Lavandier - Extrait Dramaturgie
Lavandier - Extrait Dramaturgie
Lavandier - Extrait Dramaturgie
YVES LAVANDIER
Introduction
C’est un ouvrage très intéressant pour comprendre la structure d’un texte de fiction,
même s’il se destine à analyser la dramaturgie dans un sens limité : le théâtre et les
scénarios de films.
Je pense cependant que la plupart des principes de construction détaillés par Lavandier
s’appliquent parfaitement à la littérature parce qu’ils sont davantage propres à la fiction
qu’à un genre particulier.
J’ai eu l’envie d’écrire une pièce comme on construit un hangar, c’est-à-dire en bâtissant d’abord
une structure, qui va des fondations jusqu’au toit, avant de savoir exactement ce qui allait y être
entreposé… une forme suffisamment solide pour pouvoir contenir d’autres formes en elle. (31)
1. Conflits et émotions
Tout drame recèle un conflit soit par rapport aux protagonistes soit par rapport aux
spectateurs. Dans tous les cas, il faut que le spectateur (ou le lecteur 1) soit informé et
comprenne la source du conflit.
Tout conflit génère de l’émotion, laquelle est plus ou moins taboue dans la vie mais
autorisée dans la dramaturgie. De ce point de vue, d’ailleurs, la littérature est plus
puissante car elle permet, en reposant sur l’imaginaire du lecteur, de faire passer aussi une
douleur physique.
Il y a 2 types de conflit :
1. statique (vécu passivement)
2. dynamique (vécu activement)
1 Dorénavant, et dans le cadre de ce résumé, je confondrai les termes « spectateurs » et « lecteurs », « dramaturgie »
et « fiction ». Lavandier le reconnaît d’ailleurs : « S’il y a aussi du suspense dans la vie, cela signifie qu’il n’y a pas
du drama qu’en dramaturgie. Ce qui nous amène à étendre la définition du mot ‘dramaturgie’. Au sens strict, il
s’agit de l’imitation artistique d’une action humaine. Au sens large, il s’agit d’une situation, réelle ou fictive, dans
laquelle un organisme vivant cherche à atteindre un but sans que le résultat soit acquis d’avance. Dans ce sens-là,
on peut dire alors qu’il y a de la dramaturgie dans la vie ou en littérature, par exemple. » (96)
Vincent Engel
2. Protagoniste et objectif
Le protagoniste est « le personnage […] qui vit le plus de conflit, donc celui avec lequel
le spectateur s’identifie (émotionnellement) le plus. » (50) Peut-être aussi l’auteur. Il est
donc « un des vecteurs essentiels entre auteur et spectateur. » (50) C’est souvent le
personnage central ou titre, mais pas toujours (exemple : Salieri dans Amadeus, Don José
dans Carmen).
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Nouvelle et frustration
L’enjeu : c’est ce qui explique pourquoi un protagoniste a un tel objectif. C’est ce qu’on
peut perdre ou gagner dans une action.
3. Obstacles
S’il doit n’y avoir qu’un objectif général, il peut y avoir plusieurs obstacles.
a. classification relationnelle
Il y a 3 types de relations conflictuelles :
avec soi-même (= ± interne)
avec autrui (= ± externe d’origine interne)
avec la société, y inclus la nature et le hasard (= ± externe)
b. classification originelle
Il s’agit ici d’examiner la cause, l’origine de l’obstacle :
interne, provoqué par le protagoniste : jalousie, lâcheté, incompétence,
psychose…
externe, non provoqué par le protagoniste : lâcheté des autres, accidents,
maladies, nature…
externe d’origine interne, lorsque le protagoniste provoque l’obstacle chez les
autres : la jalousie de Iago provoquée par Othello.
un cas particulier d’obstacle interne : le co-protagoniste qui n’est pas d’accord avec les
autres.
On l’aura compris, de la nature des obstacles et de leur effet sur le protagoniste dépend en partie la
satisfaction du spectateur. Cela ne signifie pas qu’il n’y a qu’un type d’histoire à écrire. Loin de là.
Mais il est bon qu’un auteur qui déçoit ses spectateurs le fasse en connaissance de cause, qu’il sache
qu’il y a des œuvres plus difficiles que d’autres. À qualité d’écriture égale, une œuvre dont le
protagoniste est sympathique (Roméo versus Macbeth), qui atteint son objectif (Hamlet versus
Alceste) et qui se transforme pour le meilleur […] aura plus de chances de faire des entrées qu’une
œuvre qui ne remplit pas ces conditions. (74)
Il faut aussi mettre en place un crescendo dramatique. Ce crescendo est entre autres
conditionné par la question dramatique : le protagoniste atteindra-t-il son objectif ? Elle
induit une réponse dramatique, positive ou négative. Pour Lavandier, il faut donner cette
réponse au moins au spectateur. Je n’en suis pas convaincu. Cette question dramatique
induit du suspense, que peuvent renforcer la gestion du temps, des obstacles
supplémentaires. On peut alors assister à une modification de la question dramatique : y
arrivera-t-il à temps ?
4. Caractérisation
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Nouvelle et frustration
La caractérisation, c’est « l’art de créer des personnages ». C’est sans doute, pour
Lavandier, le plus difficile. On l’a ou on ne l’a pas.
C’est par son action et par comparaison avec son univers (sa « situation », pour prendre
un terme sartrien) qu’on connaît le mieux un personnage. Or comme les actions sont la
conséquence des conflits, on peut caractériser un personnage par
sa manière d’être en situation de conflit, statique ou dynamique
son objectif général et ses objectifs locaux
ses motivations, ses désirs
les moyens choisis pour réaliser l’objectif.
De ce point de vue, le nom ou le caractère physique comptent peu. C’est dans le conflit
que la nature de l’être se révèle. (Sur ce point, il y a sûrement une distinction à faire avec la
littérature ; mais je ne suis pas sûr que cela soit aussi vrai même en dramaturgie.)
Par rapport au public, il est valorisant d’offrir au protagoniste une transformation
positive. Or, dans la réalité, il est très rare et très difficile de changer foncièrement. Il faut
pourtant que les personnages soient « réalistes ». Équilibre difficile à trouver.
Pour réussir une caractérisation, il faut dès lors que l’auteur
connaisse bien ses personnages
sache toujours ce qui se passe dans leur tête
les aime, dans le sens de les comprendre et les accepter
montre les traits de caractère importants par rapport à l’histoire, via le conflit
soit cohérent
fasse sentir que ses personnages sont uniques.
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Vincent Engel
1. La structure
Si l’on admet qu’une œuvre dramatique raconte les tentatives d’un protagoniste pour atteindre un
objectif général, que cet objectif doit être connu du spectateur et qu’il peut difficilement être connu dès
la première seconde de l’œuvre, alors il est logique de découper une œuvre en 3 parties :
avant que l’objectif soit perçu par le spectateur,
pendant l’objectif,
et après l’objectif.
On appellera ces 3 parties des actes. (128)
L’acte dont il est question est un acte dramatique, et pas l’acte au sens théâtral. Il y en a
donc trois :
présentation
action (le plus long)
conclusion
Les nœuds dramatiques sont des charnières. Le plus important : le climax, qui conclut
le deuxième acte. Il y a plusieurs types de climax, la mort en étant un important. On peut
être tenté d’amplifier ce climax en recourant au spectaculaire, mais Lavandier considère
que c’est une erreur.
Autre nœud important : l’incident déclencheur, qui se situe souvent dans le premier
acte. C’est souvent une rencontre, mais cela peut aussi être une mort. L’incident
déclencheur n’est pas toujours vécu par le protagoniste et peut ne pas influer sur la
détermination de l’objectif principal. Il peut aussi ne pas en avoir, comme cet incident peut
être extradiégétique (ex : la mort de la mère, dans L’étranger). Il est le plus souvent fortuit,
parfois conflictuel, et il bouleverse la vie d’un personnage.
Le passage du premier au deuxième acte n’est pas toujours provoqué par l’incident
déclencheur. Ce passage doit être très soigné par l’auteur.
Le coup de théâtre : nœud dramatique inattendu pour le spectateur (mais pas d’office
pour les personnages). Il peut se placer
en cours d’action
au début du troisième acte (ce qui relance l’action et allonge ce dernier acte)
à la fin (= la chute)
On peut évidemment toujours briser les règles : mais pour les briser, il faut les
connaître. C’est tout le problème de la modernité. En mettant tous leurs efforts sur la
forme, l’art d’après-guerre a brisé le lien social qui reliait les artistes au public, ce qui
amène Lavandier à poser une question très intéressante sur la forme :
En fait, la forme dramaturgique doit-elle être considérée comme une fin en soi, ou simplement un
moyen, destiné à servir une intention, une pensée, un univers ? Cette question concerne tous les arts
discursifs, et « condamnés » à le rester, par opposition aux arts abstraits ou à ceux qui portent en eux
l’abstraction, comme la musique, la peinture, l’architecture et même, parfois, le langage filmique. Bref,
en dramaturgie, les recherches sur la forme pour la forme ne sont-elles pas, finalement, un peu
vaines ? (160)
2. L’unité
Dans la règle des trois unités, la plus importante, pour Lavandier, c’est l’action.
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Celle-ci impose que toutes les scènes soient consacrées au problème posé par l’objectif du
protagoniste. Elle est étroitement et directement liée à l’unicité de l’objectif. Elle se justifie donc […]
par :
1. le fait qu’on n’a pas le temps de traiter plusieurs histoires,
2. le fait qu’on demande une attention soutenue au spectateur et qu’il ne faut pas le perturber avec
des digressions. Car une digression attente au besoin de sens et d’ordre du spectateur. Une œuvre
cohérente est une œuvre rassurante. (171)
La question que ne pose pas Lavandier est dès lors : une œuvre doit-elle être
rassurante ? La fonction de la fiction n’est-elle pas plutôt de déranger, d’amener le lecteur
à se remettre en question ? Cela dit, je ne pense pas, personnellement, que cela remette en
cause les principes de structures mis en lumière par Lavandier. La différence que
j’introduis porte essentiellement sur la résolution.
Pour ce qui est du temps, il préconise de débuter le récit le plus près possible de la fin
de l’histoire. L’unité de lieu est moins importante.
À ces unités, Lavandier en ajoute deux :
unité de protagoniste et d’objectif (dont il a déjà parlé)
unité de style.
Il faut aussi éviter l’excès de justification. Tout ne doit pas être préparé, on peut laisser
la place à la surprise.
Les fausses pistes sont des annonces-leurres qui jouent le plus souvent sur des clichés.
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4. L’ironie dramatique
Cette ironie dramatique est très valorisante pour le public. Mais elle recouvre souvent
une vérité psychologique : si le personnage n’est pas conscient de cet élément, c’est
souvent parce qu’il préfère se masquer une vérité dérangeante (ceci n’est pas vrai que
pour la fiction).
En tant que telle, l’ironie dramatique est une forme d’annonce qu’il convient donc
d’exploiter. La résolution correspond au moment où le protagoniste comprend : c’est un
moment attendu par le spectateur (exemple : Roxanne, dans Cyrano), où l’identification
sera la plus forte. Il faut donc que ce moment soit bref.
L’ironie dramatique ne doit pas être spécialement explicite pour que le public la
perçoive. Elle peut être diffuse. (Exemple : si on arrête un coupable après seulement une
heure de film, on devine que ce n’est pas le bon.)
5. Développement
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1. Les dialogues
Fonctions du dialogue :
Le dialogue ne devrait avoir qu’une seule fonction : véhiculer des informations qui servent l’action.
C’est-à-dire :
1. caractériser celui qui parle, plus dans le contenu du dialogue que dans la façon de parler. […]
2. illustrer les relations entre celui qui parle et ses interlocuteurs.
3. nous faire comprendre (plutôt que nous dire) ce que désire, ce que pense ou ce que ressent celui
qui parle.
4. faire avancer l’action. C’est-à-dire : générer ou véhiculer des obstacles : préparer ou payer un
élément ; installer, exploiter ou résoudre une ironie dramatique ; raconter des faits antérieurs
(exposition) ; soutenir ou contredire un morceau d’activité […]. (331)
Techniques de dialogue :
2. Les intentions
3. Composition
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Première étape :
1. choisir le protagoniste, l’objectif et les obstacles par rapport à l’intention ;
2. trouver un « one line pitch », c’est-à-dire un résumé en une phrase qui présente
le protagoniste et l’objectif. Le pitch « doit résumer l’action et non le sens du
récit, ni l’intention de l’auteur, ni le résultat final. » (394) Exemple pour Cyrano de
Bergerac : « Un homme plein de panache mais complexé par une tare physique
essaie de séduire une femme par bellâtre interposé. » (voir d’autres exemples
page 393.) On peut également adjoindre un pitch thématique ;
3. déterminer la réponse dramatique qui donnera le sens de l’œuvre. Pour
Lavandier, l’absence de réponse est une erreur ; une fois encore, je pense que
c’est faux. Cette absence peut être une manière de signifier.
1. Penser au spectateur.
2. Savoir ce qu’on a envie de dire ou de montrer.
3. Donner au protagoniste un objectif clair, unique et inébranlable.
4. Penser aux obstacles internes ou d’origine interne.
5. Eviter les facilités (pour l’auteur comme pour le protagoniste).
6. Connaître son climax dès le début du récit.
7. Construire un crescendo.
8. Aimer, accepter, comprendre tous ses personnages.
9. Respecter l’unité d’action.
10. Eviter la suite de sketches.
11. Faire simple et exploiter.
12. Utiliser l’ironie dramatique.
13. Penser comédie.
14. Montrer plutôt que dire.
15. Construire les parties comme le tout.
16. Penser conflit et faire confiance aux émotions.
17. Prendre son temps et réécrire. (413)
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