Lacan
Lacan
Lacan
Jean Allouch
290 F
MARGUERITE,
o u L'AIMÉE DE LACAN
© E . P . E . L . , 29, rue Madame, 75006 Paris
Première édition E . P . E . L . , Paris, 1990
Deuxième édition revue, corrigée et supplémentée
Distribution Distique
I S B N : 2-908855-12-7
Dépôt légal 40 483 FF, octobre 1994
Jean Allouch
MARGUERITE,
o u L'AIMÉE DE LACAN
Paris, le 16 octobre 1 9 9 4
Fut-ce de son fait, ou bien du fait de Lacan ? Il n'est pas sûr qu'il
faille prendre la question de cette nomination d'« Aimée » dans le
filet de cette alternative. Peut-être s'agit-il plutôt de déterminer
comment la malade et son psychiatre contribuent, chacun à sa ma-
nière et d'une place pour chacun différente, à la forgerie et même
à la promotion de ce nom d'Aimée. Ces manières et places font
partie du cas. Or elles ne peuvent être étudiées, mises à plat, qu'une
fois entr'aperçu que ce nom ne va pas de soi - ce qui appelle, de
notre part, une abstention quant à son usage pour la désignation du
cas.
Voici donc re-nommé le cas Aimée. Une certaine renommée lui fut
certes d'emblée acquise, encore qu'il apparaisse aujourd'hui patent
qu'elle n'a en rien facilité cette lecture critique à laquelle s'offrait
explicitement la présentation première du cas. Les conséquences de
sa publication en 1932 (on aura à en prendre acte et, si possible,
à en rendre compte) furent autres que celles proposées par Lacan
ou attendues de lui. D'où l'étrange position de la présente étude :
elle inaugure la lecture critique du cas (nous osons revendiquer
pour elle ce statut) mais non sans porter atteinte à la renommée de
son nom de cas (puisqu'elle le nomme autrement).
Un cas,
une thèse,
deux interprétations
Chapitre un
Sur r é c r i t u r e
du « cas Aimée »
E n j e u x de l'observation
est démonstratif, dès lors que, c o m m e en toute observation des laits, on a appris à l e s voir. »
CJ. également p. 2 6 6 où L a c a n ne r e c u l e pas à invoquer « la s a i n e méthode de l'observation
p s y c h i a t r i q u e ».
5. T. p. 247.
6 . Selon Paul B e r c h e r i e , l ' a n n é e 1 9 3 0 indexerait l ' é p o q u e qui marquerait « le rapide d é c l i n ,
puis l ' e x t i n c t i o n , de l'observation c l i n i q u e dans la psychiatrie c l a s s i q u e ». Cf. P. B e r c h e r i e ,
Géographie du champ psychanalytique, P a r i s , Navarin, 1 9 8 8 , p. 1 7 3 .
l'affirmation d'un jugement, d'un parti pris parmi d'aulres possibles,
sur la folie et son accueil par qui en a socialement la charge.
Ainsi voyons-nous cohabiter, clans la thèse, d'une part l'affirmation
selon laquelle, en psychiatrie, « l'hypothèse se dégage bien plus
immédiatement (qu'elle ne peut le prétendre en psychanalyse - les
données, dans la psychanalyse, restent expérimentales) de l'observa-
tion pure des (aits, dont le seul rapprochement est démonstratif»
et, quasi simultanément, cette autre affirmation selon laquelle,
comme en toute observation, ce dégagement des faits ne peut sur-
venir que pour autant qu'« on a appris à les voir' ». De même Lacan
écrit-il, parvenu au terme de sa présentation du cas Aimée :
Si notre thèse en effet prend sa valeur d'être nourrie de la méditation
des faits et de les serrer sur un plan aussi concret que le permet
I objectivation clinique, ces faits mêmes, et les déterminations de la
psychose qu'ils tirent de l'ombre, ne se sont révélés à nous qu'à
partir d'un point de vue, et ce point de vue, pour être plus libre
d hypothèses que celui de nos prédécesseurs, n'en reste pas moins
un point de vue doctrinal8.
7. T. p. 251.
8. T. p. 307.
9. T. p. 247.
10. T. p. 2 0 5 : •< Il n'est pas en effet de c a s u n i q u e [ . . . ] »
particulier. Ce parti pris en faveur de la monographie apparaîtra plus
décisif qu'il peut le sembler à simplement se souvenir de l'énorme
fichier avec lequel travaillait un Kraepelin, ou fie la mesure habi-
tuelle réservée, dans les textes psychiatriques, à la présentation des
cas : quelques lignes, quelques pages tout au plus.
Choisir l'étude monographique approfondie est déjà un choix de doc-
trine ; mais c'est également un choix doctrinalement déterminé. A
ce titre, il relève tout d'abord de la profession de foi :
[...] et nous sommes convaincu qu'en psychiatrie, particulièrement,
toute étude en profondeur, si elle est soutenue par une information
suffisante, est assurée d'une portée équivalente en é t e n d u e " .
11. T. p. 205.
12. T. p. 259.
13. T. p. 267.
14. T. p. 64, note 19. Cf. : Anne-Marie Vindras, Louis II de Bavière selon Ernst Wagner
paranoïaque dramaturge, P a r i s , EPEI., 1993.
15. T. p. 267.
position doctrinale à l'intérieur d'un champ où il n'allait pas de soi,
où, d'ailleurs, il ne va toujours pas de soi.
Jaspers considérait la notion d'unité morbide non comme un terme
assuré de son référent mais comme une idée au sens de Kant : « le
concept d'une tâche dont le but est impossible à atteindre », donc,
au plus, comme une « table d'orientation ». Il écrit :
Mais l'erreur commence dès qu'à l'idée on substitue une apparence
de résultat, dès qu'à la place des études de détails, on présente des
descriptions toutes faites de la démence précoce et de l'aliénation
Inaniaque-dépressive. On peut prédire que de telles descriptions, qui
veulent réaliser l'impossible, sont toujours fausses, qu'elles n'éveil-
lent point l'intérêt et qu'elles restent des constructions immobiles. A
la place de ces descriptions, telles que les donne encore et toujours
le traité de E. Kraepelin, une psychiatrie spéciale future énumérera,
à côté des descriptions des maladies cérébrales organiques, des in-
toxications, etc., des séries de types obtenus exclusivement par l'étude
de détail16.
18. T. p. 249.
19. Titre de la troisième et ultime partie de la thèse : « E x p o s é c r i t i q u e , réduit en manière
d ' a p p e n d i c e , de la méthode d'une s c i e n c e de la p e r s o n n a l i t é et de sa portée dans l'étude
des psychoses ».
20. T. p. 309-310.
tendue de l'observation. Jusqu'à quel point proeurera-t-elle au cli-
nicien comme à celui qui prendra connaissance de son observation
une telle garantie ? L'illusion de comprendre, fût-ce « objective-
ment », n'est-elle pas une des propriétés intrinsèques de la compré-
hension, et donc un quelque chose sur quoi elle n'a pas de prise
absolument efficace ?
21. T. p. 147-148.
céphalite léthargique nous en font concevoir l'existence, en nous en
démontrant le phénomène primitif 2 2 .
23. T. p. 293.
2 4 . T. p. 2 9 3 : « Mais c ' e s t q u ' a u s s i bien notre terme d ' a m n é s i e n'avait q u ' u n e v a l e u r pro-
visoire et est tout à fait i n e x a c t . »