affaires en Europe se caractérise aussi par une volonté des
professeurs d’aborder de nouveaux sujets en école de commerce, plus critiques et moins opé-
ratoires. Pour Seidel, les années 1990 sont notamment marquées par l’envie de certains pro-
fesseurs de parler des affaires de manière différente en s’intéressant à des problématiques
moins techniques visant à réfléchir au bien-fondé moral des actions des entreprises. S’intéres-
ser à l’éthique des affaires était ainsi un moyen de critiquer le monde des affaires, sans pour
autant sortir de la discipline des Sciences de gestion. L’enseignement de l’éthique des affaires
devient alors un moyen de construire cette critique, notamment suite aux malaises initiés par
les scandales financiers des années 1990, tout en gardant sa légitimité en tant qu’enseignant
en école de commerce : « Le développement de l’éthique était un moyen pour certains profes-
seurs de faire une critique des entreprises sans pour autant sortir du domaine de la gestion.
(…) C’était un moyen pour nous de trouver des voies permettant de dire ‘Ce n’est pas néces-
saire que ce soit ainsi’. C’était important ».
Le développement pédagogique de l’éthique des affaires devient ainsi un moyen de se sai-
sir, tout en les dépassant, les premiers travaux européens sur l’éthique des affaires d’inspira-
tions religieuses. Dans cette perspective, les travaux de Jean Moussé que nous avons présenté
dans la première partie ont été particulièrement structurants.
Pour Pesqueux, le développement de l’éthique des affaires s’explique aussi par la différence
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
de profil entre étudiants français et américains – thèse qu’il avait développé dans un chapitre
que nous mentionnons plus haut. Ainsi, l’enseignement de la philosophie au lycée amène les
Français à aborder les questions éthiques relativement tôt dans leur cursus : « Les lycéens ont
un cours de philosophie qui est un cours éthique en terminale qui donne lieu, quel que soit
leur spécialité, à une épreuve au baccalauréat (…). De même dans l’enseignement supérieur,
beaucoup d’étudiants font de la philo. Et les étudiants qui entrent à HEC ont fait une classe
prépa avec de la philo, avec des profs de philo qui vont s’exprimer sur la question de l’éthique »
(rappelons d’ailleurs qu’Alain Etchegoyen était professeur de philosophie en prépa HEC…).
Les étudiants arrivent ainsi dans l’enseignement supérieur avec un bagage intellectuel très
différent de celui des étudiants américains et complètement incompatible avec les enseigne-
ments tels que proposés en business ethics : « Il y a un terreau intellectuel qui est différent (en
France) et qui ne permet pas d’accepter l’éthique telle qu’elle est enseignée aux États-Unis ».
Pesqueux évoque d’ailleurs cette différence dans un texte co-écrit avec Ramanantsoa, alors
doyen d’HEC : « la tradition intellectuelle française fait que l’on ne peut légitimer l’éthique
des affaires comme discipline du management sans référence philosophique » (Pesqueux &
Ramanantsoa, 1995, p. 17).
L’enseignement de l’éthique des affaires tel qu’il est proposé aux États-Unis, sous forme
de business cases et proposant une approche opératoire appliquée aux pratiques d’entreprise
peine donc à prendre dans ce terreau intellectuel continental et suscite peu, en conséquence,
l’adhésion des étudiants européens. Dans leur article de 1994 qui relate leur expérience d’en-
seignement d’un cours d’éthique des affaires à l’ESC Rennes, Brent et Grinsted abondent
d’ailleurs en ce sens en indiquant que le sujet « n’apparaît pas encore être un sujet de grande
valeur en France » et que « les étudiants français (sont) en général plus cyniques et plus scep-
tiques » (Brent & Grinsted, 1994, pp. 187-189).
Le développement de l’éthique des affaires est donc d’abord une affaire pédagogique :
dans un contexte culturel et intellectuel différent en Europe et particulièrement en France
de celui des États-Unis, l’enseignement de la business ethics « à l’américaine » prend peu, lais-

RIPCO64.indd 93 10/07/2020 15:22


94 [4] REGARDS RETROSPECTIFS ET ANALYSE

sant le champ libre au développement d’une nouvelle approche : l’éthique des affaires. Son
développement dépasse cependant largement la sphère pédagogique, nos interlocuteurs sou-
lignant aussi l’importance prise par la question de l’éthique au sein des entreprises.

4.2.2. Une dimension économique et sociale évidente


Le développement de l’éthique des affaires s’inscrit, bien évidemment aussi, dans un contexte
économique et social très marqué par la dérégulation des marchés mais aussi les premiers
grands scandales économiques et financiers. Ces derniers suscitent une réflexion sur le monde
des affaires et les effets que le libéralisme économique a sur lui. C’est dans ce contexte que
les entreprises européennes prennent conscience de l’importance et de l’intérêt du dévelop-
pement d’une réflexion sur l’éthique des affaires.
Plusieurs visions s’affrontent cependant : la question de l’éthique part, soit d’un besoin
de réflexion sur le sens du bien commun, soit d’un besoin de réponse rapide aux attentes de
certaines parties prenantes et aux obligations imposées par l’ouverture de leurs activités à l’in-
ternational et donc d’une logique plus utilitariste. D’après Lamoureux, c’est plutôt la seconde
logique qui domine. Pour lui, c’est à cette époque que les entreprises françaises prennent
conscience des contraintes extérieures qui s’imposent à elles et qui les poussent à sortir du
microcosme français : « Les entreprises ne doivent plus uniquement se conformer à la régle-
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
mentation française mais à un nouvel environnement plus international, largement dominé
par la pression de l’extraterritorialité américaine ». L’ouverture à l’international suppose alors
le développement d’une éthique des affaires plus formalisée et plus normalisée que celle pra-
tiquée originellement par les entreprises françaises. Le Net observe, ainsi, une pression accrue
des États-Unis vis-à-vis des entreprises françaises « qui ne peuvent plus obtenir un marché
sans avoir de charte déontologique ». Pour lui, les années 1990 sont, par ailleurs, symptoma-
tiques de l’arrivée des fonds de pension dans l’actionnariat des entreprises françaises, fonds de
pension exigeant des entreprises d’être équipées d’outils et de codes éthiques avant tout inves-
tissement. La réflexion sur l’éthique des affaires devient donc une nécessité pour le business.
Pour autant, Fred Seidel note que le cadre culturel et surtout légal du monde des affaires
américain est très différent de celui de l’Europe. L’individualisme américain engage en effet
la bienveillance des dirigeants et des managers pour éviter toutes dérives, sous peine de sanc-
tions très fortes. Mais « cette manière de charger les individus est trop éloignée des traditions
européennes » ce qui rend l’approche américaine de l’éthique des affaires souvent inadéquate
au contexte européen. De George explique bien cette différence dans son article de 1994.
Pour lui, bien que l’éthique soit un concept universel, il existe plusieurs déclinaisons natio-
nales possibles dans la mise en œuvre de l’éthique, déclinaisons qui dépendent à la fois de
l’environnement institutionnel, mais aussi des contextes culturel et historique des pays dans
lesquels l’éthique des affaires est mise en œuvre (De George, 1994). Se développe donc une
nouvelle manière de penser l’éthique en Europe, plus « continentale », au sein des entreprises
européennes et notamment au sein des grandes entreprises françaises.
Pesqueux note que l’éthique des affaires « à la française » se constitue aussi au travers
de grands groupes qui cherchent à penser l’éthique des affaires en dehors du cadre améri-
cain : « L’éthique des affaires se constitue aussi au travers de grands groupes qui vont monter
des groupes de travail et s’entourer de philosophes et de chercheurs pour nourrir leurs ré-
flexions ». Les entreprises financent, par ailleurs, des chaires en éthique. Comme l’explique

RIPCO64.indd 94 10/07/2020 15:22


[4] REGARDS RETROSPECTIFS ET ANALYSE 95

Seidel, prenant l’exemple de l’EM Lyon (anciennement ESC Lyon) : « Dans les années 1990,
le groupe ESC Lyon avait créé une chaire Éthique qui était sponsorisée par certaines grandes
entreprises. C’était une initiative de l’école mais avec le soutien des entreprises ». Le monde
des affaires européen s’interroge ainsi sur ses pratiques et notamment, comme l’explique Pes-
queux, sur ses chartes éthiques : « Le monde des affaires était curieux de savoir comment on
travaillait mais aussi curieux de mettre à l’épreuve leurs chartes éthiques. Elles sentaient l’in-
térêt global des salariés pour la question ». Fred Seidel indique par ailleurs, que les entreprises
allemandes sont aussi très concernées par le sujet de l’éthique voire même plus que les entre-
prises françaises : « les entreprises allemandes entrent très vite dans le réseau (de l’EBEN) et
donnent à l’ensemble une prise plus importante ».
Cette démarche est organisationnelle mais aussi individuelle. Ainsi comme l’indique Pes-
queux : « À cette époque-là, il y a beaucoup de groupes qui se créent parce que ça permet à
certains dirigeants d’exprimer leurs convictions ». De même, Fred Seidel indique que pour
certains dirigeants, le développement de l’éthique des affaires n’était pas uniquement un
moyen de répondre aux attentes de certaines parties prenantes (notamment américaines)
mais aussi un levier pour repenser le monde des affaires et dénoncer les effets délétères de la
dérégulation et de l’ultralibéralisme économique avec plusieurs motivations : « Il y a certains
grands patrons qui voyaient le problème, qui se posaient de plus en plus la question de la légi-
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
timité des grandes entreprises. Ça, c’était une motivation très forte que l’on observait un peu
partout. Pour d’autres, c’était tout simplement la crainte du juge ».

4.2.3. Une dimension académique beaucoup moins prononcée


Le développement de l’éthique des affaires se fait donc principalement via la pédagogie et
les entreprises. Mais il passe aussi, bien que dans une moindre mesure, par la recherche. Les
académiques européens commencent ainsi à proposer des écrits visant à la construction d’une
pensée fondatrice, mais se distinguant des réflexions normatives de la business ethics améri-
caine. Pesqueux explique sa démarche en tant qu’académique : « Mes collègues américains me
contactant, j’ai pris conscience de la différence (qui existait entre les pensées française et amé-
ricaine de l’éthique des affaires). Je me suis donc exprimé en éthique des affaires, mais, pour
mettre en évidence la différence importante qui existait ». La pensée française de l’éthique des
affaires se constitue cependant essentiellement au travers de l’édition d’ouvrages collectifs :
« Il y a eu peu de recherches et peu de publications finalement (…) ça a plutôt pris la forme
de livres collectifs ». La revue « Éthique des affaires » créée par Pesqueux et mentionnée plus
haut visait à la publication d’articles de recherche académique sur le sujet. Mais, comme nous
le verrons après, son existence a été de courte durée.
L’éthique des affaires prend donc son essor en Europe dans les années 1990. Pour autant,
l’engouement pour le sujet retombe, tel un soufflet, assez rapidement. Vogel (1992, p. 30) fait
ainsi le constat que « si l’intérêt pour l’éthique des affaires a substantiellement augmenté dans
un certain nombre de pays en Europe, et dans une moindre mesure au Japon, aucune nation
capitaliste n’approche les États-Unis dans la persistance et l’intensité de la préoccupation
du public quant à la moralité des entreprises ». Puis, citant le Financial Times, il indique que
« Malgré l’omniprésence de scandales dans les années 1980, il y a une tendance en Europe à
voir l’éthique des affaires comme un effet de mode » (Vogel, 1992, p. 35). Nous avons vu en
quoi elle n’était pas que cela et dans quelle mesure elle avait été peu à peu institutionnalisée

RIPCO64.indd 95 10/07/2020 15:22


96 [5] CONCLUSION : QUI A TUE L’ETHIQUE DES AFFAIRES ?

au cours des années 1990. C’est justement pour cela que sa disparition (relative), dans les
années 2000, pose question.

5. CONCLUSION : QUI A TUE L’ETHIQUE DES AFFAIRES ?


À l’instar d’une comète, force est donc de constater que la pensée européenne de l’éthique
des affaires disparaît quasiment aussi vite qu’elle est apparue, et ce dans ses trois dimensions
pédagogique, business et académique.

5.1. De l’enseignement de l’éthique des affaires à l’enseignement de la RSE


Au niveau pédagogique tout d’abord, on observe une difficulté à généraliser l’enseignement
de l’éthique des affaires en Europe. Ainsi, tant que les cours d’éthique des affaires étaient
proposés en format électif, leurs enseignants rencontraient uniquement des étudiants ayant
une certaine appétence avec le thème de l’éthique. La grande masse des étudiants restait à
l’écart. Mais lorsqu’il a été décidé de rendre ces cours obligatoires, il a été beaucoup plus
difficile de les mobiliser et les intéresser. L’éthique des affaires, dans sa version européenne,
est, en effet, un thème qui n’a pas de justification technique en entreprise. Elle se distingue
à ce sens de l’approche dite business case selon laquelle « Good ethics is good business » et peine
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
donc à assoir sa légitimité auprès de beaucoup d’étudiants en école de commerce. Comme
l’explique Seidel :
« Pendant longtemps, on a fonctionné avec des cours optionnels, et d’ailleurs c’était
très bien parce qu’on travaillait avec des étudiants qui étaient vraiment motivés. La dif-
ficulté est arrivée, et beaucoup d’écoles en ont payé les pots cassés, quand il y a eu des
tentatives d’élargir ça et d’impliquer les étudiants qui n’étaient pas a priori intéressés
par le thème ».

Les ouvrages au format manuel universitaire, comme « Éthique des affaires » (Pesqueux
& Biefnot, 2002) et « Éthique des affaires et de l’entreprise » (Seidel, 1995) qui constituaient
les seuls jalons pédagogiques en la matière n’ont pas, d’ailleurs, fait l’objet de rééditions et les
cours ont progressivement disparu des programmes.

5.2. Un déplacement des considérations dans le monde des affaires


Bien que certaines entreprises aient cherché à développer une vision plus continentale de
l’éthique des affaires, le développement des grands groupes français à l’international porte
un coup important à la discipline. En effet, comme le souligne Pesqueux, l’idée d’éthique
continentale n’est possible que tant que l’entreprise reste ancrée dans un territoire français
ou européen. Dès que les entreprises s’internationalisent, la doctrine morale devient difficile
à appliquer. Kerhuel soulève d’ailleurs ce point dans son article de 1993 dans lequel il s’in-
terroge sur la compatibilité entre éthique des entreprises françaises et réponse aux attentes du
marché. Il y montre que seule une éthique pensée à la fois d’un point de vue économique mais
aussi politique et social peut avoir de sens face au développement des économies capitalistes
(Kerhuel, 1993). L’approche étasunienne de la business ethics se diffuse ainsi largement dans
les entreprises françaises à partir des années 2000, avec ses modes opératoires très normés et
une dissolution rapide de toute approche locale spécifique.

RIPCO64.indd 96 10/07/2020 15:22


[5] CONCLUSION : QUI A TUE L’ETHIQUE DES AFFAIRES ? 97

5.3. La RSE, un sujet plus porteur en matière de publications académiques


L’élan en matière de recherche sur l’éthique des affaires, déjà moins fort dans la sphère aca-
démique, s’essouffle également rapidement. La revue « Éthique des affaires » disparaît ainsi
après quelques numéros, faute de contributeurs mais aussi de lecteurs. Comme l’explique
Pesqueux : « L’éditeur a préféré arrêter la revue invoquant comme motif l’absence de lecto-
rat ». Seidel démontre par ailleurs l’essoufflement de la recherche par un manque de renou-
vellement des idées et des contenus en éthique des affaires : « Qu’est-ce qu’on pouvait bien
faire une fois qu’on avait posé les premiers jalons (…) Il ne se passait pas grand-chose en
recherche ». Cet essoufflement s’illustre notamment par une baisse significative du nombre
d’articles publiés en éthique des affaires à partir du milieu des années 2000. On peut le voir
sur le diagramme suivant11 :
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
Figure 1. Publications académiques sur l’éthique des affaires (1990-2017)

Ce constat tend en ce sens à donner raison à Carré qui, d’une manière très poétique, écri-
vait dès 1998 : « On s’amusera à livrer un pronostic pour conclure : il est probable que la vague
éthique ait déjà emporté les illusions des auteurs des années 80 pour venir grossir le flot des
modes de la gestion… L’écume superficielle qu’elle a déposée sur les rivages de la pratique
risque de se dissiper aux prochaines lunes managériales » (Carré, 1998, p. 78).

5.4. Une disparition à mettre en regard du boom de la RSE


Pour nos interlocuteurs, l’essoufflement de l’éthique des affaires est à mettre au regard de
l’essor du thème de la « Responsabilité Sociale de l’Entreprise » (RSE). La RSE aurait ainsi
largement supplanté l’éthique en tant que telle. Comme le décrit Fred Seidel : « La première
vague c’était l’éthique, la deuxième vague c’était la responsabilité sociale de l’entreprise ».
Pour lui, ce phénomène est par ailleurs général. L’engouement pour les sujets de RSE s’ob-
serve jusqu’au sein de l’EBEN où les travaux se sont tous tournés progressivement vers la
RSE : « Au sein d’EBEN et au sein d’autres réseaux, les travaux se sont tous déplacés de

11
Compilé via Google Scholar en recensant les articles dont le titre comprenait, soit l’expression « éthique des
affaires », soit les termes « éthique » et « entreprise ». La sélection de l’échantillon est donc fortement restrictive,
mais elle permet de dégager une tendance sur la référence à un champ académique spécifique.

RIPCO64.indd 97 10/07/2020 15:22


98 [5] CONCLUSION : QUI A TUE L’ETHIQUE DES AFFAIRES ?

l’éthique proprement dite vers la RSE. L’éthique a disparu derrière ou sous la RSE (…). Et ça
fait qu’aujourd’hui on n’en parle plus d’éthique ».
Cet essor de la RSE se retrouve à nouveau dans les trois sphères de l’enseignement, du
business et de la recherche. Pour Fred Seidel, la RSE trouve un écho plus favorable que
l’éthique des affaires dans les écoles et les universités. La RSE exclut, en effet, la dimension
morale sous-jacente à l’éthique et devient donc plus confortable à enseigner. Le constat est
similaire dans la sphère académique. Ainsi le Journal of Business Ethics qui fait figure d’autorité
sur les sujets d’éthique et qui, comme l’indique Pesqueux « tourne beaucoup avec des auteurs
américains », tend à privilégier les articles de recherche proposant des sujets de RSE. Dans
le système actuel, bien implanté, du publish or perish, il en résulte logiquement un déclin des
articles en éthique et un développement des papiers en RSE. Seidel confirme ce constat :
« À l’époque c’était très différent. Il n’y avait pas pression institutionnelle, notamment dans
ce domaine-là. On ne publiait pas pour avoir des points mais on publiait parce qu’on était
intéressé par le thème. Aujourd’hui, c’est différent. Certes, on a beaucoup de collègues qui sont
intéressés par la dimension authentique du thème mais en même temps le choix du champ,
des revues dans lesquelles on publie est aussi largement déterminé par des considérations…
autres ».
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
Le diagramme suivant, construit de la même manière que le précédent, permet d’illustrer
cette double tendance de l’émergence de la RSE et de la disparition de l’éthique des affaires :

Figure 2. Évolution du nombre de publications académiques en éthique des affaires


et en RSE (1990-2017)

L’engouement pour la RSE se retrouve, par ailleurs, aussi au sein des entreprises. Pour Pes-
queux, l’institutionnalisation supra-entreprise de la RSE puis du développement durable avec
la Cop21 « qui acte la non-validité de toute la thématique des initiatives volontaires » a donné
le coup de grâce à l’éthique des affaires telle qu’elle a été conçue dans son projet d’origine.
Ainsi comme le note Dominique Lamoureux, « l’éthique est aujourd’hui davantage comprise

RIPCO64.indd 98 10/07/2020 15:22


[5] CONCLUSION : QUI A TUE L’ETHIQUE DES AFFAIRES ? 99

par les entreprises comme un sujet de risk management et d’enjeu réputationnel ». Risk mana-
gement car l’éthique telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui dans les entreprises consiste à se
conformer aux normes et aux règles institutionnelles. Enjeu réputationnel ensuite, car, il s’agit
pour les entreprises de répondre aux attentes de l’ensemble des parties prenantes (dont les
actionnaires et les ONG) qui peuvent sanctionner tout comportement jugé non conforme aux
attentes par une communication visant à ternir la réputation de l’entreprise. Dit autrement,
l’éthique des affaires se rapproche donc très fortement des sujets de RSE… C’est d’ailleurs
le constat que faisaient déjà Pesqueux et Biefnot dans leur ouvrage de 2002, dans lequel ils
présentaient la RSE comme « une continuation-amplification du thème de l’éthique des af-
faires et, à ce titre, un acte de direction générale » (Pesqueux & Biefnot, 2002, p. 137) dont
la vocation est « d’assurer l’expansion d’un modèle d’organisation fondé sur la primauté des
valeurs économiques » (p. 141).

5.5. Une disparition problématique


La disparition de l’éthique des affaires au profit du développement de la RSE ne fait pas que
soulever des questions, elle pose aussi problème. En effet, l’éthique telle qu’elle tend à être
pratiquée aujourd’hui dans les entreprises, mais aussi dans l’enseignement et la recherche, est
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
trop souvent limitée à une perspective non contraignante, parfois justifiée par sa rentabilité,
et en général assujettie aux priorités managériales et stratégiques. Loin de constituer un socle
doctrinal, elle devient alors au mieux source de questions, mais rarement de contraintes ou
de critiques. En cela, sa disparition académique au profit de la RSE, et son incarnation la plus
fréquente dans la théorie des parties prenantes, approche venant à l’origine du management
stratégique, peut être vue comme un symptôme problématique.
En effet, ne plus se poser la question du « pourquoi » de l’action d’entreprise, c’est vider
la notion d’éthique de sa substance. Seidel, « C’est un problème, parce que la RSE, si elle n’a
pas un substrat éthique… elle ne peut pas aller très loin… notamment dans les formations où
l’on veut amener les étudiants à réfléchir un peu. La question fondamentale doit toujours être
‘Mais pourquoi est-ce qu’il faudrait se montrer responsable ?’». Ne subsistent alors qu’une
approche appauvrie de l’éthique des affaires qui ne permet de répondre à la question du
« pourquoi » que par la simple réponse : « par peur du gendarme, de l’État ou des marchés
financiers ».
S’il est vrai que « le thème de la RSE recouvre de ‘bonnes’ intentions : répondre à une
demande croissante du citoyen et du consommateur pour plus de transparence et plus d’in-
tégrité de la part des entreprises » (Pesqueux & Biefnot, 2002, p. 139), il revêt cependant des
aspects plus sombres : « Les actes eux-mêmes n’échappent pas à cette ambivalence entre les
tentatives d’exploitation d’un marché porteur et le retour modernisé des vieilles pratiques
paternalistes (la philanthropie maintient la dépendance au lieu de la solidarité qui encourage
le développement) » (p. 139). Sous couvert de nobles aspirations, la RSE et la théorie des
parties prenantes constituent en fait une alternative moins perturbatrice à la – trop critique ?
– éthique des affaires – surtout dans sa version continentale.
Le phagocytage de l’éthique des affaires par la RSE n’est donc pas neutre pour les sciences
de gestion, ni même une coïncidence. Il interroge (ou devrait interroger) nos pratiques tant
en tant qu’enseignants-chercheurs que praticiens : En travaillant sur des concepts et avec des
outils apparemment nobles mais fondamentalement managérialistes (RSE, théorie des parties

RIPCO64.indd 99 10/07/2020 15:22


100 Références

prenantes, philanthropie, etc.), et en les enseignant, ne contribuons-nous pas à faire perdurer


l’absence de substrat éthique dans le monde des affaires ?

Références
Abend, G. (2013). The origins of business ethics in American universities, 1902–1936. Bu-
siness Ethics Quarterly, 23(2), 171-205.
Barrière, A. (1983). Michelin: vu de l’intérieur: ce que j’ai vécu de 1950 à 1961. Paris : Éditions
Créer.
Blanchard, K., H., & Johnson, S. (1982). The One Minute Manager. New York, NY: Berkley
Books.
Blanchard, K., H. & Peale, N. V. (1988). Éthique et management:[réussir en restant intègre]. Paris:
Les Editions d’Organisation.
Bourbeau, J. (1982). Quelle importance l’entreprise doit-elle accorder à l’éthique?. Gestion.
Revue internationale de gestion, 7(2), 3-7.
Brent, M., & Grinsted, S. (1994). FOCUS: A New French Course in Business Ethics. Bu-
siness Ethics: A European Review, 3(3), 186-190.
Bruna, M., G., & Bazin, Y. (2018). Answering Levinas’ call in organization studies. European
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
Management Review, 15(4), 577-588.
Carré, E. (1998). Bilan après une décennie de « vague éthique ». Éthique des affaires, Juillet,
71-79.
Ciulla, J., B. (1991). Why is business talking about ethics?: Reflections on foreign conversa-
tions. California Management Review, 34(1), 67-86.
De George, R., T. (1994). International business ethics. Business Ethics Quarterly, 4(1), 1-9.
De Laubier, P. (1988). L’éthique de l’entreprise. Revue Thomiste, Janvier-Mars, 115-123.
De Rochebrune, R. (1989). Editorial. Revue française de gestion, (74), 1-4.
Drucker, P. (1981). Ethical chic. Forbes, 128(6), 160-173.
Enderle, G. (1996). FOCUS: A comparison of business ethics in North America and Conti-
nental Europe. Business Ethics: A European Review, 5(1), 33-46.
Etchegoyen, A. (1991). La valse des éthiques. Paris : Agora.
Faber, E. (1992). Main basse sur la Cité. Éthique et entreprise. Paris : Pluriel intervention.
Falise, M. (1985). Une pratique chrétienne de l’économie. Paris : Le centurion.
Gélinier, O. (1965). Morale de l’entreprise et destin de la nation. Paris : Plon.
Gélinier, O. (1991). L’éthique des affaires: halte à la dérive ! Paris: Seuil.
Kergoat, D. (1973). Bulledor ou l’histoire d’une mobilisation ouvrière. Paris : Seuil.
Kerhuel, A. (1993). Around europe: Business ethics in France: Framework for future develop-
ments. Business Ethics: A European Review, 2(3), 154-159.
Lillebo, A. (1992). Four Years of EBEN (The European Business Ethics Network). Business
Ethics: A European Review, 1(1), 48-49.
Lord, E. (1926) The Fundamentals of Business Ethics. New York, NY: Ronald Press Company.
Monteil, P., O. (1989). L’éthique et l’entreprise [Enquête sur une préoccupation à la
mode]. Autres Temps, 24(1), 64-69.
Moussé, J. (1989a). Fondements d’une éthique professionnelle. Paris : Les Éditions d’Organisa-
tion.
Moussé, J. (1989b). Pratiques d’une éthique professionnelle. Paris : Les Éditions d’Organisation.

RIPCO64.indd 100 10/07/2020 15:22


Références 101

Orsoni, J. (1989). L’enseignant de Gestion Face à la Morale d’Entreprise. Revue Française de


Gestion, Juin-Juillet-Août, 109-116.
Padioleau, J., G. (1989). L’éthique est-elle un outil de gestion. Revue française de gestion, Juin-
Juillet-Août, 82-91.
Pasquero, J. (1989). Fusions et acquisitions: principes d’analyse éthique. Revue française de
gestion, Juin-Juillet-Août, 97-108.
Peale, N., V. (1952). The power of positive thinking. London: Random House.
Pecqueur, M. (1989). L’éthique au quotidien. Revue française de gestion, Juin-Juillet-Août, 97-
108.
Pesqueux, Y., & Biefnot, Y. (2002). L’éthique des affaires. Paris : Editions d’organisation.
Pesqueux, Y., & Ramanantsoa, B. (1995). La situation éthique en France. Revue éthique des
affaires, (1), 15-26.
Poivret, C. (2017). Quelques réflexions sur l’histoire de la pensée managériale française (I).
Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, 24(57),
297-326.
Seidel, F., & Belletante, B. (1995). Guide pratique et théorique de l’éthique des affaires et de l’en-
treprise. Paris : Editions Eska.
Sureau, D. (1990). Quand l’entreprise découvre l’éthique. Projet, (224), 8-14.
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)
Taeusch, C., F (1926) Professional and Business Ethics. New York, NY: Henry Holt and Com-
pany
Van Luijk, H., J. (1997). Business ethics in Western and Northern Europe: a search for effec-
tive alliances. Journal of Business Ethics, 16(14), 1579-1587.
Vogel, D. (1992). The globalization of business ethics: Why America remains distinctive. Cali-
fornia Management Review, 35(1), 30-49.
Willmott, H. (1993). Strength is ignorance; slavery is freedom: managing culture in modern
organizations. Journal of management studies, 30(4), 515-552.
Zsolnai, L. (1998). The European difference: Business ethics in the community of European mana-
gement schools. Berlin : Springer Science & Business Media.

Yoann BAZIN est professeur associé à l’EM Normandie sur le campus d’Oxford. Il y enseigne
l’éthique des affaires, le management et la pensée critique. Ses travaux de recherche portent
sur les liens entre entreprises et sociétés (business in society), sur l’éthique des affaires et sur
les organisations fluides. Ses travaux ont été publiés dans Organization Studies, Journal of
Management Inquiry, European Management Review ou encore M@n@gement.

Emmanuelle GARBE est enseignante et chercheure en Gestion des Ressources Humaines


(GRH) à l’IAE de Paris. Ses travaux s’intéressent aux enjeux RH dans les grandes organi-
sations à la fois marchandes et non marchandes (notamment les ONG) à travers plusieurs
questionnements autour de la construction des parcours professionnels et des carrières, de la
digitalisation et de ses effets sur l’organisation du travail mais aussi de l’éthique des affaires et
de ses liens avec la GRH. Elle enseigne les ressources humaines et l’éthique des affaires auprès
de cadres en activité et d’étudiants en alternance.

RIPCO64.indd 101 10/07/2020 15:22


102 Références

Title: Understanding the rise and disappearance of the concept of “Ethique des affaires”: a
historical perspective

Abstract: This article traces the genealogy of the concept of “Ethique des affaires” in the French
management field. Based on the observation of a temporal and conceptual gap between the
Anglo-Saxon version of “Business ethics” and its European counterpart, this paper aims at
analyzing, with an historical perspective, the causes of these differences. We first retrace the
emergence of the concept of “Ethique des affaires”. We then, examine the causes and conse-
quences of its decline in the pedagogical, professional and academic spheres. Finally, as a
conclusion, we question the disappearance of the concept of “Ethique des affaires” and link it
to the rise of another concept: corporate social responsibility.

Keywords: business ethics, companies, corporate social responsibility, ethics, historical


perspective
© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

© ESKA | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Ecole nationale d'administration publique (IP: 207.162.4.22)

RIPCO64.indd 102 10/07/2020 15:22

Vous aimerez peut-être aussi