Syllabus de Criminologie 2023
Syllabus de Criminologie 2023
Syllabus de Criminologie 2023
Selon M. Kaluszynski, depuis des siècles, « le crime a toujours été envisagé, jugé, haï,
frappé comme un acte de méchanceté. Avec la sociologie ou l’anthropologie
criminelle, le crime s’apparente à un phénomène d’ordre naturel plus ou moins
nuisible, plus ou moins pathologique 1». Ce qui fait dire C. Nagels que le «crime» est
un objet paradoxal, il n’est pas étonnant de constater que la criminologie a eu
quelques difficultés à l’étudier comme totalité2.
C. Debuyst quant à lui, présente le crime comme le résultat d’un découpage partiel et
partial à propos d’une réalité multiforme et complexe, dont aucune lecture ne permet
la saisie intégrale. Le criminologue a d’abord préféré concevoir le crime comme un
comportement, comme un fait social brut, une chose existant en tant que telle, le
droit pénal ne faisant que reconnaître cette existence à postériori en lui apposant une
qualification et une sanction appropriée (Pires, 1995). Ainsi, la connaissance du
crime, qu’elle soit commune ou experte, repose sur une quantité de préoccupations,
des préjugés et d’implicites. C’est ce qui fait dire Dan Kaminski (2014) que la
criminologie est plurielle et vit des controverses. Cela, lui donne un caractère
dynamique précieux pour alimenter les questionnements dont elle relève.
Nous pouvons dire que la vie quotidienne dans ses différents aspects est
criminologique, chaque jour qui passe, nous faisons de la criminologie sans le savoir.
D. Garland3 parle de la criminologie de la vie quotidienne. Pour les criminologues de
la vie quotidienne, tels que M. Cusson, le criminel n’est pas perçu comme un
individu différent, sous-socialisé ou victime de carences affectives qu’il s’agit de
1
Martine Kaluszynski. Entre science et politique, la criminologie, une science sociale en balbutiements. Tempo
Social, Universidade de Sâo Paulo, 2020, 32 (3), pp.41.
2
Nagels, Carla. « Quand la « délinquance des élites » contribue au savoir criminologique. » Criminologie,
volume 49, numéro 1, printemps 2016, p. 179–202.
3
D. Garland, « les contradictions de la société punitive : le cas britannique », Actes de la recherche en en
sciences sociales, n°124, p52.
De nos jours, en RDC, il n'est pas rare de devoir faire face à des questions de
criminalité dans différents contextes. Comment agir face à cette criminalité ? Quels
moyens de prévention existe-t-il ? Ainsi, une véritable approche scientifique s'est
développée afin de pouvoir analyser, expliquer et comprendre toutes les questions
liées à la criminalité.
La vision de l’homme criminel est l’image d’un être social dont l’histoire et les
mouvements qui l’ont marqué sont à prendre en compte. “Le criminel n’est pas un
sauvage, c’est l’homme moderne, produit de notre âge d’industrialisme et
d’émancipation.” (Lacassagne, 1909, p. 898). L’homme comme un être pluriel,
demeure une question dont on n’a pas toujours des réponses exactes. Il surprend,
étonne parfois par son intelligence, mais son côté « sombre » est souvent interprété
4
La société comme une organisation qui repose sur la force et la contrainte et dans laquelle il existe une
distribution différentielle de pouvoir et d'autorité.
5
Martine Kaluszynski, Entre science et politique, la criminologie, une science sociale en balbutiements…
Nous voulons ici, initier les étudiants à la recherche en criminologie en leur donnant
les outils nécessaires pour poser des bonnes questions en criminologie et y répondre.
Chercher la place de la criminalité dans notre société ainsi que les systèmes judiciaire
et pénitentiaire qui y sont étroitement liés.
C’est aussi un cadre pour penser une criminologie purement congolaise, porteuse de
ses propres concepts6 et approches en rapport avec nos réalités. Pour nous, c’est une
occasion de débattre des questions politique et socio-culturelles et de notre système
pénal dans ses différentes ramifications. Nous sommes convaincus qu’une bonne
lecture criminologique des phénomènes sociaux congolais permet d’appréhender la
criminalité dans toute sa complexité et de contribuer à l’amélioration de notre
système pénal et notre politique criminel.
6
Un concept n’est pas la description de phénomènes concrets mais bien une catégorie intellectuelles, permettant
de rendre compréhensible un certains ordre de phénomènes. Plus qu’une simple définition comme on en trouve
par milliers dans les dictionnaires, un concept scientifique constitue en lui-même, par l’articulation de ses
composantes un schéma théorique destiné à rendre les phénomènes intelligibles. Il implique une « conception
théoriquement élaborée de la classe de phénomènes dont il a vocation de rendre compté. Introduction à l’analyse
des phénomènes sociaux. Luc Van Campenhoudt, Paris, Dunod, 2011, p.37, 40
Dans le cas de la philosophie par exemple, on peut dire que le terme provient du grec
et qu’on le traduit par « amour » ou « recherche » (philia) de la « sagesse » « sophia ».
De même pour la biologie dont l’objet est l’étude de la vie comme son étymologie
l’indique (bios : vie ; psycho : âme ; socio : société, bios : vie ou l’étude des
phénomènes vitaux. Les spécialistes en la matière, s’accordent sur le nom et l’objet de
ces disciplines.
Comme nous pouvons le constater, cette méthode se caractérise en général par le fait
qu’on s’entend approximativement sur l’existence de la discipline et qu’on trouve,
dans le nom même, une sorte de renvoi utile et condensé à l’objet d’étude. Ce même
raisonnement peut se tenir pour les disciplines comme anthropologie, ontologie,
paléontologie (…) et tant d’autres disciplines sans plus de difficultés. Ces différentes
disciplines ne dépendant pas d’une autre instance (science) pour définir leur objet.
Par rapport à la « criminologie », nous disons à la suite d’A. Pires (1995) qu’aucune
de ces conditions ne semble satisfaire. On ne s’entend pas sur le statut de science
autonome, le consensus sur ses objets7 a toujours été éphémère et partiel. La
criminologie partage ses analyses et son objet avec d’autres sciences. La
détermination de sa date de naissance fait l’objet de discussions interminables et, à
part les cas les plus évidents, on ne sait pas dire facilement de quel critère un
ouvrage sera considéré comme étant ou non de la « criminologie ».
7
Les objets de la criminologie différents selon qu’on est dans le premier ou deuxième paradigme. Pour la
paradigme étiologique, c’est le criminel et pour le paradigme de la réaction social c’est la criminalisation
primaire et secondaire.
INTRODUCTION
La question de savoir si la criminologie est une science comme toutes les autres
préoccupe un grand nombre de chercheurs. De raisons sont multiples, pour certains
auteurs, elles sont de l’ordre scientifiques pour d’autres elles sont d’ordre politiques.
Le nom même de «criminologie » qui a été inventé dans le dernier quart du XIX
siècle, n’a pas été la seule appellation, ni probablement la première, par laquelle, on a
désigné ce savoir. Les expressions comme «anthropologie criminelle», « sociologie
criminelle» semblent avoir précédé celle de « criminologie et d’autres appellations
ont été mis à contribution par après. A cette digression sur la l’appellation de la
criminologie s’ajoute aussi la question de sa date de naissance et de sa vraie
définition.
8
J.Gariepy et S. Rizkalla, criminologie générale, Deuxième édition, Canada, Modulo, p.1.
Selon Lombroso et Ferri, la criminologie est une branche d’autres sciences (comme
biologie et sociologie), pour M. Cusson et Gariepy J., elle est une science autonome et
enfin pour Sutherland et A. Pires, est à la fois un corpus de connaissance, un champ
d’étude et une activité de connaissance. Cette diversité de compréhension et
d’approche fait de la criminologie un objet délicat à saisir, porteur d’une trop large
représentation de sens.
Elle est probablement la plus ancienne, et celle-ci voit la criminologie comme une
branche d'une autre science. Le choix de la « science-mère » dépend alors des
préférences théoriques de chaque auteur en particulier. Elle fait la différence entre
« criminel » et individus « normaux ». Cette représentation a été véhiculée, entre
autres, par au moins deux des principaux représentants de l'École positive italienne
(Lombroso et Ferri). Ainsi, par exemple, Lombroso 12 considérait autrefois la
9
C.Nagels Quand la « délinquance des élites » contribue au savoir criminologique, Revue de la criminologie, Un
article de la revue Criminologie Volume 49, numéro 1, printemps 2016, p. 179–202.
10
ALVARO Pires, « La criminologie d’hier et d’aujourd’hui », 1995a, p ; 16
11
L'Ecole positiviste italienne proclame la nécessité d'étudier, à côté du délit légal –domaine réservé des juristes-,
l'homme délinquant (d'où l'anthropologie criminelle de Lombroso) et les conditions sociales de la délinquance
(d'où la sociologie criminelle de Ferri), ces deux orientations complémentaires se fondant dans une discipline
nouvelle : la criminologie (Garofalo). Pour les positivistes, la peine doit d'abord protéger la société (mesures de
sûreté). L’école positiviste italienne a eu une influence considérable au point qu’elle est à l’origine du
mouvement de la défense sociale. Partant du constat d’échec du système pénal en vigueur tel qu’élaborer par
l’école classique, puisque la criminalité ne cesse d’augmenter, que les peines sont inefficaces et que les prisons
ressemblent à une école de crime, l’école positiviste italienne optera pour une position radicalement différente.
12
Selon Lombroso : « quand un homme se prête à l’horreur du crime, c’est qu’il n’a pas suivi l’évolution propre à
l’homme, c’est qu’il s’est arrêté dans l’évolution normale et qu’il témoigne d’une histoire plus ancienne. Le
crime, ou l’aujourd’hui du passé ». Dans « L’homme criminel », ouvrage principal de Lombroso paru en 1876, il
développe l’idée que le criminel est un « atavis », un vestige du passé. C’est la première intuition de Lombroso.
Pour lui, la nature est fondamentalement criminelle. En quelque sorte, Lombroso renvoie le mal et son origine
sur la nature et ses mécanismes. Puisque l’homme criminel est un vestige du passé, qu’il n’a pas de sens moral,
selon Lombroso, il n’a aucune intériorité, il n’a pas d’espace interne : il ne peut y avoir de la place en lui pour
Il sied de noter que selon Lombroso, l’homme est un être dont le sentiment de liberté
ne serait qu’une illusion. En réalité, dit-il, l’homme serait déterminé par une
multiplicité de facteurs endogènes et exogènes (biologiques, psychologiques et
sociaux) qui le contraignent dans certaines circonstances au passage à l’acte. Si l’on
veut expliquer pourquoi certains individus passent à l’acte (les criminels) et d’autres
non (les citoyens honnêtes), on est enclin à considérer que celui-ci est pour une bonne
part déterminé dans le cours de ses actions.
des sentiments, pour de la réflexion. Le criminel est un être insensible. En témoigne les nombreux tatouages
qu’il porte. Mais puisqu’il ne possède pas de morale, pas de sentiment, il ne possède qu’un moi : la réalité
d’autrui lui est totalement étrangère. L’autre n’existe tout simplement pas. C. Lombroso a mis en avant que le
crime est le fait d’un homme et n’existe pas en dehors de lui. Connaître le crime, c’est d’abord connaître le
criminel, en cela Lombroso s’élève contre l’école pénale dominante qui pense que l’infraction est une entité
juridique qui relève de la logique du droit et de la spéculation. La question de la peine capitale donna l’occasion
à Lombroso et à ses disciplines de réaffirmer leur conviction de la nature innée de la transgression chez les
criminels-nés. “L’atavisme nous fait comprendre l’inefficacité de la peine envers les criminels-nés et le fait de
leur retour constant et périodique (au crime)”(Lombroso, 1899, p. 448). Il existe, il est vrai, écrit Lombroso, un
groupe de criminels, nés pour le mal, contre lesquels viendraient se briser comme contre un écueil toutes les
cures sociales, ce qui nous contraint à leur élimination complète, même par la mort (Lombroso, 1899, p. 543).
C’est celle d'une science autonome au même titre que les autres sciences humaines.
Elle aurait cependant une nature interdisciplinaire, à la fois fondamentale et
appliquée. On a soutenu cette autonomie de deux manières relativement différentes.
Certains auteurs ont essayé de démontrer que la criminologie aurait alors, comme les
autres sciences humaines, des théories14, des concepts15, des méthodes16 et un
domaine propres (M.Cusson 1998). Selon ce point de vue, la criminologie ne se
confondrait pas, mais garderait des liens étroits avec le droit pénal et avec trois
sciences principales: la biologie, la psychologie et la sociologie. Remarquons que le
nombre de ces sciences d'appui change selon les auteurs. D'autres ont cru pouvoir
fonder l'autonomie scientifique de la criminologie dans une sorte d'activité de
synthèse et d'intégration des connaissances. La criminologie serait alors
scientifiquement autonome parce qu'elle intègre les connaissances produites par les
disciplines de base comme la biologie, la psychologie et la sociologie, et parce qu'elle
corrige leurs distorsions.
Il sied de noter que pour les partisans d’une criminologie étiologique, la criminologie
a bien un objet spécifique, qui est l’action criminelle, qui englobe à la fois l’acte et son
auteur (Gassin, 1988,36), alors que pour les partisans d’une criminologie de la
réaction sociale, la criminologie partage ses objets et son domaine d’étude avec
d’autres sciences (sociologie, psychologie, droit, histoire).
La tâche du criminologue est alors celle de faire des synthèses, plutôt que de faire
des recherches. Les auteurs emploient souvent ici des expressions comme «science-
13
CARTUYVELS Yves, « La criminologie et ses objets paradoxaux : retour sur un débat plus actuel que jamais ? »,
Déviance et Société, 2007/4 (Vol. 31), p. 445-464.
14
Théorie : Ensemble de notions, d'idées, de concepts abstraits appliqués à un domaine particulier.
15
Concept : Manière de se représenter une chose concrète ou abstraite; résultat de ce travail; représentation.
Représentation mentale abstraite et générale, objective, stable, munie d'un support verbal.
16
Méthode : manière de conduire et d'exprimer sa pensée conformément aux principes du savoir ; démarche
rationnelle destinée à découvrir et à démontrer la vérité. Méthodologie : ensemble de règles et de démarches
adoptées pour conduire une recherche.
Pour les partisans de la criminologie comme science, définit ainsi selon le Petit
Robert comme « tout corps de connaissances ayant un objet déterminé et reconnu, et
une méthode propres », la criminologie a acquis son statut scientifique dès l’instant
où elle a rempli les trois conditions suivantes :
Cette approche est critiquée par un certains nombres d’auteurs qui trouvent que la
criminologie n’a pas ses propres objets d’études mais elle s’approprie des objets
d’étude d’autres discipline comme (la psychologie, biologie, droit, sociologie….). Il
n’y a aucune approche criminologie qui ne soit ni sociologique, psychologique et
autres. C’est qui fait que pour ces auteurs la criminologie est un champ de savoir ou
une activité de connaissance.
Elle voit la criminologie comme étant exclusivement une sorte de «champ d'étude»
(field of study, field of criminology) ou un « corpus de connaissance » (body of
knowledge) composé de savoirs épars mais néanmoins portant sur un thème
commun.
Dix ans plus tard, le même auteur précisera que la criminologie est le corpus de
connaissances concernant le crime comme phénomène social. Il comprend dans sa
portée les processus de production des lois, de transgression des lois et de réaction à
l’égard des transgressions des lois (Pires, 1995a, 22). Avec le temps, se popularise
l’idée que la science de la criminologie n’existe pas en soi (De Greeff) ou que le
criminologue est un roi sans royaume (Sellin) (Gassin, 1988,35). L’éclectisme de la
criminologie est encore mis en avant par Pires qui, en 1993, propose de considérer
que la criminologie désigne l’ensemble des recherches en sciences sociales dont
l’objet porte sur ce qui se passe dans le champ pénal ou déborde ce champ mais a un
rapport explicite de connaissance avec lui (Pires, 1993,129) [4]
Cette dernière représentation commence aussi assez tôt comme on peut le voir par la
date de la première édition du manuel de Sutherland. Jusqu'à la fin des années 1960,
elle sera dominante surtout aux États-Unis et parmi les criminologues d'orientation
sociologique; après les années 1970, elle deviendra assez répandue sur le plan
international.
Notons que pour A. Pires, ces points de vue divergents n'expriment pas
adéquatement l'ensemble de la position de ces auteurs, car on peut bien y déceler
aussi certains points de convergence. En effet, tous semblent reconnaître, à différents
niveaux qu'il est souhaitable que celui ou celle qui travaille sur la question criminelle
aie une connaissance de ce sujet qui déborde si peu soit-il, le cadre des connaissances
de sa propre discipline.
17
Selon les tenants de la criminologie de la réaction sociale, le crime ou la criminalité ne sont pas des réalités
substantielles observables directement. Il s’agit donc des réalités juridiques ou construites pénalement ou encore
Selon A. Pires, la notion de champ d'étude implique l'idée qu'il y a divers savoirs
disciplinaires qui ont néanmoins un thème commun, ou encore qui se réfèrent à des
thèmes reliés et jugés pertinents, et que l'on pourrait regrouper sous le terme de
«criminologie» ou de champ criminologique (sans que ce ne soit indispensable de le
faire). Pour A. Pires, ces savoirs peuvent avoir ou non la prétention d'être
scientifiques. Bien sûr, ces thèmes communs sont ceux reliés ou jugés pertinents par
rapport à la question des situations-problèmes, de la déviance, de la transgression et
du contrôle social. On peut dire que la notion de champ d'étude a alors une
dimension relativement ouverte, conventionnelle, variable et évolutive, mais aussi un
aspect contraignant ou « objectif ».
La dimension ouverte renvoie au fait que les frontières de ce champ sont en principe
susceptibles de négociation et indéfiniment déterminables par les membres de la
communauté scientifique préoccupés de «bien» comprendre le problème. Par
exemple, on peut en venir à juger important d'intégrer à ce champ des ouvrages ou
d'autres fractions du savoir qu'on ne considérait pas auparavant comme
«criminologique». On peut aussi vouloir stimuler le criminologue à développer des
nouvelles problématiques de recherche pour mieux saisir ce qui se passe en matière
de comportements problématiques, de transgression et de contrôle social. La notion
de champ n'est donc pas fermée, puisque les représentations de ce qui en fait partie
ou non varient et se modifient selon le point de vue des membres de la communauté
scientifique préoccupés par ces thèmes communs.
des êtres des raisons, quoique l’on reconnaisse l’existence des actes ou des manières d’agir ou de faire concrets
et observables, qui posent problème (situations problématiques).
Il convient de dire que la notion d'activité de connaissance est en quelque sorte plus
large que celle de «science autonome», mais ne la présuppose pas. Autrement dit :
toute science autonome est aussi une activité de connaissance, mais l'inverse n'est pas
nécessairement vrai ; une activité de connaissance peut être scientifique sans être à
proprement parler autonome. Or, la criminologie est aussi une activité de
connaissance scientifique, bien que, du point de vue de la théorie qu'elle produit et
du domaine qu'elle occupe, elle ne soit pas autonome.
Pour A. Pires, ce n'est pas parce que l'activité de connaissance criminologique n'est
pas «autonome» qu'elle serait inférieure ou moins «bonne» qu'une connaissance
purement autonome car, on pourrait bien faire le contre-argument et dire qu'un
chercheur expert dans la question pénale dont la connaissance sur ce sujet dépasse
celle produite par la discipline qui le caractérise, a quand même plus de chances
d'être mieux informé globalement sur ce thème qu'un autre chercheur, sociologue ou
18
La criminologie s’est historiquement divisée en deux paradigmes –d’abord le paradigme du passage à l’acte et
plus tardivement celui de la réaction sociale, depuis plusieurs années, on voit émerger des théories
criminologiques qui réinvestissent de manière originale l’étude des comportements transgressifs.
Cette activité de connaissance consiste en cette idée d'avoir une vue globale, la plus
globale possible à un moment donné, des problèmes, questions et connaissances
produites à l'égard de la question criminelle (comportements problématiques et
contrôle social) et d'en tenir compte dans la production des nouvelles connaissances.
C'est dans ce sens qu'on peut parler aujourd'hui de la criminologie comme une
activité de connaissance interdisciplinaire, comme une activité-carrefour. Nous
n’entendons pas soutenir aucune de ces positions mais avec A. Pires, nous allons
proposer une nouvelle représentation qui intègre et dépasse les différentes postures
scientifiques.
Nous disons à la suite d’A. Pires que la criminologie n’est pas tout à fait une science
autonome mais non plus exclusivement un champ d’études. Elle a un double statut ;
elle est à la fois et paradoxalement deux choses relativement différentes : un champ
d’étude, comme certains l’on vu, et une activité complexe de connaissance
interdisciplinaire, de nature à la fois scientifique et éthique, ayant pour but
l’élucidation et la compréhension de la question criminelle au sens large. La notion
d'activité de connaissance remplace, d'une part, celle de « science autonome » qui
nous paraît moins appropriée pour rendre compte du statut particulier de la
criminologie - et, d'autre part, elle complète et est complétée par celle de «champ
d'étude», ce qui permet de tenir compte de certains aspects du problème qui sont
perdus par une représentation axée exclusivement sur l'une ou l'autre de ces notions.
« Le crime impose à tous les esprits son encombrante présence. Se passe-t-il un seul
jour sans que les journaux écrits ou parlés ne rapportent une escroquerie, un viol, un
assassinat ou un attentat terroriste ? Et l’appareil érigé face à la menace n’est pas
tellement plus discret. Les prisons, tribunaux, services de police et de sécurité ne se
laissent pas longtemps oublier. C’est la raison d’être de la criminologie que de rendre
intelligibles ces agissements et ces institutions : de décrire, comprendre, expliquer de
quoi le phénomène criminel est fait » (Maurice Cusson, La criminologie, Hachette,
Paris, 2014).
Pour A. Pires, la criminologie répond très mal à ces deux conditions : elle est obligée
de partager ses objets et son domaine avec d'une part les sciences comme la
psychologie et la sociologie et, d'autre part, avec des savoirs comme l'éthique et le
droit. Et ce, à tel point qu'un criminologue reconnu a dit avec raison que « le
criminologue est un roi sans royaume » (Sellin, 1955). Pour Sellin (1938/1984), la
criminologie est « une science du comportement humain dont une forme est nommée
par nous crime » (p. 15).
a. E. Durkheim
Selon Durkheim, « nous constatons l’existence d’un certain nombre d’actes qui
présentent tous ce caractère extérieur, qu’une fois accomplis, ils déterminent de la
part de la société cette réaction particulière qu’on nomme la peine. Nous en faisons
un groupe sui generis, auquel nous imposons une rubrique commune ; nous
appelons crime, tout acte puni et nous faisons du crime ainsi défini l’objet d’une
science spéciale : la criminologie » (Durkheim, 1912). Durkheim voit déjà en crime
une construction, un acte qui blesse la conscience collective. Cependant, il faut noter
que s’il y a des actes qui sont considérés unanimement comme blessant la conscience
collective comme des crimes contre l’humanité, le génocide…, il y a d’autres qui sont
perçus différemment selon les types de sociétés. Ainsi, l’homosexualité est tolérée
(considérée comme une valeur) dans certaines sociétés et condamnés dans d’autres.
b. E. Ferri
Selon E. FERRI « La criminologie est la somme global de toutes les disciplines qui
s’intéressent au fait criminel, y compris le droit pénal 21». Par la somme des toutes les
21
T. Ferri, la criminologie ou la nouvelle science pénitentiaire, Théorie et pratique de la criminologie appliquée
C. E. Sutherland
2. Pour ce qui concerne la transgression25 des lois, elle s'interroge sur le passage à
l'acte criminel, le pourquoi, les causes de violation des lois. La transgression peut
avoir un caractère héroïque dans la mesure où, le transgresseur ne se considère pas
comme criminel mais comme un «révolutionnaire ». Un rebelle qui devient par
exemple Président de la République. Contre des lois avilissantes, certains individus
peuvent se révolter mais ils seront considéré comme des criminels ou hors-la loi. Le
transgresseur de la loi peut faire l’objet d’une étude pour comprendre et expliquer
son acte.
22
L.Mucchielli, sociologie de la délinquance, Paris, Armand Colin 2014, 48-60
23
MONTESQUIEUX, de l’esprit des lois, Tome I, livre XII, Chap III, p.197
24
Idem, p.35.
25
Idem
d. M. Foucault
Pour M. FOUCAULT, dans son livre "Surveiller et punir" (1975), "la criminologie naît
quand l'homme criminel devient un nouveau champ de connaissance scientifique",
autrement dit, quand l'homme peut être considéré, non plus comme objet juridique,
mais comme objet livré à l'analyse des sciences sociales. Selon Foucault, sous le nom
de crimes et délits, on juge toujours bien des objets juridiques définis par le code,
mais en juge on même temps des passions, des instincts, des anomalies, des
infirmités, des inadaptations, des effets de milieu ou d’hérédité (Foucault, 1975, p. 22)
L’homme comme un être complexe ne doit pas rester seulement un être juridique
c’est-à-dire, un être construit juridiquement. Expliquer et comprendre son passage à
l’acte criminel nécessite le concours des plusieurs autres sciences sociales. Les
différentes sciences sociales concourent à l’élucidation ou la compréhension du crime
et du criminel.
e. R. Merton
26
Idem
Selon JEFFERY (1959 : 6), dans son sens étymologique, « le terme "crime" fait
référence à l'acte de juger ou d'étiqueter le comportement, plutôt qu'au
comportement lui-même ». En effet, le mot «crime» vient du mot latin «crimen (-
inis)» qui signifiait à l'origine «décision judiciaire ». Ce mot vient à son tour du grec «
krimein», c'est-à-dire « juger», «choisir», «séparer». Dans le latin classique, le mot
«crimen» a aussi pris le sens d'« accusation » ou de « chef d'accusation ». Cela veut
dire que, dans son sens étymologique, le mot crime ne désigne pas directement une
action, un acte ou un comportement particulier, mais plutôt l'acte de juger un
comportement dans le cadre d'un processus institutionnel de type judiciaire.
Le sens étymologique du mot « crime » rejoint ces phrases célèbres du juriste italien
Francesco Carrara (1859, 41-42) qui soulignait qu'on ne doit pas concevoir « le crime
comme une action, mais comme une infraction » (au droit pénal), car il n'est pas « un
fait matériel, mais plutôt un être juridique ». Or, cette idée que le « crime » pouvait
être autre chose qu'un comportement allait à l'encontre des représentations
dominantes au XIXème et dans la première moitié du XXe siècle. Car, en règle
générale, les chercheurs de cette époque étaient surtout préoccupés par l'étude
empirique des causes spécifiques du comportement criminalisé considéré comme un
fait brut. Certains avaient même la conviction que le « crime » était une sorte de
maladie ou de pathologie et que les personnes qui transgressaient les lois pénales
faisaient partie d'une variété zoologique du genre humain (species generis humani).
Or, l'étymologie du mot les aurait poussés à représenter la criminologie comme « la
science qui étudie les décisions législatives et judiciaires » ou encore comme « la
science qui étudie les jugements de valeur portés sur certains comportements dans
un contexte législatif et judiciaire ».
Bien sûr, cela allait aussi à contre-courant par rapport à l'idée du criminel-né. Mais
plus fondamentalement encore, même pour ceux qui ne croyaient pas dans
l'anormalité du justiciable ou dans l'hypothèse d'un criminel-né, l'idée que le «crime»
pouvait dépendre d'une décision législative et judiciaire semblait conduire
nécessairement à une absurdité, en l'occurrence à la conclusion bizarre que «sans la
définition pénale de crime, le comportement en question disparaîtrait». C'est donc en
voulant ranger la criminologie parmi les sciences «objectives», ou en voulant étudier
scientifiquement le «crime», que ce qui a prévalu a été ce rabattement du «crime» sur
son aspect substantiel ; ce qui donnait au criminologue, en apparence du moins, un
objet palpable et non tributaire de la construction juridique.
La définition du crime par le droit pénal n'apparaît alors pour lui que comme un «à-
côté» ou une conséquence obligée sur le plan législatif de la nature de l'acte même.
Par conséquent, jusqu'à récemment, le criminologue s'est éloigné beaucoup du sens
étymologique du mot «crime». Certes, au fur et à mesure que ce savoir progresse, on
assiste également à une prise de distance de plus en plus marquée des
représentations premières. Aujourd'hui, le sens étymologique est revenu sur le
tableau et fait l'objet de nouveaux débats.
Eu égard à ce précède, nous pouvons dire qu’il n’y a pas l’unanimité entre les
auteurs sur la définition de la criminologie. Chaque auteur définit la criminologie à
sa manière. La criminologie comme science du crime et les efforts de (non)définition
de son objet laissent le lecteur perplexe lorsqu’on conclut à la suite de Raymond
Gassin que les représentations intuitives de tout un chacun légitiment l’existence de
crimes naturels et les crimes conventionnel. La criminologie serait une science qui
laisse définir sont objet par le sens commun et les représentations intuitives.
A. Pires, n’est pas favorables à ces formules qui présentent la criminologie comme «
la science qui étudie le crime », la « science du phénomène criminel » ou encore « la
science qui a pour objet l'étude du crime, du criminel et de la criminalité ». Pour lui,
toutes ces formules sont ambiguës et ont tendance à produire un rabattement du
Pour notre part, toutes ces définitions de la criminologie convergent sur deux
concepts fondamentaux :
le crime27 ;
le criminel et le phénomène criminel.
Dans le cadre de ce cours, nous nous allons étudier le crime comme un être juridique
d’une part et comme un fait brut. Nous considérons le criminel comme objet d’étude
de sciences sociales et partant, la criminologie devient en même temps une science
synthèse et un champ d’études qui étudie l’homme comme «membralité» c’est-à-dire
membre d’une société, d’une communauté, d’une famille dans ses différentes
interactions.
La criminologie est née en Italie au XIX siècle, sous l’impulsion de trois éminents
savants, considérés, selon toute vraisemblance comme les pères fondateurs de la
criminologie:
Lombroso fut Médecin militaire, dont l'ouvrage "l'Uomo delinquente", paru en 1876
sous le titre "L'homme criminel", constituerait, en quelque sorte, l'acte de naissance
de la criminologie. Pour Lombroso, la cause profonde de la délinquance se trouve
dans les anomalies corporelles et mentales, les criminels sont biologiquement arrêtés
dans l’évolution. Il existe des criminels-nés, déterminés à le rester. Le déterminisme
est la clé de voûte de cette pensée dont un aspect révolutionnaire est de s’intéresser
au criminel, à sa personnalité alors que jusque-là seul le crime était l’objet de
préoccupations28. Un des héritages les plus redoutables de Cesare Lombroso est
d’aboutir à une pensée où les criminels constituent une véritable race à part, avec des
stigmates de structure précis, biologiques ou psychologiques qui constitueraient une
27
La question qu’est-ce- plus exactement un crime ? Le crime (la criminalité, la délinquance) est un objet qui
comporte deux dimensions : cette notion renvoie à un comportement (souvent blâmable) et une manière de
définir et de réagir à ce comportement. C’est le rapport entre un acte et une manière de définir (pénalement) cet
acte. Le crime n’existe pas ; il y a seulement des actes ou des comportements criminalisés.
28
Carla Nagels, Quand la « délinquance des élites » contribue au savoir criminologique, Revue de la
criminologie, Un article de la revue Criminologie Volume 49, numéro 1, printemps 2016, p. 179–202.
Ferri fut professeur de droit et sociologue, auteur d'un livre intitulé "Sociologie
criminelle", paru en 1881 sous le titre "Les nouveaux horizons du droit pénal".
Avocat de l’école positive, Ferri est parmi les premiers à avoir eu une vision assez
synthétique et élargie du problème criminel. Il se démarque de Lombroso sans le
renier mais en développant sa pensée. Il ne rejette pas totalement l’hypothèse
atavique, ni la folie morale. Celui pour qui le crime est à la fois biologique et
sociologique. Homme des substitutifs pénaux, il veut mettre en lumière le rôle d’une
société qui doit s’efforcer d’appliquer les moyens préventifs avant d’attendre que le
mal soit fait, mais également s’interroger sur les pénalités et leur application, ainsi
que sur la nécessité d’améliorer ou d’inventer de nouvelles pratiques pénales. La
diversité des facteurs criminels et la destination qui en découle des différentes
catégories de délinquants, détermine la variété des moyens défensifs contre le délit,
que la “sociologie criminelle” indique à la société et qu’elle répartit ainsi: ce sont les
moyens préventifs ou d’hygiène sociale qui tendent à empêcher que le délit lui-
même existe; les moyens réparateurs ou de dédommagement civil; les moyens
répressifs temporaires qui peuvent être quelques-uns de ceux de l’arsenal répressif
existant, enfin les moyens éliminatoires par lesquels la société, après avoir constaté
qu’un individu donné est impropre à la vie sociale, l’exclut (M. Kaluszynski, 2020).
En fait les doctrines spécifiques à E. Ferri, basées plus précisément sur le traitement
pénal du délinquant, atténuent la rigueur de la conception du criminel-né, mais sans
jamais désavouer le fondement de ces théories. Ferri a moins insisté sur les facteurs
29
Idem
30
Dans le cadre de sa conception multifactorielle de la criminalité, il soutient que « si l’on supprime la misère et
l’inégalité choquante des conditions économiques (…) on verra se produire une diminution considérable des
crimes d’occasion déterminée Ferri distingue, comme on l’a vu, trois grands groupes de causes à la criminalité,
les causes anthropologiques (constitution organique et psychique), les causes physiques (le climat, la nature du
sol, les saisons, la température, les conditions atmosphériques, etc.) et les causes sociales (organisation
économique et politique, la religion, l’éducation, la famille, la densité de population, etc.). minés principalement
par le milieu social ».Pour Ferri, la responsabilité pénale qui repose sur le libre-arbitre est évidemment rejetée.
Pourquoi dès lors se défendre en frappant un individu qui est pourtant déterminé ? Pour Ferri, si l’on observe ce
qui se passe dans la nature et dans la vie sociale, un certain nombre de constances apparaissent. Ainsi, un
individu que se penche trop par la fenêtre, quels que soient ses motifs, tombe et meurt. Un passant qui par
distraction et sans intention de nuire, heurte un autre, provoque de la part de celui-ci une réaction, soit en paroles
soit en actes. Ce qui a de commun dans ces formes de réaction (naturelle ou sociale), c’est « que la sanction
même est toujours indépendante de la volonté de l’individu qui a agi ». Pourquoi, dès lors, en devrait-il être
autrement pour la réaction pénale ? Seule l’imputabilité matérielle des faits reste nécessaire.
R. Garoffalo fut magistra, il publia en 1885, un livre intitulé "Criminologie". C’est lui
l’inventeur ou propagateur du terme « criminologie ». Garofalo est celui qui va
s’attacher à ce qu’est le crime pour comprendre le phénomène criminel. En cela, il est
sans doute un des premiers à avoir suivi, cru en cette orientation, à avoir tenté de
s’attacher à cette notion, fréquemment oubliée, ignorée des recherches
“criminologiques”. Pour Garofalo, le caractère du criminel doit être exclusivement
cherché dans le crime et il est l’auteur du concept de témibilité31 (M. Kaluzunski, 42).
“La vie antérieure du délinquant doit nous être connue et ses liaisons. L’âge du
délinquant est la circonstance la plus importante, il faudra savoir ensuite quelle est sa
famille, l’éducation qu’il a reçue, quelles ont été ses occupations, quel était le but
qu’il poursuivait dans la vie. Dès 1890, Lombroso préconisait la nécessité d’un
examen médico-psychologique du criminel. Garofalo insiste sur le caractère
indispensable de cette “enquête” sur Garofalo pense qu’on peut exprimer un
jugement de valeur sur le criminel et en tirer “un pronostic” qui s’exprime en termes
d’hypothèse sur son comportement ultérieur (M.Kaluzunski, 43). . Garofalo a creusé
un sillon parallèle à celui de Lombroso, mais il l’a creusé sur un autre terrain.
Lombroso a mis à nu les anomalies anatomiques du criminel, Garofalo ses anomalies
morales.
Pour certains auteurs, ces grandes figures de la criminologie ont été des héritiers
plus que véritablement des fondateurs. Il sied de noter que tout semble suggérer que
le premier à l'avoir inventé et utilisé dans le sens contemporain a été Rafael Garofalo
juriste italien qui en a fait, en 1885 le titre de son ouvrage traitant notamment de
31
Le terme de témibilité désigne, selon Garofalo, la perversité constante et agissante du délinquant et laquantité
de mal qu’on peut redouter de sa part en sa capacité criminelle, d’où les termes parallèle périculosité,
redoutabilité, dangerosité, état dangereux.
C’est au XIXème siècle, dans les années 1880, qu’apparaît l’anthropologie criminelle
ou la criminologie. Le crime est au XIXème siècle la “figure offensive de la
monstruosité” par excellence (Tort, 1985). Le crime, la criminalité sont des terrains
privilégiés pour refléter les angoisses et les peurs d’une société en construction. De
La criminologie se construit donc autour d’une conception de l’être humain comme un individu déterminé par
certains facteurs (biologiques, psychologiques, sociologiques) et non pas libre des actions qu’il pose. Il est
évident que si l’on veut expliquer le passage à l’acte, on est en quelque sorte obligé de considérer que l’individu
est pour une bonne part déterminé.
35
En 1870, lors de l’autopsie d’un homme réputé dangereux, Villela, Lombroso découvre une énorme fossette
occipitale qu’il met en rapport avec un autre creux surdéveloppé, les deux creux étant également présents chez
les vertébrés inférieurs. Il en déduit que les caractéristiques des hommes primitifs et des animaux inférieurs
continuent à exister. C’est le point de départ de toute une théorie sur le crime. L’évidence saute aux yeux de
Lombroso : « quand un homme se prête à l’horreur du crime, c’est qu’il n’a pas suivi l’évolution propre à
l’homme, c’est qu’il s’est arrêté dans l’évolution normale et qu’il témoigne d’une histoire plus ancienne. Pour
Lombroso, le criminel est un atavus, càd un vestige du passé, un primitif attardé parmi nous.
36
Lacassagne s’attaque à l’atavisme, clé de voûte de tout le système comme “une exagération, une fausse
interprétation”… et déconstruit peu à peu l’échafaudage italien. Enfin, il avance son hypothèse… l’importance
du milieu social, et défend avec ardeur ses hypothèses et celles de tout son entourage. Ainsi pour Lacassagne, le
crime est sinon un déchet social, tout au moins un produit du “milieu social”. Ce terme générique englobant
l’ensemble des actions extérieures, climatiques, physiques, chimiques, doivent s’y ajouter les influences
d’éducation et d’entourage susceptibles de provoquer l’éveil des tendances “criminelles” existant à l’état latent
chez les individus “héréditairement tarés”, ou les créer chez les sujets “normaux”.
37
Tarde a fait d’abord le procès de la théorie du type lombrosien (ainsi que celle de la pluralité des types de
Marro). Cependant, il ne niait pas qu’il “existe réellement un certain nombre de vrais criminels” mais leur crime
restait, malgré tout, facteur du milieu. Tarde complète sa théorie du criminel par une théorie du crime qui
s’inspire des mêmes données fondamentales, c’est-à-dire les données sociologiques. Il admet avec Ferri
l’existence de trois catégories de causes en matière de criminalité, les causes physiques, physiologiques et
sociales, mais reproche au maître italien d’avoir fait la part trop belle aux causes naturelles alors que lui-même
conclut à la prépondérance des causes sociologiques, avec un fond de toutes ces causes sociales, une notion
précise: l’imitation, l’imitation liée à l’invention et le type professionnel.
38
Martine Kaluszynski, op.cit.p33
Cette expression fait partie des premiers noms donnés à la criminologie. Il semble
que c'est dans la mouvance à la fois du mouvement italien de «droit pénal social»
(1883-1912) - appelé aussi le «socialisme juridique » et des écrits d'Enrico Ferri,
qu'elle a été proposée dans le dernier quart du XIXe siècle. A partir de 1892, Ferri
modifie le titre de la troisième édition de son I nuovi orizzonti del diritto e della
procedura penale (orig. 1881) pour l'appeler« Sociologia criminale » (Sbric-coli, 1975 :
571). Outre cela, n Ferri (1905 40, 622) qui dit avoir proposé ce nom pour la première
fois dans un article paru en 1882 et, par la suite, dans deux livres publiés en1883,
c'est-à-dire un an ou deux ans avant la parution du livre de Colajanni. À en croire le
témoignage de Ferri, il serait alors l'un des inventeurs de cette expression,
possiblement le premier. Il reste que l'expression « sociologie criminelle », proposée
par Ferri, avait une signification équivalente à celle d'«anthropologie criminelle » (au
sens large) ou encore de « criminologie», mais exprimait explicitement un parti-pris
favorable à la thèse du milieu social (Umwelt), par contraste avec celle des
prédispositions personnelles.
L’introduction de ce chapitre oblige que l’on définisse d’abord ce que l’on n’entend
par le paradigme.
Le paradigme est une conception théorique dominante ayant cours à une certaine
époque dans une communauté scientifique donnée, qui fonde les types d'explication
envisageables, et les types de faits à découvrir dans une science donnée. C’est un
cadre théorique qui englobe diverses théories, un cadre conceptuel de référence qui
oriente la réflexion et la recherche.
Un des problèmes majeurs qui a affligé la criminologie depuis les années soixante est
sans doute le fameux clivage entre une criminologie du passage à l’acte et une
criminologie de la réaction sociale. Où en est la recherche empirique et théorique sur
cette question ? Convaincu que le débat sur les « deux criminologies » relève d’un
problème sérieux, nous allons parler de ce deux approches, de leurs fondements et
de leur limites.
Une présentation succincte des principaux points d’appui de ces deux paradigmes
devrait permettre de mieux comprendre les reproches croisés que s’adressent les
tenants de l’approche étiologique et ceux de la réaction sociale, tout comme les
enjeux du débat sur les objets paradoxaux de la criminologie que relançait A.P. Pires
dans Déviance et Société il y a 15 ans.
§1.Notion générale
En réalité, les recherches qui y sont attachées conçoivent le crime comme un fait
social consistant plutôt qu’une réalité construite par les interactions sociales et par la
loi pénale. On étudie alors, si l’on peut dire, une seule dimension du crime : la
manière de faire. On laisse alors de côté l’étude de la manière de définir et de réagir.
D’autre part, le crime apparaît comme une chose, une substance 40 ayant un contour
39
Pierre Landreville, Évolution théorique en criminologie : l’histoire d’un cheminement. Criminologie, Vol. 19,
N°1, 11–31., 1986
40
Selon C/ Nagels, plusieurs courants criminologiques ont réinvesti l’étude des comportements «
criminalisables », Certains ont resubstantialisé entièrement le concept de « crime ». Ils en ont fait un
comportement réclamant la loi pénale et non l’inverse. C’est le cas pour ce que Cartuyvels (2007) regroupe sous
les études d’inspiration cognitivo-comportementaliste visant à dépister précocement les « troubles de conduite
dont l’héritabilité génétique n’est pas exclue, laissant augurer plus tard l’inscription dans une carrière
délinquante de sujets à risque » (p. 457), renouant ainsi avec l’image d’un criminel « autre », un « monstre »
potentiel dont il faut se protéger, par essence différent du commun des mortels (entendons non criminel). C’est le
cas aussi pour les courants criminologiques que Garland (1998) a joliment nommés la criminologie de la vie
quotidienne où le criminel est perçu comme un individu normal, rationnel et hédoniste et où le passage à l’acte
Dans ce paradigme du fait social, les recherches veulent décrire les tendances
statistiques de la criminalité (ex. Quételet), trouver les traits du crime chez l’individu
(positivisme criminologique), ou encore comprendre les processus qui conduisent à
la déviance ou au passage à l’acte (école de Chicago et école de Louvain). Les
grandes questions de recherches sont : pourquoi devient-on délinquant? comment
varie le taux de criminalité et quels sont ses rapports avec d’autres variables
(Quételet) ? Selon A. Quételet, il existe une constance du fait criminel qui obéit à des
lois et à l’existence d’un penchant au crime. Il ressort fondamentalement de ses
travaux l’idée selon laquelle, l’homme est susceptible d’une approche scientifique,
quantifiée. La question de qui est le délinquant et comment peut-on le distinguer des
honnêtes citoyens (positivisme) ? Comment devient-on déviant au cours d’un
processus normal d’adaptation sociale et personnelle aux conditions de vie ? (école
de Chicago, De Greeff). La criminalité est vue tantôt comme un phénomène de
masse, tantôt comme une forme de pathologie individuelle, tantôt encore comme le
sous-produit d’un processus d’adaptation à des (mauvaises) conditions de vie (Pires,
1992).
Pour les partisans des théories causalistes estiment qu’il faut dégager les différentes
causes de la délinquance afin de guider l’action des pouvoirs publics en faveur de la
« moralisation » réinsertion-rééducation des contrevenants.
1 L’inadaptation de l’individu ;
n’est perçu que comme « la contrepartie de nos libertés individuelles et de nos marchés non réglementés, la
dimension extérieure de nos décisions économiques » (p. 52), une « réalité dont on ne tient pas compte et de
laquelle (…) il faut seulement apprendre à se défendre » (Melossi, 2007, p. 411). Il sied de noter que d’après C.
Nagels, ces deux approches dominent aujourd’hui le champ criminologique occultent une des deux faces de cet
objet paradoxal qu’est le crime et n’enrichissent pas substantiellement les savoirs criminologiques.
Il sied de noter qu’à ces quatre types d’explications, on doit ajouter un cinquième
d’inspiration différente : celui qui conçoit la criminalité comme un phénomène lié à la
reproduction de la domination c’est-à-dire découlant directement de la défense d’une
forme établie de la hiérarchie sociale (A. Ogien 1995, 35).
Pour ceux qui mettent l’accent sur l’individu, le crime est commis par des individus
possédant une disposition particulière qui les pousse à faire le mal de façon
compulsive. Pour Lombroso, le crime est une conduite pathologique, qu’il convient
de guérir sur base d’un traitement individuel qui n’appelle qu’en certains cas le
recours aux instruments du droit. L’idée de la « mauvaise nature » offre une
explication commode de l’incoduite à l’homme de la rue. Cette conception est
défendue par le déterminisme biologique qui affirme le caractère irrémédiablement
nuisible du délinquant. Dans cette optique, mettre fin au crime oblige l’élimination
de ceux criminels considérés comme ontologiquement mauvais.
Pour ceux qui pensent que c’est la société, la délinquance procéderait des faillites de
l’intégration sociale. Le chômage, l’analphabétisme. La société produit ses propres
délinquants dans la mesure où, elle ne met pas à la disposition de son peuple, les
moyens nécessaires pour les intégrer. Notons que pour certains auteurs, l’intégration
n’est pas le facteur déterminant dans le passage à l’acte délinquant.
Certains criminologues pensent qu’il existe toujours des raisons qui expliquent le
passage à l’acte criminel comme, un assassinat, un meurtre… Souvent, ces raisons
nous allons les retrouver dans des explications simples : elle n’a pas eu une enfance
heureuse, ses parents la maltraitaient, elle buvait beaucoup, elle n’a pas supporté sa
grossesse, son mari l’a quittée ou ne lui consacrait aucun moment, elle n’avait plus
d’argent pour nourrir ses enfants… Bref toute une série de raisons ou des causes qui
viendraient expliquer directement et facilement les faits, sans prendre le temps
indispensable de la compréhension. La criminologie du fait social ou étiologique
essai d’expliquer ce qui s’est passé en distinguant des causes biologiques,
psychologiques ou sociales et en tentant éventuellement de comprendre comment
tous ces éléments jouent ensemble dans une explication globale satisfaisante (C.
Adam, 2014). Nous disons que cette manière de voir est utile mais suffisante. Elle
ouvre certaines portes mais elle ne dit pas l’essentiel.
Selon C. Adam (2014) si une mère tue son enfant pour n’avoir pas connu son père, ce
qu’on peut observer objectivement, cela, ne nous dit pas comment elle a vécu
Il sied de noter que les théories de l’époque prétendent que le criminel existe en soi,
le crime n’est que la manifestation d’une personnalité criminelle préexistante. La
question est alors de savoir où se trouve le siège de cette différence qui s’exprime par
le crime, voire qui prédestine certains individus au crime. C’est encore cette
perspective « essentialiste » ou «réifiante » du criminel, qui orientera les réponses
pénales, pensées essentiellement en termes d’éloignement, d’exclusion, voire
d’élimination d’individus dotés d’une essence particulière. L'image de l'homme
criminel, comme celle du lou-garou ou d'autres êtres maléfiques, hante le
subconscient de l'homme depuis des temps immémoriaux. Cette image évoque en
nous une ambivalence foncière. La peur, voire la terreur, se mêle à une certaine
familiarité, à un inavouable sentiment de connivence. Pourquoi cette ambivalence ?
C'est parce que le criminel est essentiellement en dehors de nous ; il nous menace
dans notre intégrité corporelle et dans notre bien-être matériel. Mais il est aussi,
paradoxalement, en nous. Nous sommes capables de comprendre, voire d'accomplir
tous ces actes dont le récit remplit notre esprit et notre cœur d'horreur et de
répulsion»41.
La criminologie s'est alors inlassablement interrogée sur les raisons qui conduisaient
certains individus à passer à l'acte criminel, donc sur les différences entre
délinquants et non-délinquants. Bien sûr, la réponse avancée s'est modifiée au cours
du temps, mais la question, elle, est demeurée toujours la même.
Lacassagne disait, en effet : "Les sociétés n'ont que les criminels qu'elles méritent" et "Le
milieu social est le bouillon de culture de la criminalité, le microbe, c'est le criminel, un
élément qui n'a d'importance que le jour où il trouve le bouillon qui le fait fermenter"
(Lacassagne, 1894, p. 407).
Il sied de noter que c’est une explication sociale du crime, mais pas encore
explication sociologique : pour Lacassagne, la société, le milieu social ne fait que
révéler ou non la nature criminelle de certains individus, nature intégralement
déterminée à l'avance par leur hérédité. Là encore, l'explication est de type causaliste:
on devient délinquant à cause de la société. Ainsi le milieu social ou la société, par les
insuffisances de son organisation politique, l’isolement et l’indifférence qu’elle peut
engendrer, les sollicitations qu’elle multiplie, peut “encourager” la vocation
criminelle. C’est l’inattention dont souffrent les plus défavorisés, exclus du bénéfice
de l’éducation et souvent marginalisés par les mécanismes de l’économie moderne,
qui les rend vulnérables aux sollicitations d’un environnement hostile 42. Nous
verrons que jusque dans les années 1960, l'application des grandes théories
sociologiques classiques à la criminologie s'est constamment opérée dans une telle
perspective.
42
M.Kaluzinski, op.cit.47
43
Le paradigme du contrôle, ou la criminologie du contrôle social, par contre, met en cause la possibilité
d'articuler une théorie spécifique du comportement criminel et déplace le focus de l'étude vers les appareils et
les formes de contrôle social. La question centrale est ici : pourquoi et comment est-on défini comme
Le terme de réaction sociale, comme son nom l'indique d'ailleurs, peut être défini,
pour l'instant, «comme l'ensemble des moyens ici, les institutions pénales que la
société va se donner et mettre en œuvre pour réagir, face au crime : en matière
pénale, la réaction sociale va se manifester par la poursuite et la répression du
délinquant». Or, pendant longtemps, la criminologie considérait la réaction sociale
plus précisément la justice pénale comme à peu près hors de son champ d'étude.
Ainsi, on considérait implicitement la justice pénale comme un outil permettant
d'atteindre le délinquant et de chercher l'élément de différence permettant de rendre
compte de son comportement hors norme. Autrement dit, pour comprendre et
expliquer le phénomène criminel, on se disait qu'il suffisait d'étudier les condamnés,
comme si l'intervention de la justice pénale était totalement neutre. Bref, l'étude des
délinquant? Et cette question peut être complétée par une autre : qui définit le comportement de qui comme
déviant ou délinquant?
A partir des années 1960, certains courants de pensée vont inclure l'étude de la
réaction sociale dans le champ de la criminologie. Il en est ainsi, comme nous le
verrons, des théories interactionnistes, inspirées de la pensée de Georges Herbert
Mead, ou encore de la théorie de l'étiquetage d’E. Lemert ou H. Becker.
On peut résumer la pensée de ce courant en disant que pour ses tenants, la réaction
sociale doit être prise en compte dans la genèse du comportement délinquant : le
passage par la justice pénale, par exemple, par ses impositions de rôle, constitue le
délinquant comme différent en le traitant de façon discriminatoire, ségrégative et
stigmatisante. C'est ainsi que par la réaction stigmatisante, on est étiqueté comme
délinquant favorisera une prise de rôle de délinquant durable. Par rapport au
courant précédent, nous voyons que la réponse à la question "pourquoi devient-on
délinquant a changé.
La loi pénale crée l’infraction (pas le comportement bien entendu, mais son existence
en tant que crime) par son institution même (Robert, 1984,107). Ou encore : pas de
crime sans incrimination préalable, pas de crime sans une « réaction sociale »
préalable à un acte débouchant sur sa définition comme crime (...). La règle pénale
est constitutive du crime, sans référence à elle, il est aussi impossible de parler de
Dans son article de 1993, Pires soutient que les deux paradigmes en conflit sont
moins homogènes et antinomiques qu’il n’y paraît. Des tentatives de dépassement
ont déjà eu lieu. Pour Pires, ce dilemme paradigmatique concerne l’ensemble du
champ criminologique et un certain nombre de chercheurs, rangés comme lui-même
du côté de la réaction sociale, éprouvent un malaise à éluder complètement la
question du comportement problématique.
44
§3.Observations critiques
Pour A. Pires, en règle générale, on peut dire que les objets d'une science sont ceux
que l'on observe dans sa propre pratique de recherche ; les objets de la biologie, par
exemple, sont ceux-là mêmes que les biologistes se donnent à certains moments, etc.
Mais la difficulté de la criminologie est justement qu'elle n'est pas une science
autonome, mais plutôt une activité de connaissance.
La criminologie n'a pas un domaine propre par conséquent, le criminologue est lui-
même un personnage flou et mal défini, et ses objets et théories appartiennent aussi
en même temps à d'autres disciplines. Apparaît alors un problème de choix et de
détermination des objets qui est plus volatile que celui qu'on retrouve dans les
sciences autonomes. Il se présente sous la forme brutale suivante : « quelle est la
partie des objets et des savoirs d’autres disciplines que nous, comme criminologues,
nous allons approprier, réquisitionner, pour en faire aussi des objets de la
criminologie ? ».
B. Danger dogmatique
45
C. Nagels op.cit.
Pour éviter le danger des dogmatismes, il faut alors prendre conscience que, dans le
cas de la criminologie, il n'y a vraiment aucun objet a priori qui lui appartient plus
qu'à d'autres sciences. L'activité de recherche en criminologie recouvre toujours celle
des autres disciplines. Dès lors, le criminologue n'a pas à créer des barrières
disciplinaires artificielles, comme s'il avait un domaine propre ; ce qui doit compter
c'est l'intérêt théorique des objets pour l'activité de connaissance elle-même, pour une
meilleure élucidation et compréhension de la question pénale. Tout ce que le
criminologue fait comme recherche peut être vu comme appartenant aussi à la
discipline qui a marqué le plus son approche. C'est une illusion de croire que la
criminologie a des objets ; il vaut mieux dire qu'elle s'approprie des objets.
Il reste que cette capacité de « choisir » ses objets avec une relative liberté par rapport
à la pratique globale des recherches en sciences humaines, liée à certaines convictions
a priori sur la nature (factuelle) du crime, sur ce qui était important à étudier et sur la
représentation de la science, ont amené le criminologue à engager un débat
interminable sur les objets qui devaient faire partie de cette activité de connaissance,
raison pour laquelle A. Pires parle de deux codes de langage.
Les questions du genre : «boni boni moto oyo abuki mobeku» ? ebandi ndenge nini abuka
mobeko » to akoma mobuki mibeko » ? «po nani asali boye, ou encore ebandi ndenge nini aya
kokoma bongo to koya kosala makambu ya boye, nini etindi ye asala bongo ?» traversent la
mémoire de beaucoup de Congolais. Les réponses souvent qui y sont données sont
d’ordre spirituel, démoniaque ou pathologique. Les criminels répondent souvent
La question est celle d’avoir l’équivalent du concept crime dans la culture congolaise.
Selon E. Durkheim, le crime est un acte qui offense les états forts de la conscience. En
RDC, tout ce qui blesse la conscience collective est sanctionné selon les cultures.
Ainsi, lorsque dans certains coins de la République, on peut céder son lit conjugal et
son épouse à son ami, dans d’autres coins, cela, est un motif de divorce. Ce qui peut
donner la vie ou la joie dans telle tribu est susceptible de donner la mort ou créer de
problèmes dans telle autre. Le mal dans les cultures congolaises n’est pas homogène
sauf en cas de mort d’homme. Tant qu’il n’y pas encore eu mort d’homme, ou une
intention de nuire à autrui, on ne peut pas parler en termes de crime.
C'est pour cela d'ailleurs que nous devons réexaminer souvent la pertinence de notre
langage dans les discours scientifiques. Une des conséquences de ce code est qu'il a
tendance à se rabattre sur l'aspect «substantiel» ou factuel de la notion de crime et à
concevoir le « crime » comme étant simplement un acte, un comportement ou un fait
social brut ; bref, des véritables « délits naturels » (Garofalo, 1914 : 14) ou « délits
essentiels » (Tarde, 1890 : 72-73) 69.
La deuxième caractéristique est que ce code a tendance à donner une portée plus
large aux objets de la criminologie justement parce qu'il ne se laisse pas limiter par le
langage et les objectifs institutionnels et juge nécessaire d'explorer, théoriquement et
empiriquement, les présupposés du code substantiel et sa tendance à prendre pour
acquis la configuration que les institutions sociales donnent à la réalité.
46
Selon Husserl le phénomène ne signifie pas une simple apparence qui s’oppose à la vérité de l’être mais une
apparition, manifestation pleine de sens
47
Pourtant, en 1995, il définit plus clairement la situation-problème qui « désigne simplement que pour au moins
un acteur quelconque une situation donnée est vécue ou perçue comme “créant un problème ”, ou comme étant
négative, inacceptable, indésirable » (Pires, 1995, p. 63) en s’inspirant ouvertement de la définition qu’en donne
Hulsman (1981) ouvrant grand le champ de la recherche criminologique à l’étude d’à priori toute la gamme de
comportements humains, pour autant que ceux-ci posent problème à au moins une personne. Selon C. Nagels, les
zémiologues préfèrent aux concepts de situation-problème ou de « crime » celui de « tort social » (social harm)
(Bertrand, 2008 ; Vanhamme, 2010). Selon eux, le concept de situation-problème ne permet pas de spécifier
suffisamment l’objet sur lequel les « criminologues » sont amenés à travailler et celui de crime est non seulement
loin d’englober toutes les situations qui causent des « torts sociaux » (par exemple les milliers de morts ou de
blessures en milieu professionnel), mais concerne aussi des événements peu graves tant sur le plan de
l’expérience personnelle que des conséquences sociales (vol de téléphones GSM, par exemple) (Hillyard et
Tombs, 2007). Les réponses que la société impose aux « criminels » et qui sont conceptualisées dans le droit
pénal ne touchent dès lors que peu d’individus « dangereux » ou « nuisibles » pour la collectivité puisqu’un
grand nombre de torts sociaux ne sont pas perçus comme des « crimes », mais comme des accidents, des dégâts
collatéraux de l’économie de marché (voir Bertrand, 2008, p. 193). Il n’atteint donc pas son objectif de
protection de la société.
Nous venons de voir dans la première partie que la criminologie est plurielle et vit de
ses controverses. La criminologie entendue comme champ d’étude ou activité de
connaissance permet d’appréhender le crime, le criminel, la criminalité dans leur
complexité.
C'est ainsi qu'elle a pu analyser les faits sociaux et donc le crime, d'abord en terme de
"milieu", puis en terme de "culture", de "fonction" et enfin d’interaction". Il est donc
classique de distinguer, dans la sociologie américaine, quatre grands courants
correspondant à ces 4 problématiques :
Chacun de ces courants va donc proposer un cadre d'analyse (le milieu, la culture, la
fonction, l'interaction) qui énonce les problèmes à poser, les phénomènes à observer
et le type de méthode à employer si l'on veut objectiver les phénomènes pertinents,
c'est-à-dire ceux qui, au terme de l'orientation théorique, peuvent avoir un sens. C'est
dire que chaque courant met en œuvre un système de raisonnement, c'est-à-dire une
rationalité, qui lui est spécifique.
Ces systèmes de penser les faits sociaux, autrement dit ces rationalités s'ordonnent
autour de principes, de postulats plus précisément, qui sont de trois ordres : 1les
postulats relatifs au concept fondamental qui rend compte du fait social que l'on veut
observer; 2les postulats relatifs aux éléments d'analyse qu'il convient alors de
Nous allons donc maintenant étudier plus en détail chacun de ces 4 courants
crimino-sociologiques nord-américains. L’objectif est de voir dans quelle mesure ces
grilles de lectures peuvent permettre d’expliquer ou de comprendre les phénomènes
criminels dans notre pays. Ces théories font objets de plusieurs critiques selon les
écoles et les auteurs, il ne sera pas possible dans le cadre de ce cours de se pencher
sur les querelles des auteurs ou des écoles mais nous disons seulement qu’il y a de
théories générales et particulières avec des limites aussi.
Les sociologues de l'école de Chicago se livrent donc à des études du milieu, de façon
à y chercher les facteurs d'organisation ou de désorganisation, générateurs
d'équilibre ou de déséquilibre de ce milieu. Si le milieu social est tout, et s’il est assez
défectueux pour favoriser l’essor des natures vicieuses ou criminelles, c’est sur ce
milieu et sur ses conditions de fonctionnement que doivent porter les réformes.
Certains de ces sociologues vont appliquer ce modèle théorique à l'étude de la
délinquance. C’est ainsi que vont apparaître ce que l’on a appelé : « les théories
écologiques de la délinquance ».
48
Thrasher est devenu célèbre à la suite de la publication de son ouvrage sur les gangs en 1927. Il y étudie 1313
gangs de Chicago qui regroupent selon lui quelques 25.000 adolescents et jeunes hommes au début des années
20. L’auteur constate l’existence de différentes strates urbaines concentriques dans la ville de Chicago avec des
taux de délinquance qui varient d’une aire géographique à l’autre. Le centre-ville, « the loop », est en fait le
centre commercial où sont concentrés les bureaux, les banques et les commerces. Dans la périphérie de la ville se
retrouvent les quartiers résidentiels où habitent les classes moyennes et, plus loin encore, les classes aisées. Entre
le centre commercial et les quartiers résidentiels, un espace intermédiaire a été libéré, un espace « interstitiel »,
En 1927, John Thrasher publie un livre "The Gang" dont l'objet porte sur l'étude de la
délinquance juvénile. Thrasher part du constat d'une localisation géographique de la
délinquance juvénile, il y a des secteurs de la ville qui sont plus touchés que d'autres
par la délinquance juvénile. Comment expliquer ce phénomène ?
C'est par une théorie de l'urbanisation que Thrasher va chercher à rendre compte de
l'apparition et de la perpétuation de la délinquance dans certains quartiers
particuliers. La ville industrielle américaine s'est développée en sorte que, entre le
centre où sont installés les bureaux et les magasins, et la périphérie où sont les
quartiers résidentiels, un espace intermédiaire a été libéré, s'y sont alors rassemblés
les immigrants récemment arrivés sur le sol américain ainsi que les Noirs fuyant le
sud du pays. En s'établissant dans cet espace libre, les immigrants ont en quelque sorte
pris racine, mais, comme il s'agissait d'un terrain particulièrement ingrat, leur
accoutumance ne s'est pas faite sans problèmes. La délinquance juvénile est alors,
pour Thrasher, un phénomène caractéristique de cette acclimatation
sociogéographique difficile. Tout comme la nature, en écologie, a horreur du vide, la
délinquance remplit finalement les zones particulièrement défavorisées.
Thrasher exprime cela en écrivant : "dans la nature, des matières étrangères tendent à se
rassembler et à s'agglomérer dans chaque crevasse, chaque fissure, chaque interstice. Il y a de
où se rassemblent les immigrants nouvellement arrivés, ainsi que les noirs venus du sud des USA, car aucun
autre lieu de la ville ne leur est accessible. L’habitat y est détérioré, la population change sans cesse. Cette «
ceinture de pauvreté » reflète la désorganisation sociale que subit cette partie de la population de Chicago. A cet
isolement écologique, il faut donc rajouter l’isolement culturel. La population de ce « no man’s land » est exclue
de la société américaine, de la culture dominante. Le taux de délinquance y est très élevé. C’est un espace qui
permet l’émergence des gangs. Ils s’y développent comme réponse à la désorganisation sociale. « Le gang
comble un manque et offre une échappatoire » (Thrasher cité dans Coulon, 1992: 59).
L’origine des gangs semble spontanée. Ils naissent à partir de rencontres de jeunes dans les rues. Le groupe se
transformera en « gang » au contact d’autres groupes avec lesquels il entrera en conflit. Le conflit porte
essentiellement sur le territoire. Chaque gang possède son territoire qu’il défendra contre l’intrusion d’autres
gangs. Tout ce qui n’appartient pas à ce territoire devient d’office étranger et susceptible d’être menaçant. C’est
bien plus le fait d’appartenir au même pâté de maisons qu’à la même culture d’origine qui caractérise l’affiliation
des membres. Les gangs ethniquement homogènes s’expliquent par le fait que les gens d’une même origine
ethnique ont tendance à vivre dans le même quartier. Le gang forme une véritable sous-culture délinquante avec
ses propres règles, ses propres normes et valeurs. Ainsi le vol par exemple, « activité prédatoire dominante du
gang d’adolescents, est beaucoup plus le résultat d’une incitation sportive que d’un désir de revenu » (Herpin,
1973: 104). Le gang se crée en quelque sorte un nouveau monde. Les jeunes réinterprètent leurs lieux et leurs
actes et se construisent ainsi leur propre univers. C’est pourquoi le phénomène de gang doit être interprété
comme une forme d’organisation sociale « spontanée », une organisation « alternative », en marge de la société
américaine. C’est parce qu’il se trouve justement en marge de la société, qu’on le nomme désorganisé, parce que
« ses formes spontanées de sociabilité sont inarticulables avec les coutumes, les traditions, les institutions qui
régissent le reste de la société » (Herpin, 1973: 106). La désorganisation est « développement non planifié,
logique incontrôlée des forces de l’environnement » (ibid.). Et la délinquance résulte de ce développement
incontrôlé. Elle est, selon Thrasher, un mode de survie remarquable. Elle est une manière de réinventer le
monde. Elle est le résultat de processus d’adaptation socio-géographique et culturel.
Ensuite, les frontières de ces territoires sont bien marquées, bien délimitées.
L'étranger qui déambule dans la zone ne sait pas que la ligne de chemin de fer ou le
stade du coin de la remarquent des frontières infranchissables. En revanche, tous les
jeunes du quartier le savent, ainsi, la symbolique de l'espace est si prégnante qu'elle
détermine, pour les individus, l'affiliation à des bandes particulières. Le fait d''habiter
dans un même pâté de maisons compte finalement pour plus que la couleur de la
peau ou l'appartenance ethnique.
Ainsi, à la différence de ceux qui sont soumis aux pressions conventionnelles, ces
jeunes gens ne regardent pas de tels actes de délinquance comme de mauvaises
conduites : ils volent pour s'occuper, pour s'amuser. Ainsi, pour comprendre les
pratiques « délinquantielles » des jeunes des bandes, il faut donc, écrit Thrasher,
partir de l'espace urbain où vivent ces jeunes car, pour lui : "de même que les ressources
naturelles d'une région ou d'un territoire déterminent de façon générale les activités de ses
habitants, de même l'habitat du gang, c’est-à-dire l’environnement dans lequel il vit, forme
les intérêts de ses membres. C’est-à-dire détermine leurs activités-".
Thrasher ne dit pas pour autant que cette région interstitielle soit désorganisée. Au
contraire, il pense que le gang est une forme d'organisation sociale : il est une
Dans une série d'importantes monographies fondées pour la plupart sur des
recherches effectuées dans la ville de Chicago, Clifford Shaw et Henri Mc Kay
s’intéressent eux aussi à la délinquance juvénile et tentent d'expliquer la distribution
de la délinquance juvénile dans les villes américaines. Les résultats de leurs
recherches sont publiés dans différents livres dont un, bien connu, s'appelle "Les
facteurs sociaux de la délinquance juvénile" publié en 1931. Ils observent que les
zones à taux élevé de délinquance dans le Chicago des années 1900 à 1906 sont aussi
des zones à taux élevé de délinquance dans les années 1917 à 1923. Pourtant, la
composition ethnique de ces zones s'est, dans cet intervalle de temps,
considérablement modifiée. Aussi, pour ces auteurs, quand des groupes ethniques
immigrent dans ces zones, leur taux de délinquance juvénile augmente, et
inversement, quand ces groupes ethniques quittent ces zones, leur taux de
délinquance juvénile diminue. Ils en tirent la conclusion que ce ne sont pas les
groupes ethniques qui sont "facteurs" de délinquance (n'en déplaise à certains
hommes politiques), mais bien plutôt le lieu, le milieu où ils habitent. Ils observent
aussi que la plupart des délits se commettent en petits groupes, ordinairement de
deux ou trois individus. Shaw et Mc Kay concluent alors que dans les zones à taux élevé de
délinquance, la criminalité et la délinquance juvénile sont devenues des aspects plus ou moins
traditionnels de la vie sociale et que ces traditions de délinquance sont transmises par des
contacts à la fois personnels et collectifs lorsque l’on s’installe dans ces zones.
Nous constatons que ce soit Thrasher et Shaw et Mc Kay, ils ont tous cette
caractéristique de considérer la déviance comme étant un phénomène « normal » lié
au degré de désorganisation d’une communauté urbaine. C’est bien la communauté
urbaine qui est responsable de la délinquance. Le facteur qui sépare le déviant du
non déviant est son emplacement défavorable dans l’écologie « naturelle » d’une
société en perpétuel changement.
Notons aussi qu’on a souvent retenu que cet aspect écologique de leur théorie, mais
une lecture attentive montre que le noyau en est le processus de transmission
culturelle, dans certains endroits on devient délinquant parce qu'une tradition de
délinquance nous est transmise. Ce processus de transmission culturelle permet
d'introduire un facteur d’explication sans lequel la liaison entre aire de
désorganisation sociale et haut taux de délinquance resterait purement descriptive et
n'aurait aucune valeur explicative.
On comprend alors que le culturalisme, en germe déjà dans les études de Shaw et Mc
Kay49, ait naturellement succédé à cette théorie écologique, il est difficile, en effet, de
49
Ces auteurs publient ensemble deux ouvrages (1929 et 1942) portant sur la délinquance urbaine. Dans leur
premier ouvrage, ils axent leurs recherches sur sept zones urbaines de Chicago ayant des taux de délinquance qui
varient. Les quartiers situés près des centres commerciaux et industriels, ceux dont la population a le plus bas
revenu, connaissent le plus haut taux de délinquance. Ce taux va en décroissant progressivement du centre vers
la périphérie. Or, pendant toutes les années où l’étude se poursuit, la population de la zone centrale change tandis
que le taux de délinquance reste le même. Shaw et McKay constatent aussi que se sont toujours des gens
dépourvus qui vivent dans ces quartiers, des personnes « étrangères avec le mode de production et de
reproduction de la ville et étrangers aux normalisations que ce monde entraîne » (Laplante, 1985: 149). La
pauvreté, une forte mobilité et une grande hétérogénéité de la population dans cette zone affaiblissent les
structures communautaires, le contrôle social assuré traditionnellement par la communauté, ce qui mène à une
rupture de l’ordre social et favorise l’apparition de conduites délinquantes. Ces conduites sont d’ailleurs perçues
comme normales, voire nécessaires, car elles assurent à leurs auteurs prestige et avantages économiques. « Dans
ces quartiers, la délinquance s’est développée sous la forme d’une tradition sociale, inséparable du mode de vie
de la communauté» (Shaw et McKay cité dans Coulon, 1992:71).
CHAPITRE II.
LE CULTURALISME
Dans leur second ouvrage, les deux auteurs se proposent d’établir « une écologie de la délinquance et du crime ».
Pour ce faire, ils élargiront leur recherche à plusieurs autres grandes villes américaines. Ils constatent que les
résultats de leur première recherche sont transposables à toutes les villes américaines ayant connu un fort taux
d’immigration. Les variations du taux de délinquance d’un quartier à l’autre varient selon les différences
économiques, sociales et culturelles de ces quartiers. Ils concluent donc que la délinquance urbaine s’explique
par des facteurs sociaux et qu’elle ne sera réduite que si des changements importants améliorent les conditions de
vie dans ces quartiers. « Puisque la communauté offre un cadre propice à la naissance et au développement de la
délinquance, il faut mettre sur pied des programmes locaux d’action communautaire qui puissent améliorer, sous
tous les aspects, la vie de la communauté désorganisée » (Coulon, 1992:72).
L'analyse est donc psychosociologique puisque le problème central que se posent les
culturalistes est celui de la personnalité : comment des produits naturels
statistiquement identiques « les bébés » sont-ils transformés au point de devenir un
type particulier d'individus, adaptés à un genre de vie caractéristique d'une société
particulière ?
L'opération centrale qu'il faut alors étudier, dans autant de sociétés que possible, est
celle de la socialisation c'est-à-dire l'intériorisation par les membres d'une société des
modèles culturels spécifiques à cette société. Mais, pour qu'une telle étude soit
possible, il faut distinguer trois niveaux dans la réalité que l'on se propose d'étudier.
Les théories que nous allons voir maintenant mettront l'accent sur la notion de
processus d'apprentissage culturel par lequel la délinquance, qui n'est finalement
qu'un aspect de la déviance est apprise. Ces théories, qui insistent sur les variables
situationnelles, ne doivent pas être confondues avec les explications d'origine
purement psychologique. Ces dernières tendent à voir l'acte délinquant comme le
produit de la personnalité ou encore de la structure caractérielle : elles insistent, par
conséquent, sur des variables liées à la personnalité.
En outre, le processus au cours duquel ils ont pris le chemin de la délinquance n'est
pas différent du processus au cours duquel les autres sont devenus des membres
conformistes de la société. Bref, nous sommes tous les enfants de notre culture. De
cette façon, les théories de la transmission culturelle minimisent le mystère et la
particularité du crime et maximisent l'humanité commune du déviant et du
conforme. Reste que la question de savoir comment les individus arrivent à intégrer
les éléments de leur culture et à sélectionner, parmi des modèles variés, le modèle
délinquant, n'est pas évidente.
Il faut insister sur le fait que Sutherland ne parle pas d'associations entre criminels et
d'associations entre non-criminels, mais plutôt d'associations entre interprétations
favorables à la transgression et d'associations défavorables. Ainsi, on peut, en tant
qu'individu, côtoyer peu de criminels alors même pourtant que ces associations
comporteront de nombreuses expositions à des modèles pro-criminels. De plus,
même dans la fréquentation avec des criminels, de nombreuses formes de
comportement criminel peuvent être défavorablement interprétées : par exemple, le
voleur peut se montrer tout aussi défavorable au viol, au meurtre que tout citoyen
conventionnel et bien-pensant (cf. le statut des "pointeurs" en prison). D'autre part,
des attitudes pro-délictueuses à l'égard d'une infraction, par exemple la fraude fiscale
ou l'abus de biens sociaux, peuvent être apprises de personnes qui, dans l'ensemble,
sont respectables et conformistes.
Sutherland note en outre que les associations différentielles ne sont pas toutes de
poids égal, n'ont pas toutes la même importance : certaines ont un impact, une
influence plus grande que d'autres. Ce poids varie avec la fréquence, la durée,
l'antériorité et l'intensité de chaque association particulière :
T. Sellin est un sociologue suédois qui a joué le rôle d'intermédiaire, à la fin des
années 1930, entre les sociologues, les pénologues et les criminologues.
Il a été amené à étudier divers aspects de la dépression économique des années 1930
et de leur influence sur le développement de la criminalité. De même, la législation
américaine sur la prohibition et ses conséquences sociologiques ont attiré son
attention. Il s'est aussi intéressé aux statistiques criminelles. S'éloignant des doctrines
criminologiques européennes, orientées, à l'époque, vers des considérations
biologiques ou psychologiques, il s'est rapproché de la doctrine sociologique
américaine, et plus particulièrement de Sutherland qui considère, comme on l'a vu, le
comportement criminel comme essentiellement acquis et comme relevant largement
du domaine culturel. C'est dans ce contexte que T. Sellin va publier, en 1938, son
50
Sellin insiste sur le rôle des conflits de cultures dans l’explication de la déviance. Il faut comprendre le terme
culture dans son sens anthropologique, c’est-à-dire « la totalité des idées, des institutions et des produits de
travail » (Sellin, 1960: 815) propre à un groupement social. Les conflits de culture sont alors des luttes entre des
valeurs ou des normes de conduite opposées. En fait, les normes de conduite sont des manières de faire qui sont
en quelque sorte « imposées », explicitement ou implicitement, par les valeurs d’une culture particulière. Elles se
développent comme un moyen de protection des valeurs morales d’un groupe social.
Pour lui, la société est composée de plusieurs groupes sociaux qui varient selon la dimension du groupe, le degré
d’intimité qui définit les rapports à l’intérieur du groupe, la nature des intérêts ou des buts qui animent le groupe.
Chaque individu est membre de nombreux groupes dans lesquels il s’investit à des degrés divers. Son
appartenance aux différents groupes sociaux se fait grâce aux processus de socialisation, par lesquels il apprend
quelles sont les valeurs particulières véhiculées à l’intérieur de chaque groupe social.
Le groupe « culturel » quant à lui est celui « dans lequel nous partageons avec tous les autres membres de notre
culture particulière, les traditions, coutumes et idéaux qui sont ses attributs communs » (Sellin, 1960: 817). Une
société ‘complexe’ est caractérisée par le fait qu’elle est composée d’une pluralité de cultures. C’est le cas de
notre société occidentale, composée d’une multitude de groupes sociaux ayant des intérêts divergents, des
valeurs morales et des normes de conduite discordantes. « Groupes ethniques, classes sociales, groupes d’âge,
groupes professionnels,..., peuvent posséder sans doute bien des valeurs communes, mais chacun d’entre-deux a
été amené aussi à en formuler ou à en adopter d’autres, qui ne sont pas en accord avec celles d’autres groupes »
(Sellin, 1960: 828).
Un des groupes sociaux les plus importants auquel nous appartenons est la « nation », entité géographique où
petit à petit les différents groupes sociaux qui y habitent ont créé à la fois des intérêts communs, ainsi que des
institutions communes pour développer et protéger ces intérêts. La nation possède un système de valeurs morales
et de normes de conduite particulier dans le sens où ce système est explicité dans des statuts, des décrets
administratifs et des décisions judiciaires qui forment ensemble la loi de l’Etat. Or, seules sont introduites dans la
loi les valeurs et les normes de conduite du groupe ou des groupes qui possèdent le pouvoir d’imposer leur
volonté aux autres. Donc, « la loi, considérée comme code unique, uniforme et officiel de conduite, ne coïncide
pas à tous points de vue avec les normes de conduite que tous les groupes sociaux considèrent comme
obligatoires » (Sellin, 1960: 883). Ainsi certaines personnes qui sont aux prises avec le système judiciaire
agissent d’une façon conforme aux règles de conduite d’un groupe auquel elles appartiennent. Elles deviennent
des criminels aux yeux de la loi, mais sont des conformistes au regard de leur groupe. C’est ce que Sellin appelle
des conflits de culture. Le terme « crime », et donc celui de « criminel », sont des termes juridiques, créés par la
volonté du législateur et n’ont donc aucune validité en soi. Un «criminel» est tout simplement quelqu’un qui a
été socialisé dans un cadre structurel différent que celui du groupe dominant qui, lui, est arrivé à imposer les
valeurs qui sous-tendent son cadre structurel particulier à l’ensemble des groupes sociaux qui composent la
nation.
C'est cette hypothèse qui fait l'objet du livre : la criminalité s'explique par les conflits
de culture, entendus comme conflits entre normes de conduite. Un tel conflit peut se
produire comme le résultat d'un processus de différenciation entre groupes vivant
dans une même zone culturelle ou comme le résultat d'un contact entre normes tirées
de différentes zones culturelles. Voyons maintenant les mécanismes qui sont en jeu et
vont conduire à ces conflits. Sellin observe que, parmi les divers moyens que les
groupes sociaux ont développés pour assurer la conformité de la conduite de leurs
membres, le droit pénal51 occupe une place privilégiée car ses normes s'imposent à
tous ceux qui vivent à l'intérieur d'un Etat et sont appliquées grâce au pouvoir
coercitif de cet Etat. Ainsi, le droit pénal peut être considéré en partie comme un
ensemble de règles qui interdisent des formes spécifiques de conduite et indiquent
des peines pour leurs violations. Mais Sellin observe aussi que le caractère de ces règles, le
genre ou type de conduite qu'elles interdisent, la nature de la sanction attachée à leur
violation, dépendent des caractéristiques et des intérêts des groupes de la population qui
exercent une influence sur la législation. Dans certains pays, ces groupes peuvent
comprendre la majorité des individus, dans d'autres, une minorité, mais les valeurs
sociales qui obtiennent la protection du droit pénal sont toujours en fin de compte
celles auxquelles les groupes d'intérêts dominants sont le plus attachés. Bien sûr, les
normes pénales, c'est-à-dire les normes de conduites incorporées dans le droit pénal,
peuvent changer lorsque les valeurs des groupes dominants sont modifiées ou que
des changements politiques et sociaux provoquent une recomposition des groupes
dominants. Ainsi, des faits qualifiés crimes dans le passé peuvent constituer
aujourd'hui un comportement légal, tandis que des crimes dans un Etat
contemporain peuvent constituer un comportement légal dans un autre Etat (voir,
par exemple, la dépénalisation de l'usage du cannabis dans certains Etats).
51
Dans le droit pénal, le crime et la peine sont considérés comme des phénomènes juridiques, c’est-à-dire au
point de vue des rapports des hommes entre eux et pour régler les droits et les obligations qui naissent de ces
rapports. Rechercher quel est le fondement et quelles sont les limites du droit social de punir, se demander
quels actes sont punissables, quelles sont les conditions de l’imputabilité et de la culpabilité, déterminer les
conséquences du délit, soit au point de vue de l’intérêt privé, soit au point de vue de l’intérêt social, organiser
des mesures de réparation et des mesures de répression.
A ces idées, l'individu va donner des significations particulières qui sont attachées
aux coutumes, aux croyances et à ses propres relations avec les autres et avec les
institutions sociales. Ces idées sont donc des éléments culturels qui vont s'insérer
dans des modèles - ce que T.Sellin appelle des configurations d'idées- ayant
tendance à se fixer, à s'incorporer dans l'esprit de chaque individu. Bref, elles
deviennent des éléments de la personnalité et T. Sellin appelle personnalité la
somme totale de tous ces éléments. Or, au cours de son existence, l'individu se trouve
confronté à des choix. La grande majorité de ces choix ont un caractère non
dramatique, routinier et tellement influencés par l'habitude qu'ils en deviennent
presqu'automatiques (par exemple : café, thé ou chocolat au petit déjeuner). Dans
d'autres cas, l'individu se trouve en face d'une situation nouvelle, il va devoir
réfléchir pour choisir la réponse qui lui paraît être la plus appropriée (par exemple,
boire ou conduire). Dans tous les cas, sa réaction peut être considérée comme une
expression de sa personnalité. Et le caractère de cette réaction dépend de la
signification qu'il donne à la situation. Certaines de ces situations se répètent assez
souvent et sont tellement socialement définies qu'elles appellent des réponses
définies ("dire bonjour à la dame"). Des normes y sont, pour ainsi dire, attachées. Ces
normes définissent la réaction ou la réponse qui, chez un individu donné, est
approuvée par le groupe normatif. L'attitude du groupe vis à vis des réponses a été,
par conséquent, cristallisée en règles dont la violation donne lieu à une réaction du
groupe. Ces règles ou normes peuvent être appelées normes de conduite.
Ainsi, le droit pénal ne contient pas à lui seul toutes les normes de conduites, mais
simplement certaines d'entre elles. Les normes de conduite sont donc des produits de
la vie sociale. Les groupes sociaux imposent à leurs membres certaines règles qui ont
pour but d'assurer la protection de certaines valeurs sociales. T.Sellin affirme ainsi
que "l'on trouve des normes de conduite partout où l'on trouve des groupes sociaux,
c'est-à-dire universellement (au service ; université…). Elles ne sont pas la création
d'un seul groupe normatif ; elles ne sont pas enfermées dans des limites politiques ;
elles ne sont pas nécessairement enfermées dans des lois". En effet, tout individu fait
partie d'un groupe social et inscrit ses actions dans la société. Et, parce que la société
De même, T. Sellin note que l'on peut s'attendre à trouver un conflit de norme
lorsqu'un habitant rural déménage pour la ville. Mais on peut aussi supposer que ce
conflit n'aura pas grande répercussion parce que cet individu a intégré les normes de
base de sa culture qui comprend aussi bien la ville que la campagne. Les choses sont
bien différentes, et le conflit bien plus aigüe, dans le cas de groupes sociaux qui ont
des ensembles de normes radicalement différents des autres et cela, en raison des
modes de vie et des valeurs sociales développés par ces groupes.
Ainsi, des conflits de culture sont inévitables quand les normes d'une zone culturelle
émigrent ou entrent en contact avec celles d'une autre zone culturelle. T. Sellin
illustre son propos en prenant l'exemple de la diffusion du droit français en Algérie,
T. Sellin parle ici de conflits secondaires pour désigner ces conflits qui sont dus à un
processus de différenciation sociale engendrée par l'évolution de la culture de
différents groupes sociaux.
Reste que, dans tous les cas, la conduite des membres d'un groupe impliqué
dans le conflit sera jugée anormale par l'autre groupe et qualifiées de déviante ou de
délinquante. La théorie des conflits de culture a connu une grande fécondité. D'une
part, elle a irrigué beaucoup d'études travaillant sur migrations et criminalité.
D'autre part, elle s'est avérée capable de réintégrer les résultats des recherches
menées en termes de transmission culturelle : l'association différentielle apparaît
ainsi comme une spécification des conflits secondaires, et les "aires culturelles" de
Shaw et Mc Kay en constituent une version écologique.
elle est non utilitaire : par exemple, le vol est "une activité valorisée par elle-
même à laquelle s'attache la gloire, la prouesse et la profonde satisfaction"; en
d'autres termes, les jeunes délinquants volent pour la beauté du geste et non
Le problème que se pose alors A. Cohen est alors le suivant : compte tenu du
fait que cette sous-culture se rencontre de préférence dans les classes populaires et
qu'elle est le fait des garçons plutôt que des filles, comment expliquer à la fois son
apparition et sa persistance ? Ces deux questions vont conduire A. Cohen à formuler
une théorie générale de la sous-culture.
Pour qu'une sous-culture soit possible selon Cohen, il faut d'abord que :
Il sied de noter, pour que l'innovation soit possible, il faut que cette solution déviante
soit reconnue comme valable par le groupe, qu'elle soit validé par lui. Ce qui permet
à Cohen de dire que finalement, il y a un processus d'élaboration commune de la
nouvelle solution, dans la mesure où choisie par l'un, elle n'a de pertinence sociale
que si elle est acceptée par les autres.
Pour Cohen, toute collectivité doit disposer d'un système de valeurs aux termes
duquel chaque individu qui la compose se voit assigner une place, une position dans
la hiérarchie sociale. Et si un tel système de valeurs n'existe pas, les individus ne sont
pas en mesure d'obtenir du respect de la part des autres individus. Or, Cohen
observe que dans certaines situations, certains groupes ne parviennent plus à faire
apprécier leurs performances ou leurs actions par rapport aux valeurs instituées
(c’est l’exemple, des pauvres, des jeunes des banlieues...). Dès lors, se constituent des
systèmes de valeurs marginaux, c’est-à-dire une sous-culture, en marge de ceux de la
société dominante. Mais, dans la mesure même où s'instaure ce que Cohen appelle
une sous-culture, le clivage entre les groupes qui s'en réclament et la société globale
s'accuse. Du coup, vont aussi s'accentuer davantage d'une part, la séparation du
groupe par rapport à la société globale et d'autre part la dépendance des membres du
groupe les uns par rapport aux autres. Par conséquent, la dépendance est accrue par
le seul fait que ces individus se sont constitués en sous-culture. Il y a ainsi une sorte
de logique interne de la sous-culture qui tend à s'affirmer toujours davantage par le
seul fait qu'en se constituant elle redouble l'inadaptation de ceux qui y participent
(pas toujours). On comprend alors que Cohen fonde sa théorie de la délinquance sur
un mécanisme central qui est celui de la socialisation. Plus précisément, il insiste sur
les difficultés que rencontre la socialisation des enfants issus des classes populaires.
Pour lui, il y a contradiction entre la socialisation familiale et la socialisation scolaire,
et c'est à cette contradiction que les adolescents réagissent lorsqu'ils se constituent en
bandes délinquantes. C'est une façon de régler un problème d'adaptation. Les
expériences et les problèmes dépendent, en effet, du système de valeurs des
individus. Aussi, tant que la socialisation se réduit à l'éducation familiale, les enfants
issus des classes populaires intériorisent des modèles homogènes et cohérents. Mais,
dès qu'ils entrent en contact avec le système scolaire, une disparité apparaît. En effet,
le système de valeurs aux termes duquel les performances des enfants sont
appréciées à l'école est celui de la classe moyenne. Or, si les enfants des classes
moyennes voient ainsi l'éducation familiale confirmée, on demande finalement aux
enfants des classes populaires de renoncer à leur culture d'origine pour adopter les
modèles de la classe moyenne.
Cette définition permet de mettre en évidence les facteurs qui, pour Cohen,
expliquent la délinquance : il s'agit d'une interaction entre un auteur et une
situation. En outre, Cohen montre que l'acte criminel n'est pas quelque chose de figé
mais le point d'aboutissement d'un processus qui se déroule dans le temps et par une
série d'étapes au cours desquelles auteur et situation sont en interaction constante.
Enfin, pour Cohen, l'acte criminel n'est jamais entièrement déterminé par le passé et
le processus de passage à l'acte peut voir son cours se modifier quand il y a
changement, soit de la personnalité de l'auteur de l'acte, soit de la situation, soit des
deux. Cohen va expliquer sa théorie dans un ouvrage bien connu, publié en 1966 et
En réalité, pour Cohen, ces théories oublient de tenir compte du fait que, la
délinquance résulte d'une interaction entre un auteur et une situation. Plus
précisément, dans ces théories, cette interaction est traitée comme un épisode
unique : tout se passe comme si il y avait un passage brusque d'un état de conformité
à un état de déviance, de délinquance. Cohen préfère mettre l'accent sur le processus
d'interaction, c'est-à-dire, insiste sur le fait que l'acte délinquant se développe dans le
temps, par une série d'étapes successives. Pour lui, un individu prend, pour atteindre
un but, une direction qui peut être orientée dans un sens délinquant ou non.
Cependant, le pas suivant qu'il accomplira n'est pas entièrement déterminé par l'état
des choses au point de départ. L'individu peut choisir entre deux ou plusieurs
directions possibles. Ce que sera son choix dépendra de lui mais aussi de la situation
à ce moment précis : et, avec le temps, auteur et situation peuvent avoir connu des
changements. Par exemple, pendant que l'auteur se demande s'il va voler telle
voiture en stationnement, qu'il se détermine à le faire, un agent de police apparaît
brusquement au coin de la rue. La situation a changé et elle va influer sur le choix de
l'auteur. Bref, Cohen conçoit l'acte lui-même comme une tentative, un processus de
tâtonnement du terrain, qui n'est jamais entièrement déterminé par le passé et qui est
toujours susceptible de modifier son cours en réponse à des changements intervenus
au niveau de l'auteur, ou de la situation, ou des deux. Si l’on veut résumer, on peut
dire que, pour Cohen, le processus d'interaction possède cinq grandes
caractéristiques :
Toutefois, d'autres circonstances sont des conséquences, souvent non prévues, des
évènements survenus antérieurement. Par exemple, un individu cambriole une
maison. De façon inattendue, le propriétaire rentre chez lui et le cambrioleur le tue.
Ce qui était au départ un cambriolage s'achève en meurtre, à la suite d'une
circonstance qui n'était pas nécessairement implicite dans l'étape précédente de l'acte.
Ainsi, Cohen observe que les cultures délinquantes conduisent fréquemment à des
actes délinquants non parce qu'elles incitent directement les individus à agir de façon
intentionnellement délinquante mais parce qu'elles les encouragent à se placer dans
des situations dans lesquelles il y a un risque élevé de commettre un acte délinquant ;
Pour être délinquant, un comportement doit donc être perçu comme tel : il faut donc
que les témoins, au sens de groupe social, considèrent l'individu comme délinquant.
Cet étiquetage dépend en partie de la réputation que l'auteur avait avant son acte
mais aussi de l'autorité de ceux qui appliquent la définition de ce qu'est le
comportement délinquant. Et dans la mesure où l'étiquette de délinquant devient un
élément de son identité, l'auteur peut alors ne plus avoir les choix dont il disposait
auparavant. Et comme les choix deviennent de plus en plus limités ou les alternatives
légitimes plus coûteuses, l'auteur peut se laisser aller dans la direction du
comportement compatible avec le rôle stigmatisé, c'est-à-dire le rôle que l'on attend
de lui. Ce comportement sera alors interprété comme la confirmation du "diagnostic"
antérieur (prophétie auto révélatrice)- “ je vous l’avais bien dit que c’était un
délinquant ”- et aura sans doute pour conséquence une nouvelle restriction des choix
de comportement possible, ce qui conduira à un engagement plus profond encore
dans le rôle de délinquant. Au cours de ce processus, l'auteur peut arriver à
découvrir les satisfactions et les profits qu'il peut tirer de ce rôle. Il peut acquérir de
nouveaux objets de référence qui le soutiendront dans sa délinquance. Bref,
5- Mais, tout comme la délinquance peut être l'expression d'un rôle que l'on se
donne, ou qui nous est attribué, les réponses à la délinquance peuvent l'être
également. Les individus peuvent répondre à la délinquance « répressivement » ou
sévèrement, avec indignation ou avec tolérance, avec compréhension, gentiment
mais fermement ou encore en tendant l'autre joue... Généralement, on attribue ces
diverses réactions à des différences qui seraient le produit de la propre socialisation
des individus et on en reste là. Cohen va plus loin dans l'analyse et ajoute que ces
réactions peuvent aussi être motivées par le besoin de prouver aux autres le genre de
personne que l'on est. Ainsi, la façon dont nous étiquetons les autres et dont nous
répondons à leurs actions délinquantes, ou plus largement déviantes, est en partie
déterminée par nos investissements dans les rôles personnels que nous voulons tenir,
c'est-à-dire dans la façon dont nous voulons nous présenter aux autres et dans la
perception que nous avons des comportements qui valident ce rôle. Pour conclure,
on peut dire que, en mettant l'accent sur le concept de processus d'interaction,
processus qui, comme il le reconnaît lui-même, n'est pas spécifique à la délinquance
mais qui concerne tous les actions humaines, Cohen a amené les sociologues à
étudier de façon plus approfondie le passage à l'acte en termes d'interaction. Sous cet
aspect, on peut donc considérer que Cohen annonce le courant interactionniste.
Toutefois, avant d'étudier ce courant interactionniste, il faut encore faire un détour
par le fonctionnalisme.
Pour le fonctionnalisme, le point de départ est inverse : l'accent est mis au contraire
sur la grande diversité des conduites des individus appartenant à une même culture.
Comment expliquer alors que les conduites soient différentes alors qu'existe une
unité du système culturel? Pour les fonctionnalistes, les conduites sont diverses parce
que, au sein d'un même système culturel, les statuts sociaux occupés par les
individus sont eux-mêmes très divers. Et donc, à partir du moment où les rôles que
chaque membre d'une même culture peut être amené à occuper sont très divers, on
ne peut pas régler le problème de leur apprentissage à partir d'une théorie de
l'intériorisation des modèles communs à ceux qui appartiennent à cette culture. Et il
ne sert donc pas à grand-chose de s'interroger sur la personnalité de base des
individus ou de se demander comment un individu peut, par exemple, se
« déculturer » ou s'acculturer. Il est préférable alors de se placer du point de vue du
fonctionnement du système social et de rechercher quel est le type d'individu défini
comme pertinent par le système social pour occuper tel ou tel statut (par exemple, le
Ainsi, le problème de la socialisation n'est-il plus l'axe central des recherches ou, plus
exactement, ou alors si, mais à condition de donner à ce mot un sens différent. Pour
les fonctionnalistes, la socialisation ne peut pas être, comme le pensent les
culturalistes, un processus d'intériorisation, d'apprentissage de règles culturelles,
tout simplement parce qu'il n'y a pas de modèle culturel commun à intérioriser. Il
s'agit plutôt d'un mécanisme de sélection des individus en vue de pourvoir
« différentiellement » à des positions qui sont définies par la structure sociale. Mais
alors, comment les fonctionnalistes arrivent-ils à expliquer que les conduites, mêmes
si elles sont différenciées, n'en présentent quand même pas moins un caractère de
standardisation? Tout le monde joue en effet, de la même façon le rôle du garçon de
café ou celui du juge ou de professeur, ou même d'étudiant... C'est ici que les
fonctionnalistes traitent de la question de la motivation de façon différente de celle
des culturalistes, en y intégrant une théorie de l'anticipation.
Cette théorie de l'anticipation consiste à dire que si les individus n'enfreignent pas,
dans la grande généralité des cas, les systèmes de normes qui, « différentiellement »,
régissent les relations sociales, ce n'est pas parce qu'ils l'ont intériorisé dès l'enfance
(comme diraient les culturalistes), mais parce que, dans leurs conduites, ils vont
anticiper les rôles des positions sociales qu'ils peuvent être amenés à occuper : par
exemple, pour celui qui veut devenir juge, mieux vaut ne pas boire, ne pas
commettre d'escroquerie et essayer d'adopter le profil d'un bon sujet, bon père de
famille, bref de répondre à l'attente des divers individus avec lesquels il sera en
relation.
Ainsi, grâce aux anticipations statutaires, l'individu s'interdit des écarts trop grands
qui pourraient remettre en question le système. Par exemple, dans le film "Le cercle
des poètes disparus", le professeur de lettres incite ses étudiants à monter sur leur
table : il a mal anticipé sa position statutaire, ou il n'a pas voulu le faire : autrement
dit, il n'a pas rempli le rôle que le système social attendait de lui. Conséquence : il est
viré. Et si, par hasard je vous incitais à un comportement semblable, je connaitrais
sans doute le même sort. Pourquoi ? Parce qu'à terme, je remettrais en cause
l'équilibre du système social, à travers la menace de déséquilibre que je ferais peser
Pour les fonctionnalistes, en effet, le système social global -ce que nous appelons "la
société" est composé d'éléments interdépendants qui sont eux-mêmes des systèmes
ou, plus précisément des sous-systèmes : l'école, l'église, la justice, le parlement sont,
par exemple, des sous-systèmes de notre système social global. Cette notion de
système ne se rencontre pas dans la théorie culturaliste où l'analyse se limite aux
relations individu-société à travers les opérations de socialisation (déculturation -
acculturation, apprentissage). Comme nous l'avons fait pour les autres courants
sociologiques, nous allons illustrer le propos par deux exemples tirés de travaux
d'auteurs fonctionnalistes : les travaux de Merton d'abord dans lesquels la
délinquance, et plus largement la déviance, s'inscrit dans une théorie générale de
l'anomie ; ceux de Cloward et Ohlin ensuite qui ont directement appliqué l'analyse
fonctionnaliste à la délinquance.
SECTION II : DU FONCTIONNALISME
§1 Généralité
L'interaction entre ces trois variables -but, norme et moyen- détermine la distribution
de ce que Merton nomme la "tension socialement structurée". La structure culturelle
peut prescrire des buts similaires pour tous les membres du système social, ou des
buts différents pour tous les individus occupant différentes positions sociales. Elle
peut aussi prescrire certaines normes pour accomplir ces buts qui sont uniformes
pour tous les membres de la société, ou elle peut aussi interdire à ceux qui occupent
une position sociale donnée ce qu'elle permet aux autres.
Les travaux de ces deux sociologues américains, Richard Cloward et Lioyd B. Ohlin,
s'inscrivent dans la tradition fonctionnaliste. Dans un ouvrage paru en 1960 et ayant
pour titre "Delinquency and opportunity : a theory of delinquent gangs" ils notent
que Merton ne s'intéressait finalement pas aux facteurs qui pouvaient expliquer
qu'un individu choisisse tel ou tel mode d'adaptation (le conformisme, le
ritualisme...etc). Ces auteurs vont alors développer le concept "d'occasion illégitime"
pour tenter de remédier à cette lacune. Ils constatent que les occasions légitimes, que
l'on peut définir comme l'utilisation de moyens normativement acceptables pour
atteindre des buts culturels, sont distribuées très différentiellement dans la structure
sociale. Mais surtout, ils insistent sur le fait que les occasions illégitimes, c'est-à-dire
les occasions de réaliser les buts culturels par des moyens illégitimes, le sont aussi.
Cloward et Ohlin partent du principe que les réponses déviantes, et donc les
réponses délinquantes, prennent une forme sous-culturelle. En cela, ils se
rapprochent de Sutherland.
Pour Cloward et Onhlin le fait qu'une sous-culture délinquante naisse, de même que
la forme qu'elle va prendre dépend de la position qu'occupe l'individu par rapport à
la structure sociale. Pourquoi ? Parce que la structure sociale détermine, en effet, la
structure des occasions illégitimes. La structure des occasions illégitimes se compose
en grande partie des occasions d'apprendre, de pratiquer et de remplir des rôles
délinquants. Plus spécifiquement, elle implique un milieu qui contient des modèles
de déviance réussie, des occasions pour adopter ces modèles et la mise en place
d'agents et de techniques pour rendre la délinquance praticable et fructueuse. La
Nous allons voir que même si l'on trouve, dans leur théorie, des éléments qui
évoquent les théories antérieures (sous-culture, association différentielle),
l'explication proposée est radicalement différente. A première vue, en effet, la théorie
de Cloward et Ohlin semble être une variation de la théorie de Cohen. En effet, la
délinquance est analysée comme sous-culture. Plus exactement, les auteurs
distinguent 3 types de sous-culture possibles :
L'acte délinquant est la violation d'une norme qu'accompagne une sanction, infligée
par le groupe social au délinquant : "L'acte délinquant est défini -écrivent-ils- à partir
de deux éléments essentiels, c'est un comportement qui viole des normes
fondamentales de la société et, quand il est officiellement reconnu, il provoque un
jugement, par les agents de la justice criminelle, établissant que de telles normes ont
été violées". Une telle définition a un sens méthodologique : désormais on peut
utiliser à bon droit les statistiques judiciaires dans une étude empirique sur la
délinquance car le fait d'être sanctionné est partie intégrante du phénomène de
délinquance. C'est un élément de la définition de la délinquance.
La délinquance n'est donc pas le produit naturel d'un groupe de jeunes désœuvrés,
en proie à l'ennui ; la délinquance est la condition nécessaire sans laquelle aucune
bande ne saurait se former. Du coup la "bande" dont il est question ici n'est pas le
groupe de jeunes habitant le même quartier. La notion de bande est définie par
Cloward et Ohlin comme un système de rôles différenciés. Il y a un chef, des
lieutenants et des exécutants et il peut y avoir ce que les auteurs appellent des
spécialisations fonctionnelles (celui qui fait le guet, celui qui sait ouvrir un coffre de
banque, celui qui porte les sandwiches...). Bref, la bande a une structure organisée.
Tenir ces divers rôles suppose l'accomplissement de conduites illégales car la nature
de la performance va déterminer le rang et la tâche de chacun des membres de la
bande. Et si une telle diversification des fonctions est possible, c'est parce que le
groupe reconnaît la légitimité d'un certain nombre de règles. La sous-culture
délinquante n'est alors rien d'autre que l'ensemble des prescriptions sur lequel
l'accord du groupe s'est fait. La prescription majeure est, bien sûr, celle de la
délinquance : "Une sous-culture délinquante est une sous-culture dans laquelle
certaines formes d'activité délinquante sont des exigences essentielles si l'on veut
accomplir les rôles dominants supportés par cette culture".
Pour Merton, l'environnement d'un individu est composé d'une part de la structure
culturelle et d'autre part, de la structure sociale. La structure culturelle est définie, on
l'a déjà vu, comme l'ensemble organisé des valeurs normatives gouvernant le
comportement des individus, ensemble de valeurs qui est commun aux membres de
la société ou d'un groupe déterminé. La structure sociale peut être définie comme
l'ensemble organisé des relations sociales dans lesquelles les membres d'une société
sont diversement impliqués. L'anomie est alors conçue comme une rupture dans la
structure culturelle qui va se produire quand il y a une disjonction importante entre
les normes et les buts culturels d'un côté et les capacités socialement structurées les
moyens institutionnalisés- des membres du groupe de s'y conformer de l'autre.
Mais en même temps, il adopte un comportement interdit par ces valeurs mêmes. Or,
selon la position qu'un individu occupe dans la structure sociale (médecin, notaire,
ouvrier, enseignant, chauffeur de taxi, chômeur...), il est ou il n'est pas en situation
d'agir conformément aux prescriptions de la culture du système social. Donc, par
conséquent, si l'on veut définir l'inégalité sociale, il ne faut donc pas partir, comme le
font les culturalistes, des valeurs culturelles différentes selon les classes sociales mais
des différences objectives entre les conditions dans lesquelles vivent les individus.
Les membres des classes défavorisées sont les individus dont la situation socio-
économique rend difficile, voire même impossible, l'accès aux positions socialement
recherchées pour les privilèges en fortune, en prestige ou en pouvoir qu'elles
confèrent, bref pour pouvoir atteindre les buts culturels. Dès le départ, les gens des
classes défavorisées ont un handicap qu'ils n'arrivent que tout à fait
exceptionnellement à rattraper.
Pour Cloward et Ohlin,, ce qui est ainsi crée, ce sont les conditions des sous-cultures
délinquantes: « Nous suggérons -écrivent-ils- que de nombreux adolescents issus des
classes populaires font l'expérience du désespoir, qui naît de la certitude que leur
position dans la structure économique est relativement fixée et immuable ; un
désespoir d'autant plus poignant qu'ils sont exposés à l'idéologie culturelle dans
laquelle l'incapacité à s'orienter vers les hauteurs sociales est considérée comme faute
morale et dans laquelle l'échec à la mobilité ascendante est regardée comme preuve
de cette tare » (p.106).
Qu'il s'agisse de Merton ou de Cloward et Ohlin, on le voit, dans les deux cas, on
rend compte de l'apparition plus fréquente de la délinquance dans les milieux
défavorisés sans avoir recours à une théorie culturaliste telle que la
déculturation/acculturation de Cohen, mais en tenant compte de la position
qu’occupe un individu dans la structure sociale.
L'interactionnisme étudie les relations entre l'auteur d'un acte déviant, délinquant,
l'acte lui-même et la réaction qu'il provoque de la part de la société. Ce courant va
mettre l'accent sur le changement de l'image de soi de l'auteur d'une déviance à la suite
de son passage par la justice pénale et sur les conséquences qui vont s'ensuivre. On va alors
analyser les caractéristiques individuelles et sociales des individus qui ont fait l'objet
d'une telle réaction sociale institutionnalisée, parce qu'ils ont commis un acte
délinquant pour en déduire l'explication de ce passage à l'acte. La tendance
interactionniste en sociologie de la déviance est inspirée par les travaux d'un psycho-
sociologue : George-Herbert Mead. Nous allons donc parcourir brièvement sa
théorie, de façon à pouvoir en comprendre les implications sur le plan de la théorie
criminologique.
G.H. Mead a exposé sa théorie dans un livre écrit en 1934 et traduit en français sous
le titre "L'esprit, le soi et la société". Pour lui, pour que les individus puissent
communiquer les uns avec les autres, ils doivent d'abord apprendre à identifier,
définir et classer les objets qui les entourent. Par exemple, ils doivent indiquer à eux-
mêmes le genre d'objet qu'ils ont à traiter. L'objet étant identifié (un "Picasso", une
"femme", une "partie de football"), un ensemble d'attitudes et d'attentes est provoqué
et ce sont ces attitudes, ces attentes qui vont déterminer en grande partie ce que
l'individu va faire, la façon dont il va se comporter par rapport à l'objet. Or les
catégories dans lesquelles nous classons les objets, que ce soit des choses ou des
personnes sont socialement construites. Par exemple, les catégories de personnes
socialement reconnues (par exemple, un juge, un enseignant, un chômeur...) sont des
rôles sociaux et, au cours de notre enfance, puis de notre adolescence et encore après,
nous apprenons ce système de rôles : nous apprenons les critères qui définissent
socialement telle ou telle personne (comme juge, enseignant ou chômeur...), les
signes par lesquels elle peut être reconnue, les images de ce que cette personne
paraît, les attentes relatives au comportement qu'elle doit avoir. Le soi, c'est-à-dire
l'image que nous avons de nous-mêmes, est aussi un objet social. C'est l'acteur en
tant que vu, désigné et jugé par lui-même. La façon de se sentir, la manière de se
conduire, ce que nous tentons de faire de nous-mêmes, nos tentatives pour se
transformer, tout cela dépend en premier lieu du genre d'objet que nous pensons être
ou désirons être. Or, les types de soi possibles dépendent de la culture : étudiant,
professeur, citoyen, keuf ou meuf...
De plus, ces rôles existent en nombre limité et nous sont plus ou moins imposés. En
effet, le soi est élaboré au cours du processus d'interaction avec les autres. En traitant
avec les autres, c'est-à-dire en communiquant avec eux, nous découvrons ce que nous
sommes, c'est-à-dire les catégories dans lesquelles nous sommes rangés. Bien sûr,
nous pouvons prétendre à être un certain type de personne, mais cette revendication
doit prendre un sens dans les termes de la culture de ceux avec qui nous
communiquons et nous devons la rendre plausible.
Pour cela, nous devons la valider en rencontrant, en adoptant, les critères culturels
du rôle. Par exemple, si je veux vous apparaître comme un professeur, il faut que je
me conduise selon les critères culturels qui définissent ce qu'est un professeur (que
j'en adopte le comportement, le discours, la tenue...). Et nous savons ensuite que nous
Ainsi, chacun de nous est continuellement engagé, durant toute sa vie dans un
processus de construction, de maintien et d'adaptation d'un soi. Agissant à partir du
répertoire des rôles fournis par sa culture, l'individu joue à être tel ou tel genre de
personne, constate son succès ou son échec qu'il lit dans les réponses des autres. Or,
tous les rôles auxquels nous sommes identifiés ne sont pas activement recherchés et
cultivés par nous-mêmes. Nous pouvons résister à certains rôles et les refuser (tels les
rôles d'alcooliques ou d'anciens prisonniers), ou encore les accepter avec résignation
(rôle de malade mental en traitement).
Les rôles que nous tenons sont forgés dans des concessions mutuelles de l'interaction
de groupe. Ils sont aussi façonnés à la mesure des forces et des ressources de chaque
membre du groupe, par ajustements successifs : nous ayant assigné à nous-mêmes tel
ou tel rôle, encore faut-il que les autres l'acceptent. Or, les autres peuvent aussi nous
contraindre à adopter un rôle que nous n'acceptons pas ou auquel nous nous
résignons. Et, une fois "pris" dans le rôle, nous sommes disposés à adopter tous les
ensembles de comportements qui expriment ou soutiennent ce rôle. Ainsi, du point
de vue de la théorie des rôles, le nœud central du problème du comportement
délinquant ou déviant, devient le processus d'acquisition des rôles et d'engagement
dans les rôles de délinquant.
C'est à partir des années 1950 que va se développer, en criminologie, une théorie
systématique du comportement déviant basée sur la réaction sociale. Les auteurs qui
s'inscrivent dans ce mouvement vont distinguer alors le premier passage à l'acte -
simple phénomène accidentel- des éventuelles réitérations secondaires. Celles-ci
marquent un engagement de l'auteur dans la délinquance et cette amplification
secondaire est présentée comme découlant de l'effet stigmatisant de la réaction
sociale intervenant quand la justice pénale classifie comme délinquant celui qui s'est
contenté en premier lieu de poser un acte délinquant.
Le terme de déviance qui désigne le domaine de la vie sociale étudié dans Outsiders
possède, dans la sociologie américaine un sens plus large que celui de délinquance.
Ainsi, sont qualifiés de "déviants" les comportements qui transgressent des normes
acceptées par tel groupe social ou par telle institution. Cette catégorie inclut donc les
actes sanctionnés par le système pénal, par exemple la consommation de marijuana
étudiée plus particulièrement dans le livre, mais aussi les maladies mentales ou
l'alcoolisme, qui sont des comportements déviants mais non délinquants.
Becker comprend même dans ce champ d'étude un groupe professionnel comme les
musiciens de jazz qui n'est exclu et ne s'exclut de la société conventionnelle que par
son mode de vie et ses goûts. En ce sens, le livre de Becker s'inscrit dans le courant de
la sociologie interactionniste américaine des années 60, avec des auteurs tels que
Erving Goffman [Asiles (1961), Stigmate (1963)] ou Edwin Lemert [Déviance et
contrôle social (1967)]. Le terme de "outsider" signifie, pour Becker, "étranger". Mais
ce terme même d'étranger a un double sens, selon que l'on se place du point de vue
du groupe ou du point de vue de l'individu :
- est "étranger" d'une part, l'individu qui, ayant transgressé une norme est perçu par
le groupe social comme un type particulier d'individu auquel on ne peut pas faire
confiance pour vivre selon les normes sur lesquelles s'accorde le groupe. L'individu
est donc considéré comme étranger au groupe. Mais, d'autre part, l'individu qui est
ainsi étiqueté comme étranger peut voir les choses autrement. Il se peut qu'il
Il en découle donc un second sens du terme : le transgresseur peut estimer que ses
juges sont étrangers à son univers. Becker va alors essayer d'expliquer les situations
et les processus auxquels renvoie ce terme d'Outsiders à double usage, c'est-à-dire
qu'il va observer les situations dans lesquelles la norme est transgressée et celles dans
lesquelles on la fait appliquer, et les processus qui conduisent certains à transgresser
les normes et d'autres à les faire respecter. Dans ce but, il commence par définir le
terme de déviance : il note que la conception sociologique qui définit la déviance par
le défaut d'obéissance aux normes du groupe oublie un élément central dans cette
définition, à savoir que la déviance est créée par la société.
Pour Becker, cette affirmation ne signifie pas, comme on le dit classiquement, que les
causes de la déviance se trouvent dans la situation sociale de l'individu ou dans les
facteurs sociaux qui sont à l'origine de son action. Ce que Becker veut dire, c'est que
les groupes sociaux créent la déviance en instituant des normes dont la transgression
constitue la déviance, en appliquant ces normes à certains individus et en les
étiquetant comme déviants. Bref, la norme et son application créent la déviance :
supprimez le code pénal et il n'y a plus de délinquants. Donc, de ce point de vue, la
déviance n'est pas une qualité de l'auteur ou de l'acte commis par lui, mais plutôt une
conséquence de la création et de l'application, par les autres, de normes et de
sanctions à un "transgresseur". Le déviant est celui auquel cette étiquette a été
appliquée avec succès et le comportement déviant est celui auquel la collectivité
attache cette étiquette. Puisque la déviance est une conséquence des réactions des
autres à l'acte d'une personne, on ne peut donc pas supposer qu'il s'agit d'une
catégorie homogène. Il ne s'agit pas d'une catégorie homogène parce que :
- d'une part, le processus n'est pas infaillible : des individus peuvent être désignés
comme déviants alors qu'en réalité, ils n'ont transgressé aucune norme ;
- d'autre part, on ne peut pas non plus supposer que la catégorie qualifiée de
déviante comprendra effectivement tous les individus qualifiés de déviants : une
partie de ceux-ci peuvent ne pas être appréhendés et échapper aux poursuites
pénales, par exemple. (Il y en a même qui deviennent ministres !).
Donc, pour Becker, puisque la catégorie n'est ni homogène, ni exhaustive, il est vain
de chercher à découvrir, comme le fait la criminologie classique, par exemple, dans la
personnalité ou dans les conditions de vie des individus des "facteurs" du crime qui
§2 Carrière déviante
Très connu pour ses travaux sur la sociologie de la déviance, H. Becker (1985) estime
que l’explication de la déviance ne peut pas consister à dresser une liste de ses
facteurs probables: identité, statut social, éducation, inégalité, frustration, tension,
pauvreté, mésestime de soi, carence affective et à les croiser afin de dégager des
corrélations significatives (Ogien, 1995, 112). H. Becker admet volontiers que, d'une
part, toutes les variables inventoriées par l’analyse causale sont pertinentes; il
remarque, d'autre part, qu’elles ne le sont pas toutes, au même moment, avec la
même intensité. Pour saisir, dit-il, la place que tient chacun de ces facteurs probables
dans une désignation, il faut tenir compte d’une donnée pratique : la temporalité de
l’action.
Selon H. Becker, c’est lors des interactions avec ceux qui sont déjà dans la
délinquance que le néophyte fait l’apprentissage des codes, du langage et des valeurs
qui régissent l’entre-soi du groupe et ceux qui règlent les relations avec les autres,
notamment les techniques de dissimulation qui sauvent les apparences et évitent la
répression. S’il cherche à s’opposer à la pesanteur sociale, s’il assume son choix de
comportement, il doit apprendre à maîtriser les contrôles sociaux qui le font
apparaître comme immoral et dangereux (Le Breton, 2004, 236).
L’ultime étape d’une carrière délinquante consiste à entrer dans un groupe organisé.
Le fumeur entre ainsi dans la connaissance des arcanes d’un milieu accoutumé à
l’usage d’un produit prohibé, dont les dealers doivent se cacher autant que les
usagers. Une fois inséré dans un tel groupe, le déviant est plus assuré de persévérer
dans son comportement car il n’est plus seul, il acquiert des valeurs communes et
dispose désormais d’un savoir moral et pratique pour surmonter ses difficultés (Le
Breton, 2004, 237). Il va développer une compétence pour trouver le produit, évaluer
sa qualité (Becker, 1985, 62). Le fait d’entrer dans un groupe déviant permet enfin à
l’individu d’approfondir son apprentissage et de perfectionner ses techniques et ce, «
avec un minimum d’ennuis ». Au sein du groupe, nous dit D. Le Breton, le
délinquant trouve un système bien rodé de justification pour maintenir sa ligne de
Pour conclure, on peut dire que l'apport essentiel de Becker est d'analyser la
déviance comme une action publiquement disqualifiée et comme le résultat des
initiatives d'autrui. Avant qu'un acte quelconque puisse être considéré comme
déviant, et qu'une catégorie d'individus puisse être étiquetée et traitée comme
"Outsiders", comme étrangère à la collectivité pour avoir commis cet acte, il faut que
quelqu'un ait instauré la norme qui définit l'acte comme déviant. Les normes ne
naissent pas spontanément. Pour qu'une norme soit créée, il faut que quelqu'un appelle
l'attention du public sur certains faits, puis donne l'impulsion indispensable pour mettre les
choses en train - une réforme législative- et dirige les énergies ainsi mobilisées dans la
direction adéquate. Sans ces initiatives destinées à instaurer des normes, la déviance,
qui consiste à transgresser une norme, n'existerait pas. Mais la déviance est aussi le
produit d'initiatives à un autre niveau. Une fois que la norme existe, il faut qu'elle
Pour Matza, la délinquance se définit donc davantage par les situations typiques
auxquelles sont confrontés les délinquants que par une culture. Certes, on a vu que,
parmi ces situations, il en est une qui est déterminante dans l’élaboration de la
théorie de la sous-culture, c'est celle que Matza appelle la "situation de compagnie",
c'est-à-dire le fait d'appartenir à une "bande". C'est dans l'existence de cette "bande"
que les auteurs culturalistes ont fondé leur théorie de la sous-culture délinquante, en
partant de l'idée que pour que la bande se soude, il faut que ses membres partagent
un code commun ; et c'est ce code qui serait l'expression de la sous-culture. Au
contraire, pour Matza, le ciment de la bande, ce qui unit le groupe, n'est pas le
consensus mais un dissensus : chaque membre du groupe pense que les autres sont
engagés dans la délinquance au contraire de lui-même qui se conçoit comme une
exception en compagnie de vrais délinquants. Ainsi, l'image que chacun des
membres du groupe se fait de lui-même ne coïncide pas avec l'image que se font
d'eux les autres membres du groupe. Matza observe alors que les adolescents ont
d'ailleurs une conscience diffuse de ce quiproquo et que ce quiproquo fait naître, en
chacun d'eux une sorte d'angoisse statutaire, c'est-à-dire une anxiété qui porte sur
son identité sociale. D'où, entre ces adolescents des provocations, du genre "si t'es un
homme...; t'es pas capable de...; tu ne feras pas ça parce que t'as la trouille...; destinées
à leur permettre d'assurer leur statut.
Matza se demande alors comment, par cette neutralisation, le jeune arrive à convertir
le délit en simple action. Pour lui, le jeune ne fait rien d'autre que de mettre en
pratique ce qu'il apprend dès ses premiers contacts avec l'institution judiciaire. En
effet, pour le juge, il n'y a délit que si certaines conditions bien précises sont remplies,
et en particulier la conscience de commettre un délit. Et, concernant la justice des
mineurs aux Etats-Unis, les critères par lesquels est appréciée la culpabilité d'un
enfant sont très flous, le principe étant celui de la justice individualisée à chaque type
d'enfant ou d'adolescent.
Matza montre donc que l'institution judiciaire produit les délinquants qu'elle est
chargée, en principe, de combattre. En cela, il est fidèle au courant interactionniste.
Mais, en même temps, il va plus loin : en effet, pour lui, la justice la plus libérale, la
plus humaniste, c'est-à-dire celle qui prend le plus en compte l'infinité des
circonstances atténuantes (l'enfance, la famille, la société...) est aussi celle qui
contribue le plus fortement à généraliser la neutralisation, la dérive, et donc la
délinquance juvénile. Elle fournit aux jeunes les arguments dont ils ont besoin pour
se séparer de l'ordre légal et parti à la dérive vers la délinquance.
52
- Déni de responsabilité : le délinquant peut justifier son action en prétendant qu’il agit sous l’empire de causes extérieures ;
- Déni du mal causé : les jeunes délinquants s’attachent à estimer l’importance des torts que leurs forfaits occasionnent ;
- Déni de la victime : le délinquant fait valoir que la victime méritait le sort qui lui a été fait
- L’accusation des accusateurs : ici au lieu de justifier ses propre méfaits ; le délinquant s’en prend aux mobiles de ceux qui le condamnent : le policiers sont des
corrompus
- La soumission à des loyautés supérieures : respect des prescriptions du système normatif général peut être suspendu lorsque les circonstances obligent un
individu à obéir à celle d’un système normatif particulier.
mai 1968) Cette criminologie est militante. Elle conçoit le crime comme la résultante
d'un rapport politique ou économique de domination. Elle poursuit un objectif de
transformation des rapports politiques et sociaux.
La sociologie du conflit peut être représentée par TURK. Elle considère la société
comme composée de groupe en compétition ; chaque groupe luttant pour le contrôle
et la domination.
Les conflits peuvent porter sur des richesses mais également sur des problèmes de
cultures, de religion...
Cette conception amène à considérer le droit non pas comme le produit d'un
consensus social mais comme le reflet des valeurs du groupe dominant et qui, par
Dans nos sociétés, une petite part de la population (la bourgeoisie) détient une très
grande part des richesses. La structure sociale serait donc criminogène. L'analyse se
base donc sur la répartition des richesses. Le droit pénal ne sert qu'à la défense du
système en place, à assurer son maintien. La loi pénale n'est appliquée qu'à la classe
dominée. Lorsque la loi pénale est appliquée à un membre de la classe dominante,
c’est uniquement pour en faire un bouc émissaire dans le but de renforcer le mythe
de la neutralité de la loi. La criminologie critique démontre que les grandes
puissances peuvent impunément violer les lois de protection de l'environnement, de
santé... Elles parviennent à détourner l'attention des délits qu'elles commettent sur les
crimes commis par la classe populaire.
Ces travaux arrivent dans la criminologie de langue française à travers les travaux de
Michel FOUCAULT et de Robert CASTEL. Elle se consacre progressivement à la
procédure de la gestion de la déviance.
Dans le cadre de cours, notre objectif était de donner quelques outils scientifiques à
partir desquels, le lecteur peut expliquer et comprendre le phénomène criminel.
Nous avons vu qu’il était difficile de définir la criminologie en raison de la
controverse autour de son statut théorique et épistémologique. Malgré cette
controverse doctrinale, les différentes approches ou tendances se rejoignent sur
l’étude du phénomène criminel dans ses différents aspects.
Avec les différentes théories étudiées dans le cadre de ce cours, nous pensons que le
lecteur, peut lire autrement la réalité sociale congolaise ainsi que l’action délinquante.
Dans l’approche écologique par exemple, les auteurs pensent qu’au lieu d’essayer de
dissuader les citoyens par le pénal, il serait efficace d’agir sur le milieu ou sur
l’environnement. Dans un climat de désordre social, les causes se trouvent dans la
structure elle-même. La délinquance peut être considérée comme un message, un
langage de force. Il faut arriver à comprendre le processus du passage à l’acte en
intégrant tous les aspects criminologiques en amont et en aval. Ce support étant
provisoire, cette conclusion sera remaniée au fur et à mesure que nos recherches
avancent.
Le tableau ci-dessous présente une synthèse des théories développées par quelques
auteurs vue dans ce cours.
Le même auteur considère que les crimes des immigrants - surestimés dans les
statistiques parce qu'ils constituent des populations plus surveillées que d'autres,
sont des résultants soit d'un conflit entre les normes de conduite de la culture
nouvelle et celle de l'ancienne, soit du changement d'un environnement rural pour
un environnement urbain, ou bien du passage d'une société homogènes bien
organisée à une société hétérogène désorganisée. Il examine pour la montré les
modalités du contrôle parental. Il fournit là un modèle explicatif de la délinquance
des étrangers et des migrants qui sont utilisées par la suite dans un nombre
considérable de travaux sociologiques. Il ne nie pas l'influence possible de la
position sociale ou économique des individus dans la société mais souligne la
dimension culturelle d'un certain nombre de particularismes comportementaux
sans la prise en compte desquels on ne peut comprendre l'usage immodéré des
armes, les rituels de vengeance ou les querelles d'honneur. Son schéma explicatif
est bien entendu critiquer par ailleurs, sur principalement trois points :
- il surestimerait les différences entre les codes culturels, alors que des
préceptes majeurs se retrouvent dans toutes les civilisations (sur le vol, sur
le meurtre...) ;
Merton
Il part de l'observation que les individus dans une société agissent en fonction
d’objectifs et grâce à des moyens. Le sociologue prend l'exemple, dans les années
1950 aux États-Unis, d’individus ayant pour objectif de s’enrichir mais qui, ne
possédant pas les moyens de le faire (manque d'argent, d'éducation, etc). vont
utiliser des moyens illégaux pour s'enrichir.
Merton les appelle innovateurs même si ceux-ci sont considérés comme des
criminels. En les valorisant, il déplace le problème de la criminalité. L’origine du
problème se trouve dans la vie sociale, comme le prouverait l'exemple, aux États-
Unis, de l’enrichissement personnel avec des moyens différents selon les individus.
Dans le même ordre d'idées, Merton étudie le système politique. Il montre qu'une
élection recouvre les deux fonctions écrites précédemment : la fonction manifeste
pour le vainqueur est de gagner l'élection, et la fonction latente est que l'élection
peut jouer le rôle d'ascenseur social.
(Delinquency and Opportunity, The Free Press, 1960) proposent une extension de
la théorie de l'anomie, qui synthétise la théorie de MERTON avec celle des
associations différentielles de SUTHERLAND et celle de la désorganisation sociale
de SHAW et Mac KAY. "L'expérience du désespoir né de la certitude que leur
position dans la structure économique est à peu près fixe et immuable" pousse les
individus à chercher une réponse collective à la tension qu'ils éprouvent. La
délinquance est une des réponses. Mais ne devient pas délinquant qui veut car les
opportunités illégitimes sont elles aussi restreintes. La délinquance est un
ensemble de pratiques organisées exigeant certaines conditions. la probabilité de
les réunir diffère selon la position occupée par les individus dans la structure
sociale. La combinaison des possibilités de délinquance peut produire trois types
de sous-culture :
Cette notion de sous-culture est contestée radicalement par des auteurs comme
David MATZA (Delinquency and Drift, New York, Wiley, 1964). Il reproche à cette
théorie de reposer sur deux postulats erronés :
Or, pour lui, les délinquants ne sont pas en conflit permanent avec la société. Ils
glissent ou dérivent dans la délinquance par une séquence de mouvements
graduels, non perçus par l'acteur comme tels, "le délinquant existe, de façon
transitoire dans les limbes entre la convention et le crime, répondant à tour de rôle
à la demande de chacun, flirtant tantôt avec l'un, tantôt avec l'autre, mais
repoussant à plus tard l'engagement, évitant la décision. Ainsi le délinquant dérive
entre l'action criminelle et l'action conventionnelle". La culture dominante
imprègne tout leur système de valeurs car ils sont encerclés par les membres de la
société adulte : "Le délinquant n'est pas un étranger à la société dans laquelle il vit
mais il en est le reflet dérangeant, une caricature." Il reconnaît ou connaît la légalité
ou l'illégalité d'un acte, classe les infractions comme tout autre citoyen, et parfois
dénonce (plus que lui souvent) l'immoralité ou l'injustice d'une agression (violeurs,
assassins d'enfants et délateurs)...
Il nous semble en effet que le délinquant juvénile soit parfois bien plus conformiste
que d'autres citoyens et en tout cas se différencie nettement par son comportement
d'autres enfants ou adolescents qui pourraient contester certaines valeurs de la
société et devenir plus tard des militants politiques. C'est faire fausse route que de
Edwin SUTHERLAND:
L'INTERACTIONNISME SYMBOLIQUE
Herbert BLUMER
(3) on le sépare d’autres jeunes non-délinquants pour éviter qu’il les contamine;
(4) se faisant, il ne lui reste plus qu’à fréquenter d’autres étiquetés comme lui;
(6) on le punit plus sévèrement que les autres (parce qu’il est plus méchant);
(7) Il arrive à croire qu’il est vraiment différent des autres, puisqu’on le traite
différemment.
iv. C’est ce que Lemert appelle les « effets pervers du système de justice » : nos
méthodes de contrôle du crime en produisent davantage. Conséquence
pratique : bien des systèmes de justice (surtout dans les années 1970) ont
adopté une approche minimaliste, surtout pour les jeunes.
v. Attention : il ne faut pas en déduire qu’il suffit de nommer quelqu’un «
déviant » pour que le processus s’enclenche. Souvent, l’étiquette ne colle
pas. C’est que la plupart des gens appartiennent à des groupes multiples, et
que chacun de ces groupes ne lui appliquent pas nécessairement la même
c. Dans son étude des fumeurs de marijuana (conduite qui, à l’époque, était
passablement plus grave qu’aujourd’hui), Becker constate deux choses
intéressantes :
f. La déviance est donc créée par la société — non pas au sens où des facteurs
sociaux poussent à la déviance (Merton ou Miller), mais au sens où c’est la
société qui créé des règles et qui les applique. Cette application créé des
exclus, ou « outsiders ». Ainsi, le criminologue doit s’intéresser à
l’organisation de la réponse sociale, et non à la déviance, qui en est
simplement le résultat. Ceci est différent de l’approche étiologique
précédente (étiquetage) : Becker renverse complètement le sujet à expliquer.
Il ne prétend pas que les crimes n’ont pas lieu, ou que personne n’en est
l’auteur; seulement, que le caractère principal de l’acte et de l’auteur est
qu’ils sont sujets à une réaction particulière de la part des autres membres
du groupe.
g. Becker prend l’exemple des indigènes des îles Trobriand et de leurs lois sur
l’inceste, telles que décrites par Malinowski (on peut trouver l’ouvrage sur
la toile). Notons au départ que les Trobriandais ont une définition spécifique
de l’inceste : le mariage doit être exogame (on ne se marie pas avec une
personne du même village). L’histoire est la suivante : Malinowski observe
qu’une liaison entre deux jeunes du même village est connue de tous, mais
personne n’en parle, et personne ne le dénonce. La situation change quand
un jeune homme d’un autre village se présente et demande la jeune femme
en mariage — comme elle refuse, il expose au grand jour son « inceste ». À
partir de ce moment — et seulement de ce moment — l’ensemble du village
dénonce cette conduite délinquante, et la honte s’abat sur les amoureux (ils
se suicident). Conclusion de Becker : ce n’est pas l’acte, ni les acteurs, qui
sont déviants; l’acte n’est rien, et n’a aucune conséquence, avant d’être
spécifiquement défini par le groupe.
i. Les « entrepreneurs moraux » sont des gens qui tentent de mobiliser une
réaction anti-déviance; ils essaient d’organiser une croisade autour d’un
sujet qui leur paraît important (MADD, le Trobriandais jaloux, etc.). Ce
faisant, ils s’approprient le pouvoir d’exclure du groupe et s’adjugent une
identité de « super-membre », de modèle moral.
j. Conclusion : les individus créent les règles sociales en les appliquant. Elles
n’existent pas d’elles-mêmes.
BIBLIOGRAPHIE
A. OUVRAGES
B. ARTICLES
INTRODUCTION GENERALE............................................................................................1
PREMIERE PARTIE.................................................................................................................3
CRIMINOLOGIE : SCIENCE CONTROVERSEE................................................................3
CHAPITRE I..............................................................................................................................4
STATUT EPISTEMOLOGIQUE DE LA CRIMINOLOGIE................................................4
INTRODUCTION.................................................................................................................4
SECTION I: LES GRANDES REPRÉSENTATIONS MAJEURES DE LA
CRIMINOLOGIE..................................................................................................................5
§1. La première représentation.......................................................................................5
§2. La deuxième représentation......................................................................................6
§3. La troisième représentation.......................................................................................7
SECTION II : LA CRIMINOLOGIE : SA DEFINITION ET SON ÉVOLUTION....8
§2. Des pères fondateurs de la criminologie et de la date de naissance.................14
b. De la date de naissance de la criminologie.............................................................15
SECTION III : DIGRESSIONS SUR L'INVENTION DU TERME « CRIMINOLOGIE
» ET SES ÉQUIVALENTS..................................................................................................15
§1. Anthropologie criminelle........................................................................................16
§2. Sociologie criminelle....................................................................................................17