Les Barbares (Tarmac)
Les Barbares (Tarmac)
Les Barbares (Tarmac)
Résumé :
11 tableaux, chacun racontant le quotidien des « barbares » qui errent dans le monde, et se
heurtent aux murs, aux barbelés, aux frontières géographiques et physiques… Y laissant parfois
leurs vies. Deux d’entre eux seulement reprennent les mêmes personnages (« Brûler la mer » et
« Dans la profondeur de la mer [Koltès] ». Un effet de boucle puisque le premier texte « Chiens
aveugles » fait allusion par prolepse au dernier [« L’Oiseau bariolé »]. Les chiens garde-frontières
de la première scène réapparaissent à la fin. Tout en évoquant les mêmes thèmes, chaque scène
est indépendante et pourrait constituer une pièce courte autonome.
Commentaires du comité.
Tout d’abord le comité s’est posé la question du style et de la langue utilisée dans la pièce. Les
points positifs, voire très positifs, sont que c’est une langue bien en place, simple, très efficace,
assez juste, constituée de dialogues très carrés et bien calibrés. Avec quelques affleurements
poétiques parfois qui naissent du côté surréaliste de certains tableaux. Mais dans les « défauts », si
l’on ose dire, c’est que tout cela manque un peu de saveurs, de « jus poétique ». Et surtout parfois
un peu trop propre et presque trop « bien » écrit, pour qu’émerge quelque chose de vraiment fort
dans la langue. Parfois aussi trop long, l’ensemble gagnerait, selon nous, à être plus ramassé. Les
didascalies sont souvent trop pesantes et pléonastiques.
Ensuite est venue pour nous la recherche de l’originalité de la pièce. La succession des onze
tableaux, sans être d’une originalité folle, permet de donner un certain cachet à la pièce et surtout
d’en renouveler l’intérêt, d’en approfondir le thème, de l’explorer sous différentes facettes, et d’en
dévoiler la complexité. Et cette succession marque suffisamment la lecture pour que demeure
quelque chose dans cette peinture de « micros histoires ». De même les personnalisations
d’animaux en hommes, ou oiseaux/animaux, permettent de faire un pas de côté relativement
original et plaisant. Des références littéraires parsèment aussi le texte [dans les titres « Le Silence
de la mer », dans les scènes « la forêt de Durham » p. 21…], et enrichissent le sens sans trop le
souligner et donc sans cuistrerie aucune. Le recours à l’intertextualité est très subtil. Certaines
scènes sont un peu attendues, convenues, telles celles avec les Harragas [Rachid, Salek, etc.], mais
d’autres sont remarquables d’originalité [« Les mains », « L’oiseau bariolé », l’idée du bar des
déracinés de « Sans terre »].
Puis nous avons creusé les thèmes principaux abordés, et questionné le propos général. Pour ce
qui est des thèmes abordés, nous y avons trouvé : les migrants, le courage de partir, les frontières,
le racisme, la peur absurde de l’étranger, l’exil forcé, les réfugiés, l’intolérance, l’inhospitalité, les
préjugés, ceux qui croient être civilisés à l’égard de ceux qu’ils nomment les barbares, la
métaphore animale [pour dire ce prétendu écart entre civilisation et barbarie], l’humain et ce qui
ne l’est pas. Les sujets sont traités globalement dans leur complexité et sans manichéisme. À cet
égard le texte « Les mains » est particulièrement exemplaire, tout comme les relations entre la
Vieille et l’auxiliaire de vie dans « Les adieux ». Un bémol : le propos est quelquefois redondant. La
forme varie certes, mais le propos qui concerne la résignation des migrants à aller vers un sort
défavorable est constant et du coup un peu trop monochrome.
Ensuite nous avons considéré ce qui concerne les enjeux, les situations ou les conflits innervant le
texte. Chaque scène est bien composée, comporte un effet de chute, ce qui la rend autonome. Les
situations se retournent sans artifice comme dans la dernière scène, « L’Oiseau bariolé » où les
hommes et la femme recueillent par compassion l’oiseau-barbare-migrant avant de l’abandonner à
son sort. Mais, l’auteur tente de mettre en jeu plusieurs situations différentes qui se ressemblent
toutes fortement dans leurs enjeux. Comment passer la frontière ? Comment rester dans le pays
que l’on a rejoint ? Ce qui pose le problème de cette accumulation de scènes. En effet, nous avons
pour notre part peiné à voir la mise en perspective de tout cela. Plus qu’une mise en perspective,
l’auteur reste un peu sur la déclinaison d’un catalogue, d’un constat, sans que le sens, ou le propos
de ce que souhaite en faire l’auteur n’apparaissent de façon claire. A part ce constat documentaire
et journalistique. Mais qui ne fait pas une dramaturgie puissante et motrice au théâtre.
Pour ce qui est de la structure du texte. L’auteur pose ici un équilibre précaire, mais plutôt
intéressant entre autonomie et solidarité des scènes, comme pour dire une solidarité impossible :
la forme même du recueil peut ainsi constituer une forme-sens, car toutes les scènes semblent
dire un désenchantement de l’humain, un lien impossible entre les hommes qui érigent entre eux
des murs infranchissables. Toutefois cette structure, découpée en 11 tableaux, conduit à la fois à
une grande linéarité [on comprend très vite que des tableaux vont se succéder et ce système
conduit immanquablement à les attendre, forcément sans surprise], mais aussi à de grandes
possibilités de rebonds si tant est que l’auteur parvienne à changer radicalement de point de vue
et d’univers à chaque tableau. Or ce n’est, selon nous, pas le cas ici comme dit plus haut.
L’accumulation des scènes n’est pas assez puissante, et les couleurs de chacune trop proches les
unes des autres. Chaque petite histoire se déploie seule comme une vignette et s’efface pour
l’autre histoire. Ce qui fait que dans la construction dramaturgique même de la pièce, on a le
sentiment que les histoires ne sont pas assez mises au service l’une de l’autre pour nous faire
apparaître quelque chose de plus singulier. Une histoire au-dessus des petites histoires, plus
grande, et qui donnerait une vraie mise en perspective à la pièce. Et probablement un propos plus
fort… Pour nous c’est plus une variation formelle autour d’un même thème à laquelle nous invite
l’auteur. Mais sans l’éclaircissement du propos.
Enfin dernière rubrique du comité, la caractérisation des personnages. Les personnages sont peu
individualisés, correspondant à des types, comme dans les fables. Mention spéciale pour le
personnage de la Vieille dans « Désordres », très bien croqué, complexe, touchant et haïssable. Les
personnages sont ici plus définis par leur appartenance à un groupe [Barbare, Chien, Protestataire,
sans Papier] ou par leur relation [Père, Fils, Fille] par leur fonction [Barman, Policier, Auxilliaire de
vie] voire leur simulacre de fonction [Petit Général, Petite présidente] ou indéfinis [Homme,
Femme, Vieille, Jeune]. Ne se distinguent que trois personnages, nommés, Salek, Rachid et
Faiblard. Pourquoi sont-ils plus précisément nommés est pour nous un mystère. Est-ce parce
qu’apparaissant dans deux séquences, on peut considérer qu’ils ont comme une histoire ? Partis
par la mer, ils s’envoleront ensuite à la conquête de l’espace. « Comme les héros ». Un peu court
comme explication… En résumé l’auteur tente de peindre une galerie de portraits et cherche
vraiment à nous emmener au cœur des pas des différents protagonistes. Ce qui est une volonté
positive qu’il convient de saluer. Mais, pour nous, manque une vraie caractérisation des
personnages. Nous entendons d’abord par là qu’ils se ressemblent tous un peu dans leurs
langages, et tendent tous vers un langage un peu trop explicatif pour donner réellement vie à des
surprises chez eux. Il n’y a aussi pas vraiment de différences dans les utilisations de registres de
langues, qui permettent bien souvent à un lecteur et surtout un spectateur, de différencier des
personnages. Toutefois c’est surtout dans leurs enjeux ou situations [à l’instar du texte] que les
personnages manquent de caractérisations. On a l’impression dès le deuxième tableau que
l’auteur se sert de ses personnages simplement pour porter la thèse [plutôt le constat] qu’il veut
défendre. Et cette impression s’installe encore plus fortement à partir du troisième… Ce qui
conduit à rendre l’accumulation des tableaux plus du tout opérante sur nous. De plus cette galerie
de personnages, trop semblables et manquant de contradictions ou de zone d’ombre, s’épuise bien
avant la fin… Dommage, car le dispositif mis en place par l’auteur est une vraie belle piste qui
pourrait être vraiment plus puissante.
Au final un propos et une envie de la part de l’auteur que nous partageons. Parler aujourd’hui des
frontières artificielles ou naturelles, de ces endroits de passages « interdits » ou « contournés » du
monde, où des hommes viennent s’échouer, mourir, ou survivre en attente de transit vers un
ailleurs, est un enjeu mondial capital. Donc sur ce plan, le travail que nous propose ici l’auteur est à
saluer. Des scènes qui donnent envie de jouer. Une écriture riche et assez énigmatique. Un texte
que l’on projette aisément sur le plateau et qui a des vraies qualités, et qui aurait pu aussi être un
vrai coup de cœur…
Malheureusement, pour nous, l’auteur se perd un peu en route à vouloir trop bien faire. Ses onze
tableaux pris séparément pourraient être intéressants, mais dans l’accumulation construite ici ils
demeurent trop faibles, trop monochromes, et du coup, manquent d’un point de vue singulier.
L’auteur veut nous montrer que c’est dur, qu’il y a des choses difficiles, des atrocités... Mais cela,
pour être honnête, qui ne le sait pas aujourd’hui, qui ne l’a pas déjà lu dans des livres, vu dans des
documentaires ? Ce point de vue, pris ici en charge comme une thèse ne constitue pas une vraie
dramaturgie générale à notre avis. C’est, au fond, ce que nous devrions finir par ressentir à la fin de
la lecture de la pièce. Mais c’est tellement présent dès le début dans l’envie de l’auteur que cela
domine trop tout du long. Et nous empêche de faire des pas de côté, découvrir des choses plus sin-
gulières. L’auteur colle presque trop à son sujet, et utilise trop ses personnages pour défendre
seulement sa thèse. Il faudrait plus de vie propre aux différents personnages, leur laisser plus de li-
berté et de singularité dans leurs parcours, leurs accidents, pour que nous puissions finir par faire
la somme finale de ce que souhaite dire l’auteur dès le départ : c’est trop dur et violent la vie de
migrants/barbares. En fait l’auteur pourrait peut-être aussi plus radicaliser sa construction. S’il sou-
haite onze tableaux dans sa construction, alors les mettre en jeu dans une vraie perspective puis-
sante ou vertigineuse. Par exemple, nous disons n’importe quoi qui nous passe par la tête, que
dans le onzième tableau se retrouvent réuni quelque chose qui serait apparu dans les autres, ou
bien que tous les personnages finissent par s’y retrouver, ou encore autre chose, mais une sorte de
grande histoire réunissant les petites. Qui ne parlerait pas frontalement des problèmes des mi-
grants, mais finirait par nous en parler... Ou alors creuser une ou deux des histoires et n’en faire
qu’une, plus profonde, avec plus de contradictions dans les personnages, plus de zones d’ombres,
de surprises pour nous. Plutôt que de lire en filigrane dans chaque scène : oh mon Dieu les pauvres
migrants… Qui est une réalité que nous partageons avec l’auteur bien évidemment, mais qui ne
fait pas un bon moteur dramaturgique selon nous.