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Stanislas D’Ornano
Vrin | « Le Philosophoire »
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Stanislas d’Ornano
1
Emblématique du cynisme d’une caste et de l’état d’une configuration historique
précédent de quelques mois un krach boursier, la réplique que le prédateur financier
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1
Jacques Rancière, Malaise dans l’esthétique, Galilée, 2004, p. 65.
2
Voir par exemple les approches respectives de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Milner.
3
En référence successivement ici aux approches de Jürgen Habermas, Niklas Luhmann,
Max Weber et Antony Giddens.
4
Points de vue qui peuvent être illustrés respectivement par les approches de Georg
Simmel, Stanley Cavell et Jacques Rancière.
166 La Politique
écarts féconds que l’on peut établir entre les philosophies de l’émancipation
respectives de Jacques Rancière et de l’auteur de cet essai. Proximité
d’abord. Si Christian Ruby revendique l’inscription d’une démarche dans
une « anthropologie matérialiste des règles »1, la philosophie générale de
Jacques Rancière peut être qualifiée de « matérialiste, expulsant toute
référence à un fondement », puisque par exemple elle revendique de ne pas
se sentir concernée par l’opposition – jugée interne à la pensée dominante –
entre une philosophie matérialiste qui cherche à nous édifier (J.-F. Lyotard)
et une philosophie idéaliste (J. Habermas)2. Par ailleurs, ces perspectives
proches se déploient sur fond de la thématique de l’esthétisation du politique
devenue courante dans les années 1990. Enfin, un même angle d’attaque est
privilégié pour appréhender celle-ci, celui des « partages du sensible ».
Ainsi, Christian Ruby voit l’émergence d’une nouvelle définition de
l’esthétique comme « science des relations du pouvoir et de la société à la
sensibilité »3 comme conséquence de la pluralité des pratiques artistiques
qui brise l’évidence partagée de la relation perçue comme naturelle entre
une réception qui serait universelle et un objet posé comme œuvre.
Au-delà de cette proximité, une différence – qui permet la distanciation
critique – peut s’identifier dans les exercices respectifs préconisés par les
deux auteurs pour mettre en œuvre une pratique de l’émancipation. Pour
faire court, les uns visent à faire l’histoire, les autres à instaurer un rapport
d’altérité. Trois types d’exercices favorisent pour les figures anonymes de
l’émancipation (« l’exploration de multiples chemins aux croisements
imprévus » pour « appréhender les formes de l’expérience du visible et du
dicible »)4 et pour l’historien-philosophe (soustraire les mouvements de
l’histoire à « toute théologie du temps, toute pensée du trauma originel ou
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1
Selon l’auteur, celle-ci permet de « définir une conception générale de ce que les
humains choisissent sans cesse de devenir en tant qu’êtres sociaux, de leur détermination
dans et par l’autre, de leur manière de se ranger ou non sous le jugement commun, des
formes de leurs actions et des limites ou bornes sur lesquelles elles
s’appuient » (Nouvelles lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, Bruxelles, La
Lettre Volée, 2005, Lettre 3, p. 46). Pour une analyse plus approfondie, voir Stanislas
d’Ornano, L’Exercice de soi hors de l’esthétique. L’antidote aux instrumentalisations de la
culture, EspacesTemps.net, 01.10.2005, http://espacestemps.net/document1594.html.
2
Christian Ruby, L’interruption. Jacques Rancière et la politique, p. 45.
3
Christian Ruby, « Liés et déliés des arts et de l’esthétique » in Continu / Discontinu –
Puissances et impuissances d’un couple, EspacesTemps n° 82-83, décembre 2003.
4
Jacques Rancière, Les Noms de l’histoire. Essai de poétique du savoir, 1993.
5
Jacques Rancière, Malaise dans l’esthétique, p. 173.
L’interruption. Jacques Rancière et la politique 167
aux exercices proposés par Christian Ruby, ils invitent le citoyen à observer
la même ascèse que le spectateur des œuvres de l’art contemporain : celui-ci
« construit un rapport à l’autre à chaque fois recommencé sur la base d’une
extrême concentration » et apprend à « se reconstruire en des combinaisons
différentes élargissant à chaque fois dans ce rapport à l’autre les possibilités
d’existence auxquelles il peut se rendre disponible »1 ; celui-là va
développer son exigence et sa capacité à « se penser soi-même comme un
autre de l’autre », c’est-à-dire se donner les moyens de substituer un régime
de rapport à un simple régime de relation, de prendre conscience de la triple
altération de son identité (l’existence d’un autre intérieur, d’un devenir,
d’une confrontation avec l’autre)2.
La fécondité de l’ouvrage L’interruption, Jacques Rancière et la
politique tient donc à la fois à une connaissance intime de l’objet étudié et à
une distance clairement établie. Le propos réside plus dans l’explicitation
d’une mise en cohérence de l’œuvre de J. Rancière (laquelle est par ailleurs
revendiquée par lui-même) que dans l’éclairage des polémiques et des
critiques qui ont pu lui être adressées. Sur ce dernier point, le lecteur pourra
se reporter avec profit au livre de Charlotte Nordmann consacré à la
confrontation entre philosophie et sociologie, Bourdieu / Rancière. Le
philosophe rechercherait une essence du politique, comme rencontre entre
deux processus hétérogènes : les pratiques en vue d’effectuer le principe
d’égalité (« la politique ») et le consentement de chacun, dans une culture et
dans une période donnée, à la distribution des places et des fonctions (« la
police »). Or, cette référence à une essence tend à évacuer l’historicité, le
contexte des pratiques politiques, comme celui des grèves de 1830. Dans la
mesure où nous serions tous égaux face au langage, ne serait pas vraiment
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1
Christian Ruby, Nouvelles lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, Lettre 12, pp.
108-109.
2
Christian Ruby, Le rapport d’altérité. Se penser soi-même comme autre, conférence
donnée à CitéPhilo Lille, mars 2008 ; Exercices de l’altérité. De l’assujettissement à
l’identité à sa déprise, Cahiers du MURS n°56, Paris, 2° trimestre 2008.
3
Charlotte Nordmann, Bourdieu / Rancière. La politique entre sociologie et philosophie,
Amsterdam, 2006.
168 La Politique
1
Jacques Rancière, Chronique des temps consensuels, Seuil, 2005 ; Christian Ruby, idem,
p. 9.
2
Laquelle s’est déployée en quatre moments articulés par un « montage dialectique », ceux
respectivement des rapports du savoir et du pouvoir, d’un voyage au cœur de la parole
ouvrière, d’une réélaboration conceptuelle de la politique à partir du concept de « partage
du sensible », d’une approche esthétique de celui-ci, à travers la notion de
« subjectivation » (pp. 11-12).
3
Jacques Rancière, Aux bords du politique, Osiris, 1990, La Fabrique, 1998, p. 90.
4
Selon Charlotte Nordmann, J. Rancière radicalise abusivement la démarche de Bourdieu
lorsqu’il l’assimile à la démarche de L. Althusser. Pour Bourdieu, la dépossession est bien
une conséquence de la domination et non une cause. En revanche, elle concède à Rancière
d’avoir montré que les modalités de la dépossession se figent lorsqu’on passe de l’ouvrage
Les héritiers à La reproduction (Bourdieu / Rancière, op. cit., pp. 93-105).
L’interruption. Jacques Rancière et la politique 169
formules politiques (…). Affirmer que chacun est capable de… est même la
condition pour que chacun augmente sa propre puissance »1.