These Khaoula LAGDAMI
These Khaoula LAGDAMI
These Khaoula LAGDAMI
MEMBRES DU JURY :
Monsieur Marc AZAVANT,
Mes remerciements les plus sincères vont à tous ceux qui ont cru en moi et qui m’ont
soutenu pour la réalisation de ce travail.
Je tiens à exprimer, particulièrement, toute ma reconnaissance et mes vifs remerciements à
mon directeur de thèse, Monsieur le Professeur Jean-Jacques LEMOULAND qui m’a
accordé l’opportunité de réaliser ce rêve. Un grand merci pour avoir accepté de diriger ce
travail et pour m’avoir orienté, conseillé et soutenu tout au long de ces années de thèse.
J’adresse également mes remerciements à toutes les personnes qui, de près ou de loin ont
participé à la réalisation et à l’aboutissement de ce travail.
Liste des principales abréviations
AL Alinéa
BO Bulletin officiel
CA Cour d’appel
Cass.civ Cassation civile
Introduction
Première partie
L’intérêt de l’enfant dans la construction du droit de la famille
Chapitre 1er La considération progressive des droits de l’enfant dans le droit de la famille.
Chapitre 2e La place des conventions internationales.
Deuxième partie
L’intérêt de l’enfant un élément de mise en œuvre du droit de la famille.
Titre second- La prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la mise en œuvre
du droit de la famille.
Chapitre 1er L’intérêt supérieur de l’enfant dans la filiation.
Chapitre 2e L’intérêt supérieur de l’enfant dans l’autorité parentale.
Conclusion Générale
1
INTRODUCTION
1. L’étude des droits de l’enfant dans les deux systèmes juridiques asymétriques tels que
le droit français et le droit marocain suscite de nombreuses interrogations relatives aux
différents aspects adoptés par chaque système juridique quant à la question de la prise en
considération des droits de l’enfant. En effet, si pour le premier la question du droit elle-
même est synonyme de régisseur social, le second quant à lui se réfère à d’autres règles
normatives qui viennent coexister avec la règle de droit.
2. Ces deux différentes approches permettent de soulever la réflexion sur l’importance de
la place du droit entre un système qui ne reconnaît pas la prise en considération de
normes autres que celles juridiques permettant l’évolution et la transformation de la règle
de droit dans l’objectif de suivre l’évolution sociale ; et un second qui demeure attaché
aux normes traditionnelles et à une spécificité juridique qui limite sa métamorphose dans
de nombreuses questions telle que les droits de l’enfant.
En effet, ces derniers sont le reflet absolu de l’évolution du droit qui marque le passage
d’un droit objectif en tant qu’ordre juridique général, à une prérogative individuelle dont
l’objectif de répondre aux intérêts personnels, puis aux droits de l’Homme revendiqués
pour enfin aboutir à une protection spécifique à l’enfant visant à concrétiser un nombre
de principes fondamentaux tels que l’intérêt de l’enfant.
3. Il est certain que l’évolution de l’idée de droit en tant qu’abstraction ne date pas
d’aujourd’hui ; elle est « le fruit d’une réflexion millénaire qui, émane de jurisconsultes,
d’initiés et de juristes… »1. Constituant donc un ordre et un système juridique auxquels
l’Homme a de plus en plus recours afin de régler ses rapports sociaux. Ainsi, la place du
droit s’élargit de plus en plus, permettant l’accompagnement des sociétés vers une
démocratisation et individualisation de droits2. En effet, cette transformation progressive
conduit à l’appauvrissement des coutumes, des mœurs, de la morale et de la religion qui
préservaient une grande importance dans la résolution des conflits.
4. Toutefois, malgré le fait que le droit devienne de plus en plus le système adopté et
recherché par l’être humain dans l’objectif de se garantir une certaine sécurité, il est
difficile de régir l’ensemble de la conduite humaine uniquement par le droit. Dans ce sens
le Doyen CARBONNIER considère que « la conduite humaine est régie par d’autres
systèmes que le droit. Le droit y met son pouvoir de contrainte, mais en dehors du droit,
il y a bien d’autres systèmes de normes : la religion, la morale, les mœurs ; autrement
dit, les manières de vivre au jour le jour mais également les inhibitions intériorisées sans
qu’il y ait de règles perceptibles pour les commenter. Il y a la prudence, il y a la crainte,
il y a la sobriété, il y a cette force indéfinissable que l’on appelle le bon sens, le sens
1
Gérard CORNU, Droit civil introduction Les personnes Les biens Montchrestien, 11 ème édition, Lgdj, 2003 p. 11.
2
Brigitte FRELAT-KAHN, Entre nature et contingence : de la normalité à la normativité, Le Télémaque 2/2009 (n°
36), p. 47.
1
commun. C’est une véritable source de droit »3. C’est la raison pour laquelle il est
difficile de considérer que le droit peut à lui seul gérer toute la conduite sociale.
Cette réflexion sur la participation de normes autres que celles juridiques dans la conduite
des Hommes fait du droit un phénomène humain dont l’image se vérifie dans toutes les
branches de droit mais plus particulièrement celle du droit de la famille. En effet, ce
dernier est marqué par une théorie générale et commune d’évolution dans toutes les
sociétés, malgré que ces dernières soient de différents droits ou différentes civilisations et
quelque soit le degré de leur développement. La famille demeure donc l’unité de base qui
construit la société, permettant à chaque société « d’avoir sa famille, voire ses familles »4.
L’étude des deux systèmes juridiques français et marocain est un exemple parfait pour
comprendre ce rapport étroit entre le développement de la société et le droit de la famille.
Ainsi, il est certain que la conception de la famille dans les deux sociétés n’est pas
identique ; malgré qu’elle soit le noyau de chacune, elle demeure le produit des mœurs,
des coutumes et de la culture qui participent à façonner chaque société5.
5. En France, la famille se caractérise aujourd’hui par une pluralité qui vient remplacer le
modèle traditionnel qui se caractérisait par « une conjugalité matrimoniale et une famille
légitime construite autour du mariage »6, qui, suite à une « révolution tranquille »7 a
cédé la place à un système pluraliste qui permet aujourd’hui la concurrence de plusieurs
types de famille afin de prendre en considération les diverses réalités familiales 8. Ainsi, si
ce pluralisme est parvenu à envahir le système juridique français en imposant une réalité
sociale, il n’en est pas de même pour le système juridique marocain où le pluralisme n’a
pas réussi à affecté l’unique type de famille légitime fondée sur le mariage. En effet, ce
dernier est le seul modèle qui répond aux normes religieuses, sociales et juridiques
adoptées par le pays, qui bannit les unions libres et toutes les relations entre les hommes
et les femmes en dehors du cadre légal. Toutefois, tout comme le droit de la famille en
France, le droit de la famille marocain a également subi une métamorphose ; il est vrai
qu’elle semble timide mais, le changement social a également participé d’une manière
indirecte à toucher plus ou moins une partie des règles adoptées en la matière poussant le
législateur marocain à s’adapter aux changements sociaux et à l’évolution des mœurs
permettant ainsi une prise en considération des droits individuels de chaque membre au
sein de la famille.
3
Jean CARBONNIER, Extrait de : Trois thèmes de sociologie du droit par Jean Carbonnier, CD « Les grands juristes
contemporains », LADEF. Disponible sur : http://expocujas.univ-paris1.fr/Carbonnier/non-droit.html#vid3a.
4
Philippe MALAURIE, Hugues FULCHIRON, La famille, Defrénois, 3 ème édition, 2008, p. 6.
5
Mariam MONJID, L’islam et la modernité dans le droit de la famille au Maghreb, Etude comparative : Maroc,
Algérie, Tunisie, L’Harmattan, 2013, p. 9.
6
Christèle CLÉMENT, Réflexions sur le pluralisme familial, La place du modèle familial dans un système pluraliste,
sous la direction d’Odile ROY, Presse universitaires de Paris Nanterre, sciences juridiques et politiques, 2011.
Disponible sur : http://www.openedition.org/6540.
7
Gérard CORNU, La naissance et la grâce, in D, 1972, chron., p. 175, cité par Odile ROY, Le modèle français :
évolutions et résistances face au pluralisme familial, Réflexions sur le pluralisme familial, la place du modèle familial
dans le système pluraliste, Presse universitaire de Paris Nanterre, sciences juridiques et politiques, 2011. Disponible
sur : http://www.openedition.org/6540.
8
Jean-Hugues DÉCHAUX, Sociologie de la famille, La découverte, 2009, p. 24.
2
6. La comparaison entre les deux systèmes juridiques en matière familiale permet d’une
part de souligner leurs points communs9 qui se manifestent d’une manière générale dans
la particularité et la spécificité de cette branche de droit, qui exige une grande prudence
puisqu’elle relève « d’un domaine privé et sensible qui concerne la vie des gens et leurs
sentiments »10, et dont l’objectif de toute réforme doit répondre au respect de l’éthique, la
morale et le droit. Cet équilibre recherché par les deux législateurs, semble être une
véritable bataille qui ne peut être conquise que suite à un enthousiasme et une grande
volonté du législateur, à vouloir délimiter les notions qui créent la spécificité de chaque
système en matière familiale. D’autre part, ce sont également les mêmes éléments qui
participent à créer la spécificité de chaque système juridique adopté par les deux pays et
donc soulever les points de divergence qui permettent de comparer l’évolution et les
limites de chaque système juridique.
7. Dans le cadre de cette comparaison, il paraît difficile de ne pas évoquer en premier lieu
les éléments d’influence communs à l’évolution du droit de la famille, qui sont
évidemment relatifs à l’émergence et à la prise en considération des droits de l’Homme
dont le respect et l’application représentent aujourd’hui le miroir de toute société
moderne. En effet, la majorité des pays du monde intègrent les principes fondamentaux
des droits de l’Homme dans leurs Constitutions affirmant la reconnaissance de la dignité
humaine, de l’égalité et la liberté de tous les êtres humains en droit. Des principes qui
tirent leurs origines de la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre
1948 adoptée par les Nations Unies et inspirée par La Déclaration des Droits de l’Homme
et du Citoyen rédigée au début de la Révolution française en 1789. En effet, la DUDH
reprend tous les principes énoncés par la Déclaration de 1789 et étend d’une manière
considérable les droits civils, politiques, économique, sociaux et culturels dans un seul
texte.
Par ailleurs, malgré le fait que la DUDH marque une nouvelle aire de la concrétisation
des droits de l’Homme dans le monde entier, cependant, son universalité réclamée par le
texte lui-même fait encore aujourd’hui l’objet de nombreux débats relatifs à la prise en
considération des principes des droits de l’Homme dans toutes les législations. En effet,
en France cette intégration paraît comme une évidence du fait que le texte ne représente
qu’un aboutissement et un résultat d’un contexte, d’une évolution et d’une révolution
intellectuelle et philosophique, qui a fait de l’individualisme et de la protection des droits
individuels un objectif visant à instaurer une idéologie qui reconnaît la primauté à
l’individu et de ses droits subjectifs.
9
Dans ce sens, le Professeur Jean-Jacques LEMOULAND considère que lorsque le droit comparé s’applique en droit
français de la famille, cette comparaison permet de révéler les contradictions ainsi que les atouts des conceptions
renouvelées du couple et de la famille. Jean- Jacques LEMOULAND, Quel rapport du droit comparé au droit français
des personnes et de la famille ? », in Mélanges en l’honneur du Professeur Jean HAUSER, Paris, Dalloz, 2012, pp. 329-
349.
10
Philippe MALAURIE, Huguess FULCHIRON, La famille, op. cit., p. 24.
3
Dans d’autres cultures juridiques, telles que celle adoptée par le Maroc, il demeure
toujours difficile de reconnaître l’intégration totale des valeurs de la DUDH malgré que
ces derniers soient acceptés et reconnus par le pays 11.
8. La reconnaissance de la DUDH et de l’extension de ses principes a permis la
confirmation d’un caractère individualiste des droits de l’Homme dans toutes les
branches, dont celui des relations familiales. En effet, dans son article 16 la DUDH
énonce qu’ : « A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme (…) ont le droit de se
marier et de fonder une famille (…) » et que « La famille est l’élément naturel et
fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’Etat ». Une
référence qui accorde à la famille une importance fondamentale au sein de la société
incitant ainsi les Etats à intégrer l’ensemble des principes énoncés par le texte en droit de
la famille et de faire de cette dernière l’objet d’une protection spécifique.
11
Dans ce sens William SCHUTZ considère que : “ Bien qu’il soit vrai que les valeurs de la Déclaration universelle
des droits de l’homme dérivent de la tradition des Lumières, virtuellement tous les pays du monde les ont acceptées ».
William SCHUTZ, Power, Principle sans Human Rights, in National Interest, Washington, 2002, p. 117.
12
Article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
13
Dans ce sens, les professeurs Philippe MALAURIE et Hugues FULCHIRON considèrent que les vingtième siècle est
fortement marqué par l’influence européenne qui a abouti à « ébranler les traits traditionnels de la société française, à
faire de la femme l’égale de l’homme, à exalter les jeunes, à conférer des droits identiques aux enfants légitimes et
illégitimes, à déstabiliser le mariage en libéralisant le divorce, à favoriser l’union libre, et à admettre que l’union
homosexuelle constituait une institution », Philippe MALAURIE, Hugues FULCHIRON, La famille, Defrénois, 2004,
n°7, p. 10.
14
Article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
15
Philippe MALAURIE, Hugues FULCHIRON, Droit de la famille, Paris, LGDJ, coll. « Droit civil », 5ème éd., 2016,
n° 17, pp. 24-25.
16
Jean- Jacques LEMOULAND, Droit de la famille, op. cit., p. 62, spec. n° 76.
4
10. Ainsi, la prise en compte de sa particularité et le besoin de lui accorder une protection
juridique spécifique et appropriée était la raison pour laquelle il a fallu rechercher un
nouvel instrument juridique dédié uniquement à l’enfant afin de répondre à ses besoins
spécifiques en matière de protection. C’est dans ce contexte que la communauté
internationale a adopté la Convention internationale des droits de l’enfant le 20 novembre
1989, consacrant ainsi un ensemble de règles visant à protéger l’enfant dans toutes les
situations qui le concerne. En effet, ce texte est venu imposer pour la première fois des
principes fondamentaux appropriés à l’enfant qui feront l’objet d’une prise en
considération dans toutes les législations des Etats signataires faisant des quatre principes
de la CIDE un objectif à atteindre, ces principes sont : le principe de la non-
discrimination, le droit à la vie, à la survie et au développement, le droit à la participation
et enfin l’intérêt supérieur de l’enfant. En effet, c’est ce principe novateur que le texte a
consacré à travers l’article 3-1 qui dispose que : « Dans toutes les décisions qui
concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de
protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs,
l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » ; cette disposition
a accordé à cet intérêt un privilège qui lui permet d’avoir une place primordiale dans
l’ensemble des dispositions du texte international.
11. La prise en considération de ce principe a suscité une grande évolution dans les deux
systèmes juridiques. Cependant, en France comme au Maroc, la condition de l’enfant
n’était pas désastreuse ; dans chacun des deux pays, la prise en considération de la place
de l’enfant se faisait dans le cadre de l’évolution sociale. En France la situation de
l’enfant s’est progressivement améliorée grâce à l’adoption d’un ensemble de textes
visant à améliorer la situation de l’enfant au sein de la société, partant de la loi du 28 juin
1793 visant la protection des enfants abandonnés, la loi du 22 mars 1841 relative au
travail des enfants, la loi dites Jules FERRY du 28 mars 1882 rendant l’instruction
obligatoire ou encore la loi du 24 juillet 1889 qui instituera la déchéance paternelle en
« cas d’incitation à la débauche, au crime et au vagabondage »17, la loi du 1935 relative à
l’abolition de la correction paternelle, puis l’ordonnance du 2 février 1945 réformant le
droit pénal et permettant l’adoption d’une approche éducative plutôt que répressive. Enfin
l’ordonnance du 23 décembre 1958 relative à la protection de l’enfance permettant de
mettre l’enfant qui se trouve en danger au sein de sa famille d’être sous la tutelle de l’état,
marquant ainsi la distinction entre l’intérêt de l’enfant et celui de ses parents18. Cette
évolution juridique a permis la concrétisation progressive de la prise en considération de
l’enfant en tant que sujet de droit, qui va également se manifester en matière familiale
transformant le rôle la puissance paternelle d’un pouvoir à une fonction qui répond
principalement à la protection de l’enfant et plus précisément à l’émergence et la prise en
considération de l’intérêt de l’enfant.
17
Michèle DOKHAN, Les avatars de la puissance paternelle, in La lettre de l’enfance et de l’adolescence, 2002/2, n°
48, p. 92.
18
Gilles LEBRETON, Le droit de l’enfant au respect de son intérêt supérieur. Critique républicaine de la dérive
individualiste du droit civil français, CRDF, n° 2, 2003, pp. 79-80.
5
12. Il importe donc de souligner que la notion de l’intérêt de l’enfant n’est pas nouvelle
pour le droit français, et que ce dernier n’a pas attendu la Convention internationale des
droits de l’enfant pour améliorer la situation juridique de l’enfant. En effet, bien avant
l’apparition du principe de « l’intérêt supérieur de l’enfant » adopté par la CIDE, le
législateur français avait déjà fait référence à l’intérêt de l’enfant dans la loi du 22 juillet
1987 relative à l’autorité parentale, dans le Code de la procédure civile accordant à
l’enfant le droit d’être assisté d’un conseil à chaque fois que son intérêt le demande ou
encore en matière de divorce où le juge préservait l’intérêt de l’enfant suite aux
conséquences du divorce19. Une prise en considération qui s’est traduite également en
jurisprudence, notamment dans un arrêt du 30 avril 1959, qui considère que :
« l’ensemble des droits reconnus aux parents (…) leur sont conférés par la loi non dans
leur intérêt personnel, mais dans l’intérêt de l’enfant »20. Ce constat, permet
essentiellement de souligner que l’adoption de la CIDE par la France n’a fait qu’affirmer
et améliorer la prise en considération de l’intérêt de l’enfant.
19
Ibid.
20
CA Paris, 30 avril 1959, Dalloz, 1960, p. 673, note J. CARBONNIER, cité par Dominique YOUF, Penser les droits
de l’enfant, Paris, PUF, 1er éd, 2002, p .130.
21
Il est à noter que la Maroc s’est engagé à travers la ratification d’un nombre de conventions et de protocoles
facultatifs qui complètent l’esprit de la CIDE notamment : la ratification du protocole facultatif concernant
l’implication des enfants dans les conflits armés le 22 mai 2002 ; le protocole facultatif à la CIDE concernant la vente
d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie des enfants le 4 Mars 2004.
22
Mariam MONJID, L’islam et la modernité dans le droit de la famille au Maghreb : Étude comparative : Maroc,
Algérie, Tunisie, op. cit., p. 11.
23
Ibid., p. 11.
6
14. Cependant, cette modernité à laquelle le législateur est tenu de répondre en réformant
des règles purement religieuses, reflète une difficulté liée d’abord à la notion de la
modernité elle-même. Cette dernière qui est rattachée d’une manière explicite à la
rationalisation, en faisant de la raison la seule référence et « le seul principe qui permet
l’organisation de la vie personne et collective »24, son introduction et son application en
matière familiale suppose l’adoption d’une nouvelle appréciation et une réévaluation
profonde des règles traditionnelles afin d’aboutir soit à une actualisation des règles ou à
leur approfondissement 25.
15. La difficulté de concilier entre un droit positif à caractère moderne et un droit
traditionnel de référence religieuse est un travail qui consiste à « appréhender entre
l’individuel et le collectif, entre l’universel et le spécifique ». D’ailleurs, le législateur est
conscient de cette difficulté puisqu’il s’y réfère d’une manière explicite dans le
préambule du Code de la famille de 2004 en affirmant que le texte cherche à adopter une
« formulation dans un style juridique contemporain, en conformité avec les prescriptions
tolérantes de l’Islam … en prévoyant des solutions équilibrées, équitables et pratiques qui
reflètent l’effort jurisprudentiel éclairé et ouvert et consacrant les droits de l’Homme et de
la citoyenneté pour tous les marocains, tant hommes que femmes, dans le respect des
références divines »26.
16. Ce constat se manifeste spécialement dans les questions qui connaissent déjà une
réglementation traditionnelle stricte notamment celles relatives aux droits des femmes et
de l’enfant. Concernant ce dernier, le droit marocain a cherché à établir un équilibre entre
le droit musulman classique et les règles modernes qui répondent aux engagements
internationaux du pays, en adoptant un droit qui vise de plus en plus l’intégration des
principes fondamentaux de la protection des droits de l’enfant. Cependant, la question est
celle de savoir à quel point le législateur marocain a réussi à concilier entre deux normes
complètement différentes qui adoptent une perception dissemblable de la place de
l’enfant au sein de la famille et de la société.
17. La promotion des droits de l’enfant tels qu’ils sont reconnus aujourd’hui par la CIDE
et par le droit positif est un peu tardive au Maroc. Toutefois, la prise en considération du
statut de l’enfant au sein de la société et de la famille n’est pas complètement étrangère.
Le pays connaissait et adoptait déjà quelques principes tirés d’abord du Coran qui donne
uniquement une perception globale sur l’enfant et de la sunna27 du prophète qui, quant à
elle, établit « une perception plus détaillée de la conduite à tenir vis-à-vis de l’enfant en
se référant à la protection de la vie de l’enfant, de subvenir à ses besoins affectifs et
matériels, son corps, sa moralité et ses biens contre les agissements de ceux qui exercent
24
Wissal LTAIEF, Le droit de la famille au Maghreb, une fragile adaptation aux réalités, in Confluences méditerranée,
2008/2 n° 65, p. 169.
25
Ibid.
26
Préambule, Code de la famille marocaine.
27
La sunna désigne en islam, la tradition et les pratiques du prophète islamique Mohammad.
7
l’autorité sur lui, de veiller sur son éducation religieuse profane »28, un ensemble
d’éléments qui permettent aux juristes musulmans d’élaborer les règles à suivre dans les
diverses situations relatives à l’enfant.
18. La réforme du Code de la famille de 2004 quant à elle a relevé un double défi qui
consiste d’une part à conserver cette approche dans le cadre du respect de la religion
musulmane qui représente le fondement du système social29 et politique qui demeure
marqué par la conservation des symboles religieux dans la stratégie du pouvoir 30. D’autre
part, d’apporter une approche moderniste à ces règles afin de garantir à l’enfant le respect
de l’ensemble de ses droits. La complexité de la conciliation de ces deux approches
spécialement en matière des droits des droits de l’enfant se manifeste dans la
confrontation
de deux idéologies qui, malgré le fait qu’elles puissent paraître similaires à travers la
reconnaissance d’une obligation de protection des droits de l’enfant,, elles englobent des
différences considérables dissimulées dans le particularisme national dans son ensemble,
et dans l’universalisme de la Convention internationale des droits de l’enfant.
Concrètement, la difficulté du législateur marocain en 2004 était celle d’introduire de
nouveaux principes modernes reconnus par la CIDE et de les rendre compatibles avec un
texte traditionnel qui connait des limites en matière de reconnaissance des droits de
l’enfant au sein de la famille.
19. En effet, cette méthode adoptée par le législateur marocain se manifeste
systématiquement dans le préambule du texte qui affirme d’une part que : « outre son
souci d’équité à l’égard de la femme, le projet vise notamment à protéger les droits de
l’enfant et à préserver la dignité de l’Homme sans se départir des dessins tolérants de
justice, d’égalité et de solidarité que prône l’islam. Parallèlement, il fait une large place
à l’effort jurisprudentiel de l’ijtihad et à l’ouverture sur l’esprit de l’époque et les
exigences du développement et du progrès » ; d’autre part, il souligne qu’il faut
« préserver les droits de l’enfant en insérant dans le code les dispositions pertinentes des
28
Salim DACCACHE, Quelle liberté religieuse de l’enfant dans la religion musulmane ?, Société, Droit et Religion,
2013/1, n° 3, p. 243.
29
Rahma BOURQIA, Les valeurs : changements et perspectives, une étude réalisée dans le cadre du rapport 50 ans de
développement humain, perspectives 2025. Disponible sur : www.albacharia.ma.
30
Il est à souligner que depuis l’indépendance du Maroc, la religion est présentée comme le fondement de la royauté
pour les trois rois qui ont succédé ; d’ailleurs le Roi Mohammed V lors de sa cérémonie de désignation de son fils ainé
Al-Hassan comme principe héritier, souligne cette importance et lui dit : « prends garde de ne jamais t’éloigner du
chemin droit de l’islam ou de t’écarter de la voie des croyants (…). Fais du Coran la lumière qui t’éclaire quant tu te
sentiras ancré dans la nuit du doute. Que ton modèle soit le messager de Dieu et les califes bien guidés ». Youssef
BELAL, L’islam politique au Maroc, in Pouvoirs 2013/2, n° 145.
8
conventions internationales ratifiées par le Maroc… ». En effet, ces deux perceptions
différentes qui peuvent soulever plus de contradictions que de compatibilités, ont abouti à
l’élaboration d’un texte hybride et passible d’interprétation entre le moderne et le
traditionnel. Un paradoxe qui a fortement influencé l’introduction des quatre principes
fondamentaux de la CIDE dans l’ensemble des dispositions relatives à l’enfant, faisant
une division entre ceux qui peuvent être adoptés dans le cadre du respect de la religion
musulmane, ceux qui viennent combler un vide juridique et ceux qui atteignent les
limites de la spécificité du système marocain devant faire l’objet de rejet.
20. L’effort fourni par le législateur dans l’introduction des principes de la CIDE est
clairement constaté dans la réforme du Code de la famille marocain de 2004, qui adopte
pour la première fois des principes ayant permis la modification ou l’élaboration de
nouvelles règles qui aspirent à la concrétisation des quatre principes de la CIDE dans le
texte national. En revanche, il ne faut pas nier qu’il existe bien des limites non-
négligeables en matière de prise en considération de ces principes, que certes, leur
introduction a fortement influencé l’évolution des droits de l’enfant en droit de la famille
mais que les limites de la spécificité de ce droit ont engendré des problèmes méconnus
auparavant. Cette question de limite se manifeste spécialement dans la prise en
considération de la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant qui est devenu aujourd’hui
un principe fondateur de la famille contemporaine.
Ainsi, l’intérêt supérieur de l’enfant est le seul principe auquel le législateur marocain fait
référence d’une manière explicite dans le Code de la famille. En effet, dans le préambule
du texte le législateur affirme que la préservation des droits de l’enfant doit répondre à
l’esprit de la préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant. Cependant, malgré cette
référence, la prise en considération de la supériorité de l’enfant en matière familiale est
spécialement plus complexe puisqu’elle incarne de nombreuses difficultés liées d’une
part à l’absence d’une définition explicite par le texte international lui-même et par le
cadre général de son application, d’autre part par la spécificité adoptée par le législateur
marocain.
21. Dans l’une des observations du Comité des droits de l’enfant intitulée « le droit de
l’enfant à avoir un intérêt supérieur pris en compte de façon primordiale »31, le Comité
essaye d’apporter plus de clarté à ce principe et souligne que l’intérêt supérieur de
l’enfant se définit d’une part par la prise en considération et l’établissement d’un lien
entre ce principe et les autres principes généraux de la CIDE notamment la non-
discrimination, le droit à la vie, à la survie et au développement, et son droit à la
participation. D’autre part, le Comité affirme la participation d’autres éléments à la
garantie de cette prise en considération notamment : « le contexte factuel particulier de
l’affaire ; les éléments qui participent à l’évaluation de l’ensemble des intérêts supérieurs
de l’enfant ainsi que la garantie de l’équilibre entre chacun de ces intérêts »32.
31
CRC/C/GC/14, Comité des droits de l’enfant, Observation générale n°14 intitulée « Le droit de l’enfant à avoir son
intérêt supérieur pris en compte de façon primordiale ». Disponible sur : https://bice.org/images/pieces-
jointes/PDFs/3.plaidoyer/1.actualites_plaidoyer/CRC_C_GC_14_ENG.pdf.
32
Ibid.
9
22. En effet, si cette interprétation permet d’apporter une clarté au principe de l’intérêt
supérieur de l’enfant, néanmoins, son adoption et son efficacité font face à d’autres
éléments qui influencent cette définition et qui peuvent être d’ordre spécifique à un droit
interne. Tel est la différence entre les deux systèmes juridiques français et marocain où le
premier incarne une prise en considération directe de l’intérêt de l’enfant à travers une
application directe de l’article 3-1 de la CIDE relatif à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Ensuite, le cas du droit marocain qui conserve une double référence qui fait que
l’effectivité du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant soit respectée dans un contexte
et moins dans un autre.
23. Cette étude met en évidence d’abord les éléments participatifs qui ont permis aux
deux systèmes juridiques d’adopter le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et de
soulever les interprétations hétérogènes de la définition de l’enfant même, celle de
« mère » ou de « père », ou encore des droits de l’enfant en général33 et au sein de la
famille dans chaque système juridique. En outre, cette perception influe inévitablement
sur la notion de « l’intérêt de l’enfant » ainsi que sur « l’intérêt supérieur de l’enfant »,
qui dans l’absence d’une définition universelle permet à chaque Etat d’adopter le principe
tout en émettant des limites adaptées à la spécificité de son système juridique. Ainsi, dans
le cadre de cette spécificité peut-on considérer que la prise en considération de l’intérêt
supérieur de l’enfant répond au même intérêt recherché et exigé par la CIDE ? Est-il
possible d’adopter la suprématie de l’intérêt de l’enfant dans le cadre d’un droit familial
traditionnel où l’individualisation des droits n’est pas encore concrétisée ? Peut-on
évoquer une prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant sans pour autant
garantir l’ensemble des éléments constitutifs de ce principe qui exigent l’application de
l’ensemble des dispositions de la CIDE sans aucune limite ?
24. Pour apporter des réponses à ces questionnements, il s’agit donc dans cette étude de
rassembler l’ensemble des éléments éparpillés qui permettent de se référer au principe de
l’intérêt supérieur de l’enfant en droit de la famille et d’extraire dans le cadre d’une
comparaison entre deux systèmes juridiques dissemblables qui « se révèle une heureuse
source d’inspiration »34 les méthodes de la prise en compte de cet intérêt supérieur de
l’enfant, de sa mise en œuvre, de ses conséquences sur l’évolution du droit de la famille
et enfin de ses limites avérées dans toutes les questions qui le concernent depuis sa
naissance jusqu’à sa majorité.
25. En France comme au Maroc la définition concrète de l’intérêt supérieur de l’enfant
demeure inexistante rendant complexe sa prise en considération. Cette difficulté est celle
d’une « imprécision et d’une neutralité de l’expression » qui, par son imprécision, permet
d’une part son adaptation à tous les environnements qui sont toujours mouvants et à
toutes les situations dans lesquelles l’intérêt de l’enfant fait objet. D’autre part, la
neutralité permet à ce principe d’embrasser les valeurs actuelles de chaque société 35.
33
Jacques COMMAILLE, Les droits de l’enfant : Une universalité sans évidence, in L’enfant et les Conventions
internationales, Colloque, sous dir Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI et Rainer FRANK, 1996, p. 15.
34
Frédérique GRANET-LAMBRECHTS, Invitation au droit comparé de la famille, in Liber amicorum en l’honneur de
M.-T MEULDERS-Klein, Droit comparé des personnes et de la famille, Bruylant, 1998, p. 297.
35
Thèse, HONHON.
10
Dans ce sens le professeur Hugues FULCHIRON relève que « l’intérêt de l’enfant est
marqué par la relativité et par la subjectivité. Relativité dans l’espace et dans le temps, car
la notion se nourrit des données propres à chaque époque et à chaque société ; elle est liée
à une culture, à des savoirs, à une conception de la personne, de l’enfant et de la famille.
Subjectivité individuelle, celle des pères et mères, de l’enfant et du juge ; subjectivité
collective, celle d’une société, de l’image que se fait cette société de l’enfant et, à travers
cette image, qu’elle se fait d’elle-même »36. Ainsi, en se référant à cette analyse, il
devient facile de souligner les nombreux risques juridiques de cette imprécision dont les
conséquences se manifestent systématiquement sur la prise en considération de cet intérêt
et de la protection des droits de l’enfant.
Les risques juridiques évoqués dans ce sens ne sont pas identiques dans tous les systèmes
juridiques et connaissent des degrés différents qui dépendent de l’ensemble des éléments
cité par le professeur Hugues FULCHIRON qui accorde à « l’intérêt supérieur de
l’enfant » un caractère souple et malléable. En effet, en France ces difficultés sont
principalement limitées par l’applicabilité directe de la CIDE en général et de l’article 3-1
relatif à l’intérêt supérieur de l’enfant en particulier par les tribunaux français qui a
permis une introduction progressive dans les textes permettant donc d’apporter de plus en
plus de précisions à cette notion qui est devenue indispensable et qui influe aujourd’hui
sur d’autres institutions telles que le mariage, la filiation, le divorce, l’adoption ou encore
la procréation.
26. En droit marocain les risques juridiques de cette imprécision sont plus lourds pour
cause de la spécificité du système juridique adopté dont la double référence au droit
positif et au droit musulman. De plus, l’absence d’une applicabilité directe de la CIDE
empêche que la prise en considération de cet intérêt supérieur soit introduite dans toutes
les institutions du droit de la famille. En effet, dans le système juridique marocain, deux
considérations sont prises en compte afin de comprendre les conséquences de cette
indéfinition : d’une part, la référence au droit musulman en matière familiale, de la
perception de la famille, de l’enfant et de la notion de l’intérêt elle-même « Al-
MASLAHA » qui en droit musulman répond plutôt à l’intérêt général de la communauté
qu’à celui individuel de chaque personne au sein de la famille. D’autre part, l’ensemble
des facteurs qui permettent d’influencer cette prise en considération et qui sont d’ordres
sociologiques, politiques, économiques, idéologiques, psychologique, etc.
27. L’objectif visé par cette étude est de soulever les conséquences de l’imprécision de la
notion l’intérêt de l’enfant et du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre
de cette spécificité qui accorde au législateur marocain la possibilité d’interpréter cet
intérêt selon les principes adoptés en matière familiale dans le respect des normes
religieuses sans que la ratification de la CIDE ne fasse pression d’introduction de ce
principe. Autrement dit, l’imprécision du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant en
droit marocain permet aujourd’hui de répondre à une référence classique qui demeure liée
à des dispositions relatives aux besoins matériaux de l’enfant tout en négligeant son
36
Hugues FULCHIRON, Les droits de l’enfant à la mesure de l’intérêt de l’enfant, Gaz. Pal., 08 déc. 2009, n° 342, p.
15.
11
besoin du développement psychoaffectif, ou sa protection contre les violences
psychologiques. Une possibilité d’interprétation qui n’est pas toujours synonyme
d’évolution ou de garantie des droits de l’enfant puisque l’analyse de cette prise en
considération soulève de grands manquements quant au respect de cet intérêt dans de
nombreuses questions fondamentales telles que le droit de la filiation, l’autorité parentale
ou encore le droit des successions.
28. Le professeur Françoise DÉKEUWER-DÉFOSSEZ souligne que « l’effectivité des
droits de l’enfant garantie par la CIDE (…) n’est pas seulement une question de
traduction normative. L’enjeu est surtout de savoir si dans les pratiques quotidiennes,
cette nouvelle logique sera ou non mise en œuvre. Plus encore que l’effectivité juridique,
l’effectivité pratique de la CIDE mérite attention »37. Ainsi, la compréhension des limites
de la prise en considération du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant exige une étude
pratique de la mise en œuvre de cet intérêt. En effet, cette mise en œuvre n’est pas
identique dans les deux pays que nous étudions, puisqu’en France l’effectivité de la CIDE
dans son ensemble et du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant en particulier ne
connaissent pas de résistance puisque la primauté de la norme internationale sur les règles
du droit interne est déjà concrétisée aboutissant donc à une applicabilité directe par le
juge français. D’ailleurs, le revirement jurisprudentiel de la Cour de cassation à travers
son arrêt du 25 mai 2005 reflète bien cette prise en considération directe des dispositions
de la CIDE. Cependant, pour le juge marocain cette question d’applicabilité directe
semble être encore lointaine dans le cadre d’un conflit continu entre l’applicabilité de la
norme nationale et celle internationale. Le juge marocain se trouve toujours limité par la
référence religieuse qui représente l’obstacle à son recours direct aux instruments
internationaux, dans la mesure où ce recours ne peut être possible que lorsqu’il n’est pas
contraire aux normes du droit interne.
29. L’effectivité de la norme internationale en droit interne est sans doute le reflet d’une
évolution concrète des droits de l’enfant et donc de la prise en considération de l’intérêt
supérieur de l’enfant qui ne reste plus attaché à l’interprétation du juge où à la stagnation
de l’évolution des droits de l’enfant dans un système quelconque. Ainsi, la comparaison
entreprise dans cette étude permet de mettre en évidence les divergences qu’elles soient
de références ou de stratégie adoptées en matière de protection des droits de l’enfant en
général et dans sa famille en particulier, de souligner les priorités de chaque système
juridique.
30. D’ailleurs cette question de priorité se traduit clairement dans des institutions telles
que la filiation et l’autorité parentale. En ce qui concerne la première, l’objectif principal
été celui d’établir une égalité des filiations à travers la reconnaissance de toutes les
formes d’unions visant à protéger l’enfant et son intérêt. Tandis qu’au Maroc le principe
de l’intérêt supérieur de l’enfant ne s’applique pas à tous les enfants puisqu’il ne peut être
pris en considération que dans le cadre d’une relation légitime entre les parents
biologiques de ce dernier.
37
Françoise DÉKEUWER-DÉFOSSEZ, Petites affiches, 07 octobre 2010, n° 200, p. 35.
12
Cette divergence de priorité peut également être soulevée en matière d’autorité parentale
où la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant constitue en France « la
pierre angulaire : elle en est la condition, le critère, la mesure et la fin »38, ce qui accorde
au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant une valeur fondamentale et un critère à
prendre en considération dans les conflits familiaux. Cependant, au Maroc la prise en
considération de l’intérêt supérieur de l’enfant en la matière semble être à la traine dans la
mesure où le juge est tenu d’abord de respecter la spécificité de cette institution qui en
droit musulman revêt un modèle différent fondé sur une inégalité de droits et de devoirs
entre les parents.
32. Cela dit, l’étude comparative de l’intérêt supérieur de l’enfant entre le droit français et
le droit marocain traduit deux idées principales : la première est que l’intérêt supérieur de
l’enfant qui est devenu aujourd’hui un principe fondamental en droit de la famille n’est
qu’un aboutissement de l’évolution des droits de l’enfant qui est, avant tout, une histoire
de consécration ayant permis à travers des réflexions philosophiques de développer et
d’adopter de nombreux textes qui reconnaissent à l’enfant des droits qui permettent sa
protection dans toutes les questions qui le concerne. Parallèlement à cette évolution, la
transformation de la famille dans certaines sociétés telle que la France a permis à ce
principe de devenir un des éléments fondateur de la famille contemporaine et de sa
branche de droit. Toutefois, dans d’autres sociétés notamment la société marocaine,
l’évolution et la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant en matière
familiale se heurte au modèle familial traditionnel qui adopte une perception spécifique
de cet intérêt et qui lui accorde donc un pouvoir d’influence nuancé dans l’évolution du
droit de la famille (Première Partie).
38
Philippe MALAURIE, Hugues FULCHIRON, La famille, Defrénois, 4ème éd., 2011, p. 604, n°.1525.
13
14
Première partie : L’intérêt de l’enfant dans la construction du droit de
la famille.
33. La famille est une notion qui paraît évidente puisqu’elle existe dans toutes les sociétés
et dont chacun connaît intuitivement le contenu. D’une manière générale, la conception
de la famille évolue et varie selon les périodes et les environnements. Ainsi, la branche de
droit qui lui est consacrée est considérée parmi « Les notions mouvantes du droit »39. Elle
a subi plusieurs mutations durant ces dernières années dans l’ensemble des sociétés. Elle
a connu l’influence de multiples facteurs qui participent à son évolution ; une évolution
basée sur le changement des mœurs et des idées qui dépassent le modèle familial
traditionnel. Avant de se pencher sur le rôle de la protection des droits de l’enfant dans
l’évolution du droit de la famille, il serait important d’éclaircir la notion de la famille et
son évolution dans les deux systèmes juridiques, afin de comprendre la place qu’occupe
l’enfant au sein de la famille.
34. Dans son sens large, la famille est d’abord définie par le clan ou la tribu. Dans son
sens réduit, la famille se rapporte à la famille nucléaire ou au groupe de personnes unies
par des rapports de parenté ; d’alliance ou d’autorité légale de l’une d’entre elles 40.
35. En droit français, il n’existe pas de définition de la famille. Cette dernière est
considérée comme un phénomène social qui, pour exister, a conçu des règles afin de régir
les rapports entre les personnes au sein de la cellule familiale et qui se divise en deux
catégories : « d’abord la famille étendue qui englobe toutes les personnes unies par un
lien de parenté ou d’alliance, sans limitation et la famille au sens étroit qui est limitée
aux personnes vivant sous le même toit »41. Cette famille au sens étroit reste le point de
repère et de construction de tout être humain, un endroit d’apprentissage et de
transmission des valeurs du respect de l’autre et de la solidarité42.
36. En droit marocain, la famille tire son origine principalement du droit musulman. En
effet, elle est considérée comme l’unité sociale et le fondement de la société islamique,
dont le seul cadre légitime est le mariage. Ainsi, la famille en droit musulman a connu de
nombreuses transformations : d’une part des transformations issues des distinctions entre
le chiisme et le sunnisme et les différences entre les quatre écoles : hanbalite, chafiite,
hanafite et malékite et d’autre part, des transformations d’ordre historiques et
socioculturels.
39
Pierre MURAT, Les sources du droit de la famille, Dalloz action droit de la famille, Dalloz, chapitre introductif, ,
6ème édition, n° 01, 12, 2013,.
40
Jean CARBONNIER, Droit civil, introduction, les personnes, la famille, l’enfant, le couple, éd. PUF, PARIS, 1956,
p. 758.
41
Philippe MALAURIE, Laurent AYNES, La famille, Lextenso éd., PARIS, 2011, p. 9.
42
Chakira SAMINA, Le statut de l’enfant dans le droit comorien, thèse, Droit, Université de Perpignan, 2014, p. 48.
15
37. Jusqu’au XXe siècle, le Maroc a toujours été une société dotée d’un système familial
patriarcal millénaire, lui-même inséré dans un ordre politique et économique marqué
depuis trois ou quatre siècles par le manque d’innovation et d’évolution qui a fragilisé le
pays43. Au lendemain de son indépendance en 1956, le Maroc, comme tout le reste des
pays musulmans, a été obligé de développer et de codifier son arsenal juridique en entier.
Le droit français a influencé cette codification et a participé à l’évolution de nombreuses
questions notamment celle du droit de la famille.
38. La famille est donc une organisation sociale qui exerce de nombreuses fonctions dont
deux qui demeurent essentielles à toute société et qui concernent principalement l’enfant.
Il s’agit tout d’abord de sa fonction de reproduction et ensuite de sa fonction de
socialisation44. Autrement dit, la présence de l’enfant dans la famille confirme l’existence
et le fondement de cette dernière. Il est ainsi considéré comme le centre de gravité de la
famille et fait naître des règles plus ou moins précises en droit.
39. Nous focaliserons notre étude sur la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant
dans l’évolution et la construction du droit marocain de la famille en le comparant au
droit français qui a été clairement influencé par la prise en compte de cette notion.
L’analyse sera centrée sur l’enfant en tant que sujet familial, tout en écartant son analyse
en dehors de la famille. L’objectif consistera à éclaircir nombreuses questions concernant
l’enfant notamment : à quel point la prise en compte de la protection des droits de
l’enfant participe-t-elle à l’évolution du droit de la famille ? Peut-on considérer l’enfant
comme un moteur de changement de cette branche de droit ? Est-ce que le droit de la
famille permet une meilleure protection des droits de l’enfant et la garantie de son intérêt
supérieur au sein de la cellule familiale ?
Pour répondre à cette problématique nous allons, dans cette première partie, commencer
par analyser l’enfant en tant que noyau de la famille en se basant sur l’évolution du droit
de la famille ainsi que sur la création et la construction de cette dernière, prenant en
considération l’émergence et l’évolution des droits de l’enfant au sein de la société en
général et de la famille en particulier en ayant comme référence des principes
fondamentaux tels que le droit de l’enfant à une famille et de son droit d’être protégé par
cette dernière45 (Titre Premier). Ce qui nous permettra, dans un second temps, de se
pencher sur le passage de la protection des droits de l’enfant à la protection et la prise en
considération de l’intérêt supérieur de l’enfant au sein de la famille (Titre Second).
43
Nadira BARKALLIL, Le rôle de l’État dans l’évolution des systèmes de genre au Maroc, colloque international
genre, population et développement en Afrique, Abidjan, 16 et 21 JUILLET, 2011.
44
Philippe MALAURIE, Hugues FULCHIRON, La famille, 4ème éd., Lgdj, Paris, 2011, p. 7.
45
CIDE.
16
Titre Premier : La protection des droits de l’enfant et la construction du
droit de la famille.
46
Jean CARBONNIER, op. cit., p. 393.
47
Abla KOUMDAJI, Islam et parenté, Revue internationale du droit comparé, 2017, p. 308.
48
Irène THERY, p. 161.
17
18
Chapitre I : La considération progressive des droits de l’enfant dans le droit de la
famille.
46. À la fin de l’Ancien Régime, qui est considéré comme un régime strict, nous assistons
à l’augmentation du nombre d’enfants illégitimes, d’où l’expression d’« enfant naturel ».
À partir du XVIIIe siècle, les enfants vont prendre petit à petit une place importante au
sein du couple. L’institution de la famille va connaître une autre évolution liée à la
Révolution qui va mettre en place de nouveaux principes dont l’égalité et la liberté qui
s’installent au sein du couple.
19
La puissance paternelle s’affaiblit, l’adoption est rétablie. Il en sera de même avec le
Code civil qui va individualiser les droits ; le sort de l’enfant sera alors amélioré.
47. Le XXe siècle va marquer un tournant pour la famille au niveau de sa construction et
de sa fonction. En effet, à partir de 1960, la société va connaître une augmentation
flagrante du nombre de concubinages, de divorces par consentement mutuel, ainsi que de
naissances hors mariages. Ces changements bouleversent le modèle familial existant et
mettent en place l’apparition de nouvelles formes familiales.
48. De son côté, la famille marocaine a également connu une évolution grâce à l’histoire
et aux changements des mœurs. Comme nous l’avons évoqué ci-dessus, ce modèle
familial se base principalement sur la conception musulmane de la famille avec un
changement dû à l’influence du droit français et du droit international.
49. Dans les pays musulmans, la construction de la famille connaît en général une force
religieuse et morale plus importante que celle des pays occidentaux et l’évolution des
droits de chaque membre de la famille diffère. La religion musulmane est considérée par
ses fidèles comme une religion de soumission volontaire et complète à Dieu ainsi qu’un
mode de vie complet englobant tous les aspects, y compris la vie familiale.
20
Section 1 : L’évolution de la famille d’un modèle traditionnel à un modèle moderne.
50. En France, la construction de la famille est passée d’un modèle traditionnel soumis à
des défis de survie, basé sur la reproduction de la vie et de la transmission d’un
patrimoine biologique, matériel et symbolique49 à un modèle moderne. Cette
modernisation est venue modifier au fil des temps tous les liens existant entre les
membres de la famille en transformant d’une part les relations entre les couples et d’autre
part les relations entre les parents et leurs enfants. Ce long processus d’évolution a remis
en cause le modèle traditionnel, qui est né par le mariage, pour aboutir à un modèle
familial différent où l’on parle de familles éclatées, décomposées et recomposées 50.
49
Jacques GRANDMAISON, Les différents types de familles et leurs enjeux, présentation Ed. Fidés, 1993, p. 9.
50
Marie-Hélène RENAUT, Histoire du droit de la famille, édition Marketing S.A, 2012, p. 4.
21
Paragraphe 1 : La construction de la famille.
51
Georges RIPERT, Jean BOULANGER, Traiter de droit civil d’après le traité de Planiol, introduction générale,
organisation, organisation judiciaire, institutions juridiques, les personnes, état, famille, incapacité, PARIS, LGDJ, T 1,
1956.
52
Le mariage est considéré comme l’institution qui articule les liens des membres au sein de la cellule familiale, lien
conjugal, lien de filiation et lien fraternel.
22
A-Le mariage, une dimension morale et religieuse.
54. Le mariage est considéré comme une union sociale qui demeure irréductible.
Historiquement, il est perçu comme l’acte qui permet le fondement et la continuité de la
famille. Le mariage en Occident en général et en France en particulier découle de trois
éléments différents : l’élément romain, l’élément chrétien et l’élément germanique 53. Le
mariage d’aujourd’hui en est une combinaison. En effet, il rassemble la légitimité du
mariage romain basé sur le consentement 54 puis celle basée sur la consommation du
mariage, tirée des coutumes germaniques et enfin il épouse la conception religieuse
chrétienne.Selon le doyen CARBONNIER, l’approche proprement juridique de
l’institution du mariage ne pourrait refléter une vision complète sans prendre en
considération d’autres liens que le lien juridique, notamment les liens de la religion et de
la morale qu’il juge être parfois par-dessus la règle de la loi55. En effet, le droit canonique
a fortement influencé le droit matrimonial français et ce dernier a été exclusivement régi
par l’Église du XIe au XVe siècle.
55. Selon le droit chrétien le but suprême de cette indissoluble union qu’est le mariage
n’est pas seulement d’assurer la continuité humaine, mais également de permettre aux
époux des grâces afin de diriger la famille vers un perfectionnement moral et religieux56.
La recherche de cette perfection religieuse a permis à l’Église de jouir d’un pouvoir et
d’une influence sociale et politique importante au sein de la société, en se basant sur les
enseignements de la Bible et de l’Évangile. Ainsi, l’Église a réussi la création d’une
nouvelle conception qui intègre les règles du droit romain et qui ne heurte pas les
principes religieux chrétiens tels que la monogamie, le consentement et l’âge minimal
requis57.
56. Par ailleurs, la conception du mariage construite par le droit chrétien repose sur trois
points principaux notamment : l’institution du mariage par Dieu entre deux personnes - ce
qui confirme l’union monogame qui existe dans le droit romain -, l’indissolubilité du
mariage et la condamnation du divorce et enfin l’élément spirituel qui est le sacramentum
qui symbolise l’union du Christ et de son Église 58.
53
Marie-Hélène RENAUT, op. cit., p. 21.
54
Un acte basé sur le consentement des époux ou du paterfamilias et qui ne se base pas sur la cohabitation ou l’union
sexuelle.
55
« Par-dessus le lien juridique, il y a un autre lien, religieux ou moral selon les cas, plus solide, plus étroit, plus
exigeant (…). Un lien matrimonial ne tient pas seulement son importance de la réglementation propre qu’il édicte,
mais aussi des normes de conflits par lesquelles il concède ou dénie une sphère d’application à d’autres règles venues
de plus haut » Jean CARBONNIER, « Terre et ciel dans le droit français du mariage », in le droit français au milieu du
XXème siècle. Etudes offertes à Georges RIPPERT, Paris LGDJ, T. I, 1950, p. 337.
56
Le mariage chrétien et le mariage civil, p. 6. Disponible sur : https://books.google.fr/books?id=iQI-
AAAAcAAJ&printsec=frontcover&dq=le+mariage+chretien&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjQiIjyysjaAhULvRQKHQ
HQBdMQ6AEIODAD#v=onepage&q&f=false.
57
Pierre DAUDET, Étude sur l’histoire de la juridiction matrimoniale, I, Les origines carolingiennes de la compétence
exclusive de l’Église, thèse, Paris, 1933 ; L’établissement de la compétence de l’Église en matière de divorce et de
consanguinité, Paris, 1941.
58
Geneviève SERRIER, De quelques recherches concernant le mariage contrat-sacrement, et plus particulièrement de
la doctrine augustinienne des biens du mariage, thèse, Nancy, Paris éd. De Boccard, 1928.
23
57. Selon la doctrine de saint Augustin59, le mariage se fonde sur la réunion de trois
vertus qui sont : la procréation, considérée comme un devoir pour les époux sur cette
terre et « le seul dont Dieu ait parlé au moment de la création du monde : « croissez,
multipliez et remplissez la terre"»60, puis la fidélité qui naît du pacte conjugal et
représente une importance juridique capitale dans la présomption de paternité et enfin le
sacrement qui est l’élément spirituel et qui s’introduit au-delà de la volonté des époux
afin de représenter le mariage comme un symbole d’union éternelle. Cet élément spirituel
représente la supériorité du lien du mariage et permet son maintien. De plus, à travers ces
trois éléments, la doctrine chrétienne a modifié la conception du mariage passant d’une
union qui permet principalement la procréation et où le rôle de la femme reste
traditionnel dans son rôle de génitrice, à un aspect sacramental qui met en évidence le
rôle et la valeur de chaque personne au sein du couple 61.
58. La conception religieuse et la construction du contrat du mariage ont suscité quelques
discussions et ont créé différentes théories. En effet, de nombreuses thèses ont confirmé
l’indépendance du caractère religieux qui est le sacrement par rapport au caractère
juridique qui est le contrat du mariage. Selon certains théologiens62, la conclusion du
contrat du mariage transforme ce dernier en un lien indissoluble et le caractère de
sacrement vient rendre le mariage gracieux. Pour d’autres théologiens63, le caractère
religieux et celui du droit sont inséparables, c’est pourquoi le contrat du mariage ne peut
être valide sans le consentement et le sacrement dans le contrat. En outre, cette
particularité de rendre les deux éléments inséparables a permis à l’Église de contrôler la
conclusion du mariage et d’annuler ce dernier en cas de nullité du sacrement.
59. Dans le même ordre d’idées, il est clair que la formation du lien matrimonial a connu
l’influence de deux éléments, l’élément canonique avec le décret de Gratien 64 et l’élément
théologique avec les sentences de Pierre Lombard 65. En effet, Gratien va venir concilier
deux visions divergentes en matière matrimoniale, notamment celle qui confirme que le
mariage se forme par le seul consentement des époux et celle qui consiste à confirmer la
formation du mariage par la copula carnalis. En outre, il mettra en place une distinction
entre : le mariage qui se base sur les fiançailles : le mariage initiatum ; le mariage
confirmé par le consentement : le mariage ratum et puis le mariage consommé par la
copula carnalis. En effet, selon Gratien, le consensualisme combine la tradition
germanique du consentement et les textes religieux qui confirment l’indissolubilité de
l’union66.
59
Saint Augustin est le premier à établir un lien entre le sacrement et l’indissolubilité du mariage en expliquant
explicitement et harmonieusement les biens du mariage.
60
Dyaa SFENDLA, Thèse, op. cit., p. 44.
61
Marie-Hélène RENAUT, op. cit., p. 25.
62
VIGOR, GEBENNENSIS.
63
Petrus FERNANDEZ.
64
Evêque de Vérone, professeur de droit canon à Bologne, il met en place un ouvrage qui rassemble tout le droit de
l’Église.
65
Marie-Hélène, id, ibid.
66
Un autre auteur du XVIIe siècle, Antoine Loysel va confirmer cette vision par la formule « Mariages se font au ciel
et se consomment sur la terre ».
24
60. Par ailleurs, pour Pierre Lombard le mariage est considéré comme une union des
corps autant que des âmes et sa doctrine de consensualisme est fidèle à celle du droit
romain, en mettant en avant le consentement des époux sans faire de la copula carnalis
un critère de fondement du lien matrimonial. D’ailleurs, Lombard distingue deux
moments de consentement « le consentement du futur : erba du futuro ou les paroles de
la future promesse pour l’avenir qui fait des fiancées ; et le consentement du présent :
Verba de praesenti ou les paroles du présent, le mariage proprement dit qui fait des
époux » À la fin du XIIIe siècle, le mariage chrétien est régi par des règles précises : c’est
un mariage monogamique, consensuel, indissoluble et sacramental.
61. Ainsi, l’existence de ces différentes doctrines va pousser les canonistes et les
théologiens à intégrer le consentement mutuel au mariage qui est une conception romaine
afin qu’il soit actuel, réel et non vicié. La combinaison de ces conditions va faire naître
deux nouvelles idées : le mariage, institution naturelle relevant du droit des personnes, est
donc de compétence et de caractère laïc ; d’autre part, la source de la famille qui reste le
fondement de la société et des États, le mariage doit relever d’ordre séculier. La
combinaison de toutes ces règles a permis au mariage d’échapper aux seules instances de
l’Église et s’est articulée autour de la formation du mariage sous forme de contrat ce qui
constitue toujours une union de formation de la famille.
62. Par ailleurs, l’institution matrimoniale marocaine revêt un aspect religieux ; le droit
musulman et la morale coranique constituent jusqu’à nos jours le fondement des règles
qui régissent la constitution de la famille. Cette organisation familiale islamique se base
uniquement sur le mariage qui est légitime et qui est considéré comme le seul lien
fondateur de la famille. La loi islamique 67 est venue réglementer et modifier des règles
déjà existantes dans la société préislamique. En effet, la conception de la famille en
général et du mariage en particulier était auparavant différente. À l’avènement de la
religion musulmane, de nouvelles règles sont apparues, principalement celles qui
régissent le fondement de la famille. Avant l’arrivée de l’islam, le fondement de la
famille dans les terres de l’Arabie préislamique connaissait d’autres formes
d’organisation basées sur les traditions et les mœurs de chaque tribu dont l’islam a pu
garder la pratique de nombreuses d’entre elles. En outre, l’apparition de l’islam est venue
réglementer ou interdire certaines pratiques notamment : interdire le mariage à durée
déterminée, le mariage à but procréatif, l’union libre 68 et d’autres types d’unions qui
étaient pratiqués. Parmi les plus grandes réformes que l’islam a pu mettre en place, nous
pouvons citer la limitation de pratique de la polygamie qui était auparavant illimitée et
implantée dans les mœurs, représentant alors un rôle social important. De même pour
l’interdiction de l’infanticide69 qui était pratiqué sur les filles et dont la naissance était
considérée comme une humiliation pour la famille.
67
En langue arabe « la chariâ » représente la route ou le chemin, la voie, la direction à suivre des croyants « vers la
lumière divine ou le chemin vers l’abreuvoir ». Selon Hachiya RADD al-muhtar, cité par Nawel GAFSIA,
l’intervention coloniale du mariage musulman le cas tunisien, Paris, Lextenso édition, 2008, p. 35.
68
Imad. KHILLO, « Conjugalité et concubinage dans le monde musulman : de la loi religieuse à la réalité sociale »,
Annuaire droit et religion, PUAM, 2010-2011, vol. 5, p. 277.
69
Une condamnation divine à travers le verset 58 de la sourate AL-NAHL (les abeilles), « lorsqu’on annonce à l’un
d’eux la naissance d’une fille, son visage s’assombrit, il suffoque, il se tint à l’écart loin des gens à cause du malheur
25
63. En n’opérant pas de séparation entre la disposition juridique, la règle morale et la
prescription religieuse70, l’islam a, dès son arrivée, donné un caractère moral et religieux
très important à l’institution de la famille en général et à celle du mariage en particulier. Il
lui a également attribué une importance sociale afin que le cadre familial représente aussi
l’unité politique et permette la transmission des valeurs communes.
64. Le caractère religieux de la construction familiale en islam a influencé les rapports
sociaux et juridiques entre les membres de la famille. Cette dernière est considérée
comme traditionnelle et patriarcale, marquée par une forte hiérarchie des personnes et de
leurs droits et devoirs. Chaque individu n’existe qu’au travers de son appartenance à un
groupe ou à une hiérarchie et le bien de la famille devance celui de l’individu. Les
membres de la famille sont historiquement et traditionnellement compris au sens large du
groupe.
qui lui été annoncé, va-t-il conservé cette enfant malgré sa honte ou bien l’enfuira-t-il dans la poussière, leur jugement
n’est-il pas détestable ? ».
70
Abd-al-ati AMMUDAH, Family structure in Islam, American trust publications, 1977, p. 15-16.
71
« L’islam considère l’acte sexuel comme une nécessité physique et morale qui doit être dans le cadre du mariage
afin de permettre aux croyants de satisfaire leur sensualité dans des conditions approuvées par la volonté divine »,
Nawel GAFSIA, op. cit., p. 49.
72
C’est le malak qui signifie l’acquisition et la jouissance de droits.
73
Le hadith est « le récit, le propos (…) est employé avec l’article al-hadith pour désigner la tradition rapportant les
actes ou les paroles du prophète, ou son approbation tacite de paroles ou d’actes effectués en sa présence », J.
ROBSON, Hadith, Encyclopédie de l’islam, nouvelle Edition, Tome III, Leyede, E.J.Brill, Paris, G-P. Maisonneuve et
Larose S.A, 1990, p. 24 et suiv.
74
Des composés de la racine Z-W-J, et N-K-H qui expriment l’union physique.
75
Coran, XXX-1, « …d’avoir créé pour vous des épouses issues de vous, afin que vous vous reposiez auprès d’elles et
d’avoir mis en vous affection (Mawadda) et miséricorde (Rahma).
76
Aqd’ an-nikah, signifie littéralement : le contrat légalisant des relations sexuelles.
77
Nawel GAFSIA, L’intervention coloniale du mariage musulman le cas de la Tunisie, op. cit., p. 48.
26
Ainsi, ce dernier indique le seul cadre licite 78 dont l’objectif principal est d’avoir des
enfants légitimes afin « d’accroître la communauté des croyants, et favoriser la dévotion
à Dieu en évitant le Zina »79. Cette conception de légitimité et d’importance donnée au
mariage est justifiée par la volonté principale de la religion musulmane, tout d’abord de
réglementer la sexualité et ensuite de faire du mariage un acte social et spirituel que
chaque musulman est obligé de respecter. Selon le savant AL-GHAZALI « le mariage est
une grâce admirable de Dieu qui a imposé à ses créatures un désir sexuel qui les oblige
par-là, malgré leur volonté à assurer la continuité de leur descendance »80.
67. L’importance spirituelle et l’alliance sacrée sont confirmées par de nombreux versets
dont : « et de toute chose nous avons créé deux éléments de couple » ; « louange à celui
qui a créé d’eux-mêmes tous les couples de ce que la terre fait pousser et de ce qu’ils ne
savent pas » ; « Un des signes est qu’il a créé pour vous des épouses de votre espèce pour
que vous reposiez auprès d’elles, et il a établi entre vous de l’amour et de l’affection
mutuelle. Il y a là un signe pour un peuple qui réfléchit »81, ainsi que par des hadiths qui
confirment cette sacralité, dont ceux du prophète Mohammed : « qui se marie a préservé
la moitié de sa religion » ; « il n’est pas une institution établie sur terre qui soit plus
aimée d’Allah que le mariage »82, ou encore « quiconque parmi vous est capable, doit se
marier »83. Ces derniers ont transformé l’institution du mariage en une obligation qui
confirme un acte de foi entre le musulman et son seigneur, et en un contrat entre les
individus.
Ainsi, de ces textes sacrés découlent le fondement de la conception musulmane de la
famille et le principe selon lequel le mariage reste la seule institution qui permet l’union
de deux personnes de sexes opposés, ceci dans le but de fonder une vie commune
symbolisée par le bien commun qui signifie « tout ce que l’on peut reconnaître comme
étant source de bienfaits pour les êtres humains, et le terme désigne aussi tout ce que la
raison reconnaît comme étant juste et dans l’intérêt de tous »84.
78
Dans le cadre de la formation du lien matrimonial, l’absence de consommation entraîne des conséquences juridiques
fondamentales. La consommation du mariage est considérée comme une condition primordiale.
79
AL-GHAZALI, Des vertus du mariage, éd., Alif librairie, 1997, p. 27.
80
AL-GHAZALI, Le livre des bons usages en matière de mariage, trad. BERCHER et BOUSQUET, 1953, p. 6.
81
Coran, Sourat « les romains », Verset 21.
82
Muslim, Sahih, éd. Alhadith, n° 2485.
83
Sahih ALBOUKHARI, traduit par O. Houdas et W. Marcais, éd Maison d’Ennour, 2007, T. IIII, p. 706.
84
ASMA LAMRABET, Femmes et hommes dans le coran : Quelle égalité ?, Paris, éd. Dar albouraq, coll. « la croisée
des chemins », 2012, p. 76, cité par : Dyaa SFENDLA, op. cit., p. 77.
85
François PAUL BLANC, Introduction à l’étude du droit musulman, 2ème éd., éd. Sirey, Paris, 1987.
27
dessus de celles-ci et parce que les hommes emploient leurs biens pour les dépenses de
leurs femmes. Les femmes vertueuses sont obéissantes et soumises »86, ou encore « Les
femmes ont des droits équivalents à leurs obligations, conformément à la bienséance.
Mais les hommes ont cependant une prédominance sur elles »87.
69. Dans la religion musulmane, le rôle de la femme apparaît nettement inférieur à celui
de l’homme et il devient plus important lorsqu’elle réalise sa fonction considérée comme
naturelle et principale qui est d’avoir des enfants afin de donner des héritiers à la famille
et d’agrandir la communauté musulmane 88. La procréation et la place des enfants sont
très importantes dans la société musulmane ; elles forment un lien crucial entre les
générations89. Ces dernières représentent la puissance et la richesse familiale. Ce qui est
confirmé dans le Coran par : « Les biens, les fils sont la parure de la vie immédiate… ».
L’enfantement est l’ultime récompense divine dans la mesure où chaque naissance
permet d’assurer la transmission du nom et des biens de la famille.
86
Sourate, an-nissa, (Les femmes), verset : 34, Saint Coran.
87
Sourate II, 228. Figure dans le contexte de la répudiation où l’époux est le maître de la décision.
Marie-Thérèse URVOY, La morale conjugale dans l’islam, éditions du Cref, Revue d’éthique et de théologie morale,
2006, n° 240, pp. 9 à 34.
88
Azdeh KIAN-THEBAUT, L’islam, les femmes et la citoyenneté, éd. Le seuil, 2003/1, n° 104, p. 208.
89
« L’enfant est la personne qui lie le présent au passé et au futur », Elizabeth WARNOCK FERNEA, « childhood in
the muslim Middle East, dans Elizabeth WARNOCK FERNEA dans children, 1st ed, University of Texas press, 1995,
p. 5.
90
Valérie RONGIER, L’insaisissable famille, thèse, Université LE HAVRE, soutenue le 14 décembre 2015, p. 14.
28
72. Ce parcours de modernisation de la famille traditionnelle vers une famille
contemporaine va continuer avec la Révolution française. Une évolution qui s’imposera
au nom de deux grands principes : la liberté et l’égalité. Deux idées maîtresses sur
lesquelles le législateur s’est appuyé afin de mettre en place un équilibre entre tous les
membres de la famille, au nom de la liberté individuelle et de l’épanouissement de
chacun au sein de la famille. Cette dernière va connaître une transformation progressive à
travers la mise en place du contrat qui devient le fondement de toute chose. L’application
de la liberté et de l’égalité va se traduire directement par la construction du lien
matrimonial qu’est le mariage, qui devient un acte civil et qui peut être ou non un
mariage religieux91. La relation parent-enfant, quant à elle, est améliorée. L’adoption est
rétablie par la loi du 18 janvier 1792 et l’autorité parentale s’affaiblie ; l’enfant est
protégé et sa correction est soumise à une décision du tribunal. L’égalité dans la fratrie
sera prise en compte et la différence entre l’enfant naturel et l’enfant légitime est
supprimée. Le code napoléonien va confirmer l’individualisation au sein de la famille,
mais ne reconnaît que la famille nucléaire constituée du père comme chef de la famille,
de la mère et des enfants.
Le rôle du mari et son autorité sont affirmés par rapport à la femme qui n’a aucun statut
juridique et l’autorité parentale est renforcée. L’adoption qui était possible et facile sous
la Révolution, est limitée et conditionnée dans le Code civil. L’enfant adopté a droit à la
succession mais n’intègre pas la famille de l’adoptant. La hiérarchie entre les différentes
filiations est rétablie.
91
Yves. BRULEY, Mariage et famille sous Napoléon : le droit entre religion et laïcité », Napoléonica, la revue 2012,
n° 2, pp. 111-126.
29
trouvent en partie gouvernés par des lois étrangères »92. Toutefois, les questions
familiales étaient régies uniquement par les prescriptions coraniques. À cette époque il
n’existait pas de droit positif au Maroc.
74. Dans l’histoire du Maroc indépendant, la codification reflète un moment crucial dans
la société marocaine, car c’est la première fois que la question du statut personnel est
soulevée93. Elle est considérée comme la deuxième action gouvernementale après
l’abolition du droit coutumier berbère, dans le sens de l’unification juridique du pays
laissée par le protectorat français. En effet, la Moudawana représentait un symbole
d’unité nationale, d’identité islamique ainsi que de modernité. Cette première codification
qui date de 1957-1958 est simplement un recueil des règles du rite malékite de l’islam
sunnite94 qui n’apportera aucune évolution et qui sera fidèle et indéfectible de la famille
patriarcale.
75. Arrivé au pouvoir, le roi Hassan II met en place une nouvelle constitution confirmant
une monarchie constitutionnelle et garantissant les libertés personnelles et politiques au
peuple marocain. Cependant, le roi devait utiliser des moyens de plus en plus répressifs
pour assurer la prédominance du parti politique représentant ses propres intérêts afin de
garder le pouvoir. Les partis d’oppositions et leurs dirigeants ont souvent été arrêtés,
emprisonnés, torturés ou condamnés à mort. L’opposition politique ainsi que les groupes
de défense des droits humains exigeaient des réformes juridiques pour transformer le
pays95 et plus précisément la Moudawana, jugée comme inadaptée à la société marocaine
moderne. Soucieux de son image à l’international, le roi Hassan II annonce une première
réforme en 1993 par décret royal plutôt que par des processus parlementaires
démocratiques, mais selon la sociologue Soumaya NAAMANE GUESSOUS, « les
réformes obtenues en 1993 étaient insuffisantes et ne répondaient pas aux attentes »96.
76. En effet, la réforme de 1993 n’a pas répondu à toutes les revendications des
féministes qui confirmaient la différence existante entre le texte juridique et la réalité de
la société marocaine97. Cette réforme conserve de nombreuses disparités de droits entre
l’homme et la femme au sein de la famille. Tout d’abord, le lien du mariage qui
s’établissait sur une inégalité concernant la capacité du mariage et qui est restée fixée à
15 ans chez la femme et 18 ans chez l’homme, implique moins de protection pour la
femme qui ne peut pas se marier sans le consentement de son wali. La révision conserve
également le rôle de l’homme et son statut de chef de la famille ainsi que son autorité sur
son épouse.
92
Omar AZZIMAN, La tradition juridique islamique dans l’évolution du droit privé marocain, Le Maroc actuel, sous
direction Jean-claude SANTUCCI, 2d Institut de recherche et d’études sur les mondes arabes et musulmans,
http://books.openedition.org/iremam/2429#bodyftn7.
93
René. MAUNIER, Loi française et coutume indigène en Algérie, pp. 65-76.
94
Bérénice MURGUE, La Moudawana : Les dessous d’une réforme sans précédent, éd. Centre d’études et de
recherches sur le Proche-Orient, les cahiers de l’orient, 2011, n° 102.
95
Ann Elizabeth MAYER, Moroccan-citizens or subjets, a people at crossroads, NYUJ, INTL, L&paul 1993; cité par :
FAMILY LAW REFORM in Morocco.
96
Soumaya NAAMANE GUESSOUS, Une page nouvelle dans l’histoire du Maroc, un espoir fou dans le cœur des
femmes, 1 Maghreb canada express, 2003, n° 6, AT6.
97
Maleka BENRADI, « Genre et droit de la famille : les droits des femmes dans la Moudawana de 1993 à la réforme
de 2003 » in féminin-masculin : la marche vers l’égalité au Maroc, 1993-2003 sous la direction de Mohammed Saidi,
Friedrich Ebert Stiftung 2004, pp. 17-89.
30
L’inégalité s’opère aussi dans la question de la répudiation qui permet alors au mari de
garder un pouvoir unilatéral de divorcer de sa femme. La dernière question qui a suscité
enfin un grand débat est celle qui porte sur l’égalité dans le régime successoral. La
révision n’a pas porté de modification à cette question qui suit un texte coranique
explicite et qui dispose que la femme hérite la moitié de la part qui revient à l’homme98.
Il est à noter que la codification et la révision qu’a subies la Moudawana avaient comme
objectif principal, d’améliorer et d’adapter les règles juridiques suivant l’évolution
sociale. Cependant, au sein de la société marocaine, il existait de nombreuses tendances,
d’une part les partisans conservateurs qui réclamaient la conservation d’un modèle
familial traditionnel qui fait ressortir les caractéristiques du droit musulman ; d’autre part,
les partisans influencés par les droits de l’Homme et le modèle familial occidental qui
réclament la rupture avec la source religieuse. La lutte des partisans défenseurs du
modèle moderne va continuer jusqu'à l’avènement du roi Mohammed VI au pouvoir.
77. En 1999 le Roi Hassan II décède et son fils Mohammed VI accède au pouvoir. Arrivé
au trône, le Roi affirme sa volonté de changement et de mise en place des réformes
affirmant l’égalité homme-femme99 ainsi que la modernisation des règles régissant la
société100. En outre, parmi les réformes principales visées par cette modernisation, il y a
celles de la Moudawana. L’annonce de cette réforme rencontre une forte résistance de la
part du courant conservateur. La résistance conservatrice considérait cette réforme non
seulement comme un changement illégitime d’une source juridique purement islamique
mais aussi comme une atteinte à l’identité culturelle.
78. En sa qualité de commandeur des croyants, le roi a une double légitimité : spirituelle
et temporelle. Face à ça, il ne peut autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que
Dieu a autorisé. En vertu de ce pouvoir, le Roi va tenter de réconcilier deux camps qui
s’opposent sur la vision de la famille marocaine en général en annonçant que la réforme
ne vise pas à privilégier la vision d’un camp sur un autre, mais à réformer la Moudawana
afin qu’elle rende justice à tous les Marocains. La réalisation de cette réforme a débuté
avec l’installation d’une commission royale composée des oulémas et de juristes au
nombre de 16 dont 3 femmes, avec à sa présidence le Président de la cour suprême Driss
DAHAK. En effet, cette commission avait pour objectif de présenter des propositions qui
sont compatibles avec les engagements internationaux du Maroc tout en protégeant
l’identité musulmane101.
98
Le projet du collectif 95 est allé dans ce sens, l’article 88 dit que « l’épouse et l’époux héritent de la même part dans
la succession du conjoint précédé », cité dans : Thèse Montpellier, op. cit., p. 44.
99
Dans son discours prononcé le 20 Août 1999, le Roi confirme l’importance de traiter la question féminine, et
annonce : « Comment assurer progrès et prospérité à une société alors que ses femmes, qui en constituent la moitié,
voient leurs droits bafoués et pâtissent d’injustices, de violences et de marginalisations, au mépris du droit à la dignité
et à l’équité que leur confère notre sainte religion ? ».
100
Berenice MURGUE, op. cit.
101
Ibid.
31
79. Le 10 octobre 2003, le Roi présente devant le parlement les grandes lignes de la
Moudawana en marquant un événement historique pour la famille marocaine et une
rupture avec l’ancien modèle familial. Ainsi, cette réforme transformera le statut de la
femme et de l’enfant et marquera une avancée dans le monde arabo-musulman en
dépassant même celui de la Tunisie jugé le plus avancé dans la région en matière
d’égalité entre hommes et femmes au sein de la famille102.
80. Dans son discours, le souverain annonce les grands apports de ce nouveau texte en
précisant l’importance de voir cette réforme comme une avancée qui concilie la nouvelle
réalité sociale marocaine, les textes religieux et les principes universels des droits de
l’Homme. En effet, ces apports se traduisent à travers trois grands points : une garantie
d’égalité entre les conjoints, une garantie de l’équilibre familial à travers l’application des
lois et enfin la protection des droits de l’enfant. À travers ces trois grands axes, la famille
marocaine passe d’une famille patriarcale traditionnelle à une famille plus moderne qui
consacre à la femme et à l’enfant une place dont ils ont été privés dans l’ancien modèle
familial. À travers la réforme de 2004, le Roi a voulu confirmer l’adhésion du Maroc à la
modernité et aux principes internationaux.
Cette modernisation qui vise l’institution de la famille, considérée comme un pilier de la
société, débute par une volonté égalisatrice qui s’est traduite clairement par le législateur
dans le nouveau texte. En effet, cinq grandes catégories ont marqué cette réforme : le
mariage, la polygamie, le divorce, la protection des droits de l’enfant et l’héritage.
102
Omar BROUKSY, « Le processus d’adoption de la Moudawana entre la prééminence du roi et la lassitude du
parlement, in annuaire de l’Afrique du nord, Tome XLI, CNRS éditions, 2003, p. 238.
103
Code de la famille 2004.
104
Rude-Antoine EDWIGE, « Le mariage et le divorce dans le code marocain de la famille. Le nouveau droit à
l’égalité entre l’homme et la femme », Droit et culture, 59 2010-1, pp. 43-57.
105
J. BADAOUI, Le statut de la femme en islam, 2ème édition, Iqra 2002, p. 31.
32
82. Dans une nouvelle tentative pour éliminer les disparités entre hommes et femmes,
l’article 19 fixe dans le nouveau texte l’âge du consentement au mariage à dix-huit ans
pour les deux sexes, tandis que l’article 8 de l’ancienne Moudawana exigeait seulement
que les hommes aient dix-huit ans et les femmes quinze ans106. S’ajoute aussi l’article 24
qui vient modifier les exigences de l’article 12 de l’ancien texte, qui imposait qu’une
femme élise un wali (tuteur), chargé de conclure le mariage au nom de la mariée et en son
nom. Désormais, l’institution de la tutelle matrimoniale est un droit exclusif de la femme
dès sa majorité. Dans le même processus de modernisation de la famille marocaine, le
législateur était amené à réformer certaines règles sans transgresser les exigences légales
du fiqh classique. Parmi ces questions, il existe celle de la polygamie.
83. En effet, dans l’ancienne Moudawana il était exigé que la première épouse soit avisée
que son mari avait l’intention de prendre une autre épouse et inversement, la nouvelle
épouse devait être informée que son mari était déjà marié. Les femmes avaient le droit
contractuel d’exiger que leur mari ne prenne pas une autre épouse et en cas de violation
de cet accord ou de ce contrat, le mariage devrait être dissous. Toutefois, dans le cas où il
n’y avait pas d’accord avant le mariage et que le mari décidait ultérieurement de prendre
une autre épouse, la première épouse pouvait présenter son cas à l’auteur de l’acte qui
déterminait le degré de préjudice qui lui est causé par le second mariage. En cas
d’injustice manifeste, le juge pourrait refuser d’autoriser le second mariage polygame.
Avec le code réformé, les oulémas chargés de son élaboration ont refusé la suppression
de la polygamie. De même, le législateur a décidé de mettre en place un compromis entre
l’évolution sociale et les règles classiques, en élaborant par exemple certaines règles
permettant de contourner cette pratique sans pour autant interdire ce que le fiqh classique
a autorisé. La polygamie n’est permise qu’à la discrétion du juge et n’est en aucun cas
permise lorsque l’épouse exige que le mari ne prenne pas une autre épouse. Les juges
sont tenus d’appliquer des conditions juridiques draconiennes pour évaluer si une
injustice découlera du mariage polygame. Ainsi, le mari doit prouver la nécessité du
second mariage et démontrer qu’il peut fournir des ressources adéquates et soutenir deux
ménages d’une manière équitable. Suite à ces exigences que le juge doit estimer
honorées, la polygamie est devenue un contrat difficile à conclure 107.
84. En dernier lieu il y a l’égalité des époux dans le divorce. En effet, dans l’ancien texte
la répudiation était une pratique très répandue qui mettait en évidence une inégalité entre
hommes et femmes. Cette pratique du divorce par répudiation était la plus fréquente
puisqu’elle était la plus facile 108. Suite aux résultats dramatiques de cette pratique, le
nouveau code de la famille a transformé la répudiation en une procédure uniquement
judiciaire.
106
Soumaya NAAMANE-GUESSOUS, op. cit.
107
La réglementation de la polygamie est clairement justifiee par la religion musulmane. Ainsi le Roi rappelle dans son
discours ce qui suit : « Nous avons pris soin de rappeler que la conception de la justice nous apprend que le Tout-
Puissant a créé la possibilité de la polygamie par une série de restrictions sévères : si vous craignez d’être injustes,
épousez une seule femme ».
108
Il y a par exemple : la prononciation orale du talaq qui n’est plus considérée comme une répudiation valide ou
reconnue.
33
Ainsi, cette transformation a procuré au juge un pouvoir beaucoup plus large et qui ne se
limite plus à homologuer la répudiation. Le juge se voit attribuer un nouveau rôle
notamment celui d’intervenir en un rôle de médiation afin de réconcilier les époux et à
défaut, d’autoriser la répudiation. Ce rôle permet au juge de garantir les droits de la
femme et de l’enfant109.
Dans le même cadre de modernisation de la famille, les droits de l’enfant ont été
également concernés par la modification et la modernisation afin que les règles de
protection soient harmonisées avec la société et la famille moderne.
85. En France comme au Maroc, le droit de la famille a représenté le chantier d’un grand
changement et d’une modernisation principalement dus à l’accélération du champ socio-
économique. En effet, ce dernier a permis l’installation d’un modèle familial qui a remis
en cause le modèle traditionnel et religieux. Ainsi, l’élément économique a facilité
l’arrivée des femmes sur le marché du travail ce qui a accéléré la transformation de la
famille. Ces changements ont entraîné les réformes du Code civil et ils se sont basés sur
deux grands principes et qui sont la liberté et l’égalité110. De plus, l’individualisation des
droits installée depuis la Révolution a permis à la femme et à l’enfant d’intégrer les
grandes réformes du Code civil et petit à petit, l’enfant est devenu titulaire de droits face
à ses géniteurs. La conception du foyer parental n’était plus celle qui consistait en un
espace où l’on éduque l’enfant, et le statut de ce dernier au sein de la famille a subi des
changements entre évolution et régression. En outre, les droits de l’enfant ont été
influencés par l’évolution de la famille et la transformation du couple.
86. Ne connaissant pas le concept d’individualisation, la modernisation du droit marocain
de la famille a suscité des réformes afin de modifier les rapports entre les membres de la
famille et de préciser le rôle de chacun au sein de cet ensemble. En effet, le mouvement
féministe apparu peu après l’indépendance a joué un rôle très important dans ce projet
modernisateur de la société. En effet, il s’est livré à un long combat en faveur de
l’amélioration de la question féminine et des rapports entre hommes et femmes au Maroc.
Parmi les rapports profondément touchés par cette modernisation, il y a également les
rapports entre parents et enfants. Depuis la codification, le législateur tente de réviser et
de redéfinir le rôle des parents vis-à-vis de leurs enfants ainsi que leur protection au sein
de la famille.
109
Paul DECROUX, La convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille
et à la coopération judiciaire, Clunet 1985, p. 74.
110
Jean-Louis. RENCHON, La prégnance de l’idéologie individualiste et libérale dans les récentes réformes du droit de
la personne et de la famille, in Mariage-conjugalité, parenté-parentalité, Hugues. FULCHIRON, Paris, Dalloz, 2009,
pp. 209-236 ; Philippe JESTAZ, L’égalité et l’avenir du droit de la famille, in Autour du droit civil, Ecris dispensés,
idées convergentes, Paris, Dalloz, 2005, pp. 289-304.
34
Or, la difficulté à réviser ces rapports réside dans l’essai du législateur d’harmoniser des
règles existantes en droit musulman, qui est une référence fondamentale, avec les règles
du droit positif111. Il est clair que dans les deux systèmes juridiques, la modernisation du
droit de la famille, traduite à travers les réformes trouve son origine dans le progrès
effectué dans l’égalité entre hommes et femmes, ainsi que dans la reconnaissance de la
spécificité de l’enfant et son besoin d’être protégé tout au long de sa minorité. À travers
ces différentes réformes, il importe en premier lieu d’étudier l’évolution des droits de
l’enfant au sein de la famille (A) pour ensuite développer les limites auxquels le système
juridique marocain fait face dans la protection des droits de l’enfant (B).
88. Cependant, ces innovations ne sont pas prises en compte dans le code de 1804 et
l’enfant se voit privé de nombreux droits. Le code de 1804 rompt avec les idées
révolutionnaires ; parmi les règles instaurées par celui-ci, on peut noter, l’affirmation de
la supériorité de la filiation légitime et la filiation de l’enfant naturel qui ne peut être
établie que par la reconnaissance. Les rédacteurs estiment que les nouvelles règles
apparues avec la Révolution ont détruit le rôle du père et son autorité, d’où la restauration
de l’autorité parentale en affirmant le rôle du père dans l’exercice de l’autorité parentale
durant le mariage. L’enfant appartient au père, puis à la mère jusqu’à l’âge de quinze ans
ou en cas de mariage.
111
Mariam MONJID, L’islam et la modernité dans le droit de la famille au Maghreb, Étude comparative : Maroc,
Algérie, Tunisie, édition L’Harmattan, 2013, p. 115.
112
François BOULANGER, Les rapports juridiques entre parents et enfants : Perspectives comparatistes et
internationales, éd. Economica, 1998, p. 9.
113
Durant cette période, l’enfant a bénéficié de nombreux droits au sein de la famille et qui se sont traduits dans la
société. Par exemple, « le droit de correction est transféré aux tribunaux de famille. Les parents seront tenus
d’apprendre à leurs enfants un métier d’agriculture ou un art de mécanique ». Ibid.
35
L’enfant a l’obligation de ne pas quitter le foyer familial sans l’autorisation de son père.
89. Par ailleurs, la situation de l’enfant sera modifiée par de nombreuses réformes au
cours des XIXe et XXe siècles qui vont répondre au fur et à mesure aux besoins de
l’enfant, tout en transformant l’enfant, d’objet à sujet de droit en le protégeant d’une
manière plus efficace.
Les réformes vont au fil du temps concerner de nombreuses questions. Par exemple pour
la filiation, on peut citer la loi du 3 Janvier 1972 qui est considérée comme une loi
révolutionnaire et qui va mettre en place une égalité entre la famille légitime et la famille
naturelle ; ainsi aucune différence ne sera faite entre un enfant né d’un mariage et celui né
hors mariage et la parenté naturelle est pleinement reconnue par le droit 114. D’autres lois
vont venir ultérieurement améliorer encore plus la situation de l’enfant en la matière,
notamment la loi du 25 Juin 1982 qui permet la possession d’état, – ce qui était
jusqu’alors réservé à la filiation légitime –, la loi du 8 Janvier 1993 qui généralise la
recherche de paternité naturelle ou encore la loi du 3 décembre 2001 qui considère les
enfants adultérins égaux aux avec une égalité des filiations confirmée par le législateur115.
90. D’autres réformes ont également concerné l’enfant au sein de la famille, notamment
la puissance paternelle qui sera remplacée par l’autorité parentale partagée par les deux
parents. Cependant, au cours des années 1980 cette loi est devenue inadaptée avec
l’augmentation des divorces et le développement du concubinage et par conséquent, la
croissance du nombre d’enfants naturels. Le législateur crée le principe de la
coparentalité avec la loi du 22 juillet 1987 qui permettra l’exercice de l’autorité parentale
par les deux parents même en cas de divorce. S’ajoute à ça la loi du 8 janvier 1993 qui
place l’autorité parentale comme principe et qui donne à l’enfant le droit d’être élevé par
ses parents qu’il soit né dans le cadre du mariage ou hors mariage. La loi du 4 mars 2002
vient, quant à elle, donner une nouvelle définition à l’autorité parentale en précisant les
droits et les devoirs des parents envers les enfants afin que la coparentalité réponde à
l’intérêt supérieur de l’enfant. D’autres lois réformant les droits de l’enfant vont aussi
participer à protéger l’enfant en cas d’adoption. En effet, la question d’adoption va
connaître des réformes marquantes notamment avec le décret-loi du 29 juillet 1939 qui
crée la légitimation adoptive pour les enfants abandonnés (suite à la guerre) ; la loi du 11
juillet 1966 qui remplace la légitimation adoptive par une adoption plénière ; la loi du 22
décembre 1976 et puis la loi du 5 juillet 1996 qui permet l’adoption par le concubin et
l’adoption de l’enfant du conjoint.
114
Jean-Jacques LEMOULAND, Droit de la famille, Ellipses éd. Marketing S.A, 2014, p. 429.
115
Ibid.
36
91. Dans le même ordre d’idées, il importe de rappeler que les modifications apportées
aux droits de l’enfant sont principalement dues à la manifestation de la crise familiale au
XXe siècle qui a fait réapparaître le courant individualiste et libéral, ainsi qu’aux deux
guerres mondiales. En effet, à l’issue de ces deux dernières, s’est manifestée la volonté de
protéger l’enfant à travers des réglementations internationales, d’où l’émergence d’un
mouvement pour la création d’une Déclaration des droits de l’enfant 116. Il est clair que le
cadre historique et social de la France était favorable aux changements menés par le
législateur afin de réformer au fur et à mesure le droit de la famille en général et les droits
de l’enfant en particulier, et qui ont permis une meilleure protection.
92. Par ailleurs, les réformes menées par le législateur marocain concernant la protection
des droits de l’enfant ont pris une différente voie d’évolution depuis la codification
jusqu’à la dernière réforme du code de la famille de 2004. À la lecture des réformes du
code de la famille, il est clair que le législateur a donné une grande importance à la
question de la femme et de l’enfant. L’histoire des réformes du droit de la famille au
Maroc n’est pas glorieuse, puisque le droit de la famille marocain n’a pas connu de
nombreuses réformes. Depuis la codification en 1957-1958, le législateur marocain a
mené des réformes très timides en ce qui concerne la protection des droits de l’enfant. En
effet, en l’absence d’une égalité entre l’homme et la femme dans leur responsabilité
commune envers la famille il était difficile de parler d’une protection des droits de
l’enfant.
Cependant, la dernière réforme du code de la famille a accordé une importance sans
précédent à la protection de l’enfant. Ainsi le législateur a intégré pour la première fois
des garanties tirées directement des conventions internationales signées et ratifiées par le
Maroc. De nouvelles règles ont vu le jour afin de répondre aux besoins de l’enfant dans la
modernisation de ses droits. En outre, pour que le nouveau texte réponde aux exigences
nationales et internationales dans la protection de l’enfant au sein de la famille, de
nombreuses questions ont été réformées par le législateur marocain notamment, l’âge
légal du mariage, la filiation et l’autorité parentale au sein de la famille unie ou désunie.
93. Parmi les plus importantes dispositions du code de la famille, le législateur est
intervenu dans l’élévation de l’âge du mariage. En effet, dans l’ancien code de la famille
il existait une grande disparité entre les enfants en ce qui concerne l’âge du mariage, qui
était fixé à dix-huit ans pour les garçons et à quinze ans pour les filles.
Cette divergence avait permis de nombreux mariages précoces privant les jeunes filles de
leurs droits d’enfance, y compris le droit à l’éducation, au jeu, à la protection et à la
tendresse ainsi qu’au développement naturel, tout en les exposant à diverses violations
physiques, mentales et sexuelles. Le texte de 2004 est venu supprimer cette règle en
uniformisant l’âge du mariage à dix-huit ans117 pour tenter d’empêcher le mariage des
mineurs.
116
Yves DENECHERE, Droits des enfants au XXe siècle, Presse universitaires de Rennes, 2015, p. 10. Disponible
sur : http://www.pur-editions.fr/.
117
Le législateur a tenté d’introduire une règle qui trouve son origine dans le droit étranger ou international mais qui
reste conciliable avec le droit musulman qui, lui, connaît la notion de la puberté pour conclure un contrat de mariage.
37
Cependant, malgré le travail mené par le législateur, pour mettre un terme à toutes les
discriminations et garantir une protection économique et sociale des enfants, ses efforts
dans cet objectif n’ont pas été jusqu’au bout ; l’article 20 dispose que l’uniformisation de
l’âge du mariage n’empêche en aucun cas la possibilité de la réalisation de ce mariage et
donne au juge de la famille le pouvoir d’autoriser les mariages avant l’âge légal si la
situation lui semble justifiée.
Cette justification est basée sur quelques conditions que le juge considère comme
obligatoires, notamment si le mariage du mineur ne présente aucun danger pour la santé
du mineur et aucune perturbation dans sa vie. Par ailleurs, selon les associations
féministes, cette exception est devenue la règle et le nombre des mariages précoces a
dépassé 47 000 en 2009 et continue d’augmenter d’année en année pour atteindre 12 %
des mariages en 2011. De plus, les juges donnent leurs accords aux filles de moins de 14
ans ce qui est considéré comme inacceptable118, puisqu’ils dépassent les 80% en 2018
selon les taux affirmés par le ministère de la justice. .
94. Dans le même ordre d’idées, s’ajoute la question des réformes qui portent sur les
rapports parents-enfants. En effet, ces rapports ont subi un grand changement social que
le législateur a pu traduire dans le texte de 2004. La modernisation des rapports entre
parents-parents est passée par une restructuration du droit musulman classique. C’est la
raison pour laquelle, le législateur a tenté à travers le nouveau texte de modifier l’aspect
patriarcal de la famille traditionnelle dans la filiation et dans l’exercice de la garde. À
l’image du droit musulman, le droit de la filiation en droit positif marocain a toujours été
dominé par une conception patrilinéaire de la famille. En effet, cela explique les
difficultés que le législateur a rencontrées dans les réformes concernant la filiation,
considérées comme timides ; cette timidité est traduite dans le fait que le champ des
réformes est limité aux règles relatives à la filiation paternelle légitime. Ainsi, les règles
qui concernent l’enfant naturel ne bénéficient d’aucune réforme et le droit positif garde le
principe du droit musulman en ce qui concerne la prohibition de tous les rapports sexuels
hors mariage.
En effet, par l’article 83 de l'ancien statut personnel le législateur avait clairement défini
les conditions qui régulent la filiation. Une filiation basée sur des principes du droit
musulman classique : « - le principe patrilinéaire, qui pose que l’enfant accède à la
parenté de son père et que celle-ci sert de fondement aux droits successoraux ; - le
principe, lié au premier, que l’enfant suit la religion de son père ; - la non-
reconnaissance d’effets de lien de parenté vis-à-vis du père dans le chef d’enfants nés
hors mariage ; et enfin l’interdiction d’adopter »119.
118
Anissa NAQRACHI, Early marriage in morocco, A new paradigm: Perspectives on the changing Mediterranean,
chapter Sexteen, p. 219.
119
Marie-Claire FOBLETS, Jean-Yves CARLIER, Le code Marocain de la famille, incidences au regard du droit
international privé en Europe, éd. Bruylant, 2005, p. 75.
38
95. D’autres matières ont connu d’importantes réformes qui ont traduit la prise en compte
de la place de l’enfant en droit de la famille. En effet, dans la loi islamique traditionnelle
ainsi que dans l’ancien statut personnel, la femme qui se remarie perd automatiquement
la garde des enfants. Ce principe juridique découlait de l’hypothèse patriarcale selon
laquelle les enfants d’une personne (en l’occurrence le père) ne devraient pas être élevés
par un autre homme. Le texte de 2004 a également tenté d’atténuer cette disposition, à
travers les articles 173, 174 et 175 abordant la question de la garde des femmes remariées
et soulignant plusieurs exigences techniques qui règlementent cette problématique.
Il a accordé une échappatoire qui permet à la mère de conserver la garde même si elle se
remarie ou s’éloigne de son mari, tant que l’enfant ne subisse aucun préjudice et que
l’une des quatre situations suivantes s’applique :
- Lorsque l’enfant ne dépasse pas l’âge de sept ans ou lorsque sa séparation avec sa
mère lui cause préjudice ;
- Lorsque l’enfant souffre d’une maladie ou d’un état qui rend impossible sa prise
en charge par quelqu’un d’autre que la mère ;
- Lorsque le nouvel époux est le tuteur légal de l’enfant ;
- Lorsque la mère est la tutrice légale de l’enfant.
- Lorsqu’il y’a une incapacité d’élever l’enfant, de sauvegarder et de le protéger sur
les plans religieux, physique et moral.
Bien que ces réformes constituent une amélioration par rapport à la loi islamique
traditionnelle, les nombreuses dispositions et le langage vague continueront probablement
à poser problème à la femme souhaitant se remarier et conserver la garde de ses enfants.
Il lui est en effet difficile de prouver devant les juges, en cas de conflit de garde, sa
capacité avec son nouveau mari de protection sur le plan moral et religieux et notamment
en cas de mariage avec des personnes vivant à l’étranger. Aussi, les réformes concernant
les pensions alimentaires en faveur des enfants offrent des améliorations et des
protections juridiques plus fortes à ces derniers, en obligeant le mari à assurer de la
nourriture, un logement et un soutien financier.
96. En outre, le gouvernement a créé un fond spécial pour les enfants dont les pères ne
pouvaient pas subvenir à leurs besoins en cas de force majeure. Un autre changement
positif est celui de l’enfant qui atteint ses quinze ans, et qui a la possibilité de décider du
parent avec qui il veut vivre, alors que dans le texte précédent, les garçons pouvaient
prendre cette décision à douze ans et les filles à quinze ans. Ce changement élimine un
préjugé sexiste en faveur des garçons et met en œuvre une règle non sexiste qui démontre
le large engagement de la Moudawana réformée à faire progresser les droits des femmes.
La réforme de la garde des enfants la plus positive concerne probablement le système
judiciaire. Sous le code précédent, il n’y avait pas de délais précis pour résoudre les
différends juridiques d’un divorce.
39
L’inertie judiciaire pouvait amener une femme et des enfants à attendre des années avant
de recevoir un quelconque soutien de la part du mari. En effet, certains cas ont traîné
pendant plus de quinze ans sans aboutir à un verdict 120. Sous la réforme Moudawana, un
juge est tenu de clore l’affaire en six mois ; bien que le texte réformé n’offre pas aux
femmes des changements concernant la garde des enfants, notamment en ce qui concerne
le mariage, les réformes du divorce accordent des droits importants aux femmes et aux
enfants.
98. L’héritage a également subi une réforme jugée comme superficielle par les militants
des droits de l’Homme puisque les nouvelles dispositions concernent uniquement les cas
qui permettent aux petits-enfants d’un fils ou d’une fille décédés d’un grand-parent de
recevoir un montant obligatoire de la succession des grands-parents, alors que seuls les
petits-enfants d’un défunt y étaient éligibles. Il y a obsolescence sur la coutume tribale,
pas sur des motifs religieux ou juridiques. La Moudawana réformée élimine cet écart. Par
ailleurs, le législateur marocain n’a pas abordé la réforme de la question de l’inégalité de
l’héritage entre homme et femme et a conservé l’ancienne réglementation qui entrave les
principes des droits de la femme et de l’enfant reconnus au niveau international.
99. Alors que le Maroc avait ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant qui
exige des actions similaires, le nouveau texte réformé établit pour la première fois des
principes internationaux dans le droit interne marocain. Comme pour les réformes en
matière de divorce, les réformes de la loi sur l’héritage renforcent les droits des femmes
et des enfants121. Par ailleurs, il demeure évident que cette évolution soit nettement
limitée et se soit heurtée aux principes du droit musulman qui résistent aux réformes
profondes du texte de droit. Dans son ensemble, le code de la famille de 2004 a marqué
une grande évolution sur toutes les questions qui concernent les membres de la famille
tout en s’attardant sur des droits individuels de chaque membre. Par ailleurs, malgré les
efforts fournis par le législateur, la majorité des réformes qui visent la femme et l’enfant
demeurent limités et ne répondent pas à toutes les exigences de l’évolution sociale ou
encore des textes internationaux.
120
Joe CHRISTENSEN, Family law and reform in Morocco - The Mudawana : Modernist islam and women’s rights in
the code of personal status, University of Detroit Mercy law. Review 687, 2005, p. 696.
121
Ibid, p. 664.
40
B- Les limites de la protection des droits de l’enfant dans le droit marocain.
100. Il est clair que le droit marocain de la famille a connu une grande évolution à travers
les réformes menées et plus particulièrement avec le texte de 2004. Cependant, toute cette
évolution qu’ait connue le droit de la famille en général et les droits de la femme et de
l’enfant en particulier ont eu de nombreuses limites. En effet, après quelques années de la
mise en place du nouveau texte, les limites de ce dernier se sont manifestées et de
nombreuses contradictions au sein du texte se sont clairement traduites dans l’application.
Ainsi, en ce qui concerne la femme, nombreuses sont les revendications auxquelles le
texte n’a pas répondu. En effet, la dernière réforme met en évidence de nombreuses
disparités en ce qui concerne les droits des femmes et qui peuvent influencer les droits de
l’enfant.
101. Dès le premier article du livre I, le législateur met en avant et confirme l’égalité en
droits et en devoirs des époux pendant le mariage et après le divorce. Cependant, il existe
des situations où l’égalité mise en avant est violée ; notamment en matière de mariage, la
tutelle juridique sur les enfants continue d’appartenir à l’homme qui peut la léguer
uniquement par testament, ce qui explique qu’une femme peut être la gardienne des
enfants mais sans aucune autorité légale sur eux, ce qui semble contradictoire avec
l’esprit de la loi qui confirme une responsabilité partagée de la famille122. Ainsi, la
question de la polygamie, qui est rendue difficile par le législateur, demeure possible
mais sous un contrôle renforcé. Le législateur marocain n’est pas allé aussi loin pour
interdire la polygamie et se montre compréhensif quant au droit de l’Homme d’être
polygame. En effet, cette possibilité est clairement traduite par la marge d’appréciation
laissée au juge. Ce dernier donne une autorisation judiciaire préalable qui conditionne la
possibilité à la capacité de traiter équitablement les épouses et leurs enfants123. Ainsi,
cette marge de liberté accordée aux juges représente un risque clair en connaissant l’esprit
conservateur des juges et la corruption dont souffre la société marocaine.
122
Leila RHIWI, La réforme du code marocain de la famille, éd. C.E.R.A.S, 2004/5, n° 282, p. 37.
123
Ibid.
124
Article 54, 7° « leur assurer l’enseignement et la formation qui leur permettent d’accéder à la vie active et de devenir
des membres utiles de la société et créer, pour eux, autant que possible, les conditions adéquates pour poursuivre leurs
études selon leurs aptitudes intellectuelles et physiques ». Le Code de la famille, 2004.
41
De plus, si le texte de 2004 avait donné le droit à la femme de garder ses enfants même
en se remariant, le texte n’est pas allé jusqu’au bout de la réforme et a mis en place une
importante disparité entre les enfants. En effet, cette divergence vise les enfants malades
et ceux en bonne santé. L’enfant de plus de sept ans et qui est en bonne santé est privé de
sa mère en cas de remariage de cette dernière, alors que si l’enfant est malade, la mère ne
perd pas la garde. Cette disposition risque d’encourager la corruption des médecins afin
que l’enfant soit gardé.
103. D’autres limites ont continué d’exister dans le texte réformé en matière de filiation.
En effet, les grandes lignes qui réglementent cette dernière sont maintenues. La recherche
de paternité a fait son entrée dans la loi marocaine, mais ce droit reste limité par la non-
autorisation de la recherche de cette paternité en cas de viol ou de relation sexuelle en
dehors du cadre légal du mariage.
104. Une limite est restée gravée depuis l’ancien texte et qui est celle du maintien de
l’interdiction de l’adoption tirant son origine du droit musulman classique et qui s’est
clairement traduite dans l’article 149. Ainsi, ce texte met en avant une règle claire qui
confirme l’absence de la valeur juridique de l’adoption en droit musulman et le fait
qu’elle ne permette aucun effet sur la filiation parentale légitime. Par ailleurs, le
législateur reconnaît le maintien de la kafala qui est considéré comme une simple prise en
charge de l’enfant ou encore, la gratification qui est considérée comme une adoption
testamentaire et qui reconnaît à l’enfant un héritage ne devant pas dépasser le tiers. Un
autre point connaît une limite au niveau de la protection des droits de l’enfant, et qui est
la reconnaissance de l’enfant né après la promesse de mariage où la conclusion de l’acte
du mariage n’aurait pas pu se faire. En effet, le législateur a donc conditionné la
protection qu’il offre à ces enfants. Ainsi, le préambule du code prévoit que la disposition
de cette reconnaissance est une disposition qui est considérée comme transitoire125.
Cependant, le problème qui se pose est qu’une fois le délai de cinq ans passé, la demande
des enfants nés après la promesse de mariage ne sera pas recevable, ce qui limite l’article
156.
105. Dans le même ordre d’idées, la garde de l’enfant a aussi connu quelques limites dans
son application et dans le respect des droits de l’enfant. En effet, le préjudiciable est tenu
de « prendre toutes les dispositions nécessaires à la préservation et à la sécurité, tant
physique que morale, de l’enfant soumis à la garde, et veiller à ses intérêts en cas
d’absence de son représentant légal et en cas de nécessité, si les intérêts de l’enfant
risquent d’être compromis »126. Par ailleurs, malgré l’essai du législateur de mettre en
place des règles modernes afin de donner à l’enfant de nouveaux droits, l’institution de la
garde est restée attachée à l’application des règles et des motifs religieux, qui sont restés
basés sur le motif du maintien de l’enfant au sein de la religion musulmane.
125
Le législateur considère que la période transitoire est de « cinq ans …pour régler les questions restées en suspens
dans ce domaine, et ce pour épargner les souffrances et les privations aux enfants dans une telle situation ».
126
Article 163, Code de la famille, 2004.
42
Cette prise en compte de la religion et ses limites se traduisent clairement pendant le
mariage et après le divorce ; ainsi, par cette disposition le code se contredit avec l’article
14 de la Convention de New York.
106. De plus, le codificateur marocain s’est trouvé devant la problématique d’adapter les
règles du droit de la famille avec le changement qu’a connu cette dernière et le législateur
marocain n’a pas pu soulever en profondeur les règles du droit de succession. En effet, les
règles qui régissent ce dernier n’ont pas connu un grand changement et l’ancienne
réglementation est reconduite dans le texte réformé. Ainsi, les règles limitent la part
successorale des filles dans l’article 342 et l’article 332 continue d’exclure les non-
musulmans de la succession.
107. En outre, d’autres limites se manifestent dans l’application du Code de la famille qui
concerne les dispositions transitoires. Ces dernières sont regroupées dans les articles
allant de 396 à 399. Ces dispositions ont permis des lacunes dans de nombreuses
situations notamment : l’action en reconnaissance de mariage qui limite la recevabilité de
ces demandes à une période transitoire ne dépassant pas les cinq ans à partir de l’entrée
en vigueur du dernier texte. La question qui se pose est de connaitre l’état de ces
situations après le délai de cinq ans. « Lors d’un débat au parlement, le groupe de justice
et développement avait proposé de supprimer cette limitation dans le temps au motif
qu’elle serait difficilement applicable, mais cette proposition d’amendement a été
refusée »127.
108. Une autre disposition pose problème qui est celle de l’article 156 permettant à
l’enfant conçu en période de fiançailles, le droit à la reconnaissance de paternité. Cette
disposition vient donner un délai de cinq ans « pour régler les questions restées en
suspens dans ce domaine, et ce pour épargner les souffrances et les privations aux
enfants dans une telle situation »128. Passé ce délai de cinq ans, l’action en
reconnaissance de filiation est considérée comme compliquée. Ainsi, pour les parents ou
l’enfant qui vont tenter une reconnaissance de filiation après ce délai, l’action est
considérée comme irrecevable. De plus, en dépit du fait que l’objectif principal de
l’article 156 étant de protéger l’enfant, si cette protection est limitée par le délai, elle
mettra en place des disparités avec les enfants nés antérieurement à l’entrée en vigueur du
code de 2004 et qui seront aussi des enfants illégitimes au regard du droit marocain.
109. Une autre situation se présente dans l’article 49 qui permet aux époux de choisir le
régime selon lequel ils souhaitent se mettre d’accord sur la gestion des biens acquis
pendant le mariage. En effet, cet article représente également une limite pour les
personnes qui ont contracté le mariage avant l’entrée en vigueur du nouveau texte ainsi
que pour les personnes qui n’auraient pas mentionné un accord séparé pour la gestion de
leurs biens. Dans cette situation le législateur mentionne qu’« à défaut d’accord, il est fait
recours aux règles générales de preuve, tout en prenant en considération le travail de
chacun des époux, les efforts qu’il a fournis et les charges qu’il a assumées pour
fructifier les biens de la famille ».
127
Marie-Claire FOBLETS, Jean-Yves CARLIER, op. cit., p. 116.
128
Id, ibid.
43
Le législateur marocain prend en considération le rôle de la femme au sein de son foyer et
considère que son travail domestique ou salarié contribue à l’épargne du ménage ; ainsi,
même sans apporter une preuve matérielle, le codificateur estime possible le partage de
cette épargne.
110. Il est clair que le nouveau texte apporte de nombreuses modifications qui ont permis
l’évolution du droit marocain de la famille, mais l’une des réserves sur laquelle les
progressistes trouvent qu’elle pose problème est celle de la dernière disposition du
nouveau texte. En effet, cette disposition prévoit pour toutes les situations dont le texte
modifié ne permet pas d’apporter une réponse claire, le recours supplétif « aux
prescriptions du rite malékite et/ou aux conclusions de l’effort jurisprudentiel (ijtihad),
aux fins de donner leur expression concrète aux valeurs de justice, d’égalité et de
coexistence harmonieuse dans la vie commune, que prône l’islam »129. Ainsi, par cette
disposition le législateur démontre sa volonté de ne pas gérer toutes les questions du droit
de la famille par le droit civil et il laisse sur maints points la liberté aux tribunaux d’y
répondre avec la référence au droit musulman classique. Ainsi, le législateur confirme le
non-abandon du droit musulman même avec l’approche occidentale qu’il dégage. En
outre, selon les dispositions de l’article 400, le législateur marocain a réaffirmé la
référence du droit musulman dans le contexte de la société marocaine en général et de la
réforme du droit de la famille en particulier.
Les juges de la famille fondront principalement leurs décisions sur le code réformé, puis
sur la jurisprudence de la cour suprême si elle existe et enfin cet article permet et donne
au juge le pouvoir de justifier toute décision prise sur la base principale qui est le droit
musulman ou encore sur les règles de l’école malékite. Il est donc possible pour le juge
de donner des décisions qui se fondent sur différentes sources notamment : la sharia, la
sunna, l’ijtihad, la jurisprudence des anciens tribunaux de droit musulman et enfin le
droit positif.
111. Selon les réformes menées par le législateur sur le droit de la famille, il est évident
que la réforme a pu garantir une continuité du rite malékite, afin de garder toute
possibilité à ce recours et ne pas prendre le risque de supprimer tous les recours possibles
au droit musulman classique. Par ailleurs, le problème qui se pose est celui de savoir à
quel point le juge peut se permettre de prendre en considération cette disposition afin de
répondre à de nombreuses questions qui ne trouvent pas de réponses claires et explicites
dans le texte réformé. C’est ce que nous allons traiter ultérieurement dans une deuxième
partie sur le rôle du juge et sa référence juridique, pour voir à quel point cet article
représente une grande limite pour l’ensemble de la réforme. Une limite qui s’ajoute à un
ensemble d’éléments qui participent à ralentir la progression des droits de l’enfant dont
ceux relatifs à la spécificité
129
Code de la famille Marocain, 2004.
44
Section 2 : Une lente progression des droits de l’enfant en droit marocain.
112. Le concept des droits de l’enfant est un concept très récent dans l’histoire du droit.
Cependant, toutes les civilisations avaient leur propre conception de l’enfance selon
laquelle ils réglementaient la place de l’enfant dans la société en général et au sein de la
famille en particulier. En effet, comme nous l’avons précisé auparavant, en Occident et
plus particulièrement en France, la question des droits de l’enfant n’existait pas au Moyen
Âge ; elle est seulement apparue avec la Révolution et s’est développée avec les deux
guerres mondiales et la mondialisation. De la même manière, dans la société arabe en
général et plus précisément au Maroc, la situation a aussi connu un long chemin
d’évolutions mais qui n’a pas abouti aux mêmes résultats. En effet, les droits de l’enfant
dans la société arabe ont connu d’abord la période préislamique où l’enfant était perçu
comme une propriété personnelle et c’est avec l’émergence du nouveau message du
prophète Mohamed que le statut juridique de l’enfant est établi et une dynamique de la
prise en compte de l’enfant est née.
113. Les droits de l’enfant en France ont connu une évolution construite sur une
conception philosophique et sur l’individualisation des droits, ce qui a permis un progrès
rapide et une prise en compte claire qui s’est traduite dans les différentes branches du
droit. Par ailleurs, au Maroc la situation s’avère être différente ; la progression des droits
de l’enfant et la prise en compte de ce dernier en tant que personne à part entière est
différente. En effet, en droit marocain la protection des droits de l’enfant a connu une
évolution due à l’influence des pays occidentaux à travers la colonisation, la
mondialisation et puis la signature des traités internationaux.
Cependant, le droit de la famille a gardé une grande spécificité en droit marocain suite à
la préservation de nombreuses règles du droit musulman et à l’intégration de règles avec
des normes internationales. Cette originalité du législateur marocain en droit de la famille
a mis en place un code qui regroupe des règles du droit musulman ainsi que des règles
modernes. Cette cohabitation permet des fois des contradictions dans la protection des
droits de l’enfant. Afin de comprendre à quel point l’originalité défendue par le
législateur marocain dans le droit de la famille a pu répondre aux besoins actuels de la
protection de l’enfant au sein de la famille, et à quel point la combinaison du droit
musulman et du droit positif a pu procurer à l’enfant une meilleure protection, il est
important de revenir sur la perception spécifique des droits de l’enfant dans le droit
musulman (Paragraphe 1), pour ensuite comprendre le renforcement de ces droits au
lendemain de l’indépendance (Paragraphe 2 ).
45
Paragraphe 1 : Une perception spécifique des droits de l’enfant en droit musulman.
Tous ces mots se rassemblent dans Zurriya, qui désigne les descendants en général.
De plus, il existe d’autres adjectifs qui désignent l’enfant en se référant à sa situation
notamment : la situation d’orphelinat, la situation d’allaitement ou celle quand il n’est pas
encore pubère. En effet, à partir de ces désignations nous allons tout d’abord étudier les
étapes par lesquelles passe l’enfant depuis sa conception, passant par sa naissance et
jusqu’à sa majorité (A) afin de comprendre par la suite, son statut spécifique au sein de la
famille musulmane (B).
130
Mohamad NOKKARI, L’enfant en droit musulman (Afrique, Moyen-Orient), Actes du colloque du 14 Janvier 2008,
Société de législation comparée, 2008, p. 33.
46
A- L’enfant de l’embryon à la puberté en droit musulman, une perception spécifique.
116. En droit musulman, l’enfant est celui qui passe par de nombreuses étapes depuis sa
naissance afin d’atteindre la puberté131. Cette période contient des étapes qui sont
clairement réglementées par le droit musulman. Ces règles fixées par de nombreux
juristes musulmans précisent la création du statut juridique de l’enfant dès l’embryon
dans l’utérus et mettent fin à la puberté qui représente la majorité de l’enfant 132.
117. Ainsi, le droit musulman considère que ce dernier bénéficie de droits préalables à sa
naissance jusqu’à sa majorité. Toute cette période passe par cinq étapes notamment :
– La période de sa conception depuis qu’il est fœtus jusqu’à sa naissance.
– De la naissance jusqu’à l’âge de sept ans.
– De l’âge de sept ans jusqu’à l’âge de la puberté.
– De l’âge de la puberté jusqu’à l’âge de la majorité.
– Enfin l’âge de la majorité qui permet une indépendance financière entière »133.
118. Concernant la première étape, les juristes musulmans considèrent que la religion
musulmane protège l’enfant même avant qu’il ne soit né. En effet, en droit musulman
avant de devenir enfant, qui est le résultat d’une évolution prénatale, l’enfant est
considéré comme un être humain. Dans le Coran, les étapes de la construction de la vie
de l’être humain sont clairement exposées. Les étapes de cette création débutent d’abord
en se référant à des éléments génétiques. La période embryonnaire est décrite en deux
étapes, d’abord par la création d’un certain nombre de tissus et de liquides qui vont
construire les traits psychiques et physiques des parents ; cette période dure les deux
premiers mois de la grossesse134.
De plus, c’est sur ce principe que la Sunna vient confirmer la responsabilité de chacun
des parents de bien choisir le partenaire afin de garantir de bonnes caractéristiques
génétiques aux enfants. C’est dans ce sens que nous trouvons de nombreux conseils du
prophète qui confirment à l’homme l’importance de choisir sa femme selon quelques
critères « La femme est choisie pour sa beauté, sa lignée, sa richesse et sa droiture »135 ;
« l’homme désirant le mariage doit aussi prendre en considération la joie que lui procure
le fait de regarder sa femme »136. Et il en va de même pour le choix de la femme ; cette
dernière doit être exigeante sur la qualité de la droiture du futur mari qui se traduit dans
les qualités morales et la religiosité.
131
Cette puberté est déterminée par l’apparition des signes physiques qui laissent comprendre le pouvoir de l’enfant
d’avoir des rapports sexuels qui doivent être dans le cadre légal du mariage. De plus, la puberté est aussi atteinte à l’âge
de quinze ans malgré la non-apparition de signes physiques.
132
Une définition basée sur la Coran, Sourate 40 verset 67 : « C’est lui qui vous a créés de terre, puis d’une goutte
sperme, puis d’une adhérence puis il vous fait sortir petit enfant pour qu’ensuite vous atteignez votre maturité et
qu’ensuite vous deveniez vieux ».
133
Mohamad NOKKARI , L’enfant en droit musulman, (Afrique, Moyen-Orient) Actes du colloque du 14 janvier
2008, p. 35.
134
« Nous avons créé l’homme d’une combinaison de liquides pour le mettre à l’épreuve », Saint Coran, Sourate Al
insan, Verset 2.
135
Hadithe.
136
Ibid.
47
Ces deux critères s’expliquent dans l’obligation du futur mari de transmettre à l’enfant les
qualités morales et physiques. Ce choix est considéré par le droit musulman comme l’un
des premiers droits garantis à l’enfant avant même qu’il ne soit né137.
119. En outre, l’ensemble de cette période est décrit explicitement à travers de nombreux
versets qui viennent confirmer la considération de l’être humain avant même sa
conception. Cette dernière est visiblement mentionnée, « Nous avons certes créé l’homme
d’un extrait d’argile, puis Nous en fîmes une goutte de sperme dans un reposoir. Ensuite,
Nous avons fait du sperme une adhérence ; et de l’adhérence Nous avons créé un
embryon ; puis, de cet embryon Nous avons créé des os et nous avons revêtu les os de
chair. Ensuite, Nous l’avons transformé en une toute autre création ». « Il vous a créé,
dans le ventre de vos mères, création après création, dans trois coiffes (Voiles de
ténèbres) », « Puis nous l’avons consigné, goutte de sperme, dans un espoir sûr ».
À travers ces nombreuses sources, de nombreux savants sont arrivés à conclure qu’il
existe une grande conformité entre la conception musulmane de l’humanité de l’embryon
avec la conception contemporaine et scientifique. Cette conformité vient affirmer la
personnalité juridique de l’enfant comme un être humain avant même qu’il ne soit né.
Comme nous l’avons précisé, la Sunna est venue compléter les énoncés du texte
coranique sur le début de l’être humain. Ainsi, « Selon Abdullah ibn Omar, le prophète a
dit : chacun d’entre vous rassemble ses éléments constitutifs durant quarante jours dans
le ventre de sa mère : une goute puis une adhérence durant la même période, puis un
embryon (Mudhgha) puis l’ange est envoyé pour lui insuffler (arrûh) l’esprit »138. Les
juristes musulmans se sont référés à ces sources afin de préciser le statut de l’être humain
avant sa naissance et de confirmer le rôle de la sharia dans la conservation de la foi, de la
vie, de la raison, de la descendance et de l’être humain de manière générale.
120. Ensuite, on parle de l’enfant fœtus ; cette étape de la vie se traduit par la maturation
des tissus et des organes du bébé ainsi que par une croissance rapide de son corps. La
période fœtale voit une reconnaissance de nombreux droits pour la mère et l’enfant avant
sa naissance. En effet, ce dernier acquiert avant tout le droit à la vie et toute intervention
médicale qui ne soit pas dans son intérêt est interdite et est considérée comme illicite. Par
ailleurs, en ce qui concerne cette intervention, les écoles juridiques connaissent quelques
divergences. Les écoles Hanbalite, Hanafite, et chafiite autorisent l’intervention médicale
jusqu’aux 120 jours alors que les Malikit interdisent catégoriquement l’interruption
volontaire de la grossesse dans toutes les périodes139. De plus, le droit musulman vient
confirmer à l’enfant avant sa naissance de nombreux droits dont : « le droit à la
possession des biens, le droit à la succession et l’enfant reste titulaire de son droit
d’héritage, le droit de recevoir un testament et aux bénéfices des biens Waqf ».
137
Dans de nombreuses occasions les compagnons du prophète ont aussi confirmé l’importance de ce choix
notamment : Omar IBN-ALKHATAB qui a été questionné sur le droit de l’enfant envers son père et qui a répondu :
qu’il choisisse bien sa mère, qu’il lui donne un joli prénom et qu’il lui enseigne le coran ».
ﺣﺪﺛﻨﺎ رﺳﻮل ﷲ ﺻﻠﻰ ﷲ ﻋﻠﯿﮫ:ﻋﻦ أﺑﻲ ﻋﺒﺪ اﻟﺮﺣﻤﻦ ﻋﺒﺪ ﷲ ﺑﻦ ﻣﺴﻌﻮد رﺿﻲ ﷲ ﻋﻨﮫ ﻗﺎل138
.ً إن أﺣﺪﻛﻢ ﯾُﺠﻤﻊ ﺧﻠﻘﮫ ﻓﻲ ﺑﻄﻦ أﻣﮫ أرﺑﻌﯿﻦ ﯾﻮﻣﺎ:وﺳﻠﻢ
139
L’avortement est strictement interdit dans la religion musulmane même en cas de viol. Cependant il peut être
pratiqué avant cent vingt jours à condition qu’il soit motivé par des raisons claires ou quand il met en danger la vie de
la mère.
48
De plus, durant cette période la femme enceinte bénéficie également d’une protection
spécifique comme le droit à une pension alimentaire et à un traitement avec distinction.
121. À partir de la naissance et au détachement de l’embryon vivant du ventre de sa mère,
débute la période de l’enfance appelée en arabe (Attoufoula) qui dure jusqu’à l’âge du
discernement. Le Coran va aussi insister sur la place que préoccupe l’enfant dans la vie
sentimentale des parents et de l’importance de son arrivée dans la famille. Ainsi, le texte
coranique met en place toute une réglementation des différentes situations auxquelles
l’enfant va être exposé depuis sa naissance, notamment : Un droit à la filiation qui doit
être le fruit d’un mariage légal, l’interdiction de l’adoption avec possibilité de la
KAFALA, son droit à l’allaitement 140, le droit à la garde et à la succession.
122. À travers cette réglementation, le texte coranique a mis en place une réglementation
qui vise à produire une personne responsable dès ses sept ans. Arrivé à l’âge de
discernement, l’enfant acquiert une capacité de jouissance complète. En effet, il devient
capable de disposer de ses propres droits, mais quelques droits restent limités par son état
de faiblesse141. Ainsi, à partir de cet âge appelé (Attamyiz) en arabe et qui résulte du verbe
mayyaza signifiant distinguer une chose d’une autre, les Fuqahaa considèrent que
l’enfant commence à concevoir et raisonner, à avoir une place sociale auprès des adultes
et à se voir plier aux règles sociétales. Et son éducation morale et religieuse devient une
obligation pour les parents, puisque c’est à cet âge-là que la Sunna exige à l’enfant
d’accomplir ses pratiques religieuses, telles que le jeûne et la prière. Cette obligation est
confirmée par une parole prophétique « Ordonnez à vos enfants de faire la prière
lorsqu’ils atteignent l’âge de dix ans ; et donnez-leur des lits séparés ». L’éducation
morale est exigée à cet âge et l’enfant est tenu au respect de nombreuses règles de
politesse et de discrétion afin de garantir la bonne construction de la société142. Par
ailleurs, malgré son arrivée à cet âge, sa capacité reste incomplète, car cette éducation est
inachevée, que ce soit physiquement ou moralement.
123. Une autre étape est considérée comme très importante dans l’évolution de l’enfant
au sein de la société et sur laquelle de nombreuses règles se basent. La période de la
puberté ou « al boulough » en arabe. Pour les savants musulmans cette période définit la
force qui survient à la personne et à travers laquelle cette personne devient responsable de
ses actes. La puberté se traduit principalement par des transformations physiques et
psychologiques et le cas échéant, se définit par l’âge.
140
« Les mères qui veulent donner à leurs enfants un allaitement complet, les allaiteront deux années entières »,
Sourate albaqara, verset 232.
141
Les doctes de l’islam ont développé avec précision les droits redevables des enfants, qui se divisent en deux :
d’abord les droits des gens et puis ceux de Dieu. Ainsi, en ce qui concerne les premiers, ils précisent ceux qui doivent
être exécutés par le représentant légal. On cite des droits dont l’enfant n’est pas débiteur comme ceux qui ont un aspect
financier comme les tributs, les redressements et les pensions alimentaires pour les femmes.
142
La sourate Loqmane contient un grand nombre de versets concernant les règles relatives à l’éducation de l’enfant
afin que l’enfant soit attentif à ses comportements envers ses parents, sa famille et sa société en général, telle quelle : «ô
mon enfant, accomplis la prière, commande le convenable, interdis le blâmable et endure ce qui t’arrive avec patience.
Telle est la résolution à prendre dans toute entreprise et ne tourne pas ton visage des hommes, et ne foule pas terre
avec arrogance : car Dieu n’aime pas le présomptueux plein de gloriole. Sois modeste dans ta démarche, et baisse ta
voix, car la plus détestée des voix, c’est bien la voix des ânes ».
49
La désignation de cet âge connaît quelques divergences entre les écoles. En effet, pour les
Chafiites et les Hanbalits, il est estimé à l’âge de 15 ans, pour les Malikits il est fixé à 18
ans pour les garçons comme pour les filles. À cet âge, la personne devient donc capable
de remplir ses obligations et d’assumer les conséquences de ses actes ainsi que de jouir
d’une capacité d’exercice complète143. Arrivé à la puberté, le mineur peut reprendre le
pouvoir d’administrer ses biens et d’en disposer librement s’il atteint la maturité et la
raison qu’il faut pour qu’il puisse les gérer correctement 144 et aussi de se marier. Dans ce
cas, le père est dans l’obligation de prendre en charge les dépenses du mariage qui sont
considérées comme une des obligations qu’a le père envers ses enfants, que ce soit pour
le garçon comme pour la fille. Par ailleurs, cette dernière connaît des limites pour
contracter son mariage ; ainsi quelques jurisconsultes considèrent que la fille, bien qu’elle
devienne pubère, n’acquière pas la capacité de contracter un mariage sans l’autorisation
de son père. Alors que les Hanifits en s’appuyant sur des versets coraniques, autorisent la
femme à contracter son mariage seule sans le consentement du père. Cette justification
s’explique dans les versets qui traitent le mariage ou le divorce mais qui s’adressent
uniquement et directement aux femmes.
À la différence d’autres conceptions de l’enfance qui vont faire de cette période s’étalant
de la naissance à la majorité de l’enfant, une période qui dure le plus longtemps possible
et qui soit cruciale et sacrée. La perception musulmane valorise la période de l’enfance
sans qu’elle fasse d’elle le centre de la vie humaine. Car selon cette perception
musulmane, l’enfance est capitale pour chaque être humain mais reste passagère et
n’acquiert pas la même importance dans la perception moderne.
124. En outre, bien que la période de l’enfance en droit musulman soit considérée comme
courte et passagère, elle est caractérisée par une grande originalité qui se traduit par
d’autres règles qui s’ajoutent à celles énoncées auparavant, comme par exemple le fait
qu’il soit recommandé de dire discrètement la formule de l’appel à la prière dans l’oreille
du nouveau-né. Le choix du prénom représente aussi son importance, dans l’obligation
des parents de choisir un joli prénom pour l’enfant, car selon un Hadith prophétique le
prénom est celui par lequel la personne sera appelée le jour du jugement.
Ainsi, ce prénom est choisi lors d’une cérémonie traditionnelle organisée le septième jour
et au cours de laquelle on pratique la circoncision qui est une obligation pour tous les
nouveau-nés de sexe masculin. Il est évident, que les droits attribués aux enfants en droit
musulman ont d’abord un fondement spirituel et ensuite un fondement matériel. Des
fondements qui visent à garantir à l’enfant une enfance épanouie et achevée afin
d’atteindre l’âge adulte. En effet, elle est perçue comme une période passagère et
spécifique mais qui ne représente pas une entité en soi. Ainsi, des récits prophétiques
viennent confirmer la spécificité de cette période.
143
Azzuhaili, alfiqh wa adilatouhou, Partie 4, p. 125, ibn hijr, fath albari, deuxième édition, Partie 5, p. 203.
144
En ce qui concerne l’enfant orphelin, le Coran est clair sur cette question et mentionne : « Eprouvez la capacité des
orphelins jusqu’à ce qu’ils atteignent l’aptitude au mariage ; et si vous ressentez en eux une bonne maturité, remettez-
leur leurs biens », Sourate al Nissaa, Verset 6.
50
125. Le droit musulman se réfère à un Hadith qui évoque clairement la capacité qui
mentionne que : « Trois ne sont pas responsables : celui qui dort jusqu’à ce qu’il se
réveille, l’enfant jusqu’à ce qu’il soit pubère et l’aliéné jusqu’à ce qu’il devienne sain
d’esprit ». Comme nous l’avons déjà évoqué, en droit musulman l’enfant voit sa capacité
juridique et son rôle au sein de la société évoluer par rapport à son âge et sa maturité.
Cette période permet à l’enfant de se préparer progressivement pour accomplir ses
devoirs. Cette conception a des conséquences sur de nombreuses situations, notamment
en ce qui concerne la prise en compte de la parole de l’enfant en droit musulman. En
effet, il n’est pas considéré comme raisonnable de tenir compte ni de la parole de l’enfant
ni de ses actes jusqu’à sa puberté. C’est pourquoi l’enfance en droit musulman se réfère
principalement à une explication traditionnelle qui estime que l’ensemble de la période de
l’enfance, est une progression croissante de l’enfant pour qu’il soit une personne
responsable. De plus, l’acquisition de cette responsabilité comporte en elle des étapes
d’âge, dont chacune est perçue différemment. La conception musulmane confirmée est
synonyme d’innocence et d’incompétence ; elle ne peut être qu’une période passagère
d’une prise en charge physique et morale pour les parents afin que cette période soit
consacrée à l’apprentissage145.
126. Il est clair que contrairement à la conception occidentale qui accorde à l’enfant la
place centrale au sein de la famille, la conception musulmane valorise la place de l’enfant
dans la structure familiale tout en conservant la place centrale du couple et du groupe.
Ainsi, l’enfant est considéré comme un accomplissement de tout ce qui a été établi entre
le couple. Toutefois, cette différence de la prise en compte du statut juridique de l’enfant
ne doit pas être comprise comme une indifférence du droit musulman envers l’enfant
mais plutôt comme un intérêt basé sur la différence de la conception de l’ensemble de la
famille dans les deux visions. L’unité et la référence familiale représentent la base de la
société musulmane et de ses règles. C’est pourquoi l’individualisation des droits de
l’enfant apparaît difficile ; même s’il est considéré comme une personne à part entière,
son statut juridique demeure intégré au sein de la famille.
145
Masoud RAJABI-ARDESHIRI, The rights of the child in the islamic context: The challenges of the local and the
global, The international journal of children’s Rights, Volume 17, Issue 3, 2009, pp. 475-489.
51
B- Le statut spécifique de l’enfant dans sa famille.
127. En droit musulman, le Coran trace le cadre légal de l’union sexuelle. Ainsi, le
mariage représente la seule institution qui permet l’accueil légal de l’enfant. Ce dernier
comme nous l’avons précisé auparavant acquiert un statut juridique depuis la période de
sa conception jusqu’à sa puberté. Durant cette période, le droit musulman met en place
des droits spécifiques à l’enfant afin de le protéger au sein de la famille et de la société en
général. De plus, d’autres droits d’ordre moral ont été valorisés par le droit musulman
afin de garantir à la société un être autonome et responsable. Ces droits influencent
l’avenir de l’être humain et se basent sur la valorisation du rôle des parents à travers des
fonctions autre que ceux d’être de simples géniteurs. Dans un Hadith, il est narré que
« Les œuvres de l’être humain s’achèvent avec sa mort sauf trois : un don permanent, une
science dont tout le monde profite et un enfant pieux qui lui fasse des invocations ». En
effet, l’expression de l’enfant pieux fait référence à la responsabilité des parents dans
l’instruction et la bonne éducation de l’enfant, cela dit garantir un enfant bien éduqué
pour l’avenir de l’Oumma. Ainsi, il est important de souligner que le droit musulman
place le droit de l’enfant à l’affection et à la bonne éducation parmi les droits
fondamentaux des enfants que les parents sont tenus de respecter.
128. Le droit à l’affection trouve son obligation dans de nombreux Hadith, le prophète dit
: « Recevront la miséricorde de Dieu, les parents qui aident leurs enfants à être
bienfaisants envers eux ». « Recevra la miséricorde de Dieu celui qui aide son enfant à
être bienfaisant envers lui en le prenant avec bonté, avec amitié et en l’instruisant et en
l’éduquant ». « Recevra la miséricorde de Dieu celui qui aide son enfant à être
bienfaisant envers lui en pardonnant ses fautes et en lui faisant des invocations en ce qui
concerne sa relation avec Dieu ». « Recevra la miséricorde de Dieu celui qui aide son
enfant à être bienfaisant envers lui en acceptant ses bonnes actions et en dépassant les
mauvaises et sans l’alourdir ni le violenter ».
129. En outre, le droit de l’éducation succède directement à celui de l’affection. Étant
donné qu’il occupe une partie très importante dans le Coran et les Hadiths, il est évident
que dans la pensée islamique, l’éducation est fortement marquée par une empreinte
religieuse. Ainsi elle consiste principalement à transmettre à l’enfant dès son plus jeune
âge, deux valeurs fondamentales : la foi et la connaissance que comporte la révélation
coranique146. Cette conception est considérée par les pédagogues musulmans comme le
modelage de l’âme, qui doit être réalisé dès le plus jeune âge. Cette obligation apparaît
clairement dans le texte coranique qui insiste sur le rôle du prophète dans l’éducation
religieuse de toute sa communauté. Dans la Sourate La Vache Dieu dit : « Notre
seigneur ! Envoie-leur un prophète pris parmi eux : il leur récitera tes versets, il leur
enseignera le livre de la sagesse »147.
146
Louis GARDET, Panorama de la pensée islamique, éd. Sindbad, Paris 1984, p. 207.
147
La Coran, Sourate 2, Verset 129.
52
En outre, le Coran consacre un chapitre à l’éducation de l’enfant, il s’agit de Sourate
« Louqmân » qui concentre le plus de versets relatifs à l’éducation. Cette sourate nous
rapporte l’enseignement d’un sage qui s’appelait Louqman qui est un descendant
d’Abraham à son fils.
Le tout premier enseignement est celui de ne pas attribuer à Dieu d’autres associés ; Dieu
dit « ô mon fils, ne donne pas d’associés à Allah, car l’association à Allah est vraiment
une injustice énorme »148. Ensuite, il lui fait remarquer que Dieu est attentif à tout ce que
nous faisons ce qui signifie que l’enfant doit apprendre à bien se comporter sans avoir
peur de ses parents mais du Dieu Tout-Puissant : « Ô mon enfant ! Même si c’était
l’équivalent du poids d’un grain de moutarde et que cela fût caché dans un rocher ou
dans les cieux, ou sur la terre, Dieu le présentera en pleine lumière. Dieu est subtil et
bien informé »149. Ensuite, on trouve la précision sur la pratique religieuse : « ô mon
enfant, accomplis la prière, commande le convenable, interdis le blâmable et endure ce
qui t’arrive avec patience. Telle est la résolution à prendre dans toute entreprise ! Et ne
détourne pas ton visage des hommes, et ne foule pas la terre avec arrogance : car Allah
n’aime pas le présomptueux plein de gloriole. Sois modeste dans ta démarche, et baisse
ta voix, car le plus détestée des voix, c’est bien la voix des ânes »150.
D’autres versets portent sur le comportement de l’enfant arrivé à l’âge de la puberté qui
incite l’enfant à observer la nature autour de lui et d’avoir une attitude scientifique « Ce
sont autant de bienfaits de la part de Dieu ! » ; « Certains hommes, cependant, discutent
au sujet de Dieu, sans aucune science, ni direction, ni livre lumineux »151 ; « Si on leur
dit : Suivez ce que Dieu a révélé, ils répondent mais non… Nous suivrons plutôt les
coutumes que nous avons apprises de nos ancêtres… »152. À travers ces nombreux
versets, le devoir des parents dans l’éducation de l’enfant est clair, pour qu’il soit un être
propice pour la société musulmane et qu’il soit capable de contribuer dans la société.
(Une autre spécificité pour l’enfant).
130. Il est évident qu’en droit musulman la prééminence du groupe sur l’individu est
claire, et chaque musulman en tant qu’individu a un devoir vis-à-vis du groupe et de la
société auxquelles il appartient. Ce devoir débute tout d’abord avec celui que l’enfant a
envers sa famille et ses deux parents. Ces devoirs tiennent leurs fondements du texte
coranique et de la Sunna. Ces fondements sont basés sur le principe d’obéissance. En
effet, la base de la morale musulmane repose sur l’obéissance à Dieu qui se traduit
clairement dans les commandements et les interdictions sont nettement définis. De plus,
cette obéissance est explicitement hiérarchisée entre Dieu, son prophète et ses délégués
dans le texte coranique quand Dieu dit : « Croyants, obéissez à Dieu, au prophète et à
ceux d’entre vous qui exercent l’autorité. En cas de désaccord entre vous, sur quelque
sujet que ce soit, remettez-vous en à Dieu et à son Apôtre, si vous croyez vraiment en lui
148
Le Coran, Sourate 31, Verset 1 3.
149
Le Coran. Sourate 31, Verset 16.
150
Le Coran Sourate 31, Versets 17 et 19.
151
Le Coran, Sourate 2, Verset 170.
152
Le Coran, Sourate 2, Verset 129.
53
et au jugement dernier. C’est là la solution la plus sage qui mène à bonne fin »153. Ce qui
est confirmé par le prophète Mohammed quand il dit : « Ne dois-je pas attirer votre
attention sur les plus graves des péchés capitaux ?... l’associationnisme et la
désobéissance envers père et mère ! ». Qui réaffirme la parole de Dieu dans le Coran qui
dit « Et rappelle-toi, lorsque nous avons pris l’engagement des enfants d’Israël de
n’adorer qu’Allah, de faire le bien envers les pères et les mères, les proches
parents… »154.
153
Le Coran Sourate 4, Verset, 59.
154
Le Coran, Sourat 2, Verset 83.
54
Paragraphe 2 : Une protection renforcée au lendemain de l’indépendance.
131. Dès son indépendance, le législateur marocain a opté pour la promulgation d’un
code unique afin d’harmoniser la loi applicable en matière familiale à tous les Marocains
musulmans155. La promulgation du premier statut personnel, était principalement
caractérisée par l’influence de la forme du pouvoir monarchique ainsi que celui de la
religion musulmane. En effet, toutes les réformes par lesquelles est passé le statut
personnel ont montré l’importance que possède le pouvoir monarchique dans la figure du
Roi en son rôle de chef des croyants ; un pouvoir qui justifie son intervention dans la
gestion de la matière familiale. Ce rôle est clairement défini par la religion musulmane,
qui donne aux dirigeants musulmans un pouvoir élargi afin de prendre les bonnes
décisions et de gouverner la communauté des croyants avec les commandements de Dieu.
À partir de ce principe toutes les révisions qu’a connues le code du statut personnel
depuis sa promulgation ont visé l’amélioration et la modernisation de ce dernier tout en
restant conforme aux règles du droit musulman.
132. La codification du droit de la famille au Maroc, à l’image d’autres pays africains au
lendemain de l’indépendance a été un choix stratégique de la part des dirigeants afin de
réunir les fractions nationales qui existaient pendant la période coloniale. En effet, la
codification ne fut qu’une simple restriction des règles classiques du droit musulman qui
se base sur un fond traditionnel enveloppé dans un cadre moderne. Le cadre traditionnel
de la codification a gardé une référence et une fidélité au rite malékite, ce qui limitait le
champ d’action des juristes156. Cette limite se traduira dans l’élaboration d’un code de
statut personnel rigoriste, avec le maintien de la polygamie dans l’article 29, le maintien
de la répudiation sans garantir à la femme des droits, le maintien de l’autorité du mari
dans le mariage qui doit veiller à l’entretien et l’égalité entre les épouses, le mariage
comme cadre légal de la filiation et d’autres cas que nous évoquerons plus tard. Ainsi, le
texte précise le renvoi à la jurisprudence du rite malékite en cas de vide ou de lacunes
juridiques. C’est à partir de cette base traditionnelle que le Maroc a commencé un long
parcours de réformes mené par les réformistes de visions modernes afin de réussir son
processus de renouvellement.
133. Il est évident que la norme juridique est clairement soumise à une double référence
d’abord religieuse ensuite politique ; de nombreuses ambiguïtés peuvent apparaître
malgré les tentatives de les estomper. Ces tentatives ont été principalement menées par
des féministes qui visaient l’amélioration de la situation de la femme au Maroc. Le
mouvement réformiste présidé principalement par des associations féministes157, visait
principalement une égalité entre l’homme et la femme sans pour autant évoquer
explicitement les droits de l’enfant.
155
En matière de statut personnel, la communauté juive continue jusqu’à présent de se référer à la législation hébraïque.
156
Faiza TOBICH, Les statuts personnels dans les pays arabes : de l’éclatement à l’harmonisation, Presses
Universitaires d’Aix-en-Provence, PUAM, 2008, p. 58.
157
Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, plusieurs femmes se sont regroupées au sein d’un mouvement afin
de contester les injustices qu’elles subissaient et demander une réforme du statut personnel existant.
55
Cependant, le contexte des droits de l’enfant en droit marocain connaît aussi une
complexité dans l’établissement d’une universalité des droits, étant donné la référence au
droit musulman qui peut être une source de complexité. En outre, comme nous l’avons
déjà remarqué, la complexité ne réside pas dans le droit musulman sachant que ce dernier
a une conception spécifique de la protection de l’enfant au sein de la famille et de la
société en général. Mais la difficulté réside dans la délimitation de la norme positive par
la vision ou la pensée musulmane étant donné que ce dernier joue un rôle primordial pour
le législateur marocain.
Afin de mieux saisir la place que l’enfant ait occupée dans le mouvement de la
codification, il serait judicieux de se pencher sur le cadre de la promulgation de l’ancien
code marocain depuis 1957 jusqu’à sa dernière réforme de 2004 (A), pour ensuite saisir la
complexité de la double référence du droit de la famille en droit marocain (B).
56
De plus, un événement crucial va permettre l’accélération de la réforme, c’est celui des
attentats du 16 mai 2003 qui va donner au Roi la possibilité d’exercer son pouvoir
politique en tant que gardien de la démocratie et protecteur de la société 160.
160
Faiza TOBICH, L’harmonisation des statuts personnels dans les pays arabes, op, cit, p. 76.
161
Ibid.
162
Cette légitimité du Roi-sultan écrit Mohamed TOZY : « Le Roi sultan dans sa quête de légitimité religieuse réécrite
et aseptise, combine avec un certain savoir-faire les registres hagiographiques, juridiques et théologiques. Cela dans
deux directions : politique (affaiblissement des clercs et entretien du pluralisme religieux) et doctrinale (monopolisation
de l’interprétation de la religion et sacralisation de la personne du descendant du prophète) », Mohamed TOZY,
Monarchie et islam politique au Maroc, Presse de la fondation nationale des sciences politiques Paris, 1999, p. 20.
163
Une grande figure du parti d’istiqlal (indépendance) qui va remplacer M. Driss DEHAK.
57
137. Il est évident que la réforme de 2004 a porté en elle deux grands aspects
d’évolution : l’égalité des sexes et la protection de l’enfance. L’harmonisation de la
norme religieuse avec celle juridique a permis la libération de la femme de la domination
de l’époux afin de créer un couple équilibré dans les conditions du mariage et la gestion
des affaires familiales. Par ailleurs, malgré les efforts, cette réforme sera également
marquée par le maintien de nombreuses pratiques qui font clairement référence à la
religion et dont le législateur n’a pas pu les modifier ou utiliser la méthode de l’ijtihad
notamment pour les pratiques qui sont explicitement autorisées dans le texte coranique
dont la polygamie et le droit des successions. En ce qui concerne la première, le
législateur fait l’effort de réglementer la pratique et de donner au juge un rôle majeur
dans son autorisation. En ce qui concerne les successions, le législateur s’est affronté à un
texte dont les dispositions sont clairement expliquées dans le Coran. Ainsi, en ce qui
concerne cette question, le législateur ne va rien changer en la matière.
138. Il est important de mettre la lumière sur un point qui pèse sur l’évolution du droit de
la famille et qui laisse une certaine résistance en la pratique de ce droit. En effet, dans une
société comme le Maroc où la religion musulmane et la tradition restent ancrées dans la
conscience de chaque membre de la société, il est difficile de parler de changement ou de
tout acte contraire aux mœurs et aux cultures164. Par conséquent, toute révision du droit
de la famille était perçue comme un outrage à la norme et à l’héritage culturel qui reste
conservateur.
Cette vision conservatrice de la famille se traduit dans le refus de la société marocaine
d’accepter le changement de la famille classique considérée comme la famille large qui
lutte contre l’individualisation des droits de ses membres, et d’accepter l’existence de la
famille moderne à l’image de celle occidentale ; un paradoxe qui reflète la grande
difficulté de réformer un droit familial à une double référence.
164
Khouloud BENTAYEB, La réforme du divorce en droit marocain : entre traditions religieuses et influences
occidentales, Mémoire, Université catholique de Louvain, 2015, p. 43.
58
B- La complexité de la double référence juridique des droits de l’enfant.
139. Le droit musulman constitue jusqu’à présent une source principale pour les droits de
l’enfant. Le législateur marocain a modernisé ce droit à travers l’intégration du droit
positif qui comprend les lois constitutionnelles, les traités internationaux et les lois
ordinaires. Ainsi, le législateur a tenté de réglementer la question des droits de l’enfant
d’une façon originale, marquée d’un caractère composite entre la norme du droit
musulman et celle du droit positif. Cette composition tient son origine de l’histoire du
pays et ce, depuis le protectorat en 1912. Avant cette époque, le Maroc se basait
uniquement sur le droit musulman afin de régir toutes les matières juridiques : le droit
des contrats, le droit commercial, le notariat, le statut personnel et la hisba 165. Par
ailleurs, à partir du protectorat, le droit marocain va connaître un bouleversement
juridique avec l’adoption d’un certain nombre de règles inspirées directement du droit
français166et seul le statut personnel et le droit successoral, les questions relatives aux
immeubles non immatriculés et au waqf, resteront régis par le droit musulman. En outre,
à l’indépendance, l’État marocain ne va rien changer à cette situation. En effet, le statut
personnel a connu une codification assez complexe qui se base sur le texte divin mais
aussi sur la jurisprudence du rite malékite, ce qui explique la difficulté de mettre en avant
des réformes qui améliorent les textes concernant la femme et l’enfant.
165
Hanane ELQOTNI, thèse, op. cit., p. 159.
166
De nombreux textes ont vu le jour à partir de cette époque: Un Dahir du 12 août 1913 sur la condition des Français
et des étrangers au Maroc ; Dahir du 12 août 1913 formant le code de procédure civile ; Dahir 12 août 1913 pour le
code de commerce ; Dahir dans la même année sur l’immatriculation foncière ; le code de commerce maritime du 31
mars 1919 ; Le code foncier du 2 juin 1915 ; le code minier par le Dahir du 15 septembre 1923 et bien d’autres. Ainsi,
il est à noter que ces règles ont été appliquées sur les Marocains alors qu’au début elles étaient appliquées uniquement
sur les étrangers ou sur les Marocains qui ont des rapports avec les Français. Ahmed CHERKAOUI « L’évolution du
droit marocain à travers la législation », Revue juridique, politique et économique du Maroc, n°10, Rabat, 1981, p. 171.
167
Dans l’article 106 de la constitution de 1996, il est clairement précisé que les dispositions relatives à la religion
musulmane ne peuvent faire l’objet d’une révision constitutionnelle.
168
Dans la constitution Marocaine de 1996, l’islam est la religion de l’État qui garantit à tous le libre exercice des
cultes.
169
La constitution Marocaine de 2011, art. 3.
170
La constitution Marocaine 2011, Préambule.
59
En effet, ce rôle exercé par l’État a été renforcé par l’influence occidentale ; le droit
musulman et l’Islam vont être considérés comme des affaires d’État 171. Cette vision est
aussi renforcée avec un pouvoir de la monarchie en la personne du Roi.
141. Ainsi, à travers la légitimité de la monarchie et du monarque en tant que
commandeur des croyants, le droit musulman se trouve soumis aux directives du Roi
avec la consultation des oulémas. Par cette confirmation constitutionnelle de l’État,
l’importance de la référence religieuse malgré sa différente prise en compte est explicite
dans tous les domaines du droit, même dans les domaines où elle n’est pas appliquée
directement représentant une source d’inspiration172.
Cependant, pour l’État marocain l’aménagement de la norme religieuse et du droit positif
paraissent clairement difficiles dans les textes juridiques en général et en droit de la
famille en particulier. Il est clair que, contrairement à d’autres pays arabes qui ont le droit
musulman comme seule source du droit et où les textes de la sharia s’appliquent
directement, le choix du Maroc est différent.173 En effet, avoir le droit musulman comme
source pour le législateur marocain signifie avoir ce droit comme une source d’inspiration
et un esprit général. Par ailleurs, l’essai de nombreux pays arabes comme les pays du
Maghreb en général, dont le Maroc, trouve sa difficulté dans cette caractéristique
complexe où il est délicat de séparer la norme juridique de la norme religieuse. De plus,
il est à noter que le législateur marocain tente toujours d’avantager la norme juridique
afin de moderniser les règles de la sharia et du fiqh.174
142. Cet aménagement peut prendre deux formes : soit celle d’une intégration
catégorique de la norme religieuse comme l’exemple de mentionner la religion de l’État
dans la constitution, – ce qui confirme la référence explicite au droit musulman et justifie
la présence du droit musulman dans de nombreuses lois –, soit de séparer la norme
religieuse de la norme juridique en fonction des domaines. En effet, le législateur
marocain a déjà fait le choix de séparer le rôle de la religion selon les domaines, en
modernisant de nombreux secteurs tel que le droit commercial, le droit pénal, le Code
civil, etc., tandis que pour le droit de la famille en général ainsi que quelques secteurs
traditionnels, le législateur fait le choix de garder le droit musulman comme référence
mais aussi comme la base principale de réglementation175. Un autre exemple tenté par le
législateur marocain se base sur la combinaison claire entre les deux normes afin que ça
soit dans l’intérêt politique et stratégique de l’État comme l’exemple de la Baya’a.
171
Stéphane PAPI, p. 443.
172
Layachi MESSAOUDI, Grandeur et limites du droit musulman au Maroc, RIDC, 1995, p. 151.
173
Dans le monde arabe, la référence religieuse diffère d’un pays à un autre. Certains pays exigent la conformité de la
loi de la sharia avec leurs lois, d’autres prennent cette référence en tant que source d’inspiration pour le législateur.
174
Il est important de souligner qu’actuellement au Maroc les lois applicables sont celles établies par le législateur qui
puise ces lois dans la référence au droit musulman, considéré comme une référence nationale ainsi que dans les
conventions et les traités internationaux qui sont ratifiés par le Maroc et qui sont marqués par un aspect laïque.
175
Le choix du législateur marocain de moderniser quelques domaines à travers l’application du droit positif crée
quelques discriminations dans de nombreuses situations notamment dans le cas du non-recours de la personne au droit
positif ; le recours est clairement fait pour le droit musulman. Ainsi que pour d’autres questions, le droit musulman
reste le seul droit qui maintient la situation en absence du droit positif.
60
La complexité de trouver un aménagement entre les deux normes apparaît clairement
dans les lois, avec l’absence d’une seule méthode explicite pour cet aménagement ce qui
crée une pluralité dans le système juridique et rend assez difficile l’interprétation et
l’application par les juristes176.
Il est évident que le droit musulman marque le droit de la famille dans l’ensemble des
pays arabes, notamment le droit marocain (malgré la réforme de 2004) considéré par un
grand nombre de juristes marocains comme révolutionnaire pour la protection de la
famille et de l’enfant. Le droit musulman continue d’irriguer l’ensemble du texte du droit
de la famille dans une influence directe, explicite et vaste.
143. La latitude donnée au droit musulman par le législateur est claire puisque en cas de
silence du texte, le législateur précise et insiste dans l’article 400 du code de la famille,
sur l’obligation du juriste de se référer au droit musulman et au rite malékite ou à la
jurisprudence (ijtihad). Cette référence est aussi confirmée dans le préambule du code de
la famille avec le recours au discours royal qui insiste sur l’obligation de garder à l’esprit
la source de l’islam pour tout jugement rendu 177. Ce recours au droit musulman comme
nous l’avons déjà précisé est avant tout une volonté souveraine qui veille au respect de
l’islam.
144. Par ailleurs, ce renvoi au droit musulman et son application ne sont pas identiques
pour l’ensemble des membres de la famille. En effet, les règles changent et les degrés de
la prise en compte du droit musulman diffèrent par rapport à chaque situation juridique
des membres de la famille ; elle peut être explicitement détaillée comme elle peut être
symbolique. En droit marocain, les questions qui ont le plus gardé les dispositions du
droit musulman et qui ont marqué la dernière réforme de 2011 sont principalement celles
du mariage, du divorce et de la filiation. Comme nous l’avons précisé au début de ce
chapitre, le mariage est l’une des institutions qui a gardé une marque réelle du droit
musulman à partir des fiançailles (promesse du mariage) jusqu’à la conclusion de l’acte
du mariage178. Ainsi, la totalité des articles du code de la famille qui traitent la question
attestent que le législateur ne s’est pas éloigné du cadre religieux en la matière.
145. Néanmoins, en ce qui concerne le divorce, le législateur a pu intégrer la norme
juridique en avantageant l’intervention du juge dans la procédure du divorce, ce qui a
affaibli le caractère religieux de l’institution. Cependant, l’attachement du législateur au
droit musulman est clair dans le texte réformé. À savoir qu’il s’agit d’une réforme qui
touche plus la forme que le fond de l’institution ; l’abandon des qualificatifs de la
dissolution du mariage utilisés en droit musulman en les remplaçant avec d’autres termes
notamment avec l’exemple de la répudiation qui est maintenue malgré les revendications
des féministes de la supprimer 179.
176
Les juristes connaissent une difficulté qui se traduit dans l’application des lois, selon la formation des juges, la
région, la religion et le mode de travail dominant. Laraychi MESSAOUDI, op. cit., p. 147.
177
Code de la famille marocain de 2004.
178
Toutes les conditions de la conclusion du mariage gardent le caractère du droit musulman.
179
La répudiation est maintenue dans l’article 78 du code de la famille sous le vocable de : Divorce sous contrôle
judiciaire. Caroline HENRICOT, L’application du code marocain de la famille, à la croisée des jurisprudences belge et
marocaine en matière de dissolution du mariage, in : journal des tribunaux, n°6449, p641.
61
Toutefois, la volonté du législateur de moderniser et de mettre en place la règle juridique
est considérée comme une avancée avec l’apparition du divorce par consentement mutuel
qui est prévu dans l’article 114 du Code marocain de la famille. Un article qui permet de
mettre en avant le principe de l’égalité entre un homme et une femme et de donner la
possibilité au couple de se mettre d’accord pour divorcer.
Cette méthode est considérée comme nouvelle et méconnue par le droit musulman,
cependant c’est loin qu’elle puisse représenter un vrai progrès, étant donné que la
jurisprudence démontre qu’« il y a un décalage entre la formulation libre, volontaire et
égalitaire qui aurait dû faire de ce divorce un mode civilisé et respectueux de dissolution
du mariage, et une pratique qui semble parfois assimiler le divorce par consentement
mutuel au divorce khôl »180. Une autre question marquée par le maintien explicite de la
norme religieuse est celle du sujet de la filiation. Le législateur marocain n’a accordé
aucune modification en ce qui concerne les dispositions sur la filiation qui ont gardé les
mêmes appellations : Nasab, Alfirach, Iqrar, Choubha, Istilhak, Liâane. Malgré les
quelques modifications apportées dans le code de la famille, la question de la filiation
reste l’une des questions avec laquelle le législateur a eu le plus de difficulté à modifier
vue la force de la référence au droit musulman. En outre, avec une lecture stricte du droit
musulman, même le travail de réflexion « Al ijtihad » reste difficile pour les praticiens181.
Nous consacrerons un chapitre au cours de la deuxième partie à la question de la filiation
afin de détailler la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant en droit marocain. Il est
important de souligner que le droit musulman ne constitue pas une source directe en ce
qui concerne la protection des droits de l’enfant en général mis à part la question de la
filiation et de la garde (Al Hadana) dont le code marocain de la famille s’inspire pour
quelques obligations182. Ceci est clairement démontré dans les divergences qu’entretient
le code de la famille avec le droit musulman. En effet, si l’enfance en droit musulman
débute de l’embryon jusqu’à la puberté, le code de la famille ne définit pas l’enfant ou
l’enfance mais il fixe l’âge de la majorité à 18 ans et considère que l’enfance est
l’ensemble de la période depuis la naissance jusqu'à la majorité.
De plus, le code marocain de la famille n’attribut aucun statut juridique à l’enfant avant
sa naissance et ne précise dans aucun de ses articles une référence aux droits de l’enfant
avant la naissance auxquels le droit musulman donne une grande importance. Le choix du
législateur marocain d’orienter les règles de la protection des droits de l’enfant vers le
droit positif et de ne pas accorder à l’enfant des droits pendant cette période à l’exception
de l’alinéa 1 de l’article 54 du code de la famille qui insiste sur le fait d’assurer leur
protection et de veiller à leur santé depuis la conception jusqu’à l’âge de la majorité ».
180
Caroline HENRICOT, op. cit. p. 10. Thèse Lyon.
181
De nombreuses associations féministes estiment que le Maroc a raté son rendez-vous avec l’évolution de la famille
et de la société en général à travers la réforme de 2011 en refusant de briser la sacralité de la question de la filiation, et
de garantir à l’enfant une protection complète au sein de la société.
182
L’article 54 du code de la famille énumère les devoirs des parents à l’égard de leurs enfants.
62
Par ce choix, le législateur a tranché en laissant les règles du droit musulman de côté, en
les considérant d’ordre moral et religieux sans plus et en ôtant le caractère juridique et
obligatoire à ces règles. Ce choix a facilité au Maroc l’harmonisation du droit national de
la famille en général et ceux de la protection des droits de l’enfant en particulier avec les
règles du droit international et de toutes les conventions que le Maroc a ratifiées. En
outre, il a permis au législateur d’intégrer la protection des droits de l’enfant dans le code
de la famille à travers :
63
64
Chapitre II : La place des conventions internationales.
146. Une des notions les plus glorieuses que le monde a connue est celle des Droits de
l’Homme. Cette notion a permis la naissance des droits fondamentaux de chaque
personne, à travers les dispositions des instruments internationaux qui ont constitué un
grand bouleversement d’abord en Occident et puis dans d’autres sociétés qui ont accepté
de signer et de ratifier ces instruments. En effet, ces derniers ont poussé la réflexion sur
l’humain en général et sur l’enfant en particulier. De plus, les transformations politiques,
économiques et sociales ont affecté la conception des droits de l’Homme. Ces
instruments sont composés de ceux de portée générale qui ont touché indirectement
l’enfant et qui ont permis l’accélération de la naissance des textes spécifiques à chacun
notamment ceux relatifs aux droits de l’enfant. Ainsi, pour les premiers, leur généralité
relative aux droits de l’homme et à valeur déclarative a mis en place une difficulté de
reconnaissance à la spécificité de l’enfant.
65
Section 1 : L’intégration des conventions internationales comme une garantie
formelle des droits de l’enfant.
150. Ainsi, de nombreuses conventions mises en place sont considérées comme des
facteurs d’accélération de la protection des droits de l’enfant dans la plupart des pays
signataires. En effet, l’intégration de ces conventions en droit interne permet une grande
évolution dans les différentes branches de droit qui concernent l’enfant notamment le
droit de la famille (Paragraphe 1). Cependant, le contexte historique et culturel influence
clairement l’adoption de ces conventions ainsi que l’application de leurs règles. Par
ailleurs, elles sont considérées dans les deux systèmes juridiques telle une garantie
formelle de la protection des droits de l’enfant. Toutefois, l’engagement capital pour ces
Etats dans l’objectif de garantir une meilleure protection des droits de l’enfant est celui de
la CIDE et son exclusivité à l’égard des droits de l’enfant (Paragraphe 2).
66
Paragraphe 1 : La protection des droits de l’enfant au regard des conventions
internationales.
152. La diversité de ces textes touche également leurs rôles qui se répartissent en deux
catégories. D’une part, il y a les textes qui incitent les États parties à modifier leurs
législations internes en les invitant à intégrer et à veiller au respect des normes de la
convention. D’autre part, on retrouve les textes qui gardent un caractère international et
qui mettent en place des règles afin de répondre aux conflits de lois et de juridictions qui
peuvent exister entre les États notamment l’exemple des conventions de La Haye.
183
Hugues FULCHIRON, L’enfant et les conventions internationales, sous la dir de Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI
et Rainer FRANK, Presse universitaires de Lyon, 1996, p. 19.
67
A- La ratification des conventions internationales et la spécificité du régime Marocain.
153. La reconnaissance des droits de l’enfant est passée par de nombreuses étapes qui ont
marqué son histoire d’évolution. En effet, les premiers instruments juridiques
internationaux qui touchaient d’une manière directe ou indirecte l’enfant étaient
considérés comme des textes à valeur déclarative et générale qui ne présentaient aucun
caractère contraignant 184. Ainsi la mise en place des Nations Unies en 1945 a été
accompagnée avec l’adoption de nombreux textes qui affirmaient l’obligation du respect
des droits de l’Homme en général. Ces textes représentaient des instruments sûrs qui
valorisent l’être humain et la protection de ses droits.
154. En France, la question des droits de l’Homme est considérée comme ancienne et
découle d’un long processus d’évolution qui a débuté avec le siècle des Lumières en
passant par la Révolution française puis en affirmant les principes de la Déclaration des
droits de l’Homme et des citoyens de 1789 pour arriver à la Déclaration universelle des
droits de l’Homme. Ces éléments ont permis à la France et à tous les pays occidentaux de
manière générale de développer les principes des droits de l’Homme à travers de
nombreux mécanismes. Par ailleurs, la question des droits de l’Homme dans le monde
arabe en général et au Maroc en particulier est estimée comme récente. En effet, sa
nature, son origine et son émergence ont connu un contexte diffèrent. Le régime marocain
a, depuis l’indépendance, tenté de caractériser la transition politique et démocratique par
l’affirmation de la notion des droits de l’Homme, une notion qui est restée longtemps un
tabou social et politique et qui a présenté un enjeu pour le pays.
155. Le Maroc, depuis 1956, a participé et adhéré à un large dispositif conventionnel qui
a été adopté aussi bien dans un cadre régional qu’universel. Pour cela, il est important de
souligner le rythme accéléré du Maroc dans la ratification des traités internationaux afin
de démontrer la volonté politique de s’engager dans le changement et le développement
du respect des valeurs universelles des droits de l’Homme. Cette adhésion se traduit aussi
à travers le nombre de conventions bilatérales qui permettent d’évaluer le niveau
d’adhésion du Maroc aux valeurs universelles185. Ainsi, la souscription du Maroc aux
différents textes internationaux met en évidence la valeur de ces instruments clairement
introduits dans le droit interne du pays. Par conséquent, l’intégration de ces textes a aussi
été influencée par le contexte historique, culturel et surtout religieux du royaume.
156. Deux grands acteurs ont permis la préparation politique et sociétale pour le
renforcement des droits de l’Homme : tout d’abord, l’image de la monarchie sur le plan
international à travers la volonté et les réalisations des trois monarques depuis
l’indépendance, puis la naissance des partis politiques notamment ceux issus du
mouvement anticolonial.
184
Jean. FERNAN-LAURANT, Les droits de l’homme, fondement de toute éthique et de toute idéologie : De la
déclaration française à la déclaration universelle in Commission Nationale consultative des droits de l’Homme, 1989,
Les droits de l’homme en question, LA DOCUMENTATION FRANCAISE, Paris, 1989, p. 214.
185
C. SERGUINI, Le Maroc et les règles internationales des droits de l’Homme, in Driss. BASRI, Le Maroc et les
droits de l’Homme, positions et perspectives, L’Harmattan, Paris 1994, p. 286.
68
Afin de comprendre la question de l’adhésion du Maroc aux principes et aux valeurs des
droits de l’Homme à travers les nombreuses conventions qu’il a signées et ratifiées, il est
important de mettre la lumière sur la spécificité du régime marocain dans l’intégration
des principes internationaux dans la constitution et dans le droit interne. Le Maroc a
connu six constitutions à travers lesquelles le royaume a insisté sur sa prise en compte des
principes universels des droits de l’Homme. Ainsi, durant le règne des trois monarques, la
question des droits de l’Homme a toujours représenté une priorité. De plus, le Roi est
considéré comme un acteur principal dans l’instauration et le développement des droits
de l’Homme dans le pays ; cette domination du Roi confirme sa légitimité en tant que
commandeur des croyants et représentant suprême de la nation. C’est un rôle qui a été
explicitement introduit dans les anciennes constitutions186. En effet, la politique des trois
monarques dans l’instauration d’un État de droit débutait tout d’abord par l’adhésion de
l’appareil étatique aux conventions internationales, avec la conservation de la spécificité
du système politique.
157. Dans les constitutions antérieures à celle de 2011, la ratification des conventions
internationales était principalement attribuée au chef d’État dans sa qualité de
représentant suprême de la nation ainsi que pour son statut religieux du commandeur des
croyants. La concentration et l’unité du pouvoir en la personne du Roi influençaient
clairement les décisions étatiques dans la ratification des conventions. Cependant, cette
situation a connu un grand changement à l’avènement du nouveau texte. En effet, le rôle
du Roi en la matière a connu quelques modifications : désormais la dernière constitution
a renforcé les compétences législatives et de nombreuses dispositions ont renforcé les
compétences du parlement notamment en matière de loi187. Ce renforcement permet
dorénavant au parlement de ratifier certaines conventions internationales comme « les
Traités de paix ou d’union ou ceux relatifs à la délimitation des frontières, les traités de
commerce ou ceux engageant les finances de l’État ou dont l’application nécessite des
mesures législatives ainsi que les traités relatifs aux droits et libertés individuelles ou
collectives des citoyennes et des citoyens »188. Cependant, malgré la réforme portée par la
constitution sur la délégation du rôle du roi dans la ratification des textes internationaux,
l’accord de ce dernier reste obligatoire et influence clairement les choix du royaume dans
l’harmonisation du droit interne avec les principes internationaux.
Ainsi, Il est évident que l’adhésion aux textes internationaux influence clairement le droit
interne ; cette influence peut être évidente dans l’intégration explicite d’un principe
universel dans le droit positif ou indirecte par le biais de moderniser l’esprit des lois
réformées après la ratification d’un texte international. L’influence directe ou indirecte
des textes internationaux demeure difficile à définir dans le système juridique marocain.
186
Dans l’ancienne constitution de 1994, l’article 19 énonce que « Le Roi, Amir Al Mouminine, représentant suprême
de la nation, symbole de son unité, garant de la pérennité et la continuité de l’État, veille au respect de l’islam et de la
constitution. Il est le protecteur des droits et libertés des citoyens, groupes sociaux et collectivités. Il garantit
l’indépendance de la nation et l’intégrité territoriale du Royaume dans ses frontières authentiques ».
187
Omar BENDOUROU, La nouvelle constitution Marocaine du 29 juillet 2011, Revue française de droit
constitutionnel, n°19, 2012/3, p. 527.
188
Article 55 de la constitution Marocaine de 2011.
69
En effet, pour qu’un texte international ratifié soit intégré dans le droit interne, il est
important de comprendre le rapport de la norme internationale et la position des
juridictions nationales ainsi que la suprématie de la norme internationale sur l’ordre
juridique interne.
158. Si, en droit français, l’applicabilité des conventions internationales est précise et
clairement interprétée par le conseil de l’État notamment après le tournant jurisprudentiel
de 2012, en droit marocain la question a toujours été complexe. En effet, dans l’ancienne
constitution, la question de la suprématie des textes internationaux demeurait imprécise
sur l’autorité du droit international, bien que dans son préambule, l’affirmation de la prise
en compte des conventions et des traités internationaux reste ambiguë et non explicite 189.
Par ailleurs, la constitution de 2011 a rompu avec les anciens textes en la matière. Le
texte confirme clairement dans son préambule ce qui suit : « État musulman souverain,
attaché à son unité nationale et à son intégrité territoriale, le Royaume du Maroc entend
préserver dans sa plénitude et sa diversité, son identité nationale unie et indivisible (…)
le Royaume du Maroc État uni, totalement souverain appartenant au grand Maghreb,
réaffirme ce qui suit et s’y engage (…) accorder aux conventions internationales dûment
ratifiées par lui, dans le cadre des dispositions de la constitution et des lois du Royaume,
dans le respect de son identité nationale immuable, et dès la publication de ces
conventions, la primauté sur le droit interne du pays, et harmoniser en conséquence les
dispositions pertinentes de sa législation nationale »190.
En effet, par la réforme constitutionnelle de 2011, le Maroc a confirmé sa volonté
d’intégrer le droit international comme une source interne qui permet le meilleur respect
des valeurs universelles. Cependant, la suprématie du texte international n’est pas
automatique, étant donné qu’elle doit répondre à un nombre de conditions mentionnées
dans la constitution marocaine, notamment : la ratification des textes internationaux, le
respect de l’identité nationale et la publication. Ces mécanismes sont considérés par de
nombreux auteurs et acteurs associatifs comme des limites dogmatiques à l’alignement
sur les conventions internationales. Ainsi, la complexité de l’intégration des conventions
internationales dans le droit interne est claire dans les modalités d’intégration citées dans
l’article 55 de la constitution191 qui confirme que les conventions internationales ne sont
ratifiées qu’après l’approbation de la loi.
189
La suprématie d’un texte international sur le droit interne ne se manifeste pas clairement, par exemple : « la
possibilité d’une personne de faire valoir, devant une juridiction interne un droit que lui confère une convention
internationale reste difficile à réclamer » in Pierre. MAYER, L’applicabilité directe des conventions internationales
relatives aux droits de l’Homme, in Delmas-Marty, Claude Lucas. LEYSSAC, Liberté et droits fondamentaux, Editions
du seuil, 1996, Collection Inédit-Essais, P. 205.
190
Préambule de la constitution marocaine de 2011.
191
Article 55 de la constitution marocaine de 2011 : « Le Roi accrédite les ambassadeurs auprès des États étrangers et
des organismes internationaux. Les ambassadeurs et les représentants des organismes internationaux sont accrédités
auprès de lui. Il signe et ratifie les traités. Toutefois, les traités de paix ou d’union ou ceux relatifs à la délimitation des
frontières, les traités de commerce ou ceux engageant les finances de l’État ou dont l’application nécessite des mesures
législatives, ainsi que les traités relatifs aux droits et libertés individuelles ou collectives des citoyennes et des citoyens,
ne peuvent être ratifiés qu’après avoir été préalablement approuvés par la loi. Le Roi peut soumettre au parlement tout
autre traité ou convention avant sa ratification. Si la cour constitutionnelle, saisie par le Roi ou le chef du
gouvernement ou le président de la chambre des conseillers ou le sixième des membres de la première chambre ou le
quart des membres de la deuxième chambre, déclare qu’un engagement international comporte une disposition
contraire à la constitution, sa ratification ne peut intervenir qu’après la révision de la constitution ».
70
Ce qui signifie que la convention internationale ne produit d’effet direct qu’à partir du
moment où celle-ci est reprise par une loi. Cette complexité ouvre un autre débat que
nous allons étudier plus tard, qui est le rôle du juge et son interprétation de la norme
internationale.
159. Concernant les conventions internationales, La France comme le Maroc a signé et
ratifié la majorité des instruments internationaux, notamment le premier instrument
juridique qui met en évidence la protection des droits de l’Homme qui est la Charte des
Nation Unies192 adoptée en 1945. À travers ce texte l’organisation des Nations Unies a
confirmé la naissance d’un instrument juridique international que reconnaissent les droits
fondamentaux de l’Homme, en obligeant les pays membres à respecter et à mettre en
évidence les valeurs proclamées par le texte.
160. L’émergence de ce texte international est considérée comme le fondement de tout
autre instrument qui a suivi. Un texte qui a permis la mise en place des jalons des droits
de l’Homme en incitant « au respect et à la reconnaissance de la dignité humaine, de
leurs droits égaux, de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde »193. Un autre
texte adopté et promulgué le 10 décembre 1948194 par la communauté internationale est la
Déclaration universelle des droits de l’Homme (ci-après la DUDH). Un texte qui vient
confirmer les principes de base de la dignité humaine et du respect des droits de l’Homme
dans les pays signataires. Cependant, ce texte a fait l’objet de nombreux reproches. Ces
derniers concernent d’abord sa valeur juridique qui demeure générale et déclarative, et
son caractère universel qui remet en question l’efficacité de ses droits proclamés 195.
161. D’autres reproches concernent l’absence de précision sur les droits spécifiques à la
personne de l’enfant. En effet, la DUDH n’expose pas explicitement les droits de l’enfant
dans le texte, mais ils sont plutôt introduits dans certains articles qui sont marqués d’un
caractère général. Ainsi, la déclaration énonce dans son premier article que tous les êtres
humains naissent libres et égaux en dignité et en droits (…) (ART. 1) ; que chacun peut
se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamées dans la déclaration, sans
distinction aucune notamment de race, de couleur, de sexe…, de religion…, de
naissance… (ART. 2) ; tout individu a droit à la vie (ART. 3) ; la famille est l’élément
naturel et le fondement de la société et a droit à la protection de la société (ART. 16 al.
3). D’autres articles traitent la maternité et l’éducation de l’enfant (ART. 25-26)196.
192
Texte Disponible sur : https://www.un.org/fr/about-us/un-charter
193
Claude Lucas. LEYSSAC, Mireille. DELMAS-MARTY, Libertés et droits fondamentaux, Paris, 1ère édition, Seuil,
1996, pp. 135-232.
194
Sur 56 États à la cession élective de l’ONU, 48 ont voté POUR, Zéro CONTRE et 8 abstentions.
195
De nombreux auteurs considèrent que la DHDH n’est pas un instrument juridique, notamment M. FERNAND-
LAURANT qui se base sur un des discours prononcés par l’un des fondateurs et rapporteur du groupe de rédaction de
la commission de droits de l’homme CASSIN René qui insiste sur la valeur morale de la DUDH et qui la considère
comme un programme d’action et un document à caractère éthique et pédagogique in Jean. FERNAND-LAURANT,
Les droits de l’homme, fondement de toute éthique et de toute idéologie : De la déclaration française à la déclaration
universelle, pp. 213-214.
196
Il est important de préciser que la majorité des pays arabes ont relevé la non-conformité de certains articles avec
leurs législations, notamment ceux qui évoquent le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ou de
conviction ainsi que la liberté de manifester une religion autre que l’islam… ce qui implique le droit de changer de
religion chose interdite dans les pays d’Islam.
71
162. L’absence du caractère juridique et obligatoire de la DUDH va pousser
l’Organisation des Nations Unies à adopter d’autres textes internationaux à caractère
obligatoire à l’égard des États parties afin de combler ce vide juridique. De plus,
l’ensemble des textes élaborés et adoptés seront des textes qui touchent de manière
directe ou indirecte les droits de l’enfant. Ainsi est le rôle des pactes internationaux
relatifs aux droits de l’Homme de 1966. En effet, il s’agit du pacte international des droits
civils et politiques (PIDCP) et du pacte international des droits économiques, sociaux et
culturels (PIDESC) qui vont marquer l’histoire des droits de l’Homme et qui seront
considérés comme un tournant important au niveau international, spécialement pour les
États qui ont ratifié ces deux pactes. Ces deux deniers vont mettre en évidence la valeur
accordée à l’individu au sein de la société en invoquant de nombreux droits spécifiques.
163. En ce qui concerne le PIDCP, de nombreuses règles qui visent l’enfant en tant
qu’être humain vont voir le jour à travers ce pacte qui engage juridiquement les États
parties à respecter et à garantir les droits de l’enfant. En outre, deux articles visant
principalement l’enfant sont : l’article 23 paragraphe 1 qui porte directement sur l’enfant
au sein de sa famille, en précisant que la famille est l’élément naturel et fondamental de la
société et a droit à la protection de la société et de l’État, de même que la reconnaissance
de l’égalité des droits entre l’Homme et la femme dans le mariage et en cas de sa
dissolution, avec la référence à la protection de l’enfant ; l’article 24 qui précise que tout
enfant sans aucune discrimination a droit à une protection à travers les mesures adaptées
prises par l’État et la famille, notamment son droit à l’enregistrement immédiat après sa
naissance, à avoir un nom et à acquérir une nationalité197.
Au sein du PIDESC, qui représente un élément juridique contraignant pour les États
parties, la question des droits de l’enfant est traitée de manière claire dans de nombreux
articles. L’article 10 traite les droits sociaux de la famille par le biais de quelques règles
que l’État doit garantir, par exemple : « une protection et une assistance aussi large que
possible doivent être accordées à la famille (…) ; une protection spéciale doit être
accordée aux mères pendant une période de temps raisonnable avant et après la
naissance de l’enfant (…) ; des mesures spéciales de protection et d’assistance doivent
être prises en faveur de tous les enfants et adolescents sans discrimination aucune pour
des raisons de filiation ou autres. Les enfants et les adolescents doivent être protégés
contre l’exploitation économique et sociale »198. D’autres articles seront dédiés
uniquement à l’enfant comme les articles 11, 12, 13 et 14 qui traiteront de la garantie
d’un niveau de vie stable pour l’enfant, de sa santé et de son éducation.
197
L’objectif est aussi de lutter contre l’apatride, chose proclamée par la Déclaration universelle des droits de
l’Homme.
198
Pacte international relative aux droits économiques, sociaux et culturels.
72
164. D’autres instruments internationaux traitent des droits de l’enfant à travers les droits
d’autrui, comme par exemple la Déclaration sur l’élimination de la discrimination à
l’égard des femmes de 1967, qui par son article 6 appelle à l’égalité entre l’homme et la
femme au sein de la famille et lors de la dissolution du mariage tout en respectant
l’intérêt de l’enfant et à ce que ce principe demeure la considération primordiale dans
toutes les situations qui le concernent. L’alinéa 3 traite également du mariage de filles
mineures et met en évidence l’obligation des États de modifier leurs législations dans le
but de fixer un âge minimum pour le mariage et l’obligation de l’inscrire au registre
officiel.
165. La convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des
femmes, traite de l’égalité des sexes dans le domaine de l’éducation et de la
responsabilité égale des parents envers leurs enfants ainsi que de l’obligation des États de
mettre en place des services pour répondre aux besoins familiaux. En outre, d’autres
conventions évoquant la protection des droits de l’enfant ont vu le jour, notamment, la
Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination
fondée sur la religion, les conventions de l’OIT, la Convention internationale sur la
protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles 199,
etc. L’État marocain a tenté de modifier ses lois internes et de faire évoluer la structure
familiale afin qu’elle réponde au mieux aux exigences des textes internationaux 200.
Malgré la multiplication des instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme en
général et qui traitent des droits de l’enfant dans de nombreuses situations qui sont
ratifiées par la majorité des États membres, l’évolution de la famille et de la société en
général a imposé une prise de conscience des conditions de l’enfant. À cet effet, la
communauté internationale sera à la recherche de la protection et de la promotion des
droits de l’enfant à travers le long processus de construction de la convention
internationale des droits de l’enfant. Toutefois, il est à noter que la difficulté de garantir
l’universalité des traités internationaux et face à la spécificité des systèmes juridiques, de
nombreux Etats ont également eu recours à un nombre de traités régionaux afin de
promouvoir les droits de l’enfant dans le cadre de leur spécificité.
199
Abderrazak MOULAY RCHID, op. cit., p. 71.
200
Le Maroc a contribué et participé à de nombreux évènements historiques internationaux et régionaux ; d’abord dans
le cadre des Nations Unies, il a participé aux conférences de Copenhague en 1980, à la conférence de Mexico en 1975,
à celle de Beijing en 1995, ainsi que sur le plan continental au sein de la commission Economique des Nations Unies
pour l’Afrique, et au sein de la ligue arabe. Aussi, le Maroc a arbitré de nombreuses conférences mondiales à Rabat
dans le cadre de CEA notamment sur l’éducation, le travail des jeunes filles et des femmes dans les pays d’Afrique.
73
B- Des traités régionaux, des revendications spécifiques.
166. Le Maroc a fait partie de ces pays arabo-musulmans qui ont revendiqué la spécificité
de leurs systèmes juridiques par rapport aux textes internationaux ce qui a conduit à
émettre certaines réserves. Ainsi, dans un contexte régional et pour illustrer leur
spécificité, les pays arabo-musulmans vont créer de nombreuses organisations 201 œuvrant
pour les principes des droits de l’Homme de manière générale. En effet, ces organisations
vont élaborer un nombre important d’instruments juridiques afin d’affirmer leur
attachement aux principes des droits de l’Homme mais avec une spécificité culturelle et
religieuse qui marque ces textes. Ainsi, de nombreux textes vont voir le jour comme par
exemple, la Déclaration du Caire sur les droits de l’Homme en islam qui se base sur les
droits et les libertés de la charia ou la Charte arabe des droits de l’Homme de 1994
révisée en 2004.
167. Les pays arabes, dont le Maroc, ont voulu mettre la lumière sur leur besoin d’avoir
des textes qui prendraient en considération le caractère culturel et surtout religieux de
leurs législations. En effet, suite à l’évolution des droits de l’Homme en Occident, les
pays arabes ont été obligés de même à s’intéresser aux droits de l’Homme au vu de leurs
engagements à l’ONU et à qui ils sont appelés à présenter l’évolution de la situation des
droits de l’Homme suite aux pactes de 1966 202. C’est au début des années 1980 que
l’évolution sociale de la majorité des pays arabes va obliger les régimes en place à
répondre aux revendications d’ouverture sociale et politique des peuples, une situation à
laquelle s’ajoutera la pression internationale. Les pays arabes se trouveront alors devant
un défi moral qui les obligera à répondre à la situation des droits de l’Homme, une
réponse faite à titre individuel en droit interne puis à titre collectif à travers la création de
la ligue des États arabes. En effet, cette dernière va élaborer un grand nombre de textes,
en premier lieu ceux de portée générale qui vont évoquer l’enfant dans certains de leurs
articles, ensuite ceux dédiés uniquement à l’enfant arabe203
201
On note par exemple : la ligue des États arabes ou l’organisation de la coopération islamique, l’organisation de la
coopération islamique, l’organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences et l’association des universités
islamiques.
202
Idem.
203
Un des plus importants textes qui visent la protection des droits de l’enfant dans le monde arabo-musulman est : le
Pacte des droits de l’enfant de 1983.
74
Paragraphe 2 : La préoccupation exclusive de la CIDE.
204
Bertrand DE LAMY, La convention internationale des droits de l’enfant, une convention particulière, A propos de la
nature qu’elle proclame, éd Dalloz, 2014, p. 15.
205
Actuellement les Nations Unies.
206
Bertrand DE LAMY, op. cit., p. 15.
207
Le préambule de la CIDE précise que les droits reconnus dans la Déclarations universelle des droits de l’homme
sont applicable à l’enfant : « Les Nations Unies, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans les
pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, ont proclamé et sont convenues que chacun peut se prévaloir de
tous les droits et de toutes les libertés qui y sont énoncés, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de
sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion d’origine nationale ou sociale, de fortune, de
naissance ou de toute autre situation ».
75
Ainsi, le respect des règles énoncées par la CIDE et l’effectivité de cette dernière oblige
les États parties d’intégrer un ensemble de mesures « législatives, administratives et
autres qui peuvent être appropriées afin que l’intégration de la CIDE soit établie »208.
De plus, cette effectivité passe tout d’abord par la prise en compte des dispositifs du texte
qui doivent représenter une référence inspirante pour le législateur afin de mettre en
conformité le droit interne avec le texte international en réformant les lois et en modifiant
celles qui ne sont plus conformes à la CIDE.
170. Afin de comprendre l’effectivité de la CIDE et ses limites dans les deux systèmes
juridiques, il est important de mettre la lumière sur les droits qu’elle proclame 209. Forte
par la proclamation de nombreux droits, la CIDE à travers l’ensemble de ses articles vise
à présenter le statut de l’enfant dans un monde respectueux de la dignité humaine en
général et des enfants en particulier. Le contenu de la CIDE remplit l’ensemble des
droits qui lient l’enfant à son entourage, partant des droits civils et politiques, des droits
économiques et des droits sociaux et culturels. Selon Gilbert DELAGRANCE,
l’ensemble de ces droits est énuméré sans classification de thèmes ou d’importance.
Ainsi, il se divise en trois principales catégories qui sont : le droit à la prestation, le droit
à la protection ainsi que le droit à la participation210. Depuis l’adoption de la CIDE par la
majorité des États, il est unanimement admis que le terme « enfant » s’applique à toute
personne âgée de moins de 18 ans révolus, sauf quand la loi nationale accorde la majorité
plus tôt ou même plus tard, comme c’était le cas dans de nombreux pays en voie de
développement dont le Maroc avant les dernières réformes législatives.
Ainsi, à travers l’article premier de la CIDE211, la convention limite son application aux
enfants à partir de la naissance jusqu’à l’âge de 18 ans 212 et ignore par cela toute période
qui précède la naissance contrairement à ce qu’on a pu développer précédemment sur la
reconnaissance des droits à l’enfant avant sa naissance par le droit musulman. En outre, la
précision de la majorité à l’âge de 18 ans, semble regrettable par de nombreuses doctrines
dont celle de M. RAYMOND qui « regrette l’absence de précision sur la référence à des
seuils d’âge qui permettent à l’enfant une évolution progressive vers sa majorité ».
208
Articles 2-2 de la CIDE.
209
Il est important de souligner la divergence existante sur la qualification des droits proclamés par la CIDE, une
divergence qui se base sur la qualification de ces droits entre « droits subjectifs et droits fondamentaux ». En effet,
certains auteurs retiennent la première qualification d’autant que la CIDE prenne en considération que l’enfant
représente un sujet de droit et non un objet de droit. Cependant, cette qualification ne peut être indiscutable, et il est
même souvent délicat de faire la différence puisque les droits fondamentaux peuvent s’appliquer sur tous les rapports
humains. Mais la différence faite reste celle de préciser que les droits subjectifs représentent un fond précis et celui des
droits fondamentaux : en précisant que les droits subjectifs sont des « Droits de » alors que les droits fondamentaux
sont « des droits à » ce qui permet aux juges une grande liberté de délimitation, in Bertrand DELAMY, op. cit., p. 17.
210
Gilbert DELAGRANGE, Comment protéger l’enfant ? Protection, éducation, répression, éd. Karthala, Coll
Questions d’enfances, 2004, p. 43.
211
L’article premier de la CIDE dispose qu’: « Au sens de la présente convention, un enfant s’entend de tout être
humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est
applicable ».
212
Dans son préambule, la CIDE précise qu’elle s’applique aux enfants en raison du manque de maturité physique et
intellectuelle, et que l’enfant a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux.
76
Cette imprécision du texte est souvent soulevée car elle permet de considérer l’enfance de
la naissance jusqu’à la majorité sans prendre en considération l’évolution que peut subir
un enfant durant toute son enfance qui représente toute une période dans la vie de l’être
humain, qui est souvent marquée par l’évolution et la transformation de sa personne ainsi
que des droits qui lui sont attribués.
Cette définition de l’enfance demeure critiquée par rapport à son sens restrictif, par lequel
le texte semble ignorer l’importance de nombreuses conditions qui peuvent influencer
l’évolution de l’enfant notamment, la progression physique, psychique ou socioculturelle.
Cette influence peut aussi se constater clairement dans les pays en voie de développement
en général, suite aux mutations tardives de ces sociétés et au long processus d’éducation
qui peut dépasser les dix-huit ans dans certains pays. Ainsi, ce passage brutal de l’enfance
à la vie d’adulte à cet âge, peut affecter la préparation de l’enfant à son avenir 213.
171. Pour cette préparation à la vie d’adulte, la CIDE présente ses conditions dans
l’ensemble de ses articles, qui, comme nous avons précisé auparavant, ne sont pas
organisés selon les catégories ; des conditions qui englobent le rôle de l’État, de la société
et de la famille. Ainsi, les articles qui suivent la définition de l’enfant214, portent
principalement sur des principes généraux que nous allons développer ultérieurement,
notamment, la non-discrimination, l’intérêt supérieur de l’enfant ou autre que les États
signataires doivent mettre en exergue afin de garantir les droits énoncés dans la
convention à tous les enfants pour une protection meilleure et puis une organisation
législative qui les protège le mieux durant toute la période de leur enfance.
172. Au premier rang des droits visant à protéger l’enfant se trouve la protection de sa
personne et tous les droits qu’elle implique. Le premier principe est celui de reconnaître
« que tout enfant a un droit inhérent à la vie. Les États parties assurent dans toute la
mesure du possible la survie et le développement de l’enfant »215. Un article vise à
garantir à l’enfant l’élément principal de son existence qui est son droit à la vie, un droit
retrouvé dans différents instruments juridiques à portée internationale. Un droit qui ne
doit pas être examiné de façon étroite, car il ne signifie pas seulement le droit de rester en
vie mais englobe également le droit à l’intégrité physique et morale. Le droit à la vie
englobe aussi d’autres éléments qui sont explicitement cités dans l’article 24 de la
convention. Un article qui dispose que : « Les États parties reconnaissent le droit de
l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier des services médicaux
et de rééducation…qu’aucun enfant ne soit privé d’avoir accès à ces services ». De plus,
l’obligation des États de prendre les mesures nécessaires afin de réduire « la moralité
parmi les nourrissons et les enfants ; d’assurer à tous les enfants l’assistance médicale et
les soins de santé nécessaires, (…) de lutter contre la maladie et la malnutrition (…) ».
213
RAYMOND, Droit de l’enfance et de l’adolescence, 5ème éd. JurisClasseur, Litec, 1997, p. 47.
214
De l’article 2 jusqu’à l’article 6 de la Convention internationale des droits de l’enfant.
215
Article 6 de la CIDE.
77
Par ailleurs, ce droit qui apparaît simple et évident, représente pourtant un élément
dérangeant pour certains États parties par rapport à la législation nationale. En effet, en ne
définissant pas le début de l’enfance, la question du droit à la vie reste aussi un principe
passible d’une libre interprétation. Cette dernière influence clairement les réformes
législatives des États parties, notamment la liberté de certains États de mettre des réserves
ou d’interdire catégoriquement l’avortement. Par cette interdiction, le droit à la vie est
violé dans la majorité des pays musulmans par la pratique clandestine de l’avortement.
Par cette pratique, la vie de l’enfant est clairement mise en danger ainsi que celle de la
mère. De plus, dans ces pays, souvent la personne qui a recours à l’avortement n’atteint
pas sa majorité.
S’ajoute à ce droit à la vie, celui à la survie et au développement. Des droits que les États
parties doivent garantir dans l’objectif de préserver l’enfant de toutes les difficultés
auxquelles il peut être exposé notamment celles de la vie d’adulte afin de lui permettre un
développement normal et qu’il puisse profiter de son enfance. Ce développement connaît
de nombreuses limites dans les pays qui prennent en compte l’âge de nubilité
spécialement pour les jeunes filles qui sont confrontées aux mariages précoces.
173. Pour la CIDE, garantir un développement normal à l’enfant c’est accorder une
protection globale contre toutes les atteintes auxquelles il peut être exposé même de la
part de son propre entourage. Cette protection est principalement garantie par les États
parties qui doivent considérer l’enfant comme une personne libre qui n’appartient ni aux
parents ni à la société, ce qui peut être difficile pour les sociétés qui semblent encore
garder un caractère patriarcal216. Un autre droit qui semble être important est celui de son
éducation à travers le jeu. Ainsi, la responsabilité de l’État et des responsables de l’enfant
est de lui assurer un droit inhérent à la vie et de l’accompagner vers un développement
sain de sa personne jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge adulte. Cet accompagnement est aussi
marqué par des éléments cités par la CIDE dans l’article 31 qui met en évidence
l’obligation des États de reconnaître « le droit de l’enfant au repos et aux loisirs, de se
livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge et de participer librement à
la vie culturelle et artistique ; les États parties respectent et favorisent le droit de l’enfant
de participer pleinement à la vie culturelle et artistique (…) ».
174. L’ensemble de ces droits protecteurs de l’enfant que nous avons cité vise à mettre en
évidence le rôle et les obligations des États parties de porter le regard sur la priorité de la
santé de l’enfant pour ensuite permettre l’évolution et le développement de l’enfant dans
un cadre sain. Cependant, l’aspect universel de ces droits semble être freiné par
l’impuissance de quelques États dans l’application de ces garanties. Ainsi, cette
impuissance étatique influence aussi bien le rôle de la société que celui de la famille dans
la protection de l’enfant.
216
Article 19 de la CIDE : « Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et
éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou
mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle,
pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre
personne à qui il est confié ».
78
175. La CIDE considère que l’accompagnement de l’enfant est le secret d’une transition
réussite de l’enfance vers l’âge adulte. C’est pour cela que le texte insiste sur la présence
des parents et leur rôle durant cette période. Ainsi, dans son préambule, le texte précise
d’une manière explicite que « la famille est l’unité fondamentale de la société et le milieu
naturel pour la croissance et le bien-être de tous les membres, et en particulier des
enfants, doit recevoir la protection et l’assistance dont elle a besoin pour pouvoir jouer
pleinement son rôle dans la communauté, reconnaissant que l’enfant, pour
l’épanouissement harmonieux de sa personnalité doit grandir dans un milieu familial,
dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension ». Par ce préambule et par la
majorité de ses articles qui traitent la minorité des enfants, la CIDE confirme en toute
intelligibilité le rôle direct de l’institution familiale comme la première unité
fondamentale de la société et met en évidence le fait que la minorité de l’enfant rime
clairement avec l’autorité parentale 217.
176. Une autorité parentale qui permet aux parents l’exercice de nombreuses obligations
qui garantissent à l’enfant la croissance dans un milieu vital afin qu’il soit une personne
épanouie. Ainsi, la lecture de ce texte permet deux visions et crée une ambiguïté dans le
fait de considérer l’épanouissement de l’enfant entre un idéal à obtenir et une condition
du maintien de l’enfant dans sa famille. Cette ambivalence influence clairement le reste
du texte et son application par les États parties. Toutefois, pour parler de l’enfant dans sa
famille, la CIDE a consacré une part importante à ce sujet. En effet, de nombreux articles
traitent et réglementent explicitement l’enfant dans sa famille à partir de sa naissance.
Tout d’abord il y a l’article 7 qui consacre à l’enfant « le droit d’être enregistré aussitôt
sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et,
dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux ».
Cependant, ce droit qui est considéré comme fondamental est clairement limité par « …la
mesure du possible », une expression qui influence l’application et le respect de ce droit
dans de nombreux pays notamment ceux qui sont limités par la culture ou la religion.
Un autre article traite l’enfant dans sa famille en insistant sur les obligations des États et
des parents dans la garantie d’une protection spéciale en prévoyant par l’article 5 que :
« Les États parties respectent la responsabilité, le droit et le devoir qu’ont les parents ou,
le cas échéant, les membres de la famille élargie ou de la communauté, comme prévu par
coutume locale, les tuteurs ou autres personnes légalement responsables de l’enfant, de
donner à celui-ci, d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités,
l’orientation et les conseils appropriés à l’exercice des droits que lui reconnaît la
présente convention ». Cet article confirme le rôle de la famille comme un des premiers
qui protègent l’enfant, une protection qui se traduit dans le rôle des parents dans
l’exercice de leurs devoirs envers l’enfant. De plus, cet article préserve aux parents leurs
droits et obligations mais il insiste aussi sur le rôle des autres membres de la famille
« famille élargie », des obligations adaptées et qui incitent au développement des
capacités de l’enfant, des obligations qui se basent sur l’orientation et le conseil.
217
Jean CARBONNIER, Droit civil : la famille, l’enfant, le couple, Tome 2, PUF, Avril 2002, p. 129.
79
Par ailleurs, il est important de signaler que ces deux grandes obligations sont adaptées à
un âge précis de l’enfant, ce qui laisse un vide en ce qui concerne l’enfant en bas âge qui
a besoin de plus que l’orientation et le conseil mais d’un accompagnement complet et
continu.
177. Aussi, le maintien des relations familiales de l’enfant constitue l’un des droits
primordiaux consacrés par la CIDE. Un droit abordé dans l’article 8 de la convention et
qui oblige les États parties à « respecter le droit de l’enfant à préserver son identité, y
compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales, tels qu’ils sont reconnus par
la loi, sans ingérence illégale ». En effet, un grand intérêt est porté par le texte sur la
question du maintien des relations familiales, il confirme à de nombreuses reprises qu’il
est important que l’enfant grandisse dans son milieu naturel qui est sa famille et que la
séparation de l’enfant avec cette dernière doit être faite dans des conditions
exceptionnelles qui peuvent être contraires à sa protection. En outre, la convention prend
en considération cette possibilité de séparer l’enfant de sa famille, et incite les États
parties à considérer que le maintien de l’enfant dans sa famille est la règle et que leur
séparation est l’exception. Cette séparation parents-enfants est clairement réglementée
par la CIDE dans son article 9 qui incite les États parties à respecter les modalités et les
règles de la séparation notamment que cette dernière ne doit pas se faire contre le gré des
parents ou de l’enfant ; que la décision de séparer l’enfant de ses parents doit émaner
d’une décision judiciaire ; la décision doit avoir épuisé toutes les voies de recours ; elle
doit répondre à l’un des plus grands principes du texte qui est l’intérêt supérieur de
l’enfant ; la possibilité de participation des parties concernées.
179. Dans le même ordre d’idée, il convient aussi de s’interroger sur un autre droit
fondamental de l’enfant qui est le rôle des parents en ce qui concerne l’éducation de
l’enfant. La CIDE consacre quatre articles à ce sujet. Cependant, dans l’ensemble de ces
articles, la convention ne donne pas d’indication explicite sur le rôle éducatif des parents.
Par exemple, dans son article 5, le texte met en évidence la responsabilité des parents
dans l’orientation et le conseil. Des droits qui confirment la rupture avec l’ancien mode
d’éducation parentale qui existait dans la famille patriarcale 219. Le texte évoque le terme
éducation dans son article 28 en insistant sur l’obligation des États parties de présenter
une reconnaissance explicite du droit de l’enfant à l’éducation.
218
Lorsque la séparation parents-enfants est à l’encontre des parents ou de l’enfant, les États parties ont l’obligation de
garantir par tous moyens le maintien des relations familiales sauf si ces dernières vont à l’encontre de l’intérêt supérieur
de l’enfant. Ainsi, le maintien de ces relations est aussi la règle principale pour tous les enfants quelles que soient les
situations familiales même quand elles concernent des personnes qui sont dans deux pays différents.
219
Avant l’émergence de la CIDE, l’éducation avait un sens pluriel qui signifiait à la fois, la nourriture, l’entretien et la
transmission des valeurs de la vie.
80
Dans cet article, l’expression éducation ne définit pas le terme traditionnel d’éduquer
l’enfant, mais il fait référence à la scolarisation des enfants et à la responsabilité des États
pour veiller à prendre toutes les mesures afin que cette éducation soit un droit réalisé pour
tout enfant, un droit qui doit être constitué sur les principes d’égalité et de la dignité
humaine220. Ainsi, selon l’article 29 de la convention, ce droit à l’enfant doit viser
l’amélioration et le développement « des dons et des aptitudes mentales et physiques de
l’enfant (…) » ; « inculquer à l’enfant le respect des droits de l’Homme et des libertés
fondamentales (…) » ; « inculquer à l’enfant le respect de ses parents, de son identité, de
sa langue et de ses valeurs culturelles ainsi que les valeurs nationales du pays dans
lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la
sienne » ; « préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société
libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes
(…) ». S’ajoute au droit de l’éducation celui de garantir à l’enfant un niveau « de vie
suffisant afin de lui permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et
social »221.
180. Avec l’ensemble de ces droits accordés à l’enfant et leur examen, la CIDE est
considérée comme un texte révolutionnaire qui a pu assurer la protection des enfants dans
l’ensemble des situations qui peuvent le concerner222. Par ailleurs, malgré la ratification
de la CIDE par la quasi-totalité des États des Nations unies, le texte n’a pas réussi à faire
disparaître les atteintes aux principes généraux des droits de l’enfant. Cette insuffisance
dans le respect et l’application du texte est due à de nombreuses raisons, notamment
l’inexistence d’une juridiction internationale afin d’assurer son respect en droit
interne223, son insuffisance qui est révélée dans la concurrence avec les autres instruments
internationaux qui jouent le rôle de complément nécessaire. Une insuffisance qui touche
de nombreuses situations notamment, le droit de la santé ou de la Sécurité sociale, le droit
à l’éducation et à la scolarisation, les droits de l’enfant handicapé, ou ceux de l’enfant
victime d’infraction pénale. Néanmoins, malgré le fait que la CIDE soit considérée
comme un texte historique qui valorise la place de l’enfant et qui représente une ligne de
conduite pour les États, il demeure très limité par ces derniers qui se retrouvent face à une
absence de sanctions (A) suite à un non-respect des dispositions du texte qui engendre
une remise en cause du caractère obligatoire et universel dont le texte est doté (B).
220
L’article 28 de la CIDE se base sur quelques principes qui rendent « la scolarisation » un droit inhérent de l’enfant ;
ces principes sont, l’obligation de la scolarisation de l’enfant et la gratuité de cette scolarisation.
221
Article 27, CIDE.
222
S’ajoute aux droits qui concernent l’enfant dans sa famille, ceux qui concernent la protection de l’enfant en danger
et ils concernent les enfants maltraités, les enfants abandonnés, les enfants handicapés, les enfants travailleurs, les
enfants privés de liberté, les enfants des conflits armés, les enfants réfugiés et les enfants placés.
223
Il existe seulement un comité des droits de l’enfant « aux fins d’examiner les progrès accomplis par les États parties
dans l’exécution des obligations contractées par eux en vertu de la présente convention ».
81
A- Le caractère obligatoire de la convention remis en question.
181. La Convention internationale relative aux droits de l’enfant est le texte le plus ratifié
de toute l’histoire par les États. Bien que son application soit mise à l’épreuve par la
difficulté de son application, la garantie du respect de son application consiste à
confirmer son caractère universel en valorisant ses directives et ses dispositions. Afin que
cette valorisation soit réelle, le texte a pris la mesure de mettre en place un organe de
contrôle international qui est le comité des droits de l’enfant, un organe dont le rôle est
important mais qui est remis en question par les défenseurs des droits de l’enfant
notamment dans les pays en voie de développement (a). En effet, l’existence de ce comité
est censée jouer un grand rôle dans le respect de la convention et son caractère universel,
une tâche qui n’est pas facile à mettre en place, ce qui a permis l’existence d’autres
instruments internationaux pour renforcer la mission du contrôle de cet organe (b).
A- La création d’un organe de contrôle.
182. La création d’un organe chargé de veiller à l’application d’un traité international
n’est pas consacrée uniquement à la CIDE. En effet, d’autres comités existent afin de
vérifier le respect des États dans l’application des traités qu’ils ont ratifiés 224. Ainsi,
comme pour toutes les conventions de l’organisation des Nations Unies, l’ONU a créé le
comité des droits de l’enfant le 10 février 2003, conformément à une décision de
l’Assemblée générale des Nations Unies en 1996 qui est entrée en vigueur le 18
novembre 2002. En vertu de l’article 43 de la Convention internationale des droits de
l’enfant225, le comité des droits de l’enfant est un organe démocratiquement élu et
considéré comme indépendant de toute influence nationale, religieuse ou culturelle. Il est
composé d’experts indépendants dotés d’une importante compétence reconnue dans le
domaine des droits de l’enfant, élus tous les quatre ans226. Le comité est actuellement
composé de dix-huit membres choisis de manière à prendre en compte la représentation
de l’ensemble des pays et de leurs systèmes juridiques 227.
183. Le travail du comité est primordial dans la mise en œuvre de la convention ; il
examine les rapports que les États parties transmettent sur l’évolution de l’application
interne de la convention dans leurs pays. D’ailleurs, chaque année, le comité se réunit
trois fois par an à Genève pendant quatre semaines afin d’examiner et de commenter les
rapports présentés par les États. Le comité organise aussi pendant ses sessions des débats
de sensibilisation sur le contenu du texte et des traités qui se rattachent à ce dernier.
224
Il y a eu avant le comité des droits de l’enfant, la création de nombreux comités qui ont en charge les mêmes
fonctions, notamment le comité des droits de l’Homme créé en 1966 et le comité des droits économiques créé en 1985.
Il y a aussi le comité pour l’élimination de la discrimination raciale, le comité des travailleurs migrants et aussi le
comité des droits des personnes handicapées.
225
Article 43 : « Aux fins d’examiner les progrès accomplis par les États parties dans l’exécution des obligations
contractées par eux en vertu de la présente convention (…) ».
226
Pour que la représentation du comité garde son caractère démocratique, l’article 43 prend en considération la
nécessité de toutes les régions du monde et veille à ce que les représentants soient de différentes régions.
227
Le texte précise que les membres du comité n’ont pas le droit de porter, présenter ou défendre les présentations de
leurs pays d’origine ; ils doivent siéger à titre personnel.
82
Des débats qui permettent au comité de connaître l’ensemble des efforts fournis par les
institutions de l’ONU ainsi que ceux des ONG existants dans les États parties 228.
184. Le travail du comité débute par l’examen des rapports qui lui sont présentés. Un
groupe de travail du comité examine le rapport avant la session officielle, une pré-session
qui permet au comité d’examiner l’ensemble des données présentées dans les rapports, en
ayant recours à tous les acteurs locaux comme l’UNICEF229, dans l’objectif de vérifier la
fiabilité du rapport et de savoir s’il reflète la réalité de l’application du texte dans le pays
concerné. Le comité fait appel à d’autres acteurs afin de connaître l’évolution de la
question des droits de l’enfant dans cet État.
Cette vérification permet au comité de prendre en considération les informations
transmises par les acteurs du terrain et de les présenter lors de la session du comité avec
les représentants de l’État partie. En effet, ce premier travail mené par les groupes des
pré-sessions se fait en préparant une liste qui englobe l’ensemble des points et des
questions auxquels le gouvernement de l’État concerné doit répondre230. Des questions
qui sont souvent le résultat de la comparaison entre le rapport présenté par l’État et celui
des acteurs sollicités par le comité qui présentent souvent des rapports et des données
contradictoires avec ceux officiellement présentés par l’État. Dans ces situations, le
processus mené par le comité est le suivant : dans un premier temps d’appeler l’État lors
d’une session ordinaire et d’apporter des éclaircissements sur les questions ou les
problématiques soulevées par le comité, ce qui représente une occasion pour l’État partie
de modifier son rapport afin qu’il puisse représenter la réelle situation de l’enfant dans
l’État. Dans un second temps, le comité invite l’État partie à mettre à jour l’ensemble de
son rapport en insistant sur les mesures prises et celles envisagées par l’État afin de
favoriser et de garantir la protection des droits de l’enfant. Enfin, avant de passer à la
session de discussion entre le comité et les représentants de l’État partie, le comité
présente à ces derniers un sommaire de son travail réalisé et des questions qu’il compte
aborder à l’occasion du débat.
185. Le débat public à propos des rapports, débute par la discussion des questions
dégagées par le groupe de travail de la pré-session, une discussion qui se base
principalement sur les divergences entre le rapport officiel de l’État et celui des
partenaires du comité. Suite à ce débat, le comité des droits de l’enfant rédige un rapport
qui contient toutes les observations finales, au cours desquelles il fait le point sur le
rapport présenté par l’État partie. Le rapport se rend public 231 à la fin de chaque session,
et il est largement diffusé auprès de tous les acteurs qui travaillent sur la protection de
l’enfance.
228
L’objectif de ces réunions est de démontrer au comité la concrète réalité sur l’application et le respect de la CIDE.
En effet, le rôle des ONG permet plus de clarté sur les difficultés rencontrées.
229
L’article 45 permet au comité des droits de l’enfant de demander des rapports à de différents acteurs qui actent dans
le domaine de l’enfance ; cette demande peut être faite aux ONG, aux experts dans la matière ainsi qu’aux agences de
l’ONU.
230
Le comité des droits de l’enfant préfère que le débat se fasse avec des personnes haut placées comme les ministres
ou les vice-ministres afin que les réponses puissent se traduire en décisions.
231
Article 44, 6 de la CIDE : « Les États parties assurent à leurs rapports une large diffusion dans leur propre pays ».
83
L’ensemble de ses observations permettent avant tout de pointer les manquements de
l’État partie dans son engagement dans le respect de la convention ainsi que
l’accompagnement de l’État dans l’amélioration des conditions d’application de la
convention.
186. De plus, il est important de souligner les nombreux obstacles que rencontre le
comité dans son exercice du contrôle de l’effectivité de la convention. En effet, ce
contrôle est limité par deux principales raisons, celle de la convention elle-même et celle
de la non-coopération des États parties. En ce qui concerne la première, elle se base avant
tout sur le texte qui comporte des dispositions relevant plus d’un caractère déclaratoire ou
de la soft law que de celui d’un caractère juridique obligatoire 232. En effet, ce caractère
s’explique dans la majorité des articles qui débutent avec des formulations tels que : « Les
États parties prennent toutes les mesures appropriées, assurent, respectent, veillent,
reconnaissent, s’emploient de leur mieux ». Ce sont des formulations qui limitent et qui
laissent un doute sur le caractère juridique du texte. D’ailleurs de nombreux pays se
basent sur le caractère ambigu de nombreux articles afin de refuser l’application directe
de la convention dans les juridictions nationales233. Cependant, de nombreux auteurs
refusent de soutenir cette thèse et affirment qu’à travers la lecture des articles 2 et 4 de la
convention, le caractère d’obligation des États parties est confirmé : « Les États parties
ont des obligations de comportement qui s’appuient sur le respect et la garantie des
droits énoncés dans le texte »234. Malgré ce caractère obligatoire revendiqué et réclamé
par de nombreux auteurs, la situation réelle démontre que les États parties peuvent
manquer à leurs responsabilités dans le travail de conformer les législations nationales
avec les dispositions du texte.
187. D’autre part, le rôle du comité des droits de l’enfant est aussi limité par la non-
coopération de certains États parties. Ce manque de collaboration se manifeste sous
différents aspects, comme par la présentation tardive des rapports par les États235,
l’absence des délégations, l’envoi de responsables moins haut placés incapables de
répondre aux questionnements du comité ce qui affaiblit le bon déroulement des
procédures de contrôle du comité, etc. S’ajoute à cela la non-prise en compte du rapport
final du comité et de ses recommandations dans l’évolution des questions qui touchent
l’enfant dans le pays concerné. En effet, l’objectif de mettre un comité de contrôle n’est
pas seulement celui de contrôler les réalisations des États parties mais aussi celui de
veiller à la bonne application de la CIDE. Cette veille passe par les recommandations que
le comité rend à l’État dans son rapport final. Par conséquent, de nombreux pays ont été
avisés du manque de respect et de prise en considération des recommandations et des
orientations dans de nombreux rapports ;
232
Zani MAMOUD, Les droits de l’enfant essai sur l’application de la convention de New York de 1989, éd.
Connaissances et savoirs, 2018, p. 17.
233
Idem, p. 18.
234
Jean CAMBACOU, « Obligations de résultat et obligations de comportement-quelques questions et pas de
réponse », in Mélange Paul REUTER, Droit international : Unité et diversité », Paris, 1981, pp. 181-204.
235
Le travail du comité est souvent marqué par le nombre considérable des retards des rapports présentés par les États,
comme par exemple en 2008, quand le comité comptait 20 rapports en retard ou en 2010, quand il comptait 35 rapports
en retard.
84
par exemple : « l’Arabie Saoudite à qui le rapport a fait l’objet de nombreux critiques
relatives aux recommandations relatives à certains domaines qui sont visés en urgence
dont : le mariage des enfants, la définition de l’enfant, la non-discrimination, la torture et
les mauvais traitements, la justice pour mineurs, le droit à la vie, à la survie et au
développement, la torture et le mauvais traitement, les enfants dans les conflits
armés »236. Dans le même ordre d’idée, il est important d’évoquer le manque de diffusion
de la convention et de ses principes dans de nombreux États parties. En effet, le comité
des droits de l’enfant relève souvent des lacunes au niveau de cet aspect qui est la
diffusion des principes de la CIDE ainsi que des rapports rendus par ce dernier.
188. La Convention de New York est venue couronner l’évolution des droits de l’enfant
dans le monde. En effet, son application dans les États parties diffère d’un pays à un autre
selon plusieurs facteurs dont, le facteur historique, économique, culturel ou autre… Ces
facteurs influencent clairement l’intégration de la convention dans le droit interne. En ce
qui concerne les pays développés, l’application de la convention représente la continuité
d’une évolution naturelle des droits de l’Homme en général et de l’enfant en particulier,
ce qui rend le travail du comité des droits de l’enfant secondaire. Cependant, pour les
pays en voie de développement, le rôle du comité des droits de l’enfant est très important
dans l’absence d’une réelle volonté de ces pays de respecter et de rendre les principes de
la CIDE applicables dans leurs législations internes. Bien que le comité ne soit pas une
autorité contraignante, il exerce une pression morale sur les États237.
189. Le progrès de ces États est donc considéré comme modeste par rapport aux tâches
attendues par le comité qui visent à intégrer les principes de la CIDE dans les législations
internes et à rendre le texte accessible aux enfants, aux enseignants et aux professionnels
travaillant avec les enfants. Aussi le comité est souvent obligé de rappeler à ces États de
redoubler d’effort en la matière et de garantir les mesures nécessaires afin que l’ensemble
de ses recommandations et ses observations soient diffusés 238. Une diffusion qui
permettra une meilleure application du texte bien que ce dernier soit considéré comme
incomplet.
236
Zani MAMOUD, op. cit., p. 22.
237
Idem.
238
Id, ibid, p. 28.
85
b- Un renforcement du comité.
190. La ratification de la CIDE par la quasi-totalité des États des Nations Unies atteste
sans aucun doute de l’intérêt porté à ce texte. Cependant, bien qu’il soit le texte le plus
ratifié, il n’est pas parvenu à faire respecter l’ensemble de ses droits énoncés dans les
ordres juridiques nationaux. Cette contradiction indique le décalage existant entre la
situation réelle des enfants dans les États parties et l’application concrète des normes
internationales du texte. D’ailleurs, c’est pour cette raison que l’ONU a créé le comité des
droits de l’enfant qui veille au respect de la convention dans les États parties, ce comité
dénonce d’une manière incessante à travers ses rapports la non-conformité des
législations nationales avec les dispositions de la CIDE 239. Pour renforcer les droits de
l’enfant et les mécanismes qui contrôlent l’application du texte, les Nations Unies ont
décidé en 2009 d’établir une procédure complémentaire du comité afin de renforcer ce
contrôle par le biais d’un protocole facultatif à la CIDE. En effet, le conseil des droits de
l’Homme des Nations Unies a décidé de mettre en place un groupe de travail d’un
nombre d’experts non limité qui vont être chargés de créer le protocole facultatif visant à
établir une procédure de plainte individuelle. Ainsi, ce groupe de travail a tenu deux
sessions entre 2009 et 2010 à Genève qui ont abouti tout d’abord à un grand débat
général en la matière et ont fini par la présentation d’un projet du 3e protocole facultatif à
la CIDE240. Il importe de préciser que le système onusien comporte de nombreux
mécanismes et procédures qui offrent la possibilité aux particuliers de disposer d’un droit
de saisine. Ainsi est venue l’idée d’élaborer le 3e protocole facultatif à la CIDE qui a pour
objectif de remplir les lacunes et l’insuffisance du texte international en renforçant son
contrôle. L’introduction d’une procédure de plaintes individuelles à la convention
internationale des droits de l’enfant est un instrument qui permet aux enfants selon
professeur MAMOUD « l’acquisition d’un véritable droit procédural devant un organe
de contrôle international, en l’occurrence le comité des droits de l’enfant »241.
191. Le protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une
procédure de présentation de communications, en date du 19 décembre 2011, est entré en
vigueur le 14 Avril 2014. Il ne consiste pas en le fait d’accorder à l’enfant de nouveaux
droits mais plutôt de permettre aux enfants de l’ensemble des pays ratifiant le protocole
de renforcer le contrôle de l’application de la CIDE et de pouvoir se protéger contre toute
violation qui pourrait viser leurs droits énoncés par le texte. L’application du protocole
facultatif n°3, passe principalement par le droit de saisir le comité des droits de l’enfant.
Ce droit est réservé « aux enfants ou leurs représentants, aux particuliers ou aux groupes
de particuliers relevant de la juridiction d’un État partie dénonçant la violation par ce
dernier des droits énoncés dans la convention et ses protocoles facultatifs ou à un État
partie qui accuse un autre État partie de ne pas répondre aux obligations de la CIDE et
239
Zani MAMOUD, À propos de l’opportunité d’une procédure de plaintes individuelles, journal du droit des jeunes,
2008, p. 39. Disponible sur : www.cairn.info.
240
Idem.
241
Id, ibid.
86
de ses protocoles facultatifs »242. De plus, le texte limite clairement les acteurs qui
peuvent introduire la plainte en précisant l’impossibilité qu’une plainte soit faite au nom
d’un enfant ou d’un groupe d’enfants sans leur consentement.
192. Le comité couvre tout d’abord les plaintes individuelles qui concernent les violations
par l’un des États parties des dispositions de la CIDE ou celles des protocoles facultatifs.
Néanmoins, la recevabilité de ces plaintes est conditionnée par la ratification du protocole
par l’État visé par la plainte243. En outre, dans son article 7 du protocole facultatif n°3, le
texte énumère clairement les conditions de l’irrecevabilité des communications
notamment lorsque :
« 1- la communication est anonyme ;
4- la question a déjà été examinée par le comité ou a été ou est examinée au titre d’une
autre procédure internationale d’enquête ou de règlement ;
5- Tous les recours interne disponible n’ont pas été épuisés, cette règle ne s’applique pas
si la procédure de recours excède des délais raisonnables ou s’il est peu probable qu’elle
permette d’obtenir une réparation effective ;
6- la communication est manifestement mal fondée ou insuffisamment motivée
7- Les faits qui font l’objet de la communication sont antérieurs à la date d’entrée en
vigueur du présent protocole à l’égard de l’État partie intéressé, à moins que ces faits ne
persistent après cette date ;
8- La communication n’est pas présentée dans les douze mois suivant l’épuisement des
recours internes, sauf dans les cas où l’auteur peut démontrer qu’il n’a pas été possible
de présenter la communication dans ce délai »244.
193. Suite à ces conditions, les plaintes considérées comme recevables sont adressées à
l’État partie concerné afin que ce dernier présente au comité un rapport dans lequel il
indique ses explications sur la plainte et les solutions qu’il a adoptées pour faire face à la
situation. Le comité examine la plainte et rédige un rapport avec lequel il présente des
propositions et des recommandations aux deux parties. Le comité des droits de l’enfant
est aussi considéré comme compétent dans les plaintes interétatiques, une compétence qui
se décrit explicitement dans l’article 12 du protocole facultatif n°3 et qui repose
principalement sur la ratification de la CIDE et de ses protocoles facultatifs ainsi que sur
242
Article 5 du protocole facultatif n°3 à la CIDE.
243
L’article 1 alinéa 3 du protocole n°3 énonce que : « le comité ne reçoive aucune communication intéressant un État
qui n’est pas partie au présent protocole ».
244
Article 7 du 3e protocole facultatif de la CIDE.
87
la présentation d’une déclaration qui reconnaît la compétence du comité 245 par les parties
concernées246.
194. En outre, avec l’accord de l’État concerné, le comité mène une procédure d’enquête
en cas de violation de l’un des droits de la CIDE ou de ses protocoles facultatifs. Le
comité demande à l’État concerné de présenter un rapport présentant les observations de
l’État sur les accusations qui lui sont adressées. À cet effet, le comité choisi le mode
d’enquête qui peut aller jusqu’à envoyer des enquêteurs sur le terrain afin de s’assurer des
observations rendues par l’État. Le comité rédige un rapport qui reste confidentiel et qu’il
adresse à l’État pour que ce dernier prenne en considération les remarques et les
observations du comité. L’État concerné dispose de six mois afin de prendre les mesures
adaptées à l’amélioration de la situation qui a fait l’objet de l’enquête.
195. Cependant, malgré l’apport du protocole n°3 en matière de renforcement du contrôle
des droits de l’enfant, ce texte reste critiquable d’abord sur le fond puis sur le
fonctionnement. En effet, des lacunes subsistent et sont visibles dans l’application et
l’efficacité du texte. Cette difficulté est clairement reflétée dans le nombre des États qui
ont adhéré au protocole n°3 et qui reste très timide : uniquement 36 États ont ratifié le
protocole à la date du 23 décembre 2017. De plus, la déception du nombre des pays
ratifiant le protocole se justifie par deux principales raisons qui sont, l’impossibilité
d’introduire les plaintes collectives ce qui aurait pu être une innovation en matière de
traités de l’ONU et l’impossibilité pour les États d’émettre des réserves, tout en précisant
l’inadmissibilité des réserves qui sont incompatibles avec l’esprit du protocole, ce qui
aurait permis une diffusion plus large du protocole ainsi qu’une ratification plus
importante par les États des Nations Unies247.
Aussi par rapport au rôle du comité, le protocole ne décerne à ce dernier qu’un rôle
résiduel ce qui ne lui permet pas de traduire concrètement ses décisions. En effet, en
l’absence d’une volonté réelle des États, le rôle du comité par rapport au protocole n°3
reste secondaire. Ainsi leur rôle est limité dans le sens où ils ne représentent pas des
juridictions du droit international et ne disposent en vrai d’aucun droit pouvant
contraindre les États parties ou les sanctionner248 sur toutes violations commises sur leur
territoire. Ainsi, le comité se limite uniquement aux observations et aux rappels 249.
196. Comme nous avons précisé, le protocole facultatif n°3 n’a pas eu le même succès
que la CIDE ou que le protocole facultatif concernant m’implication des enfants dans les
conflits armés (OPAC) et le protocole facultatif concernant la vente d’enfants, la
prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants (OPSC) ; sa
ratification connaît encore des limites pour les nombreuses raisons que nous avons
précisées auparavant.
245
Cette reconnaissance prend en considération la souveraineté d’accepter ou de refuser la compétence du comité.
246
Zani MAMOUD, op. cit., p. 41.
247
Idem.
248
Contrairement à la Cour européenne des droits de l’homme ou encore la Cour internationale de justice qui
permettent d’affliger des sanctions aux États suite à leur violation des droits énoncés dans les conventions qu’ils ont
ratifiées.
249
Zani MAMOUD, op. cit., p. 45.
88
Par ailleurs, la France comme le Maroc a signé et ratifié ce 3e protocole. En effet, la
France l’avait signé le 20 novembre 2014 aux Nations Unies et il était entré en vigueur
trois mois après sa ratification soit le 7 avril 2016. Cette ratification est considérée par les
défenseurs des droits de l’enfant en France comme une continuité des efforts émis par
l’État dans la protection des droits de l’enfant. Lors de la signature, la France n’a émis
aucune déclaration ou réserve sur le texte pour qu’il soit une opportunité de renforcer le
système de protection des droits de l’enfant. En ce qui concerne le Maroc, la ratification
du 3e protocole facultatif à la CIDE a été annoncée lors du 2e forum des droits de
l’Homme tenu à Marrakech le 27 novembre 2014. Suite à cette ratification, le Roi
Mohammed VI a mis en place un programme à suivre par le gouvernement de l’époque
ainsi que par tous les acteurs des droits de l’enfant dont, les acteurs publics comme
l’observatoire national des droits de l’enfant, la société civile, les partenaires
internationaux afin d’élaborer un plan d’action qui vise à mettre en place des mesures et
des mécanismes consacrés à accompagner la bonne application du protocole. La
ratification du 3e protocole facultatif à la CIDE par le Maroc, le place parmi les premiers
pays du monde arabe et de l’Afrique qui ont ratifié ce texte en confirmant une vision d’un
engagement en matière de défense et de promotion des droits de l’enfant.
250
Rapport des observations finales concernant le troisième et le quatrième rapport périodique du Maroc
89
B - Une applicabilité universelle.
198. La révolution réalisée par la Convention internationale des droits de l’enfant, est
d’offrir à l’ensemble de la communauté internationale les instruments nécessaires pour
que les droits de l’enfant soient respectés et appliqués partout dans le monde. Cependant,
la reconnaissance de la CIDE par la majorité des États parties n’a pas atténué l’existence
de certaines particularités qui ont freiné l’universalité du texte. Cette vision s’inscrit
clairement dans la problématique de l’universalité des principes des droits de l’Homme
de manière générale face aux particularismes des États signataires 251.
Bien que l’élaboration de la CIDE ait fait l’objet d’un travail de consensus et de
compromis entre valeurs, convictions, cultures et traditions propres à la population
mondiale afin d’envisager une ratification massive, son caractère universel est souvent
confronté à de nombreuses problématiques plus profondes qui sont principalement liées à
la pluralité des sources d’inspiration de certains droits nationaux comme le cas du Maroc
au niveau d’intégration de la CIDE en droit interne et aux réserves qui en découlent.
Ces possibilités offertes aux États parties font que ces derniers ne réceptionnent pas de la
même façon les dispositions du droit international de manière générale et celui de la
CIDE en particulier.
200. Cette divergence de la réception de la norme internationale est évidente entre les
deux systèmes juridiques que nous étudions. En effet, la France a trouvé un équilibre
entre la norme internationale et le droit interne en définissant les règles et les conditions
de faire appliquer les dispositions de la CIDE par le juge. Néanmoins, elle connaît des
limites par rapport à l’application de l’intégralité de la convention, tandis que le
législateur marocain reste hésitant entre une nouvelle constitution qui valorise et
reconnaît la supériorité des traités internationaux et les contradictions qu’il peut y avoir
avec la référence au droit musulman.
201. Dans la continuité de promouvoir les principes des droits de l’Homme dans le pays,
la France a mis en place tout un mécanisme afin que les conventions internationales
soient applicables dans l’ordre juridique interne. Cependant, cette question d’applicabilité
des conventions internationales n’a pas toujours trouvé une réponse unique.
251
L’universalité des droits de l’homme a toujours fait débat, bien que la majorité des déclarations et conventions
portent un caractère universel. De nombreux défenseurs des droits de l’homme occidentaux et non-occidentaux
soulignent l’articulation de cette universalité autour des tendances historiques du monde occidental au cours de ces trois
derniers siècles et d’une certaine anthropologie philosophique de l’humanisme individualiste qui a contribué à les
justifier et les hypothèses de base de la Déclaration des droits de l’homme par exemple ; aussi ils confirment que cette
universalité ne peut exister que dans un cadre laïc et non dans le cadre de religion.
90
Étant donné la complexité de cette question d’une manière générale, l’applicabilité de la
CIDE a suscité également pendant longtemps un grand débat entre la Cour de cassation et
le Conseil d’État ce qui a toujours résulté en des positions divergentes en la matière. En
effet, la reconnaissance de l’applicabilité de la CIDE a connu un long chemin de
réalisation en ce qui concerne certaines dispositions de la CIDE alors que d’autres restent
encore à accomplir. Une situation qui ne satisfait pas complètement les défenseurs des
droits de l’enfant qui considèrent que la CIDE est l’outil complet de la protection de
l’enfant et qu’une application immédiate pour l’ensemble de ses dispositions devrait être
créée.
203. La Convention internationale relative aux droits de l’enfant est entrée en vigueur en
France la 6 septembre 1990252, affirmant l’intérêt porté par l’État français à la protection
des enfants en mettant en exergue la supériorité des traités internationaux sur le droit
interne. Par ailleurs, si pendant longtemps le système juridique français a été doté d’une
théorie dualiste qui ne permettait pas l’application des normes internationales en droit
interne, cette situation va connaître un grand changement avec la constitution de 1946 par
laquelle la France va adopter la théorie moniste en affirmant la conformité du droit
interne français aux règles internationales. Une affirmation qui restera incomplète avec la
non-précision des modalités mises en place afin de permettre la bonne application des
normes internationales.
Ce n’est qu’avec la Constitution de 1958 et par le biais de l’article 55 que résulte
l’intégration directe de la règle internationale et de la supériorité des traités
internationaux sur la loi nationale : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou
approuvés, ont, dès leur application, une autorité supérieure à celle des lois, sous
réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie »253. Cette
affirmation sera conditionnée par la ratification, la publication et la réciprocité. Des
conditions qui vont limiter l’application du droit international et qui ne permettront pas
aux particuliers d’invoquer la norme internationale devant une juridiction interne à
l’encontre d’une autre règle interne qu’à l’encontre d’un acte commis par un autre
particulier.
252
Jean-Louis. CLERGERIE, L’adoption d’une convention internationale sur les droits de l’enfant, Revue de droit
public, Mars-Avril 1990, p. 435.
253
Mastor WANDA, La convention internationale des droits de l’enfant, une convention particulière, op. cit., p. 11.
91
Ne trouvant pas d’accord sur le droit de visite, le père va solliciter l’intervention du juge
des affaires matrimoniales qui va procéder à une enquête par laquelle il va former un rejet
à la demande du père. Ce dernier va former un pourvoi en invoquant la violation des
articles 1, 3,9 et 12 de la CIDE et l’article 374 de l’ancien Code civil. La Cour de
cassation a tranché en précisant que « les dispositions de la convention relative aux droits
de l’enfant ne peuvent être invoquées devant les tribunaux ; cette convention, qui ne crée
des obligations qu’à la charge des États parties, n’étant pas directement applicable en
droit interne »254. Ainsi, la négation de l’ensemble des dispositions de la CIDE a été
affirmée. Malgré la décision catégorique de la Cour de cassation, d’autres juridictions
n’avaient pas écarté l’application de certaines dispositions de la convention, notamment
l’application de l’article 12 de la CIDE par la Cour d’appel de Paris dans une décision
rendue en 1991 ou encore par la Cour d’appel de Lyon dans une décision de 1991. Un
peu plus tard la première chambre civile a réaffirmé la même position par l’arrêt du 4
janvier 1995255 en rejetant l’application de certaines stipulations de la convention qui ne
s’appliquent pas en droit interne.
205. Il a fallu attendre l’année 2005 afin qu’un revirement jurisprudentiel voie le jour et
que le refus catégorique de l’applicabilité de la CIDE soit remis en question. En effet,
dans un arrêt du 18 mai 2005 qui n’était pas le seul, la Cour de cassation rompt pour la
première fois avec les décisions antérieures en affirmant l’application des articles 12-2 et
3-1 de la CIDE et l’article 388-1 sur la prise en compte de l’opinion et de l’intérêt
supérieur de l’enfant. Dans cette affaire relative à la résidence de l’enfant né d’une mère
américaine et d’un père français, l’enfant a demandé à être entendu par les juges afin de
s’exprimer sur son souhait, une volonté qui n’a pas été prise en compte alors que la CIDE
n’a pas été invoquée par les requérants, la première chambre civile a décidé de relever la
violation des dispositions du texte international.
La Cour de cassation a ainsi signalé à la Cour d’appel une violation directe et indirecte de
la CIDE, d’abord en négligeant les règles du Code civil et de la procédure civile qui visait
l’harmonisation du droit interne avec les textes internationaux et ensuite en négligeant les
dispositions de la CIDE. Ainsi, par le biais de cet arrêt, la Cour de cassation rejoint le
Conseil d’État et reconnaît l’intégration de la CIDE en droit interne. Une intégration qui
prend différentes formes : soit elle peut être invoquée par les requérants ou soit elle peut
être affirmée à l’initiative de la cour. Cette évolution jurisprudentielle a marqué la cour de
l’application de la CIDE en droit interne français 256.
254
Cass. civ. 1ère, 10 mars 1993 : n° 91-11. 310, citée par Marie-Philomène GIL-ROSADO, p. 23.
255
Cass. Civ.1, 4 Janvier 1995; Bull. Civ. I, 1995, n° 2.
256
Comme le précise la Cour de cassation dans son rapport annuel de 2009, « Une évolution de la jurisprudence de la
Cour de cassation devait donc intervenir. Elle s’est discrètement amorcée ; dès 1996, la première chambre civile ayant
eu l’occasion de rejeter des moyens fondés sur la CIDE, sans reprendre sa première jurisprudence sur l’inapplicabilité
directe, mais en laissant entendre que cette convention n’avait pas été méconnue. Ce qui laissait supposer qu’elle
pourrait l’être, et ce qui était un début de reconnaissance de l’applicabilité directe de certaines de ses dispositions ».
92
Cependant, la méthode d’appréciation qui fait que le juge procède par l’examen de
chacune des dispositions est considérée comme insuffisante et sélective par les défenseurs
des droits de l’enfant ainsi que par le comité des droits de l’enfant qui a rappelé à la
France dans ses observations de son rapport rendu en 2009 son inquiétude sur la
limitation de l’application des dispositions de la CIDE. Il l’incite ainsi à prendre les
mesures possibles afin que la CIDE soit appliquée dans sa totalité. Bien que
l’applicabilité de la CIDE en droit interne français soit considérée comme partielle, la
France fait partie des États partie souvent salués pour les efforts émis dans le but
d’améliorer les conditions d’applicabilité des dispositions du texte international.
206. Ceci est vrai, contrairement à d’autres États qui font l’objet de nombreuses
observations de la part du comité des droits de l’enfant sur le non-respect de la CIDE et
des conditions de son applicabilité. Nous faisons référence à la position du Maroc en
matière d’applicabilité directe ou indirecte des dispositions de la convention
internationale. En effet, la position du Maroc au regard de l’applicabilité de la CIDE est
considérée comme complexe suite à de nombreuses conditions, notamment celle de la
double référence juridique que nous avons déjà développée auparavant. Néanmoins, la
référence religieuse ne représente pas la seule difficulté à l’applicabilité de la CIDE au
Maroc.
207. Depuis la ratification de la CIDE le 2 juin 1993 par le Maroc, la promotion des
droits de l’enfant constitue un investissement d’avenir et un facteur de développement
social pour le pays. Cette vision est confirmée par l’intérêt porté à l’égard de l’enfant
depuis la ratification du texte, à travers les réformes menées au niveau juridique,
économique ou sociale. Ces réformes entrent clairement dans la volonté du Maroc
d’harmoniser le droit interne avec le droit international et de rendre possible
l’applicabilité des traités internationaux que le Maroc a ratifiés 257.
Comme nous l’avons déjà précisé, dès le début de son règne, le Roi Mohammed VI a visé
l’enfant dans l’ensemble de ses discours et souligné l’importance de prendre en
considération la place spécifique qu’occupe ce dernier au sein de la société. Une vision
royale qui s’est successivement traduite dans les réformes menées et qui ont été saluées
par le comité des droits de l’enfant dans son rapport rendu en 2012 parmi lesquelles on
retrouve la loi sur l’état civil ratifiée le 3 octobre 2002, la modification de la loi sur la
Kafala qui apporté une amélioration du sort des enfants abandonnés le 13 juin 2002, le
Code du travail en 2003, le Code de la procédure pénale de 2002 qui représente un
véritable progrès pour les mineurs, le Code de la procédure civile, le Code de la famille
en 2004, le Code de la nationalité en 2007 qui visait la levée des discriminations qui
pesaient sur les femmes258 et les enfants et enfin la constitution en 2011259.
257
Zhour ALHORR, Les droits de l’enfant en droit marocain ; le code de la famille comme modèle, l’enfant en droit
musulman, op. cit., p. 230.
258
Comité des droits de l’enfant, Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 44 de la
convention, troisième et quatrième rapport périodique des États parties devant être soumis en 2009, Maroc.
259
Abderrahim EL MASLOUHI, Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009), sous la direction du centre d’études
internationales, éd. KARTHALA, 2010, p. 30.
93
En effet, cette dernière est la première constitution de l’histoire du royaume qui traite
explicitement le droit international, en précisant dans son article 55 le processus
complexe de la ratification d’un traité où le Roi garde un pouvoir exclusif de ratifier ou
non un traité international.
Un texte qui contrairement à ce qu’il laisse entendre, n’affirme en aucun cas la supériorité
de la norme internationale sur le droit national et précise que le droit international doit
obligatoirement passer par le droit interne afin qu’il soit appliqué ; une règle qui rend
complexe l’applicabilité des conventions internationales que le Maroc ratifie. Bien que ce
dernier ait toujours confirmé son engagement dans les traités internationaux, dont la
Convention de New York, il s’avère que le respect du droit international est souvent
remis en question dans la pratique et ce, pour de nombreuses raisons. D’abord par la
méthode composite que le Maroc a adoptée dans le but d’harmoniser son droit interne
avec le droit international, qui consiste à intégrer un nombre de principes internationaux
dans la loi interne sans se référer explicitement aux textes internationaux ratifiés. Un
procédé que le législateur a intentionnellement mis en place afin de garder un champ de
liberté dans les conditions d’interprétation et d’applicabilité du droit international au
Maroc. Autrement dit, dans la majorité des textes réformés, le législateur marocain a
tenté d’adapter la norme internationale au droit interne afin d’éviter une incompatibilité
entre les deux normes.
208. La méthode appliquée est jusqu’aujourd’hui critiquée par les défenseurs des droits
de l’Homme en général, qui considèrent que l’adaptation d’une norme internationale
d’aspect laïc à une loi nationale d’une référence religieuse principale ne peut en aucun
cas respecter l’intégralité du texte international, une vision confirmée par Bérangère Taxil
qui « estime que les méthodes dualistes de transformation et d’adaptation ne respectent
pas toujours l’intégrité des traités, ni dans la lettre, ni dans l’esprit.
Cependant, l’absence de mesures d’adaptation est également (mal) perçue comme une
indifférence du législateur à l’égard du droit international »260. Une intégration à
caractère dualiste qui affaiblit l’impact judiciaire des réformes importantes qui touchent
principalement la femme et l’enfant au sein de la famille et qui met en place un décalage
entre l’esprit des discours réformistes d’un côté et la loi et la jurisprudence existantes
d’un autre.
Une jurisprudence résistante à l’application de la norme internationale souvent influencée
par le caractère conservateur des discours des juges qui laisse comprendre que les
convictions et les considérations morales et religieuses influencent explicitement leurs
décisions, la difficulté d’intégrer et de faire référence à un texte international, suite à la
formation limitée du juge en la matière, ou encore la limitation de la ratification elle-
même par le pouvoir politique qui parfois décide si le texte peut être applicable
directement par le juge ou pas261.
260
Bérangère TAXIL, pp. 111-113.
261
Voir dans ce sens : Bérangère TAXIL, Internationalisation du droit, internationalisation de la justice, sur :
http://v1.ahjucaf.org/Methodes-d-integration-du-droit.html
94
Ainsi, il est évident que la question de l’applicabilité directe de la CIDE au Maroc est
encore très limitée, et peu courante que ce soit par le juge interne ou par les requérants,
une limite qui peut remettre en question sa ratification.
209. Il est tout de même important de préciser que malgré la complexité du système
juridique marocain, le juge a essayé de prendre en considération l’intégration des deux
grands principes de la CIDE dans les réformes menées par le législateur notamment, le
principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et le respect des opinions de l’enfant en matière
familiale. En effet, le juge se trouve devant l’obligation de mettre en exergue
l’incorporation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le code de la famille qui
est représenté comme un élément primordial d’abord dans son préambule « le projet vise
notamment à protéger les droits de l’enfant » mais aussi à « l’introduction des réformes
substantielles suivantes (…) préserver les droits de l’enfant en insérant dans le code des
dispositions pertinentes des conventions internationales ratifiées par le Maroc (…) », « il
appartient à l’État de prendre les mesures nécessaires en vue d’assurer la protection des
enfants, de garantir et préserver leurs droits conformément à la loi ». Une réforme qui se
réfère au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant vingt-deux fois dans le code de la
famille. De plus, le législateur évoque la parole de l’enfant de manière explicite dans son
article 166 « En cas de rupture de la relation conjugale des parents, l’enfant peut, à l’âge
de quinze ans révolus, choisir lequel de son père ou de sa mère assumera sa garde (…)
En l’absence du père et de la mère, l’enfant peut choisir l’un de ses proches parents (…)
sous réserve que ce choix ne soit pas incompatible avec ses intérêts et que son
représentant légal donne son accord »262. Ces articles du code de la famille font une
référence explicite à l’article 3-1 relatif à l’intérêt supérieur de l’enfant et à l’article 12-2
relatif au droit de l’enfant à la participation dans les décisions qui le concernent de la
CIDE.
Toutefois, bien que ces deux dispositions soient intégrées en droit interne, leur
application par le juge est souvent critiquée étant donné le caractère composite du droit
de la famille ; elles sont susceptibles d’interprétation ce qui ne reprend pas souvent
l’esprit de la CIDE par le juge. Une situation critiquée explicitement dans le rapport
alternatif des ONG marocaines présenté au comité des droits de l’enfant en 2014 qui
attire l’attention sur l’imprécision du contenu du principe de l’intérêt supérieur de
l’enfant qui peut engendrer un cadre et une interprétation étonnante du principe
notamment « celle du Ministre de la justice qui dans une circulaire en 2012 a estimé
qu’il était plus dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’être placé dans un centre
d’éducation islamique, que d’être avec ses parents qui risqueraient de ne pas lui
transmettre cette éducation »263. Un discours qui fait preuve de la diversité
d’interprétation du principe. De plus, d’autres éléments d’ordre socio-économiques
concernant l’enfant ou la famille marocaine s’ajoutent dans l’influence des procédures
judiciaires264.
262
Code de la famille marocain 2004.
263
Rapport alternatif des ONG Marocaines aux 2e et 3e rapports de l’État marocain de mai 2012 relatif à l’application et
le suivi de la CIDE.
264
Idem.
95
Cela dit, l’applicabilité des deux principes de la CIDE en matière familiale ne connaît pas
des limites uniquement devant le juge mais aussi par rapport au manque de promotion de
la convention chez les familles et les enfants, puisque les requérants peuvent aussi établir
leurs demandes, ce qui interpellera les avocats et les professionnels de l’enfance à
approfondir leurs connaissances en la matière. En outre, il est évident que l’applicabilité
de la CIDE au Maroc connaît encore des limites que ce soit sur l’application indirecte par
le législateur en droit interne ou d’une manière directe par le juge. Des limites qui
remettent en question l’évolution que le Maroc a faite en la matière et qui provoquent de
nombreux critiques au niveau national et international à travers les rapports rendus, qui
décrivent la situation alarmante des enfants au Maroc et qui reflètent d’une manière
explicite les éléments qui participent à limiter l’intégration et la reconnaissance de la
CIDE.
96
Section 2 : Une universalité confrontée à certaines réticences.
210. L’universalité des dispositions de la CIDE peut être analysée de deux manières.
D’abord par l’adhésion à ses principes et sa ratification et ensuite par l’examen de sa mise
en œuvre dans le pays. Une mise en œuvre souvent confrontée à des obstacles qui
limitent la concrétisation d’une vision universelle des droits de l’enfant en reconnaissant
l’individualisation du statut de l’enfant et en disposant de tous les moyens afin que ses
droits soient respectés. Cependant, bien que la CIDE soit la convention la plus ratifiée de
l’histoire, la situation des droits de l’enfant dans le monde démontre les défis auxquels les
dispositions de la CIDE font face. Autrement dit, bien que le texte ait été ratifié par la
quasi-totalité des États des Nations Unies, il n’a cependant pas réussi à faire disparaître
les violations aux droits de l’enfant et à faire respecter les grands principes du texte
notamment, le droit à la vie et au développement, la non-discrimination et l’intérêt
supérieur de l’enfant. Des principes qui ne peuvent pas être respectés sans les efforts des
États parties à les promouvoir. Cependant, les États sont souvent confrontés à une réalité
politique, socio-économique, culturelle ou religieuse qui rend le texte critiquable par
rapport à son applicabilité (Paragraphe 1).
211. Ainsi, l’universalité de la CIDE fait face à l’ensemble de ces éléments qui
influencent clairement l’applicabilité et le respect de ses dispositions, une confrontation
qui remet en cause le texte et qui résulte d’un grand nombre de réserves qui limitent le
respect des droits de l’enfant aboutissant à une double référence en droit interne
(Paragraphe 2).
212. Pour que la CIDE soit respectée par les États, il ne suffit pas d’une simple
ratification du texte. En effet, l’applicabilité de la CIDE coexiste avec d’autres éléments
qui affectent la vision et la mise en œuvre de l’ensemble des principes de la convention.
C’est ainsi, qu’il existe des divergences dans les mesures prises par les pays développés
qui bénéficient d’un système démocratique stable, élaboré sur les principes des droits de
l’Homme et qui vise une amélioration continue en prenant en considération l’évolution
sociale et économique tandis que la situation est plus délicate pour les États en voie de
développement, dans lesquels la question des droits de l’Homme de manière générale
n’est pas glorieuse et souvent remise en question. Tel est le cas du Maroc où
l’applicabilité des dispositions de la CIDE reste fragilisée par la lente évolution politique
et socio-économique.
213. Il est évident que depuis la ratification de la CIDE par le Maroc, ce dernier a fourni
de nombreux efforts notamment dans le cadre politique afin de mettre en place un État de
droit qui vise à promouvoir les droits de l’Homme et donc à respecter l’enfant en tant
qu’individu ; des efforts souvent jugés insuffisants par les acteurs des droits de l’Homme
et de l’enfant.
97
Cette insuffisance se traduit clairement dans les rapports rendus par les commissions des
droits de l’Homme et des ONG qui pointent du doigt la situation politique critique
considérée comme un obstacle à la promotion des droits de l’enfant (A). S’ajoute à cela le
cadre socio-économique, qui classe le Maroc parmi les pays où la violation des droits de
l’enfant est courante notamment avec le taux de pauvreté et d’analphabétisme (B).
214. Évaluer l’évolution des droits de l’Homme de manière générale dans un pays,
revient à analyser dans un premier temps son système politique. Une analyse qui permet
souvent de démontrer les lacunes, les obstacles politiques et les difficultés auxquels est
affrontée l’universalité des conventions internationales. Ainsi, dans le cas du Maroc, il est
important de mettre la lumière sur le système politique complexe de la monarchie qui est
un mélange entre le traditionnel, tirant son origine de la religion musulmane et le
moderne visant à mettre en place une monarchie constitutionnelle 265. Ainsi, le pouvoir
marocain fonde avant tout sa légitimité sur les attributs de la religion musulmane, une
approche qui, selon BELHAJ « se manifeste dans la manière dont se structure le pouvoir
royal, dans le type d’allégeance faite au souverain et dans la dimension religieuse qui
légitime les fondements du droit »266. Ainsi, l’ensemble des dynasties qui ont régné sur le
Maroc ont légitimé leur pouvoir sur une base religieuse 267, un mécanisme qui met en
place un État puissant qui se structure autour du Roi en tant que commandeur des
croyants et chef du Makhzen268. Ce dernier a joué un grand rôle religieux dans la
préservation de la culture marocaine d’aujourd’hui, par la préservation du Malékisme au
détriment du chiisme ou du kharijisme269. Toutefois, le Mekhzen demeure
jusqu’aujourd’hui un système mystérieux et difficile à définir concrètement. En effet, de
nombreux chercheurs se sont intéressés à ce système original de gouvernance. Pour
Michaux-BELLAIRE 270 « le Makhzen se définit comme une autorité despotique
entretenant le désordre social pour le maintien de son propre pouvoir d’arbitrage ».
Autrement dit, le Makhzen est connu par son rôle de diviser les tribus afin de maintenir le
pouvoir du Sultan ou du Roi Abdellah LAROUI le définit, « comme le groupe qui
choisissait le sultan et exécutait ses décisions »271, mais aussi comme « tous ceux qui
percevaient un salaire du trésor sultanien ».
Par conséquent, il est évident que le Makhzen est considéré comme une autorité qui
évoque la raison religieuse afin de contraindre une communauté territoriale de faire
allégeance au sultan. Ainsi, quand la dynastie Alaouite s’installe en 1650, elle garde ce
265
Abdessamad BELHAJ, L’usage politique de l’islam : l’universel au service d’un État. Le cas du Maroc, Recherches
sociologiques et anthropologiques, 37-2 /2006, pp. 121-139.
266
Idem.
267
De nombreuses dynasties arabes ont légitimé leur pouvoir sur l’élan religieux dont la descendance du prophète,
notamment les alaouite au Maroc et les hachemites en Jordanie.
268
Le Mekhzen est un mot qui signifie entrepôt fortifié, utilisé dans les stockages des aliments, et qui a donné le mot
« magasin » en français ; la faculté de percevoir les impôts est synonyme du pouvoir exercé par une tribu sur les autres.
Ainsi, dans le contexte politique marocain ça signifie le régime marocain.
269
Id, ibid.
270
Edouard MICHAUX-BELLAIRE, L’administration au Maroc. Le Makhzen, étendue et limites de son pouvoir,
Tanger, 1990, Cité par Abdessamad BELHAJ, op. cit.
271
Abdellah LAROUI, Les origines sociales et culturelles du nationalisme marocain 1830-1912, Paris, Maspero, 1977.
98
mécanisme politique qu’elle juge efficace et qu’elle modernise au fil des années tout en
conservant la place et le titre du commandeur des croyants, un titre auquel la monarchie
alaouite s’attache particulièrement, afin de justifier la sacralité d’un pouvoir religieux
dans la figure d’un Roi-Sultan.
215. Ce mécanisme de gouvernance est affirmé par deux éléments principaux,
l’installation d’un islam d’État et la sacralisation de la personne du Roi. En effet, toutes
les constitutions marocaines affirment que le caractère religieux qui se projette sur
l’universalité de l’islam est le fondement principal et légitime du pouvoir marocain.
Ainsi, après l’arrivée du Roi Hassan II au pouvoir et malgré les défis de la
démocratisation du pays et la situation politique tendue dans les années 60 et 70 suite à la
pression de l’opposition socialiste qui contestait le droit exclusif du Roi dans la
gouvernance, ce dernier a toujours préservé cette politique dans toutes ses réformes
constitutionnelles. l’ancienne constitution confirme cet attachement par de nombreux
articles notamment, l’article 6 « l’islam est la religion de l’État qui garantit à tous le
libre exercice des cultes » et l’article 19 « le Roi, Amir al-mouminin, représentant
suprême de la Nation, symbole de son unité, garant de la pérennité et de la continuité de
l’État, veille au respect de l’islam et de la constitution. Il est le protecteur des droits et
libertés des citoyens, groupes sociaux et collectivités. Il garantit l’indépendance de la
Nation et l’intégrité territoriale du royaume dans ses frontières authentiques »272.
Une affirmation constitutionnelle qui donne au Roi « Amir Al Mouminine » deux
fonctions : d’abord une fonction inclusive qui se manifeste dans ses discours qui
affirment qu’il est l’unique référence pour la nation marocaine et ensuite un rôle exclusif
qui permet au Roi d’avoir l’exclusivité de gérer le domaine religieux, une fonction
stratégique par laquelle le Roi garde son contrôle sur toute l’opposition, que ce soit les
islamistes ou les socialistes à moins qu’ils reconnaissent l’autorité du Roi. Un titre qui a
été utilisé par le Roi Hassan II à de nombreuses reprises afin d’affronter toute
contestation contre son pouvoir. Cette composition du système politique marocain a
permis au Roi Hassan II de contrôler le pays d’un bras de fer ; ainsi la période de son
règne est considérée comme la plus marquée par de nombreuses violations des droits de
l’Homme273.
216. En arrivant au pouvoir en 1999, le Roi Mohammed VI affiche sa volonté de tourner
la page des violations des droits de l’Homme et de vouloir réformer et moderniser la
société marocaine accompagnée de ses institutions. Ainsi, les premières réformes sont
celles du droit de la famille et du droit pénal. D’autres efforts sont aussi déployés afin de
moderniser le domaine religieux et d’insister sur une vision religieuse malékite tolérante.
Une démarche qui a abouti à l’organisation de nombreux congrès visant à diffuser
l’image d’un islam modéré tel que « le premier congrès des Imams et Rabbins pour la
paix d’Ifrane ».
272
La constitution Marocaine de 1994.
273
Abdessamad BELHAJ, L’usage politique de l’islam : l’universel au service d’un État. Le Cas du Maroc, op. cit.
99
Par ailleurs, la vision et les promesses de modernisation ne se sont pas manifestées en
matière constitutionnelle et il a fallu attendre les mutations du printemps arabe274 qu’a
connu un grand nombre de pays arabes et qui a abouti soit à des bouleversements
radicaux des régimes politiques comme ce fut le cas de la Tunisie ou l’Égypte, soit à des
réformes jugées profondes par le régime en place notamment le cas du Maroc 275. Face à
ces mutations dans le monde arabe, le Roi Mohammed VI a opté pour une stratégie qui a
été payante et qui a consisté à réformer la constitution. La réforme de cette dernière
survenue en 2011 est fondée sur la promesse d’une mise en place d’un pouvoir équilibré
entre l’encadrement du pouvoir royal et la garantie des droits de l’Homme. Cependant, la
Constitution de 2011 ne va pas tenir ses promesses pour les défenseurs des droits de
l’Homme et est jusqu’à nos jours jugée comme insuffisante.
217. La déception des défenseurs des droits de l’Homme est assez prononcée vis-à-vis du
texte constitutionnel. En effet, la constitution de 2011 a gardé un caractère religieux
évident dans un grand nombre de ses articles notamment ceux qui affirment la religion
d’État et le statut religieux du Roi en sa qualité de Amir al-mouminin. Ainsi, dans son
préambule, la constitution du 1er juillet 2011 affirme que « le Maroc est un État
musulman souverain (…) la prééminence accordée à la religion musulmane dans ce
référentiel national (…) ». Aussi, l’article 3 dispose que « L’islam est la religion de
l’État, qui garantit à tous le libre exercice des cultes » ; la devise de l’État dans l’article 4
est « Dieu, la patrie, le Roi ». Des affirmations qui prouvent explicitement l’attachement
du régime marocain au caractère religieux, une adoption qui vient renforcer la monarchie
et sa légitimité islamique ainsi que celle du Roi fondu sur l’ascendance prophétique.
218. En ce qui concerne le rôle du Roi, la constitution de 2011 se distingue des textes qui
la précèdent par la dissociation entre les fonctions du Roi en tant que chef d’État (article
42) et commandeur des croyants, une dissociation qui vise à assurer un équilibre et éviter
la possibilité de rabattre les compétences les unes sur les autres. Cependant, l’analyse de
cet article fait ressortir la conservation et le renforcement des compétences du Roi dans
l’apparition de deux autres titres « arbitre suprême et protecteur du choix
démocratique »276. De plus, l’article 41 vient confirmer le statut d’Amir al-mouminin qui
exerce son pouvoir exclusif de commanderie (imara) des croyants : « Le roi,
commandeur des croyants, veille au respect de l’islam. Il est le garant du libre exercice
des cultes. Il préside le conseil supérieur des ‘ulama’, chargé de l’étude des questions
qu’il lui soumet. Le conseil est la seule instance habilitée à prononcer les consultations
religieuses (fatwa) officiellement agréées, sur les questions dont il est saisi et ce, sur la
base des principes, préceptes et dessins tolérants de l’islam. Les attributions, la
composition et les modalités de fonctionnement du conseil sont fixées par Dahir. Le Roi
exerce par Dahirs les prérogatives religieuses inhérentes à l’institution de la
commanderie des croyants qui lui sont conférées de manière exclusive par le présent
274
Ce soulèvement est survenu contre les régimes autoritaires en place et la concentration du pouvoir ainsi que la non-
séparation des pouvoirs et des violations extrêmes des droits de l’homme.
275
Malik BOUMEDIENE, Révolutions arabes et renouveau constitutionnel : Une démocratisions inachevée, La revue
des droits de l’homme, 2014. Disponible sur : https://journals.openedition.org.
276
Omar BENDOUROU, La consécration de la monarchie gouvernante, L’année du Maghreb, VII, 2012, pp. 391-404.
100
article277 ». Ainsi, par cet article le Roi conserve encore une fois ses compétences en
matière religieuse. Par cette analyse, il est clair que la réforme de la constitution en 2011
n’a pas permis d’estomper la soumission de la religion à la monarchie avec la
conservation de l’ensemble des compétences du monarque. D’ailleurs la continuité d’une
adoption d’un islam d’État est également traduite dans le rite d’allégeance qui reste un
symbole religieux fort qui continue d’exister et qui confirme l’obéissance des croyants
musulmans au commandeur.
219. Il est évident que le système politique complexe du régime marocain et son caractère
dualiste influence visiblement la question des droits de l’Homme et plus précisément
ceux du droit de la famille où l’attachement à certaines règles du droit musulman est
encore présent et limite un grand nombre de réformes qui peuvent affecter la question des
droits de l’enfant. C’est dans ce sens qu’il semble évident de considérer que le facteur
politique joue un rôle principal dans l’instauration d’un État de droit, ce dernier étant la
garantie au respect de l’universalité des droits de l’Homme et de toutes les conventions
internationales notamment celles relatives aux droits de l’enfant. Ainsi, la complexité du
régime marocain et de sa politique menée qui conserve un caractère dualiste a souvent
des incidences sur l’applicabilité des conventions internationales dont la CIDE.
220. Dans le cadre de l’ouverture politique que revendiquait le Roi Mohammed VI depuis
son arrivée au pouvoir, de nombreuses réformes ont été menées dans l’objectif de mettre
en avant les droits de l’Homme et les droits de l’enfant. Ainsi, les engagements
internationaux du Maroc durant les dix dernières années en matière des droits de l’enfant
se sont traduits par de nombreuses réformes internes dont l’objectif est de mener à bien la
modernisation de la société marocaine dans son ensemble.
277
La constitution Marocaine de 2011.
101
En effet, dans ce cadre, les réformes législatives et institutionnelles se sont poursuivies
pour répondre à la situation urgente de la protection de l’enfance au Maroc. Aussi cette
volonté s’est traduite par la mise en place de nombreux programmes afin d’accélérer les
mécanismes œuvrant pour la protection de l’enfant. En effet, lors du 10 e congrès des
droits de l’enfant, tenu le 25 Mai 2004 à Rabat, le Roi Mohammed VI exprime à travers
une lettre royale sa volonté de concrétiser et de respecter l’engagement international du
pays en affirmant : « (…) Nous sommes convaincus de relever les défis. Ceci passe par un
dialogue engagé et constructif, pour mettre en place le plan national qui illustre l’intérêt
tout particulier que nous portons à l’amélioration de la condition des enfants dans notre
pays (…). Nous invitons tous les acteurs concernés, qu’il s’agisse du gouvernement,
d’organismes publics, de collectivités locales, de société civile, de secteur privé ou de
médias, à faire preuve d’une mobilisation et d’une coordination accrues, pour améliorer
la situation de l’enfance (…) »278.
221. Ainsi, le plan d’action national pour l’enfance PANE s’est vu adopté en juillet 2005
(2005-2015)279 avec dix grands objectifs et qui sont : « progresser le droit à une vie
saine ; le droit au développement ; le droit à la protection ; renforcer les droits de
l’enfant par la généralisation ; développer une meilleure équité ; renforcer les capacités
des détenteurs d’obligations à l’égard des enfants ; accroitre et optimiser les ressources
budgétaires et humaines allouées à la réalisation des droits de l’enfant ; créer les
mécanismes de partenariat et un dispositif de suivi de l’exercice des droits de l’enfant ;
assurer les conditions de mise en œuvre du PANE dans une approche inter et
multisectorielle ». Durant les années d’application du PANE, celui-ci a été confronté à
l’ampleur de la situation critique de la protection de l’enfant. Ainsi, bien que de
nombreux droits de l’enfant aient été assurés ou encadrés tant sur le plan théorique que
sur le plan pratique, le bilan effectué à mi-parcours de l’application en 2011 a révélé
l’insuffisance des résultats en affirmant : « qu’en matière de protection, le décalage
demeure manifesté entre d’une part, les ambitions du pays et les moyens consentis, et
d’autre part, les résultats réalisés effectivement »280.
Avant même la fin du PANE, le ministère de la solidarité, de la femme, de la famille et
du développement social (MFFDS) lance son nouveau projet qui prend en considération
les dispositions de la constitution de 2011 qui vient affirmer le rôle de l’État en matière
de protection des droits de l’enfant et précise dans son article 32 que « L’État assure une
égale protection juridique et une égale considération sociale et morale à tous les enfants,
abstraction faite de leur situation familiale ». Aussi, « qu’il appartient à l’État de
prendre les mesures nécessaires en vue d’assurer la protection des enfants, de garantir et
préserver leurs droits conformément à la loi »281.
278
Extrait de la lettre Royale, lue par la princesse Lalla Meryem lors du 10 ème congrès des droits de l’enfant tenu le 25
Mai 2004, à Rabat.
279
Ce plan rentre dans la contribution et la matérialisation de l’initiative nationale de développement humain (INDH)
lancée par le Roi Mohammed VI en 2005, qui vise à lutter contre la pauvreté, l’exclusion sociale et le développement
des ressources humaines.
280
Rapport national d’évaluation à mi-parcours sur la mise en œuvre du plan d’action « Un monde digne de ses
enfants », 2011. Disponible sur : www.unicef.org.
281
La constitution Marocaine 2011.
102
222. Ainsi l’adoption de la politique publique intégrée de protection de l’enfance
PPIPEM (2015-2020) est élaborée. Elle se veut comme une continuité de l’ancien plan et
représente un nouvel engagement pour le Maroc dans la protection de l’enfance. Un plan
renforcé par un cadre juridique, institutionnel et politique en mouvement 282 qui permet la
mise en place d’une protection qui se réalise à travers cinq objectifs à savoir :
– Le renforcement du cadre légal de la protection de l’enfance et son effectivité ;
282
En plus de la constitution de 2011, de nombreuses mesures sont venues renforcer l’adoption du PPIPEM
notamment : le décret de 2014 qui a permis l’institutionnalisation d’une commission interministérielle de l’enfance ; la
loi 78-14 relative à la création du conseil consultatif de la famille et de l’enfance ; le projet relatif au conseil national
des droits de l’homme, qui prévoit la mise en place d’un mécanisme de recours et de monitoring spécifique aux droits
de l’enfant S’ajoute à cela le rôle considérable de la société civile.
283
Le PPIPEM.
103
B- Les obstacles d’ordre socio-économiques.
224. Nous ne pouvons pas aborder l’évolution des droits de l’Homme dans un pays, sans
évoquer les réformes politiques et juridiques qui visent à respecter l’engagement de l’État
au regard des conventions internationales. Cependant, bien que l’analyse des mesures
prises dans ce sens puisse être favorable à une évolution concrète, elle ne peut être
complète sans la prise en compte du contexte de la situation socio-économique qui
représente un élément d’influence et qui peut favoriser ou limiter cette évolution dans le
pays. Ainsi, au Maroc, comme partout dans les pays en voie de développement, l’élément
socio-économique constitue souvent un obstacle devant une évolution permanente,
d’abord dans un cadre où l’économie est considérée comme instable et puis face à une
société où la pauvreté et l’analphabétisme sont importants.
284
Le PNUD est un programme qui vise la réalisation de huit objectifs notamment : l’élimination de l’extrême pauvreté
et la faim ; la garantie de l’éducation primaire pour tous ; la promotion de l’égalité et de l’autonomisation des femmes ;
la réduction de la mortalité infantile ; l’amélioration de la santé maternelle ; la lutte contre le VIH, le paludisme et
d’autres maladies ; la garantie d’un environnement durable ; la mise en place d’un partenariat mondial pour le
développement.
104
– L’espérance de vie à la naissance (ce qui permet de donner une idée sur l’état sanitaire
de la population du pays et donc du bien-être de la population) ;
– L’éducation (le niveau d’instruction mesuré par la durée moyenne de scolarisation et
d’alphabétisation) ;
Cependant, les statistiques qui sont annoncées par exemple en 2009 ne répondent pas aux
espérances et le « taux de pauvreté s’élève à 2,8 millions de personnes pauvres et 5,4
millions de personnes vulnérables, ce qui signifie que c’est bien plus du quart de la
population marocaine qui se trouve en situation enviable ; aussi s’ajoute à cela d’autres
formes de précarités persistantes notamment l’accès à la santé, à l’éducation, au
logement décent et aux services de base »285.
285
Touhami. ABDELKHALEK, Cadre stratégique national de réduction de pauvreté au Maroc : à propos du concept de
pauvreté et analyse de la situation, rapport pour le ministère du développement social, de la famille et de la solidarité,
105
Bien que les chiffres ne fassent pas toujours l’unanimité, ils démontrent l’ampleur de la
situation et de la précarité persistante chez un grand nombre de marocains. Ainsi, le
classement de l’indicateur de développement humain du Maroc indique une situation
souvent stagnante ou en une légère amélioration depuis des années.
En effet, depuis la mise en place de l’INDH, le Maroc est passé de la 125 e sur 177 en
2004, à la 130e sur 182 en 2007, puis à la 114e sur 169 en 2010 et enfin à la 123e sur 189
en 2017 et en 2018286, bien qu’il parvienne à améliorer son score qui passe à 0,667 au lieu
de 0,647 enregistré en 2016, puis à 0,628 en 2015 et à 0,617 en 2014 en améliorant
l’espérance de vie ou encore augmentant les années de scolarité. La situation du Maroc en
développement humain reste très critique ; il est le seul pays arabe qui figure dans la
dernière catégorie « Groupe de développement humain moyen », une position qui le place
bien derrière l’Irak, la Palestine et l’Égypte. De même, au Maghreb, le Maroc se fait
dépasser par les pays voisins où l’Algérie est en 85e place et la Tunisie en 95e287. Le
dernier rapport du PNUD fixe les raisons de la situation tardive du Maroc en matière de
développement humain dans quelques domaines précis notamment en matière de revenu
national brut RNB par habitant et aussi dans le domaine de l’éducation qui connaît des
limites dans le nombre d’années d’éducation où la moyenne marocaine est de 5,5 ans et
est clairement en dessous de celle des autres pays arabes qui est à 7 ans, une difficulté
due principalement à la pauvreté des parents288.
228. De plus, nous ne pouvons pas nier que le taux de pauvreté au Maroc reste très élevé,
malgré l’amélioration qu’il a connue durant ces dernières années. Dans un rapport publié
conjointement en 2017, la Banque mondiale et le Haut-commissariat au plan affirment
que la pauvreté au Maroc allant de 2001 à2014 est clairement marquée par une baisse où
elle passe de 15,3 % en 2001 à 8,9 % en 2007 et 4,8 en 2014289. Une pauvreté qui se
concentre principalement dans le milieu rural puisqu’elle touche 1,3 million de personnes
dans les campagnes, engendrant ainsi de multiples formes d’exclusion des services où la
femme et l’enfant sont les plus concernés.
229. Dans un cadre de pauvreté aussi élevée et avec une population dont le tiers est âgé
de moins de 18 ans soit 11 millions de la population, le Maroc a fourni de multiples
efforts afin de répondre aux obligations internationales au regard de ses enfants. Ainsi,
suite à sa ratification de la CIDE, le Maroc a intégré l’enfant dans un grand nombre de
chantiers afin d’améliorer sa situation. Cependant, les efforts fournis par l’État ne sont
pas suffisants pour atténuer le taux de pauvreté très élevé des enfants qui sont privés de
leurs droits fondamentaux ce qui fait d’eux des enfants pauvres ou vulnérables. Ainsi est
élaborée la définition de la pauvreté des enfants par l’Unicef :
PNUD, 2009, cité par Myriam CATUSSE, le social : une affaire d’État au Maroc de Mohammed VI, confluences
Méditerranée, 2011, n° 78, pp. 63 à 76.
286
Rapport PNUD. Disponible sur : http://www.undp.org.
287
Malik DRISSI, Le Maroc mauvais élève du développement humain, tel quel, 16 septembre 2018.
288
Idem.
289
Rapport 2018, banque mondiale. Disponible sur :
https://www.banquemondiale.org/fr/country/morocco/publication/poverty-in-morocco-challenges-and-opportunities
106
« aux services de santé de base, au logement, à l’éducation, à la participation, et à la
protection, et bien qu’un manque sévère de biens et de services nuise à tout être humain,
c’est pour les enfants que cela représente la pire menace et le mal le plus grand, en les
rendant incapables de jouir de leurs droits, d’atteindre leur plein potentiel et de
participer à la société comme membre à part entière 290».
230. C’est en se basant sur cette définition que le dernier rapport réalisé par l’Unicef en
collaboration avec l’ONDH et le MFSEDS intitulé « Profil de la pauvreté des enfants au
Maroc » décrit un tableau sombre de la pauvreté multidimensionnelle des enfants en
personnalisant l’approche de MODA291 au contexte marocain et qui considère en
situation de pauvreté multidimensionnelle tout enfant privé d’au moins deux dimensions
de son bien-être. En effet, l’analyse montre qu’au Maroc il y a 39,7 % d’enfants entre 0
et17 ans qui sont des pauvres multidimensionnels292 ; c’est presque quatre enfants sur dix
qui vivent dans une situation de pauvreté et qui sont privés d’au moins deux dimensions
fondamentales de leur bien-être. Une privation qui se catégorise selon les différents âges
mais qui se concentre pour deux catégories d’enfants notamment pour les enfants entre 0
à 4 ans avec la privation de soins de santé, d’une nutrition équilibrée et d’une assurance
maladie ; pour les enfants entre 5 et14 ans, de la privation de l’eau, d’assainissement et
de logement, et enfin pour les enfants entre 15 et 17 ans où le déficit dans la dimension
éducative est très haut.
Une analyse qui met en évidence la vulnérabilité des enfants selon le critère monétaire et
qui concerne deux catégories : d’abord avec un taux de 4,4 % d’enfants vivant dans des
ménages où le pouvoir d’achat est en dessous de la ligne de pauvreté et 14,4 % d’enfants
vivant dans des ménages où le pouvoir d’achat est à peine au-dessus du seuil de pauvreté,
ce qui représente 18 % d’enfants au Maroc qui sont pauvres ou vulnérables 293. S’ajoute à
cela une autre problématique qui se manifeste dans les inégalités entre les milieux de
résidence, avec un taux de 68 % d’enfants pauvres en milieu rural contre 17,1 % en
milieu urbain, ce qui reflète clairement le défi des grandes inégalités entre les deux
milieux auquel le Maroc doit faire face avec des mesures plus efficaces 294.
290
Voir dans ce sens l’étude réalisée par l’UNICEF sur :
www.unicef.org/socialpolicy/files/GlobalStudyGuide_French.doc
291
L’analyse du chevauchement des privations multiples (MODA) est une méthodologie mise en place par l’UNICEF
qui propose une approche globale des aspects multidimensionnels de la pauvreté et des privations des enfants.
Disponible sur: https://www.unicef-irc.org.
292
Un concept qui intègre les critères socioculturels, en plus du critère financier.
293
Idem.
294
Observatoire National du Développement Humain (ONDH), Ministère de la Famille, de la Solidarité, de l’Egalité et
du Développement Sociale (MFSEDS et UNICEF (2017) Profil de la pauvreté des enfants au Maroc, Synthèse, ONDH,
MFSEDS, UNICEF, Rabat.
107
Taux de pauvreté multidimentionnelle des enfants
80 72,8 74,3
70 64,7
60
50 45,8
42,4
40 35,6
30 24,5
18,2
20 12,5
10
0
0-4ans 5-14ans 15-17ans
231. Il est évident que le Maroc a entrepris un ensemble de projets et de mesures afin
d’améliorer la situation sociale au Maroc avec des initiatives lancées majoritairement par
l’institution royale en vue d’affirmer le rôle de cette dernière dans l’évolution sociale.
Cependant, l’ensemble des études réalisées en la matière depuis le début du règne du Roi
Mohammed VI, pointe du doigt l’insuffisance des travaux menés ainsi que l’inefficacité
d’un grand nombre de mesures prises durant ces dernières années. De plus, l’ensemble
des programmes entrepris ne visent pas une politique claire avec l’objectif de mettre en
place un État social où ce dernier assure son rôle principal qui est de garantir à chaque
citoyen des droits sociaux.En outre, la situation sociale des enfants démontre une
situation alarmiste où l’État est encore très loin de réaliser l’objectif principal de la CIDE
et d’assurer aux enfants les droits revendiqués par cette dernière. Une situation qui peut
même être un terrain défavorable à l’applicabilité de la Convention internationale des
droits de l’enfant.
295
Idem.
108
Paragraphe 2 : Application confrontée à une double référence.
232. La Convention internationale des droits de l’enfant est considérée comme un idéal
constitué par la communauté internationale afin de reconnaître aux enfants des droits
protecteurs. Ces derniers sont garantis aux enfants dès la ratification de la CIDE par leurs
États. Une ratification dont l’objectif principal n’est pas forcément de bouleverser les
lois, les coutumes, les traditions ou encore les structures préexistantes dans un État, mais
d’obliger ce dernier de faire preuve d’un réel engagement au regard des dispositions de la
CIDE et d’harmoniser ou d’ajuster son droit interne avec les principes du traité
international. Cependant, la problématique qui se pose est celle de la contradiction de
certains principes de la CIDE avec des normes et des valeurs qu’un État considère
comme principales et qui ne sont pas susceptibles de modifications. C’est dans cette
perspective que le texte autorise dans son article 51, alinéa 1 aux États parties la
possibilité d’émettre des réserves au moment de la ratification ; un droit confirmé par
l’article 2, alinéa 1-d de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969
qui précise que « l’expression « réserve » s’entend d’une déclaration unilatérale, quel
que soit son libellé ou sa désignation, faite par un État quand il signe, ratifie, accepte ou
approuve un traité ou y adhère, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l’effet
juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à cet État »296. Un droit
qui permet à l’État de manifester sa souveraineté et son choix de limiter l’application
d’une convention.
233. Ainsi, à travers cette possibilité d’émettre des réserves, le caractère universel du
texte international peut être remis en question soit par l’inapplicabilité ou l’inefficacité
d’un certain nombre de droits proclamés suite aux réserves émises par des États parties,
soit par la possibilité d’interpréter et d’appliquer une des dispositions de la convention
d’une manière déterminée ou limitée. Toutefois, l’article 51 alinéa 2 interdit toute réserve
contradictoire avec l’esprit de la convention : « Aucune réserve incompatible avec l’objet
et le but de la présente convention n’est autorisée », une précision qui se définit selon le
professeur Alain PELLET, par « les règles, droits et obligations essentiels,
indispensables à l’économie générale du traité, qui en constituent la raison d’être et dont
la modification ou l’exclusion porteraient gravement atteinte à l’équilibre
conventionnel »297.
Il est évident que par le biais des réserves, la CIDE a pu garantir un grand nombre de
ratifications la classant première de toute l’histoire de la ratification des textes
internationaux. Cependant, le nombre d’États ayant formulé des réserves est assez élevé
ce qui constitue un obstacle à l’efficacité du texte et le rend prisonnier de ses propres
dispositions.
296
Convention de Vienne sur le droit des traités, art. 2, alinéa 1-d.
297
Une définition formulée par le professeur Alain PELLET, rapporteur spécial de la commission du droit
international, cité par Zani MAMOUD, op. cit., p. 23.
109
A- Un cadre général.
235. Ainsi, dans le cadre de la codification du droit des traités, la commission de droit
international a présenté en 1966 le projet de la convention sur le droit des traités qui
comprenait une section traitant de la question des réserves, un projet qui a servi de base à
l’adoption de la Convention de Vienne en mai 1969.
236. En effet, cette convention vient définir le caractère juridique des réserves. Ainsi dans
son article 2, on évoque un acte unilatéral ayant pour objectif la modification de certaines
dispositions ou la mise en place de réserves qui créent des particularités pour l’État qui
les a formulées par rapport au fonctionnement du traitement général du traité. Ainsi, à
travers la réserve, le pays dépose une condition qui précise que l’État ne s’engage qu’à la
condition que certains effets juridiques du traité ne lui soient pas appliqués, que ce soit
par l’exclusion ou la modification d’une règle ou par l’interprétation ou l’application de
celle-ci. De plus, dans l’objectif de comprendre les règles de la mise en place des
réserves, il est important de faire la distinction entre les réserves et d’autres actes menés
par les États au moment de l’adhésion ou de la ratification d’un traité.
110
Notamment, les déclarations interprétatives qui émanent unilatéralement d’un État sur
une convention afin de préciser son intention d’interpréter un certain nombre de
dispositions de la convention, une interprétation qui n’empêche pas l’entrée en vigueur de
ces dispositions à l’égard de l’État mais qui modifie le sens de la disposition 298. En ce qui
concerne les dispositions, elles ne sont pas considérées comme des réserves au vrai sens
du terme notamment parce qu’elles résultent d’une décision commune des États. En
outre, une fois qu’une réserve soit faite, elle devient une réalité et une obligation
réciproque entre les États que ce soit réservataire ou objectant. De plus, son effet
juridique n’est pas simplement de libérer un État de son obligation nationale de mettre ses
lois en conformité avec les termes du traité, mais bien de dispenser les autres États.
237. Cependant, bien que les réserves puissent être présentées comme un acte unilatéral,
en réalité elles représentent une offre dont les actes juridiques qui en découlent dépendent
de l’acceptation ou du rejet des États. En effet, si la réserve n’est pas explicitement
autorisée, les autres États se trouvent devant le choix d’accepter, de refuser ou de garder
le silence ce qui vaut acceptation selon l’article 20 de la Convention de Vienne. Par
ailleurs, face à la formulation d’une réserve formellement autorisée par le traité,
l’acceptation et l’objection n’ont pas à être mises en place ; toutefois il peut y avoir un
débat sur la formulation de la réserve ainsi que sur sa correspondance au traité.
238. En outre, comparé aux traités multilatéraux de manière générale, le nombre
d’adhésion et de ratification des traités relatifs aux droits de l’Homme a un taux de
réserve très élevé ce qui affaiblit clairement le régime et l’objectif des traités. Ainsi, dans
le but de limiter les réserves et de les réglementer, l’article 19 de la Convention de
Vienne réglemente la question des réserves de la manière suivante : « Un État au moment
de signer, de ratifier, d’accepter, d’approuver un traité ou d’y adhérer, peut formuler une
réserve, à moins :
a) Que la réserve ne soit interdite par le traité ;
b) Que le traité ne dispose que seuls des réserves déterminées, parmi lesquelles ne
figure pas la réserve en question, peuvent être faites ; ou
c) Que, dans les cas autres que ceux visés aux alinéas a) et b), la réserve ne soit
incompatible avec l’objet et le but du traité »299.
239. En effet, c’est l’absence d’imprécision sur l’incompatibilité de la réserve avec
l’objet et le but du traité qui laisse un pouvoir d’appréciation aux États qui peut être
problématique. Une situation sur laquelle la Cour internationale de justice a déjà donné
un avis consultatif en 1951, sur les réserves à la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide ou elle a précisé que « c’est dans le degré de
compatibilité entre la réserve et le but de la convention qu’il faut rechercher le critère
qui guidera tant l’attitude de l’État qui formule la réserve que celle de l’État qui y fait
objection »300.
298
Il importe de souligner que de nombreux États utilisent cet acte de déclaration interprétative et sa ressemblance afin
de mettre en place des réserves sous forme de déclaration.
299
La Convention de Vienne sur le droit des traités, ART. 19.
300
Voir C.I.J. Recueil 1951, p. 15, cité par Mamoud ZANI, op. cit., p. 24.
111
La même instance a aussi indiqué dans un autre arrêt en 2006 « qu’une réserve n’ayant
pas été l’objet d’objection des deux tiers des États parties devait être considérée comme
compatible avec l’objet et le but de la convention »301. Ainsi, l’imprécision sur les
conditions d’incompatibilité des réserves avec l’objet ou le but d’un traité se présente
comme une limite évidente sur les dispositions des traités qui perdent leur caractère
juridique ce qui limite la fonction du contrôle de l’organe chargé de la mise en œuvre.
240. Par ailleurs, malgré les efforts émis par la communauté internationale afin
d’encadrer et de trouver des résolutions à la question des réserves à travers la Convention
de Vienne, la question des réserves préoccupe jusqu’à nos jours un grand nombre de
chercheurs et de militants des droits humains sur leur impact sur la protection des droits
de l’Homme, notamment ceux qui concernent l’enfant. En effet, la Convention
internationale des droits de l’enfant est concernée également par la question des réserves,
ces derniers influencent clairement le droit interne et affectent l’universalité du texte.
241. La réserve est un acte de souveraineté que chaque État manifeste à travers sa volonté
et son droit d’écarter une ou plusieurs dispositions d’un traité qu’il juge incompatible
avec ses normes et ses valeurs. Comme nous l’avons précisé plus haut, la question des
réserves peut être garantie explicitement par le traité, tel est le cas pour la CIDE qui par le
biais de l’article 51 alinéa 1 autorise à tout État de formuler des réserves ou des
déclarations à l’encontre des dispositions de la convention tout en préservant l’objet et le
but que le texte défend et en garantissant la possibilité de les retirer à tout moment par
une notification à cet effet 302.
242. Sur les 191 États ayant ratifié la CIDE, plus d’un tiers a émis des réserves ou
déposés des déclarations interprétatives afin de limiter l’application de la convention sur
leurs territoires. Les réserves et les déclarations concernent principalement 29 articles
dont les plus fréquemment mentionnés par les États sont : l’article 14 qui porte sur la
liberté de pensée, de conscience et de religion, l’article 21 sur l’adoption nationale et
internationale, l’article 7 sur l’enregistrement à la naissance, le droit à un nom et à une
nationalité, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux303. S’ajoutent à cela
d’autres formes de réserves qui sont d’ordre général, notamment quand l’État se réfère à
la supériorité de la constitution et des lois internes et déclare qu’aucune disposition de la
convention qui va à l’encontre de ces derniers ne peut être appliquée ; ou par des
déclarations destinées à élargir leurs obligations, notant l’exemple de l’article 1 de la
convention qui traite la définition de l’enfant qui se retrouve souvent modifié.
301
Voir arrêt du 3 Février 2006, rôle général n° 126, pp. 29-30.
302
La notification doit être adressée au Secrétaire général de l’organisation des Nations Unies, qui informe ensuite tous
les États ; ainsi la notification prend effet à la date à laquelle elle est reçue par le secrétaire général.
303
Marie-Françoise LUKER-BABEL, Les réserves à la convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et
la sauvegarde de l’objet et du but du traité international.
112
243. Bien que l’effet juridique entre une réserve et une déclaration soit évident, les États
parties ne sont pas toujours précis dans leur formulation. Ainsi, l’ensemble des réserves et
des déclarations portent souvent en elles une ambiguïté qui affecte l’applicabilité de
l’intégralité des dispositions de la CIDE. En effet, de nombreuses réserves sont émises à
l’égard de la CIDE, dont le plus grand nombre émane des États islamiques qui visent à
protéger leur ordre juridique basé particulièrement sur des principes religieux et qui
diverge de l’aspect laïc de la convention. De plus, la majorité de ces États déclare que :
« Les dispositions de la convention seront interprétées à la lumière des principes
découlant des lois et valeurs islamiques ». Une déclaration qui permet une diverse
interprétation selon la vision et la volonté de l’État, ce qui peut engendrer une grande
divergence au niveau du respect des dispositions du texte304. Cette position est affirmée
par les États européens qui ont formulé une objection aux réserves présentées par les
États islamiques qui se sont référés aux principes religieux ou constitutionnels. Une
objection argumentée par l’incompatibilité des réserves avec l’objectif et le but du traité
ainsi que par leur crainte de voir envelopper les principes de droit international par des
règles de droit interne305.
244. Cependant, la question qui se pose est celle de savoir quand est-ce que les réserves
et les déclarations peuvent être incompatibles à l’objet et au but de la convention ? Et est-
ce qu’il est possible de définir explicitement l’objet et le but de la CIDE ? La mise en
place des réserves par les États parties est autorisée par la CIDE, une possibilité
conditionnée explicitement par l’article 51 alinéa 1 qui confirme qu’ « Aucune réserve
incompatible avec l’objet et le but de la présente convention n’est autorisé »306. Ainsi, les
réserves qui dépassent ces limites ne peuvent être prises en compte et l’État se trouve
devant l’obligation d’assumer la disposition.
245. En outre, afin que les États puissent mettre en place des réserves qui sont jugées
compatibles avec les dispositions du texte, il est obligatoire de désigner et de définir ce
qui constitue l’objet ou le but de la convention, chose qui n’est pas facile à traiter d’une
manière générale et qui dépend souvent de la nature des droits que le traité aborde, de son
objectif ultime et des parties engagés. En ce qui concerne la CIDE, la question est
considérée comme délicate puisque les dispositions du texte concernent de nombreuses
parties à la fois, telles que la communauté internationale, les États ainsi que les individus
concernés qui, dans ce cas-là, sont les enfants. Veiller à ce que les réserves émises par les
États parties soient compatibles avec le but ou l’objectif de la convention c’est permettre
aux organes de surveillance d’analyser et de juger ces réserves, un sujet sur lequel le
comité des droits de l’enfant s’est prononcé dès le début de ses travaux, et où son rôle a
permis de tracer et de limiter les contours principaux du but et de l’objet de la CIDE.
304
Idem.
305
Idem.
306
Convention internationale des droits de l’enfant.
113
246. Comme nous l’avons déjà détaillé plus haut, le comité des droits de l’enfant joue un
rôle primordial dans la veille au respect des droits de l’enfant et ses recommandations
participent clairement à l’évolution des droits de l’enfant dans tous les États parties.
Ainsi, dans le cadre de son rôle par rapport aux réserves, le comité a mis en place un
processus indirect afin de contrôler les réserves :
– Le comité confirme l’approche universelle et globaliste qui découle du texte lui-
même et qu’une interprétation ou une exception ne peuvent garantir à l’enfant sa
dignité307.
– Le comité déclare son indifférence aux réserves émises par les États et demande
qu’il soit informé de la façon dont les réserves et les déclarations sont appliquées
ou intégrées en droit interne en évaluant la prise en compte de l’intérêt supérieur
de l’enfant ce qui signifie que les réserves peuvent être interprétées et appliquées
par les États sans que ça soit conforme aux intérêts de l’enfant.
– Le comité a estimé que malgré le contrôle qu’il exerce sur la question des réserves,
il fallait considérer que les réserves et les déclarations ne représentent pas un
élément de division qui serait contraire à la conception de l’ensemble du texte308.
247. À travers ce processus, le comité des droits de l’enfant intègre la question des
réserves et des déclarations dans l’élaboration de ses rapports et de ses commentaires ;
ces derniers permettent d’une manière indirecte de retenir un ensemble d’indices et
d’éléments que le comité considère comme contraire à l’objet et au but du traité, et qui
peuvent être cités comme suit : d’abord les réserves qui affectent l’application de
l’intégralité du texte ou un nombre précis de ses dispositions ce qui remet en question
l’aspect universel de la convention ; les réserves qui portent en elles des ambiguïtés en
matière de définition ; les réserves basées sur des motifs religieux ou culturels ou encore
les réserves qui touchent à l’intégrité des quatre principes de la convention.
248. Il est évident que la question de définir l’objet et le but de la convention permet au
comité des droits de l’enfant de contrôler et d’analyser l’évolution des droits de l’enfant
partout dans le monde. Cependant, le caractère consensuel que le comité affirme à l’égard
des réserves ne permet pas une réelle limitation des réserves qui persiste encore pour un
grand nombre d’États qui ne fournissent pas assez d’efforts afin de lever les réserves ou
d’harmoniser au mieux leur droit interne avec les dispositions de la convention. Ainsi,
face à la difficulté de la CIDE de garantir à tous les enfants des États parties les droits
proclamés par le texte, ce dernier se trouve prisonnier de sa propre disposition qui permet
de limiter son applicabilité. Par ailleurs, il est important de souligner que le texte permet
la mise en place des réserves mais notifie aussi que ces réserves « peuvent être retirées à
tout moment par notification adressée au secrétaire général de l’organisation des
Nations Unies… »309. Une précision qui confirme la vision positive et évolutive du texte
et qui a permis à de nombreux États qui se sont trouvés devant l’obligation de moderniser
leurs législations devant le progrès social et familial notamment le Maroc.
307
Marie-Françoise LUKER-BABEL, op. cit., p. 675.
308
Idem.
309
Article 51, Convention internationale des droits de l’enfant.
114
Cependant, la question qui se pose est celle de savoir si seules les réserves représentent
les limites à l’applicabilité des dispositions de la CIDE. La réponse à cette question est
évidemment négative, car l’ensemble de ce que nous avons démontré auparavant
confirme que de nombreux éléments participent à la limitation de l’applicabilité du texte
international et de l’harmonisation du droit interne.
249. La question des réserves et des déclarations interprétatives ne représente pas un
monopole aux États islamiques ; de nombreux États occidentaux ont émis des réserves ou
des déclarations à l’égard des dispositions de la CIDE qu’ils estiment incohérentes à leurs
législations ou leurs constitutions. Tel est le cas de la France, qui a ratifié la CIDE en
1990 en émettant quelques réserves, notamment celles sur l’article 6 qui traite du droit à
la vie et sur l’article 30 relatif aux minorités, des réserves que le comité des droits de
l’enfant ne cesse de les signaler dans l’ensemble de ses rapports depuis 1994.
250. En effet, bien que la France ait fourni des efforts dans l’adoption d’un grand nombre
de mesures afin de mettre son droit interne en conformité aux dispositions de la
convention, ces efforts qui se sont traduits par les réformes menées en matière civile et
pénale suite aux recommandations du comité ne permettent pas à l’État partie d’être en
totale conformité avec les dispositions de la CIDE. Un constat confirmé par le comité des
droits de l’enfant qui lors de l’examen du dernier rapport de la France en 2016, a exprimé
son regret du maintien des réserves et a recommandé à la France d’ouvrir un débat en la
matière. Une recommandation refusée par l’État partie qui insiste sur le maintien de ces
réserves vis-à-vis des deux dispositions de la CIDE. D’abord par rapport à l’article 6 qui
traite du droit à la vie, que l’État considère comme susceptible « de remettre en cause la
législation sur l’interruption volontaire de grossesse ». Ainsi, il affirme que sa
déclaration interprétative ne remet en aucun cas l’application de la CIDE, et insiste sur le
fait qu’elle vise à lever l’ambiguïté sur la rédaction de l’article 6. De plus, l’État partie
affirme que son droit interne protège la vie de l’enfant né à travers les articles 221-1 et
suivants du Code pénal qui répriment toutes les atteintes à la vie en général dont celle de
l’enfant notamment aux termes de l’article 221-6 qui dispose que « le fait de causer par
maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de
sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un
homicide involontaire ». En outre, le législateur introduit sa vision spécifique sur la
protection de la vie de l’enfant en attribuant une grande importance d’abord à la santé de
l’enfant à travers les mesures prises en faveur de la femme enceinte ; à la protection de sa
santé et de sa sécurité et enfin à travers toutes les mesures qui visent sa protection des
mauvais traitements310.
251. S’agissant de sa réserve sur l’article 30 relatif aux minorités, la France n’a pas cessé
de rappeler sa position en la matière dans l’ensemble de ses rapports présentés au comité.
Une position que l’État partie affirme en détaillant ses motifs que la levée de la réserve
relative à l’article 30 ne semble pas être à l’ordre du jour pour des motifs d’ordre
juridiques qui ont conduit à la mise en place de la réserve, notamment un cadre juridique
310
Guy RAYMOND, Droit de l’enfance et de l’adolescence, 5éd, Lexisnexis SA, 2006, p, 245.
115
qui ne permet pas « la reconnaissance de droits collectifs à quelque groupe que ce soit,
défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance en se basant
sur l’article premier de la constitution française qui dispose que la République française
est indivisible et qu’elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction
d’origine de race ou de religion »311. De plus, l’État partie estime que le maintien de la
réserve permet une sorte de stabilité sociale dans le contexte actuel et que la
reconnaissance des minorités peut engendrer des dérives 312. Toutefois, la France affirme
que sa réserve sur l’article 30 n’atteint en aucun cas l’exercice des droits et des libertés
des personnes se reconnaissant ou non appartenant à une ou plusieurs communautés.
252. Malgré les motifs présentés par la France devant le comité des droits de l’enfant afin
de justifier le maintien de ses réserves à l’égard de la convention, et les efforts fournis par
le législateur français dans l’objectif d’harmoniser l’ensemble de son droit interne avec
les dispositions de la convention et d’intégrer les principes de cette dernière en droit
interne, le comité a exprimé son regret face à ce maintien et a appelé la France à ouvrir le
débat sur la possibilité d’une levée de réserves.
253. Par ailleurs, il est évident que malgré les réserves, le législateur français a réussi
dans l’ensemble d’intégrer les principes des droits de l’enfant et de les faire respecter en
prenant en compte les observations et les recommandations du comité, un résultat que
d’autres pays n’ont pas réussi à obtenir notamment le cas du Maroc. Nous avons déjà
précisé auparavant que la spécificité religieuse et culturelle a fortement participé dans la
mise en place de la plupart des réserves à l’égard de la CIDE, une spécificité que le
Maroc réclame en tant que pays arabo-musulman.
En effet, pour une raison d’incompatibilité entre certaines dispositions de la convention
avec les croyances et les valeurs de l’islam, le Maroc, comme d’autres pays musulmans,
a émis des réserves et des déclarations interprétatives au moment de la ratification, visant
spécialement les articles 14 relatifs « au droit de l’enfant à la liberté de pensée ; de
conscience et de religion »313. En effet, le Maroc a formulé sa réserve en ce terme : « le
gouvernement du Royaume du Maroc, dont la constitution garantit à chacun l’exercice
de la liberté du culte formule une réserve concernant les dispositions de l’article 14, qui
reconnaît à l’enfant le droit à la liberté de religion, puisque l’islam est religion d’État ».
La position du Maroc est jugée logique puisque la majorité des juristes et des cheikhs
musulmans considèrent que les musulmans ne pouvaient pas suivre la législation
internationale dans toutes les matières qui touchent à la religion musulmane ou d’adopter
la vision occidentale qui peut permettre à l’enfant de choisir une autre religion que
l’islam notamment un nombre de dispositions de la CIDE.
311
France, CRC/C/15/Add.20.
312
France, CRC/C/15/Add.240.
313
Claudia NAPOLI, La convention relative aux droits de l’enfant 20 ans après : obligations et mise en œuvre sur le
continent africain, Revue juridique de l’Ouest, 2009-2, p. 171.
116
254. Une réserve qui a été visée dans l’ensemble des rapports du comité des droits de
l’enfant qui précède l’année 2005. Une recommandation que le Maroc a pris en
considération dans le mouvement de la modernisation et de la démocratisation du pays.
Ainsi le 19 octobre 2006, le gouvernement marocain a signalé au Secrétaire général des
Nations Unies sa décision de remplacer sa réserve sur l’article 14 par la déclaration
interprétative suivante : « Le gouvernement du Royaume du Maroc interprète les
dispositions du paragraphe 1 de l’article 14 de la convention relative aux droits de
l’enfant à la lumière de la constitution du 7 octobre 1996 et des autres règles pertinentes
de son droit interne, notamment l’article 6 de la constitution stipulant que l’islam est la
religion de l’État qui garantit à tous le libre exercice des cultes ; l’article 54 de la loi 70-
03 portant code de la famille qui dispose dans son paragraphe 6 que les parents doivent
à leurs enfants le droit à l’orientation religieuse et à l’éducation fondée sur la bonne
conduite. Par cette déclaration, le Royaume du Maroc réaffirme son attachement aux
droits de l’Homme tels qu’ils sont universellement reconnus et son engagement en faveur
des objectifs de ladite convention »314. Une position maintenue par le Maroc dans le cadre
de la dernière réforme constitutionnelle de 2011.
255. L’État marocain a souhaité à travers cette modification affirmer son engagement à
l’égard des principes universels des droits de l’enfant et prouver au comité sa prise en
considération de l’ensemble de ses précédentes recommandations. Cependant, tout en
saluant l’effort fourni par l’État partie en levant sa réserve sur le paragraphe 1 de l’article
14 de la CIDE, le comité a explicitement exprimé son regret par rapport à cette
modification qu’il juge comme un simple changement d’une réserve par une déclaration
interprétative. En outre, le comité a réaffirmé sa position et a rappelé le Maroc aux
précédentes recommandations notamment celles du rapport de 2003315, au programme
d’action de Vienne de 1993 et aux dispositions de la CIDE et appelle à nouveau le Maroc
à lever la réserve puisque la modification faite ne permet pas d’appliquer l’ensemble des
droits garantis par l’article. En effet, cette vision pessimiste du comité s’est rapidement
confirmée dans la circulaire du 12 octobre 2012 portant sur la Kafalah des enfants
abandonnés où le législateur évoque explicitement l’obligation du juge « de s’assurer que
l’aptitude du demandeur de la kafalah permet à élever l’enfant abandonné selon les
préceptes de l’Islam… »316 ; Une vision qui confirme l’attachement du Maroc au droit
musulman en la matière, en considérant que l’enfant étant mineur dépend de la parole de
ses parents. Au cas où ces derniers sont des musulmans, ils doivent lui garantir la
transmission d’une éducation morale et religieuse qui se base sur les principes de l’islam ;
le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion ne peut lui être
attribué avant sa majorité317.
314
Maroc, CRC/C/MAR/3-4.
315
Maroc, CRC/C/15/Add.211, par. 8.
316
Circulaire n° 40 S/2 du 12 octobre 2012.
317
Salim DACCACHE, Quelle liberté religieuse de l’enfant dans la religion musulmane ?, in Le financement public
des cultes/ la liberté religieuse de l’enfant, Société, droit et religion, éd CNRS. n°3, 2013/1 p. 247.
117
256. Bien que techniquement le Maroc ait levé sa réserve sur le paragraphe 1 de l’article
14, il a pourtant gardé des déclarations qui souvent vont à l’encontre des principes
majeurs de la convention et limitent l’harmonisation complète de la législation nationale
avec les dispositions du texte, ce qui nous renvoie à la problématique de base qui est celle
de la difficulté du législateur marocain à trouver un équilibre entre la norme musulmane
et la norme internationale.
Une préoccupation que le comité des droits de l’enfant et les ONG n’ont pas hésité à
exprimer, que ce soit dans les rapports alternatifs ou à travers les observations finales sur
les rapports périodiques présentés par l’État partie. En effet, l’analyse de ces rapports
permet clairement de démontrer les difficultés du législateur marocain à harmoniser son
droit interne avec les dispositions de la CIDE suite aux déclarations interprétatives, une
difficulté qui peut être catégorisée selon les principes de la convention de la manière
suivante318
318
Maroc, CRC/C/MAR/3-4.
118
– Des lacunes persistent en ce qui concerne
la prise en compte du principe en matière
de kafalah, notamment dans la loi n° 15-01
qui ne prévoit aucune évaluation
psychologique des demandeurs de la
kafalah.
– L’inapplication de l’article 22 de la loi
15-01 relative à la kafalah qui garantit aux
personnes assurant la kafalah de bénéficier
des indemnités et d’allocations.
– L’exploitation de certains enfants dans le
cadre de la kafalah suite au non suivi.
Droit à la vie, à la survie et au – Un vide législatif en ce qui concerne le
développement droit de l’enfant de connaître ses parents
biologiques.
257. En analysant la question des réserves, il est évident que ces dernières représentent
une limite à l’application et à l’harmonisation du droit interne avec les principes
universels des textes internationaux. Cependant, pour les deux systèmes juridiques que
nous étudions, l’évaluation de l’application de l’article 4 de la CIDE qui oblige les États
parties à mettre en œuvre l’ensemble du texte international dans leur droit interne en
prenant toutes les mesures nécessaires afin de garantir à l’enfant une meilleure protection
paraît très différente, car le législateur français n’a pas attendu la CIDE pour se procurer
un arsenal juridique propre à l’enfant. Ainsi, l’existence d’une base juridique a permis au
législateur français non seulement d’intégrer la CIDE dans son droit interne mais de
chercher à adapter son droit interne en créant de nouveaux éléments juridiques qui visent
à respecter le texte que ce soit d’une manière directe ou indirecte.
119
Par ailleurs, bien que les efforts de l’État français soient salués par le comité des droits de
l’enfant, l’État fait encore l’objet de commentaires qui portent principalement sur les
limites de l’application directe de la CIDE par les juridictions.
258. Quant au législateur marocain, il est encore très loin de la question de l’application
directe de la CIDE par les juridictions, puisqu’il fait face à d’autres limites d’aspects
culturels ou religieux qui pèsent encore lourdement sur le législateur qui se trouve confus
entre les deux normes, ce qui crée des ambiguïtés dans l’intégration des dispositions.
Par ailleurs, bien que l’application de la CIDE se trouve limitée par les réserves et les
déclarations interprétatives, il est évident que dans les deux systèmes juridiques, la prise
en compte des principes revendiqués par la CIDE en droit interne est explicite, que ce soit
en théorie ou en pratique. C’est ainsi que l’un des principes fondamentaux qui ont permis
une réelle prise en considération des droits de l’enfant est celui de l’intérêt supérieur de
l’enfant qui est devenu un principe moteur de toute réforme en droit de la famille.
120
Titre second : Des droits de l’enfant à l’intérêt supérieur de l’enfant.
259. De tous les articles de la Convention internationale des droits de l’enfant, l’article 3-
1 s’avère être le plus connu et le plus emblématique de la convention. Ayant recours à
une formule globalisante qui vise la protection des enfants, l’article doit son succès
étonnant à l’expression de « l’intérêt supérieur de l’enfant », à travers laquelle la
convention exprime un principe de base simpliste et moderne selon lequel l’enfant doit
être protégé par la société dans toutes les situations 319.
260. Par ailleurs, pour les deux systèmes juridiques que nous étudions, la prise en compte
de l’intérêt supérieur de l’enfant s’est manifestée bien avant l’adoption de la CIDE. Tout
d’abord, en France, la protection de l’enfance suit l’évolution des principes
révolutionnaires et devient pendant le XIXe siècle « leitmotiv quasi obsessionnel de tous
les discours et de toutes les interventions sur l’enfance »320. Un processus qui s’est
accéléré suite à la Deuxième Guerre mondiale qui représente un tournant dans l’histoire
du droit de l’enfance et qui marque l’adoption d’un grand nombre de textes en la matière.
Ainsi, selon Mme Rubllin-DIVICHI, « c’est pendant cette période que l’intérêt supérieur
de l’enfant a été représenté comme un principe de base pour toute législation »321. Une
période qui a connu le développement d’un contexte favorable à la protection de
l’enfant ; ce dernier n’étant plus considéré comme un objet de droit mais désormais
comme un sujet de droit. Ainsi, l’émergence de l’intérêt supérieur de l’enfant peut être
située au XIXe siècle à travers une prise en considération de l’intérêt supérieur de
l’enfant qui s’est manifestée dans de nombreuses situations. En effet, le Code civil
napoléonien relevait déjà cet intérêt à travers un nombre d’articles qui prenaient en
compte les besoins et la vulnérabilité de l’enfant et lui assuraient la protection en cas du
divorce des parents en caractérisant les droits et devoirs des parents dans l’objectif de
garantir la protection de l’enfant, une situation qui a connu un développement notable à
travers l’adoption de multiples lois en la matière.
Ainsi, CARBONNIER décrivait en 1996 que « l’intérêt de l’enfant, que n’ignorait pas le
droit antérieur, revient comme un principe péremptoire, dans toutes les lois, tous les
jugements »322. En effet, la notion d’intérêt supérieur de l’enfant a connu des évolutions
qui ont permis sa prise en compte dans l’ensemble des situations qui concerne l’enfant à
travers les lois adoptées et les décisions qui renvoient désormais à l’intérêt supérieur de
l’enfant. Une évolution qui va être principalement marquée par l’adoption de la CIDE par
la France qui a, de son côté, confirmé l’existence du principe de l’intérêt supérieur de
l’enfant.
319
Claire NEIRINCK, La convention internationale des droits de l’enfant, une convention particulière, à propos de
l’intérêt de l’enfant, op. cit., p. 25.
320
C. LEGRAND, Du mineur à l’enfant in les droits de l’enfant, Actes du colloque européen des 8, 9 et 10 novembre
1990, Amiens, Centre national de documentation pédagogique et conseil général de la Somme, p. 7 spéc. p.8 cité par :
Catherine SANDRAS, thèse, L’intérêt de l’enfant dans le droit des personnes et de la famille, Université paris 2,
soutenue en 2000.
321
Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la loi et la jurisprudence française, J.C.P.1994, I, 3739, n° 4.
322
Jean. CARBONNIER, Droit et passion du droit sous la Ve république, champs Flammarion, éd.1996, p. 231.
121
261. Quant au système juridique marocain, la question de l’émergence et de l’évolution
du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant ne peut être présentée sous le même angle
qu’en droit français. En effet, depuis la codification du droit de la famille marocaine, la
place qu’occupait l’intérêt supérieur de l’enfant dans le texte était presque inexistante
puisque l’ensemble des dispositions qui concernaient l’enfant était lié aux droits des
femmes, seul l’article 102 s’intéressait à l’intérêt supérieur de l’enfant 323 et se projetait
sur la fixation de la durée de la garde de l’enfant 324.
En outre, cette vision d’inclure le principe d’intérêt supérieur de l’enfant tel qu’il est
reconnu par la CIDE est très récent, puisqu’avant la codification du droit de la famille en
1958 la prise en considération de l’intérêt de l’enfant était uniquement régie par les règles
du droit musulman. Ainsi, la doctrine musulmane défend la place qu'occupe l’enfant et la
prise en considération primordiale de son intérêt, une position qui se base d’abord sur le
texte coranique qui considère l’enfant comme étant la parure de la vie 325, puis sur les
dispositions de la charia qui réglemente l’ensemble des relations au sein de la famille. En
se basant sur ces deux sources, la doctrine musulmane extrait l’intérêt porté à l’enfant
avant même sa naissance, partant du choix de la femme et passant par toutes les règles
qui concernent l’enfant dès sa conception jusqu’à sa majorité en lui assurant une intégrité
morale et physique dans l’ensemble des institutions familiales qui le concerne notamment
la filiation, la kafalah, la garde, la tutelle ou encore la protection de son patrimoine
financier. Le droit musulman confirme qu’il n’est pas hostile à la prise en considération
de l’intérêt de l’enfant, avec l’élaboration d’une théorie propre à lui qui vise à protéger en
premier lieu l’intérêt général de « Al-maslaha » qui signifie la bienfaisance 326. Avec la
réforme du code de la famille en 2004, et suite à son engagement international, le
législateur marocain intègre explicitement le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant
comme étant un des principes directeurs de la CIDE. Une intégration qui a mis en
évidence les divergences entre la prise en considération de l’intérêt de l’enfant entre droit
musulman et règles internationales.
262. Il est évident que pour les deux systèmes juridiques, la prise en considération de
l’intérêt de l’enfant existait avant l’adoption de la CIDE. Cependant, la question qui se
pose est de savoir si cette prise en considération répondait aux mêmes exigences que la
convention internationale. Ainsi, pour comprendre le rôle de la CIDE dans ce principe, il
nous semble important de définir l’intérêt supérieur de l’enfant et de déterminer son rôle
dans l’évolution du droit de la famille (chapitre I), pour ensuite se pencher sur la
problématique des limites de l’intégration et de la prise en compte du principe de l’intérêt
supérieur de l’enfant en droit de la famille (Chapitre II).
323
« La durée de la garde se prolonge jusqu’à l’âge de 12 ans pour le garçon et de 15 ans pour la fille ; l’enfant a
ensuite le choix de résidence entre son père, sa mère ou même ses proches qui sont mentionnés dans l’article 99 ».
324
L’intérêt supérieur de l’enfant en droit familial marocain, op. cit., p. 9.
325
« Les biens et les enfants sont la parure de la vie, mais les bonnes œuvres sont ce qu’Allah apprécie le plus et ce que
les hommes devraient le plus chercher », Ibn Kathir, l’interprétation du Coran, texte et explication, traduit par Fawzi
CHAABAN, volume 4, Dar alkitab, 1ère éd., 1998, p. 121.
326
ZARROUKI Mustapha, op. cit.., p11.
122
Chapitre I : L’intérêt supérieur de l’enfant, un cadre théorique et référentiel.
264. L’idée générale du principe est de donner la priorité aux intérêts politiques,
économiques et sociaux de l’enfant dans toutes les décisions qui le touchent directement
ou indirectement. Bien qu’il ait existé sous d’autres formes et d’autres critères avant
l’élaboration des conventions et des déclarations internationales, ce n’est qu’avec ces
dernières qu’il a pris une grande ampleur. En effet, le principe de l’intérêt supérieur de
l’enfant a été expressément incorporé pour la première fois dans la Déclaration de
Genève sur les droits de l’enfant en 1924 qui est considérée comme le premier effort
organisé dans le processus de reconnaissance des droits de l’enfant dans le cadre de la
ligue des Nations. Ainsi, c’est cette déclaration appelée principalement à prendre les
mesures contre l’esclavage, le travail des enfants, la traite des enfants et la prostitution
d’enfants, qui reflétait les préoccupations liées aux droits des enfants qui avaient été
violés d’une manière flagrante pendant la Première Guerre mondiale.
265. En outre, la déclaration mettait l’accent sur les besoins matériels des enfants et
proclamait que ceux-ci devaient disposer des moyens nécessaires à leur développement
formel, ce qui comprenait les aliments pour les affamés, les soins pour les malades, un
soutien physique et moral aux orphelins et une attention particulière aux enfants
handicapés. Ainsi par son préambule, la déclaration confirme le devoir de toutes les
nations de reconnaître que l’humanité doit à l’enfant ce qu’elle a de mieux à donner, d’où
est née l’expression de « l’humanité doit ce qu’elle a de meilleur à donner à l’enfant » en
soulignant les devoirs de la communauté internationale envers les enfants ce qui implique
que l’intérêt de l’enfant soit une considération primordiale dans les actions impliquant les
enfants.
123
266. La Déclaration des droits de l’enfant des Nations Unies de 1959 venait affirmer le
principe selon lequel l’humanité doit ce qu’elle a de mieux à donner aux enfants et elle
insiste particulièrement sur la nécessité des garanties spéciales et de soins spéciaux aux
enfants. Une idée qui se traduit clairement dans son préambule qui souligne que
« l’enfant, en raison de son immaturité physique et mentale, a besoin de garanties et de
soins particuliers, notamment d’une protection juridique appropriée avant et après sa
naissance ». Aussi, la déclaration reconnaît expressément le principe de l’intérêt
supérieur de l’enfant dans son article 2 qui dispose que « l’enfant doit bénéficier d’une
protection spéciale et se voir accorder la possibilité et des facilités par l’effet de la loi et
par tous les moyens, afin d’être en mesure de se développer d’une façon saine et normale
sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel et social dans des conditions de liberté
et de dignité. Dans l’adoption de lois à cette fin, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être
une considération déterminante »327. De la même façon, l’article 7 évoque le principe de
l’intérêt supérieur de l’enfant comme un principe directeur des personnes responsables de
son éducation et de sa surveillance.
267. Dans le même ordre d’idée, il est important de signaler que d’autres textes ont
indirectement visé la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, tels que la Déclaration
universelle des droits de l’Homme de 1948 qui, en réalité, vise les droits de l’Homme en
général auxquels chaque personne devrait se prévaloir. Un certain nombre de ces
dispositions peut être interprété dans le contexte des droits de l’enfant notamment en se
référant à l’article 25-1 qui dispose que « chacun a droit à un niveau de vie suffisant pour
sa santé et son bien-être et ceux de sa famille notamment pour l’alimentation,
l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux
nécessaires… ». Le même article affirme que « la maternité et l’enfance ont droit à une
aide et à une assistance spéciales ; tous les enfants qu’ils soient nés dans le mariage ou
hors mariage, jouissent de la même protection sociale »328. S’ajoute à cela l’article 26 qui
incarne le droit humain à l’éducation gratuite comme un droit élémentaire.
268. De plus, deux pactes internationaux de 1966 sont considérés comme importants dans
l’affirmation de la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, et qui sont les le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif
aux droits économiques sociaux et culturels (PIDESC). Des pactes qui insistent sur le rôle
de l’État afin de garantir ce qui est le mieux pour l’enfant dans le cadre des obligations de
l’État, la famille et la société dans la protection de l’enfant et de la mise en œuvre des
droits de l’enfant en général et de l’intérêt supérieur de l’enfant en particulier.
269. Bien que les efforts menés par la communauté internationale dans le but d’affirmer
les droits de l’enfant et de mettre en place des normes directrices aient débuté bien avant
1989, la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant ne répondait pas aux
attentes des défenseurs des droits humains puisque l’intégration de ce principe n’était que
partielle.
327
Déclaration des droits de l’enfant 1959, Article 2.
328
Déclaration universelle des droits de l’Homme, Article 25.
124
En effet, il a fallu attendre l’adoption de la Convention des droits de l’enfant de 1989
pour que le principe de l’« intérêt supérieur de l’enfant » prenne une grande ampleur et
soit discuté en tant que principe directeur de l’ensemble des droits qui concernent
l’enfant. Cependant, bien que la convention ait été adoptée par la majorité des États,
l’application et la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant ne se sont pas
traduites de la même manière dans tous les États parties puisque la notion de l’intérêt
supérieur de l’enfant n’est pas précise, ce qui a permis sa prise en considération de
différentes manières. Pour comprendre cette divergence de prise en considération et
d’application des dispositions qui concernent la protection de l’intérêt supérieur de
l’enfant, nous allons tout d’abord tenter de définir cette notion qui est considérée comme
floue et moderne (Section 1) pour ensuite analyser comment la prise en considération de
ce principe a permis l’accélération de la protection des droits de l’enfant (Section 2).
125
Section 1 : L’intérêt supérieur de l’enfant, une notion moderne en droit positif.
329
Dictionnaire Le Robert, éd. 2013, V° Notion.
330
Gérard. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, 9ème éd., 2011.
331
Jean. CARBONNIER, Droit civil, 21 éd., Tome2, La famille, l’enfant, le couple, PUF, 2002, p. 85.
332
Infra n° 46.
333
G. CORNU, id, ibid.
334
S. RIALS, Les standards, notions critiques du droit, in Les notions à contenu variable du droit, Bruxelles, Bruylant
1984, p. 43.
335
Selon le Conseil d’État, rapport sur « la dégradation de la norme », étude et documents n°43, la documentation
française, 1991, p. 32, cité par Claire NEIRINCK, à propos de l’intérêt de l’enfant, op. cit., p. 26.
336
Lexique des termes juridiques, Dalloz, V° « Standard juridique ».
126
273. Or, en ce qui concerne le standard de l’intérêt de l’enfant, il conserve une grande
particularité dans le fait qu’il ne permet la diffusion d’aucune image ou de contenu clair
et précis qui rendrait possible sa définition, ce qui rend son interprétation vaste, puisque
le mot intérêt ne représente aucune définition précise. Une imprécision qui, pour de
nombreux auteurs, constitue la force de cette notion ; Jean ZERMATTEN la décrit
comme étant un élément avantageux : « c’est cette non définition qui lui donne sa
richesse : elle permet la flexibilité, la relativité temporelle et spatiale de son application
et elle supporte les différences culturelles et régionales nécessaires à sa dimension
universelle »337. Et il le décrit comme « un concept juridique moderne qui n’a pas fait
l’objet d’études de manière globale, car le contenu reste assez flou et les fonctions sont
multiples. Il est dès lors examiné par rapport à tel point précis ou expliqué par la
jurisprudence plutôt que véritablement expliqué de manière systématique. Abstrait, il doit
permettre au droit de s’adapter aux exigences concrètes de la vie »338. Aussi pour
Hugues FULCHIRON, la notion de l’intérêt de l’enfant reste ambiguë, complexe et
difficile à définir puisqu’elle peut servir à la fois comme un critère de contrôle ou de
solution339.
337
Jean ZERMATTEN, Une convention, plusieurs regards. Les droits de l’enfant : une belle déclaration ! Et après ?
Introduction aux droits de l’enfant, Tome 1(1995), p. 12.
338
Jean ZERMATTEN, op. cit., p. 4.
339
Hugues FULCHIRON, op, cit.
127
Paragraphe 1 : L’intérêt supérieur de l’enfant, une notion nouvelle et complexe de
définition dans la CIDE.
275. La notion de l’intérêt de l’enfant est considérée comme une notion variable et
complexe, qui, pour les plus philosophes, porte en elle un caractère contradictoire
signifiant le « concret flou »340, un caractère qui ne lui attribue pas une définition précise.
Pour d’autres auteurs la notion est à proscrire puisqu’elle est « propice aux dérives » ; elle
peut permettre des compromis avec les règles traditionnelles comme elle peut finir par
rendre difficile l’application de tous les principes et les mécanismes juridiques
existants341.
276. Sans aucun doute, l’ambiguïté de la notion met en évidence la difficulté de sa mise
en œuvre. Une difficulté qui paraît assez logique puisque la naissance de cette notion et le
souci qui lui est accordé sont récents. En effet, bien qu’en France l’intérêt pour l’enfant se
soit imposé depuis le XIXe siècle, avec l’adoption d’un grand nombre de lois qui visent à
protéger l’enfant dans de nombreuses situations, il a fallu attendre le XXe siècle et la
reconnaissance de l’enfant comme sujet de droit afin que son intérêt soit le centre de
toutes les réformes qui le concerne. Cette évolution a permis l’instauration de la notion en
droit interne puis sa confirmation avec l’adoption de la Convention internationale des
droits de l’enfant par la France en 1990.
277. Cependant, malgré cette prise en compte, la notion de l’intérêt de l’enfant fait
jusqu’à nos jours débat sur sa signification, sa portée et son application342. Par ailleurs,
contrairement à la France, le droit marocain ne va pas faire l’objet de la même évolution
de la prise en considération de l’intérêt de l’enfant puisque ce dernier prend le droit
musulman comme une référence principale qui va clairement influencer l’introduction du
principe faite d’une manière progressive à partir de l’adoption de la CIDE ; ceci va
ralentir l’introduction de la notion en droit interne.
278. Ainsi, pour les deux systèmes juridiques que nous étudions, la notion de l’intérêt de
l’enfant est devenue centrale dans les textes récents et son utilisation devient croissante
dans les textes de la loi interne, des traités internationaux ou encore dans la jurisprudence.
Une utilisation qui bien qu’elle soit croissante trouve ses limites dans la difficulté, dans
son indétermination ou encore dans les critères qui favorisent son identification. Pour
cela, il nous paraît très important de revenir sur l’analyse de ce standard et de tenter de
comprendre l’ambiguïté qui cerne et enferme la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant,
afin de comprendre l’utilité de cette notion dans la protection et l’affirmation des droits
de l’enfant que ce soit dans les textes nationaux ou internationaux.
340
Jacqueline. COSTA-LASCAUX, Histoire de la notion d’intérêt de l’enfant dans le droit des mineurs, Cahier du
C.R.I.v., N° 4, janvier 1988, p. 161-171. Cité par : Pierre VERDIER , La loi réformant la protection de l’enfance : une
avancée de la protection, un recul des droits, JDJ, 2007/5, n°265.
341
A. TRIBES, Le rôle de la notion d’intérêt en matière civile, thèse dactyl., Paris, 1975, sp, p. 424.
342
Pierre VERDIER, De l’intérêt de l’enfant aux droits de l’enfant, enfance et psy, n° 43, 2009, p. 86.
128
A- Le principe ambigu de l’intérêt supérieur de l’enfant.
279. Dans tous les systèmes juridiques du monde, l’expression de l’intérêt supérieur de
l’enfant trouve la difficulté de se procurer une définition claire et explicite, notamment
dans les deux systèmes juridiques que nous étudions. En effet, en France la difficulté de
définir l’expression de « l’intérêt de l’enfant », renvoie tout d’abord à la définition
attribuée au mot intérêt, qui dans le dictionnaire le Robert est « assorti d’une étoile qui
indique qu’il s’agit d’un mot à grand développement, à l’origine d’une famille historique
devenue hétérogène, imprévisible et souvent surprenante »343.
280. Le mot intérêt qui vient du latin interest, mode impersonnel de intersum avait pour
sens : « il est de l’intérêt de, il importe ». Un sens duquel résultent des acceptions
anciennes et d’autres assez récentes et contemporaines qui peuvent être représentées dans
deux principaux sens. D’abord, un sens plus ancien qui donne au mot intérêt la
signification du préjudice où il vise le profit tiré de la réparation, puis le bénéfice tiré
d’une somme d’argent ou encore la signification de représenter un avantage. Une
évolution qui a abouti à la naissance de nombreuses expressions telles que celle « des
dommages et intérêts » ou encore « agir dans son propre intérêt ».
281. C’est donc de cette manière que le mot intérêt a pu devenir synonyme de cause,
c'est-à-dire d’affaire qui se plaide pour défendre ses intérêts344. Ainsi, Madame Claire
NEIRINK expose l’importance de l’emploi du mot « intérêt » et fait référence en droit
français à l’article 31 du Code de la procédure civile qui mentionne que l’action en justice
est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention,
et que celui qui n’a pas intérêt, n’a pas d’action »345. Ce qui i affaiblit le sens de profit ou
d’avantage qui peut être financier, matériel ou judiciaire. Dans un second sens, on
retrouve un sens plus récent du mot « intérêt », qui signifie la bienveillance, la sollicitude
ou l’attention éprouvée pour quelqu’un ou encore l’importance accordée à un sujet lui-
même.
282. Ainsi, « l’intérêt » peut être classé sous différentes catégories conceptuelles ;
d’abord il constitue « une notion fondamentale et négligée que l’on illustre, qu’on
qualifie de personnel légitime, qu’on classe de moral et patrimonial, mais qu’on ne
définit pas »346. Le Doyen CARBONNIER le qualifie comme « une notion apte en droit à
se mouvoir, une disponibilité de certaines notions juridiques, leur ouverture au
changement »347. Une définition qui fait référence à la diversité du contenu de la notion et
de la possibilité de son interprétation diverse et dont la grande difficulté reste de
distinguer et de peser les intérêts348. Il explique aussi que la notion d’intérêt ne doit pas
faire l’objet d’une définition, mais que son appréciation doit être concrètement faite par
les juges qui peuvent délimiter les contours de la notion.
343
V. introduction du Dictionnaire historique de la langue française, « Famille de mots », p. XVII cité par Claire
NEIRINCK, op. cit. p. 26.
344
Ibid, p. 27.
345
Id, ibid, p. 27.
346
Gérard. CORNU, Jean. FOYER, Procédure civile, Thémis, Paris, P.U.F, 3ème éd., 1996, p. 296.
347
Jean CARBONNIER, Les notions à contenu variable en droit, éd. Bruxelles. E. Bruylant, 1984, p. 103.
348
Ibid, p. 99.
129
283. En effet, cette imprécision du contenu de la notion de « l’intérêt » permet aussi sa
considération comme une notion-cadre à contenu variable, qui est définie par le
dictionnaire Capitant comme suit : « Une notion juridique englobante et directive
virtuellement applicable à une série indéfinie de cas et dont l’application en raison de
son indétermination intentionnelle, passe nécessairement par l’appréciation d’un juge
(ou d’un interprète) qui l’actualise in casu, si précisément, il estime que le cas particulier
entre dans le cadre de la notion, critère vague mais chargé d’évocation dont il appartient
au juge, sur la force de l’idée directrice qui s’en dégage, de déterminer le contenu
variable et évolutif au gré des espèces et au fil du temps »349. Une définition imprécise
qui affirme « un flou juridique intentionnel »350 et qui permet à la notion-cadre « l’intérêt
» d’être souple et passible d’adaptation à de nombreuses situations, le terme intérêt
influence clairement la notion de l’intérêt de l’enfant que le doyen CARBONNIER classe
comme une notion-cadre351. En outre, l’imprécision attachée à la notion-cadre renvoie à
ce que l’on appelle un standard juridique, c’est-à-dire les notions variables et
indéterminées.
284. Bien qu’il existe en droit français une incertitude au niveau de la doctrine sur la
définition et la reconnaissance du standard juridique, certains auteurs affirment que
l’émergence du standard juridique n’existe qu’à travers l’existence d’une imprécision de
règle. Ainsi, le standard juridique est caractérisé par l’imprécision de son contenu qui le
rend variable et qui permet au juge une application vaste d’une notion. Une définition qui
semble être adaptée à la protection de l’intérêt individuel, notamment celui de l’enfant
puisqu’il inclut « une appréciation singulière tout en assurant une large diffusion de la
notion »352. L’emploi du terme intérêt dans la notion de l’intérêt de l’enfant offre à
l’ensemble de la notion une imprécision qui lui permet son adaptation aux différentes
disciplines du droit notamment celui du droit de la famille.
285. En effet, de nombreux auteurs ont écrit sur l’ambivalence de cette notion,
notamment Jean CARBONNIER qui écrivait en 1960 que « c’est la notion magique. Rien
de plus fuyant, de plus propre à favoriser l’arbitraire judiciaire. Il est des philosophes
pour opiner que l’intérêt n’est pas objectivement saisissable et il faudrait que le juge
décide de l’intérêt d’autrui ! L’enfance est noble, plastique et n’a du reste signification
que comme préparation à l’âge adulte : de ce qui est semé dans l’enfant à ce qui lèvera
dans l’Homme, quelle pseudoscience autoriserait le juge de prophétiser »353. Ainsi le
terme utilisé par l’auteur fait référence au pouvoir magique de cette notion et de sa
capacité de transformer le destin de l’enfant, et qui peut toujours être invoquée afin de
justifier toutes les pratiques.
349
Gérard. CORNU, Dictionnaire de vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 9ème éd., PUF, coll. Quadrige,
2011.
350
P. HENAFF, L’unité des notions-cadres, JCP éd. G, 2005, I, n° 189.
351
J. RUBELLIN-DEVICHI, Jean CARBONNIER, Le principe de l’intérêt de l’enfant dans la loi et la jurisprudence
française, JCP éd. G, 1994, I, n° 3739, p. 87.
352
Gwenaelle HUBERT, L’intérêt supérieur de l’enfant dans l’exercice de l’autorité parentale. Etude de droit européen
comparé, thèse, Université de REIMS, 2014, p. 37.
353
Jean CARBONNIER, Dalloz périodique 1960, p. 675.
130
Dans le même sens Hugues FULCHIRON, considère qu’il n’est pas évident d’attribuer
une définition à la notion de l’intérêt de l’enfant qu’il juge de complexe et ambiguë.
Ainsi, l’expression de l’intérêt supérieur de l’enfant fait l’objet d’une ambiguïté évidente
au niveau de sa définition en Occident en général et en France en particulier.
286. Quant à la définition de ce principe en droit marocain, il revêt un autre caractère qui
porte en lui une ambiguïté plus profonde due à la combinaison de deux sources
principales qui peuvent être souvent contradictoires et qui caractérisent la prise en
considération de l’enfant au sein de la société en général et dans la famille en particulier.
En effet, la définition de l’intérêt de l’enfant en droit marocain fait tout d’abord référence
à une théorie explicite du droit musulman qui avance l’ensemble des conditions
permettant la prise en compte de l’intérêt de l’enfant ; ensuite celle du droit positif qui se
réfère au droit moderne codifié et aux engagements internationaux du Maroc dans la prise
en compte de ce principe tel qu’un principe fondateur de la protection de l’enfant, une
double référence qui reflète la difficulté d’attribuer à ce principe une définition claire en
droit marocain.
En outre, comme tout autre principe fondateur du droit de la famille en droit marocain, la
question de la prise en compte de l’intérêt de l’enfant trouve son fondement dans le droit
musulman et se traduit dans une théorie appelée « la théorie de la Maslaha », Cette
dernière repose sur une des finalités recherchées par la loi divine telle que le bien-être
matériel et spirituel de l’Homme en général. Ainsi, le droit musulman se réfère à ce
fondement afin de protéger l’intérêt de l’enfant appelé en langue arabe « Maslahat
altifle ». En outre, le caractère divin et religieux de cette théorie fait d’elle une théorie
générale et principale dans le droit musulman qui permet de mettre en place un ensemble
de règles visant à définir l’intérêt général de la société ainsi que celui de chacun de ses
membres.
287. Afin de comprendre cette théorie, il est important de faire référence au sens
linguistique du mot « maslaha » qui pour les spécialistes de langue tire son origine du
mot « al-salah » qui, au sens propre, est synonyme de la « manfa’a » et qui signifie
l’utilité. Ce mot est l’antonyme de « al-fasad ou al-mafsada » qui signifie tout ce qui est
nocif ou corrompu354. En outre, le sens du mot « aslaha » signifie : restaurer une chose
après qu’elle soit détruite ou corrompue. Ainsi, le sens du terme peut être généralement
expliqué de deux manières, d’abord une qui consiste à décrire la maslaha d’un objet tel
que l’exemple de l’utilité d’un stylo quand il convient parfaitement à l’écriture. Le
second sens de ce mot est au sens figuré et correspond à une action qui apporte un
bénéfice ou qui empêche un préjudice, comme l’exemple de la recherche de connaissance
qui représente une maslaha dans la mesure où il en résulte des avantages.
Par conséquent, il est évident que le mot mafsada qui est l’antonyme du mot maslaha
représente souvent un facteur qui limite l’utilisation des deux termes en commun et
affirme l’impossibilité d’employer conjointement ou simultanément les deux termes afin
de décrire la même chose.
354
Hussein. Hamed. HASSAN, Théorie de la maslaha dans le fiqh, 1981, p. 311 (en langue arabe).
131
Comprendre le concept de la maslaha exige le retour à quelques définitions proposées par
des savants distingués dont, Al GHAZALI et A-CHATIB ainsi que celle exposée par les
contemporains dont Taher BEN ACHOUR et Said RAHMAN AL BOUTI.
288. Parmi les plus grands théologiens qui se sont penchés sur l’analyse du concept de la
Maslaha figure l’imam Al-GHAZALI qui attribue une définition pertinente et particulière
au concept. En effet, ce dernier explique que la signification initiale de la Maslaha est de
préserver la sharia355, une préservation qui se base sur l’objectif d’obtenir le bénéfice et
l’intérêt ou d’empêcher les dommages et de conjurer le mal (Al darare). Un sens qui
selon lui est secondaire puisque l’objectif recherché par ce sens reste visé par les
Hommes qui doivent dans toutes les situations s’assurer des bienfaits de leurs objectifs.
C’est ainsi qu’il a estimé qu’une deuxième signification principale devait revêtir une
importance plus particulière : celle de la préservation des objectifs de la charia. Un
objectif de la Maslaha qui vise à garantir le bien-être et à prévenir les préjudices qui sont
les objectifs du créateur pour réaliser les intérêts de l’humanité, car le bien-être de
l’individu réside dans la réalisation de ses objectifs. Selon l’auteur, l’accomplissement de
ces derniers passe avant tout par cinq règles principales à savoir : sa religion, sa morale,
sa raison, sa progéniture et sa fortune356.
Al-GHAZALI suggère que tout ce qui assure la conservation de ces cinq éléments,
représente une Maslaha et tout ce qui va à l’encontre de l’un de ces éléments est une
Mafsada dont la suppression est une Maslaha en soi. Une définition confirmée par
d’autres auteurs tel que A-CHATIBI, qui considère que la Maslaha se définit comme
suit : « toute règle fondamentale de la charia, non citée dans un texte précis, mais qui est
conforme aux principes de la charia et dont le concept est tiré de ses concepts…elle est
valable ; on peut s’y fonder et s’y référer si cette règle fondamentale, devient valable de
par la convergence des preuves catégoriques, étant donné qu’il n’est point nécessaire
pour qu’une règle soit déduite sans équivoque de se baser sur une seule preuve plutôt que
sur plusieurs preuves. Ceci s’applique au genre d’istidlal morsal que le rite malekite et
chaféite ont admis »357.
289. Par ailleurs, pour les théologiens contemporains notamment le grand Taher BEN
ACHOUR le concept d’Al-Maslaha se définit comme suit : « une qualité de l’acte qui le
rend utile, c’est-à-dire bienfaisant, toujours ou le plus souvent, pour les individus ou
pour la société ». Une définition qui permet de placer la Maslaha dans le cadre de
l’aboutissement de l’utilité et de prendre en considération le sens du terme de la Maslaha
lorsqu’il représente une référence au sens du bien ou du bienfaisant et ainsi attacher ces
deux derniers au principe de l’utile.
355
La charia représente dans l’islam l’ensemble des différentes règles et normes doctrinales, sociales, culturelles et
relationnelles édictées par la révélation. Une définition qui dans le contexte religieux fait référence au « le chemin pour
respecter la loi de Dieu ».
356
Abdul Aziz BIN SITTAM, Sharia abs the concept of benefit, the use and fonction of maslaha in islamic
jurisprudence, I.B Tauris and Co Ltd, 2015, p. 4.
357
Hussein. Hamed. HASSAN, Jurisprudence de la maslaha et ses applications contemporaines, série de conférence
d’éminents Erudits n° 7, Institut islamique de recherche et de formation, Banque islamique de développement.
Disponible sur : www.irtipms.org.
132
Une référence à l’utile et à l’utilité affirmée par le docteur Mohammed Said RAMADAN
AL BOUTI qui considère que « l’utilité (Maslaha) est comme la bienfaisance (Manafa’a)
morphologiquement et sémantiquement : tout ce qui est bénéfique, que ce soit par appel
et acquisition comme la recherche des choses plaisantes ou utiles, ou par préservation et
prévention comme le refus des peines et des dommages, est digne d’être appelé Maslaha.
Cette dernière représente dans la charia la bienfaisance que le législateur sage a voulue
pour ses créatures dans le but de préserver la religion, leur vie, leur raison, leur
progéniture et leur fortune »358. Que ce soit pour les plus anciens ou les contemporains, la
définition de la Maslaha en droit musulman fait clairement référence à une définition qui
se réfère aux principes de la religion musulmane qui expose une définition dépassant
l’intérêt personnel et qui ne se limite pas seulement au plaisir ou à la douleur de l’Homme
mais à celui de la bienfaisance de l’ensemble de la société, un bien voulu et confirmé par
le créateur.
290. L’analyse de l’ensemble des définitions avancées par les théologiens musulmans
permet de dessiner un cadre clair de la définition et de la signification de la Maslaha, et
ainsi constater que le principe ou le concept de l’intérêt en droit musulman ne représente
pas forcément une idéologie identique à celle du principe tel qu’il est analysé et présenté
en Occident ou dans les textes internationaux. Cependant, suite à l’ensemble des
définitions, il semble légitime de confirmer que la signification de la Maslaha en droit
musulman regroupe un ensemble de règles qui touche l’ensemble des Hommes dont
l’enfant en particulier, une prise en considération qui se traduit clairement dans un grand
nombre de pays musulmans notamment le Maroc qui intègre l’interprétation des textes de
la charia qui font référence à la Maslaha de l’enfant afin que son droit positif réponde à
une protection complète de l’enfant au sein de la société en général et de la famille en
particulier.
291. Toutefois, pour mieux comprendre la définition de la Maslaha, les théologiens
musulmans ont défini un nombre de règles qui conditionnent l’existence du concept lui-
même. En effet, comme nous l’avons cité plus haut, la majorité des auteurs et des
jurisconsultes musulmans se sont permis d’appréhender le concept de la Maslaha en se
basant sur les limites de cinq conditions principales qui visent à protéger l’intérêt général
qui peut apparaître indéterminé et peut permettre une large interprétation du concept.
292. Ainsi, pour que le concept réponde aux conditions de sa réalisation, les
jurisconsultes mettent tout d’abord la lumière sur l’importance que l’intérêt fourni devrait
être avant tout réel et non fictif ; une condition qui va servir à réaliser un bien et à écarter
un risque et un préjudice. Ce qui veut dire que n’importe quelle loi portant sur le concept
de la Maslaha ne doit en aucun cas être fondée sur un intérêt fictif et qu’à défaut elle ne
doit pas exister. De plus, il importe de préciser que pour servir l’intérêt tel qu’il est
réglementé dans le droit musulman, il est primordial que cet intérêt ne soit pas contraire
aux principes mentionnés dans les textes sacrés tel que le Coran ou les textes qui font
consensus (les Hadith sahih).
358
Mohamed. Said. Ramadan ALBOUTI, Les règles de la Maslaha dans la charia 2ème éd., 1977, p. 23 (en langue
arabe).
133
S’ajoute à cela une autre règle qui rejoint la majorité des définitions présentées par les
jurisconsultes et qui réaffirme que l’intérêt recherché ou servi doit être général et non
personnel. Ainsi la règle fondée sur le concept de l’intérêt (Maslaha) doit répondre à
l’intérêt au sens large qui permet à un grand nombre d’individus de profiter de cet
intérêt359.
La réglementation de la Maslaha par les jurisconsultes musulmans met en place un
classement clair des degrés de cette dernière à savoir :
293. En effet, dans un premier temps, il y a les nécessités que le droit musulman définit
comme étant « toute utilité qui peut atteindre l’individu ou l’ensemble de la communauté
humaine et dont l’absence provoque un déséquilibre social et prive l’Homme du bonheur
ici-bas et de la récompense dans l’au-delà et condamne la communauté à la disparition ».
Dans un second temps, il y a les Besoins « Al hajiyât », qui sont définis par l’Imam A-
CHATIBI par « l’ensemble des avantages dont la réalisation nous préserve des
difficultés dans le chemin de la réalisation des objectifs recherchés et qui, en cas de sa
non prise en considération peut entraîner sur le chemin de chacun des obstacles sans
pour autant que ces derniers atteignent un grand degré de gravité perçu pour l’intérêt
général360 ». Une définition qui se précise par Cheikh IBN ACHOUR qui les définit
comme étant « les choses, dont la communauté a besoin pour acquérir des avantages et
assurer son bien-être harmonieusement et de la meilleure façon. Si ces utilités ne sont
pas réalisées, l’harmonie de l’univers n’en sera pas troublée, mais elle ne se présentera
pas sous un jour satisfaisant » ; ainsi, la catégorie de Al hajiyyat se précise par les
jurisconsultes dans le cadre social puisqu’elle englobe le droit des contrats en droit
musulman.
S’ajoutent à cela les améliorations ou les commodités « Al tahsinât », qui sont définies
par Al-GHAZALI comme étant « des éléments qui font partie des utilités de la Maslaha,
qui ne possèdent aucune nécessité et qui ne répondent à aucun besoin mais qui
garantissent et procurent un confort qui permet une amélioration et une complémentarité
dans la réalisation de la Maslaha qu’elle soit générale ou individuelle »361. En effet, cet
élément permet selon un grand nombre de jurisconsultes d’améliorer et d’adapter le
concept de la Maslaha à l’évolution sociale de la communauté musulmane.
294. Pour les jurisconsultes musulmans, de nombreux versets coraniques font une
référence claire au concept et lui attribuent une grande importance, notamment quand
Dieu dit : « Certes, Allah commande l’équité, la bienfaisance et l’assistance aux proches.
Et il interdit la turpitude, l’acte répréhensible et la rébellion. Il vous exhorte afin que
359
Mustapha ZARROUKI, L’intérêt supérieur de l’enfant en droit familial marocain, éd. S.N, 2012, pp. 22-23.
360
Ibid., p. 26.
361
Mustapha ZARROUKI, op. cit., p. 30.
134
vous vous souveniez »362. Un verset dans lequel le divin ordonne que la justice soit rendue
afin que la Maslaha générale soit prise en considération et que soit interdit ce qui est
honteux et condamnable en raison du préjudice qui peut être causé afin d’éviter la
Mafsada.
295. En effet, la parole divine utilise des termes précis en langue arabe qui affirment le
caractère visé du concept à travers l’emploi d’abord du terme Al-Adl qui signifie justice et
Al-Ihssane qui signifie la bienfaisance ce qui permet au texte de donner un sens qui
s’étend à une application complète et universelle qui englobe toutes les formes d’équité,
de bienfaisance et d’assistance, ce qui amène à un refus et un abandon clair de tout ce qui
est nocif. Toutefois, ce caractère universel des enseignements est aussi accentué par
l’utilisation de la deuxième personne du pluriel qui a pour objectif l’affirmation de
sécuriser la Maslaha et de prévenir la Mafsada et les actions inappropriées.
296. De plus, ce verset est jugé par de nombreux auteurs comme étant le plus complet qui
traite le concept de la Maslaha, notamment Al-izz B. ABD AL-SALAM qui considère
« qu’il s’agit du verset coranique le plus complet appelant à appliquer la Maslaha et à
mettre en garde contre la Mafsada »363. Dans le même sens, l’auteur explique que les
commandements du créateur ne connaissent pas de distinction entre la Maslaha tant
mineure que majeure, un aspect généraliste affirmé par d’autres versets notamment quand
Dieu dit « Quiconque fait un bien fût-ce du poids d’un atome, le verra, et quiconque fait
un mal fût-ce du poids d’un atome le verra »364. Aussi en mentionnant l’évidence sur le
concept l’imam AL-TUFI365 fait aussi référence à un autre verset « Ô gens ! Une
exhortation vous est venue, de votre seigneur, une guérison de ce qui est dans les
poitrines, un guide et une miséricorde pour les croyants »366. Un verset que l’auteur
précise que Dieu a voulu avertir les gens sur l’utilisation de la Maslaha dans le but de
protéger l’ensemble de sa communauté de la destruction et de la guider vers la guérison
du cœur ce qui représente la Maslaha primordiale de chaque musulman. De même, la
Maslaha est également décrite comme un guide de la miséricorde et de la grâce accordées
par Dieu comme des récompenses afin de réaliser la Maslaha générale de la
communauté.
297. Un autre élément de preuve coranique considéré comme pertinent pour le concept de
la Maslaha, se présente comme suit : « Dieu veut pour vous la facilité, il ne veut pas la
difficulté pour vous afin que vous complétiez le nombre et que vous proclamiez la
grandeur de Dieu pour vous avoir guidés, et afin que vous soyez reconnaissants »367.
Ainsi, par ce verset le doute est complètement levé sur la volonté divine d’intégrer la
facilité dans l’intérêt et le bénéfice de ses croyants et d’éviter les difficultés qui peuvent
représenter un mal ou une souffrance susceptible d’entraîner des incapacités à remplir les
devoirs et ainsi répondre à la Maslaha.
362
Coran, Sourate 16 Al-nahl.
363
IBN ABD AL-SALAM, Al-qawa’id al-kubra, Vol. 2, p. 315.
364
Coran, Sourate 99 ZALZALAH (la secousse), Verset 8.
365
Sulayman IBN ABD AL-QAWI AL-TUFI SARSARI (1259-1316), Irak.
366
Coran, Sourate 10, Verset 57-8.
367
Coran, Sourate 2, Verset 185.
135
Ceci est encore confirmé par le verset suivant :
« il ne vous a imposé aucune gêne dans la religion, celle de votre père Abraham, lequel
vous a déjà nommés musulmans… »368, indiquant à la communauté musulmane la facilité
et le soulagement dont elle bénéficie afin d’accomplir l’ensemble de leurs devoirs sans
leur infliger de grandes difficultés. En outre, selon les théoriciens du droit musulman,
d’autres versets peuvent aussi être relatifs à la confirmation du concept de la Maslaha
notamment :
– « Sur ce monde et sur l’au-delà ! Et ils t’interrogent au sujet des orphelins. Dis
leur faire du bien est la meilleure action. Si vous vous mêlez à eux, ce sont alors
vos frères en religion. Dieu distingue celui qui sème le désordre de celui qui fait le
bien. Et si Dieu avait voulu, il vous aurait accablés. Certes Dieu est puissant et
sage »369.
– « Et ne semez pas la corruption sur la terre après qu’elle ait été réformée. Et
invoquez-le avec crainte et espoir, car la miséricorde de Dieu est proche des
bienfaisants »370.
– « Il n’appartient pas aux habitants de Médine, ni aux Bédouins qui sont autour
d’eux, de traîner loin derrière le messager de Dieu, ni de préférer leur propre vie
à la sienne. Car ils n’éprouveront ni soif, ni fatigue, ni faim dans le sentier de
Dieu, ils ne fouleront aucune terre en provoquant la colère des infidèles, et
n’obtiendront aucun avantage sur un ennemi, sans qu’il ne leur soit écrit pour cela
une bonne action. En vérité Dieu ne laisse pas perdre la récompense des
bienfaiteurs »371.
– « La sanction d’une mauvaise action est une mauvaise action (une peine)
identique. Mais quiconque pardonne et réforme, son salaire incombe à Dieu. Il
n’aime point les injustes »372.
298. En outre, l’importance que requiert le concept de la Maslaha dans le texte sacré fait
preuve d’une analyse générale de la charia qui expose la bonne direction à suivre pour
chaque musulman avec un ensemble d’indications qui touchent les problèmes de la vie
quotidienne de chaque être humain, un champ invariable que le texte sacré traite
directement.
Cependant, bien que le concept de la Maslaha figure dans un ensemble de versets, sa
variabilité et son évolution nécessitent clairement le recours aux Hadiths afin que le
concept soit abordé dans son ensemble. En effet, de nombreux auteurs ont accordé une
grande importance au concept que ce soit d’une manière directe ou indirecte, et parmi ces
récits existe celui de l’imam Malik qui considère « qu’il ne devrait y avoir ni préjudice ni
réciprocité du préjudice » ;
368
Coran, Sourate 22, Verset 78.
369
Coran, Sourate 2, Verset 220.
370
Coran, Sourate 7, Verset 56.
371
Coran, Sourate 9, Verset, 120.
372
Coran, Sourate 42, Verset, 40.
136
L’interdiction du préjudice, qu’elle soit affligée ou réciproque, est clairement une grande
Maslaha pour les personnes, clarifiant ainsi le but recherché par la législation divine.
Aussi, l’imam MUSLIM affirme la place de la Maslaha pour la communauté en précisant
que : « La foi comporte environ soixante-dix branches, dont la plus haute est celle de
déclarer qu’il n’y a pas de vrai Dieu qu’Allah et la plus basse est l’élimination de ce qui
est nuisible du chemin et que la modestie est l’une des plus importantes branches »373. Un
Hadith qui indique les règles imposées par la charia qui visent à assurer la Maslaha de la
population.
299. C’est une réglementation à travers laquelle le prophète a classé la religion de telle
sorte que le plus haut niveau constitue le point de départ de la foi et de la croyance en un
seul Dieu Al-tawhid tandis que le point le plus bas de la foi concerne le concept de la
Maslaha en évoquant l’élimination de tout ce qui est nuisible à cette dernière qui est ainsi
incluse dans la religion musulmane dans ses formes les plus larges quels que soient ses
types.
373
Rapporté par MUSLIM dans son Sahih, bab Al-Aman, vol. 1, p. 163.
374
Rapporté par AL-BUKHARI dans son livre Sahih al-bukhari, Bab Al-sulh, vol. 3, p. 170.
375
Al-Amidi, AL-ihkam fi Usul al-AHKAM, Vol. 3, p. 54.
137
300. Par ailleurs, il importe de mentionner que malgré la précision sur les grands
principes qui définissent la Maslaha en droit musulman, ces derniers ont fait l’objet
d’évolution et d’ajustements selon les différentes écoles. En effet, de nombreux exemples
peuvent être cités notamment celui de l’école Hanbalite qui selon ses penseurs, fait la
distinction entre la religion (Dîn) qu’ils considèrent comme intangible, la pratique
religieuse (ibadât) et la religion (dîn) susceptible de réformes et d’adaptation aux
changements sociaux et aux relations humaines (Mou’âmalat) et à ceux du temps et des
lieux. Une vision qui laisse une liberté large d’adaptation qui permet de répondre aux
questions auxquelles les textes fondamentaux n’apportent pas des réponses précises sur
de nombreuses situations sociales.
301. Ainsi il demeure facile de s’adapter aux situations et de trouver des solutions
juridiques qui restent fidèles au Coran et à la sunna tout en soulignant l’importance de
l’opinion et de l’estime personnelle ainsi que l’avis du juriste. Quant à l’école Malékite
dont l’imam Malik IBN ANAS (716-796) en est le fondateur principal. En effet, cette
dernière affiche un attachement fondamental à la source qui est celle du Coran complété
par la Sunna avec une prise en considération de la législation existante au temps du
prophète à Médine ou encore l’ensemble des avis qui font l’objet d’un consensus par la
majorité des savants spécialisés dans la bonne pratique et l’application de la Sunna 376.
302. Cependant, l’école Malékite exprime clairement une réserve sur quelques critères
que l’école Hanbalite a mis en place afin de définir la Maslaha notamment sur le principe
de l’opinion personnelle, que la pensée Malékite juge comme abstraite et non précise,
puisque ce courant met en place une règle qui demeure primordiale et qui est celle de
trouver pour chaque règle une référence claire et explicite dans le texte coranique ou dans
l’enseignement du prophète afin de répondre clairement à la réalisation de l’intérêt
général ou public (Maslaha)377. En ce qui concerne l’école Chaféiite dont le fondateur est
Mohammed IBN IDRISS AL-CHAFI’I (767-820), la réalisation de la Maslaha ne se
confirme qu’à travers la reconnaissance du Coran et aussi la tradition du prophète tout en
se focalisant sur le rôle du raisonnement.
En effet, ce dernier fait partie de la pensée logique de ce courant qui combine la raison et
la transmission qui permettent de créer un équilibre en matière de la science
méthodologique. Toutefois, bien que pour les chaféiite le Coran, la Sunna et la source
prophétique représentent l’ensemble des règles principales qui définissent le concept de
la Maslaha, les penseurs de ce courant considèrent que lorsque ces trois dernières sources
ne donnent pas de réponse à des questions spécifiques ou récentes, elles doivent être
complétées par d’autres éléments participant à définir le concept notamment, le
consensus et l’effort de réflexion (l’ijtihad ou le Kiyas) qui permettent aux juristes et aux
théoriciens en la matière d’employer la raison et la réflexion afin d’apporter des réponses
complètes à la définition du concept de la Maslaha378.
376
Charles SAINT-PROT, Le droit au cœur de l’islam, Société, droit et religion, n° 2, 2012/1 p. 148.
377
Ibid, p. 149.
378
Id, Ibid, p. 149.
138
303. Pour finir, il importe d’évoquer l’école Hanbalite dont le fondateur est Ahmed IBN
HANBAL (780-855) qui avait pour objectif de renforcer la vision traditionaliste sur les
grands principes de la religion musulmane. En effet, ce courant est considéré par la
majorité comme étant le plus conservateur. À travers sa pensée, il va dans un premier
temps mettre la lumière sur la distinction des branches du droit musulman notamment
entre : « Le droit relatif au culte et la clarification entre le licite et l’illicite qui sont selon
lui intangible »379. Ainsi, selon ces règles le leader de ce courant a incité l’utilisation de
l’effort de réflexion dans la prise en considération du concept de la Maslaha, tout en
réservant l’effort de la réflexion aux oulémas qui gardent l’exclusivité d’apporter des
réponses aux différentes situations précises afin de garantir la Maslaha générale de
l’ensemble de la communauté tout en restant fidèles à l’esprit des sources principales de
la religion musulmane380.
304. La Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, est considérée comme
un texte décisif pour la protection des droits de l’enfant, tant par l’ensemble des droits
qu’elle proclame que par son vocabulaire. En effet, l’intégration de la notion de l’intérêt
supérieur de l’enfant a fortement influencé l’ensemble des règles imposées par les
rédacteurs du texte. Une notion jusqu’à cette date demeurée inexistante dans les textes
antérieurs ; la référence à cette notion qui est considérée comme contemporaine a
désormais influencé tout l’arsenal juridique concernant l’enfant. Néanmoins, de plus que
la difficulté d’attribuer une définition explicite à cette notion qui demeure floue et
imprécise en droit, cette dernière fait toujours l’objet de recherche sur son utilité et sa
fonction qui balance entre de multiples fonctions, notamment celle libératrice de l’enfant
contre celle protectrice de l’ensemble de ses droits, ce qui provoque des controverses par
rapport au contenu et à la pratique de la notion. En outre, l’imprécision de la notion
permet une grande confusion entre la notion elle-même, les besoins et la protection de
l’enfant.
379
Ibid.
380
Id, ibid.
381
Eléonore LACROIX, Les droits de l’enfant,éd Ellipses, Coll philo, 2001, p. 32.
382
Gilles LEBRETON, Le droit de l’enfant au respect de son intérêt supérieur. Critique républicaine de la dérive
individualiste du droit civil français.
139
306. Le texte international de 1989, est principalement basé sur l’idée d’accorder aux
enfants des droits et d’imposer aux États et aux familles le respect absolu des droits
proclamés par le texte, un constat clairement affirmé particulièrement par l’article 2 de la
convention383 qui s’articule avec d’autres articles du texte international notamment les
articles 12, 13, 14 et 15 qui affirment cette fonction libératrice. En effet, ils marquent
explicitement la volonté de la communauté internationale ainsi que celle des rédacteurs
du texte d’accorder à l’enfant des droits subjectifs en lui reconnaissant des droits
similaires à ceux des adultes, notamment : la liberté de l’enfant d’exprimer librement son
opinion sur toute question l’intéressant tout en prenant compte son âge et son degré de
maturité (ART. 12-1) ; la libération de la parole de l’enfant dans toutes les affaires et les
procédures qui le concerne que ce soit d’une manière directe ou indirecte (ART. 12-2).
Le droit de l’enfant à la liberté d’expression, qui lui accorde la liberté d’exprimer son
opinion et ses idées sans aucune considération notamment de frontière ; ou de la forme
d’expression, une liberté qui dépend du choix de l’enfant (ART. 13) tout en respectant le
cadre légal de chaque nation (ART. 13-2). Un autre droit jugé de libérateur dans le texte
et auquel les États parties s’engagent à respecter est celui de sa liberté de pensée, de
conscience et de religion (ART-1) tout en garantissant le droit et le devoir des parents de
guider l’enfant dans l’exercice de ce droit d’une façon à ce que ça lui permette un
développement de ses capacités (ART 14-2), une liberté fondée sur le respect de la loi
(ART 14-3).
S’ajoute à cela l’article 15 du même texte qui accorde à l’enfant le droit de « la liberté
d’association et la liberté de réunion pacifique », l’exercice de ce droit ne peut être
restreint que par les dispositions de la loi384. Ainsi, l’ensemble de ces dispositions de la
CIDE affirment le caractère libérateur du texte vis-à-vis de l’enfant en lui reconnaissant
les mêmes droits que les adultes. À ce propos M. HAUSER a exprimé que la fonction
libératrice de ces dispositions permet de considérer les enfants comme de petits Hommes
plutôt que les petits d’Hommes385.
De plus, bien que la fonction libératrice de la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant
puisse apparaître évidente à travers l’étude de ces articles sans pour autant qu’elle soit
exprimée explicitement, elle est néanmoins limitée par les contraintes extérieures
imposées par la société et par la loi pour dégager les droits propres à l’enfant.
383
Cet article dispose que « Les États parties s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente
convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridictions, sans distinction aucune, indépendamment de toute
considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre de l’enfant ou de ses
parents ou ses représentants légaux, de leur opinion nationale, éthique ou sociale, de leur situation de fortune de leur
incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation. Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour
que l’enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanction motivée par la situation
juridique, les activités, les opinions déclarées ou les conventions de ses parents, de ses représentants légaux ou des
membres de sa famille ».
384
Les restrictions de la loi sont nécessaires afin de préserver la sauvegarde de la sécurité nationale, l’ordre public, la
santé ou la moralité publique ou encore les libertés et les droits fondamentaux d’autrui.
385
Jean. HAUSER, Des petits hommes ou des petits d’hommes ?, in Le droit de l’enfant au respect de son intérêt
supérieur. Critique républicaine de la dérive individualiste du droit civil, cité par Gilles LEBRETON, du droit de
l’enfant au respect de son intérêt. Op, cit, p. 81.
140
Dans ce sens, Dominique YOUF, affirme que ces limites trouvent leurs origines dans les
différentes conceptions philosophiques de l’enfance, notamment celles soutenues par
LUCK et ROUSSEAU. Selon le premier, l’enfant est titulaire de droits, cependant vu son
manque de maturité et de raisonnement insuffisant, il est obligé de rester sous la tutelle
ou sous la responsabilité des adultes notamment ses parents jusqu’à sa majorité. Pour
ROUSSEAU, la vision de l’enfant ne doit en aucun cas représenter un caractère négatif.
En effet, le philosophe considère que c’est faux de considérer l’enfant soit comme un
adulte soit comme un être sans raisonnement ; il estime que l’enfant est différent des
adultes, et qu’il possède des capacités spécifiques qui nous empêchent de l’assimiler aux
adultes386.
309. En outre, la philosophie évolutive de l’enfance qui incite à penser les droits de
l’enfant a clairement influencé la CIDE qui a considéré que l’enfant au sens de la
convention n’avait pas uniquement besoin de garantir ses droits subjectifs mais aussi
d’une protection spécifique que le texte tâche de garantir à l’enfant. Une fonction que les
rédacteurs du texte international n’ont pas pu mettre en place qu’avec une grande
difficulté puisque la question de l’individualisation des droits de l’enfant demeure
difficile à prendre en compte et à appliquer dans un cadre international qui prône souvent
le paternalisme et le refus de cette individualisation de droits à travers les limites posées
par les parents et les États. C’est dans ce sens qu’apparaît la seconde fonction du principe
de l’intérêt supérieur de l’enfant, une fonction jugée contraire à celle présentée plus haut.
386
Dominique YOUF, Penser les droits de l’enfant, presse universitaire de France, 1ère éd, 2002, p. 94.
387
Idem, p. 95.
141
En effet, cette seconde fonction se présente comme celle qui encadre toutes les atteintes
qui peuvent être portées à l’indépendance et l’autonomie de la personne de l’enfant que
ce soit par sa famille, ses représentants légaux ou encore par l’État 388. Ainsi, c’est dans le
cadre d’une fonction libératrice que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant s’impose
dans la CIDE, qui vise principalement à encadrer un ensemble de situations auxquelles
l’enfant est confronté. Il répond à la fonction protectrice plutôt qu’à la fonction
libératrice. C’est en effet, dans ce sens que le principe est explicitement cité dans le texte
international, afin d’évoquer la protection de l’enfant.
388
Gilles LEBRETON, Le droit de l’enfant au respect de son intérêt supérieur. Critique républicaine de la dérive
individualiste du droit civil français op. cit., p. 82.
389
Id, ibid, p. 82.
390
Ibid.
142
Mme DEKEUWER-DÉFOSSEZ précise dans ce sens que « la portée de l’intérêt
supérieur a souvent été surévaluée ainsi que la question de la supériorité de l’intérêt de
l’enfant et le fait qu’il soit considéré comme préférable aux adultes, une position qui
n’est pas tenable, en considérant que l’intérêt des adultes devait également être reconnu
et protégé »391.
En outre, de nombreux débats ont accompagné ce sujet au sein du comité des Nations
Unies, ce qui a permis de mettre la lumière sur un nombre de points qui représentent des
conflits auxquels le principe est confronté, notamment 392 :
– L’intérêt de l’enfant face à l’intérêt d’un groupe d’enfant ou d’autres enfants ;
– L’intérêt de l’enfant face aux souhaits de ses parents ou de ses représentants
légaux ;
– L’intérêt de l’enfant ou d’un groupe d’enfants face à celui de la société.
313. Des questions auxquelles le texte international ainsi que les législations nationales
tentent d’y répondre afin de créer l’équilibre souhaité par l’intégration du principe de
l’intérêt supérieur de l’enfant et de garantir à ce dernier l’ensemble des droits proclamés
par la CIDE. En effet, comme nous l’avons précisé plus haut, cet équilibre recherché est
souvent difficile à acquérir notamment dans des pays qui accordent encore à la famille et
à la société une grande importance allant jusqu’à dépasser l’esprit du principe recherché
par la CIDE. L’exemple de la conciliation entre l’intérêt supérieur de l’enfant et celui de
ses parents est l’un des plus fréquents puisqu’il faut admettre que dans la majorité des
sociétés l’enfant fait partie d’abord de sa famille et donc le lien entre son intérêt et celui
de ses parents ou ses représentants légaux est inévitable. Dans ce sens, il existe deux
points de vue qui se contredisent. D’abord celui de considérer que la famille est par
définition la présentatrice de l’intérêt de l’enfant et que toutes les décisions prises à
l’égard de l’enfant reflètent le bon choix fait par la famille à l’égard de l’enfant, puis le
deuxième qui se base sur le principe de l’individualisation de l’enfant et de ses droits.
C’est dans l’esprit de ce dernier que la CIDE se positionne, bien qu’elle soit favorable au
rôle de la famille dans le cadre de l’intérêt supérieur de l’enfant.
314. En effet, le texte international part du principe que les États parties se trouvent dans
l’obligation d’assurer le principe selon lequel les parents se trouvent devant une
responsabilité commune d’élever leur enfant et d’assurer son développement, une
responsabilité qui doit être exercée par les parents ou ses représentants légaux.
Ainsi la convention précise que les décisions prises par les parents à l’égard de l’enfant
reflètent simplement l’exercice de leur responsabilité dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
Néanmoins, la CIDE attire l’attention à travers ART 9 sur le rôle de l’État de veiller à ce
que l’exercice de la responsabilité parentale réponde toujours au principe de l’intérêt
supérieur de l’enfant, et en cas de manquement des parents à cet exercice, il ressort de la
responsabilité de l’État de séparer l’enfant de ses parents ou de ses représentants afin que
391
Françoise DEKEUWER-DÉFOSSEZ, Les droits de l’enfant, 5ème éd., Paris, PUF (Que sais-je ?), 2001, p. 6.
392
Thomas HAMMARBERG, Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant : ce qu’il signifie et ce qu’il implique pour
les adultes, JDJ, 2011, n° 303, p. 13.
143
cette séparation préserve son intérêt supérieur. Toutefois, la CIDE mentionne
l’importance de la manière dont la séparation doit être faite sans qu’elle provoque des
traumatismes chez l’enfant afin qu’il puisse continuer le développement harmonieux de
sa personnalité393.
315. Ainsi, dans le cadre de cette considération primordiale de l’intérêt supérieur de
l’enfant explicitement évoquée par la CIDE, la difficulté de son application s’avère plus
complexe pour les États parties notamment les deux systèmes juridiques que nous
étudions. En France par exemple, il semble difficile de considérer l’intérêt supérieur de
l’enfant comme étant un principe supérieur ou de revendiquer sa supériorité par rapport à
d’autres intérêts. En effet, l’esprit du droit français n’accorde pas le caractère supérieur à
l’intérêt de l’enfant par rapport aux autres intérêts légitimes dont notamment ceux des
parents mais se voit obligé de trouver un équilibre entre leurs intérêts. Cet équilibre
recherché par le droit français reflète principalement l’esprit du droit français de la
famille qui fait principalement référence à cet équilibre plutôt qu’à la supériorité d’un de
ses membres sur les autres.
316. Le recours à cet équilibre est souvent exposé par rapport à la dualité du système
français qui cherche à prendre en considération la liberté des familles et le souci de la
protection de l’intérêt de l’enfant. De nombreux spécialistes du droit français de la
famille tentent de présenter l’existence de la prise en compte de l’intérêt supérieur de
l’enfant avant même l’émergence de la CIDE en se basant sur la loi du 22 juillet 1987 qui
traite l’autorité parentale et à travers laquelle le droit français répartit l’autorité
parentale entre les parents séparés en se fondant sur droits de l’enfant notamment : son
droit de conserver les liens avec ses deux parents, et le droit de l’enfant à
s’exprimer »394, ou encore le droit de l’enfant à la parole qui a été relevé dans la loi du 22
juillet 1987. Bien que la référence au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant n’ait pas
été explicitement évoquée par le législateur français à l’époque, cet équilibre trouvé entre
les intérêts des membres de la société est farouchement défendu puisqu’il se base selon
ses défenseurs sur le principe de l’équilibre et les règles de la protection de l’intérêt du
mineur et non pas sur l’intérêt supérieur de l’enfant395.
393
Idem, pp. 13-14.
394
Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, Les droits de l’enfant, p. 7.
395
Idem.
396
Dans ce sens, de nombreux exemples font référence à cet équilibre défendu par le législateur français notamment :
l’équilibre dégagé entre les intérêts de l’enfant et ceux de sa mère que la loi du 22 Janvier 2002 qui porte sur le droit de
la femme d’accoucher sous X, et qui les encourage seulement à lever l’anonymat sans pour autant les obliger. Aussi,
lorsque les intérêts d’un mineur semblent être en opposition avec ceux de ses représentants, le juge estime obligatoire et
dans l’intérêt de l’enfant de lui désigner un administrateur ad hoc afin qu’il le représente ».
144
Dans ce sens, il semble possible de juger que la fonction de la notion de l’intérêt
supérieur de l’enfant en droit français ne représente pas clairement la supériorité
recherchée par le texte international mais plutôt la valeur égale des autres intérêts
légitimes qui peuvent être pris en compte face à l’intérêt supérieur de l’enfant397.
318. Quant au droit marocain, la question de la supériorité de l’intérêt de l’enfant par
rapport aux autres intérêts notamment ceux des parents ou des représentants légaux
semble difficile à traiter puisque l’origine même de l’intérêt de l’enfant qui est celle du
droit musulman est différente de celle du droit positif. Comme nous l’avons cité plus
haut, le chevauchement du système marocain entre droit musulman et droit positif sur la
question de l’intérêt de l’enfant semble présenter une difficulté de définition de notion et
de ses fonctions. En effet, au Maroc, la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant balance
entre une référence religieuse stricte sur de nombreuses questions notamment en droit de
la famille et une référence internationale basée principalement sur la Convention
internationale des droits de l’enfant.
145
Par ailleurs, malgré les efforts fournis par le législateur afin d’introduire et de prendre en
considération l’intérêt supérieur de l’enfant, il demeure fidèle à la source du droit
musulman, ce qui permet la persistance de l’intérêt général de la famille et de la société
face à celui de l’enfant.
321. Dans le même ordre d’idées, la deuxième question qui se pose par rapport à ce sujet
est celle de la supériorité de l’intérêt de l’enfant et de l’ensemble de la société dans
laquelle il vit. Il est inévitable que l’intérêt de l’enfant entre en conflit avec ce qui est jugé
comme intérêt pour un groupe de personne ou pour la société dans son ensemble. En
effet, évoquer ce genre d’intérêts renvoie principalement aux problèmes de ressources des
États ou des familles, dans le sens où la réalisation de la protection de l’intérêt supérieur
de l’enfant exige des besoins financiers auxquels les États et les familles doivent
répondre, ce qui représente une difficulté pour les pays en voie de développement ou
encore ceux à faibles ressources. Face à un élément aussi important, le principe de
l’intérêt supérieur de l’enfant se trouve devant des contraintes qui peuvent empêcher sa
réalisation et rendre en effet sa considération primordiale.
Dans ce sens la CIDE oriente clairement les États parties sur les obligations et les
engagements de ces derniers à prendre « toutes les mesures législatives, administratives
et autres qui sont nécessaires pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la présente
convention. Dans le cas de droits économiques, sociaux et culturels, ils prennent ces
mesures dans toutes les limites des ressources dont ils disposent (…) »399. À travers cet
article, le texte international exige que l’ensemble des mesures tende vers la réalisation de
l’intérêt supérieur de l’enfant, pouvant être traduit par le besoin de l’enfant aux soins
hospitaliers, aux services sociaux ou autres400. Par ailleurs, bien que le texte international
fasse référence aux obligations des États, il n’apporte aucune réponse explicite à ce
conflit, ce qui est d’ailleurs le cas pour l’ensemble des conflits d’intérêts existant sauf
pour les questions les plus évidentes.
323. Par ce qui est présenté plus haut, il est clair que le principe de l’intérêt supérieur de
l’enfant tel qu’évoqué, que ce soit dans les textes nationaux ou internationaux, fait
toujours l’objet d’un grand nombre de controverses en vertu de l’absence d’une définition
explicite, du risque juridique présenté par cette indéfinition et de l’ensemble des conflits
possibles entre ce principe et les autres intérêts qui demeurent légitimes.
399
ART 4 de la Convention internationale des droits de l’enfant.
400
Thomas HAMMARBERG, op. cit., p. 14.
146
En effet, l’application de ce principe en droit interne de n’importe quel système juridique
peut donner lieu à des interprétations qui dépendent des environnements juridiques ce qui
provoque des interprétations variables du principe. Ce dernier peut être tantôt comme
« un élément favorisant l’arbitraire judiciaire » tantôt comme « un élément qui favorise
les interprétations », une complexité définit par le doyen CARBONNIER comme une «
notion à contenu variable », une variabilité qui dépend de la variété des interprétations
qui peuvent être portées à la notion par ceux qui représentent des intérêts légitimes
notamment les parents, les grands-parents, le législateur ou encore le juge 401.
401
Les notions à contenu variable dans le droit français de la famille in C. PERELMAN et R.VAN DER ELST, les
notions à contenu variable en droit, Bruxelles, 1984, in Marc G. SCHWEITZER, Nielle PUIG-VERGÉS, La référence
à l’intérêt de l’enfant. Perspectives juridiques et épistémologiques, op. cit., p. 795.
402
Ibid.
403
Id, ibid.
404
Jean. ZERMATTEN, L’intérêt supérieur de l’enfant, institut international des droits de l’enfant, IDE, Sion,
Switserland, 2005. P:\TM-JG\jze\Uni Paris VIII\Int sup, Paris Viii.doc
147
Toutefois, malgré qu’elle soit aujourd’hui considérée comme étant un élément
accélérateur de la protection des droits de l’enfant, la dualité de son objet et son
indétermination permet d’influencer son utilité dans de nombreux systèmes juridiques
tels que le système marocain qui se heurte à la difficulté d’adopter une définition qui
permet d’intégrer le principe tel qu’il est reconnu dans les textes internationaux dans le
respect de la spécificité du système juridique.
327. La notion de l’intérêt de l’enfant est considérée comme une notion variable, qui,
pour les plus philosophes, porte en elle un caractère contradictoire qui signifie le
« concret flou »405, un caractère qui ne lui attribue pas une définition précise. Pour
d’autres auteurs, la notion est à proscrire puisqu’elle est « propice aux dérives ». Elle peut
permettre des compromis avec les règles traditionnelles comme elle peut finir par rendre
difficile l’application de tous les principes et les mécanismes juridiques existants406.
328. Sans aucun doute, l’ambiguïté de la notion met en évidence la difficulté de sa mise
en œuvre. Une difficulté qui paraît assez logique puisque la naissance de cette notion et le
souci qui lui est accordé sont récents. En effet, bien qu’en France l’intérêt pour l’enfance
se soit imposé depuis le XIXe siècle, avec l’adoption d’un grand nombre de lois qui
visent à protéger l’enfant dans de nombreuses situations, il a fallu attendre le XXe siècle
et la reconnaissance de l’enfant comme sujet de droit afin que son intérêt soit le centre de
toutes les réformes qui le concerne. Cette évolution a permis tout d’abord l’instauration
de la notion en droit interne puis sa confirmation avec l’adoption de la Convention
internationale des droits de l’enfant par la France en 1990. Cependant, malgré cette prise
en compte la notion de l’intérêt de l’enfant fait jusqu’à nos jours débat sur sa
signification, sa portée ainsi que son application407. Par ailleurs, contrairement à la
France, le droit marocain ne va pas faire l’objet de la même évolution et de la même prise
en considération de l’intérêt de l’enfant puisque ce dernier prend le droit musulman
comme une référence principale qui va clairement influencer l’introduction du principe
faite d’une manière progressive à partir de l’adoption de la CIDE, ce qui va ralentir
l’introduction de la notion en droit interne.
329. C’est dans ce sens que l’attribution d’une définition explicite de la notion de l’intérêt
supérieur de l’enfant semble être difficile dans tous les systèmes juridiques. Toutefois, la
nuance entre les systèmes juridiques occidentaux et ceux marqués par la religion est
évidente. Un constat qui se manifeste notamment entre les deux systèmes que nous
étudions où l’effort fournis par les législateurs quant à l’établissement d’une définition
explicite qui répond principalement aux exigences de la CIDE est flagrant.
405
Jaqueline.COSTA-LASCAUX, Histoire de la notion d’intérêt de l’enfant dans le droit des mineurs, in De quel
droit ? De l’intérêt…aux droits de l’enfant, F. BAILLEAU et M. ; sous la direction de GUEISSAZ, séminaire dactyl.,
1988, p.162 et sp., p.163.
406
A.TRIBES, Le rôle de la notion d’intérêt en matière civile, thèse dactyl., Paris, 1975, sp., p. 424.
407
Pierre VERDIER, De l’intérêt de l’enfant aux droits de l’enfant, enfance et psy, n° 43, 2009, p. 86.
148
En effet, en dépit du fait que le législateur français n’accorde pas une définition explicite
à cette notion, il établit clairement l’ensemble des éléments qui peuvent permettre la
concrétisation de la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant. Alors que le
législateur marocain de son côté, subit encore aujourd’hui la difficulté de combiner entre
le principe moderne de l’intérêt supérieur de l’enfant et celui figurant encore parmi les
principes fondamentaux du droit musulman qui est ‘ALMASLAHA’.
331. Comme déjà évoqué, la notion de « l’intérêt supérieur » figurait déjà dans la
déclaration des droits de l’enfant de 1959(DDE), une figuration qui paraît logique
puisque l’expression a été reprise par la Pologne dans la première proposition de
convention en 1978. Ainsi, la DDE faisait référence à l’expression de l’intérêt supérieur
d’abord dans son « principe 2 : L’enfant doit bénéficier d’une protection spéciale et se
voir accorder des possibilités et des facilités par l’effet de la loi et par d’autres moyens,
afin d’être en mesure de se développer d’une façon saine et normale sur le plan physique,
intellectuel, moral, spirituel et social, dans des conditions de liberté et de dignité. Dans
l’adoption de loi de cette fin, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la considération
déterminante » puis dans le « principe 7 : l’intérêt supérieur de l’enfant doit être le guide
de ceux qui ont la responsabilité de son éducation et de son orientation ; cette
responsabilité incombe en priorité à ses parents ». Cependant, arrivé au premier projet de
convention présenté par la Pologne, la référence à l’intérêt supérieur a été amplement
développée ce qui a constitué une référence et un document de base pour l’élaboration de
la CIDE en 1989.
332. Cependant, il est à noter que le texte provisoire a fait l’objet de grands débats sur de
nombreuses questions notamment sur la portée du concept de l’intérêt de l’enfant ce qui a
contribué à façonner le texte final et l’intégration de l’intérêt supérieur de l’enfant en tant
que principe directeur du texte. En effet, au moment des premiers rassemblements, les
délégués des gouvernements étaient loin d’être formés en matière des droits de l’enfant ce
qui a affaibli le nombre des pays participants aux débats.
149
333. Néanmoins, certains délégués ont contribué fortement dans la modification du texte
provisoire, notamment le rôle des États-Unis : « qui mis en cause avec d’autres délégués
l’opportunité d’attribuer, dans un traité, des obligations formelles aux parents et
représentants légaux au même titre que celles des tribunaux », ainsi, il fallait apporter une
modification qui permettait de déplacer la question de la responsabilité des parents, ce qui
va être pris en considération et va aboutir à déplacer la question dans l’article 18-1. Les
États-Unis se trouvaient aussi parmi les pays qui ont fait une proposition plus élaborée
sur un des articles phare de la convention qui est l’article 3 en proposant la formulation
suivante « Décisions officielles, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou
privées de protection sociale, des tribunaux ou des autorités administratives » et
d’évoquer l’intérêt supérieur comme étant « une » considération primordiale408. Une
proposition américaine qui a subi quelques modifications dont la suppression du terme «
officielles » mais qui représentait une base principale. La participation américaine s’avère
aussi dans d’autres questions notamment l’introduction de la base du droit de l’enfant
d’être entendu dans toutes les affaires qui le concernent.
334. Une proposition qui vient compléter celle présenté par la Pologne en 1979 qui traite
« le droit de l’enfant d’exprimer son opinion sur les questions concernant sa propre
personne -notamment, le mariage, le choix d’un métier, le traitement médical,
l’éducation et les activités récréatives ». Deux propositions qui ont permis l’élaboration
de deux concepts principaux qui sont indirectement attachés à savoir : l’intérêt de l’enfant
et celui de son droit d’être entendu, à la suite des propositions des États et des
modifications apportées au texte provisoire. Ainsi, en 1988 le texte était la cible d’une
évaluation technique portée par le secrétariat de l’ONU, qui a ouvert le débat sur une
autre question principale qui est toujours d’actualité et qui porte sur l’expression de
l’intérêt supérieur de l’enfant elle-même et de sa composition409.
335. En effet, l’un des grands débats qu’a subi le texte international par rapport à cette
expression qui est devenu principale est celle de savoir si l’intérêt de l’enfant doit
représenter « la » ou « une » considération primordiale ? À cet égard, il y a eu deux
clans, d’abord ceux qui prônaient la référence à « la » en se basant sur l’article 5 de la
CEDEF qui fait référence à « l’intérêt des enfants comme étant La condition primordiale
dans tous les cas », une justification rejetée par le deuxième clan puisqu’elle a été jugée
inadaptée à la CIDE qui traite des sujets plus vastes que ceux de la CEDEF et qui peut
traiter un nombre de sujets illimités qui peuvent représenter d’autres intérêts notamment
ceux de la famille, de la justice ou encore de la société »410.
408
Nigel CANTWELL, La genèse de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la convention relative aux droits
de l’enfant, JDJ n°303-mars 2011, p23.
409
Idem.
410
La Finlande a présenté une proposition qui a été rejeté, qui permettait de retenir ‘La’ uniquement en
matière du bien-être de l’enfant.
150
Face au nombre d’États rejetant la formulation de « La considération primordiale »,
l’expression retenue dans le texte final a été celle de « Une considération primordiale ».
Par ailleurs dans le cadre des débats portant sur le texte final, l’ensemble des États parties
se sont accordés sur la nécessité de laisser la portée de la notion de l’intérêt supérieur flou
et imprécise afin qu’il y ait possibilité de l’adapter à différentes situations qui concernent
l’enfant411.
336. L’expression d’intérêt supérieur de l’enfant est citée sept fois dans six articles du
texte. D’abord dans l’article 3 qui est considéré comme principal dans la fondation du
principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, exprimé en ces termes « Dans toutes les
décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou
privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes
législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
Ainsi, ce dernier s’installe en tant que principe fonctionnel qui vise à donner la priorité à
l’intérêt de l’enfant dans toutes les décisions le concernant en se basant sur la protection
et la défense de son bien-être et ses besoins fondamentaux412. Cet article qui évoque le
rôle des institutions publiques et privées dans la garantie du principe de l’intérêt supérieur
de l’enfant, est complété par d’autres articles qui eux évoquent le rôle de la famille dans
cette mission de protection. Notamment les articles 9, 18, 20, 21, 37 et l’article 40 qui
viennent instaurer un guide pour les familles et les parents afin de garantir la meilleure
protection du principe fondamental de la convention.
337. L’ensemble de ces articles traitent le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant avec
précision en évoquant : l’intérêt supérieur de l’enfant en cas de divorce des parents, la
responsabilité de ces derniers d’élever leurs enfants, la privation de l’enfant de son milieu
familial, l’adoption de l’enfant, la privation de l’enfant de sa liberté, l’enfant dans les
affaires pénales. Bien que la convention ait apporté des précisions sur ces sujets, elle a
cependant gardé le silence sur la portée de l’intérêt supérieur de l’enfant, un silence qui a
créé une grande ambiguïté à son interprétation et son application par les États parties
puisqu’il est considéré comme « un concept particulièrement flou auquel on peut faire
évoquer tout ce que l’on veut »413. Selon Jean ZERMATTEN « l’intérêt supérieur de
l’enfant représente donc un concept juridique très moderne…dont le contenu reste assez
flou et les fonctions sont multiples. Il est dès lors examiné par rapport à tel point précis
ou expliqué par la jurisprudence plutôt que véritablement expliqué de manière
systématique. Abstrait, il doit permettre au droit de s’adapter aux exigences concrètes de
la vie »414.
411
Un seul État a exprimé son regret par rapport à la portée imprécise de la notion de l’intérêt supérieur de
l’enfant c’est le Venezuela, en jugeant le concept de Flou, sans succès à convaincre les autres États de
modifier cette imprécision, il rejoint le consensus de la version actuelle du texte.
412
C. Brunetti-Pons, « l’intérêt supérieur de l’enfant : une définition possible ? », RLDC 2011, n° 87, P.29 ;
A Tribes, le rôle de la notion d’intérêt en matière civile, thèse, dactyl, 1975, P.10.
413
Pierre VERDIER, « de l’intérêt de l’enfant aux droits de l’enfant », Enfances & PSY 2009/2, n° 43,
P.87.
414
Jean ZERMATTEN, op. cit., p4.
151
Une ambivalence qui se manifeste sous différentes formes, d’abord dans les divergences
retenues entre les deux versions de la convention : Anglaise et Française. En effet, la
version anglaise évoque « the best interests of child » c'est-à-dire « les meilleurs intérêts
» de l’enfant, alors que dans la version française les intérêts sont passés du pluriel au
singulier soit l’intérêt de l’enfant, pour le professeur Claire NEIRINCK cette
« singularité de l’intérêt est en réalité inexistante puisqu’il n’existe pas un seul intérêt de
l’enfant mais de multiples intérêts notamment : matériel, affectif, psychologique,
immédiat, et futur… conformément aux articles 3-2 et 3-3 de la CIDE qui confirment la
priorité de la protection et des soins nécessaires au bien-être de l’enfant »415.
338. S’ajoute à cela la traduction du terme « best » par « supérieur » qui vient confirmer
le caractère hiérarchique de cet intérêt, une hiérarchie inexistante dans la version anglaise
qui s’impose dans la version française du texte qui est celle de la priorité de l’intérêt de
l’enfant sur toutes les autres considérations 416.
415
Claire NEIRINCK, op. cit., p 27-28.
416
Ibid, p28.
417
Pierre VERDIER, Pour en finir avec l’intérêt de l’enfant, JDJ-RAJS n°280-décembre 2008, p 35.
418
IBID.
419
Ibid.
152
Devant la complexité de définir la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant, surgissent
d’autres problématiques notamment celles de savoir si l’intérêt supérieur de l’enfant
repose uniquement sur la notion d’« intérêt » qui est considérée comme une notion à
contenu variable ou si elle peut se manifester à travers d’autres éléments notamment ses
besoins ou son bien-être.
339. En effet, afin de délimiter la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant, il est tout
d’abord important de distinguer entre l’intérêt et les besoins de l’enfant, une assimilation
qui semble être difficile à effectuer puisque l’intérêt de l’enfant ne peut pas reposer
uniquement sur ses besoins, ces derniers qui généralement font référence à des
considérations matérielles, puisque le terme « besoin » se réfère automatiquement aux
besoins économiques de l’enfant. Or évoquer l’intérêt de l’enfant ne traduit pas seulement
son besoin économique mais englobe un nombre d’intérêts qui dépassent le caractère
matériel du terme besoin420.
340. Ainsi, le contenu de la notion du bien-être de l’enfant semble plus proche à celui de
l’intérêt de l’enfant étant donné que le bien-être de l’enfant peut être défini comme la
réalisation des droits de l’enfant et la concrétisation de la possibilité offerte à chaque
enfant d’être tout ce qu’il peut être, il désigne ce qui peut satisfaire l’enfant. Une
définition qui participe à éclaircir le contenu de la notion de l’intérêt de l’enfant qui se
définit comme « ce qui réclame le bien de l’enfant »421, ce qui nous incite à comprendre
que la recherche de l’intérêt de l’enfant peut inclure son bien-être.
341. Dans la convention internationale des droits de l’enfant, l’expression bien-être figure
dans de nombreux articles qui visent à mettre en évidence le besoin de protéger l’enfant.
Une référence qui se manifeste d’abord dans le préambule de la CIDE qui évoque le rôle
de la famille comme étant « le noyau de la société et le milieu naturel pour la croissance
et le bien-être de tous ses membres » ou encore en prévoyant dans l’article 3-2 le rôle des
États parties de garantir à l’enfant « la protection et les soins nécessaires à son bien-
être ». Pour Jean ZERMATTEN l’intérêt supérieur de l’enfant est un instrument juridique
élaboré par la CIDE dont la finalité est d’atteindre le bien-être de l’enfant, ce dernier qui
est considéré comme étant un état idéal visé par le texte international 422. C’est-à-dire que
la recherche du bien-être de l’enfant représente le symbole de l’intérêt supérieur de
l’enfant dans le texte international423.
Ainsi, la référence au bien-être de l’enfant renvoie à l’un des objectifs principaux de la
CIDE qui consiste à garantir à l’enfant un bien-être qui comporte différents échelons
notamment : le bien-être moral, physique et social424. Une distinction qui semble
importante puisqu’elle permet de mettre la lumière sur la différence de fond des deux
notions. D’abord celle du bien-être de l’enfant qui renvoie à la recherche de son bien-être
dans une situation concrète notamment dans l’ensemble des échelons précités.
420
Gwenaelle HUBERT-DIAS, op, cit, p50.
421
G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, 9ème éd, 2011.
422
Id, ibid.
423
C. Brunetti-Pons, « L’intérêt supérieur de l’enfant, une définition possible ? », RLDC2011 ? n°87, p27
et suivant.
424
Ibid.
153
Puis celle de l’intérêt de l’enfant qui représente le noyau de l’émergence de l’expression
de l’intérêt supérieur de l’enfant qui renvoie à un principe fondamental de la CIDE, une
référence qui reflète son importance et qui permet à cette notion d’être à la fois un
élément et un objectif. Cependant, malgré cette association évidente, il arrive dans
certains cas que les deux notions soient dissociées, notamment lorsque la recherche du
bien-être de l’enfant est couverte de son intérêt supérieur « fonde une exception à un droit
de l’enfant ou à un principe de la CIDE »425.
342. De cela, la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant paraît revêtir une dimension
générale variable, cependant avec la multiplication de son application d’une manière
concrète la notion s’est enrichie avec d’autres intérêts particuliers qui permettent la
lecture de l’intérêt supérieur de l’enfant et sa caractérisation, ainsi l’intérêt général
représente un principe directeur alors que l’intérêt particulier incarne un principe-outil.
En effet, depuis la prise en compte du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant comme
une référence dans le fondement des décisions, différents échelons de l’intérêt supérieur
se sont dégagés. Il est la question des niveaux de contenu de la notion qui peuvent être
d’ordre temporel, situationnel puis substantiel. En effet, bien que le principe de l’intérêt
supérieur de l’enfant soit une notion abstraite, ces éléments participent clairement à la
prise en compte de la personne de l’enfant dans de nombreuses situations, et ils sont
définis comme suit :
1- Un contenu d’ordre temporel, qui permet de différencier entre l’intérêt actuel et
l’intérêt futur de l’enfant, une différentiation exprimait bien avant l’adoption de la
CIDE par le doyen Carbonnier qui considérait que « ce n’est pas au surplus son
intérêt de l’instant présent, c’est bien plutôt son intérêt à venir, son intérêt
d’Homme dans un futur déterminé »426. Ainsi, la prise en considération de
l’intérêt supérieur de l’enfant doit être faite sur la base d’une appréciation et d’une
évaluation de son entourage familial et de son évolution tout en tenant compte de
l’intérêt futur de l’enfant afin de lui garantir une protection durant toute son
enfance.
2- La prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, impose aussi une
référence à l’intérêt ancien et actuel de l’enfant, en tenant compte de son histoire
afin de répondre à ses besoins actuels.
3- L’intérêt actuel fait aussi partie des intérêts qualifiés d’urgent puisque ce dernier
fait référence à la décision qui doit être prise au moment même.
425
Id, ibid, p27 et suivant.
426
Jean.Carbonnier, Droit civil, la famille, les incapacités, presses Universitaires de France, t, 2,
1969,p.370.
154
D’autres niveaux font référence à l’ordre situationnel de l’enfant, en effet l’intérêt
supérieur de ce dernier peut être dégagé selon de nombreux éléments :
1- L’intérêt supérieur de l’enfant doit aussi prendre en considération la situation
familiale de l’enfant afin que ce dernier trouve un équilibre entre son
développement personnel et celui familial. Par ailleurs, il ne s’agit pas de prendre
en considération l’intérêt de la famille mais celui de l’enfant dans l’ensemble de la
sphère familiale.
2- Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant doit aussi répondre aux critères qui
visent son environnement, ce dernier qui est devenu un élément principal de
caractérisation de la notion.
343. Dans le même ordre d’idée, s’y ajoutent des niveaux d’ordre substantiel que nous
allons développer plus loin et qui se manifestent dans : le bien-être physique, intellectuel
ou psychique, un ensemble d’éléments qui doivent être spécifiquement protégés. De cela,
il semble évident que la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant demeure abstraite et
générale, cependant elle peut être précisée et clarifiée à travers les éléments spécifiques
qui permettent de contourner et de délimiter la notion selon les situations de l’enfant.
Tout de même il semble primordial de comprendre la portée de la notion de l’intérêt
supérieur de l’enfant, qui bien qu’elle soit définie sous un nombre d’éléments qui visent à
délimiter ses fonctions, demeure vaste et imprécise. En effet, l’imprécision de la
définition est due principalement au croisement de nombreuses disciplines dont le droit,
la sociologie et la psychologie.
344. Pour comprendre ce point de vue, il y a de nombreux exemples qui illustrent les
conséquences de ce croisement, par exemple la prise en considération de l’intérêt
supérieur de l’enfant en matière d’adoption, qui, en droit, garde un caractère juridique
puisque la procédure de cette institution représente un élément de protection pour l’enfant
adopté en lui accordant des droits et des obligations à travers le statut qu’il acquiert.
345. Sur le plan sociologique, le concept de l’intérêt supérieur de l’enfant acquiert aussi
une grande importance étant donné que le concept lui-même renvoie souvent à des faits
sociaux notamment dans notre exemple présenté, il s’agit de se demander si l’adoption
répond pleinement à l’intérêt supérieur de l’enfant et si les lois qui permettent cette
adoption sont assez évoluées afin de répondre à cet intérêt. Enfin sur le plan
psychologique, il convient d’évoquer la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant sur un
plan plus individuel qui renvoie au bien-être moral de l’enfant et à son développement
personnel et à la construction de son identité. En outre, certains de ces éléments peuvent
être considérés comme étant des dimensions psychosociales puisqu’elles peuvent
renvoyer directement aux différentes situations auxquelles l’enfant peut être confronté
dans son entourage ainsi qu’au niveau psychoaffectif, c’est-à-dire le développement de sa
relation avec lui-même427.
427
Mustapha ZARROUKI, op, cit, p 40 -41.
155
Ainsi, l’intérêt supérieur de l’enfant demeure une notion qui se présente principalement
comme fonctionnelle, puisqu’elle représente un caractère classique que nous avons déjà
présenté plus haut, notamment celui du contrôle et de solution. Par ailleurs, son
internationalisation a fait de ce concept un instrument universel qui vise à instaurer une
idéologie protectrice des droits de l’enfant afin que ce dernier soit protégé d’abord par les
instruments internationaux qui ensuite peuvent influencer les systèmes juridiques
nationaux.
346. Dans le même ordre d’idées, il est important de préciser le rôle de la CIDE et de
l’internationalisation du concept de l’intérêt supérieur de l’enfant à travers la convention
internationale des droits de l’enfant qui malgré l’absence d’une définition explicite de la
notion et la difficulté rajoutée par le terme supérieur, met en évidence l’obligation d’une
prise en considération de l’ensemble des droits énoncés par le texte international qui
portent sur toutes les questions qui garantissent cet intérêt notamment : le bien-être
matériel et moral de l’enfant.
347. De plus, la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant peut aussi revêtir un caractère
subjectif, en effet, la subjectivité de la notion peut être étudiée en au moins deux niveaux.
Dans un premier temps, la notion peut faire référence à une subjectivité collective qui
renvoie au rôle de la société et aux règles mises en place par ce dernier vis-à-vis une
d’une pratique ou d’une situation précise en prenant en considération la vision sociale et
politique de chaque état. Dans un second temps, la notion peut aussi revêtir un caractère
personnel de la subjectivité qui peut être appliquée aux parents et à l’enfant. En effet, la
subjectivité personnelle des parents se manifeste lorsque ces derniers utilisent la notion
de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre de quelques procédures qui les concernent
notamment en cas de divorce, afin de renoncer à cette procédure.
348. En outre, la subjectivité personnelle de la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant est
clairement liée à celle de la personne de l’enfant, une liaison directe qui se manifeste à
travers la prise en compte de l’avis ou du souhait de l’enfant lui-même sur les questions
qui le concernent, ce qui accorde à cette subjectivité une légitimité étant donné que
l’objectif recherché même par la notion est de répondre aux besoins et aux satisfactions
personnels de l’enfant. Ainsi, la difficulté réside dans la conciliation entre tous les types
de subjectivités par le juge qui est censé trouver l’équilibre dans chaque litige afin de
rendre la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant réalisable et utile dans le cadre de la
protection des droits de l’enfant.
156
B - La difficulté d’accorder une définition unanime de la Maslaha en droit musulman
(divergence de Maslaha), ou un concept conflictuel.
En ce qui concerne le premier type de Maslaha, il se définit comme étant l’intérêt qui a
été prouvé par un texte religieux (Nass) ou par le consensus des érudits (Ijma’a) ou
encore par une preuve qui est considérée comme pertinente (Dalil), sur lequel une
décision peut être fondée et prise. Les théoriciens du droit sont susceptibles de l’appeler
(Al-maslaha al-mu’tabara), de même que les savants qui prennent en considération
l’analogie (Qiyas) comme un moyen de preuve, s’accordant pour affirmer que ce type de
Maslaha peut être utilisé comme une cause légale (Illa) afin de prendre des décisions qui
garantissent une quelconque Maslaha de la communauté. En outre, ce type de Maslaha
comprend toutes les formes des intérêts pour lesquelles les règles de la charia ont été
établies. À travers ce type de Maslaha appelée reconnu, l’analogie s’est introduite
comme étant un élément de preuve, tout en respectant les règles de la charia et en
comprenant la parole divine, ce qui permet une application plus large et dans les
nouvelles situations une fois 428.
428
Ramadan ABD-AL-WADUD-AL-LAKHMI, Al-ta’lil bi al-maslaha inda al-Usuliyyin, 1ère éd., Cairo, Dar al-Huda,
p. 150-1, (en langue anglaise).
157
351. De plus, l’adhésion à ce type de Maslaha est considérée dans les textes principaux
comme une obligation qui doit être respectée et dont la justification est apparente et
explicite par rapport au sujet de la Maslaha, ce qui apporte une justification que tout ce
qui est donné par la charia est une Maslaha pour l’humanité. Or le législateur divin
souligne le fait suivant: « il se peut que vous ayez de l’aversion pour une chose alors
qu’elle vous est un bien. Et il se peut que vous aimiez une chose alors qu’elle est
mauvaise. C’est Dieu qui sait, alors que vous ne savez pas »429. Ainsi, IBN TAYMIYA
précise qu’un croyant devrait savoir que ce qui lui a été commandé de faire à travers la
charia est une Maslaha pure, que ce qui lui a été interdit représente une pure Mafsada, et
que le créateur ne commande pas aux gens de faire une chose si elle n’est pas nécessaire
en cherchant ce qui est meilleur pour eux et en les éloignant de ce qui semble mauvais.
352. Ensuite, il y a l’intérêt ou le bénéfice annulé (Maslaha Mulghah) qui se définit
comme étant une Maslaha que le législateur a considérée comme nulle. Les théoriciens
du droit musulman appellent ce type (Al-Maslaha al-mulgha) ou attribut approprié
annulé ; les spécialistes conviennent que ce type de Maslaha ne peut point être utilisé
comme preuve ou comme base afin de rendre des décisions. Une définition qui s’appuie
sur le principe que le législateur divin n’annule pas une Maslaha particulière, sauf si elle
entraîne la perte d’une grande Maslaha ou provoque une Mafsada. Sur ce sujet, AL-
SHATIBI dit : « il n’y a aucun moyen d’accepter ce que la charia a rejeté (…) selon
nous, la Maslaha apporte des avantages et en prévient des dommages d’une manière que
l’esprit d’un musulman la refuse »430. Ainsi, selon cette interprétation, si un objectif
spécifique est connu pour contredire les objectifs reconnus par la charia, la règle impose
son annulation.
429
Coran, Sourate 2, Verset 216.
430
Ibid.
158
De plus, cette Maslaha considérée comme illimitée peut être définie comme un objectif
approprié qui, bien que textuellement ne possédant pas de référence, il peut être considéré
comme étant un objectif du législateur divin qui dans l’ensemble de ses paroles vise à
sécuriser et assurer la Maslaha, tout en empêchant la Mafsada.
355. En outre, la définition la plus complète de ce type de Maslaha est celle présentée par
les grands théoriciens tel que AL- GHAZALI, AL-SHATIBI et ABU-ZAHRA qui dans
l’ensemble de leurs travaux, présentent la Maslaha comme étant un intérêt soutenu par la
charia et ne représentant pas d’indications contraires à cet intérêt ou à ce bénéfice. Quant
à la question de savoir si cet intérêt est reconnu ou rejeté, cette définition a rejeté à la fois
le bénéfice imaginaire et le bénéfice étrange. Ce dernier peut être reconnu
rationnellement sans qu’il soit rejeté par la charia mais peut être également incompatible
avec les objectifs de cette dernière. Cette définition de la Maslaha a exclu les deux autres
types du concept notamment celui de l’intérêt considéré et de l’intérêt annulé qui peuvent
être basés sur des indicateurs particuliers dont, un texte, un consensus ou encore une
analogie, une définition qui se présente comme celle adaptée uniquement à un intérêt
illimité431.
356. Il est également important de noter que les théoriciens musulmans utilisent plusieurs
termes numériques comme noms pour intituler la Maslaha illimitée qui, dans une large
mesure, tourne autour de significations identiques ou similaires telles que, Al-istislah, Al-
istidlal, Al-mursal et Al-mursal almunassib. Ainsi, il semble utile de définir l’approprié
(al-munassib) dans le contexte de l’intérêt sans restriction. L’approprié est celui qui, une
fois que la décision ait été fondée sur certaines caractéristiques, elle aboutit à un intérêt
recherché par le législateur divin, ou à la prévention de ce qui est nocif (Mafsada) que le
divin souhaite empêcher. En d’autres termes, établir une Maslaha sans que cela soit
indiqué dans un texte est un approprié (Munassib) que la charia n’a ni reconnu ni rejeté.
357. Dans ce sens, AL-TUFI déclare que : « La définition de l’approprié (Al-munassib)
n’est pas acceptée par tous les spécialistes et les savants. Par ailleurs, il semble
important de mettre fin à ces divergences puisque la question de l’approprié est une base
d’existence (…) »432.
358. En outre, l’approprié (Al-munassib) est dérivé du mot arabe Nassab qui signifie
parenté ; une référence qui représente le lien commun entre les individus de même
parenté tels que des frères, des cousins, etc. Pour être nommé en tant que tel, il en va de
même en ce qui concerne la description d’un approprié (Munassib) qu’il soit lié à la
Maslaha correspondante par un lien rationnel. En d’autres termes, la description de
l’approprié est celui après lequel un intérêt (Maslaha) devrait se produire en raison du
lien rationnel entre les deux.
431
AL-DARWISH, Al-masalih al mursala, p. 19.
432
Abdul Aziz BIN SATTAM, Muhammad A. S. ABDEL HALEEM, Sharia and the concept of benefit, the use and
function of Maslaha in islamic jurisprudence, op. cit., p. 35.
159
Autrement dit quand l’esprit sain rencontre l’approprié, il est capable de comprendre qu’il
mène à un intérêt approprié, où par exemple la raison humaine réalise que l’interdiction
des substances intoxicantes conduit à l’intérêt de protéger la raison contre le désordre. De
plus, dans le sens de cette vision, il est reconnu que les esprits sains reconnaissent que les
peines de représailles (Qisas) prescrites doivent permettre d’atteindre l’intérêt de la
protection de la vie. Dans ce sens AL-AMIDI exprime son opinion en se basant sur ABU-
ZAYD qui définit l’approprié comme celui qui lorsqu’il se présente à l’esprit est
automatiquement accepté. De plus, il en déduit qu’il n’est pas possible de l’utiliser
comme argument de débat sans garder à l’esprit la possibilité que l’adversaire puisse
exprimer le refus de son esprit de ce qui est approprié.
359. Il est aussi mentionné sur l’approprié qu’il est simplement une description claire et
précise qui, en fondant la décision sur celle-ci, conduit par défaut à ce qui convient à
l’objectif de Dieu de réaliser ou de maximiser un intérêt (une Maslaha) ou d’empêcher et
de minimiser ce qui est nocif (Mafsada) ; cela s’applique sur la vie actuelle et sur celle
qui arrive d’une manière qui peut être bien prouvée que seul un prévaricateur la
reconnaîtra. En effet, cette dernière définit d’une manière précise et adaptée à ce qui est
approprié (le Munassib) et réalise l’origine et la base du concept de l’intérêt (La
Maslaha) qui s’applique à de nombreux exemples dans la religion musulmane,
notamment l’interdiction de l’alcool ou encore les peines de représailles sans prendre en
considération leurs degrés. Ainsi, il semble évident que la définition de l’approprié
constitue la base et l’accomplissement de l’intérêt ou la prévention d’une chose nocive.
360. D’autres auteurs confirment cette position en affirmant que l’approprier (Al-
munassib) est ce qui, après avoir établi la décision, conduit à ce que les esprits sains
jugent bénéfique dans cette vie, dans la préservation de la vie et l’augmentation de la
richesse ainsi que la protection de la foi et la religion et puis celle de l’au-delà dans
l’obtention des récompenses divines et le rejet du châtiment.
361. Ainsi, l’intérêt approprié (Maslaha Mursala) existe lorsqu’il existe un sens qui
correspond rationnellement à une décision qui lui convient sans pour autant qu’il y ait
une preuve explicite ou convenue que ce soit dans le Coran ou dans la charia pour
apporter une réponse. IBN BURHAN a déclaré que c’est ce qui ne répond pas d’éléments
de preuve (textuels) de base, qu’ils soient généraux ou particuliers. Dans le même sens
AL-SHATIBI, le définit comme l’élaboration d’une décision sur un sujet pour lequel il
n’existe pas de décision antérieure ni de précédent à l’appui ; il exprime cependant, qu’un
tel exercice est en accord avec la règle générale et s’inscrit dans les principes de la charia
même dans l’absence de principes spécifiques pour en attester. Il ajoute aussi que la
Maslaha illimitée est une question sur laquelle il n’existe pas de décisions préalables et
rien à l’époque du prophète qui exige l’introduction d’une décision. Il affirme qu’« il
n’est pas probable qu’une action existe pour exister, de manière à exiger une décision,
mais que l’action naît plus tard, puis une décision supplémentaire conforme à celle de la
charia dans des décisions similaires sont refusées.
160
362. Tout en représentant une source d’action de la charia car elle est fondée sur
l’approbation de preuves de la charia islamique telles qu’elles sont détaillées dans la
théorie juridique islamique ; par ailleurs, l’auteur insiste sur l’objectif de ne pas
considérer la Maslaha illimitée comme une innovation religieuse (Bid’a) »433.
363. Ce dernier type d’intérêt (Maslaha Mursala) est considéré par les plus modérés
comme celui qui correspond le plus à l’évolution des sociétés et sur toutes les
circonstances sur lesquels les textes ne fournissent aucune preuve ou indication alors
qu’ils figurent dans les éléments qui font référence à l’intérêt général. Les défenseurs de
cette position font référence à de nouvelles obligations ou exigences comme le contrat de
mariage qui devient une exigence écrite représentant la seule preuve de la validité du
mariage. Ou encore le contrat de vente qui doit être enregistré auprès des autorités
étatiques afin de garantir aux deux parties leurs droits. Ainsi, à travers ces exemples qui
ne figurent pas dans les textes et qui ne sont ni approuvés ni désapprouvés par la religion,
les spécialistes ont pu argumenter la validité de ce type d’intérêt 434.
364. Par ailleurs, malgré la divergence des savants (Oulama) sur le concept de l’intérêt
(Al-Maslaha), la majorité s’est mise d’accord sur le constat que l’intérêt général
indéterminé (Maslaha mursala) peut être considéré comme une base valide sur laquelle
les jurisconsultes peuvent légiférer. En effet, ils jugent légitime qu’en absence de preuves
dans les sources principales du droit musulman qui sont, le texte coranique, la Sunna, le
consensus, le raisonnement analogique ou encore le choix référentiel sur une situation
quelconque, l’intérêt général indéterminé doit faire l’objet d’un examen afin d’apporter
une réponse à chaque situation. De plus, l’examen mené sur ce type d’intérêt peut être fait
sans recours ou indications sur le sujet, et le besoin d’une réponse peut être considéré
comme une prescription, une position basée aussi sur deux principaux arguments qui
sont :
365. D’une part, l’évolution sociale et le changement des mœurs d’une époque à une
autre qui imposent l’élaboration de nouvelles règles afin de répondre aux besoins qui
peuvent faciliter la vie aux musulmans et les aider à éviter de commettre les péchés.
Ainsi, dans l’absence de cette évolution, de nombreuses questions resteront sans réponse
de réglementation ce qui oblige les jurisconsultes de faire évoluer les règles du droit
musulman conjointement avec l’évolution de la vie et de la société.
366. D’autre part, la référence des jurisconsultes aux efforts fournis par les compagnons
du prophète qui se sont trouvés confrontés à de nombreuses situations auxquelles les
textes n’apportaient aucune réponse où ils ont fait preuve d’un grand effort de réflexion
en introduisant plusieurs règles pratiques afin de servir l’intérêt général de la
communauté musulmane sans pour autant trouver un texte ou une preuve sur ces sujets.
433
Imam abou ishak -AL SHATIBI, AL-MUWAFAQAT, Vol. 3, p. 74.
434
Claude DABBAK, Asmaa GODEN et Mehrezia LABIDI MAIZA, Les fondements du droit musulman, éd. AL
QALAM, Paris, 1997, p. 120.
161
De nombreux exemples sont exposés par les grands jurisconsultes notamment : « ABOU
BAKR435 qui rassembla les différents manuscrits du Coran, déclara la guerre aux
musulmans qui refusaient de payer la Zakat, nomma Omar comme son successeur. Ce
dernier mettra aussi en place quelques règles dont la validation du divorce prononcé
trois fois de suite ; suspendit l’application du châtiment qui consistait à couper la main
au voleur pendant l’année de la disette en ayant recours aux prisons. Quant au troisième
calife Othman, il unifia les musulmans dans une lecture unifiée qui a fait l’objet d’une
unanimité authentique et donna une part d’héritage à la femme répudiée. Ainsi que Ali
qui condamna les chiites extrémistes au bûcher »436.
367. De plus, les différents courants sunnites ont aussi suivi cette démarche de rechercher
l’intérêt général indéterminé (Maslaha Mursala). En effet, les Hanafites ont imposé
« l’interdiction judiciaire au Mufti aux mœurs dissolues, au médecin charlatan et au
négociateur en faillite » ; les Malékites « consentent l’emprisonnement de l’accusé et de
sa bastonnade lors de l’interrogatoire pour qu’il avoue son crime » ; les Chaféites «
prononcent le châtiment égal pour toutes les personnes qui participent à l’assassinat
d’un seul individu »437. L’ensemble de ces exemples démontrent la prise en compte des
oulémas de l’évolution sociale et juridique et de leur volonté d’apporter des réponses et
de servir l’intérêt général de la société. En outre, les réformes ou modifications apportées
par les oulémas ne se basent en aucun cas sur des preuves religieuses explicites.
368. À ce sujet AL-QARAFI dit que : « les compagnons du prophète prirent certaines
mesures pour servir l’intérêt général des musulmans, parce que rien ne les interdisaient
et non parce que des preuves religieuses les justifiaient »438. En outre, le rôle des
compagnons du prophète après la mort de ce dernier, représentaient un rôle politique très
important qui visait la sauvegarde des intérêts des gens en préservant l’ensemble de la
communauté de la corruption quand bien même ces mesures n’ont pas été mentionnées
dans le Coran ou par le prophète.
À ce sujet IBN AQIL considère que : « celui qui prétend qu’il n’y a pas d’autres
politiques que celle dictée explicitement par la charia se trompe et accuse les
compagnons de s’être trompés dans leur façon de comprendre la législation islamique ».
369. Par ailleurs, bien que ce type d’intérêt fasse preuve d’une grande fonctionnalité en
droit musulman, nombreux sont les Oulémas qui soutiennent une position contraire qui
prive l’intérêt général indéterminé d’être considéré comme étant une source de droit en se
basant sur le constat que celui-ci n’est ni approuvé ni désapprouvé par la religion. Ainsi,
ils se basent sur deux principaux arguments :
435
Abu Bakr AS SIDDIK est un compagnon du prophète Mohammed, devenu ensuite le premier Calife de l’islam avec
le statut de dirigeant religieux politique et militaire.
436
Les fondements du droit musulman, op. cit., p. 121.
437
Ibid, p. 122.
438
Id, ibid, p. 122.
162
Tout d’abord que la charia soit considérée comme un champ complet qui répond à tous
les besoins des Hommes à travers les règles édictées par le Coran et la sunna ainsi que le
raisonnement analogique ; que le législateur suprême ait mis en place l’ensemble des
règles qui permettent la préservation de l’intérêt de tous les Hommes en prenant en
considération toutes les situations possibles auxquelles l’être humain peut être confronté.
Par conséquent, cette position affirme l’impossibilité de prendre en considération une
règle sans fondement religieux explicite et ainsi cet intérêt est clairement considéré
comme fictif.
Ensuite, permettre le fondement des règles qui traitent l’intérêt général de la communauté
sur un intérêt indéterminé de fondement inconnu peut engendrer la perdition des
musulmans s’ils sont gouvernés et guidés par des personnes incompétentes qui peuvent
avoir des visions contraires à l’intérêt des Hommes et de la communauté. Ainsi, une
interprétation de l’intérêt général est totalement refusée afin de limiter la divergence des
opinions sur la détermination de l’intérêt.
370. Pour résumer le concept de l’intérêt général en droit musulman, il semble important
de faire le point sur ces trois situations : soit cet intérêt servi est basé explicitement sur
une preuve ou sur des circonstances adaptées pouvant justifier la base principale de
l’adoption de cet intérêt par le législateur d’une façon directe ou indirecte. Soit l’intérêt
servi est fondé sur une preuve qui interdit sa prise en compte et en conséquence ce
dernier n’est plus considéré comme un intérêt servi à la communauté. Et enfin que cet
intérêt ne soit ni approuvé ni invalidé par la religion, une situation qui permet une liberté
d’interprétation de nombreuses situations pouvant faire l’objet d’un examen et d’une
prescription afin de servir l’intérêt général. En outre, il importe de souligner que la
définition du concept de l’intérêt en droit musulman permet, à travers sa réglementation,
de répondre à de nombreuses situations.
371. Cependant, avec l’évolution des mœurs, de l’Homme et de la société en général, il
semble difficile de se baser uniquement sur les règles existantes. À cet effet, il est évident
que l’intérêt général indéterminé revête une grande importance afin que ce type d’intérêt
permette l’évolution du droit musulman. Une position affirmée par, IBN AL-QAYYIM,
l’un des plus grands jurisconsultes musulmans qui dit : « Certains musulmans n’ont pas
accordé une attention suffisante à l’intérêt général indéterminé, ils ont ainsi amputé la
charia de sa capacité à répondre aux besoins des gens et se sont interdits de suivre des
voies justes qui mènent à l’équité et à la justice. D’autres ont commis l’excès inverse en
forgeant des lois en contradiction avec la loi divine et ont provoqué un mal
considérable »439.
439
Les fondements du droit musulman, op. cit., pp. 124-125.
163
372. D’autre part, il existe une thèse soutenue par un nombre restreint d’oulémas 440 qui
jugent déplorable le fait que la majorité des Fuqaha ne se limitent pas uniquement au
Coran et à la sunna dans la définition du concept de l’intérêt, mais incluent aussi les
paroles des compagnons du prophète ainsi que les compagnons des compagnons
(Tabi’in). Ils considèrent également que la majorité des juristes musulmans ne se soient
pas focalisés sur la terminologie et le sens recherché par le Coran, le seul sens devant
décliner de ce concept étant la recherche du bien, la réconciliation et l’avantage441.
Par ailleurs, Malgré l’existence de ces différents types d’intérêts, l’ensemble des courants
ont accentué la réglementation spécifique et précise sur les éléments qui peuvent
constituer l’intérêt général. En effet, ces règles sont au nombre de trois et se présentent
comme suit :
1- Le concept de l’intérêt général (Al-maslaha) ne doit pas être en contradiction avec
les textes de la charia. En effet, pour cette règle on évoque le cas de la création de
la règle de droit (L’ijtihad) 442qui ne peut être pris en considération sans que le
savant qui exerce ce raisonnement personnel (Al-mujtahid) sache que cette
Maslaha n’est pas contraire à la charia. Ainsi, cette connaissance peut avoir des
degrés d’importance qui débutent du plus élevé qui est la connaissance de
l’accord entre la nouvelle règle et les règles de la charia, passant par le degré
moyen qui est la connaissance qu’il n’existe pas de contradiction avec la règle de
la charia, et enfin le degré le plus bas qui est l’absence de connaissance de toute
contradiction. De plus, il est considéré que le degré le plus élevé est celui de
l’inexistence de preuve de contradiction entre la Maslaha et la charia.
2- La sécurisation d’un intérêt général (Maslaha) ne doit pas aboutir, de façon égale
ou supérieure à quelque chose de nocif (Mafsada). La fonction de cette règle est
de tester le résultat d’une action et de déterminer si cette dernière provoque et
entraîne ultimement un intérêt général443.
3- L’intérêt général ne doit pas exclure un intérêt meilleur (Maslaha Fudla). En
effet, à travers cette règle, le droit musulman exige de pouvoir distinguer les
niveaux d’intérêt du plus grand au plus petit, tout en précisant que lorsque les
deux ne peuvent pas être obtenus, acquérir le plus petit exclut le plus grand et
inversement. Al-izz IBN ABD AL-SALAM, dit à ce propos : « Les
gouvernements et leurs adjoints devraient agir en fonction de ce qui est le mieux
pour le peuple, afin de prévenir les dommages et la corruption et d’assurer le
bénéfice et la solidarité. Personne ne devrait se limiter à ce qui est bien lorsqu’il
est capable de faire ce qui est mieux, à moins que cela ne cause beaucoup de
440
Dans le même sens, même le traditionnaliste AL-TUFI proclamait clairement « la priorité de l’intérêt sur le texte »,
en précisant que l’interprétation correcte du texte ne pouvait en aucun cas contredire la Maslaha tout en justifiant sa
référence avec un hadith « Ni préjudice contre soi ni action nuisible à autrui ».
441
Gamal AL-BANNA, Vers une nouvelle jurisprudence islamique (compte rendu et traduction par Mona AKOURI),
éd. Openedition journals, CEDEJ, 2000, pp. 14-15. Disponible sur : http://journals.openedition.org/ema/811.
442
L’ijtihad est une action pratiquée par Al-mujtahid qui est celui qui tente de diriger une règle existante dans la charia
vers une nouvelle vision qui permet la création d’une nouvelle règle, sans pour autant perdre de vue l’ensemble des lois
sacrées. Il se permet d’entrer intimement dans les lois du coran et de la sunna afin d’apporter une nouvelle règle qui
peut résoudre une situation concrète.
443
Cette règle consiste à ce que le savant qui entreprend l’action de la création de la règle de droit (Mujtahid) ne puisse
se prononcer sur l’action d’une personne avant qu’il ait examiné le résultat final de cette action.
164
difficultés ; personne ne doit choisir ses actions en fonction de ce qu’il préfère
mais de ce qui est bien pour la communauté »444.
La distinction entre le plus grand des intérêts et le plus petit est destinée à réaliser le plus
grand et à abandonner le moins important. Par conséquent, la non-exclusion vise à assurer
les intérêts les plus nombreux. Par exemple les jurisconsultes musulmans insistent sur le
fait qu’il est interdit de laisser l’argent d’un orphelin sans l’investir, car il serait ainsi
épuisé par le coût de la vie et ses devoirs de Zakat dans l’avenir. En outre, l’intérêt
général ne doit en aucun cas exclure un intérêt meilleur ou supérieur et que la recherche
de l’intérêt doit être faite de manière à augmenter l’intérêt au plus haut de ses degrés,
dans le cadre du possible de chaque être humain comme le souligne le créateur qui dit :
« Dieu n’impose à aucune âme une charge supérieure à sa capacité. Elle sera
récompensée du bien qu’elle aura fait, punie du mal qu’elle aura fait… »445.
En effet, le Coran précise qu’il n’y a aucune obligation d’exiger ce qui est au-delà de ses
capacités et l’objectif ultime demeure d’obtenir le meilleur intérêt pour chaque situation.
Par ailleurs, la recherche du meilleur intérêt est clairement imprégnée par le sens
religieux puisque de nombreux auteurs et jurisconsultes musulmans soulignent
l’importance de cette recherche. IBN-TAYMIYYA estime que « ce qui est obligatoire
dans la croyance est de suivre la meilleure de ces deux options : d’abord qu’il est interdit
à quiconque de croire en un principe tout en estimant qu’un principe contraire est
préférable ; et lorsqu’une personne a le choix entre deux actions, l’une étant meilleure
que l’autre, il ne reste que la meilleure option, bien qu’il lui soit permis de faire la
moindre option lorsque la meilleure n’est pas possible. Il devait toutefois croire que
l’autre option est supérieure et l’aimer davantage, et c’est dans ce sens que se traduit
l’idée de suivre ce qui est meilleur »446.
373. À travers l’ensemble des analyses et des définitions présentées, il semble évident
que le modèle théorique du concept de l’intérêt (Al-Maslaha) en droit musulman est
censé être un principe qui oriente les préférences et les actions des Hommes afin
d’acquérir l’intérêt général. Cependant, il est et reste un des concepts qui suscitent le plus
de divergence et de polémique sur sa définition parmi les chercheurs et les juristes. En
effet, avec la divergence des visions entre traditionalistes qui fondent leurs
réglementations sur une tradition jurisprudentielle basée sur les textes principaux dont le
Coran et sunna et ensuite sur la conformité des textes, et les modernistes qui voient en ce
concept une possibilité de réformer les règles de base afin qu’elles soient adaptées à la
société d’aujourd’hui. L’une des plus grandes complexités de définir le concept de
l’intérêt (Al-maslaha) est de penser et trouver l’équilibre entre la fonction objective de
l’individu et celui de la société.
444
IBN ABD AL-SALAM, Al Qawa’id Alkubra, Vol. 1., p. 75.
445
Coran, Sourate 2, Verset 286.
446
En langue anglaise.
165
En effet, la notion ou le concept de l’intérêt en droit musulman revêt un caractère plutôt
standard et général qui ne représente aucune distinction entre le niveau individuel qui
concerne chaque homme et le niveau collectif qui vise l’ensemble de la communauté.
Ainsi, aucune divergence ne peut être faite entre les deux caractères.
374. La réglementation du concept de l’intérêt en droit musulman juge secondaire la
distinction entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif dès lors que le comportement de
chaque individu demeure approprié aux règles de la charia.
En effet, cette vision exige de chaque croyant un comportement idéal qui vise à
rechercher l’équilibre entre la préférence de l’intérêt personnel et l’intérêt général qui fait
partie des lois et de la morale religieuse. Cependant, la question qui se pose est celle de
savoir si la mise en avant de l’intérêt collectif n’élimine pas l’intérêt individuel. La charia
apporte clairement une réponse qui expose l’importance d’avantager l’intérêt collectif.
375. En effet, selon les règles de la charia il ne s’agit pas d’avantager un intérêt sur
l’autre mais plutôt de configurer et de former une confiance réciproque sous la morale
religieuse et sur ce que le divin a légitimé de façon à provoquer chez chaque individu la
responsabilité de respecter l’intérêt individuel de l’autre et par conséquent celui de la
communauté toute entière, ce qui permet le passage d’une obéissance de règles à une
satisfaction morale et sociale 448. En outre, la supériorité de l’intérêt général sur l’intérêt
individuel en droit musulman se base sur une règle principale qui considère que le
concept de l’intérêt est une finalité recherchée par la charia ce qui fait de ce concept un
principe global qui concerne l’ensemble de la communauté. En effet, les finalités quêtées
par le droit musulman (Maqasid al-charia) sont dérivées de deux mots principaux, le
premier (Maqsad) qui signifie le but et le second qui fait référence à la loi islamique. Son
objectif est de fixer le bien-être des individus et de la communauté tout en préservant les
avantages et les facilités de l’amélioration de la qualité de la vie dont l’intérêt général
présente un élément fondateur.
376. Par ailleurs, pour comprendre le rapport entre le concept de l’intérêt général et
l’intérêt individuel, il semble important de faire référence à quelques principes de droit
musulman auxquels nous avons déjà fait référence, notamment la place de la famille au
sein de la société. En effet, la famille est considérée comme une « institution
fondamentale sur laquelle s’appuie toute activité qui tend à faire évoluer la société, ainsi
que l’avenir des générations »449. Elle est aussi « le noyau de la communauté musulmane
basée sur le lien du mariage et réglementée par la charia, cette dernière vise à protéger
l’unité, l’honneur et la cohésion de cette famille dont toute atteinte est sanctionnée par le
447
Noureddine EL AOUFI, Islam, institutions et développement, Revue Tiers Monde, n° 212, 2012, p. 110.
448
Ibid.
449
Bilal. OMOWAL et Andy THOMAS, La famille en islam, tiré du bulletin n° 12. Disponible sur : www.aceiweb.org.
166
droit pénal musulman afin d’exclure toute menace qui puisse perturber la santé, les
mœurs ou les bons comportements des membres de la famille »450. Ainsi, il semble
évident que la pensée islamique dans l’ensemble de ses réglementations représente une
vision spécifique de l’individu qui demeure selon elle attaché à la famille et au groupe
auquel il appartient. Cette pensée islamique présente des principes religieux qui
expriment la vocation spirituelle unitaire de la religion musulmane et l’objectif collectif
de son message qui s’adresse souvent aux fidèles en tant qu’une unité sociale et humaine.
Elle représente aussi une base d’un tout global et unique régissant la vie et les
comportements quotidiens de tous les individus, en déterminant les rapports entre chaque
individu envers son créateur mais aussi envers autrui, en imposant des obligations « au
musulman en sa triple qualité de croyant, d’Homme vivant en société et de citoyen de la
grande communauté »451.
377. L’ensemble de cette pensée, laisse comprendre qu’il semble difficile d’individualiser
le concept de l’intérêt puisque ce dernier est fondé principalement sur le sens de la
communauté et de l’intérêt général, ce qui met en difficulté la prise en considération de
l’intérêt individuel de chaque musulman. Par ailleurs, cette analyse ne permet pas de
négliger et de renier les règles mises en place d’abord par la révélation divine (Coran)
puis par la sunna, qui permettent la codification des rapports entre les individus dans
différentes situations, tout en précisant les droits et les obligations de chacun au sein de la
famille ou de la société en général. Ainsi, la question qui se pose dans le cadre de notre
étude de recherche est de savoir si cette réglementation est suffisante afin de garantir à
chaque individu son intérêt individuel notamment celui de l’enfant au sein de sa famille.
Est-ce que le droit musulman évoque l’intérêt individuel en tant que principe fondateur
des droits de l’enfant ?
Évoquer les droits de l’enfant et la protection de ses intérêts c’est avant tout aborder
l’institution familiale en droit musulman. En effet, cette dernière est considérée par le
spécialiste François PAUL-BLANC comme étant « une institution qui est en rapport
étroit avec la religion et la morale. Or, le domaine de la morale est plus vaste que celui
du droit. On figure parfois cette situation par deux cercles, celui du droit étant inscrit
dans celui de la religion et de la morale »452. À partir de cette référence, il est évident que
la considération des droits de l’enfant et de ses intérêts garde un caractère principalement
religieux et moral, puisque la perception musulmane conserve la place principale au
couple et à la communauté. Ainsi, l’attachement de l’enfant à sa famille et à sa
communauté demeure la référence à l’équilibre religieux, moral et social. C’est pour cela
qu’il semble difficile d’évoquer l’individualisation de l’enfant et de ses droits ainsi que
son intérêt individuel, puisque bien qu'il soit recherché, ce dernier doit absolument
répondre aux normes religieuses et au respect des règles imposés sur l’ensemble de la
communauté.
450
Mohammed Amin ALMIDANI, Le regard de l’islam sur la famille, Revue de philosophie de droit international et de
la politique globale. Disponible sur : https://www.juragentium.org/topics/women/fr/almidani.htm.
451
Abderrahim LAMCHICHI, Le concept de solidarité en islam, centre de recherche de l’Université d’Amiens.
452
Louis MILLIOT, François PAUL-BLANC, Introduction à l’étude du droit musulman, 2ème éd., Sirey, Paris, 1987,
p. 256.
167
378. Bien que le droit musulman ait mis en place un nombre d’éléments qui permettent
de définir le concept de l’intérêt général (Maslaha), afin de réglementer et de garantir la
protection des droits de chaque individu au sein de la communauté, il semble si étrange
dans cette perspective d’évoquer l’intérêt individuel de l’enfant au sens occidental ou
moderne du terme. En effet, le droit musulman ne définit pas le concept de l’intérêt
individuel ou celui d’un seul membre de la société, en l’occurrence celui de l’enfant.
Dans l’absence d’une référence explicite du concept de l’intérêt individuel en droit
musulman, les jurisconsultes jugent secondaire de développer le concept de l’intérêt de
l’enfant et encore plus celui de son intérêt supérieur puisque ce dernier occupe déjà une
place importante dans l’ensemble de la réglementation islamique notamment celle du
Coran et de la Sunna (d’une manière générale). Toutefois, l’ensemble des jurisconsultes
musulmans estiment que la réglementation de la charia en matière de la protection des
droits de l’enfant est suffisante, en affirmant que l’ensemble de ses règles répondent aux
besoins principaux de l’enfant ce qui mène automatiquement à la protection de son intérêt
tout en examinant et en conservant la référence de l’intérêt général de la société. En effet,
le droit musulman trace l’image du concept de l’intérêt de l’enfant à travers des règles qui
régissent un ensemble d’institutions à partir de la naissance jusqu’à l’âge adulte en
évoquant les droits de l’enfant, ses devoirs ainsi que son bien-être moral et matériel.
Pour résumer le concept de l’intérêt en droit musulman, il semble évident que la
(Maslaha) puisse être définie à travers les éléments mis en place par la charia. Par
ailleurs, la définition de l’intérêt tel qu’il est reconnu en droit musulman ne permet pas
d’individualiser le concept, puisque ce dernier revêt un cadre général qui empêche
l’attribution de ce concept à un seul individu, en l’occurrence l’enfant.
379. Ainsi, partant de ce constat, de nombreuses problématiques se posent aux pays qui
se réfèrent au droit musulman en matière familiale, notamment le Maroc, à savoir : la
réglementation des droits de l’enfant en droit musulman permet-elle concrètement la
garantie de l’intérêt de l’enfant tel qu’il est reconnu aujourd’hui ? Est-ce que la
combinaison de deux sources différentes notamment le droit musulman et le droit positif
ne crée-t-elle pas des contradictions dans les lois nationales ? Cependant, pour répondre à
ces questions, il nous semble logique et important de présenter les difficultés auxquelles
la définition et la limitation du concept de l’intérêt de l’enfant font face même dans le
cadre international qui se manifeste dans la Convention internationale des droits de
l’enfant. Cette référence semble principale puisqu’elle représente un fondement majeur
dans la réglementation des droits de l’enfant dans les deux systèmes juridiques que nous
étudions, que ce soit marocain ou français.
168
Section 2 : L’intérêt supérieur de l’enfant, un accélérateur de la protection des
droits de l’enfant.
380. L’intérêt supérieur de l’enfant est l’une des notions les plus novatrices de l’histoire
des droits de l’enfant. Ses effets ont influencé des niveaux multidisciplinaires et ont
réussi à réformer et établir un grand nombre de lois dans l’objectif de protéger l’enfant
dans tous les sujets le concernant. Malgré son indétermination explicite et son caractère
flou, les nombreuses études portant sur la notion affirment son rôle novateur et sa
richesse qui permettent « une grande flexibilité et sa dimension universelle »453. En effet,
le passage de l’enfant d’un objet de droit à un sujet de droit a aussi permis l’évolution de
la notion de l’intérêt de l’enfant ce qui a forcé le passage de l’intérêt pour l’enfant à
l’intérêt de l’enfant puis à l’intérêt supérieur de l’enfant. L’ensemble de ces étapes a
accordé à la notion de l’intérêt de l’enfant un caractère libérateur à ce dernier dans
l’objectif de le protéger contre toute atteinte à ses droits.
453
Jean ZERMATTEN, Une convention, plusieurs regards. Les droits de l’enfant : une belle déclaration ! Et après ?
Introduction aux droits de l’enfant, Tome 1, (19995), p. 12.
169
Paragraphe 1 : Les différents échelons de la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant.
La CIDE réaffirme, dès son préambule, que l’enfant demeure un être fragile sur le niveau
corporel et intellectuel en le comparant aux adultes, ce qui exige une protection spéciale
pour l’enfant, notamment d’ordre juridique. La fragilité de l’enfant et son besoin de
mesures de protection sont principalement évoqués par la CIDE à de multiples reprises,
notamment à travers l’article 27 où les rédacteurs affirment que « les États parties
reconnaissent le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son
développement physique, mental, spirituel, moral et social », une référence jugée
primordiale par le texte international qui influence clairement les textes nationaux des
États parties.
En outre, à travers cet article, la CIDE marque clairement les champs qui représentent des
droits protecteurs de l’enfant et qui permettent une protection indirecte de son intérêt
supérieur. À travers cet article, la CIDE englobe tous les champs qui doivent faire l’objet
d’une protection spécifique afin de garantir le bon développement de l’enfant, souvent lié
à l’évolution de l’enfant dans un environnement sain. Ceci suppose dans un premier
temps et d’une manière automatique de veiller sur sa santé, ce qui de nos jours ne
consiste plus uniquement en la santé physique de l’enfant mais qui prend également en
considération sa santé morale (A) qui représente aujourd’hui un des éléments constitutifs
et fondamentaux de la concrétisation de l’intérêt de l’enfant parmi d’autres notions
considérées comme nouvelles telles que le développement de l’enfant (B).
454
Les enfants peuvent bien attendre, 25 regards d’experts sur la situation des droits de l’enfant en France, avec la
contribution des quatre défenseures des enfants et Christiane TAUBIRA, Préface, UNICEF France, novembre 2015, p.
5
170
A- La garantie de l’intérêt supérieur de l’enfant à travers sa santé.
384. La Convention internationale des droits de l’enfant est une convention qui doit être
comprise dans son ensemble, à travers les quatre principes qu’elle représente, dont la
non-discrimination, le droit à la vie et au développement, le droit d’expression et l’intérêt
supérieur de l’enfant, qui doivent être lus et considérés comme un ensemble. Ainsi, bien
que la CIDE n’accorde aucune définition explicite au principe de l’intérêt supérieur de
l’enfant qui est un principe qui tend à renforcer la protection de l’enfant dans toutes les
décisions le concernant, les décisions qui peuvent être prises à l’encontre de l’enfant
peuvent être considérées principalement comme visant à protéger le bien-être et le
développement de ce dernier dans un environnement favorable à sa santé physique et
mentale. Ainsi, la CIDE attribue une place primordiale à la question de la santé de
l’enfant dans l’objectif de la réalisation de l’un de ses grands principes qui est celui de
l’intérêt supérieur de l’enfant 455.
a- Santé physique.
385. Dans le dictionnaire Le Robert, la santé se définit comme étant « le bon état
physiologique d’un être vivant, le fonctionnement régulier et harmonieux de
l’organisme »456 qui peut être représenté sous différentes perspectives, pouvant être
physiques ou mentales. Ainsi, le fondement juridique de ce droit au niveau international
est basé principalement sur sa reconnaissance à travers la CIDE. Cependant, bien avant
cette reconnaissance, d’autres instruments internationaux ont aussi évoqué la question du
droit à la santé d’une manière qui s’est présentée comme généraliste et insuffisante pour
la protection spécifique dont l’enfant a besoin.
455
Le comité des droits de l’enfant des Nations Unies interprète la liaison des quatre principes de la CIDE en ces
termes : « L’émergence d’une démarche fondée sur les droits de l’enfant dans toutes les instances gouvernementales,
parlementaires et judiciaires est nécessaire si l’on veut appliquer d’une manière effective et intégralement la
convention, en particulier, dans l’optique des dispositions suivantes qui ont été mises en évidence par le comité en tant
que principes généraux : (le principe de non-discrimination, le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, principe de
vie, de survie et de développement de l’enfant et le principe de participation de l’enfant) ».
456
Dictionnaire Le Robert, éd. 2013, v° Santé.
457
Une vision qui se confirme dans les articles 2 et 6 de la CIDE qui affirment que « Les États parties assurent dans
toutes la mesure du possible la survie et le développement de l’enfant ».
171
Par ailleurs, la reconnaissance d’un droit à la santé de l’enfant ne figure pas uniquement
dans la CIDE, mais il représente un droit qui est mentionné et affirmé dans d’autres textes
internationaux notamment la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 qui
reconnaît ce droit en ces termes : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant
pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour
l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services
sociaux nécessaires (…) La maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une assistance
spéciale ». Cependant, cette reconnaissance est considérée comme incomplète puisqu’elle
porte uniquement sur la dimension du service de la santé et donc jugée généraliste.
S’ajoute à ce texte un autre instrument international qui est le Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 qui reconnaît « le droit à la santé à
toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable
d’atteindre ; la responsabilité des États parties d’assurer et de prendre les mesures
nécessaires afin de garantir la diminution de la mortalité et de la moralité infantile ;
l’amélioration de tous les aspects de l’hygiène du milieu et de l’hygiène industrielle (…)
la création des conditions propres à assurer à tous des services médicaux et une aide
médicale en cas de maladies ». Une disposition qui demeure généraliste et doit être lue
avec d’autres mesures citées dans les articles458 7, 9 et 10 du même instrument.
458
Un ensemble de dispositions qui traitent des conditions de travail, de la sécurité sociale, de l’assistance aux enfants
et du droit à un niveau de vie suffisant.
172
Une vision qui se confirme tout au long du texte qui traite de nombreuses questions en
prenant en considération l’évolution de la personne de l’enfant, avec la mise en place des
dispositions spécifiques à la protection de ce dernier.
389. Dans ce sens, le droit français s’est mis en conformité avec la convention
internationale sur de nombreuses questions afin de répondre aux exigences de cette
dernière. En effet, le législateur français répond à ces exigences à partir des lois qui
traitent de la protection sanitaire et sociale de la femme enceinte, un principe qui est fixé
dans l’article L-2122-1 du code de la santé publique et qui dispose que « toute femme
enceinte bénéficie d’une surveillance médicale de la grossesse et des suites de
l’accouchement qui comporte, en particulier, des examens prénataux et postnataux
obligatoires pratiqués ou prescrits par un médecin ou une sage-femme (…) », une
protection qui se traduit dans de nombreuses pratiques notamment : les examens
prénataux, l’attribution d’un carnet de grossesse ou encore d’autres mesures qui peuvent
porter sur les services de l’aide sociale à l’enfance qui peuvent présenter un soutien
d’ordre matériel ou psychologique à la femme qui éprouve le besoin459, ou encore la
protection de la femme enceinte dans le milieu professionnel.
Dans ce sens, nombreux sont les rapports rendus sur la situation de la santé de l’enfant, et
les défenseurs des droits considèrent que la santé des enfants en France est assurée d’une
façon satisfaisante et répond correctement aux exigences de la CIDE ; néanmoins
certaines remarques sont souvent faites afin d’apporter quelques améliorations en ce qui
concerne la protection maternelle et infantile (PMI).
459
Guy RAYMOND, Droit de l’enfance et de l’adolescence, 5ème éd., Lexisnexis 2006, pp. 246-247.
460
Ibid.
461
Id, ibid.
173
391. Quant à la réception de la même question en droit marocain, la question du droit à la
santé de l’enfant demeure jusqu’à nos jours critiquée puisque l’application de l’ensemble
des mesures évoquées par la CIDE semble être entravée par de nombreux éléments,
notamment ceux à caractère social, économique ou démographique. Et ce, malgré les
efforts fournis par l’État qui se sont traduits tout d’abord dans un contexte politique
spécifique avec la réforme constitutionnelle de 2011 qui évoque un nombre de droits liés
à la santé dont les articles suivants : article 20 droit à la vie, article 21 droit à la sécurité et
à la protection de la santé, article. 31 qui englobe le droit d’accès aux soins, droit à un
environnement sain et droit à la couverture médicale, article 34 droit à la santé des
personnes et catégories à besoins spécifiques, et enfin droit d’accès à des soins de qualité
et à la continuité des prestations dans son article 154.
Une vision qui s’est concrétisée à travers les grands programmes entrepris par l’État qui
a, à titre d’exemple, « augmenté de 25 % du budget de l’État dédié à la santé, passant de
7,6 milliards de dirhams en 2007 à 9,5 milliards de dirhams en 2013, soit 3,5 % du
budget de l’État. En 2012, la dépense annuelle totale de santé par habitant équivalait à
153 dollars américains, alors que la moyenne des pays membres de l’OMS était de 302
dollars. La même année, les dépenses du ministère de la santé représentaient 5 % des
dépenses du budget général de l’État, alors que l’OMS établit la norme en la matière à 9
% »462.
392. Les lacunes du système et de la politique menée au niveau de la santé persistent,
puisque la mortalité juvénile, infantile et maternelle demeure élevée avec la prise en
compte des écarts marqués entre les zones urbaines et rurales, résultat des disparités dans
l’accès aux services de santé. En outre, de nombreux rapports rendus par le comité des
droits de l’enfant réalisés sur la question de la santé des enfants au Maroc, notamment
celui de 2004, ont sonné l’alarme sur la situation défavorable de ce secteur, et bien
qu’elle fasse l’objet d’une politique d’amélioration, la santé maternelle et infantile
demeure parmi les secteurs les plus touchés par la mortalité. Par ailleurs, de multiples
plans et programmes ont été lancés par l’État marocain, notamment : la stratégie
nationale de santé 2008-2012 et la stratégie nationale de nutrition 2011-2019 visant à
améliorer les indicateurs de la morbidité et de la mortalité maternelle et infantile. Selon
l’OMS, ces politiques menées par l’État ont permis que « Le taux de mortalité maternelle
du pays a chuté de 67 % entre 1990 et 2010 et le taux de mortalité des moins de cinq ans
de 60 % entre 1990 et 2011 »463. En effet, en 2018 le ministère a rendu public son dernier
rapport réalisé conjointement avec d’autres agences des Nations unies, notamment
(l’OMS, l’UNICEF, l’UNFPA) qui souligne un progrès notable durant les dernières
années et qui peut être présents comme suit :
462
Daniela CILIBERTI, Concepcion BADILLO, Analyse de situation des enfants au Maroc, 2015, UNICEF.
463
Fouad HARIT, Santé : le Maroc améliore les conditions de la mère et de l’enfant, 2014. Disponible sur :
www.afrik.com.
174
Titre du graphique
50
45
40
35
30
25
20
15
10
5
0
Néonatale Infantile Moins de 5ans
Le comité des droits de l’enfant avait félicité, à travers le rapport portant sur les
observations finales concernant les troisième et quatrième rapports périodiques du Maroc,
le progrès effectué jusqu’à l’année 2014 en la matière. Néanmoins, le comité avait mis en
garde l’État marocain sur un certain nombre de points notamment :
– Un taux de mortalité infantile et lié à la maternité élevée.
– Des disparités d’état de santé entre les enfants des zones rurales et urbaines.
– Les enfants vivant dans des centres d’accueil, notamment les migrants.
393. Le rapport avait présenté des recommandations dans ce sens, en précisant que l’État
doit répondre à ces difficultés par l’élaboration d’autres programmes politiques en
matière de santé, afin d’améliorer la situation et favoriser l’accès à la santé pour tous les
enfants.
En outre, le comité insistait sur l’obligation de prendre des mesures plus radicales pour
lutter contre la mortalité liée au manque de service de santé et enfin, il invitait l’État à
organiser une assistance financière et technique afin que les familles en situation précaire
puissent bénéficier des services liés à la santé. Suite à l’ensemble de ces éléments et à
l’évolution constatée par rapport au droit à la santé, et afin de continuer dans cette
perspective, le gouvernement actuel a lancé un nouveau plan intitulé le Plan Santé 2025
qui a été adopté en avril 2018 dans l’objectif d’assurer le développement du secteur, dont
l’objectif est l’aboutissement à « un système de santé homogène, avec une offre de soins
organisée, de qualité, et accessible à tous, soutenu par des programmes de santé
efficace »465.
464
L’enquête nationale sur la population et la santé familiale, 2018.
465
Élaboration du plan de santé 2015 : résultat provisoire, Ministère de la santé. Disponible sur : www.santé.gov.ma.
175
Le ministre de la santé Anas DOUKKALI précise que ce plan s’inscrit dans la continuité
des plans antérieurs et repose sur trois piliers principaux qui sont :
– L’organisation et le développement de l’offre des soins en vue d’améliorer l’accès
aux services de santé.
– Le renforcement des programmes nationaux de santé et de lutte contre les
maladies.
– L’amélioration de la gouvernance et l’optimisation de l’allocation et de
l’utilisation des ressources.
C’est parmi ces derniers piliers que se déclinent 25 axes dont le droit à la santé pour
l’enfant figure comme étant une priorité466. Cela dit, la problématique de la santé
physique de l’enfant au Maroc représente jusqu’à ce jour un enjeu qui exige beaucoup
plus d’efforts de la part de l’État marocain, ce qui reflète une plus grande complexité
puisqu’il sera difficile à un État de répondre à la santé mentale d’un enfant sans avoir
assuré sa santé physique. En effet, c’est cette deuxième dimension du droit à la santé qui
revêt aujourd’hui une importance particulière puisqu’elle demeure une vision récente qui
a été affirmée par la CIDE.
394. Parmi ces mesures, il existe celles qui traitent de l’enfant et son exploitation dans le
domaine professionnel. Cependant, la protection contre cette exploitation semble difficile
et complexe puisque l’article 32 ne fixe pas un âge général pour l’accès au travail mais
confirme la possibilité d’existence des âges d’admission au travail, ce qui crée des
disparités dans le respect du droit de l’enfant au sein des États parties. Par ailleurs,
contrairement aux textes antérieurs, la déclaration de 1959 et la CIDE ont explicitement
recommandé et encouragé les activités divertissantes au lieu des activités difficiles. Ainsi,
l’évolution des droits de l’enfant et des textes qui le concernent ont permis de mettre
l’accent sur la différenciation entre le droit de l’enfant à la santé et son besoin matériel
qui est devenu dans la CIDE un devoir des parents envers leurs enfants, en précisant dans
l’article 27 du même instrument que « c’est aux parents ou autres personnes ayant la
charge de l’enfant qu’incombe au premier chef la responsabilité d’assurer, dans les
limites de leurs responsabilités et de leurs moyens financiers, les conditions de vie
nécessaires au développement de l’enfant ». Ainsi, dans ce texte, la question de la santé
de l’enfant semble être prioritaire par rapport à la question matérielle puisque la disparité
entre l’ancien texte de 1924 et le texte actuel reflète clairement la vision évoluée de
l’enfant qui passe d’un cadre d’une personne autonome devant assurer son
développement, à une personne protégée par la société et les parents. S’ajoute à cela la
question de l’exploitation sexuelle qui est soulignée dans l’article 34 du même
instrument, et qui incite les États à « protéger l’enfant contre toutes les formes
d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle » ce qui rejoint la protection de l’intégrité
physique de l’enfant.
466
Plan santé 2025 : 61 milliards de dirhams pour passer de la vision au concret. Disponible sur :
www.l’observateur.info.
176
b- La santé morale de l’enfant.
397. A cet effet, le texte de 1989 est venu exposer et souligner l’importance de la prise en
compte de la moralité de l’enfant que ce soit par l’Etat ou par la famille. En effet, la
convention de 1989 pointe la lumière sur cette question dans son article 5 qui souligne
que la sauvegarde et la protection de la moralité de l’enfant est avant tout le rôle de la
famille et de l’Etat. Cependant, la convention précise dans un premier temps que la
protection de cette moralité revient avant tout à la famille en précisant que cette dernière
doit « (…) donner à l’enfant d’une manière qui corresponde au développement de ses
capacités, l’orientation et les conseils appropriés à l’exercice des droits que lui reconnait
la présente convention ». Une référence qui peut être interprétative dans le sens où la
responsabilité des parents et des responsables de l’enfant demeure limitée par l’utilisation
du terme « conseil appropriés », ce qui prive la question de la moralité de l’enfant de son
importance.
177
les Etats engagés ce qui permet à ces derniers de se procurer un rôle plus important et qui
peut devancer celui des parents. Dans ce sens, il semble évident que le principe de
l’intérêt supérieur de l’enfant est celui qui définit la prise en considération de la moralité
de l’enfant, puisqu’il se constitue principalement par les éléments du bien-être physique
et moral de l’enfant. Cependant, cette référence représente plus une référence par rapport
aux atteintes à l’intégrité corporelle de l’enfant que celle morale mais elle peut
représenter une référence indirecte à l’atteinte morale de l’enfant. Cependant, il existe
deux articles considérés comme principaux dans la prise en compte explicite de la
moralité de l’enfant. Il y a d’abord l’article 27 qui souligne le rôle des Etats dans la
protection et la reconnaissance « (…) du droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant
pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social », ensuite
l’article 32 qui évoque le rôle des Etats parties dans la reconnaissance et la garantie à
l’enfant « (…) le droit d’être protégé contre l’exploitation économique et de n’être
astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son
éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel,
moral ou social ».
399. La santé morale de l’enfant est une question qui demeure jusqu’à aujourd’hui
difficile à traiter même dans les sociétés développées ; la difficulté figure dans la
démonstration des atteintes morales auxquelles l’enfant peut être confronté, et qui gardent
un caractère subjectif contrairement aux atteintes physique qui semblent faciles à
démontrer et à faire leur suivi et proposer des réparations dans le droit. En effet, ces
atteintes sont aussi difficiles à caractériser et à leur apporter des solutions puisqu’elles
peuvent être sous différentes formes et dans des milieux différents rendant la tâche assez
difficile pour le législateur, étant donné que la cellule familiale ne représente pas le seul
endroit où l’enfant peut être victime de ces atteintes. En effet, le milieu scolaire,
l’entourage social ou aussi son exposition aux nouvelles techniques de communication
semblent être des milieux aussi propices.
400. En ce qui concerne le milieu familial, la difficulté demeure celle de démontrer
l’atteinte à la moralité de l’enfant puisque cette dernière n’est poursuivie que si elle est
avérée exacte ou signalée ou si elle met en péril l’intérêt supérieur de l’enfant. En outre,
ce n’est qu’à partir d’une démonstration à une atteinte de l’intérêt supérieur de l’enfant
par la famille que le rôle de l’Etat se déclenche et permet des procédures qui visent à faire
un suivi à l’enfant.
A défaut, l’Etat ne peut réagir dans le cadre de la protection de la moralité de l’enfant, ce
qui limite cette protection, étant donné que la CIDE ne mentionne pas ces atteintes au
sein de la famille mais fait référence à la négligence et à la maltraitance qui font référence
à la protection physique et non morale, rendant le rôle de l’Etat complexe avec
l’insuffisance des éléments constituant la santé moral de l’enfant afin que son
intervention soit légitimée.
178
401. Une autre catégorie d’atteinte morale dont l’enfant peut être victime est son
exposition aux harcèlements qui peuvent revêtir différentes formes notamment dans son
milieu scolaire ou encore à travers les nouvelles technologies qui représentent
aujourd’hui un grand danger pour la moralité de l’enfant et dont les études ont démontré
la difficulté de protéger l’enfant de ces facteurs. En effet, la protection de la moralité de
l’enfant dans le milieu scolaire semble être difficile à gérer puisque même au sein des
sociétés les plus développées, la question fait encore objet de recherches et d’évolutions
afin de garantir à l’enfant un équilibre moral au sein de l’école. Ce type d’harcèlements
représente en effet, un facteur d’atteinte à la moralité de l’enfant et cause de façon
générale « dépression, anxiété ou encore des idées suicidaires chez l’enfant »467.
Cependant la prise en compte par les législateurs s’avère être difficile puisque la CIDE
ne se réfère pas explicitement au sujet du harcèlement au milieu scolaire hormis une
référence indirecte du rôle de l’Etat dans la protection de la moralité de l’enfant d’une
manière générale notamment les articles 27 et 32 de la CIDE cités plus haut.
402. Un autre type d’harcèlement dont l’enfant fait face est celui des nouvelles
techniques de communication qui représentent aujourd’hui un des plus grands dangers
pour la moralité de l’enfant. En effet, l’exposition précoce des enfants aux nouvelles
techniques de communication intensifie les risques du harcèlement moral dont l’enfant
peut être victime. Une situation qui souligne avant tout la responsabilité des parents et de
l’école dans la protection de l’enfant contre toute sorte d’harcèlements scolaires, ce qui
permet son développement. Ainsi, c’est en se basant sur ce dernier élément qui est le
développement de l’enfant que la protection de la moralité de l’enfant surgisse et tire sa
référence. De plus, c’est cette notion de développement qui se définit par « l’action de
développer, de donner toute son étendue à quelque chose »468. Une référence qui permet
de se pencher sur le devenir de l’enfant et ainsi de penser son développement et à la
construction de sa personne sur de différents niveau notamment physique et moral. Sur
cette notion, le texte international prévoit l’article 18-1 à travers lequel il transmet la
responsabilité aux parents de garantir le développement de l’enfant et de veiller avant tout
à son intérêt supérieur. Dans ce sens, d’autres articles visent également la protection de la
moralité de l’enfant à travers son développement ou encore par la considération
primordiale de son intérêt supérieur dans toutes les décisions qui le concerne afin de le
protéger de toutes les atteintes dont il peut être victime. C’est dans ce sens que le principe
de l’intérêt supérieur de l’enfant apparaît de nouveau comme étant un élément de
caractérisation de la santé morale de l’enfant et participe à la définition et à la garantie de
cette dernière.
403. Par ailleurs, malgré que la référence de la santé morale tire ses principes des textes
internationaux notamment la CIDE, il semble difficile de contrôler ou de connaitre le
degré de protection de la moralité de l’enfant et les divergences persistent entre les pays
développés et ceux en voie de développement.
467
« Refuser l’oppression quotidienne : la prévention du harcèlement à l’école », Rapport au ministre de l’éducation
nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Pr. Éric. DEBARBIEUX, Observatoire international de la violence à
l’école. Université Bordeaux Segalen, 12 avril 2011, p. 12.
468
Dictionnaire Le Robert, éd. 2013, v° Développement.
179
En effet, dans le cadre de notre étude qui porte sur les deux systèmes juridiques français
et marocain, la problématique de la prise en considération de la santé morale de l’enfant
est évidente puisqu’en France le législateur s’est déjà penché sur l’importance de la
psychologie de l’enfant en y consacrant un nombre d’articles dans différents codes afin
d’apporter des garanties à cette protection. Ainsi, le droit français s’est intéressé à la santé
psychologique de l’enfant en intégrant d’abord dans son code de la santé publique une
référence claire à cette question et qui figure dans l’article L.2325-1 qui prévoit « qu’au
cours de leur sixième, neuvième, douzième et quinzième année, tous les enfants sont
obligatoirement soumis à une visite médicale au cours de laquelle un bilan de leur état de
santé physique et psychologique est réalisé ».
Aussi, l’article L.221-1 du code de l’action sociale et des familles met la lumière sur la
même question en prévoyant que : « le service social de l’aide sociale à l’enfance est un
service non personnalisé du département chargé des missions suivante : 1° apporter un
soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs qu’à leur famille (…) ».
Cependant, ces deux dispositions semblent être insuffisantes ce qui a aussi pousser l’Etat
français à réformer d’autres lois notamment celle de la protection de l’enfance qui en
2007 a fait l’objet d’une importante réforme suivant les recommandations du comité des
droits de l’enfant ainsi que de l’engagement du pays au niveau international et européen.
404. C’est dans ce sens que le comité des droits de l’enfant souligne de par ses
observations dans son rapport rendu à la France en 2009 l’insuffisance des mesures qui
visent à protéger la moralité de l’enfant que ce soit au sein de la famille ou encore dans le
milieu scolaire. Le comité a demandé à la France dans ce rapport de « mieux coopérer
avec la société civile, et en particulier avec la participation des enfants, pour veiller à ce
que chaque enfant soit protégé contre toutes les formes de violence physique, sexuelle et
psychologique et pour faciliter l’adoption de mesures concrètes, le cas échéant assorties
de délais, pour prévenir et combattre la violence et la maltraitance ; de faire figurer dans
son prochain rapport périodique des informations sur la mise en œuvre par l’Etat partie
des recommandations de l’étude ; d’apporter sa coopération et son soutien au
représentant spécial du secrétaire général sur la violence à l’encontre des enfants ».
405. En effet, suite à ces recommandations la France a pris un grand nombre de mesures
présentées notamment dans son rapport rendu en 2017, à travers lequel l’Etat français
annonce les failles existantes en matière de la protection de l’enfant contre les violences
de tout genre faites aux enfants469 et elle a à nouveau affirmer son engagement sur de
nombreuses questions dont celle de la santé psychologique et la moralité de l’enfant 470.
469
Dans ce rapport l’Etat français publie une enquête qu’il qualifie d’alarmante puisqu’il annonce que 16% de la
population française rapporte avoir été témoin d’une atteinte aux droits de l’enfant dans les cinq dernières années. Ainsi
que les situations de maltraitance qu’elle soit physique, verbale, psychologique ou sexuelle.
470
Une vision assez récente puisqu’elle se base sur le plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les
violences faites aux enfants 2017-2019, rendu public en mars 2017 par le ministère des familles, de l’enfance et des
droits des femmes.
180
406.Parmi ses engagements il y a notamment la mise en place des compagnes de
communication afin de porter connaissance des phénomènes de violences faites aux
enfants qu’elles soient physiques ou morales en diffusant au sein des écoles des
protocoles et des outils par le biais du ministère de l’éducation pour lutter contre le
harcèlement scolaire ou les maltraitances au sein des familles.
407. En ce qui concerne le Maroc, la question de la prise en considération de la moralité
de l’enfant demeure à nos jours très loin. Toutefois, en ce qui concerne les violences
contre les enfants, le ministère de la justice avait mené une étude en 2005 en coopération
avec l’UNICEF qui évoquait l’ampleur des violences contre les enfants en précisant que
« la violence est présente partout, même si elle n’est pas documentée. La violence est
affichée dans l’école, ainsi que d’autres milieux tel que le travail, les orphelinats ou dans
la rue »471. En outre, les violences contre les enfants sont clairement normalisées dans la
société marocaine malgré que le fait que le code pénal prévoie dans son article 408 que
« quiconque volontairement fait des blessures ou porte des coups à un enfant âgé de
moins de quinze ans ou l’a volontairement privé d’aliments ou de soins au point de
compromettre sa santé, ou commet volontairement sur cet enfant toutes autres violences
ou voies de fait à l’exclusion des violences légères, est puni de l’emprisonnement d’un an
à trois ans ». De plus une interdiction de violence pratiquée en famille est citée dans
certains articles notamment l’article 404 qui prévoit que « quiconque volontairement
porte des coups ou fait des blessures à l’un de ses ascendants, à son Kafil ou à son
époux, est puni (…) ».
471
La violence à l’égard des enfants au Maroc, Ministère de la justice et l’UNICEF, Novembre 2006, p. 15.
472
Sur une période de trois ans notamment entre 2001 et 2004, la justice marocaine a enregistré une moyenne annuelle
de 5860 affaires concernant des violences contre les enfants.
181
En effet, 87% des enfants admettent avoir étaient victimes de violences au moins une fois
à l’école et 61% enfant disent qu’ils ont été victimes de violences physiques et
psychologiques au sein de la famille473. Ainsi, ces chiffres démontrent clairement que les
rapports de violences physiques et psychologiques entretenus entre les enfants et leurs
familles ou éducateurs474, constituent des méthodes éducative culturellement admises et
qui se basent sur la peur et la crainte des enfants de leurs famille afin que le respect règne
entre parents et enfants mais aussi au milieu scolaire pour que l’enfant travaille et se
comporte mieux.
409. Il semble évident que la santé psychologique n’acquière pas une importance
primordiale puisque toutes les législations évoquent légèrement la question de la
psychologie de l’enfant et ne s’y réfèrent pas spécialement afin de la déterminer et de la
cadrer. En effet, un des seuls principe qui permettent cela est celui de l’intérêt supérieur
de l’enfant. Cependant, selon le rapport alternatif des ONG Marocaines, aux 2 ème et 3ème
Rapports de l’Etat marocain relatifs à l’application et au suivi de la CIDE, même le
principe de l’intérêt supérieur de l’enfant qui peut permettre cette prise en considération
n’est pas définit d’une manière globale au sens la CIDE dans les législations marocaines.
Les ONG considèrent que « le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant reste à définir.
Il est souvent lié à des dispositions matérielles et de vie pratique au quotidien et néglige
clairement la partie du développement psychoaffectif et de la protection contre les
violences psychologiques. Cette notion d’intérêt supérieur de l’enfant contenue dans la
CIDE doit absolument être précisée, au risque de voir certains Etats-parties lui donner
un cadre étonnant à titre exemple : L’ancien ministre de la justice avait même estimé en
2012 qu’il était plus dans l’intérêt supérieur d’un enfant de rester dans un centre pour
recevoir une éducation islamique, que d’avoir des parents qui risqueraient de ne pas
savoir lui donner cette éducation ». En outre, les ONG déplorent l’absence d’une prise en
considération de la psychologie de l’enfant dans de nombreux domaines notamment en
matière d’adoption (KAFALA) ou encore en ce qui concerne le placement familial où la
loi ne tient pas compte du côté psychologique et affectif des enfants mais se base plus sur
des principes matériaux ou sociaux afin de répondre aux différentes situations dont
l’enfant fait objet.
410. Dans ce cadre, le Maroc avait lancé un plan national en faveur des enfants, intitulé
« Le Maroc s’adapte à ses enfants », à travers lequel il y a eu la création de nouvelles
institutions ainsi que l’adoption d’un nombre de programmes qui visent également à
protéger les enfants de toutes sortes d’atteintes. De plus, d’autres initiatives ont été prises
que ce soit par le ministère du développement social, de la famille et de la solidarité ou
par les ONG afin de pouvoir fournir des aides tangibles telles que la création des unités
de protection de l’enfance (UPE) qui se sont mis en place dans l’objectif de fournir un
terrain d’écoute et d’assistance médicale, psychologique, juridique ou encore sociale ; les
projets INQAD, INDIMAJ ou encore le PANE dans ses deux parties.
473
Idem.
474
L’enquête menée souligne qu’il s’agit dans un premier temps de 42,6% de violence physique, puis 39,3% de
violence psychologique suivie de violences sexuelles avec 17,1% et enfin 0,9% d’affaires de trafic d’enfants.
182
411. Des efforts entrepris par les gouvernements successifs depuis 2003 ont, sous la
pression des ONG et de la société civile, poussé le législateur à entreprendre un grand
nombre de réformes notamment au niveau du Code pénal ou du Code de la famille qui
ont abouti à titre d’exemple à relever l’âge de la protection des enfants victimes de
violence de 12 à 15 ans ; aussi l’exploitation sexuelle des enfants ou encore l’intégration
de l’aide aux enfants se trouvant dans les services hospitaliers et qui ont besoin du suivi
médical, psychologique ou juridique. Un plan qui a également permis l’élaboration d’un
guide englobant l’ensemble des techniques d’écoute des enfants victimes de tout genre de
violences. Par ailleurs, malgré les efforts fournis par l’Etat marocain, la question des
violences psychologiques demeurent encore un objectif lointain à réaliser puisqu’il est
encore question de traiter les violences physiques, malgré la prise de conscience de leur
gravité qui commence à apparaitre au sein de toutes les institutions : la famille, l’école
ou la société.
412. Evoquer l’intérêt supérieur de l’enfant, c’est faire référence à tous les éléments qui
participent à son élaboration. En effet, la Convention internationale des droits de l’enfant
ne présente pas une définition explicite de ce principe mais renvoie principalement à la
réalisation et au respect des droits fondamentaux de l’enfant qu’englobe l’ensemble de la
convention. Nombreux sont les éléments qui contribuent au respect du principe
notamment ceux cités précédemment comme la garantie de sa santé physique ou morale.
Cependant, le texte international se réfère également à d’autres éléments qui gardent un
caractère plus large comme la notion du développement. Cette dernière correspond
à « l’action de développer, de donner toute son étendue à quelque chose »475, une
définition qui renvoie à sa construction d’adulte et à l’adulte à en devenir et qui englobe
un groupe d’éléments notamment la croissance physique, affective, sociale et
intellectuelle de l’enfant.
413. Le développement de cette référence se tient tout d’abord de la CIDE qui évoque la
question du développement, d’abord dans son préambule qui prévoit que :
« reconnaissant que l’enfant, pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit
grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de
compréhension ». Ensuite dans un nombre de ses articles notamment l’article 18-1 qui
évoque le rôle des parents et de l’Etat dans la garantie du développement de l’enfant en
prévoyant que « les Etats parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance
du principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est
d’élever l’enfant et d’assurer son développement. La responsabilité d’élever l’enfant et
d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à
ses représentants légaux, ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de
l’enfant », ou encore d’autres articles qui visent cette notion de développement dont ceux
qui évoquent l’intérêt supérieur de l’enfant dont l’article 3 de la convention qui englobe
475
Dictionnaire Le Robert, éd. 2013, v° Développement.
183
d’une manière générale le sens du développement de l’enfant à travers la recherche de
son intérêt supérieur.
414. Dans l’ensemble la notion du développement de l’enfant, renvoie clairement au droit
de l’enfant de grandir dans un environnement sain en lui garantissant l’épanouissement et
le bien-être. Cependant, ces deux derniers peuvent revêtir différents composants qui
peuvent être d’ordres social, scolaire, affectif, intellectuel ou autre ce qui correspond
également aux différents niveaux de la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant. S’ajoute à
cela, une autre notion qui participe à la garantie du principe de la garantie de l’’intérêt
supérieur de l’enfant au sein de la famille et qui est la sécurité de l’enfant.
En effet, cette notion répond à l’un des besoins fondamentaux de son développement au
sein de la cellule familiale, ce qui renvoie principalement à la notion de confort et de
protection contre tout danger extérieur.
415. Evoquer cette notion de protection c’est aussi définir le rôle des parents qui se
définit avant tout par la garantie de la sécurité de leurs enfants. En effet, cette protection
se manifeste explicitement dans le cadre international à travers l’article 19 de la CIDE qui
prévoit que : « les Etats prennent toutes les mesures législatives, sociales et éducatives
appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de
brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence de mauvais traitements ou
d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses
parents ou de l’un d’eux, de ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il
est confié ». Un article duquel s’inspirent les législations internes des Etats parties de la
convention.
416. La loi française à titre exemple qui estime que la protection de l’enfant passe
davantage par le fait d’interdire à ce dernier de quitter le foyer familiale sans la
permission de ses parents sauf dans les cas précisés par la loi notamment « si la santé, la
sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de
son éducation sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent
être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux,
de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même
ou du ministère public. Le juge peut se saisir d’office à titre exceptionnel (…) »476. En se
référant à cette disposition, il semble évident que la maison familiale demeure le refuge
de l’enfant. Elle est l’outil principal dont disposent les parents afin de garantir la
protection de la sécurité de l’enfant, qui renvoie également au développement continu de
l’enfant.
476
Article 375, Code civil français.
184
417. La loi française prévoit également qu’en cas de perplexité ou de doute sur l’exercice
des parents de cette sécurité, le juge peut désigner une autre personne qualifiée de veiller
à la sécurité de l’enfant ; ou aussi en cas de violation de cette sécurité l’enfant est
automatiquement retiré de ce foyer qui ne garantit pas la sécurité de l’enfant qui ne
permet pas un développement sain et un épanouissement personnel et individuel malgré
son intégration dans la cellule familiale.
418. Assurer la sécurité de l’enfant représente une des missions principales, évidentes et
naturelles des parents. Dans ce sens, le droit marocain lui exprime une vision plus rigide
quant à la question de la sécurité de l’enfant, puisque ce dernier fait partie d’un régime
familial, classique et basé sur le principe du groupe et non pas sur l’individualisation des
droits au sein de la famille.
419. En effet, comme nous l’avons précité, le modèle familiale marocain demeure
classique et se base sur les règles de droit musulman. La famille est donc patriarcale le
père demeure le chef de la famille et préserve des droits et une autorité sur l’enfant.
Par ailleurs, malgré que le législateur marocain ait prévu un nombre de réformes quant à
l’application de l’autorité parentale en prévoyant une égalité entre le père et la mère dans
l’exercice de cette institution, il demeure difficile de prévoir une déchéance de cette
dernière quand il est question de la sécurité de l’enfant.
420. En effet, la difficulté réside dans la mise en place d’un système de prise en charge
de ces enfants, qui se trouvent privés essentiellement de leurs droits principaux
notamment, le respect de leurs opinions au sein de la famille, dans le milieu scolaire ou
encore devant les tribunaux. Ainsi, au sein de la famille, l’enfant se trouve privé de toute
participation à la vie quotidienne de la famille ou encore de son droit de protection contre
les violences physiques ou morales ce qui affirme le rôle principal du père. Pour répondre
à cette problématique et dans l’esprit des réformes qui s’intéressent aux droits des
femmes et des enfants notamment le droit de la famille, le ministère de la justice a créé
auprès des tribunaux en 2005 les premières cellules de prise en charge des femmes et des
enfants victimes des violences.
421. Cependant, nombreuses sont les évaluations menées depuis la création de ces
cellules dont le dernier rapport alternatif des ONG marocaines présenté au comité des
droits de l’enfant qui décrit également le rôle très timide de ces cellules dans
l’aboutissement de leurs missions. Des obstacles dus selon ce rapport à de nombreuses
raisons notamment :
- Le manque de sensibilisation et de communication sur l’existence de ces
cellules, ce qui rend les plaintes très limitées.
- Le nombre restreint des cellules consacrées à l’accueil des femmes des et enfants
victimes ; on compte uniquement aujourd’hui 8 cellules de prise en charge.
185
- le manque de moyens nécessaires qui permettent d’aboutir à des solutions lors
des missions.
- Le manque de réformes législatives.
-La cause d’éloignement est aussi considérée comme étant une raison
considérable puisque les enfants sont confrontés à l’obstacle de la distance, ce qui
les empêche de se présenter par devant les tribunaux.
- Les ONG signalent également la souffrance de ces cellules d’un problème
d’hiérarchisation des missions et des dossiers puisqu’elles ne prennent pas en
considération l’urgence des dossiers477.
422. Ainsi, c’est dans ces conditions que la difficulté de la garantie de la sécurité et du
développement de l’enfant se présente, que ce soit dans le cadre familial ou autre.
Toutefois, il est évident que la prise en compte de la sécurité de l’enfant dans l’ensemble
de ses échelons est souvent confrontée à de nombreux obstacles qui rendent cette
protection limitée notamment au niveau des réformes limitées non seulement dans le
cadre familiale mais dans le sens global de la protection juridique de l’enfant ainsi que la
prise en compte de sa spécificité.
423. La Convention internationale des droits de l’enfant est l’un des premiers textes qui
ont reconnu à l’enfant le droit à une protection juridique spéciale. En effet, dans les
anciens textes à caractère international notamment la Déclaration de Genève ou encore la
Déclaration des droits de l’enfant de 1959, la référence à la protection juridique de
l’enfant est soit inexistante soit superficielle malgré la prise en compte des besoins
primordiaux de l’enfant notamment son besoin de développement moral, matériel ou
encore spirituel. C’est dans ce cadre de vide juridique que la CIDE est venue imposer des
principes et des règles afin de réglementer et d’attribuer des droits spécifiques dont
l’enfant doit bénéficier dans différentes branches de droits notamment.
477
Rapport alternatif des ONG Marocaines, aux 2ème et 3ème rapports de l’Etat marocain de mai 2012 relatif à
l’application et le suivi de la CIDE, p. 20.
186
425.C’est ainsi que l’article 40 met l’accent sur les principes éducatifs qui doivent être
transmis à l’enfant en favorisant le respect des droits de l’Homme et les libertés
fondamentales d’autrui afin de le préparer à l’intégration au monde des adultes, un esprit
affirmé dans d’autres articles de la convention et plus précisément dans l’article 29 qui
souligne le rôle de l’Etat à imprégner l’enfant de ces valeurs en prévoyant que « les Etats
parties conviennent que l’éducation de l’enfant doit viser à (…) inculquer à l’enfant le
respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, et des principes consacrés
dans la charte des Nations Unies ». Dans le même sens, le premier paragraphe de l’article
40 souligne également l’importance d’éduquer l’enfant sur le respect des valeurs des
droits de l’Homme. Ces deux articles peuvent sembler identiques, toutefois, dans le fond
ils diffèrent l’un de l’autre puisque l’article 29 appelle à ce que les principes des droits de
l’Homme et des libertés soient inculqués à l’enfant alors que l’article 40 appelle les Etats
parties à garantir ces droits et à les renforcer afin que l’enfant soit convaincu de
l’existence de ces principes et valeurs humaines.
En effet, l’esprit global de ces deux articles renvoie tout d’abord au rôle de l’Etat de
garantir une justice pénale spéciale à l’enfant, qui doit garder un principe éducatif
assurant la transmission des valeurs des droits de l’Homme et de ce qui est bien pour lui
ainsi que pour la société dans laquelle il grandit et se développe. Par ailleurs, il est
également important de revenir sur le rôle de la famille et de la société dans leur rôle de
cette transmission des valeurs puisqu’il est clair que le mécanisme de cette dernière ne
peut être efficace et réel que s’il est assuré par l’ensemble de ces acteurs.
426. l’esprit de ces articles est également affirmé par les recommandations du comité des
droits de l’enfant qui insiste sur la cohérence entre les milieux où l’enfant grandit
notamment, la famille, l’école ou la société en affirmant l’importance d’un enseignement
cohérent et identique de ces valeurs. Pour le comité des droits de l’enfant, le rôle de la
justice qui représente clairement la prise en charge de l’Etat s’affirmant uniquement
lorsque le rôle des premiers acteurs échoue.
427. Dans le même ordre d’idées, le même article évoque également l’importance de
l’éducation et son pouvoir de transmission du « sens de la dignité et de la valeur
personnelle », des principes qui permettent avant tout de préparer l’enfant à l’âge adulte
et de ce fait, garantir à la société un être sein qui peut à son tour transmettre ces valeurs.
Aussi, le même article prévoit explicitement que l’objectif de l’Etat est avant tout un but
d’éducation de l’enfant et ainsi doit être le rôle de sa justice pénale des mineurs qui doit
répondre aux affaires relatives aux enfants du même esprit et ne soit en aucun cas une
justice répressive mais de plutôt donner une deuxième chance à l’enfant et ainsi participer
à son éducation.
428. En ce qui concerne le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, la convention n’a
pas manqué de l’évoquer en précisant sa prise en compte dans le cadre d’une protection
spécifique de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la justice pénale en soulignant un
processus qui se base avant tout sur l’éducation et en précisant que la répression doit être
le dernier recours de l’Etat, une clarification qui fait référence à l’article 3 qui pose le
principe de la recherche de l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes les affaires qui le
187
concernent. Un principe qui renvoi également à des droits fondamentaux de l’enfant
devant la justice notamment ceux des libertés. En effet, dans le même sens d’analyse de
l’article 40, les droits et libertés de l’enfant sont aussi pris en compte à travers des
dispositions qui reflètent l’esprit général de la Déclaration universelle des droits de
l’Homme. En outre, l’intégration de ces droits fondamentaux affirme la vocation
d’imposer la spécificité de la protection de l’enfant face à ces droits et insister sur une
pensée plus protectrice que celle de l’adulte puisque l’enfant est considéré comme une
personne vulnérable qui doit être dotée d’une protection encore plus spéciale quand elle
est présentée devant la justice pénale.
429. Ces principes repris par la convention sont souvent soulignés par le comité des droits
de l’enfant qui veille à ce que les Etats parties élaborent un système de justice pénal
particulier dédié aux mineurs, tout en rejetant l’idée d’adapter la justice des adultes à
l’enfant puisqu’il est considéré comme contraire à l’esprit du texte qui affirme
l’obligation des Etats de créer un système de justice spécial qui englobe des spécialistes
en la matière et des règles spécifiques.
430. L’article 40 évoque également la question de l’âge de l’enfant qui est explicitement
rattaché au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, et qui consiste à prévoir un âge fixe
dans les législations internes qui ne soit pas trop bas puisque ce dernier peut présenter
deux grandes problématiques pouvant être encore débattues. En effet, la question qui se
pose est celle de savoir si un enfant doit être punit même lorsqu’il n’a pas conscience de
l’acte qu’il a commis et du danger provoqué aux autres par cet acte et par conséquent la
punition deviennent uniquement de forme et sans valeur et efficacité, c’est dans ce sens
qu’une thèse se manifeste, notamment celle d’estimer l’âge de la responsabilité pénale à
celui à partir duquel l’enfant commence à avoir une certaine responsabilité civile.
431. Aussi, dans le paragraphe 3 du même article, le texte affirme la vision globale du
texte international et rejoint d’autres articles qui visent la protection de l’intérêt supérieur
de l’enfant en affirmant l’importance du rôle de l’éducation et de son privilège contre tout
autre processus de condamnation ou de punition et ainsi éviter les procédures pénales et
les permettre comme un dernier choix en précisant que les Etats parties s’engagent
à« prendre des mesures, chaque fois que cela soit possible et souhaitable, pour traiter ces
enfants sans recourir à la procédure judiciaire, étant cependant entendu que les droits de
l’Homme et les garanties légales doivent être pleinement respectés »478.
478
Article 40, Paragraphe 3-b.
188
Ainsi, cette précision rejoint celles déjà présentés dans d’autres articles notamment
l’article 3 et 5 qui renvoient également au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant qui se
trouve principalement dans son milieu familial et ainsi permettre à l’enfant une meilleure
prise de conscience de ses valeurs du respect des autres et de son estime de soi.
432. L’ensemble du texte international reflète une image conforme aux principes des
droits de l’Homme notamment la vision éducative et non réprimant pour l’enfant,
contrairement à l’objectif du droit pénal des adultes qui se base avant tout sur le fait de
sanctionner. Toutefois, l’enfant semble se procurer un traitement spécial dû toujours à sa
vulnérabilité mais aussi à la lumière d’un des principes directeurs de la convention qui est
l’intérêt supérieur de l’enfant. En effet, la prise en compte de l’intérêt supérieur de
l’enfant dans le cadre de la justice pénale oriente ce droit vers l’affirmation du rôle
éducatif que doit assumer l’Etat à travers ses lois et ses institutions, en avantageant toutes
les mesures éducatives avant toute mesure répressive. Par ailleurs, l’affirmation de ce
principe dans le droit pénal revoie également à une problématique précitée plus haut et
qui consiste à savoir si cet intérêt doit être supérieur aux autres acteurs de la situation ;
ainsi cette prise en considération prévoit avant tout d’agir à travers des mesures
éducatives et pédagogiques.
433. Cependant, l’application de cette thèse éducative exige un grand nombre de mesures
qui elles réclament la création et la mise en place de moyens suffisants. Un cheminement
qui débute par le rôle du juge des enfants qui a pour mission de réconcilier entre son
intervention pénale répressive et celle éducative. Dans ce cadre, le processus judiciaire
français offre cette possibilité à travers les décisions rendues par les magistrats. En effet,
lorsqu’un magistrat spécialisé de l’enfance est saisi par une requête du parquet, il doit
rendre une décision qui prend en compte certaines conditions notamment celles sociales,
afin d’émettre une décision qui répond aux exigences de la CIDE, et c’est dans ce sens
que le magistrat décide de faire suivre l’enfant par un service éducatif de l’administration
de la protection judiciaire de la jeunesse notamment les centres d’actions éducatives
menées par des éducateurs spécialisés qui doivent également assembler les informations
sur le mineur et les transmettre au magistrat afin de débuter le travail éducatif auprès du
mineur.
434. C’est dans ce sens que l’opération qui vise le principe éducatif débute, dans un rôle
mutuel entre le magistrat de l’enfance et l’éducateur qui débutent une mission qui vise à
rassembler la règle judiciaire découlant de la décision du magistrat et du droit pénal en
général mais aussi celle éducative menée par l’éducateur sous le contrôle du magistrat qui
se réfère directement aux dispositions de la CIDE. Ainsi, cette coopération entre ces deux
principaux acteurs et d’autres administrations permet également l’établissement d’un
processus qui se base sur des principes de la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Ainsi, ce secteur a connu un grand nombre de réformes législatives qui ont permis son
évolution et l’intégration des principes de la CIDE afin de garantir cet objectif éducatif à
travers l’établissement de dispositifs instrumentaux nouveaux dont la création de
nouveaux centres et services éducatifs qui participent à la logique d’organisation et
d’action technique et pratique en la matière.
189
435. Quant à la question du droit pénal et à la prise en considération du principe de
l’intérêt supérieur de l’enfant en la matière, elle semble être plus compliquée et ne répond
toujours pas à toutes les exigences de la CIDE. En effet, l’intégration d’une vision
éducative demeure complexe puisque le code pénal marocain n’a pas subi un grand
processus de réformes qui permet cette prise en considération. Dans ce sens, nombreuses
sont les remarques et les reproches à ce texte qui représentent encore de nombreuses
failles, faisant encore aujourd’hui l’objet de critiques des activistes, des défenseurs des
droits de l’Homme ainsi que du comité des droits de l’enfant.
436. La difficulté de l’intégration des principes des droits de l’Homme dans le code
pénal, reflète clairement la complexité de la prise en compte des droits de l’enfant et de
son intérêt supérieur. En outre, cette difficulté est due au cadre général du code pénal
marocain. Contrairement au code de la famille marocain et à l’ensemble des réformes
qu’il a subi notamment celle de 2004, le Code pénal figure encore aujourd’hui dans les
projets de réformes prévus par le royaume. En effet, depuis 2015 un projet de réforme
suscite encore des controverses puisque l’ensemble des modifications proposées
concernent des sujets sensibles tels que la vie politique et sociale d’un pays où la religion
et le pouvoir en place disposent d’une grande importance 479. Une difficulté qui reflète
également le cadre historique du pays en matière anticriminelle qui se base sur un
rassemblement de règles de sources plurielles.
437. En effet, tout comme le cheminement de la modernisation du droit de la famille, le
droit pénal marocain a également subit un long processus d’harmonisation puisqu’il
représente aujourd’hui une sorte de mosaïque qui reflète un ensemble de règles qui se
réfère aux coutumes des tribus et à la religion musulmane. Avant l’islamisation du pays,`
toutes les problématiques de la délinquance trouvaient des réponses explicites dans la
sphère des règles posées par chacune des tribus dans le respect du territoire et de la
différence culturelle480. L’islamisation du pays a ouvert le champ à une concurrence
évidente entre d’un côté, des règles religieuses desquelles la majorité des populations
étaient convaincue et d’autre côté des règles coutumières qui n’ont pas résisté devant
l’organisation et les règles d’une religion que la population a largement embrassée 481.
438. C’est dans ce cadre complexe que les jurisconsultes marocains originaires des tribus
se sont lancés dans un processus d’harmonisation des règles afin d’éviter une probable
multiplication de règles. Ainsi, s’est fait l’établissement d’une législation pénale
islamique tenant compte des coutumes permettant au marocain de répondre à toutes les
questions pénales en jonglant entre les règles explicites de la charia et la spécificité de la
coutume, un échange qui a permis une ouverture et une souplesse des règles mais qui a
également préserver un pluralisme juridique en la matière, ce qui a rendu encore plus
compliquée une unification.
479
Omar BROUKSY, Maroc : un projet de réforme du code pénal divise la société, le Monde, 13 Avril 2015.
480
Mohieddine AMZAZI, Essai sur le système pénal marocain, éd. centre Jacques-Berque, collection Description du
Maghreb, 2013, p. 232.
481
Ibid.
190
D’ailleurs, cette complexité s’est avérée encore plus pendant le protectorat et jusqu’à la
veille de l’indépendance. La tradition a réussi de conserver une place importante et à faire
face aux règles étrangères transportées par le protectorat, pourtant durant ce dernier il y a
eu la conclusion d’un traité en 1912 qui permettait à la France d’intervenir et de mener
des réformes de la justice marocaine. Cependant, le protectorat va se rendre compte qu’il
est difficile même en se basant sur ce traité d’établir un droit pénal français au Maroc ou
même une période transitoire, puisqu’il sera affronté par un refus catégorique et sera
considéré comme une christianisation du pays482.
439. Les dahirs de 1912 ne permettront pas l’application des règles du droit pénal
français sur les locaux mais seront appliqués uniquement sur les français, et ce n’est qu’à
partir de 1953 que la promulgation de nombreux dahirs et de nombreuses réformes visant
la justice dans son ensemble que le droit pénal sera atteint. Ces réformes vont chambouler
l’ensemble du corps judiciaire, dans la mesure où elles vont modifier les rapports entre
les autorités judiciaires et les individus en créant un face à face tendu entre les deux
annonçant que la loi sera la seule référence qui précisera les infractions et les peines en
excluant les autres normes. Cependant, les réformes menées durant ce protectorat ne
feront que renforcer un système judiciaire existant doté d’un pouvoir de force jugé de
répressif483 en négligeant les principes des droits de l’Homme qui sont la référence de la
France.
440. A partir de l’indépendance, le Maroc prend la décision de conserver les règles déjà
mises en place dans leur état afin de préparer le terrain à des réformes plus profondes,
tout en promulguant une série de dahirs qui limite les pouvoirs exorbitants en place.
Cependant ces modifications demeurent formelles sans aucune incidence sur la réalité du
système judiciaire en place. C’est dans ces conditions que l’harmonisation du droit pénal
s’est faite petit à petit dans le pays avec « la création d’une cour suprême et la
promulgation des trois dahirs sur les libertés publiques », une décision qui a reflété le
choix fait par l’Etat dans la promulgation de son premier Code pénal en 1962. En effet, ce
choix fait par le pays dans ce cadre peut être jugé de regrettable puisqu’il n’a pas permis
au législateur marocain de reprendre le texte avec une certaine modification évolutive.
441. Une codification qui malgré le fait qu’elle vise à promulguer un code moderne, ne
va pas complètement se détacher de la référence religieuse qui est la charia. En effet, le
Code pénal marocain a également subi dès sa promulgation la pression de la charia à
travers un ensemble de ses règles qui reflètent les valeurs et les principes que revendique
la loi islamique. Une référence qui tire son origine dans un premier temps de l’ensemble
des constitutions que le Maroc a adopté successivement depuis son Independence et qui
proclamait l’islam comme religion de l’Etat et où le Roi acquiert le statut du commandeur
des croyants.
482
Cette politique va permettre le renforcement du mouvement national résistant, puisqu’il va se baser sur la thèse de
division que le colonisateur tente de diffuser.
483
A titre exemple, la peine de mort pouvait être prononcée contre n’importe quelle personne qui tente de commettre
un attentat dans l’objectif de détruire le régime en place.
191
442. La référence à la charia n’est pas explicite dans le code pénal marocain, mais cette
question fait encore débat au jour d’aujourd’hui puisqu’elle oppose deux grands courants
notamment les traditionnalistes et les modernistes. Ainsi, d’un côté les modernistes
revendiquent une coupure complète avec l’idéologie des lois islamiques dans le code
pénal et de l’autre côté les traditionnalistes qui affirment l’obligation de préserver les
règles qui se réfèrent aux principes de la charia voire même de les réintégrer plus
largement dans le texte et de faire un retour complet à ces principes ; une logique qui
provoque des divisions entre les traditionnalistes eux-mêmes dans le sens où les plus
extrémistes exigent le retour intégral et les plus modérées proposent de préserver les
grands principes tout en acceptant quelques modifications.
443. Cette pluralité de discours permet de lancer la réflexion sur l’ambiguïté que peut
porter cette divergence de revendications, puisqu’elle rassemble la rigueur du droit pénal
islamique et les règles pénales adoptées par le monde d’aujourd’hui et qui se basent sur
les principes des droits de l’Homme adoptés par tous les pays démocratiques484. En effet,
le législateur marocain se trouve devant un grand dilemme de moderniser ou de protéger
les valeurs islamiques dont la majorité de la société défend. Pour le courant
traditionnaliste le droit pénal moderne est dans l’incapacité de protéger ces principes et
donc sa supériorité sur ces derniers est considérée comme illégitime puisque l’idée de
base du droit pénal qui est de différencier entre le mal et le bien, entre le licite et l’illicite
n’est pas identique et donc l’idée même de la justice n’acquiert pas la même référence de
base.
484
Mohieddine AMAZI, op. cit., Essai sur le système pénal marocain, chapitre I, la nostalgie de la charia. Disponible
sur : https://books.openedition.org/cjb/398
192
S’ajoute à cela le fait que l’une des institutions fondamentales de la société musulmane
qui est la famille connait également des mouvements évolutifs qui permettent des
réformes plus profondes des lois qui régissent cette société485.
445. Cependant, il faut noter que l’évolution que connait la société marocaine est assez
lente puisqu’elle succède à un système assez complexe, partagé entre une culture divisée
entre une référence religieuse, culturelle et coloniale. Cette évolution a quand même
permis l’émergence de nouveaux rôles aux acteurs participant à la transition du système
en général, une évolution qui permet au droit pénal de mieux recevoir les principes des
droits de l’Homme. Par ailleurs, l’évolution de la société marocaine est également
confrontée à une importante ambigüité légitimée par la dernière Constitution de 2011. En
effet, malgré le fait qu’elle soit récente, elle ne prend pas clairement le chemin de la
modernité que souhaite emprunter un pays qui revendique la volonté d’intégrer les
principes des droits de l’Homme dans l’ensemble de sa législation.
446. La Constitution de 2011 représente bien une continuité de l’ambigüité portée autour
des rapports entre la religion de l’Etat et la modernité adoptée dans le texte à travers
l’intégration des principes de droits de l’Homme. Comme nous l’avons déjà précisé plus
haut, la Constitution de 2011 est l’aboutissement d’un grand mouvement social survenu
lors des vagues révolutionnaires dans le monde arabe, mieux connu sous le nom du
« Printemps arabe ». Ainsi le texte est le fruit des revendications du mouvement du 20
février dans le but d’apporter des réponses politiques et sociales et d’adopter une
modernité à toutes les institutions du pays.
447. L’adoption de ce texte n’a pas permis d’apporter des réponses à toutes les
revendications, commençant par le système politique en place qui n’a connu aucun
changement et dans lequel le texte a écarté l’adoption d’une monarchie parlementaire en
réaffirmant une monarchie absolue à travers la fonction du Roi qui n’a pas été touchée,
un rôle qui repose principalement sur le caractère religieux qui attribue au Roi en tant que
commandeur des croyants la mission de veiller à ce que l’islam soit la religion de l’Etat et
qu’aucune révision qui modifie les dispositions qui vont dans ce sens n’y soit apportée.
C’est dans ce cadre que l’article 175 dispose qu’« aucune révision ne puisse porter sur
les dispositions relatives à la religion musulmane, sur la forme monarchique de l’Etat,
sur le choix démocratique de la nation ou sur les acquis en matière de libertés et de
droits fondamentaux inscrits dans la présente constitution » ; une disposition qui bloque
toute possibilité de réformes profondes. Cependant, le texte adopte une autre disposition
qui crée clairement l’ambigüité et qui est d’apporter une disposition plus moderniste à
travers l’article 42 attribuant au Roi la responsabilité de veiller « à la protection du choix
démocratique et des droits et libertés des citoyennes et des citoyens, et des collectivités,
et au respect des engagements internationaux du Royaume ».
485
Emmanuel.TODD, Youssef. COURBAGE, Révolution culturelle au Maroc : Le sens d’une transition
démographique, Institut national d’études démographiques. Rapport établi par la Fondation Res Publica, 2007.
193
Cette disposition expose la complexité du système marocain par le fait qu’elle appelle à
la confirmation des principes des droits de l’Homme sans pour autant évoquer la prise en
compte de la religion. Toutefois, c’est par le billet de ces deux dispositions que le
système marocain conserve cette ambivalence qui peut être jugée par quelques
spécialistes comme étant un équilibre puisqu’elle permet une interprétation diverse pour
les deux courants afin de garantir le fonctionnement des institutions.
Par ailleurs, c’est cette double référence constitutionnelle qui fait face à la rapidité de la
modernisation des institutions puisque l’argument religieux est considéré comme
prioritaire et assez fort face à celui libéral et évolutif, ce qui rend plus difficile la remise
en question des questions principales dans le système en place. C’est ainsi, que dans le
cadre du droit pénal que l’ambigüité entre un Etat de droit et un Etat où la religion
acquiert une grande importance apparaît lourd; il demeure clair que toutes les mesures
entreprises par le royaume ne doivent en aucun cas contredire les principes de la charia.
448. Ainsi nombreux sont les exemples qui contredisent le système pénal marocain avec
sa référence, comme par exemple les libertés individuelles et la peine de mort qui
continuent à se référer à la religion mais qui sont encore à nos jours ancrées dans le code
pénal marocain malgré les efforts et les revendications des défenseurs des droits de
l’Homme. En outre, évoquer la modernisation du système pénal marocain qui est
considéré comme dépassé signifie clairement la réconciliation de ce dernier avec sa
référence, chose qui n’est pas évidente afin de permettre les avancées souhaitées486.
449. Comme nous l’avons précisé, les difficultés de la modernisation auxquelles le droit
pénal marocain est confronté sont principalement celles qui portent sur les droits humains
de manière générale et plus précisément ceux des libertés individuelles. Ainsi, pour
comprendre la logique de cette difficulté, il est important de revenir sur le principe de la
liberté tel qu’il est appréhendé aujourd’hui et de préciser qu’il est considéré comme un
principe récent pour la société marocaine et qu’il a puisé et affirmé sa présence à travers
les lois intégrées depuis le protectorat. Cependant, la conception de la liberté elle-même
se trouve devant la double référence puisque dans le fond, elle n’aboutit pas à la même
définition. En islam toute liberté est attachée à la soumission de chacun à la loi de Dieu et
la priorité est attribuée d’abord au groupe et à la communauté suivant les règles définies
par le Coran et la sunna, alors que le sens de la liberté défendu par un nombre de
dispositions par le législateur marocain sont d’abord celles qui puisent dans le droit
français. Ensuite viennent celles des engagements internationaux et qui se réfèrent dans
l’ensemble à la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui reconnait
l’individualisation des droits et des devoirs. C’est dans le même ordre d’idées que le droit
pénal marocain s’est trouvé face au dilemme de faire des choix stratégiques tels
qu’intégrer les principes des droits de l’Homme tout en préservant quelques normes qui
se réfèrent à la religion ou à la culture.
486
Mohieddin AMAZI, op. cit., p. 140.
194
450. En effet, nombreuses sont les questions en souffrance à cause de cette référence
diverse, qui, malgré les efforts émis par le royaume dans l’objectif de réformer le droit
pénal demeure insuffisante. Le texte actuel est considéré par les activistes et les
défenseurs des droits de l’Homme tel que Ahmed ASSID487 comme étant dépassé et ne
répondant plus à la réalité de la société puisque la société marocaine a subi de grandes
mutations depuis l’élaboration du premier Code pénal qui date de 1962, et qui représente
aujourd’hui même des contradictions avec la Constitution marocaine révisée en 2011.
Ainsi, pour répondre à cette urgence un grand projet de réforme du Code pénal marocain
est lancé depuis 2015. Toutefois, il demeure bloqué parce qu’il engendre de grands débats
au sein du parlement puisque le courant conservateur bloque le cursus des réformes qui
concernent les libertés individuelles.
451. Les questions qui opposent les deux courants « conservateurs et modernistes » sur la
réforme du Code pénal sont nombreuses mais les plus importantes se présentent comme
suit :
De ces grands titres ressort clairement la problématique du Code pénal marocain, qui
regroupe un nombre de dispositions qui criminalisent et punissent des actes qui
s’inscrivent dans les principes des droits de l’Homme. Ainsi les sujets objets de la
problématique se présentent comme suit :
- Les relations sexuelles hors mariage, qui sont pénalisées par l’article 490488.
- L’adultère, qui est puni d’emprisonnement par l’article 491 489;
- L’avortement, puni d’un à deux ans d’emprisonnement de par les articles allant de
449 à 458;
- L’homosexualité, punie selon l’article 489 d’emprisonnement de six mois à trois
ans.
Cette situation a également fait l’objet d’un rapport élaboré par le conseil national des
droits humains et adressé au parlement plaidant pour le respect des libertés individuelles
et de la vie privée ainsi que des engagements internationaux, qui ne sont pas respectées
en vue du nombre des affaires que la justice traite dans ce sens.
487
Ahmed ASSID est un écrivain, professeur de philosophie et militant politique engagé pour la laïcité et les valeurs
démocratiques et universelles.
488
« Sont punies de l’emprisonnement d’un mois à un an, toutes personnes de sexe différent qui, n’étant pas unies par
les liens du mariage, ont entre elles des relations sexuelles ».
489
« Est punie de l’emprisonnement d’un à deux ans toute personne mariée convaincue d’adultère. La poursuite n’est
exercée que sur plainte du conjoint offensé ». De plus, il est important de souligner qu’en cas d’adultère le conjoint
offensé peut retirer sa plainte et mettre fin aux poursuites contre le conjoint adultérin. Une disposition qui crée une
grande problématique lorsqu’il s’agit de mettre fin à la poursuite d’une des deux personnes adultérins, la deuxième
personne demeure condamnée à la peine prévu pour l’adultère.
195
En effet, en se basant sur ces lois liberticides, les chiffres démontrent une autre réalité que
celle revendiquée par les conservateurs qui voient dans la criminalisation la protection de
la société. En 2018 la justice marocaine a « poursuivi 14, 503 personnes pour débauche,
3,048 pour adultère, 170 personnes pour homosexualité et 73 personnes pour avortement
ce qui représente au moins 600 à 800 intervention par jour »490. Malgré ces chiffres assez
importants, la version actuelle du projet de réforme du code pénal ne propose pas une
révision complète des dispositions qui concernent ces sujets à part un simple
assouplissement de l’IGV491 qui peut être exercée mais sous certaines conditions que la
loi autorise et qui peuvent être légales uniquement en cas de viol, d’une malformation du
fœtus ou si ça représente un danger pour la femme enceinte tout en préservant la
condition principale qui est celle d’une relation sexuelle dans le cadre du mariage 492.
452. A cet égard nombreux sont les critiques puisqu’au Maroc, le nombre des enfants nés
hors mariage dépasse les 50,000 chaque année dont trois cents sont laissés à l’abandon
dans la rue selon les associations luttant pour les droits des femmes et des enfants 493, et
c’est dans le même sens que le dernier rapport alternatif des ONG marocaines sur
l’application de la CIDE, souligne l’urgence d’une révision du Code pénal en appelant à
la suppression de l’article 490 qui condamne les rapports sexuels hors mariage qui
aboutissent souvent à une inégalité entre l’homme et la femme et à l’abondant des enfants
nés hors le cadre légal.
453. La situation alarmante du Code pénal engendre des complications encore plus
importantes et limite l’application de l’ensemble des réformes menées par le législateur
marocain dans de nombreux domaines allant jusqu’à contredire l’esprit défendu par les
réformes récentes qui prennent en compte les principes des droits de l’Homme et
respectent les engagements internationaux tels que ceux du Code de la famille qui répond
à un esprit familial en développement et aux exigences d’une société en mouvement.
Ainsi, la prise en compte des droits de l’enfant et de son intérêt supérieur est également
atteinte par les limites posées par les mœurs et la religion face au progrès et au
mouvement actuel de la société. Ces limites sont évidemment traduites à travers
l’imparfaite intégration des principes des droits de l’Homme de manière générale et ceux
de l’enfant en particulier que ce soit dans les textes de droit ou encore dans l’organisation
étatique qui demeure très limitée.
490
Zoubida SNOUSSI, Code pénal : Quel avenir pour les libertés individuelles au Maroc ? 12 décembre 2019.
Disponible, sur : www.hespress.com.
491
Un assouplissement qui résulte d’abord d’une volonté et d’un arbitrage royal, puisque c’est le Roi Mohammed VI
qui avait décidé dès 2015 d’entamer une consultation à la dépénalisation de l’IGV, une décision qui n’a pas débouché à
la suppression de cette législation obsolète.
492
Malgré ce retard de la révision du texte, le président de la commission justice à la chambre des représentants,
Takhfik MAIMOUNI évoque une prise de temps nécessaire « puisqu’un texte qui date des années soixante demande
une grande attention afin de transformer les comportements des gens ».
493
Idem.
196
Chapitre II : Les limites à la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.
457. Cette stagnation ne concerne pas uniquement les limites de la prise en compte des
droits des femmes dans l’ensemble du texte, mais elle est également due à une raison
principale que nous avons déjà évoquée plus haut et qui est la double référence du
197
législateur marocain en matière familiale. En outre, la référence à la religion musulmane
peut paraître pour quelques spécialistes comme étant une affirmation d’une spécificité
culturelle et sociale mais en réalité, elle peut être une barrière pour des réformes plus
profondes et représenter quelques limites pour le model familial en mouvement et plus
précisément pour la prise en considération des droits de la femme, de l’enfant et de son
intérêt tels qu’ils sont reconnus par les textes internationaux. La double référence du
législateur marocain ne résulte pas seulement des limites et des contradictions au sein des
textes juridiques mais elle atteint également le rôle de l’Etat et son implication dans la
protection des droits de l’enfant. Une situation qui met en confrontation les textes
internationaux, ceux nationaux et la réalité d’une mauvaise gouvernance en la matière
(Section 2).
198
Section 1 : La place de la femme et de la religion, des éléments qui participent à la
stagnation de l’intégration du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.
458. Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est un principe d’ordre international qui
s’est imposé dans la majorité des Etats qui ont signés et ratifiés la CIDE ; un engagement
qui oblige les Etats parties de mener un ensemble de réformes afin de mettre en
cohérence l’ensemble de leur législation avec les principes de toute la convention qui, à la
base découlent du principe de la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Comme nous l’avons précisé, pour les Etats développés et qui ont la Déclaration des
droits de l’Homme comme référence de législation, l’intégration et la prise en compte du
principe s’avèrent plus faciles puisque la référence de l’ensemble des droits qui
participent à la réalisation du principe découlent des principes des droits de l’Homme
sans aucune référence qui peut représenter des contradictions. Cependant, la
problématique se pose pour les Etats parties en voie de développement tel que le Maroc,
qui sauvegarde jusqu’à nos jours une double référence. En effet, cette dernière affecte
clairement le progrès et l’intégration d’un nombre de principes des droits de l’Homme
reconnus universellement. Ainsi, ce recours aux principes religieux engendre souvent des
contradictions entre le respect de cette référence et les engagements auxquels le Maroc
est tenu, une situation qui nuit visiblement aux droits de l’enfant et à la garantie de son
intérêt supérieur (Paragraphe1). Puis dans le même ordre d’idée, il semble important
d’évoquer les principes concernés et touchés par cette double référence qui emprisonne
d’une manière directe ou indirecte certains nombres de principes fondamentaux
protecteurs des droits de l’enfant tels que la liberté de religion qui, en principe, doit
figurer parmi toute prise en considération de l’intérêt de l’enfant au détriment de
l’environnement social ou familial (Paragraphe 2).
199
Paragraphe 1 : La référence religieuse et la volonté politique sont-elles
contradictoires ?!
459. La référence religieuse acquiert une grande importance dans le système judiciaire
marocain et particulièrement dans celui qui réglemente la famille considérée comme le
noyau de la société jugée jusqu’à nos jours de traditionnelle mais en mouvement vers la
modernisation. En effet, la Maroc a depuis son indépendance souhaité la sauvegarde
d’une spécificité référentielle dans le cadre de l’élaboration d’une société moderne sans
pour autant éliminer le caractère religieux de l’ensemble de ses institutions.
460. Evoquer l’islam au Maroc, c’est avant tout parler d’une organisation et d’un choix
politique que le pays a adopté depuis son indépendance en 1956 ; une référence qui a
permis la construction d’un modèle idéologique spécifique et dont l’objectif était
principalement d’unifier la nation ainsi que ses lois sous une même doctrine.
Un choix stratégique qui n’est pas fait par naïveté mais qui s’est basé sur un élément
principal qui a représenté même l’argument le plus fort des militants lors de la
revendication d’indépendance, ainsi que celui qui permettait l’unification de toutes les
régions en une seule représentation qui est celle d’un Etat-nation. L’unification sous
l’argument religieux représentait une carte garantie afin d’élaborer un discours unifié
contre le protectorat à court terme et de permettre la construction d’un Etat basé sur son
identité musulmane à long terme.
461. Une référence qui a permis à l’Etat marocain depuis l’indépendance jusqu’à nos
jours, d’affirmer, de légitimer le pouvoir en place et d’éliminer toute autre force politique
qui souhaite sa destruction. C’est ainsi que l’élément religieux qui, autrefois représentait
uniquement un élément identitaire, s’est transformé en une garantie au pouvoir en place
qui lui accorde une légitimité. Par ailleurs, l’utilisation de l’islam comme dimension
politique a suscité un changement suite aux mouvements et aux mutations d’ordres
politique, démographiques et culturels 494 qui ont participé à sa renaissance et à son
adaptation à une société marocaine en évolution.
462. Tous ces éléments ont contribué de manière directe et indirecte à l’intégration de
l’islam comme religion dans un système politique qui en a fait un élément principal dans
l’ensemble de ses institutions depuis son indépendance. Cette prise en considération de la
religion a quand même suscité une adaptation spécifique au pays en prenant compte de
son histoire évolutive. Ainsi, l’adoption de l’islam malékite est un choix stratégique
494
Ces mutations sont dans un premier temps démographiques dues une croissance démographique historique dans les
pays en voie de développement et qui ont suscité l’existence d’une société musulmane majoritairement jeune qui a
choisi dans la majorité des situations l’exode rurale.
Elles sont en second lieu politiques avec l’indépendance et l’adoption d’un Etat dont la religion est l’islam en imposant
une monarchie absolue, et enfin culturelles dues à la scolarisation des générations d’après l’indépendance ce qui a
participé à une remise en cause de la culture traditionnelle des parents et à la reconstruction d’un modèle qui garde les
mêmes principes de base mais qui tente de moderniser ses règles.
200
fondé sur de nombreuses raisons afin de protéger le pays des idéologies fanatiques et de
permettre son adaptation à l’atmosphère politique, culturelle et sociale du pays 495.
Néanmoins, ce choix a été facile à adopter puisque les règles du rite malékite sont dotées
d’une certaine souplesse qui permet leur évolution notamment grâce à de nombreux
concepts dont, l’analogie, la souplesse dans le choix des solutions et l’intérêt général du
groupe ou de la société. Cependant ces mêmes éléments peuvent être contraires à une
évolution évidente à travers l’interprétation des oulémas, tenus aujourd’hui à adapter
leurs visions à celles adoptés par l’Etat, une situation qui met le pays devant un grand
dilemme et met en place la complexité et l’ambiguïté des règles religieuses avec celles
apportées à travers le droit positif étranger.
463. La présence de la religion dans la vie politique et sa prise en compte dans la
construction des systèmes et des visions futures des Etats font encore aujourd’hui débat
au sein des sociétés, comme le Maroc qui, malgré la diminution de la place du caractère
religieux, demeure présent et représente encore une base de légitimité de la politique
menée par l’Etat. L’adoption de cette vision renvoie à l’interrogation sur la signification
et la place qu’occupe le droit dans le pays qui a conservé un héritage juridique de sa
période de protectorat.
464. En effet, c’est cet héritage et son fusionnement avec la religion qui représentent
toute la complexité de la question puisque l’adoption d’un droit étranger ne signifie pas
un simple transfert de techniques ou de règles mais reflète également l’adoption d’une
idéologie et d’une philosophie que l’Etat mène dans l’objectif d’instaurer « une
perfection sociale, à savoir un système juridique idéal producteur d’un ordre social
efficient, transparent et juste »496. Une vision qui oblige l’Etat marocain à établir des
institutions politiques, économiques et sociales similaires à celles qui existent en
occident497, sans pour autant négliger le caractère religieux sur lequel se construit la
légitimité même du monarque.
495
Mohamed TOZY, l’évolution du champ religieux marocain au défi de la mondialisation, Revue internationale de
politique comparée, 2009/1, Vol. 16, p. 63, 81.
496
Thierry. DELPEUCH, La coopération internationale au prisme du courant de recherche, droit et développement,
droit et société, n° 62, 2006, pp. 119-175. SPP.
497
Ibid.
201
Ainsi, il semble important dans un premier temps de définir la liaison existante entre le
religieux et le politique au Maroc qui tient à défendre sa spécificité en la matière. Puis se
pencher sur l’influence de cette spécificité sur le Code de la famille marocain et sur le
rôle attribué à la femme dans l’objectif de concrétiser l’évolution du droit de la famille en
générale et de son incidence sur la prise en considération de l’intérêt supérieur de
l’enfant.
466. Définir le religieux semble être évident et simple puisqu’il renvoit principalement à
l’ensemble des règles qui permettent de définir la relation entre l’être humain et son
créateur. Cependant, cette définition ne fait pas l’unanimité puisqu’elle représente une
définition qui se réfère uniquement à la sphère privée, une vision que de nombreuses
écoles refusent, en précisant que le religieux se manifeste également à travers les acteurs
qui participent à l’interprétation de la doctrine chez les croyants.
467. Ces acteurs sont « définis soit par les institutions et organisations religieuses, et
leurs représentants, mais aussi par les oulémas reconnus par l’État, les confréries
mystiques et leurs chefs ainsi que les imams de mosquées, etc.»498. Cette référence
s’élargie également à travers le rôle mené par les groupes politiques ou encore par le rôle
principal du monarque comme nous l’avons précisé plus haut, ce qui permet l’élaboration
d’une perception sur la relation existante entre le religieux et le politique.
468. La place du religieux en terre d’islam a souvent fait l’objet d’un flou et d’une
ambigüité puisqu’il n’existe aucune règle explicite qui réglemente la question. Toutefois,
dans de nombreux pays musulmans, la place du religieux dans le politique acquiert une
place importante qui s’est renforcée tout au long de l’histoire à travers une chaîne
d’autorité forte dirigée par la constitution d’un pouvoir fort légitimé par la religion. Ainsi,
l’affirmation du religieux dans le politique s’est également renforcée non seulement par
la référence du chef d’État en sa qualité du commandant des croyants, mais également
dans un contexte plus large à travers les partis politiques à référence religieuse qui sont,
soit créés soit contrôlés par le pouvoir lui-même dans l’objectif de renforcer ce caractère
religieux dans la sphère politique499.
469. L’existence du religieux dans la sphère politique représente aujourd’hui une réalité
adoptée par certains États et notamment certains dirigeants afin de conserver le pouvoir.
Toutefois, cette stratégie subit une concurrence qui la fragilise. Cette dernière est due tout
d’abord au processus de démocratisation adopté par la majorité des États, ainsi que la
mondialisation et le mouvement des sociétés qui ont obligé les États à vouloir créer une
harmonie entre le politique et le religieux afin de préserver la spécificité du pouvoir en
place.
498
Franck FREGOSI, Malika ZEGHAL, Religion et politique au Maghreb : les exemples tunisien et marocain, institut
français des relations internationales, n°11, IFRI, 2005, p. 34.
499
Idem.
202
470. De la sorte, le Maroc a encore jusqu’à ce jour un long chemin de démocratisation à
parcourir, la démocratisation ayant débuté bien avant le protectorat mais s’étant renforcée
pendant et à la fin de ce dernier. Comme nous l’avons mentionné précédemment, la
relation du religieux et du politique au Maroc tire son origine du lien existant entre le
monarque et la figure prophétique, un facteur qui a joué un rôle très important dans
l’instauration et la légitimation de la monarchie, et représente l’argument principal
instrumentalisé à des fins politiques.
500
Rapport général sur la situation du protectorat français au Maroc, p.14, in Youssef BELAL, L’islam politique au
Maroc, dans pouvoirs, 2013/2 n° 145, p. 2.
501
Discours du Roi Hassan II en 1968.
502
Youssef BELAL, L’islam politique au Maroc, dans pouvoirs, 2013/2 n° 145, p. 2.
203
474. La vision du Roi Hassan II repose sur l’appropriation de la gestion de la religion
musulmane afin de créer une communauté musulmane de sujet de sa majesté
contrairement aux voisins qui ont créé une communauté démocratique de citoyens
musulmans. Cette vision qui a permis l’institutionnalisation du statut des commandeurs
des croyants, qui va être tout au long du règne de Hassan II et celui de Mohammed VI
jusqu’à ce jour, un facteur à double tranchant puisqu’il leur légitime la parole et les
décisions mais leur confie également la tâche de protéger la religion musulmane dans
l’ensemble du territoire.
475. Dans ce sens la monarchie a donc fait de son choix stratégique une règle qui est celle
de faire vivre la monarchie de la religion et de faire vivre la religion dans l’espace public.
Cette stratégie a marqué sa continuité avec l’avènement de Mohammed VI au pouvoir qui
même en visant la démocratisation et la modernisation du pays, va sauvegarder cet
attachement religieux à travers la Constitution de 2011, considérée comme affirmant
l’indivisibilité de l’État et de la religion qui se manifestent avant tout par l’incarnation de
la personne du Roi. C’est pour cette représentation qu’il demeure difficile d’évoquer la
séparation entre religieux, politique et monarchie, et de définir les limites de chaque
élément dont les rapports semblent difficiles voire impossibles car « ces logiques se
croisent, se complètent, parfois se subordonnent pour dessiner un tableau complexe des
relations entre État et religion.
S’ajoutent à cela deux autres éléments de poids : d’abord l’idéologique qui renvoie à la
religion comme un élément socioculturel qui participe à l’organisation et à la
structuration du champ politique, puis celui qui peut être considéré comme administratif
et qui renvoie aux obligations de l’État d’administrer et de contrôler le domaine
religieux503. Dans ce sens, il semble difficile de prendre en considération les trois
éléments sans pour autant faire face à un ensemble de contradictions.
476. En effet, respecter le caractère religieux, l’État et la monarchie est une mission
difficile à accomplir puisque chaque élément est porteur de certains caractères qui
peuvent empêcher sa cohérence avec l’autre. Cette analyse permet de se pencher sur une
question primordiale qui est celle de savoir à quel point l’État marocain est allé afin de
répondre à la modernisation et la démocratisation de son système, chose qui reflète la
place qu’occupe la religion dans ce même système.
477. Il est vrai que l’engagement du Maroc dans le processus de la modernisation et de la
démocratisation est lancé depuis son indépendance avec une accélération dès le début du
règne du Roi Mohamed VI, mais l’emprunt de ce chemin ne peut être considéré comme
ordinaire pour un pays comme le Maroc, car il est difficile de concevoir un changement
absolu, basé sur des règles universelles tout en conservant des principes religieux qui
visent une culture ou une communauté spécifique.
503
Mohamed EL AYADI, Rahma BOURQUIA, Mohamed DARIF, État, monarchie et religion, Les cahiers bleus, n° 3,
février 2005.
204
478. Ainsi, dans ce sens, une question majeure se pose sur l’universalité des droits de
l’Homme face à la particularité culturelle et religieuse, à laquelle le Maroc a essayé
d’apporter une réponse en installant un équilibre entre l’universalité et la spécificité de la
société marocaine. Une mission qui a exigé des efforts afin d’intégrer les principes
universels de la démocratisation dans le système interne.
D’ailleurs le Maroc a prouvé durant ces années de modernisation de son système que la
possibilité d’une cohérence entre ces principes universels et des valeurs religieuses dans
certains domaines est possible tant que ces dernières sont respectées, chose qui ne
constitue pas la règle puisque cette intégration se réduit lorsque les principes universels
sont contraires aux principes religieux, notamment dans certains domaines où le droit
musulman demeure la source directe et exclusive.
479. Il est donc évident que la dualité de référence du droit marocain est le résultat de
l’adoption d’un droit qui peut être qualifié à la fois d’original et problématique, étant
donné que lorsque l’élaboration de ce droit exige la modification ou la suppression d’une
norme ou principe, le législateur est souvent mené à éliminer celle du droit moderne en
conservant celle du droit musulman même lorsqu’elle ne répond plus aux exigences
sociales ou culturelles de la société marocaine. Par ailleurs, nombreux sont les exemples
qui renvoient à l’adoption des règles contradictoires entre les principes universels et ceux
particuliers.
480. En outre, ce pluralisme juridique se concrétise dans les réformes menées par le
législateur qui reflètent l’image d’un assemblage entre les règles traditionnelles et celles
modernes dans tous les domaines partant de la constitution au droit civil, pénal et
administratif504. En effet, à l’exception du droit de la famille, le législateur marocain
prône un discours de modernisation en adoptant les principes des droits de l’Homme dans
l’ensemble de sa législation.
482. Ces références servent de preuve à l’attachement du législateur marocain aux lois
religieuses et aucune loi moderne ne peut annuler des principes religieux qui sont
explicitement exposés par le texte coranique ou encore par la sunna. De plus, ces articles
ont clairement fait preuve d’une prise en considération littérale du texte et voire même se
sont référés au droit musulman d’une façon directe.
504
Sabine. LAVOREL, Les constitutions arabes et l’islam, les enjeux du pluralisme juridique, Presse de l’université du
Québec, 2005, p. 2.
505
Ces lois sont considérées par les militants des libertés individuelles comme des lois moyenâgeuses, liberticides et
discriminatoires.
205
Ainsi, dans une décision de justice traitant d’une affaire de vente de boissons alcoolisées
entre vendeur et consommateur, la Cour suprême a estimé une responsabilité partagée
entre vendeur et consommateur en se référant à la tradition juridique islamique
uniquement puisque le texte juridique marocain interdit la vente mais n’interdit pas la
consommation. Par cette décision, la Cour affirme que malgré le fait que le texte moderne
soit modifié et modernisé, il existe des questions dont la référence reste religieusement et
culturellement ancrée dans la société506.
483. Cet exemple montre que la prise en considération du droit musulman et de son
application dépendent également du pouvoir discrétionnaire du juge qui peut être d’une
vision traditionnaliste et considérera la supériorité du droit musulman et sa primauté sur
le droit moderne et sa règle adoptée par le législateur.
484. Toutefois, il est important de souligner qu’il existe d’autres juges qui incarnent une
vision plus moderniste et qui donnent la priorité à la règle de droit moderne adoptée par
le législateur marocain et qui peuvent aller encore plus loin en faisant référence aux
engagements internationaux du pays. En effet, ce sont ces engagements de l’État
marocain dans l’objectif de l’insertion des principes des droits de l’Homme tels qu’ils
sont reconnus universellement dans sa législation interne qui fait de ce choix une option à
risque avec toutes les contradictions qu’elle peut apporter en étant convaincu que certains
droits et principes universels ne peuvent être intégrés au déprimant du droit musulman.
485. Il est de même important de rappeler que la Constitution marocaine de 2011 affirme
l’engagement du pays dans le processus de modernisation et affirme la vision moderniste
du texte. Cependant, il existe un grand écart entre l’adhésion aux principes internationaux
et le respect de l’application de ces engagements. Ce décalage est dû dans un premier
temps à la possibilité offerte aux états d’émettre des réserves comme pour le Maroc qui,
au nom du respect de la spécificité religieuse et culturelle, se permet d’adhérer
partiellement à un certain nombre de textes internationaux et ainsi se désengager de
quelques dispositions du même texte à caractère universel.
486. La technique de la réserve accordée par la Convention de Vienne que le Maroc a
signée en 1969 et ratifiée en 1972 est le remède des États qui souhaitent adhérer aux
traités internationaux sans pour autant bouleverser leur système interne. C’est le cas du
Maroc qui a adopté deux sortes de réserves : d’abord celles qui portent sur la clause de
règlement juridictionnel obligatoire ou non des conflits nés du traité, puis celles qui
portent sur le fond des conventions.
C’est ce dernier champs qui renvoie à la problématique d’une possible contradiction entre
l’universel et le spécifique puisque c’est cette série de réserves qui remet en cause
l’universalité des traités et leur application en émettant des réserves sur les dispositions
qui questionnent la source principale du droit marocain et qui est celle du droit musulman
ou des valeurs de la charia tout court.
506
Omar. AZZIMAN, La tradition juridique islamique dans l’évolution du droit privé marocain, in J-C. SANTUCCI
(dir), Le Maroc actuel. Une modernisation au miroir de la tradition, institut de recherches et d’Etudes sur le monde
Arabe et musulman, éd. CNRS, 1992.
206
487. Dans le processus de démocratisation et d’intégration des principes des droits de
l’Homme lancé par le Roi Mohammed VI depuis 1999, le Maroc semble vouloir
diminuer l’utilisation de la technique de réserve et d’intégrer progressivement les
dispositions des conventions dans son droit interne à travers l’ensemble des réformes
qu’il mène. Cependant, cette technique de réserve se maintient toujours lorsque le
contenu d’une disposition est contraire au droit musulman. Cette situation se heurte
souvent aux dispositions du droit de la famille et de ses principes.
488. En effet, le droit de la famille marocain a toujours présenté une exception dans
l’ensemble du processus évolutif des institutions marocaines. Malgré qu’il soit l’objet
d’une volonté et d’une détermination royale depuis 1993 à travers la construction d’un
plan d’action nationale qui vise à adapter les textes juridiques internes aux engagements
internationaux, cette adaptation provient principalement de l’intégration de la femme
dans le développement en tenant compte des mutations sociales et de la place qu’elle
occupe dans la société marocaine. Toutefois, c’est cette intégration et cette affirmation
du rôle de la femme qui a principalement contribué à opposer les deux courants
notamment traditionaliste et moderniste dans l’élaboration de la réforme du Code de la
famille de 2004, une réforme qui demeure jugée insuffisante dans le sens où elle n’a pas
pu apporter de profondes modifications en la matière. Evoquer l’intégration des principes
des droits de l’Homme dans le droit de la famille marocain c’est avant tout analyser
l’égalité des sexes au sein de la famille ainsi que les conséquences que ça engendre sur
les enfants et leur protection, ainsi ce plan d’intégration de la femme et de l’enfant a fait
face à la référence qui représente une source d’échec à l’intégration de l’ensemble des
principes en droit de la famille.
207
modernisation sociale sans pour autant donner une priorité à la place de la femme, dont le
statut personnel promulgué en 1957 en est témoin puisqu’il reflète une vision inégalitaire
entre l’homme et la femme dans la famille en maintenant une lecture stricte du droit
musulman et des règles du rite Malékite.
491. L’État a également participé à ancrer les identités du genre au sein de la société en
instaurant un pouvoir masculin dans toutes ses institutions 507. Par ailleurs, à partir des
années 1980508, la réflexion sur la question féminine a fait l’objet d’un grand progrès
puisque la majorité des écrits de cette période sont le résultat pur d’une pensée cent pour
cent féminine portée par de grandes féministes notamment Fatima MERNISSI. Cette
libération de parole sur la question féminine a permis une coupure avec le féminisme
pensé par les hommes et a ouvert la porte à une prise en considération importante à la
sensibilisation aux droits des femmes et à leur statut dans la société. Ainsi, la libération
de la parole et les nombreux écrits publiés qui ont germé de cette réflexion ont permis
une meilleure organisation et mobilisation des associations qui défendent une idéologie
de féminisme réformiste et moderne 509.
507
Rabéa NACIRI, Le mouvement des femmes au Maroc, Nouvelles questions féministes, 2014/2, vol. 33, p. 47.
508
Ces années ont connu l’apparition d’une élite féminine citadine qui investit dans les espaces publics et participe dans
le chemin de la démocratisation du pays.
509
Id, ibid, p. 52.
510
Idem., p. 53.
208
En effet, ce sont les associations féministes les plus actives à l’époque telles que l’Union
de l’action féminine, l’Association marocaine pour les droits des femmes et l’Association
démocratique des femmes au Maroc qui ont influencé l’exécution de ce plan.
Ce plan a intégré différents aspects et domaines qui concernent la femme notamment la
santé, l’intégration dans le monde de travail, l’analphabétisme ou encore la question du
statut personnel qui n’avait pas subi de réforme depuis 1993. C’est en effet, les
revendications faites au sujet du statut personnel qui a provoqué le grand débat entre
traditionnaliste et moderniste sur la suppression et la sauvegarde d’un nombre de
dispositions que chaque courant considère comme fondamentaux notamment pour les
modernistes pour qui il n’est pas question d’abandonner l’abrogation des articles
discriminatoires à l’égard de la femme.
495. Pour les traditionnalistes il est inconcevable de supprimer des dispositions qui ont
pour source directe et explicite le droit musulman ou encore celles culturellement ancrées
dans la société marocaine. Ainsi, ce projet n’a pas abouti à un compromis entre les deux
courants, ce qui a provoqué un rejet total des mesures proposées par les modernistes et
une résistance farouche de la part des traditionnalistes. Cependant, malgré le rejet, la
question d’une réforme est déjà exposée et le débat sur le statut personnel est ouvert,
chose qui permettra l’inauguration du long processus des revendications dans ce sens.
496. Le plan proposé par les modernistes expose clairement leurs revendications parmi
lesquelles, l’élévation de l’âge du mariage des filles de 15 à 18 ans, l’abolition de la
tutelle matrimoniale pour les femmes majeures, la suppression de la polygamie et la
répudiation, l’instauration d’un divorce judiciaire, le partage des biens du ménage en cas
de séparation, la création des tribunaux de la famille, la révision de la nationalité… ».
Ces revendications ont fait l’objet d’un refus catégorique par les traditionnalistes qui ont
considéré ces mesures comme une reproduction du modèle occidental, un rejet de la
religion et des traditions musulmanes et un danger pour le modèle familial marocain. Ce
rejet va être clairement argumenté par le ministère des affaires islamiques qui dans un
rapport destiné au ministère chargé de la famille va exposer les arguments incitant au
rejet notamment :
209
- Le rapport reproche également, l’emploi excessif des termes modernisation,
ouverture ou encore tolérance, ce qui reflète une vision et une volonté de
modification du modèle familial musulman.
497. La commission élaborée par le ministère des affaires religieuses souligne l’argument
religieux sur lequel se base le refus du projet, en rappelant également que le Maroc est un
pays musulman et que le Roi incarne le statut du commandeur des croyants et qu’il lui
revient la mission de mener la réforme du statut personnel; c’est ainsi que la commission
renforce et accorde un caractère légitime à son refus. Toutefois, c’est grâce à ce statut de
commandeur des croyants que le statut personnel a été réformé en 2004, une réforme qui
a intégré un nombre de revendications citées dans le plan d’action élaboré en 1998, sans
pour autant abroger les dispositions qui faisaient une référence explicite au droit
musulman.
498. Ce choix royal expose bien l’ambigüité du rôle du Roi qui représente à la fois une
fonction moderne qui lui permet de viser une société moderne suivant un modèle de
démocratisation selon les principes universels des droits de l’Homme, et une deuxième
fonction qui l’oblige à ne pas autoriser ce que ce que Dieu a prohibé et de ne pas interdire
ce qui Dieu a autorisé. Cette composition complexe du rôle du Roi indique clairement
l’ambivalence des réformes dont celle de 2004.
499. Assumant son double rôle, le Roi Mohammed VI a essayé à travers la réforme de
2004 d’exposer la possibilité d’une cohabitation entre le droit musulman et les principes
des droits de l’Homme. Cette vision est sans doute épaulée par l’islam adopté par le
royaume qui est traditionnel et évolutionnaire puisque comme nous l’avons précité, le
Maroc s’inspire du Rite Malékite qui permet une certaine souplesse dans la réflexion en
préconisant le juste milieu.
500. Suivant cette analyse, il paraît simple de déduire qu’en préservant le droit musulman
comme source maîtresse, le Maroc a souvent tendance à adhérer en partie aux
conventions internationales et plus précisément lorsque ces dernières représentent des
contradictions avec les dispositions du droit musulman. Dans ce sens, malgré que le
Maroc soit l’un des rares pays arabo-musulmans qui soit jugé d’avoir trouvé un équilibre
entre l’universel et le particulier, sa législation est toujours considérée comme
insuffisante dans la mesure où l’intégration des principes universels ne peut pas primer
sur le droit musulman.
210
Cette référence peut être jugée comme une limite et une insuffisance claire à l’intégration
et au respect des principes universels voire même à la démocratisation du pays511.
Cependant, c’est principalement à cette référence que le pouvoir marocain se légitime,
chose qui rend difficile l’abandon de cette option qui garantit au Roi de gérer le pays avec
un bras de fer.
501. Globalement, l’adhésion du Maroc aux conventions internationales peut être
considérée comme active, tenant compte du nombre des textes auxquels il adhère.
Cependant, c’est cette possibilité d’émettre des réserves qui remet en question
l’engagement du pays dans l’adoption des principes internationaux des droits de
l’Homme, et qui rend cette adhésion partielle et non totale.
Cette analyse se prouve également par la référence principalement du pays, qui est celle
de la constitution marocaine qui malgré sa réforme en 2011, demeure silencieuse à
l’égard de cette question. En effet, les dispositions qui traitent des rapports entre les
engagements internationaux et le droit interne reflètent bien l’esprit du texte en la
matière, ainsi à partir du préambule, la constitution marocaine précise que la prise en
considération de ses engagements internationaux reste conditionnée par le respect de son
identité nationale et de sa législation et droit interne.
502. En d’autres termes, la constitution marocaine n’affirme en aucun cas la primauté des
textes internationaux sur le droit interne, chose confirmée par d’autres articles notamment
les articles 19 et 24 du même texte. Ce dernier va même plus loin en précisant que les
dispositions d’un texte international ne peuvent exister sans qu’elles soient passées par la
loi interne du pays.
D’autre part, ces dispositions constitutionnelles ont également fait l’objet d’une grande
divergence entre les partis politiques, qui se sont divisés entre des réformistes partisans
du changement qui souhaitent une intégration complète des principes internationaux
auxquels le pays a adhéré, et les partis traditionnalistes qui souhaitent sauvegarder ces
dispositions qu’ils jugent protectrices de la spécificité religieuse et culturelle du pays 512.
503. De cette spécificité marocaine, nombreux sont les sujets concernés par les limites
que peut représenter la religion face à une adoption et intégration complète des principes
des droits de l’Homme tel qu’ils sont reconnus au niveau international. En effet, la liberté
de croyance et de religion représente un pilier dans cette limite, qui concerne tous les
membres de la société et qui se répercute au sein de la famille d’une façon fondamentale,
dans la construction de cette dernière et dans sa protection et sa continuité selon la
conception musulmane de la famille.
511
Dans ce sens, l’organisation marocaine des droits de l’homme considère ces réserves comme un outil à travers
lequel le Maroc s’est permis de garder une lecture rétrograde de la charia et une refonte du statut personnel sur la base
des dispositions de la convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes et des
valeurs de dignité, de justice, d’égalité entre les êtres humains, consacrées par la religion islamique.
512
La position du texte constitutionnel est jugée par le professeur Abdellah SAAF comme une résistance au sein de
l’appareil etatique dont il ne faut pas sous-estimer la volonté de bloquer tout changement qui représente des risques à
leur conception des droits et des libertés. Disponible sur : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/166564-nouvelle-
constitution-marocaine-suffisante-pour-sortir-de-la-crise.html.
211
Ainsi, cet élément bouleverse également la conception des droits de l’enfant et le principe
de son intérêt supérieur qui peut être retardé ou abandonné face à la primauté de la
religion.
Cependant, dès l’adoption du texte international par les États, cette disposition a fait
l’objet d’une grande problématique et d’une limite à une adoption complète du texte,
puisqu’un grand nombre de pays ont exprimé leurs réserves à l’égard de cet article, voire
même à la philosophie générale du texte; cette abstention ou ce refus étant basés sur de
différents arguments qui sont soit idéologiques soit historiques ou religieux. En effet,
c’est cette dernière qui nous intéresse puisque le Maroc fait partie de ces pays qui ont mis
une réserve sur l’article 18 de ce texte malgré tous les efforts qu’il démontre à travers les
réformes menées qui visent la démocratisation et la modernisation du pays. Par ailleurs,
avant de se pencher sur la question de la liberté de religion et de conscience au Maroc, il
semble important de définir cette liberté dans la religion musulmane elle-même, et de
définir les divergences qui l’entourent afin de comprendre la position de la majorité des
pays arabo-musulmans, dont le Maroc, à l’égard de cet article.
505. Avant toute analyse, il est important de faire la différence entre trois notions qui
peuvent sembler similaires mais qui englobent quelques différenciations et qui permettent
de comprendre le fond et l’esprit de l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de
l’Homme. Ainsi, la liberté de religion se définit par le droit de chaque individu de choisir
ou de pratiquer une religion donnée. La liberté de conscience quant à elle renvoie une
conception plus large et comporte à la fois la liberté de pratiquer, de changer ou de
n’avoir aucune religion. Quant à la liberté de pensée, elle peut être définie selon Jean
BEAUBEROT comme étant la notion qui attribue à chaque personne les instruments
intellectuels qui lui permettent de faire un choix libre et personnel de conscience, de
religion ou encore de conviction513. Ces définitions reflètent bien l’esprit du texte
international, et de ses principes de liberté. En revanche, c’est en se basant sur ces
définitions que les pays arabo-musulmans ont émis des réserves malgré le fait qu’ils
insistent sur la cohérence entre les principes des droits de l’Homme et ceux du droit
musulman; c’est en effet, ce dernier qui représente la base de la limite énoncée dans cet
article.
513
Jean BAUBÉROT, Conscience et liberté, n° 54, 1997, p. 70, cité in Abderrazak SAYADI, L’islam face à la liberté
de conscience, Etude 2011/5, Tome 414, p. 634.
212
506. Les arguments avancés par les pays arabo-musulmans tels que le Maroc dans
l’objectif de définir ce que c’est la liberté de religion et de conscience puisent leur source
dans la lecture du texte coranique et de la sunna. Cependant, cette lecture religieuse qui
concerne cette question diverge d’une école à une autre et dépend des interprétations qui
y sont attribuées et qui peuvent être modérées ou rigoristes des sources fondamentales sur
lesquelles se base la réflexion du rejet de la liberté de religion et de conscience.
507. La lecture des textes fondamentaux de la religion musulmane qui sont le Coran et
Sunna, ont toujours fait débat sur leur interprétation entre une lecture fondamentaliste qui
prend les textes à la lettre et les considère comme une source légitime pour tous les temps
et tous les lieux, puis celle plus modérée qui prend en considération le contexte historique
des textes et qui permet une lecture plus moderne adaptée aux sociétés musulmanes
actuelles. En ce qui concerne la première théorie, elle se base sur un contexte politique et
historique qui a forcé la fermeture des portes d’interprétation et de modernisation en
adoptant des outils comme le consensus ou l’effort de réflexion (Ijtihad) et d’adopter un
mode de lecture fondamentaliste du texte coranique et de la Sunna à des fins
principalement politiques, une vision qui a été adoptée par de nombreux califes afin de
légitimer leur statut et leurs décisions. L’adoption de cette théorie n’est pas naïve,
puisqu’elle se base sur un raisonnement fondé et justifié par une interprétation de parole
de Dieu et de son prophète. En effet, l’adoption de cette théorie fait appel à des textes
précis qui peuvent clairement appuyer cette vision avec des versets explicites qui
approuvent cette lecture notamment :
- « Nous n’avons rien omis dans ce livre », une référence qui permet de considérer
que le texte coranique est la seule référence de tout musulman et qu’il répond à
toutes les questions même celles provoquées par le monde moderne.
- Une référence considérée également comme solide est celle de la parole du
prophète dans laquelle il évoque la place du coran et de la sunna en précisant :
« Je vous laisse le Coran et la Sunna de son prophète, grâce à quoi, si vous êtes
fidèles, vous éviterez à jamais de vous égarer ».
- La référence du Calife Omar qui évoque également le recours au Coran et à la
Sunna qui suffisent afin de répondre à toutes les questions qui concernent un
musulman.
Ces références considérées comme solides par les Oulémas qui adoptent une lecture
fondamentaliste des textes religieux, affirment les obstacles face auxquels les réformistes
ou les modernistes peuvent faire face dans toutes les questions qui demandent
aujourd’hui un effort d’interprétation et d’adaptation au monde actuel514.
508. Cette vision renvoie à un refus total des textes internationaux en considérant qu’un
texte fait par l’être humain ne peut en aucun cas rivaliser la parole de Dieu. Toutefois,
c’est cette rivalité créée par les fondamentalistes qui affirme la problématique des
dispositions de la déclaration universelle des droits de l’Homme dont celle qui concerne
la liberté individuelle et plus précisément celle de la liberté de religion et de conscience.
514
Abderrazak SAYADI, L’islam face à la liberté de conscience, Etude 2011/5, Tome 414, p. 648.
213
C’est en effet, cette lecture confusionnelle entre les textes sacrés et ceux des droits de
l’Homme qui pose problème en matière de liberté religieuse et c’est bien à cette
problématique qu’une lecture plus modérée s’impose et se voit privilégiée afin d’accepter
les textes internationaux et ’de leur accorder une valeur au sein des sociétés qui
souhaitent intégrer les principes des droits de l’Homme au sein de leurs législations.
509. La deuxième lecture qui peut être adoptée par les pays arabo-musulmans et qui
permet l’adoption d’un équilibre entre les deux sources afin de permettre la garantie de
cette liberté demeure également possible. En effet, le Coran permet à travers un grand
nombre de versets l’adoption d’un principe de liberté et de tolérance et par suite n’impose
pas la religion musulmane à chaque être humain. Ces références sont bien nombreuses et
nous pouvons citer à titre d’exemple :
- Dieu dit dans la Sourate II (La vache) Verset 256 ‘Nulle contrainte en religion !
Car le bon chemin s’est distingué de l’égarement’.
- Dieu dit dans la Sourate XVIII (La caverne) Verset 29 ‘La vérité émane de votre
Seigneur’. Quiconque le veut, qu’il croie et quiconque le veut qu’il mécroie’.
- Dieu rappelle son prophète à de nombreuses reprises notamment dans la Sourate
(L’enveloppante) Verset 21 : ‘Remémore donc! Tu n’es rien d’autre en effet
qu’un remémorateur. Tu n’es investi d’aucun pouvoir de contrainte sur eux’.
Ou encore des versets qui évoquent la relation que doit entretenir un musulman avec les
juifs et les chrétiens dans un cadre de respect et de tolérance. Nous en citons les suivants :
- Dieu dit dans la Sourate II (La vache) Verset 62 ‘Ceux qui croient, ceux qui
pratiquent le judaïsme, ceux qui sont chrétiens ou sabéens, ceux qui croient en
Dieu et au dernier jour, ceux qui font le bien : voilà ceux qui trouvent leur
récompense auprès de leur Seigneur. Ils n’éprouveront alors aucune crainte, ils ne
seront pas affligés’.
- Dieu dit dans la Sourate V (La table) Verset 82 ‘Tu constateras que les Hommes
les plus proches des croyants par l’amitié sont ceux qui disent : oui, nous sommes
chrétiens !’.
En outre, la parole du prophète vient affirmer cette lecture à de nombreuses reprises
notamment lorsque le prophète précise dans un hadith « Celui qui inflige un dommage à
un protégé (chrétien ou juif) je serai, moi son ennemi, et je lui chercherai querelle au
jour du grand jugement »515.
510. En se référant à ces sources fondamentales de la religion musulmane, il semble
facile d’adopter une lecture moderniste qui permet une possibilité de lecture de texte
coranique en cohérence avec la Déclaration universelle des droits de l’Homme516.
515
Ibid.
516
Il est important de préciser que d’autres textes peuvent apparaître moins tolérants puisqu’il faut les remettre dans
leur contexte de base qui est souvent un contexte de guerre.
214
Cependant, c’est la lecture rigoriste de ces textes fondamentaux qui prône aujourd’hui
dans le monde arabo-musulman. Elle a même permis le recours à des hadiths inventés
dans ce sens et à des traditions acceptant de verrouiller n’importe quelle réflexion ou
lecture moderne des mêmes textes qui représentent la source principale. Toutefois, la
problématique de la liberté religieuse et de conscience ne semble pas être si récente,
puisque ce débat avait déjà opposé deux écoles, l’école Mu’tazilite 517et l’école
Acharite518.
513. La mise en place de ces règles est le résultat d’un contexte historique. En effet, juste
après le décès du prophète Mohammad, la désignation d’un nouveau chef ou calife a créé
un grand conflit de légitimité du choix de ce dernier. Ce conflit de légitimité a opposé le
choix entre un des califes et un descendant du prophète.
517
Est une école de théologie musulmane qui date du huitième siècle qui adopte le raisonnement, la logique et tous les
outils qui permettent d’harmoniser ces derniers avec la foi islamique.
518
Est une école de théologie musulmane fondée par un descendant d’un compagnon du prophète Mohammed; cette
école considérée comme traditionnaliste contredit toute thèse qui défend la liberté de l’homme de par ses actions mais
que c’est Dieu qui a souhaité que ces derniers soient bons ou mauvais, ou encore la thèse qui considère que la Coran est
créé.
519
Abderrazak SAYADI, op. cit., p. 650.
215
Cette opposition sur le pouvoir politique a créé un doute entre les fidèles sur la religion
elle-même ce qui a poussé certains d’entre eux à vouloir quitter la religion musulmane.
514. Ainsi, l’absence de règles coraniques explicites sur la question de la liberté
religieuse chez les musulmans que les califes vont mettre en place ces infractions afin de
protéger la communauté musulmane ou comme le précise le spécialiste François PAUL-
BLANC « des constructions post-coraniques qui sont destinées à la protection de l’ordre
public islamique dans la cité islamique »520.Par conséquent, c’est sur cet argument
d’ordre public que se base la majorité des pays arabo-musulmans afin de défendre leur
spécificité à l’égard de cette question de la liberté de conscience.
515. Parmi ces pays qui revendiquent cette spécificité, il y a le Maroc. En effet, ce dernier
a adopté un choix clair en matière de liberté religieuse, un choix qui demeure critiqué par
les défenseurs des droits de l’Homme puisqu’il est fondé sur les principes de l’école
sunnite Malékite qui adopte une lecture assez stricte en ce qui concerne cette liberté.
516. La constitution Marocaine est le texte référentiel qui permet la réglementation et
l’encadrement du champ religieux. Ce dernier est administré par le Roi en sa qualité de
commandeur des croyants, un statut qui permet à ce dernier de veiller au respect de
l’islam et à la protection de toutes les croyances monothéistes. Le texte constitutionnel
n’a pas connu de nombreuses réformes à travers l’histoire 521qui modifient le champ
religieux qui a toujours fait l’objet d’une prise en considération stricte de la part de la
monarchie. En effet, toutes les constitutions marocaines depuis l’indépendance
garantissent et consacrent le libre exercice de culte, une liberté consacrée notamment par
l’ancien texte de 1996 à travers son article 6. Cette même disposition a été confirmée
dans l’article 3de la Constitution de 2011 qui dispose que « L’islam est la religion de
l’Etat, qui garantit à tous le libre exercice des cultes ».
517. Toutefois, cette disposition est considérée comme très timide voire muette face aux
exigences et aux engagements du pays à l’égard des conventions internationales. Bien
que l’Etat garantisse ce libre exercice de culte, ce dernier demeure limité par les
conditions ainsi que par les ambiguïtés qui entourent cette liberté, découlant de la simple
absence des frontières entre la liberté religieuse, la conscience et la liberté des cultes 522,
Cette difficulté, selon Mme Houria ESSLAMI membre du conseil national des droits de
l’Homme, est due « au flou qui persiste encore dans cette nouvelle constitution entre
Etat civil et Etat religieux, entre liberté de pensée et de croyance, entre primauté des
conventions internationales et constantes du pays ou encore le droit à la vie et la
nonabrogation de la peine de mort »523 ce qui met en place une constitution passible à
toute interprétation.
520
François PAUL-BLANC, Le blasphème en droit musulman malékite, in Religion, Eglises et droit, textes réunis et
publiés par Gilles BOLLENOT, Publications de l’université de saint Etienne, 1999, p. 243.
521
Le Maroc a connu cinq constitutions officielles, dont quatre sous le règne du Roi Hassan II en 1962, 1970, 1972,
1992, 1996 et enfin celle sous le règne du Roi Mohammed VI en 2011.
522.
Abderrahim EL MASLOUHI, Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009), ed KARTHALA, 2010, p42.
523
Hicham HOUDAIFA, liberté de conscience : Le Maroc face à ses contradictions, publié le 16/02/2012 sur :
www.lavieeco.com
216
518. Ces contradictions se manifestent principalement par les sanctions prévues dans le
Code pénal pour tout ce qui concerne cette liberté. En effet, le Code pénal marocain
englobe un nombre de dispositions qui réglementent le champ religieux, et répriment des
infractions portant atteinte à la liberté d’exercer un culte ou encore à celle de la liberté de
religion.
La première référence est celle de l’article 220 qui prévoit une peine d’emprisonnement
de six à trois ans et une amende de 100 à 500 dirhams à « toute personne qui emploie des
moyens de séduction dans le but d’ébranler la foi d’un musulman ou de le convertir à une
autre religion, soit en exploitant sa faiblesse ou ses besoins, soit en utilisant à ces fins des
établissements d’enseignement, de santé, des asiles ou des orphelinats ». Cette
disposition vise un ordre général à protéger la religion musulmane et le musulman mais
elle a toujours fait l’objet d’une application stricte par les juges qui considéraient que tout
comportement étrange ou contraire à la religion musulmane doit rester caché et d’ordre
privé. Puis, il y a l’article 222 qui punit toute personne « connue pour son appartenance à
la religion musulmane et qui rompt ostensiblement le jeune dans un lieu public pendant
le temps du ramadan, sans motif admis par cette religion ».
519. Ces dispositions reflètent bien les contradictions qu’englobent les textes marocains
qui traitent de la liberté religieuse entre une constitution qui laisse apparaître des
garanties à une liberté de conscience et un code pénal qui implique des atteintes à cette
même liberté en mettant en péril les efforts menés par le pays dans l’objectif de
moderniser son arsenal juridique afin qu’il réponde aux exigences des textes
internationaux.
520. Dans le même ordre d’idées, il est important de souligner l’impact de la politique sur
l’instauration de ces limites et de leurs contradictions. En effet, depuis le printemps arabe
et l’engagement du Roi du Maroc dans la réforme de la constitution, l’élection du parti
politique du PJD524 semble freiner cette avancée en mettant la pression sur de nombreuses
questions qui pouvaient être réformées dans le texte constitutionnel.
521. Ainsi, nombreuses sont les dispositions abandonnées dans ce contexte notamment
celle de l’article 3 qui a mentionné que « l’islam demeure la religion de l’Etat, mais la
liberté de croyance est garantie par la loi », une disposition qui a fait face aux
conservateurs dont le parti du PJD, un texte qui a cédé à cette pression en abandonnant ‘la
garantie de croyance par la loi’. Cette résistance des conservateurs persiste encore
aujourd’hui en s’opposant à tout assouplissement sur les dispositions qui visent la
religion musulmane représentant selon eux l’identité de la société marocaine.
524
Parti de la justice et du développement, est un parti politique de droite qui adopte une idéologie islamiste jugée de
modérée.
217
C’est ainsi que l’ancien ministre de la justice Moustapha RAMID le considère en
affirmant dans un entretien accordé à un journal populaire au Maroc que « la liberté de
conscience ne constitue pas pour l’Etat une menace à court terme (…) mais c’est
certainement un danger à long terme, en affirmant que la loi marocaine ne punit pas
l’apostasie »525.
522. Ce conservatisme se prolonge encore dans le projet de réforme du Code pénal qui
prévoit l’intégration « d’une peine d’emprisonnement d’un an à cinq ans contre
quiconque coupable d’ébranler, d’offenser ou d’insulter Dieu et les prophètes de
quelque manière que ce soit », une disposition jugée par les réformistes comme un recul
et une atteinte à la liberté de pensée, de religion et de conscience. Cette limite de liberté
n’apparaît pas seulement dans un cadre général de la société mais elle peut toucher
d’autres institutions d’ordre privé notamment la famille où les droits de chaque membre
sont protégés au sein de cette dernière. Nous citons à titre d’exemple la protection des
droits de l’enfant et de son intérêt supérieure face aux limites religieuses au sein d’un
modèle familial traditionnel qui impose une série de questions permettant une fois
analysées de savoir où se place la liberté religieuse de l’enfant dans la religion
musulmane. A quelle limite le code de la famille marocain répond aux exigences de la
convention internationale des droits de l’enfant en matière de liberté religieuse. Et à quel
point le législateur marocain accorde cette liberté de conscience à l’enfant afin de
protéger son intérêt supérieur.
523. La réponse à ces questions, principalement liée à une limite spécifique par laquelle
se caractérisent les pays arabo-musulmans dont le Maroc, est celle de la religion et plus
précisément du principe de la liberté et de l’identité religieuse de l’enfant. En effet, il
semble difficile d’évoquer ce principe au sein d’un pays qui malgré son engagement
envers les principes universels des droits de l’Homme, considère encore aujourd’hui le
droit musulman comme une source et une référence principale pour un nombre de ses
législations, qui comme nous l’avons montré précédemment, se heurtent dans toutes les
affaires administrées par ce dernier.
524. Connaissant ces difficultés auxquelles les législations marocaines peuvent être
confrontées par rapport à la question de la liberté religieuse de l’enfant, le Maroc a fait le
choix comme de nombreux pays arabo-musulmans de mettre une réserve sur l’article 14
de la CIDE qui dispose dans son alinéa 1 que « les Etats parties respectent le droit de
l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion ». En effet, le Maroc se
trouvait devant l’obligation de mettre cette réserve et de ne pas adhérer à cette disposition
qui renvoie à une vision contraire du droit musulman, puisque ce dernier n’accorde pas
aux adultes le choix de cette liberté et les oblige à transmettre à leurs enfants une
éducation religieuse et à garantir t la continuité de la communauté musulmane.
525
L’ancien ministre de la justice évoque une affaire qui date de 2014 qui concerne une personne convertit au
christianisme et qui a été condamné en première instance à trente mois de prison pour prosélytisme, un jugement annulé
par le juge de la cour d’appel de Fès.
218
Par ailleurs, dans le monde d’aujourd’hui et face au mouvement et à l’évolution de la
société, il est difficile de vouloir préserver ces règles, qui créent aujourd’hui un nombre
de situations délicates ne répondant pas aux principes des droits de l’Homme dont la
liberté religieuse, ni à la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant en la matière.
525. Reprendre le principe de l’article 14 de la CIDE dans la législation marocaine est
jugé difficile pour différentes raisons. Nous citons la référence religieuse de l’Etat qui
est confirmée dans la constitution et la conservation des principes du droit musulman
dans le droit de la famille. Ainsi, que ce soit pour l’Etat ou la famille, la religion
musulmane est reconnue comme la référence principale et légitime pour régir toutes les
affaires qui concernent l’enfant.
Dans ce sens, l’adoption d’une vision occidentale, permettant à l’enfant une éducation
neutre et le préparant à choisir librement une religion autre que l’islam, semble être
contraire à tous les principes du droit musulman qui impose une vision se basant sur le
principe de transmission religieuse et faisant de l’enfant une personne dépendante de ses
parents qui eux en tant que musulmans justes et non-égarés doivent répondre au droit de
l’enfant de recevoir une éducation religieuse selon les préceptes de la religion musulmane
afin de garantir la continuité de la communauté.
526. Avant d’analyser la liberté religieuse au sein de la famille et le cadre de sa prise en
considération et son intégration, il semble judicieux de faire référence aux textes
régionaux qui avaient pour objectif d’accorder et d’affirmer la spécificité de l’enfant dans
les sociétés musulmanes. Nombreuses sont les chartes qui traitent la question de la liberté
religieuse de l’enfant, notamment la Déclaration de Casablanca sur les droits et la
protection de l’enfant dans le monde islamique et le convenant des droits de l’enfant en
islam526.
527. Ce texte traite tout un ensemble de questions qui concernent l’enfant dans les
sociétés musulmanes notamment celle de sa liberté de religion. L’article 8 de la
déclaration reprend clairement la divergence existante dans le droit musulman en
précisant deux éléments contraires qui disposent que :
« tout en garantissant la liberté de l’Homme d’embrasser librement et en dehors de toute
contrainte, la religion de son choix, l’islam interdit au musulman d’abjurer sa religion
qui est le sceau de toutes les révélations célestes. En conséquence la société musulmane
s’engage à sauvegarder la pérennité de la Fitra (disposition naturelle immaculée) et de
la Foi de ses enfants et à les protéger contre les tentatives visant à leur faire renier leur
religion musulmane ».
526
Cette déclaration est adoptée pat le septième sommet islamique tenu à Casablanca tenu du 13 au 15 décembre 1994.
219
Puis s'ajoute le covenant des droits de l’enfant en islam élaboré en 2005 au Yémen 527 qui
confirme les principes de fond déclarés par la Déclaration de Casablanca en précisant que
cette convention vient assurer l’ensemble des droits de l’enfant dans le cadre du droit
musulman et de la charia tout en protégeant les enfants issus d’autres religions 528.
528. Ces textes viennent réaffirmer l’aspect à travers lequel un pays comme le Maroc
gère la question de la liberté religieuse de l’enfant, une vision traditionnelle qui ne
répond en aucun cas aux critères tracés par la CIDE. De plus, ces mêmes textes viennent
exposer d’une façon directe ou indirecte la place qu’occupe l’enfant au sein de la société
musulmane et au sein de la famille plus précisément, tout en reprenant les dispositions
principales de la charia.
529. Ainsi, nombreuses sont les dispositions qui contredisent ces proclamés précisément
ceux de l’article 18 de la Convention internationale des droits de l’homme et de l’article
14 de la CIDE. En effet, le texte du covenant des droits de l’enfant en islam fait référence
à la liberté de l’enfant d’exprimer son opinion dans toutes les affaires qui le concerne par
tout moyen possible sans pour autant que ça soit opposé aux règles de la charia ; le texte
évoque également le respect de la vie privée de l’enfant, à condition qu’elle soit sous
l’autorité des parents qui doivent exercer un contrôle responsable découlant des règles de
la charia. Le texte insiste également sur l’éducation religieuse qui doit être assurée par les
parents et qui doit viser le développement de la personnalité de l’enfant en lui assurant la
transmission « des valeurs religieuses et morales et le sens de citoyenneté et de solidarité
islamique » et en refusant tous les moyens qui peuvent participer à détourner l’enfant de
sa religion.
530. Un autre texte traite également de l’enfant dans le monde musulman est la
Déclaration de Rabat sur l’enfance dans le monde islamique datant de 2005. Ce texte est
considéré comme évolutif puisqu’il intègre un nombre de principes de la CIDE
notamment le principe de la non-discrimination et l’intérêt supérieur de l’enfant ou
encore son droit à la participation et au développement. En revanche, malgré que ce texte
paraisse s’allier à la CIDE, il a néanmoins précisé dans la majorité de ses dispositions la
référence principale qui demeure la charia et le rôle des Etats et des familles de veiller à
la promotion de la culture, du patrimoine et des valeurs islamiques. Ainsi le Maroc, étant
un pays qui adhère à la fois aux conventions internationales comme la DUDH et la CIDE
et aux conventions spécifiques aux pays musulmans, se trouve constamment face aux
contradictions au niveau de son droit interne puisqu’il est difficile d’adopter et d’intégrer
deux visions de droit et de liberté.
527
Le 22 Aout 2019, le Maroc a adhéré à ce pacte, une adhésion jugée d’inacceptable et de grave par l’ensemble de la
société civile œuvrant dans la protection de l’enfance. Notamment l’association Bayti considère que « cette adhésion
aura des conséquences graves non seulement sur les droits de l’enfant dans notre pays, mais sur les droits de l’homme
de manière générale, ce qui remet en cause l’adhésion du Maroc à même la CIDE et à son universalité ». Ce texte pose
de nombreuses problématiques par rapport à la CIDE, notamment par l’imprécision de l’âge adulte (ART 1) ou encore
de par l’article 12 qui souligne le droit de l’enfant de s’habiller conformément à ses convictions religieuses islamiques.
Il importe également de préciser que l’élaboration de ce pacte s’est faite en 2005, c’est-à-dire depuis 15ans ce qui sous-
entend que le texte n’est plus d’actualité puisque le pays a déjà parcouru un long chemin d’évolution.
528
Salim DACCACHE, Quelle liberté religieuse de l’enfant dans la religion musulmane ?, éd. C.N.R.S, Société, droit
et religion, p253.
220
531. Cette difficulté est constatée principalement au sein de cette institution dans le droit
de la famille et dans la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle se
trouve partagée entre deux philosophies qui divergent sur des principes de base
notamment celle de la liberté religieuse de l’enfant. Le législateur marocain a été vite
confronté à ces contradictions qui limitent clairement la prise en considération de la
liberté religieuse de l’enfant. Malgré sa réforme en 2004, le Code de la famille a conservé
la majorité des dispositions qui préservent la garantie et la transmission des principes
religieux en la matière. Ainsi, le législateur a privilégié la source religieuse sur celle de
la CIDE en différentes matières présentées comme suit : La filiation, l’enfant abandonné,
la Kafala, la garde ou encore la succession.
Le texte évoque également l’exigence religieuse des deux parents ou d’une femme seule
qui souhaitent prendre en charge un enfant abandonné et c’est dans ce sens que les
enquêtes menées sur les personnes désirant s’engager dans une procédure de Kafala sont
menées principalement par « Nadir des habous et des affaires islamiques »529.
533. De plus, la question de la religion semble être primordiale également quand il s’agit
du droit de la garde de l’enfant dont le code de la famille n’a pas apporté de réponse où
la divergence demeure d’actualité puisque les avis se divisent en deux. D’un côté des
modernistes qui défendent le droit de garde selon la prise en considération de l’intérêt
supérieur de l’enfant, et de l’autre des auteurs qui conditionnent la garde par
l’islamisation du parent qui l’exerce, en affirmant qu’il est inacceptable qu’un non
musulman s’occupe d’un enfant jugé dès sa naissance de musulman.
534. Par ailleurs, cette divergence apparaît également entre les écoles puisque les
Hanafites et certains jurisconsultes des Malékites reconnaissent ce droit à la mère non
musulmane puisque la garde finit à la fin de l’allaitement maternelle. En revanche, le
législateur marocain affirme à travers l’article 173 alinéa 3 du code de la famille,
l’importance de la sphère religieuse en intégrant une condition principale qui est « la
capacité d’élever l’enfant sous garde, d’assurer sa sauvegarde et sa protection sur les
plans religieux, physique et moral et de veiller sur sa scolarité ».
529
Mustapha ZARROUKI, L’intérêt supérieur de l’enfant en droit familial marocain, éd, s.n, 2012.
221
535. Cependant, cette condition n’oblige pas la femme d’être de confession musulmane
mais lui autorise le droit de la garde à condition qu’elle soit des gens du livre et qu’elle
n’influence pas l’enfant à adopter une religion autre que l’islam. Ceci est évoqué par
l’article 235 du même texte qui précise que « le représentant légal veille sur les affaires
personnelles de l’interdit, en lui assurant une orientation religieuse et une formation et
en le préparant à s’assumer dans la vie… ». Ainsi, dans une vision plutôt ,moderniste, le
législateur n’évoque en aucun cas la condition de l’islamisation du tuteur qui représente
une règle principale dans le droit musulman, et conditionne la garde seulement en
garantissant à l’enfant une éducation et une appartenance à la religion musulmane.
537. Comme le démontre l’analyse, l’intégration d’un principe aussi moderne comme
celui de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le Code de la famille marocain fait face à la
limite de la religion qui représente la référence principale de ce texte Ceci a été
expliqué dans les parties antérieures. En effet, la définition de l’enfant ou encore de son
intérêt ne semble pas être identique pour le droit musulman et le droit international
évoqué dans la CIDE. En revanche, il est important de souligner l’effort émis par l’Etat
marocain dans l’intégration de ce principe au sein de ses différentes législations; le droit
de la famille semble être une spécificité à cette intégration. La limite religieuse ne semble
pas être l’unique élément évoqué par les rapports des ONG et du comité des droits de
l’enfant, d’autres éléments participent aussi de manière directe ou indirecte à une
intégration parfaite du principe notamment les manquements du rôle de l’Etat et son
organisation à travers l’ensemble de ses institutions, ainsi que l’absence des réformes qui
visent la prise en considération de l’intérêt de l’enfant.
222
Section 2 : L’intérêt supérieur de l’enfant confronté à une organisation imparfaite
de l’Etat.
538. L’article 2 de la Convention internationale des droits de l’enfant dispose que « les
Etats parties s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente
convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction (…) Les Etats
parties prennent toutes les mesures appropriées pour que l’enfant soit effectivement
protégé (…) ». C’est en effet cette référence qui représente le repère principal de l’Etat et
de la société civile dans leur objectif de réaliser l’intégration et le respect des droits de
l’enfant au sein de leur législation et par la pratique sur leur territoire. Ainsi, c’est sur
cette référence que le Maroc s’est engagé afin de réaliser de nombreuses avancées en la
matière. Cependant malgré le fait que les efforts émis par le Maroc semblent être
considérables, il importe de souligner qu’il est encore loin de répondre aux exigences des
textes internationaux qui visent la protection des droits de l’enfant, un retard dû à des
conditions principalement sociales et économiques qui ont mis l’Etat dans l’incapacité
d’assumer toute sa responsabilité à l’égard de cette protection.
539. Une situation qui a provoqué la réaction d’autres acteurs de la société civile qui se
sont penchés et se sont engagés sur cette question afin de remplir le vide laissé par l’Etat
en la matière; d’ailleurs c’est le désengagement de cette dernière qui a permis le
développement et la multiplication des actions associatives dans ce domaine. Cependant,
le rôle joué par la société civile aujourd’hui n’a pas connu un acheminement facile
puisqu’il a fallu défendre la philosophie d’un rôle considéré comme risqué pour les
pouvoirs en place en s’appropriant une tâche que ce dernier est sensé assumer, une
difficulté qui se manifeste principalement pour les Etats en voie de développement tels
que le Maroc. C’est dans ce cadre qu’il semble important de comprendre la place
accordée par l’Etat à cet Etat civil et de la liberté qui lui est accordée dans ce sens avant
d’analyser les limites auxquelles elle fait face et qui participent d’une manière directe ou
indirecte à des résultats insuffisants dans les tâches qui lui sont attribuées (Paragraphe 1).
223
Paragraphe1 : La société civile, un principe récent au Maroc.
541. La société civile530 est un concept qui peut être considéré comme assez récent au
Maroc, puisque ce n’est que depuis la fin des années 1980 que les organisations non
gouvernementales ont connu un accroissement exceptionnel. A partir de cette période,
l’Etat marocain s’est engagé à suivre l’évolution de ce phénomène étranger qui s’est
fortement implanté au sein de la société avec des associations qui œuvrent dans différents
domaines et qui font « un état de chiffres qui vont de 35000 à plus de 60000
associations »531, le rôle de ces associations s’est avéré primordial dans le projet mené
par l’Etat depuis son indépendance et qui vise la modernisation et la démocratisation du
pays.
542. C’est dans ce cadre que le pays s’est engagé dans l’élaboration d’un rapport positif
avec les associations afin qu’elles soient un élément de contribution dans le projet de
modernisation mené par l’Etat. En revanche, cette contribution connaît diverses limites
qui sont dues avant tout à l’élaboration du concept lui-même d’une manière générale et
qui fait la distinction entre « une société civile en soi et une société civile pour soi qui
permet de comprendre les groupes autonomes de types communautaires ou sociaux qui
opèrent sur les marges de l’espace étatique ou se substituent à lui pour prendre en
charge des fonctions de représentation, de défense d’intérêt ou de délivrance de services,
indépendamment d’un projet de démocratisation ou de toute intention de changement
politique »532 ; cette distinction permet d’apporter une clarification à la vision adoptée par
le Maroc, qui lui connaît des limites dues au choix réalisé par l’Etat en la matière
notamment par rapport au système politique spécifique mis en place par la monarchie
dont l’objectif principal demeure celui de protéger le pouvoir en place, puis des
difficultés d’ordres socio-économiques ou encore idéologiques, des éléments qui
représentent des limites avérées à une participation concrète et dynamique des
associations dans le champs réformiste du pays. Ainsi, avant de s’intéresser à la
spécificité des associations œuvrant pour les droits de l’enfant au Maroc, il semble
judicieux d’exposer l’acheminement de l’élaboration et de l’évolution du concept des
associations au Maroc.
530
La société civile se définit par l’Unesco comme suit : « une auto-organisation de la société en dehors des cadres
étatiques et commerciaux, c’est-à-dire un ensemble d’organisations ou de groupes constitués de façon plus ou moins
formelle et qui n’appartiennent ni à la sphère gouvernementale ni à la sphère économique. Puis la définition attribuée
par le livre blanc de la gouvernance de l’union européenne est : La société civile regroupe notamment les organisations
de base, les organisations qui impliquent les citoyens dans la vie locale et municipale, avec une contribution spécifique
des églises et communautés religieuses ».
531
Mohammed TOZY, La société civile entre transition démocratique et consolidation autoritaire : le cas du Maroc, in
les sociétés civiles dans le monde musulman, sous la dir de Anna BOZZO, Pierre jean luizard, 2011, coll TAP/ islam et
société, éd, La découverte p 249 et s.
532
Mohammed TOZY, id, ibid., p. 251.
224
A-Société civile, un concept en évolution au Maroc.
543. Comprendre le concept de la société civile au Maroc est un renvoi aux éléments qui
permettent la définition de la société civile en général. En effet, cette dernière peut être
perçue de différentes manières ; d’abord sa prise en considération comme étant un facteur
d’évolution qui permet à l’Etat d’assurer le chemin vers la démocratisation, puis comme
un facteur de soutien pour les Etats dans son objectif réformiste et enfin elle représente
une alternative à l’Etat, des rôles qui peuvent également être combinés afin de répondre à
une certaine spécificité étatique ; ainsi, pour l’émergence de la société civile au Maroc,
qui s’est basée sur un contexte politique absolu, qui s’est lancé depuis l’époque du
protectorat. Ce dernier a permis l’installation d’un nombre d’organisations urbaines
fondées sur des mouvements indépendantistes basés sur l’émergence d’un nationalisme
qui s’est organisé autour d’un travail associatif malgré l’opposition du pouvoir colonial
en place. Dans un premier temps, les actions principales de ces associations se sont
focalisées sur des activités socio-éducatives en insistant sur l’enseignement, l’art, la
culture ou encore l’assistance.
544. A partir de l’indépendance, le Maroc a organisé le domaine et la liberté
d’association en s’inspirant de la loi française régissant les associations promulguées en
1901. Dans un premier temps, le Maroc a mis en place en 1958 une loi relative aux
libertés publiques, considérée à l’époque comme libérale attribuant une grande liberté au
sens occidental aux associations. Cependant, cette liberté va connaître une limite
considérable due au contexte politique de l’époque qui oblige le pouvoir en place de
mettre des restrictions considérables en 1973 suite aux coups d’Etat des années 1970 533 ;
un climat politique qui va mettre en place un contrôle strict à toute association de
personnes de par la loi du 10 Avril 1973 qui dispose à titre d’exemple dans son article 5
que « toute association devra faire l’objet d’une déclaration préalable au siège de
l’autorité administrative locale (Caid ou pacha) et au procureur du Roi près le tribunal
régional de la circonscription judiciaire. Cette déclaration fera connaître en même
temps », ou encore l’article 7 qui dispose que « (…) s’il apparaît que l’activité de
l’association est de nature à troubler l’ordre public, sa dissolution est prononcée par le
tribunal (….) » ; ce nouveau processus reflète clairement le contexte et le climat contraire
aux libertés en cette période d’où le nombre des associations qui va connaître une
stagnation.
545. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que l’existence des ONG va connaître une
évolution de taille puisque l’Etat va intégrer leur prise en considération dans les contextes
réformiste et moderniste ainsi que l’intégration de leur participation dans l’ensemble du
processus de modernisation.
533
Le Roi Hassan II était la cible de deux coups d’Etat avortés ; un premier en 1971 dans le palais royal de la ville de
Skhirat mené par des hauts gradés de l’armée, puis un second coup d’Etat militaire contre le régime de Hassan II mené
par les forces aériennes royales d’où son appellation ‘coup d’Etat des aviateurs’ initié par le général Mohammed
OUFKIR et le lieutenant-colonel Mohamed AMEKRANE.
225
En effet, de nouvelles idéologies favorables et positives portant sur ce phénomène vont se
développer et seront adoptées par le pouvoir en place. Ainsi, au Maroc on distingue trois
catégories principales d’associations qui peuvent être citées comme suit :
- Les associations de la première génération, jugées de traditionnalistes.
- Les associations de la deuxième génération, jugées de réformistes.
- Les associations de développement.
534
Le caractère religieux a permis la multiplication de ces associations qui défendent une théorie de charité et de
bienfaisance fondée sur des textes religieux tirée d’un islam plutôt rigoriste importé du wahhabisme. Ces associations
n’ont pas disparu malgré qu’elles font face à un contrôle de plus en plus stricte de la part de l’Etat à travers le ministère
des affaires religieuses afin d’éviter la propagation d’une doctrine rigoriste de la religion à travers l’instrumentalisation
de leurs œuvres caritatives.
226
Ce dernier reconnaît son incapacité, et lègue officiellement ce rôle à ces associations qui
deviennent des participants à part entière au développement social. En outre, la
reconnaissance de ces associations à travers leur institutionnalisation a également mis la
lumière sur les manquements de l’Etat dans de nombreuses questions en créant un rapport
aussi complexe entre l’Etat et la société civile 535.
550. La complexité des rapports entretenus entre l’Etat et les associations trouve son
fondement dans le genre d’activités exercées par l’association. En effet, cette dernière
exerce soit une activité politique d’une idéologie opposée à celle du pouvoir politique en
place, soit des actions dans des domaines qui demeurent tabous dans la société. Elles
subissent souvent un contrôle strict et une pression afin de limiter leurs actions, seules
celles qui collaborent ou qui réagissent dans le même sens de la politique nationale
bénéficient des aides ou des intérêts.
551. De plus, un autre élément vient accentuer ces rapports tendus qui est celui du
financement. En effet, ce dernier participe également à définir ces rapports qui selon le
financement peuvent être caractérisés d’une liberté ou soumission. Ainsi, lorsque
l’association a un financement extérieur, elle se dote d’une certaine liberté qui lui permet
de critiquer librement les manquements de l’Etat et de sa politique envers des questions
précises, en permettent une accélération dans la participation au développement. En
revanche, ce genre d’associations n’est pas le plus répandu et le financement étranger
n’est pas souvent accessible à toutes les associations de petite taille, ce qui limite
l’influence de ces dernières sur le pouvoir politique536.
552. C’est dans ce sens que le dernier Rapport alternatif des ONG Marocaines, dénonce
explicitement l’insuffisance des budgets accordés à titre d’exemple à la politique de
l’enfance par l’Etat. En précisant que ces ressources ne permettent pas de mener des
projets de qualité et d’aboutir à des résultats considérables en la matière. Ce rapport
souligne également le manque de transparence dans l’attribution des contributions de
chaque association ainsi que la publication des résultats des projets menés à terme. Il est
également question d’attribution budgétaire qui est souvent confrontée soit à une baisse
soit à une stagnation ce qui limite la participation de ces associations.
553. Toutefois, malgré les limites que connait le domaine associatif, ce dernier fait face à
une progression constante notamment dans les domaines de développement. Elles sont
aujourd’hui au nombre de 130.000 associations contre 116.000 en 2014, qui connaissent
une disparité territoriale compte tenu de leurs activités localisées principalement dans la
région de Casablanca-Settat qui compte 19.500 associations œuvrant dans le domaine
social. Parmi ces associations il y a bien évidemment celles qui œuvrent dans le domaine
de l’enfance et qui sont considérées comme les plus nombreuses ; on en compte 818.
535
Mohammed TOZY La société civile entre transition démocratique et consolidation autoritaire : le cas du Maroc, in
Essai sur le système pénal marocain, op, cit, p. 263.
536
Afin de faciliter la question de financement et d’alléger la loi de 1958 sur le financement des associations, le Maroc
a adopté en 2001 une loi qui accorde plus de liberté et de flexibilité au financement des associations, ces dernières
demeurent toujours dans l’insuffisance.
227
En effet, ces associations travaillent dans un cadre social puisqu’elles répondent aux
besoins sociaux en assurant un service à travers leurs actions.
554. Le rôle de ces associations se porte principalement sur l’évaluation de la politique
menée par l’Etat dans le domaine de l’enfance. Elles représentent un rôle théorique qui
consiste à mettre la pression à l’incitation de l’Etat dans l’objectif de l’intégration de tous
les principes fondamentaux de la Convention internationale des droits de l’enfant. De
plus, elles représentent un rôle pratique qui se traduit dans leur engagement sur le terrain
afin de répondre aux manquements de l’Etat en la matière. Toutefois, malgré que le rôle
assuré par les associations semble répondre à de nombreuses problématiques, il peut être
jugé d’insuffisant par rapport aux limites auxquelles elles font face notamment par
rapport au modeste ou faible résultat de leurs actions sociales ou encore par leurs actions
de plaidoyer.
555. Le Nombre des associations œuvrant pour les droits de l’enfant reflète bien
l’importante tâche du travail social qui existe au Maroc. Elles sont toutes engagées dans
un processus de travail social qui vise à répondre aux divers besoins des enfants, un
engagement qui tente de garantir à l’enfant des principaux droits en visant la santé de
l’enfant ou son éducation. Il est évident que ces engagements répondent à une situation
sociale assez complexe des enfants en difficulté au Maroc. Toutefois, il demeure difficile
de décrire l’impact de ces actions au sein de la société puisqu’il est toujours difficile à les
évaluer. Ainsi, nombreux sont les éléments qui démontrent les limites de ces actions,
notamment dans les domaines les plus faibles du pays et où l’état n’assure pas les droits
fondamentaux de l’enfant.
Parmi les éléments qui sont considérés comme une limite à une fonctionnalité parfaite des
actions menées par les associations, il y a dans un premier temps l’élément de la durée,
puis de l’engagement et du financement et enfin celui de la politique menée par ces
associations.
556. L’efficacité des actions menées par les associations fait face d’abord au premier
élément qui est celui de la durée de ces actions. En effet, ces dernières sont souvent
limitées par le court terme des actions qui visent des domaines précis notamment la santé
ou l’éducation. Ces derniers exigent un suivi continu afin de parvenir aux résultats
souhaités par les projets, chose qui ne se fait pas par manque de stratégies ou de moyens.
En outre, ce sont ces derniers qui représentent le second élément qui est considéré
comme fondamental, notamment lorsqu’on évoque un pays en voie de développement et
où la corruption représente une entrave. Dans un cadre pareil, il est difficile de ne pas
considérer la question de financement comme une limite principale, puisque ces
associations ne disposent d’aucun financement régulier. Cette situation engendre
également le manque de personnel et des locaux puisque la majorité du corps associatif se
compose surtout de bénévoles.
228
S’ajoute à cela un point primordial qui incarne bien le problème de fond et qui est celui
de la politique et de la stratégie menée afin d’exécuter les actions qui visent ce domaine.
En effet, l’absence d’une politique unique des associations et l’absence d’une stratégie
basée sur les principes fondamentaux de la CIDE, impliquent l’engagement dans des
projets dont les objectifs ne semblent pas être précis ce qui affaiblit l’efficacité des
actions menées.
557. Ce manque de stratégie unique pour ces acteurs, engendre une insuffisance explicite
au niveau des résultats attendus par rapport aux projets menés. En effet, malgré le fait que
le secteur des droits de l’enfant compte un grand nombre d’associations œuvrant pour ce
dernier, la limite qui se pose demeure celle de l’aboutissement aux résultats, puisque ces
derniers ne peuvent être accomplis sans une vision unique et une action directe sur le
terrain.
En effet, rares sont les associations qui présentent une stratégie définie basée sur la
philosophie des droits de l’enfant qui leur permet de mieux agir sur le terrain. Parmi ces
associations on retrouve l’association BAYTI, considérée comme pionnière en la matière
et reconnue d’utilité publique par le décret n° 2.9.9.38 du 21 Janvier 1999. Elle représente
un des acteurs très actifs en matière de défense des droits de l’enfant ; une association qui
adopte une approche de droit en luttant d’abord dans un cadre théorique afin de mener les
réformes adaptées et adéquates aux exigences de la CIDE par le législateur marocain,
puis sur un niveau pratique à travers les actions menées sur le terrain et qui aboutissent à
des résultats salués dans les rapports du comité des droits de l’enfant.
D’autres associations sont également engagées dans le même sens d’approche mais qui
sont très limitées. On évoque notamment, l’association INSAF, l’association TOUCHE
PAS à MON ENFANT, ou encore l’association AMI DES ENFANTS. Malgré leurs
efforts déployés, il est difficile aujourd’hui de dresser un bilan et d’évaluer leurs actions,
puisque ces dernières ne comblent pas tout le besoin réel. De même, le fait de se baser
sur des projets à court terme limite encore plus les résultats.
558. Une autre limite de taille persiste encore aujourd’hui au niveau de ces associations.
En effet, comme la majorité des acteurs au sein de ces organisations sont des bénévoles, il
est difficile de créer des équipes formées sur les principes des droits de l’enfant et où la
prise en considération des principes fondamentaux de la CIDE est connue de toutes les
personnes qui participent à la réalisation des projets menés, une limite qui se manifeste
sur la prise en charge des enfants en difficulté. De plus, ces difficultés sont également
accentuées par l’absence d’une coopération considérable entre les associations et les
institutions étatiques qui œuvrent également pour les droits de l’enfant. D’ailleurs, ce sont
ces dernières qui ont symbolisé l’engagement du Maroc dans le domaine de la protection
des droits de l’enfant.
559. La concrétisation de cet engagement de la part de l’Etat s’est traduite par la création
de diverses organisations afin qu’elles exposent et consolident la politique menée par
l’Etat en matière d’enfance, ainsi que par le fait de veiller à l’exécution des engagements
internationaux auxquels le Maroc est attaché.
229
En effet, l’adhésion du Maroc à la CIDE en 1993 a permis l’accélération de la création de
ces organisations qui se sont succédées comme suit :
- La création de l’observatoire national des droits de l’enfant (ONDE) en 1994 lors
de la seconde édition du congrès sur les droits de l’enfant et de nommer la
princesse MERYEM comme étant sa présidente537.
- La création du parlement de l’enfant en 1999, qui vise à intégrer le droit de
l’enfant à la participation en accordant aux enfants la possibilité de débattre et de
participer à tous les sujets qui les concernent.
- La mise en place d’un mécanisme national gouvernemental chargé des questions
d’enfance en 1998, qui s’inscrit aujourd’hui dans le Ministère de la famille, de la
solidarité, de l’égalité et du développement social qui est chargé aujourd’hui de
faire progresser les conditions de l’enfance et de coordonner les programmes et
les stratégies dans ce domaine.
- La création en 2011 d’un mécanisme national pour assurer l’harmonie et
l’interaction avec tous les organismes internationaux. Il permet aujourd’hui
d’élaborer les plans stratégiques globaux pour suivre la mise en œuvre des
recommandations des mécanismes des Nations Unies relatives aux droits de
l’Homme mentionnés y compris celles relatives aux femmes et aux enfants, qui
ont été appuyées par le système des Nations Unies.
- La mise en place d’un mécanisme institutionnel de suivi de la CIDE, afin de
réaliser la convergence des efforts fournis par les différents acteurs publics
concernés par l’avancement et la protection des conditions de l’enfance, que ce
soit au niveau central ou territorial538.
- Examiner la situation de l’enfant dans le pays d’une façon continue, structurer les
actions menées dans les différents domaines qui visent sa protection et qui
garantissent son développement afin de tracer la vision et les défis futurs.
- Un travail de communication et de sensibilisation sur les droits de l’enfant et des
engagements nationaux dans tous les domaines, que ce soit celui de la santé, de
l’éducation, de la justice, de la culture ou autre, aux niveaux régional et national.
- L’organisation de toutes les initiatives menées par les partenaires nationaux ou
internationaux qui visent à promouvoir les principes des droits de l’enfant dans le
pays.
537
Le Roi Hassan II avait défini ce projet comme étant un défi relevé pour des principes primordiaux qui sont : « la
dignité, la paix, la réduction de la pauvreté, l’éradication de la faim, la promotion de la santé, une éducation de qualité
garantie à tous, l’égalité garçon-fille, l’accès à l’eau potable et à l’assainissement ».
538
Le rapport présenté en Août 2019 sur l’évolution des droits de l’enfant au Maroc, à l’occasion du trentième
anniversaire de l’adoption de la CIDE. Disponible sur : http://www.social.gov.ma/ (en langue arabe).
230
561. Il convient de souligner que la création du parlement de l’enfant est une initiative
menée par l’ONDE en 1999, une instance qui peut paraître comme une concrétisation
d’un des principaux droits de la CIDE qui est celui du droit de participation de l’enfant.
Dans la forme, cette instance renvoie à une évolution de taille qui permet aux enfants
d’exprimer leurs opinions dans les affaires qui les concernent. Cependant, dans le fond la
représentation de ce parlement ne fait pas l’unanimité des associations œuvrant pour les
droits de l’enfant puisqu’’il n’intègre pas des enfants de toutes les catégories sociales et
donc ne reflète pas les problèmes qui les concernent tous.
562. Comme le rôle participatif (indirect) de l’ensemble des associations qui œuvrent
pour les droits de l’enfant dans la réforme du Code de la famille en 2004, l’ONDE a
également participé à l’élaboration de ce texte à travers une liste de propositions qui
visent la protection de l’enfant dans le cadre familial de la même manière que la majorité
des associations des droits de l’Homme en général et ceux des droits de l’enfant en
particulier. La liste comporte des exigences par rapport aux principes fondamentaux des
droits de l’enfant visant à élever l’âge du mariage pour les filles jusqu’à 18 ans, à étendre
la filiation pour tous les enfants en ciblant ceux nés en dehors du cadre du mariage; tenir
compte du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dans des matières telles que : la
dissolution du mariage, la pension alimentaire, la garde ou encore la tutelle.
231
Paragraphe 2 : Les manquements de l’Etat aboutissant à une mauvaise prise en
charge de l’enfant.
564. L’accomplissement des droits de l’enfant se fondent sur un ensemble d’éléments qui
participent de manière directe ou indirecte à la promotion et l’intégration des principes
fondamentaux de la protection des droits de l’enfant. En effet, dans un pays en voie de
développement comme le Maroc, la question d’une intégration parfaite de ces principes
semble difficile puisqu’il faut rassembler des facteurs de différents ordres notamment
politiques, économiques et socioculturels. Cependant, ces facteurs peuvent être divisés
entre ceux considérés comme principaux et d’autres secondaires.
565. En ce qui concerne les principaux facteurs, il est primordial de mettre la lumière sur
l’importance de la participation de quelques secteurs dans le développement global d’une
société et dans l’intégration des droits de l’enfant et de son intérêt supérieur
spécifiquement. Etant donné que la société marocaine demeure encore aujourd’hui une
société traditionnelle qui essaye d’adoucir ce caractère suite aux réformes et à la
modernisation du pays, il est évident que la famille représente encore aujourd’hui le
noyau de la société et un rôle très important dans l’intégration, l’évolution et la
conservation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.
C’est à ce titre que la politique familiale doit acquérir une grande importance de la part de
l’Etat dans l’objectif d’accomplir les droits de l’enfant dans le pays et de répondre aux
exigences internationales. En outre, un autre secteur fait également la différence dans une
vision future de cette mission de développer le domaine de la protection de l’enfance. En
effet, le secteur de l’éducation représente une référence principale dans le processus de la
prise en considération des droits de l’enfant au sein de la société.
232
567. La référence des textes internationaux et celle de la constitution imposent à l’Etat
d’adopter une politique adaptée à la famille marocaine afin de garantir l’évolution de
cette institution ainsi que de protéger les droits de ses membres les plus vulnérables. Au
Maroc, la famille constitue une institution traditionnelle de base considérée comme un
noyau de l’ensemble de la communauté. Cependant, malgré cette importance accordée
par le texte constitutionnel à la famille, nombreuses sont les failles qui persistent à une
prise en considération sérieuse de cette institution dans la politique menée par l’Etat en la
matière. Les textes adoptés par le Maroc ces dix dernières années ont démontré
l’intention de l’Etat de réformer cette institution, toutefois la réalisation de cette prise en
considération semble être imparfaite suite à l’absence d’une adoption de politique
familiale explicite et qui soit fondée sur le soutien de l’Etat à la famille en général et à la
femme et à l’enfant en particulier.
568. Ce soutien étatique à la famille peut se présenter sous diverses formes économiques,
sociales, culturelles, etc. Néanmoins, étant un pays en voie de développement, les limites
à ce soutien dans son ensemble semblent être importantes d’une manière générale et plus
précisément en ce qui concerne le cadre familial, qui demeure traditionnel et fait encore
partie de la sphère privée, ce qui rend ce soutien encore plus difficile à accomplir. En
effet, malgré que l’Etat ait réformé le Code de la famille en 2004, la majorité des citoyens
ignorent le contenu de ses dispositions, ce qui reflète l’absence de relations entre l’Etat et
la population.
Cependant, ce qu’il faut c’est créer un lien de proximité avec cette population afin qu’elle
soit réceptive des textes juridiques qui participent à son évolution539. Toutefois, à notre
sens il est difficile d’évoquer une toute autre étape de soutien étatique à la famille, sans
que la sensibilisation à l’égard de la population soit faite. De plus, dans une société
traditionnelle où la femme et l’enfant occupent une place secondaire, il semble important
que la sensibilisation soit adaptée à ce modèle en ayant recours à des actions et des
discours qui peuvent aboutir à des résultats concrets. Ainsi, la réalisation des droits de la
femme et de l’enfant exige une certaine stratégie qui consiste à :
539
Le dernier rapport élaboré en 2016 par le ministère de la solidarité, de la famille et du développement social sur les
dix ans d’application du code de la famille marocaine, souligne un taux de connaissance du code de la famille assez
élevé qui est de 89%539, un taux qui crée débat avec les associations qui agissent sur le terrain puisqu’elles estiment que
malgré la connaissance de l’existence du texte par la population, la majorité ne connait pas les dispositions du texte et
tous les changements fondamentaux apportés par ce dernier.
233
569. L’action de l’Etat pour la réalisation de ces mesures demeure très timide malgré les
multiples projets lancés visant la concrétisation de ces objectifs. Un autre élément que
l’Etat doit également assurer afin de faire progresser l’institution familiale, intégrer et
assurer les principes des droits de l’enfant au sein de cette institution c’est
l’accompagnement et le soutien des familles. En effet, cet accompagnement n’est pas
seulement d’ordre matériel mais aussi moral et se base sur le principe de garantir aux
familles d’abord une connaissance des principes des droits de l’enfant ainsi qu’une prise
en considération de son intérêt supérieur. Ce soutien peut également revêtir un
accompagnement social et même psychologique afin de répondre aux besoins des
familles qui trouvent des difficultés à assumer leurs tâches.
570. Par ailleurs, l’Etat a toutefois tenté d’améliorer cette prise en charge des familles et
des enfants en lançant dans un cadre institutionnel, le projet de loi portant sur la création
d’un conseil consultatif de la famille et de l’enfance (CCFE) en 2015. Ce projet vise dans
un premier temps « l’instauration des piliers d’une société cohérente et solidaire où tout
un chacun, communautés et individus, jouissent de la sécurité, la liberté, la dignité, la
parité, l’égalité des chances et la justice sociale, en plus de la mise en place des
fondamentaux d’une vie digne », puis dans un second temps « la protection juridique et
la considération sociale et morale, à même de garantir, sur un pied d’égalité, l’intérêt
suprême de tous les enfants sans faire de discrimination par rapport à leur situation
familiale, en veillant à l’application optimale des conventions internationales ratifiées et
des lois nationales relatives à la protection de la famille et de l’enfance ».
571. En effet, ce projet a été élaboré en collaboration avec des partenaires nationaux et
internationaux, notamment les ministères de la justice et des libertés et de la jeunesse et
des sports, la délégation inter-trimestrielle des droits de l’Homme et la commission de
Venise relevant du conseil de l’Europe. Le texte intervient dans le cadre de la réalisation
de l’article 169 de la constitution qui dispose que « le conseil consultatif de la famille et
de l’enfance, créé en vertu de l’article 32 de la présente constitution, a pour missions
d’assurer le suivi de la situation de la famille et de l’enfance, d’émettre son avis sur les
plans nationaux relatifs à ces domaines, d’animer le débat public sur la politique
familiale et d’assurer le suivi de la réalisation des programmes nationaux, initiés par les
différents départements, structures et organismes compétents »540. L’élaboration de ce
conseil vient renforcer la vision politique menée par le pays et affirmer sa volonté de
continuer dans la voie réformiste en matière de la famille et de la protection de l’enfance.
La constitution de ce conseil est considérée par le CNDH comme étant un engagement
qui réaffirme un travail vers une nouvelle politique publique en faveur de la famille et de
l’enfance.
540
La Constitution marocaine de 2011.
234
572. L’élaboration de ce CCFE a suscité la participation de nombreux acteurs que ce soit
institutionnels ou associatifs, une participation qui a abouti à la prise en considération de
la majorité des rapports présentés par les acteurs principaux. En effet, à titre d’exemple le
CNDH avait présenté dans un premier temps un rapport rendu public sur les éléments et
les principes constitutifs de ce conseil en mettant la lumière sur:
- La garantie des droits constitutionnels à tous les membres de la famille, l’égalité
des époux, l’intérêt supérieur de l’enfant, une protection juridique égale des
enfants, une protection sociale et morale des enfants.
- L’intégration du rôle principal de la femme, et veiller à son émancipation.
- Veiller à la politique de la petite enfance.
- La prise en considération d’une politique familiale ciblée qui vise à relever les
défis sociaux comme la lutte contre la pauvreté, la vulnérabilité des familles et des
enfants, de mener des politiques à long terme, d’avoir un impact sur l’évolution
des droits des femmes et de l’enfant.
- De composer ce conseil de spécialistes de différents domaines afin de répondre
aux différentes exigences sociales541.
573. En outre, le CNDH a souligné l’importance que ce conseil soit doté d’un statut
indépendant du pouvoir exécutif. Puis qu’il soit doté de missions permettant l’évolution,
l’orientation des politiques et la législation dans la concrétisation des droits de la famille
et de l’enfant. Cependant, le texte final n’a pas pris en compte l’ensemble des
recommandations faites que ce soit par le CNDH ou par les associations participant aux
débats de l’élaboration. S’ajoute à cela, l’avis du conseil économique, social et
environnemental qui regrette un nombre de points sur le financement qui doivent être
revus puis le manque de préambule qui précise clairement les principes directeurs du
CCFE en soulignant également l’absence de mesures qui prennent en considération l’avis
de l’enfant qui assure son droit à la participation. Il était également recommandé
d’améliorer le texte en ajoutant un article qui rappelle les principes fondamentaux des
droits de l’Homme et ceux des droits de l’enfant puis les principes constitutionnels.
Ainsi, Dans l’ensemble le texte adopté par le département de Mme Bassima HAKAOUI,
ministre de la famille, de la solidarité, de l’égalité et du développement à l’époque, a fait
l’objet de nombreuses critiques puisqu’il n’a pas pris en considération les
recommandations des acteurs participant à cette élaboration542.
574. Ainsi, malgré que l’Etat marocain ait souhaité réaffirmer sa volonté d’intégrer et de
concrétiser l’ensemble de ses engagements internationaux, intention qui vise l’élaboration
d’une nouvelle politique active qui ne se contente pas uniquement des réformes mais qui
participe à les évaluer et à suivre leur continuité et leur développement, la négligence de
la prise en compte des recommandations des acteurs du domaine familial et de l’enfance
renvoie aux lacunes que contient le texte élaborateur du CCFE et aux conséquences qu’il
peut générer sur son activité.
541
ONDH, « La création du Conseil consultatif de la famille et de l’enfance », 2015.
542
Le projet de loi relatif au conseil consultatif de la famille et de l’enfance devant les conseillers, paru le 26 Avril
2016. Disponible sur : www.lematin.ma.
235
De plus, selon les associations œuvrant pour les droits de l’enfant notamment
l’association INSAF, il est important que ce CCFE précise dans la loi de sa création les
principes fondamentaux, notamment ceux de l’enfant, afin de permettre à ce dernier
d’acquérir une reconnaissance de la suprématie de ces droits sur les traditions, les mœurs
et le concept d’une famille traditionnelle.
575. Pour que la prise en compte des droits de l’enfant et de son intérêt supérieur soit une
réalité concrète, il faudra d’abord que l’Etat participe à la libéralisation du modèle
familial en supprimant tous les éléments qui font encore référence à un modèle inadapté
à la société présentant de nombreux mouvements évolutifs. En outre, il s’avère que les
textes actuels ne reflètent plus la réalité sociale, ce qui crée un décalage important entre le
texte et son application et ceci est également dû à une problématique qui émane de l’Etat.
Ce dernier a en effet manqué la résolution de deux obstacles majeurs empêchant
l’efficacité de ces textes réformés et la possibilité de permettre leur évolution. En outre, il
est difficile d’évoquer une concrétisation du droit de la famille dans son ensemble sans
pour autant que l’Etat règle les problèmes liés à cette réalisation.
576. Les rapports entre l’Etat et la société de droit se caractérisent par un manque
d’organisation et d’effectivité. Cette problématique prend de d’ampleur au Maroc. En
effet, ce problème se base d’abord sur le décalage existant entre les textes de la loi et
leur perception par les citoyens, ainsi que sur le système politique. En effet, les lois qui
sont souvent confrontées à ces contradictions sont celles qui tendent à remplacer ou à
éliminer des lois ancrées dans l’esprit des citoyens à travers les mœurs, la culture ou la
religion. Ainsi, en général, l’intégration des principes fondamentaux des droits de
l’Homme sont souvent victimes et dotés d’un caractère de faiblesse dans les lois
internes543. C’est d’ailleurs ce décalage entre les normes et la réalité qui accorde aux
textes internationaux un caractère flou entre la loi et la réalité sociale. Nous citons à titre
d’exemple la problématique de la CIDE qui présente un décalage entre les normes et les
principes qu’elle défendent pour l’enfant et la réalité d’une société où la philosophie
d’individualisation des droits est difficile à appliquer. En effet, la composition sociale
marocaine basée sur la communauté et la famille avec une référence religieuse comme
nous l’avons précisé dans les paragraphes précédents, n’a pas facilité l’inscription de
l’ensemble des normes ni dans la loi ni dans l’esprit des individus.
577. Cette complexité tire son origine dans la primatie du groupe sur l’individu et de ce
fait prioriser l’institution de la famille dans son ensemble sur les droits individuels de
chacun voire de l’enfant. Cependant, la conservation de ce modèle traditionnel peut
générer la perte de l’esprit de la convention internationale dans son application interne,
puisque le praticien de droit va être partagé entre les principes internationaux qui
543
Mohammed MOUAQIT, Droit et changement politique et social au Maroc, in Le Maroc au présent : d’une époque à
l’autre, une société en mutation, Casablanca : Centre jacques-Berque, 2015 (généré le 24 avril 2019). Disponible sur
Internet : file:///C:/Users/admin/Downloads/cjb-1125.pdf.
236
disposent que la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la
priorité et entre la valeur de la famille dans la société.
578. Appliquer l’ensemble des dispositions de la CIDE en droit de la famille ne néglige
pas le rôle de l’institution familiale puisque le texte rappelle dans nombreuses de ses
dispositions, le rôle de la famille et de son importance à l’égard de l’enfant. Par ailleurs,
cette conservation est aussi une question morale comme l’indique Mokhtar EL HARRAS
que « la famille est l’institution où les individus reçoivent le plus d’appui. Elle est
souvent la première institution consultée dans tout ce qui touche au travail, à l’éducation,
à la santé (…) etc. L’entourage familial immédiat est souvent qualifié de coopératif et
solidaire. Il est particulièrement actif dans l’apport de soutien matériel, moral et
psychologique aux membres qui en ont besoin. On exalte l’amour et la sécurité qu’il
prodigue, ainsi que l’importance de son rôle pour la santé et l’équilibre de
l’individu »544. Cette perception est ancrée dans l’esprit d’une partie des marocains, ce
qui oblige le législateur de s’adapter à cette réalité et intégrer progressivement les droits
de l’enfant et la prise en considération de son intérêt supérieur à l’intérieur de ce modèle.
Ainsi, C’est dans ce sens que le rôle de l’Etat et de la société civile s’avère important,
puisqu’il faut mener un grand chantier qui vise la promotion des droits de l’enfant afin de
permettre une compréhension plus large du principe d’individualisation des droits de
l’enfant en dehors du cadre fermé de l’institution familiale.
579. Nombreux sont les auteurs traditionalistes qui considèrent que la prise en
considération des droits de l’enfant au Maroc fait déjà partie d’une réalité d’application
tout en respectant la spécificité d’un pays où la religion musulmane et l’unité territoriale
font partie du fondement social. C’est dans ce contexte que lors de la réforme du Code
de la famille, les avis étaient partagés comme nous l’avons déjà précisé, entre moderniste
et traditionaliste. Cependant, ces derniers ont confondu l’argument social avec celui
religieux, en insistant sur les pratiques sociales des marocains qu’ils jugent d’ordre
musulman.
Cette confusion convient aux traditionalistes qui avaient un argument fort face à un pays
qui demeure sous le règne d’un commandeur de croyants, afin de mettre des limites aux
questions qui selon eux peuvent porter atteinte à la religion musulmane de remettre en
cause les préceptes de cette dernière et de permettre la construction d’une société
obscène545. Toutefois, c’est vers cette société qu’il faut faire un pas réformiste à travers
une dynamique étatique et associative qui vise à s’approcher de la population, à
promouvoir les principes des droits de l’enfant, à faire évoluer le modèle existant à
travers des interventions pratiques sur le terrain et à exercer le rôle d’un médiateur entre
les principes d’origine internationale et ceux « influencés par un point de vue d’ordre
moral et religieux »546 afin de permettre une transition en douceur entre les deux modèles
qui incarnent de nombreuses contradictions.
544
Mokhtar EL HARRAS, Les mutations de la famille au Maroc, 50 ans de développement humain, 2006, p. 123.
545
Jean-Philippe BRAS, La réforme du code de la famille au Maroc et en Algérie : quelles avancées pour la démocratie
? 2007/4, n° 37, p. 121.
546
Louis MILLIOT, Paul-François BLANC, Introduction à l’étude du droit musulman, Paris, Dalloz, 2001, p. 256.
237
580. Ces éléments permettent d’analyser la situation du Maroc comme suit : dans un
premier temps il ne suffit pas d’adhérer aux textes internationaux tant que les textes
nationaux ne s’accordent pas sur les mêmes principes de base. Puisque l’objectif de
l’intégration des droits humains en général et ceux de l’enfant en particulier n’est pas
seulement d’élaborer des principes théoriques mais de les mettre en exergue et de les
faire respecter dans leur ensemble. Puis, il est important de souligner que les dispositions
de la CIDE ne peuvent être concrétisées que si elles sont prises dans leur ensemble sans
la mise en place de réserves qui peuvent affaiblir le pouvoir du texte tout entier. Les
réserves émises par le Maroc et les limites face auxquelles il fait face atteignent
effectivement l’applicabilité des grands principes de la CIDE notamment le principe de
l’intérêt supérieur de l’enfant, qui représente une référence principale pour le texte entier.
581. La spécificité du Code de la famille marocain et son caractère ambiguë entre un
texte juridique moderne et un texte jugé conservateur dans de nombreuses questions dont
la référence religieuse demeure marquante, ainsi que la politique étatique menée
aboutissent clairement à une difficulté pour le pays de s’approprier les principes des
droits de l’enfant. Une situation qui rend encore plus complexe la mise en œuvre
concrète, que ce soit de l’ensemble des dispositions de la CIDE ou encore d’un de ses
principes fondamentaux qui est l’intérêt supérieur de l’enfant. En effet, la concrétisation
de ce principe exige la réunion d’un nombre d’éléments notamment : une justice
indépendante et spécialisée, une révision approfondie du Code de la famille en éliminant
tout argument justifiant une atteinte directe ou indirecte à la prise en considération de
l’intérêt supérieur de l’enfant.
582. Toutefois, malgré ces limites révélées dans le système juridique marocain quant à la
prise en considération du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, la ratification de la
CIDE par le pays a fait de l’ensemble des principes fondamentaux revendiqués par le
texte une voie exemplaire de concrétisation progressive des droits de l’enfant faisant ainsi
de l’intérêt de l’enfant un principe fondamental de la mise en œuvre des réformes du droit
de la famille, suivant le modèle de son homologue français qui accorde à ce principe une
place primordiale à travers son intégration et sa concrétisation dans toutes les règles
relatives à la protection des droits de l’enfant.
238
Conclusion Première partie
583. Dans tous les pays au monde, la reconnaissance des droits de l’enfant a représenté
un changement et une évolution des esprits quant à la place de ce dernier au sein de
chaque société. Cette transformation, résultat des réflexions philosophiques relatives à la
personne de l’enfant, a permis, voire imposé au monde entier un engagement pour un
changement progressif sur différents niveaux, juridique, politique et social.
584. L’adoption de la convention internationale des droits de l’enfant en 1989 par la
communauté internationale a été l’événement phare de la reconnaissance et de la
consécration des droits de l’enfant. En effet, malgré l’existence de nombreux textes qui
visaient la protection de la personne de l’enfant, l’originalité de la CIDE et des principes
fondamentaux qu’elle incarne lui ont accordé le statut de « la fille légitime de la
Déclaration universelle des droits de l’Homme »547. Cette importance résulte de
l’ensemble des droits proclamés et des principes fondamentaux adoptés qui reflètent la
grandeur du texte qui touchent toutes les branches de droit notamment celle de la famille.
Par ailleurs, en France comme au Maroc la reconnaissance du statut juridique à l’enfant
n’est pas la conséquence directe de l’émergence de la CIDE, puisque chacun des deux
pays adoptait déjà une perception singulière des droits de l’enfant et de l’intérêt de ce
dernier dans différentes questions de droit. Toutefois, pour les deux pays l’adhésion à la
CIDE a crée un terrain commun de la perception de l’intérêt de l’enfant qui a visiblement
influencée leur droits de la famille. Cette influence illustre principalement la prise en
considération et l’intégration des principes de la CIDE et plus précisément de celui de
l’intérêt supérieur de l’enfant qui est devenu un moteur de toutes les réformes menées et
constituant un élément fondateur du droit de la famille. Cependant, le caractère flou du
principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, a fait de ce « standard juridique » un principe
passible de toute interprétation puisqu’il ne renvoie ni à une image ni à un contenu précis.
586. C’est dans ce contexte que les divergences de sa prise en considération se
concrétisent entre les systèmes juridiques, notamment lorsqu’il s’agit de sa prise en
considération dans des domaines dotés de grande sensibilité tel que le droit de la famille.
Ainsi, malgré l’adhésion et la ratification de la CIDE par les deux pays, l’appréciation et
l’intégration du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas un succès dans les
deux systèmes juridiques. Cela dit, la possibilité accordée par le principe lui-même d’être
interprété afin de s’adapter à tous les éléments qui peuvent le constituer peut en effet être
favorable à la perception globale de la CIDE et de ses principes fondamentaux.
587. Cependant, ce même avantage perçu de l’imprécision du principe de l’intérêt
supérieur de l’enfant peut également faire l’objet de critiques fondées sur l’interprétation
faite par certains systèmes juridiques qui adoptent d’autres perceptions que ce soit de
l’enfant ou de son intérêt tel que le droit de la famille marocain.
547
Claire NEIRINCK, La Convention internationale des droits de l’enfant, une convention particulière, op, cit, p13.
239
Un constat qui souligne le risque adopté par le texte par cette imprécision à l’égard de
l’universalité de ses principes fondamentaux. D’ailleurs, le risque d’une interprétation qui
ne répond pas à l’esprit et aux dispositions du texte est clairement constaté dans la mise
en œuvre du droit de la famille ainsi que dans l’applicabilité et la prise en considération
de l’intérêt supérieur de l’enfant par les juges.
240
Seconde partie : L’intérêt de l’enfant un élément de mise en œuvre du
droit de la famille.
588. L’adoption de la CIDE par tous les pays du monde 548, a permis la mise en place du
principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui est devenu aujourd’hui un principe directif
dans la protection des droits de l’enfants pour tous les Etats parties. Cette prise en
considération a participé d’une manière directe et indirecte à l’évolution de nombreuses
législations dont celle familiale. En effet, cette dernière a connu de nombreuses réformes
afin d’intégrer l’ensemble des dispositions de la CIDE et plus précisément la prise en
considération du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ces réformes se sont
également accompagnées d’un long processus de modernisation des juridictions
nationales de chaque Etat.
En revanche, les disparités entre les Etats développés et ceux en voie de développement
se sont rapidement manifestées entre une intégration et une prise en considération
efficace du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et une intégration stagnante dans la
réalité d’application du principe. En effet, les deux systèmes juridiques que nous étudions
notamment celui de la France et du Maroc reflètent bien cette problématique, dans le sens
où l’influence de la référence idéologique ainsi que celle historique de chaque pays et
donc de chaque système juridique ont abouti à un nombre de divergences dans la
concrétisation de principe dans le droit de la famille.
589. Ces divergences se fondent principalement sur l’évolution et les mutations qu’a
connu la famille dans chaque pays. En effet, nous avons déjà précisé que l’évolution de la
famille dans les deux pays n’a pas abouti aux mêmes modèles familiaux d’où la dotation
de la France d’un modèle familial moderne et divers, puis la sauvegarde du Maroc d’un
modèle familial considéré comme traditionnel. Ces mutations ont également nécessité
l’adoption de tout un nouveau système judiciaire afin de s’adapter au fur et à mesure aux
nouvelles réformes ainsi qu’aux principes des droits de l’Homme.
590. En outre, c’est dans le sens d’une mise en œuvre réelle et pratique des droits de
l’enfant en général et du principe de son intérêt supérieur en particulier ainsi qu’au regard
des engagements internationaux des deux pays, qu’un long processus d’adaptations aux
principes des droits de l’enfant s’est également lancé au niveau de la justice.
Pour la France, cette adaptation a débuté depuis une cinquantaine d’année suivant les
mutations familiales et l’adoption d’un pluralisme juridictionnel en matière familiale afin
de garantir la prise en compte des droits spécifiques de chaque membre de la famille
notamment ceux de l’enfant. Quant à l’adoption d’une juridiction spécifique dédiée à
traiter les affaires familiales au Maroc, la question est considérée comme très récente
puisque ce n’est qu’à partir de l’adoption du Code de la famille en 2004 que le Maroc a
relevé le défi de créer et d’instaurer une justice spécifique en matière familiale.
548
La CIDE est ratifiée par tous les pays du monde, à l’exception des Etats-Unis.
241
591. De plus, la France a réussi à apporter une garantie à l’application des principes de la
CIDE à travers son adoption d’un système judiciaire assez moderne qui apporte des
réponses à la détermination des droits de chaque membre de la famille et d’une
détermination et une protection exclusive de l’intérêt supérieur de l’enfant. Alors qu’au
Maroc, le modèle familiale et juridictionnel adopté fait encore face aux limites basées sur
la référence à une doctrine islamique, au traditionalisme de la famille marocaine et à
l’interprétation ambiguë des règles du Code de la famille ainsi qu’à ceux de la CIDE, un
cadre qui influence explicitement l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant en
matière familiale permettant donc une évolution jurisprudentielle fondée sur la prise en
considération de la supériorité de cet intérêt (Titre I).
242
Titre I: L’intégration de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la mise en
œuvre du droit de la famille.
Par ailleurs, la détermination de ce concept clé fait toujours débat puisque la supériorité
de celui-ci met en place une difficulté à sa définition objective. En effet, le Professeur
Hugues FULCHIRON précise que : « la détermination concrète de ce principe est
marquée par la relativité et par la subjectivité. Relativité dans l’espace et dans le temps,
car la notion se nourrit des données propres à chaque époque et chaque société ; elle est
liée à une culture, à des savoirs, à une conception de la personne, de l’enfant et de la
famille. Subjectivité individuelle, celle des père et mère, de l’enfant et du juge ;
subjectivité collective, celle d’une société, de l’image que se fait cette société de l’enfant
et, à travers cette image, qu’elle se fait d’elle-même »549 .Ainsi, l’ensemble de ces
éléments influence d’une manière directe ou indirecte la détermination de ce principe qui
peuvent des fois être contradictoires avec la concrétisation du principe. Cette
problématique se manifeste dans les deux systèmes juridiques mais de différents niveaux.
593. En France la suprématie de la CIDE et de l’article 3-1 reconnu d’une application
directe d’abord par le conseil d’Etat puis par la Cour de cassation, démontre qu’au terme
d’une évolution qui s’est produite sur le droit familial et sur les juridictions qui le
concerne, cette détermination suite à l’adoption du pays d’un mécanisme a permis et
facilité la reconnaissance et la détermination directe de ce principe.
594. Quant à la juridiction marocaine et son processus facilitant cette concrétisation, elle
connait encore aujourd’hui des difficultés à cette détermination puisqu’elle fait face à une
structure judiciaire du droit de la famille très récente qui se trouve devant l’obligation
d’intégrer ce principe tel qu’il est reconnu universellement, puis d’apporter des réponse à
sa détermination (chapitre 1). De plus, en France l’adoption d’une juridiction spécialisée
a également permis une évolution jurisprudentielle importante dans la réception du
principe, tandis que la création récente de cette juridiction dans le système judiciaire
marocain depuis 2004 connait encore des limites et n’a pas réussi à révolutionner la
réception de l’intérêt supérieur de l’enfant (chapitre 2).
549
Hugues. FULCHIRON, Les droits de l’enfant à la mesure de l’intérêt de l’enfant, GAZ, PAL, 08 décembre 2009, n°
342, p. 15.
243
244
Chapitre 1:L’appréciation concrète de l’intérêt supérieur de l’enfant.
596. En outre, selon un grand nombre de spécialistes, c’est cette définition in concreto
qui permet même la réalisation de ce principe puisque in abstacto il demeure une notion
non définie et à contenu variable. Sa concrétisation passe tout d’abord par lui accorder les
éléments pratiques qui permettent sa définition afin que toute personne responsable de la
réalisation de ce principe soit dans la mesure de le définir in concreto et de protéger
l’enfant.
Une constatation que M. DEJEAN DE LA BATIE, permet de réaffirmer en percevant que
« l’intérêt de l’enfant est toujours apprécié en fonction des circonstances particulières de
la cause. (…) Aussi bien dans toute la mesure où l’intérêt de l’enfant peut être pris en
considération, il n’est pas douteux que les particularités propres à celui-ci doivent être
550
Raymond. LE GUIDEC la considère comme « une comparaison ou une adéquation des données particulières de
l’instance à une définition générale et préalable du terme juridique dont il s’agit de vérifier l’existence de l’espèce ».
551
Raymond LE GUIDEC, Droit de l’enfance et de l’adolescence, le droit français est-il conforme à la convention
internationale des droits de l’enfant, Litec, 1995, p. 472.
552
N. DEJEAN DE LA BATIE, Appréciation in abstracto et appréciation in concreto en droit civil français, L.G.D.J
« Bibliothèque droit privé », Tome n° 57, 1965, p. 6, n° 7, in C. SANDRAS, L’intérêt de l’enfant dans le droit des
personnes et de la famille, thèse dactyl., 2000, p. 30.
245
considérées à l’égal des autres considérations »553. Une définition qui renvoit à
l’importance d’une prise en considération des milieux de vie de chaque enfant que ce soit
antérieur ou actuel ainsi que des éléments constituant sa personnalité.
553
NOËL. DEJEAN DE LA BATIE,, op. cit., p. 243.
246
Section 1: Le rôle primordial du juge.
247
Paragraphe 1- Le juge et l’intérêt supérieur de l’enfant.
602. Dans les deux systèmes juridiques que nous étudions, la modernisation de la justice
familiale semblée une évidence. En effet, l’évolution de la famille au sein de chaque
société a mis en évidence le besoin d’une harmonisation entre l’évolution sociale, les
textes législatifs et la justice. Dans ce cadre, la France a connu un long chemin
d’évolution qui a permis un pluralisme juridictionnel en matière familiale, qui est le
résultat d’une évolution sociale marquée par la transformation d’une institution
traditionnelle qui est la famille à une institution moderne dotée d’un caractère évolutif,
souple et flexible. Cette conception qui aboutirait à l’adoption d’une justice qui soit
pragmatique et qui tienne compte d’une réalité sociale554.
603. Ainsi, l’adoption d’un nouveau modèle judiciaire en matière familiale est également
due à l’inexistence d’un modèle familiale unique puisque la conception de la famille elle-
même évolue dans le temps et l’espace et selon les époques de chaque société dont celle
française. Ces éléments d’influences sont ceux qui ont inspiré les lois puisque le
législateur ne cherche plus à imposer un modèle familiale unique mais il accorde une
certaine liberté aux individus par rapport au choix du type familiale 555, un pluralisme qui
se base également sur les éléments religieux, culturels, idéologiques, sociaux ou
économiques de chaque individu.
604. Ainsi, il résulte un pluralisme des institutions familiales qui permet l’intégration de
toutes les affaires en intégrant, les différents cas d’unions, de divorces, des régimes qui
permettent la protection des personnes vulnérables au sein de la famille, de la filiation, de
l’adoption, des régimes matrimoniaux ou d’autres, un pluralisme qui permet d’apporter à
chaque choix personnel, un modèle approprié. En effet, ce pluralisme est considéré en
matière familiale comme une coexistence de différentes juridictions dans le même
système de justice familiale, qui vise à garantir la protection des droits de tous les
membres de la famille et d’assurer leurs intérêts.
C’est en effet, ce terme clé d’intérêt qui nous intéresse dans le cadre de la protection de
l’enfant qui demeure la personne la plus vulnérable au sein de la famille. Dans cet
objectif de rechercher l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre familial, la justice a
réussi le défi de se lancer dans un processus de modernisation, d’intégration et de prise en
considération de l’intérêt supérieur à travers la création des juridictions aptes à
déterminer au mieux cet intérêt et à permettre la détermination des critères permettant
d’apprécier cet intérêt.
248
qui évolue en prenant compte de la réalité sociale. En outre, ce n’est qu’à partir de
l’adoption du Code de la famille de 2004 que le système judiciaire marocain s’est doté de
juridictions spécialisées sensées faire respecter l’esprit du texte et se détacher du
caractère religieux ainsi que suivre l’évolution sociale en préparant des magistrats
spécialisés et qualifiés en matière familiale en général.
606. Par ailleurs, la mise en place de cette nouvelle justice familiale qui selon le discours
royal doit « reste tributaire de la création de juridictions de la famille qui soient
équitables, modernes et efficientes », semble faire face à de nombreux obstacles qui, dans
un premier temps empêche une modernisation totale puisqu’elle s’applique
principalement sur un modèle familial traditionnel. Ainsi, la complexité d’une justice qui
balance entre des dispositions contradictoires entre le moderne et le traditionnel rend
souvent complexe son effectivité. Une ambiguïté qui porte atteinte à la femme, à l’enfant
et à l’intégration et l’application des règles modernes telles que les droits de l’enfant et
son intérêt supérieur tels qu’ils sont reconnus universellement.
607. Dans un cadre familial, il semble évident qu’il revienne aux parents de déterminer
l’intérêt de leurs enfants à travers les diverses décisions qu’ils prennent dans le cadre de
l’exercice de leur rôle de l’autorité parentale. Contrairement au droit marocain qui ne
précise pas cette référence, le législateur français s’y réfère explicitement à travers
l’article 371-1 du Code civil qui dispose que « l’autorité parentale est un ensemble de
droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ». Ainsi par ce rôle les parents
apprécient concrètement l’intérêt supérieur de leur enfant en prenant en considération ses
conditions, ses besoins et la particularité de sa personnalité, Mais aussi selon les choix
parentaux qu’ils adoptent et qu’ils jugent adaptés à l’enfant notamment en matière
d’éducation, d’appréciation du mal et du bien de l’enfant, la perception du bien-être
physique et moral de l’enfant. En effet, cette appréciation parentale diffère d’un parent à
un autre puisque chacun peut avoir sa propre perception de cet intérêt et de la manière de
le concrétiser.
608. Cependant, si dans les situations ordinaires, les parents sont ceux qui déterminent le
mieux cet intérêt, dans d’autres circonstances l’intervention judiciaire semble être
obligatoire afin de protéger l’enfant et son intérêt supérieur. Ainsi, cette mission de
détermination et d’appréciation de ce principe est déléguée à un juge spécialiste qui doit
remplir le rôle des parents et décider selon la situation de l’enfant une appréciation
concrète à cet intérêt et fonder une appréciation en se basant sur les dispositions de la
législation interne mais également au texte de la CIDE.
249
Une situation qui incite le juge à prendre en considération les circonstances et la
particularité de chaque espèce tout en ayant comme référence et en esprit la
concrétisation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.
609. En France, l’évolution des droits de l’enfant a accordé à un nombre d’auteurs la
compétence de déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant. En effet, il est possible de
désigner trois grands acteurs dotés d’un tel pouvoir et qui sont : le tribunal judiciaire556, le
juge des enfants et le juges aux affaires familiales. En effet, pour le tribunal judiciaire,
c’est un juge de droit commun et statuant en matière civil ; il connait en principe selon
l’article L211-3 de la procédure judiciaire « de toutes les affaires civiles et commerciales
pour lesquelles compétence n’est attribuée, en raison de la nature de la demande, à
aucune autre juridiction ». Ainsi, il lui revient de statuer sur un nombre de questions
principales qui concernent l’enfant dont la filiation557et l’adoption qui s’introduit parmi
les questions relatives à l’état des personnes relève de sa compétence en statuant en
formation collégiale558.
Le second, est un magistrat du tribunal judiciaire ; créé par une ordonnance du 2 février
1945, le juge des enfants est compétent en matière pénale où il est chargé de juger des
délits et des contraventions commis par des mineurs. Toutefois, il s’est vu attribué une
compétence secondaire en matière civile où il est compétent du contentieux de
l’assistance éducative, il est ainsi le juge civil des mineurs en danger; ses compétences
sont précisées dans l’article 375-1 du Code civil qui dispose que « le juge des enfants est
compétent à charge d’appel, pour tout ce qui concerne l’assistance éducative. Il doit
toujours s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure envisagée et se
prononcer en stricte considération de l’intérêt de l’enfant ».
Son rôle en matière civile est donc limité à une assistance éducative sans pour autant
inclure l’exercice de l’autorité parentale et la résidence de l’enfant qui sont de la
compétence du juge aux affaires familiales. Ces mesures éducatives sont conditionnées
par l’article 375 du Code civil qui dispose que ces dernières sont prises « si la santé, la
sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions et
son éducation ou son développement physique, effectif, intellectuel et social sont
gravement compromises » ; des situations qui incitent ce magistrat à agir avec la
considération primordiale de l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes ses décisions. De
plus, le législateur a explicitement incité le juge à travers l’article 375-7 à apprécier ce
principe et de faire en sorte qu’il soit le guide principal du juge.
250
droits de l’enfant, suivie du décret n°94-42 du 14 janvier 1994 modifiant le code de
l’organisation judiciaire, le juge qui traite de tous les problèmes de séparation que ce soit
pour les couples mariés ou non559.
611. En effet, le JAF est un magistrat délégué au tribunal judiciaire ; il est le résultat
d’une volonté législative visant à regrouper le contentieux de la famille entre les mains
d’un seul juge et donc créer un magistrat spécialisé en matière familiale. Ainsi, cette
spécialisation lui accorde la compétence en divers domaines dont celui de la protection de
l’enfant au sein de la famille. En outre, l’esprit de cette loi vient répondre à un éclatement
du contentieux familial entre différentes juridictions 560, ce qui a provoqué la volonté du
législateur de centraliser le contentieux familial par la création d’un juge spécialisé qui
est en principe un juge unique561. Ainsi, depuis sa création le JAF s’est vu renforcé ses
compétences par les réformes successives qui touchent l’autorité parentale, le divorce ou
encore la médiation562 .
612. L’importance de la création du JAF s’est avérée également très avantageuse pour la
réalisation des droits de l’enfant et l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui
avant le JAF faisait l’objet de diverses appréciations rendues par les juridictions qui
étaient aptes de statuer sur les affaires qui concernent la famille en général et l’enfant en
particulier. Nombreux sont les avantages qui se sont manifestés dans la pratique, à partir
de la création du JAF à travers son influence sur la prise en considération de ce principe,
en participant tout d’abord à une appréciation plus précise et qui avoisine les besoins
réels de l’enfant ; puis, à une appréciation unique du principe afin d’éviter les
contradictions dans les divers jugements. En outre, la création de ce juge spécialisé a
permis à mieux percevoir le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, puisqu’il est formé
sur l’ensemble des conflits familiaux qui peuvent toucher la protection de l’enfant ou
d’atteindre à son intérêt supérieur. Il est ainsi en possession de tous les mécanismes qui
permettent l’identification des problèmes auxquels l’enfant est confronté puis d’apporter
les solutions adéquates à la résolution des conflits tout en protégeant l’intérêt de
l’enfant563. Toutefois, il est clair que l’étude qui peut être faite sur les textes qui font
référence à ce principe fait apparaître deux principaux domaines qui sont : d’abord celui
lié historiquement à la considération du principe en matière de filiation, à la filiation
adoptive564 puis à celui de l’exercice de l’autorité parentale.
559
Marie-Odile DEVILLERS, Une juge au cœur de la famille, Revue Projet 2011/3 n° 322, p. 42.
560
Le tribunal de grande instance et son président, le juge des enfants et le juge des tutelles, le tribunal d’instance, le
procureur de la république, le juge des référés étaient tous, à un titre ou un autre compétents pour connaiitre des
questions familiales.
561
Il est à noter que la centralisation du contentieux familial s’est fait d’une manière progressive, d’abord à travers la
création de certaines juridictions des chambres de la famille qui sont composées de trois magistrats spécialisés en droit
de la famille ; puis l’adoption de la loi de 1993 vient affirmer l’importance de cette centralisation en créant ce juge
spécialisé qui avait pour appellation le juge des affaires matrimoniales.
562
Il y a également la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allégement des
procédures, qui a élargi les compétences du JAF à qui le législateur a attribué la compétence de la tutelle des mineurs et
d’émancipation qui relevait des compétences du juge d’instance.
563
L’article 373-2-6 du Code civil dispose: « Le juge du tribunal de grande instance délégué aux affaires familiales
règle les questions qui lui sont soumises dans le cadre du présent chapitre en veillant spécialement à la sauvegarde des
intérêts des enfants mineurs ».
564
Le droit international fait explicitement référence au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant à travers l’article 4 de
la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale du 29 mai
251
Des situations qui obligent le juge d’étudier la conformité de chaque situation avec
l’intérêt supérieur de l’enfant, même lorsque ce principe ne figure pas dans le texte
notamment l’exemple de la filiation où le texte ne fait pas expressément référence au
principe mais qui demeure la priorité du juge dans tous les conflits de filiation, où il
l’emploie comme un élément de référence et un critère principal dans l’établissement
d’un choix de lien au détriment d’un autre. Il est même l’élément guide du juge dans
l’établissement ou d’une contestation d’un lien de filiation. C’est également le repère
principal pour le JAF en matière d’autorité parentale, où l’intérêt supérieur oriente
l’ensemble des questionnements et des décisions du juge afin de respecter ce principe.
613. Ainsi, l’organisation judiciaire adoptée en France semble mettre en place une
structure permettant la cohérence entre l’adoption des textes intégrants le principe de
l’intérêt supérieur de l’enfant et sa concrétisation par le juge ; de ce fait, la mise en place
d’une spécialisation du juge est considérée d’une grande utilité que ce soit pour la famille
ou pour l’enfant et son intérêt supérieur. En effet, malgré les difficultés auxquelles est
confronté le système judiciaire afin de concrétiser le principe de l’intérêt supérieur de
l’enfant, l’adoption de ce dernier renvoie à la volonté de ce dernier d’intégrer
concrètement les principes figurants dans les textes internationaux notamment ceux de la
CIDE.
614. Quant à la question de la concrétisation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant
par la justice marocaine à travers la désignation des acteurs qui peuvent faciliter sa
concrétisation, il est possible d’évoquer une évolution depuis l’adoption du Code de la
famille de 2004 sans pour autant nier les limites de ce dernier de la mise en place d’un
système efficace à l’appréciation concrète de ce principe. En effet, l’évolution globale de
la justice marocaine en matière familiale est difficile d’être comparée à celle française en
matière d’appréciation de l’intérêt de l’enfant, puisque le fondement même de la famille
dans la globalité ne renvoie pas aux mêmes données de base. L’appréciation de l’intérêt
supérieur de l’enfant par la justice marocaine tel qu’il est reconnu universellement n’a
suscité le grand intérêt dans la pratique judiciaire qu’à partir de 2004 malgré l’adhésion à
la CIDE depuis 1993.
615. Comprendre ce retard nécessite un retour sur l’évolution d’un système judiciaire
traditionnel à un modèle moderne qui demeure très fragile face aux nouvelles conceptions
étrangères telles que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. En effet, durant le
protectorat, le Maroc a conservé sous le contrôle des autorités protectorales son système
judiciaire traditionnel en matière familiale, le maintien des juridictions de chra’a en
matière de statut personnel suite à la sensibilité de la matière et son attachement directe à
la religion musulmane a ralenti l’introduction et l’adoption des juridictions modernes 565.
1993 : « Les adoptions ne peuvent avoir lieu que si les autorités compétentes de l’Etat ont constaté qu’une adoption
internationale réponde à l’intérêt supérieur de l’enfant ».
565
Il importe de souligner qu’avant le protectorat, le système judiciaire marocain se basait sur des principes religieux et
traditionnels qui incarnaient le statut classique « du Qadi » qui est un juge unique et de compétence générale, nommé
par le souverain et ayant comme référence le droit musulman et le rite malékite.
252
Ce n’est qu’à partir de l’indépendance que le Maroc s’est lancé dans le projet de la mise
en place d’un système judiciaire moderne, qui a débuté dans un premier temps par
l’unification des juridictions par la loi du 26 Janvier 1965 qui dispose dans son premier
article ce qui suit : « Sont unifiées en vertu de la présente loi sur l’ensemble du territoire
du royaume, toutes les juridictions marocaines, à l’exception du tribunal militaire et de
la haute Cour de justice mentionnés au titre VII de la constitution ». S’ajoute à cela, les
réformes judiciaires de 1974 qui ont visé une simplification de l’organisation judiciaire
en mettant en place une hiérarchie simple qui se présente par la création des tribunaux de
première instance, la Cour d’appel et la Cour suprême, sans pour autant créer une justice
spécialisée pour la famille.
616. Comme nous l’avons précisé, l’adoption du Code de la famille de 2004 a marqué le
début d’un long processus de modernisation que ce soit du droit ou de la justice. Compte
tenu de l’importance de cette dernière en matière familiale, dans son discours le Roi a
insisté sur le rôle de cette dernière dans la réalisation du texte de loi en ordonnant « la
création de sections de justice de la famille au sein des tribunaux de première instance
afin de faciliter et simplifier les procédures et trouver des solutions aux problèmes
rencontrés par cette catégorie, de façon à permettre l’efficacité et la célérité de la justice
et partant, rendre les droits à leurs titulaires dans des délais raisonnables »566. En outre,
cette création doit remplir le rôle d’une assurance à la bonne application des dispositions
du code, afin qu’elle soit placée au niveau qui lui est réservé par le code, compte tenu de
la présence forte, efficace et active dont doit faire preuve la justice…et dans l’objectif de
cet accomplissement, le texte assiste ce rôle à travers le large pouvoir discrétionnaire
dévolu à cette justice dans le texte lui-même qui lui permet d’apprécier les circonstances
de chaque affaire, de parvenir ainsi, à assurer l’équité et l’égalité entre tous les membres
de la famille et de veiller à les réconcilier, chaque fois que possible »567.
617. C’est dans ce contexte que la création et l’inclusion des juridictions familiales se
sont positionnées dans l’arsenal du droit positif, en adoptant une structure spécialisée afin
de répondre aux exigences du texte de loi, mais également à l’évolution sociale qui
influence l’institution de la famille et qui oblige la justice d’adapter son mécanisme à ces
mutations. Cette adaptation a suscité avant tout la modification de l’article 2 du Dahir 1-
74-338 du 5 juillet 1974 relatif à l’organisation judiciaire du royaume par le Dahir 1-04-
24 portant loi n° 73-03 du 3 février 2003, qui précise que les tribunaux de la famille sont
compétents pour juger les affaires relatives au statut personnel, à l’état civil, à l’héritage,
aux mineurs, à la Kafala et à la protection de toute la famille de manière générale.
618. C’est dans ce sens que le royaume a créé 70 sections spécialisées en matière
familiale (Chambre de famille), qui sont des sections de juridictions de premier degré qui
sont autonomes, dotées de leurs propre mécanisme et moyens dont les locaux, les greffes
et les juges qui sont spécialisés en matière familiale 568, puis rendre caduque l’ancien
mécanisme judiciaire divisé entre les tribunaux, les juges notaires et les chambres du
566
Le guide pratique du Code de la famille.
567
Ibid, p. 6.
568
Jean-Philippe BRAS, La réforme du code de la famille au Maroc et en Algérie : quelles avancées pour la
démocratie ?, in critique internationale n° 37- octobre-décembre 2007, p. 123.
253
statut personnel qui étaient habilités à connaître les conflits portant sur la filiation, le
divorce, la pension alimentaire ou les conflits des liens conjugaux ou encore le notaire
traditionnel.
En outre, pour de nombreux spécialistes marocains, la dotation de la justice de cette
spécialisation expose bien la volonté de mettre en place un nouveau mécanisme judiciaire
qui accorde à la justice familiale un nouveau rôle loin de celui qui consistait à trancher les
conflits d’une manière traditionnelle basés sur les principes du droit musulman mais
l’adoption d’une justice moderne qui permet la participation des acteurs de cette justice à
rechercher et à élaborer des solutions qui permettent la protection spécifique de chaque
individu au sein de la famille.
619. Une évolution qui est garantie principalement par la loi qui attribue de nouveaux
pouvoirs aux organes judiciaires compétents dans les affaires relatives à la famille, et qui
oblige le juge non seulement à assurer le respect de l’application de la loi mais à
interférer et à prendre des décisions qui visent l’intérêt de la famille dans son ensemble.
Ainsi, le juge exerce une nouvelle magistrature qui vise à respecter le droit et à prendre
en considération les conditions de la vie sociale de chaque famille 569.
620. Les modifications apportées par le législateur dans le texte de 2004 sur le secteur de
la justice, imprègnent bien l’esprit de la réforme dans son ensemble visant la
modernisation des mécanismes qui garantissent sa bonne application mais en mettant
également la lumière sur le rôle du juge, qui détient désormais une grande responsabilité
dans la concrétisation du texte à travers une justice favorable à chaque membre de la
famille. C’est dans ce sens de modernisation du rôle des juges, qu’une nouvelle
organisation judiciaire en matière familiale a vu le jour en créant de nouvelles sections et
en distribuant de nouveaux rôles au sein de la justice familiale, chose qui n’existait pas
sous l’empire de l’ancien texte de statut personnel. Ainsi, sous les directives du
gouvernement et du ministère de la justice, la mise en place de cette réforme s’est
déclinée en six axes notamment :
- Le renforcement des garanties d’une justice indépendante
- Le renouvellement du cadre normatif de la justice
- La mise à niveau de l’ensemble des structures et des ressources humaines visant
l’application du texte
- Le perfectionnement de l’efficacité judiciaire
- La mise en place d’une moralisation d’une justice indépendante
- La concrétisation de l’ensemble des règles de la réforme 570.
569
Abdelhamid AKHRIF, Le nouveau rôle de la justice dans le droit de la famille marocain, p. 19.
570
Fouzia RHISSASSI et Khalid BERJAOUI, Femmes, droit de la famille et système judiciaire en Algérie, au Maroc et
en Tunisie, sous la direction de Souria SAAS-ZOY, 2010, Unesco, p. 65. Disponible sur http://rabat.unesco.org/.
254
621. La réalisation de ces objectifs s’est inscrite dans une vision globale à long terme
mais qui a abouti dans un premier temps à un nombre de modifications. En effet, avant
l’adoption du texte actuel, la résolution de tous les conflits familiaux relevait de la
fonction du juge notaire qui avait pour mission de certifier les actes élaborés par les
adouls571. Toutefois, il conservait un rôle exclusif en matière des mariages des mineurs
et leur protection, l’autorisation de la polygamie, la validation des actes de répudiation
ainsi que le contrôle général des notaires traditionnels.
571
Les Adouls sont des notaires traditionnels, qui peuvent être considérés comme une institution parajudiciaire qui été
maintenue dans ses fonction de certification des contrats et des actes relatifs aux questions familiales.
572
Le rôle des Adouls a été maintenu dans leurs fonctions qui consistent toujours à certifier les contrats et les actes
relatifs aux questions familiales
573
Naji EL MEKKAOUI R. La Moudawanah : Le référentiel et le conventionnel en harmonie, Tomes 1 et 2, Rabat,
2009, éd. BOUREGREG.
574
L’institution du ministère public a fait son apparition au Maroc en 1913 ; le Maroc est alors sous le protectorat
français, il mène une réforme judiciaire par le Dahir du 12 août 1913. Appelé le commissaire du gouvernement, il
introduit les tribunaux du makhzen et chérifien. A partir de l’indépendance, son rôle a été maintenu dans l’organisation
judiciaire. Son rôle a connu quelques modifications au fur des années, mais il s’est toujours doté d’un rôle général qui
vise à veiller sur la bonne application de la loi et à l’exécution des jugements. Ses missions pouvaient être présentées en
deux catégories d’attributions, d’abord des attributions extrajudiciaires qui consistent à vérifier l’ensemble des
démarches relatif à l’état civil ou encore la surveillance des officiers ministériels ; quant aux missions judiciaires qui lui
sont attribués : c’est son intervention dans les procès soit comme partie jointe ou partie prenante.
255
B – Le rôle protecteur de la justice.
622. Il a ainsi évoqué le rôle du ministère public dans 25 dispositions du texte575, des
dispositions qui lui accordent un rôle beaucoup plus moderne et étendu sur de
nombreuses questions. Un rôle qui lui permet de faire partie de l’ensemble des conflits
relatifs au droit de la famille, il revêt tantôt le rôle de protecteur tantôt d’assistant selon
les dispositions du texte. En outre, il est reconnu au ministère public la qualité de partie
principale dans toutes les affaires qui nécessitent l’application du texte ; son rôle permet
d’aider le juge à l’accomplissement de la bonne application de la loi, sans pour autant
influencer les décisions de ce dernier, ses observations servent à préserver un équilibre
entre l’ordre public et l’intérêt général de la société et les droits individuels de chaque
membre de la famille. Les auteurs décernent à cette institution, un pouvoir d’intervention
en adoptant des principes tirés même du droit musulman tels que « la hisba », un principe
qui consiste à rejeter le mal et rechercher le bien en formulant son avis dans l’intérêt de la
justice et de la bonne application de la loi.
623. Son nouveau rôle dans le texte lui permet de recevoir les plaintes, tenter les recours
et mettre en exécution les jugements s’il le faut. Ainsi, son rôle est intégré par l’article 3
du Code de la famille qui dispose que « le ministère public agit comme partie principale
dans toutes les actions visant l’application des dispositions de présent code ». Une
disposition qui ne figurait pas dans l’ancien texte de statut personnel, puisque
l’intervention du ministère public ne visait pas systématiquement toutes les actions en
matière familiale. Le recours à cette disposition et à l’obligation de son intervention est
basée sur l’idée de renforcer le respect de la loi du Code de la famille et de son esprit
notamment le respect des intérêts sociaux tels que le bien-être des époux et celui des
enfants, il revêt donc une fonction de protecteur à l’égard de ces derniers.
624. En effet, par ce rôle qui lui est attribué par le législateur, le ministère public agit
comme partie principale576 lorsqu’il joue le rôle de demandeur ou rarement de défendeur.
Son intervention représente un renforcement du rôle de l’Etat dans la protection des droits
et des intérêts des parties les plus fragiles, ainsi que les intérêts sociaux et c’est dans cet
esprit que le ministère public mène l’ensemble de ses interventions notamment en matière
de protection des droits de l’enfant.
575
Mohammed ESSAKHRI, L’intervention de ministère public dans la juridiction de la famille, journée d’études sur le
Code de la famille, Ministère de la justice marocain, Institut supérieur de la magistrature, éd., Maktabate dar salam,
Rabat, 2004 (en langue arabe).
576
Le ministère public peut agir comme partie jointe « lorsqu’il se joint à une des parties et à la représentante c’est
pourquoi il peut récuser comme les magistrats assis, il prend la parole le dernier, il ne peut pas former des voies de
recours contre le jugement et ne peut pas être condamné au paiement des frais du procès ».
256
- le ministère public peut intervenir dans l’objectif de faire une demande
d’enregistrement d’un enfant dans l’état civil, de veiller à la santé physique et
psychologique de l’enfant en ayant la possibilité de poursuivre toute personne lui
portant préjudice y compris ses parents577.
- Il intervient en matière de garde en intervenant auprès du tribunal afin de décider
la personne la plus apte à exercer la garde parmi les proches au cas où les
attributaires possible au droit de garde n’acceptent pas ou ne remplissent pas les
conditions578.
- Il possède également le droit d’élaborer une demande d’échéance du droit de la
garde pour l’un ou les deux parents, ou encore une demande en vue d’interdire un
enfant du voyage à l’étranger sans l’autorisation de son représentant légal 579.
- Il veille à avertir les autorités compétentes lorsque le tribunal n’accorde pas
l’autorisation de voyage d’un enfant soumis à la garde.
- Il peut demander l’annulation de l’autorisation accordée au mineur qui permet à
ce dernier de gérer ses biens.
- Il peut également exécuter toutes les décisions temporaires rendues par le tribunal
en faveur de la femme et des enfants.
- Il est également tenu de protéger les enfants abandonnés ;
- Le ministère public veille à la bonne conduite de la procédure et à son
déroulement dans les meilleures conditions.
A travers ces obligations, le ministère public s’est doté d’un pouvoir exceptionnel dans la
protection des droits de l’enfant à l’intérieur de la pratique judiciaire depuis l’adoption du
Code de la famille en 2004, un rôle qui lui permet d’aller jusqu’à entamer des poursuites
judiciaires s’il considère que les droits de l’enfant sont menacés. Autrement dit, le
ministère public revêt le rôle d’un protecteur et du garant des droits dans toutes les
questions qui concernent l’enfant. Il est également doté du droit exclusif en matière de
représentation légale de l’enfant et à l’égard des enfants abandonnés.
625.. En effet, son rôle en ce qui concerne les enfants abandonnés est primordial, dans le
sens où son intervention est légalement imposée dans un premier temps par l’article 4 du
Dahir chérifien n° 1-02-172 relatif à l’institution de la Kafala des enfants abandonnés et
qui permet au ministère public au côté du procureur du roi ou encore au sein de la
commission élaboré par le juge des tutelles dans l’objectif de collecter toutes les
informations nécessaires d’abord sur la situation de l’enfant mais également sur les
conditions dans lesquelles l’enfant va être pris en charge.
626. Ainsi, lorsque les conditions d’une Kafala ne sont pas favorables, le juge des tutelles
accorde au ministère public la mission du suivi et du contrôle de la situation de l’enfant
afin de préserver et sauvegarder la stabilité et les intérêts de ce dernier. De plus, le
ministère public peut également intervenir en la matière lorsque l’enfant négligé réside à
l’étranger, en se basant sur les rapports qui lui sont adressés par le consul à élaborer une
577
Article 177, du Code de la famille.
578
Article 165, du Code de la famille.
579
Article 179, du Code de la famille.
257
demande à l’égard du juge spécialiste s’occupant des affaires du mineur à prendre les
mesures nécessaires afin de protéger l’intérêt de l’enfant 580.
Le deuxième rôle primordial visant la protection des enfants est celui du juge des
tutelles ; ce dernier incarne en effet un rôle traditionnel et fidèle à la religion musulmane,
puisqu’il répond clairement à la règle du droit musulman qui définit l’incapacité en quatre
éléments qui sont : la minorité, l’aliénation mentale, la faiblesse d’esprit et la prodigalité.
Alors que l’article 149 de l’ancien texte accordait la tutelle uniquement au père comme
tuteur principal qui a le devoir de veiller sur les affaires personnelles et patrimoniales
jusqu’à la majorité légal du mineur, puis au juge qui conservait un rôle secondaire voire
exceptionnel lorsqu’il considérait que le père représente un danger à l’égard de la
protection de l’enfant et de ses biens. Dans ce cas, le juge désignait un gérant afin de
préserver les intérêts moraux et matériels de l’enfant. Quant à l’apport du nouveau code,
il a d’abord permis l’élargissement du rôle du juge puis a permis l’intégration du rôle de
la mère qui à son tour détient aujourd’hui le rôle de tutrice 581.
627. En effet, dans son article 230 le Code de la famille emploie le terme représentant
légal pour toute personne qui représente une personne dotée d’une incapacité signalée par
le code. Ce dernier désigne clairement ceux qui peuvent exercer cette tutelle dont une
première catégorie nommée de tuteur légal et qui se manifeste dans le rôle du père, de la
mère, de tuteur testamentaire qui se manifeste dans le rôle des personnes choisies par le
père et la mère, le tuteur datif qui est choisi par le tribunal. Et enfin, le juge qui lors d’une
absence de l’exercice par les tuteurs légitimes ou testamentaires exerce ce rôle582. Le
nouveau texte accorde un champ beaucoup plus large au niveau de la tutelle en soulignant
une tutelle plus élargie qui atteint également les orientations de l’enfant notamment celles
scolaires, éducatives ou encore religieuses. En outre, le juge des tutelles est également
doté d’un pouvoir d’interprétation plus large qui lui permet d’analyser au côté du
ministère public la situation individuelle de chaque enfant, tout en ayant la possibilité
d’intervenir dans les rôles attribués au père et à la mère afin qu’ils soient favorables à la
protection des droits de l’enfant.
628. Ainsi, dans l’article 232583 le législateur élargit également le domaine d’application
de cette fonction de représentant légal qui est étendue aux personnes physiques ou aux
institutions qui peuvent être des représentants légaux et de protéger les intérêts personnels
du mineur, en attendant que le juge nomme ou désigne un tuteur datif. Une disposition
qui se concrétise à titre exemple, lorsque le procureur du Roi ordonne de placer
provisoirement un enfant abandonné auprès d’une institution ou d’une famille.
580
Idriss FAKHORI, op. cit., p. 196.
581
Cependant, il est à souligner que le rôle attribué à la femme demeure lacuneux puisqu’il ne peut être exercé que
lorsque le père est dans l’impossibilité d’assurer ce rôle dû à son absence, ou à son incapacité, la mère peut donc
exercer ce rôle quand il est question des affaires urgentes ne pouvant pas être retardées et attendre la présence du père.
582
L’article 231 du Code de la famille dispose que « la représentation légale est assurée par le père majeur, la mère
majeure, à défaut du père ou par suite de la perte de la capacité de ce dernier, le tuteur testamentaire désigné par le père,
le tuteur testamentaire désigné par la mère, le juge, le tuteur datif désigné par le juge.
583
Article 232 du Code de la famille dispose que « dans le cas où le mineur est placé sous la protection effective d’une
personne ou d’une institution, ladite personne ou institution est considérée comme son représentant légal en ce qui
concerne ses affaires personnelles, en attendant que le juge lui désigne un tuteur datif ».
258
De ce fait, ces deux derniers sont déclarés comme représentants légaux du mineur dans
toutes ses affaires personnelles notamment en matière de soins médicaux, des études ou
autre en attendant que le juge désigne son tuteur datif.
629. Il est également intégré dans le texte une autre nouveauté, qui consiste à doter le
tuteur de veiller non seulement sur les biens du mineur comme le précisait l’ancien texte
de statut personnel mais également sur la personne de l’enfant une mission qui demeure
sous le contrôle général du juge des tutelles, qui demeure chargé de contrôler toutes les
actions que le tuteur peut effectuer pour le mineur et qui sont limitées dans l’article 271
du Code de la famille. Le rôle du ministère consiste également à protéger l’enfant objet
d’une procédure de tutelle, vérifiant toutes les conditions que le tuteur testamentaire ou
datif doit remplir avant de le désigner comme tuteur, ce dernier qui doit « jouir de la
pleine capacité être diligent, résolus et honnête »584. Le législateur a clairement réservé un
rôle primordial au juge des tutelles et au ministère public, en leur accordant la possibilité
d’interpréter les dispositions du texte dans l’objectif de surveiller les représentants légaux
lorsque l’enfant fait l’objet d’un dossier de tutelle.
630.. Une troisième modification peut être considérée comme favorable à la protection
des droits de l’enfant, qui est celle de la création d’un juge chargé du mariage. En effet,
ce dernier occupe aujourd’hui un nouveau rôle qui consiste à vérifier et contrôler la
validité des conditions et du contrat du mariage afin de protéger les deux époux ainsi que
les enfants. Un des principaux rôles de ce juge figure dans son contrôle des mariages
précoces, qui est toujours exercé au Maroc et qui fait l’objet d’un grand débat depuis la
réforme de 2004 malgré qu’elle ait modifié l’âge du mariage des filles de 15 à 18 ans, le
mariage des mineurs est toujours fréquent ; puisque le juge chargé du mariage contrôle un
nombre de conditions de l’instrumentalisation du contrat de mariage, afin de prendre les
mesures nécessaires pour interdire le mariage des mineurs. Cependant, il est souvent
confronté à cette situation qui l’oblige d’analyser un nombre de conditions qui permettent
ce mariage notamment :
584
Article 246 du Code de la famille.
585
Article 20 du Code de la famille.
259
Néanmoins, en cette matière le législateur marocain ne prévoit pas de précisions sur les
justificatifs d’une autorisation de mariage des mineurs, et laisse la liberté au juge du
mariage de décider de cette matière tout en ayant l’obligation de respecter la protection
de l’intérêt supérieur de l’enfant.
631. Dans le cadre de la modernisation de la justice familiale, la nouvelle organisation
judiciaire s’est également dotée d’une nouveauté au niveau des procédures et qui consiste
à installer la procédure de conciliation ou de médiation à travers la création du juge
conciliateur qui malgré son caractère moderne, le législateur a trouvé un fondement
religieux afin d’installer cette étape qui est devenue primordiale586. En effet, il s’agit
d’une nouvelle procédure installée depuis l’adoption du texte de 2004 qui s’y réfère à
travers un nombre d’articles notamment les articles 81, 82, 95, 96, 113 et 114 qui
exposent le déroulement de la procédure en soulignant la prise en considération de
l’existence des enfants à titre exemple l’article 82 qui dispose qu’« en cas d’existence
d’enfants, le tribunal entreprend deux tentatives de conciliation, espacées d’une période
minimale de trente jours » ; une disposition qui permet d’exposer la prise en
considération de l’existence des enfants.
632. La comparaison entre les deux systèmes judiciaires familiaux français et marocain
sur la création d’une juridiction spécialisée qui vise à protéger les droits de l’enfant et son
intérêt supérieur semble être identique. En effet, l’adoption du Code de la famille
marocain en 2004 a clairement permis à cette juridiction d’organiser les rôles des juges et
de moderniser la juridiction dans son ensemble. Ainsi, les juges qui examinent et
apprécient l’intérêt supérieur de l’enfant sont regroupés dans une seule chambre ce qui
permet à mieux définir ce principe. Cependant, dans la pratique il semble évident que
l’application du Code de la famille fait face à une difficulté d’organisation de la section
familiale qui apparaît sous différents angles pouvant être cités comme suit :
- l’existence d’un conflit de répartition des attributions qui ne semble pas être claire
entre le président du tribunal de première instance et le président du tribunal
familial et plus précisément dans les procédures d’urgences qui concernent la
protection des femmes et des enfants au sein de la famille. Puis, l’existence d’un
conflit hiérarchique qui oppose le président de la section de la famille qui est
désigné par l’assemblée générale du tribunal de première instance et les juges
spécialisés qui sont nommés par le ministre de la justice;
- Un manque des moyens humains et matériels au sein du tribunal de la famille
ainsi qu’un manque d’autonomie qui est censé être un principe de base, puisque
ce tribunal dépend toujours aujourd’hui du tribunal de première instance ;
- Une difficulté avérée chez les magistrats de rompre avec les anciennes valeurs de
l’ancien statut personnel ;
586
Dans l’objectif de légitimer la procédure de conciliation, le législateur marocain s’est référé à un verset coranique
qui expose explicitement la possibilité du recours à cette procédure « Si vous craignez le désaccord entre les deux
époux, envoyez alors un arbitre de sa famille à lui, et un arbitre de sa famille à elle. Si les deux veulent la
réconciliation, Dieu rétablira l’entente entre eux, Dieu est, certes, omniscient et parfaitement connaisseur », Alnissa,
Verset 35, Coran.
260
- L’opposition avérée entre les magistrats conservateurs et progressistes 587 .
- Le nombre de magistrats déployés est très limité, depuis l’adoption du texte le
royaume compte uniquement une soixantaine de magistrats.
Face à ces limites, il s’avère difficile d’établir un bilan positif de l’application du Code de
la famille par la justice, puisque malgré l’existence du texte et la création d’une justice
spécialisée afin de garantir l’individualisation des droits au sein de la famille, la
comparaison de l’appréciation du juge des droits individuels et de l’intérêt supérieur de
l’enfant entre le juge français et son homologue marocain diverge. En France
l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant est explicitement exprimée par le
législateur et la réception directe de la CIDE semble être efficace dans la pratique ainsi
que l’adoption d’une justice spécialisée et qui fait face à moins de difficultés, répond aux
critères d’application et du respect du droit de la famille. Quant au juge marocain,
l’appréciation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant fait encore face à nombre de
problèmes qui sont liés soit au texte lui-même ou à l’interprétation de ce dernier par le
juge, ce dernier qui privilégie souvent le conservatisme met en priorité la protection du
model familial traditionnel588.
634. La réforme du droit de la famille de 2004 a fait de la garantie d’une justice loyale,
un de ses principaux objectifs. En effet, le législateur a visé la garantie d’un bon
fonctionnement juridictionnel à travers la fonction du juge et des garanties de la
juridiction familiale dont dispose le texte. En effet, le juge est appelé à rendre justice, une
mission obligatoire qui figure explicitement dans toutes les dispositions juridiques qui
condamnent le déni de justice. D’ailleurs, ce dernier est explicitement condamné en droit
marocain que ce soit dans le Code de procédure civile qui à travers son article 2 dispose
que « le juge ne peut se dispenser de juger ou de rendre une décision ; toute affaire
portée devant une juridiction doit donner lieu à un jugement ». Ou encore l’article 240 du
Code pénal qui dispose que « tout magistrat ou tout fonctionnaire public investit
d’attributions juridictionnelles qui, sous quelque prétexte que ce soit, même du silence ou
587 587
Fouzia RHISSASSI et Khalid BERJAOUI, op. cit., p. 68.
588
Il est à noter que la réforme du système judiciaire s’est heurtée à de nombreux obstacles notamment une
réunification des tribunaux qui semble avoir échoué puisque la majorité des tribunaux familiaux est dépassée par le
nombre des affaires traitées notamment l’exemple de la ville de Casablanca qui souffre d’une grande désorganisation
due à ce débordement.
261
de l’obscurité de la loi, a dénié de rendre justice qu’il doit aux parties après en avoir été
requis et qui a préservé dans son déni, après avertissement ou injonction de ses
supérieurs, peut être poursuivi et puni d’une amende de 250 dirhams au moins et 2500
dirhams au plus et de l’interdiction de l’exercice de fonctions publiques pour une durée
d’un à dix ans ». Ainsi, le juge chargé des affaires familiales est également concerné par
cette réglementation. La réticence du texte du Code de la famille à l’égard de n’importe
quelle question ne peut pas être évoquée comme un justificatif vis-à-vis l’obligation
juridique du juge. En effet, ce dernier conserve la possibilité de recourir d’abord à tous
les travaux du parlement et de la commission royale qui ont menés la réforme du Code de
la famille, puis le recours à la religion et notamment à la doctrine Malékite.
635. Ainsi, le juge chargé des affaires familiales est appelé à traiter et de rendre justice
tout en respectant les lois qui régissent la matière même lorsque les parties ne réclament
pas l’ensemble de ces droits ; à titre d’exemple lorsque le juge est affronté à un procès de
divorce pour discorde, il est systématiquement tenu de statuer d’abord sur la séparation
des époux puis sur les modalités de la garde des enfants, sur leur logement, leur pension
alimentaire ainsi que sur l’ensemble des éléments qui participent à assurer l’intérêt de ces
derniers.
636. L’obligation du juge à élaborer un jugement l’astreint également à interpréter
quelques règles de droit afin d’apporter des solutions à tous les litiges. En effet, comme
nous l’avons déjà avancé, les dispositions du Code de la famille marocain n’apporte pas
des réponses explicites à toutes les questions relatifs aux conflits familiaux, le juge est
donc obligé d’aller chercher des réponses légitimes et fondés à travers son pouvoir
d’interprétation. Ce dernier peut être exercé de différentes manières, soit d’une manière
traditionnelle et classique où le juge va chercher une interprétation basée sur des règles
préexistantes que le juge adaptera à chaque situation à laquelle il est affronté, soit d’une
manière plus moderne c’est-à-dire le pouvoir d’interprétation incitera le juge à considérer
l’interprétation comme une activité créative qui lui permet de rechercher la solution dans
un champ beaucoup plus large, et enfin il y a la méthode qui fusionne les deux et qui
permet au juge d’utiliser l’interprétation tantôt comme un élément de connaissance et de
savoir, tantôt comme un élément de créativité. Pour le juge marocain, le choix s’est porté
sur la méthode classique qui consiste à exercer l’interprétation à travers le puisement dans
l’ensemble des règles préexistantes en droit musulman puisque le texte même du Code de
la famille prévoit explicitement cet attachement à travers l’article 400.
637. Toutefois, ce nouveau pouvoir du juge chargé des affaires familiales demeure
variable et s’adapte aux procédures qui peuvent relever d’une matière gracieuse où le
juge jouit d’une liberté et d’un pouvoir très large d’investigation sur le plan procédural
puisqu’il peut éviter l’accomplissement des règles qui encadrent l’instruction parce qu’il
n’est pas soumis au principe de la contradiction. En effet, les attributions au juge de la
famille en la matière sont divers et variés, puisqu’il est tenu d’abord d’homologuer les
actes dressés par les adouls, d’autoriser les mariages des mineurs ou d’un incapable ou un
faible d’esprit, ou encore d’homologuer toutes les décisions prises par un mineur ou par
son tuteur en tout ce qui concerne la gestion du patrimoine du mineur.
262
638. La voie gracieuse permet une intervention en l’absence d’un litige opposant deux
parties ; elle intervient lorsqu’il y a une partie demanderesse sans viser à obtenir un
jugement contre une deuxième partie ; elle est en effet, marquée par l’absence du principe
de la contradiction. La voie gracieuse accorde au juge un rôle marqué de neutralité et de
liberté, qui lui permet de mener des constatations qui peuvent être basées sur des
investigations et d’intervenir dans l’objectif d’accorder un effet à la volonté contractuelle.
639. Quant au pouvoir du magistrat en matière contentieuse, il fait l’objet d’une
réglementation très stricte soumise au principe de la contradiction. En effet, les affaires
tranchées par voie contentieuse sont traitées par une instance collégiale589 qui fait du
principe de la contradiction des débats un élément primordial. L’application de ce
principe en matière familiale implique que le demandeur que ce soit l’époux ou l’enfant
informe le défendeur de ses prétentions et que les deux parties échangent leurs visions et
leurs conclusions vis-à-vis du litige en menant des débats qui soient eux-mêmes
contradictoires. Concernant les faits présentés au juge, ce dernier doit élaborer une
appréciation globale pour statuer. Par ailleurs, la question qui se pose est celle de
connaitre l’attitude adoptée par le juge dans l’élaboration d’une appréciation relative aux
faits. Vers quelle méthode se dirige-t-il afin d’apporter une réponse adaptée à chaque
situation ?
640. En guise de réponse, il est possible de présenter deux types d’appréciation sur
lesquels le juge des affaires familiales peut se basée afin de rendre justice. En effet, pour
de nombreux praticiens marocains, la question est très complexe puisque ce magistrat est
tenu de faire une appréciation sur un conflit qui ressort d’un domaine très sensible qui est
celui de la famille ; il est ainsi tenu de prendre en considération non seulement les critères
et les règles judiciaires mais il est également appelé à prendre en considération des
critères de non-droit ou des critères extrajudiciaire afin de rechercher des solutions au
conflit qui permettent de surmonter les problèmes et les contradictions des parties et ce,
plus précisément lorsqu’il y a des enfants. De plus, l’appréciation du magistrat peut être
de deux sortes : soit une appréciation concrète soit une appréciation abstraite. En ce qui
concerne la première, le juge est amené à traiter l’affaire qui lui est soumise en tenant
compte les circonstances et du critère humain de l’affaire notamment lorsqu’il s’agit des
affaires où les enfants représentent un objet de protection en matière de garde ou de
pension alimentaire.
Quant à l’appréciation abstraite, elle est plus pratiquée lorsqu’il est question d’un
domaine essentiellement normatif où le juge est amené à statuer sur des affaires où il
n’est pas essentiel de prendre en considération l’élément humain ou les circonstance des
parties telles que les affaires relatives à la nullité du mariage ou autre.
A cet égard, il semble évident que les deux modalités d’appréciation du juge peuvent être
complètement différentes entre une appréciation qui aboutit à un constat global visant un
idéal humain et une appréciation qui singularise chaque situation et qui permet
l’individualisation.
589
Les décisions rendues par les sections de la justice familiales doivent être prises par trois magistrats statuant après
un délibéré collectif, toute transgression à cette règle est sanctionnée par la nullité du jugement.
263
L’une repose seulement sur des éléments objectifs, alors que la deuxième qui est concrète
prend en considération à la fois l’élément objectif et subjectif, et plus elle accorde
l’importance à l’élément subjectif plus elle devient concrète, et de ce fait elle permet donc
une individualisation de chaque décision. Une possibilité qui offre au juge la possibilité
de s’adapter à chaque situation et de trancher le litige non seulement par une application
stricte, mécanique et systématique de la règle de droit mais par la prise en considération
de chaque intérêt individuel, autrement dit, le juge tranche le litige par une hiérarchisation
des intérêts en conflit visant à utiliser les éléments extrajudiciaires lui permettant une
meilleure prise en considération l’intérêt de la famille, l’intérêt du couple, l’intérêt des
enfants ou d’autres intérêts tels que l’intérêt financier ou social.
590
R. Naji ELMEKAOUI, De la réforme de la Moudawana à la cohésion sociale, contribution apportée dans : une
décennie de réformes au Maroc (1999-2009), sous la direction du centre d’études internationales, éd. Karthala, 2010, p.
219.
264
B - Les limites de la nouvelle juridiction.
642.. L’adoption d’une justice spécialisée en matière familiale, a permis au juge marocain
d’incarner un nouveau rôle qui lui permet de passer d’un juge de certification à un juge
d’action dans les litiges qui lui sont soumis. Ce rôle d’acteur lui a offert une liberté
d’exercice basée sur un texte considéré comme moderne et cohérent avec ses nouvelles
tâches. Cependant, nombreuses sont les failles de cet exercice moderne que ce soit dans
l’exercice du juge et de son interprétation ou du texte de référence.
643. Le devoir du juge de la famille consiste en principe à rendre justice selon les
dispositions qui lui sont soumis par le Code de la famille en prenant en considération
l’esprit de la loi. Par ailleurs, le législateur marocain reconnaît que le texte adopté en
2004 est dans l’incapacité d’apporter des réponses pointues à toutes les situations
auxquelles le juge familial est affronté en vue de la diversité de ces affaires. Dans ce sens
le législateur a fait le choix d’apporter une réponse par la préservation de l’esprit de
l’ancien texte du statut personnel qui s’inspirait du rite Malékite, en faisant de sa
jurisprudence une référence subsidiaire en obligeant le juge à recourir au fiqh afin
d’apporter une réponse à toutes questions juridiques soulevées. Comme le précise à titre
d’exemple l’article 82 du Code de statut personnel qui dispose que « tous les cas qui ne
pourront être résolus en application du présent code, seront réglés en se référant à
l’opinion dominante ou à la jurisprudence constante dans le rite Malékite »591.
644. Dans la réforme de 2004, le législateur a préservé le même esprit de cette disposition
en apportant une légère modification en élargissant le champ de recours du juge à
l’ensemble des prescriptions du rite Malékite et non seulement aux références « à opinion
dominante » ; une conservation qui s’est traduite comme suit par l’article 400 du Code de
la famille qui dispose que : « pour tout ce qui n’a pas été expressément énoncé dans le
présent code, il y a lieu de se référer aux prescriptions du rite Malékite et /ou aux
conclusions de l’effort jurisprudentiel (Ijtihad), aux fins de donner leur expression
concrète aux valeurs de justice, d’égalité et de coexistence harmonieuse dans la vie
commune, que prône l’islam »592. Cette disposition apporte une réponse à double
tranchant, puisqu’elle permet dans un premier temps de combler un vide juridique en se
référant au rite Malékite qui englobe une vaste jurisprudence, mais en écartant un
possible référence aux textes internationaux.
265
Cette disposition pose deux problèmes majeurs pour le juge marocain ; d’abord une
problématique liée à l’élargissement du champ de recherche du juge dans le rite Malékite,
puisqu’il n’est plus tenu de juger selon l’opinion et la jurisprudence dominante comme
c’était le cas dans l’ancien statut personnel , mais en se référant à l’ensemble des règles
de l’école Malékite voire des autres écoles ou de la religion musulmane, chose qui peut
paraître comme une liberté accordée au juge mais qui contient dans le fond une
interprétation aléatoire des règles religieuses et qui consiste à établir une jurisprudence
variée entre des règles et des interprétation rigoristes et d’autres modérées du rite
Malékite ou de la religion musulmane dans son ensemble.
646. Une deuxième constatation sur l’effet de cette disposition consiste à la mise en place
d’une limite législative explicite, puisque cette référence démontre que le législateur n’a
pas réussi à régir la matière familiale dans son ensemble avec la mise en place d’un texte
qui ne répond pas à toutes les situations auxquelles le juge sera confronté. Une décision
qui met le juge en position d’affronter les nouvelles situations auxquelles la loi n’a pas
apportées de réponses. Ainsi, malgré que le moyen du recours au rite Malékite soit une
réponse, il divise les juges en deux catégories : d’abord, des magistrats qui se réfèrent aux
règles de ce rite en considérant qu’il apporte des réponses à toute problématique
familiale. Puis, les magistrats qui refusent ce retour systématique aux règles qu’ils jugent
non-adaptées à la société actuelle et qui considèrent qu’à partir de la même disposition
de l’article 400, le juge bénéficie d’un pouvoir ‘de conclusion jurisprudentielle’ (Ijtihad)
ce qui leur permet de formuler et de rechercher de nouvelles solutions inspirées par le rite
Malékite.
647. En outre, la divergence jurisprudentielle qui peut être liée à la disposition de l’article
400 renvoie également à un élément primordial qui participe d’une manière directe à
l’élaboration du jugement et qui dépend de la personne, de la mentalité du juge lui-même
et de sa formation. En effet, le choix de rendre un jugement en se basant sur une référence
religieuse ou sur la prise en considération de l’esprit global du Code de la famille jugé de
moderniste et des textes internationaux n’est pas chose aisée et demeure un choix des
juges.
Ces derniers qui sont souvent conservateurs puisqu’ils sont formés dans l’ancienne
école593. En effet, ce conservatisme se présente comme une limite avérée face à l’esprit
novateur du Code de la famille et vide ce dernier de son objectif qui est avant tout la
modernisation et l’adaptation d’une législation à l’évolution sociale et familiale. En outre,
c’est la crainte d’une lecture et d’une application décalée du texte par le juge mais qui
procure une référence légitime laissée par le législateur ce qui remet en question la
possibilité du changement 594.
593
Bérénice MURGUE, La Moudawana : les dessous d’une réforme sans précédent, Les cahiers de l’orient, 2011/2, n°
102, p. 23.
594
Mohamed MOUAQIT, Disposition culturelle/ axiologique du juge et interprétation du nouveau code de la famille,
Le Code de la famille : perceptions et pratique judiciaire, 2007, p. 141.
266
648. La mentalité conservatrice de ces juges est souvent dissimulée par un pragmatisme
ou un en sens de réalisme des arguments avancés par ces derniers en se basant sur la
mentalité de la majorité de la population qu’ils ne considèrent pas prêts à un changement
social aussi important que l’adoption de nouveaux principes qui touchent aux rapports
familiaux. Ce conservatisme du juge est également le résultat d’une association d’un
nombre d’éléments personnel du juge qui influencent clairement la mentalité et
l’interprétation du code de la famille dont l’âge, le sexe, le milieu sociale, l’éducation.
Selon le professeur M. MOUAQIT, le profil du juge représente un élément principal dans
l’interprétation et l’application du texte. En effet, le profil dominant chez les juges des
tribunaux familiaux est souvent « issu d’un milieu social, modeste ou moyen, ils sont
placés sur une échelle de mobilité sociale valorisante, car menant vers une condition
sociale meilleure que celles dont ils sont issus ; âgé entre 35 et 40 ans, diplômés des
universités de droit du royaume et dotés d’une formation moderne », ces juges se
trouvent devant un exercice qui fait face à une diversité sociale entre les milieux urbains
et ceux ruraux.
649. Autrement dit, le juge se trouve devant l’obligation de s’adapter entre deux milieux
différents ; d’abord un premier qui est plus citadin, plus ouvert et qui porte en lui des
crises de valeurs, de religion, et de tradition ; quant au deuxième, il demeure marqué par
la tradition et la religion, ce qui oblige le juge à s’adapter aux éléments de culture, de
valeur et de religion. Un autre élément marque également la constitution de ce profil et
qui consiste à souligner le sexe des juges qui fait la différence, puisque le nombre des
juges femmes est beaucoup plus inférieur que les hommes ainsi que la présidence de ces
tribunaux est souvent assurée par des hommes, un manque de féminisation du secteur qui
reflète en quelque sorte l’esprit dominant dans le domaine de la justice familiale. Cet
esprit est basé sur un système constitué de cultures, de valeurs et de religions ; il
caractérise la société de manière générale, et marque le juge en tant que citoyen.
650. Un système basé principalement sur « des relations d’inégalité et de discrimination
à l’encontre des femmes où la croyance religieuse est le foyer central et la forme
dominante de la légitimation du modèle patriarcale »595. Ainsi, la constitution du système
de valeur de culture et de religion du juge est également le résultat des ambiguïtés qui
entourent ces éléments dans l’ensemble de la société, puis le domaine même du juge
spécialiste de la famille. En effet, c’est la spécificité du modèle traditionnel de cette
dernière jugée de spécialité sensible qui complique encore plus la tâche de l’application
d’une justice moderne puisqu’elle englobe l’ensemble de ces éléments. Autrement dit, la
difficulté du juge de la famille se manifeste avant tout dans le code de la famille qui
combine entre des règles de droit positif et celles du Fiqh.
651. Le juge étant le produit de cette société et un acteur d’affirmation des règles du code
de la famille qui participe également à affirmer cet ordre social ainsi que celui des valeurs
à travers sa fonction qui consiste également à interpréter et adopter selon sa vision
personnelle « sa propre hybridité » dans le cadre et la liberté qui lui sont offerts par le
législateur.
595
Ibid, p. 152.
267
Le résultat de cette ambiguïté se manifeste par la complexité du juge à adopter une
attitude ou une vision moderne du Code de la famille ou l’intégration des textes
internationaux envers lesquels le Maroc est engagé, puisque ce dernier malgré qu’il se
réclame moderniste dans la pratique même lorsque ce dernier acquiert la liberté de choisir
entre une interprétation traditionnelle ou moderne, la majorité choisit le premier choix qui
est souvent justifié par le pragmatisme et le réalisme du juge par rapport aux mentalités et
à la société dans son ensemble. Il est également important de souligner que la réalité
derrière les discours progressistes à l’égard de la dernière réforme, il y a un alignement à
la politique menée par l’Etat et également la volonté royale et à son discours visant la
réforme du Code de la famille et sa modernisation.
652. Un autre élément participe d’une manière directe à influencer l’interprétation des
dispositions du code de la famille, c’est le rôle de la femme au sein du corps de la
magistrature. En effet, la spécificité de la pratique de la femme juge est significative au
Maroc notamment en matière familiale, puisque les tribunaux de la famille sont peu
féminins 596. Mais le rôle incarné par ces femmes semble très important dans la pratique.
En se considérant comme militantes, elles osent dans la plupart des cas respecter l’esprit
de du texte et interpréter les dispositions qui portent ambiguïté à cet esprit dans l’intérêt
d’une égalité entre hommes et femmes et dans l’intérêt de protéger les droits de l’enfant.
Elles ont également souvent le courage d’évoquer les textes internationaux et les
engagements du Maroc par rapport aux principes des droits de l’Homme. Leur
interprétation de l’article 400 des dispositions du code de la famille diffère, puisqu’elles
considèrent que la prise en considération des conventions internationales ainsi que du
texte de la constitution font également partie des références principales qui visent la
protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou celui de la famille en général.
653. De plus, dans une enquête menée par M. MOUAQIT, ce dernier met également la
lumière sur la volonté de certaines magistrates « de vouloir appliquer rétroactivement les
dispositions les plus favorables à la femme du nouveau code de la famille à des dossiers
pendants qui avaient été engagés dans le cadre de l’ancien texte du statut personnel »597 ;
un exemple qui renvoie à la volonté de ces femmes de couper de par leur fonction avec
l’ancienne Moudawana et ses dispositions jugées d’inégalitaires.
Cependant, cette vision ne concerne pas toutes les magistrates et ne peut être généralisée,
puisque la majorité n’adopte pas une vision militante. Au contraire, la majorité a plus
tendance à vouloir s’intégrer dans un milieu masculin, ainsi à adopter des visions
conformes à celles de la majorité (des hommes). c’est dans ce sens que la majorité des
professionnels et des associations féministes affirme qu’il n’a pas un vrai impact et une
influence d’interprétation suite au recrutement des femmes dans les tribunaux familiaux,
mais ça consiste plus à la formation et à la mentalité du juge qu’à son sexe 598.
596
En 2015, le ministre de la justice Mustapha RAMED a déclaré que le Maroc compte 1.000femmes juges sur un total
de 4.175 magistrats en fonction dans les tribunaux du royaume, une légère augmentation par rapport à 2009 où le corps
de la magistrature comptait 611 femmes.
597
Mohamed MOUAQIT, op. cit., p. 151.
598
Marième N’DAYE, La politique constitutive au sud : refonder le droit de la famille au Senegal et au Maroc, thèse,
Université Montesquieu BORDEAUX IV, 2012, p. 376.
268
654. Ainsi, dans l’ensemble les juges progressistes qui osent prendre en considération les
textes internationaux au dépriment de la référence culturelle et religieuse qu’ils soient
hommes ou femmes ne représentent pas la majorité puisque la plupart des jugements
rendus depuis l’adoption du code de la famille sont majoritairement fidèles aux normes et
aux valeurs sociales de la société actuelle qui sont jugées ‘traditionnalistes en
mouvements’. Selon la majorité des juges, leur rôle ne peut pas être détaché de la réalité
sociale, d’où les interprétations conservatrices des dispositions du texte ou la négligence
des conventions internationales, qui sont jugées de très occidentalisées pour la pratique au
sein de la société marocaine, et plus précisément pour la famille marocaine. Cette
dernière, qu’ils considèrent comme traditionnelle et caractérisée par les valeurs et les
traditions musulmane qu’ils doivent également prendre en considération dans leur
application du droit599.
655. Dans le même sens, il est important de s’arrêter sur ce pouvoir qui mène toute la
différence en droit de la famille et qui est celui de l’interprétation du juge. En effet, si
l’idée développée par Montesquieu consiste que « les juges de la nation ne sont (…) que
la bouche qui prononce les paroles de la loi ; des êtres inanimés qui n’en peuvent
modérer ni la force ni la rigueur »600, elle doit être prise par modération en ce qui
concerne le juge familiale marocain, et ce pour des raisons que la majorité des juges
marocains défendent en se basant tout d’abord sur leur obligation d’appliquer une loi
adaptée avec la réalité sociale mais également parce qu’il y a d’autres éléments qui
participent à l’influence du système d’interprétation du juge notamment la politique
menée par l’Etat qui elle-même sauvegarde une sorte d’ambigüité entre le moderne et le
religieux, d’où la difficulté d’une bonne interprétation du droit par le juge. La question
d’interprétation du droit n’est pas une exception du juge marocain, c’est une pratique
juridique dans tous les systèmes judiciaires. Il est donc un pouvoir attribué aux autorités
chargées d’appliquer la loi notamment dans un premier temps le juge, qui doit interpréter
la loi afin de dégager le sens du texte et donc l’interpréter.
656. De plus, il importe de mettre la lumière sur la question d’interprétation afin de
comprendre la conception du juge marocain en la matière. L’interprétation de la règle
n’est pas une pratique récente, elle a en effet caractérisé dans un premier temps le champ
religieux en occident. Elle consistait à interpréter le texte sacré en lui accordant une seule
interprétation possible ce qui été considéré comme « un acte de connaissance dont
l’opération peut être réussie ou non et la proposition pouvait être vraie ou fausse ».
Ainsi, c’est selon cette conception que le juge devait appliquer les lois sans aucune
interprétation, une conception qui a atteint rapidement ses limites. Ainsi, à partir du
XXème siècle, une nouvelle doctrine va défendre le rôle du juge et de son pouvoir
d’interprétation en se basant sur l’évolution de la société et aux besoins de cette dernière,
permettant au juge d’exercer l’interprétation comme étant une recherche scientifique.
599
Bérénice MURGUE, La Moudawana : Les dessous d’une réforme sans précédent, Les cahiers d’orient, 2011/2 N°
102, p. 26.
600
Montesquieu, De l’esprit des lois, 1748, Deuxième partie, Livre XI, Chapitre VI.
269
Une autre conception d’interprétation s’est également développée considérée comme plus
réaliste et qui consiste à réaliser l’interprétation par le juge en accordant aux textes un
esprit, un sens en choisissant entre ce que les textes offrent aux juges, et c’est ce choix et
cette volonté du juge qui permet d’accorder au juge « un pouvoir considérable à produire
la norme qu’il est censé appliquer »601. Pour Mme Caroline BOUIX, la combinaison de
l’ensemble de ces conceptions peut être possible, puisque l’interprétation peut être « à la
fois un acte de connaissance et de volonté »602 ; d’abord un acte de connaissance parce
que l’interprétation est canalisée par l’ensemble des règles, puis un acte de volonté
lorsque le contexte n’accorde pas un seul sens à la règle et accorde au juge le pouvoir de
choisir le sens adapté à chaque situation. La combinaison de ces deux conceptions permet
d’apporter une réponse à la méthode adoptée par les juges en matière d’interprétation.
657. Par ailleurs, pour le juge marocain, elles ne représentent pas les seules références
puisque le juge marocain est également influencé par la définition de cette liberté
d’interprétation telle qu’elle est définit en droit musulman et qui se base sur des principes
de raisonnement que nous avons déjà détaillés tels que l’analogie ou le consensus ;
l’interprétation doit également être non blâmable, ce qui rentre dans les conditions de
protection de l’intérêt de la famille et de la société et le cadre religieux de ces derniers
afin qu’elle soit admise dans la jurisprudence musulmane.
658. C’est en se basant sur ces conceptions d’interprétation que le juge marocain s’est
forgé une capacité d’interprétation du code de la famille où l’ambigüité du texte oblige
souvent le juge à interpréter les règles ainsi que l’esprit global du texte. L’évaluation du
pouvoir d’interprétation du juge marocain en matière familiale renvoie clairement au
pouvoir qui lui est accordé par le code de la famille, ce pouvoir exprimé par le Roi lui-
même lors de son discours à l’ouverture de la deuxième année législative de la 7 ème
législature en 2003 où il souligne le rôle du juge et de son pouvoir d’appréciation et
d’interprétation dans différentes situations notamment lorsqu’il s’agit « d’assurer
l’égalité entre l’homme et la femme par rapport à l’âge du mariage, avec certaine
prescription du rite Malékite, et laisser à la discrétion du juge la faculté de réduire cet
âge ; l’autorisation à la polygamie qui demeure sous le contrôle du juge ; l’intervention
du juge pour la conciliation ; le contrôle du juge pour le divorce par consentement
mutuel ; l’appréciation du juge par rapport à la garde des enfants, etc.… ». En effet,
cette importance accordée au rôle du juge laisse entendre que ce dernier n’est plus un
outil d’application de loi mais il est devenu un acteur qui participe à l’appréciation et
l’interprétation de la règle.
659. Le pouvoir d’interprétation du juge ne peut être exercé par le juge que lorsque le
législateur le permet ; ce dernier met en effet l’exercice de l’interprétation comme un
pouvoir précis et exceptionnel et non pas comme l’exercice principal du juge. Par
ailleurs, pour que ce pouvoir ne soit pas un exercice généralisé du juge, il faut que la loi
réponde par ses dispositions ou par son esprit à toutes les situations auxquelles le juge est
601
Caroline BOUIX, L’interprétation de la loi par le juge, colloque annuel institut catholique, La loi et le juge, 20
Octobre 2016.
602
Caroline BOUIX, L’interprétation de la loi par le juge, Colloque annuel Institut Catholique « La loi et le
juge », 20 octobre 2016.
270
confronté. De plus, des fois la combinaison entre les dispositions d’un texte et son esprit
peuvent accorder une multitude de réponses au juge qui peuvent être contradictoires, ce
qui « fait du juge un quasi législateur si ce pouvoir est amené à s’exercer sur fonds d’un
vide, d’un silence ou d’une lacune législative, volontaire ou non »603. Le Code de la
famille, fait partie de ces textes qui sont généralement passibles d’interprétation suite aux
imprécisions, ambiguïtés et aux lacunes existants entre le texte de loi et son esprit ou
encore dans les dispositions elles-mêmes ce qui élargit le pouvoir du juge en matière
d’interprétation.
660. Ainsi, le juge marocain de la famille est souvent amené à élaborer deux types
d’interprétations. D’abord, une interprétation à travers son obligation d’appliquer la loi et
qui peut être considérée comme indirecte puisqu’elle se base sur l’application d’une
disposition mais que cette dernière nécessite une appréciation de la situation et non pas de
la loi. Ainsi, la portée du pouvoir d’interprétation du juge marocain en matière familiale
peut être divisée en deux catégories : d’abord des matières définies dans la forme et dans
le fond par le législateur mais qui accordent une marge d’interprétation au juge. À titre
exemple en matière de rupture du lien conjugal, le législateur précise toutes les modalités
de la rupture du lien du mariage en fixant tous les droits et les devoirs de chaque époux.
Néanmoins, le juge sauvegarde une marge d’interprétation qui permet de mettre en
évidence son appréciation en matière de préjudice moral ou matériel qui justifie la
rupture604 ; ou encore l’appréciation du juge en matière des indemnités en cas du divorce.
S’ajoute à cela un autre exemple qui illustre bien cette règle, notamment la question de
l’âge minimal du mariage qui est défini par le législateur à 18 ans mais qui subit
également l’exception du pouvoir d’interprétation du juge qui bénéficie d’un pouvoir
discrétionnaire qui lui permet de réduire l’âge du mariage à moins de 18 ans. Dans ces
cas, le pouvoir d’interprétation du juge semble être complémentaire aux dispositions du
texte. Contrairement à son appréciation lorsqu’il fait face à un vide juridique dans des
questions qui ne sont pas définies par le législateur, où le juge est tenu d’apporter une
solution complète pour une situation donnée en désignant le rite Malékite comme
référence où le juge occupe un rôle égal à celui du législateur.
662. Ainsi, dans une vue d’ensemble, le pouvoir d’interprétation accordé au juge peut
être divisé en deux opinions : d’abord celles modernistes qui en se référant à ce pouvoir
tentent d’apporter une interprétation positiviste qui se base soit sur l’esprit du texte qui
est explicitement exprimé par le Roi lors de son discours en 2003 relatif au Code de la
603
Mohamed MOUAQIT, op. cit., p. 160.
604
Ibid, p. 161.
605
Id, ibid.
271
famille en intégrant les textes internationaux, soit une interprétation basée uniquement sur
le rite malékite et la morale qui ne peuvent aboutir qu’à des interprétations
traditionnalistes. Deux visions qui opposent des principaux de base en matière
d’interprétation dont le droit et la morale puis la règle de droit positif et la règle du droit
musulman ou du Fiqh. De plus, c’est l’opposition de ces principes qui construit les
diverses opinions judiciaires en matière d’interprétation.
663. La difficulté du juge de dissocier entre le droit et la morale, entre la règle du droit
positif et celle du droit musulman complique encore plus sa tâche d’appréciation et
d’interprétation des principes fondamentaux de chaque personne au sein de la famille et
de l’individualisation des droits notamment ceux de la femme et de l’enfant. Ainsi, la
diversité de ces éléments de source qui permettent au juge de mener cette interprétation
se reflète clairement dans la pratique à travers ses choix et ses décisions rendues. En effet,
le juge marocain est souvent tenu à prendre en considération un nombre d’éléments afin
d’élaborer son interprétation, alors qu’il est lui-même influencé par un système ambigüe
qui participe au fondement des principes de base.
664. A savoir que le Maroc est un pays où la dissociation entre la culture, la morale, le
droit et la religion chez la majorité de la population est inexistante ; le juge en tant que
personne partage également un nombre de ces valeurs et de principes ancrés dans la
société. Cette dernière qui représente la combinaison des principes religieux et sociaux à
une culture juridique qui combine le traditionnel et le moderne, participe à attribuer au
juge un statut d’hybridité par rapport à ses valeurs et à sa culture qui participent à
élaborer son pouvoir d’interprétation.
665. En effet, le magistrat marocain spécialiste des affaires familiales est à la base d’une
formation moderne en droit positif et n’acquiert pas une formation en droit musulman,
alors qu’il est tenu exercer dans un domaine qui sauvegarde le droit musulman comme
source principale, il est donc tenu de se former lui-même et d’acquérir une culture en
droit musulman qui lui permet d’interpréter et de répondre aux questions auxquelles le
législateur n’apporte pas de réponses explicites et où ce dernier lui accorde le pouvoir
d’interprétation, ce qui laisse comprendre que le manque de formation en matière du Fiqh
peut permettre un positivisme des interprétation du juge et ainsi une modernisation de la
jurisprudence.
272
666. Cependant, l’interprétation et l’appréciation du magistrat sont souvent marquées par
la reprise des visions traditionnalistes où le juge privilégie souvent la source du droit
musulman notamment dans les questions ou la culture et la religion pèsent encore
lourdement que ce soit pour la société ou pour le juge. Ce dernier a en effet été visé par
un nombre de mesures adoptées par le ministère de la justice afin que son exercice
réponde plus aux objectifs du législateur à titre d’exemple :
- L’élaboration d’un guide pratique qui explique aux juges le nouveau code de la
famille, en intégrant le sens, l’esprit et les objectifs du texte.
- La création au sein de l’institut supérieur de la magistrature d’une section
spécialisée en matière de justice familiale.
273
Section 2 : Le juge entre fidélité à la tradition et adhésion à la modernité dans la
pratique.
667. Le nouveau rôle attribué au juge de la famille par le code de la famille, marque bien
l’évolution et le processus du passage d’un rôle classique marqué uniquement par
l’exercice d’une mission traditionnelle qui se base sur l’application des principes
généraux du droit musulman, du recours à l’ijtihad qui consiste d’abord pour Monsieur
Bensallem HIMMICH une « instance par laquelle des pratiques cognitives (les jugements
discrétionnaires, le raisonnement analogique ou la décision collective) se manifestent
dans l’organisation religieuse des rapports socio-juridiques des musulmans dans l’objectif
de tempérer ou d’actualiser l’existence en rapport à un savoir »606, puis à la recherche des
solutions et des interprétations dans les sources principales de la religion afin d’élaborer
la règle de droit607.
668. Le juge dispose d’un rôle plus au moins moderne qui adopte également des règles du
droit positif et qui à travers son pouvoir d’interprétation permet une adaptation à
l’évolution sociale et à l’institution familiale qui se modernise. Ainsi, ce rôle exercé par
le juge a évidement permis l’évolution de la jurisprudence qui est passée des jugements
fondés uniquement sur le texte du Coran et de la sunna à des jugements qui intègrent
l’ijtihad à travers un ensemble de ses techniques participant à l’évolution de la
jurisprudence comme celles de l’analogie ou de l’intérêt général... Par ailleurs, cette
évolution a connu ses limites à partir de l’interruption de la méthode de l’ijtihad, et ainsi
arrêté toute créativité et tout effort qui peuvent permettre l’évolution des règles
existantes. En outre, cette limitation a abouti à une sacralisation des règles du droit
musulman élaborées par les premiers juristes musulmans et qui ne correspondent plus à
l’époque actuelle dans un grand nombre de questions, une situation qui affecte encore
aujourd’hui le texte et la jurisprudence marocaine en matière familiale.
606
Bensallem HMIMICH, L’ijtihad, la face voilée de l’islam, Rabat, éd. Marsam, 2006, p. 21.
607
Mohamed AL HABIB BELKHOUJA, Les méthodes adoptées par les oulémas pour l’interprétation du livre sacré,
conférence religieuse animée le 15 mai 1986, pp. 33 et s.
608
Joseph. SCHACHT, An introduction to islamic law, Revue internationale de droit comparé Vol.17, n° 3, juillet-
septembre 1965, p. 64.
274
670. Le juge se trouve ainsi prisonnier d’une seule doctrine puisqu’il ne possède pas le
droit d’aller puiser sa propre solution du Coran ou de la sunna et ainsi interpréter et
adapter son jugement à la situation, mais il est tenu d’appliquer les règles préexistantes et
validées par les écoles tout en veillant à chercher la source de cette réponse apportée ainsi
que de celle adoptée et affirmée par l’école de son appartenance puisque c’est le principe
de la diversité qui règne entre les quatre écoles dans la majorité des questions.
Une mission qui s’avère difficile pour un juge qui n’a pas acquis une formation religieuse
suffisante. Un constat qui influence encore aujourd’hui la pratique du juge marocain de la
famille qui est limité par cette clôture de liberté d’interprétation ce qui a conduit sous
l’empire de l’ancien texte de la Moudawana à un conformisme juridique, qui répond à
une protection totale de la loi religieuse et de ses principes notamment la préservation du
modèle familial islamique tout en ignorant l’évolution de ce dernier, ce qui a abouti à une
légère modification en adoptant le nouveau code de la famille.
671. Par ailleurs, l’adoption d’un texte moderne marqué d’hybridité comme nous l’avons
démontré limite encore la tâche du juge d’où la grande division entre la réalité sociale et
la pratique judiciaire. De plus, malgré la liberté accordée au juge par la législateur, qui
consiste à pouvoir interpréter et puiser dans l’ensemble des règles religieuses afin
d’apporter de la légèreté à son interprétation et la possibilité du recours aux textes
internationaux, il est encore question de savoir si le juge marocain marqué par la religion,
la culture et la moralité sociale aura le courage d’affronter un ensemble de critères qui fait
l’accord de la majorité de la société ainsi que l’avis de la jurisprudence qui stagne devant
les situations réelles notamment en ce qui concerne les questions relatives aux droits de la
femme et de l’enfant au sein de la famille puisque visées par les principales modifications
apportées. En effet, en examinant le Code de la famille, il est évident qu’un certain
nombre de dispositions relatives à la femme et à l’enfant font obligatoirement l’objet
d’interrogations par rapport à leurs interprétations qui sont souvent contraires aux textes
internationaux mais également à l’esprit moderniste révoqué par le Code de la famille.
C’est dans ce sens, que le rôle du juge peut être crucial faisant de la lecture du texte et de
son application un enjeu majeur entre l’attachement et la fidélité à un modèle familial
traditionnel (Paragraphe 1) et l’adoption d’une perception moderniste de la famille qui
n’aboutit pas à une interprétation limitant la garantie des droits de l’enfant dans
différentes questions relatives à la protection de son intérêt supérieur (Paragraphe 2).
275
Paragraphe 1: Le juge entre indépendance et soumission aux valeurs culturelles et
religieuses.
672. L’ensemble des études consacrées à l’évolution du droit de la famille dans les pays
du Maghreb en général et du Maroc en particulier, marque une transformation et une
avancée historique que ce soit des lois ou de l’ensemble du système judiciaire. Toutefois,
l’analyse portée sur ces sujets souligne clairement les limites et difficultés de cette
évolution qui se trouve freinée par des codes et des règles strictes qui rendent difficile la
mise à jour de ces règles aux exigences internationales. Ces codes ou ces règles,
explicites ou non, d’une applicabilité directe ou indirecte, influencent clairement
l’évolution des lois.
673. En effet, si dans un système judiciaire moderne le juge a pour mission le respect
d’une application des lois détaillée, catégorisée et introduite par le législateur, le juge
traditionnel quant à lui conserve une mission marquée de la particularité du système
judiciaire musulman qui ne dispose que des principes généraux du Coran et de la
Sunna609. En effet, cette disparité représente en elle-même une difficulté évidente au
rapport établit entre le juge marocain et les textes internationaux notamment la CIDE. La
compréhension de ce rapport complexe renvoie à l’importance de la conception et la
philosophie du jugement en droit musulman et de l’attachement préservé à cette dernière
en droit marocain.
Pour M PAUL-BLANC, définir le fait de juger consiste d’abord à émettre une définition
abstraite à ce dernier et qu’il présente comme suit : « Juger c’est accomplir l’acte
essentiel de l’esprit qui pense, de la pensée réfléchie : émettre une opinion. Le jugement
ainsi compris, enveloppe, d’abord et toujours, la conscience de soi ; le moi en est le sujet
constant : je pense, je vois, je souffre, je jouis. Ce sont des jugements premiers, tels quels
inexprimables ; dès que l’esprit cherche des mots pour les exprimer, il s’achemine vers
une autre forme de jugement, qui est le jugement second ou comparatif. Il y a l à tout un
travail de la pensée, au point de départ duquel nous trouvons la conjecture. L’esprit
commence par figurer, se présenter, imaginer l’objet de son jugement. Puis il procède à
une opération de discernement entre la convenance et la disconvenance des idées ; il
passe ainsi à la critique, qui est une appréciation formant lentement l’opinion ; et il
arrive un moment où celui qui juge croit, estime que (…) c’est l’énoncé de cette opinion
réfléchie qui est un jugement ». 610 Cette définition philosophique renvoie à une vision
considérée plutôt comme abstraite qui permet d’organiser la pensée pour chaque être
humain que ce soit pour soi-même ou pour autrui.
674. Quant à la définition du jugement juridique, elle semble dans un premier temps être
différente puisqu’elle peut être définie d’une manière très brève en considérant qu’en
droit juger est rendre justice. Juger est ainsi déléguer à une personne choisie par les
pouvoirs publics de rendre justice.
609
Mohammed AL HABIB BELKHOUJA, Les méthodes adoptées par les Oulémas pour l’interprétation du livre sacré,
Conférence religieuse animée le 15 mai 1986, pp. 33 et s.
610
François PAUL-BLANC, Introduction à l’étude de droit musulman, op. cit. p. 524.
276
En effet, cette dernière consiste en principe à être conforme au droit de chacun et à rendre
à chaque individu ce qui lui appartient en exerçant un pouvoir et une action qui
permettent de reconnaître le droit de quelqu’un à quelque chose, d’accorder à quelqu’un
ce qui est juste qu’il obtienne611.
De cette définition, nous nous permettons de se poser la question de savoir si le juge
marocain est directement inspiré de cette définition ou s’il est influencé par d’autres
principes ? En effet, si nous considérons qu’il se réfère uniquement à cette définition, aux
règles et aux conséquences qu’elle engendre, la question de la protection des droits de
l’enfant ne doit pas être remise en cause ou poser problématique, puisque le juge aura
avant tout l’obligation de protéger l’être le plus vulnérable dans chaque situation et en
l’occurrence l’enfant. Cependant, la réalité de la protection des droits de l’enfant permet
de confirmer qu’il existe une autre philosophie ou conception qui permet au juge
marocain de régler et d’apprécier la question de la protection des droits de l’enfant.
675. En effet, le juge marocain se trouve face à deux conceptions de droit et de justice qui
sont difficiles à réunir. D’abord, à cette conception moderne et relativement récente qui
doit être la conséquence d’une prise en considération et d’une application pure et simple
du droit, des lois et des normes juridiques en vigueur dans le pays qui doivent être
conforment à une équité naturelle et en se référant sur le juste et l’injuste. D’autre part, il
est également confronté à une justice qui peut être qualifiée d’antique et qui n’est pas le
résultat d’un effort humain visant l’évolution de la justice mais c’est basée sur les
croyances religieuses des hommes et donc la loi ici est la religion elle-même qui
réglemente les rapports de ces derniers, tout en éliminant que le droit soit son principe
fondateur. Ainsi, dans cette seconde conception qui s’approche clairement de la
conception musulmane de la justice, le juge est appelé avant tout de connaître la religion
afin de bien interpréter la loi.
676. Depuis l’indépendance et la codification du droit au Maroc, le système judiciaire et
le rôle du juge a subi une grande avancée par rapport à la fonction traditionnelle du Cadi,
toutefois, les conséquences de ce traditionalisme demeure une réalité à travers
l’application des lois dont les plus modernes d’entre elles, notamment le code de la
famille marocain. C’est dans ce sens qu’il importe de mettre la lumière sur ce système
traditionnel qui permet encore aujourd’hui au juge marocain d’adopter des visions et des
conceptions traditionnelles dans la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant
au sein de la famille musulmane même lorsqu’il est question de favoriser la protection de
cette dernière telle qu’elle est reconnue traditionnellement en la considérant comme le
noyau de la société.
611
Ibid. p. 225.
277
A - Une indépendance de justice limitée par le statut du commandeur des croyants.
Cette conservation influence clairement la pratique judiciaire et le rôle du juge qui malgré
qu’il soit dans l’exercice d’une fonction moderne, il conserve un caractère assez religieux
de cette fonction qui n’est pas nouvellement pratiquée. En effet, l’influence de la religion
dans ce sens est évidente, puisqu’elle renvoie d’une manière indirecte au statut juridique
et religieux dont a toujours bénéficié le juge dans la religion musulmane à travers lequel
il est censé protéger la religion, la famille et la société musulmane, une situation qui
participe encore aujourd’hui à l’élaboration de la conception moderne de la fonction
exercée aujourd’hui par le juge en la matière. Ainsi, l’analyse de cette fonction nécessite
l’exposition des principes fondamentaux de l’organisation judiciaire musulmane et le rôle
que le juge incarne dans cette institution dont les fonctions ont été prévues et détaillées
par le Coran, c’est-à-dire par Dieu.
678. La justice musulmane est une institution qualifiée d’original, elle revêt un caractère
plutôt traditionnel qui la rapproche plus des institutions antiques que de celles modernes.
M. PAUL-BLANC souligne deux caractéristiques ; d’abord le rôle de cette institution qui
s’appuie sur sa fonction principale qui réside dans l’obligation d’appliquer et de faire
respecter le ‘Shar’ qui renvoie à un ensemble de normes qui guide le musulman dans le
chemin du respect de la loi de Dieu. Ainsi, ce respect concerne évidemment la fonction et
le rôle du juge qui est lié d’une manière directe à cette norme qui lui attribue un statut
d’ordre religieux. Ce qui lui permet de bénéficier d’un statut exclusif marqué et qualifié
de noble dans la religion musulmane, puisqu’il est doté d’un pouvoir d’interprétation des
règles et des normes du Shar, en offrant la possibilité de toute adaptation des règles du
Shar à chaque situation exposée, ce qui a abouti à l’établissement de la doctrine du droit
musulman612. Puis le deuxième caractère se réfère par la spécificité de cette organisation
judiciaire à l’égard du pouvoir exécutif.
En effet, si dans les systèmes modernes la séparation des pouvoirs représente une règle
principale, le droit musulman quant à lui ne reconnaît pas cette séparation et conserve une
forte soumission à l’exécutif puisqu’elle s’exerce sous l’autorité du chef de l’Etat et dont
le juge est d’une manière indirecte le représentant du Calif en matière judiciaire, il est
donc tenu de répondre et de prendre en considération le statut religieux de ce dernier.
612
François PAUL-BLANC Louis MILLIOT, Introduction à l’étude de droit musulman, op. cit., p. 527.
278
De plus, l’attachement du statut juridique du juge à la religion n’est pas seulement une
question de représentation du Calif mais il est également la conséquence de toute une
organisation judiciaire présentée et prévue en détail par la parole de Dieu dans le Coran.
Toutefois, la spécificité du statut dont bénéficie le juge en droit musulman acquiert une
grande importance puisqu’il accumule à la fois un statut juridique et religieux, qui laisse
apparaître le caractère ambigu de ce statut et de son fonctionnement qui influence encore
aujourd’hui cette fonction même dans les pays qui se déclarent en voie de modernisation
du système judiciaire.
680. Toutefois, l’élargissement de ses fonctions n’est pas basé sur une simple prise en
compte des normes juridiques, mais il semble évident que le caractère religieux influence
clairement l’établissement d’un nombre de fonctions du juge qui sont ancrées dans la
doctrine musulmane. Ainsi, cette dernière a mis en place quelques caractéristiques dont le
juge doit être bénéficiaire, notamment celles relatives à ses capacités de savoir et qui
s’élargissent sur sa personnalité. En effet, par rapport à cette dernière, la doctrine
musulmane souligne l’obligation du juge qui doit être une personne honorable, pieuse et
sincère. Puis dotée d’une grande capacité de connaissances juridiques qui lui permet de
répondre à toutes les situations auxquelles il sera confronté voire même d’apporter et
d’élaborer de nouveaux jugements en se basant sur son pouvoir d’interprétation de la loi
religieuse.
Ces qualités représentent en quelque sorte la force de cette fonction qui est répartie entre
deux natures juridique et religieuse. Cette spécificité peut être facilement décelée
puisqu’elle renvoie au caractère traditionnel de l’Etat qui se base sur une structure
classique qui reconnait la hiérarchie stricte derrière le Calif qui est le représentant de
Dieu sur terre pour sa communauté et qui conserve tous les pouvoirs qui lui permettent de
diriger cette dernière. Ce fonctionnement permet d’affirmer que le rôle du juge est lié
d’une manière directe au dirigeant puisque sa fonction se base sur l’application de la loi
de Dieu qui légitime même le rôle du gouverneur ou du Calif, ce qui attribue au juge le
titre d’un ‘délégué-représentant’ du dirigeant. Cette délégation va explicitement
influencer le rôle et l’exercice du juge, pendant de longues périodes de l’histoire il sera
soumis à la volonté et la vision politique du dirigeant en affirmant l’absence totale de
séparation des pouvoirs notamment l’exécutif et le judiciaire.
681. Cette situation va connaître une légère évolution à travers un mouvement visant à
mettre en place une certaine indépendance afin d’éviter le désordre qu’engendre la
soumission de la justice.
279
Un mouvement qui permettra au IIème siècle de l’Hégire d’affaiblir la soumission du
juge et de la justice de manière générale, ce qui aboutira à une nouvelle imposition stricte
des règles de la Sharia. Il en résultera de nouvelles positions qui permettront au juge de
refuser de juger en se soumettant à la volonté du dirigeant s’il estime que cette dernière
est contraire aux règles du droit musulman. S’ajoute à cela un autre élément qui
contribuera également à la libération du juge de sa soumission inconditionnée au Calif,
qui est la disparition et la diminution des savants religieux qui conservaient une influence
concrète sur la pratique judiciaire à travers les Fatawas (des avis religieux) qui
permettaient de déterminer quelques normes juridiques 613.
613
Ibid. p. 539.
614
Sourate 4 verset 58, Coran.
615
Sourate 5 Verset 48, Coran.
616
Sourate 5 Verset 50, Coran.
280
Ainsi, nombreuses sont les références à la fonction du juge qui s’exerce sous la
délégation du Calif qui doit puiser également la conception de l’acte de juger par équité
suivant la parole de Dieu et les actes du prophète617.
683. En effet, cette référence religieuse qui appelle le Calif et oblige l’ensemble du
système judiciaire au respect inconditionnel de la loi religieuse est celle adoptée par le
Maroc qui reconnaît que l’islam est la religion de l’Etat dont le Roi est Amir al-
mouminine, en d’autres termes, le commandeur des croyants. La place de la religion de
l’Etat que nous avons déjà présentée à plusieurs reprises, représente l’argument principal
de la conservation des principes religieux dans le système politique fondé sur cette
légitimité religieuse qui résiste à toute modernisation et réformes constitutionnelles en
conservant le caractère sacré de la personne du Roi ainsi ce dernier préserve
systématiquement l’influence dans le système judiciaire qui semble être atténuée mais
toujours d’actualité618.
Pour Mme Nadia BERNOUSSI, cette référence qui renvoie « à la théorie développée par
Hobbes ou autres telle que celle du Califat, du pouvoir d’Etat, justicier suprême, gardien
de l’ordre public, serait fondée à veiller à ce que la justice soit placée au-dessus des
aléas de la vie publique. La justice tout comme la police, l’administration et les médias
publics, se définirait alors non pas comme un service public neutre et impartial au
service de la communauté toute entière, mais comme levier de socialisation politique ».
De plus, elle considère que le système marocain est fortement imprégné par une référence
et un héritage solide en la matière puisque cette théorie est présente dans toutes les
constitutions du royaume qui renvoie au rôle fondamental du Roi en matière judiciaire et
ce, à dater de la constitution de 1996, où nous pouvons souligner différents articles qui
renvoient à cette place, notamment l’article 34 qui dispose que le Roi exerce le droit de
grâce » ; ou l’article 83 ‘les jugements sont rendus et exécutés au nom du Roi’ ; l’article
84 qui souligne le rôle du roi dans la nomination des magistrats en précisant que ‘les
magistrats sont nommés par dahir sur proposition du conseil supérieur de la
magistrature’. Ces références ont en effet toujours permis la soumission directe ou
indirecte de la justice au traditionalisme et à l’allégeance royale 619.
684. Toutefois, ce rôle a connu une grande évolution depuis les réformes
constitutionnelles menées par le pays, et qui ont permis l’allégement de cette soumission
et l’emprunt d’une voie visant une certaine indépendance des institutions de la justice afin
de mener à bien le projet de démocratisation et de modernisation du pays.
617
Hervé BLEUCHOT, Droit musulman, Histoire, Tome 2, Fondement, culte, droit public et mixte, Droit et religion,
éd. Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2000, p. 621.
618
Jusqu’en 2011, le Roi Mohammed VI constituait une personne sacrée c’est-à-dire il possédait un statut partagé entre
l’humain et le divin. Ce terme sacré a été abandonné dans le nouveau texte de 2011 afin de souffler un vent de
modernité dans le texte. Sauf que l’analyse du texte permet de souligner que le peuple est tenu, voire obligé de
respecter la personne du Roi, le texte évoque même le terme Tawqir en arabe qui signifie la combinaison entre le
respect et l’adoration qui a souvent été attribué aux personnes de lignage prophétique. De plus, nombreuses sont les
situations qui ont prouvé cette sacralité notamment en matière de liberté d’expression qui a abouti à de nombreuses
arrestations notamment l’affaire du jeune Walid BAHMAN qui était la première affaire en matière d’atteinte à la
sacralité du Roi en caricaturant deux photos du Roi.
619
Nadia BERNOUSSI, Abderrahim EL MASLOUHI, Les chantiers de la bonne justice. Contraintes et renouveau de la
politique judiciaire au Maroc, Revue Française de droit constitutionnel, 2012/3, n° 91. p. 480.
281
Ainsi, depuis la constitution de 1996, nombreux sont les éléments réformés dans ce sens
afin de libérer la justice d’un système politico-religieux incarné par la personne du Roi
qui représente à la fois le chef de l’Etat dont le religieux et l’islam et le commandeur des
croyants de ce dernier. Par ailleurs, la question qui se pose est celle de savoir si ces
réformes ont permis la libération du système judiciaire. Et à quelle limite ont-elles abrogé
les limites posées par la religion musulmane en matière judiciaire.
685. La réponse à ces deux questions ne semble pas être difficile, d’abord parce que les
réformes constitutionnelles au Maroc ne sont pas nombreuses puis parce que celle de
2011 considérée comme assez moderne a fait l’objet de nombreuses critiques quant aux
modifications apportées qui reconduisent les mêmes principes d’un pouvoir absolu et
d’un absolutisme royal malgré les innovations qui peuvent être reconnues à ce texte. En
effet, le pouvoir judiciaire ne fait pas l’exception dans un système où la suprématie royale
représente la règle.
Mis à part que le Roi bénéficie à vie de l’immunité judiciaire, les jugements sont rendus
en son nom ce qui signifie que la fonction exercée par le juge est avant tout une fonction
déléguée par le souverain ; dans ce sens il bénéficie du pouvoir d’annuler toute décision
rendue par le juge en sa qualité de souverain sans même y présenter des justifications
ainsi que de son droit de grâce. Ces pouvoirs renvoient explicitement à la supériorité
hiérarchique directe du Roi sur les magistrats qui appliquent l’article 83 de la constitution
qui précise que « les jugements sont rendus et exécutés au nom du Roi », et qui est exercé
par ce dernier à travers la direction du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et dont il
conserve le pouvoir de nommer la moitié des membres en procédant à contrôler,
surveiller ou promouvoir les juges, ce qui lui réserve une supériorité d’influence et de
pouvoir sur les juges et leur fonction de juger 620.
Autant dire que la question de l’indépendance et de la liberté totale du juge par rapport au
pouvoir du dirigeant peut être remise en question ce qui affirme une fidélité absolue au
système judiciaire musulman qui sacralise le rôle du Calif en matière de justice et fait du
juge un délégué qui ne peut en aucun cas prendre des décisions qui peuvent être
contraires à la volonté du gouverneur, Calif et en conséquent le Roi.
686. Il semble difficile d’ignorer l’effort mené dans l’objectif d’attribuer à la justice
l’aspect moderne qui répond aux conditions d’un Etat démocratique, qui s’est traduit dans
la création du conseil supérieur du pouvoir judiciaire. La création de ce conseil a permis
de valoriser, d’organiser et de mettre en valeur la conception d’indépendance de la justice
et ainsi reconnaître cette dernière comme un pouvoir libre et indépendant qui s’affirme
même dans de nombreux articles de la constitution notamment l’article 84 qui dispose
que « les magistrats sont nommés par Dahir, sur proposition du conseil supérieur de la
magistrature »; l’article 85 qui dispose que « les magistrats du siège sont
inamovibles » ou encore l’article 87 qui dispose que « le conseil supérieur de la
magistrature veille à l’application des garanties accordées aux magistrats quant à leur
avancement et à leur discipline ».
620
Ahmed BENCHEMSI, Mohammed VI, despote malgré lui, Le seuil : Pouvoirs, 2013/2, n° 145, p. 21.
282
Au premier abord, ces dispositions permettent de dresser une analyse positive à l’esprit
défendu par ce conseil ainsi que par les garanties insérées dans le texte constitutionnel ;
néanmoins d’autres dispositions permettent de dresser une seconde vision qui permet
d’observer la persistance du pouvoir du statut du Roi qui conserve à travers les
attributions constitutionnelles qui lui attribue le pouvoir de désigner les hauts
fonctionnaires civils et militaires dont ceux du conseil supérieur de la magistrature de par
son statut du commandeur des croyants qui selon l’article 86 de la constitution lui
accorde la présidence de ce conseil sans avoir aucun avis contraire ou contraignant à son
égard 621.
687. De ceci, il est évident que la référence constitutionnelle sauvegarde l’esprit d’une
justice plutôt traditionnelle qui permet au juge de juger au nom du Roi et donc représenter
et être le délégué de ce dernier par son exercice, une position qui affirme l’existence du
rapport entre le pouvoir politique et la justice qui fait de cette dernière une fonction
régalienne622, une théorie qui est explicitement traduite dans l’article 107 de la
constitution qui affirme que le Roi demeure le garant de l’indépendance du pouvoir
judiciaire.
688. L’analyse globale du rapport qui rassemble la religion, le politique et la justice
permet de mener la réflexion sur la crédibilité de cette indépendance, dans le sens où il
semble difficile de répondre à une garantie d’indépendance judiciaire lorsqu’il s’agit de
juger dans des affaires qui ne se sont pas libérées des influences religieuses notamment la
matière familiale623. Il est ainsi question de savoir si le juge marocain peut se permettre
de juger contrairement aux principes religieux qui sont particulièrement garantis par le
Roi « commandeur des croyants » en se référant à des principes internationaux auxquels
le Maroc est engagé ? Est-il possible qu’un juge se réfère à un principe contraire à la
religion et à la parole du Roi lui-même qui a déclaré dans son discours à l’ouverture de la
deuxième année législative de la 7ème législature en 2003 que : « je ne peux, en ma qualité
de commandeur des croyants, autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le très
haut a autorisé, il est nécessaire de s’inspirer des dessins de l’islam tolérant qui honore
l’Homme et prône la justice… ». Ainsi, le juge se trouve limité d’une manière directe ou
indirecte d’abord par la hiérarchie présidée par le commandeur des croyants dans le
domaine judiciaire.
Dans ce sens, nombreuses sont les questions qui peuvent s’opposer à cette analyse en
matière familiale, puisque cette dernière qui est imprégnée par la religion et qui conserve
de nombreux principes qui doivent être protéger par le Roi en sa qualité de commandeur
des croyants, d’ailleurs c’est le principal argument avancé par les juges conservateurs qui
défendent l’applicabilité exclusive sans aucune référence ou prise en considération des
621
Abdelaziz NOUAYDI, Maroc l’indépendance et l’impartialité du système judiciaire, Réseau euro-méditerranéen des
droits de l’Homme, Janvier 2008, p. 10.
622
Rapport du REMDH, La justice dans le Sud et l’Est de la région méditerranéenne, Octobre 2004, p. 51, cité par
Abdelaziz NOUAYDI, ibid.
623
Il est également à noter que les décisions du CSPJ sont validées par le Roi sous-forme d’un Dahir qui n’est pas
susceptible de recours judiciaire.
283
engagements internationaux du pays notamment à l’égard des principes relatifs au
respect des droits des femmes et des enfants624.
624
Bertrand MATHIEU, L’émergence du pouvoir judiciaire dans la constitution marocaine de 2011, pouvoirs, 2013/2,
n°145, p 19.
625
Yves GAUDEMET, Le pouvoir judiciaire dans la constitution marocaine de 2011, la constitution marocaine de
2011 : analyses et commentaires, sous la direction du centre d’étude internationales, éd. Lextenso, 2012, p. 202 et s.
284
692. En effet, la question de la famille et du droit de la famille conserve une spécificité
dans le système judiciaire marocain, qui a maintenu un régime dualiste en la matière Une
dualité qui ne répond pas toujours aux critères d’indépendance judiciaire et où le juge ne
dispose pas toujours du choix d’adopter et d’apporter des solutions selon sa propre
interprétation de la loi interne ou encore d’adopter des normes internationales pour
résoudre les litiges familiaux. Ainsi se pose la question de savoir si le juge spécialiste
des affaires familiales dispose d’une certaine liberté en la matière. Et quelles sont les
limites constitutionnelles de cette liberté.
693. La réponse à ces questions semble assez complexe puisqu’elle dépend clairement
des dispositions adoptées dans la constitution. En effet, autre que le statut supérieur du
Roi en sa qualité de commandeur des croyants, le texte constitutionnel apporte également
différents éléments à référence et à caractère religieux. Ces derniers se manifestent
d’abord d’une manière générale à travers son préambule qui reconnait que le Maroc est
un Etat musulman, ce qui bloque toute possibilité d’adoption de règles contraires aux
principes fondamentaux de ce dernier.
Pour Mme AOUCHAR Amina, le projet initial du texte ne devait pas contenir cette
proposition d’Etat musulman mais plutôt de pays musulman afin d’accorder à l’adoption
de ce terme un caractère culturel voire géopolitique et de vider le contenu juridique que
contient le terme de l’Etat musulman626. Puisque cette référence a permis son étalement
d’une manière directe dans l’ensemble du texte en s’appuyant sur la suprématie de sa
place et en précisant que « la prééminence est accordée à la religion musulmane dans ce
référentiel national, de part l’article premier du même texte qui affirme que la Nation
s’appuie dans sa vie collective sur des constantes fédératrices en l’occurrence la religion
musulmane… ». D’autre part par l’article 3 qui dispose que « l’islam est la religion de
l’Etat ». L’ensemble de ces dispositions laisse comprendre qu’il est difficile d’adopter et
d’exercer une justice moderne basée sur d’autres principes directeurs autres que ceux de
la religion musulmane et d’adopter des principes d’ordre international qui peuvent être
contraires aux premiers.
626
Amina AOUCHAR, L’égalité entre hommes et femmes dans la constitution marocaine de 2011, la constitution
marocaine de 2011 : analyses et commentaires, sous la direction du centre d’études internationales, éd. Lextenso, 2012,
p. 260.
285
famille et de l’enfance ». En effet, dans le cadre de l’exercice du juge, ce dernier peut être
confronté à la problématique du respect d’applicabilité de cette disposition, qui peut être
analysé sous différents angles.
D’abord lorsqu’il s’agit du rapport hommes femmes puis lorsqu’il est question des droits
de l’enfant. Ainsi, si le texte de 2004 a pu réaliser un progrès non négligeable en la
matière en se basant sur l’effort de réinterprétation des règles du droit musulman et
l’intégration d’un nombre important de principes internationaux modernes, l’influence
des dispositions constitutionnelles demeure plus importante et supérieure à celles du droit
de la famille ou de la norme internationale.
695. Ces références ne sont pas de simples dispositions respectées par le juge, mais elles
reflètent également l’esprit même du texte que ce dernier doit prendre en considération et
qui affirment également d’une manière indirecte le statut du commandeur des croyants
attribué au Roi par référence à la place de la religion. Une référence identitaire religieuse
qui s’est affirmée dans le texte et qui a même pris une ampleur importante par rapport
aux anciennes constitutions, alors que les attentes des militants des droits de l’Homme
s’attendaient à une grande avancée permettant d’alléger ces notions dans le texte pour
qu’il soit en cohérence avec l’esprit évolutif des réformes qui l’ont précédé notamment le
Code de la famille. Mme Nadia BERNOUSSI627s’est interrogée sur la multiplication et
l’intégration de nouvelles qualifications des références religieuses devenues aujourd’hui
seize alors qu’elles étaient uniquement quatre dans la constitution de 1996. Nous citons
‘l’islam marocain’ et son intégration lorsqu’il est question d’évoquer les normes, les
valeurs ou encore les institutions628.
696. De plus, ces dernières ont été particulièrement concernées par l’adoption d’une
nouvelle politique mise en place par le pouvoir qui consiste à impliquer et à intégrer des
savants ‘Oulémas’ dans toutes les institutions où la religion peut être évoquée afin de
garantir sa place dans ces institutions, mais aussi dans l’objectif de contrôler et de
préserver l’identité religieuse du royaume et ainsi du pouvoir en place qui est légitimé
avant tout par le statut religieux du monarque.
697. C’est dans ce sens que le pouvoir n’a pas hésité à intégrer dans chacune des
institutions un membre représentant du conseil des savants religieux parmi les membres
notamment du conseil de régence, la cour constitutionnelle et le conseil supérieur du
pouvoir judiciaire629. Ainsi, le rôle de ce représentant peut être concrétisé à travers l’avis
religieux ‘Fatwa’ suite à une consultation qui peut être faite par le Roi lui-même au
conseil supérieur des oulémas afin d’apporter des réponses ou d’exercer l’ijtihad dans
certaines questions.
627
Professeur à l’école Nationale d’administration et membre de la commission consultative de révision de la
constitution.
628
Nadia BERNOUSSI, La constitution de 2011 et le juge constitutionnel, la constitution marocaine de 2011 : analyses
et commentaires, sous la direction du centre d’études internationales, éd. Lextenso, 2012, p. 2016 et s.
629
Ibid, p. 217.
286
Le recours au conseil supérieur des Oulémas630 est avant tout une question de moralité et
sa consultation représente une obligation morale qui reflète et affirme le caractère et la
référence religieuse que ce soit du pouvoir en place ou de la politique menée par ce
dernier dans la gestion du domaine religieux. Ainsi, un point majeur peut être souligné
par le fait que l’adoption d’une loi tirée du droit naturel fait toujours l’objet d’une lecture
qui permet sa validation par l’esprit religieux. Autrement dit il est possible d’adopter des
lois à caractère civil et de permettre au juge de s’y référer puisqu’elles seront toujours
d’inspiration religieuse validée par le conseil supérieur des Oulémas 631.
698. De plus, l’intégration d’un savant au sein de ces institutions que ce soit la juridiction
constitutionnelle ou le conseil supérieur du pouvoir judiciaire, permet d’abord d’établir et
d’envoyer un message assez clair sur la place de la religion au sein des institutions et en
l’occurrence au sein de l’Etat. Par ailleurs, il est évident que ce positionnement étatique à
l’égard de la religion reflète une problématique majeure qui est celle de la prise en
compte de la supériorité des normes internationales aux lois internes, qui sont dans leur
majorité d’inspiration religieuse, notamment en matière familiale et qui opposent une
vision moderne à une seconde progressiste et assez protectrice de la norme religieuse
dans le cadre juridique du royaume.
699. De cette opposition découle une question qui peut paraître simple et d’ordre
théorique. Cependant, elle peut dissimuler une problématique assez complexe dans la
pratique, puisque cette dernière, exercée par le juge n’est pas seulement prisonnière de
l’élément religieux, mais elle est également limitée par d’autres éléments qui se
manifestent explicitement dans la constitution. En effet, la constitution contient des
dispositions qui n’encouragent pas le juge à adopter des dispositions de textes
internationaux à l’encontre d’une disposition explicite de la constitution où à son esprit
global, puisque dans l’article 19 de la constitution il est précisé que les conventions et les
pactes internationaux sont dûment ratifiés par le Maroc…dans le respect des dispositions
de la constitution, des constantes du royaume et de ses lois ». Puis l’article 6 qui précise
que les engagements internationaux se placent en seconde position après la constitution et
les lois du royaume. Ainsi, le juge se trouve face à une pratique qui doit respecter des
marques réelles du droit musulman en matière familiale notamment dans le domaine du
mariage, du divorce de la filiation ou encore de l’autorité parentale lorsqu’il est question
de préserver la religion de l’enfant.
630
Le conseil supérieur des Oulémas est créé en avril 1981 par le Dahir n° 1.80.270 et réorganisé par le Dahir
n°1.03.300 en 2004, et il est sous la haute tutelle du Roi Mohammed VI. Parmi ses missions : « étudier toutes les
questions qui lui sont soumises par le Roi en sa qualité de commandeur des croyants, d’émettre les orientations et les
recommandations visant à rationaliser le travail des conseils locaux des Oulémas et à activer leur rôle dans
l’encadrement de la vie religieuse des citoyens et citoyennes marocains musulmans ; approuver et élaborer le
règlement intérieur de l’instance scientifique chargée de la consultation religieuse, transmettre à l’instance chargée de
la consultation religieuse les demandes concernant les questions qui lui sont soumises aux fins de les étudier et
d’émettre des consultations à leur sujet ; d’entretenir des relations de coopération scientifique avec les institutions et
les organisations islamiques poursuivant les mêmes objectifs à l’échelon national et international ».
631
Il est à noter que le recours et la consultation du conseil supérieur des Oulémas est une tâche principale dans des
domaines qui concerne la famille et les affaires principalement sociales. En effet, il a été consulté à plusieurs reprises
notamment lors de la réforme du code de la famille de 2004 et même plus récemment en 2019 lorsqu’il a été consulté
par rapport aux dispositions d code pénal qui concernent la question de l’avortement, où il a affirmé et révélé son avis
défavorable à réformer les articles qui criminalisent l’avortement en considérant que la question a déjà fait l’objet
d’ijtihad en islam et qu’aucune légalisation d’avortement ne peut être adoptée dans ce sens.
287
700. L’ensemble des éléments analysés permettent de dresser un constat clair qui présente
la difficulté d’instaurer une justice indépendante de toute influence religieuse, et de
permettre au juge marocain d’acquérir une certaine liberté dans l’objectif de faire évoluer
le droit à travers la jurisprudence. Puisque cette liberté permettra à ce dernier de dépasser
les limites qui lui sont tracées.
Cette liberté dont le juge peut bénéficier peut apporter d’une manière directe ou indirecte
des réponses claires à la question d’applicabilité de la norme internationale. Toutefois, la
liberté accordée au juge doit également être accompagnée de tout un processus qui débute
lors de sa formation théorique et pratique afin de lui transmettre les outils nécessaires
dans l’objectif d’innover et de moderniser les décisions et ainsi permettre l’évolution du
droit de la famille sans pour autant se heurter par les limites visant principalement les
droits de la femme et de l’enfant.
701. L’élaboration et l’adoption du Code de la famille a été marquée par l’opposition des
deux courants, traditionnaliste et moderniste qui avaient une grande divergence de visions
par rapport au fond des dispositions adoptées par le législateur et plus précisément celles
modifiants les principes religieux. Toutefois, le législateur a affirmé à plusieurs reprises
que le texte dans son ensemble ne représente aucune atteinte aux principes du droit
musulman ou de la religion musulmane, en affirmant la vision du Roi qui a confirmé lors
de son discours « je ne peux, en ma qualité d’Amir Al Mouminine, autoriser ce que Dieu
a prohibé, ni interdire ce que le très-haut a autorisé ; il est nécessaire de s’inspirer des
dessins de l’islam tolérant… ». Cette référence renvoie en effet, à l’effort fournis par le
législateur en matière religieuse et en se référant aux textes religieux du rite Malékite afin
d’apporter les modifications prévues sur le texte.
Ainsi, le législateur s’est lui- basé même sur un argument de fond qu’il considère de
légitime et qui se manifeste dans la technique de l’effort d’interprétation l’ijtihad, qui a
permis l’adoption de quelques dispositions plus modernes que celles de l’ancien texte.
Cette référence légitime, a également été transmise par le législateur au juge, ainsi ce
dernier est tenu de répondre positivement à l’esprit du texte et à accorder une
interprétation adaptée à l’orientation moderne du texte et modérée de toute règle
d’inspiration religieuse à travers l’exercice d’une interprétation qui ne soit pas rigide et
contraire à la vision globale.
702. Cependant, la réalité en matière d’interprétation du juge d’une manière adéquate à
l’esprit du texte connait de nombreuses limites, qui sont toujours liées à des références
comme la religion, la culture ou la morale de la société. Elles se manifestent pourtant
dans des questions cruciales qui faisaient parties des principaux objectifs des activistes et
du courant moderniste participant à l’élaboration du code de la famille. Parmi les
questions épineuses qui incarnent très bien le caractère ambiguë entre le texte, son esprit
et l’interprétation du juge, il y a celle relative au mariage des mineurs.
288
A –Le mariage des mineurs, une question d’interprétation.
704. Engagée dans la protection des droits de l’enfant et de son intérêt supérieur, l’une
des questions principales modifiées par le législateur dans le code de la famille, porte sur
la capacité matrimoniale qui selon l’article 19 du code de la famille dispose que « la
capacité matrimoniale s’acquière, pour le garçon et la fille jouissant de leurs facultés
mentales, à dix-huit ans grégoriens révolus »632. Une modification qui va dans le sens
d’abord d’interdire les mariages de moins de l’âge de la majorité qui peuvent être
contractés sous divers arguments ou pression notamment ‘social, culturel ou religieuse’,
d’instaurer une égalité entre les garçons et les filles puis de garantir une certaine liberté
de contracter le mariage sans subir les contraintes familiales ainsi que de s’assurer de la
capacité physique et psychologique des personnes souhaitent le mariage afin qu’elles
puissent exprimer leur consentement.
705. Toutefois, cette volonté législative n’est pas allée jusqu’au bout d’une interdiction
totale, puisqu’elle fait l’objet d’une dispense accordée par le législateur à travers la
disposition de l’article 20 qui dispose que « le juge de la famille chargé du mariage peut
autoriser le mariage du garçon et de la famille avant l’âge de la capacité matrimoniale
prévu à l’article 19, par décision motivée précisant l’intérêt et les motifs justifiant ce
mariage… ». En effet, cette exception d’autorisation judiciaire accordée par le législateur
est souvent justifiée par la prise en considération du législateur des différentes approches
du mariage des mineurs dans la société marocaine, et qui ne doit pas faire l’objet d’une
simple approche juridique mais d’intégrer également l’importance de la dimension
socioculturelle, puisque cette pratique ne répond pas uniquement du domaine du droit
mais elle est également une pratique traditionnelle et culturelle reconnue qui ne cesse
d’accroitre. Ainsi, à la recherche d’un équilibre entre les différentes approches, le
législateur a ainsi adopté une disposition à caractère juridique qui protège l’enfant du
mariage précoce puis une dérogation à cette règle qui doit être exceptionnelle et justifiée,
qui accorde au juge un pouvoir d’appréciation du mariage du mineur basé sur l’intérêt
supérieur de ce dernier.
632
La capacité matrimoniale été fixée dans l’ancien statut personnel à l’âge de dix-huit ans pour les garçons et de
quinze ans révolus pour les filles, puisque les membres de la commission chargée de la révision du statut personnel en
1993 ont exprimé majoritairement leur refus à l’unification de l’âge matrimonial entre les deux sexes et ainsi la hausse
de l’âge du mariage pour la fille in Ahmad. ALKHAMLICHI, Le mariage de la fille violée et de la mineure entre les
textes juridiques et la pratique, Série des colloques de la cour d’appel de Rabat, n° 5, 2012, pp. 8 et s (en langue arabe).
289
706. Toutefois, la question qui se pose est celle de savoir si ces deux dispositions sont
contradictoires, et si la dérogation protège également le même principe sensé être défendu
par l’ensemble du texte notamment en interdisant le mariage des mineurs, qui est l’intérêt
supérieur de l’enfant633. En effet, faisant de ce principe une priorité, le législateur
marocain a en effet fixé l’âge de la capacité matrimoniale à l’âge de dix-huit ans afin
d’affirmer sa prise en considération du danger que peut représenter le mariage du mineur
sur sa santé physique et psychologique.
633
Mariam MONJID, Le mariage du mineur en droit marocain, Revue internationale de droit comparé, Vol. 67 n°1,
2015, pp. 4-5.
634
A la lecture des décisions déjà rendues par les juges, il est possible de dégager quelques cas à titre exemple dans
lesquels le juge autorise le mariage d’un mineur notamment : lorsque le mineur a déjà un ou plusieurs enfants avec son
compagnon ou sa compagne ; ou lorsqu’ils vont devenir parents.
635
ART. 144 du code civil, Le mariage ne peut être contracté avant dix-huit ans.
290
facteur social, culturel, économique, etc.636. C’est dans ce sens que l’article 20 du Code
de la famille pose problématique et peut même être considéré comme contraire au
principe de l’intérêt supérieur de l’enfant même lorsqu’il reflète une prise en
considération du législateur d’une réalité sociale, et laisse entendre la complexité voire
même l’insuffisance de l’encadrement de cette question par le législateur dans la théorie
et son respect par la juge dans la pratique.
708. En effet, l’adoption de l’article 20 par le législateur peut faire l’objet de nombreuses
critiques puisqu’elle révèle l’incohérence entre la lettre du texte, l’objectif de la
disposition et de l’esprit global du texte et enfin la réalité de son application par le
juge637. Les failles théoriques qui peuvent être soulignées par la lecture de l’article 20, se
manifestent d’une part dans l’inexistence d’un âge minimum fixé par le législateur,
autrement dit le législateur accorde l’ultime liberté au juge à définir l’âge du mariage qui
peut être estimé par ce dernier à n’importe quel âge en dessous de dix-huit ans638, une
situation qui se concrétise dans la pratique par l’autorisation des juges d’un grand nombre
de mariage en dessous de dix-huit ans et allant jusqu’à treize ans, puisque la vision d’un
juge marquée par le poids de la tradition et de la culture, semble être loin d’apprécier
l’intérêt supérieur de l’enfant loin de la volonté parentale ou encore de la constitution
d’une stabilité fondée sur le principe de la famille, ainsi, jugé l’incohérence du mariage
d’un mineur de moins de dix-huit ans, pour ce qui porte comme atteinte à la santé
physique et psychologique de ce dernier. D’autre part, il semble également regrettable
que le législateur ne précise en aucun cas l’exemple et le genre de ‘la nécessité’ ou quel
‘Intérêt’ faut-il prendre en considération. En effet, la généralité de ces deux principes
rend encore plus ambigüe son application et étend le pouvoir du juge en la matière.
636
Il importe de souligner que dans une société masculine comme le Maroc, les filles sont souvent les victimes
principales des mariages précoces, puisqu’elles sont sous la pression familiale et sous le contrôle du tuteur qui pratique
un droit patriarcal à caractère religieux et social sur les filles.
637
F. SAREHANE, Le nouveau code de la famille, Gazette du palais, 4 septembre 2004, in les droits maghrébins des
personnes et de la famille, sous la direction de J. POUSSON-PETIT, éd. L’ Harmattan, p. 69.
638
D’après le ministre de la justice Mohammed BENABDELKADER a déclaré que sur les 32000 demandes de
mariage de mineur enregistrées, 81% ont été approuvés par les magistrats. Une étude menée par l’association ‘initiative
pour la promotion des droits de la femme, a révélé que 25% des filles mineures (entre 10 et 15 ans) dans la région de
(Meknés, Fés et Khenifra) ont bénéficié d’un verdict favorable dans les demandes d’authentification de mariages.
639
CF, Encyclopédie de l’islam, article « Taklif, assujettissement aux obligations morales, est-ce bil-shar, la loi ou bil-
aql, la raison de Daniel Gimaret » Vol, X. in, Salim Daccache, Quelle liberté religieuse de l’enfant dans la religion
musulmane ?, op. cit., p. 247.
Catherine SORITA-MINARD et Claire THEPAUT, Le juge français et la famille musulmane, Le seuil « Le genre
humain », 1997/1, N° 32, p. 76 et s.
291
710. Un autre reproche peut être affligé au législateur à lecture de l’article 20 qui
comporte une certaine ambigüité, par rapport à la lecture globale des dispositions du texte
et l’absence d’une harmonie globale qui vise à combler tous les vides juridiques qui
peuvent permettre le mariage du mineur et donc vider les articles 19 et 20 de leur sens
d’interdiction du mariage de mineur. En effet, la capacité du mineur à pouvoir contracter
le mariage fait partie des conditions de validité du mariage (article13). Cependant, le
législateur manque de mentionner dans les dispositions relatives à la nullité du mariage
(article 57) et au mariage vicié (article 61) le cas du mariage d’un mineur dans l’absence
de capacité qui se manifeste dans l’autorisation judiciaire 640. Mme MOUNJID, souligne
cette réticence du législateur et considère « qu’il était plus judicieux de prévoir une
sanction lorsque la règle est violée, notamment une sanction d’ordre pénal qui aurait pu
rendre plus efficace et plus effectif le contenu des articles 19 et 20 ».
711. La lecture d’un autre article peut également vider les articles 19 et 20 de leur sens
protecteur du mineur. En effet, l’article 16 du code de la famille dispose que « le
document portant acte de mariage constitue le moyen de preuve dudit mariage. Lorsque
des raisons impérieuses ont empêché l’établissement du document de l’acte du mariage
en temps opportun, le tribunal admet, lors d’une action en reconnaissance de mariage
tous les moyens de preuve ainsi que le recours à l’expertise. Le tribunal prend en
considération, lorsqu’il connait d’une action en reconnaissance de mariage, l’existence
d’enfants ou de grossesse issues de la relation conjugale et que l’action ait été introduite
du vivant des deux époux. L’action en reconnaissance de mariage est recevable pendant
une période transitoire maximum de quinze ans à compter de la date d’entrée en vigueur
de la présente loi » ; à travers cette disposition, le législateur marocain a visé d’abord la
limitation du recours au mariage religieux ‘ALFATIHA’. Puis une légère réglementation
en matière de filiation par la possibilité d’une reconnaissance des enfants nés d’une union
religieuse.
712. Cependant, la même disposition contient un élément perturbateur en ce qui concerne
le mariage de mineur, en effet, le dernier alinéa de l’article 16 permet l’action du recours
à une reconnaisse du mariage pour une période transitoire d’abord de cinq ans puis avec
le nombre de demande affligées aux tribunaux cette période a été prolongée pour quinze
ans, ne prévoyant aucune précision par rapport aux mariages des mineurs, ce qui rend la
reconnaissance de ce mariage possible. Une faille qui permet clairement le
contournement des articles 19 et 20 du code de la famille puisque les mineurs peuvent
contracter un mariage et le déclarer ultérieurement. Toutefois, l’article 16 ne prévoit
aucune limite à ce mariage et ne précise pas les éléments constituant la force majeure, ce
qui représente une porte ouverte pour toute demande de reconnaissance sans faire
l’exception du mariage du mineur. Nombreuses sont les associations féministes
notamment (l’association démocratique des femmes du Maroc) qui déplorent le manque
de précision par rapport à cet article, notamment aux prolongations répétées des délais de
notification des actes de mariages qui permet une instrumentalisation de cette loi pour des
intérêts autres qu’une simple possibilité de reconnaissance de mariage.
640
Mariame. MOUNJID, op. cit., p. 214.
292
713. L’ambigüité du texte en matière du mariage des mineurs, est assez complexe pour
rendre la tâche du juge encore plus difficile face à une pratique répondue. En attribuant
un large pouvoir d’appréciation au juge, le législateur se défait de la responsabilité de la
protection de l’intérêt de l’enfant dans la pratique à l’égard de laquelle il est resté réticent,
une protection qui devient impérative face aux lacunes constatées dans le texte.
715. Cependant, en pratique, l’application de cette règle est difficile à concrétiser face
aux divers arguments auxquels le juge peut avoir recours afin de légitimer son
autorisation, qui peuvent selon lui représenter le principe de l’intérêt supérieur de
l’enfant. En outre, le recours du législateur au principe de l’intérêt de l’enfant ne connaît
aucune définition précise dans l’ensemble du texte et dont l’appréciation demeure sous le
contrôle et la liberté du juge. Une liberté qui rend complexe la prise en considération de
cet intérêt indéfini, qui peut diverger d’un juge à une autre et qui permet de s’interroger
sur une question cruciale qui peut aller à l’encontre de l’esprit du texte et de la CIDE et
qui consiste à savoir s’il existe vraiment un intérêt et une protection de l’intérêt de
l’enfant en autorisant son mariage avant l’âge de dix-huit ans; existe-t-il des critères
précis qui permettent à tous les juges d’apprécier l’intérêt dans le mariage d’un enfant ?
Est-ce que le juge répond réellement à cet intérêt en autorisant un mariage de mineur ?
716. La réponse à ces questions d’ordre pratique réside dans la méthode adoptée par le
juge afin d’apprécier l’intérêt d’un mariage de mineur. En effet, le législateur marocain
invite le juge par la disposition de l’article 20 à procéder à une expertise médicale et
sociale qui servira le juge comme une aide tangible à l’élaboration de son appréciation,
d’étudier et de justifier les arguments qui seront présentés par le juge afin de motiver son
autorisation. Le recours à cette méthode n’est pas une nouveauté utilisée par le législateur
marocain uniquement, son homologue français a en effet adopté et intégré
progressivement ce recours à l’expertise social et médico-social en matière familiale.
293
En 1963, M. MARTAGUET, vice-président du tribunal de grande instance de Bordeaux,
écrivait : « Le droit se trouve de plus en plus confronté aux sciences humaines. Les
progrès des sciences sociales et psychologiques ne peuvent plus laisser le juriste
indiffèrent641, une déclaration qui attribue une grande importance aux enquêtes sociales
qui peuvent être menées par les juges lorsqu’il est question de la recherche de l’intérêt
supérieur de l’enfant. Autrement dit, le rôle de la psychologie à travers les enquêtes
menées par le juge, participe642.
717. En revanche, ce recours d’expertise qui est réglementé par l’article 373-2-11
concerne d’autres questions que celles du mariage de mineur qui, en droit français, est
autorisé uniquement pour ‘motif grave’, notamment en matière d’autorité parentale. De
plus, ce recours peut également être sollicité par le juge des enfants en matière
d’assistance éducative pour les enfants en danger. En droit français, cette mesure est
sensée éclairer le juge sur la situation afin qu’il puisse répondre à l’intérêt supérieur de
l’enfant.
718. En effet, c’est dans ce sens que le législateur marocain évoque le recours à
l’expertise médicale ou sociale en matière de mariage de mineur, afin que le juge soit
éclairé sur l’ensemble de la situation en ayant des éléments tangibles qui permettent soit
d’autoriser ou de refuser le mariage du mineur. Cependant, le terme ‘incite’ utilisé par le
législateur marocain pose une grande problématique dans la pratique, en effet, face à un
simple appel à l’expertise médicale ou sociale de la part du législateur. Souvent, le juge
marocain de la famille ne juge pas d’important le recours à ces expertises et se contente
seulement des avis des tuteurs ou des représentants légaux et sur les preuves que ces
derniers peuvent apporter afin de prouver l’intérêt et la capacité du mariage du mineur643.
Ainsi, le non recours du juge à l’expertise sollicitée par le législateur vide le sens du
principe de la protection des droits de l’enfant et de la protection de son intérêt supérieur,
puisque l’absence de cette expertise ne permet pas d’analyser et d’étudier la possibilité et
les raisons et l’intérêt pour lesquels l’enfant peut se marier.
C’est dans ce sens qu’il aurait été judicieux de rendre l’expertise médico-sociale
obligatoire afin de garantir l’objectivité des éléments qui participent à l’élaboration du
jugement, puisque l’absence de cette obligation permet au juge de ne pas prendre en
considération cette expertise qu’elle soit favorable ou défavorable à l’autorisation. Une
pratique justifiée par le juge, en se basant sur l’article 66 de la procédure civile qui
dispose que « le juge n’est pas obligé de suivre l’avis de l’expert désigné… ».
641
Cité par S. KIEFE, De la chambre de la famille au juge aux affaires matrimoniales et au juge aux affaires familiales,
G.P.1993-1, Doct. p. 838, in Catherine SANDRAS, thèse, op, cit, p. 57.
642
Jean.Pierre ALMODOVAR, Le psy, le juge et l’enfant : la mobilisation des savoirs psychologiques dans
l’intervention judiciaire, analyse socio-historique de la neuropsychiatrie infantile, in de quel droit ? De l’intérêt…aux
droits de l’enfant, cahiers du C.R.I.V, Janvier 1988, n° 4, p. 63.
643
M. MOUNJID, op. cit., p. 219.
294
719. Un autre point crucial peut également faire l’objet d’analyse critiquable par rapport
au rôle du juge et de son autorisation du mariage du mineur. En effet, l’appel aux
représentants légaux du mineur fait partie de l’ensemble de la procédure, puisque comme
le prévoit le texte, le juge est tenu d’entendre l’avis de ces derniers sur la conclusion de
ce mariage. L’installation de cette règle par le législateur paraît logique, puisque pour ce
dernier, les représentants légaux du mineur sont les premiers à veiller sur la protection de
l’enfant et de son intérêt supérieur ainsi qu’une application stricte de l’article 51 du code
de la famille qui dispose dans son alinéa 4 « la concertation dans les décisions relatives à
la gestion des affaires de la famille, des enfants et de planning familial ». Néanmoins,
dans la majorité des situations, le juge fait face à des parents qui considèrent qu’au nom
de la religion, la culture et les traditions, l’intérêt supérieur de l’enfant réside dans le
mariage et le fondement d’une famille. En instaurant cette règle, le juge a clairement
ignoré un des principes fondamentaux de la CIDE auquel il est engagé, et qui consiste du
droit de l’enfant à la participation à toutes les questions qui le concernent, ici la parole et
l’avis de l’enfant est absent du règlement instauré par le juge.
Des jugements de plus en plus favorables aux mariages des mineurs notamment les
filles644, une progression alarmante de ces mariages qui combine à la fois le manquement
du législateur en la matière mais également l’absence de l’esprit évolutif et moderne à
certains juges qui sont souvent victimes de pressions sociales et culturelles. Une situation
644
Les autorisations accordées depuis 2007 jusqu’à 2015 démontrent l’ampleur de la réalité de la divergence entre les
filles et les garçons par rapport aux autorisations accordées. En 2007 il y a eu 38331 mariages de filles contre 379 de
garçons et de 41247 de filles en 2015 contre 422 mariages pour les garçons.
295
qui nuit clairement à l’intérêt supérieur de l’enfant qui réside à lui garantir une protection
physique, psychologique ainsi qu’un droit à l’éducation.
722. Dans le même ordre d’idées, il semble difficile d’évoquer le caractère dérogatoire et
exceptionnel des autorisations accordées par les juges en la matière. Puisque ça ne
représente pas l’exception, les chiffres des mariages de mineurs est en hausse depuis
l’adoption du code de la famille marocain. Une hausse qui concerne spécialement les
filles, et ce pour de multiples raisons purement culturelles, sociales ou économiques; la
pratique démontre que la hausse de ces mariages est flagrante, elle est passée de 7% en
2004 à près de 12% en 2013. D’ailleurs, le nombre de demandes formulées pour des filles
en 2011 était de 46 927 demandes, un chiffre qui cache une des réalités amères de la
pratique des mariages forcés, cette dernière faisant en effet, partie des lacunes dont ni le
texte ni la pratique judiciaire n’a réussi à limiter au Maroc. En effet, le nombre des
mariages de filles mineures a connu une croissance spectaculaire qui peut être présentée
dans le tableau suivant645 :
723. L’analyse de ces chiffres permet d’instaurer une vision globale de la progression
spectaculaire des mariages de mineurs par rapport au nombre des mariages conclus.
Puisque le nombre est passé de 18341 en 2004 à 35152 en 2013 témoignant même d’un
chiffre élevé comparant le nombre de mariages conclus globalement et ceux des mineurs.
Une situation qui reflète également la réalité du nombre des demandes faites auprès du
645
Les statistiques fournies par le ministère de la justice sur l’application du code de la famille marocain, Mai 2014.
296
juge concernant les mariages des mineurs et les disparités entre leurs autorisations et
refus. En effet, les statistiques démontrent également l’augmentation titanesque des
autorisations de mariage, qui augmente pour un nombre de demandes de 3012, 26919
autorisations ont été accordées en 2006 soit 88,81% à 35479 pour un nombre de
demandes de 41669 en 2015 soit 85,14%. Pour un nombre réduit de refus qui passe de
3064 en 2006 soit 10,11% à 6190 en 2015 soit 14,86%.
724. Ces chiffres affirment clairement que la pratique judiciaire est loin de faire du
mariage du mineur une exception et que les failles juridiques et les ambigüités qui
entourent les articles 19, 20 et 21 participent entièrement à la progression phénoménale
des mariages des enfants, avec une prédominance du mariage de la fille mineure. Ainsi, il
devient question de s’interroger sur le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, de son
ntégration dans le texte et de sa concrétisation par le juge, cette dernière doit en effet
être réglementée dans le sens de garantir la prise en considération de l’intérêt de l’enfant
comme une priorité primordiale.
De plus, la question du mariage des mineurs expose l’une des problématiques majeures
du système juridique marocain qui se voit devant l’obligation de trouver l’équilibre entre
les textes réformés et la pratique judiciaire. Il doit également répondre à l’esprit
d’évolution d’abord des textes mais également de la société, permettant ainsi une
évolution jurisprudentielle en matière de prise en considération de l’intérêt de l’enfant
telle qu’elle a été adoptée par le juge français, imposant ainsi une applicabilité directe de
l’article 3-1 de la CIDE.
297
298
Chapitre second : L’évolution de la jurisprudence en considération de l’intérêt
supérieur de l’enfant.
725. La Convention internationale des droits de l’enfant représente le texte le plus ratifié
de toute l’histoire des instruments internationaux. Son intégration dans les lois internes a
fait l’objet d’un long processus d’évolution depuis son adoption. Ainsi, son applicabilité
directe renvoie encore aujourd’hui à la difficulté de certains Etats parties d’appliquer et
de mettre en place une hiérarchisation entre la norme interne et la norme internationale.
En effet, ce que nous appelons hiérarchisation enferme un débat persistant opposant deux
systèmes, le dualisme et le monisme en droit international. Le premier tend à affirmer
que la norme internationale n’acquière aucune force juridique tant qu’elle n’est pas
transposée en droit interne, contrairement au deuxième système qui affirme la supériorité
de la norme internationale.
726. La question de l’applicabilité directe des dispositions du texte international
engendre un nombre de questions encore d’actualité dans quelques systèmes juridiques,
notamment celle de connaître la place accordée à la norme internationale dans chaque
système juridique, si elle obtient une validité directe au sein de ce système ou s’il est
d’abord indispensable de l’intégrer dans la norme interne. Puis si la réglementation
interne permet la supériorité de la norme internationale sur la norme interne. Enfin si la
CIDE peut être d’une applicabilité directe par le juge et si elle peut être évoquée comme
référence directe. La réponse à ces questionnements permettra d’apporter un
éclaircissement d’abord sur la différente réception de la CIDE par les Etats à l’instar des
deux systèmes français et marocain, puis sur l’application directe du principe de l’intérêt
supérieur de l’enfant et à quel point le juge peut se référer à cette application directe afin
d’apporter une protection spécifique à l’enfant, ce qui permet de connaître les limites du
juge à cette application directe.
727. La réception de la CIDE par la France et le Maroc ne répond pas aux mêmes
facteurs permettant cette réception directe. En effet, si pour le système juridique français
la question de la réception directe par le juge de la norme internationale représente
aujourd’hui une évidence et fait l’objet d’une réglementation évolutive avantageuse
permettant la mise en place des conditions nécessaires afin de permettre d’abord à toute
norme internationale et spécifiquement à celle de la CIDE d’être d’applicabilité directe
par le juge. Le système juridique marocain est resté longtemps réticent à l’égard de la
hiérarchisation d’application entre la norme internationale et celle interne.
299
Ce vide juridique quant à cette application engendre des contradictions entre les
engagements du pays et ses efforts menés dans le sens d’établir et de concrétiser les
principes fondamentaux des droits de l’enfant à travers les réformes et les projets menés
dans cet objectif et entre le silence et les ambiguïtés qui demeurent une limite à
l’applicabilité directe par le juge marocain.
728. Toutefois, il importe de préciser que l’applicabilité directe de la CIDE n’a pas été
systématique en France. Ainsi, l’évolution de la jurisprudence en la matière n’a pas
reconnu l’applicabilité directe de l’ensemble du texte. Elle se limite principalement à
l’article 3-1 relatif et l’intérêt supérieur de l’enfant et à l’article 12-2 relatif au droit de
l’enfant d’être auditionner. De cela se pose la question de savoir si l’évolution
jurisprudentielle permettra une vision future qui vise l’applicabilité directe de l’ensemble
du texte international par le juge ? De même, pour le Maroc où la question demeure sous
le silence, il semble éminent de savoir pourquoi le recours à la norme internationale telle
que la CIDE est inexistant et s’il est possible pour ce dernier de recourir à cette norme et
quelles seront ses limites ?
300
Section 1 : L’applicabilité directe de la convention internationale des droits de
l’enfant par le juge.
729. L’application de la norme internationale au sein d’un pays d’une manière générale,
ne répond pas aux mêmes critères d’applicabilité. En effet, elle est conditionnée par la
réunion d’un nombre de conditions qui permettent une mise en œuvre directe par le juge.
Les deux systèmes juridiques que nous étudions reflètent bien la divergence de la prise en
considération de la norme internationale, et de l’applicabilité de ses dispositions. Ainsi,
en France cette applicabilité est soumise à deux conditions principales qui sont : d’abord
le fait qu’elle fasse l’objet d’une applicabilité immédiate de la norme internationale
puisqu’elle ne nécessite pas l’existence d’une norme interne qui conditionne cette
applicabilité. Puis, pour que la norme soit d’applicabilité directe elle doit avoir
l’obligation de permettre la création des droits subjectifs réclamés par des particuliers. La
réunion de ces deux conditions permet une effectivité directe des dispositions des
conventions internationales par toutes les juridictions internes en France 646.
730. Quant au système juridique marocain, la question est loin d’être aussi claire et
explicitement réglementé. En effet, le droit marocain interne ne met en place aucun texte
juridique qui permet de définir les conditions de l’applicabilité de la norme internationale,
mise à part l’unique référence de la dernière constitution de 2011 qui a affirmé la
supériorité de la norme internationale des traités signés et ratifiés par l’Etat à la norme
interne. Cependant, cette référence connait une grande limite à cause de son ambiguïté
par rapport à la norme interne en matière d’applicabilité par le juge (Paragraphe 1). Ainsi,
les limites de l’application de la norme internationale s’appliquent systématiquement sur
la CIDE qui se retrouve limitée par une réglementation interne et par une application
stricte de la norme interne par le juge lorsqu’il est question d’intégrer les dispositions de
la CIDE. De plus, l’inapplicabilité directe de la norme internationale et l’ambigüité qui
l’entoure en droit marocain engendre clairement la mauvaise réception du principe de
l’intérêt supérieur de l’enfant de l’enfant par le juge ainsi qu’une réception très limitée
d’un principe défendu par l’esprit du texte du code de la famille qui a fait de la défense et
la protection de l’intérêt de l’enfant une priorité primordiale (Paragraphe 2).
646
Raphael ENCINAS DE MUNAGORRI, Qu’est-ce qu’un texte directement applicable, RTD Civ., 2005, p. 556.
301
Paragraphe 1 : Une applicabilité limitée entre lois et jurisprudences.
731. L’applicabilité de la CIDE est soumise comme toute autre convention internationale
aux normes d’applicabilités qui régissent la norme internationale d’une manière générale.
Son applicabilité directe ne doit pas nécessiter l’intégration d’une mesure interne
d’exécution, ce qui lui accorde une applicabilité immédiate, puis elle doit créer des droits
subjectifs invocables par le particulier ce qui lui accorde un effet direct 647. Or, une des
questions principales qui nécessite d’être traitée est celle de connaître la relation et les
limites de l’exécution entre la norme interne et celle internationale.
En effet, comme nous l’avons déjà précisé dans la première partie, la supériorité de la
norme internationale sur la loi interne en France ne s’est affirmée pour la première fois
qu’à travers l’article 55 de la Constitution de 1958 ; ainsi l’adoption de cette disposition a
permis une applicabilité directe de la norme lorsqu’elle remplit les trois conditions
principales à cette applicabilité notamment : la ratification, la publication et la réciprocité,
qui signifie que la norme internationale ne peut être invoquée par un particulier devant
une juridiction interne à l’encontre d’une disposition interne qu’à l’encontre d’un acte
commis par un autre particulier648.
647
Bérangère TAXIL, Les critères de l’applicabilité directe des traités internationaux aux Etats-Unis et en France,
R.I.D.C, 1-2007, p. 157 et s.
648
Berthold GOLDMAN, Réflexion sur la réciprocité en droit international, Travaux du comité français de droit
international privé, 23-2ème année, 1962-1964, p. 61 et s.
649
Yan AGUILA, L’effet direct des conventions internationales : une nouvelle grille d’analyse, AJDA 2012, p. 729, in
Hanane EL QOTNI, Les droits de l’enfant : étude du droit français et di droit positif marocain à travers la source du
droit musulman, thèse, Lyon, 2013, p. 216.
302
733. Cette position du droit français qui semble être explicite, ne s’applique pas en droit
marocain où le débat n’a pas été tranché quant à la question de l’intégration de la norme
internationale en droit interne ni la méthode d’applicabilité de cette norme par le juge. En
outre, la constitution marocaine de 2011 demeure ambiguë sur la possibilité d’une prise
en considération de la norme internationale malgré la référence explicite du discours
royal et du texte constitutionnel de 2011, ainsi qu’une intégration indirecte dans le code
de la famille d’un nombre de principes tirés des conventions internationales. Il semble
important de savoir à quelle limite le juge peut se référer aux instruments internationaux
afin de comprendre si cette référence a permis depuis l’adoption de la constitution et du
code de la famille, une évolution jurisprudentielle en matière de l’applicabilité directe de
la norme internationale notamment la CIDE et le principe de l’intérêt supérieur de
l’enfant par le juge, et à quel point le juge fait de la norme internationale une référence
supérieure à celle internationale en matière familiale qui demeure un champ juridique
marqué de traditionalisme.
736. Ainsi, c’est le juge qui détient le pouvoir pour déterminer une possible applicabilité
de la norme internationale ainsi que d’un pouvoir d’interprétation sélective de chaque
disposition, le juge est donc appelé « en présence d’un traité international, à procéder à
l’analyse de chaque disposition invoquée devant lui afin de rechercher si elle pose une
650
La méthode d’interprétation adoptée par la France se réfère à la Convention de Vienne de 1969 qui réglemente les
droits des traités.
651
Les Conclusions de Ronny ABRAHAM, sous CE 22 septembre 1997, Mlle Cinar, RFDA, 1983-3, p. 563.
652
CE, arrêt GISTI du 29 juin 1990, concl. R. ABRAHAM, AJDA 1990, pp. 621-629.
303
règle précise et inconditionnelle pour être susceptible de produire un effet direct »653.
Puis en ce qui concerne la précision de la norme, la jurisprudence a également marqué
une avancée en considérant que les termes utilisés tels que ‘les Etats parties ou les Etats
s’engagent’ ne suppriment en rien le caractère d’une possible applicabilité directe de la
disposition, malgré que le caractère inconditionnel et impératif de la norme demeure le
critère principal d’une applicabilité de toute norme juridique. L’évolution
jurisprudentielle avec le revirement de l’arrêt GISTI a en effet, permis au conseil d’Etat
de disposer d’une appréciation à l’égard d’une applicabilité directe « eu égard à
l’intention exprimée par les parties et à l’économie générale du traité invoqué ainsi qu’à
son contenu et à ses termes ». Ainsi, il semble évident qu’une application directe est
possible sans pour autant écarter d’une manière catégorique la prise en compte du critère
du terme et du contenu. La jurisprudence s’est adaptée aux critères de la norme
internationale qui ne présentait que rarement les trois critères recherchés par le juge
français pour une applicabilité directe notamment qu’elle soit complète, précise et
inconditionnelle.
737. L’assouplissement des règles qui permettent une applicabilité directe des normes
internationales, s’est également traduite à l’égard de la CIDE qui a connu une
applicabilité directe très tardivement. En effet, le juge de cassation s’est toujours basé sur
le texte lui-même de la CIDE afin d’éviter une applicabilité directe, en se basant sur les
termes utilisés dans l’élaboration du texte qui consacre uniquement un engagement des
Etats sans l’institution de droits subjectifs précis qui permettent une invocation directe
avant même les juridictions nationales654.
738. La CIDE a permis à travers les termes utilisés dans l’élaboration de son texte à une
applicabilité directe considérée de tardive ; ce n’est qu’à partir de 2005 que la première
chambre civile a reconnu une applicabilité directe des articles 3-1 relatif à la prise en
considération de l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes les décisions qui le concerne,
l’article 7-1 relatif au droit de l’enfant de connaître ses parents l’article 9 sur le droit de
l’enfant de maintenir des relations avec ses deux parents et enfin l’article 12-2 relatif à
l’audition de l’enfant. Ainsi, depuis le revirement de la décision du 18 mai 2005,
l’invocation de la CIDE devant la cour de cassation est assez courante ; toutefois, elle est
incomplète et limitée à quelques articles.
Une situation qui rend cette prise en considération très critiquée par la doctrine suite à
cette applicabilité partiale. Cependant, cette impartialité est due à la méthode adoptée par
le juge qui procède à un examen précis de chacune des dispositions du texte, jugeant
d’applicabilité directe toute disposition visant directement l’enfant, claire et précise, des
conditions qui sont relatives principalement aux dispositions comportant des termes et
des notions évidentes telles que ‘l’enfant a droit à’ ou encore ‘toute personne a droit à qui
sont supposés être d’une applicabilité directe.
653
Cassation civil 1ère, 14 juin 2005, Washington, JCP, 2005, II, 10115, p. 1576, conclusion, Cécile PETIT et note Cyril
CHABRET, in Hanane EL QOTNI, thèse, op. cit., p. 218.
654
Bénédicte VASSALLO, La convention des droits de l’enfant à la cour de cassation, Journal du droit des jeunes
2010/6 n° 296, pp. 25-26.
304
Cette méthode est défendue par un nombre d’auteurs tels que Madame Françoise
DEKEUWER-DEFOSSEZ qui considère cette position de vigilante et de raisonnable
puisque certaines dispositions peuvent être ambigües, indéfinies, à caractère général ou
encore de peu sanctionnable notamment l’article 31 de la CIDE655.
739. Depuis le revirement du 18 mai 2005, la cour de cassation a affirmé à travers de
nombreuses décisions une applicabilité directe de la CIDE. Par ailleurs l’analyse de la
majorité de ces décisions affirme l’applicabilité partiale et la référence limitée aux
articles précités. Dans un premier temps, il y a l’applicabilité de l’article 3-1 et de la prise
en considération de la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant, la concrétisation de
cette applicabilité est considérée comme une référence systématique du juge à l’article 3-
1. Par ailleurs, il existe deux sortes de référence à ce principe. D’abord d’une manière
indirecte où le juge ne met pas en référence la CIDE malgré que l’intérêt de l’enfant soit
pris en considération tel que le démontre une étude menée par Madame Bénédicte
VASSALO sur une cinquantaine de décisions rendues par la Cour de cassation depuis le
revirement de 2005, l’invocation de l’applicabilité directe de la CIDE semble être
habituelle mais sans qu’elle soit explicite.
En effet, le même auteur précise à travers son étude que la référence aux principes de la
CIDE n’est pas une exception mais la référence des juges demeure une référence plus
fidèle aux principes déjà préexistants dans le Code civil sans accorder une référence
systématique à la CIDE dans toutes les affaires où un de ses principes est invoqué. A titre
d’exemple, pour une référence au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, la deuxième
chambre civile a statué dans un arrêt du 11juin 2009656. Dans une affaire relative aux
prestations sociales, où il s’agissait de l’octroi d’une prestation d’accueil jeune enfant
(PAJE), d’où la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant recommandé le
versement de la prestation mis à part la condition légale du droit interne La réalité est que
la deuxième chambre n’a pas retenu la notion d’intérêt supérieur de l’enfant pour faire
échec aux dispositions nationales. Ou encore dans une autre affaire relative au versement
de prestations familiales, où la deuxième chambre a fondé son jugement sur les articles
L.512-1 et L512-2 du Code de la sécurité sociale alors qu’elle pouvait fonder ce même
jugement sur la base des articles 24-1 et 26 de la CIDE qui reconnaissent à chaque enfant
le droit de bénéficier de la sécurité sociale y compris les assurances sociales 657.
740. De même, pour l’applicabilité de l’article 3-1 en matière d’autorité parentale où dans
un arrêt du 16 avril 2008658, la première chambre a rejeté un pourvoi formé par la sœur
d’une mère décédée dont la compagne du père qui obtenait l’autorité parentale avait
sollicité et obtenu une délégation partielle de l’autorité parentale, la cour a seulement
motivé sa décision par une simple référence à l’intérêt de l’enfant sans pour autant se
référer précisément à l’article 3-1 de la CIDE qui représente un moyen.
655
Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, La convention internationale des droits de l’enfant : quelles répercussions en
droit français ?, CRDF, n° 5, 2006, p. 41.
656
N° de pourvoi : 08-15571 ; Bull. 2009, II, n° 158, reproduit p. 54, in Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, ibid.
657
Ibid.
658
Cass. civ. 1ère , 16 avril 2008, n° 07-11273. Cité par : Bénédicte VASSALLO, « La convention des droits de
l’enfant à la cour de cassation, in Vingt ans d’application de la convention des Nations unies relative aux droits de
l’enfant », Colloque de l’association Louis Chatin, 20 novembre 2009, p. 25.
305
Dans la même année, un autre arrêt du 16 avril 2008, s’agissant de la modification d’un
droit de visite et d’hébergement où la mère expatriée avec ses enfants aux Emirats arabes
unis en limitant le droit de visite du père, la cour de cassation a en effet motivé sa
décision de garder les enfants auprès de leur maman en utilisant le terme « que l’intérêt
des enfants était de maintenir leur résidence auprès de la mère » sans aucune référence
claire à la CIDE et à la disposition de l’article 3-1. Selon Madame VASSALO « la cour
s’est contentée d’une motivation où la référence explicite à l’intérêt de l’enfant faisait
défaut, c’est le sens de la formule ‘a fait ressortir’ qui témoigne d’une motivation
suffisante mais qui ne vise pas expressément la notion d’intérêt de l’enfant »659.
741. D’autres situations semblent être plus embarrassantes, notamment lorsqu’il s’agit
d’un refus d’applicabilité du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant par la Cour de
cassation en raison d’un refus d’écartement d’une disposition législative au nom de la
primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant. En effet, dans deux arrêts de l’assemblée
plénière du 3 juillet 2011 relatifs aux prestations familiales aux bénéfices d’enfants
étrangers. Les deux arrêts ont affirmé la supériorité de la norme interne en invoquant
l’article L.512-2 du Code de la sécurité sociale, issu de la loi n° 2005-1579 du 19
décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 2006, considérant que l’octroi
de prestations familiales à un enfant étranger à son entrée sur le territoire dans le cadre
d’une procédure de regroupement familial devait être conforme au principe de l’intérêt
supérieur de l’enfant. Une décision qui reflète une limite avérée en matière
d’applicabilité, puisque même les rapports rendus par le comité des droits de l’enfant en
2004 et 2009 à l’égard de la France, recommande à ce dernier de ne pas subordonner
l’octroi des allocations familiales aux modalités de l’entrée de l’enfant sur le territoire
français, une décision considérée discriminatoire à l’égard de ces enfants.
742. Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant a également fait l’objet d’une limite
explicite à son invocation créant débat sur la question relative au statut juridique des
enfants nés légalement à l’étranger de mère porteuse. La Cour de cassation a en effet
rendu plusieurs arrêts du 6 avril 2011, elle a affirmé son refus à toute transcription d’acte
de naissance de ces enfants sur le registre d’état civil, considérant cette décision de non-
contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant conformément à la loi nationale. Un autre arrêt
du 4 mai 2011 a considéré tout l’inverse et que le refus d’octroi d’un visa aux enfants nés
par le biais d’une mère porteuse et d’un père français représente une atteinte au principe
de l’intérêt supérieur de l’enfant. En outre, la Cour de cassation est allée encore plus loin
en considérant dans un arrêt du 13 septembre 2013 que ce refus représente même une
atteinte d’abord à l’article 3-1 de la CIDE ainsi qu’une atteinte à l’article 8 de la
convention de sauvegarde des droits de l’Homme qui vise la protection de la vie privée et
la vie familiale.
659
Bénédicte VASSALLO, id, ibid., p. 27.
306
743. Dans le même ordre d’idée, Madame GOUTTENOIRE considère que « pour faire
respecter l’exigence de primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant, la cour de cassation
n’a pas hésité à procéder, entre 2005 et 2009, à des cassations disciplinaires, pour défaut
de base légale, lorsque la décision du juge du fond, aussi opportune soit-elle n’était pas
fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant, dans le cadre des procédures relatives à
l’autorité parentale. A partir de 2009, sans doute parce que les juges du fond semblent
avoir intégré la nécessité de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant de
manière systématique, la cour de cassation procédant à un contrôle moins formel, admet
que les magistrats caractérisent l’intérêt supérieur de l’enfant sans se référer
expressément à cette notion »660. En outre, l’invocation d’une applicabilité directe de
l’article 3-1 concerne d’autres questions que celles de l’autorité parentale, puisqu’il est
invoqué en matière d’audition d’enfants qui est basée également sur l’arrêt du 18 mai
2005 en se référant au droit de l’enfant capable de discernement, d’être entendu ou encore
en matière de filiation où il est invoqué pour faire barrière à des dispositions internes
contraires au principe de cette protection en matière d’adoption.
Cependant, lorsque la cour de cassation est sollicitée pour l’applicabilité de cet article en
matière d’adoption d’un enfant venant d’un pays qui interdit l’adoption comme le dispose
l’article 370-3 alinéa 2 du code civil, la cour de cassation a fait le choix de garantir la
primauté de la supériorité de l’intérêt supérieur de l’enfant et de sa prise en considération
notamment par l’arrêt du 25 février 2009, où la cour affirme qu’une kafala d’un enfant
venant d’un pays qui prohibe l’adoption en l’occurrence l’Algérie, préserve « au même
titre que l’adoption, l’intérêt supérieur de l’enfant », la cour a fondé sa décision sur
l’article 20 alinéa 2 de la CIDE qui mentionne et considère la Kafala, comme une forme
de protection des enfants et de leur milieu familial.
744. Un autre article de la CIDE est également connu d’applicabilité directe, notamment
l’article 7-1 de la convention qui accorde à l’enfant le droit de connaître ses parents et qui
se pose en France principalement dans le cadre d’accouchement anonyme, un droit
préservé par l’article 326 du Code civil. L’article 7-1 a été retenu par la première
chambre de la cour qui a reconnu son effet direct dans l’affaire très médiatisée dite
« l’affaire Benjamin »661 où la cour a jugé que « vu l’article 7-1 de la Convention de New
York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant, l’ensemble les articles 335, 336,
341, 348-1 et 352 du code civil ; Attendu que, selon le premier de ces textes, applicable
directement devant les tribunaux français, l’enfant a, dès sa naissance et dans la mesure
du possible, le droit de connaître ses parents ; qu’il résulte des autres dispositions visées
que la reconnaissance d’un enfant naturel prend effet à la date de naissance de l’enfant
dès lors qu’il a été identifié, que la filiation est divisible et que le consentement à
l’adoption est donné par le parent à l’égard duquel la filiation est établie … ».
660
Adeline GOUTTENOIRE, Les droits de l’enfant, R.I.D.C. 2-2014, p. 569
661
Cass. civ. 1.7 avril 2006, n° 05-11285 et 05-11286, Bull., 2006, I, n° 195.P.171 ; reproduit dans JDJ n° 256, Juin
2006, p. 48.
307
Il est toutefois important de noter que ce droit peut faire une affaire d’exception, ainsi a
été le cas dans un arrêt du 8 juillet 2009, la cour n’a pas retenu l’invocation de l’article 7-
1 de la CIDE dans une affaire relative à une volonté d’adoption par des grands-parents
maternels qui ont découvert que leur fille a donné naissance sous-anonymat et qu’ils
supposent qu’il s’agit de leur petit-fils ; la cour a donc jugé cette volonté d’adoption
d’irrecevable faute de qualité puisque le lien de filiation entre leur fille décédé et l’enfant
n’est pas établie.
745. Quant à l’article 9 de la CIDE, qui accorde à l’enfant le droit d’entretenir des
relations avec ses deux parents, une disposition qui ne pose pas de problématiques
puisqu’en droit français, ce que la CIDE considère comme un droit de l’enfant, le
législateur français lui le traduit par une obligation des parents de maintenir des relations
avec l’enfant à travers le droit de visite et d’hébergement pour le parent qui ne vit pas
avec l’enfant, un droit accordé à ce parent qui ne peut être refusé que pour motif grave.
Le maintien de ce lien est en effet, une des tâches obligatoires du JAF qui est tenu de
prendre toutes les mesures afin de protéger l’intérêt de l’enfant dans le maintien des liens
avec ses deux parents. Ainsi, l’intégration de ce principe dans le code civil limite le
recours à cet article devant les juridictions, puisque le législateur œuvre également à
travers les réformes menées et les mesures adoptées notamment par la loi du 4 mars 2002
qui oblige le parent de prévenir de tout déménagement dès que ça peut porter atteinte à la
relation entre l’enfant et le parent ou encore l’interdiction du juge de la sortie de l’enfant
du territoire sans l’autorisation des deux parents 662.
662
Pierre MURAT, Droit de la famille, Dalloz action, 2014-2015, n° 234.72.
663
Voir CRC/C/FRA/CO/4 et Corr.1, par. 11.
664
Rapport, CRC/C/FRA/CO/5, p. 2.
308
Une évolution qui permettra la stabilité de la jurisprudence dans l’objectif de permettre
une meilleure application et intégration des dispositions de la convention665.
L’évolution progressive de la jurisprudence en matière d’applicabilité directe de la CIDE
ainsi que l’invocation de certaines dispositions du texte ont permis une adaptation et une
évolution aux droits de l’enfant et à la prise en considération de son intérêt supérieur. Tel
n’a pas été le choix de tous les Etats parties de la CIDE. Comme par exemple le Maroc
qui malgré le fait qu’il se soit engagé à l’égard de ce texte, les efforts fournis dans ce sens
semblent minimes voire inexistants, ce qui remet en question dans certaines situations son
engagement à cet égard.
748. Le Maroc fait partie des Etats qui ont marqué une grande évolution en matière
d’adhésion aux conventions internationales dans l’objectif d’affirmer leur volonté de
modernisation. En effet, la CIDE fait partie des textes internationaux qui ont été ratifiés
depuis 1993; une adhésion comme nous l’avons déjà présentée a permis une évolution
certes jugée de timide durant les années quatre-vingt-dix, mais qui a entrepris une
intégration et une concrétisation progressive des droits de l’enfant durant les dernières
années suite à l’engagement du pays dans un projet de démocratisation et de
modernisation de tout son système relatif aux droits de l’Homme.
665
Françoise DENEUWER-DEFOSSEZ, op. cit., p. 41.
309
puis à adapter l’ensemble des lois à la vision royale qui peut être considérée comme assez
moderniste et qui vise à garantir l’intégration d’un nombre de principes internationaux
même dans le texte constitutionnel.
751. Par ailleurs, nombreux sont les militants et les auteurs marocains tels que Madame
MERNISSI, qui déplorent les conditions de l’applicabilité des dispositions de la CIDE en
droit marocain en soulignant les conséquences du choix fait par le Maroc concernant la
méthode d’intégration des dispositions du texte et qui consiste à adapter les lois internes
au texte international et qu’aucune disposition ne peut être retenue par un juge tant
qu’elle n’a pas été transposée dans la loi interne. Ce choix a été explicitement mentionné
dans le préambule du Code de la famille qui mentionne que « le code de la famille doit
préserver les droits de l’enfant en insérant les dispositions pertinentes des conventions
internationales ratifiées par le Maroc », ou encore lorsqu’il fait référence à quelques
principes du texte international notamment celui de l’intérêt supérieur de l’enfant en
matière de garde et de Kafala. Ainsi, il semble évident que la référence du législateur à la
CIDE est elle-même problématique puisqu’elle permet une applicabilité sélective dans
l’ensemble des dispositions du texte et n’accorde pas au juge et aux praticiens de la
protection des droits de l’enfant de disposer de la liberté d’applicabilité puisqu’ils
demeurent emprisonnés de la loi interne qui est souvent fidèle au traditionalisme dans de
nombreuses questions.
752. En effet, la dualité du système marocain en la matière pose la grande problématique
relative aux lacunes persistantes en matière d’applicabilité directe des dispositions du
texte international ce qui affirme l’emprunt d’un choix assez traditionnel qui consiste à
« privilégier… les lois d’application plutôt que de miser sur l’applicabilité directe du
traité, quitte à transformer le contenu ». C’est dans ce sens, que le juge marocain se
trouve limité par le choix adopté du législateur, qui influence d’autres facteurs qui
participent également à la difficulté de cette applicabilité directe par le juge.
310
L’absence est souvent constatée chez les requérants suite au manque de sensibilisation
sur les droits de l’enfant et l’importance de leur protection, chose qui rend l’applicabilité
directe du texte peu courante. D’ailleurs, une grande partie des associations militantes
pour les droits de l’enfant, dont l’association de BAYTI, affirme le besoin d’instauration
d’une formation approfondie pour les magistrats afin que leurs jugements soient
conformes à l’esprit du texte international et permettre une coupure avec les jugements
fidèles à l’esprit et aux principes de l’ancien statut personnel ne permettant pas de
répondre aux exigences internationales. Un autre élément, figurant toujours parmi les
raisons de cette limitation, est la crainte des juges d’empiéter sur les visions politiques et
doctrinales, visant à réglementer les conventions internationales qui peuvent faire l’objet
d’une applicabilité directe ou non, afin de ne pas réfuter les réformes du législateur visant
les lois internes et les principes qu’il préservent tels que la religion de l’Etat ou ceux
relatifs aux principes religieux ou moraux.
753. Dans ce sens il semble évident que l’ensemble des éléments précités affirment la
complexité d’une applicabilité directe de la CIDE malgré sa ratification et sa publication
dans le bulletin officiel. Ceci rend l’applicabilité directe du texte par le juge interne ou
de faire l’objet d’une invocation de la part des requérants. Cette obscurité, régnant en
matière d’applicabilité des textes internationaux malgré qu’ils soient publiés dans le
bulletin officiel, affecte clairement la pratique en la matière et rend très timide le recours
à une applicabilité directe du texte international par les juges.
754. Nonobstant ces éléments qui représentent clairement des limites à une applicabilité
directe, il est également important de souligner le fait qu’elle dissimule également une
seconde problématique consistant à préciser le rôle du juge dans l’applicabilité de la
norme internationale, à savoir si à travers son rôle, qui peut être primaire ou
complémentaire, il doit définir les effets de ce droit et de cette règle. Cet élément renvoie
à la place primordiale du juge dans l’application de cette norme puisqu’elle demeure
prisonnière de la pratique du juge et des requérants et non seulement de la réglementation
imposée par le législateur. L’absence de cette applicabilité doit amener le juge marocain
et l’ensemble des praticiens à s’inspirer des autres expériences similaires notamment celle
de la France qui a simplifié le recours aux normes internationales et leur application par
le juge interne et ceci en introduisant progressivement l’applicabilité directe des
dispositions de la CIDE et en limitant l’obscurité des effets des jugements fondés sur les
quelques principes de la CIDE introduits dans le droit interne. Arrivé à cette phase, le
juge sera amené à une application beaucoup plus simple de la CIDE et de ses principes,
en appliquant les règles internationales d’interprétations issues de la Convention de
Vienne de 1969. Une application qui répondra d’abord à l’esprit du texte non limité par
la sélection des dispositions par le droit interne et qui permettra de prendre en
considération les principes fondamentaux de la CIDE notamment ceux relatifs à l’intérêt
supérieur de l’enfant à travers l’applicabilité directe de l’article 3-1 de la convention ou
encore au droit de l’enfant à la parole dans les affaires qui le concernent à travers
l’applicabilité de l’article 12-2 du texte.
311
755. Dans le même sens, il semble primordial que pour éviter une ratification
symbolique, le Maroc est appelé à concrétiser une applicabilité directe à travers le
déverrouillage de la loi interne et des dispositions qui contredisent et limitent l’invocation
et l’applicabilité des dispositions primordiales de la CIDE par les juges et par les
particuliers.
Un travail nécessitant dans un premier temps d’éliminer la méthode actuellement
adoptée par le Maroc et consistant à transposer les règles et à limiter la pratique
judiciaire dans l’interprétation des règles du texte international qui le vide de son esprit
prometteur pour les droits de l’enfant. Toutefois, en vue du caractère composite de
l’ordre juridique marocain, il semble fondamental de s’arrêter sur l’interprétation du juge
des dispositions du texte international puisqu’il sera amené à les appliquer dans un cadre
juridique imprégné de religion musulmane et de modèle familial marqué de
traditionalisme, où il faut préserver les droits des parents tout en prenant en considération
la préservation de la famille selon les normes sociales qui interprètent l’intérêt supérieur
de l’enfant et son droit à la participation dans le respect de ces normes dont la pratique
judiciaire marocaine ne peut pas être détachée dans un avenir proche.
756. De plus, le projet que le Maroc est censé entreprendre dans ce sens doit également
répondre au besoin d’une applicabilité directe de l’intérêt supérieur de l’enfant et doit
également introduire le besoin d’une promotion des droits de l’enfant afin que ces
derniers puissent connaître leur droit d’invoquer ces dispositions et fonder leurs
demandes notamment lorsqu’il s’agit des questions relatives au droit familial dont celui
de la pension alimentaire ; son droit au logement en cas de divorce des parents ou encore
lorsqu’il est victime ou en situation de danger. Une situation qui implique l’élaboration
d’un projet qui vise la promotion de la culture des droits de l’enfant et permet une
connaissance suffisante du texte international et de ses dispositions par la société pour
ensuite inciter le législateur à accompagner la connaissance et l’évolution sociale en
éliminant les lois qui limitent une applicabilité directe de la CIDE.
757. Enfin, il importe de souligner que même dans les systèmes juridiques les plus
avancés, l’applicabilité directe de la CIDE peut connaître encore aujourd’hui des limites
ce qui laisse comprendre que pour un système juridique en voie de développement tel que
le Maroc où de nombreuses ambiguïtés persistent et peuvent faire l’objet de limites
évidentes, la situation renvoie au projet colossal que ce dernier doit entamer en vue de la
situation dégradée des droits de l’enfant et qui doit être considérée comme une urgence
pour l’Etat qui doit répondre à l’urgence de la mise en œuvre efficace des dispositions de
la CIDE.
312
Cet élément que nous avons déjà souligné dans une première partie et qui expose les
disparités entre la conception de l’enfant en droit musulman et en droit positif sensé être
fondé sur les principes des droits de l’Homme et notamment les conventions
internationales. Ces disparités qui figurent dans les principes fondamentaux de la
conception des droits de l’enfant et de la place de ce dernier dans la famille, permettent la
désorientation du juge marocain en la matière puisqu’il se trouve dans une atmosphère
partagée entre une vision qui privilégie la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant et
qui fait de ce dernier sa priorité, et une autre qui accorde plus d’importance et priorise la
famille et les codes sociaux malgré le fait qu’ils soient contraires aux droits de l’enfant
tels qu’ils sont reconnus aujourd’hui dans les textes internationaux.
759. L’ambiguïté du texte actuel du droit de la famille, permet lui-même au juge de jouer
sur les deux visions traditionnelle et moderne et ainsi, choisir entre une applicabilité
directe des dispositions de la CIDE ou d’appliquer un nombre très limité des dispositions
du texte sans même avoir l’obligation de mentionner ce dernier comme étant la référence
principale. C’est dans ce sens qu’il importe de savoir pourquoi le juge marocain se trouve
limité par le droit interne. Quelles sont les références qui permettent d’éviter une telle
applicabilité, ainsi que les éléments justifiant cette limite qui est adoptée par le
législateur et qui permet au juge de justifier son non-recours à une applicabilité directe de
la CIDE ?
313
Ce dernier passe d’une simple référence à un principe et une base tangible qui permet la
résolution des conflits et qui participe également à l’affirmation d’une identité de
l’ensemble de la société.
762. Le juge marocain est doté en matière familiale d’un système combiné entre une
culture et des valeurs traditionnelles et un esprit professionnel juridique qui l’oblige à
s’adapter à la réalité d’une institution familiale en mouvement. Ainsi, sa doctrine se
trouve devant l’obligation de combiner entre deux références qui peuvent être
contradictoires puisqu’elles ne puisent pas dans les mêmes logiques culturelles. Les traits
de chaque référence où le juge cherche à puiser la réponse exacte à chaque conflit au sein
de la famille se partagent entre des principes fondés sur une culture jurisprudentielle
islamique et d’autres sur des principes positivistes considérés comme étrangers à la
culture du juge.
763. Cette double référence peut être analysée et appréhendée comme une source
problématique à l’application de la règle de droit aux nouvelles situations dues à
l’évolution sociale. Les caractères opposants la doctrine fiqhiste et celle positiviste sont
fondamentaux. En effet, la première est dotée d’un nombre de traits qui rendent complexe
sa cohérence avec tous les principes fondamentaux de la deuxième doctrine. La
détermination des éléments qui caractérisent les deux doctrines permet de comprendre
l’ambivalence des visions jurisprudentielles qui vient témoigner de l’ambigüité du texte
du Code de la famille ainsi que de la formation du juge.
Dans l’influence de l’interprétation du juge du code de la famille, il est d’abord question
des principaux éléments qui constituent la règle et la doctrine jurisprudentielle
musulmane, qui peut être présentée selon Monsieur le professeur M. MOUAQIT comme
suit :
- D’abord une doctrine opposée et celle positiviste dans le fond puisque la première
consiste avant tout à apporter une réponse, une solution au conflit sans pour
autant se soucier de la logique et du raisonnement qui peut être basé sur des
principes fondamentaux reconnus universellement tels que les droits de l’Homme
ou l’individualisation des droits. De même, le raisonnement de cette doctrine
n’octroie pas une grande importance à la cohérence des règles juridiques ni à
celles667 qui doivent être basés uniquement sur la protection de la religion, des
traditions et des mœurs, sans pour autant prendre en considération l’évolution
sociale et familiale.
- Une doctrine basée sur un principe affirmatif auquel le fiqh a apporté des réponses
à toutes les questions auxquelles le juge peut être confronté ; elle permet le
blocage de toute innovation positive puis elle permet un contournement flagrant
des règles et des principes religieux afin d’éviter leurs contradictions ce qui peut
667
Il importe de noter que la diversité des opinions chez les juristes musulmans et la naissance des différentes écoles
étaient d’une référence principalement géographique. Une pratique marquée par les traditions et les coutumes locales,
le fiqh était ainsi une simple interprétation de la charia dans différents milieu sociaux.
314
remettre en question leurs valeurs morales et religieuse ‘jugées d’universelles par
les croyants’ notamment dans des questions qui concernent soit l’intérêt
individuel soit celui collectif.
- Une autre référence principale qui reflète bien la philosophie des principes du fiqh
et qui consiste à privilégier le groupe sur l’individu, autrement dit lors de la
recherche d’une solution dans le cadre d’un conflit que ce soit d’ordre familial ou
autre, il est avant tout question d’apporter une réponse qui prend en considération
le respect de l’ordre moral et religieux de la communauté, même si cette solution
n’apporte pas une solution logique à la problématique.
La prise en considération de ces principes de droit musulman, leur intégration tantôt
directe tantôt indirecte, ainsi que leur participation à l’élaboration de la règle juridique du
droit familial marocain actuel n’a pas abouti à la suppression ou l’ignorance de ces trois
principes. En ce qui concerne le premier principe, le législateur marocain a fait preuve
d’une intelligence afin de rendre les règles de son code de la famille d’abord au sein du
texte tout en notant quelques incohérences avec d’autre législations notamment du droit
pénal visant les libertés individuelles que nous avons déjà évoquées. Pour le second
principe, il fait encore partie de texte et de la pratique judiciaire actuelle.
764. En effet, le conflit entre la règle du droit musulman et celle du droit positif a
engendré une multitude de prise en considération que ce soit par le législateur ou par le
juge. En analysant cette question, il semble évident que ce soit le juge ou le législateur
qui se base sur un des trois principes cités plus-haut et qui consistent à utiliser une
méthode que le même auteur la nomme de « la raison de la ruse » ; autrement dit, que ce
soit le législateur à travers le texte ou le juge à travers son interprétation, ils essayent
d’éviter et de contourner les règles ou les principes religieux auxquels le Coran, la sunna
ou la jurisprudence ont apporté des réponses explicites. Quant au dernier principe, il a été
dissimulé par le législateur sous différentes formes, toutefois ses failles se sont avérées
plus importantes dans la pratique, puisque malgré que l’esprit du texte ainsi que les
revendications d’individualisation. La pratique a révélé que le recours à la protection du
modèle familiale traditionnel ainsi que la moralité sociale persistent.
765. La réunion de ces éléments perturbe et affecte l’un des nouveaux rôles attribués par
le législateur au juge de la famille et consiste selon le professeur Abdelkader
KARMOUCH à la reconnaissance de son pouvoir protecteur de l’ensemble de la famille
à travers l’établissement des diagnostics sociaux ou autres qui permettent la protection
des parties faibles que ce soit le père, la mère ou l’enfant668. Cependant, ce nouveau rôle
comporte un nombre de paradoxes par rapport à cette protection et à sa concrétisation qui
est censé être un principe fondamental de l’esprit du texte et une ligne directive de
l’exercice du juge dans la protection des droits des femmes et de l’enfant.
766. En effet, nombreuses sont les questions qui malgré le fait qu’elles fassent l’objet de
réformes dans le code de la famille, elles connaissent des lacunes au niveau de
l’application soit pour des raisons d’ambiguïté du texte comme nous avons avancé plus
haut ou pour une raison d’application par le juge.
668
Abdelkader KARMOUCH, Le nouveau rôle judiciaire : dans le nouveau code de la famille, p. 55, (en langue arabe).
315
Ainsi, nombreux sont les exemples qui reflètent la difficulté du juge à protéger la partie
faible qui se caractérise souvent en la personne de la femme et de l’enfant que nous allons
présenter comme suit :
- Le mariage de mineurs que nous avons déjà analysé et qui persiste malgré
l’élévation de l’âge du mariage à dix-huit ans par le législateur.
- La polygamie : une pratique qui n’a pas connu une baisse après l’amendement du
législateur qui a mis en place un nombre d’obstacles afin de limiter cette pratique,
qui selon les études menées connaît encore aujourd’hui un taux très élevé des
autorisations accordées par les juges. Une situation déplorée par le comité des
droits de l’enfant à titre d’exemple, qui considère que l’autorisation de cette
pratique est contraire à la dignité de la femme mais elle a également des effets
néfastes sur les enfants669.
- Le divorce : il est également question d’un nombre de violations exercées par les
juges dans ce cadre à l’égard des femmes et qui consistent à obliger la femme à
apporter toutes les preuves possibles afin de prouver le préjudice sur lequel se
base sa demande, or il est évident qu’il est difficile pour la femme d’apporter des
preuves. Une situation qui remet en question la possibilité d’une procédure de
désunion menée par la femme. Dans le même ordre d’idées, la femme est souvent
obligée à accepter des accords à l’amiable afin de se garantir le divorce et plus
précisément lorsqu’il s’agit du Khol où la femme peut être victime d’un chantage
fondé sur le droit de la garde.
- La pension alimentaire qui subit également des violations par rapport au
manquement du tribunal qui ne répond pas aux délais prescrits dans la loi ou
encore par rapport aux accusations qui doivent viser le mari ainsi que la difficulté
de la justice face à l’application des jugements.
- La filiation : la question de la filiation fait toujours partie des questions qui n’ont
pas fait l’objet d’intervention législative à la suite de son caractère religieux jugé
d’explicite par les courants traditionnalistes. Ces derniers se basent sur des
références jugées inadaptées à la société actuelle où la science peut apporter des
réponses plus explicites. En effet, depuis l’application de l’ancien statut
personnel, la jurisprudence s’est toujours référée aux éléments de preuves
classiques notamment « la présomption de paternité légitime ; l’aveu du père ; le
témoignage de deux adouls ou la commune renommée établissant que l’enfant est
bien le fils du mari et qu’il est né des rapports conjugaux des époux »670 voire
même une application basée uniquement sur le principe de ‘l’enfant du lit’.
Aujourd’hui encore malgré l’adoption du nouveau texte, nombreux sont les
réticences des juges en matière d’expertise médicale, voire même un rejet des
tests ADN lorsqu’il s’agit d’un enfant né hors mariage.
669
CRC/C/MAROC /CO/3-4.
670
L’article 89 de l’ancien texte du statut personnel.
316
- La garde : la question de la garde qui remplace le concept de l’autorité parentale
dans les textes internationaux fait également l’objet d’un nombre de
problématiques par rapport à l’exercice et au non-respect des droits de chaque
parent671.
-
767. Toutefois, il est important de souligner que ces violations ne concernent pas
uniquement la emme mais déclenche tout un processus de discrimination d’abord envers
la femme mais également pour les droits de l’enfant et la protection de son intérêt
supérieur. Par ailleurs, une autre question qui pose encore aujourd’hui une problématique
majeure pour la femme comme pour l’enfant, est celle de l’accès à la justice.
768. Le principe de l’accès à la justice peut être défini selon les textes et les programmes
internationaux comme étant un ensemble de conditions juridiques et organisationnelles
qui définissent la disponibilité et l’efficacité des services judiciaires. Il fait également
référence à l’exigence que les lois et les recours existants dans un tel pays soient justes et
équitables, sensibles aux plus démunis et qui sont dans le besoin mais également à
répondre aux difficultés qu’ont les plus démunis et vulnérables à faire valoir leurs droits
auprès de la justice et de l’ensemble de ses institutions 672. Il est aussi défini par le
programme des Nations unies pour le développement (PNUD) qui est un acteur principal
dans le domaine de l’accès à la justice et de l’Etat de droit, comme l’ensemble des
mécanismes d’élaboration, d’interprétation et d’application des lois. Il implique plus
qu’une simple définition qui se réfère à la possibilité d’accès d’un individu aux tribunaux
ou à la représentation juridique673. Selon le même programme, cet accès doit garantir des
résultats juridiques et judiciaires qui soient équitables. Cependant, ces définitions font
face à un nombre d’obstacles qui limite la réalisation d’une justice impartiale. L’un des
obstacles répandus de l’accès à la justice est une discrimination sexuelle basée sur un
système juridique qui, à travers les insuffisances des lois internes, ne protège pas les
parties faibles notamment la femme et l’enfant, en limitant leurs recours judiciaire674.
769. Le Maroc fait partie de ces Etats qui se sont engagés à travers les réformes menées
et les textes internationaux ratifiés à l’abolition de tout genre de discrimination,
notamment celle à l’égard de la femme et de l’enfant. En ratifiant la CEDAW à titre
exemple, et en levant toutes les réserves sur cette convention afin de garantir et de
renforcer la jouissance des femmes de leurs droits humains, en servant d’exemple à tous
les pays de la région MENA qui conservent des réserves en la matière. En effet, après
l’entrée en vigueur du code de la famille, quelques mesures ont également visé la
question de l’amélioration de l’accessibilité à la justice par les femmes, et qui peuvent
être citées comme suit :
671
Fouzia RHISSASSI et Khalid BERJAOUI, Femmes, droit de la famille et système judiciaire en Algérie, Au Maroc
et en Tunisie, op. cit., pp. 92 et s.
673
U.N. Dev. Program (PNUD), Access to justice: Practice Note, at 3, (Aug. 3, 2004) (en langue anglaise).
674
Leila HANAFI, Moudawana and Women’s rights in Morocco: Balancing national and international law, éd.
International law student association, Nova southeastern university, shepard broad law CE, p. 525.
317
- L’aménagement des sections de justice familiale de proximité avec les lieux
d’habitation, l’organisation de sections familiales afin qu’elles soient faciles
d’accès, l’amélioration des conditions d’accueil.
- La mise en place d’un pôle d’accueil des justiciables au sein de chaque tribunal
familial, le lancement de l’application ‘e-justice’ relative aux services judiciaires
qui permet aux justiciables et aux avocats d’accéder et de suivre les différentes
étapes de leurs affaires675.
- L’amélioration des délais de remise des convocations, aux destinataires et aux
parties adverses.
- L’aide judiciaire, qui vise les personnes qui n’ont pas les moyens (exonération des
frais de justice, désignation d’avocats, des experts en tradition…etc.).
- Le lancement d’expérience d’une assistance sociale et judiciaire au sein de la
section familiale afin de contribuer à l’orientation des justiciables dans le
tribunal676.
770. Cependant, malgré ces engagements et ces mesures, des lacunes flagrantes persistent
dans l’amélioration de l’accès des femmes à la justice. En effet, une question importante
n’a pas intégré explicitement les mesures prises pour l’amélioration et la garantie de
l’accès à la justice; il s’agit de l’accès à la justice des femmes habitant les zones rurales.
Dans ces derniers, le taux d’analphabétisme est très élevé chez les femmes, puisqu’elles
ont tendance à quitter l’école très tôt et à se marier afin de remplir leur rôle social. Ainsi,
elles n’ont pas connaissances de leurs droits ni aux procédures auxquelles elles peuvent
avoir recours dans n’importe quelle situation, elles sont séparées du cadre juridique et
elles ne sont pas prises en considération dans des mesures spécifiques qui les concernent
en vue de leur situation socio-économique.
771. Dans le même ordre d’idées, il importe de souligner que la discrimination que subit
la femme que ce soit dans le nombre des failles que contient le texte du Code de la
famille ou encore dans la pratique du juge, engendre avec elle une atteinte directe et
indirecte à la protection des droits de l’enfant et de son intérêt supérieur. En effet, comme
nous l’avons précisé auparavant, la concrétisation du principe de l’intérêt supérieur de
l’enfant exige la protection du bien-être et de la santé physique et psychologique de ce
dernier. Cependant, cette protection est souvent remise en question dans le cadre familial,
notamment lorsque les droits de la femme sont bafoués et plus précisément lorsqu’il
s’agit de situations où l’enfant représente également la partie faible au côté de la mère.
772. Dans un premier temps, il importe d’évoquer la pratique judiciaire en matière de
filiation en dehors du cadre légal (le Mariage), cette dernière qui fait encore l’objet d’une
pratique traditionnelle fondée sur le droit musulman, qui prohibe toute relation sexuelle
hors du mariage.
675
D’autres projets ont également vu le jour par des associations de juristes dans l’objectif de promouvoir l’accès à la
justice notamment : la caravane de la justice qui a permis des consultations juridiques gratuites visant les régions
rurales ou les couches sociales défavorisées ; ou encore le projet d’observation des tribunaux et publications des
jugements qui visent à identifier les lacunes et les faiblesses du système judiciaire actuel.
676
Sans oublier de reconnaître le rôle des associations, et des centres d’écoutes pour les femmes et les enfants victimes
de violence, qui apportent un soutien primordial à l’orientation et au suivi des affaires.
318
Elle concerne toutes les femmes qui sont tombées enceinte en dehors du cadre du
mariage677 et dont le partenaire nie la parenté de l’enfant né de cette union. En effet, mis à
part les dispositions du Code de la famille qui ne reconnaissent pas les enfants nés hors
mariage, ceci est une disposition complètement contraire à la CIDE. Il y a la mauvaise
interprétation du concept de ‘l’expertise’ qui peut être considéré comme très vaste et qui
ne précise pas le recours à l’ADN dont le juge bénéficie en la matière, ce recours qui est
limité par le juge uniquement lorsqu’il y a eu des fiançailles (avec preuve) 678.
773. Dans un second temps, il y a la situation des enfants après le divorce des parents qui
génère des atteintes au bien-être psychologique mais également matériel de l’enfant. En
effet, ce dernier se trouve au centre des conflits parentaux ainsi que d’un nombre de
failles de la pratique judiciaire et qui concernent principalement la pension alimentaire et
la garde des enfants. En ce qui concerne la pension alimentaire, il importe de souligner
que l’application de l’article 190 679 qui fixe le délai de statuer en la matière au maximum
d’un mois, un dépassement de délai qui pose problème aux femmes ayant des enfants et
qui, ne travaillant pas, se trouvent sans ressources.
774. La mauvaise implication du ministère public qui ne remplit pas son rôle principal
vis-à-vis la protection de la femme et de l’enfant, en ne poursuivant pas le père pour
l’abandon de sa famille ni en répondant au besoin matériel de l’enfant. Enfin, un autre
problème subsiste dans la pratique du juge et ça concerne la difficulté d’application des
jugements. En effet, c’est l’un des problèmes majeurs que connaît la justice marocaine de
manière générale et la justice familiale en particulier. L’inexécution des jugements
concernant la pension alimentaire est une réalité connue de la majorité des femmes
divorcées qui ont fait appel au juge de la famille dans ce cadre, et pour qui l’inefficacité
d’exécution remet en question la crédibilité de l’ensemble du système.
775. Quant à la question de la pratique en matière de la garde, il est même possible de
remettre en question l’application de l’article 85 du Code de la famille qui oblige le père
à continuer le versement de la pension alimentaire à ses enfants en respectant leurs
conditions et situations scolaires avant le divorce. En effet, les difficultés résident dans le
rôle du tribunal à imposer la garde ou la responsabilité partagée entre les deux parents
afin de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant qui consiste en la matière à la veille au
développement sain de l’enfant, au maintien de lien parental entre les enfants et les deux
parents, ce lien qui permet le meilleur développement de la personnalité de l’enfant680.
677
Cette situation peut concerner soit : les femmes qui ont accouché lors de la période des fiançailles ; les femmes
mariées sans acte de mariage (Preuve) ; les victimes de viols ou encore les mères célibataires.
678
Fouzia RHISSASSI et Khalid BERJAOUI, op. cit., p. 96.
679
L’article 190 du code de la famille dispose que : « le tribunal se fonde, pour l’estimation de la pension alimentaire,
sur les déclarations des deux parties et sur les preuves qu’elles produisent, sous réserve des dispositions des articles 85
et 189 ci-dessus. Le tribunal peut faire appel à des experts à cette fin. Il est statué, en matière de pension alimentaire,
dans un délai maximum d’un mois ».
680
Sami A. ALDEEB Abu-SAHLIEH, Religion et droit dans les pays arabes ; domaines influencés par la religion,
presse universitaire de Bordeaux, Pessac, 2008, p. 117.
319
776. L’observation qui peut être faite en ce sens, consiste à souligner l’importante liaison
entre la protection des droits des femmes et ceux des enfants. Une liaison qui impose au
législateur ainsi qu’aux praticiens notamment le juge, de prendre en considération
l’individualisation des droits qui permet une meilleure protection de chaque individu au
sein de la famille mais également la corrélation de ces droits qui, en cas de violation de
l’un d’entre eux, d’autres seront inévitablement affectés que ce soit dans la théorie
comme dans la pratique. Ainsi, la quête à l’intérêt supérieur de l’enfant par le juge
concerne différents sujets. Cette différenciation a permis au droit et à la jurisprudence
d’adapter les moyens de recherche de cet intérêt par rapport à l’évolution familiale et
sociale.
777. L’effectivité de la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, est une question
qui dépend fortement de l’exercice du juge en matière familiale et en toute question
relative à la protection des droits de l’enfant et à l’applicabilité de la CIDE. En effet, le
juge se trouve confronté à un défi d’ampleur qui l’incite à intégrer et à prendre en
considération ce principe, qui, malgré qu’il soit assez récent dans un nombre de systèmes
judiciaires comme celui du Maroc, impose aujourd’hui l’importance de sa prise en
considération au sein de la réglementation ainsi que dans la pratique. Dans ce sens,
nombreuses sont les méthodes adoptées dans chaque pays afin de permettre cette
concrétisation judiciaire. Les réformes menées dans la majorité des Etats qui ont ratifié la
CIDE se penchent naturellement sur l’intégration du ce principe en adoptant les méthodes
et les moyens adaptés à cette reconnaissance effective de ce principe. Pour les deux
systèmes judicaires français et marocain, l’effectivité de ce principe a d’abord pris
différentes formes puis elle a également subi une évolution différente adaptée à
l’évolution du domaine juridique de chaque Etat.
778. En effet, parallèlement à l’évolution familiale, et à l’adaptation des textes juridiques
aux mutations que connaît cette institution, le rôle du juge dans le système judiciaire
marocain comme celui de son homologue français a également subi une évolution qui a
permis la naissance de nouvelles méthodes visant à garantir la prise en considération de
l’intérêt de l’enfant, des moyens et des processus qui permettent une meilleure
détermination de cet intérêt au milieu du conflit familial (Paragraphe 1); et qui
aboutissent à l’évolution de l’ensemble des facteurs participant à une meilleure prise en
considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, permettant des réformes profondes en
relevant le défi de la concrétisation de l’intérêt de l’enfant par le juge (Paragraphe 2).
320
Paragraphe : Les moyens de détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant.
780. En France ainsi qu’au Maroc, nombreuses sont les méthodes adoptées afin de
protéger l’intérêt supérieur de l’enfant au sein du cadre familial, protéger son bien-être
physique et moral dans toutes les situations qui peuvent nuire à ce bien-être semble être la
priorité. Dans les deux systèmes judiciaires, l’objectif primordial de protéger les enfants a
permis la naissance d’un nombre de méthodes auxquelles le juge peut avoir recours afin
de régler les litiges, rechercher l’intérêt supérieur de l’enfant et permettre sa
concrétisation. Le recours aux nouvelles méthodes s’est accéléré cette dernière décennie,
avec l’accélération de la prise de conscience progressive de la place de l’enfant au sein de
la société en général et de la famille en particulier.
781. Parmi les méthodes auxquelles le juge peut avoir recours afin de déterminer et de
concrétiser ce principe d’intérêt supérieur de l’enfant, nous allons nous intéresser à deux
principales méthodes qui représentent aujourd’hui des recours et des références
principaux pour le juge. Dans un premier temps, il y a le recours à la médiation qui
permet de répondre à une prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, puisque
cette méthode permet avant tout de régler les litiges familiaux avant, pendant et après la
séparation des parents. L’usage de ce moyen se base principalement sur le règlement de
litige entre adultes permettant au même titre au juge de déterminer et de fixer l’intérêt
supérieur de l’enfant, ainsi de chercher des solutions qui permettent avant tout de
concrétiser ce principe.
782. Nombreux sont aujourd’hui les modes alternatifs au règlement de conflits, qui
permettent aux parties de dialoguer afin de trouver des solutions concrètes aux litiges
notamment lorsque leurs intérêts ou ceux des enfants sont mis en danger. Loin de
s’enfermer dans une situation conflictuelle, la médiation qui vient du latin « mediare » et
qui signifie ‘s’interposer’, représente un processus d’intervention d’un tiers appelé le
médiateur qui intervient de manière indépendante et neutre afin d’accompagner les
parties se trouvant en conflit à trouver eux-mêmes des solutions adaptées à leurs situation
et leur litige.
321
783. D’une manière générale, le droit privé comprend trois formes de médiation ; d’abord
une médiation conventionnelle qui offre aux parties la liberté de décider elles-mêmes de
leur choix de recourir à la médiation soit d’une volonté instinctive ou de répondre à une
clause contractuelle qui le détermine explicitement. Puis, une médiation institutionnelle
qui vise l’ensemble des personnes physiques, morales ou des institutions judiciaires, et
qui est utilisée dans l’objectif d’éviter le recours à la justice. Et enfin, il y a la médiation
judiciaire qui est sollicitée lorsque l’action est déjà menée en justice; dans ce genre de
situation, c’est le juge qui décide du recours à la médiation avec l’accord des parties,
duquel ressort une proposition d’une solution au conflit, qui parvient soit du juge aux
parties soit des parties au juge. En effet, c’est cette dernière qui nous intéresse dans le
cadre de définir le rôle du juge dans la recherche et la concrétisation du principe de
l’intérêt supérieur de l’enfant. En outre, dans le processus de la recherche du juge de
l’intérêt supérieur de l’enfant, d’autres éléments permettent également cette
détermination et sont naturellement liés au recours à la médiation, notamment
l’intégration du rôle de l’enfant lui-même par le juge au sein de ce processus et la prise en
considération de sa parole, l’enfant se trouvant ainsi au milieu de la médiation et de tout
un mécanisme dédié à rechercher son intérêt supérieur.
784. En France, la promotion judiciaire du nouveau concept utilisé par le juge en matière
familiale a permis de revisiter même la fonction de juger681. Cette dernière a en effet suivi
l’évolution des relations au sein de la famille qui sont passées d’un aspect traditionnel
abordant un couple reposé sur le mariage et des relations parents-enfants basées sur la
filiation et l’autorité parentale, à un ordre plus moderne qui aborde de nouveaux aspects
familiaux, une transformation qui a lancé de nouvelles complexités que ce soit pour le
couple ou les enfants. Le législateur français s’est adapté à ces changements en adoptant
un esprit évolutif en apportant de nouvelles méthodes qui dépassent le cadre
juridictionnel traditionnel. C’est dans ce sens que l’adoption de la médiation s’est inscrite
dans le cadre de déjudiciarisation et d’une favorisation des relations humaines qui doivent
être revalorisées face à l’individualisme 682.
681
Vincent. EGEA, La fonction de juger à l’épreuve du droit contemporain de la famille, Paris, Defrénois, Coll. « Droit
et Notariat », 2010.
682
Jean-Claude. MAGENDIE, Loyauté, dialogue, célérité. Trois principes à inscrire en lettres d’or aux frontons des
palais de justice », in justices et droit du procès, du légalisme procédural à l’humanisme processuel, Mélanges en
l’honneur de Serge GUINCHARD, Paris, Dalloz, 2010, p. 336.
683
Catherine HOCHART, La médiation, un remède aux ruptures familiales, Droit et cultures, 73/2017, 205-226, p. 208.
322
785. Quant à la pratique de la médiation familiale en droit marocain, elle peut être
qualifiée de très récente et imprécise. Malgré le fait que le code de la famille de 2004 ait
intégré la question de la médiation familiale et la possibilité à son recours par le juge,
ainsi que les efforts fournis dans l’objectif d’adopter de nouvelles méthodes de résolution
de conflits qui permettent une meilleure effectivité du texte et de son esprit favorable aux
intérêts individuels de chaque membre de la famille, la pratique témoigne d’une
souffrance d’application et d’une absence de structuration en sa faveur, et de
l’établissement d’un cadre juridique propre qui permet à cette méthode d’être un moyen
efficace de résoudre les conflits familiaux mais également de permettre au juge de
déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant.
786. En France, la médiation familiale est un mode de règlement des conflits qui consiste
à aider les parties à trouver elles-mêmes une solution à leur conflit, tenue principalement
d’accompagner les parties à trouver les solutions en permettant de confronter leurs points
de vue et de les aider à trouver un terrain d’entente en adoptant des méthodes telles que
l’intervention d’un médiateur. Cette médiation peut être selon le choix des parties, soit
une médiation conventionnelle c’est-à-dire spontanée par les parties, ou une médiation
judiciaire c’est-à-dire imposée par le juge. Dans le cadre de ce dernier choix, la procédure
débute lorsque le JAF est saisi par les parties. Toutefois, le juge est tenu de remplir son
rôle de conciliateur relatif aux divorces et à la séparation et délègue au médiateur les
affaires relatives à l’autorité parentale, la résidence des enfants ou encore la pension
alimentaire.
787. En effet, la procédure de médiation familiale est connue depuis les années 1980 mais
sa réglementation ne s’est faite qu’en 1995. En effet, la loi n° 95-125 du 8 février 1995
relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative
modifiée par l’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011, dispose en matière de
médiation judiciaire que « tout processus structuré, qu’elle qu’en soit la dénomination,
par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la
résolution amiable de leur différents avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elle
ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige ». Ainsi, cette procédure a été
intégrée au sein du code de procédure civil depuis 1996, consacrant à la procédure de la
médiation un titre spécifique, puis renforcée par la consécration de la loi du 4 mars 2002
relative à l’autorité parentale, cette consécration ayant affirmé l’importance de cette
pratique dans le champ familial684. Elle est encadrée par deux articles du code civil :
L’article 255 du code civil relatif au divorce dispose que : « le juge peut notamment :
proposer aux époux une mesure de médiation, et après avoir recueilli leur accord,
désigner un médiateur familial pour y procéder : enjoindre aux époux de rencontrer un
médiateur familial qui les informera sur l’objet et le déroulement de la médiation ». Puis
l’article 373-2-10 du code civil relatif à l’exercice de l’autorité parentale par les parents
séparés et qui dispose que « en cas de désaccord, le juge s’efforce de concilier les
parties. A l’effet de faciliter la recherche par les parents d’un exercice consensuel de
l’autorité parentale, le juge peut leur proposer une mesure de médiation et, après avoir
684
Ibid.
323
recueilli leur accord, désigner un médiateur familial pour y procéder. Il peut leur
enjoindre de rencontrer un médiateur familial qui les informera sur l’objet et le
déroulement de cette mesure ».
788. S’ajoute à cela la définition complète adoptée par le Conseil national consultatif de
la médiation familiale en 2003 qui définit la médiation familiale comme « un processus
structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent
de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide
d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné avec leur accord par le juge saisi du
litige », une définition qui a subi une modification suite à la proposition de loi (APIE) et
qui a été votée par l’assemblée nationale le 27 juin 2014 qui a appelé explicitement à
l’intégration d’un élément crucial en matière de médiation qui est l’intérêt supérieur de
l’enfant. Ainsi par l’article 16 de la proposition, la définition de la médiation est comme
suit : « La médiation familiale, qui a pour finalité d’apaiser le conflit et de préserver les
relations au sein de la famille, est un processus structuré et confidentiel de résolution
amiable des différends familiaux. Avec l’aide du médiateur familial, tiers qualifié,
impartial et indépendant, les personnes tentent de parvenir à une solution mutuellement
acceptable, qui tient compte de l’intérêt de l’une et de l’autre et de celui de leurs enfants
éventuels, et qui peut prendre la forme d’accords susceptibles d’être homologués par le
juge ». De plus, depuis 2015685, un autre décret a été adopté dans l’objectif de rendre la
médiation familiale nécessaire pour chaque personne souhaitant entamer une procédure.
Autrement-dit, tout justiciable souhaitant passer devant le JAF doit justifier d’un passage
préalable de la médiation familiale, afin d’obtenir des accords, notamment sur la
protection de l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit représenter le fil conducteur à cette
démarche amiable.
789. Dans le cadre d’une médiation judiciaire, la mission du médiateur peut concerner
l’ensemble ou une partie du litige selon la délégation qui lui est faite par le JAF. Elle
consiste à restaurer et protéger les liens familiaux lors du conflit, de sa qualification
professionnelle de psychologue et juriste tout en respectant un code de déontologie
intégrant son devoir de confidentialité et de neutralité envers chacune des parties 686. En
outre, il est également tenu de rappeler et d’imposer quelques règles dans l’objectif de
garantir le bon déroulement du processus et qui peuvent être précisées, d’abord par le
respect mutuel (éviter les agressions verbales) entre les deux parties afin que le dialogue
puisse se tenir et aboutir à une solution. Les parties doivent également répondre à une
obligation de transparence sur toutes les informations d’ordre personnel ou financier. Le
médiateur essaie donc de créer un climat adéquat pour entamer des discussions et des
négociations afin de permettre aux parties d’identifier l’origine du conflit, d’exprimer
leurs demandes et leurs attentes de cette procédure, et ainsi d’éviter le procès.
685
Décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile à la communication
électronique et à la résolution amiable des différends, JORF n° 0062 du 14 mars 2015, p .4851, Texte 16.
686
Jean-Claude LAPLAUD, La médiation familiale en France : Points de vue des médiateurs et des services, Colloque
des 11 et 12 juin 2009 sur la médiation familiale en Europe, réalités familiales, Revue de l’Union nationale des
associations familiales, p. 11.
324
790. Le processus de la médiation familiale a en effet été renforcé et élargi par toutes les
dispositions adoptées par le législateur, ces dispositions ayant clairement proposé au JAF
que le recours au processus de la médiation soit sa première proposition aux parties. Par
ailleurs, il est à noter que la médiation familiale peut revêtir deux formes, d’abord une
proposée par le juge, puis une seconde imposée par le juge. En ce qui concerne le recours
à la médiation proposée par le juge, l’exigence est de recueillir l’accord des deux parties
pour que le processus puisse débuter. Un accord qui ne retire pas au juge le pouvoir que
lui accorde l’article 131-2 de la procédure civile et dispose que : « la médiation porte sur
tout ou une partie du litige. En aucun cas elle ne dessaisit le juge, qui peut prendre à tout
moment les autres mesures qui lui paraissent nécessaires ». Ainsi, toute décision prise
par le juge qui permet de débuter, renouveler ou mettre fin à une procédure de médiation
ne peut faire l’objet d’appel687, et ne peut dépasser la période de trois mois sauf sous
demande du médiateur688.
791. De plus, puisque le processus de la médiation représente une mesure onéreuse, les
parties sont tenues de régler une provision qui doit être fixée par le juge, afin d’éviter
toute caducité de la mesure ordonnée par le juge. Quant à la médiation familiale imposée,
il est notamment question d’un pouvoir d’injonction du juge imposé par la loi du 4 mars
2002. Un pouvoir qui permet au juge d’appeler les deux parties de prendre leur part de
responsabilité dans l’échec de leur relation conjugale ou parentale et d’essayer de
poursuivre le dialogue en intégrant le processus de la médiation. Dans ce sens, il est
question d’ « enjoindre aux époux de rencontrer un médiateur familial qui les informera
sur l’objet et le déroulement de la médiation »689;à travers cette disposition, les parties
sont obligées de rencontrer un médiateur qui aura pour mission de les informer de
l’ensemble de la procédure et de ses objectifs. Ainsi, deux solutions s’offrent aux parties,
d’abord une possibilité d’accorder leur consentement et de poursuivre le processus
jusqu’à l’obtention d’une solution validée par le juge. Ou de refuser de continuer le
processus de la médiation familiale et de s’arrêter au premier rendez-vous informatif
‘forcé’. Dans ce cas le juge se trouvera devant l’obligation de réexaminer l’affaire afin de
prendre sa décision.
687
Article 131-15 CPC.
688
Article 131-3 CPC.
689
Article 255 du Code civil.
325
Lorsque la médiation familiale aboutit à un accord entre les parties, il est possible que ce
dernier soit une transaction comme le dispose l’alinéa 1 de l’article 2044 du code civil,
« cette transaction soit un contrat par lequel les parties terminent une contestation née
ou préviennent une contestation à naître », cette transaction inscrit tous les détails de
l’accord des parties.
En outre, cette transaction est considérée selon l’article 2044 du code civil « comme un
contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une
contestation née, ou préviennent une contestation à naître », ainsi, elle est rédigée soit
par le médiateur sur la demande des parties ou par ces dernières elles-mêmes à l’aide du
médiateur. Nonobstant, malgré que l’acte rédigé possède des effets juridiques mais
aucune force exécutoire, son exécution passe par « la voie de l’homologation à la
demande conjointe des parties dans le cadre d’un débat contradictoire entre elles »690.
793. Le recours à la médiation judiciaire par les parties ne représente en aucun cas une
délégation d’un pouvoir du juge au médiateur. En effet, la médiation familiale reste sous
le contrôle du juge qui garde son pouvoir de prendre les décisions nécessaires dans le
cadre du processus691. Une délimitation de pouvoir qui permet de différencier entre le
médiateur qui participe à l’élaboration d’un accord entre les parties et du juge qui garde
sa mission principale qui consiste à juger même lorsque la médiation n’aboutit à aucune
solution. En outre, le contrôle du juge est avéré à travers toutes les dispositions énoncées
dans l’article 131 qui énonce les obligations du médiateur au regard du juge, notamment
celles de l’informer de toutes les difficultés rencontrées dans la réalisation de sa tâche.
Dans ce sens, le juge est doté de deux rôles principaux, d’abord un rôle de veille et de
prévention afin que le processus de la médiation aboutisse aux résultats sans qu’il y ait
des dérives qui l’emmènent à interrompre l’ensemble du processus et l’achever. Puis un
rôle positif à travers lequel il ordonne un ensemble de mesures d’ordres administratifs et
judiciaires telles que le délai du processus ou des mesures relatives à la poursuite du
processus afin d’élaborer un accord avec la participation du médiateur692. Ainsi, il s’avère
évident que le rôle du juge demeure central dans l’ensemble du processus de la médiation
familiale, puisque le législateur lui a préservé un contrôle constant malgré que la
procédure de la médiation concerne principalement les parties en conflit. En outre, en cas
d’accord, le juge est amené à examiner l’accord conclu entre les parties afin de contrôler
son respect et sa conformité aux règles puis à l’intérêt de l’enfant et à celui des parents
afin d’homologuer. La question de la médiation semble être bien structurée en France, et
permet la réglementation d’un processus favorable à la recherche d’autres méthodes de
résolution de conflits et de conclusion d’accords qui permettent la protection des intérêts
de chaque membre de la famille.
690
Article 131-12 CPC.
691
Article 131-2, alinéa 2 du CPC.
692
Martine. BOURRY-D’ANTIN, Gerard. PLUYETTE, Stephan. BENSIMON, Art et techniques de la médiation,
Litec 2004, pp. 167-168.
326
794. En droit marocain, en contrepartie, la question semble être plus complexe. En effet,
depuis l’adoption du Code de la famille marocain, nombreuses sont les réflexions faites
sur les nouveaux modes alternatifs au règlement de conflits notamment le recours à la
conciliation ou à la médiation. Toutefois, cette réflexion est le résultat de l’émergence et
de la multiplication des acteurs agissant dans le cadre de l’exercice d’une médiation
parajudiciaire. En effet, cette dernière a connu depuis quelques années l’influence d’un
nombre de facteurs qui font aujourd’hui de cette pratique un sujet visé par les réformistes
qui font de l’intégration de la médiation familiale et l’élargissement de son champ
d’application une question primordiale.
795. Parmi les facteurs qui ont participé d’une manière directe à l’intégration et indirecte
à l’évolution de cette pratique à la société marocaine 693, il y a tout d’abord la société
civile, qui a connu une évolution spectaculaire depuis l’indépendance, et qui s’‘est
accordée la possibilité de s’engager dans le sens de remplacer les acteurs classiques
dépassés par la société dans cette pratique, et qui s‘est lancée dans la concrétisation de ce
processus. Puis, il y a le système judiciaire qui souffre du dépassement du nombre de
dossiers relatifs aux conflits familiaux, qui engendre un manque de protection des droits
de l’enfant, ces derniers qui sont atteints d’une manière directe suite aux conflits
parentaux, les associations œuvrant pour les droits de l’enfant et qui font de la
concrétisation des conventions internationales notamment la CIDE leur priorité en se
lançant dans la création des centres d’écoutes pour les parents afin de protéger les
enfants. Et enfin, l’apparition des centres privés à partir des années 2000 qui se
spécialisent dans la pratique de la médiation familiale comme un processus alternatif aux
tribunaux694.
693
La médiation familiale telle qu’elle est connue aujourd’hui est considérée comme étrangère de la société marocaine.
Par ailleurs, étant une société traditionnelle la société avait développé un processus d’intermédiation afin de résoudre
les litiges familiaux, un mode de fonctionnement qui permet l’intervention d’un nombre d’acteurs qui agissent tantôt en
tant que conciliateur, médiateur ou encore arbitre et souvent un mélange des trois fonctions. Parmi ces acteurs il y avait
à titre d’exemple l’imam de la mosquée qui possédait un statut religieux influent et puissant, qui légitimait toute
intervention dans ce sens, ou selon les tribus en choisissant le responsable vers qui les gens se dirigent en cas de
conflits Ou encore l’intervention des proches notamment les plus ainés puisque la famille préservait le cadre familial
traditionnel, ces acteurs ont perdu progressivement leur rôle du fait de l’évolution sociale.
694
Mohammed OUZETOUAL, Maroc : La médiation familiale et la protection du mineur, Médiation et jeunesse :
Mineurs et médiations familiales, scolaires et pénales en pays francophones sous la direction de Jean MIRIMANOFF,
Préface de Jean ZERMATTEN, éd. LARcier, Collection parvenir, négocier, résoudre, 2013.
327
d’un caractère traditionnel, qui peine à introduire une telle méthode afin de répondre aux
intérêts individuels lors du conflit familial695.
797. Dès le préambule, le législateur marocain souligne l’importance des nouveaux
mécanismes qui seront adoptés dans l’objectif d’améliorer les modes alternatifs de
règlement de litiges, en précisant « qu’il convient de renforcer les mécanismes de
conciliation et d’intermédiation, en faisant intervenir la famille et le juge ». Toutefois, les
dispositions du Code de la famille marocain ne traitent pas expressément la question de la
médiation familiale comme une technique indépendante en matière de résolution de
conflits familiaux, elle est intégrée dans un processus judiciaire qui assimile d’autres
pratiques sans pour autant la doter d’une spécificité 696. Dans ce sens, le législateur
marocain a adopté à travers les articles 81, 82, 83, 89, 94, 95, 97, 113, 114 et 120, un
ensemble de dispositions qui visent à instaurer l’intervention obligatoire du juge dans son
nouveau rôle qui consiste à lancer le processus de la réconciliation (Assolh). Inspiré
profondément par le droit musulman, le législateur marocain légitime le recours à ce
processus d’une référence religieuse explicite, en se référant au texte coranique où Dieu
dit « Si vous craignez le désaccord entre les deux (époux), envoyez alors un arbitre de sa
famille à lui, et un arbitre de sa famille à elle. Si les deux veulent la réconciliation, Dieu
rétablira l’entente entre eux. Dieu est, certes, omniscient et parfaitement
connaisseur »697, ou encore « Et si, après s’être consultés, tous deux tombent d’accord
pour décider »698.Cette fidélité à la tradition religieuse se reflète dans la manière dont le
concept de la médiation familiale a été intégré dans le texte juridique, et comment il est
pratiqué par le juge.
798. Le Code de la famille de 2004 n’évoque dans aucune de ses dispositions le terme de
la médiation familiale. Ainsi, lorsqu’il s’agit de procédure de divorce et ses effets, le
législateur évoque uniquement une phase de réconciliation, sans pour autant se référer
explicitement à la procédure de médiation familiale. Il est ainsi question de savoir si le
juge exerce à travers la réconciliation, un processus de médiation familiale.
La réponse à cette question réside dans l’étude de la phase de réconciliation imposée par
le juge, qui se déroule ainsi : lorsqu’un couple saisit la justice afin de mettre fin à sa vie
conjugale, le tribunal convoque les deux parties pour une tentative de conciliation menée
par le juge qui peut prendre toutes les mesures qu’il considère nécessaire dans la
réalisation de la conciliation699.
695
Il importe de souligner qu’avant l’adoption du code de la famille de 2004, et sous l’empire du statut personnel le
juge ne disposait pas de mécanismes qui lui permettaient d’intervenir d’une manière active dans la procédure de
dissolution de mariage ; aussi il n’avait pas l’obligation de procéder à n’importe quel autre processus que ce soit de
conciliation ou de médiation. L’intégration de l’obligation du recours à la conciliation à titre exemple a été le fruit
d’une pression associatif qui sonné l’alarme du manque de protection des droits de l’enfant lors de la dissolution du
mariage des parents.
696
R. Naji EL MEKKAOUI, La Moudawana (code marocain de la famille), le référentiel et le conventionnel en
harmonie, t. 3, De la réforme de la Moudawana à la création de son âme, Rabat, 3ème éd., Bouregreg, 2009, p. 70.
697
Sourate 04 Al-NISSAE (Les femmes), Verset 35, Coran.
698
Sourate la Vache, Verset 234.
699
Le juge peut faire appel à toute personne pouvant apporter son aide dans l’objectif de concilier les deux conjoints
notamment les membres de leurs deux familles et à leurs conseils.
328
Ces mesures nécessaires peuvent être les méthodes adoptées par le juge notamment la
désignation de deux arbitres membres de la famille, ces deux derniers étant tenus de jouer
le rôle de médiateur ou de conciliateur puisque le tribunal considère que ces arbitres
auront plus de connaissance sur la situation familiale du couple. Le silence du texte sur
leur mission oblige le juge à la définir en se basant sur l’article 400 du Code de la famille
et qui lui permet de puiser dans le rite Malékite des règles qui définissent et réglementent
leur mission700.
799. De même, lorsque le couple a des enfants, le juge est appelé à procéder à une
deuxième tentative obligatoire. Cependant, le juge qui mène le processus de conciliation
n’est pas un médiateur familial, bien qu’il occupe ce rôle pendant les séances de
conciliation. Malgré que le juge ‘conciliateur’ ne soit doté d’aucune formation en matière
de médiation familiale, sa mission de rétablir le dialogue entre les époux, permettre
l’identification de l’origine du conflit et comprendre son ampleur, établir les accords et
les désaccords du couple durant une seule séance de conciliation semble être difficile.
Toutefois, le juge est amené à accomplir sa mission qui peut être présentée sous deux
principaux aspects. D’abord, il essaye de concilier les deux parties lorsqu’il est possible,
les concilier soit sur une partie, sur quelques questions précises, ou encore sur l’ensemble
de leur désaccord. Puis, il essaye de concilier les intérêts communs et à en chercher leur
équilibre tout en veillant qu’aucune atteinte aux droits de chacun ne soit faite.
800. Cependant, la mission du juge en matière de médiation familiale abordée sous
l’angle de la conciliation701, ne semble pas avoir apporté des résultats pertinents, sachant
que les statistiques du ministère de la justice relatives à la procédure de la conciliation
présentent un taux très faible de l’aboutissement du processus qui pour l’année
2011concerne 19,99% des actes de divorces jugés par conciliation soit un acte sur cinq 702.
Ces chiffres témoignent d’une grande faiblesse dans l’application en matière de
conciliation, faiblesse qui peut être abordée sous différents aspects. Dans un premier
temps, il importe de souligner la faiblesse du texte qui figure dans une faille juridique en
la matière et qui est relative à la présence des justiciables aux séances de conciliation. En
effet, ces derniers peuvent procurer des personnes de leur entourage à assister aux
séances, cette pratique représentant encore aujourd’hui une limite avérée puisqu’elle fait
l’objet d’une divergence de considération entre des juges, et les partage entre ceux qui
acceptent de mener les séances sans présence des époux et ceux qui refusent, considérant
que la présence de ces derniers représente l’objectif même et le noyau de la pratique de
conciliation703. Sachant que l’ancien statut personnel réserve l’article 44 à cette pratique,
la réticence du texte juridique ouvre la porte d’interprétation dans la pratique judiciaire et
affaiblit l’objectif principal de cette dernière.
700
Abdelkader KARMOUCH, op. cit., p. 39 et s., (en langue arabe).
701
Le juge regroupe les trois fonctions, qui étaient pratiquées par des acteurs traditionnels, notamment l’imam ou le
chef de la famille.
702
Statistiques des sections de la justice de la famille année 2011, Ministère de la justice. Disponible sur :
www.adala.justice.gov.ma.
703
Ce système de procuration reflète explicitement un principe souvent évoqué par la charia, qui le considère comme
un principe de solidarité sociale et humaine. De même, l’affirmation de cette règle figure dans le rite Malékite qui
permet le divorce sous procuration.
329
801. L’inefficacité de la pratique est également due aux conditions d’application et du
respect de l’ensemble du processus qui ne sont pas respectées suite à l’encombrement des
tribunaux ; le surpassement du juge par les affaires, le manque de personnel de la
magistrature spécialisé en matière familiale. Ces éléments participent à l’affaiblissement
du temps accordé à cette procédure. Ainsi, la double mission du juge qui est amené à être
le médiateur ou conciliateur, une situation qui pose problème suite à la difficulté des
justiciables qui n’abordent pas souvent leurs conflits devant la personne qui va statuer. Ce
dernier point remet en question la légitimité même du juge qui se trouve à exercer deux
fonctions, une fonction qui permet de rassembler et de constituer les éléments permettant
une conciliation et une deuxième qui se base sur les mêmes éléments pour fonder et
rendre une décision de divorce en cas d’échec de conciliation tout en prenant en
considération les intérêts de chacune des parties. L’étude du processus de conciliation à
travers le Code marocain de la famille considère que l’esprit de la conciliation répond aux
mêmes attentes que la médiation familiale. Cependant, la pratique démontre une autre
réalité qui expose clairement la divergence entre les deux pratiques, ainsi que la faiblesse
et l’insuffisance de la procédure de conciliation face aux conflits rencontrés par les
couples.
802. L’adoption de la procédure de conciliation par le législateur marocain et le
fondement religieux tangible qui permet cette pratique, renvoient à une possibilité de
considérer que le processus de la médiation familiale peut également faire partie des
pratiques judiciaires visant la protection de la famille dans son ensemble. En revanche, il
convient de s’interroger sur les raisons pour lesquelles le législateur marocain n’évoque
pas la question de la médiation familiale tant qu’elle soit définie et pratiquée dans
d’autres systèmes judiciaires notamment de son homologue français, pourquoi le
législateur marocain n’est pas allé jusqu’au bout de l’esprit de cette adoption en intégrant
explicitement la médiation familiale ? Pour de nombreux auteurs, dont Monsieur Naji EL
MEKKAOUI, ce qui pose problème en matière de médiation familiale au Maroc c’est
l’absence d’une culture et d’une prise en considération de l’importance de cette méthode,
ainsi que le manque des moyens.
Le même auteur considère également que l’adoption de l’obligation de conciliation par le
législateur marocain est considérée comme un pas favorable vers les nouvelles méthodes
de règlement de conflit en matière familiale, toutefois les méthodes utilisées pour son
application ne sont pas adaptées à la bonne application, notamment en ce qui concerne les
acteurs de cette médiation et la délégation au juge du rôle de médiateur704.
803. De plus, l’inefficacité de la conciliation menée par le juge ainsi que l’absence d’une
mise en œuvre de la médiation familiale par le tribunal, le rôle des associations et de la
société civile ainsi que d’un nombre limité d’instituts se révèlent importants malgré la
faiblesse qu’ils connaissent suite au manque de moyens, une méconnaissance de la
société marocaine de leur existence ainsi que de leur rôle.
704
R. Naji EL MEKKAOUI, op. cit., p. 324 et s.
330
C’est dans ce sens que le ministère de la solidarité, du développement social, de l’égalité
et de la famille, a élaboré un programme de développement des services de médiation
afin de mettre en œuvre le programme gouvernemental 2012-2016 qui vise la protection
et le renforcement de la famille à travers l’adoption d’une politique familiale intégrée
ainsi que la promotion des services de soutien à la médiation familiale en soutenant les
initiatives des associations et de la société civile dans ce sens. Ce programme se base sur
trois volets principaux :
705
Programme des services de la médiation familiale, Ministère de la solidarité, du développement social, de l’égalité
et de la famille. Disponible sur : www.social.gov.ma.
706
ARTICLE 251Alinéa 2 du Code de la famille.
331
Toutefois, la question qui se pose est celle de savoir si la procédure de la conciliation est
suffisamment protectrice de l’intérêt supérieur de l’enfant, et si ce dernier représente la
priorité du juge. Puis est-ce que les deux séances proposées par la justice sont-elles
suffisantes afin de déterminer cet intérêt et de le protéger ?
806. La médiation familiale peut être définit comme un processus de gestion des conflits
dans lesquels les parties du conflit font appel et acceptent l’intervention d’une personne
impartiale et étrangère à ce conflit afin de jouer le rôle de médiateur familial amené à
collaborer avec les différentes parties pour trouver le fondement d’un accord mutuel
prenant en considération les besoins de chacune des parties et particulièrement lorsqu’il
y a des enfants707. L’étude de la médiation familiale permet de dégager l’importance de
son adoption comme un nouveau modèle de résolution de conflit d’une manière générale,
mais son importance surgit encore plus lorsque les enfants font partie du conflit.
L’enfant devient donc au cœur de la pratique. La majorité des politiques et des projets
visant à protéger l’enfant, souligne l’importance de cette méthode dans la protection des
droits de l’enfant et de son intérêt supérieur. En effet, le recours à la médiation représente
un processus d’espoir, d’apaisement des conflits familiaux et de coopération sans
compétition afin de concrétiser l’intérêt de l’enfant 708. Le législateur français n’a pas
hésité à affirmer la place de l’enfant au sein du processus de la médiation pour préserver
ses droits et son développement sain et pour faire de son intérêt supérieur le pivot de la
médiation familiale709. L‘importance portée à la place de l’enfant en matière de médiation
propose aujourd’hui une adaptation au système familial actuel et un outil nécessaire pour
le médiateur dans l’objectif de rechercher l’intérêt supérieur de l’enfant.
807. La référence à l’importance de la place de l’enfant dans le processus de la médiation
se concrétise en matière d’autorité parentale, où le législateur la considère, selon la loi
du 4 mars 2002, relative à l’autorité parentale. A travers cette loi, le législateur permet à
l’enfant d’intégrer le processus de la médiation et d’y trouver une place résidant dans la
responsabilisation des parents à l’intérêt de l’enfant et à l’objectif de la médiation qui
consiste à redéfinir les rapports et les intérêts de chacun dans la nouvelle situation 710.
Toutefois, cette volonté d’accorder et de garantir à chaque membre de la famille une
place au sein du processus de la médiation, crée d’autres défis qui consistent notamment à
savoir comment la participation de l’enfant peut être introduite afin de permettre aux
parents et au médiateur d’avancer dans la recherche de la solution.
707
Alice DE LARA et Pierre DE LARA, L’enfant, « objet transitionnel » de la médiation familiale, 2003/2 n° 160, p.
69.
708
Giancarlo FRANCINI et Elena GARGANO, Les enfants dans la médiation familiale de leurs parents, in Thérapie
familiale, éd Médecine & Hygiène, 2004/1 Vol.25, p. 66.
709
Maurice BERGER, Médiation et intérêt de l’enfant, ERES Dialogue, 2005/4 n° 170 p. 7.
710
Marc. JUSTON, L’intérêt de la médiation familiale pour l’enfant, Dr. famille, Mars 2008, étude 10.
332
808. Par ailleurs, la participation et l’inclusion de l’enfant dans la médiation familiale fait
face à l’obstacle de l’imprécision de sa place de au sein du processus. Un constat qui crée
de grands débats sur l’inclusion et la participation ou non de l’enfant dans la médiation.
En effet, cette divergence oppose ceux qui refusent l’inclusion de l’enfant, pour les
difficultés et les risques qu’elle peut présenter nt711et ceux qui considèrent que son
inclusion dans la procédure permet une meilleure visualisation de l’objectif de cette
dernière et par suite permet de mieux de définir l’intérêt de l’enfant. Pour les premiers, il
n’y a pas de raison pour inclure l’enfant dans la procédure. Cette dernière doit être
réservée uniquement aux parents, mieux placés pour connaître l’intérêt de l’enfant et le
protéger.
Ainsi le rôle du médiateur consiste à prendre en considération les visions des parents et à
trouver un accord basé sur leurs paroles, ce qui rend l’intervention de l’enfant inutile
voire risquée. De même, le médiateur n’est pas formé à la réception de la parole de
l’enfant ce qui peut engendrer des interprétations pouvant aller à l’encontre de sa volonté
ou de son intérêt. Quant aux défenseurs de l’inclusion de l’enfant dans le processus,
l’idée principale défendue est celle d’affirmer que cette méthode ne renvoie en aucun cas
à une attribution de pouvoir décisionnel à l’enfant, mais son rôle consiste à guider et
permettre aux parents d’aborder les désaccords en ayant dans l’esprit la prise en
considération primordiale de son intérêt supérieur et d’aider le médiateur à constituer une
idée complète fondée sur la parole de l’enfant. Ceci va lui servir d’un outil de compromis
afin d’exposer aux parents les besoins affectifs de l’enfant et d’approcher les disparités du
couple à qui détient le pouvoir de décision finale712.
711
Giancarlo FRANCINI et Elena GARGANO, id, ibid, p. 67.
712
R DRAPKIN., F; BIENENFELD, the power of including children in mediation, Journal of divorce, 1985, 8, 3/4, 63-
95, in Giancarlo FRANCINI et Elena GARGANO, Les enfants dans la médiation familiale de leurs parents, Thérapie
familiale 2004/1 (Vol. 25), p. 67.
333
Ce dernier va en effet, définir cet intérêt en se basant sur les résultats des méthodes
adoptées dans le recueillement de la parole de l’enfant et analyser comment les parents
vont réagir à cela. Dans le même ordre d’idées, il semble évident que la médiation
familiale représente aujourd’hui une méthode inévitable et un recours pour le juge dans la
recherche de l’intérêt supérieur de l’enfant à travers l’adoption de la médiation comme
étant un nouveau mode de résolution du conflit.
811. Pour le juge marocain la question de l’inclusion de l’enfant dans la procédure de
conciliation qui est considérée comme une phase de médiation, est beaucoup plus
complexe. En effet, comme précisé précédemment, le juge marocain de la famille se
contente d’une séance de conciliation lorsque le couple n’a pas d’enfant, mais il est
appelé obligatoirement à mener une deuxième séance lorsqu’il ya des enfants comme le
dispose l’article 82 « en cas d’existence d’enfants, le tribunal entreprend deux tentatives
de conciliation, espacées d’une période minimale de trente jours ». Ainsi, il est question
de savoir à quel point la prise en considération de l’intérêt de l’enfant guide le juge dans
les deux séances de conciliation. Pour un pays engagé à l’égard de la CIDE et intégrant
le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant au sein de sa dernière réforme du Code de la
famille, la prise en considération de cet intérêt lors des deux séances de conciliation
semble être très limitée.
En effet, lors de ces séances de conciliation, l’approche du juge marocain menant le
processus est loin d’être identique à celle du médiateur français. Dans la majorité des cas,
la réflexion du juge dans son discours est focalisée sur le maintien du lien conjugal du
couple, sans pour autant considérer les enfants et leurs intérêts une priorité. La question
de l’enfant semble être minorisée, puisqu’il suffit de rappeler aux époux qu’il est
préférable de se concilier pour protéger les enfants.
Une référence insuffisante dans la mesure où le juge n’évoque pas les difficultés et les
atteintes que le divorce peut provoquer sur le bien-être de l’enfant. La question priorisée
est celle du couple c’est-à-dire du groupe, qui est plutôt une approche traditionnelle
remettant en question le degré de la prise en considération de l’intérêt de l’enfant. Ce
dernier est évoqué uniquement dans le cadre d’une conciliation, sans prendre en compte
la séparation possible et l’objectif d’une mise en place d’un nombre d’accords visant la
protection de cet intérêt, notamment le droit de l’enfant au maintien des relations avec ses
deux parents et le partage de leurs responsabilités pour lui garantir une stabilité 713.
La seule question sur laquelle insiste le juge est d’ordre matériel, visant sur l’obligation
du mari à subvenir aux besoins financiers de son enfant après le divorce. Ainsi, l’intérêt
de l’enfant au sein de ce processus fait « l’objet d’un usage juridique relativement
simple », remettant en question le principe de sa prise en considération et limitant
l’objectif des deux séances qui cherchent à protéger les droits de l’enfant que ce soit dans
le cas de maintien ou de renonciation à la demande de divorce »714.
713
Yazid BEN HOUNET et Nouri RUPERT, L’application du droit de la famille au Maroc : Du genre et de la
parentalité, L’année du Maghreb, CNRS éd., 18/2018, p. 12.
714
Idem.
334
812. De même, le juge marocain n’accorde pas une grande importance dans la pratique au
rôle de l’enfant et de son droit à la participation dans les affaires qui le concerne. Le juge
marocain est encore loin aujourd’hui d’inclure l’enfant dans le processus de conciliation,
puisqu’il ne le considère pas comme acteur du conflit. Avec une approche plutôt
traditionnelle, le juge estime que les parents sont les meilleurs gardiens de l’intérêt de
leur enfant ; ainsi son inclusion ne semble pas être une priorité. De plus, même le
législateur ne prévoit aucune inclusion et aucune participation de l’enfant lors du
processus de la conciliation, hormis en cas de divorce des parents lorsqu’il est appelé à la
demande du juge à faire son choix de résidence à l’âge de quinze ans comme le prévoit
l’alinéa 2 de l’article 166 qui dispose que « En cas de rupture de la relation conjugale
des parents, l’enfant peut, à l’âge de quinze ans révolus, choisir lequel de son père ou de
sa mère assumera la garde » ; une restreinte qui permet au juge de se limiter aux deux
séances obligatoire que prévoit la loi et de se contenter d’une analyse superficielle de la
situation à travers la parole des parents, sans aucun recours aux spécialistes notamment
des professionnels en matière de médiation715.
813. Comparant la pratique de la médiation dans les deux systèmes judiciaires, il semble
évident que la prise en compte de l’intérêt de l’enfant n’acquiert pas le même niveau
d’importance. Il est à reconnaitre que cette pratique fait face à un nombre limité dans les
deux pays. En France, il est vrai que la pratique a déjà parcouru un long chemin vers le
développement et s’est confirmée comme un processus avantageux que le juge met en
œuvre dans sa recherche à la réalisation de l’intérêt supérieur de l’enfant. Toutefois, les
professionnels soulignent l’insuffisance du soutien logistique et financier de la part du
ministère de la justice ainsi que d’une inégalité territoriale à l’égard de la pratique.
Quant à son recours et sa concrétisation dans le système judiciaire marocain, il est évident
que de nombreux points doivent être revus afin de promouvoir le recours à la médiation
familiale. Ainsi, il est d’abord question de réviser les dispositions qui permettent le
recours aux modes alternatifs à la résolution des conflits, et d’intégrer explicitement la
méthode de la médiation afin qu’elle apporte la précision au rôle du juge qui est dispersé
entre conciliation, médiation ou arbitre et pour que ça soit plus efficace dans la pratique,
aussi permettre l’intégration des spécialistes en médiation ; d’élaborer une collaboration
entre ces derniers et le juge de la famille et conserver à ce dernier uniquement le rôle du
contrôleur du processus.
814.De plus, une autre approche doit être intégrée dans le Code de la famille et dans la
pratique judiciaire, et qui est celle du rôle de l’enfant dans les affaires qui le concerne
pour qu’il soit un acteur dans la protection de son intérêt au sein du conflit à travers le
recueillement de sa parole qui représente un des moyens les plus légitimes du juge qui est
à la recherche de l’intérêt supérieur de l’enfant.
715
Mohammed OUZETOUAL, op. cit.
335
C - La parole de l’enfant, un moyen de détermination de son intérêt supérieur.
716
Pierre MURAT, La participation de l’enfant aux procédures relatives à l’autorité parentale : bref regard critique sur
la diversité des situations, Rev., dr., fam. 2006, n° 7, étude 31.
717
Marie Françoise LUCKER-BABEL, The right of the child to express views and to be heard : An attempt to interpret
Article 12 of the UN convention on the rights of child, the international journal of children’s rights 3 : 391-404, 1995,
p. 393.
336
Dans les deux systèmes judiciaires que nous étudions, la prise en considération de la
parole de l’enfant lors du conflit familial ne répond pas aux mêmes critères et n’aboutit
pas aux mêmes résultats. En effet, l’influence du cadre juridique international et régional
ont permis au législateur français de consacrer à l’enfant un droit subjectif qui est le droit
à la parole, lui permettant de s’exprimer dans les conflits qui le concerne et de constituer
de ce droit un moyen de concrétisation de son intérêt supérieur par les praticiens bien que
sa parole ne soit pas déterminante, elle permet néanmoins sa prise en considération par le
juge. L’examen du cadre législatif marocain, quant à lui est encore loin de cette
concrétisation malgré son engagement au regard des conventions internationales, la
concrétisation du droit de l’enfant à la parole est très limitée si elle n’est pas absente en
matière familiale, une situation due principalement à la perception de la place de l’enfant
et de l’importance de sa parole au sein du conflit familial et de sa prise en considération
par le juge.
819. L’évolution des droits de l’enfant et de son statut juridique ont permis dans le monde
d’aujourd’hui d’ancrer un nombre de principes fondamentaux qui reflètent la
transformation de la situation de l’enfant d’une personne qui subit les décisions des
adultes à une personne qui a le droit d’exprimer son avis dans toutes les affaires qui la
concerne718. Un principe fondé principalement sur l’article 12 de la CIDE, qui énonce les
éléments précis et directs qui visent à inciter les Etats parties à reconnaître et encourager
le droit de l’enfant à la parole. L’article 12 représente une disposition considérée
d’explicite, ne contenant aucune ambiguïté ou de possibles interprétations ; elle appelle à
ce que l’enfant soit en mesure d’exprimer son opinion en vue de toutes les questions qui
le concernent mêmes celles qui ne sont pas évoquées par la CIDE.
337
Toutefois, certains juges se sont toujours focalisés sur l’importance du recours aux
experts afin de déterminer le discernement dont dispose l’enfant et s’il est capable de
participer et d’être entendu.
821. La prise en considération de la capacité de discernement de l’enfant, a également fait
l’objet d’un nombre de critiques puisqu’elle se base sur « le critère de la maturité qui est
elle-même relative à l’intelligence, le milieu, l’entourage, le pays où vit l’enfant »721. Il
est vrai que l’imprécision de la notion semble présenter une difficulté pour le juge ;
néanmoins, c’est son imprécision qui permet d’individualiser la prise en compte de
chaque enfant, de sa réalité et de sa particularité dans l’objectif de ne pas desservir
l’intérêt de l’enfant à travers la fixation d’un âge précis. Madame DEKEUWER-
DEFOSSEZ va encore plus loin et propose la suppression du critère de discernement qui
peut porter atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle reconnait à l’enfant son droit
d’audition à n’importe quel âge et accorde au juge la possibilité de refuser cette audition
uniquement lorsque ce dernier considère que l’enfant est très jeune pour qu’il soit
auditionné ou encore lorsque c’est contraire à son intérêt supérieur722.
822. Quant au droit de l’enfant d’être entendu dans toutes les procédures qui le concerne,
il est encore question de l’imprécision de la notion et des conditions générales qui
demeurent vagues. De nombreux débats se sont créés suite à la question de la
participation de l’enfant dans les procédures le concernant notamment en matière
familiale où la sensibilité du champ d’application est avérée. En France, l’enfant est
entendu de manière générale dans toutes les procédures relatives à l’autorité parentale
lors d’un divorce ou lors d’une séparation de corps des parents ; toutefois, l’enfant ne
peut être auditionné sur les griefs invoqués par les époux pour appuyer un divorce afin de
protéger son intérêt moral. De plus, il revient toujours au juge de définir l’intérêt de
l’enfant dans sa participation à la procédure723. Au Maroc, la question est loin d’être prise
en considération primordiale, l’audition de l’enfant représente souvent une exception
malgré la modernisation de la juridiction familiale et l’intégration de nombreux principes
relatifs à la protection de l’intérêt de l’enfant.
721
M.RENARD, Quelques réflexion d’un juriste de la France profonde sur les droits de l’enfant, G.P. 1994-2.
722
Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, L’instrumentalisation du discernement de l’enfant, in Recherches familiales,
2012/1 n° 9, p. 163 et s.
723
Il importe de souligner que l’enfant doit être entendu lorsqu’il est lié par un intérêt personnel, direct, certain qu’il
soit immédiat ou futur, matériel ou moral.
724
Cass.civ.1ère, 18 mai 2005, Rev. dr. fam., 2005, n° 7, comm.156, note A. GOUTTENOIRE.
725
Il est toutefois, important de souligner qu’il y a obligation que l’enfant soit capable de discernement. Une notion qui
n’est pas définie par la loi et qui se réfère à un disposition de l’esprit de l’enfant à juger clairement et sainement des
choses. Ou encore à sa faculté d’apprécier avec justesse les situations.
338
De plus son audition ne peut pas être considérée comme une faculté ou être écartée que
par une décision motivée.
En effet, dans une affaire de fixation de la résidence habituelle d’un enfant suite à un
divorce parental dont la mère est de nationalité américaine et le père de nationalité
française, ce dernier a en effet reproché à la cour d’appel de ne pas avoir eu recours à
l’audition de l’enfant, tandis que ce dernier en avait fait la demande. Le père invoquait
alors une violation du droit interne qui permet à l’enfant capable de discernement de
s’exprimer dans toute procédure le concernant. En l’espèce les juges d’appel ont fixé la
résidence de la fillette âgée de douze ans chez sa mère aux Etats Unies sans prendre en
considération la demande de l’enfant. La première chambre civile a affirmé une violation
d’abord au droit interne mais également aux articles 3-1 et 12-2 de la CIDE qui visent à
protéger l’intérêt supérieur de l’enfant et son droit d’être entendu. La Cour de cassation a
continué dans le même sens à combiner l’application des articles 3-1 et 12-2 de la CIDE
dans un autre arrêt du 22 novembre 2005 726, soulignant la même prise en considération de
l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit être une considération primordiale et de son droit
d’être entendu conformément aux dispositions de la CIDE.
824. Ces arrêts ont clairement souligné l’insuffisance de la loi du 8 janvier 1993 qui
abordait la question de l’audition de l’enfant d’une manière très limitée puisqu’elle
présentait ce droit comme une faculté pour le juge qui conservait le droit de refuser
l’audition de l’enfant. En effet, ce n’est qu’en 2007 que le législateur français a pris
conscience de la limite du texte en la matière. A travers l’adoption de la loi du 5 mars
2007 relative à la protection de l’enfant, le législateur a ouvert la porte à une série de
réformes visant à concrétiser ce droit notamment par la ratification de la loi du 1er août
2007 ratifiant la convention européenne relative à l’exercice des droits de l’enfant ou
encore l’adoption du décret n° 2009-571 du 20 mai 2009 relatif à l’audition de l’enfant727.
Une concrétisation généralisée par l’alinéa 2 de l’article 388-1 du Code civil qui dispose
que « dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans
préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu
par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à
cet effet. Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande. Lorsque le
mineur refuse d’être entendu le juge apprécie le bien-fondé de ce refus ». C’est ainsi, que
le législateur a mis en place toute une organisation afin de répondre aux exigences des
textes internationaux et régionaux, et de permettre l’installation d’un régime efficace de
l’audition de l’enfant.
825. L’organisation du régime de l’audition de l’enfant, débute tout d’abord par
l’obligation du juge d’informer l’enfant de son droit à être entendu. En effet, selon
l’alinéa 4 de l’article 388-1 du Code civil, le juge est tenu de s’assurer que le mineur a été
informé de son droit d’être entendu et assisté par un avocat.
726
Cass. Civ. 1ère, 22 novembre 2005, Bull., 2005, I, n° 434, p. 364 : Jean HAUSER, La référence de la convention
internationale des droits de l’enfant (CIDE) fait recette à la cour de cassation mais est-elle nécessaire ?, RTD Civ. 2006,
p. 101.
727
Il est à noter que ces textes visent principalement le champ d’application familial, puisque l’audition réalisée par la
juridiction pénale ou par le juge des enfants dépasse l’approche d’un simple droit accordé à l’enfant mais elle
représente une obligation légale que ce soit pour l’enfant ou pour le juge.
339
Une obligation imposée par l’article 338-1 du Code de la procédure civile qui souligne
l’obligation des parents, des tuteurs ou de ceux qui exercent l’autorité parentale où le cas
échant ceux à qui l’enfant a été confié notamment des personnes physiques ou morales
d’informer l’enfant de son droit à l’audition et de l’assistance d’un avocat 728. Dans le
même sens de garantir à l’enfant son droit à l’information, le législateur a également
prévu à travers l’article 338-1 l’envoi « d’un avis rappelant les dispositions de l’article
388-1 accompagné de la convocation à l’audience ». Ainsi, à travers son pouvoir de
contrôle en la matière qui lui est attribué par l’article 388-1, le juge conserve le droit de
contrôler si l’enfant a bien été informé par son droit à être auditionné, et si l’enfant n’a
pas connaissance de ce droit, il est alors informé oralement par le juge.
Toutefois, lorsque le juge informe l’enfant de son droit d’être auditionné, et si l’enfant
demande d’être auditionné, le juge ne peut pas débuter l’audition sur le champ, mais sera
appelé à reporter l’audition de l’enfant, puisque cette dernière représente aujourd’hui une
mesure d’instruction à part entière et elle ne peut être réalisée lors d’une audience, ou
d’intégrer une mesure d’enquête. Autrement dit, l’audition de l’enfant représente une
phase procédurale que le juge est tenu de respecter, et dont il est le seul responsable
devant l’enfant, en écartant même les experts qui peuvent être chargés d’auditionner
l’enfant notamment les enquêteurs sociaux. Le droit de l’enfant d’être informé par rapport
à son éventuelle audition a donc permis la mise en place de toute une organisation et une
procédure visant à renforcer la concrétisation de ce droit. D’abord une simplification de
procédure à travers la formulation de la demande d’audition qui est toujours présentée
sans forme par l’enfant ou par les parties au juge, comme elle peut être formulée à tous
les stades de la procédure même en appel. L’enfant est ensuite convoqué à son audition
par une lettre simple qui mentionne également son droit d’être assisté lors de l’audience
soit par un avocat soit par une autre personne de son choix, puis les défenseurs des parties
et à défaut les parties elles-mêmes sont avisés des modalités de l’audition729.
826. Le législateur français, a mis en place un arsenal juridique afin de garantir à l’enfant
un droit de s’exprimer et d’être auditionné. Par ailleurs, il y a deux cas de figure où
l’audition est refusée, d’abord lorsqu’elle est refusée par le juge puis lorsque l’enfant
refuse de s’exprimer. En ce qui concerne le premier cas, le juge a en effet la possibilité de
refuser d’auditionner l’enfant lorsqu’il considère que ce dernier n’acquiert pas la capacité
de discernement ou lorsqu’il considère que l’enfant n’est pas concerné dans la procédure
ou encore lorsque la demande d’audition du mineur émane des parties concernées par la
procédure, puisqu’il peut juger l’audition de l’enfant d’accessoire dans le litige ou alors
contraire à l’intérêt de l’enfant. En effet, la justice a déjà apporté des réponses concrètes à
ces éléments de refus, à travers quelques arrêts ; d’abord par rapport au refus dû à
l’élaboration de la demande par un tiers ; un arrêt du 19 septembre 2007 a fait l’objet de
nombreuses critiques de la part de la doctrine, lorsque le juge a refusé une demande
d’audition d’enfant faite par une assistante sociale ; en effet, le juge a considéré que la
demande devait émaner de l’intéressé lui-même et non pas d’un tiers.
728
Jacques. MASSIP, Quelques remarques à propos de l’audition de l’enfant en justice (Observation sur le décret n°
2009-572 du 20 mai 2009 et sa circulaire d’application), dr. Famille, septembre 2009, étude 22.
729
Article 338-6 du CPC.
340
Même si la Cour a été accusée « d’une mal interprétation des dispositions de la CIDE »
le législateur a néanmoins retenu la position de la Cour puisque l’article 388-2 du décret
du 20 mai 2009 a affirmé que la demande d’audition doit être présentée par le mineur
lui-même, ou par les parties… ».
Dans ce sens, l’enfant et les parties sont informés du refus du juge à l’audition du mineur
et sont informés par tout moyen ; aucune possibilité de recours n’est possible à l’encontre
de la décision du juge730. Quant au droit de l’enfant de ne pas s’exprimer, la loi du 5 mars
2007 a ajouté la possibilité du refus de l’enfant de s’exprimer en affirmant dans l’article
388-1 du Code de la procédure civile que « lorsque le mineur refuse d’être entendu, le
juge apprécie le bien-fondé de ce refus », or ce refus pose problème lorsque l’enfant doit
être appelé afin de participer au processus de la décision qui le concerne en lui permettant
la possibilité d’exprimer ses sentiments à l’égard de sa situation ou position dans
l’affaire, ainsi il est question de savoir si l’enfant est contraint à s’exprimer. La réponse,
est dans l’équilibre et la prudence de la jurisprudence afin de ne pas faire de la
convocation du mineur une règle systématique dans l’objectif de protéger l’intérêt de ce
dernier731.
827. Le choix de l’avocat accompagnateur de l’enfant fait également l’objet d’un contrôle
; en effet, ça revient à l’enfant ou à défaut au juge de désigner l’avocat. Une désignation
qui permet d’attribuer une aide juridictionnelle, dans l’objectif de garantir la neutralité de
ce dernier à l’égard des parties et vis-à-vis de l’enfant. En outre, la présence de l’avocat
représente avant tout une garantie au mineur afin qu’il soit informé de son droit de
s’exprimer et d’être auditionné ainsi que de son droit de refuser de s’exprimer et de se
soumettre à la demande du juge d’être auditionné 732. Lorsque l’enfant exprime sa volonté
d’être auditionné, l’avocat revêt donc un rôle primordial qui consiste à préparer l’enfant à
la rencontre avec le juge ou la personne désignée pour cette audition.
Suite à l’audition, le juge est tenu de dresser un procès-verbal tout en respectant l’intérêt
de l’enfant et le fait qu’il soit soumis au principe du contradictoire ; il est également doté
de la liberté de ne pas mentionner tout élément qui pourrait porter atteinte à cet intérêt.
Ainsi, l’audition de l’enfant permet clairement au juge la possibilité d’élaborer une idée
sur l’ensemble de la situation et de recueillir le point de vue de l’enfant dans cet objectif,
en permettant même à l’enfant de participer à la rédaction du procès-verbal de l’audition
afin que le juge puisse retranscrire l’opinion de l’enfant telle qu’elle a était exprimée.
730
Article 338-5 du Code civil : « La décision statuant sur la demande d’audition formée par le mineur n’est susceptible
d’aucun recours ».
731
Adeline. GUITTENOIRE, Audition du mineur, in Droit de la famille, op. cit., p. 1059.
732
Article 338-1, alinéa 2 du Code civil.
341
Une mesure qui fait appel à la désignation d’une personne par le juge, avisée de sa
mission sans délai par tout moyen, par le greffe, la personne ne doit pas entretenir des
liens ni avec le mineur ni avec les parties du conflit dans l’objectif de garantir son
impartialité dans l’affaire. Quant à son profil, elle doit être dotée d’une expérience
professionnelle en matière sociale, psychologique, ou médico-psychologique. Lors de
cette audition, l’avocat est tenu de sauvegarder le même rôle que celui qui lui est attribué
lors de l’audition devant le juge, il assiste l’enfant afin de lui garantir son droit à
l’audition et de faciliter son droit de s’exprimer733.
829. C’est dans ce sens, que l’audition de l’enfant par le juge ou par des professionnels
spécialistes en la matière représente aujourd’hui une phase à part entière dans n’importe
quelle situation dans laquelle il constitue une partie. La prise en considération de la parole
de l’enfant, reflète l’évolution sociale et familiale puisqu’il se retrouve dans l’obligation
d’exprimer ses sentiments et ses volontés lorsque les parents qui sont sensés exercer ce
rôle sont démissionnaires lors des conflits parentaux734. C’est un droit qui lui permet de
participer à la concrétisation et à la détermination de son intérêt notamment en matière
familiale où l’opinion de l’enfant présente un critère non négligeable dans l’élaboration
du jugement. Par ailleurs, si l’article 388-1 du Code civil prévoit le droit de l’enfant
d’être auditionné ainsi que l’ensemble de la procédure visant à fixer les modalités et les
obligations du juge en la matière, le comité des droits de l’enfant en souligne une limite
relative à l’application de l’article 12 de la CIDE où elle précise que : « la mise en œuvre
intégrale de l’article 12 exige la reconnaissance et le respect des formes non verbales de
communication, y compris le jeu, le langage corporel, les mimiques, le dessin et la
peinture, par lesquelles les enfants très jeunes montrent leur compréhension, leurs choix
et leurs préférences »735.
Cette observation rejoint également le regret de certains auteurs qui considèrent que les
réformes menées par le législateur demeurent limitées en la matière en déplorant le fait
qu’il est toujours question « …que les parents savent ce qui est bon pour l’enfant,…et
considèrent qu’ils sont mieux à même que lui de connaitre ses aspirations, ses intérêts et
de faire valoir ses droits »736, ou encore la limite avérée dans la loi du 2 mars 2002
réformant l’autorité parentale qu’ils considèrent comme une prise en considération de la
parole de l’enfant imparfaite dans le sens où les parents sont appelés à « associer l’enfant
aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité » sans pour autant
733
Le tribunal de TARASCON s’est doté d’une expérience exceptionnelle en la matière, qui consiste à l’adoption d’une
nouvelle méthode de co-audition qui permet d’envisager une médiation d’équipe qui profite du savoir et des
compétences de chaque professionnel afin de servir l’intérêt supérieur de l’enfant. En effet, ces professionnels
instaurent une sorte de collégialité entre le JAF, l’avocat et un médiateur d’enfant doté d’une formation en psychologie
et un médiateur familial. Une expérience qui permet selon M. Marc JUSTON « d’affiner l’écoute et la réflexion sur la
parole de l’enfant, ainsi qu’une prise de conscience des parents de la situation de l’enfant et de ses besoins » in La
parole de l’enfant : la vérité sort elle toujours de la bouche des enfants ?, op. cit., p. 171 et s.
734
Jean.Louis. RENCHON, A propos du droit de droit de l’enfant d’être entendu dans le litige entre ses parents, in
Mélanges en l’honneur du professeur jean HAUSER, Paris, Dalloz, 2012, p. 616.
735
Comité des droits de l’enfant, Observation générale n° 12, 2009, Le droit de l’enfant d’être entendu, 51ème session,
25 mai-12 juin 2009, Genève. Disponible en ligne, CRC/C/SR.1402.
736
Jacqueline. RUBELLIN-DIVICHI, Le principe de l’intérêt de l’enfant dans la loi et la jurisprudence française, JDJ,
1996, n° 156, citant V.T. DUPRE, La place de l’enfant devant les juridictions civiles après la loi du 8 janvier 1993,
Mémoire de DEA de droit de la famille, 1993 ; A. GOUTTENOIRE, L’enfant et les procédures judiciaires, thèse Lyon
1994, in Jean-Luc RONGE, La convention internationale relative aux droits de l’enfant : on avance ou on recule ?,
Journal du droit des jeunes, 2004/10, n° 240, p. 12.
342
lui permettre l’accès au tribunal, ou encore lorsque le juge se contente de « prendre en
considération …les sentiments exprimés par l’enfant mineur dans les conditions prévues
par l’article 388-1 ».
830. Dans ce sens il semble être regrettable que malgré la prise en considération de la
parole de l’enfant et de ses sentiments par le juge qui doit les faire savoir expressément
dans sa décision, que l’obligation de l’audition de l’enfant dans les affaires familiales ne
soit pas retenue comme c’est le cas en matière d’assistance éducative sachant que
l’élément de la parole de l’enfant peut forcement être un élément efficace dans la
recherche et la réalisation de l’intérêt supérieur de l’enfant737.
De plus, la prise en compte de la parole de l’enfant n’est pas considérée comme
systématique, puisque la Cour de cassation a décidé dans un arrêt du 3 décembre 2008 738
de rappeler que le JAF ne pourrait pas hiérarchiser sa décision entre le droit de visite et
d’hébergement d’un père à la parole et la volonté de l’enfant. Cette décision de la cour de
cassation se positionne clairement d’une manière à mettre en vigilance une prise en
considération excessive de l’opinion de l’enfant notamment lorsqu’il s’agit du droit de
visite et d’hébergement, puisque cette volonté peut évoluer en une suppression définitive
des liens entre l’enfant et le parent, une situation totalement contraire à l’équilibre de
l’enfant et à son intérêt supérieur.
737
Jean-Luc RONGE, ibid, p. 13.
738
Cass. Civ. 1ère, 3 décembre 2008, n° de pourvoi 07-19.767 : François CHENEDE, AJ Famille 2009 p. 31 ; Jean
HAUSER, RTD civ. 2009, p. 112, Pierre MURAT, Droit de la famille 2008, n° 31.
343
A travers cette disposition, le législateur considère que l’âge adapté pour qu’un enfant
soit capable de discernement et puisse donner son opinion est de quinze ans, une fixation
d’âge qui a fait face à de nombreux cas de figure où la prise en considération de l’intérêt
supérieur de l’enfant permettait le recours à son audition avant l’âge de quinze ans.
833. Ainsi est le cas dans une affaire dans laquelle le père a fait état d’un changement
intervenu dans la situation de la mère gardienne dans l’objectif de lui retirer son droit à la
garde de leur enfant de douze ans. En effet, le remariage de cette dernière a constitué
pour le père un motif pour la déchoir de son droit de garde en évoquant l’article 105 de
l’ancien statut personnel qui dispose que « la gardienne qui contracte mariage avec
toute personne autre qu’un proche parent (au degré prohibé) de l’enfant ou le tuteur
testamentaire de cet enfant, perd son droit de garde, à moins qu’elle ne soit elle-même sa
tutrice testamentaire ou la seule nourrice à l’enfant » ; ce motif légitime sous l’empire de
l’ancien texte et modifié en 2004739, n’a cependant pas influencé la décision de la haute
juridiction qui a décidé de ne pas déchoir la mère de son droit de garde malgré qu’elle
s’était remariée, puisque le souhait de l’enfant exprimé lors de son audition par le tribunal
a fait état de sa volonté de vivre avec sa mère.
834. Le tribunal a fondé sa décision sur une des dispositions de l’ancien texte du statut
personnel qui en réalité n’évoqué pas le droit de l’enfant de s’exprimer et de donner son
opinion, et qui ne précisé pas d’âge de discernement et qui évoque le terme de puberté en
matière de garde. Ainsi, l’article 102 dispose que « la garde dure pour la fille jusqu’à la
consommation de son mariage et pour le garçon jusqu’à la puberté ». Le souhait de
l’enfant de vivre avec sa mère qui détenait le droit de garde a constitué pour le tribunal un
élément légitime sur lequel il pouvait fonder sa décision740. De plus, le tribunal a
également évoqué le motif de la rupture du remariage de la mère gardienne comme un
élément de rétablissement de la garde conformément à l’article 170 du Code de la famille
actuel qui dispose que « le dévolutaire de la garde recouvre son droit lorsque
l’empêchement qui lui interdisait de l’exercice est levé ».
Dans une autre espèce, la Cour suprême rejette également la demande d’un père
souhaitant déchoir la mère gardienne de son droit de garde suite au remariage de cette
dernière; c’est ainsi dans le même sens que la Cour suprême a rejette la demande en se
référant également à l’article 102 de l’ancien texte du statut personnel et fonde son
raisonnement sur le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant que les juridictions de fond
ont pris en considération selon interprétation de la consultation de l’enfant et de son
souhait741.
739
La règle de la déchéance de la garde à la mère lorsqu’elle se remarie représente une règle explicitement développée
du droit musulman qui permet la déchéance de la garde à la gardienne, lorsque son époux est un étranger et non pas un
proche parent de l’enfant.
740
Cour sup. maroc., 31 mai 2006, n° 348, dossier n° 627/2/1/2004. Cité par Dyaa SFENDLA, thèse, op. cit., p.190.
741
Cour sup. maroc., 9 mai 2007, n° 254, dossier n° 181/2/1/2005. Ibid.
344
835. Il semble évident que le vide juridique en matière du droit de l’enfant à la
participation dans toutes les affaires qui le concerne influence clairement la jurisprudence
qui dans les deux cas précités a eu recours à l’ancien texte du statut personnel qui à
travers le terme ‘Puberté’ offrait au juge une liberté d’interprétation plus élargie en ce qui
concerne l’âge où l’enfant pouvait exprimer son opinion et son souhait.
Autrement dit la mise en place de la disposition de l’article 166 du Code de la famille,
représente une limité avérée de l’application de l’article 12 de la CIDE, d’ailleurs le
comité des droits de l’enfant a souligné en 2014 le manquement de l’Etat à son
engagement à l’égard du droit de l’enfant à exprimer ses opinions et a appelé l’Etat « à
promouvoir la participation active et autonome de tous les enfants à la vie de la
famille »742.
836. L’étude de la question du droit de l’enfant à s’exprimer sur les questions qui le
concerne notamment en droit familial permet d’élaborer une vision plus profonde qui
dépasse une simple difficulté du législateur à intégrer ce droit au sein du texte mais qui
reflète une conception d’absence d’intégration de l’enfant dans les affaires qui le
concerne et qui l’intègre au conflit familial qui est principalement traditionnel de
fondement religieux et culturel. Que ce soit pour le législateur ou pour le la
jurisprudence, en règle générale ce sont les parents qui sont en mesure de protéger
l’intérêt supérieur de l’enfant, et de faire le choix qui le conviennent. Cette question
paraît souvent négligée alors qu’elle représente un pilier dans la concrétisation de la prise
en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant par le juge.
742
CRC/C/MAR/CO/3-4.
345
838. Quant à la question en droit marocain, elle est encore loin d’être prise en
concrétisation systématique ou habituelle malgré que l’esprit du code de la famille, son
préambule et nombreuses de ses dispositions incitent le juge à prendre toutes les mesures
nécessaires dans l’objectif de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant, la timidité du
législateur et d’une intégration directe du droit de l’enfant d’être auditionné ainsi que
l’absence de promotion la culture du droit de l’enfant à la parole dans les affaires qui le
concernent bloquent l’intégration et l’invocation de l’article 12 de la CIDE en matière
familiale, un constat qui reflète bien la difficulté et l’enjeu d’une prise en compte de
l’intérêt supérieur de l’enfant que ce soit dans la loi ou par la pratique.
Dans le même ordre d’idées, il est à noter que l’absence de la prise en considération de la
parole de l’enfant reflète également la fidélité du législateur marocain à l’esprit du droit
musulman, où la parole de l’enfant n’acquiert aucune valeur juridique et ne fait l’objet
d’aucune réglementation.
346
A - Un défi favorable à la concrétisation de l’intérêt supérieur de l’enfant par le juge.
841. La concrétisation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant par le juge est avant
tout une question d’évolution juridique puis judiciaire. En effet, cette évolution dépend
généralement des facteurs et des éléments qui permettent au juge de répondre à la
protection de l’enfant et à l’application des dispositions de la CIDE. En France,
l’évolution de la jurisprudence, quant à l’applicabilité de la CIDE, s’est accordée avec
l’équilibre établi par l’Etat entre un système juridique interne réformé qui répond aux
exigences ainsi qu’aux engagements internationaux auxquels le pays est engagé.
En effet, les réformes menées par le pays, par rapport aux textes adoptés et à ceux
relatifs à la pratique judiciaire, ont permis de créer une atmosphère favorable au juge afin
de dépasser la limite d’une applicabilité partielle relative à la seule application de l’article
3-1 de la convention et d’une timidité à l’égard des autres dispositions directives du texte.
Pour le Maroc, la question fait également objet d’une prise en considération puisque le
nombre de réformes menées par le pays reflète la volonté d’une mise en place d’éléments
et de facteurs favorables à une applicabilité et d’une prise en considération des
dispositions de la CIDE.
842. L’élaboration d’une atmosphère favorable pour le juge marocain s’est mise en place
pour prendre en considération des dispositions de la CIDE comme celle où le principe de
l’intérêt supérieur de l’enfant est concrétisé dans la pratique. Ceci est fait par la réforme
constitutionnelle qui, malgré son ambigüité par rapport à l’application directe de la norme
internationale en général et en l’occurrence de la CIDE, n’évoque en aucun cas
l’impossibilité ou l’interdiction explicite d’une possible référence directe à la CIDE par le
juge. Dans ce sens et comme nous l’avons évoqué dans une première partie, la réforme
constitutionnelle a permis au juge à travers son article 55 de statuer en se référant à la
norme internationale. Cette disposition représente une référence primordiale et un
premier pas non négligeable vers une reconnaissance directe et effective de la CIDE dans
la pratique judiciaire. Ceci accorde au juge une certaine liberté de référence entre le droit
interne et le droit de la convention notamment en matière familiale, où il conserve une
liberté d’interprétation considérable lui facilitant le recours à la CIDE sans pour autant
aller à l’encontre des principes constitutionnels qui peuvent être contraires aux
dispositions de la CIDE. Toutefois, malgré que cet élément soit favorable, il demeure
ambiguë et limité d’abord par le texte lui-même qui n’incite pas d’une manière explicite à
l’application et à la prise en considération de la norme internationale, puis par
l’obligation d’une transposition de la norme internationale en droit interne et enfin par les
limites conservées dans le code de la famille qui ne permettent pas une transposition
générale des dispositions de la CIDE en droit interne. Ainsi, il est possible de considérer
le texte constitutionnel comme un élément fort pour une interprétation favorable de la
CIDE par le juge.
347
843. Dans le même ordre d’idée, un autre élément peut être considéré comme un élément
avantageux pour l’application de la CIDE et qui est notamment la prise en considération
de l’intérêt supérieur de l’enfant en matière familiale qui peut dynamiser la formation du
juge. En effet, cette dernière a connu récemment un certain progrès grâce aux réformes
entretenues, permettant une prise en considération de l’évolution sociale et juridique, et
par suite l’intégration de l’importance d’application de la norme internationale par le
juge. Par conséquent, l’obligation de former le juge sur l’ongle théorique et pratique
semblait impérative pour qu’il puisse interpréter la norme dans l’esprit du texte et des
exigences du comité des droits de l’enfant.
743
Abdelaziz NOUAYDI, L’indépendance et l’impartialité du système judiciaire-le cas du Maroc, op. cit., p. 16.
744
Il est à noter que l’Etat marocain et l’institut supérieur de la magistrature ne mettent pas à la disposition des juges les
moyens suffisants d’accès à la jurisprudence régionale ou internationale permettant ainsi un manque de connaissance en
matière de droit comparé, qui peut être favorable à l’évolution de la jurisprudence. De plus, cette dernière connaît une
grande problématique liée à sa diffusion et à l’unification des décisions relatives à l’application des conventions
internationales notamment la CIDE, et qui peut être une source d’inspiration pour le juge.
745
Décret n° 83-435 du 27 mai 1983 publié au J.O du 1er juin 1983, p. 1643.
348
846. La question des accords bilatéraux revêt une importance particulière puisqu’elle
influence d’une manière indirecte le droit interne en imposant des règles communes à
respecter et mène les réformes nécessaires en droit interne afin qu’il soit cohérent avec
ces accords souvent plus modernes. L’adoption de ces accords est d’abord d’ordre
pratique car ils aident à répondre aux situations conflictuelles exposées, puis d’ordre
moral car ils démontrent l’effort entretenu par les pays musulmans souhaitant témoigner
de l’adoption d’un islam ouvert à des normes pas forcément contraires aux principes
universels comme l’égalité entre l’homme et la femme ou à ceux relatifs à la protection
de l’intérêt supérieur de l’enfant notion non étrangère à cette religion.
847. Il est ainsi incontesté que cet élément ne puisse que refléter une position très
positive, pour le législateur en premier lieu, afin d’adopter et de réformer le droit de la
famille mais également au juge qui se voit élargir son arsenal juridique sur lequel il peut
fonder son effort d’interprétation et adopter des positions courageuses qui peuvent faire
objet de jurisprudence. Par ailleurs, il ne faut pas nier que la question de la jurisprudence
au Maroc est marquée de traditionalisme et ne permet toujours pas une mise en place
d’une unification des décisions rendues en matière d’application des conventions
internationales en général et de la CIDE en particulier et atteste d’un manque de dialogue
entre les juges en la matière. En effet, si en France le revirement de 2005 a permis
l’établissement d’une cohésion judiciaire relative à l’application directe de la CIDE, au
Maroc l’influence de la jurisprudence en matière d’application directe de la CIDE semble
être très faible voire absente puisque ni le juge de fond ni la cour suprême n’ont pas
réussi à invoquer directement la CIDE et se réfèrent plutôt au droit interne même
lorsqu’il s’agit d’un principe reconnu par le texte.
848. Dans ce sens, il importe également de souligner que la prise en considération de la
jurisprudence en droit marocain ne fait pas l’objet d’une même influence qu’en France.
Malgré le fait qu’elle soit une source principale du droit, elle ne permet pas d’influencer
le législateur. La constitution marocaine qui insiste sur l’absence de pouvoir de la
magistrature sur la législation. De ce fait, la jurisprudence n’est pas effective et n’aboutit
pas à l’établissement d’une cohérence judiciaire en matière d’application des traités
internationaux notamment la CIDE. De cette situation, l’enfant se trouve devant une
jurisprudence de pratique classique qui traite des questions fondamentales relatives
principalement à la kafala, au droit de garde (Hadana) ou encore au droit alimentaire. De
plus, les réponses accordées à ces questions se basent d’abord sur le Code de la famille et
en absence de réponses, la référence du juge constitue principalement les différentes
règles du droit musulman ce qui limite la pratique judiciaire ainsi que l’évolution de la
jurisprudence censée être une source de progrès.
849. À partir de l’ensemble de ces éléments il semble évident que le juge marocain
spécialiste en matière familiale se retrouve confronté à un défi d’ampleur qui consiste à
rompre avec la pratique traditionnelle et à adopter une nouvelle méthode pour prendre en
considération l’engagement du Maroc à l’égard des conventions internationales.
349
Un constat qui est souligné par le PANDDH 2018-20121, qui sans doute reconnaît les
efforts menés jusqu’à présent dans le cadre du développement d’un système juridique et
judiciaire propice pour l’émergence des droits de l’Homme, mais qui met en place un
nombre d’objectifs afin de viser un système juridique et judicaire beaucoup plus
développé en la matière.
D’une manière générale, bien que les éléments précités ne permettent pas une révolution
du système judiciaire marocain, ils ne peuvent qu’être bénéfiques à la pratique judiciaire
qui peut s’alimenter de ces divers facteurs dans l’objectif de concrétiser les principes de
la CIDE et de faire du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant une priorité.
746
Le Plan d’action national en matière de démocratie et des droits de l’Homme 2018-20121, pp. 87-88.
350
B - L'avantage des programmes visant l’amélioration de la justice.
351
pour la parité et la lutte contre les discriminations qui a été prévu par la constitution de
2011747, un projet qui a fait de la sensibilisation une question principale dans le
renforcement de l’égalité du genre et de l’accès des femmes à la justice.
854. De plus, dans le même cadre de la protection des droits des femmes un
accompagnement strict a été accordé aux autorités marocaines dans l’objectif d’établir un
projet de loi visant la lutte contre les violences faites aux femmes et en incitant à la
création d’un observatoire spécialisé en la matière et ainsi permettant le renforcement de
la société civile. Quant à la question des droits de l’enfant, la coopération a également
incité l’Etat à développer un nombre de questions relatives principalement à lutte contre
les abus sexuels à l’égard des enfants en accompagnant l’Etat à s’engager depuis 2015 à
travers la ratification de la convention de Lanzarote qui lui a permis de réformer son droit
et de revoir sa politique interne en la matière afin que les mécanismes adoptés par le pays
soient cohérents avec les normes internationales.
855. De plus, le conseil de l’Europe a également participé d’une manière principale dans
l’élaboration et la mise en œuvre de la politique publique intégrée pour la protection de
l’enfance, qui représente un des plus grands projets du Royaume qui traite de toutes les
questions relatives aux droits de l’enfant et à la concrétisation des principes
fondamentaux de la CIDE.
747
Il est à noter que ce projet de loi a fait l’objet d’une première lecture par les députés en mai 2016 puis adopté par la
chambre des conseillers puis d’une deuxième lecture par la chambre des représentants et adopté en 2017, mais qui n’a
toujours pas connu d’application.
748
Partenariat de voisinage avec le Maroc 2018-2021, GR-EXT(2018) 4 16 février 2018, p. 16.
352
856. Le besoin du Maroc de réformer son système judiciaire s’est manifesté depuis
l’adoption de la constitution de 2011 ; cette dernière qui a réformé de nombreuses
questions introduisait la justice comme étant une question primordiale dans l’aire après la
réforme constitutionnelle en faisant d’elle un domaine principal qui permet la garantie de
cette constitution.
857. En effet, la justice a fait l’objet d’une série de réformes dont celle de 2013 en
partenariat avec le conseil de l’Europe et qui a permis au CEPEJ d’apporter un soutien
direct et considérable aux tribunaux à travers la transmission du savoir pratique et
méthodologique749. Cette expérience a permis la réalisation d’une coopération entre la
CEPEJ et l’ISM afin de permettre une large diffusion à l’ensemble des acteurs judiciaires.
Puis un deuxième partenariat s’est lancé en 2017 où l’école nationale de la magistrature
française a joué un rôle primordial puisqu’elle a mené un nombre de formations au profit
de grands responsables des juridictions marocaines en permettant même au ministère de
la justice marocain de développer de nouveaux outils au sein du système judiciaire 750.
859. Les partenariats et les adhésions du Maroc avec le Conseil de l’Europe semble être
efficace et d’une influence importante puisque depuis l’adoption de la Constitution de
2011 et la multiplicité de ces engagements européens, nombreuses sont les normes
internationales intégrées et constatées que ce soit sur les réformes menées sur les textes
ou encore sur la pratique judiciaire. Malgré que ces engagements semblent être fructueux,
ils sont néanmoins très limités puisqu’ils font encore aujourd’hui l’objet de
renouvellement dans l’ensemble des partenariats ou des coopérations envisagés entre le
Maroc et le Conseil d’Europe notamment dans le partenariat de voisinage avec le Maroc
2018-2021 ou encore dans les recommandations des ONG pour la mise en œuvre du plan
749
Ce partenariat est expérimenté dans quatorze tribunaux du Royaume.
750
Partenariat de voisinage avec le Maroc 2018-2021, op. cit. p. 19.
751
Appelée la commission de Venise, la commission européenne pour la démocratie par le droit est un organe
consultatif du Conseil de l’Europe créée en 1990 et composée d’experts indépendants en droit constitutionnel.
752
Id, ibid, p. 20.
353
d’action Maroc-UE qui souligne le besoin d’augmenter les efforts pour faciliter l’accès à
la justice et aux droits ; le besoin de simplification des procédures judiciaires ; l’appui
spécifique aux sections de la famille au sein des tribunaux de première instance afin de
permettre la concrétisation des dispositions du code de la famille ; le besoin d’échange
d’informations sur les instruments internationaux afin de s’approcher des normes
européennes et de renforcer l’espace juridique commun ; ou encore le besoin de
renforcement et de soutien à la mise en œuvre de la stratégie nationale anti-corruption
dans l’objectif de garantir l’Etat de droit.
En effet, cet engagement a permis d’accroître un soutien continu par les partenariats de
voisinage depuis 2012 à l’Etat marocain et à soutenir la majorité des réformes entreprises
dans les domaines stratégiques tels que celui des droits des femmes où le Conseil de
l’Europe considère qu’une base solide a déjà été établie et dont le soutien continu
consiste à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre la violence
à l’égard des femmes754 d’où un projet de loi a été proposé au parlement en 2016,
approuvé en février 2018755 et dans lequel l’assistance du Conseil de l’Europe dans la
préparation du projet s’est explicitement manifestée dans la mesure où l’intégration des
753
Le Maroc continue de bénéficier d’un nombre de partenariat jusqu’à 2021.
754
Une étude menée par le gouvernement marocain en 2009 et publiée par human Rights Watch avait précisé qu’au
Maroc 62,8% des femmes entre 18 à 65 ans ont été victimes de violences physiques, psychologiques, sexuelles et
économiques dans le milieu familial.
755
Il importe de souligner que cette loi malgré qu’elle soit significative au sens où elle permet de reconnaître certaines
formes d’abus contre les femmes notamment dans le milieu familial, elle est pour de nombreuses associations
féministes insuffisante et lacuneuse puisqu’elle n’apporte pas suffisamment de protection dans la mesure où « la
victime se trouve obligée d’engager des poursuites pénales afin que l’agresseur soit punit ce qui n’est pas courant dans
la société marocaine qui reconnaît encore aujourd’hui le rôle supérieur de l’homme à la femme ; la loi n’assigne pas de
devoirs à la police, au procureur et aux juges d’instructions dans les affaires de violence familiale et enfin elle ne
prévoit pas de mise en place de refuges pour accueillir les victimes de ces violences.
354
normes internationales été manifeste et visait ‘la promotion de l’égalité entre les femmes
et les hommes et la lutte contre la violence à l’égard des femmes en adaptant les cadres
législatifs et en assurant la sensibilisation des publics cibles »756. Par ailleurs, malgré la
difficulté d’établir un bilan en la matière, il semble évident que l’influence de ce type de
partenariat entre le Maroc et l’Europe ne peut qu’être bénéfique à l’égard des femmes et à
la réalisation d’une justice indépendante et moderne qui prend en considération les
principes d’égalité et des droits humains.
756
Partenariat de voisinage avec le Maroc 2018-2021, GR-EXT(2018)4 16 février 2018, p. 15.
757
Ibid, p. 17.
355
D’autre part, dans un entretien avec M. Abderrahman BOUNAIM le coordonnateur et le
responsable en communication de l’association Bayti, la problématique pour ce type de
partenariats ou de programmes, c’est que la question n’est pas seulement relative au
respect des principes de la CIDE par les acteurs sociaux mais elle est d’abord limitée par
l’ongle juridique dans la mesure où l’application superficielle et partielle de la CIDE et
son respect intégral par le juge représente toujours une incohérence et limite le respect
total des dispositions du texte international, puis par la question du financement sur
laquelle les avis divergent entre institutions et société civile.
864. Pour conclure, il semble évident que l’influence des partenariats et des programmes
menés par le Maroc dans l’objectif de concrétiser l’Etat de droit et de garantir la
protection des droits de chaque catégorie dont l’enfant est une cible prioritaire, est
inévitablement avantageuse et fructueuses. En effet, elles ont dans un premier temps
permis l’implication du pays dans un circuit de ratification et d’adhésion aux normes
internationales, une situation qui allège le caractère traditionnel d’un nombre de
dispositions en droit interne que ce soit en matière familiale ou pénale. Dans un second
temps, elles permettent également d’instaurer une vision globale et future des réformes à
mener et de limiter le retour sur des droits acquis que ce soit pour la femme ou pour
l’enfant. Ainsi, c’est dans ce sens que l’ensemble des rapports rendus sur les partenariats
entre le Maroc et l’union européenne salue les efforts menés par le pays dans ce sens et
met en place une fiche de route pour les prochains objectifs, qui visent généralement les
mêmes domaines notamment le système justicier et les réformes juridiques qui
concrétisent le respect des normes internationales. Ainsi, malgré que les initiatives du
pays à travers les mesures institutionnelles et politiques se multiplient, le soutien de
l’union européenne dans le cadre des partenariats de voisinages semble être très
important et avantageux face à la panoplie d’obstacles matériels, administratifs ou encore
au manque de compétences spécifiques aux acteurs des domaines concernés par la
protection des droits de l’enfant 758.
758
Rapport d’enquête des acteurs œuvrant dans le domaine de la protection de l’enfance, services de protection de
l’enfance au Maroc, un rapport élaboré avec l’aide de l’union européenne.
356
Titre II: La prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la
mise en œuvre du droit de la famille.
357
Dans ce sens, le législateur est resté fidèle à l’image et aux principes du droit musulman
en la matière qui sont explicitement attachés à la structure patriarcale. cette position a
permis la sauvegarde de toute la réglementation en matière de filiation dans le Code de la
famille malgré la légère modification qui lui a été attribuée.
867. Dans un second temps, il ya la question de l’autorité parentale qui découle même de
la filiation. L’application des droits et des devoirs des parents dans ce sens est basé
principalement sur l’organisation de la vie de l’enfant en invoquant son intérêt supérieur
comme critère dans toutes les situations. En effet, la matière de l’autorité parentale est
l’un des terrains les plus exploités en matière d’application de la CIDE en général et du
principe de l’intérêt supérieur en particulier. En France le législateur n’a pas tardé à faire
de l’autorité parentale une tâche commune ayant comme unique finalité l’intérêt
supérieur de l’enfant759. Cette conception moderne du rôle des parents vis-à-vis de
l’enfant n’a pas été totalement adoptée par le législateur marocain qui a conservé des
principes plutôt islamiques en se référant à la composition traditionnelle des droits
parentaux qui se composent d’une part de la garde (hadana), d’autre part de la tutelle
légale (Niyaba shar’iya). Des droits qui ne reflètent pas intégralement ceux adoptés par la
CIDE. Cela peut engendrer une limite avérée, voire une opposition entre la
concrétisation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant tel qu’il est reconnu dans le
texte international et celui adopté par le droit musulman qui, comme nous l’avons
présenté dans la première partie, est basé sur une conception différente de la place de
l’enfant au sein de la famille et consiste à privilégier la famille dans son ensemble sans
adopter une réelle individualisation de droits.
868. Dans les deux systèmes juridiques français et marocain la question de l’intégration
et de la prise en considération du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant semble être
principale et inévitable. En effet, le fondement de ces deux domaines est basé sur la
protection primordiale de l’intérêt de l’enfant, la référence de ce principe se trouvant
d’une manière directe ou indirecte dans les textes ou dans la pratique judiciaire.
Toutefois, pour les Etats membres de la CIDE, l’intégration de ce principe ne doit pas
présenter une difficulté puisqu’ils se sont engagés dans l’émanation de toutes les
réformes nécessaires dans cet objectif. La concrétisation du principe en droit de la famille
fait encore face à des limites ou à des divergences de base par rapport à la réalisation de
ce dernier.
869. En effet, le caractère malléable et souple du principe lui-même rend sa
concrétisation complexe et marquée de divergences dans de nombreux aspects,
notamment lorsqu’il s’agit d’un système juridique se référant encore aujourd’hui à une
source religieuse dans de nombreuses questions tel que le Code de la famille marocain
surtout le droit de la filiation et de l’exercice de l’autorité parentale. Dans ce sens,
nombreuses sont les éléments relatifs à la prise en compte de l’intérêt supérieur de
l’enfant en matière de filiation et d’autorité parentale, Il faut tout d’abord savoir à quel
point les principes fondateurs des deux questions traitées est avantageux à l’intégration de
759
Article 371-1 alinéa 3 dispose que « les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et
son degré de maturité ».
358
ce principe. Puis voir si les réformes relatives à ces deux domaines dans les deux pays
ont pris en considération la concrétisation de l’intérêt supérieur de l’enfant en lui
assurant ses droits primordiaux tel que son droit à la filiation et en protégeant ses intérêts
psychologique, moral et matériel engendrés par cette filiation. Aussi il faut évaluer la
réussite du législateur marocain à intégrer ce principe moderne dans un domaine aussi
sensible que le droit de la filiation qui est explicitement réglementé par le droit
musulman. D’autres demandes se posent aussi. En effet, on se demande pourquoi le
législateur marocain en 2004 n’a-t-il pas osé réformer une question cruciale comme celle
de la filiation ? Quelle sont les limites auxquelles il a été confronté ? Est-il vraiment
difficile de réformer cette question et d’intégrer les principes de la CIDE en la matière ?
Ces principes sont-ils incompatibles avec ceux adoptés par le droit musulman en la
matière ? (Chapitre I).
Concernant l’autorité parentale, également de nombreuses questions se posent
notamment celles relatives à la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant et
son intégration dans l’exercice parental. Ainsi, il est important de savoir à quel point
l’intégration du principe a influencé l’exercice des parents dans la mesure où il devient le
fil conducteur de cet exercice et le critère de principal de l’attribution de ce dernier. Là
encore, il est primordial de s’interroger sur la compatibilité du Code de la famille
marocain qui a conservé un mode islamique de cet exercice basé sur la garde et la tutelle
légale, ainsi que sur le rôle et l’importance du critère religieux (Chapitre II).
359
360
Chapitre I: L’intérêt supérieur de l’enfant dans la filiation.
760
Pierre MURAT, Passer la filiation ou dépasser la filiation, in Parenté, Filiation, Origines, Le droit et l’engendrement
à plusieurs, H. FULCHIRON, J. SOSSON (dir de), Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 260.
761
Ibid, p. 266.
361
872. Dans ce sens et pour traiter le droit de la filiation comme critère de concrétisation
de l’intérêt supérieur de l’enfant, il est primordial de se référer à l’impact considérable du
milieu familial sur l’épanouissement et le bien-être moral de l’enfant Ce rôle consiste à
aimer, à soigner et à protéger. Il est attribué à la famille (aux parents en particulier) et
expliqué dans le préambule de la CIDE en soulignant que «la famille, unité fondamentale
de la société et milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres, en
particulier des enfants, doit recevoir la protection et l’assistance dont elle a besoin pour
pouvoir jouer pleinement son rôle dans la communauté. L’enfant, pour l’épanouissement
harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans le milieu familial, dans un climat de
bonheur, d’amour et de compréhension ». Certes, ce préambule ne représente aucune
valeur juridique mais il reflète et exprime l’objectif des principes fondamentaux du texte
en adhérant à l’ensemble des éléments qui peuvent concrétiser ces principes. A travers ce
préambule, il semble évident que la concrétisation de tous les principes du texte
international ne peuvent être possibles sans que le rôle de la famille, principalement des
parents soit assumé et que leurs devoirs envers l’enfant soient concrétisés dans l’objectif
de lui garantir tous ses droits surtout son droit de la filiation qui représente un critère
fondamental à la protection de son intérêt supérieur (Section 1). De plus, le constat de
l’importance du droit de la filiation comme critère de cette concrétisation remet en doute
la réglementation de la question dans de nombreux systèmes juridiques notamment ceux
des pays musulmans dont le Maroc où le droit de la filiation représente encore un champ
favorable à une absence totale de la prise en considération de l’intérêt supérieur de
l’enfant (Section 2).
362
Section 1 : Le critère de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la filiation.
873. La question des droits de l’enfant et le principe de son intérêt supérieur occupent
aujourd’hui une place primordiale et fondatrice dans le domaine de la filiation. Cette
liaison n’est pas simplement un lien juridique entre l’enfant et ses parents mais elle est
également un lien symbolique reflétant la structure sociale adoptée selon une idéologie
quelconque dans chaque pays. Pour cette raison, les réformes concernant le droit de la
filiation sont abordées avec une grande prudence dans tous les systèmes juridiques. En
effet, l’évolution de ce domaine a principalement été influencée par de nombreux facteurs
dont les mutations de l’institution de la famille, le progrès consécutif du statut de
l’enfant au sein de la famille et l’émergence et l’adoption de la CIDE.
875. Dans ce sens, il semble évident que l’étude de la filiation et de ses enjeux ne peuvent
être détachés du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, puisqu’ils renvoient d’une
manière directe au rapport entre l’établissement du lien de la filiation et ce principe.
D’abord psychologiquement, le lien de la filiation représente une « sorte de mi-parcours
entre le besoin inné d’attachement et le besoin acquis d’appartenance à un groupe »764.Il
reflète le besoin et le sentiment de chaque être humain de vouloir appartenir à un groupe
social ou à une famille afin de renforcer son sentiment identitaire et de le préparer à la
762
Irène. THERY, Droit, famille et vie privée, le pari du débat, in Commentaire, n° 83, 1998, p. 827.
763
Pierre MURAT, Les enjeux d’un droit de filiation, le dro it français et l’ordonnance du 4 juillet 2005, Information
sociale, 2006, n° 131 pp. 1-2.
764
John HILL, Filiation et affiliation : exploration des dynamiques de dépendance et d’autonomie, Revue de
psychologie analytique, 2013, n° 1, pp. 12-13.
363
participation sociale au sein de son groupe. Ce sentiment et ce besoin de filiation et
d’affiliation sont ancrés dans l’esprit de chaque individu. C’est un besoin inné
d’attachement permettant la création et la constitution des premiers sentiments de
filiation. Il débute à la naissance avec l’attachement du bébé à sa maman et son besoin
d’être proche d’elle pour se sentir à l’écart de tout danger. Ainsi, ce besoin d’attachement
et d’appartenance à travers l’établissement de la filiation est réel et se concrétise par
l’ongle pratique et juridique. Il assure des règles adaptées à l’importance de ce lien et
permettant également d’apporter des réponses à la concrétisation de l’intérêt supérieur
de l’enfant, puisque l’établissement de ce lien permet de protéger et de garantir la
protection des différents échelons de l’intérêt supérieur de l’enfant.
876. C’est dans cet objectif que la majorité des systèmes juridiques se sont lancés dans un
processus de réforme de leurs législations familiales dont la question de la filiation est
primordiale. Dans le monde occidental, nous avons assisté depuis des décennies « à un
mouvement d’unification du droit de la filiation »765, où l’objectif principal est celui de
protéger l’intérêt de l’enfant à travers l’établissement du lien de filiation, lui permettant
d’une manière directe ou indirecte une protection d’ordre moral et matériel. L’étude de la
question de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le domaine de la filiation nous incite à
traiter l’évolution du rapport entre les droits de l’enfant et la place fondatrice de la
filiation aujourd’hui. En effet, le rôle de la filiation en matière de la protection de l’intérêt
de l’enfant n’a pas toujours été avantageux à l’égard de l’enfant et de son intérêt, puisque
dans tous les systèmes juridiques, seul le lien de filiation légitime, c’est-à-dire celui qui
repose sur le mariage, permet d’établir ce lien ce qui porte une atteinte avérée aux droits
de l’enfant en général.
877. Toutefois, bien que l’établissement du lien de la filiation et son importance dans la
protection des droits de l’enfant et de son intérêt supérieur semblent être assez simples,
leur concrétisation est très complexe dans la mesure où la sensibilité et les limites de la
question même de la filiation se manifestent dans de nombreux modèles juridiques
adoptés par les Etats. Un constat qui permet d’établir deux catégories de modèles.
D’abord celui adopté par l’ensemble des pays occidentaux dont la France et qui ont
connu une transformation en la matière en adoptant un modèle évolutif permettant
d’adapter et de réformer progressivement le droit de la filiation afin de protéger et
d’attribuer à l’enfant et à son intérêt le rôle central en matière de filiation (Paragraphe 1).
Ensuite celui adopté par la majorité des pays musulmans où la question de la filiation
demeure une limite et une ligne difficile à franchir dans les réformes menées par ces
pays. Ce modèle consenti au Maroc expose la grande difficulté d’intégrer et de respecter
le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant en matière de filiation entre l’ambivalence
des deux normes religieuse et moderne (Paragraphe 2).
765
Ibid, p. 5.
364
Paragraphe 1 : Le droit de la filiation, une mise en œuvre progressive de l’intérêt
supérieur de l’enfant.
365
A-L'intérêt supérieur de l’enfant, une priorité pour le législateur français en matière
de filiation.
881. Devant les mutations que subissait la société française en générale et la famille en
particulier, le législateur s’est lancé dans un processus d’adoption de lois visant le droit
de la famille dont la question de la filiation semblait primordiale. En effet, dans l’objectif
de réformer la définition classique de la notion de la filiation qui datait du Code civil de
1804 et où le domaine de la filiation vacillait entre une certitude de la maternité et un
mystère de la paternité, reflétait une seule vérité qui est celle de reconnaître que
l’ensemble du droit de la filiation reposait sur le mariage et la légitimité qui en découlait.
Ainsi, il a fallu attendre 1972 pour qu’une loi d’ampleur voit le jour et adopte de
nouveaux principes qui visent à réformer le domaine de la filiation. En effet, cette
réforme était très attendue puisqu’elle s’est inscrite dans un vaste mouvement de réforme
qui a visé indépendamment des titres du code civil relatifs à la famille puisque la France
n’a pas procédé à une réforme globale mais elle a entrepris des réformes progressives.
Cette loi du 3 janvier 1972 se place donc parmi les lois qui ont transformé le droit de la
famille et qui a bouleversé le fond du droit de la filiation ; elle l’a recomposé à nouveau
en adoptant un nouveau principe fondamental qui l’a influencé et marqué, il s’agit du
principe de l’égalité. En effet, cette loi a principalement levé l’interdiction à
l’établissement de la filiation adultérine et instaurer l’égalité entre l’enfant naturel et
l’enfant légitime tout en sauvegardant quelques restrictions en matière de successions 766.
Puis une deuxième loi a également participé à rénover le domaine de la filiation et il
s’agit de la loi du 25 Juin 1982 qui a admis la possession d’état comme un mode
d’établissement de filiation pour l’enfant naturel.
882. S’ajoute à cela la loi du 8 Janvier 1993 qui a allégé le régime de l’action en
recherche de paternité naturelle et a offert à l’enfant majeur la possibilité d’une action en
justice afin d’établir sa filiation en inscrivant la fin de la non-recevabilité de l’action en
recherche de maternité naturelle lorsqu’une femme demande le secret sur son identité.
Vient ensuite la loi du 3 décembre 2001 qui a aboli toutes les dispositions
766
Michèle LABORDE-BARBANÈGRE, La filiation en question : de la loi du 3 janvien 1972 aux lois du
la bioéthique, in Agnès FINE, (dir), ADOPTIONS, éditions de la maison des sciences de l’homme, coll
Ethnologie de la France, Paris, 2013, sur : https://books.openedition.org/editionsmsh/623?lang=fr#authors
366
discriminatoires à l’égard des enfants adultérins notamment en matière de successions.
Nous citons également la loi du 18 juin 2003 relative au nom de famille et qui a permis à
l’enfant de porter soit le nom du père soit celui de la mère soit les deux dans l’ordre
choisi par les deux parents, puis l’ordonnance du 4 juillet 2005 ratifiée par la loi du 16
Janvier 2009, qui a permis la suppression totale des expressions ‘filiation légitime’ et
‘filiation naturelle’ dans l’objectif était de garantir l’égalité totale entre les enfants nés
dans le mariage et ceux nés hors mariage. L’adoption de ces réformes ne représente pas
uniquement l’harmonisation de la loi interne aux mutations sociales et ceux de la famille,
mais elles sont également le résultat de l’élargissement de l’accueil de la norme
internationale notamment celle de la CIDE et de la CEDH767.
884. La question de la place de l’enfant né hors mariage ne représente pas une simple
question de reconnaissance d’un droit à un enfant né hors mariage, mais elle reflète avant
tout la conception sociale de la famille, de son fondement, de sa structure et de la place
accordée à tous les enfants au sein de la famille et de la société. Le mariage a toujours
représenté le lien légitime qui rattachait l’enfant à ses deux parents, créant ainsi des
disparités de droits avec les enfants nés en dehors de ce lien notamment avec les enfants
naturels et les enfants adultérins.
767
Philippe MALAURIE, Hugues FULCHIRON, Droit de la famille 5ème éd, LGDJ, 2015, p57et s.
768
CRC/C/15/Add.20, CRC/C/15/Add.240 30 juin 2004.
367
Une situation qui a longtemps été adoptée par le Code civil et qui a permis l’instauration
d’une sorte d’inégalité fondée sur la naissance à partir des comportements de leurs
parents769.
C’est pour cette raison que le droit français de la filiation n’été pas conforme aux
engagements de la France, d’abord à l’égard de sa philosophie reconnaissante des droits
de l’Homme puis à l’égard des textes internationaux qui font appel à l’égalité de tous les
enfants sans prendre en considération les circonstances de leur naissance. Toutefois, la
réalité sociale et l’augmentation des naissances hors mariage ainsi que l’installation des
parents en union libre ont également participé à la modernisation de l’ensemble de
l’institution familiale et de l’avènement de la famille égalitaire et individualiste qui
cherche à instaurer et à protéger les droits de chaque membre mais qui met en priorité la
protection des droits de l’enfant.
885. La loi du 3 Janvier 1972, représentait la première loi qui permettait à l’enfant naturel
d’établir sa filiation, et a ainsi instauré une égalité de droits entre l’enfant né dans le
mariage et celui né hors mariage en marquant la fin de l’exclusivité de la filiation basée
sur le mariage en se basant sur le principe de l’égalité 770. Ainsi, tous les enfants se
voyaient octroyer la possibilité d’établir une filiation tant qu’il n’y a pas un rattachement
de filiation à une autre personne. Autre que le principe d’égalité, cette loi s’est également
basée sur un second principe qui s’associe avec celui de l’égalité de la filiation et il s’agit
de celui de la vérité, une vérité biologique mais aussi sociologique. En ce qui concerne
cette dernière le législateur a souhaité en finir avec l’hypocrisie des lois d’avant qui
négligeaient l’existence des familles en dehors le cadre du mariage dont les droits des
enfants peuvent être en danger.
886. Quant à la vérité biologique, elle représente pour cette loi une clé de voute dans la
mesure où il résulte de l’évolution de deux facteurs ; d’abord le recul du mariage comme
modèle de vie familiale puis l’accès à la science et sa fiabilité afin de renforcer la
possession d’état en admettant les examens sanguins ou les preuves médicales certaines
comme mode de preuve accepté par le juge771. Par ailleurs, cette vérité biologique pouvait
permettre l’adoption de deux visions ; d’abord celle qui la considère comme un élément
constitutif de la filiation telle que la vérité juridique ou celle sociale, et dans ce cas elle
représente uniquement un remède pour les filiations fictives et ainsi remettre en question
le rattachement juridique et se référer uniquement à l’attachement biologique 772, ou
qu’elle soit un élément supérieur aux autres et de prendre le risque de la considérée
comme la source principale.
769
Voir dans ce sens : M. FABRE, Etude de droit français et de droit comparé sur l’état de l’enfant naturel dans la
famille et la société, Avignon, 2 éd. François SEGUIN, 1900.
770
Irène. THERRY, Mariage et filiation de même sexe : une approche sociologique » in L’ouverture du mariage aux
personnes de même sexe, Y. LEQUETTE, D. MAZEAUD (Dir.de) Paris, éd. Panthéon-Assas, 2014, spec. n° 9-10, p.
94.
771
CA Paris, 13 Octobre 1966, JCP G, 1968, II-15382, obs. R B : citée par Nadège COUDOING, Les distinctions dans
le droit de la filiation, thèse de doctorat sous la direction d’Elisabeth PAILLET, Université du sud Toulon Var, 2007, p.
17.
772
Françoise DEKEUWER-DÉFOSSEZ, Les droits de l’enfant, 5ème éd., Paris, PUF (que sais-je ?), 2001, p. 13.
368
Dans ce sens M. Terré et Mme FENOUILLET considéraient que « le législateur est
partagé entre la tentation d’ouvrir largement les actions, ce que justifierait les progrès
de la biologie, et au contraire la volonté de maintenir la paix des familles et plus encore
aujourd’hui le souci de préserver la stabilité de l’état des personnes »773.
887. Quant à la position de la jurisprudence à l’égard de cette vérité biologique, son
interprétation faisait l’objet d’une originalité sans précèdent puisque la majorité des
décisions rendues étaient favorables à la prise en considération de la preuve scientifique
ce qui a reflété l’attirance et la séduction des juges par le progrès scientifique qui
permettait de considérer la preuve biologique comme un élément de droit et d’y tenir
compte en matière de filiation. En effet, c’est un arrêt de la Cour de cassation qui a
contribué à reconnaître la place de la preuve biologique, en instaurant son célèbre
principe « en matière de filiation, l’expertise biologique est de droit, sauf motif légitime
de ne pas y recourir »774 ; par le biais de cet arrêt qui a constitué un revirement
jurisprudentiel, la question de l’expertise est venue bouleverser les pouvoirs du juge lui-
même quant à sa capacité de diligenter une expertise biologique qui dépendait de son
pouvoir discrétionnaire et qui s’est imposée comme étant un moyen de preuve imposé au
juge en matière de filiation.
Toutefois, si cette loi a ouvert la porte à la modernisation du droit de la filiation, elle a
néanmoins débuté un processus qu’il fallait continuer de mettre à jour et en cohérence
avec l’évolution de la société et de la science, et donc apporter des modifications à
l’insuffisance de la loi de 1972 en matière d’égalité et de vérité qu’elle adoptait comme
principes fondamentaux.
888. En effet, c’est la réforme du 4 juillet 2005 applicable au 1 er juillet 2006 qui va
affirmer la continuité de l’évolution des règles du droit de la filiation, et qui faire des
deux principes de l’ancien texte notamment l’égalité et la vérité de filiation des objectifs
et des valeurs à atteindre. Ceci se faisait dans le cadre d’harmonier la réalité sociale où les
principes d’égalité et de vérité en matière de filiation sont admis dans la société. Aussi il
y avait lieu de permettre un renouvellement qui vise à protéger l’enfant et de lui garantir
son droit à la filiation quelle que soit la situation de ses géniteurs ou les circonstances de
sa naissance, sans aucune discrimination afin de garantir à l’enfant un bien-être dont la
stabilité et la sécurité sont le moteur775. Il s’agissait également de mettre en place un
droit dont l’esprit est de simplifier, d’uniformiser le droit à l’établissement du lien de
filiation776.
773
François TERRE, Dominique FENOUILLET. Les personnes- la famille- les incapacités, Paris, Dalloz, coll. précis
7ème édition, 2005.
774
Cass. Civ. 1ère, 28 mars 2000, Bull. n° 103 ; Defrénois, 200-06-30, n° 12, p. 769, note Jean MASSIP ; Dalloz, 2000-
10-12, n° 35, p.731, Note T. GARE ; JCP 2000-10-25, n° 43/44, conclusions C. PETIT et note M.C. MONSALLIER-
SAINT-MIEU.
775
Françoise DEKEUWER DEFOSSEZ, Le nouveau droit de la filiation : pas si simple, RLDC 2005, n° 21, pp. 34 et
suivant.
776
Dans ce sens, il est à noter que la volonté d’une modification été pressentie dans le rapport déposé par Mme
Dékeuwer-Défossez en 1999 qui soulignait que « si la loi doit être revue, c’est parce que les principes de l’égalité et de
la vérité biologique ont été tellement admis par la société…qu’ils méritent de trouver une place quelques peu
renouvelée ».
369
889. C’est dans cet objectif que l’ordonnance du 4 juillet 2005 a fait de l’égalité et la
sécurité sa consécration en procédant à une unification du droit de la filiation en ayant
comme référence principale quelques principes dont :
- L’unification des statuts entre les enfants quelles que soient les circonstances de leur
naissance ;
777
Art. 733 al. 1.
778
Pierre MURAT, L’égalité des filiations légitime et naturelle quant à leur mode d’établissement : jusqu’où aller ?, Dr.
Fam., 1998, chron, 14, p. 4.
370
891. Par rapport à la question de l’établissement de la filiation, la réforme du 4 juillet
2005 a modifié quelques dispositions afin que cet établissement soit simple. Pour
l’établissement de la filiation maternelle, l’ordonnance ne modifie pas les fondements les
modes d’établissement de la maternité et ne dépendent plus du statut juridique de la
femme. Autrement dit, la loi a unifié les modes de son établissement sans prendre en
considération la situation conjugale. Désormais avec l’article 311-25 du Code civil, la
simple désignation de la mère dans l’acte de naissance de l’enfant établit la filiation à son
égard ; toutefois l’ordonnance a conservé un nombre de dispositions telles que :
l’exigence de la volonté réelle de la mère qui doit exprimer son acceptation du statut de
mère, elle est conservée dans le cadre de protéger le droit accordé à la femme
d’accoucher sous l’anonymat de son identité, (un droit qui trouve son fondement d’abord
dans la faveur accordée à la médicalisation de l’accouchement ainsi qu’à la survie de
l’enfant)779. Ainsi, l’acte de naissance devient la preuve officielle de la maternité, le
maintien de la reconnaissance maternelle ou encore à travers une déclaration en justice.
892. D’autre part, concernant l’établissement de la filiation paternelle, la loi a également
conservé le fondement de la règle en modifiant légèrement quelques dispositions afin de
simplifier l’accès à la recherche. En effet, avant la réforme de 2005, la loi de 1972
précisait que ‘l’enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari’, une précision qui
renvoyait clairement à la légitimité et qui limitait la question de la recherche de la preuve.
893. Ainsi, c’est dans l’esprit de la simplification adoptée par le législateur que
l’ordonnance de 2005 a apporté une modification en précisant dans l’article 312 du Code
civil que « l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari », l’ajout du « ou
né » permet de simplifier et de permettre l’accès à la recherche de preuve, alors que dans
le cadre d’un enfant né hors mariage, il faut une déclaration de volonté exprimée dans un
acte de reconnaissance authentique afin d’établir la paternité 780. De plus, d’autres
éléments se sont ajoutés au processus de la simplification et de la suppression de toute
discrimination ou inégalité en matière de filiation.
894. La loi de ratification du 16 janvier 2009 a représenté une occasion pour le législateur
pour renforcer et harmoniser les règles relatives à la présomption de paternité puisque
avant cette loi, il existait deux cas d’exclusions de la présomption de paternité et selon
ces cas les possibilités de rétablissement n’étaient pas identiques.
Ainsi, l’article 313 du Code civil prévoyait que la présomption de paternité était exclue
lorsque l’enfant était conçu durant une période de séparation légale ; dans ce cas-là
l’alinéa 2 du même article prévoyait que la présomption était rétablie en plein droit en
présence d’une possession d’état à condition qu’aucun lien de filiation ne soit établie à
l’égard d’un tiers).
779
Géraldine. VIAL, Réforme de la filiation : les surprises du projet de ratification de l’ordonnance du 4 juillet 2005,
Dr. fam., février 2008, Etudes, p. 8.
780
Art. 316 Code civil.
371
Aussi, l’article 314 prévoyait que la présomption de paternité était exclue en cas
d’absence de désignation du mari en qualité de père dans l’acte de naissance et d’absence
de possession d’état à son égard. La possibilité de cumulation des deux conditions, il
n’était pas question d’un rétablissement de paternité sur le fondement de la possession
d’état puisque son absence étant une condition d’exclusion. Toutefois, l’article 315
permettait que la présomption puisse faire l’objet d’un rétablissement en justice. Dans
l’objectif de la simplification, la présomption peut faire désormais l’objet d’exclusion en
cas de conception pendant une période de séparation légale ou en cas d’absence de
désignation du mari en qualité de père dans l’acte de naissance. Ainsi, quel que soit le cas
d’exclusion, la présomption est rétablie en plein droit en présence d’une possession d’état
à l’égard du mari de la mère, si aucun lien n’est rétabli à l’égard d’un tiers. Puis le
rétablissement judiciaire prévu à l’article 315 est naturellement sauvegardé. C’est-à-dire
que lorsque le mari n’est pas désigné comme étant le père dans l’acte de naissance, mais
qu’il y ait une possession d’état à son égard, la présomption de paternité dans ce cas est
exclue puis rétablie de plein droit alors qu’avant elle n’était pas exclue.
895. Un autre élément adopté par la loi de 2009 qui vise la simplification et qui élargie
également l’attribution du droit à l’enfant, s’agissant du délai fixé par le législateur sur le
droit d’agir en fin subside qui été fixé en deux ans dans la loi de 2005 mais qui a fait
l’objet de modification par le législateur en 2009, ce dernier a en effet aligné le délai pour
agir à fin subsides sur celui pour agir en recherche de paternité et qui est devenu de dix
ans avec une suspension pendant la minorité de l’enfant.
L’adoption de ces éléments sont d’abord une preuve concrète de l’évolution qu’a subi le
droit de la filiation ; ce dernier qui avait besoin de faire l’objet d’un nombre de
modifications afin de garantir la protection de l’intérêt de l’enfant mais également de
protéger les équilibres profonds et complexes sur lesquels est basé le droit de la filiation.
Les réformes adoptées visent d’une manière indirecte la concrétisation du principe de
l’intérêt supérieur de l’enfant, puisqu’elles permettent l’élimination de toutes les
discriminations à son égard et de lui garantir un droit existentiel qui est celui de son droit
à une filiation et donc à une famille et à une identité.
372
B- Le droit à l’identité, une garantie à l’intérêt supérieur de l’enfant.
897. Les réformes adoptées en matière de filiation et les modifications qui ont visé les
questions relatives à ce domaine, reflètent bien la volonté du législateur de concrétiser
des principes fondamentaux tel que l’égalité, la vérité biologique ou encore la sécurité,
tout en ayant un esprit qui vise le respect des équilibres des droits en la matière mais
également l’obligation de la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant.
898. En effet, si les principes de l’égalité et de la vérité biologique ont permis d’instaurer
une base solide pour la concrétisation de l’intérêt supérieur de l’enfant, la question de la
sécurisation de la filiation a également suscité un grand intérêt par le législateur, puisque
la question de protéger chaque filiation établie est une question de protection de la
construction d’identité personnelle. Cette identité que chaque enfant a le droit d’avoir et
qui passe par le droit à la filiation qui détermine l’identité de l’enfant, ses conditions de
vie pendant sa minorité, les droits et les devoirs des parents à son égard, sa nationalité, sa
pension alimentaire, son droit à la succession, etc.
899. les défenseurs du droit à l’origine ou même ceux des droits de l’Homme
revendiquent et mettent une priorité pour le droit de toute personne de connaître sa
filiation, ou ses filiations. Pour ces défenseurs, priver ou amputer un enfant ou même un
adulte de sa filiation c’est le priver d’un droit fondamental qui peut lui permettre de vivre
sans souffrance non seulement psychologique mais également sociale, puisque cette quête
n’est pas une simple quête de famille mais c’est principalement une quête d’identité781.
900. C’est ainsi que le droit à l’identité représente un élément principal qui dissimule la
protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, et c’est dans ce sens que le législateur a
adopté ce principe de sécurisation à travers l’adoption de quelques dispositions mais
également la limitation de quelques actions qui remettaient en question ce droit à l’égard
duquel la France s’est engagée à travers la ratification de la CIDE. En effet, cette dernière
se réfère explicitement à ce droit, d’abord dans l’article 7 de la convention selon lequel
« l’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et dès celle-ci a le droit à un nom, le droit
d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses
parents et d’être élevé par eux », puis dans l’article 8 selon lequel « les Etats parties
s’engagent à respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, y compris sa
nationalité, son nom et ses relations familiales, tels qu’ils sont reconnus par la loi, sans
ingérence illégale ». Ainsi, pour assumer ces engagements à travers la réglementation du
droit de la filiation, la réforme a restreint les actions en contestation de la filiation en
préservant uniquement deux modes de contestations qui concernent la vérité biologique.
D’abord concernant la contestation de la maternité, elle peut être faite uniquement
lorsqu’il y a preuve que la mère n’a pas accouché de l’enfant. Puis pour la contestation
de paternité, elle doit être faite en apportant la preuve que le mari ou celui qui a reconnu
l’enfant n’est pas le père.
781
Pierre. VERDIER, Natalie. MARGIOTTA ., Le droit à la connaissance de ses origines : un droit de l’homme. Pour
en finir avec l’accouchement sous X et le secret de la filiation, Paris ; éd. jeunesse et droit, 1998.
373
901. Dans l’objectif d’encadrer la question de la contestation de paternité ou de maternité,
il importe de distinguer deux situations, d’abord lorsque la paternité ou la maternité sont
établis par la possession d’état ou lorsqu’ils sont établis seulement par un titre.
Concernant la première situation, le législateur s’est montré ferme en posant une
réglementation qui renforce la limitation du nombre excessif des actions destinées à
contester l’état d’un enfant, d’abord en limitant le nombre de personnes titulaires des
actions en contestation ; puis l’adoption du nouveau délai de prescription de 5 ans au lieu
des 10 ans de l’ancienne réglementation.
903. L’objectif des réformes de 2005 et de 2009 en matière de filiation est sans doute une
mise à jour de l’équilibre des droits existants en la matière, et une prise en considération
de l’évolution des droits de chaque membre au sein de la famille. Cela dit, bien que les
deux réformes n’expriment pas explicitement l’objectif référentiel qui est celui d’une
protection spécifique à l’enfant et de son intérêt supérieur, et malgré l’absence de la
notion de l’intérêt de l’enfant des textes, sa référence et sa prise en compte est manifeste
dans la majorité des décisions rendues en matière de filiation, puisque la justice répond et
d’une manière explicite et évolutive à l’esprit adopté par les deux lois et aux engagements
internationaux de la France à l’égard de la CIDE, en faisant de l’intérêt supérieur de
l’enfant le centre même de toute décision rendue en matière de filiation.
904. C’est dans ce sens que l’usage du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant par le
juge en matière de filiation est de plus en plus sollicité. Son usage permet aujourd’hui de
participer à l’appréciation concrète des conflits en la matière et donc à permettre
l’attribution d’un nouvel élément de pouvoir d’appréciation au juge qui consiste à définir
l’intérêt supérieur de l’enfant et à le considérer comme fondement principal de chaque
décision prise.
782
Cass. Civ. 1ère, 6 décembre 2005, n° 03-15.588, D. 2006, IR p. 99 ; Juris6data, n° 031133 ; Droit de la famille 2006,
Comm.n° 26, note Pierre MURAT.
783
Cass. Civ. 1ère, 16 juin 2011, n° 08-20.475, obs. C. SIFFREIN-BLANC ; AJ Famille 2011. 376, obs., F.
CHENEDE ; RTD civ. 2011.524, obs. J. HAUSER.
374
905. Ainsi, comme nous l’avons constaté, la variabilité du contenu de la notion de
l’intérêt supérieur de l’enfant est avérée, puisqu’elle peut justifier un maintien d’une
filiation établie comme elle peut être un obstacle à la contestation du lien de la filiation,
c’est dans cet esprit que de nombreux jugements ont permis à l’intérêt supérieur de
l’enfant d’être l’élément directif en matière de filiation. Ainsi, dans un jugement du
tribunal de grande instance de Lyon du 5 juillet 2007784, la prise en considération de
l’intérêt supérieur de l’enfant qui témoigne de l’importance accordée par le juge à ce
principe, en l’espèce un enfant qui été reconnu par un homme qui l’a élevé avec son
épouse qui n’était pas la mère. Quinze ans plus tard, la mère biologique est apparue dans
la vie de l’enfant et avait fait une demande pour annuler la reconnaissance de paternité,
en ayant le recours à l’expertise biologique. Ainsi, l’administrateur ad hoc qui
représentait l’enfant avait exprimé le refus catégorique de l’enfant d’un éventuel
changement en sa situation familiale en invoquant le principe de l’intérêt supérieur de
l’enfant.
906. En se basant sur cet argument fondé sur la CIDE et de l’obligation de faire de
l’intérêt supérieur de l’enfant la considération primordiale, le tribunal a rejeté la demande
de la mère biologique. En effet, les juges ont considéré que l’applicabilité directe de la
CIDE et plus précisément l’article 3 devant les juridictions, permettent d’évoquer ce
dernier en tant que référence principale et « un motif légitime de refus de la demande
sollicitée par la mère ». Puis, l’application de ce principe en l’espèce a permis aux juges
de considérer que « les conséquences psychologiques qu’entrainerait de manière certaine
un processus d’expertise sur l’enfant constituent un motif légitime de ne pas répondre à la
demande et de ne pas ordonner cette expertise, puisqu’en vertu des intérêts supérieurs de
l’enfant lesquels priment la démonstration, ou non, d’une vérité biologique ».
907. Ainsi, la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant prime dans ce cas
sur la recherche de « la vérité biologique » et sur le lien de filiation puisque cet intérêt
réside dans la stabilité que connaît l’enfant dans sa vie actuelle, même si cette stabilité est
fondée sur la volonté de ce dernier. Toutefois, les juges ont souligné la possibilité que
l’enfant agisse comme il le souhaite une fois arrivé à sa majorité. Cette possibilité
accordée reflète tout d’abord la référence des juges à la différenciation entre l’intérêt
actuel et l’intérêt futur de l’enfant qui représentent des éléments de définition de la notion
de l’intérêt supérieur de l’enfant, puis la concrétisation du droit de l’enfant capable de
discernement, de faire part de sa volonté à travers sa parole et de concrétiser son intérêt à
travers cette dernière. Cette décision peut être qualifiée d’audacieuse dans la mesure où
elle « permet de recentrer le débat de la filiation sur le principal intéressé, c’est-à-dire
l’enfant lui-même, et puis elle affirme la primauté du principe sans conditionnement »785.
908. En outre, une autre affaire affirme également la prise en considération progressive
de l’intérêt supérieur de l’enfant en matière de filiation malgré les différentes affaires où
il est question de le prendre en compte. En effet, dans une affaire semblable la Cour de
cassation a considéré que la filiation établie pouvait être remise en cause.
784
TGI Lyon, 5 juillet 2007 ; D. 2007, p. 3052, note A. GOUTTENOIRE, RTD. civ. 2008, obs. J. Hauser, p. 93.
785
Adeline GOUTTENOIRE, Touche pas à ma filiation !, Recueil Dalloz, 2007, p. 3052.
375
En l’espèce, une mère mariée avait eu trois enfants desquels le mari était présumé père.
Après un divorce conflictuel, un tiers assigna le père et la mère en contestation de la
paternité du mari à l’égard du troisième enfant. Ainsi, il ya eu une demande d’expertise
génétique, cependant l’enfant a refusé de se soumettre à cette expertise. Le motif du refus
évoqué par l’enfant est d’abord sa connaissance de la réalité de sa filiation et que le mari
de sa mère n’était pas son père, puis pour des raisons de risque d’instabilité affective telle
que la séparation avec son frère en cas de l’établissement d’une nouvelle filiation.
Cependant, malgré les motifs avancés par l’enfant et la mère, les juges ont estimé que
l’intérêt supérieur de l’enfant consiste à « mettre fin à une situation d’insécurité
psychologique et juridique » en ayant recours à d’autres éléments tels que les déclarations
de la mère sur sa relation avec le requérant, les déclarations de l’enfant lui-même ou
encore des photos afin d’établir la paternité du requérant, puisque les juges ont considéré
qu’aucun motif légitime ne soutenait le refus de l’enfant de se soumettre à l’expertise.
De plus, les juges ont également fondé leur décision sur un élément concret qui est celui
d’un test génétique effectué hors procédure en Allemagne et qui affirme une probabilité
de paternité à un pourcentage de 99,9999% entre l’enfant et le requérant, une donnée qui,
bien qu’étant hors procédure, a néanmoins permis aux juges du fond et à la Cour de
cassation de déduire que le mari de la mère n’était pas le père de l’enfant.
909. Toutefois, il est à souligner qu’en cas d’absence du test biologique comme élément
participatif à la décision, il y a deux volontés qui s’opposent. D’abord celle du requérant
qui souhaite établir la filiation à l’égard de son enfant mais également celle de l’enfant
capable de discernement, qui exprime une volonté de garder sa filiation actuelle et qui
doit être prise en considération dans le cadre du respect de son droit à la participation et à
la parole. Une situation qui relève un débat profond relatif au rapport entre la volonté de
l’enfant et son intérêt supérieur autrement dit, à quel point la volonté de l’enfant peut
correspondre à son intérêt supérieur. C’est encore ici que le pouvoir du juge s’impose par
rapport à l’idée qu’il se fait de l’intérêt supérieur de l’enfant et à son interprétation en
dehors même de la règle de droit. Cette affaire démontre clairement un autre anglet de la
prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant mais affirme l’importance de ce
dernier et sa prise en considération comme référence en matière de filiation786.
910. Dans le même sens, une autre affaire témoigne également de cette prise en
considération de l’intérêt supérieur de l’enfant. En effet, dans un arrêt du 17 mars 2010 787,
il s’agissait d’une affaire relative à la conservation d’un enfant mineur de son nom de
filiation établie par une reconnaissance mais qui a été annulée par défaut de véracité.
Ainsi, dans cette affaire, la Cour de cassation a considéré que la prise en compte de
l’intérêt supérieur de l’enfant par « la cour d’appel qui n’a pas refusé de le faire
prévaloir sur toute autre considération, et qui a et souverainement estimé qu’en l’espèce
l’intérêt de l’enfant ne justifiait en aucun cas le maintien du nom de l’auteur dont la
reconnaissance de filiation a été annulée » et donc « la Cour de cassation vient affirmer
786
Cass. 1ère civ. 24 oct. 2012, n° 11-22-202, inédit, JCP G, 2013, p. 38, obs. Adeline. GOUTTENOIRE.
787
Cass. Civ. 1ère, 17 mars 2010, n° 8-14.619, D.2010.892, et 1442, obs. Frédérique GRANET-LAMBRECHTS ; AJ
famille 2010, p .239, obs. S. MILLEVILLE Document InterRevues.
376
explicitement que la supériorité et la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant doit être
une règle d’application dans les actions relatives à la filiation, en affirmant » 788.
911. Cette décision n’est pas unique puisqu’il y a d’autres décisions qui ont été rendues
dans ce sens, et qui ont reconnu la supériorité de l’intérêt supérieur de l’enfant sur tout
autre élément. C’est ainsi qu’une autre décision rendue par la Cour d’appel de Paris le 3
novembre 2011, en l’espèce le tribunal a permis la fixation de la résidence d’une enfant
chez un parent dont la filiation a été annulée. En effet, le tribunal a fondé sa décision sur
l’intérêt supérieur de l’enfant et de sa stabilité psychologique en considérant qu’il y a lieu
de fixer les modalités des relations entre l’enfant né en 2005 et le M. dont la filiation est
annulée, puisque ce dernier a participé à l’éducation de l’enfant depuis sa naissance tout
en prenant compte de la présence du deuxième parent, dans une organisation d’un droit
de visite et d’hébergement, étant observé que celui-ci a reconnu l’enfant le 12 septembre
2011 »789. Ainsi, la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant est
aujourd’hui avérée puisqu’elle représente un outil révélateur de la philosophie
contemporaine adoptée par le législateur en droit de la famille d’une manière générale, et
en matière de filiation en particulier, en étant un outil d’appréciation au service du juge
non pas dans un objectif classique de déterminer la filiation selon la règle de droit, mais
de désigner le lien qui va garantir le bien-être de l’enfant.
912. Dans ce sens il semble évident que la concrétisation de l’intérêt supérieur de l’enfant
devient de plus en plus le critère suprême sur toutes les questions relatives aux
fondements de filiation. Les juges s’y réfèrent et s’appuient sur cette notion qui à travers
son caractère « mou », permet une certaine flexibilité avantageuse en la matière qui
autorise au juge de varier son interprétation de cet intérêt selon les circonstances de
chaque espèce. Toutefois, et dans une autre vision, Mme DEKEUWER-DEFOSSEZ
estime que l’intérêt supérieur de l’enfant est plus utilisé dans son sens abstrait puisqu’il
n’existe pas une règle spécifique et précise vu que le recours à cet intérêt est de caractère
général, ce qui rend complexe de traiter les affaires au cas par cas790.
A notre sens, les deux visions sont possibles dans la mesure où l’une peut être
complémentaire de l’autre, autrement dit même si le recours à l’intérêt supérieur de
l’enfant peut apparaître d’ordre général, il est néanmoins un outil qui permet de régler des
conflits précis en matière de filiation et consiste principalement à viser la spécificité de
l’intérêt de l’enfant remis en question.
913. La concrétisation de l’intérêt supérieur de l’enfant en matière de filiation paraît
évidente de nos jours puisqu’elle représente un critère de règlement de conflits mais qui
se base sur la détermination de ce qui est bon pour l’enfant et de la garantie de son bien-
être. La jurisprudence et le droit français n’ont pas hésité à intégrer, adopter et généraliser
ce principe d’une façon à conserver ce lien intime qui est la filiation qui conserve des
788
Adeline GOUTTENOIRE et Philipe BONFILS, Droits des mineurs , Recueil Dalloz. Paris 2010 p. 1904.
789
Valérie GEORGET, Contestation de paternité, AJ Famille 2012 p. 21, cité par, Hanane EL QOTNI, Les droits de
l’enfant : Etude du droit français et du droit positif marocain à travers la source du droit musulman, thèse, Lyon, 2016,
p. 300.
790
Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, L’évolution des modes de filiation, in Les nouvelles formes de parentalité et
le droit, Rapport d’information n° 392 (2005-2006) de M. Jean-Jacques HYEST, fait au nom de la commission des lois,
déposé le 14 juin 2006. Disponible sur : https://www.senat.fr/rap/r05-392/r05-392_mono.html.
377
finalités autre que celles relatives à l’ordre matériel, telles que l’autorité parentale et les
droits qui en découlent ou la succession mais elle est l’élément principale de toute une
transmission symbolique qui se traduit par l’attribution d’un nom et d’un prénom , d’une
nationalité d’un patrimoine génétique et d’une identité. L’ensemble des mesures adoptées
par le législateur français ainsi que par l’évolution de la pratique judiciaire ont permis la
concrétisation de l’article 3 de la CIDE en matière de filiation sans pour autant créer de
divergences ou de contradictions à cette application, contrairement à sa prise en
considération dans d’autres systèmes juridiques tels que celui adopté par le Maroc qui a
opté pour une intégration partielle et partiale à l’intégration du principe en matière de
filiation.
914. Le droit d’avoir une filiation est fondamental pour le développement d’un enfant et
la garantie de son bien-être et constitue une des références principales de l’ensemble de
ses droits. C’est ainsi que tous les pays qui s’engagent dans la protection des droits de
l’enfant, se trouvent devant l’obligation de réformer leur droit relatif à la filiation.
Toutefois, réformer ne rime pas toujours avec faciliter en la matière, puisque la sensibilité
de la question remet en cause les réformes profondes qui peuvent être menées dans
certains pays, cette sensibilité évoquée est principalement relative à de nombreux
éléments dont le traditionalisme de l’institution familiale et le caractère religieux et
culturel de cette dernière. Ce caractère spécifique de la question de la filiation a permis
l’adoption de divers modèles parmi lesquels ceux qui ont opté pour des réformes
profondes méprisant le caractère traditionnel, et mettant en avance la prise en
considération de l’intérêt supérieur de l’enfant comme référence primordiale, ce qui est le
cas de la France.
915. Puis pour d’autres pays, comme le Maroc où le caractère composite du droit de la
famille entre traditionalisme et modernisme n’a pas permis de révolutionner le droit de la
filiation, ce dernier ayant conservé tout son caractère traditionnel basé sur les principes
du droit musulman. En effet, c’est dans ce sens que la prise en considération de l’intérêt
supérieur de l’enfant tel qu’il est reconnu dans les instruments internationaux peut être
remise en question dans le sens où son application se trouve confrontée à une conception
spécifique d’abord de la filiation puis de l’intérêt supérieur de l’enfant au sein de cette
filiation. De ce constat, nombreuses sont les problématiques qui en découlent. Il est
d’abord question de savoir si le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant peut s’adapter à
une conception différente de l’intérêt supérieur de l’enfant appelé « Almaslaha » en
matière de filiation.
378
Est-ce que la conception musulmane de cette dernière prend-elle en considération
l’intérêt supérieur de l’enfant ? Lui accorde-t-elle la priorité ? Comment le législateur
marocain s’est-il adapté à une double conception de la prise en considération de l’intérêt
supérieur de l’enfant ? Comment le code de la famille de 2004 approuve-t-il d’une part la
prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant et reconnaît la place des
instruments internationaux en droit de la famille, et d’autre part, il reste fidèle à la
conception traditionnelle et religieuse de la filiation ? Existe-t-il une réelle protection de
l’intérêt supérieur de l’enfant en limitant le droit de la filiation aux enfants nés en dehors
du mariage ?
791
Mariam MOUNJID, L’islam et la modernité dans le droit de la famille au Maghreb, op. cit., p. 115.
792
François PAUL-BLANC, Introduction à l’étude de droit musulman, op. cit., p. 402
793
Corinne FORTIER, Le droit musulman en pratique : genre, filiation et bioéthique, Droit et cultures, Revue
internationale interdisciplinaire, 59/2010
379
En islam, la filiation peut être définie par le fait de porter le nom de son père et de
pouvoir hériter de lui, d’où l’importance du mariage et de l’héritage en droit musulman.
918. Ainsi, c’est en se référant à ces principes que le droit marocain a réglementé la
question de la filiation depuis la codification du droit de la famille en 1958 passant par la
réforme de 1993 et enfin celle de 2004. En effet, l’ensemble des réformes n’a pas permis
une réelle transformation des règles adoptées depuis la codification, et donc le droit
marocain ne reconnait que la filiation légitime à travers laquelle le législateur a intégré un
ensemble de dispositions qui permettent l’encadrement des rapports juridiques entre
l’enfant et ses parents, et donc de lui permettre de jouir de ses droits fondamentaux dont
celui de la filiation.
919. Toutefois, malgré le cadre restrictif des règles référentielles du droit de la filiation en
droit musulman, le législateur marocain a essayé d’adopter de nouvelles dispositions
œuvrant à intégrer la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant et d’accorder
à ce dernier une place fondée sur les principes internationaux et de moderniser la place
qu’il occupe au sein de la famille tout en conservant l’exclusivité du cadre légitime.
Ainsi, c’est cette conservation du cadre légitime qui révèle clairement les disparités entre
la CIDE et ses principes fondamentaux notamment ceux relatifs à la question de la
filiation à travers la référence à l’article 2 794 qui engage les Etats à respecter le principe
de la non-discrimination entre les enfants par rapport à leur naissance et au statut
juridique de leur parents, et entre le code de la famille qui affirme d’abord son
attachement aux règles du droit musulman basées sur le mariage, puis l’adoption d’un
nombre de règles plus modernes permettant l’élargissement du champ de l’établissement
de la filiation.
920. Autrement dit, le code de la famille a subi un modelage dû à de nombreux éléments
qui relèvent tant de la prise en considération des transformations socioculturelles, des
revendications de la société civile, des principes religieux et enfin du respect des
engagements internationaux dont la CIDE ou encore la convention de la Haye de 1993
relative à la protection des enfants. C’est dans cette perspective qu’il semble logique
d’aborder dans un premier temps la filiation légitime et les modes de son établissement
dans le code de la famille, puis les modifications apportées par le législateur afin de
comprendre à quel point, le Code est une réussite en matière de la prise en considération
des principes de la CIDE en matière de filiation.
794
‘Les Etats parties s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente convention et à les garantir à
tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune (…) de l’enfant ou de ses parents ou représentants
légaux, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance
ou de toute autre situation’.
380
A- La filiation, la conservation d’un mode classique.
921. Alors que les instruments internationaux adoptent une conception très large quant
aux modes de preuve admis afin d’établir une filiation paternelle dans l’objectif de
concrétiser les droits de l’enfant, d’établir sa filiation et d’avoir une identité, le législateur
marocain quant à lui les a limités aux règles classiques du droit musulman avec quelques
modifications. En effet, différemment à l’article 83 de l’ancien code de la famille qui
définissait la filiation légitime comme étant le lien par lequel l’enfant accède à la parenté
de son père et suit la religion de ce dernier, la réforme de 2004 a établit quant à elle une
nouvelle définition à travers l’article 142 qui définit la filiation par ‘le lien qui se réalise
par la procréation de l’enfant par ses parents. Elle est légitime ou illégitime’, la
particularité et l’originalité de cette nouvelle définition étant d’abord le rattachement de
l’enfant à ses deux parents sans aucune distinction entre le père et la mère, contrairement
à l’ancien texte qui accorde l’exclusivité de cette filiation au père. Puis dans un second
temps, l’évocation des deux types de filiation à savoir la légitime et l’illégitime ;
concernant cette dernière la réglementation reste fidèle à l’ancien texte et reprend dans
l’article 148 la même disposition que celle de l’article 142 de l’ancien texte en précisant
que « la filiation illégitime ne produit aucun des effets de la filiation parentale légitime
vis-à-vis du père ». La filiation ne peut donc produire des effets de protection des droits
de l’enfant que lorsqu’elle est légitime, et cette légitimité est limitée dans l’article 152 à
trois moyens à savoir la cohabitation conjugale c’est-à-dire le mariage, la reconnaissance
du père ou encore le témoignage.
922. Selon l’article 143 du Code de la famille : « La filiation est légitime à l’égard du
père et de la mère jusqu’à preuve contraire », cet article considère que tout enfant né dans
le cadre du mariage est légitimement rattaché à la mère et au père jusqu’à preuve du
contraire, et donc la règle établie que tout embryon doit être considéré comme conçu
légitimement en appliquant le principe de préemption de paternité et que toute personne
qui prétende le nier devrait produire la preuve. Cette règle tient son origine explicitement
du droit musulman qui considère que l’enfant né d’une femme mariée a pour père son
mari en vertu du précepte de ‘l’enfant appartient au lit’ (Al waladou lil firach). Cette
simple présomption permet d’attribuer le caractère légitime à l’enfant né pendant le
mariage, et lui permet de bénéficier du cadre protecteur de la loi, même si la vérité
biologique pourrait être contraire à cette réalité. Toutefois, la légitimité de ‘ al-waladou
lil firach’ est également réglementée et établie par les mêmes moyens que le mariage et
elle est soit valable ou viciée. Ainsi, pour que la légitimité de l’enfant soit déclarée, il est
appelé à respecter un nombre de conditions même lorsqu’il y a eu établissement du
mariage. En effet, il existe trois conditions principales à remplir.
381
Premièrement que le mariage soit établi et qu’il y ait le respect du délai de grossesse. La
deuxième condition est celle relative à la possibilité de rapports sexuels entre les époux à
même d’être à l’origine de la grossesse. Et enfin la possibilité d’établissement de filiation
après la dissolution du mariage mais lorsque sa conception a pu être située pendant le
mariage795.
923. Concernant la première condition, elle est relative au délai fixé par le législateur et
qui se réfère explicitement de la règle religieuse qui traite le délai minimum pendant
lequel l’enfant doit naître afin qu’il soit rattaché au mari. Ce délai minimal de la
grossesse qui est fixé à six mois à compter de la conclusion de l’acte du mariage, est
unanimement fixé par les jurisconsultes des différentes écoles doctrinales796.
Ainsi, dès que le mariage est conclu, la filiation est systématiquement établie à l’égard de
la mère et de son époux, une présomption de paternité qui vise à protéger l’intérêt de
l’enfant dans l’objectif de lui garantir une filiation et une stabilité familiale. C’est ce que
rappelle une décision rendue le 1 er Avril 2009 par la Cour suprême qui a déclaré que
l’application de l’article 153 du Code de la famille accorde au conjoint la possibilité de
contester la filiation de l’enfant né lors du mariage par le biais d’une expertise. Toutefois,
le tribunal a considéré qu’il ne peut faire du résultat de l’expertise un droit que lorsqu’il y
a des preuves suffisantes, ce qui n’est pas le cas puisque l’enfant est né pendant le délai
légitime fixé par le code et référencié dans le droit musulman. Ainsi, la haute juridiction
affirme la supériorité de la règle classique basée sur la présomption de paternité sur le
recours à l’expertise, une décision justifiée par la prise en considération de la situation de
l’enfant et de sa stabilité relative à l’établissement de cette filiation afin d’éviter à l’enfant
de se retrouver sans filiation797.
924. Dans le même sens, le Code de la famille met en place cette exigence du respect des
six mois afin d’affirmer la règle imposée par la référence du droit musulman et qui vise à
garantir que l’enfant né durant cette période n’est pas un enfant procréé d’une relation
antérieure à celle établie par le mariage et ainsi garantir et instaurer une présomption sans
doute798.
925. Dans ce sens, la jurisprudence a également affirmé l’adoption de cette règle, dans
une affaire relative à l’établissement de filiation d’un enfant né seulement après trois
mois suivant la conclusion de l’acte de mariage. Dans cette décision du 25 mars 2009, la
cour refuse l’établissement de cette filiation en se basant sur la règle principale du délai
de grossesse qui se limite à un minimum de six mois, ainsi l’application de cette
condition ne figurait pas dans cette situation et jugeant le délai de quatre mois
795
Rajaâ NAJI EL MEKKAOUI, La moudawana, le référentiel et le conventionnel en harmonie t. I ; ED. Bouregreg,
Rabat, 3ème éd. 2009 p. 241.
796
Sur ce point l’école Malékite exige que pour que le rattachement de l’enfant au mari soit légitime, il faut que ce
dernier soit capable de procréer, ce qui représente une condition difficile à prouver que le législateur marocain n’a pas
adopté.
797
Cr. Sup. le 1er avril 2009, Arrêts de la cour suprême, Chambre du statut personnel et successoral, n° 25.
798
Cette règles est adoptée voire même renforcée par le législateur marocain à travers l’article 154 qui dispose que :
« la filiation paternelle de l’enfant est établie par les rapports conjugaux (Al firach) : si cet enfant est né au moins dans
les six mois qui suivent la date de conclusion du mariage et à condition que la possibilité de rapports conjugaux entre
les époux soit plausible, que l’acte du mariage soit valide… ».
382
d’insuffisant pour l’établissement de cette filiation et affirme qu’au-delà de la règle, la
naissance de l’enfant à partir du délai établi de six mois ne puisse qu’affirmer l’existence
des rapports conjugaux que le législateur a mis en place comme étant une preuve
irréfutable de cet établissement.
926. De plus, la même juridiction va encore plus loin en considérant que même le
consentement au mariage peut être considéré comme un élément de preuve permettant
l’établissement de la filiation à condition qu’il y ait le respect du délai des six mois.
Ainsi, dans une affaire visant l’établissement de paternité, la mère s’est basée sur une
preuve écrite du consentement du mari au mariage, une preuve sur laquelle la cour a
fondé son jugement en considérant que la filiation s’établie à l’égard du père au regard du
consentement mutuel exprimé par les deux parties « même si l’enfant a été conçu six
mois avant la conclusion de l’acte du mariage sans que le tribunal ne soit tenu d’ordonner
une expertise »799.
En se basant sur le texte adopté par le législateur et les décisions rendues, la condition du
respect du délai de grossesse comme étant une règle fondamentale de la légitimité de
filiation en droit musulman semble être reprise explicitement par le législateur marocain,
qui considère que si l’enfant est né dans les six mois suivant la conclusion du mariage, il
est systématiquement rattaché au père. Si ces deux conditions ne sont pas respectées, la
légitimité de l’enfant peut être contestée, puis par les juridictions qui malgré qu’elles
soient dans une perspective d’évolution, priorise la règle fixe établie malgré la possibilité
d’accorder le recours à l’expertise.
799
Cr. Sup. le 15 avril 2009, A. CHOUKRI, op. cit., n° IDGL, p. 43.
800
TPI Marrakech, 6 mai 2004, n° 1307, dossier n° 04/8/192, cité par, Dyaa SFENDLA, thèse, op. cit., p. 428.
383
considérant que la filiation ne peut être établie faute d’existence de rapports sexuels entre
les époux.
En effet, l’absence des rapports sexuels entre les époux suite à l’abandon de la femme du
domicile conjugal depuis 1998 et la naissance de l’enfant le 20 mai 2003, le juge a
considéré qu’au sens de l’application de l’article 154 qui fait des rapports conjugaux une
condition en disposant « si cet enfant est né au moins dans les six mois qui suivent la date
de conclusion du mariage et à condition que la possibilité de rapport conjugaux entre les
époux soit plausibles, que l’acte de mariage soit valide ou vicié (…) ». Ainsi, suite à cette
décision le tribunal affirme que l’interprétation de cette disposition consiste à souligner
que le législateur entend principalement par les rapports conjugaux la possibilité d’établir
des rapports sexuels entre les époux.
929. La troisième et dernière condition que le législateur marocain a adoptée est celle
relative à l’établissement de la filiation de l’enfant né après la dissolution du mariage. En
effet, pour cette situation le texte adopte également la condition du respect du délai
maximum de la naissance d’un enfant après la dissolution du mariage dans l’article 154
al. 2 qui dispose que « la filiation paternelle de l’enfant est établie par les rapports
conjugaux …si l’enfant est né durant l’année qui suit la date de séparation », se basant sur
cette disposition le texte réaffirme encore la condition du délai et accorde une certaine
liberté d’interprétation et de choix au juge entre un jugement basé uniquement sur ce
délai ou bien la possibilité du recours à l’expertise.
Dans ce sens, nombreuses sont les décisions rendues qui priorisent la condition du délai
notamment dans une décision rendue le 17 juin 2009801 où la cour suprême a refusé la
demande d’un homme qui souhaitait désavouer sa paternité à l’égard de son enfant qu’il a
eu avec son ex-épouse et dont la naissance a eu lieu six mois après que le divorce soit
prononcé, la demande du père étant basée sur sa volonté d’entamer une expertise.
Cependant, la cour a rejeté sa demande puisqu’elle a considéré d’abord qu’au sens de
l’article 154, la naissance de l’enfant respecte bien le délai établi par la loi qui est fixé à
un an et permet systématiquement la présomption de paternité, puis l’absence de preuves
justifiant sa demande, et donc la cour juge que l’établissement de la filiation ne peut être
remis en question.
930. La réglementation adoptée par le droit marocain permet d’établir un constat mitigé
entre la volonté de protéger le droit de l’enfant à une filiation et celui de protéger
l’institution du mariage. Ces deux conceptions défendues d’abord par le droit musulman
puis reprises par le droit marocain, peuvent s’opposer puisqu’il est vrai que le législateur
adopte ces procédés en ayant à l’esprit la protection de la filiation ; mais le fait d’encadrer
et de limiter cette possibilité par l’existence du mariage des parents remet en question la
protection de l’intérêt de l’enfant d’établir une filiation, puisqu’il y a un nombre d’enfants
qui se retrouvent privés de l’établissement de leur filiation et des droits suivant ces deux
règles qui s’entrecroisent.
801
Cr. sup. le 17 juin 2009, A. CHOUKRI, Les principaux arrêts de la cour suprême en application du livre III du code
de la famille, n° IDGL, p. 83.
384
De plus, un autre élément reflète également la restriction et la supériorité du modèle
familial légitime et de la branche paternelle sur l’intérêt de l’enfant à avoir une filiation,
cette dernière qui peut être établie par le seul aveu du père qui se conditionne par son
propre bon gré.
931. En effet, cette règle qui tire son origine du droit musulman est un moyen qui permet
à un homme de reconnaître pour sien un enfant dont la filiation est inconnue (Iqrar). Le
législateur marocain a adopté cette règle dans de nombreuses dispositions, en précisant
dans l’article 152 que ‘la filiation paternelle découle de l’aveu de paternité’, dans l’art
161 qui dispose que seul le père peut établir la filiation d’un enfant par aveu de paternité
à l’exclusion de toute autre personne’ ou encore à travers l’article 160 qui affirme
l’originalité du texte en précisant que l’aveu de paternité peut être fait lors de la dernière
maladie qui représente un moment de vérité et de remords, cette particularité est toutefois
conditionnée par le fait que le père doit jouir de ses facultés mentales ; que la filiation
paternelle de l’enfant reconnu ne soit pas établie ou reconnue par quelqu’un d’autre.
Malgré que l’idée fondatrice de ces dispositions soit celle de garantir à l’enfant le droit à
une filiation, il est toutefois primordial de rappeler que cette reconnaissance ne peut être
établie lorsqu’il s’agit d’un enfant né en dehors du cadre légal.
932. Ainsi, cette situation peut donner lieu à deux lectures, d’abord une première qui
considère que cette règle peut dissimuler une adoption notamment M. DE
BELLEFONDS qui la considère comme une adoption déguisée en précisant « qu’un
enfant naturel, au sens que l’on donne à cette expression dans la législation occidentale,
peut très bien faire l’objet d’une reconnaissance en droit musulman »802, puis il y’a une
deuxième lecture telle que celle adoptée par Mme PRUVOST qui considère « qu’en dépit
de ses sources religieuses austères ou en raison de l’idée de miséricorde divine dont la
révélation coranique se fait des héraut privilégié, le droit musulman cherche à sauver la
légitimité de l’enfant conçu hors mariage, il le fait en permettant au mari de reconnaitre
l’enfant ». Cependant, malgré le fait que cette seconde lecture puisse être adoptée dans la
mesure d’une adoption des droits de l’enfant et de la protection de son intérêt à
l’établissement d’une filiation, le législateur marocain a fait le choix de paralyser cette
possibilité et a veillé dans toutes les dispositions qui concernent ce moyen de
reconnaissance à ce que cette dernière ne soit pas de nature à accorder ce droit à l’enfant
né d’une rapport établi illégitimement.
933. Dans ce sens, le législateur marocain est resté fidèle à la conception traditionnelle de
ce moyen de reconnaissance qui pourrait faire l’objet d’un effort de réflexion ‘l’Ijtihad’
afin de répondre au droit fondamental de l’enfant d’établir sa filiation et ainsi réserver un
accueil plus favorable aux pères voulant reconnaître leurs enfants que ces derniers soient
nés d’une relation légitime ou illégitime. De plus, la loi pouvait faire de l’exigence de
protection de l’intérêt de l’enfant la priorité en adoptant une lecture plus souple de ce
moyen puisque même le droit musulman n’évoque pas la condition de la légitimité de la
relation établie entre les parents.
802
Linant DE BELLEFONDS, Le droit musulman comparé T. 3, n° 1160, p. 53 et s.
385
Ainsi, Mme MOUNJID le souligne en précisant que : « cette condition qui n’est citée
expressément ni par le code de la famille ni par le droit musulman est simplement sous-
entendue et déductible des conditions de l’aveu. Il va sans dire qu’elle est fortement
paradoxale et énigmatique voire dissimulant une certaine hypocrisie »803. De plus, cette
interprétation rigoriste de cette règle est explicitement adoptée par la justice, notamment
dans une décision rendue par la Cour suprême le 10 Mai 2006 804, qui déclare
l’impossibilité de reconnaître la filiation d’un enfant né d’un rapport sexuel illégitime
malgré la reconnaissance (Iqrar) du géniteur, en considérant la relation entre les parents
de l’enfant de fornication, et donc la Cour a jugé que la filiation de l’enfant ne s’établit
que dans le cadre légal du mariage en employant les termes suivants : « la filiation
s’établit dans le cadre légal et lorsque l’enfant appartient au lit conjugal ou dans les
conditions établies par la loi, et ne s’établit pas par la fornication ce qui aboutit au refus
de la demande d’établissement de la filiation de l’enfant ».
934. Le conservatisme adopté par le législateur marocain qui permet de constater la
priorité de ce dernier de protéger le cadre légal du mariage et d’une limitation de la
protection de l’intérêt de l’enfant s’expose également par le maintien renforcé des
moyens traditionnels tels que la preuve du témoignage. En effet, la preuve par témoins est
un des modes d’établissement de la filiation en droit musulman, elle est ainsi reprise en
droit marocain d’abord dans le Code de la procédure civile à travers les articles (74 à 84),
puis dans l’ancienne Moudawana dans son article 89 805. Cette disposition dont la
référence explicite est abandonnée est pourtant adoptée d’une manière laconique à travers
le pouvoir d’appréciation du juge qui sauvegarde sa référence principale des prescriptions
du rite Malékite accordée par l’article 400. Ce moyen qui semble être dépassé par la
société actuelle est pourtant adoptée par les juges et aboutit à une adoption de deux
orientations opposées. D’abord il y a celle qui considère que l’action d’établissement de
la filiation ne peut pas être entamée séparément de celle visant la reconnaissance du
mariage, et dans ce sens une décision rendue par la Cour de cassation le 22 novembre
2006, a fait de ce mode de preuve un moyen de filiation puisqu’elle a permis
l’établissement de la filiation d’un enfant en se basant sur la commune renommée et sur
la connaissance du rattachement de l’enfant à son père et de la possibilité d’une
vraisemblance du mariage. D’un autre côté on retrouve celle qui considère que l’action en
établissement de filiation par aveu peut être une action indépendante de celle visant
l’établissement du mariage, dont une décision a été rendue par la Cour suprême le 8 juin
2005806, qui a jugé que la filiation s’établie par l’aveu sans qu’il y ait la nécessité d’établir
le mariage à condition que « le père ne précise pas que l’enfant est le fruit d’une
fornication », cette condition profite directement de l’imprécision du droit musulman à
l’égard de ce mode de preuve.
803
Meriem MOUNJID, op. cit., p. 133.
804
Cr. Sup., le 10 mai 2006, dossier n° 289/2/1/2006.
805
Art 89 de l’ancienne Moudawana disposait que parmi : « les modes de preuve admis pour l’établissement de la
filiation…le témoignage de deux adouls ou de commune renommée établissant que l’enfant est bien le fils du mari et
qu’il est né des rapports conjugaux des époux ».
806
Cour suprême, 8 juin 2005, dossier n° 713/2/1/2003, et n° 439 du 28 sept 2005, cité par Dyaa SFENDLA, thèse,
Toulon, p. 430.
386
935. Ce traditionalisme qui marque la question de la filiation et qui l’emprisonne par la
légitimité de l’enfant entraîne de nombreuses contradictions avec les principes de la
CIDE ; d’abord à l’égard de la concrétisation de l’intérêt supérieur de l’enfant qui
consiste à accorder et à garantir à l’enfant un droit de la filiation ensuite à l’égard du
principe de la non-discrimination qui subit une atteinte manifeste entre l’enfant légitime
né dans le cadre du mariage et celui illégitime né en dehors de cette institution malgré les
efforts fournis par le législateur pour atténuer ces disparités à travers l’élargissement du
champ de la reconnaissance pour la période des fiançailles qui précède le mariage,
jugeant cette période comme étant une preuve de légitimité de la relation entre les deux
parents permettant donc la possibilité du recours aux moyens de preuves ce qui rend la
question des moyens de preuves assez spécifique en droit marocain.
387
et la reconnaissance de l’enfant par les deux fiancés. De plus, le législateur ajoute la
condition ‘d’une force majeure’ qui a empêché la conclusion de l’acte. Bien que ces
conditions établies reflètent le passage d’une simple période à durée déterminée qui
n’ouvrait aucun droit à l’enfant à une période qui reconnaît la possibilité d’accorder à
l’enfant des droits. Toutefois, elle représente une importante évidence des conditions
constituant un contrat de mariage, ce qui prive à cette mesure de sa pertinence à l’égard
de la prise en compte de l’intérêt de l’enfant.
939. C’est ce qu’a rappelé la cour suprême dans un arrêt qui date du 3 décembre 2008 807 ;
dans cette affaire relative à une grossesse intervenue lors des fiançailles, le fiancé a
désavoué qu’il soit le père de l’enfant alors que la mère affirmait que l’enfant est celui de
son fiancé et qu’elle est tombée enceinte durant la période des fiançailles. La cour a
rappelé les dispositions de l’article 156 du Code marocain de la famille en imposant le
recours à tous les moyens de preuves légitimes cités par le texte et que la responsabilité
du fiancé à l’égard de cette grossesse ne peut être établie qu’à condition que toutes les
conditions établies par l’article 156 soient réunies et sans exception en précisant la preuve
que : la grossesse soit intervenue durant les fiançailles, que les fiançailles soient connues
des deux familles, qu’il y a eu consentement, que la grossesse soit reconnue des deux
fiancés et enfin que le tribunal garde la possibilité du recours à tous les moyens de
preuves en cas de désaveux de paternité. Ainsi, si l’ensemble des conditions sont réunies,
la filiation à l’égard du fiancé est établie même en absence d’acte du mariage, alors que la
difficulté qui peut être avancée est de la réunion des preuves ; d’un autre côté, dans cette
décision le recours à la preuve génétique ne représente pas la priorité malgré qu’elle soit
l’élément principal qui peut garantir l’intérêt de l’enfant à avoir une filiation.
940. Dans une autre décision du 17 mai 2016, la Cour suprême a rappelé que la grossesse
intervenue durant la période des fiançailles ne peut pas être attribuée au fiancé s’il y a
absence d’une des conditions établies par la loi à travers l’article 156 dont la preuve
génétique. Dans l’affaire, un fiancé désavoue qu’il soit le père de l’enfant de sa fiancée
qui affirme que sa grossesse soit survenue durant la période des fiançailles et demande
une expertise. Le fiancé nie même l’existence de fiançailles et évoque une simple
rencontre entre les familles et refuse de subir l’expertise en affirmant n’avoir jamais reçu
la demande d’expertise et que certains témoins affirment que la rencontre des familles ne
constituaient pas des fiançailles. Dans ce sens la Cour rappelle et réaffirme qu’en se
basant sur les conditions établies par le législateur, la demande de la fiancée ne peut
aboutir à un établissement de filiation puisqu’il y a absence de l’une des conditions
fondamentale de cet établissement et qui est celle de la preuve des fiançailles et que la
divergence des avis des témoins sur leur existence ainsi que l’absence de l’expertise
fortifient les déclarations du fiancé et donc la cour juge la demande de la fiancée
d’infondée et donc que l’enfant ne peut pas être imputable au défendeur808.
807
Cr. Sup. 18 mars 2009, A. CHOUKRI, op. cit., n° IDGL, p. 89.
808
Cr., sup. 17 mai 2016, dossier n° 18/2/1/2016, décision n° 425.
388
941. L’innovation du législateur en matière de fiançailles qui a pour fondement la prise
en compte de l’intérêt de l’enfant à travers l’affirmation d’une possibilité de
reconnaissance de ce dernier en dehors du mariage reflète la volonté du législateur à faire
une avancée dans l’intégration de la CIDE dans une société où l’enfant né hors mariage
fait encore l’objet de toutes les stigmatisation et les discriminations. Il a ainsi prouvé une
démarche humaniste à l’égard de l’enfant. Toutefois, le conditionnement de cette
possibilité dans l’article 156 et son application stricte par les juridictions renvoient à une
limite avérée à travers laquelle le législateur affirme ne pas vouloir ouvrir aucune brèche
d’espoir ou une volonté manifeste à l’égard de toute tentative visant à reconnaître l’enfant
né de relations illégitimes. Ainsi, il devient question de savoir si cet élargissement du
champ de reconnaissance de filiation répond dans le fond à l’intérêt de l’enfant, et s’il n’y
est pas urgence de modifier le texte et d’intégrer explicitement le principe de l’intérêt
supérieur de l’enfant afin de permettre l’assouplissement de l’application des règles par
les juges et de leur accorder une liberté d’interprétation qui peut permettre une meilleure
prise en compte de cet intérêt.
942. Dans le même sens, d’autres dispositions du texte visent l’intérêt de l’enfant mais
jugées de très timides, ainsi, une des règles adoptées par le législateur marocain s’agit de
la filiation en cas de force majeure. En effet, cette règle permet de garantir à l’enfant le
droit d’accès à la paternité lorsque l’acte de mariage n’a pas été établi pour des raisons de
force majeure et donc le mariage qui n’a pas été authentifié. Toutefois, malgré que cette
mesure soit présentée comme une avancée qui vise les droits de l’enfant, elle est
néanmoins un reflet évident de la protection du cadre légal du mariage, puisque le
législateur a fixé un délai de cinq ans et reconduite jusqu’à 2014809 puis reconduite
jusqu’à 2019810 pour authentifier les mariages en visant ‘Mariage Al-Fatiha’, autrement
dit les mariages religieux. Cette disposition est adoptée principalement pour des raisons
sociales qui ne permettent pas l’établissement de l’acte du mariage notamment dans les
zones rurales. Cette règle adoptée par l’article 16 du Code qui dispose que « si, pour des
raisons de force majeure, l’acte n’a pas pu être enregistré en son compte, le tribunal
s’appuie, dans la reconnaissance du mariage, sur tous les moyens de preuve légale et
l’expertise ; le tribunal prend en considération, lors de l’instruction, l’existence d’enfants
ou de grossesse due à la relation conjugale, et si l’action a été engagée du vivant des
809
Il est à noter que la proposition de loi permettant la modification de l’article 16 a été présentée à la chambre des
conseillers, afin de prolonger la période transitoire permettant l’authentification des mariages d’une durée de cinq ans et
elle a été rejetée dans un premier temps puisqu’elle constituait également une demande d’abrogation des alinéas 2 qui
dispose que « si des raisons impérieuses ont empêché l’établissement du document de l’acte de mariage en temps
opportun, le tribunal admet lors d’une reconnaissance de mariage tous les moyens de preuve ainsi que l’expertise » puis
l’alinéa 3 « le tribunal prend en considération, lorsqu’il connaît d’une action en reconnaissance de mariage, l’existence
d’enfants ou de grossesse issus de la relation conjugale et si l’action a été introduite du vivant des époux ». Cette
demande est fondée sur le fait que ces deux alinéas sont instrumentalisés dans l’objectif d’un contournement des
législations qui encadrent la polygamie et le mariage des mineurs, dans la mesure où un homme peut se marier avec une
deuxième femme et ou une mineure, et attend que son épouse accouche afin d’évoquer ‘des raisons impérieuses. De
plus, les défenseurs de cette modification notamment ‘le collectif des associations œuvrant pour les droits des femmes
et de l’enfant’ évoquent également la question des droits de l’enfant et la privation de ce dernier de son droit à la
filiation.
810
Il importe de souligner que depuis le 5 février 2019, aucun renouvellement ou de prolongation de la période
accordée pour régulariser les mariages coutumiers. Ainsi, le phénomène de ces mariages persiste encore dans
l’ensemble de la société mais encore plus dans les zones rurales et dont les chiffres officiels font état de plus de
185.000 demandes entre 2004 et 2013 ; une situation de laquelle la femme et l’enfant sont victimes, puisqu’à l’heure
actuelle les juridictions familiales rejettent toutes les demandes.
389
deux époux. Cela implique qu’un traitement spécifique doit être réservé aux situations
délicates : celles des unions non authentifiées ayant donné naissance à des enfants ».
Toutefois, il est à souligner que même lorsqu’il s’agit de l’application de cette disposition
et de l’établissement de la filiation à l’égard de l’enfant, cette reconnaissance ne peut
être établie que par le père qui doit entamer une procédure soit judiciaire soit adoulaire et
donc le sort de l’enfant demeure conditionné par la volonté du père et prive la mère de
l’enfant, d’agir et de demander une action de reconnaissance de paternité; autrement dit,
la loi n’oblige pas le père de reconnaître l’enfant.
943. C’est ce qu’a rappelé la Cour suprême dans un arrêt du 09 février 2016 811 dans une
affaire d’action de reconnaissance de mariage dans l’objectif d’établir une filiation. En
l’espèce, une femme affirmait être mariée sans acte de mariage avec un homme pendant
dix-huit-ans et qu’elle prétendait être le père de son fils de onze ans que l’homme refusait
de reconnaître. Dans sa demande, elle avance l’argument d’une raison de force majeure
qui n’a pas permis l’établissement de la filiation, toutefois elle apporte quelques preuves
telles que les témoins. Ces derniers ont confirmé leur connaissance du couple, de leur
habitation, de leur enfant sans pour autant être témoins des fiançailles, d’un mariage de
Fatiha ‘religieux’ ou d’une cérémonie. La Cour a donc pris en compte la disposition de
l’article 16 en rejetant la demande de la mère d’une reconnaissance de mariage puis d’un
établissement de filiation.
945. Analysant les éléments précédents, il semble évident que le législateur marocain a
souhaité diversifier les moyens de reconnaissance de paternité afin de permettre la
concrétisation la plus large de la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant
en la matière. Toutefois, les limites avérées semblent être plus fermes dans la mesure où
ils ne permettent aucun établissement de filiation indépendamment de la volonté
811
Cr., sup., 09 février 2016, dossier n° 446/2/1/2015, décision n°134.
390
exclusive du père ou d’une rare prise en compte des délais prescrits dans le texte, ce qui
rend la réforme de 2004 en la matière assez classique et traditionnelle, Ainsi la
jurisprudence reprend et suit cette orientation. Cependant, pour répondre au besoin de
modernisation et au progrès social et scientifique qui touche directement la matière de
filiation, le législateur n’a pas hésité à prévoir l’expertise médicale comme moyen de
preuve, sauf que ce moyen moderne, logique et précis se trouve affronté à la conception
générale du cadre légal ce qui limite sa concrétisation.
946. De nos jours, il est devenu difficile d’évoquer une réelle prise en considération du
principe de l’intérêt supérieur de l’enfant sans la concrétisation de l’ensemble de ses
droits fondamentaux. En effet, comme nous l’avons développé précédemment, la
protection de l’intérêt supérieur de l’enfant est une tâche passible d’interprétation selon le
système juridique adopté dans chaque pays. Sa concrétisation peut répondre à l’esprit de
la CIDE comme elle peut être influencée, voire imprégnée d’autres éléments qui
affaiblissent sa conception dans la société contemporaine. Ainsi, c’est dans ce sens que le
texte international a taché de mettre un encadrement qui permette d’englober les
principes et les droits qui peuvent répondre à l’intérêt supérieur de l’enfant que ce soit
d’une manière directe ou indirecte.
947. Par ailleurs, dans la majorité des pays où l’adoption de cette convention est jugée de
partielle à cause des réserves émises par ces pays ou à une interprétation de certains
principes suite à l’influence de la culture ou de la religion, la concrétisation du principe
de l’intérêt supérieur de l’enfant et de son intégration dans le droit interne semble être
difficile à réaliser, dans la mesure où sa réalisation est liée d’une manière directe à la
capacité de ces pays d’abord à lever les réserves à l’égard des textes internationaux mais
également à réformer des textes qualifiés d’hybrides et de modifier des questions
profondes qui peuvent bouleverser le fondement d’une législation. Pour le droit marocain,
la question d’une prise en considération de l’intérêt de l’enfant en matière de filiation
semble être assez complexe puisqu’elle doit intégrer la modification de nombreuses
notions de droit musulman qui sont adoptées par ce système juridique dont la difficulté se
manifeste dans la force que détiennent ces notions au sein du Code de la famille.
948. Toutefois, si le Maroc qualifie l’évolution des droits de l’enfant et de la prise en
considération de l’intérêt de l’enfant dans l’ensemble de sa législation de considérable, il
importe de s’interroger sur les limites de cette prise en considération et d’intégration de
l’intérêt supérieur de l’enfant en matière de filiation. Est-il légitime d’évoquer une réelle
prise en considération de cet intérêt malgré l’absence d’une reconnaissance juridique de
la filiation paternelle illégitime malgré son existence au sein de la société ? Est-il
possible d’évoquer l’intégration de l’intérêt supérieur de l’enfant dans un système qui ne
reconnaît pas de droit de filiation à l’enfant né hors mariage malgré l’évolution de la
science qui permet d’apporter la preuve du lien biologique ? N’est-il pas plus adéquat de
remettre en question un système qui ne permet pas de garantir l’égalité des droits entre un
enfant né hors le cadre du mariage et un enfant né dans le cadre d’une relation légale ?
391
Est-il possible d’évoquer l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’absence d’égalité des droits
de filiation, d’entretien et de succession ? N’est-il pas plus judicieux d’établir un arsenal
juridique plus moderne qui réponde à l’évolution sociale du pays et qui permette
l’intégration et la concrétisation de l’intérêt supérieur de l’enfant ?
Est-il possible d’intégrer l’intérêt spécifique de l’enfant dans un système qui considère de
supérieur et de prioritaire la protection de l’intérêt général basé sur le dogme religieux ?
Les réponses de ces questions se trouvent confrontées à la fidélité et l’adoption complète
du modèle de la filiation traditionnelle musulmane qui se heurte à la conception de
l’intérêt de l’enfant.
La lecture de cet article permet d’indiquer d’abord que la place de chaque enfant est au
sein de sa famille, c’est-à-dire que chaque enfant doit avoir droit à une filiation établie
qui lui garantisse tous ses droits et que l’Etat doive œuvrer d’abord pour que l’enfant soit
reconnu, élevé au sein de sa famille biologique (ou adoptive) ou à lui garantir une
protection à travers un autre mode de protection familiale conformément aux directives
de l’ONU de 2009 relatives à la protection de remplacement pour les enfants812.
812
A/RES/64/142.
392
Cependant, pour réaliser ces objectifs, il est avant tout question de reconnaître à tout
enfant le droit d’établir sa filiation sans aucune discrimination qu’elle soit basée sur des
principes sociaux ou religieux.
950. En effet, dans des systèmes juridiques imprégnés de traditionalisme tel que le droit
de la famille marocain, le statut de l’enfant en matière de filiation dépend toujours de la
nature du cadre de la relation des parents, si elle ressort du cadre légal ce qui permet de
garantir à l’enfant tous ses droits ou si elle ressort du cadre illégal où aucune
reconnaissance n’est permise. Ce principe de base qui établit la différence entre la
filiation légale et celle illégale influence profondément l’adoption des lois plus évolutives
et empêche également l’application d’un nombre de dispositions des textes internationaux
notamment celles de la CIDE que le MAROC a ratifié en 1993.
951. Par ailleurs, le choix du Maroc en la matière met en place de nombreuses
contradictions qui se manifestent à travers la ratification d’un texte dont l’intérêt de
l’enfant et la non-discrimination sont des principes fondamentaux et de sauvegarder un
droit interne qui mette en évidence un principe traditionnel représentant une injustice
sociale et une atteinte psychologique et matérielle à l’égard de tout enfant né hors
mariage. Toutefois, nombreux sont les juristes conservateurs marocains qui affirment que
la protection de l’intérêt de l’enfant est garantie à travers la conservation et la protection
du cadre légal de la filiation, puisqu’ils considèrent que la question de la filiation n’est
pas et ne pourra jamais être une affaire purement personnelle et privée qui dépend de la
protection de l’intérêt d’un seul individu ou de la petite famille mais qu’elle dépend de
l’ensemble de la société et de l’esprit communautaire adopté par la majorité de la
population et dont le cadre légal est le fondement principal. De ceci ressort une question
fondamentale qui consiste à savoir s’il est possible pour le législateur marocain d’évoluer
dans sa perception de l’intérêt de l’enfant jusqu’à remettre en question le fondement
religieux de la filiation traditionnelle qui peut être passible d’interprétation (A)
notamment suite aux conséquences du refus de l’établissement de la filiation hors
mariage (B).
393
A- La filiation naturelle, La fragilité du fondement.
954. La réponse à cette question peut remettre en question la lecture classique de ces
versets, en effet il importe de souligner qu’il n’y a pas un verset explicite qui traite la
question de l’enfant naturel, toutes les conséquences qui s’appliquent sur ce dernier
faisant matière d’interprétation et de conclusions suite à l’interdiction des relations
sexuelles hors mariage, d’ailleurs ces mêmes versets n’indiquent en aucun cas qu’ils
doivent être liés à l’établissement de la filiation paternelle. De plus, nombreux sont les
avis sur la lecture de ces versets qui affirment que si l’interdiction des relations sexuelles
hors mariage ne permettait pas l’établissement de la filiation paternelle, elle ne doit pas
l’établir à l’égard de la mère, tandis que l’enfant naturel est systématiquement affilié à la
mère.
955. Suivant la logique d’interdiction des relations sexuelles hors mariage, l’homme
comme la femme doit subir la même punition et donc les conséquences qui en résultent
doivent être identiques pour le couple, et donc la filiation de l’enfant né de cette
‘fornication’ ne doit être établie ni à l’égard du père ni à l’égard de la mère.
813
Coran, Sourate 24 An-nur (La lumière), Verset, 32.
814
Coran, Sourate 17 Al-israa (le voyage nocturne), Verset 32.
815
Coran, Sourate 24 An-nur (La lumière), Verset, 2.
816
Jean Noël FERRIE, Gilles BOITSCH, Amina OUAFIK, Vécu juridique, norme et sens de la justice à propos de
l’avortement au Maroc, Droit et société, n°28-1994, p. 683.
394
Cependant, l’établissement de la filiation à l’égard de la mère permet de s’interroger sur
l’interprétation que peuvent avoir les conséquences de l’interdiction de la fornication, et
ainsi affirmer que le texte coranique ne peut pas représenter un fondement solide pour le
refus de l’établissement de la filiation paternelle de l’enfant né hors mariage 817.
956. De plus, cette lecture peut également être renforcée par l’absence de la référence
dans la sunna qui n’aborde pas abondamment la situation de l’enfant né hors mariage.
Autrement dit, ils ne sont pas nombreux les hadiths qui traitent la question de
l’établissement de la filiation paternelle hors mariage, les plus connus étant au nombre de
deux :
Un premier qui se réfère à une situation précise et dont le prophète devait trancher dans
un litige relatif à l’établissement de filiation d’un enfant né au sein d’un couple et dont la
mère avait une relation sexuelle avec un autre homme, après la naissance de l’enfant,
l’amant a revendiqué la filiation de l’enfant puisqu’il a considéré qu’il y avait une
ressemblance entre lui et l’enfant et le mari a fondé son argumentation sur le fait que
l’enfant est né dans la période du mariage.
Face à cette situation, le prophète a tranché en affirmant que « l’enfant doit être rattaché
au lit et que l’amant doit être lapidé ». Cette décision a posé une forme d’adage qui
favorise la filiation légitime et en refusant la filiation adultérine malgré l’existence de la
pratique de Al-qyafa qui permettait d’établir également la filiation sur la ressemblance
entre le père et l’enfant.
Concernant le second, il s’agit du hadith apporté par MUSLIM et BOUKHARI où le
prophète dit : « Le garçon au lit et au salace les pierres ». L’extension de ces références
de l’établissement de la filiation naturelle peut être contestable dans la mesure où aucun
des deux hadiths qui représentent aujourd’hui un adage, ne statue sur l’enfant et sur le
refus de l’établissement de sa filiation mais plutôt sur la gravité de l’acte commis par le
père et la mère qui est celui de la fornication. D’ailleurs, même « le comité permanent des
recherches islamiques et de la délivrance des fatwas » affirme qu’il n’y a pas d’autres
appuis en la matière notamment dans le Coran.
957. La réglementation de la question de l’établissement de la filiation naturelle est donc
une interprétation de la lecture des conséquences que peut engendrer une relation sexuelle
hors mariage. Ainsi, si l’autorisation de l’établissement de la filiation naturelle était
explicite, elle remettrait en cause l’interdiction de la législation à l’égard de l’acte de
fornication. Ainsi, l’interdiction de l’établissement de la filiation hors mariage ressort de
la prise en considération de la cause et la conséquence, c’est-à-dire que le lien entre la
relation de fornication et de la naissance de l’enfant hors mariage est établie. Toutefois,
l’insuffisance ou le manque du fondement en la matière a permis le passage de la
question d’un simple cadre religieux à un cadre social qui réprime et refuse l’enfant né
hors mariage.
817
De nombreux savants dont Hassan AL-BASRI considèrent qu’il y a d’autres versets qui permettent à l’enfant son
droit à la filiation, et il réfère à la Sourate 6 Verset 164 où Dieu dit qu’aucune « âme ne portera le fardeau d’autrui », et
donc ce qui résulte qu’aucun enfant ne doit se voir privé de sa filiation notamment paternelle pour la faute de ses
parents, in Youssef Ali Robleh, thèse, op. cit., p. 50.
395
Cependant, si on se réfère à la législation musulmane dans son ensemble, il en ressort
d’une valeur fondamentale qui oblige chaque musulman de réparer et d’assumer les
conséquences de ses erreurs et donc assumer la conséquence de la fornication en
établissant la filiation de l’enfant né de cette relation.
958. La fragilité de la référence qui fonde le refus de tout établissement de filiation
paternelle à l’égard de l’enfant né hors mariage semble être un sujet de discussion qui
permet d’élaborer une lecture plus souple et plus favorable à l’égard de l’enfant et de son
intérêt qui se trouve prisonnier des conséquences d’un acte interdit qu’il n’a pas commis.
Cependant, cette possibilité d’interprétation ou de lecture n’a malheureusement pas été
adoptée dans l’ensemble des pays musulmans, notamment ceux qui ont émis des réformes
au droit de la famille en adoptant des textes réputés de modernes, dont la Maroc à travers
le Code de la famille de 2004. En effet, ce dernier a permis la modernisation de
nombreuses règles relatives à la protection des droits de l’enfant en matière familiale et
qui a fait du principe de l’intérêt de l’enfant un élément fondamental dans l’ensemble du
texte à travers son préambule. Il a cependant, conservé une lecture stricte et fidèle aux
règles et aux adages adoptés en droit musulman malgré la possibilité d’adoption d’une
lecture plus souple. Parmi ces questions, il y a les règles de la filiation paternelle
illégitime.
959. En effet, en matière de filiation, le texte de 2004 permet tout d’abord l’établissement
de la filiation à l’égard de la mère dans toutes les circonstances, c’est-à-dire la filiation de
l’enfant légitime ne diffère en rien à la filiation de l’enfant illégitime puisque le droit
musulman juge que la filiation s’établie à l’égard de la mère gestatrice 818, ce qui conserve
à l’enfant les mêmes effets à l’égard de la mère. Cependant, malgré le fait que le lien
puisse être établi à l’égard de la mère dans toutes les circonstances même en cas de
fornication, la filiation de l’enfant illégitime ne peut pas être établie ni à l’égard du père
ni à celui de sa famille à partir du moment où la relation est dotée du caractère
(d’adultère, de fornication (Zina) qu’elle soit déclarée par le père lui-même ou résultant
selon les circonstances de la relation. Cette règle est explicitement adoptée par le
législateur marocain à travers l’article 148 du Code de la famille qui dispose que : « La
filiation illégitime ne produit aucun des effets de la filiation parentale légitime vis-à-vis
du père ».
960. Cette position prise par le législateur marocain a en effet conduit à une absence
totale d’une reconnaissance ou de l’existence d’un ‘statut’ social légal relatif à l’enfant né
hors mariage. Notamment lorsqu’il s’agit d’un texte qui dans son préambule affirme que
« la préservation des droits de l’enfant passe par l’insertion des dispositifs, pertinents
des conventions internationales ratifiées par le pays, et ce, en ayant constamment à
l’esprit l’intérêt de l’enfant et en tenant compte de ce principe dans toutes les
situations ».
818
Le législateur marocain adopte cette règle d’une manière explicite à travers l’article 146 qui dispose que : « La
filiation, qu’elle résulte d’une relation légitime ou illégitime, est la même par rapport à la mère, en ce qui concerne les
effets qu’elle produit ».
396
L’application de ce principe ne doit pas être soumise à la qualification de l’enfant
légitime ou illégitime ; mais bien au contraire, elle doit fonder des règles qui permettent
de se défaire de telles normes dépassées même par la réalité sociale. Cependant, la
réforme de 2004 n’a fait que réaffirmer l’indifférence du législateur quant à la protection
de l’intérêt de l’enfant né hors mariage et consolider l’inégalité existante à l’égard de ce
dernier, en ignorant les effets néfastes de l’impossibilité d’établissement de la filiation
paternelle.
819
John HILL, Filiation et affiliation : exploration des dynamiques de dépendance et d’autonomie », Revue de
psychologie Analytique 2013/1 (n° 1).
820
Code civil, Article 16 de la loi 37-99, Dahir 1-02-239 Novembre 2002.
397
De plus l’importance qu’acquiert la généalogie dans les sociétés musulmanes, expose une
problématique à l’établissement de la filiation maternelle qui divise souvent les auteurs,
puisqu’il y a ceux qui soutiennent l’établissement du lien généalogique avec la famille de
la mère et d’autres qui le refusent. Le Code de la famille est resté muet à l’égard de cette
question, puisque le seul objectif des autorités est d’attribuer un nom sur le plan formel
qui laisse croire l’existence d’une filiation paternelle malgré l’absence de tout effet réel
de cette filiation maternelle notamment sur le plan matrimonial en refusant d’intégrer
l’enfant né hors mariage dans l’héritage de sa mère.
963. Cette situation crée une certaine catégorisation des enfants, c’est-à-dire des enfants
qui peuvent acquérir tous leurs droits notamment celui d’avoir un nom, d’obliger les deux
parents d’assumer leurs devoirs à l’égard de l’enfant ce qui offre à ce dernier un bien-être
psychologique mais surtout matériel, tel que le droit aux successions. Tandis que, l’enfant
né hors mariage se trouve à la charge de la mère qui doit assumer seule toute la
responsabilité, d’abord sociale puisqu’elle sauvegarde ‘le statut social’ de la mère
célibataire qui a eu un enfant hors cadre légal puis matérielle 821. Le législateur de 2004
avait adopté une orientation classique qui défend la protection de la paix de la famille et
de la stabilité de cette institution, sans se préoccuper de l’enfant né hors mariage.
Or il y a lieu de s’interroger sur cette sanction qui vise principalement l’enfant ne
concerne pas ‘le fornicateur et la fornicatrice’, et sur la question de savoir si l’abandon
total d’un enfant né hors mariage ne représente pas non plus un danger pour la société en
entier et n’atteint pas l’intérêt général ‘Al-Maslaha al’aama’. En effet, suivant la logique
des choses, l’interdiction de tout acte sexuel hors mariage, doit être sanctionnée selon les
règles du droit musulman puisque l’acte lui-même est qualifié de péché ; ainsi la sanction
qui doit être appliquée est la lapidation. Or dans la majorité des pays musulmans dont le
Maroc, cette sanction n’est pas appliquée telle qu’elle est édictée dans le Coran c’est-à-
dire « la fornicatrice et le fornicateur, fouettez-les chacun de cent coups de fouet ». En
effet, le droit marocain a adopté une autre sanction en droit pénal et qui est l’
« emprisonnement d’un mois à un an à toutes personnes de sexe différent qui n’étant pas
unies par les liens du mariage, ont eu entre elles des relations sexuelles »822.
964. Cette sanction adoptée par le droit pénal, ne présente pas une traduction conforme de
la règle du droit musulman, puisque cette dernière trouve son origine dans le Code pénal
qui a été imposé par le protectorat français, puisque la pénalisation de cet acte n’adopte
pas les conditions qui doivent être réunies pour affirmer l’acte de fornication dont : « le
témoignage de quatre témoins d’une pénétration, ou un aveu du couple à quatre reprises
» ce qui était difficile à réaliser à l’époque du prophète et encore plus dans nos sociétés
modernes. Ainsi, l’article 490 du Code pénal ne représente qu’une image parmi d’autres
qui témoigne que certaines règles du droit actuel peuvent être plus rigoristes que certaines
821
Il est à noter que les structures qui œuvrent pour les mères célibataires sont souvent des associations et que l’Etat ne
s’investit pas suffisamment dans ce cadre.
822
Article 490, Code pénal.
398
dispositions religieuses auxquelles se greffent des interprétations analogiques et dont
l’application est encore plus stricte823.
965. Le paradoxe existant entre l’application rigoureuse de la règle du droit musulman en
matière de fornication et celle de ses conséquences n’est pas adopté par le législateur
marocain. Autrement dit, si le législateur n’applique pas spécialement la sanction édictée
par le texte coranique, pourquoi adopterait-il une règle qui n’a pas un fondement solide
afin de sanctionner l’enfant ? Logiquement, la réforme de 2004 devait prendre en
considération l’absence de textes qui évoque les conséquences de la fornication à l’égard
de l’enfant. La faiblesse des deux hadiths peut permettre l’intégration de la prise en
considération de l’intérêt de l’enfant qui représente un élément de référence dans
l’ensemble du texte.
Ainsi, l’attachement du législateur marocain aux conséquences civiles de la règle pénale,
qui prive l’enfant de son droit d’établir sa filiation paternelle est assez surprenant.
Notamment dans le contexte de la réforme de 2004, qui permet l’adoption d’une règle qui
sanctionne plus lourdement les conséquences de la fornication que l’acte lui-même, ce
qui est totalement injuste à l’égard de l’enfant qui se trouve sanctionné pour une erreur
pénale qu’il n’a pas commise. De plus, les effets de la privation de la filiation paternelle
ne sanctionnent pas uniquement l’enfant mais également la mère et l’ensemble de la
société qui risque de supporter le résultat désastreux de cette interdiction notamment dans
un pays où les structures dédiées à la protection de l’enfance sont rares.
823
Khadija ROUGANI, Avocate au barreau de Casablanca.
399
967. En effet, si le droit marocain refuse toute action en recherche de paternité pour
l’enfant né hors mariage, en ayant pour objectif la lutte contre tout ce qui est néfaste dans
la société, il ne semble pas vouloir empêcher la multiplication et le développement des
associations et des structures qui visent à prendre en charge les mères célibataires ainsi
que leurs enfants ; une situation controversée qui témoigne principalement du refus de la
politique menée par l’Etat d’abandonner un dogme religieux en faveur de l’intérêt de
l’enfant. Cette concurrence entre l’intérêt général fondé sur le cadre légal et l’intérêt
spécifique de la personne de l’enfant semble créer d’autres situations qui permettent de
contourner d’autres cadres légaux. Ainsi, au nom même de la protection de l’intérêt
général et du cadre légal, nombreuses sont les conséquences de l’absence de la possibilité
d’action en recherche de paternité pour les enfants nés hors mariage. En effet, si le
législateur marocain a souhaité éviter une situation de désordre social en ignorant les
enfants nés hors mariage afin de sauvegarder le cadre légitime. Néanmoins, il a permis
d’une manière indirecte de renforcer d’autres pratiques et de développer d’autres
situations juridiques et socio-économiques encore plus complexes qui mettent en péril la
stabilité de l’ensemble de la société.
968. La question de l’avortement clandestin figure parmi les pratiques déclenchées par
l’interdiction de la filiation paternelle illégitime. En effet, les relations sexuelles hors
mariage sont interdites par la loi et la morale, ainsi que l’enfant né de cette relation. C’est
dans ce sens que la majorité des mères célibataires qui ont eu des relations sexuelles hors
du cadre du mariage sont obligées à trouver des solutions alternatives afin d’éviter le
jugement d’abord juridique mais également social qui les déshonore pendant toute leur
vie. Le code pénal interdit l’avortement d’une manière générale et l’autorise sous
quelques conditions.
969. En effet, l’article 449824 interdit le recours à l’avortement pour toutes les femmes
notamment celles qui sont mariées et pénalise tous les intervenants qui le pratique en
dehors de ce cadre. Toutefois, l’article 453 émet l’exception au recours à l’avortement
pour les femmes mariées en précisant que : « L’avortement n’est pas puni lorsqu’il
constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder la santé de la mère et qu’il est
ouvertement pratiqué par un médecin ou un chirurgien avec l’autorisation du conjoint
(…) A défaut de conjoint ou lorsque le conjoint refuse de donner son consentement ou
qu’il en est empêché, le médecin ou le chirurgien ne peut procéder à l’intervention (…) ».
Ainsi, le texte ignore d’une manière explicite la possibilité du recours à l’avortement par
les femmes qui ne sont pas mariées825.
824
« Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, manœuvres, violences ou par tout autre moyen, a procuré ou
tenté de procurer l’avortement d’une femme enceinte ou supposée enceinte, qu’elle y ait consenti ou non, est puni de
l’emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 200 à 500 dirhams. Si la mort en est résulté, la peine est la
réclusion de dix à vingt ans ».
825
Dans ce sens, il est également question des femmes victimes de viol, d’inceste et d’agression sexuelle, qui se
trouvent doublement victimes lorsque la législation leur interdit le recours à l’avortement et leur impose une grossesse
non désirée et qui se trouvent dans l’obligation d’agir seules et de chercher discrètement des solutions clandestines dont
l’avortement.
400
Cette pénalisation crée une situation assez complexe devant la réalité du nombre croissant
des relations sexuelles hors mariage, et oblige toutes les femmes qui tombent enceinte en
dehors de ce cadre d’avoir recours à l’avortement clandestin qui se pratique dans des
conditions à risque sans aucune protection pour elles.
970. Cette situation déplorable est souvent critiquée par les défenseurs des droits de
l’Homme et les organes de surveillance de l’application des traités des Nations-Unies
relatifs aux droits humains au Maroc qui jugent la pénalisation de l’avortement comme
une atteinte directe à la liberté individuelle des femmes qui met en risque la vie de ces
dernières avec des taux de mortalité très élevés notamment lorsqu’il est pratiqué dans des
conditions professionnelles et hygiéniques non adéquates. Dans ce sens le comité de la
CEDAW a jugé d’inquiétant « que le taux élevé de mortalité infantile et maternelle dans
les Etats parties dont le MAROC, de l’accès limité aux services de santé et de
planification familiale et de la fréquence des avortements clandestins qui mettent en
danger la santé des femmes »826 et qu’il est discriminatoire à l’égard des femmes qu’un
Etat partie refuse la légalisation de certains actes concernant la reproduction ; ces derniers
« ne devraient pas empêcher les femmes d’avoir accès à certains services de santé
notamment lorsqu’elles n’ont pas l’autorisation de leur mari, de leur partenaire, de leurs
parents ou des autorités sanitaires, ou parce qu’elles ne sont pas mariées »827.
971. De plus, le comité des droits de l’Homme avait recommandé l’abolition des
dispositions adoptées en droit pénal qui sont contraires aux articles 6 et 7 du Pacte
international relatifs aux droits civils et politiques (PIDCP), qui garantissent à toute
personne le droit à la vie, à ne pas être soumise à la torture ou aux autres formes de
mauvais traitements, alors que la pratique de l’avortement dans des conditions de
clandestinité met en risque la vie de la mère.
S’ajoute à cela, les recommandations du comité des droits de l’enfant qui tire la sonnette
d’alarme quant à l’âge des femmes ayant recours à l’avortement clandestin qui concerne
de plus en plus les jeunes femmes en bas âge en appelant à « l’obligation de revoir la
législation marocaine en la matière afin de garantir l’intérêt supérieur des adolescentes
enceintes, et de faire en sorte que, par la loi et dans la pratique, les opinions de l’enfant
soient toujours entendues et respectées dans les décisions relatives à l’avortement » et
« de mener des compagnes de sensibilisation sur la santé sexuelle chez les adolescents
afin de prévenir les conséquences des grossesses précoces »828.
972. L’ensemble de ces recommandations est fondé sur la réalité des situations
auxquelles sont confrontées les femmes enceintes hors le cadre légal. En effet, la
difficulté de ces dernières se manifeste dans le cadre juridique mais également
socioculturel qui oblige la femme dans la majorité des cas de fuir sa propre famille qui
considère que cette grossesse la déshonore.
826
Comité de la CEDAW, Observations finales : Maroc, UN Doc. CEDAW/C/MAR/4, par. 30, 2008.
827
Comité de la CEDAW, Recommandation générale 25 : Les femmes et la santé (ART. 12), 1999, par. 14, in Rapport
« MAROC Soumission d’Amnesty international dans le cadre du débat national sur l’avortement », publié en 2015, par
Amnesty international p. 10 et s.
828
Ibid.
401
Vient ensuite la difficulté psychologique et la pression des professionnels dans les
hôpitaux publics sur ces femmes en faisant appel aux policiers qui mènent une enquête
sur elles ainsi que sur le type de relations qu’elles ont mené avec le père biologique de
l’enfant, en prenant en considération le risque d’emprisonnement 829 ; une situation qui
pousse également ces femmes à faire le choix d’avorter clandestinement. Toutefois, ce
choix n’est pas aussi facile qu’il peut apparaître, puisqu’il engendre de graves
conséquences ; même l’avortement ou l’IVG clandestin dépend du niveau socio-
économique des femmes et divise ces dernières en deux catégories : d’abord les femmes
aisées et qui peuvent avoir accès à une intervention médicale clandestine qui coûte entre
3000 et 15000 dirhams sachant que le prix dépend également de l’âge du fœtus (le prix
est plus cher lorsque ce dernier dépasse les 3 mois) et celles en situation de pauvreté qui
font appel à l’usage des méthodes traditionnelles 830 pour provoquer l’expulsion du fœtus
ou encore l’infanticide pour cacher l’erreur commise. Cette situation provoque chaque
année la mort de 78 bébés suite à un avortement clandestin dans une pratique qui compte
entre 600 et 800 interventions par jour c’est-à-dire une estimation de 219 000 et 262 800
avortements par jour831, des chiffres qui démontrent l’ampleur des conséquences de la
législation marocaine interdisant l’avortement.
973. C’est dans ce contexte qu’en 2015, le Roi Mohamed VI intervient afin d’apporter
une réforme en la matière. Le Roi avait convoqué d’abord le ministre de la justice et des
libertés Mustapha RAMED, le ministre des habous et des affaires islamiques Ahmed
TOUFIQ et Driss EL YAZAMI, Président du conseil national des droits de l’Homme
(CNDH), afin d’élaborer un rapport qui prend en considération trois éléments : le
juridique, le religieux et le respect des droits de l’Homme. Ce rapport qui intégré des
propositions et des recommandations pour réformer le droit d’avortement. En effet, le
projet de loi a été adopté en Conseil du gouvernement le 9 juin 2016, amendant l’article
453 du Code pénal832.
974. Cependant, cet amendement va permettre uniquement un élargissement de
l’intervention volontaire de la grossesse au-delà de celles mettent en danger la santé de la
mère et d’intégrer les cas de viols, d’incestes, de troubles psychiatriques graves de la
femme, sans pour autant intégrer le droit des femmes enceintes en dehors du cadre du
mariage. Cette réforme qui a permis une avancée très limitée a été vivement critiquée par
de nombreuses associations qui ont contesté les limites de cette réforme et sa non-
adéquation avec l’évolution et les changements sociétaux. Après un blocage qui a duré
quelques années au sein des deux chambres du parlement suite aux désaccords qui
concernent les conditions permettant l’accès à l’avortement, c’est finalement les
conditions proposées dès la première proposition qui ont été adoptées, laissant les
829
Il est à noter que l’enquête menée par les policiers ressort du cadre formel.
830
Les femmes souhaitant interrompre leur grossesse d’une manière traditionnelle ont souvent recours à l’utilisation
des produits abortifs ‘naturels’ qui se vendent dans les marchés chez les herboristes ; ces derniers préparent des
mélanges de plantes dédiés à ces pratiques qui permettent d’empoisonner le fœtus.
831
Ces chiffres sont relayés par de nombreux professionnels et médias dont le professeur CHRAIBI, chef de maternité
des Orangers à Rabat et fondateur de l’association marocaine contre l’avortement clandestin, France 24.
832
Marc-Eric GRUÉNAIS, La publication du débat sur l’avortement au Maroc. L’Etat marocain en action, L’année du
Maghreb, 17/2017, pp. 219-234.
402
militants et les praticiens à leur fin d’un texte moderne qui répond au besoin et à la réalité
sociale833.
975. En parallèle certaines femmes choisissent de garder leurs enfants malgré les
difficultés ; ces dernières prennent le risque d’emprunter le chemin d’une expérience qui
ne leur garantit aucun droit ni pour elles ni pour leurs enfants. Par ailleurs, il semble
important de souligner le portrait de ces femmes qui font ce choix soit par liberté soit par
obligation ; de nombreuses études démontrent qu’elles ont en moyenne 24 ans avec un
niveau de scolarité assez bas, alors que celles qui ont recours à l’avortement ont souvent
un niveau d’instruction moyen ou supérieur à la moyenne. Puis, il y a la situation
socioéconomique qui reflète également l’importance de cet élément qui démontre que le
nombre de femmes actives ayant subi l’avortement est presque le double que celui de
celles qui sont sans activités et qui ont gardé leurs enfants834.
976. En outre, la situation des conditions des mères célibataires au Maroc est très critique,
elle est considérée par l’ensemble de la société et de la législation comme étant un
dysfonctionnement social et une menace qui transgresse les normes religieuses, sociales
et juridiques qui garantissent le maintien de l’ordre public 835. En ce qui concerne
l’atteinte des normes sociales et religieuse, il est question d’une femme qui commet un
fait de débauche ‘zina’ ‘fahicha’ refusé par la religion et par la société dont résulte la
naissance d’un enfant rejeté par la société et non reconnu par la religion. En effet, ces
enfants sont des bâtards, des ‘Harami’ malhonnêtes, des enfants du péché ou du bandit et
dont on prévoit les comportements futurs dans la société.
977. Juridiquement, et selon le code pénal marocain, la femme doit être sanctionnée pour
la relation sexuelle qu’elle a établie hors le cadre légal du mariage comme le précise
l’article 490, puisque la conception de l’enfant affirme et prouve les relations sexuelles
antérieures. Suivant la logique du législateur marocain, la mère célibataire doit être
condamnée ; toutefois, dans la pratique et en absence des deux conditions ‘l’aveu et le
flagrant délit sur l’acte sexuel’ la difficulté de preuve empêche cette application. Par
ailleurs, c’est également la raison pour laquelle, les mères célibataires ne se dirigent pas
vers les tribunaux familiaux afin de porter une action en recherche de paternité
puisqu’elles seront poursuivies pour un aveu de relations sexuelles hors mariage836.
De plus, l’application de cette disposition est contraire à l’article 2-g de la convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, que le Maroc a
833
Le docteur Chafik CHRAIBI se dit ‘scandalisé que le Maroc applique une loi qui date des années 60 et qui n’a plus
rien à voir avec la société actuelle. La répression se durcit : en 2018, il y a eu 73 personnes poursuivies pour le délit
d’avortement », in Dounia HADNI, Ou en est le droit de l’avortement au Maroc, libération, 01 février 2020. Disponible
sur www.liberation.fr
834
Iris SECHTER-FUNK, La maternité célibataire au Maroc, entre normes et pratiques, Centre Jacques-Berque, 2015,
Disponible sur : https://books.openedition.org/cjb/990.
835
Amal BOUSBAA, Abderrahim ANBI, Les conditions des mères célibataires face aux défaillances des politiques
sociales au Maroc, Revue des politiques sociales et familiales, 2017, 124, p. 53.
836
L’article 493 du Code pénal dispose que : « La preuve des infractions réprimées par les articles 490 et 491 s’établit
soit par procès-verbal de constat de flagrant délit dressé par un officier de police judiciaire, soit par l’aveu relaté dans
des lettres ou documents émanés du prévenu ou par l’aveu judiciaire ».
403
ratifié837 et qui dispose que « les Etats parties doivent abroger toutes les dispositions
pénales qui constituent une discrimination à l’égard des femmes ».
Il est vrai qu’à la lecture de cette disposition il ne semble pas évident d’évoquer la
discrimination entre les femmes et les hommes mais dans la pratique, la discrimination
s’avère possible dans la mesure où lorsque les relations sexuelles entraînent la conception
d’un enfant, le géniteur peut toujours nier cette relation afin d’échapper à cette
condamnation pénale et dans l’absence de l’obligation de recourir à la preuve biologique
(ADN), la femme se trouve toujours devant le risque d’être condamnée 838. En outre, les
conséquences de l’application de l’article 490 ne se limitent pas uniquement à la mère
mais s’étendent également à l’enfant qui se trouve prisonnier des normes et des règles
jugeant l’acte de sa mère et le met avec cette dernière dans une situation discriminatoire
qui ne favorise pas la protection de son intérêt supérieur au sein de la société.
978. Les conséquences de l’interdiction des relations sexuelles hors mariage semblent
être encore plus lourdes dans la mesure où elles remettent en cause les arguments avancés
par les traditionnalistes et aboutissent à l’ignorance d’autres effets qui ne se limitent pas
uniquement au couple et à leur relation intime ou à leur acte sexuel, mais à une situation
qui englobe la personne de l’enfant et qui le prive de toute protection, ainsi la stabilité
sociale recherchée au nom de la règle religieuse peut être rediscutée afin de permettre à
cette dernière de s’adapter à la société d’aujourd’hui.
980. De plus, l’existence de ces situations et le débat qui continue d’exister autour des
questions des enfants nés hors mariage et des mères célibataires accusées d’adultère
malgré les quelques réformes menées que ce soit en droit de la famille ou en droit pénal,
837
Le Maroc a ratifié la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes le 21
juin 1993, et l’a publiée au bulletin officiel du 18 janvier 2001, p. 167.
838
Le Maroc des mères célibataires, ampleur, réalité, actions, représentations, itinéraires et vécus, Avril-décembre
2010, p. 72 et s.
404
amène à se demander si ces réformes ont réellement adopté une vision à long terme
prévoyant l’évolution continue de la société dans son ensemble, afin de protéger les plus
vulnérables notamment les enfants nés hors mariage et les mères célibataires.
983. En France la question des enfants abandonnés a connu trois étapes d’évolution;
d’abord celle influencées par la dominance de l’église, celle de la révolution et des idées
protectrice des droits de l’enfant, et enfin celle de la période moderne et contemporaine.
Durant chacune des étapes, les droits des enfants faisaient l’objet d’une évolution et
d’une prise en considération progressive, elle a permis le passage d’une dissimilation de
l’enfant né hors mariage suite aux restrictions de l’église ou ceux abandonnés suite à des
raisons économiques ou sociales et dont l’église a mené toutes les initiatives visant à
protéger ces enfants, à une période plus lumineuse qui reconnaît les droits des enfants et
qui fait de l’aide de ces derniers une obligation en se basant sur les idées révolutionnaires,
en arrivant à une période contemporaine qui reconnaît des droits fondamentaux à tous les
enfants dont ceux abandonnés. En intégrant un rôle de l’Etat, ceci va permettre une
meilleure protection à travers tous les engagements de ce dernier et les mesures prises
dans l’objectif de protéger les enfants abandonnés de toutes les catégories.
405
984. Si en France les principes révolutionnaires et la séparation de l’église avec l’Etat ont
permis une meilleure prise en considération de l’intérêt de l’enfant et un meilleur
rayonnement à travers l’engagement de l’Etat dans la concrétisation que ce soit des
principes du droit interne ou ceux des engagements internationaux.
985. Au Maroc, l’origine de la perception spécifique des droits de l’enfant et de la place
de ce dernier a suivi un autre schéma d’évolution puisque l’absence de la séparation de la
religion et de l’Etat ainsi que la caractérisation des droits individuels par la limite
religieuse n’ont pas permis l’individualisation des droits notamment ceux des enfants qui
ont sauvegardé très longtemps la liaison à la famille et à l’existence de cette dernière,
dans le respect de son cadre légal au sein de la communauté et dans la prise en
considération de ‘l’intérêt général’ fondé sur les valeurs de la religion musulmane.
De plus, malgré l’engagement du pays dans la modernisation des droits de l’enfant,
l’attachement au cadre religieux a mis en place un modèle juridique doté de la spécificité
religieuse qui limite l’évolution de nombreux droits au niveau interne, notamment
lorsqu’il s’agit des enfants abandonnés qui sont considérés comme le résultat de
l’éclatement des structures sociales traditionnelles qui sont jusqu’ici le fondement de la
famille et de la société, et dont l’écroulement est le résultat d’une influence extérieure que
ce soit de la mondialisation ou des sociétés occidentales qui ont abouti à l’effondrement
des valeurs morales. Ce phénomène refusé par les sociétés musulmanes qui n’est pourtant
pas nouveau a obligé des pays musulmans comme le Maroc de rechercher un équilibre
entre la norme religieuse et la règle juridique afin de garantir la protection de l’intérêt de
l’enfant. Toutefois, la recherche de cet équilibre a abouti à l’adoption d’un système
discriminatoire à l’égard de l’enfant abandonné.
406
Au Maroc, la question connaît quelques différences ; certes, il est également question des
enfants abandonnés de filiation inconnue et ceux de filiation connue, toutefois, l’absence
de la possibilité de l’accouchement sous X ou encore la non-reconnaissance de la filiation
hors mariage rendent encore plus complexe la prise en charge et la réglementation de la
situation des enfants abandonnés qui sont nés de filiation inconnue en adoptant un
système juridique qui conserve principalement l’orientation du droit musulman qui ne
permet pas une égalité de droits à l’égard de ces enfants. Puis ceux issus de filiation
connue et dont la réglementation connaît de nombreuses lacunes que ce soit dans les
textes adoptés ou dans la pratique.
987. Entre le système juridique français et le système marocain, il existe une grande
différence quant à la protection de l’enfant issu d’une filiation inconnue. En effet, la
France est l’un des rares pays à disposer d’une législation encadrant l’accouchement sous
le secret en accordant une protection à l’enfant abandonné. Cette pratique est considérée
comme une lutte contre l’abandon sauvage des enfants ou contre l’infanticide. Elle n’est
pas récente et a été pratiquée sous diverses formes permettant à toutes les femmes qui le
souhaitent d’accoucher sans mentionner leurs noms dans la déclaration de l’état civil.
Cette pratique existait déjà dans le Code civil de 1804 qui a repris une pratique courante
dans l’ancien régime puis tout au long du XIX siècle elle a été affirmée par l’adoption de
nombreuses lois dont celle du 22 juillet de 1922 puis celle du 7 février 1924 qui sera
introduite dans le code civil à travers l’article 57. Cet article affirme que « …Si le père et
la mère ne sont pas désignés à l’officier d’état civil, il ne sera fait sur les registres
aucune mention à cet effet ». De plus, la question de l’accouchement anonyme se base sur
un principe assez traditionnel pratiqué par l’assistance public qui consiste à accueillir les
enfants abandonnés dans le secret « Abandon/accueil » qui a été introduit dans le Code de
la famille de 1939 et dont l’article 98 précisait que « les femmes enceintes qui
réclameront le régime du secret seront admises dès que la grossesse aura été constatée
par le médecin de l’établissement ». Cette réglementation va ensuite faire l’objet d’une
introduction d’abord dans la réglementation à caractère sanitaire et social à travers
plusieurs textes : on en cite d’abord le décret-loi du 2 septembre 1941 qui organisait la
gratuité des frais d’hébergement des femmes accouchant anonymement qui constitue le
fondement actuel de l’accouchement sous X et dont le premier article dispose que « toute
femme enceinte devra sur demande être reçue gratuitement et sans qu’elle ait besoin de
justifier de son identité, dans tout établissement hospitalier public susceptible de lui
donner les soins que comporte son état ».
988. D’autres décrets viennent s’ajouter à ça tels que ceux du 29 novembre 1953 pupille
de l’Etat840 ainsi que celui du 7 Janvier 1959841 modifiant et complétant le Code de la
famille et de l’aide sociale en ce qui concerne la protection de l’enfance, l’article 47 du
Code de la famille et de l’aide sociale qui seront introduit dans la loi du 6 janvier 1986
840
Décret n° 53-1186.
841
Décret n° 59-101.
407
protégeant l’anonymat de la mère et garantissant la gratuité et la prise en charge des frais
occasionnés par l’accouchement et enfin la loi du 5 juillet 1996 ‘Mattei’ relative à
l’adoption qui prévoit l’accompagnement psychologique des femmes qui accouchent sous
X842. Ce n’est qu’en 1993, que l’accouchement sous X sera inscrit dans le Code civil à
travers l’article 326 qui dispose que : « lors de l’accouchement, la mère peut demander
que le secret de son admission et de son identité soit préservé » ; la rupture du lien de
filiation est ainsi légalisée ainsi que le droit au secret indépendant du type de
l’établissement dans lequel s’est effectué l’accouchement. Ce secret est réaffirmé par
l’article 341 du Code civil qui interdit la recherche de maternité en cas d’accouchement
sous X.
991. Par ailleurs, l’effort fourni par le législateur n’a pas abouti à une prise en
considération totale de l’intérêt de l’enfant de connaître ses origine et ainsi de répondre à
l’article 7-1 de la CIDE qui dispose que : « l’enfant est enregistré aussitôt à sa naissance
et a dès celle-ci droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du
possible le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux », ce qui pose en
contradiction les deux principes, d’abord celui de la mère de dissimuler son identité et
842
Francisco. MUNOZ-PEREZ, Les enfants nés sans filiation en France 1965-1994, in : population, 2000, n° 55-4-5,
p. 663 et S.
843
Loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’Etat est une
loi constituée par le Conseil national d’accès aux origines personnelles, qui a été composé de 17 personnes, magistrats,
personnalités qualifiées et représentants des administrations centrales ainsi que des associations concernées et des
conseils généraux.
844
Marie-Christine LE BOURSICOT, Accéder à ses origines personnelles, le rôle du conseil national pour l’accès aux
origines personnelles, Informations sociales, 2008/2, n° 146, p. 2.
408
celui de l’enfant de connaître ses parents845. Dans le même sens d’évolution des règles
d’accouchement sous X, la loi du 16 janvier 2009 ratifiant l’ordonnance de 2005 qui a
supprimé la fin du non-recevoir de l’action en recherche de maternité dans le souci d’une
mise en place d’une égalité avec l’action en recherche de paternité.
992. L’évolution des textes modifiant la question de l’accouchement sous X progresse
timidement malgré les revendications des défenseurs des droits de l’enfant qui appellent à
la levée totale de l’anonymat de l’accouchement. Ainsi le rapport de Brigitte BAREGES
avait élaboré des propositions qui mettent en avant la suppression de l’accouchement
dans l’anonymat, le maintien de l’accouchement secret, proposant également une
ouverture d’accès aux origines personnelles aux demandeurs majeurs, ainsi qu’une
ouverture de possibilité aux mères de rechercher leurs enfants, la levé du secret au décès
de la mère et enfin l’amélioration des possibilités de reconnaissance anténatale des pères.
Cependant, ce rapport n’a pas encore abouti à une concrétisation, d’autant plus que la
jurisprudence n’adopte un nouveau raisonnement quant à l’application que ce soit de
l’article 7-1 ou de l’article 3-1 de la CIDE en la matière. D’ailleurs, dans un arrêt du 6
avril 2004, la haute juridiction n’a pas hésité à casser une décision de la cour d’appel
d’Agen qui avait cherché à accorder raison à une mère qui avait accouché sous le secret
et qui a renoncé à sa décision après que son enfant soit admis en tant que pupille de l’Etat
alors que son admission était atteinte d’un vice de consentement affectant la validité du
procès-verbal846.
Cette décision reflète une incohérence quant à la pratique de l’accouchement sous X, qui
est sensé répondre à un droit accordé à la mère et fondé sur son consentement alors que
lorsque cette dernière change d’avis, son consentement doit également faire l’objet d’une
remise en question. C’est dans ce sens que la Cour d’appel d’Angers avait pris en
considération ce consentement dans une décision rendu le 26 janvier 2011 847 en annulant
un arrêté comme pupille de l’Etat d’une enfant née sous X et dont la mère avait souhaité
de lever elle-même l’anonymat vis-à-vis de ses proches. La Cour d’appel a fondé sa
décision sur l’article 3-1 de la CIDE considérant que l’intérêt supérieur de l’enfant lui
accorde le droit « d’avoir un nom… de connaître ses parents et d’être élevé par eux
(…) », en affirmant que « le droit de connaître son histoire et ses racines s’intègre donc
dans les droits fondamentaux reconnus à l’enfant, auquel ne fait plus obstacle à
l’accouchement sous X depuis la loi du 16 janvier 2009… qui autorise tout enfant, sans
restriction, à engager une action en recherche de maternité », pour enfin conclure que
« l’intérêt de l’enfant prime donc sur la faculté pour la mère de conserver l’anonymat et
845
Il est à noter que le comité des droits de l’enfant considère que les efforts fournis par la France ne sont pas suffisants
et que « le droit pour la mère de dissimuler son identité si elle le souhaite n’est pas conforme aux dispositions de la
convention ».
846
Cass. civ. 1ère, 6 avril 2004, n° 03-19.026 : Frédéric BICHERON, Accouchement sous X : irrecevabilité d'une
rétractation tardive, AJ Famille 2004 p. 241 ; Jean HAUSER, Accouchement sous X et rétractation : de mieux en
mieux... RTD Civ. 2004, p. 496
847
C. A. Angers, 26 janvier 2011, n° 10/01339 : D. 2011.442, obs. Inès GALLMEISTER, et 1053, note T. GERE
; AJ famille 2011. 156, obs. François CHENEDE, et 63, édito Valérie AVENA-ROBARDET ; Droit de la
famille 2011. Comm. 37, note Claire NEIRINCK, et Focus 17, obs. M. LAMARCHE ; JCP 2011. 298, note
Adeline GOUTTENOIRE.
409
par voie de conséquence sur son choix de couper l’enfant de sa famille » et ainsi elle a
décidé de confier l’enfant aux parents de sa mère biologique.
993. Cependant, si cette décision peut paraître comme révolutionnaire ou favorable à la
fin de l’accouchement sous X, puisqu’elle ressort d’une espèce spécifique et dont la
particularité permet facilement son adoption dans la mesure où dans l’affaire, il ne s’agit
pas de conflit d’anonymat d’accouchement mais plutôt un conflit qui oppose la mère et
les grands-parents de l’enfant. Toutefois, malgré la spécificité de l’espèce, cette décision
a démontré qu’il y a une certaine réticence à l’égard de la question de l’accouchement
sous X, qui fait ressortir la complexité du changement de cette institution. Autrement dit
la complexité de la spécificité française en matière de l’accouchement sous X et de
l’enfant issue de filiation inconnue demeure assez complexe pour qu’elle fasse l’objet de
profonde réforme, visant à garantir un équilibre entre l’intérêt supérieur de l’enfant et le
droit de la femme d’accoucher anonymement, cette situation permet de démontrer les
limites de la solution adoptée par le législateur afin de contrôler et de maîtriser l’abandon
des enfants.
994. Ne suivant pas le modèle français en la matière, la situation des enfants abandonnés
issue de filiation inconnue au Maroc est considérée comme délicate puisqu’elle ne
dispose pas de réglementation permettant leur recueil dans de bonnes conditions. En
effet, au Maroc suite à l’interdiction des relations sexuelles hors mariage les femmes
enceintes ne disposent pas de la faculté d’accoucher dans le secret dans les hôpitaux.
Ainsi, si la mère souhaite abandonner son enfant issu de cette relation, elle se trouve
devant l’obligation de l’abandonner ou de le délaisser dans les voies publiques ou dans
les milieux hospitaliers où elle transmet une fausse identité. La délicatesse de cette
situation et l’absence de toute réglementation en matière d’abandon n’est pas récente. En
effet, l’enfant abandonné dans les sociétés musulmanes subit une discrimination suite à
l’absence de sa filiation. On l’appelle donc cet enfant ‘al-laqit’848 ou ‘al-manbudh’ qui
signifie, l’enfant rejeté par la mère et par la communauté, c’est donc l’enfant en bas âge
qui vient de naître et dont la filiation est inconnue 849.
995. Les juristes musulmans ne se sont pas penchés profondément sur la question de
l’enfant abandonné issue de filiation inconnue ; partant du principe que la répression de la
fornication permettra d’éviter toute naissance hors cadre du mariage. Toutefois, certaines
normes ont été consacrées à l’égard de l’enfant abandonné, et il s’agit d’abord d’une règle
morale qui se base sur l’aide de l’autrui puis d’un devoir religieux qui est de prendre soin
d’un enfant que le hasard a mis sur votre chemin.
848
Laqit a pour racine le verbe lakia qui signifie trouvé, rencontrer.
849
Salah BEY Mohammed Chérif, ouvr., p.10 : MILLIOT Louis et BLANC François-Paul, ouv., op. cit.
410
Ensuite, la deuxième norme concerne la religion de l’enfant abandonné sur laquelle les
juristes musulmans se sont mis d’accord sur l’attribution de la religion musulmane à
l’enfant abandonné partant du principe que ce dernier a été abandonné en terre d’islam et
donc il ne pourrait être qu’un fils de musulman. Ainsi la transmission de la religion se fait
par le père malgré qu’il soit inconnu, sauf si le nouveau-né est retrouvé au milieu d’une
autre communauté. De plus, l’importance que requiert la question de la détermination de
la religion semble être capitale puisque le statut personnel islamique attribué au
musulman le suit toute sa vie, et la précision de l’appartenance à la religion musulmane
définit également toutes les conséquences majeures notamment celles relatives à la
filiation et à l’héritage. Ainsi, c’est en attribuant la religion musulmane à cet enfant
abandonné qu’une autre obligation relative à la prise en charge de l’enfant se fonde ; en
effet, l’ensemble des juristes musulmans s’est mis d’accord sur l’obligation du trésor
public « Bayt al-mal » à prendre en charge l’enfant abandonné et à défaut, c’est la
personne qui l’a recueilli.
997. Contrairement à cette considération très limitée des l’enfants abandonnés en droit
musulman, le Maroc d’aujourd’hui a élaboré un arsenal juridique relatif au droit de ces
enfants pour faire face à une réalité de progression du nombre d’enfants abandonnés ainsi
que pour répondre à l’engagement du pays à l’égard des instruments internationaux. En
effet, Au Maroc, le nombre d’enfants abandonnés s’élevait en 2008 à 4554 soit 1.3% du
total des naissances, puis dans une réévaluation à 6480 soit 2% pour la même année 850.
Puis une progression a été notée en 2009 notant 8760 enfants abandonnés à la naissance
dont 38% issue d’une filiation inconnue.
Selon une autre étude menée en 2010 par l’association INSAF851, le nombre des enfants
abandonnés entre 1996-2002 a nettement augmenté notamment pour les grossesses hors
mariage puisqu’on identifie dans les 5040 grossesses 36% d’enfants abandonnés et
uniquement 12% ont été placés en institution. Cela veut dire que la situation des 36%
d’enfants abandonnés est inconnu puisqu’on ignore si ces enfants ont été donnés à des
tiers en échange économique puisque ces femmes sont fortement sollicitées par des
intermédiaires ou des réseaux légaux ou illégaux qui souhaitent les adopter. De plus, le
haut-commissariat au plan avait affirmé dans son rapport qui date de 2011 « que plus de
la moitié des enfants abandonnés suite à une naissance hors mariage sont nés dans les
hôpitaux, et près de 30% dans les lieux publics »852. Face à cette situation et à ces taux
qui ne cessent de progresser, l’UNICEF affirme qu’il y a uniquement 49 établissements
dans l’ensemble du royaume qui permettent l’accueil des enfants abandonnés, ce qui est
inadéquat avec leur nombre.
998. Face à cette réalité le législateur marocain a adopté de nombreuses règles permettant
de renforcer l’arsenal juridique à travers la mise en place d’une définition du statut
juridique mais également les obligations à l’égard de ces enfants en intégrant des
principes internationaux visant à protéger leurs intérêts à travers l’intégration de
850
Etude menée par L’UNICEF et la ligue marocaine de protection de l’enfance, 2008. Sur : www.unicef.org
851
Rapport, INSAF, op. cit., p. 24.
852
HCP, 2011, Etude sur la « population infantile au Maroc : caractéristiques sociodémographiques et protection de
l’enfance ».
411
nombreux principes de la CIDE en droit interne, à travers de nombreuses dispositions
notamment celles de l’article 20 relatif à la protection et à la prise en charge des enfants
abandonnés853 et l’article 7 relatif à l’attribution du nom et de la nationalité à cette
catégorie d’enfant ou encore la pénalisation de tout abandon.
En effet, le droit marocain pénalise tout abandon d’enfant à travers l’article 459 du code
pénal marocain qui dispose que « quiconque expose ou délaisse en lieu solitaire, un
enfant de moins de quinze ans ou un incapable, hors d’état de se protéger lui-même à
raison de son état physique ou mental, est, pour ce seul fait, puni de l’emprisonnement
d’un à trois ans… ». Cette disposition désigne l’enfant abandonné qu’il soit de filiation
connue ou inconnue.
999. Par ailleurs, c’est à travers la loi n° 15-01 du 13 juin 2002 relative à la kafala que le
législateur marocain définit l’enfant abandonné en disposant que : « Tout enfant de l’un
ou de l’autre sexe n’ayant pas atteint l’âge de 18 années grégoriennes révolues lorsqu’il
se trouve dans l’une des situations suivantes :
- Etre né de parents inconnus ou d’un père inconnu et d’une mère inconnue qui l’a
abandonné de son plein gré ;
- Etre orphelin ou avoir des parents incapables de subvenir à ses besoins ou ne
disposant pas de moyens légaux de subsistance ;
- Avoir des parents de mauvaise conduite n’assumant pas leur responsabilité de
protection et d’orientation en vue de le conduire dans la bonne voie, comme
lorsque ceux-ci sont déchus de la tutelle légale ou que l’un des deux, après le
décès ou l’incapacité de l’autre, se révèle dévoyé et ne s’acquitte pas de son
devoir précité à l’égard de l’enfant ».
En ce qui concerne l’Etat civil, la loi n° 37-99 relative à l’état civil, promulguée en 2002
consacre l’article 16 à l’enfant de filiation inconnue ou abandonné suite à l’accouchement
en prévoyant que : « Le procureur du Roi agissant de sa propre initiative ou à la
demande de l’autorité locale ou de toute partie intéressée procède à la déclaration de
naissance, appuyée par un procès verbal dressé à cet effet et d’un certificat médical
déterminant approximativement l’âge du nouveau-né. Un nom et un prénom lui sont
choisis ainsi que des prénoms de parents ou un prénom de père si la mère est connue.
L’officier de l’état civil indique en marge de l’acte de naissance que les noms et prénoms
des parents ou du père selon le cas, lui ont été choisis conformément aux dispositions de
la présente loi ».
853
L’article 20 de la CIDE dispose que : « Toute enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu
familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales
de l’Etat. Les Etats parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme à leur législation
nationale. Ainsi, cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la
Kafala de droit islamique, de l’adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants
approprié. Dans le choix entre ces solutions, il est dûment tenu compte de nécessité d’une certaine continuité dans
l’éducation de l’enfant, ainsi que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique »
412
1000. Concernant l’attribution de la nationalité marocaine, l’article 7-6 du Code de la
nationalité qui reconnait l’attribution de la nationalité marocaine à l’enfant abandonné et
ce en disposant qu’il « est marocain, l’enfant né au Maroc de parents inconnus (…)
l’enfant de parents inconnus trouvé au Maroc est présumé, jusqu’à preuve du contraire,
né au Maroc »854.
1001. Face à cette situation, la loi du 13 juin 2002 relative à la Kafala réglemente la
question d’accueil de ces enfants comme suit : il est d’abord question d’une déclaration
judiciaire d’abandon, cette dernière se fait auprès du procureur du Roi du tribunal de
première instance du lieu de la découverte de l’enfant ; ainsi le procureur procède à une
enquête au sujet de l’enfant afin de présenter une déclaration d’abandon au tribunal. Ce
dernier s’engage également à procéder aux enquêtes nécessaires afin de s’assurer que
l’enfant est de filiation inconnue et de prononcer à la suite un jugement qui sera affiché
dans les bureaux de la collectivité avec toutes les informations qui concerne la découverte
de l’enfant notamment le lieu de la découverte ou encore la date présumée de la
naissance. Si le délai des trois mois s’achève sans la présentation de personnes réclamant
la filiation de l’enfant, ce dernier sera déclaré abandonné par un jugement prononcé du
tribunal. Ce jugement permet au juge des tutelles d’assurer cette dernière sur l’enfant
abandonné conformément aux dispositions du Code de la famille et du Code de procédure
civile, permettant que la prise en charge de l’enfant soit conforme aux dispositions de la
loi du 13 juin 2002 relative à la kafala.
1002. Ainsi, la législation marocaine semble être évoluée et répond à la majorité des
éléments permettant l’harmonisation et l’intégration des principes internationaux dans le
droit interne. Cependant, ces lois se trouvent limitées dans leur application dans la mesure
où la situation de ces enfants demeure critiquée que ce soit par rapport aux
discriminations qu’ils subissent au sein d’une société imprégnée par le refus religieux de
l’enfant né hors mariage ou encore par rapport au manque de moyens mis en place par
l’Etat afin de leur garantir une meilleure prise en charge. En effet, nombreuses sont les
lacunes à dégager dans ce sens, notamment celles relatives aux institutions et aux
maisons d’accueil qui sont souvent surchargées et leur salariés mal payés ainsi que dans
la difficulté des règles de la Kafala qui ne garantissent pas à l’enfant tous ses droits. De
plus, de nombreux médias marocains et étrangers relayent et publient souvent la situation
délicate des enfants accueillis qui subissent les violences physiques, sexuelles et moraux
au sein de ces centres.
1003. En effet, malgré que l’effort associatif national et international visant la petite
enfance abandonné ait débuté assez tôt dans le pays 855, nombreux sont les rapports qui
soulignent l’insuffisance du travail associatif et le manque d’implication politique sur la
situation des enfants abandonnés d’une manière générale.
854
Le droit marocain reconnaît le droit de l’enfant né de filiation inconnue à la nationalité marocaine, depuis la
promulgation du premier code de la nationalité en 1958.
855
A partir des années 50, nombreuses sont les associations qui ont œuvré pour les enfants abandonné notamment celle
menée par des religieuses nord-américaines qui ont pris l’initiative d’ouvrir deux orphelinats installé dans la ville
d’Azrou, ou l’association internationale ‘SOS Villages d’enfants’ installé à Marrakech en 1985, qui se sont développé
dans d’autres villes à travers le pays
413
Ainsi, en juin 2014, une table ronde a été organisée par L’UNICEF en collaboration avec
les associations marocaines œuvrant pour la protection des enfants abandonnés afin
d’élaborer et de présenter un rapport alternatif au rapport alternatif présenté par l’Etat au
comité des droit de l’enfant. Dans le rapport rendu suite à cette réunion, nombreuses sont
les remarques adressées à l’Etat marocain suite à sa politique menée en ce qui concerne
les enfants abandonnés856. Ce rapport propose d’abord à « retirer de toute urgence les
enfants abandonnés qui continuent de vivre dans les hôpitaux, ce qui veut dire qu’en
manque de place dans les institutions et les associations dédiées à l’accueil de ces
enfants oblige que certains enfants restent de longues durées dans les hôpitaux, le
rapport évoque un nombre de 163 enfants ». Ce même rapport évoque l’obligation
d’intégrer le recours aux tests ADN dans la législation afin de permettre aux femmes la
possibilité d’établir la paternité de leur enfant et ainsi lutter contre l’abandon. Aussi,
l’UNICEF déplore la situation de ces enfants, notamment celui publié par l’UNICEF en
2015 et qui souligne la discrimination subie par un enfant abandonné à la naissance suite
à la situation matrimoniale de ses parents (non mariés), qui le prive de l’enregistrement
dans les registres civils857.
1004. L’article 20 de la CIDE prévoit que pour tout enfant privé de son milieu familial, il
doit y avoir une solution adaptée à sa situation afin d’assurer une meilleure prise en
considération de son intérêt à travers une protection spéciale. Cette dernière se traduit
dans l’adoption des différentes lois internes permettant l’harmonisation de ces dernières
avec les conventions internationales. En effet, nombreuses sont les hypothèses dans
lesquelles l’enfant peut acquérir le statut de l’enfant abandonné malgré que sa filiation
soit reconnue.
1005. En France comme au Maroc, les enfants abandonnés issus de filiation connue sont
ceux dont les parents sont dans l’impossibilité de s’occuper de leurs enfants pour diverses
raisons, et qui se catégorise selon les situations qui peuvent être soit suite au décès des
parents, en cas de retrait de l’autorité parentale, lorsque les parents se trouvent dans
l’incapacité de s’occuper de leurs enfants, ou encore lorsqu’une décision d’éloignement
est rendue par la justice dans l’intérêt de l’enfant, en confiant ce dernier à un tiers.
856
Iris SECHTER FUNK, Le traitement social des mères célibataires par des associations en Tunisie et au Maroc :
mobilisation, comparaison et défense de l’ordre moral, thèse, 2019, institut de recherche interdisciplinaire sur les
enjeux sociaux, p. 194 et s.
857
Un ensemble de rapports peuvent être consulté dans ce sens notamment : « La violence à l’égard des enfants au
Maroc » (UNICEF, 2006) ; « Etude : La traite des femmes et des enfants au Maroc » (ONU-FEMMES, 2015) ; « Etude
sur la violence sexuelle à l’encontre des enfants au Maroc » (Ayoubi IDRISSI, UNICEF, 2014) ; « Analyse de situation
des enfants au Maroc » (UNICEF, 2015).
414
1006. Une des premières situations dans laquelle l’intérêt de l’enfant doit faire l’objet
d’une prise en considération, est celle dans laquelle l’enfant se trouve privé de l’un ou des
deux de ses parents à cause d’un décès. Cette situation qui bouleverse et impacte la
personnalité et l’existence de l’enfant qui se trouve face au risque d’un déséquilibre
personnel qui menace la stabilité psychologique et matérielle de l’enfant et donc remet en
question la protection de son intérêt.
1007. En France, en 2015, le nombre d’orphelins a été estimé à 215000 de moins de 18
ans, c’est-à-dire 1.8% de cette tranche d’âge, dont 1.3 % d’orphelins de mère, 0.5%
orphelins de père et 0.04% orphelins du père et de la mère à la fois. En effet, la difficulté
liée à cette estimation est principalement celle que procure la prise en charge de ces
enfants, puisqu’il est difficile d’inclure les enfants qui ont fait l’objet d’une adoption. En
effet, pour l’ensemble des orphelins, l’Etat français assure une prise en charge et accorde
diverses aides à leur égard selon la spécificité de la situation de chacun afin d’assurer une
prise en charge matérielle ou psychologique. C’est ainsi que le Code civil réserve aux
enfants orphelins qui ont perdu uniquement un parent, 858 l’article 373-1 qui prévoit que
« si l’un des parents, père ou mère décède ou se trouve privé de l’exercice de l’autorité
parentale, l’autre exerce seul cette autorité »859, l’Etat leur assure l’allocation de soutien
familial (ASF) qui est versée par la caisse d’allocations familiales (CAF) ou la mutualité
sociale agricole (MSA) à la personne qui élève seule l’enfant dont l’autre parent est
décédé.
1008. D’autre part, par rapport aux enfants privés de leurs deux parents, l’Etat s’engage à
établir deux solutions. La première est celle qui selon le Code civil, permet de placer
l’enfant dans sa famille860. Une possibilité qui s’applique sous le contrôle du juge des
tutelles qui convoque un conseil de famille afin de désigner un tuteur qui assure
l’entretien de l’enfant et représente ce dernier dans les actes administratifs 861. En cas
d’impossibilité de placer l’enfant dans sa famille, ce dernier est confié à l’aide sociale de
l’enfant et admis en qualité de pupille de l’Etat pour faire l’objet d’adoption, toutefois,
suite à la difficulté d’adoption de ces enfants, ils sont alors placés dans d’autres
établissements sociaux ou spécialisés ou encore dans des associations.
1009. En droit marocain, l’article 1 al. 3 du Dahir du 13 juin 2002 considère comme
enfant abandonné de filiation connue, l’orphelin qui a perdu l’un de ses parents ou les
deux. Dans le premier cas, il est souvent question du recueil ou d’une attribution de la
tutelle à l’égard de l’autre parent encore vivant, alors que dans l’hypothèse où l’orphelin
ait perdu ses deux parents, il devient objet de recueil.
859
Cette situation peut faire l’objet d’exception puisque l’application de l’article 373-3 al. 2 accorde aux grands-parents
le droit d’obtenir la garde de cet enfant en se référent à son intérêt supérieur ; toutefois, les grands-parents doivent
prouver les éléments constituant cet intérêt. Par ailleurs, il importe de souligner que cette prise en charge des enfants
demeure provisoire et dont la révision peut être faite à n’importe quel moment, puisque le parent survivant conserve
son droit d’autorité parentale.
860
Cécile FLAMMANT, Sophie PENNEC, Laurent TOULEMON, Combien d’orphelins en France ? Dans quelle
famille ?, Recherches familiales 2020.1 (n° 17) p. 3.
861
Malgré la responsabilité déléguée au tuteur, la question de l’héritage demeure une exception et reste soumise au juge
des tutelles, en ayant en référence le Décret n°2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du
patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, et pris en application des articles 452, 496 et 502 du code
civil.
415
En effet, en principe ce recueil ne doit pas se limiter uniquement à l’accueil matériel mais
il doit également faire l’objet d’une prise en charge entière surtout l’élément
psychologique de l’enfant. Cependant, la situation de cette prise en charge est très
délicate notamment suite au manque des moyens accordés par l’Etat aux institutions
spécialisées, l’interdiction de l’adoption et la difficulté et les restrictions de l’institution
de la kafala.
Par ailleurs, il existe d’autres catégories d’enfants abandonnés et qui sont d’abord les
enfants dont les parents manifestent eux-mêmes tardivement leur abandon en les confiant
aux institutions étatiques notamment l’aide sociale à l’enfance (ASE) en France. Puis il y
a ceux dont les parents ont fait l’objet d’une déchéance de l’autorité parentale à travers
une intervention du juge. Ces décisions sont souvent rendues suite à l’impossibilité des
parents d’éduquer ou de répondre correctement aux besoins de leurs enfants que ce soit
sur le plan moral ou encore matériel et socio-économique. Ainsi, nombreuses sont les
raisons qui mènent le juge à déchoir les parents de leur autorité parentale et à considérer
l’enfant comme abandonné.
1010. Le droit marocain à titre exemple considère dans l’article 1 er al. 3 de la loi relative
à la kafala que l’enfant abandonné est celui dont les parents sont de mauvaise conduite et
n’assument pas leur responsabilité de protection et d’orientation en vue de garantir à
l’enfant un bien-être physique et moral. Ainsi, c’est dans l’objectif de la concrétisation de
ce bien-être de l’enfant que le juge prend en considération les difficultés des parents,
qu'elles soient d’ordre personnel résultant de l’état de santé de l’un ou des deux parents
ou celles relatives à leur insuffisance de ressources. Toutefois, dans ces cas de figure où
l’abandon est considéré comme involontaire, c’est-à-dire lorsque le désintérêt
involontaire est prouvé par les parents, le juge conserve uniquement la compétence de
fixer et de déterminer les modalités de placement de l’enfant et considère que c’est un
couple en situation de détresse.
1011. Ainsi, les orphelins et les enfants abandonnés par leurs parents, que ce soit d’une
manière volontaire ou involontaire, se retrouvent dans le besoin d’une prise en charge,
qui se fait dans un premier temps par l’Etat en appliquant l’article 20 de la CIDE qui
dispose que « tout enfant abandonné doit avoir le droit à une protection et une aide
spéciale de l’Etat ». En effet, cette aide se manifeste tout d’abord par la prise en charge
de l’enfant avant qu’il soit adopté ou placé dans une famille d’accueil ou par une kafala
en droit marocain. En France, cette première prise en charge n’a pas attendu l’avènement
de la CIDE afin de garantir à cette catégorie d’enfants une première protection. En effet,
le statut de pupille de la nation a été instauré en France avec la loi du 27 juillet 1917 en
instaurant l’office national des pupilles de la nation qui est un établissement public
rattaché au Ministère de l’instruction publique, un statut qui vise à l’origine les enfants
« orphelins de guerre » qui se retrouvaient sans famille ou dont le père ou la mère étaient
blessés, un statut qui va comprendre un grand nombre d’enfants qui sera de 1.8% de la
population française en 1929.
416
Ainsi, ces enfants seront d’abord pris en charge par l’office national des pupilles de la
Nation, puis à partir de 1946 par l’Office national des anciens combattants et victimes de
guerre (ONACVG). Cette prise en charge va en effet connaître une évolution
remarquable au cours des années, d’abord en s’élargissant à d’autres catégories d’enfants
mais également en établissant des lois qui soulignent la nécessité du suivi862.
L’article 224-4 du Code de l’action sociale et des familles dispose que « sont admis en
qualité de pupille :
1- Les enfants dont la filiation n’est pas établie ou est inconnue, qui ont été recueillis
par le service de l’aide sociale à l’enfance depuis plus de deux mois.
2- Les enfants dont la filiation est établie et connue, qui ont expressément été remis
au service de l’aide sociale à l’enfance en vue de leur admission comme pupilles
de l’Etat par les personnes qui ont qualité pour consentir à leur adoption, depuis
plus de deux mois.
3- Les enfants dont la filiation est établie et connue, qui ont expressément été remis
au service de l’aide sociale à l’enfance depuis plus de six mois par leur père ou
leur mère en vue de leur admission comme pupilles de l’Etat et dont l’autre
parent n’a pas fait connaître au service, pendant ce délai, son intervention d’en
assumer la charge ; avant l’expiration de ce délai de six mois, le service
s’emploie à connaître les intentions de l’autre parent.
4- Les enfants orphelins de père et de mère(…)
5- Les enfants dont les parents ont fait l’objet d’un retrait de l’autorité parentale en
vertu des articles 378 et 378-1 du code civil(…)
6- Les enfants recueillis par le service de l’aide sociale à l’enfance en application
des articles 381-1 et 381-2 du Code civil (déclaration judiciaire de délaissement
parental).
1012. Ces cas d’admission peuvent être catégorisés en trois situations qui sont : l’absence
de parents, sur décision des parents ou encore par décision judiciaire. En effet, pour
répondre au mieux à cette prise en charge en ayant en référence la particularité et la
spécificité de la situation de chaque enfant, l’Etat français a mis en place des procédures
qui visent à respecter l’intérêt de l’enfant.
1013. En ce qui concerne l’admission en pupille de l’Etat en cas d’absence des parents de
l’enfant, notamment le cas de la naissance sous X ou l’orphelin, la procédure est
similaire. Pour l’orphelin ainsi que pour l’enfant né sous X, il est d’abord question de
l’établissement d’un procès-verbal de recueil par le service de l’ASE, qui vise à déclarer
l’enfant à titre provisoire comme étant un enfant pupille pour une durée de 2 mois. A la
fin des 2 mois, il est question de l’établissement d’un arrêté d’admission de l’enfant en
qualité de pupille de l’Etat par le président du conseil départemental notamment en
l’absence d’établissement du lien de filiation à l’égard d’un ou des deux parents.
862
L’article 34 de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.
417
Ainsi, l’ASE est tenue de notifier l’arrêté auprès des personnes ayant qualité de contester
l’arrêté d’admission visée à l’article L.224-8 II du Code de l’action sociale et des familles
(CASF) qui ont manifesté un intérêt pour l’enfant auprès de ce service et qui peuvent agir
dans un délai de trente jours à partir de la date de réception de la notification de l’arrêté
devant le tribunal de grande instance. Les titulaires de l’action en contestation de l’arrêté
d’admission forment un recours devant le tribunal, suite à ce recours le tribunal d’appel
prononce soit l’annulation de l’admission et confie l’enfant au demandeur, soit il rejette
le recours et valide l’arrêté d’admission et donc là, une possibilité de former un projet
d’adoption de l’enfant s’ouvre à partir de l’extension des voies et délais de recours.
Toutefois, si le titulaire de l’action en contestation de l’arrêté d’admission ne forme pas
de recours, la possibilité de former un projet d’adoption pour l’enfant est directe après
l’extension des voies et des délais de recours863.
-
Celles relatives aux mesures prise par l’Etat, les collectivités territoriales et les
organismes de sécurité sociale qui visent à aider les parents à élever leurs enfants
afin d’éviter l’abandon.
- Les dispositions des lois visant le régime de la tutelle et des pupilles de l’Etat.
- Les informer de tous les délais et les conditions selon lesquels l’enfant peut être
repris.
- La possibilité des parents de laisser tout renseignement concernant la santé et
l’origine des parents ainsi que les raisons et les circonstances qui ont abouti à cet
abandon.
Suite à ces étapes, une seconde étape est entamée qui s’agit de l’étape d’admission en
qualité de pupille de l’Etat. En effet, cette étape débute suite à la fin du délai accordé aux
parents de reprendre l’enfant. Le président du conseil départemental prend un arrêté
d’admission de l’enfant en qualité de pupille de l’Etat, ainsi dès lors que les personnes
ayant qualité pour agir en contestation de l’arrêté d’admission visé à l’article L.224-8 III
du CASF aient manifesté un intérêt pour l’enfant à l’ASE, ces personnes doivent
obligatoirement être avisées par la notification de l’arrêté, pour qu’ensuite le tribunal
apprécie la qualité de cet intérêt et sa conformité avec l’intérêt de l’enfant.
La dernière situation est celle de l’admission de l’enfant en qualité de pupille de l’Etat
suite à une décision de justice, et elle peut être soit sous forme d’un retrait total de
l’autorité parentale, soit d’une déclaration de délaissement.
863
Les enfants pupilles de l’Etat, Ministère des solidarités et de la santé, éd. 2018, p. 16.
418
Dans les deux situations, l’enfant n’est déclaré pupille de l’Etat que lorsque la décision de
justice est définitivement rendue. Ainsi, lorsqu’il s’agit du retrait de l’autorité parentale,
la décision doit avoir pour effet le retrait total de l’autorité parentale soit à l’égard des
deux parents soit à l’égard de celui par rapport auquel la filiation est établie afin de
confier l’enfant au service de l’aide sociale. Ce jugement rendu en première instance
devient définitif en cas d’absence d’appel à l’expiration du délai de recours qui est de
quinze jours. A l’expiration de ce délai, le service de l’aide sociale à l’enfance sollicite un
certificat de non-appel ou de non-opposition.
1015. En outre, l’ensemble de ce processus est consolidé par des missions assurées par
l’Etat à travers les organes de tutelles et le service gardien dans l’objectif de protéger
l’intérêt de l’enfant. En effet, la tutelle des pupilles de l’Etat est exercée conjointement
par le préfet de département, qui exerce la fonction de tuteur dont la mission est définie
dans l’article 408 du Code civil et le conseil de famille dont la mission est définie dans
l’article 401 du Code civil.
Dans le même ordre d’idées, il importe de souligner que le rôle de l’Etat ne cesse de se
consolider suite aux réformes menées en la matière afin de permettre une meilleure
protection à travers l’adoption de nombreuses mesures qui visent à améliorer la prise en
compte et la garantie des besoins de l’enfant tout au long de son parcours de protection.
Parmi les textes adoptés permettant cette amélioration, il y a d’abord la loi du 5 mars
2007 réformant la protection de l’enfance, puis la loi n°2016-297 du 14 mars 2016
relative à la protection de l’enfant.
En effet, cette dernière place l’enfant au centre de toute intervention visant à sécuriser le
parcours de l’enfant et lui assurer une stabilité de vie à travers l’harmonisation des textes
avec la réalité, notamment à travers son article 34 (L225-1) du Code de l’action sociale et
des familles qui dispose que : « les enfants admis en qualité de pupille de l’Etat (…)
doivent faire l’objet, dans les meilleurs délais, d’un projet de vie, défini par le tuteur avec
l’accord du conseil de famille, qui peut être une adoption, si tel est l’intérêt de l’enfant
(…) ». De plus, l’ensemble des mesures adoptées par la dernière réforme visent à établir
un cadre général qui permette plus de précision par rapport à l’ancien texte de 2007 en
apportant plus de précision en ce qui concerne l’intervention de l’Etat en la focalisant sur
des actions de prévention en faveur de l’enfant et de ses parents, à une organisation qui
permette le repérage des situations de danger et de risque pour l’enfant, l’organisation
quant aux décisions administratives et judiciaires prises dans l’objectif de protéger
l’enfant864. Dans l’ensemble, il paraît évident que les réformes menées par le législateur
français visant les enfants abandonnés font du principe de l’intérêt de l’enfant un
fondement et une ligne directive afin d’améliorer la situation de cette catégorie d’enfant.
864
Protection de l’enfant : Les nouvelles dispositions issues de la loi n°2016-297 du 14 mars 2016 relative à la
protection de l’enfant, Observatoire national de la protection de l’enfance. Disponible sur : https://onpe.gouv.fr/loi-
2016.
419
1016. En droit marocain, la question de la prise en charge des enfants abandonnés et
déclarés pupilles de l’Etat connaît encore aujourd’hui de nombreuses limites qui se
manifestent sur deux plans, législatif et pratique. En effet, c’est sur la demande du
procureur du Roi que le tribunal de première instance déclare par jugement qu’un enfant
abandonné acquiert le statut pupille de l’Etat.
Ainsi, cet enfant peut être placé provisoirement par le ministère public dans l’une des
institutions ou des organismes dédiés à l’accueil de ces enfants. Contrairement au droit
français qui attribue l’exercice du tuteur au préfet de département, le droit marocain quant
à lui l’attribue au juge des tutelles qui l’exerce conformément aux dispositions du Code
de la famille qui dispose dans son article 54 qu’ « il appartient à l’Etat de prendre les
mesures nécessaires en vue d’assurer la protection des enfants, de garantir et préserver
leurs droits conformément à la loi », du Code de la procédure civile et de la loi du 13 juin
2002 relative à la prise en charge des enfants abandonnés par la kafala.
1017. Cependant, ces textes font face à une réalité plus complexe que ce soit du nombre
important des enfants abandonnés ou encore du manque d’organisme et d’institutions
d’accueil. En effet, malgré que le Maroc ait marqué une évolution en matière de politique
publique visant à multiplier les organismes et leur organisation notamment à travers
l’adoption de la loi n°14-05 du 22 novembre 2006 relative à la gestion des établissements
de protection sociale, cette loi a été saluée par le comité des droits de l’enfant par rapport
aux nouvelles dispositions qui permettent d’élargir le champ d’accueil des enfants, mais
également d’améliorer leurs conditions de vie.
1018. Par ailleurs, malgré que les textes semblent être plus évolutifs, la problématique
majeure au Maroc est celle relative à l’application de ces dispositions à l’égard des
enfants abandonnés issus de filiation connue et qui sont principalement victimes des
conditions socio-économiques de leurs familles, puisque l’Etat n’accorde pas d’aides
financières aux familles se trouvant dans difficulté.
D’ailleurs, ce sont les principales reproches élaborées par le comité des droits de l’enfant
à l’Etat marocain, notamment lorsqu’il évoque le nombre d’ enfants abandonnés suite aux
difficultés financières, en précisant que deux tiers des enfants placés dans les
établissements le sont uniquement pour une raison de pauvreté ; l’insuffisance des
ressources accordées aux associations et aux établissements de protection sociale ainsi
que le manque de personnel qualifié qui peut participer à élaborer des projets de vie pour
chaque enfant et de prendre en considération la spécificité de sa situation.
1019. En outre, face à cette réalité, le comité a appelé l’Etat marocain à travers de
nombreuses recommandations à faire en sorte que l’élément de la pauvreté financière et
matérielle ne soit jamais la seule référence pour accepter l’abandon d’un enfant et de le
priver de sa famille, l’Etat devant en effet doubler d’effort afin d’accompagner la famille
dans l’objectif de protéger l’enfant et de garantir son bien-être au sein de sa propre
famille.
420
Ou encore d’adopter d’autres solutions permettant de prévenir des mécanismes de
détection précoce des enfants vivant dans des conditions difficiles et de soutenir les
parents notamment les mères célibataires, afin de limiter l’abandon des enfants et de
favoriser un meilleur placement qui évite à l’enfant le placement dans les institutions, et
de lui garantir le placement auprès de l’un des parents ou encore d’un membre de sa
propre famille865. Par ailleurs, la question de placement de l’enfant représente également
une limite pour le système marocain qui, contrairement à son homologue français, interdit
l’adoption et permet uniquement la kafala qui offre une prise en charge de l’enfant, ce
qui limite encore plus le placement d’enfants.
865
Rapport, Observation finales concernant le troisième et quatrième rapports périodiques du Maroc N°
CRC/C/MAR/3-4.
421
- l’article 34 qui illustre la nouvelle dimension d’accompagnement de l’Etat d’un
projet de vie dédié à l’enfant qui peut être son adoption dans les meilleurs délais
en respectant l’intérêt de l’enfant 866.
1022. Il est à souligner que la reconnaissance du législateur français de deux formes
d’adoption distinctes notamment l’adoption simple ou plénière permet d’assouplir et
d’adapter la forme d’adoption à la situation de l’enfant. En effet, l’adoption plénière
permet la rupture totale des liens entre l’enfant et sa famille biologique et relie l’enfant
uniquement à sa famille d’adoption, tandis que l’adoption simple permet de faire
coexister les deux liens de filiation notamment le lien biologique et adoptif867. Cette
flexibilité permet aujourd’hui de définir le projet d’adoption qui est assuré par le tuteur de
l’enfant en l’occurrence le préfet avec l’accord du conseil de famille, et qui consiste à
choisir le mode d’adoption adapté à l’enfant en fonction de sa particularité et de ses
circonstances notamment celles relatives à son âge, son histoire ou encore des liens
existants avec sa famille. Des éléments qui permettent d’élaborer ces projets au cas par
cas en se basant sur les besoins spécifiques de chaque enfant dans l’objectif de rechercher
les candidats adaptés à chacun.
1023. Ainsi, la mission du choix des adoptants de chaque enfant est accordée au tuteur
qui assure avec l’accord du conseil de famille le profil de la famille adaptée à l’enfant et
qui répond au mieux à ses besoins. A cet effet, le président du conseil départemental
expose la situation des familles qu’il estime adaptées à offrir les bonnes conditions
d’accueil et qu’il juge favorables à l’intérêt de l’enfant. Le tuteur choisi à son tour les
dossiers des personnes qu’il juge susceptibles d’accueillir l’enfant et les communique au
responsable du service de l’aide sociale à l’enfance, qui seront par la suite présentés au
conseil de famille soit par le responsable de l’ASE soit par le tuteur lui-même. Si l’enfant
concerné par l’adoption est mineur et capable de discernement, il est entendu par le tuteur
ainsi que par le conseil de famille, s’il a plus que treize ans son consentement est
obligatoire868.
1024. Par ailleurs, lorsqu’il s’agit d’un enfant dont les parents n’ont pas consenti son
adoption, c’est le conseil de famille qui accorde son consentement avant le placement de
l’enfant en vue de son adoption. Lorsque les adoptants acceptent la proposition d’enfant,
le tuteur et le conseil de famille s’organisent sur les informations concernant l’enfant qui
seront transmis aux adoptants ainsi que sur « la date de placement en vue d’adoption
dans le cas d’une adoption plénière ce qui permet une remise effective de l’enfant aux
futurs adoptants, ou la date à laquelle la pupille sera confiée aux futurs adoptants dans le
cas d’une adoption simple »869.
1025. Suite à ces démarches, l’instauration du lien de filiation entre l’enfant et l’adoptant
résulte d’un jugement du tribunal de grande instance, qui à son tour avant de rendre son
jugement vérifie dans un délai de six mois toutes les conditions légales de l’adoption
prévues par la loi, ces conditions sont liées principalement à la condition d’âge pour
866
Protection de l’enfant : Les nouvelles dispositions issues de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la
protection de l’enfant, Observatoire national de la protection de l’enfance. Disponible sur : https://onpe.gouv.fr/loi-
2016.
867
Corine RENAUT-BRAHINSKY, Droit de la famille,éd, Gualino, coll Mementos, 6ème éd, 2006.
868
Articles 345 et 360 du Code civil.
869
Article R.224-15 du Code de l’action sociale et des familles.
422
l’adopté, l’âge de l’adoptant et la durée du mariage du couple qui doit être au minimum
de deux ans, les conditions de consentements liées à l’adoption, la titularité de l’agrément
en vue d’adoption ou encore la vérification du cadre familial qui accueillera l’enfant
notamment lorsqu’il s’agit d’une famille où il y a d’autres descendants.
1026 De plus, le tribunal effectue une vérification de la conformité de l’intérêt de l’enfant
à cette adoption. Les deux formes d’adoption créent des droits et des devoirs réciproques
entre l’adopté et l’adoptant afin de cerner l’intérêt de l’enfant et de permettre la
concrétisation de nombreux principe tels que la sécurité et la protection de l’enfant contre
tout abus. En effet, ces conséquences connaissent néanmoins une différenciation entre
l’adoption plénière qui permet à l’enfant de prendre le nom de l’adoptant et d’acquérir
automatiquement la nationalité française lorsqu’au moins un des parents est français.
Dans ce cas, l’adopté est héritier réservataire des parents et de leurs ascendants, il
bénéficie du même régime fiscal que les enfants biologiques de l’adoptant. Quant à
l’adoption simple, elle permet d’adjoindre le nom de l’adoptant à celui de l’adopté, qui
peut faire la demande d’acquérir la nationalité française par déclaration ; l’adopté est
héritier réservataire des adoptants mais également de sa famille d’origine et il bénéficie
du même régime fiscal que les enfants biologiques (s’il est mineur au moment du décès
de l’adoptant ou au moment de la donation consentie par l’adoptant au moins cinq ans ;
s’il est majeur au moment du décès de l’adoptant ou au moment de la donation consentie
par l’adoptant et que ce dernier l’a élevé pendant au moins cinq ans durant sa minorité
et sa majorité870).
1027. Par ailleurs, malgré le fait que l’ensemble de cette réglementation puisse paraître
évoluée, elle a néanmoins fait l’objet d’un rapport plutôt critique à l’égard de nombreuses
dispositions jugées dépassées ou insuffisantes à l’égard de la protection des droits de
l’enfant. En effet, le rapport élaboré par Monique LIMON et Corine IMBERT intitulé
« Vers une éthique de l’adoption, donner une famille à un enfant » publié en octobre
2019, soulignait de nombreuses limites au niveau du texte adopté et même à la loi
adoptée en 2016.
En effet, cette dernière qui est principalement le résultat des deux rapports publiés en
2014871 qui ont considérablement influencés les dispositions de cette loi jugée comme
une révolution législative qui avait pour objectif d’organiser la question de l’adoption
afin qu’elle réponde au mieux à l’intérêt de l’enfant à travers le renforcement de l’action
publique et d’infléchir les pratiques professionnelles.
1028. Cette loi a permis d’apporter des modifications sur trois axes visant la
concrétisation de l’intérêt de l’enfant: la réforme de la révocation de l’adoption simple
pour consolider cette dernière dans l’intérêt de l’enfant, elle est concernée par l’article 32
modifiant l’article 370 du Code civil en retirant aux parents naturels la possibilité de
demander la révocation de l’adoption.
870
Article 786 du Code général des impôts.
871
Irène THERY, Anne-Marie LEROYER, Filiation, origines, parentalité : le droit face aux nouvelles valeurs de
responsabilité générationnelle, Avril 2014. Sur : http://www.justice.gouv.fr/include_htm/etat_des_savoirs/eds_thery-
rapport-filiation-origines-parentalite-2014.pdf et, Adeline GOUTTENOIRE. 40 propositions pour adapter la protection
de l’enfance et l’adoption, aux réalités d’aujourd’hui, Avril 2014. Sur : https://www.vie-
publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/144000303.pdf
423
L’article 33 qui concerne la restitution de l’enfant à l’un de ses parents lorsqu’il est né
sous le secret ou pupille de l’Etat, l’engagement du président du conseil départemental à
la mise en place d’un accompagnement médical, psychologique, éducatif et social du
parent et de l’enfant pendant une durée de trois ans. Et enfin l’article 34 qui prévoit
l’établissement de projet de vie pour les pupilles de l’Etat définis par le tuteur en accord
avec le conseil de famille. Le second axe est celui interprété par l’article 34 du texte qui
modifie l’article 353 du Code civil et qui vise à établir l’obligation du juge à auditionner
l’enfant lorsque ce dernier est capable de discernement.
Puis le dernier consiste à améliorer le statut des enfants recueillis, à travers l’article 40
qui permet la modification complète des dispositions relatives au délaissement parental
qui peut être considéré comme tel lorsque les parents n’entretiennent pas avec l’enfant les
relations nécessaires à son développement pendant l’année qui précède toute requête
puisque ce délaissement peut ouvrir la voie à la déchéance de l’autorité parentale et donc
à une possibilité d’adoption ultérieure, un processus rendu possible avec la création de la
commission d’évaluation de la situation et du statut des enfants confiés (CESSEC)872.
1029. Cependant, le rapport dit Limon va souligner quelques limites de la loi 2016 en
soulignant les disparités entre les départements en ce qui concerne l’application de la loi
notamment en matière d’accompagnement des familles adoptantes, les conditions
d’agrément en vue de l’adoption d’une enfant, l’élaboration du projet de vie, la mise en
place des commissions des statuts, la mise en œuvre de la nouvelle procédure de
délaissement. Le rapport va également souligner le manque de formation des acteurs de
l’adoption notamment « la composition des conseils de famille, le besoin d’un bilan
d’adoptabilité, le cas particulier de la kafala, le parrainage ». En outre, le rapport a
permis la mise en place de nombreuses recommandations afin d’améliorer l’équilibre
entre la prise en compte de l’intérêt de l’enfant et l’intérêt de la famille. En effet, les
recommandations de ce rapport ont abouti à une proposition de loi n° 3161 visant à
réformer l’adoption qui a été déposée à la présidence de l’assemblée nationales le 30 juin
2020 et dont l’adoption en première lecture a été affirmée le 4 décembre 2020.
Cette proposition de loi s’articule autour de trois axes successifs : faciliter et sécuriser
l’adoption conformément à l’intérêt de l’enfant ; renforcer le statut de pupille de l’Etat et
améliorer le fonctionnement des conseils de famille ; apporter plus de précision, de
renforcement et d’amélioration du fonctionnement des conseils de famille et enfin
améliorer quelques dispositions relatives au statut de l’enfant873.
1030. Dans les faits, cette proposition vise d’abord l’ouverture à l’adoption aux couples
non mariés (les couples pacsés et concubins) afin de répondre à l’évolution de la famille,
de réduire la durée de la vie commune exigée à seulement deux ans, l’abaissement de
l’âge minimum requis du ou des parents adoptants de 28 à 26 ans, puis une proposition
fixant l’âge maximum de 50 ans entre l’adoptant et l’adopté.
872
Monique LIMON, Corine IMBERT, Rapport sur l’adoption « Vers une éthique de l’adoption, donner une famille à
un enfant », octobre 2019, p. 20.
873
Jérémy HOUSSIER, Proposition de loi visant à réformer l’adoption : la première lecture est achevée, 2 décembre.
Disponible sur : https://www.dalloz-actualite.fr/.
424
Le texte propose la valorisation et l’assouplissement des règles de l’adoption simple pour
les enfants de plus de 15 ans, ainsi que la reformulation de l’article 364 du Code civil
dans l’objectif de préciser expressément la conservation des droits des deux filiations
(d’origine et adoptif) pour l’adopté. En ce qui concerne l’adoption plénière pour les
enfants de plus de 15 ans, le texte favorise les assistants familiaux qui ont accueillis
l’enfant et ce, jusqu’à l’âge de 21 ans.
1031. Et enfin, pour le renforcement du statut des pupilles de l’Etat qui se manifeste dans
l’amélioration du fonctionnement des conseils de famille pour remédier aux
dysfonctionnements relevés et dénoncés notamment ceux liés à l’absence de formation de
ses membres, et de l’organe chargé de la tutelle de l’Etat avec le représentant de l’Etat
dans chaque département.
Il prévoit également le renforcement du droit de l’enfant à l’information dans toutes les
décisions qui le concerne notamment celles prises par le tuteur ; l’exclusivité du recueil
des pupilles de l’Etat réservé à l’ASE, en réduisant le rôle des organismes autorisés pour
l’adoption (OAA) qui conservent un rôle d’accompagnement ou de recherche de famille
pour les enfants à besoins spécifiques874.
1032. L’ensemble de dispositions proposées répondent principalement à une prise en
considération plus stricte de l’intérêt de l’enfant, en intégrant expressément l’adoption
comme une mesure de protection d’enfance en droit interne notamment le (CASF)
conformément au texte de la CIDE et à la convention de la Haye. Ainsi, il semble évident
que la recherche de la concrétisation du principe de l’intérêt de l’enfant ne cesse d’inciter
l’évolution de l’ensemble des institutions relatives à l’enfant.
1033. En droit marocain la prise en considération de l’intérêt de l’enfant en matière de
prise en charge des enfants abandonnés a également abouti à de remarquables réformes
visant à améliorer la prise en charge des enfants abandonnés. Toutefois, comme toutes les
questions relatives au droit de la famille, ces réformes sont également imprégnées par le
caractère religieux qui se manifeste dans de nombreuses dispositions relatives à la prise
en charge de ces enfants, puisque le Maroc comme la majorité des pays musulmans a
conservé sa spécificité religieuse.
En effet, autre que le choix du placement dans les institutions jusqu’à leur majorité, le
législateur marocain interdit les deux forme d’adoption875 et reconnaît uniquement le
recueil légal (kafala) tiré du droit musulman comme solution pour ces enfants876.
L’institution de la kafala se présente comme une pratique ou un mécanisme régulateur
qui vise à protéger les enfants abandonnés dans les pays musulmans ; elle est considérée
comme une alternative et une solution juridique et sociale qui remplace l’adoption dans
l’objectif de protéger ces enfants.
Ainsi, dans le cadre de cet ‘accueil légal’ l’enfant conserve les liens de sa filiation avec
ses parents biologiques s’il est issu de filiation connue et doit conserver le nom
874
Réforme de l’adoption. Disponible sur : https://www.assemblee-nationale.fr/.
875
L’article 149 du Code de la famille dispose que : « l’adoption (ATTABANI) est juridiquement nulle et n’entraîne
aucun des effets de la filiation parentale légitime ».
876
Le refus de l’adoption et le recours au recueil légal (kafala) en droit musulman est fondé sur deux principes :
d’abord celui de la crainte de la transmission du nom car l’enfant doit conserver son nom initial, puis les conséquences
telles que celles relatives à l’héritage ou encore aux mariages incestueux.
425
patronymique qui lui été attribué lors de son enregistrement à l’état civil s’il est issu de
filiation inconnue. En pratique, la kafala consiste à un engagement de prendre en charge
un enfant d’une manière bénévole, à assurer son entretien et son éducation. Elle produit
des effets d’une tutelle ou d’une autorité parentale déléguée au kafil (le garant) voire
même une remise de l’enfant sans aucune transmission de droit.
Cette définition permet donc de comprendre la différence entre l’accueil légal (kafala) et
le concept de l’adoption sous ses deux formes.
1034. La réglementation de ce recueil légal au Maroc a connu depuis l’adoption de la
première loi du 9 juin 1984, une évolution à travers les réformes qui l’ont poursuivi
notamment par le Dahir du 10 septembre 1993 et désormais la loi n°15-01 relative à la
prise en charge des enfants abandonnés qui a été promulguée par le Dahir du 13 juin
2002. Ainsi, c’est cette dernière réforme qui constitue aujourd’hui le seul cadre juridique
qui réglemente cette institution. De plus, entre la loi de 1993 et celle adoptée en 2002,
une réelle prise en considération de l’intérêt de l’enfant s’est manifestée afin de permettre
une meilleure harmonisation entre les textes internationaux notamment la CIDE et la
convention de la Haye du 29 mai 1993 qui reconnaissent l’institution de la kafala et le
droit interne.
1035. En effet, le chantier mené par le législateur marocain en 2002 a permis la révision
d’un nombre de dispositions principales en la matière, en accordant plus de précisions et
de prises en considération de l’intérêt de l’enfant en prévoyant les cas précis où l’enfant
peut être considéré comme abandonné, son statut légal, les causes de la cessation de la
kafala mais également l’instauration d’un suivi postérieur à l’égard des enfants sous
kafala qui permet de contrôler la prise en charge de l’enfant qui doit répondre à ses
besoins et son bien-être matériel et psychologique.
Nombreuses sont les dispositions introduites dans le texte de 2002 réformant la kafala,
ces réformes ont concerné des questions fondamentales relative à la désignation, au droit
de l’enfant de s’exprimer sur sa prise en charge lorsqu’il est capable de discernement
mais également au renforcement de la procédure judiciaire dans l’objectif de préserver au
mieux l’intérêt de l’enfant.
1036. Dans ce sens, et en ce qui concerne la désignation de l’enfant abandonné, l’article
premier de la loi du 13 juin 2002 désigne les enfants concernés par la kafala en précisant
qu’elle doit concerner tout enfant abandonné âgé de moins de dix-huit ans « qu’il soit né
de parents inconnus ou d’une mère connue qui l’a abandonné de son plein gré ;
d’orphelin ou ayant des parents incapables de subvenir à ses besoins ou ne disposant pas
de moyens légaux de subsistance ; d’enfant ayant des parents dissolus, dévoyés ou de
mauvaise conduite, voire déchus de leur autorité parentale ». Puis dans le second article
elle définit la kafala comme étant une « prise en charge d’un enfant (…) et de
l’engagement de prendre en charge la protection, l’éducation et l’entretien d’un enfant
abandonné au même titre que le ferait un père pour son enfant ».
426
Toutefois, elle précise que « La kafala ne donne pas de droit à la filiation ni à la
succession ». L’article 12 quant à lui accorde à l’enfant le droit d’intervenir et de donner
son avis dans l’une des décisions qui le concerne et dispose que : « la kafala d’un enfant
âgé de plus de douze années grégoriennes est subordonnée à son consentement
personnel » une orientation très proche du droit français en matière d’adoption qui
accorde à l’enfant de plus de treize ans capable de discernement de consentir son
adoption.
1037. De plus, le texte de 2002 intègre une réforme de taille quant à la procédure de la
kafala en restreignant la large marge d’appréciation qui été accordée à l’autorité
administrative, qui d’ailleurs conservait un rôle principal en matière du choix des
candidats à la kafala sans aucune enquête anticipée ni un suivi postérieur à la prise en
charge de l’enfant. Désormais, c’est l’autorité judiciaire qui conserve la compétence
exclusive de l’ensemble de la procédure partant de la désignation de l’enfant qui peut
faire l’objet d’une kafala, au choix de la famille d’accueil et du suivi du bon exercice de
la mesure.
1038. C’est dans ce sens que l’adoption de la procédure judiciaire prévoit actuellement un
revirement en faveur de l’intérêt de l’enfant qui se manifeste dans la procédure de kafala.
En effet, la procédure judiciaire débute avec la déclaration de l’enfant comme abandonné.
Ce dernier est déclaré comme abandonné suite à une enquête menée par le procureur du
Roi qui saisit le tribunal de la famille du lieu de résidence de l’enfant sollicitant un
déclaration d’abandon après avoir entamer toutes les mesures d’urgence qui doivent être
prises selon la situation de l’enfant dont, l’inscription à l’état civil et le placement
provisoire de l’enfant dans un établissement spécialisé adapté à son âge et à sa
situation877.
1039. Suite au constat d’abandon par jugement exécutoire par provision, le juge des
tutelles et des mineurs statue sur la demande de la kafala. Pendant cette période et avant
le jugement définitif, le dossier de l’enfant fait l’objet d’une large publicité pendant au
moins trois mois afin de permettre aux parents biologiques de se manifester et de
réclamer la restitution de l’enfant qui fait l’objet du jugement. Ainsi, lorsque le jugement
d’abandon est définitif et de plein droit, le procureur du Roi place l’enfant
provisoirement soit dans un établissement spécialisé, soit dans une association ou dans
une famille d’accueil provisoire 878 jusqu’à que la décision de sa prise en charge soit prise
et que le choix de la famille d’accueil définitive soit pris en leur accordant le statut du
tuteur datif879.
877
Articles 4 et 5 de la loi sur Kafala des enfants abandonnés.
878
L’article 232 du Code de la famille dispose que : « dans le cas où un mineur est placé sous protection effective d’une
personne ou d’une institution, ladite personne ou institution est considérée comme son représentant légal en ce qui
concerne ses affaires personnelles, en attendant que le juge lui désigne un tuteur datif ».
427
1040. En effet, ce choix de la famille d’accueil est devenu aujourd’hui plus encadré par la
loi de 2002 qui expose d’une manière explicite les critères que doit remplir l’accueillant
de l’enfant. Ils sont catégorisés entre la situation sociale, économique et morale du Kafil.
Ainsi, les conditions d’attribution de l’enfant au Kafil sont régies par l’article 9 de cette
loi, qui autorise la prise en charge de l’enfant abandonné soit par une personne
physique comme un couple marié ou une femme célibataire, ou une personne morale qui
peut être un organisme public ou privé.
En ce qui concerne les personnes morales, l’article 9 al-3 désigne les organismes publics
spécialisés en matière de protection d’enfance ou des associations à caractère social
reconnus d’utilité publique qui disposent suffisamment de ressources et de moyens
matériels ainsi que du personnel compétent permettant d’accueillir l’enfant en respectant
son bien-être.
1041. Pour les couples, la réforme désigne en premier lieu le critère de la religion. En
effet, ils doivent être tous les deux majeurs appartenant à la confession musulmane. De
plus, ils doivent être aptes moralement en n’ayant jamais fait l’objet d’un contentieux au
tribunal, ou commis une infraction portant atteinte à la morale afin qu’ils puissent
garantir un bien-être moral et psychologique à l’enfant.
Puis socialement et matériellement, ils doivent être en bonne santé pour assurer la prise
en charge de l’enfant, avoir suffisamment les moyens pour assumer le bien-être matériel
de l’enfant et répondre à ses besoins. Ainsi, certaines dispositions adoptées par la loi de
2002 ont apporté un assouplissement aux règles de la prise en charge de l’enfant afin de
faciliter le placement de l’enfant dans une famille d’accueil. Cet assouplissement se
manifeste dans certaines mesures telles que la suppression de la condition de la durée du
mariage qui sous le règne de l’ancien texte était fixée à trois ans de mariage pour le
couple, la suppression de la condition de la nationalité marocaine pour le couple et enfin
la suppression de la condition de résidence permanente sur le territoire marocain pour les
couples d’étrangers qui souhaitent qu’une kafala leur soit attribuée.
1042. Cependant, cet assouplissement a fait l’objet de certaines contradictions au niveau
de l’application. En effet, si certaines décisions qui ont suivi l’adoption de la loi n°15-01
relative à la prise en charge (kafala) ont conforté le choix du législateur en attribuant la
kafala à des étrangers en écartant le critère de la nationalité et de la résidence tel que le
jugement rendu par le tribunal de première instance de Marrakech du 16 juin 2006 qui a
attribué la kafala d’un enfant abandonné à un couple dont le mari est de nationalité
espagnole et qui réside en Espagne880.
1043. Cependant, d’autres voies s’élevaient pour interdire cette possibilité en la jugeant
contraire à l’intérêt de l’enfant, dans la mesure où le refus de la réception de la kafala
telle qu’elle est établie au Maroc et l’absence de contrôle du suivi de l’enfant représentent
des éléments contraires aux dispositions de la loi n°15-01 et en l’occurrence la protection
de son intérêt au niveau de la protection de son origine, de son identité personnelle, de sa
nationalité et par conséquent de son appartenance tel qu’établi dans le statut personnel
marocain.
880
Tribunal de première instance de Marrakech,
428
1044. Cette orientation va être consolidée par la circulaire n°40 S/2 du 19 septembre
2012 et destinée à l’ensemble des procureurs des TPI et aux procureurs généraux près
des cours d’appels du pays, qui va demander à ces derniers de « mener une enquête à
l’égard des demandeurs de la kafala étrangers afin de vérifier que leur résidence
habituelle soit sur le territoire marocain et de transmettre la requête aux juges des
mineurs afin que ces derniers refusent l’attribution de la kafala aux étrangers non-
résidents au Maroc »881 en précisant également que « l’attribution de la kafala doit
protéger l’intérêt supérieur de l’enfant marocain, la préservation de cet intérêt dans le
cadre qui est souligné dans la loi 15-01 qui respecte l’esprit et la philosophie du régime
de la kafala des enfants abandonnés, que la kafala ne soit accordée qu’aux demandeurs
qui résident habituellement sur le territoire marocain882.
1045. Par ailleurs, la remise en cause de l’attribution de la kafala aux étrangers et aux
résidents à l’étranger a suscité une autre problématique qui est celle de savoir si les
personnes de nationalité marocaine résidentes à l’étranger, étaient concernées par cette
décision. Pour répondre à cette problématique, le ministre de la justice RAMED avait
apporté une réponse claire dans une lettre destinée aux parquets généraux en précisant
que les étrangers visés par la circulaire n°40/S2 sont, les personnes ne disposant pas de la
nationalité marocaine, celles qui n’ont aucune nationalité connue (apatride) ou bien celles
dont la nationalité n’a pas pu être déterminée, en précisant que les marocains résidents à
l’étranger peuvent être contrôlés dans le cadre d’une attribution de kafala et les enfants
peuvent toujours faire l’objet d’un suivi883.
De plus, l’une des nouvelles dispositions adoptées par le texte et saluée par les militants
des droits des femmes est celle de l’inscription de la possibilité offerte aux femmes
célibataires de recueillir un enfant, tout en respectant les conditions émises par l’article 9
notamment qu’elle soit musulmane, apte moralement et matériellement et qu’elle soit de
nationalité marocaine.
1046. Dans toutes ces situations, la force de la loi 15-01 par rapport à l’ancien texte de
1993, est l’intégration de la prise en compte de l’intérêt de l’enfant à travers la mise en
place d’un mécanisme et d’une procédure protectrice à l’égard de l’enfant. Cette
procédure se manifeste principalement dans le renforcement du contrôle judiciaire qui
exige d’abord le contrôle des conditions prévues dans l’article 9, ensuite l’ouverture
d’enquête qui vise le demandeur, menée par un comité composé d’un représentant du
ministère public, d’un représentant des autorités religieuses, d’un représentant de
881
Il est à noter que cette question a connu une exception d’un accord émis entre le gouvernement marocain et son
homologue espagnol. En effet, ce dernier s’est engagé d’une part de ne pas convertir les kafalas en adoption et
d’assurer le suivi des enfants pris en charge sur le territoire espagnol. In : Nuria MARCHAL ESCALONA,
Reconnaissance et efficacité de la kafala marocaine dans l’ordre juridique espagnol, Revue critique de droit
international privé, 2015/1, n° 1 p. 90 et s.
Il importe également de souligner que cette circulaire ne concernait pas la kafala dite « intrafamiliale/notariale » qui
permet au parent biologique de confier son enfant à une personne de sa famille ou une autre n’appartenant pas à la
famille afin que cette dernière soit le kafil de l’enfant, et qui s’agit d’un acte privé entre le parent et le kafil.
882
La précision de la nationalité de l’enfant renvoie également à la spécificité de son intérêt qui doit être respecté dans
le cadre de la loi marocaine.
Dans ce sens voir : la circulaire N°15-01, disponible sur : https://www.kafala.fr/circulaire.
883
Dans ce sens le Ministre de la justice et des libertés Mustapha RAMADA s’était également exprimé sur la question
de l’attribution de la kafala aux étrangers devant la commission de la justice, de la législation et des droits de l’homme
en considérant que la protection des droits de l’enfant marocain exige de ne pas accordé la kafala aux demandeurs
étrangers.
429
l’autorité ainsi que d’un représentant spécialisé en protection de l’enfance 884. Et c’est en
se basant sur cette enquête que le pouvoir d’appréciation de l’intérêt de l’enfant permet
soit d’accepter soit de refuser la kafala de l’enfant.
Toutefois, lorsque l’enfant est accordé à une famille d’accueil la décision de son
attribution n’est pas définitive, et tous les recours que ce soit en appel ou en cassation
sont acceptés et réglementés selon les dispositions de l’article 17 de la même loi.
1047. Le texte exige également un suivi postérieur de l’enfant pris en kafala jusqu’à la
majorité de l’enfant par le juge des tutelles ; ce dernier confie au parquet, au service
social et ses assistantes ou encore à une commission d’enquête spéciale, le suivi de la
situation de l’enfant et son développement ainsi que le contrôle du respect du kafil de
toutes ses obligations.
C’est en effet, cette disposition qui crée problème face à l’attribution de la kafala aux
étrangers, puisque ce contrôle ne peut pas être assuré lorsque le pays de la personne
étrangère qui accueil enfants ne reconnait pas l’institution de la kafala, sauf lorsqu’il y a
un accord bilatéral entre le Maroc et le pays de l’accueillant tel qu’est le cas de
l’Espagne.
1048. La réforme de la loi sur la kafala a été adoptée dans l’objectif de moderniser les
règles relatives à cette institution ; elle a en effet fait de la prise en charge de l’enfant
abandonné une priorité en accordant plus de souplesse aux règles tout en étant contrôlé.
En revanche, malgré le fait que cette loi soit plus évoluée que celle qui la précédait, son
application n’a pas permis la prise en charge d’un grand nombre d’enfants privés de leur
milieu familial qui a atteint selon le parquet 2009 enfants abandonnés soit 5.5 enfants par
jour en 2018. Face à cette urgence, de nombreuses voix se sont élevées notamment lors
« d’une journée d’étude sur la promotion de la kafala » qui été organisée le 25 février
2021 en présence de la ministre de la solidarité du développement social, de l’égalité et
de la famille Jamila El-MOUSSALI pour plaider en faveur d’une nouvelle réforme de la
loi relative à la kafala dans l’objectif de faciliter les procédures et pour réaffirmer que
l’intérêt de chaque enfant est d’être dans une famille.
Une vision qui a été également affirmée par le ministre d’Etat chargé des droits de
l’Homme et des relations avec le parlement M. Mustapha RAMED885, qui lors de son
intervention a souligné « qu’il est temps de réviser la loi 15-01 relative à la kafala des
enfants abandonnés, malgré que cette dernière avait déjà marqué une évolution
importante en la matière, le système doit être amélioré et consolidé en faveur d’une
meilleure prise en charge de l’enfant ».
1049. En effet, cet appel à l’assouplissement des règles qui vise à faciliter les procédures
et à impliquer toutes les parties concernées afin de garantir au mieux l’intérêt de l’enfant
a été également rappelé par Madame Giovanna BARBERIS, qui estime que malgré la
reconnaissance du système de la kafala par le droit international, son application et ses
règles ne sont pas en conformité avec les principes des conventions internationales
relatives aux droits de l’enfant 886.
884
La constitution de ce comité est prévue dans la circulaire du 7 juin 2004.
885
Il est à souligner que M. Mustapha RAMED est l’ancien ministre de la justice et des libertés, qui est actuellement
remplacé par M. Mohamed BEN ABDELKADER.
886
Kafala : Appel à activer les lois et faciliter les procédures, Média 24. Disponible sur : www.media24.com.
430
Cet appel, reflète d’abord l’urgence de la situation des enfants abandonnés mais
également à l’évolution juridique que connaissent toutes les branches de droit qui
concernent l’enfant. Une prise en compte qui exige un courage et une volonté politique
sérieuse qui ose mettre la limite au critère religieux et de favoriser l’intérêt de l’enfant et
son bien-être au détriment de toute spécificité juridique.
Cette dernière devient aujourd’hui l’argument de défense de tous les systèmes juridiques
qui refusent d’intégrer toute règle permettant de heurter un traditionalisme juridique
privant donc la concrétisation de l’intérêt de l’enfant en matière de filiation. Cette
position ne se limite pas uniquement à la question des enfants abandonnés mais s’élargit
et se confronte également avec les nouvelles formes de filiation créées par l’évolution et
le développement de la science, où le statut juridique de l’enfant et l’établissement de sa
filiation deviennent également le déclencheur d’une remise en cause de l’intérêt supérieur
de l’enfant.
1050. La spécificité des systèmes juridiques représente une des barrières principales à la
reconnaissance d’une universalité de certains principes fondamentaux adoptés par les
conventions internationales relatives aux droits de l’Homme dont celles de la CIDE. En
effet, l’intérêt supérieur de l’enfant est l’un des principes dont la difficulté de sa
concrétisation s’avère assez complexe dans la mesure où son universalité qui exige son
application à tous les enfants du monde, où qu’ils vivent, qui qu’ils soient et
indépendamment de leur statut ou de toute caractéristique particulière.
1051. De plus, l’application de tout principe universel exige également la liaison étroite
avec d’autres principes fondamentaux qui participent d’une manière directe à la
concrétisation de ce principe. Ainsi est le cas de l’intérêt de l’enfant dont la concrétisation
est liée à la garantie d’autres droits qui permettent l’établissement du statut juridique de
l’enfant. Ce dernier qui se définit selon Madame DEKEUWER-DÉFOSSEZ « sous deux
angles différents : d’abord savoir s’il est considéré comme une personne juridique ;
ensuite, déterminer l’étendue de sa capacité juridique »887. En effet, la personnalité
juridique permet à une personne d’être titulaire des droits et des obligations, malgré le fait
qu’il soit difficile d’adopter une seule thèse en matière du début de cette personnalité
juridique888. Une fois attribuée, elle lui garantit un ensemble d’attributs qui permet son
identification à travers l’attribution de filiation, de nom, de nationalité…etc.
887
Françoise DEKEUWER-DÉFOSSEZ, Les droits de l’enfant, Que sais-je ?, éd. Presse Universitaire de France, 2018,
p. 9.
888
La question du début de la personnalité juridique permet l’adoption de deux théories ; d’abord celle qui avance que
l’enfant acquiert sa personnalité juridique dès sa conception, puisqu’il va être considéré comme né à partir de ce
moment. Puis, la seconde théorie qui considère que l’enfant qui n’est pas encore né est considéré uniquement comme
une partie du corps de la mère. Cependant, en droit français de nombreux auteurs considèrent que ces deux théories ne
sont pas contradictoires dans la mesure où elles permettent d’établir une seule théorie qui considère que l’enfant conçu
n’est pas considéré comme une personne mais qu’il acquiert dès sa conception une personnalité potentielle ou
conditionnelle. Ainsi, l’absence de la personnalité juridique de l’enfant conçu, est principalement le résultat de
l’indissociation de l’enfant du corps de la mère et donc son insuffisance de mener une vie indépendamment. Par
ailleurs, les droits qui sont accordés à cet enfant conçu ne peuvent être effectifs qu’à partir de la naissance de l’enfant
‘Vivant et viable’.
Il importe de souligner que la théorie adoptée par le droit marocain est différente, puisqu’elle est fondée sur la
conception musulmane qui attribue à l’enfant conçu une personnalité juridique d’abord en interdisant l’avortement
431
1052.La concrétisation de la prise en considération de l’intérêt de l’enfant à travers son
statut juridique exige d’abord la protection des droits ‘potentiels ou conditionnels’ que
l’enfant acquiert avant sa naissance et de ses droits qui lui sont attribués dès sa naissance.
Toutefois, la question du statut juridique de l’enfant et la protection de son intérêt s’est
retrouvée face à une transformation consécutive du lien familial qui a influencé d’une
manière directe la prise en considération de cet intérêt.
En effet, ce dernier a subit les conséquences de la transformation consécutive du lien de
la famille, qui a été pendant le XXème siècle le théâtre d’un ensemble de mutations
juridiques dans la constitution des nouvelles approches du lien du mariage et de la famille
d’une manière générale. Cette transformation intègre différents niveaux, d’abord celui du
passage du mariage comme la seule institution juridique fondatrice de la filiation et de la
famille à l’éclatement de ce lien traditionnel et à engendrer la coexistence889. Et en
l’occurrence la transformation de la constitution du modèle du couple lui-même qui n’est
plus fondée sur la décision commune d’engagement pour une durée que les deux
partenaires ignorent mais qui a adopté également une sorte de modernité en offrant à cette
union un nouveau modèle du couple qui préserve les individualités de ses membres sans
pour autant remettre en question son caractère symbolique 890.
Cette transformation a permis le développement de la volonté humaine de vouloir tout
contrôler notamment les rapports humains, en adoptant de nouveaux modes de relations
mais également de filiation. Une réalité que Monsieur Bethery DE LA BROSSE décrit
comme « la volonté de l’Homme du XXI siècle de refuser la réalité, il veut pouvoir mettre
dans les termes -dans ce terme somme toute assez simple de mariage seulement ce qu’il
désire. Ainsi, ‘tout duo se veut mariage’, c’est ‘le mariage pour tous (concubins,
homosexuels) »891 et donc dans un avenir proche, la filiation pour Tous, en ayant recours
au progrès scientifique. En effet, comme nous l’avons déjà précisé, le progrès scientifique
a permis d’une manière directe à influencer le droit de la famille dans son ensemble et
celui de la filiation en particulier, qui souffre aujourd’hui d’une difficulté à s’adapter avec
la réalité sociale qu’il doit régir.
1053. Ainsi, si le législateur français a veillé pendant des décennies à protéger et garantir
la construction juridique fidèle au modèle de filiation traditionnelle, c’est-à-dire le
modèle de la procréation biologique, il est aujourd’hui confronté à de nouvelles formes
de possibilité de filiation. Une situation accentuée par l’adoption de la loi du 13 mai 2013
qui affirme la possibilité de rompre avec le modèle classique fondé sur la parenté
biologique et la sexualité du couple.
(l’autorisant sous quelques conditions), puisque l’islam considère que la vie humaine commence à partir du 120 ème jour
en soulignant le passage de Nutfâ (goute de sperme), au Alaqâ (Caillot de sang) au Mudqha (Morceau de chair), cette
dernière étape permet en effet de confirmer que l’âme lui a été insufflée par Dieu.
889
Abla KOUMDADJI, Islam et parenté, in Revue internationale de droit comparé. Vol. 69 n °2, 2017, p. 308.
890
Gérard NEYRAND, La conjugalité contemporaine, une nouvelle façon de penser le lien, Enfance familles
générations (Online) 25, 2016. Disponible sur : http://journals.openedition.org/efg/1204.
891
Arnould BETHERY DE LA BROSSE, Entre amour et droit : le lien conjugal dans la pensée juridique moderne
(XVIème-XXIème siècles), Paris, LGDJ, 2011, n° 564, p.376.
432
Cependant, la possibilité offerte par la science à l’existence d’abord d’une filiation qui
dissocie la sexualité et la procréation telles que la PMA 892, pose la question du statut
juridique qu’acquiert l’enfant né de ces pratiques notamment celles interdite dans un
système juridique.
1054. En droit marocain, la conservation du modèle familial traditionnel et unique fondé
uniquement sur le mariage a permis de limiter les dissociations faites entre la sexualité et
la procréation ou encore la procréation et la filiation. Ainsi, malgré que l’influence du
progrès scientifique en matière de filiation se soit avérée évidente mais limitée, elle a
néanmoins contraint le législateur à apporter une réponse législative à l’égard de la PMA
et de sa pratique dans le pays. En effet, comme nous l’avons précisé précédemment, la
pratique de la PMA connaissait un vide juridique qui permettait aux praticiens un
exercice réglementé uniquement par la conscience des médecins et de leur déontologie.
Cependant, depuis 2019 une nouvelle phase de prise de conscience de ce progrès a vu le
jour à travers le Dahir n°1-19-50893 portant promulgation de la loi n°47-14 relative à
l’assistance médicale à la procréation.
1055. Cette loi qui se veut historique puisqu’elle représente le premier cadre juridique qui
réglemente la question la PMA au Maroc, définit les principes d’organisation et fixe les
conditions d’utilisation et du recours à la PMA dans les établissements de santé exerçants
ces pratiques. Toutefois, l’étude de cette loi assez récente permet de soulever ses limites
puisqu’elle s’est restreinte à l’encadrement d’une pratique existante sans pour autant se
pencher sur la prise en compte de nouvelles pratiques et en restant fidèle à la perception
religieuse de chaque pratique scientifique. Ainsi, l’adoption d’une loi assez limitée n’a
pas permis l’amélioration de la prise en considération des conséquences de ces pratiques
sur le statut juridique de l’enfant né par PMA qui demeure assez flou. C’est la raison pour
laquelle de nombreux praticiens manifestent leur souhait d’une nouvelle réforme visant à
règlementer au mieux l’accessibilité à la PMA mais également les conséquences de sa
pratique.
1056. Dans ce contexte la question de protéger l’intérêt de l’enfant peut paraître assez
complexe puisqu’elle déclenche d’autres problématiques aussi légitimes que cet intérêt,
qui se développent au fur et à mesure avec le développement social et scientifique qui
consiste à accorder à l’être humain la possibilité de contrôler. Une situation qui fait élever
des voies de revendication d’un droit à l’enfant dans les deux systèmes juridiques.
Opposant en France deux courants, d’un côté celui qui défend la famille traditionnelle et
ses valeurs considérant qu’un enfant doit être né dans une famille composée d’un homme
et d’une femme, et d’un autre côté le courant qui valorise l’accès à la science et aux
possibilités offertes au nom du principe de l’égalité également, quel que soit le sexe des
parents, proclamant que « le droit à l’enfant doit être accessible »894. Quant au droit
marocain, la question du droit à l’enfant est encore limitée à quelques pratiques de PMA
dont le cadre légal du mariage demeure la condition principale.
892
En ce qui concerne les incidences du détachement entre la sexualité et la procréation ; la dissociation entre la
procréation et la filiation, Voir : Jean-Jacques. LEMOULAND, « La filiation désexuée : nouveau modèle pour la
famille de demain ?, in Mélanges en l’honneur du professeur NEIRINCK, Paris, LexixNexis, 2014, pp. 561-580.
893
Dahir n°1-19-50 du 4 Rejeb 1440 (11 mars 2019) portant promulgation de la loi n°47-14 relative à l’assistance
médicale à la procréation.
894
Astrid MARAIS, La procréation pour tous ?, coll. Thèmes, commentaires et actes, Dalloz, 2015.
433
Paragraphe 1 : Le statut juridique de l’enfant né par PMA et ses conséquences.
1057. Chaque enfant a droit à un statut juridique 895, et il ne doit en aucun cas faire l’objet
d’un simple projet parental qui le réduit à un élément constituant uniquement un élément
de bonheur pour les adultes896. Cependant le statut juridique de l’enfant semble être
fragile voire parfois inexistant notamment suite à l’évolution scientifique à laquelle il fait
face. Ainsi, pour répondre à la question du statut juridique de l’enfant et à l’évolution
importante en matière de médecine reproductive, le recours aux méthodes de la PMA ont
obligé le législateur marocain de répondre à cette réalité scientifique qui représente
aujourd’hui une des différentes formes de filiation afin de garantir à l’enfant son statut
juridique. En effet, la nouvelle loi n°47-14 a permis avant tout, une reconnaissance
législative de la possibilité de recourir à ces pratiques en imposant un cadre
réglementaire. Le silence du législateur marocain avant l’adoption de cette loi ne
permettait pas de paralyser le recours à ces pratiques, puisque certaines d’entre elles se
pratiquaient en totale absence du cadre juridique que ce soit en ce qui concerne la
pratique elle-même ou ses conséquences sur le statut juridique de l’enfant.
895
Le droit à l’enfant, et la filiation en France et dans le monde, LexisNexis, mars 2018.
896
Clotilde BRUNETTI-PONS, Le droit à l’enfant et la filiation en France et dans le monde. Présentation de la
recherche, in PMA, GPA : quel statut juridique pour l’enfant ?, Actes du colloque organisé le 18 mai 2018 au conseil
supérieur du notariat par le CEJESCO, éd. mare & martin, 2018, p. 24 et s.
897
Catherine LABRUSSE-RIOU, « Le droit à l’enfant » et la filiation propos introductifs, in PMA, GPA : quel statut
juridique pour l’enfant ?, op. cit., p. 31.
434
De plus, cette notion du ‘droit à l’enfant’ porte en elle-même une atteinte au droit de la
filiation puisqu’elle aboutit dans certains cas à la perte du droit de l’enfant à rechercher
sa filiation que ce soit d’une manière totale ou partielle.
1059. Le législateur français avait fait le choix depuis la loi de 1994 d’abord d’autoriser
les techniques de PMA pour les couples hétérosexuels, mariés ou non qui rencontrent des
difficultés de procréer que ce soit suite à une infertilité ou encore en cas de maladies
transmissibles entre partenaires. Autrement dit sur caractère pathologique. Ces pratiques
autorisées peuvent être soit endogènes c’est-à-dire avec les gamètes du couple soit
exogènes en ayant recours à un tiers donneur de gamètes ; dans ce cas, il devient alors
nécessaire de recueillir le consentement du couple sur l’ensemble des conséquences de
leur acte au regard de la filiation.
1060. En outre, depuis l’adoption de la première loi passant par la réforme de 2011 de la
loi bioéthique, le législateur français a adopté une logique d’équilibre « entre
l’affirmation de règles éthiques visant à garantir le respect de la personne et la nécessité
de ne pas faire obstacle aux progrès scientifiques susceptibles de faire reculer la maladie
et la souffrance »898. Toutefois, le sens profond de l’équilibre adopté par le législateur en
matière de recours à la PMA a provoqué l’interaction de deux champs de droits qui
doivent être protégés ; d’abord ceux relatifs au droit au respect de la vie privée et
familiale à travers lequel les parents peuvent protéger leur projet parental et celui de la
protection de l’intérêt de l’enfant qui intègre un ensemble de droits notamment ceux
relatifs à sa filiation tels que le droit de connaître ses origines ou celui de garantir son
bien-être psychologique.
De plus, l’influence des textes internationaux et européens participe d’une manière
directe à affirmer d’abord le projet parental qui se base sur l’article 8 de la CEDH qui
dispose que : « toute personne a le droit au respect de sa vie privée et familiale de son
domicile et de sa correspondance ». Ainsi, c’est en se référant à cette disposition que la
Cour européenne a privilégié une approche civiliste au profit du droit au couple d’avoir
recours à la PMA, en considérant que les restrictions d’accès à la PMA qu’un Etat peut
mettre en place peuvent être considérées comme une violation de l’article 8 de la CEDH.
En effet, quelques arrêts ont été rendus par la Cour européenne dans lesquels la Cour
européenne reconnaît la protection du projet parental notamment l’arrêt Dickson 899 contre
le Royaume-Uni. En l’espèce, une épouse d’un détenu souhaitait être inséminée
artificiellement afin de concrétiser leur projet de devenir parents, suite au refus reçu par la
justice britannique, la Cour européenne a jugé ce refus contraire à l’application de
l’article 8 de la CEDH consacrant au couple le droit de devenir parents.
Dans un autre arrêt Knecht 900 contre la Roumanie en 2012, la Cour européenne réaffirme
la même perception qui consiste à garantir le droit de mener une vie familiale, puisque la
Cour avait estimé que le fait de refuser à une femme de transférer ses embryons qu’elle
avait déposés dans une clinique privée la privait de la possibilité de devenir mère par
898
Hélène GAUMONT-PRAT, les enjeux éthiques et juridiques de l’évolution de l’assistance médicale à la
procréation, in : Mots de science, Mélanges en l’honneur de Nicole M. Le DOUARIN, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 41.
899
CEDH, 4 décembre 2007, Dickson contre le Royaume-Uni, n°44362/02. Disponible sur : https://actu.dalloz-
etudiant.fr/fileadmin/actualites/pdfs/SEPTEMBRE_2012/AFFAIRE_DICKSON_c_ROYAUME-UNI.pdf.
900
Knecht c Roumanie, n°10048/10 du 02 octobre 2012.
435
fécondation in vitro. Toutefois, cette protection du projet parental qui reflète l’accès à
l’enfant par PMA n’expose pas de problème lorsque les gamètes appartiennent au couple,
mais c’est plutôt lorsqu’il y a recours du couple à un tiers donneur de gamètes. En effet,
le maintien de l’anonymat des gamètes pousse une partie de la doctrine à s’interroger sur
la légitimité des dons anonymes901. Toutefois, cette position exige ‘une grande prudence’
puisqu’elle concerne des enjeux de taille pour l’ensemble des personnes participant à la
procréation de l’enfant. En effet, l’une des situations les plus complexes est celle relative
à la volonté de l’enfant de connaître son parent biologique.
1061. C’est dans ce sens que la loi du 2 Août 2021 relative à la bioéthique bouleverse la
question de l’anonymat et du droit de l’enfant de connaître ses origines, puisqu’il adopte
dans sa version votée en deuxième lecture, le droit de l’enfant né par PMA de connaître
son ou ses géniteurs à partir de sa majorité, en ayant accès à des informations identifiées
ou non identifiées du donneur902, elle permet également une avancée dans la mesure où
elle permettra même aux enfant nés en PMA d’un tiers donneur avant la promulgation de
cette loi d’avoir recours aux informations. En effet, la nouvelle proposition de la loi
bioéthique exige la modification d’un nombre de dispositions qui permettront à tout
enfant conçu par PMA avec un tiers donneur d’accéder à partir de sa majorité à certaines
informations voire l’identité du donneur.
Cette possibilité exige le consentement du donneur, puisque ce dernier se trouve devant
l’obligation d’accorder son consentement avant même de procéder au don. Ces
informations sont principalement relatives à : l’âge du donneur, son état de santé, ses
caractéristiques physiques, ses origines et son pays de naissance, sa situation familiale et
professionnelle et enfin la motivation de son don. Ainsi, les données relatives aux
informations du donneur sont conservées par l’agence de la biomédecine qui garantit la
sécurité, l’intégrité et la confidentialité en respectant des délais de conservation qui
permettent leur usage et qui ne soit pas inférieur à quatre-vingts ans. La durée de ces
années permet en effet à l’enfant de recourir aux informations relatives à son donneur en
sollicitant la commission d’accès aux données de non-identification ou d’identification de
l’enfant qui est instaurée auprès du ministère de la santé.
1062. Ainsi, cette possibilité d’accès aux informations non identifiées et à l’identité du
donneur permettra ainsi de modifier un article fondateur de l’anonymat du donneur qui
est l’article 16-8 en y rajoutant « le principe d’anonymat du don ne fait pas obstacle à
l’accès de l’enfant majeur né d’une assistance médicale à la procréation avec tiers
donneur, sur sa demande, à des données non identifiées ou à l’identité de ce tiers
donneur, dans les conditions prévues par la loi… » et enfin d’une dépénalisation de cet
accès qui doit être précisé dans l’article 511-10 du Code pénal auquel il faudra préciser
l’exception des conditions d’accès aux informations identifiées ou à l’identité prévus par
l’article 16-8 du Code civil.
901
La levée de l’anonymat pour les donneurs, est l’une des dispositions prévues par le projet de la loi bioéthique qui est
voté en deuxième lecture à l’assemblée nationale début Août 2020. En effet, cette proposition consiste à obliger le
donneur de spermatozoïdes ou d’ovocytes d’accorder son accord à la transmission de quelques données (non
identifiées) à l’enfant à partir de ses dix-hui-ans si ce dernier le souhaite.
902
Il est à souligner que la France est l’un des rares pays adoptant le principe de l’anonymat du donneur à travers
l’article 16-8 du Code civil qui garantit la non divulgation de toute information qui permet d’identifier le donneur ou le
receveur.
436
1063. Le progrès souhaité par la loi bioéthique par rapport à la levée d’anonymat des
dons de spermes et d’ovocytes vient rejoindre d’abord une évolution marquée dans la
majorité des pays voisins du pays qui ont permis aux enfants nés par don (de spermes,
d’ovocytes, d’embryons) d’avoir accès à l’identité des donneurs tel que la Suède 903, la
Belgique904, la Suisse ou encore les Pays-Bas905 et le Royaume-Uni906. Toutefois, cette
évolution ne vient pas uniquement rejoindre ce courant évolutif qui se développe dans les
pays d’Europe mais il est également le résultat d’une évolution philosophique de
l’approche bioéthique qui intègre l’élément social et culturel en matière de la PMA dans
son ensemble.
1064. Cette transformation se manifeste sous trois angles différents. Tout d’abord à
travers l’approche bioéthique du don de spermes et d’ovocytes qui était identique à celle
du don de sang c’est-à-dire l’adoption de l’anonymat du donneur et du receveur.
Cependant, la question de la levée de l’anonymat du don de spermes et d’ovocytes en
matière de PMA remet en question ce principe dans la mesure où elle dépasse la simple
implication du donneur et du receveur qui a souvent pour objectif de ‘soigner une
pathologie’, en intégrant une troisième partie qui est l’enfant né suite à ce don.
L’approche du rejet de l’anonymat fonde son principe sur le refus d’une catégorisation
des enfants (enfants connaissant leurs origines et d’autres non) du fait de l’accès à une
partie ou l’ensemble de leurs origines.
1065. Autrement dit, permettre à ces enfants d’acquérir un des droits fondamentaux qui
permet de garantir un équilibre et un bien-être psychologique fondamental fondé sur une
transparence biologique permettant à l’enfant d’avoir une réponse à une simple question
humaine et qui est la suivante : ‘qui est mon géniteur ?’907.
Dans un second temps, il est question de connaître le nouveau statut de filiation qui peut
être attribué au donneur lorsque l’anonymat est levé. En effet, Mme Irène THERY,
souligne que malgré la levée d’anonymat du don, le droit adopte une orientation unique
dans tous les pays qui ont procédé à cette levée et qui consiste à établir la filiation à
l’égard du receveur tout en affirmant l’inexistence des conséquences du don à l’égard du
donneur. L’auteur souligne que la levée d’anonymat permet de distinguer deux statuts un
ancien et un nouveau qui doivent être redéfinis selon le nouveau principe de levée
d’anonymat. En effet, le nouveau statut qui concerne le donneur ne permettra surement
pas d’engendrer les conséquences de filiation (les droits et devoirs) à l’égard du donneur
mais consistera à instaurer une certaine compréhension du donneur de l’envergure de la
903
La suède est le premier pays à avoir autorisé la levée d’anonymat pour les dons de sperme en 1984 et d’ovocytes en
2003.
904
La Belgique a adoptée en 2007 une nouvelle loi permettant la distinction entre le don de gamètes et celui
d’embryons ; en effet, elle conserve l’anonymat pour l’embryon et autorise la levée d’anonymat pour les gamètes
lorsqu’il est question d’un accord établie entre le donneur et receveur.
905
Aux Pays-Bas, l’anonymat des dons est levé par la loi adoptée en 2004.
906
Le Royaume-Uni a levé l’anonymat du don en 2005 ; cependant, la loi adoptée ne permet pas aux enfants nés avant
cette date d’avoir accès aux informations ou à l’identité du donneur sauf si ce dernier décide de lever l’anonymat sur
son identité lui-même.
907
Irène THÈRY, L’anonymat des dons d’engendrement est-il vraiment éthique ? La revue des droits de l’Homme,n°3,
2013. Disponible sur : https://journals.openedition.org/revdh/193?lang=es#citedby.
Dans ce sens voir également : Mohammed Amine BENJELLOUN, Pierre LE COZ, Du don anonyme de gamètes à la
fiction de l’identité, Enfances et psy, 2013, n°. 60.
437
valeur morale et sociale exceptionnelle qui résulte de son acte ainsi que d’assumer
l’objectif principal qui demeure celui d’aider un couple à pouvoir engendrer.
1066. En outre, le même auteur pousse encore plus loin la réflexion et souligne que la
particularité de la participation du donneur, lui accorde une valeur morale et sociale qui
lui permet de défendre son rôle même devant l’enfant s’il lui demande de mettre au clair
les raisons de son acte. Ainsi, ce point de vue permettra de soulever un autre débat qui
remet en question l’établissement de la valeur de l’acte du donneur entre un acte
responsable et favorable à un acte immorale ou inhumain qui peut même rendre le
donneur lui-même où l’enfant né ou à naitre de ce don comme marchandises 908. Face à ce
statut, celui du parent par filiation se trouve renforcé par la loi suite à la levée d’anonymat
puisqu’il lui procure et lui garantit les droits et les devoirs de la filiation à l’égard de
l’enfant.
1067. Ainsi, l’approche de la levée de l’anonymat du don doit absolument contenir un
équilibre entre le donneur et le receveur afin d’établir un lien complémentaire en évitant
toute rivalité et dans l’objectif de répondre à l’intérêt de l’enfant de connaître ses
origines s’il le souhaite. Enfin, le dernier élément qui doit être pris en compte dans
l’approche de la levée d’anonymat, est celui du principe de l’intérêt de l’enfant qui remet
en cause le maintien de l’anonymat du donneur. En effet, c’est ce principe qui est même à
l’origine de cette remise en question dans la mesure où la prise en considération de
l’intérêt de l’enfant dans toute législation en matière de PMA se manifeste
systématiquement dans la levée d’anonymat du donneur afin d’accorder à l’enfant le droit
de connaître ses origines.
1068. Toutefois, la souplesse du principe de l’intérêt de l’enfant ne permet pas au
législateur de définir l’‘accès à l’origine’ comme une obligation. Autrement dit le
législateur ne peut définir ce qui est bon pour le développement de l’enfant par un texte
juridique. Ainsi, la prise en considération de cet intérêt se traduit juridiquement sous
l’angle du droit de connaître ses origines mais également de la liberté d’accéder aux
informations de ces derniers. En effet, le législateur se trouve devant l’obligation
d’adopter un nombre de principes fondamentaux qui concrétise l’intérêt de l’enfant
d’abord à travers le droit d’accéder à ses origines, d’accorder la liberté absolue à l’enfant
dès sa majorité d’accéder ou non à ces informations, de créer une égalité entre les enfants
nés d’une manière naturelle et ceux nés par PMA avec recours à un tiers donneur et donc
garantir à cet enfant un statut juridique qui préserve les mêmes droits que ceux d’un
enfant né d’une manière naturelle.
1069. En droit marocain, la question du statut juridique de l’enfant connaît des éléments
d’influence différents de ceux adoptés par son homologue français. En effet, les règles du
droit musulman classique adoptées par le législateur marocain en matière de filiation
n’ont pas pu apporter des réponses aux interrogations éthiques et juridiques que le
progrès scientifique a pu susciter notamment celles relatives aux différentes pratiques de
la PMA.
908
Ibid.
438
En effet, l’interaction de ces pratiques scientifiques avec le cadre classique de la filiation
a suscité un bouleversement de règles adoptées par la majorité des pays musulmans dont
le Maroc. Ce bouleversement, se manifeste d’abord dans la possibilité d’une remise en
cause du statut juridique de l’enfant avant et après qu’il soit né. Ainsi, avant l’adoption de
la loi n°47-14, la pratique de certaines méthodes de PMA suivait un processus classique
réglementé par la conscience des médecins, et aboutissait à une pratique très limitée,
puisque l’absence du cadre juridique représentait un risque de dérapage notamment sans
une définition des limites de cette pratique.
1070. L’adoption de la loi n°47-14 représentait en effet un espoir pour les praticiens qui
souhaitaient être encadrés dans leur pratique. Toutefois, la question qui se pose est celle
de savoir si cette loi a réussi à apporter un certain équilibre entre le droit traditionnel de la
filiation adopté par le pays et les pratiques scientifiques. De plus, a-t-elle apporté plus de
clarté quant au statut juridique de l’enfant né de l’une des pratiques de la PMA ?
La réponse à ces questions englobe l’analyse de l’ensemble des dispositions de la loi
n°47-14 ainsi que leurs conséquences sur le statut de l’enfant né par ces pratiques. En
effet, dans l’ancienne pratique comme dans la nouvelle loi, le législateur met en évidence
la première condition d’accès et qui demeure fidèle au cadre légal du mariage et aux
effets de la filiation, puisque l’article 12 de cette loi dispose que : « L’assistance médicale
à la procréation ne peut avoir lieu qu’au profit d’une femme et d’un homme mariés,
vivants et exclusivement avec leurs propres gamètes ».
Ainsi, cette disposition réaffirme avant toute chose l’attachement du législateur au cadre
légal du mariage et de la conception adoptée par les pays musulmans et qui a établi
l’exception de la dissociation de la relation sexuelle avec la procréation lorsqu’il s’agit
d’un couple marié et de leurs gamètes.
1071. Ainsi, le législateur considère que le recours à la PMA intraconjugale, permet
d’établir le lien biologique avec les deux parents, que cette conception soit le résultat
d’une insémination artificielle ou d’une fécondation in-vitro, ce qui rejoint l’article 142
du Code de la famille qui dispose que : « La filiation parentale se réalise par la
procréation de l’enfant par ses parents… ». De plus, le texte exige un élément
principalement qui participe également à l’établissement de la présomption de paternité et
qui consiste à exiger le consentement des deux conjoints comme le dispose l’article 13 du
même texte qui dispose que : « La pratique de toute technique d’assistance médicale à la
procréation est subordonnée au consentement libre et éclairé des conjoints. Le
consentement des conjoints doit être exprimé par écrit… ». Ainsi, cette exigence du
consentement écrit représente le reflet de la volonté du couple à procréer et pourrait être
une preuve admissible à l’établissement de la filiation malgré l’absence de l’acte sexuel,
mais en présence d’une vérité biologique, et donc l’absence d’une distinction de l’enfant
né de ces pratiques avec l’enfant procréé naturellement est fondée sur cette vérité
biologique.
439
1072. Toutefois, la question qui se pose est de savoir si l’adoption de ces dispositions,
permet de reconnaître ‘un droit à l’enfant’ en droit marocain. La réponse peut être fondée
sur un nombre d’éléments : d’abord sur l’avis religieux adopté par les pays musulmans
dont le Maroc et qui se manifeste dans l’effort d’interprétation fourni par les
jurisconsultes musulmans qui reconnaît que le recours à certaines pratiques de la PMA
dans le cadre légal peut être autorisé parce qu’elle est justifiée par ‘le soulagement de la
souffrance d’une femme qui souffre d’infertilité’.
De plus, la loi n°47-14 adoptée par le législateur marocain permet d’affirmer cette
orientation en soulignant que l’unique situation qui permet le recours aux pratiques de la
PMA est celle de l’infertilité en disposant dans l’article premier du texte que :
« L’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité dont le
caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué… ». Ainsi, Cet encadrement
permet pour la première fois de reconnaître l’infertilité comme une pathologie dont le
besoin de soin devient un droit pour les personnes souffrant de cette pathologie.
Cependant, cette définition de ‘pathologie’ pose une problématique de base pour les
praticiens, qui considèrent que cette réglementation limite premièrement l’accès aux
techniques de PMA, puisque le texte évoque la question de l’infertilité d’un angle
restreint qui intègre ‘l’infertilité et le manque d’infertilité’ deux situations auxquelles la
preuve scientifique peut être apportée.
1073. Or, nombreux sont les ces de couples où l’infertilité n’est pas scientifiquement
prouvée mais qui n’arrivent pas à accéder à ces techniques et donc ils se trouvent privés
d’un de leur droit et dont le nombre peut atteindre entre 15 et 20% de l’intégralité des
personnes qui ont accès à ces techniques. Secondement, elle représente un risque pour les
praticiens qui se trouvent devant un vide juridique qui ignore l’impossibilité d’agir et de
suivre ces cas dans les centres publics qui sont au nombre de quatre dans l’ensemble du
pays909.
1074. En outre, le respect de l’orientation spécifique du législateur marocain dans
l’objectif de respecter le cadre religieux et culturel en la matière et en l’occurrence limiter
la question du ‘droit à l’enfant’ provoqué par le progrès scientifique, est également
manifeste dans les sanctions qui visent les praticiens. En effet, ces derniers déplorent
l’intervention de la police judiciaire dont l’article 35 du même texte qui dispose que
« outre les officiers de la police judiciaire, sont habilités à rechercher et à constater les
infractions aux dispositions de la présente loi et des textes pris pour son application, les
inspecteurs spécialement commissionnés à cet effet par l’administration. Ces inspecteurs
sont assermentés conformément à la législation en vigueur et sont astreints au secret
professionnel sous peine des sanctions prévues à l’article 446 du code pénal» ; une
disposition que le président de la commission des secteurs sociaux Mustapha IBRAHIMI
regrette, puisqu’il considère « qu’il a fallu éviter l’intervention de la police judiciaire
pour tout le volet inspection, mais plutôt renforcer les prérogatives de l’ordre des
médecins… »910.
909
Jamal FIKERI, Gynécologue obstétricien à Rabat et vice-président du collège marocain de fertilité, lors de son
invitation dans une émission télévisée en langue arabe ‘Débat en crise’. Disponible sur : Medi1TV.
910
Elsa WALTER, PMA : Le projet de loi adopté mécontente les professionnels de la santé, TELQUEL, le 27 juillet
2018. Disponible sur : www.telquel.ma.
440
1075. Un autre élément relève également du caractère limitatif d’un droit à l’enfant, et
qu’il s’agit de la question du remboursement et de la prise en charge des actes de PMA
par les assurances. En effet, en vu des prix exorbitants de ces pratiques dans le pays qui
sont de l’ordre de 25.000 dirhams pour une fécondation in vitro, et 6000 dirhams pour
une insémination artificielle, les praticiens appellent le ministère de la santé à entamer les
négociations avec les organismes d’assurance tels que la CNSS, le CNOPS ou
l’ANAM911.
Ainsi, il semble évident que l’effort fourni par le législateur marocain en adoptant la loi
n°47-14 s’introduit dans le respect total des principes médicaux qui exigent la prise en
compte des incertitudes qui concernent l’enfant et la femme ainsi que ceux des
infrastructures sociales qui sont relatives aux conditions d’accueil de l’enfant et enfin
celles éthiques qui demeurent encore plus complexes puisqu’elles sont relatives à la
manipulation des gamètes et des embryons ainsi que leur destruction, etc.
1076. Toutefois, la sensibilité des valeurs qui englobent les pratiques de la PMA génère
au sein de la société des débats fondamentaux qui divisent cette dernière en mettant d’un
côté les partisans d’un texte plus développé qui exige l’adaptation des textes législatives
aux exigences sociales et à l’évolution d’abord de la science mais également du pays qui
subit également l’effet de la mondialisation. D’un autre côté, ceux qui craignent
l’évolution rapide qui peut influencer voire détruire les valeurs et les principes d’une
société musulmane et enfin ceux qui souhaitent la réalisation d’un équilibre entre le
progrès scientifique et les exigences de l’éthique, entre le respect de la vie et la
préservation des droits fondamentaux mais également un équilibre qui garantit la prise en
considération des conséquences à long terme sur les enfants.
Pour conclure sur les deux systèmes juridiques, il importe de souligner que l’objectif
d’une quelconque réforme en matière de PMA, doit avant tout prendre en considération
l’intérêt de l’enfant malgré que la souplesse de ce principe puisse être un frein à des
réformes plus poussées dans la mesure où sa possibilité d’interprétation selon la
spécificité de chaque système juridique peut influencer l’adoption de nombreuses règles
développées suite à l’évolution scientifique.
911
Les praticiens soulignent également le refus des assurances privées d’intégrer ces pratiques parmi les actes
médicaux remboursés.
441
B - Les conséquences psychologiques des enfants nés par PMA.
912
Le nombre des personnes nés en PMA en France correspond à un peu prêt de 3% chaque année.
442
1080. Ces personnes qui sont les principaux concernés par les conséquences du recours à
la PMA et dont la quête est relayée par les professionnels soulignent de nombreux
éléments qui participent au bouleversement de leur bien-être psychologique. En effet,
deux questions sont souvent soulevées dans le cadre de ce débat, et qui répondent d’une
manière directe à la psychologie de l’enfant né par PMA, elles concernent d’abord celle
des rapports parents-enfants qui se trouvent bouleversés suite à la transmission de
l’information concernant la vérité biologique de l’enfant, puis celle relative au lourd
parcours de recherche du géniteur face à son anonymat.
1081. En ce qui concerne les relations des parents avec l’enfant né suite à un don de
spermes ou d’ovocytes, la question qui se pose dans un premier temps est celle de savoir
si les parents doivent informer l’enfant de la spécificité de son engendrement, puis à quel
âge l’enfant doit être informé afin de le protéger du bouleversement de son équilibre et sa
stabilité. Pour les spécialistes en matière de psychologie, la PMA influence l’attitude de
l’ensemble des personnes ayant recours à cette pratique puis celle de l’enfant. En effet,
pour les parents, il est toujours une question de peur et d’hésitation à informer leur enfant
de l’ensemble des conditions de sa conception, ces derniers étant souvent impactés par le
parcours de la recherche de la parentalité qui débute du désir de l’enfant, de la grossesse
jusqu’à la naissance de l’enfant913.
1082. En effet, le désir d’avoir un enfant est partagé par tous les parents qui voient en ce
dernier une continuité logique de la vie d’une manière générale et de leur couple en
particulier. Il reflète la volonté de transmission des biens mais également des valeurs
humaines sociales comme familiales, d’un épanouissement personnel pour chacun des
parents. Toutefois, ce désir n’est pas accessible à tous les couples ; pour certains la
difficulté d’engendrement devient un objectif de vie et influence ce désir qui se trouve
face à un corps qui ne suit pas ce désir. Ainsi, le recours à la science notamment la PMA
représente pour ces couples le remède ultime qui répond à cette souffrance, en accordant
aux parents la possibilité d’enfanter malgré les difficultés du parcours et de l’anxiété des
parents. Dans le même processus, la grossesse vient calmer cette anxiété et offrir aux
parents une réponse au désir d’être parents. Par ailleurs, nombreuses sont les études qui
soulignent que la spécificité des conditions des grossesses suite au recours de la médecine
influence d’une manière directe les rapports entre les parents et l’enfant notamment la
mère, puisqu’ils sont marqués par la peur de la perte du bébé et en l’occurrence la
séparation avec cet enfant plus tard. C’est en effet, cette peur de perte de l’enfant qui
oblige la majorité des parents ayant eu recours à la PMA notamment à l’IAD puisque
l’enfant se trouve attaché biologiquement à une autre personne, et donc la peur de perdre
cet enfant suite à ce lien fait également partie des préoccupations des parents 914.
Autre que cet élément des rapports spécifiques parent-enfant, le recours à un tiers
donneur ‘anonyme’ par les parents représente l’un des éléments les plus perturbants pour
l’enfant. En effet, c’est à partir du moment où l’enfant est informé par rapport à la
spécificité de son engendrement que la question de la recherche de ses origines s’établit.
913
Hélène LAZARATOU, Bernard GOLSE, Du désir à l’acte : les enfants de la procréation médicalement assistée
(PMA), in la périnatalité, La psychiatrie de l’enfant, 2006/2 Vol. 49, p. 576 et s.
914
Ibid.
443
Ainsi, si autrefois la question même du recours à ces méthodes ressortait d’un secret
polichinelle que les psychanalystes et les psychologues définissent comme « un modèle
du ni vu ni connu »915 « un secret qui est sûrement et toujours connu par quelqu’un et
dont de nombreux critères y participent tel que la ressemblance, voire même la réaction
de l’enfant lui-même »916, et donc les circonstances de la révélation de ce secret est
souvent faite suite à un conflit familial dont les conséquences sur l’enfant sont plus
lourdes. De plus, de nombreuses analyses telles que celles faites par l’étude de Dorna917
avancent que 71% des 94% des familles qui ont eu recours à des PMA par don de
gamètes (notamment de sperme), avaient discuté avec les membres de leurs familles ou
leurs amis, ce qui rend la réalité uniquement secrète que par rapport à l’enfant qui est le
principal concerné.
1083. Aujourd’hui l’évolution des mentalités et celle des droits de l’enfant et de la prise
en considération de leur stabilité psychologique a permis d’influencer les méthodes
adoptées afin de casser le tabou de ces secrets, et d’informer les enfants le plutôt possible
de ‘son mode de conception qui représente une partie de son histoire dont il a le droit de
connaître’. Pour répondre à cette situation, les parents doivent être préparés dès leur
engagement dans ces processus afin qu’ils soient eux-mêmes à l’aise avec la vérité des
origines de l’enfant.
1084. Devant cette situation, les parents se divisent en deux catégories; d’abord ceux qui
préfèrent informer l’enfant dès son jeune âge c’est-à-dire à partir de l’âge de quatre ans,
estimant que l’enfant peut comprendre, et d’autres qui préfèrent attendre l’âge adulte,
autrement dit, les parents sont mis en garde contre les effets délétères du secret, et l’âge
de l’adolescence afin de protéger l’enfant de tout bouleversement. Pour autant, la
question qui se pose est celle de savoir si le fait d’informer l’enfant de la réalité de ses
origines peut être considérée comme suffisante pour garantir sa stabilité psychologique
malgré l’absence de sa possibilité d’accéder aux informations relatives au donneur
anonyme.
Pour répondre à cette question il suffit de se référer au nouveau projet de la loi bioéthique
qui considère que la levée d’anonymat des dons ‘de gamètes et d’embryons’ est devenue
une exigence primordiale et un élément constitutif de l’intérêt de l’enfant. En effet, dans
le rapport présenté en 2014 rapporté par Madame Anne-Marie LEROYER et présidé par
Irène THERY intitulé « Filiation, origines, parentalité : droit face aux nouvelles valeurs
de responsabilité générationnelle », le rapport souligne que l’évolution internationale à
l’égard de la question de l’anonymat du don s’est tournée vers un modèle « de
responsabilité » c’est-à-dire de prendre en considération la légitimité de l’enfant d’avoir
accès à ses origines, afin d’attribuer une humanité à son géniteur et de lui accorder son
statut ‘biologique’ d’engendrement, permettant ainsi à l’enfant d’apaiser sa colère et de
constituer son histoire réelle avec sa spécificité.
915
Irène THERY, Des humains comme les autres, Bioéthique, anonymat et genre du don, EHESS, col. « Cas de
figure », 2010. Disponible sur : https://journals.openedition.org/lectures/1309.
916
Geneviève DELAISI DE PARSEVAL, psychanalyste et chercheuse en science humaines.
917
Durna E.M., Bebe J.,Steigard S.J.Leader L.R, Garret D.G, Donor insemination : Attitudes of parents towards
disclosure, Med. J. Austr. 167 (5), 19997, 256-259, in Hélène LAZARATOU, Bernard, Glose, op. cit., Du désir à
l’acte: les enfants de la procréation médicalement assistée PMA p. 587.
444
1085. Dans le même ordre d’idées, il importe de souligner qu’une étude menée en
1996918 dans un nombre de pays européens dont l’Italie, l’Espagne, ou encore le
Royaume-Uni sur le développement des enfants nés par PMA avec toutes les techniques
qu’elles incombent, avait amené à la conclusion que les inquiétudes qui portent sur le
bien-être psychologique de ces enfants étaient divisées entre ceux qui sont nés suite à une
PMA mais avec les gamètes de leurs parents, dont les inquiétudes étaient en réalité
infondées, et entre ceux nés d’une IAD ou ceux trouvés, c’est-à-dire sans lien biologique.
Cette étude démontre qu’en général, la période de l’enfance ne connaît aucune influence
sur cette différence, toutefois, Professeur GOLOMBOK estime que malgré l’absence des
conséquences en période d’enfance dans la mesure où « l’absence du lien biologique
entre l’enfant et le père de filiation ne se contredit pas avec le développement d’une
relation seine et positive », l’enfant ne doit pas être privé de la vérité sachant qu’il peut
être confronté à cette dernière dans n’importe quelle phase de la vie. Cependant, l’étude
démontre qu’à partir de l’adolescence les problèmes liés à l’identité sont manifestes.
1086. Pour conclure, il importe de souligner que le statut de l’enfant né par PMA a subi et
suit la même évolution que celle produite par la science. Toutefois, cette évolution n’est
pas systématique et exige une certaine adaptation à la spécificité de chaque système
juridique. C’est pour cela que l’évolution de l’intégration et de la prise en considération
de la science diffère entre le système français et son homologue marocain. Ce dernier
limite et encadre le recours à la science par le cadre légal du mariage et ne permet aucune
évolution du statut juridique de l’enfant en dehors de cadre, alors que le système juridique
français avait débuté depuis l’adoption de la loi bioéthique de 1994 et à travers toutes les
réformes qu’elle a subi, de prendre en considération le progrès scientifiques dans de
nombreuses questions qui concernent l’enfant, tantôt pour encadrer ce progrès dans
l’objectif de protéger l’intérêt de l’enfant tantôt pour protéger et garantir à l’enfant un
statut juridique face à toutes les nouvelles formes de procréation et en l’occurrence de
filiation.
918
The European study of assisted reproduction families: Family functioning and child development, Human
reproduction, vol. 11 n° 10, 1996.
445
Paragraphe 2 : L’établissement de la filiation malgré le recours à la GPA.
1087. La gestation pour autrui (GPA), aussi appelée maternité de substitution est une
méthode de procréation médicalement assistée 919, qui consiste à permettre à une femme
désignée généralement sous le nom d’une ‘mère porteuse’ de porter un enfant pour le
compte des parents d’intention. Cette GPA peut être pratiquée sous deux formes : d’abord
sous celle qu’on appelle ‘une gestation d’une haute technologie’ qui se traduit sous forme
d’une fécondation in vitro (FIV) qui consiste à permettre à au moins un des parents d’être
le géniteur c’est-à-dire parent biologique de l’enfant à naître. Autrement dit la mère
porteuse n’établit aucun lien biologique avec ce dernier 920. Puis la seconde forme de
pratique qui est celle d’insémination in vitro qui consiste à inséminer la mère porteuse
avec le sperme soit d’un tiers donneur soit de celui du père d’intention, permettant ainsi
l’établissement d’un lien génétique entre la mère de substitution et l’enfant. Toutefois,
pour les deux formes la mère de substitution porte l’enfant jusqu’à la naissance en ayant
l’intention de transférer l’ensemble des droits et devoirs parentaux aux parents
d’intention921.
1088. L’évolution des techniques de procréation assistée ont permis un grand
bouleversement des dogmes et des principes sociaux relatifs à la parenté dans son
ensemble. En effet, la question de la maternité de substitution est l’une des techniques qui
abouti à la transformation de la maternité traditionnelle qui consistait à désigner la mère
comme celle qui accouche et qui assume la gestation de l’enfant, à une maternité ‘Projet’
c’est-à dire accorder à chaque personne de porter un projet de parentalité. Autrement dit,
cette technique permet d’accorder plus de liberté, d’autonomie et de choix aux couples
qui se trouvent en difficulté de procréer, aux homosexuels ou encore aux personnes
célibataires qui souhaitent mener et concrétiser ce projet d’enfant. Cependant, la
possibilité du recours à la GPA n’est pas une évidence dans toutes les sociétés même
celles qui adoptent l’évolution scientifique et modifient progressivement leurs lois
bioéthiques afin de répondre à cette évolution.
En effet, la GPA connaît une forte opposition fondée sur des arguments qui reflètent deux
niveaux de principes : d’abord ceux à caractère moraux puis ceux à caractère juridiques.
Moralement, les arguments contraires à la GPA, sont principalement liés au rapport entre
la pratique de la GPA et du corps humain et de sa dignité notamment celui de la femme et
en l’occurrence la mère de substitution, puisqu’il considère que cette pratique fait du
corps de la femme une marchandise qui doit répondre à un service avec une contrepartie
financière notamment celui des femmes pauvres et donc faire de cette procréation l’objet
d’un simple contrat ce qui est contraire au principe d’enfantement.
919
La GPA est définit par l’OMS et par l’international committee for monitoring assisted reproductive technologie
(ICMART), comme une technique de procréation médicalement assistée qui permet à ‘la femme qui mène une
grossesse selon un accord par lequel elle remettra le(s) enfant (S) au (X) parents d’intention. Les gamètes peuvent être
issues du/des parent (s) d’intention et/ou d’un tiers (ou des parties).
920
Geneviève DELAISI DE PARSEVAL, Chantal COLLARD, La gestation pour autrui, Un bricolage des
représentations de la paternité et de la maternité euro-américaines, L’Homme 2007/3, n° 183, p. 29.
921
Ibid.
446
1089. Cette nouvelle méthode de maternité est jugée également contraire au mode
familial traditionnel qui permet une reproduction biologique saine et réelle entre l’enfant
et ses parents biologiques. Juridiquement, les opposants avancent l’argument des droits
humains d’une manière générale et soulèvent le débat sur la fiabilité du consentement de
la mère porteuse, puis ceux relatifs à l’intérêt de l’enfant qui se manifeste dans la
question d’une intervention de trois personnes voire plus (lorsqu’il s’agit des dons de
gamètes) dans le projet de parentalité mais également d’affirmer un droit à l’enfant à
travers l’ensemble du processus qui intègre la location d’un ventre pour la gestation de
l’enfant et donc que ce dernier soit rattaché à des parents dont il n’y a pas de lien
biologique.
1090. D’autre part, il y’a les adhérents ou les défenseurs de la pratique de la GPA ; pour
ce courant le principe fondamental de leur vision est celui de la liberté individuelle, cette
dernière permet en effet, à chaque couple de choisir le moyen adapté à sa situation et de
pouvoir recourir à tous les moyens existants afin de réaliser son projet parental. Il est
également question d’autoriser et d’aider des personnes de donner vie à des enfants voulu
et désiré, deux éléments qui permettent de confirmer l’équilibre familial dans lequel
l’enfant va grandir. Et donc réaliser une égalité pour ces couples ce qui ne peut pas être ni
immoral ni contraire aux principes éthiques922.
1091. Bien que la pratique de la GPA ne date pas d’aujourd’hui, puisqu’elle a fait l’objet
d’une pratique ancestrale dans les mœurs de la Rome antique où le recours au Ventrem
locare qui consisté à solliciter une femme fertile pour procréer un enfant et le donner à la
femme stérile, chez les chrétiens où la référence à l’usage de cette pratique semble être
évidente dans la bible où l’exemple de Sarai, Rachel et Léa qui étaient des femmes
stériles demandèrent à leur mari d’avoir recours à la servante pour concevoir un enfant et
de le leur remettre à la naissance 923.
Ou encore en islam où quelques écoles permettaient la possibilité du recours à la GPA
pour les femmes mariées au même mari (c’est-à-dire en cas de polygamie). Néanmoins,
le débat actuel qui porte sur la pratique de la GPA dépasse le cadre de ces pratiques plutôt
traditionnelles puisque suite à l’évolution scientifique notamment le développement des
techniques de la fécondation in vitro et de l’insémination, il est devenu aujourd’hui
question de l’encadrement de cette pratique et de son accès surtout que cette évolution
scientifique fait également face à l’évolution d’abord des droits de l’Homme et plus
précisément ceux de l’enfant. Entre les deux courants contradictoires qui peuvent surgir à
l’égard de la question de la pratique de la GPA, la prohibition adoptée aujourd’hui dans
les deux systèmes juridiques français et marocain trouve dans chacun des systèmes les
arguments fondateurs de cette prohibition entre ceux à caractère religieux, moral ou
juridique.
922
Jean-Louis BAUDOIN et Catherine LABRUSSE-RIOU, Produire l’Homme : de quel droit ? Etude juridique et
éthique des procréations artificielles, Droit société, 1988, n° 10 p. 113.
923
La première concerne la naissance d’Ismail fils d’Abram, la femme de ce dernier lui propose de passer la nuit avec
son esclave pour avoir un enfant puisqu’elle considère que ‘le seigneur l’a empêchée d’avoir un enfant’. En suite, il y a
également l’exemple de Rachel la femme qui est également stérile, et qui dit à son mari Jacob : ‘prends ma servante
Bila. Unis-toi à elle pour qu’elle ait des enfants. Je les adopterai. Alors, par elle j’aurai des enfants aussi ».
447
A-La prohibition de la GPA.
1092. Dans les deux systèmes juridiques que nous étudions, la prohibition de la GPA
semble être une évidence, puisque dans les deux législations la référence à la dignité
humaine et à l’intérêt de l’enfant représentent le fondement de l’interdiction civile et
pénale de cette pratique. Toutefois, une grande différence de fond peut être établie quant
à l’évolution des débats autour de cette pratique. En effet, si au Maroc la question d’une
légalisation de la GPA est impossible suivant le cadre législatif adopté par le pays et du
poids de la religion dans toutes les questions bioéthiques, en France, le débat divise
depuis une quarantaine d’années924 deux camps qui débâtent sur le sujet à travers
différentes perceptions notamment philosophiques, médicales, sociologiques,
psychologiques et anthropologiques, dans un cadre politique, académique et législatif.
1093. Le débat autour de la pratique de la GPA soulève diverses réflexions sur les
principes moraux et les normes individuelles humaines, qui sont fondés sur le refus
catégorique de toute instrumentalisation de la personne humaine et de son corps afin de
répondre à un désir d’enfant basé sur un projet parental. En effet, cette notion de projet
parental constitue une simple référence d’une manière générale, en se référant à la
volonté d’un couple de devenir parents et de mettre au monde des enfants avec qui ils
construisent et tissent des liens affectifs et qu’ils doivent protéger, sécuriser, éduquer et
veiller à leur développement. Cette vision globale renvoie systématiquement à un couple
hétérosexuel, traditionnel, en âge de procréer, lié par le lien affectif et la présence ‘d’une
intimité sexuelle’.
Cependant, ces critères subissent de grands bouleversements suite à l’évolution sociale et
scientifique, puisque ces deux dernières ont permis la création de nouveaux modèles du
« projet parental » qui prennent en considération toute personne souhaitant avoir un
enfant. Un projet qui peut être mené par « une femme ou un homme seul(e), un couple
homosexuel, un couple âgé, une personne séparée de son conjoint, ou dont le conjoint est
décédé mais qui veut pouvoir disposer des embryons, etc. ; une multitude de possibilité
qui est aujourd’hui ouverte et dont la difficulté consiste à trouver l’équilibre entre
chaque projet parental sans y faire une distinction »925.
1094. Ainsi, est le projet parental en matière de GPA qui répond à un désir d’enfant et
une volonté suprême de devenir parent, dont l’arme principale est celle du progrès
scientifique et des techniques permettant d’atteindre cet objectif.
Le fondement et la réalisation de ce projet sont fondés d’abord sur la vision volontariste
du couple mais également sur la contractualisation de cet acte entre les personnes qui
vont y participer notamment le couple et la mère porteuse qui tous les deux élaborent une
convention de GPA en toute liberté et sans aucune contrainte afin de maîtriser l’ensemble
de l’acte, de ses conséquences et de se protéger contre tout risque de dérapage 926.
924
L’émergence dans les années quatre-vingt de quelques associations permettant des rencontres entre des couples
infertiles avec des femmes qui pouvaient être géstatrices et génitrices de l’enfant.
925
Marie-Angèle HERMITTE, De l’avortement aux procréations artificielles, la toute-puissance du projet parental,
Natures sciences Sociétés 15, 274-279, 2007, p. 278.
926
Pierre TOURAME, Dossier. Autour de la gestation pour autrui, quelle liberté pour la mère porteuse ?, Les Cahiers
de la justice, 2016/2 n° 2 pp. 280-281.
448
Toutefois, la question principale qui se pose par rapport à la pratique de la GPA est celle
de l’instrumentalisation du corps de la femme en l’occurrence celui de la mère-porteuse.
1095. En effet, la question de l’instrumentalisation soulevée par cette pratique qui se
manifeste dans le recours à un corps humain afin de réaliser un plaisir personnel est
considérée comme une nouvelle forme d’esclavage qui consiste à profiter des conditions
socio-économiques des femmes qui acceptent cette pratique du fait qu’elles soient
pauvres, mineures (dans certains pays) voire obligées sous une pression familiale.
Toutefois, c’est principalement l’argument de la pauvreté qui concrétise la possibilité
d’exploitation dans la mesure où les parents sont jugés vouloir profiter d’une inégalité
économique existante entre eux et la mère porteuse et donc de profiter d’un rapport socio-
économique inégal et moralement inacceptable927. Une situation qui permet aux
opposants de cette pratique de la considérer comme une violence faites aux femmes,
voire une pratique qui consiste à réduire la femme à un ‘utérus’, à un simple outil de
procréation permettant de répondre au désir d’autrui tout en étant rémunérée928.
1096. Certains vont aller encore plus loin considérant que la pratique de la GPA
représente aujourd’hui une régression pour la cause de la femme puisqu’elle consiste à
réduire cette dernière à une machine à reproduire dont le contrat conclu avec les meneurs
du projet parental permet de faire de l’enfant à la fin du processus un produit, et donc
instaurer un marché procréatif mondialisé en pleine expansion qui inclut « la vente de
spermes et d’ovocytes, le recours aux agences et aux intermédiaires pour entrer en
contact avec les mères porteuses, les médecins, et les avocats » permettant ainsi de
commander, fabriquer et vendre des enfants.
Les opposants, avancent également leur refus de considérer la GPA comme étant une
simple technique de procréation médicalement assistée, puisqu’ils la jugent aujourd’hui
comme une pratique sociale qui consiste à louer le ventre voire la vie d’une femme pour
une période de neuf mois et de rémunérer cette dernière pour le service qu’elle a rendue,
et donc rendre « les enfants comme des marchandises ». Cette orientation est amenée à
dénoncer l’immoralité de la pratique de la GPA, en s’articulant autour des principes
fondamentaux qui s’inscrivent dans l’arsenal juridique adopté par le législateur français
dont : « la définition du droit français de la maternité par accouchement, le principe de la
non-commercialisation du corps humain ainsi que le principe de l’indisponibilité des
personnes ».
1097. Ainsi, la combinaison de ces éléments renforce encore plus le refus de cette
pratique, en dépit de certains auteurs défenseurs de la légalisation de la GPA tels que
Madame MECARY qui estime que la majorité de l’opinion publique est favorable à cette
pratique et ce en se basant sur les sondages réalisées dont le plus récent est celui réalisé
en janvier 2018 par le journal La croix qui montre que 64% des français sont favorables à
la GPA929.
927
Il est à préciser que dans tous les pays qui ont légalisé la GPA, les parents d’intentions ou les meneurs de projet sont
toujours d’un milieu social plus élevé que celui de la mère géstatrice. Avis 110 du CCNE.
928
Voir dans ce sens, Eliette ABECASSIS, Bébés à vendre, un essai percutant sur la gestion pour autrui, Robert
Laffont, Paris, 2018. Bertrand GUILLARME, Louer son ventre in Raisons politiques, éd. presse de science po, n° 12,
2003/4.
929
L. BESMOND DE SENNEVILLE, PMA, GPA, fin de vie…la vague de fond libérale (Sondage Ifop), La croix, 3
Janvier 2018.
449
Une seconde position se prononce en faveur de cette pratique en cas de problème
d’infertilité ; elle est fondée sur des principes que les partisans jugent d’humanitaires et
ressort des principes de solidarité à l’égard des femmes et des couples infertiles ou ceux
qui souffrent de maladies ou de pathologies et dont le diagnostique prouve une
impossibilité d’assurer une gestation930 mais également à l’égard des couples désireux
d’enfant notamment les couples homosexuels.
Ce courant souligne la légitimité et la fiabilité de la motivation des mères porteuses en
affirmant qu’elles sont principalement de deux ordres ; d’abord altruiste qui répond à une
idée de réparation ou de paiement de dette morale à l’égard de la société, puis un second
qui ressort de la volonté et du désir de la mère porteuse d’être enceinte surtout lorsqu’il
s’agit des femmes qui ont déjà eu des enfants et qui souhaitent de revivre cette expérience
épanouissante931.
S’ajoute à ces deux positions, une troisième qui adopte une argumentation plus originale
fondée sur une pensée philosophique de Ruwen OGIEN932 qui rassemble l’élément moral
et l’élément politique. En effet, le premier consiste à adopter la légalisation de la GPA
puisqu’elle ne présente aucune nuisance à autrui, quant au second il consiste à garantir la
liberté à tout individu de faire son choix et de mener la vie de la manière qui lui semble
correcte tant qu’il ne nuit pas à autrui et que cette liberté de choix devienne la règle qui
prime sur toute autre norme permettant ainsi de réglementer les relations entre les
citoyens933. Autrement dit, la concrétisation de cette orientation permet de dessiner à
chacun un périmètre de liberté lui garantissant l’ensemble de ses droits et ses libertés en
accordant moins d’importance aux normes qui peuvent influencer la réglementation des
sujets tel que celui de la GPA.
1098. Il importe donc de souligner que pour les trois positions, la question fondamentale
qui se pose est celle de la complexité du consentement de la mère porteuse. En effet, si
pour les opposants de la GPA, une femme ne peut qu’être contrainte par une faiblesse
socio-économique qui la pousse à accepter de devenir une mère porteuse, les partisans de
cette pratique, quant à eux, évoquent la question du consentement de la future mère
porteuse comme un argument de force et de fiabilité voire même de la moralité de son
acte. Ainsi, il devient question de comprendre comment une personne qui consent elle-
même à devenir mère porteuse peut-elle être jugée comme une femme instrumentalisée et
réduite à une fonction de gestatrice ? La réponse à cette question peut paraître simple,
puisqu’il est difficile d’une manière générale de juger qu’une femme majeure qui consent
n’importe quel acte d’être manipulée ou traitée comme un outil.
930
Des principes adoptés par le comité consultatif national d’éthique en 2010 qui a fait de la GPA une solution à un
problème physique et psychique douloureux qui atteint des personnes qui la considèrent comme une injustice qui les
prive de devenir parents.
931
Manon JADOUL, Marie-Laure GUSTIN, Sarah COLMAN, Candice AUTIN, Isabelle DURET, Au cœur du don, la
dette ? Etude exploratoire autour de la motivation des mères porteuses, in Dialogue, 2016/3, n° 213, p. 107.
932
Ruwen ORIGEN, L’état nous rend-il meilleur ? Essai sur la liberté politique, Paris, Gallimard ? 2013, p.11.
933
Marie GAILLE, op. cit., p. 293.
450
1099. Toutefois, la réponse peut également dissimuler d’autres éléments qui reflètent au
mieux la complexité de la réflexion, dans la mesure où il devient question de remettre en
cause la décision et la volonté libre de la femme ‘porteuse’ qui, à travers son
consentement de porter un enfant qu’elle ne va pas élever représente en lui-même un acte
qui porte atteinte à la moralité dans la mesure où elle se permet elle-même de devenir un
simple moyen.
1100. Ceci se contredit avec l’argument principal que cette mère-porteuse défend qui est
celui d’aider autrui dans le cadre des principes humains. Cependant, avancer cet
argument permet une remise en cause d’un choix personnel, d’une décision prise
librement par une personne, et donc de vouloir imposer une moralité et priver une
personne de sa liberté du choix. Autrement dit, c’est vouloir imposer une sorte de
paternalisme tel qu’il a était défini par le philosophe Gerald DWORKIN934 en se référent
à la pratique de l’esclavage en précisant qu’aucune personne ne devrait avoir la liberté de
consentir son esclavage, puisque cette décision impacte sa liberté actuelle et future.
Autrement dit, il s’agit de protéger la personne d’elle-même, et d’accorder un principe de
dignité à la question du consentement des personnes qui peuvent être considérées comme
vulnérables935. Or, la possibilité d’évoquer ce même paternalisme semble être difficile
puisque l’acte consenti ‘qui est de porter un bébé jusqu’à la naissance’ ne remet pas en
cause l’autonomie et la liberté actuelle et future de la mère porteuse.
1101. En outre, si la réflexion sur l’argument du consentement de la mère porteuse
pouvait permettre une remise en cause ou l’établissement de quelques interrogations sur
le droit d’une femme de choisir librement d’être une mère porteuse, d’autres arguments
fondateurs du refus de la GPA basés sur l’instrumentalisation demeurent discutables
notamment ceux relatifs aux effets de la GPA sur la femme et sur l’enfant à naître. Ces
instruments peuvent être à court ou à long terme, physiques ou psychologiques et
desquels des dérapages peuvent en résulter. En effet, la question qui se pose est celle de
savoir si la convention dans son ensemble en intégrant le consentement mutuel du couple
et de la mère-porteuse peut réellement protéger les deux parties et l’enfant à naître des
risques que l’acte peut engendrer ?
Il est difficile de répondre à cette question d’une manière catégorique puisque les
courants divergent également entre un camp qui considère que la conclusion du contrat et
l’expression du consentement des deux parties protège d’une manière complète ces
derniers et l’enfant à naître dans la mesure où la mère porteuse n’a accordé son
consentement qu’à partir du moment où elle a pris connaissance des conséquences de son
acte.
934
Gerald DWORKIN, Paternalism, in R.A Wasserstrom éd., Morality and the law, Belmont, California, Wadsworth,
1971., in Marie GAILLE, Le débat francais : une toile d’arguments moraux pour un acte controversé, in Dossier :
Autour de la gestation pour autrui, Les cahiers de la justice, 2016, n°2 dalloz, p. 295.
935
Pierre TOURAME, Dossier. Autour de la gestation pour autrui, Quelle liberté pour la mère porteuse ?, Les cahiers
de la justice, 2016/2, n° 2.
451
D’autre part, le second camp avance les mêmes risques notamment physiques et
psychologiques sur les deux parties et l’enfant d’une manière négative puisqu’il considère
qu’il ne peut y avoir un consentement éclairé si l’on ignore à l’avance comment se
passera la grossesse, l’accouchement, et les risques physiques et psychologiques
qu’encourent la mère-porteuse et l’enfant 936.
1102. En effet, par rapport aux risques, il est question d’abord de ceux physiques qui
concernent l’ensemble des complications auxquelles la femme et l’enfant peuvent être
confrontés. Ces risques intègrent pour la femme les risques d’’hémorragie causée par
l’accouchement ainsi que les procédés médicaux modernes qui peuvent aboutir au décès
de la femme. Puis les risques pour l’enfant qui se manifestent dans les différentes
situations médicales qui se présentent tout au long de la période de grossesse et qui
peuvent avoir des conséquences lourdes sur l’enfant notamment lorsqu’il s’agit de
malformations, de naissances prématurées, de grossesses multiples ou encore des
souffrances fœtales aigues.
1103. Ces situations, peuvent en effet être présentes même pour un accouchement normal
dont les parents doivent prendre des décisions cruciales pour la vie de l’enfant. Or, ici la
question de la parentalité à trois et du rôle principal de la mère porteuse peut poser un
problème dans la mesure où il devient question du choix de la personne apte de prendre
les décisions concernant l’enfant entre les parents d’intention et la mère porteuse. Dans la
pratique ces situations se manifestent dans de nombreux exemples, dont celui de l’affaire
dites ‘bébé GAMMY’ qui est un bébé né d’une GPA exercée en Thaïlande de parents
d’intention australien et d’une mère porteuse thaïlandaise ; en effet, à la naissance du
bébé GAMMY avec sa jumelle, les médecins avaient annoncé à la mère porteuse et aux
parents d’intention que le bébé (garçon) était atteint d’une trisomie 21 et des problèmes
de cœur. Les parents d’intention décident alors de garder la sœur de GAMMY et de
rentrer en Australie en abandonnant le garçon en Thaïlande avec la mère porteuse937.
Ainsi, cette situation illustre la difficulté et la spécificité de chaque grossesse puisque là
aussi il s’agissait d’une convention entre la mère porteuse et le couple et que les jumeaux
devaient être également récupérés par les parents d’intention ce qui n’a pas été le cas ;
une situation qui permet donc de remettre en cause la convention et ses stipulations
élaborées par les deux partie puisqu’il est difficile d’intégrer et prévoir dans le contrats
tous les cas de risques auxquels les femmes et l’enfant peuvent être confrontés.
1104. Par ailleurs, si cet exemple reflète l’image de quelques exceptions pour les
défenseurs de la GPA, les opposants avancent les risques psychologiques qui sont plus
fréquents et dont les conséquences sont plus lourdes que ce soit sur la femme ou l’enfant.
En effet, parmi les exemples des risques psychologiques, il y a celui du « Baby M » aux
Etats-Unis qui illustre une situation tragique dans laquelle un enfant s’est trouvé au
milieu d’une affaire judiciaire suite à une GPA.
936
Dictionnaire permanent Bioéthique et biotechnologie, Maternité de substitution, Edition législatives, 2001, Feuillets
25, p. 1278 A.
937
Il est à noter que le couple australien avait déclaré dans une interview accordé à la télévision australienne, qu’il n’a
pas abandonné le garçon pour sa maladie mais c’est parce que les médecins avaient affirmé que le garçon allait mourir
après quelques jours de sa naissance suite à ses problèmes cardiaux.
452
En effet, dans cette affaire les parents d’intentions avaient contracté une convention en
GPA avec une mère porteuse dans un cabinet d’avocat afin que cette dernière porte le
bébé issu des ovocytes de la mère porteuse.
Suite à l’accouchement, la mère porteuse n’a pas voulu se séparer de l’enfant en
considérant qu’elle nouait un lien biologique et sentimental qui l’interdit de rendre le
bébé au couple. Un second exemple reflète également cette possibilité du changement
émotionnel et psychologique de la mère porteuse qui peut influencer sur les conséquences
de cet acte. En effet, il s’agit d’un couple qui a eu recours à une GPA et dont la mère
porteuse est tombée enceinte de triplés, le père biologique demande alors une réduction
embryonnaire afin de garder uniquement deux jumeaux. Face à cette situation, la mère
porteuse décide donc d’entamer une procédure judiciaire à l’encontre du père biologique
afin de faire valoir son droit de garder le troisième bébé sachant qu’il n’y a aucun lien
biologique entre ce dernier et la mère porteuse puisque le père biologique a eu recours à
un don d’ovocytes938. En s’exprimant, la mère affirme que « malgré le fait que la mère
porteuse ne soit pas liée biologiquement aux enfants qu’elle porte, elle s’attache à eux et
que cet attachement est un processus de construction physique et psychologique, et que
ce lien ne peut être réduit à un contrat de GPA »939.
1105. Cet exemple permet d’affirmer les risques psychologiques qui se manifestent dans
la traumatisme psychologique lié à la séparation entre la mère-porteuse et le nouveau-né
estimant ainsi que ces deux derniers se rencontrent bien avant la naissance et que cette
séparation soit vécue comme un sentiment de perte pour la mère porteuse.
Pour les spécialistes, malgré le fait que ces situations sont aujourd’hui rares, elles sont
néanmoins réelles et leur rareté est due d’abord au nombre limité des affaires rendues
publiques mais également au nombre des GPA exercées et qui ne cessent de progresser.
C’est pour cela que les agences de GPA prennent de plus en plus de précaution dans la
mesure de faire respecter l’engagement de la mère porteuse à travers l’adoption de
quelques mesures afin de couper cet attachement qui peut être né suite à l’accouchement,
notamment par le biais de privilégier des accouchements par césarienne afin que l’enfant
soit emmené directement chez les parents d’intention, de faire rappeler à la mère porteuse
d’une façon régulière qu’elle n’a aucun lien de parenté avec l’enfant, de privilégier le don
d’ovocytes afin que cette dernière soit encore plus détachée de l’enfant, etc.940.
C’est en se réfèrent à ces exemples et d’autres aussi similaires que les opposants de la
GPA argumentent toutes les dérives physiques ou psychologiques qui influencent le
processus de la GPA et qui remettent en question la fiabilité de cette pratique malgré sa
réglementation à travers la convention élaborée entre les deux parties dans les pays qui la
légalisent, en soulignant que la convention de GPA ne peut pas prévoir tous les
changements qui peuvent y avoir que ce soit sur le plan physique ou psychologique de la
mère porteuse, d’autant plus à la naissance du bébé perçu dans sa vulnérabilité qui induit
un nouveau changement sentimental pour la mère-porteuse.
938
Etats-Unis : une mère porteuse, enceinte de triplés, poursuit le père biologique pour garder un des bébés. Disponible
sur : www.Franceinfo.fr, publié le 06/01/2016.
939
Ibid.
940
Silvia FEDERICI traduit de l’américain par Célia IZOARD, Le marché mondial des ventres, GPA et violence de
classe, in Z : Revue itinérante d’enquête et de critique sociale, 2016/1, n° 10 p. 151.
453
Face à un double discours portant sur la GPA, la plupart des pays d’Europe adoptent
aujourd’hui l’option de la vigilance à l’égard de cette pratique qui assimile encore
aujourd’hui des éléments d’incertitude, qui se manifestent à travers l’ensemble des
formules floues dont la dissociation avec la marchandisation du corps de la femme et
celui de l’enfant ou encore la création d’un marché mondial de location de ventre.
941
Cass., 13 décembre 1989, n° 88-15655, in Caroline MECARY, PMA ET GPA, Que sais-je ? , 1ère éd., 2019, pp. 57-
58.
454
Dans cette décision, la Cour de cassation a fait prévaloir les principes de l’ordre public en
estimant qu’il y a une meilleure préservation et considération de l’intérêt de tous les
enfants afin qu’ils ne fassent pas l’objet d’un abandon programmé au détriment de
l’intérêt spécifique ou concret de l’enfant concerné dans l’affaire.
1109. Ce n’est qu’en 1994 que le législateur a mis en place le premier texte qui est la loi
bioéthique de 1994 qui prohibe explicitement le recours à la GPA ; cette loi va permettre
l’introduction de l’article 16-7 dans le Code civil qui dispose que : « Toute convention
portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle » ; cette règle
qui est d’ordre public, concerne tout le monde et donc toutes les personnes ayant recours
à un accord ou une convention de GPA ne pourront jamais obtenir une décision
d’exécution de justice en cas d’un non-respect des conditions du contrat. En effet, la
justice considérera que ce contrat est nul est donc ne pourra pas exécuter les conditions de
quelque chose qui est nulle942. Ainsi, les parties de ce contrat seront amenés à l’exécution
du droit commun.
1110.Cette prohibition s’est également traduite dans le Code pénal où le législateur
définit le fait d’avoir recours à la convention de GPA comme étant un délit d’abord de
provocation d’abandon d’un enfant qui est défini par l’alinéa 1 de l’article 227-12 qui
dispose que « le fait de provoquer soit dans un but lucratif, soit par don, promesse,
menace ou abus d’autorité, les parents ou l’un d’entre eux à abandonner un enfant né ou à
naitre » est donc « puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amande ».
Toutefois, malgré cette pénalisation, de nombreux couples font le choix de conclure des
conventions GPA qui se déroulent d’une manière totale ou partiale sur le territoire
français et dont le juge français se trouve devant l’obligation de traiter chaque cas de
figure selon les circonstances et les conséquences du processus de la pratique. C’est ainsi
qu’a été traité l’affaire d’un couple homosexuel qui a eu recours à une mère porteuse à
Chypre ; tout le processus se déroule à Chypre sauf l’accouchement, puisque la femme
sera accueillie par les deux hommes afin d’accoucher en France.
1111. Suite à l’accouchement, la mère porteuse repart à Chypre permettant donc au père
de l’enfant d’aller reconnaître l’enfant sans aucune référence à la mère (ce qui est une
possibilité offerte par le droit lorsque le père n’est pas marié avec la mère) ; cependant,
suite à la spécificité de la situation, cette procédure va être soupçonnée d’une pratique de
GPA par le parquet qui sollicite une enquête sur l’enfant et les parents, pour enfin se
rendre compte qu’il s’agissait bien d’une convention de GPA entre le couple et la mère
qui a donné la naissance à l’enfant. Ainsi, la justice a décidé de renvoyer le couple devant
le tribunal correctionnel et de le poursuivre pour un délit de provocation à l’abandon
d’enfant.Toutefois, le tribunal va prendre en considération la spécificité de l’affaire en se
basant sur deux éléments : d’abord le désir sincère du couple d’avoir des enfants, puis le
consentement établi et prouvé par la mère porteuse. Le tribunal a donc décidé de
condamner le couple à une amande de 75 000 euros avec sursis943.
942
Ibid, p. 58.
943
Tribunal correctionnel de Bordeaux, 1er juillet 2015, inédit, rapporté par Carole Mercary, PMA ET GPA, op. cit., p.
60.
455
La deuxième condamnation, est également celle de la substitution d’enfant qui consiste
pour une femme de tomber enceinte et d’essayer de dissimuler sa grossesse afin qu’une
autre femme fasse croire à une grossesse et qu’au moment de l’accouchement, l’enfant
soit rattaché d’une manière juridique à la femme qui n’était pas enceinte.
1112. Cette pratique est interdite par l’article 227-13 du Code pénal qui dispose que « la
substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état
civil d’un enfant est punie de trois ans d’emprisonnement de 45 000 euros d’amende. La
tentative est punie des mêmes peines ». Une pénalité qui peut être élargie en cas de
déclaration à l’état civil, puisque ce dernier est considéré comme une fausse déclaration
et un faux en écritures publiques. Toutefois, les personnes ayant recours à cette pratique
ne peuvent être punies que si la pratique est exercée en France. Autrement dit lorsqu’un
couple français recours à cette pratique dans un pays où cette pratique est légale, il ne
risque pas d’être poursuivi pour ce délit.
1113. Par ailleurs, la problématique qui se pose est celle de la déclaration à l’état civil de
l’enfant, lorsqu’elle est une conséquence de cette pratique interdite en France. C’est le cas
de l’affaire emblématique du couple Sylvie et Dominique MENNESSON qui a eu
recoure à cette pratique en Californie pour avoir leurs jumelles issues du sperme du père
mais d’ovocytes d’une amie du couple. Cette GPA va entraîner légalement la naissance
de deux jumelles en 2000 dont les parents légaux en Californie seront le couple
MENNESSON, puisque la pratique de la GPA est légale aux Etats-Unis. Cependant, lors
des démarches de transcription des actes de naissances des jumelles délivrés par
l’administration californienne au couple afin d’inscrire les deux filles dans le livret de
famille, le couple va faire face au refus à une annulation des actes transcris par le consulat
français à LOS ANGELES suite à une procédure en annulation par le ministère public.
Une procédure est donc engagée contre le couple le 8 novembre 2000 pour « tentative de
simulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant ». Pourtant en 2002, la
famille MENNESSON va être soulagée suite à la décision du parquet qui ordonne la
transcription des actes de naissance des jumelles, un soulagement qui ne va pas duré
puisqu’il va être interrompu par le procureur de Créteil qui assigne le couple devant le
tribunal afin que la décision de transcription soit annulée.
En 2005 le tribunal de Créteil juge l’action irrecevable, et déboute le parquet puisque
c’est ce dernier qui avait autorisé la transcription des actes. Cette décision va être
réaffirmée par la Cour d’appel de Paris qui a estimé que « la non-transcription des actes
de naissance aurait des conséquences contraires à l’intérêt supérieur de l’enfant ». Le
couple MENESSON, qui n’est plus poursuivi suite à une ordonnance de non-lieu,
souhaite donc reprendre la procédure de transcription mais se trouvera encore face à une
décision rendue par la Cour de cassation en 2011 qui a été à nouveau saisie par le
parquet. La Cour souligne que la prise en considération du principe de ‘l’intérêt de
l’enfant’ ne peut être fait pour ‘valider a posteriori un processus illégal en France’.
456
Ainsi, le couple se dirige vers la CDH qui en 2014 condamne la France pour une
violation de l’article 8 de la Convention puisque l’absence de transcription portait atteinte
à la vie privée des jumelles. En 2018, la Cour de cassation réexamine l’affaire et se
retourne dans un premier temps vers la CEDH pour avoir un lien consultatif quant aux
possibilités qui sont offertes aux pays. En 2019 la CDH estime qu’un lien entre l’enfant et
la mère d’intention doit être établi, tout en autorisant aux Etats la liberté des modes de cet
établissement.
La Cour de cassation rend alors sa décision le 4 Octobre 2019944 en précisant qu’en droit
français, les conventions de GPA sont interdites. Toutefois, le respect du principe de
l’intérêt de l’enfant et de la vie privée des deux jumelles concerné dans l’affaire exige
l’application des deux articles suivants : l’article 3-1 de la CIDE et l’article 8 de la
CEDH. En la matière, la Cour a considéré que « la réalisation d’une GPA à l’étranger ne
peut faire à elle seule un obstacle à la reconnaissance d’un lien de filiation entre l’enfant
et la mère d’intention et que cette reconnaissance doit être établie dès que le lien entre
l’enfant et la mère soit concrétisé ».
La Cour rappelle également que le droit français permet l’établissement de la filiation par
différents modes qui peuvent être par actes de naissance, par une reconnaissance
volontaire, une adoption, une possession d’état ou encore par un jugement. Ainsi en
matière d’une pratique de GPA à l’étranger, le Cour privilégie que l’établissement du lien
entre l’enfant et la mère soit réalisé par une reconnaissance afin de permettre au juge de
contrôler et d’examiner l’ensemble de l’acte ou du jugement étranger permettant ainsi
d’avoir plus d’informations sur les circonstances particulières de l’enfant.
Ainsi, face à la liberté offerte par la Cour européenne des droits de l’Homme quant au
choix du mode d’établissement de filiation entre l’enfant né par GPA et la mère
d’intention, la Cour estime que l’adoption est le mode qui répond le mieux aux exigences
d’une GPA. Par ailleurs, dans le cas spécifique du couple MENNESSON, la procédure
d’une adoption peut être très longue sachant qu’elle dure depuis quinze ans entre
établissement et annulation de la transcription de l’état civil, et donc une violation de
l’article 8 de la CEDH puisque les jumelles ont aujourd’hui atteint l’âge de la majorité, et
en l’absence d’autres mode d’établissement de filiation permettant de mettre fin à
l’atteinte de l’article 8 de la CEDH, et donc d’autoriser la transcription d’acte de
naissance estimant que le lien de filiation a été concrétisé pendant une longue période.
L’affaire MENNESSON, a permis à la justice française de soulever de nombreux
éléments relatifs à la pratique de la GPA et à sa réception par le droit français. En effet, il
est d’abord question de savoir que la Cour ouvre une brèche quant à la prise en
considération de la spécificité de chaque affaire, de ses circonstances, son histoire, ses
conséquences. De plus, elle a considéré que la pénalisation du couple ayant recours à la
GPA ne peut être appliquée que s’il est prouvé qu’une phase du processus de la GPA a
été pratiquée en France.
944
Cour Cass., Arrêt n° 648 du 4 Octobre 2019 (10-19.053).
457
Et enfin d’ouvrir une brèche pour les enfants nés par GPA à travers la référence à deux
articles fondamentaux quant au traitement des questions relatives à la GPA et qui sont
l’article 3-1 de la CIDE traitant l’intérêt de l’enfant et l’article 8 de la CEDH relatif à la
protection de la vie privée et familiale des enfants.
1114. Une autre pratique est également pénalisée dans le cadre de la GPA relative au rôle
de l’intermédiaire. En effet, l’article 227-12 du Code pénal puni d’un an
d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « le fait de s’entremettre entre une
personne ou un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter
en elle cet enfant en vue de le leur remettre, lorsque ces faits ont été commis à titre
habituel ou dans un but lucratif, les peines sont portées au double ». En effet, si ce texte
pénalise toute personne jouant le rôle d’intermédiaire, il est néanmoins difficile de le faire
respecter face au développement des réseaux sociaux et à l’adoption de cette pratique
dans d’autres pays où la GPA est légale.
C’est dans ce contexte que quelques plaintes ont été portées à l’encontre de personnes
morales notamment quelques agences qui ont pour activité la promotion de la GPA.
A titre d’exemple deux agences américaines qui ont présenté en France leur programmes
et processus de GPA pratiqués légalement chez eux ; cette initiative a été déplorée par un
nombre d’associations qui ont porté plainte contre elle. Toutefois, la justice avait
considéré que les propos tenus lors des réunions de l’agence s’agissaient uniquement
d’une présentation d’un processus légal pratiqué aux Etats-Unis. Ce cas de figure expose
que les conditions de cette pénalisation doivent répondre avant tout de la condition de la
pratique d’une phase de GPA sur le territoire français.
L’ensemble de la réglementation adoptée par le législateur français en matière de GPA,
qu’elle soit d’ordre civil ou pénal aboutit à la même conclusion qui est celle de la
protection d’un nombre de principes humains et éthiques. Ainsi, l’ensemble des débats
qui entoure la question de la prohibition de la GPA se réfère et se justifie principalement
par la protection de l’intérêt de l’enfant. Cependant, la question qui se pose est celle de
savoir si la prohibition de la GPA protège-t-elle réellement l’intérêt de l’enfant qui est
une notion flexible et maniable qui ne peut pas être défini concrètement ?
Pour répondre à cette question Madame Aline CHEYNET DE BEAUPRÉ estime que
l’intérêt de l’enfant en matière de GPA se manifeste à travers deux orientations d’abord
celle relative à la construction de l’enfant qui intègre son identité et sa filiation puis celle
relative à l’environnement parental de l’enfant qui intègre la détermination de ce dernier
et sa solidité945. En effet, en ce qui concerne la construction de l’enfant, l’auteur évoque
l’identité et l’accès aux origines de l’enfant et sa protection à travers la prohibition de la
GPA, une méthode qualifiée de « prohibition protectrice », c’est-à-dire qui protège
l’intérêt de l’enfant avant même qu’il soit né.
945
Aline CHEYNET DE BEAUPRE, Prohibition de la GPA et intérêt de l’enfant en droit français, Cahier Droit,
sciences & technologies, mis en ligne le 09 janvier 2018. Disponible sur : http://journals.openedition.org/cdst/535
458
1115. C’est dans ce sens que le législateur affirme le droit de l’enfant d’avoir une origine
déterminée et une filiation biologique, autrement dit une histoire ‘réelle’ qu’il a le droit
de connaitre, et ce, spécifiquement en matière de GPA qui se pratique majoritairement
avec un le recours d’abord à un tiers donneur et aussi à une mère porteuse qui peut être
elle-même la génitrice, ce qui aboutit dans les deux cas à entraver l’accès à l’origine pour
l’enfant d’abord au niveau des dons de gamètes qui demeurent anonymes, puis par
rapport à la mère porteuse qui malgré qu’elle ne soit pas anonyme, elle délègue
systématiquement sa place à la mère d’intention ou (au deuxième parent) lorsqu’il s’agit
d’un couple homosexuel.
1116. Dans l’ensemble, le législateur considère qu’il est difficile de permettre la création
d’une situation qui prive l’enfant d’un droit fondamental qui est celui d’accès à ses
origines, ce qui explique que l’orientation ici est plutôt préventive, que l’argument de
l’intérêt de l’enfant qui sert à prohiber la GPA cache la volonté de ne pas réifier l’enfant
puisqu’en la matière ce dernier représente une opération voulue, préméditée et calculée, il
est donc question d’un contrôle par le législateur. Soulignant ainsi que la protection de
l’intérêt de l’enfant né d’une GPA intègre systématiquement le projet de vie familiale que
peut mener cet enfant. En effet, ce dernier a le droit à une famille qui veille à sa
protection et à son développement, une famille qui est dans la norme constituée de deux
parents.
1117. Or, la pratique de la GPA soulève de nouvelles situations auxquelles l’enfant doit
être confronté et face à quoi il doit être protégé, puisqu’il devient question d’un enfant
issu au minimum de trois intervenants pour qu’à la fin l’enfant ait uniquement deux
parents. Ainsi, c’est cette élimination d’un ou des deux donneurs de gamètes ou de la
mère porteuse qui pose problème, dans la mesure où il devient question de savoir si cette
élimination répond réellement à l’intérêt de l’enfant. La réponse selon Madame
CHEYNET DE BEAUPRE est négative, puisqu’elle considère que l’élimination de toute
personne participant à la procréation ou l’engendrement dans sa globalité n’est qu’un
choix plutôt ‘égoïste’ de la part des meneurs du projet parental ou des ‘donneurs d’ordre’.
Ce choix mène à une situation assez complexe puisque l’enfant se trouve face à une
histoire modifiée qui dissocie les concepteurs du projet parental et des concepteurs de
l’enfant946. De plus, cette modification de la réalité reflète également le danger qu’elle
peut représenter pour l’enfant sur le plan moral puisqu’il se trouvera tiraillé entre une
filiation biologique et une autre affective.
1118. Dans l’ensemble le législateur considère que la prohibition est fondée sur la
protection de l’intérêt de l’enfant avant même sa naissance qui est préméditée et menée
en projet qui peut dans certains cas connaître des disfonctionnements qui menacent cet
intérêt. Par ailleurs, c’est également en se référent au principe de l’intérêt supérieur de
l’enfant que les tribunaux contournent l’interdiction de la GPA en autorisant la
reconnaissance légale des enfants nés par GPA à l’étranger 947. Cependant, cette
reconnaissance n’est pas systématique puisqu’elle se base sur la spécificité de chaque
affaire, et se fonde sur la conviction du juge des éléments fondateurs de cette GPA.
946
Ibid.
947
Silvia FEDERICI, op. cit., p. 152.
459
1119. La question de la transcription des actes de naissance établis à l’étranger suite à une
GPA pose depuis le début des années 2000 un problème quant à la réglementation à
adopter en la matière. En effet, si la règle d’une transcription d’un acte de naissance
paraît simple d’une manière générale, en matière de GPA, elle subit une spécificité quant
à son établissement puisqu’il est question d’établir un acte d’état civil d’un enfant né d’un
processus illégal et interdit en droit français.
1120. D’une manière générale, la transcription d’un acte de naissance établi à l’étranger
consiste à transcrire (ou recopier) l’ensemble des informations figurant dans l’acte
étranger dans le registre de l’état civil dédié aux français nés à l’étranger afin d’accorder
à l’enfant un acte d’état civil de naissance français. En théorie, cette démarche
administrative n’est qu’une simple initiative personnelle et non obligatoire, puisque la
transcription n’établit pas la filiation et ne crée pas les droits et devoirs entre enfants et
parents qui sont déjà crées par l’acte de naissance même étranger.
1121. La transcription permet uniquement d’établir un acte de naissance français afin de
faciliter toutes les démarches administratives faites pour les enfants et donc faciliter leur
vie en France. Ainsi en théorie et selon les règles juridiques adoptées, il n’est pas
obligatoire de transcrire un acte de naissance étranger afin d’établir les documents
d’identité et donc exister légalement à l’égard de l’état Français. Cette règle signifie que
toute personne dont l’acte de naissance est établi à l’étranger, voit son identité, sa filiation
à l’égard de ses parents ainsi que l’ensemble de ses droits conservés uniquement par son
acte de naissance traduit et apostillé.
1122. De plus, la règle juridique adoptée en la matière précise que « pour la production
de tout effet juridique en France, les actes de naissance établis à l’étranger doivent
simplement avoir été établis conformément à la loi locale du pays qui les délivrent et
qu’ils soient traduits et authentifiées »948. Cependant, toute cette règlementation peut être
remise en cause lors d’une suspicion de GPA, et donc une application aléatoire de ces
règles de droit par l’administration française, aboutissant ainsi à de nombreux
contentieux.
1123. Ces derniers reflètent dans le fond le débat actuel qui dure depuis le début des
années 2000 sur la légitimité de la transcription d’un acte de naissance établi suite au
recours à la GPA à l’étranger qui est une pratique illégale en France, la pratique judiciaire
et administrative se trouve ainsi confrontée à un conflit assez complexe qui intègre la
confrontation entre l’illégalité de cette pratique et la prise en considération de l’intérêt
supérieur de l’enfant qui est devenu principe fondateur en droit français quant à la
protection des droits de l’enfant. En effet, c’est dans l’objectif de répondre à ce conflit
que la jurisprudence a connu une évolution, qui a permis aujourd’hui à concrétiser un
mouvement plutôt positif à l’égard de la transcription de l’acte de naissance mais qui
pour les opposants de la GPA, est contraire au principe du refus de cette pratique par le
droit français.
948
Rapport d’information de la mission relative à la révision de la loi sur la bioéthique, n° 1572, 15 Janvier 2019, AN
par M. Breton et M. Touraine, in Caroline MECARY, op. cit., p. 68.
460
En France quelques affaires illustrent le débat de la transcription des actes de naissances
établis à l’étranger suite à une GPA ; elles sont considérées aujourd’hui comme des
références juridiques et judiciaires en la matière. Parmi les affaires qui ont marqué
jusqu’aujourd’hui la question de la transcription, il y a celles pour lesquelles la France a
été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme.
1124. En effet, parmi les premières affaires il y a les dossiers FOULON et BOUVET,
dans lesquels deux hommes ont eu recours à la GPA en Inde et qui, à leur retour en
France, ont élaboré des demandes de transcription des actes de naissances indiens. Pour le
premier dossier, Monsieur Foulon est le père biologique d’une petite fille née en Inde
d’une mère porteuse indienne, et dont les deux noms figurent dans l’acte de naissance
délivré par l’administration indienne.
En rentrant en France M. Foulon effectue une reconnaissance de paternité à la mairie de
Paris, puis une demande de transcription à Nantes. Suite au refus du parquet de Nantes de
transcrire l’acte de naissance, le père biologique va se diriger vers le tribunal de grande
instance de Nantes, qui va rendre son jugement le 10 juin 2010 en accordant droit à la
demande du père biologique et en rejetant la demande du parquet et en estimant que « la
filiation paternelle n’était pas mise en cause ». Suite à ce jugement, la cour d’appel va
être saisie par le ministère public et qui va aller à l’encontre du premier jugement en
considérant « qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’un contrat de mère porteuse prohibé par la
loi française mais encore d’un achat d’enfant, évidemment contraire à l’ordre public.
L’intérêt supérieur de l’enfant ne peut utilement être mis en avant par le premier
requérant qui a fait le choix délibéré de mettre cet enfant et lui-même hors la loi » . La
Cour de cassation va également rejoindre cet avis en considérant que « le refus de la
transcription est justifiée puisque l’acte de naissance est rédigé dans les formes usitées
dans ce pays et lorsque la naissance est l’aboutissement en fraude à la loi française, et
d’un processus qui intègre le recours à la gestation pour autrui qui interdite et nul d’une
nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil ».
1125. Pour l’affaire BOUVET, le processus été identique, puisque Monsieur BOUVET
avait eu recours à une mère porteuse qui a accouché de jumeaux ; sur leur acte de
naissance, M. BOUVET et la mère porteuse figurent comme étant les parents des
jumeaux. Arrivé en France M. BOUVET se dirige le 31 mars 2010 vers la mairie de La
Grand-croix et effectue une reconnaissance de paternité. Suite à cette demande, le
procureur de la république de Nantes souligne que l’ensemble des indices auxquels il a eu
recours prouvent qu’il est question d’un recours à une GPA et donc une violation de
l’article 16-7 du Code civil.
Monsieur BOUVET assigna alors le procureur de la république de Nantes devant le
tribunal de grande instance. Ce dernier rendra son jugement le 17 mars 2011 considérant
que « Malgré le fait que M. BOUVET avait réagi contrairement à la loi française, les
conséquences de ses agissements ne peuvent pas s’appliquer sur ses enfants et qu’il ne
peut être privé de ces derniers puisque la filiation entre le père et ses jumeaux est sure et
établie puisqu’il est le père biologique.
461
Et donc que la transcription des actes de naissances des jumeaux dans les registre de
l’Etat civil répond principalement à l’intérêt supérieur de ces enfants qui est un principe
qui doit être pris en considération dans toutes les décisions qui concernent l’enfant et ceci
en application de l’article 3-1 de la CIDE. Le procureur de Nantes saisit alors la Cour
d’appel de Rennes, qui elle décide par un arrêt du 21 février 2012 que « les éléments
réunis par le ministère public établissaient bien l’existence d’un recours à une gestation
pour autrui qui est une pratique prohibée par l’article 16-7 du Code civil.
Toutefois, la Cour observe qu’elle n’était pas saisie par rapport à la validité d’un recours
à une GPA mais « d’une transcription d’un acte d’état civil dont ni la régularité formelle
ni la conformité à la réalité des énonciations n’étaient contestés » ; elle conclue
également que « tant que les actes de naissance répondent aux exigences de l’article 47
du Code civil, sans qu’il y ait question d’opposer ou d’hiérarchiser des notions d’ordre
public tel que l’intérêt supérieur de l’enfant ou l’indisponibilité du corps humain ».
Cet arrêt va être cassé par la Cour de cassation qui a rendu son arrêt le 13 septembre 2013
en constatant que « les éléments réunis par le ministère public caractérisaient l’existence
d’un processus illégal ayant eu recours à une gestation pour autrui (…), ce dont il
résultait que les actes de naissance établis pour les jumeaux ne pouvaient être transcrits
sur les registres de l’état civil français, la cour d’appel a donc violé les articles 16-7, 16-
9 et 336 du Code civil ».
1126. Cependant, ces deux arrêts vont être cassés suite à une nouvelle jurisprudence de
la Cour de cassation rendue le 3 juillet 2015949 ; cet arrêt a en effet cassé d’une manière
partielle un arrêt de la Cour d’appel de Rennes qui refusé la transcription d’un acte de
naissance établi en Russie suite à une naissance d’un enfant par GPA. Ainsi, la cour
estime que « les actes de naissances dont la transcription est demandée mentionnent
comme père celui qui a effectué une reconnaissance de paternité, et comme mère la
femme ayant accouché », leur transcription peut être établie en se référent au principe de
l’intérêt supérieur de l’enfant et en estimant que « l’acte de naissance étranger est
régulier, non falsifié et que les faits déclarés correspondent à la réalité ».
1127. C’est dans ce contexte que la Cour européenne des droits de l’Homme avait
condamné la France suite aux arrêts qui annulaient la transcription des actes de
naissances des enfants nés suite à un recours à une GPA. En effet, les magistrats
européens ont conclu d’abord dans l’affaire Mennesson et Labassé du 26 juin 2014 que
nous avons déjà développé plus haut, puis le 21 juillet 2016 dans les affaires Foulon et
Bouvet, que cette annulation représente une violation du droit à la vie des enfants.
Il semble évident que la question de la transcription des actes de naissances établis à
l’étranger suite à un recours à la GPA a connu une évolution jurisprudentielle marquée
par des arrêts évolutif rendus par la Cour de cassation notamment celui du 3 juillet 2015,
puis le 5 juillet 2017, permettant la reconnaissance des enfants nés par GPA à l’étranger à
travers la transcription des actes de naissances établis. Toutefois, cette possibilité de
transcription ne concernait jusqu’en 2017 que le père biologique et appelait le conjoint de
ce dernier ou le parent d’intention d’avoir recours à la procédure d’adoption afin qu’il
soit reconnu comme le deuxième parent.
949
Cour cass., Arrêt n° 619 du 3 Juillet 2015, 14-21.323.
462
1128. Cette jurisprudence permettait en effet d’établir un certain équilibre qui permettait
à la fois un contrôle du juge français sur la GPA réalisée à l’étranger et en même temps
une protection des intérêts et des droits en présence notamment ceux de l’enfant. Une
position approuvée par la CEDH, qui a rendu le 19 avril 2019 un avis favorable à l’égard
de la jurisprudence de la Cour de cassation en précisant des conditions relatives à l’accès
à la procédure d’adoption, puis dans une autre décision rendue le 12 décembre 2019, la
CEDH réaffirme son premier avis et juge la jurisprudence adoptée par la Cour de
cassation qui se manifeste dans la procédure de l’adoption et donc qui permet aux enfants
nés par GPA à l’étranger une filiation qui respecte les dispositions de la Convention
européenne des droits de l’Homme ; or, la dernière jurisprudence rendue par la Cour de
cassation le 18 décembre 2019950, a permis la modification de la jurisprudence antérieure,
en permettant la transcription de plein droit des actes de naissance établis à l’étranger
sans passer par la procédure de l’adoption.
1129. En effet, trois arrêts rendus dans des affaires d’un recours à la GPA, concernaient
d’abord deux couples d’hommes, un couple franco-belge non marié951 et un couple marié
qui ont eu recours à la GPA aux USA et le troisième est un couple de femmes non
mariées qui ont présenté un acte de naissance délivré par le Royaume-Uni952. Ainsi, dans
les trois arrêts la Cour de cassation vient presque s’excuser de son ancienne jurisprudence
qui permettait une transcription partielle des actes de naissance en essayant de combler le
vide juridique existant en la matière à travers la réalisation d’un compromis entre l’ordre
public interdisant la GPA et l’intérêt de l’enfant.
A travers ces trois arrêts, la Cour de cassation permet une nouvelle interprétation de
l’article 47 du Code civil en affirmant qu’il s’agit d’une appréciation d’un mode de
preuve d’une filiation déjà établie à l’étranger, et donc il est question d’un contentieux
relatif à une transcription et non pas à une action relative à la filiation.
1130. Or, cette jurisprudence n’a pas fait l’unanimité et a suscité la réaction des
opposants du recours à la GPA qui l’ont considéré comme une légalisation dissimulée, en
considérant que cette décision a permis la modification de l’interprétation de l’article 47
du Code civil sur la régularité des actes de l’état civil étrangers qui dispose que pour « la
reconnaissance d’un acte de naissance étranger en France, l’acte doit être conforme à la
réalité » ; ainsi cette conformité à la réalité été appréciée par l’ancienne jurisprudence au
regard du droit français, et donc considérait que l’acte de naissance étranger qui désignait
la mère d’intention comme mère de l’enfant ne pouvait pas répondre à la réalité
puisqu’en droit français la mère est celle qui accouche en dehors de l’hypothèse de
l’adoption. Désormais suite à la nouvelle jurisprudence, l’appréciation de la conformité à
la réalité de l’acte de naissance se fait aujourd’hui au regard de la loi nationale étrangère.
950
Cour cass., Arrêt n° 1111 du 18 décembre 2019, 18-11.815.
951
Cour cass., Arret n° 1112 du 18 décembre 2019, 18-12-327.
952
Cour cas.s, Arrêt n° 1113 du 18 décembre 2019, 18-14.50.007.
463
1131. C’est dans ce sens que le débat autour de cette évolution jurisprudentielle a incité
d’abord le gouvernement de présenter un amendement qui propose une modification de
l’article 47 du code civil en apportant une précision qui consiste à « préciser que la
conformité de l’acte de naissance étranger s’apprécie au regard des critères de la loi
française »953, c’est-à-dire en matière d’acte de naissance d’un enfant né par GPA à
l’étranger qui désigne la mère d’intention comme mère ne peut pas être conforme à la loi
française et donc doit être annulé, un amendement présenté par le gouvernement qui
comme le précisait la ministre de la justice Madame Nicole BELLOUBET, « permet de
s’opposer à toutes les transcriptions des actes de naissances contraires à la loi française
qui incluent d’une manière générale notamment les actes de naissance incluant plus de
deux parents hors le processus d’adoption, et donc revenir à la solution antérieurement
retenue c’est-à-dire établir la transcription de l’acte de naissance pour le parent
biologique et permettre au conjoint d’entamer la procédure d’adoption »954. La nouvelle
jurisprudence a en effet suscité la question de la limite de la pratique de la GPA et de la
reconnaissance des conséquences de cette dernière, notamment dans le cadre de la
réforme globale qui vise la loi bioéthique dont l’objectif principal est de moderniser et de
répondre à une réalité qui met l’intérêt supérieur de l’enfant en danger suite à
l’interdiction de la pratique de la GPA.
953
L’amendement propose d’insérer un article 47-1 qui soit rédigé comme suit : « Tout acte de l’état civil ou jugement
étranger, à l’exception des jugements d’adoption, établissant ou faisant apparaitre la filiation d’un enfant né à l’issue
d’une convention de gestation pour le compte d’autrui ne peut être transcrit sur les registres en ce qu’il mentionne
comme mère une femme autre que celle qui a accouché ou lorsqu’il mentionne deux pères ».
« Les dispositions du premier alinéa ne font pas obstacle à la transcription partielle de cet acte ou de ce jugement, ni à
l’établissement d’un second lien de filiation… ».
954
Disponible sur : www.publicsenat.fr.
464
Chapitre II : L’intérêt supérieur de l’enfant dans l’autorité parentale.
1132. L’évolution du droit de la famille dans tous les systèmes juridiques est le reflet de
l’évolution sociale dans son ensemble, puisqu’il est fondé sur la transformation de deux
institutions fondamentales qui sont le mariage et la filiation. En effet, ces deux
institutions représentent les deux piliers sur lesquels repose la famille, dont le rôle
principal est de faire de l’enfant un membre bénéfique à la société, à travers la mission
qui est attribuée aux parents en créant des liens juridiques entre les parents et les enfants.
Dans les deux systèmes juridiques, marocain et français, la question de tâches octroyées
aux parents a connu une grande évolution qui a permis le passage d’un enfant objet de
droit à un enfant sujet de droit, qui exige l’engagement des parents dans la garantie de la
préservation et le développement de l’enfant.
1133. Cette transformation de la place accordée à l’enfant et l’émergence d’une prise en
considération de son intérêt supérieur dans tous les rapports et toutes les décisions qui le
concernent, a permis une influence majeure sur les rapports juridiques qui se nouent entre
l’enfant et ses parents. En effet, comme nous l’avons déjà précisé, le principe de l’intérêt
supérieur de l’enfant est devenu un fondement principal dans l’élaboration de la plupart
des textes qui concernent les mineurs, tantôt pour protéger l’enfant contre toute violation
de ses droits, tantôt pour permettre d’accorder à l’enfant plus d’autonomie, de liberté et
de choix quant aux décisions qui le concernent.
Toutefois, bien que les textes internationaux et ceux adoptés par le législateur
contemporain tentent d’adopter de plus en plus de textes accordant aux enfants plus de
droits sans l’intervention des parents afin de concrétiser l’esprit de l’enfant sujet de droit,
la vulnérabilité de l’enfant et son besoin d’une protection particulière exigent que même
lors de l’exercice de ces droits, l’enfant doit être obligatoirement représenté ou
accompagné par une personne majeure. Ainsi, dans ce cadre, le rôle de cette personne
majeure se manifeste à travers l’autorité parentale qui intègre le rôle de protecteur,
gardien ou encore de représentant pour agir dans l’intérêt de l’enfant.
1134. En principe, ce sont les parents qui exercent l’autorité parentale qui dans le droit
contemporain est irriguée par le principe de coparentalité qui exige que la mère et le père
exercent à égalité leur rôle parental dans le respect de l’intérêt de l’enfant 955. Cette
coparentalité est aujourd’hui intégrée dans la majorité des textes adoptés par les
législateurs marocains et français, et vise à concrétiser d’abord l’égalité entre l’homme et
la femme mais également à garantir à l’enfant un développement équilibré fondé sur sa
relation avec ses deux parents.
Toutefois, si cet exercice commun de l’autorité parentale semble être une évidence
pendant le mariage en se référent à l’intérêt de l’enfant comme un principe fondateur de
cette coparentalité, cette dernière devrait continuer même après la séparation des parents.
955
Philippe. BONFILS, Adeline. GOUTTENOIRE, Droit des mineurs, Paris, Dalloz, Coll., Précis, 2014, n° 554, p.
348.
465
Cependant, la concrétisation de cette coparentalité dans l’exercice de l’autorité parentale
n’est pas évidente dans tous les systèmes juridiques. Ainsi, si en droit français les
réformes ont permis d’établir et d’adopter un équilibre favorable à l’intérêt de l’enfant en
faisant de ce principe une priorité, dans d’autres systèmes considérés de traditionnels tels
que le droit marocain, les éléments constitutifs d’une coparentalité réelle et équilibrée
sont insuffisants tels que l’égalité des droits et des devoirs entre l’homme et la femme au
sein du couple et en l’occurrence ceux du père et de la mère à l’égard de l’enfant, ou
encore la favorisation d’une coparentalité attachée à l’état du mariage et au statut
matrimonial des parents, et donc l’intérêt de l’enfant qui découle de cette situation peut
s’avérer très limité.
Toutefois, dans les deux modèles juridiques, la prise en considération de l’intérêt de
l’enfant en la matière paraît une évidence dans le cadre de l’évolution sociale et familiale.
Ainsi, il devient difficile de négliger le rôle d’influence de la prise en compte de l’intérêt
de l’enfant d’abord dans l’attribution de l’autorité parentale (Section 1), mais également
dans son exercice, dans la mesure où ce dernier devient un élément même de protection
de l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’objectif de garantir son développement (Section
2).
466
Section 1 : L’influence de l’intérêt supérieur de l’enfant sur l’attribution de
l’exercice de l’autorité parentale.
1135. Aujourd’hui, dans les deux systèmes juridiques français et marocain, l’adoption des
vertus humanistes du droit et l’engagement des deux pays dans la concrétisation des
principes fondamentaux des droits de l’Homme et en l’occurrence ceux de l’enfant, ont
abouti à l’adoption d’un esprit de protection accrue de l’enfant. Cette protection se
manifeste dans l’intégration et la reconnaissance du principe de l’intérêt de l’enfant dans
toutes les questions qui le concernent, une prise en considération qui a permis de repenser
le bien-être de l’enfant dans le cadre familial dans son ensemble. Toutefois, malgré
l’écart existant entre la conception française et marocaine du droit de la famille, la
réflexion sur les droits de l’enfant permet d’établir quelques convergences en la
matière956, puisqu’elle est fondée sur l’importance de la famille et de la place qu’elle
préoccupe en tant que cellule de base de chacune des sociétés. Ainsi est le cas de toute
réflexion faite à l’égard de l’enfant et de la protection de son intérêt, puisque l’obligation
de sa protection est présente dans les deux systèmes, toutefois, elle ne répond pas à des
critères identiques puisque la conception même de l’intérêt de l’enfant en droit français
n’est pas similaire à celle adoptée par le législateur marocain, qui fonde sa conception sur
des principes islamiques qui répondent à d’autres préoccupations et d’autres critères.
1136. En effet, cette différenciation de conception quant à la prise en considération de
l’intérêt de l’enfant est manifeste dans de nombreuses institutions du droit de la famille
telle que l’autorité parentale. Par conséquent, cette institution qui, en droit français se
définit comme étant « un ensemble de droits et devoirs ayant pour finalité l’intérêt de
l’enfant »957, et comme une fonction que les parents doivent assurer en protégeant
l’enfant dans sa sécurité, sa santé, sa moralité, et en assurant son entretien, son éducation
et la gestion de ses biens.
1137. Or, en droit marocain la notion d’autorité parentale n’existe pas en tant que telle,
puisque le législateur marocain a fait le choix de dissocier les droits et devoirs des parents
à l’égard de l’enfant entre les droits détenus par le tuteur qui est le représentant légal de
l’enfant et les missions confiées à la personne qui assure la garde. Entre ces deux
conceptions relatives aux droits et devoirs des parents à l’égard de leurs enfants, de
nombreuses questions peuvent être développées afin de comprendre l’acheminement de
la concrétisation de l’intérêt supérieur de l’enfant en la matière, puisqu’en principe
l’attribution de l’autorité parentale en droit français, la tutelle et la garde en droit
marocain sont fondées sur la prise en considération de l’intérêt de l’enfant. Toutefois,
l’exercice et l’attribution de cette autorité parentale ne peut être réalisée dans l’intérêt de
l’enfant sans la constitution d’un modèle juridique qui permet de décerner à l’homme et à
la femme une égalité entière en matière familiale.
956
Mélina DOUCHY-OUDOT, Les enfants et la séparation des parents, RIDC, 2010, pp. 623-651.
957
Article 371-1, Code civil.
467
1138. Le rôle des parent vise à garantir à l’enfant son bien-être sans qu’il soit influencé
par la condition et la situation du couple, tel que le précise le groupe de travail en la
matière présidé par Madame DEKEUWER-DEFOSSEZ qui précise que l’attribution et
l’exercice de l’autorité parentale doivent être « l’idée selon laquelle il est de l’intérêt de
l’enfant d’être élevé par ses deux parents, dans la famille fondée sur le mariage comme
dans la famille créée hors mariage, que le couple parental soit uni ou qu’il soit
désuni »958.Ainsi, le principe de référence de cette institution est l’intérêt supérieur de
l’enfant et de veiller à sauvegarder la relation entre l’enfant et ses deux parents puis de
permettre à ce dernier de profiter d’une éducation commune. L’objectif est supprimer la
logique d’une monoparentalisation qui constituait dans tous les systèmes juridiques la
règle lors des divorces et des séparations, puisque l’enfant était souvent confié à un seul
parent en accordant à l’autre parent un droit de visite959.
1139. Dans ce sens, le législateur français a fourni un grand effort d’évolution progressif
depuis l’adoption de la loi du 4 juin 1970 permettant la création de l’autorité parentale
conjointe et dont le texte novateur est profondément animé par la pensée du Doyen
CARBONNIER, jusqu’à l’adoption de la dernière réforme du 4 mars 2002 visant à établir
une égalité des parents quant à leurs droits en la matière quelque soit leur situation
familiale.
Tandis qu’en droit marocain, la question de l’égalité du couple en matière d’attribution de
la tutelle et de la garde est récente et ne s’est manifestée qu’à partir de la réforme du droit
de la famille en 2004. Ainsi, l’introduction d’une égalité très limitée n’a pas permis un
bouleversement profond des règles et des normes traditionnelles, religieuses et culturelles
qui constituent le rôle de chacun des parents à l’égard des enfants, et donc de nombreuses
limites se sont manifestées devant la concrétisation de l’intérêt de l’enfant.
Ainsi, dans les deux systèmes juridiques, l’évolution de l’autorité parentale est fortement
marquée par le passage d’une autorité parentale imprégnée par la puissance paternelle et
une inégalité entre les deux parents dans leurs droits et devoirs, à une nouvelle perception
fondée sur la recherche de l’égalité entre les parents et recherchant une meilleure
considération de l’intérêt de l’enfant (Paragraphe 1). Une considération qui devient le
fondement de toute décision relative à l’attribution de l’autorité parentale mais également
à la séparation de l’enfant de ses parents dans l’objectif de protéger son intérêt supérieur
(Paragraphe 2).
958.
Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ et Christine CHOAIN, l’autorité parentale en question, Presse universitaires
du septentrion, 2003, p. 122.
959
Véronique ROUYER, Coparentalité : Un mythe pour quelles réalités ?, EMPAN, 2008/4, n° 72, pp. 99-100.
468
Paragraphe 1 : L’attribution de l’autorité parentale fondée sur le critère de l’intérêt
supérieur de l’enfant.
469
A- De la puissance paternelle à l’autorité parentale.
1141. En droit français comme en droit marocain, l’institution fondamentale était la
puissance paternelle qui attribuait au père une autorité entière sur ses enfants dans un
cadre familial marqué de patriarcat. Certes, dans les deux juridictions, elle représentait
une autorité protectrice qui prenait fin à la majorité de l’enfant, mais l’absence de la prise
en considération de l’intérêt de l’enfant et de la considération de ce dernier comme étant
un sujet de droit dans les règles adoptées faisait de cette protection un élément d’abus ou
de négligences de certains pères laissant leurs enfants dans des situations d’abandon
moral ou matériel. Cette relation traditionnelle entre les parents et leurs enfants a connu
une grande transformation d’un modèle traditionnel dont la fonction principale était « la
transmission » ; une transmission vaste et globale qui inclut selon
le Professeur DE SINGLY « la transmission du patrimoine, de la reproduction et de la
conservation voire l’amélioration des valeurs d’une génération à une autre, et dont le
moment fort est celui de la désignation des héritiers légitimes (…) et donc une forme de
transmission directe et progressive ». Ce même auteur considère que cette transmission
s’est modifiée dans le nouveau modèle familial puisqu’elle est devient « indirecte et se
fonde sur la reconnaissance de la valeur de l’enfant ce qui a permis de rendre la
dimension de l’autorité parentale moins centrale et la valeur de toute transmission de
s’assimiler à une nouvelle fonction qui est celle d’une mobilisation familiale générale
visant à offrir la réussite pour l’enfant »960.
Une transformation qui a influencé le rôle des parents et la place de l’enfant au sein de la
famille, dans la mesure où la réalisation de la réussite recherchée pour l’enfant ne se
limite plus à une question de patrimoine ou de valeurs sociales transmissibles, mais à une
prise en considération prioritaire de la protection et du développement de la psychologie
de l’enfant. Dès lors que tous les enfants naissent avec « une identité cachée » qui doit
être découverte et développée par eux-mêmes mais avec l’aide de leurs proches, afin
qu’ils puissent atteindre l’épanouissement et l’équilibre de leur personnalité.
1142. En d’autres termes, cette nouvelle conception d’enfant au sein de la famille
moderne répond à l’introduction de nouveaux éléments contemporains qui à leur tour
répondent à ce développement qui doit être positif dans toutes les situations dans
lesquelles l’enfant se trouve. Cette perception est définie par Madame Françoise DOLTO
comme suit : « le développement d’un enfant se fait comme il se doit, au mieux de ce qu’il
peut, selon la nature qui est la sienne au départ, quand il se sent aimé par ses parents qui
s’aiment et qu’il y’a de la gaieté dans l’air (…) un enfant heureux, bien dans sa peau,
c’est celui qui se développe comme il a, lui, à se développer avec ses particularités qui
seront respectées ». Cette définition accorde une perception nouvelle et encore plus
libérale à l’enfant qui n’est plus considéré comme un objet que les parents souhaitent
960
Françoise DE SINGLY, Qu’est ce qu’un bon parent ? in L’autorité parentale en question, sous la direction de
Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ et Christine CHOAIN, Presses universitaires du septentrion, 1ere éd, coll Droit
des personnes et de la famille, 2003, p. 15.
470
modeler ou réaliser selon leurs souhaits à travers la transmission, mais il devient pour
les parents un sujet d’écoute et d’observation qu’ils assument et dont le seul objectif est
celui de permettre à l’enfant de connaître et comprendre sa personnalité à travers deux
dimensions « lui donner confiance, et lui fournir une image de son identité »961.
Autrement dit, si la définition et la perception de l’enfant changent, le rôle des parents
doit également répondre à ce changement et s’adapter en adoptant un rôle parental
équilibré qui accorde plus de liberté à l’enfant et qui respecte ses choix et son
développement personnel, tout en assurant la sécurité et la liberté nécessaire à sa
personne. C’est dans ce sens que le passage de l’autorité paternelle à l’autorité parentale
semble répondre à de nouveaux principes contemporains relatifs aux couples mais surtout
à l’enfant, ce qui reflète une sorte d’adaptation du droit aux évolutions des mœurs et aux
nouveaux besoins auxquels il faut de nouvelles lois962.
1143. En France, la loi du 4 juin 1970 représentait la grande révolution des relations entre
les parents et leurs enfants, son adoption ayant permis de modifier toutes les règles
relatives à ces rapports au sein de la famille. En effet, le texte a permis la suppression de
la puissance paternelle963 qui consistait « à écarter le rôle de la femme dans l’éducation
ou de prise de décision concernant ses propres enfants en affirmant la responsabilité
unilatérale du père ». L’adoption du texte a abouti principalement à la création d’une
nouvelle institution qui est celle de l’autorité parentale, qui conserve dans la forme le
droit des parents de contrôle, de décision et de droit exercés sur l’enfant. Par ailleurs, sur
le fond elle diffère de deux traits qui se manifestent dans un premier temps dans la
concrétisation de l’égalité des droits et de devoirs entre les parents à l’égard de leurs
enfants, et marque pour la première fois un passage subtil de la conception « de l’enfant
qui répond à l’intérêt de ses parents, à des parents qui répondent à l’intérêt de
l’enfant964.
Toutefois, malgré l’évolution que cette loi ait marquée à travers le remplacement de la
puissance paternelle par l’autorité parentale, cette dernière reste très limitée dans les
dispositions adoptées par le législateur puisque son exercice a été consacré uniquement
« dans l’hypothèse où cette concertation pouvait être tenue pour acquise à partir de
l’existence d’une démarche juridique antérieure, et donc une autorité parentale commune
conditionnée par l’union du mariage, d’un mode de vie, et de la cohabitation. Autrement
dit le législateur réserve cet exercice commun aux parents légitimes non divorcés,
considérant que l’exercice commun de cette autorité ne pouvait pas être systématique
lors d’un divorce difficile pour faute ou pour la famille naturelle965.
961
Ibid, p. 16.
962
Hugues FULCHIRON, Pourquoi légiférer sur l’autorité parentale ? in L’autorité parentale en question, id, ibid., p.
27.
963
Il est à noter que la puissance paternelle incluait depuis la période romaine, un droit de correction plus au moins
élargi selon les époques en allant jusqu’au droit d’emprisonner les enfants en cas de mauvaises conduites.
964
Guy RAYMOND, L’autorité parentale sous contrôle ?, Enfance & Psy, 2003/2, n° 22, p. 25.
965
Claire NEIRINCK, L’autorité parentale, institution ‘mythée’, in Regard critiques sur quelques révolutions récentes
du droit, Tome 2, presse de l’Université Toulouse 1 Capitole, LGDJ, éd. Lextenso, p. 27.
Voir également dans ce sens, Solène PELLETIER, Les exercices de l’autorité parentale, in Journal du droit des jeunes,
2003/9, n° 229, p. 33 et s.
471
Pour Madame Claire NEIRINCK, cette limite posée par le législateur à l’époque ne
reflétait pas un manque d’audace ou un conservatisme, puisque le législateur accordait cet
exercice à la mère lorsque le couple n’était pas marié et même lorsque l’enfant est
reconnu par les deux parents966.
1144. Par ailleurs, les limites de la loi du 4 juin 1970 ne vont pas résister à l’évolution
constante de la prise en considération de l’égalité entre l’homme et la femme dans la
société d’une manière générale et au sein de la famille en particulier, et d’autre part celle
des droits de l’enfant et de son intérêt d’être élevé par ses deux parents. Ainsi, l’évolution
législative apportée à ces deux mythes967 s’est traduite par une évolution des concepts
philosophiques et sociaux qui ont permis d’instaurer progressivement des conceptions
fondamentales qui concernent la société, la famille et l’enfant en particulier. En effet,
depuis l’adoption de cette première loi visant la suppression de la puissance paternelle,
d’autres éléments ont contribué à réformer toutes les questions relatives à l’autorité
parentale; parmi celles-ci :
- Le développement de la perception de l’enfant qui ne se présente plus comme un
incapable mineur, mais comme une personne ayant des droits à protéger et dont la
CIDE est le texte référentiel de cette protection.
- L’évolution de la famille dans son ensemble, suite à l’adoption des différents
modes d’unions, aux divorces, et aux enfants qui naissent au sein de ces modes
familiaux qui ne connaissent pas la même stabilité que celle offerte auparavant
avec le mariage. Ainsi, le législateur a dû s’adapter à ce mouvement en adoptant
des lois qui ne se limitent pas à instaurer une différenciation entre le rôle de la
mère qui consistait à garder et éduquer les enfants alors que le père était chargé
d’apporter l’aide matérielle. Autrement dit, le législateur a cherché des solutions
permettant d’affirmer l’égalité des rôles entre le père et la mère au-delà de la
dissociation du couple.
- La participation d’un élément social marquant qui est celui de la dépendance des
adolescents de leurs parents plus longtemps968.
1145. En se référent à ces éléments, l’adoption de trois lois successives semblait être une
évidence dans l’objectif d’améliorer les lois et de les adapter à l’évolution sociale. Ainsi,
la loi du 22 juillet 1987 dite loi Malhuret969 a marqué plus d’évolution en offrant la
possibilité aux parents naturels d’exercer l’autorité parentale en commun tout en
conservant la limite d’une déclaration d’accord conjoint de cet exercice devant le juge des
tutelles.
966
Ibid., p. 28.
967
Dans ce sens Madame Claire NEIRINCK, considère que l’égalité des parents en matière d’autorité parentale et
l’intérêt de l’enfant d’être éduqué par ses deux parents sont des mythes mutuellement renforcés dont l’un sert d’un
justificatif à l’autre.
968
Guy RAYMOND, op. cit., p. 25.
969
Loi N° 87-570, F.DEKEUWER-DEFOSSEZ et F.VAUVILLE, D, 1988, chr., 137.
472
Puis, la loi du 8 janvier 1993 970 qui affirmera une avancée encore plus importante et plus
significative dans la mesure où l’exercice de l’autorité parentale va être attribué aux deux
parents sans aucune distinction entre les couples naturels ou légitimes en établissant
quelques consistions.
Ces conditions sont du nombre de deux, d’abord lorsque les parents reconnaissent
l’enfant avant son premier anniversaire et qu’ils habitent en commun lors de cette
reconnaissance, ce qui a permis son inscription dans l’article 372 du Code civil qui était
réservé uniquement aux couples légitimes.
Enfin, la loi du 4 mars 2002 qui a été adoptée dans l’objectif de reprendre les
recommandations de la commission DEKEUWER-DEFOSSEZ971, permettant d’abord
d’instaurer une égalité totale dans l’exercice de l’autorité parentale sans aucune
distinction entre famille légitime et famille naturelle, et ce à, travers la modification d’un
nombre de dispositions dont ceux énoncés dans les articles 372 du Code civil et 373-2 du
même texte, affirmant que la séparation des parents ne doit pas influencer ou impacter
l’exercice de l’autorité parentale. Puis, d’intégrer d’une manière explicite le principe de
l’intérêt de l’enfant qui devient un élément fondamental de définition, d’attribution et
d’exercice de l’autorité parentale. Ainsi, la réforme de 2002 a permis l’introduction de
nombreux principes inspirés principalement et explicitement de la CIDE, en prévoyant
l’association de l’enfant à toutes les décisions qui le concernent en prenant en
considération son âge et son degré de maturité.
1146. L’objectif ultime de cette réforme était d’apporter une affirmation quant à quelques
principes participant à la reconnaissance de l’autorité parentale telle qu’elle est établie
aujourd’hui, notamment la volonté d’affirmer l’égalité entre tous les enfants légitimes et
illégitimes ; d’adopter un équilibre et une égalité entre l’homme et la femme au sein du
couple à travers la coparentalité et l’autorité parentale conjointe ; et enfin d’établir un
équilibre entre les relations parents-enfants avec l’évolution des droits de l’enfant et
l’introduction des principes de la CIDE dont l’intérêt de l’enfant en matière d’autorité
parentale972.
1147. L’équilibre recherché par le législateur français a en effet bousculé de nombreuses
règles afin d’adopter un esprit de loi favorable au nouveau rôle accordé aux parents qui
est celui de l’accompagnement commun de leurs enfants. Toutefois, cette évolution
textuelle permet de s’interroger et de porter la réflexion quant à la notion de « l’autorité
parentale » elle-même et de ses limites.
Cette dernière intègre aujourd’hui tous les droits et devoirs des parents à l’égard de leurs
enfants, en soulignant qu’ils doivent avoir pour finalité l’intérêt de l’enfant et que ce
dernier doit être associé aux décisions qui le concernent. Une combinaison qui peut
paraître contradictoire, entre autorité et prise en considération de l’avis de l’enfant
puisque le dernier alinéa de l’article 371-1 du Code civil dispose que « les parents
970
Loi N° 93-22 du 8 janvier 1993 modifiant le Code civil relative à l’état civil, à la famille et aux droits de l’enfant et
instituant le juge aux affaires familiales.
971
Il est à noter que la commission recommandait la conservation du terme de l’autorité parentale, la pression n’a pas
permis de remplacer l’autorité parentale par le terme de la responsabilité parentale.
972
Claire DAVIDSON, Hervé HAMON, Autorité parentale dans la famille et autorité dans le cadre de l’assistance
éducative : une histoire de respect, Dialogue, 2004/3, n° 125, p. 26.
473
associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de
maturité »973.
La réponse à cette question consiste à avancer que l’incitation à la recherche de l’avis de
l’enfant ne permet pas la disparition de l’autorité puisque la référence à cet avis est
facultative et conserve un caractère symbolique, et que l’absence de ce recours à l’avis de
l’enfant n’est pas puni par la loi. Cette prise en considération allégorique de l’avis de
l’enfant laisse comprendre que l’autorité des parents n’a pas disparu et qu’elle reflète
encore aujourd’hui des privilèges non négligeables aux parents, ainsi pour Guy
RAYMOND, « l’obligation qui est faite aux parents de prendre l’avis de l’enfant ne doit
pas être analysée comme une démission des parents et une toute puissance de l’enfant,
mais comme un principe pédagogique qui consiste à associer l’enfant aux décisions qui
le concernent ». Autrement dit, l’association de l’enfant aux décisions qui le concernent
est adoptée dans l’objectif d’une concrétisation en droit interne du principe de l’intérêt de
l’enfant et de son droit à la participation dont la CIDE en fait des objectifs fondateurs de
la protection des droits de l’enfant.
1148. Par ailleurs, face à cet équilibre revendiqué et adopté par la dernière réforme de
2002 entre l’autorité parentale et l’intérêt de l’enfant, nombreux sont les auteurs qui
considèrent que cette réforme a adopté un caractère plutôt flou quant à l’autorité
parentale, dans la mesure où le législateur a permis le remplacement de certains se ses
éléments constitutifs qui étaient adoptés explicitement par la loi de 1970. Ces éléments
consistaient à préciser les droits et les devoirs des parents à l’égard de leurs enfants tels
que le devoir de garde, de surveillance et d’éducation.
Or le texte adopté aujourd’hui se limite à évoquer ces droits d’une façon plutôt vague
notamment lorsqu’il s’agit du droit de garde évoqué à travers une de ses applications, en
indiquant que l’enfant ne peut pas quitter le domicile familial sans la permission de ses
parents, la modification de la référence directe au devoir des parents à l’éducation qui
intègre le principe global de l’obligation d’entretien à travers l’article 371-2, ou encore la
disparition du droit de surveillance qui était lié au droit de garde et qui permettait aux
parents d’exercer un contrôle plus précis et plus strict qui concernait ses fréquentations et
ses activités, voire même sur son corps974.
1149. Ainsi, ces modifications ont permis l’apparition de deux lectures quant à la
suppression des composantes explicites de l’autorité parentale; d’abord une lecture
favorable qui jugeait les composantes énoncées par l’ancien texte comme ‘dépassées’
notamment dans le cadre de l’évolution des droits de l’enfant et de la prise en
considération de son intérêt. Puis, une seconde lecture qui apporte un certain doute à la
puissance de l’institution de l’autorité parentale dans la mesure où elle considère que la
suppression de ses composantes représente un affaiblissement de cette autorité puisque
cette dernière est devenue floue et difficile de nommer les prérogatives qui la composent.
973
Il est à noter que la loi n° 2019-721 du 10 juillet 2019, relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires
est venue renforcer la prise en considération de l’intérêt de l’enfant en soulignant que « l’autorité parentale s’exerce
sans violences physiques ou psychologiques ».
974
Claire NEIRINCK, op. cit.
474
Un positionnement qui selon Claire NEIRINCK vide la notion de l’autorité parentale de
son fondement symbolique matériel et immatériel qui représentait ‘une forme de
squelette’. Ce concept attribuait un corps réel à la notion de l’autorité parentale, devenue
aujourd’hui une notion dont le contenu est mou et imprécis, qui offre une grande liberté
d’interprétation quant à sa composition.
1150. Face à ces deux lectures de la notion de l’autorité parentale et de son contenu, il
semble évident que le législateur ne s’est pas limité à la lecture pessimiste évoquant
l’affaiblissement de la notion de l’autorité parentale face à la prise en considération de
l’intérêt de l’enfant, puisqu’il a continué à travers l’adoption des lois relatives au droit de
la famille telle que la loi relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires
adoptée le 10 juillet 2019, modifiant de nombreuses dispositions permettant d’affirmer
l’intégration progressive de l’intérêt de l’enfant en faisant de ce principe l’élément
fondamental de l’autorité parentale
1151. Contrairement à l’engagement et à l’évolution adoptés par le législateur français
depuis les années soixante-dix, son homologue marocain quant à lui n’a pas osé franchir
plus tôt les limites imposées par la puissance paternelle qui est restée la seule institution
de référence pour les droits et devoirs des parents à l’égard de leurs enfants jusqu’à la
dernière réforme du Code de la famille adoptée en 2004. En effet, avant cette réforme, la
puissance paternelle représentait la seule forme d’autorité protectrice au sein de la
famille, dans la mesure où elle attribuait l’autorité essentiellement au père sur ses enfants
mais également sur l’ensemble des membres de la famille dont la mère. Un cadre
traditionnel patriarcal qui adoptait une conception spécifique des droits de l’enfant et de
son intérêt au sein de la famille.
1152. Dans ce sens, l’ancien Code du statut personnel avait adopté cette perception
traditionnelle en affirmant le rôle attribué au père en matière de tutelle et de
représentation légale telle qu’elle est définie par l’ancien texte qui dans son article 148
disposait que : « La personne qui exerce la tutelle légale est, en droit, le père du mineur
ou le juge. Elle est désignée sous le nom de « tuteur légal », et en accordant le droit de la
Garde (la hadana) à travers l’article 99 du même texte au père et à la mère en cas de
mariage et en priorité à la mère lors de la dissolution du mariage mais dont le père
demeure le premier tuteur légal.
1153. Ainsi, le législateur de 2004 a adopté cette conception traditionnelle de l’autorité
parentale loin de celle adoptée par le droit français et qui est inspirée directement du droit
musulman975 qui ne reconnaît pas l’institution de l’autorité parentale en tant que telle,
puisqu’il opère une distinction très marquée entre les différentes composantes de cette
institution que ce soit au niveau des rapports aux titulaires, ou par le temps de son
intervention976.
975
M. NOKKARI, Le statut de l’enfant dans le Coran et dans la sunna, in L’enfant en droit musulman (Afrique,
Moyen-Orient), Actes du colloque du 14 janvier 2008 à la Cour de cassation, Paris, société de législation comparée,
2008, pp. 33-44.
976
Dina Charif FELLER, La garde (HADANAH) en droit musulman et dans les droits égyptien, syrien et tunisien, ed
Droz, coll Comparativa,1996, p. 45.
475
Ainsi, le droit musulman établit deux principales composantes de l’autorité parentale
dans sa perception musulmane, d’une part de la garde (la hadana) qui signifie en droit
musulman « serrer à ses côtés ou serrer entre ses bras ou sur sa poitrine » et qui est
conçu juridiquement comme une modalité de la tutelle sur la personne, et d’autre part de
la tutelle légale (Wilaya)977.
1154. En droit marocain ces deux composantes représentent l’ensemble des droits et de
devoirs conférés aux parents pour assurer la protection, l’entretien et l’éducation de leurs
enfants, une fonction dont la finalité est de protéger l’intérêt de ces derniers. La nouvelle
conception adoptée par le texte de 2004 reflète un acheminement identique à celui du
droit français tout en préservant la spécificité religieuse qui incarne le domaine du droit
de la famille marocain. Cette évolution se manifestant dans la volonté du législateur de
mettre en place une égalité entre l’homme et la femme dans l’attribution et l’exercice de
ces deux rôles, et de faire sortir la femme d’un simple rôle traditionnel et d’intégrer le
principe de l’intérêt de l’enfant en tant qu’un élément directeur en la matière. De plus,
nombreux sont les éléments qui ont influencé le législateur dans l’objectif de moderniser
les questions relatives à la garde et à la tutelle.
1155. En effet, il est d’abord question des engagements internationaux approuvés par
l’Etat marocain et dont la CIDE ou encore la CEDAW978 qui représentent des piliers et
des références à une attribution et un exercice commun des droits et devoirs des parents
dans l’objectif de la protection de l’enfant. Puis, une référence à la constitution marocaine
qui a réaffirmé cette volonté de modernisation en disposant dans son article 19 que
« l’homme et la femme jouissent, à égalité des droits et libertés à caractère civil,
politique, économique, social, culturel et environnemental énoncés dans le présent
titre… ».
1156. C’est dans cet esprit que le texte adopté en 2004 a prévu d’intégrer ces principes de
l’égalité des parents et de la concrétisation de l’intérêt de l’enfant en consacrant à chacun
des éléments composant l’autorité parentale un titre entier qui détaille la garde ( hadana)
et la tutelle légale (la wilaya), mais avant cela il s’est engagé pour la première fois à
introduire une série de droits fondamentaux de l’enfant. Un engagement qui s’est traduit
à travers l’article 54 qui énumère l’ensemble des devoirs des parents à l’égard de leurs
enfants, qui s’illustrent dans la protection de leur santé, l’établissement et la préservation
de leur identité, garantir leur filiation, assurer leur garde et leur pension alimentaire,
veiller à l’allaitement, assurer leur croissance et leur intégrité physique et psychologique,
assurer leur orientation religieuse, et enfin leur assurer leur enseignement.
977
Certains auteurs du droit musulman tels que Muhammad Abu zahrah, définissent l’autorité parentale comme étant
une fonction de wilayah (tutelle) du père dans la mesure où l’enfant demeure soumis au père dès sa naissance jusqu’à
sa puberté ou sa majorité. Elle constitue la pratique de trois tutelles : D’abord la tutelle de l’éducation (tarbiyah) qui
vise à prendre soin de l’enfant dès sa naissance et certains considère que c’est la garde qui est attribuée à la femme car
la maternité lui est innée ; la tutelle sur la personne de l’enfant, dont le père est le premier concerné puisqu’il a
l’obligation de protéger l’enfant à l’intérieur et à l’extérieur de la famille. Et enfin, la tutelle sur les biens lorsque
l’enfant possède un patrimoine, elle intègre la gestion des biens jusqu’à que l’enfant atteigne l’âge de la majorité et
qu’il soit capable de gérer ses biens.
978
Le Maroc a ratifié et adhéré à la CEDAW le 21 juin 1993, sans l’émise d’aucune réserve notamment aux
dispositions relatives à la famille telles que l’article 16. En effet, ce dernier a été l’objet de réserves par de nombreux
pays arabes tels que l’Egypte ou encore la Tunisie qui a levé ses réserves qu’en 2014.
476
1157. D’autre part, le législateur a également embrassé une nouvelle définition plus
moderne de la garde (la hadana) qui le définit dans l’article 163 comme suit : « la garde
de l’enfant consiste à préserver celui-ci de ce qui pourrait lui être préjudiciable, à
l’éduquer et à veiller à ses intérêts ». Elle est déléguée à une personne qui doit prendre
toutes les décisions nécessaires dans l’objectif de protéger l’enfant dans sa sécurité
physique et morale, une fonction attribuée à travers l’article 164 aux deux parents durant
le mariage. A sa dissolution, l’article 171 prévoit l’ordre des personnes à qui ce droit doit
être attribué, en précisant que la garde revienne prioritairement à la mère jusqu’à ce que
l'enfant atteigne l’âge de la majorité légale et en accordant à l’enfant qui atteint l’âge de
quinze ans de choisir entre son père et sa mère.
1158. Toutefois, ce privilège accordé à la mère ne concerne qu’une prise en charge
relative à la personne de l’enfant, puisque toute autre prise en charge relative aux intérêts
matrimoniaux demeure attribuée au titulaire de la wilaya (tuteur légal) qui revient au père
selon l’article 231 qui dispose que « la représentation légale est assurée par : le père
majeur ; la mère majeur, à défaut du père ou par suite de la perte de la capacité de ce
dernier ;(…) » Ou encore à travers l’article 238 qui dispose que : « la mère peut exercer
la tutelle sur ses enfants, à condition : qu’elle soit majeure et que le père, par suite de
décès, d’absence, de perte de capacité ou pour tout autre motif, ne puisse assumer la
tutelle ». Ainsi, que ce soit pendant le mariage ou après le divorce, la mère ne peut être
tutrice de l’enfant que sous condition de l’absence du père.
1159. La réglementation adoptée par le législateur démontre l’adoption d’une conception
spécifique de l’autorité parentale qui s’inspire du droit musulman et qui s’adapte
également au modèle familial adopté par la société marocaine qui malgré le fait qu’il ait
subi une grande évolution, demeure aujourd’hui imprégné par le caractère religieux de la
place attribuée à l’homme au sein de couple qu’il soit uni ou désuni, vu que la hadana est
attribuée à la mère et la wilaya à l’homme ce qui élimine la possibilité d’adopter une
conception d’autorité parentale fondée sur une coparentalité.
En effet, la difficulté d’adopter cette coparentalité se manifeste principalement lors du
divorce, puisque ce concept de coparentalité n’a jamais fait l’objet d’une concrétisation ni
en droit musulman ni à travers les réformes menées par le législateur marocain en la
matière. Ainsi, le droit marocain adopte également cette conception plutôt traditionnelle
qui attribue systématiquement la hadana à la mère même après le divorce et la Wilaya au
père au-delà de la rupture, cette dernière étant fondée sur le principe adopté dans l’article
236 qui dispose d’une façon explicite que : « le père est de droit le tuteur légal de ses
enfants, tant qu’il n’a pas été déchu de cette tutelle (…) ».
1160. Toutefois, à cette règle il existe quelques exceptions que le législateur a prévues
dans l’objectif de créer et d’adopter un certain équilibre au sein de ces rapports,
permettant dans certaines situations d’abord d’accorder au père la garde (hadana) lorsque
la mère se trouve dans l’impossibilité ou dans l’incapacité d’assurer cette garde dont les
conditions et les qualités de son exerçant sont énoncées dans l’article 173 du Code de la
famille. Puis, d’accorder à la mère le titre de tuteur légal (wilaya) à la place du père
lorsque ce dernier est soit incapable de l’assurer ou lorsqu’il décède tel qu’il est disposé
dans l’alinéa 2 de l’article 238 « la mère peut exercer la tutelle sur ses enfants, à
477
condition qu’elle soit majeure, que le père, par suite de décès, d’absence, de perte de
capacité ou pour tout autre motif, ne puisse assumer la tutelle ».
De plus, l’exclusivité de l’exercice de la tutelle se manifeste encore plus en matière de la
protection du patrimoine de l’enfant, puisque le père est la première personne qui
conserve le droit d’administrer légalement le patrimoine de l’enfant tel qu’il est énoncé
dans l’article 211 qui dispose que : « les personnes incapables et les personnes non
pleinement capables sont soumises, selon le cas, aux règles de la tutelle paternelle,
maternelle, testamentaire ou dative, dans les conditions et conformément aux règles
prévues au présent Code ».
Ainsi, le législateur fait du père le tuteur obligatoire et naturel pour ses enfants en lui
accordant le droit d’administrer l’ensemble de ses biens, et en lui accordant la
représentation légale dans tous les actes de la vie civile ou tout autre acte qui doit être
effectué pour ou par l’enfant.
1161. L’ensemble de ces éléments reflète la perception du législateur marocain, qui
considère que ce modèle adopté est le plus adapté à la société marocaine et à la
conception de la parentalité qui répondent à la fois à l’héritage religieux mais également à
l’évolution progressive de la société marocaine en intégrant la possibilité offerte aux
parents d’adopter un mode équilibré quant aux relations entretenues entre les parents et
l’enfant, à travers l’article 181 du texte qui dispose que : « Le père et la mère peuvent
convenir, dans un accord, de l’organisation de la visite et le communiquent au tribunal
qui en consigne le contenu dans la décision accordant la garde », l’adoption de cette
disposition ne reflétant pas une réelle coparentalité puisqu’elle ne peut être exercée que
dans le cadre du respect d’une séparation entre la garde et la tutelle légale, toutefois, les
deux institutions reflètent l’affirmation du droit musulman.
979
Henri BATIFFOL, Existence et spécificité du droit de la famille, Arch. philo, dr. 1975, p.7, spéc. p. 12.
478
Toutefois, une réflexion de taille peut être soulevée quant à la terminologie employée
dans les deux juridictions qui évoquent l’expression de l’autorité parentale et non pas de
la responsabilité.
Comme nous l’avons précédemment souligné, dans les deux systèmes la référence au rôle
parental a connu l’évolution de la puissance paternelle qui incarnait le rôle unique du père
en illustrant la ‘patria potestas’ du droit romain. Ce droit lui accorde un pouvoir sur
l’ensemble de la famille en incarnant l’absolutisme monarchique dont « la naturelle
révérence des enfants envers leurs parents est le lien de la légitime obéissance »980.
Cependant, l’évolution de l’individualisation du droit et la recherche de la protection du
droit individuel de chaque membre de la famille notamment l’enfant qui passe d’un
enfant objet de droit à un enfant sujet de droit, ont permis l’évolution de cette fonction et
donc le remplacement de la puissance paternelle par l’autorité parentale.
1163. En effet, l’adoption de l’autorité parentale renvoie à l’idée d’un pouvoir de
protection981 qui abandonne la hiérarchisation familiale et l’exclusivité paternelle dans ce
rôle en accordant une sorte d’égalité entre la mère et le père. Ainsi, l’évolution en droit
marocain a été également fondée sur la référence du droit musulman qui fonde
l’institution de la famille sur la puissance paternelle. C’est en suivant ce cadre historique
que les deux systèmes juridiques adoptent aujourd’hui la terminologie de l’autorité
parentale, ainsi la question qui se pose c’est de savoir pourquoi l’évolution de ce rôle
accordé aujourd’hui aux deux parents982 n’a pas continué vers l’adoption du terme
employé dans la CIDE qui est celui de la « responsabilité parentale ».
1164. Cette notion qui est aujourd’hui adoptée dans de nombreux textes internationaux
tels que la CIDE à travers les articles 5, 18, 27 du texte qui évoquent « la responsabilité
commune des parents » et le rôle de l’Etat est de surveiller la fonction de cette
responsabilité. Ainsi, la Convention de la Haye du 19 Octobre 1996 concernant la
compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière
de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants eu sein de l’union
européenne, dans laquelle les articles 16 et 17 visent à favoriser l’exercice en commun de
la responsabilité parentale, notamment lors d’un changement de lieu de résidence. Ou
encore le règlement « Bruxelles II bis » du 27 novembre 2003 sur la compétence, la
reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de
responsabilité parentale, qui reprend un nombre de dispositions de la Convention de la
Haye. En effet, ce texte définit comme « un ensemble des droits et obligations conférés à
une personne physique ou morale sur la base d’une décision judiciaire, d’une attribution
de plein droit ou d’un accord en vigueur, à l’égard de la personne ou des biens de
l’enfant. Il comprend notamment le droit de la garde et le droit de visite ».
980
Préambule de la Déclaration royale de 1639 sur le mariage.
981
François TERRÉ et D. FENOUILLET, Droit civil, La famille, 8ème éd., Précis, Dalloz, 2011, p. 878.
982
L’attribution de l’autorité parentale aux deux parents connaît de nombreuses limites en droit marocain quant à son
attribution et son exercice.
479
Ainsi le premier principe de la recommandation n° R (84) 4 du comité des ministres du
conseil de l’Europe précise que : « les responsabilités parentales sont l’ensemble des
pouvoirs et devoirs destinés à assurer le bien-être moral et matériel de l’enfant,
notamment en prenant soin de la personne de l’enfant, en maintenant des relations
personnelles avec lui, en assurant son éducation, son entretien, sa représentation légale
et l’administration de ses biens »983. Cependant, la référence internationale et européenne
n’a pas incité les législateurs français et marocains à d’adopter la terminologie de la
responsabilité parentale malgré leurs réformes assez récentes dont l’intégration de
l’expression de la responsabilité parentale semblait être une évidence984.
1165. En effet, le choix entre ‘autorité’ et ‘responsabilité’ dans les deux systèmes
juridiques n’est pas anodin, dans la mesure où il reflète la vision adoptée par le législateur
en la matière. Autrement-dit le choix du législateur entre l’adoption d’une fonction
centrée sur l’enfant en adoptant le terme ‘responsabilité’ 985 ou faire le choix d’une
perception d’une fonction construite par rapport aux parents.
En ce qui concerne le premier choix, il est question d’une vision qui met l’enfant et son
intérêt au centre du dispositif et donc fait du rôle parental un devoir de répondre à
l’intérêt de l’enfant, autrement dit, un devoir d’encadrement au service de
l’épanouissement de l’enfant et non pas une autorité. Un autre élément marque également
cette différence, qui est l’élargissement du cadre de cette fonction lorsqu’il est question
de responsabilité, dans la mesure où la centralisation du principe de l’intérêt de l’enfant et
de sa recherche rend le cercle des responsables qui peuvent concrétiser cet intérêt élargi à
des personnes autres que les parents.
Quant au second modèle qui se réfère à la notion de l’autorité, il sauvegarde quant à lui
une sorte de soumission de l’enfant où le rôle des parents demeure actif et où l’intérêt de
l’enfant intègre également le rôle et la place attribués aux parents. Toutefois, l’évolution
du principe de l’intérêt de l’enfant et de sa prise en considération marque de plus en plus
un glissement vers une responsabilité parentale dans l’objectif de répondre au mieux à
l’intérêt de l’enfant tel qu’il évolue.
1166. C’est dans ce sens et sur la référence de cette différenciation entre l’autorité
parentale et la responsabilité parentale que le choix de la terminologie semble être
important, malgré qu’ils répondent tous les deux à un contenu unique c’est-à-dire à celui
du droit de protection, droit de visite, l’intérêt de l’enfant. Néanmoins, la différence
semble être manifeste puisque chacune répond à une philosophie de fonction parentale
différente de l’autre, que les états tentent de rapprocher avec la vision de la responsabilité
parentale adoptée par les instruments internationaux à travers les fonctions attribuées aux
parents.
983
Recommandation n° R (84) 4 du comité des ministres du conseil de l’Europe 28 février 1984, principe 1. A.
984
Il importe de souligner qu’en France, nombreux sont les auteurs, les spécialistes et les politiques qui appellent au
remplacement de l’autorité parentale par la responsabilité parentale. En effet, les députés H. MARTINEZ et C.
MENARD ont déposé une proposition de loi le 7 février 2012 visant à remplacer l’autorité parentale par la
responsabilité parentale soulignant dans leur proposition que « le terme de l’autorité renvoie à une notion de droit sacré
que les parents détiennent et à une subordination de l’enfant vis-à-vis l’adulte » et que la référence à la responsabilité
parentale renvoie à une meilleure prise en considération de l’intérêt de l’enfant dans toutes les questions qui concernent
sa protection.
985
Fabienne. JAULT, La notion de responsabilité parentale, Dr.et pat. Juin 2005, nbp n° 6, p. 58.
480
1167. Dans les deux systèmes juridiques ‘l’autorité parentale’ constitue un ensemble de
droits et de devoirs ayant pour objectif la protection des droits de l’enfant ; elle est une
fonction confiée aux parents parce qu’ils conservent une vocation première et principale à
s’occuper de leurs enfants.
En effet, les parents jouissent d’une « présomption d’aptitude »986 à élever leurs enfants.
Les élever veut dire assurer leur protection et leur développement jusqu’à l’âge adulte. Il
est donc question d’une fonction qui perdure dans le temps, telle qu’elle a été décrite par
SAVATIER qui considérait que : « le père ou la mère n’a pas achevé sa tâche à la
naissance. Le petit d’Homme a besoin encore de son père et de sa mère tant qu’il n’est
pas lui-même devenu un homme ou une femme. A ce moment seulement, s’achèvera la
mission naturelle du père et de la mère. Et cette mission d’accomplir l’être humain qu’ils
ont mis au monde a le caractère auguste qu’implique son rôle fondamental dans le
développement même de l’humanité »987. Toutefois, cette mission n’est pas attribuée
uniquement aux parents mais elle peut également être attribuée à une tierce personne
lorsqu’il y a empêchement pour les parents afin de garantir à l’enfant le bon
développement si son intérêt l’exige.
1168. La fonction attribuée aux parents à travers l’institution de l’autorité parentale est
principalement due à la vulnérabilité de l’enfant. En effet, l’incapacité de ce dernier
oblige chaque état à adopter un type de régime de protection des mineurs 988 qui débute à
travers le rôle des parents. Ainsi, dans les deux systèmes juridiques la définition de cette
fonction fait de l’intérêt de l’enfant l’ultime objectif.
En droit français le législateur le définit d’une manière explicite dans l’article 371 al. 2
comme une fonction « pour protéger l’enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité
pour assurer son éducation et permettre son développement », alors que le droit marocain
adopte une définition plutôt éparpillée à travers différentes dispositions relatives au droit
de la garde et à celui de la tutelle légale, tout en conservant les mêmes principes qui sont
la protection de la sécurité, la santé et la moralité de l’enfant.
1169. En effet, ces éléments illustrent deux grands axes de la fonction parentale qui sont :
une fonction de protection et une fonction d’éducation. En ce qui concerne la première,
elle se matérialise par la garantie et la protection d’abord de la sécurité de l’enfant c’est-
à-dire le protéger de toute exposition de danger ou de risque qu’elle soit physique ou
psychologique. De protéger sa santé, qui peut s’agir de la santé physique ou encore
morale. Ainsi si l’article 24 de la CIDE proclame « le droit pour tout enfant de jouir du
meilleur état de santé possible » et appelle les Etats à s’engager contre toutes les mesures
préjudiciables à la santé de l’enfant. Puis la protection de la bonne santé de l’enfant et qui
fait des parents les titulaires de toute compétence relative à la prise des décisions pour
effectuer tous les actes matériaux et médicaux permettant la guérison et la protection de
la bonne santé de l’enfant989.
986
Marie-Laute. DELEFOSSE-CICILE, Le lien parental, sous la direction de F. TERRE, Paris II, 2001.
987
René. SAVATIER, Le contrôle de la puissance paternelle, D. 1947, chron., p. 21. V. également L. GAREIL,
L’exercice de l’autorité parentale, sous la dir. De L. LEVENEUR, Paris II, 2004, LGDJ, p. 527.
988
Gérard. CORNU, Droit civil, La famille, 9ème éd., Paris, Montchrestien, 2007, p. 154.
989
Article L. 1111-4 al. 3 du Code de la santé publique français.
481
1170. Dans le même sens, le législateur marocain a également adopté explicitement cette
obligation en l’intégrant dans l’article 54 du Code de la famille relatif aux devoirs des
parents à l’égard de leurs enfants qui dispose qu’ : « il est du devoir des parents d’assurer
leur protection et veiller sur leur santé depuis la conception jusqu’à l’âge de la
majorité » et de « prendre toutes mesures en vue d’assurer la croissance normale des
enfants, en préservant leur intégrité physique et psychologique en veillant sur leur santé
par la prévention et les soins (…) ». Toutefois, ce devoir de protection connaît quelques
limites ; d’abord lorsqu’il est question du consentement des parents par rapport à
0certaines interventions ou décisions médicales qui peuvent être plus importantes que
l’appréciation des parents et donc le consentement de ces derniers peuvent être mis à
l’écart dans l’objectif de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant. Ou encore lorsqu’il s’agit
des décisions des parents relatives à l’intimité de l’enfant ce qui se heurte avec le principe
du respect de la vie privée de l’enfant.
1171. La protection de la moralité, quant à elle, consiste plus à protéger l’équilibre
psychologique de l’enfant qui acquiert aujourd’hui de plus en plus d’importance dans la
mesure où elle devient progressivement un élément de caractérisation de l’intérêt de
l’enfant. Elle consiste à protéger l’enfant de toute atteinte à son intégrité morale qui peut
être provoquée par un harcèlement moral que l’enfant subit que ce soit de son entourage
proche ou éloigné ou encore lorsqu’il s’agit d’une atteinte à l’équilibre et la stabilité de
l’enfant lors d’un divorce. C’est d’ailleurs dans cette perspective que la justice manifeste
sa prise en compte de la psychologie de l’enfant, et rend par exemple un arrêt le 18 avril
2000, dans lequel la Cour de cassation avait décidé de refuser le retour d’un enfant après
son enlèvement par sa mère La Cour a justifié cette décision par la prise en considération
de l’intérêt de l’enfant psychologique qui peut risquer un déséquilibre psychologique
grave990. Toutefois, malgré les références législatives en droit français comme en droit
marocain, la prise en considération de la protection morale demeure aujourd’hui limitée
dans la pratique puisqu’elle représente un élément encore très récent notamment pour le
système juridique marocain où la spécificité de l’institution de l’autorité parentale et celle
de l’intérêt de l’enfant ne permettent pas l’adoption d’une supériorité de cet intérêt moral
de l’enfant.
1172. La seconde fonction attribuée aux parents est celle de l’éducation, le législateur
français l’inscrit dans l’article 371-1 alinéa 2 qui engage les parents « à assurer
l’éducation et permettre son développement dans le respect de sa personne ». Le
législateur marocain quant à lui l’inscrit dans l’article 169 du Code de la famille qui
dispose que : « le père ou le représentant légal et la mère qui a la garde de l’enfant,
doivent veiller, avec soin, sur l’éducation et l’orientation scolaire… ». Pour les deux
attributions, la question de l’éducation intègre de nombreux éléments, en effet, il ne s’agit
pas uniquement de l’éducation quotidienne qui permet à l’enfant d’apprendre à vivre au
sein de la société991, mais il est également question de l’engagement des parents à assurer
990
Cass. 1ère civ., 18 avril 2000, bull. civ. I n° 112 p. 76, pourvoi n° 97-20809, Gaz., pal. 2000, n° 216, obs. F. Ghilain,
Rev. Crit. DIP 2001. 341, note E. Gallant, in thèse, Gwenaelle HUBERT-DIAS, op. cit., p. 102.
991
Dalloz Action Droit de la famille 2010/2011, sous la dir. De Pierre MURAT, 4ème éd., 2010, p. 787.
482
l’éducation morale, intellectuelle, religieuse, civique, politique et professionnelle de
l’enfant.
1173. La question de l’éducation permet de soulever un nombre de droits et devoirs des
parents à l’égard de l’enfant. En effet, évoquer l’éducation, c’est tenir compte du droit
accordé aux parents d’abord à travers l’article 26-3 de la Déclaration universelle des
droits de l’Homme qui leur permet de choisir le genre d’éducation qu’ils souhaitent
donner à leurs enfants, puisqu’ils conservent toute la liberté de choisir le mode
d’éducation qu’ils jugent adapté au modèle familial qu’ils souhaitent. Ce choix intègre
toutes les décisions prisent par les parents en matière d’éducation, du choix
d’enseignement, de l’orientation éducative ou professionnelle, un droit qu’ils conservent
jusqu’à la majorité de l’enfant, et dont les Etats sont tenus de respecter992.
Toutefois, l’exercice de cette fonction d’éducation doit entièrement respecter l’intérêt de
l’enfant. Par ailleurs, ce droit accordé aux parents est un devoir dont ils assument à la
fois l’obligation et les conséquences, ainsi les parents se trouvent obligés de scolariser
leurs enfants, puisqu’eion d’un enfant ou le fait de ne pas l’inscrire à l’écore représentent
une infraction pénale993. En droit marocain, cette question fait son introduction pour la
première fois dans le Code de la famille à travers l’article 169 qui évoque « l’éducation et
l’orientation scolaire 994 ».
En outre, ce devoir d’éducation porte en lui une réelle concrétisation de l’intérêt de
l’enfant dans la mesure où l’enjeu de cette fonction est celui de transmettre à l’enfant les
outils nécessaires pour qu’il puisse devenir un adulte accompli et indépendant.
1174. Un autre élément s’ajoute également à cette fonction d’éducation et qui concerne la
transmission des valeurs religieuses aux enfants. En effet, cette question est dotée d’une
grande sensibilité notamment dans les pays où la transmission représente une obligation
et non pas un choix telle qu’elle est adoptée en droit marocain. Ainsi, ce dernier fait de la
transmission de la religion musulmane une obligation des parents et lui consacre un
nombre d’articles, d’abord l’article 145 qui évoque « la transmission de la religion
musulmane à l’enfant né d’un père musulman » ; l’article 54 al. 6 qui fait du devoir des
parents « d’assurer leur orientation religieuse… » ; l’article 173 al. 3 qui oblige le gardien
d’avoir la capacité « d’élever l’enfant sous garde, d’assurer sa sauvegarde et sa
protection sur les plans religieux, physique et moral et de veiller sur sa scolarité ».
992
Il importe de souligner que l’obligation des Etats à respecter le choix des parents quant au choix d’éducation, n’est
réglementé que pour les Etats européens, tenant compte de l’article 2 du protocole additionnel de la Convention
européenne des droits de l’homme : « L’état, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de
l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement
conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ». Alors qu’en droit marocain l’absence d’un texte
explicite qui s’intéresse à la question du respect du choix de l’éducation rend la possibilité du choix difficile, sauf
lorsqu’il s’agit de l’éducation religieuse, où la référence au droit musulman et à l’obligation de transmettre à l’enfant
une éducation religieuse devient une obligation.
993
Article 227-17-7, Code pénal.
994
Il est à souligner que l’enseignement est obligatoire au Maroc depuis le Dahir n° 1-63-071 du 13 novembre 1963
relatif à l’obligation d’enseignement, qui dans son article premier évoque que : « l’enseignement est obligatoire pour
les enfants marocains des deux sexes depuis l’année où ils atteignent l’âge de sept ans jusqu’à treize ans révolus ».
Toutefois, des éléments d’ordre sociaux-économiques et l’absence de pénalisation de la non-scolarisation des enfants
permet encore aujourd’hui que le nombre des enfants non scolarisé soit haut notamment dans les zones rurales.
483
1175. Ainsi, il semble évident que le législateur marocain n’accorde pas de liberté de
choix quant à l’éducation religieuse des enfants, puisque l’enfant né d’un parent marocain
musulman est considéré comme musulman de fait, et donc la transmission des valeurs de
cette religion doit être assurée par les parents. Contrairement à cette perception, le droit
français accorde la grande liberté aux parents de décider positivement de transmettre une
religion et une pratique religieuse à l’enfant, ou de faire le choix d’élever leur enfant sans
aucune religion.
1176. Enfin, la fonction de l’éducation intègre également l’élément de la discipline qui
aujourd’hui et suite au développement de la prise en considération de l’intérêt de l’enfant
devient un sujet de débat quant à la manière de sa pratique. En effet, l’évolution des
droits de l’enfant ont clairement influencé la pratique de la discipline qui s’est
transformée d’un droit de la correction physique et psychologique sur l’enfant, à un droit
plus doux qui consiste à punir l’enfant dans le respect de sa personne, de son intégrité
physique et psychologique et dans le respect de son intérêt, tout en rejetant les
maltraitances. Ce principe de discipline sans maltraitance ne cesse d’évoluer et d’être
légiféré notamment en France, la dernière loi adoptée le 2 juillet 2019 visant à interdire
« les violences éducatives ordinaires », qui a permis la modification de l’article 371-1 du
Code civil qui dispose que « l’autorité parentale s’exerce sans violence physique ou
psychologique ». Ainsi, l’adoption de cette loi réaffirme la prise en considération de
l’intérêt de l’enfant et de la protection de son intégrité physique et psychologique même
lorsqu’il est question d’éducation et de discipline par les détenteurs de l’autorité
parentale.
Le droit marocain quant à lui est encore loin de cette perception protectrice, il demeure
encore limité par une famille plutôt traditionnelle et une absence de sensibilisation quant
aux conséquences des pratiques violentes à l’égard des enfants même lorsqu’elles sont
dans un cadre éducatif.
484
C - Vers une égalité d’attribution de la garde en droit marocain.
1177. La question de l’égalité homme-femme dans les sociétés développées telles que la
France a connu une grande évolution qui a abouti aujourd’hui à faire de cette égalité un
principe fondamental dans la société et au sein de la famille. Cette évolution a en effet,
permis le passage d’un texte qui définissait le mari comme seul responsable et protecteur
de la famille et de la femme et qui a fait de l’obéissance de cette dernière à son mari un
devoir, à l’adoption d’une égalité entière de droit et de devoirs dans l’ensemble au sein de
la famille. En effet, pour adopter cette égalité, il est question d’une abolition de la
« hiérarchie conjugale »995 qui particularisait l’ensemble des règles relatives à
l’institution du mariage, où le mari disposait du monopole décisionnel dans toutes les
affaires de la famille.
L’apparition des principes égalitaires des sexes au sein des textes nationaux et
supranationaux, qui se sont traduits à travers l’attribution de la pleine capacité juridique à
la femme et à une répartition égalitaire des rôles et des pouvoirs au sein de la famille996.
Une évolution qui a abouti principalement à l’adoption de la coparentalité 997qui a conduit
à la promotion et à la concrétisation de l’exercice commun de la responsabilité parentale
par les deux parents dès l’établissement de la filiation à l’égard des deux parents. Ainsi,
cet acheminement vers l’établissement de l’égalité entre les deux parents a permis le
développement progressif de l’ensemble des règles constituant l’institution de l’autorité
parentale qui s’attribuent sans aucune différenciation ni de la nature de la filiation ni du
lien conjugal des parents avec une attribution de plein droit.
1178. Pour le droit marocain, l’établissement de cette coparentalité et l’adoption d’une
égalité totale entre l’homme et la femme dans l’institution de l’autorité parentale semble
être plus complexe, de par la spécificité du régime adopté par le législateur en la matière.
En effet, la perception spécifique de l’autorité parentale adoptée par le législateur
marocain, quant à elle, consiste à établir une séparation entre les deux institutions
principales de la garde et de la tutelle légale.
En effet, elle a permis à travers l’évolution du droit de la famille de réformer les règles
adoptées dans l’objectif de moderniser le rôle attribué à chacun des parents afin de
décerner au couple une égalité de droits au sein des deux institutions. Cependant, les
références religieuses, sociales et culturelles des deux institutions dont le législateur
s’inspire principalement, forment souvent une barrière à l’établissement de cette égalité,
notamment lorsqu’il s’agit d’un rôle dont l’attribution est liée à l’élément religieux et
social.
Cette liaison réaffirme le rôle attribué à l’homme en tant que responsable de la famille
matériellement et moralement, en affirmant un modèle patriarcal fondé sur le rôle de
995
L. HINCKER, Couple conjugal et couple parental, Etude comparative des législations française et allemande, Rev.
sc. soc., 1996, n° 23, pp. 178-182, spéc. p. 179.
996
La loi du 13 juillet 1907.
997
M. T. MEULDERS-KLEIN, Vers la co-responsabilité parentale dans la famille européenne, R.T.D. Fam, 1991, pp.
5-28.
485
l’homme à l’intérieur et à l’extérieur de la famille et à celui accordé à la femme dont la
responsabilité se limite à son rôle et à son lien affectif avec ses enfants.
Face à une famille plutôt traditionnelle, le législateur a fait le choix lors de toutes ses
réformes notamment celle de 2004 de se contenter d’apporter quelques modifications à la
perception traditionnelle de chacune des institutions.
1179. Pour une meilleure évolution des règles en matière de garde ou de tutelle légale, le
législateur s’est intéressé au principe de l’intérêt de l’enfant qui constitue aujourd’hui
l’élément commun dont l’introduction a permis de percevoir le rôle des parents à travers
la garde et la tutelle légale d’un angle plus moderne. Toutefois, si l’adoption du principe
de l’égalité entière entre le couple en matière de tutelle légale demeure aujourd’hui
fragilisée par le rôle attribué au père, l’institution de la garde se trouve également
prisonnière entre une prérogative maternelle et l’intérêt de l’enfant qui exige l’égalité du
rôle des parents à l’égard de l’enfant.
1180. En droit marocain comme en droit français, la question de la garde (hadana) ne
pose pas de véritables problèmes durant le mariage puisqu’elle s’exerce sous la
couverture du partage et d’égalité entre les parents où l’enfant est placé sous leur garde
commune. Toutefois, à la dissolution du lien matrimonial, nombreuses sont les
interrogations et les réflexions à élaborer quant à l’égalité des droits et devoirs des
parents à l’égard de leurs enfants. Ces droits et devoirs constituant l’institution de la
garde visant tout d’abord la protection de l’enfant, et obligeant la personne qui la détient
à assurer la préservation physique et psychologique. En droit musulman, la hadana peut
être définie comme le souligne Linant DE BELLEFONDS comme : « une institution sui
generis créée par le droit musulman afin de restreindre dans un système essentiellement
patriarcal, les pouvoirs du père sur son enfant en bas âge. Ce dernier, a besoin, avant
tout, des soins de sa mère et, à son défaut, d’une femme ; soins qui ne peuvent être
assurés que s’il demeure sous la garde non seulement matérielle, mais juridique, de sa
mère ou d’une autre titulaire de la hadana998.
Elle est également considérée comme une tutelle affectueuse dont tout enfant en bas âge
en a besoin 999, c’est pour cela qu’elle est attribuée en priorité à la mère et à la lignée
maternelle jugeant l’établissement du lien affectif entre l’enfant et la mère et sa famille de
plus fort et plus solide, dans la mesure où l’attribution de la garde est accordée en priorité
à la mère.
Par ailleurs, si les juristes musulmans se sont mis d’accord sur l’attribution de la garde à
la femme en se référant au lien qui se crée à la naissance et à l’importance et la sacralité
de l’accouchement, ils se sont néanmoins divisés sur la nature juridique de la garde entre
un droit ou une obligation de la personne qui en prend la charge.
1181. En effet, les conséquences divergent selon la thèse adoptée et défendue, dans la
mesure où si on considère que la garde est un droit de l’enfant, il devient question de
prendre en considération et en priorité son intérêt supérieur sur toute autre question ou
considération.
998
Yvon LINANT DE BELLEFONDS, traité de droit musulman comparé, T 3, p. 151.
999
F. DULOUT, La hadana, tutelle affectueuse dans le droit musulman et les coutumes, Revue Algérienne, 1964, p. 2.
Cité par Dyaa SFENDLA, couple et famille, thèse, Toulon, soutenue en 2016.
486
Ce qui peut aboutir à un renversement même de l’ordre de l’attribution de la garde à
partir du moment où l’intérêt de l’enfant est remis en question. Tandis que la
considération de la garde comme étant un droit accordé à la femme, aboutit à une
dévolution systématique de la garde à la mère sans que le principe de l’intérêt de l’enfant
soit une priorité, faisant du droit de la mère à la garde la seule priorité.
1182. Pour la majorité des jurisconsultes, la garde constitue un véritable droit attribué à la
mère, mais également un droit de l’enfant que la mère doit exercer. Toutefois, elle
conserve sa liberté d’exercer ou de renoncer à ce droit, ce qui représente une liberté qui
lui accorde le droit de renoncer ou d’établir un accord lors d’un divorce, et seule l’école
Hanafite qui adopte la spécificité à cette thèse en considérant que la garde représente à la
fois un droit et une obligation pour la mère. Toutefois, ils reconnaissent le droit de la
mère à une rémunération pour l’exercice de son rôle de gardienne. Ainsi, il en résulte que
pour l’école Malékite qui est le rite adopté par le Royaume du Maroc, l’institution de la
garde représente un privilège féminin, dont l’attribution n’est pas remise en question dans
la mesure où l’adoption d’un ordre de priorité permet d’introduire l’ensemble des
personnes qui peuvent l’exercer 1000.
Partant de ces principes, la réforme du Code de la famille de 2004 a permis la
modification d’un nombre de dispositions afin de permettre d’abord la concrétisation de
l’intérêt de l’enfant puis l’égalité entre l’homme et la femme.
L’adoption de la réforme de 2004 a permis:
- D’adopter une nouvelle définition à travers l’article 163 en intégrant une
institution veillant à préserver l’enfant de tout ce qui est néfaste, à assurer son
éducation et à protéger ses intérêts.
- D’adopter le prolongement de la période de la garde à dix-huit ans pour le garçon
et pour la fille, sachant que l’article 102 de l’ancien texte prévoyait que la garde
prenait fin à l’âge de douze ans pour la fille et de quinze ans pour le garçon, en
accordant la liberté à l’enfant à partir de cet âge de choisir le parent ou le
détenteur d’un droit de garde qui figure parmi les personnes citées par l’article 99
du même texte.
- D’adopter un nouvel âge de la capacité matrimoniale qui s’acquiert pour le garçon
comme pour la fille à l’âge de dix-huit ans. Toutefois, il importe de souligner que
cette modification sauvegarde la possibilité et le pouvoir accordés au juge
d’autoriser un mariage de mineur.
- De reconnaître à l’enfant à travers l’article 166 1001 le droit à la participation dans
les affaires qui le concernent et de lui accorder la possibilité de choisir, à partir de
l’âge de quinze ans, son gardien.
1000
Le Professeur F-P BLANC précise que seules les écoles (hanbalite et chaféite) peuvent parfois permettre
l’attribution de la garde au père aux parents de la mère à partir du moment où ils sont placés au même échelon de
parenté in Le droit musulman, op., cit., p. 93.
1001
L’alinéa 2 de l’article 166 dispose que : « En cas de rupture de la relation conjugale des parents, l’enfant peut à
l’âge de quinze ans révolus, choisir lequel de son père ou de sa mère assumera sa garde… ».
487
1183. L’approche adoptée à travers ces différentes dispositions reflète l’omniprésence de
l’esprit d’une prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant en matière de garde.
En effet, le législateur adopte des dispositions permettant tout d’abord l’application d’un
des principes de la CIDE qui est ‘la non-discrimination’ et d’éliminer toutes sorte de
discrimination à l’égard des filles et donc de distinction entre ces dernières et le garçon.
Quant à la question des charges et des dépenses suscitée par la garde, le législateur fait
référence à quelques distinctions d’abord entre le cadre de vie global accordé à la femme
et à l’enfant qui englobent les frais de logement à titre d’exemple ; de la rémunération de
la garde qu’exerce la femme et de la pension alimentaire1002. Autrement dit, la femme
gardienne doit être rémunérée pour son rôle, le mari doit assurer à cette dernière et à ses
enfants un logement décent (souvent celui où ils habitaient), et d’assurer une pension
alimentaire afin de garantir à l’enfant une certaine stabilité déterminée par le juge en se
référant à l’article 191 du Code de la famille.
1184. Par ailleurs, malgré que le législateur marocain ait essayé de moderniser
l’ensemble des droits accordés à l’enfant au sein de l’institution de la garde, néanmoins, il
est resté fidèle au droit musulman. Cet attachement se manifeste d’abord à travers la
sauvegarde de la priorité de la mère à la garde, ainsi qu’à l’adoption des conditions
d’attribution de cette garde. En effet, ces conditions sont principalement liées à la
capacité de la mère à exercer cette garde dont la capacité morale demeure la référence
fondamentale. La mère doit être d’abord capable, saine d’esprit afin qu’elle puisse assurer
son rôle. Puis, elle doit répondre à une bonne moralité et une bonne conduite au sein de la
société afin de garantir à l’enfant une bonne éducation fondée sur une moralité qui
dissimule les principes de la Ouma (la société musulmane). Ainsi, ce dernier objectif « de
la bonne éducation de l’enfant » dissimule en lui seul un élément de taille qui est celui du
rôle de la gardienne d’inculquer à l’enfant les principes de la religion musulmane, ce qui
implique que la gardienne doit être de la même religion.
1185. En droit musulman, cette question divise les quatre écoles entre celles qui adoptent
la doctrine d’une possibilité d’accorder la garde à la femme non-musulmane comme les
hanafites et les malékites, ou les hanbalites et chaféites qui refusent catégoriquement cette
attribution et refusent d’accorder à la mère non-musulmane le droit de la garde dans la
mesure où la disparité de culte représente un frein à cette attribution, chose qui peut
représenter un danger pour l’intérêt de l’enfant qui risque d’être égaré de la religion qui
représente en elle-même un élément de la protection de son intérêt1003.
Par ailleurs, malgré que la doctrine adoptée par les hanafites et les malékites puisse
paraître plus libérale quant à la condition de la disparité de culte, elle est néanmoins
superficielle puisqu’elle se heurte aux conditions posées par cette même doctrine qui chez
les hanafites accorde cette possibilité d’exercice jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge de
sept ans seulement, âge qui représente en droit musulman ‘l’âge de la raison’ 1004.
1002
Art 168, Code de la famille marocain, dispose que : « les frais de logement de l’enfant soumis à la garde sont
distincts de la pension alimentaire, de la rémunération due au titre de la garde et des autres frais… ».
1003
Mariam MONJID, L’islam et la modernité dans le droit de la famille au Maghreb, Etude comparative : Maroc,
Algérie, Tunisie, édition l’Harmattan, 2013, p. 162.
1004
Ibid.
488
Ainsi, une fois que l’enfant atteint cet âge, le père ou le tuteur légal conserve le droit de
retirer la garde à la mère gardienne ‘non-musulmane’; il est même appelé voire obligé
moralement à le faire afin de préserver un enfant qui est destiné à être musulman.
1186. C’est dans ce sens que l’ancien texte du statut personnel adoptait à travers l’article
108 qui disposait dans son deuxième alinéa que : « (…) lorsque la gardienne est en même
temps la mère de l’enfant, elle exerce pleinement son droit de garde, à condition qu’elle
ne profite pas à l’exercice de ce droit pour élever l’enfant dans une religion autre que
celle de son père », une disposition supprimée telle qu’elle est mais qui est intégrée
d’une façon indirecte dans le texte de 2004 à travers l’alinéa 3 de l’article 173 qui précise
que « la mère gardienne doit assurer une sauvegarde et une protection de l’enfant sur les
plans religieux, physique et moral (…) », perception qui demeure ancrée dans la pratique
judiciaire et qui influence l’attribution de la garde à la mère non-musulmane.
En outre, l’application de cette disposition vient contredire un droit concrétisant l’intérêt
de l’enfant qui se manifeste dans la limite de la liberté accordée à l’enfant dans l’article
166, qui lui accorde le choix de vivre avec sa mère ou son père, puisque ce choix est
conditionné par la religion du gardien que l’enfant choisit. Autrement dit, l’enfant se
trouve toujours limité dans son choix au parent musulman malgré que son intérêt
supérieur puisse être avec le parent non-musulman puisque la conception même de cet
intérêt est fondée en droit musulman et en droit marocain sur la référence de l’éducation
religieuse de l’enfant.
1187. S’ajoutent à ces conditions d’autres éléments dans lesquels le législateur marocain
de 2004 a également marqué un pas de modernité visant à la fois l’égalité entre l’homme
et la femme, dissimulant également la concrétisation de l’intérêt de l’enfant. En effet, il
s’agit de la suppression d’une condition adoptée par le droit musulman qui consiste à
retirer la garde à la gardienne qui se remarie avec un non-proche de l’enfant et ce, dans
toutes les écoles juridiques. C’est ainsi, que l’ancien texte disposait dans son article 105
que : « La gardienne qui contracte mariage avec toute personne autre qu’un proche
parent (au degré prohibé) de l’enfant ou le tuteur testamentaire de cet enfant, perd son
droit de garde, à moins qu’elle ne soit elle-même sa tutrice testamentaire ou la seule
nourrice que l’enfant accepte ». L’adoption de cette disposition est principalement
fondée sur une référence religieuse explicite dans laquelle le prophète Mohammed avait
exprimé son avis sur la question de la garde après le divorce, en s’exprimant sur le cas
d’une femme qui est allée voir le prophète en lui demandant « Mon fils le voici, je l’ai
porté dans mon ventre, je l’ai allaité et je lui ai donné refuge dans mon giron. Or, son
père a divorcé de moi et il veut maintenant me le prendre » et donc le prophète dit :
« c’est à toi que revient le droit de la garde tant que tu ne te remaries pas »1005.
1005
Mustapha AZZUHAILI, Al-Fiqh Al-islami wa adillatuh, partie 4, première éditions, 1974.
489
1188. Dans la dernière réforme de 2004, le législateur a essayé d’alléger cette règle
malgré la reconduite de ce principe, permettant ainsi à la femme qui se remarie de ne pas
être déchue de sa garde. Toutefois, la modernisation de cette disposition n’a pas permis la
suppression totale de cette possibilité de perte de garde pour la femme qui se remarie, en
adoptant un équilibre entre la règle traditionnelle et moderne, dans la mesure où la mère
gardienne ne perd pas son droit de garde avant que l’enfant atteigne l’âge de 7 ans et pour
garder ce droit après l’âge de sept ans, à condition de s’être remariée avec une personne
qui réponde à la disposition de l’article 175 qui précise « un parent de l’enfant avec
lequel il y’a un empêchement à mariage ou s’il est son représentant légal ».
1189. L’ensemble des éléments développés permettent d’établir le constat de l’effort émis
par le législateur marocain dans l’objectif de se défaire du traditionalisme adopté sous le
règne de l’ancien texte de statut personnel, affirmant ainsi l’introduction de nouveaux
principes tels que l’égalité des parents au sein de l’institution de la garde et la prise en
considération de l’intérêt de l’enfant. Cependant, la question qui se pose est celle de
savoir si même face aux limites religieuses adoptées par le législateur marocain, que ce
soit au sein de l’institution de la garde ou dans l’ensemble du droit de la famille, on peut
réellement évoquer une égalité entière entre l’homme et la femme dans l’attribution des
droits et devoirs de la garde, notamment dans le cadre spécifique de la famille musulmane
ainsi que la perception spécifique de la protection de l’intérêt de l’enfant au sein de cette
institution. La réponse est, comme nous l’avons développée, assez complexe dans la
mesure où l’absence d’égalité entre les parents dans les deux institutions de la garde et de
la tutelle légale ne permet pas de marquer une évolution plus importante et plus forte dans
les règles adoptées, permettant le bouleversement de cette attribution inégale qui ne
répond pas réellement à une protection réelle de l’intérêt supérieur de l’enfant, malgré
que ce dernier soit intégré et souligné dans de nombreuses dispositions relatives à
l’institution de la garde.
1190. L’adoption du Code de la famille de 2004 a permis au législateur marocain
d’intégrer et de faire surgir des principes fondamentaux tels que l’intérêt de l’enfant au
sein de chaque institution du droit familial. En effet, en matière de garde, l’intérêt de
l’enfant apparaît comme le fondement de cette institution que ce soit dans l’esprit des
règles du droit musulman ou encore au sein du droit contemporain, puisqu’il a fait de ce
principe la référence de l’attribution de la garde ainsi que sa déchéance. Néanmoins, si le
droit de la garde est attribué prioritairement à la mère dans l’objectif de protéger l’intérêt
de l’enfant, le rôle du père n’est pas exclu et demeure fondamental que ce soit en droit
musulman ou encore dans le cadre du nouveau texte qui le renforce le principe de
l’intérêt de l’enfant dans le cadre d’un partage de plus en plus équilibré entre les parents.
Le législateur de 2004 a fait de l’intérêt de l’enfant sa préoccupation majeure en essayant
de transformer l’institution traditionnelle de la garde qui dans l’optique de la loi
musulmane paraît comme étant un droit protecteur qui vise principalement la protection
de l’intérêt de l’enfant. Ainsi, la garde se présente aujourd’hui au sein du Code de la
famille comme étant un droit de l’enfant dont son intérêt représente l’objectif ultime de
toutes les dispositions.
490
C’est dans ce cadre que le législateur de 2004 a introduit un nombre de dispositions
visant principalement la concrétisation de cet intérêt, en effet, dans un premier temps il a
fait de l’institution de la garde un droit « sous surveillance » du ministère public et ceci à
travers l’article 177 du texte qui dispose que : « le père, la mère et les proches parents de
l’enfant soumis à la garde et tous tiers doivent aviser le ministère public de tous les
préjudices auxquels l’enfant serait exposé, afin qu’ils prennent les mesures qui
s’imposent pour préserver les droits de l’enfant, y compris la déchéance de la garde ».
Ce contrôle exercé par le ministère public permet d’examiner la difficulté de chaque
situation et d’évaluer les circonstances et les risques sur l’intérêt de l’enfant, afin de
permettre au tribunal de jouir d’un large pouvoir d’appréciation que ce soit pour maintien
ou la déchéance de cette garde.
1191. Dans le même ordre d’idées, le texte adopte des mesures visant à réglementer et à
organiser l’institution de la garde entre les deux parents. Ainsi l’article 108 prévoit que
« le père ou la mère qui n’a pas la garde de l’enfant a le droit de lui rendre visite et de le
recevoir », une disposition qui n’est pas nouvelle puisque le législateur n’a fait que
reconduire l’ancien article 111 du statut personnel qui disposait que : « Lorsque l’enfant
est confié à son père ou à sa mère celui qui en a la garde ne doit pas empêcher l’autre de
rendre visite à l’enfant ou de s’enquérir de son état… ».
Aussi l’article 181 autorise aux parents de convenir à l’amiable d’un accord afin de
garantir une organisation mutuelle des parents du droit de visite du parent qui n’a pas le
droit de garde, un accord qui doit obligatoirement être communiqué au tribunal dans
l’objectif d’intégrer et d’inscrire cet accord dans le jugement attribuant la garde.
1192. Le législateur s’est également intéressé au cas d’absence d’un accord commun
entre les parents sur le droit de visite, en attribuant au tribunal le rôle d’organiser et de
fixer dans la décision qui accorde la garde, les périodes, le temps et le lieu afin d’éviter
toutes les tentatives de manœuvres frauduleuses, tout en prenant en considération les
circonstances et les conditions de chacun des parents en adaptant le jugement à chaque
situation tout en affirmant que toute décision est susceptible de recours1006.
De plus, le rôle du tribunal se trouve renforcé en matière de protection de l’intérêt de
l’enfant dans la mesure où il devient compétent pour prendre toutes les mesures
nécessaires permettant de faire respecter le jugement et d’empêcher toutes les dérives ou
transgressions des dispositions de la décision de justice qui est prise dans l’intérêt de
l’enfant.
1193. En effet, c’est en se référant et en accordant la priorité à sa prise en considération
que de nombreux jugements ont été rendus dans ce sens notamment l’exemple de la
décision rendue par le tribunal de la ville de Sidi Bannour, qui rejeté une demande d’un
père qui souhaitait que la garde soit retirée de la mère de son enfant pour la raison de son
remariage ; dans son rejet le tribunal évoque dans un premier temps la prise en compte de
l’intérêt de l’enfant dans la mesure où ce dernier peut être perturbé par cette décision
1006
Article 182, Code marocain de la famille.
491
puisqu’elle engendre le transfert de l’enfant de la ville à la compagne où vit son père ce
qui pourrait être une perturbation à son éducation et sa psychologie 1007.
Dans une autre affaire, la pratique judiciaire avait également réaffirmé cette prise en
considération de l’intérêt de l’enfant à travers un arrêt rendu par la Cour suprême qui a
rejeté le retrait de la garde à une mère malgré son remariage en se référant au choix de
l’enfant qui a exprimé sa volonté de vivre avec sa mère malgré qu’il soit âgé uniquement
de douze ans1008.
1194. Dans l’ensemble, il est évident que la prise en considération de l’intérêt de l’enfant
est manifeste dans la mesure où ce principe apparaît plus souvent dans les dispositions
qui concernent l’institution de la garde afin d’en faire l’objectif principal. Par ailleurs, la
difficulté et la limite de cette prise en considération apparaît dans l’absence d’égalité et
droits et des devoirs des parents en la matière. Cependant, la concrétisation de l’intérêt de
l’enfant ne peut être réalisée loin de la recherche d’un équilibre de droits et de devoirs
entre les parents en matière familiale dans son ensemble. Pour Madame MONJID, le
texte adopté en 2004, malgré qu’il soit considéré comme novateur par rapport à l’ancien
texte, a néanmoins conservé de nombreuses discriminations à l’égard des mères et ce sur
deux niveaux d’abord lorsqu’il s’agit d’affirmer que le remariage représente un élément
de destitution du droit de la garde pour la mère et dans un second temps, la restriction du
droit de la mère en matière de tutelle puisque même lorsque la mère est la gardienne,
elle est soumise à respecter la tutelle légale détenue par le père sur l’enfant et donc perd
par exemple son droit de voyager à l’extérieur du pays, d’ouvrir un compte bancaire ou
tout simplement d’entamer des démarches administratives sans l’accord du tuteur légal
qui est le père1009.
1007
Jugement n° 468 du 17/03/2005, dossier n°774/04, Tribunal de Sidi Bannour, Revue de justice de la famille,
décembre 2006, n° 3, p. 191-193.
1008
Cour Suprême, Arrêt n° 180 du 15/03/2005, Dossier n° 604/2/2/2005, jurisprudence de la Cour suprême, n° 67,
janvier 2007, p. 140.
1009
Marieme MONJID, op. cit., p. 166.
492
1196. Ainsi, le législateur français a intégré le principe de l’intérêt de l’enfant à la
définition de l’autorité parentale1010, dans l’objectif de souligner la finalité de la mission
et la responsabilité des deux parents à travers les droits et devoirs visant à protéger la
sécurité, la santé et la moralité, ainsi que pour assurer l’éducation et leur enfant et lui
permettre un développement dans le respect dû à sa personne et à l’ensemble de la
société1011.
L’organisation et la réglementation de l’autorité parentale en droit français est considérée
donc aujourd’hui comme une mission d’ordre public aménagée dans l’intérêt de l’enfant
et dont la responsabilité est accordée uniquement aux parents sauf lorsque son attribution
est modifiée par un jugement1012.
Ainsi, seule une décision judiciaire peut entraîner le retrait de l’autorité parentale des
parents. Il peut être partiel ou total et il est souvent une conséquence d’un nombre
d’éléments qui participent à justifier ce retrait.
Le législateur traite la question du retrait de l’autorité parentale et de son exercice dans
les articles 378 à 381 du Code civil ; ils sont résumés dans les cas d’absence des parents
c’est-à-dire lorsque l’enfant a fait l’objet d’un abandon formel, lorsqu’il fait l’objet d’un
désintérêt volontaire, suite à un décès des parents, etc. Egalement lorsque les parents se
trouvent dans l’impossibilité d’exercer cette autorité parentale ou lorsqu’ils manquent
gravement à leurs obligations. Ainsi, l’autorité judiciaire intervient dans l’objectif de
protéger l’enfant et permet à d’autres personnes physiques ou morales d’assumer cette
responsabilité à travers le transfert de l’autorité parentale qu’elle soit d’une manière
partielle ou totale, temporaire ou durable et qu’elle vise l’un des parents ou les deux
parents.
1197. Pour le législateur marocain, la prise en considération de l’intérêt de l’enfant au
sein des deux institutions de la garde et la tutelle légale qui constituent l’autorité
parentale, se manifeste différemment en prenant en considération la spécificité de ces
institutions et de leur référence. En effet, le législateur de 2004 n’a pas hésité à
moderniser les règles des deux institutions en les attachant au principe de l’intérêt de
l’enfant d’une manière explicite en faisant de ce dernier l’élément commun des deux
institutions malgré que chacune soit attribuée séparément aux parents.
1198. En ce qui concerne l’institution de la garde, dans le chapitre relatif à l’attribution et
la dévolution de la garde ainsi que le droit de visite en la matière, le principe de l’intérêt
de l’enfant apparaît dans la majorité des dispositions adoptées par le texte (les articles
allant de163 jusqu’à186). Quant à la question de la tutelle légale du père sur l’enfant, le
législateur se réfère à une réglementation protectrice aux intérêts moraux et matériaux de
l’enfant sans pour autant se référer explicitement à la notion de l’intérêt de l’enfant. Par
ailleurs, pour la déchéance des deux institutions, le législateur a adopté le même procédé
que son homologue français, en attribuant au pouvoir judiciaire le rôle d’assurer le
contrôle de la protection des intérêts de l’enfant que ce soit en matière de garde ou de
tutelle légale sur l’enfant.
1010
Art 371-1 du Code civil.
1011
Annie BOUYX, Alain VOGELWEITH, Autorité parentale et Aide sociale à l’enfance, dans : Enfances & Psy,
2003/02, n° 22. Disponible sur : www.cairn.fr.
1012
Ibid.
493
Toutefois, la spécificité de la conception des deux institutions ainsi que celui de l’intérêt
de l’enfant, qui conserve des conditions tirées du droit musulman influencent d’une
manière directe les conditions relatives à la déchéance ou le transfert que ce soit du droit
de la garde ou encore à celui de la tutelle.
Par ailleurs, si pour les deux systèmes juridiques la prise en considération de l’intérêt de
l’enfant exige tantôt le maintien des relations tantôt l’éloignement de l’enfant de ses
parents dans l’objectif de le protéger, la traduction des dispositions qui permettent la
concrétisation de ces deux situations se manifeste différemment entre le droit marocain et
son homologue français. Cette différence se révèle importante dans la mesure où le
législateur français a permis l’intégration de toutes les mesures nécessaires visant à
protéger l’enfant en danger au sein de sa famille, tout en faisant de cet éloignement une
exception. Tandis que le droit marocain évoque la question de l’éloignement de l’enfant
de ses parents dans des situations beaucoup limitées.
1013
Patrice HILT, L’intérêt supérieur de l’enfant, clé de voute de la protection européenne des relations parents-enfants,
AJ. Fam. 2004, p. 384.
1014
Ibidem.
494
1202. Toutefois, pour que l’intérêt de l’enfant à suspendre ses relations avec ses parents
soit une exception, il importe au législateur de dégager l’ensemble des éléments
constitutifs des circonstances exceptionnelles. A ce sujet, le législateur français est
explicite ; il évoque deux principales raisons pour lesquelles un éloignement de l’enfant
de ses parents peut être exercé.
Ainsi, il souligne le comportement indigne des parents ou leur désintérêt à l’égard de
l’enfant. Pour le premier, le Code civil prévoit deux types de comportements ; ceux
prononcés par une juridiction civile et ceux accompagnés d’une sanction pénale à l’égard
des parents. En effet, l’article 378 du Code civil souligne qu’ils peuvent se voir retirer
l’autorité parentale, les parents qui suite à une décision expresse du jugement pénal « sont
condamnés, soit comme auteurs, coauteurs ou complices d’un crime ou délit commis sur
la personne de leur enfant, soit comme coauteurs ou complices d’un crime ou délit
commis par leur enfant, soit comme auteurs, coauteurs ou complices d’un crime ou délit
sur la personne de l’autre parent » ; une disposition qui permet aujourd’hui au juge pénal
de se prononcer sur le retrait de l’autorité parentale puisque les lois adoptées
successivement en la matière ont permis l’évolution et l’extension de la protection de
l’enfant.
Ainsi, la loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive en
cas de viol est, d’agression ou d’atteinte sexuelle commises contre un mineur par une
personne titulaire sur celui-ci de l’autorité parentale permettant au juge de se prononcer
sur le retrait de l’autorité parentale ; la loi n°2010-121 du 8 février 2010 prévoyant
l’obligation du juge de se prononcer sur l’autorité parentale lorsqu’il s’agit d’une atteinte
ou d’ une agression sexuelle ou de viol incestueux commis par une personne titulaire de
l’autorité parentale sur mineur ; ou encore la loi n° 2014-873 du 4 Août 2014 sur
l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui a étendu l’obligation du juge de
statuer en la matière même lorsqu’il s’agit d’autres infractions autres que celles de
natures sexuelles notamment celles relative aux crimes et délits portant atteinte
volontairement à la vie et à l’intégrité physique ou d’atteinte morale portant sur l’enfant
ou sur l’autre parent.
1203. C’est dans ce sens que la justice adopte une jurisprudence constante qui considère
que le retrait de l’autorité parentale suite à une condamnation pénale ne constitue pas une
peine accessoire mais elle représente une mesure de protection d’ordre civil, et dont seule
la partie civile pourra injecter appel1015. Il en découle également de la jurisprudence qu’il
importe peu, pour les parents reconnus irresponsables pénalement pour cause de trouble
mental, puisque le retrait de l’autorité parentale pourra être prononcé 1016. Puis sur le volet
civil, le législateur souligne à travers l’article 378-1 qu’ils peuvent se voir retirer
l’autorité parentale, les parents qui ont manqué considérablement à leur fonction à travers
le mauvais traitement sur la personne de l’enfant ou de l’un des parents sur l’autre ; suite
à la consommation habituelle et excessive d’alcool ; à l’usage de stupéfiants, aux
1015
Cass. Crim, 23 sept. 2008, n° 08-80.489.
1016
Cass. Civ. 1er, 14 avril 1982, Bull. civ. I, n° 125, in Note juridique Observatoire national de la protection de
l’enfance, Aménagement de l’autorité parentale délaissement et intérêt supérieur de l’enfant : état des lieux du cadre
légal et de la jurisprudence, Octobre 2018, p. 15.
495
comportements délictueux ; au manque de direction ; au défaut de soins, à la mauvaise
conduite des parents.., etc.
En effet, l’ensemble de ces comportements représente un danger pour la sécurité, la santé
et la moralité de l’enfant et en l’occurrence la protection de son intérêt qui ne doit pas être
menacée par la conduite de l’un ou des deux parents. Toutefois, ce constat ne semble pas
être facile d’application puisque le retrait de l’autorité parentale ne peut être appliqué que
lorsqu’il s’agit d’un danger avéré.
Autrement dit, il est difficile pour le juge civil de prononcer le retrait de l’autorité
parentale suite à une simple « éventuelle mise en danger de l’enfant » et donc
l’application de cette disposition ne peut concerner que les comportements avérés
dangereux pour l’enfant.
1204. C’est dans ce sens que la pratique judiciaire s’est dirigée vers l’affirmation que le
seul risque d’une mise en danger ne suffit pas pour retirer l’autorité parentale. Ainsi la
Cour de cassation avait approuvé la décision de la Cour d’appel qui avait décidé dans un
arrêt du 16 avril 2008 relatif à un refus de retrait d’autorité parentale à l’égard du père
d’un enfant, jugeant que « les juges du fond avaient pu souverainement estimer, en se
plaçant au moment où ils statuaient que la sauvegarde de l’autorité parentale pour le
père ne constituait pas un danger pour la santé, la sécurité et la moralité de
l’enfant »1017 ; une décision qui souligne l’importance de la prise en considération du
danger qui doit être actuel, c’est-à-dire au moment du retrait. Toutefois, dans une autre
affaire la Cour de cassation avait approuvé une décision permettant le retrait de l’autorité
parentale à des parents qui ont avorté les essais des actions éducatives mise en place pour
leurs enfants placés, la Cour avait estimé que le comportement des parents représentait un
danger psychologique continu1018. Ainsi, la Cour de cassation estime
traditionnellement qu’il revient juge du fond d’apprécier les comportements parentaux et
d’évaluer le danger et la menace qu’ils peuvent constituer pour leurs enfants.
1205. Dans le même ordre d’idées, d’autres décisions reflètent également l’importance
accordée à la caractérisation des motifs du retrait de l’autorité parentale dans toutes les
décisions rendues par les juridictions. Ainsi, est le cas des affaires visant le retrait de
l’autorité parentale qu’elle soit relative à l’usage excessif des stupéfiants, suite à un
défaut de soins et ou manque de direction ou encore à un désintérêt total du parent. En
effet, si les deux premiers éléments représentent un danger physique et psychologique
manifeste matériellement à l’égard de l’enfant, le danger du désintérêt du parent est
également pris en considération puisqu’il représente une atteinte grave à la personne de
l’enfant à travers le désintérêt matériel et affectif du parent à l’égard de son enfant, c’est
ainsi que la pratique judiciaire le considère.
1017
Cass, civ. 1er, 16 avr. 2008, n°06-21.405.
1018
Cass, civ. 1er, 27 mai 2010, n° 09-65.208.
496
Dans l’arrêt du 12 février 20091019, où la Cours d’appel de Nîmes avait prononcé le retrait
de l’autorité parentale à un père qui n’avait pas entretenu des relations après un mois de
la naissance de son enfant La Cour estimait que l’abandon manifeste du père de son rôle
de répondre aux besoins matériaux de son enfant et d’entretenir une relation affective
avec son enfant, représentent des éléments qui mettaient l’enfant en danger
psychologique dans la mesure où l’enfant se trouvait dans une situation différente à celle
de sa sœur qui elle, vit avec son père qui était toujours présent.
1206. Par ailleurs, comme nous l’avons précisé plus haut, le retrait de l’autorité parentale
doit être l’exception comme le souligne la Cours européenne des droits de l’Homme qui
souligne « les circonstances exceptionnelles » et des motifs impérieux qui peuvent
conduire à un retrait ou une rupture du maintien des relations parents-enfants ou du lien
familial dans son ensemble et dont l’objectif doit répondre à l’intérêt de l’enfant.
En effet, dans l’arrêt Gnahoré contre la France, la cour européenne retient et souligne les
circonstances exceptionnelles et l’inexistence des relations, qui ont permis le refus du
maintien des relations personnelles entre le père et son enfant.
Ainsi, la Cour constate que « le contact entre l’enfant et le père n’ont jamais connu une
continuité et que le placement de l’enfant a constitué un élément favorisant cet
éloignement ». Cette appréciation qui est faite in concreto dans la mesure où la Cour
estime que l’enfant qui est âgé de 14 ans avait passé les douze dernières années de sa vie
sans l’établissement d’aucun contact avec son père, ce qui a rendu difficile la
reconstitution du lien familiale entre l’enfant et son père. Pour la justice française, le
caractère des circonstances exceptionnelles n’a pas été révélé, et que l’argument retenu
évoquant que l’enfant était bouleversé suite à l’idée de rencontrer son père ne justifiait
pas le refus du maintien des relations entre le père et son enfant, et que le placement de ce
dernier était une démarche visant à protéger l’intérêt de l’enfant et à favoriser le maintien
de ces relations.
1207. La décision prise par la cour européenne peut en effet paraître sévère à l’égard du
père de l’enfant, d’autant plus qu’elle interdit la reconstruction d’un lien familial dont le
principe fondamental est qu’il soit entretenu entre le parent et l’enfant sauf circonstances
exceptionnelles, ainsi jugeant que la rupture du lien répond ici à l’intérêt de l’enfant.
Cette analyse reflète toute la difficulté et la complexité, d’abord de la notion de l’intérêt
supérieur de l’enfant puis de celle de « circonstances exceptionnelles », et donc de la
différence d’interprétation possible quant à ces deux notions.
Dans ce sens, il semble évident que la Cour européenne des droits de l’Homme exerce un
contrôle quant au respect de l’intérêt supérieur de l’enfant en matière de tout éloignement
de ce dernier avec ses parents. Ce contrôle se traduit à travers l’introduction de la notion
« d’exception » dans toute possibilité de rupture des relations entre parent et enfant et
dont seule la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant peut justifier
l’éloignement.
1019
Cour d’appel Nîmes, 12 fevr. 2009, RG n°08/00173.
497
En principe la Cour considère que l’objectif est de conserver les liens familiaux de
l’enfant et de ne permettre leur rupture que lorsque l’intérêt de ce dernier est mis en
danger qu’il soit physique ou psychologique, retenant ainsi que le principe est le maintien
des relations entre l’enfant et ses deux parents et que toute coupure de ces relations
représente « la coupure de l’enfant de ses racines »1020.
1208. Par ailleurs, le rôle de la Cour européenne ne consiste pas uniquement à contrôler
et à veiller sur l’intérêt de l’enfant dans le maintien ou la rupture des relations entre
l’enfant et ses deux parents, mais elle conserve également à contrôler l’intervention
étatique dans la sphère privée que constitue la famille1021. C’est ainsi que la Cour est
tenue d’établir un équilibre et de faire respecter les limites d’intervention étatique quant à
la liberté individuelle et au respect de la vie privée des personnes.
Un équilibre qui se concrétise à travers la prise en considération de l’intérêt supérieur de
l’enfant et d’en faire l’objectif principal et l’élément fondamental qui permet à la fois de
rechercher le maintien des relations parents-enfants ainsi qu’une prise en considération
des circonstances exceptionnelles « justifiées et non abusives »1022 qui permettent
l’éloignement de l’enfant d’un ou de ses deux parents.
1209. Toutefois, la difficulté de l’établissement de cet équilibre est également fondée sur
la base de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’Homme qui à travers son
second paragraphe prévoit que : « Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique
dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et
qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaires à la
sécurité nationale, à la sureté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de
l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la
morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». En effet, cette disposition
représente un fondement réglementaire des possibilités offertes aux Etats permettant leur
ingérence, qui peut être justifiée par trois conditions qui sont :
d’abord qu’elle soit justifiée et prévue par la loi, qu’elle réponde à un objectif légitime, et
enfin qu’elle soit une nécessité dans le cadre démocratique à travers le respect de l’intérêt
général de la société et de l’intérêt individuelle des personnes 1023.
1210. Ainsi, c’est le respect de ces éléments qui représente la limite de toute intervention
étatique en la matière, permettant le respect de l’institution de la famille et la
concrétisation de l’intérêt supérieur de l’enfant à travers l’application rigoureuse de faire
du maintien des relations entre parent et enfant la règle et de l’éloignement l’exception,
appelant les Etats à la mise en œuvre de tous les moyens permettant « la reconstruction
des liens familiaux » permettant ainsi la respect de l’intérêt de l’enfant en lui procurant un
équilibre psychologique fondamental dans la construction de sa personnalité.
1020
CEGH, Gnahoré, c. France.
1021
Marie- Sylvie Dupont-BOUCHAT, L’intérêt de l’enfant. Approche historique, publications des facultés
universitaires saint louis Bruxelles, 1990, p. 23.
1022
CEDH, Ignaccolo-zenide, c. Roumanie, cit. par Gwenaelle HUBERT-DIAS, thèse, op. cit., p. 88.
1023
Gwenaelle HUBERT-DIAS, op. cit., p. 89.
498
En effet, l’équilibre recherché et assuré par la Cour européenne des droits de l’Homme
permet d’influencer les réformes menées par le législateur français qui répondent de plus
en plus à la prise en considération de l’intérêt de l’enfant et de l’évolution de l’ensemble
de ses éléments constitutifs.
1211. Cette évolution de la prise en considération de l’intérêt de l’enfant en matière
d’autorité parentale qui aboutit aujourd’hui à la possibilité d’éloigner l’enfant de ses
parents, existe également en droit marocain. Toutefois, la concrétisation de l’éloignement
de l’enfant de ses parents sur la base d’une prise en considération de son intérêt supérieur,
ne répond pas aux mêmes conditions et en l’occurrence n’aboutit pas aux mêmes
résultats. Ce constat est justifié par le fait que l’institution de l’autorité parentale telle
qu’elle est adoptée en droit marocain reflète une spécificité avérée puisqu’elle n’adopte
pas une réelle égalité entre les deux parents quant à cet exercice, et donc lorsqu’il est
question de la déchéance de l’autorité parentale, il est systématiquement question de la
déchéance de la garde qui est principalement accordée à la mère. Dans ce sens, le
législateur de 2004 évoque la question de la déchéance de la garde dans un objectif
protecteur de l’intérêt de l’enfant.
Néanmoins, nombreux sont les éléments qui permettent la remise en question du
fondement et des conséquences de cette déchéance à l’égard de l’enfant dans la mesure
où l’absence de précision des conditions de cette déchéance semble troubler l’objectif
principale qu’est la protection de l’intérêt de l’enfant.
1212. En effet, contrairement au droit français qui adopte l’égalité totale dans
l’attribution de l’autorité parentale et qui fait des conditions de sa déchéance une
possibilité qui vise également en égalité les deux parents. En droit marocain, l’attribution
du droit de la garde principalement à la mère permet d’influencer manifestement les
conditions établies par le législateur quant à la déchéance. L’article 173 du Code de la
famille précise que les conditions de la dévolution de la garde prévoit que : « si un
changement susceptible de nuire à l’enfant intervient dans la situation de la personne
assumant la garde, celle-ci est déchue de ce droit, lequel est transmis à la personne qui
suit dans l’ordre de priorité », tout en accordant au dévolutaire de la garde de la
récupérer lorsque l’empêchement qui lui interdit l’exercice est levé en accordant au
tribunal la possibilité de reconsidérer la dévolution de la garde dans le respect de l’intérêt
de l’enfant1024.
1213. Ainsi, la déchéance de droit de garde peut être envisagée à l’égard de la mère ou de
toute autre personne l’exerçant suite à la demande présentée au tribunal. Cette demande
doit répondre à un nombre de motifs et d’éléments qui justifient la demande de déchéance
de la garde. En effet, le législateur définit ces éléments comme suit : d’abord à l’égard de
la mère, en cas de son remariage (Article 175) ou lors du changement de résidence de
l’enfant sous la garde (Article 178) ou encore à l’égard des autres personnes assurant
cette garde présentant un manquement à toutes les conditions établies relatives aux
devoirs de toute personne assurant le droit de garde.
1024
Article 170, Code de la famille.
499
En ce qui concerne la déchéance de la garde à l’égard de la mère en cas de remariage, le
législateur introduit et évoque pour la première fois que « le mariage de la mère chargée
de la garde de son enfant n’entraîne pas la déchéance de son droit de garde ». Toutefois,
cette disposition est conditionnée par les éléments suivants :
1- Si l’enfant n’a pas dépassé l’âge de sept ans ou si sa séparation de sa mère lui
cause un préjudice ;
2- Si l’enfant soumis à la garde est atteint d’une maladie ou d’un handicap rendant sa
garde difficile à assumer par une personne autre que sa mère ;
3- Si le nouvel époux est parent de l’enfant avec lequel il a un empêchement à
mariage ou s’il est son représentant légal ;
4- Si elle est la représentante légale de l’enfant.
1214. C’est dans ce sens que la pratique judiciaire avait affirmé le respect rigoureux de
ces conditions à travers de nombreuses décisions rendues dans ce sens. En effet, dans un
arrêt rendu par la Cour d’appel de Rabat du 7 février 2005, les magistrats avaient
considéré que l’article 175 du code doit être appliqué en respectant rigoureusement
toutes les conditions établies par le législateur. En l’espèce, un père avait introduit une
instance auprès du tribunal de première instance faisant valoir son droit de demander la
déchéance de la garde de sa fille à l’égard de son ancienne épouse, ayant pour motif le
remariage de cette dernière et sa négligence à l’égard de l’enfant suite à son mariage.
La défense de la mère évoque ainsi l’article 175 en précisant que le remariage de la
gardienne n’entraîne plus la déchéance de la garde, en soulignant que l’enfant n’a pas
encore atteint l’âge de sept ans et que « le nouvel époux est un parent de l’enfant avec
lequel il a un empêchement à mariage » c’est-à-dire que la situation de la femme répond
concrètement aux critères édictés par le législateur. Le père va donc s’aligner sur une
autre disposition qui est celle de l’article 398 du même texte qui prévoit que « demeurent
valables, les actes de procédures effectués dans les affaires du statut personnel, avant
l’entrée en vigueur du présent code ». Le père souligne donc que son recours à cette
disposition est légitime puisque sa demande a été introduite avant la réforme de 2004 et
que la décision doit être rendue conformément aux dispositions de l’ancien statut
personnel qui prévoyait la déchéance de la garde à l’égard de la mère qui se remarie.
Le tribunal a donc décidé de répondre favorablement à la demande du père en statuant la
déchéance de la garde à l’égard de la mère et en la condamnant aux dépens. Faisant appel
à cette décision, la Cour d’appel rejeta le jugement de première instance en précisant :
« qu’attendu que le litige porte sur la déchéance de la garde de la mère du fait de son
mariage avec une personne autre qu’un proche parent au degré prohibé de l’enfant et
que le nouveau code qui doit recevoir application, lie cette possibilité au fait que l’enfant
ait atteint l’âge de sept ans, qu’attendu que l’enfant n’a pas encore atteint cet âge, par
ces motifs rejette le jugement de première instance »1025.
1025
Tribunal de première instance de Rabat, jugement n° 904 du 19/4/2004, dossier n° 1214/03/10 cité par R.
ZEIDGUY, op. cit., p. 255.
500
1215. Dans un arrêt rendu par la Cour suprême le 16 février 2016 1026, l’application
rigoureuse de l’article 175 du Code de la famille est réaffirmée, dans la mesure où le
respect de conditions édictées par cette disposition doit être respecté littéralement. En
l’espèce, un père introduit une instance auprès du tribunal de première instance de la ville
de Tantan faisant valoir sa demande de déchoir son ancienne épouse de son droit de garde
à l’égard de leur fille, le père fonde sa demande sur l’argument du remariage de la mère
d’un homme étranger sans avoir respecter la condition établie par l’article 175 qui prévoit
que « le mari doit être un parent de l’enfant avec lequel il a un empêchement à mariage
ou s’il est son représentant légal ». En réponse, la mère évoque le manque de preuve du
père de sa fille quant à son mariage mais surtout son manque de preuve de la relation
familiale entre elle et son nouveau mari. Le tribunal de première instance lance alors une
enquête sur le genre du lien familial entre la mère et son époux, cette enquête va
permettre au tribunal1027 d’accepter la demande du père de la fille et de déchoir la mère de
son droit de garde au motif que le nouveau mari de la mère ne figure pas parmi les
personnes qui permettent à la mère de conserver son droit de garde.
La mère rétorque en évoquant l’application des articles 174 et 175 et souligne le manque
de justification de la décision rendue par le tribunal de première instance en soulignant
qu’elle a établi le lien familial entre elle et son mari par les extraits d’actes de naissance
qui prouvent que ce dernier est un cousin commun des deux parents.
La Cour d’appel rejette la demande et juge que le lien familial existant entre le mari de la
mère et l’enfant ne rentre pas dans l’exception évoquée dans l’article 175. Cette décision
sera réaffirmer par la Cour suprême qui a jugé d’insuffisant le fait que le mari de la mère
gardienne soit juste un proche dans la famille afin de concrétiser l’exception de l’article
175 mais qu’il est question de répondre précisément à l’article 36 du même texte qui
prévoit que « est prohibé, pour cause de parenté, le mariage de l’homme avec ses
ascendantes et descendantes, les descendantes de ses ascendants au premier degré, les
descendantes au premier degré de chaque ascendant à l’infini », ce qui résulte que le
mari de la mère gardienne ne figure pas parmi les personnes auxquels la prohibition du
mariage avec l’enfant est édictée par le texte ce qui réaffirme le respect total de la loi par
la Cour d’appel.
1216. En effet, ces deux jugements peuvent être perçus et analysés sur différents niveaux
; premièrement par rapport à la fidélité du législateur à la règle traditionnelle relative à la
déchéance de la garde à l’égard de la mère qui se remarie en établissant des conditions
qui semblent être une barrière à la conservation de la garde. Autrement dit, le droit de la
garde accordé à la mère est un droit conditionné alors que lorsqu’il est accordé au père, le
remariage de ce dernier ne semble pas être un motif de déchéance de la garde.
1217. Enfin, l’application de cette disposition semble répondre rigoureusement à une
perception plutôt traditionnelle de la prise en considération de l’intérêt de l’enfant qui se
trouve encore ici prisonnier d’une discrimination à l’égard de la mère dans la mesure où
son remariage est considéré comme une limite au respect de l’intérêt de l’enfant.
1026
Cour suprême, Décision n° 169, Dossier 571/2/1/2015, qui date du 16 février 2016.
1027
La décision rendue par le tribunal de première instance porte le n° 136, dossier 44/2014 qui date du 23/09/ 2014.
501
Cependant, pour les militants des droits des femmes dont Madame ZAHIA
AMMAMOU1028, la condition du mariage de la mère gardienne par un homme étranger
n’est que le reflet d’une discrimination à l’égard de cette dernière en la privant de l’un de
ses droits notamment celui de refaire sa vie et de rencontrer une autre personne sans pour
autant sacrifier son droit de garde.
De plus, si cette disposition est adoptée dans l’objectif de faire valoir la protection de
l’intérêt de l’enfant qui s’explique même en droit musulman par la protection physique et
psychologique de l’enfant de toute introduction d’une personne étrangère dans sa vie. Il
semble également judicieux de poser la question sur l’égalité des droits et des devoirs
accordés aux deux parents que ce soit au niveau juridique ou moral. Cela dit, que dans la
majorité des cas, lorsque la mère est gardienne, le père se détache de son rôle et présente
un désintérêt à l’égard de l’enfant en faisant surgir son droit de déchoir la mère de son
droit de garde que lorsque cette dernière se remarie. Autrement dit, la question de la
déchéance de la mère de son droit de garde sert plus à être une arme de guerre entre les
deux parents plus qu’une condition de protection de l’intérêt de l’enfant.
1218. En outre, un autre élément peut être soulevé quant à cette question du remariage de
la gardienne, lorsque le mariage de cette dernière est dissout. En effet, le problème
consiste à savoir si le divorce de la gardienne qui été déchue de son droit de garde suite à
son mariage, lui ouvre le droit de récupérer son droit de garde ? La réponse à cette
question s’illustre à travers l’article 170 du texte de 2004 qui dispose que : « la
dévolutaire de la garde recouvre son droit lorsque l’empêchement qui lui interdisait de
l’exercice est levé ». Cette disposition qui paraît simple dissimule une complexité relative
à une absence de distinction entre l’empêchement volontaire et celui involontaire.
Dans ce sens, l’ancien Code de statut personnel précisé dans l’ancien dans son article 110
qui disposait que : « le dévolutaire recouvre son droit de garde, lorsque disparaît
l’obstacle involontaire qui l’empêchait de l’exercer ». Ainsi, le mariage de la mère
gardienne ne peut être considéré que comme un obstacle volontaire, un élément qui dans
le rite malékite a pour conséquence la déchéance de la garde sans aucune possibilité à la
dévolutaire de la garde de recouvrir son droit de la garde même lorsque son lien de
mariage est rompu.
1219. Pour éviter l’application et geler l’effet négatif de ces dispositions visant à priver la
femme de son droit de garde, cette dernière peut avoir recours à une solution accordée par
le législateur lui-même à travers les articles 114 et 115 du texte qui permettent le divorce
par consentement mutuel ou à celui du KHOL’ qui permettent l’établissement d’un
accord commun entre la mère gardienne et le père de l’enfant affirmant que la mère ne
perd pas son droit de garde même lorsqu’elle contracte un nouveau mariage. Dans le
même ordre d’idées, le législateur accorde un délai précis pour toute personne souhaitant
demander une action de déchéance de droit de garde qui est prévu dans l’article 176 qui
dispose que : « est déchue du droit de garde, la personne ayant vocation pour exercer ce
droit et qui a gardé le silence durant une année après qu’elle ait eu connaissance de la
consommation du mariage de la femme à qui est confiée la garde de l’enfant, sauf en cas
de motifs impérieux ».
1028
Militante au sein de l’association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté (ATEC).
502
Cette disposition reflète une importante prise en considération de l’intérêt de l’enfant
dans la mesure où le dépassement du délai prévu par le législateur peut être considéré
comme un risque potentiel d’atteinte à la moralité de l’enfant et à son droit de mener une
vie stable sans qu’il soit perturbé par les procédures et les changements de lieu de
résidence et d’environnement suite à un changement de situation.
1220. Cependant, cette prise en considération de l’intérêt moral de l’enfant est limitée à
une période d’un an. Ainsi elle doit être comptée à partir de la consommation du mariage
et non pas de sa conclusion ce qui rend difficile au demandeur (le père de l’enfant) de
connaître la date de la consommation du mariage et donc de sa possibilité d’agir pour
déchoir la mère gardienne de son droit de garde. Toutefois, pour la jurisprudence, le
demandeur est présumé être méconnaissant de la consommation du mariage de la mère
gardienne de prouver la date de consommation puisque la règle est celle de l’ignorance.
1221. Parallèlement à cette question de preuve, la conséquence de la déchéance de la
garde à l’égard de la mère suite à la consommation de son mariage, soulève un autre
problème relatif à l’application de ce retrait, dans la mesure où le père de l’enfant peut
recourir à toute sorte de moyens afin de récupérer son enfant. Autrement dit, le père de
l’enfant n’est pas tenu de passer par le tribunal de la famille et conserve la possibilité de
récupérer son enfant puisqu’il agit de bon droit étant donné que la mère de l’enfant a
perdu systématiquement son droit de garde une fois son mariage a été consommé 1029.
Une situation qui paraît contradictoire avec l’objectif principal évoqué par le législateur
en matière de déchéance de garde, puisque cette possibilité offerte au père de récupérer
son enfant de toutes les manières possibles peut porter atteinte à l’intérêt moral de
l’enfant qui est souvent récupéré par le père sans aucune préparation psychologique de la
personne de l’enfant.
1222. Autre que cet élément du remariage de la mère gardienne (avec un étranger de la
famille) qui débouche à la déchéance du droit de la garde dont la fidélité au droit
musulman s’avère évidente, un autre élément adopté par le législateur semble réaffirmer
l’attachement du législateur à la perception traditionaliste des rapports familiaux et de la
prise en considération de l’intérêt de l’enfant. En effet, en droit marocain, l’élément du
voyage de la mère gardienne peut toujours être un élément de cause pour déchoir la mère
de son droit de garde. Cette perception est tirée du droit musulman qui fait du principe de
la surveillance et du contrôle de l’éducation de l’enfant un droit fondamental accordé au
père. Ainsi, le législateur marocain a adopté une vision plus moderne quant à cette
question, notamment à travers l’adoption de l’article 182 qui permet au tribunal de fixer
les modalités d’exercice des droits de visites lors d’un désaccord ou encore par l’article
186 qui permet que : « le tribunal tienne compte de l’intérêt de l’enfant soumis à la
garde ». Ainsi, le droit du père à la tutelle légale oblige que l’enfant soit installé à une
distance qui lui permet d’exercer d’abord son droit de visite mais également d’exercer
son droit de surveillance.
1029
Cette pratique est possible puisqu’elle conserve et illustre une théorie connue dans le fiqh qui est appelée ‘addafar’
et qui signifie la récupération de celui qui détient un droit en entier qu’il soit avec ou sans l’accord de l’autre partie.
503
1223. Ce principe est tiré du droit musulman qui interdit à la mère gardienne d’éloigner
l’enfant de son père qui doit malgré le divorce exercer son droit d’éducation ce qui
interdit tout déménagement ou voyage de la mère avec l’enfant ; les malékites vont
encore plus loin en admettant la possibilité de déchéance du droit de la garde à l’égard de
la mère lorsque cette dernière refuse de suivre le père s’il décide de transférer son
domicile1030.
Par ailleurs, cette règle a été assouplie par le législateur de 2004 qui a aboli l’article 107
de l’ancien texte qui disposait que : « lorsque la gardienne fixe sa résidence dans une
autre ville et qu’il devient difficile de ce fait, au père ou au tuteur de surveiller les
conditions de vie de l’enfant et d’assurer ses obligations envers lui, la gardienne perd
son droit de garde » ; cette disposition qui faisait de la déchéance de la garde la règle
systématique est devenue aujourd’hui dans la dernière réforme l’exception.
En effet, le législateur accorde une totale liberté d’appréciation au juge à se prononcer sur
les différentes situations tout en faisant de l’intérêt de l’enfant son principal objectif.
Toutefois, malgré la réforme apportée à travers l’adoption de l’article 178 qui prévoit
que : « tout changement de résidence de la gardienne à l’intérieur du Maroc n’entraîne
pas la déchéance de la garde, sauf en cas de motifs avérés pour le tribunal, compte tenu
de l’intérêt de l’enfant… ».
1224. Ainsi, le nouveau texte ne semble pas révolutionner la question du voyage et de
d’éloignement de la mère gardienne du père ou du tuteur de l’enfant, puisqu’il déguise
cette possibilité de déchéance de droit de garde à l’égard de la mère par la libre
appréciation du juge, celui-ci peut en effet considérer que seul l’élément d’éloignement
de l’enfant de son père cause préjudice à l’intérêt de l’enfant dans la mesure où ce dernier
ne peut pas être surveillé par son père et donc juger la déchéance de la garde à l’égard de
la mère comme légitime 1031. Par ailleurs, dans certains cas la libre appréciation accordée
au juge permet de refuser la déchéance de la garde à la mère gardienne, Ainsi est le cas
d’une décision rendue le 19/05/2008 par le tribunal de première instance de Fès, qui a
tranché un litige entre deux ressortissants marocains qui possèdent également la
nationalité américaine et qui vivaient aux Etats-Unis avant même leur divorce.
Le père des enfants élabore alors une demande de déchéance de la garde à l’égard de la
mère de son enfant en invoquant deux arguments : d’abord que la mère gardienne
manque manifestement de ses obligations et ne respectant pas l’exécution du jugement de
divorce qui établissait l’organisation des visites accordées au père permettant la violation
de l’article 1841032, assignant que la mère a procédé à un enlèvement de l’enfant pour le
faire sortir du territoire. Ensuite, le demandeur fait référence au changement de domicile
de la mère de son enfant ce qui le prive de son droit de visite.
1030
D. FELLER, op. cit., p.172.
1031
Jugement n° 3178, Dossier n°1842/1/2008.
1032
L’article 148 dispose que : « le tribunal prend toutes les mesures qu’il estime adéquates, y compris la modification
de l’organisation de la visite ainsi que la déchéance de la garde en cas de manquement ou de manouvres frauduleuses
dans l’exécution de l’accord ou de la décision organisant la visite ».
504
Dans cette affaire, le principal élément de référence pour le tribunal est celui de l’intérêt
de l’enfant dans la mesure où il était question de connaître la situation de l’enfant et de
son mode de vie notamment sa scolarisation, son domicile habituel qui reflètent sa
stabilité dans l’environnement où il vit. Ainsi, pour le tribunal, la scolarisation de l’enfant
aux Etats-Unis depuis l’âge de six ans, le déplacement de la mère avec son enfant vers le
domicile habituel où il a toujours vécu avec le divorce de ses parents ne peut en aucun cas
être un élément de déchéance de la garde de la mère et en l’occurrence une violation de la
décision rendue par la justice quant à l’organisation du droit de visite puisque la mère ne
s’est pas installée pour la première fois à l’étranger.
1225. Dans une autre affaire similaire, un arrêt rendu le 05 Avril 2016 par la Cour
suprême1033 qui a considéré l’intérêt de l’enfant comme une priorité par rapport au
déménagement de l’un des parents. En l’espèce, un père de deux enfants avait introduit
une demande en justice contre la mère de ses enfants et la gardienne de ces derniers suite
à un divorce prononcé antérieurement. Dans sa demande, le père s’appuie sur son droit
d’être proche de ses enfants et de surveiller leur éducation tel qu’il est disposé dans
l’article 186 du Code de la famille, précisant que la mère vit au Canada avec leur deux
enfants et qu’il souhaite qu’elle soit déchue de son droit de garde afin que les enfants
puissent rentrer vivre au Maroc. Ainsi, suite à l’absence de la mère gardienne lors de
l’audience au tribunal de première instance, ce dernier considère que les preuves
présentées par le père des enfants sont suffisantes pour prononcer la déchéance de la
garde de la mère.
Cette dernière fait alors appel de cette décision, la Cour d’appel rejette le premier
jugement en considérant que les preuves apportées par le demandeur sont insuffisantes et
modifient la réalité de la situation familiale puisqu’il s’est avéré pour la Cour que le
couple avait déménagé avec leurs enfants au Canada et que le père est reparti vivre seul
au Maroc bien avant que le divorce ne soit prononcé ce qui ne peut pas représenter des
motifs pour déchoir la mère de son droit de garde.
La Cour suprême va réaffirmer le jugement de la Cour d’appel et va aller encore plus
loin, considérant que le déplacement de la mère gardienne était fait dans le respect du
cadre familial puisqu’elle a déménagé avec le père des enfants pour s’installer au Canada
et ils ont même eu des carte de résidence. De plus la Cour suprême va souligner un autre
élément qu’elle juge de principal, qui est celui de la prise en considération de l’intérêt des
enfants qui sont bien installés et bien intégrés dans la société où ils vivent et qu’un retour
au Maroc puisse porter un préjudice l’âge leur stabilité. La Cour a jugé que le père
conserve son droit de visite et qu’il ne soit pas interdit à l’exercer, ce qui permet de
refuser la demande du père à déchoir la gardienne de son droit de garde.
1226. De la pratique judiciaire, il ressort que la liberté d’appréciation accordée au juge lui
permet dans un premier temps de prendre en considération l’intérêt de l’enfant et de
modeler cet intérêt selon la situation familiale à laquelle il est affronté afin de protéger
l’enfant.
1033
Cour suprême, Décision n° 303, rendue le 05 avril 2016, n° de dossier : 979/2/1/2015.
505
Dans un second temps, ces jugements limitent d’une manière indirecte le droit de la mère
gardienne de voyager avec son enfant pour la première fois après un divorce dans la
mesure où son départ est considéré comme un comportement privant le père de son droit
de visite et portant une atteinte à l’intérêt de l’enfant avec toutes les conséquences qui
puissent surgir suite à cette privation, qu’elles soient d’ordre personnel ou juridique liées
au conflit de lois entre le pays d’origine et le pays d’accueil1034.
1227. En outre, cette question du voyage de la mère gardienne avec l’enfant permet
également de souligner la limite à laquelle cette dernière peut être affrontée dans son
droit de garde suite à la conservation de la tutelle légale par le père, ce dernier qui dans la
majorité des situations demande une interdiction de voyage au tribunal qu’il joint
systématiquement au jugement de l’attribution de la garde 1035. Toutefois, le texte allège
cette restriction, en prévoyant qu’en cas de refus du tuteur légal le voyage de l’enfant à
l’étranger. Aujourd’hui, le juge des référés peut être saisi afin d’obtenir une autorisation
pour la mère à cet effet. Un rôle qui est aujourd’hui assuré également par le parquet qui
veille d’abord à l’application des règles du Code de la famille mais également des
conventions bilatérales qui lient le Maroc avec de nombreux pays, relatives à l’entraide
judiciaire en matière familiale ; telle que la convention franco-marocaine du 10 Août
1981 relative au statut des personnes et de la famille, ou celle franco-espagnole du 30
Mars 1997 relative à la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de garde et
de droit de visite1036.
1228. Un autre élément introduit par le législateur par rapport aux éléments permettant la
déchéance du droit de garde est celui de la mauvaise conduite ou de comportement
immoral. En effet, ces éléments acquièrent une grande importance à l’égard des deux
parents en droit français et dont l’évolution a été explicitement marquée par
l’introduction du principe de l’intérêt de l’enfant.
1229. En droit marocain par contre, la question de la conduite et des comportements est
assez récente puisqu’elle est introduite à travers les dispositions de l’article 54 du texte
qui évoquent les devoirs des parents à l’égard de leurs enfants. Cet article renvoie d’une
manière indirecte à l’obligation des parents de respecter certaines valeurs dans l’objectif
d’assurer la protection et la bonne éducation de l’enfant. Cependant, si le législateur
prévoit à travers l’article 177 relatif à la déchéance de la garde que : « le père, la mère et
les proches parents de l’enfant soumis à la garde et tous tiers doivent aviser le ministère
public de tous les préjudices auxquels l’enfant serait exposé afin qu’il prenne les mesures
qui s’imposent pour préserver les droits de l’enfant y compris la demande de la
déchéance de garde », elle est néanmoins une disposition très vaste qui ne permet pas de
souligner et de préciser la mauvaise conduite et le mauvais comportement.
1034
Il est à noter que la mère gardienne ne peut pas voyager avec son enfant à l’étranger sans l’accord du tuteur légal de
l’enfant qui demeure le père.
1035
Article 179 du Code de la famille marocain.
1036
Publiée dans le Bulletin officiel n° 4700 du 17 juin 1999.
506
1230. C’est dans ce sens que la jurisprudence démontre que c’est souvent le
comportement et la conduite, notamment à caractère moral de la mère, qui sont visés et
remis en cause par son ex-mari, dans l’objectif de justifier le danger que celle-ci peut
représenter pour l’enfant et donc justifiant la raison d’un réexamen du tribunal de
l’attribution de la garde à l’égard de la mère.
En effet, dans la majorité des affaires relatives à la demande d’une déchéance de la garde
à l’égard de la mère, cette dernière est visée par des comportements de mal conduite
c’est-à-dire, lorsqu’il s’agit de sa mauvaise fréquentation, de ses sorties ou encore
lorsqu’on lui reproche d’être dans une relation extraconjugale.
Toutefois, les jugements relatifs à ces situations semblent connaître une divergence quant
à l’appréciation judiciaire entre des jugements favorables à la déchéance de la garde suite
à l’application de l’article 177, et d’autres refusant de déchoir la mère de son droit de
garde lorsqu’il ne s’agit pas de faits graves à l’encontre de l’enfant. C’est dans ce sens
que le tribunal de première instance de Marrakech avait refusé la déchéance de la garde à
l’égard d’une mère dont l’ex-époux l’accuse de mauvais comportements notamment de
sorties pendant la nuit, en se basant sur le témoignage des voisins. Le tribunal a jugé alors
d’insuffisant l’élément du témoignage en se basant sur la jurisprudence de la Cour
suprême en matière de témoignage, et donc a décidé d’écarter l’élément du témoignage
tout en rejetant la demande du père de déchoir son ex-épouse de son droit de garde1037.
1231. Une autre décision avait également reflété une appréciation favorable à la
conservation du droit de la garde à l’égard de la mère en faisant de l’intérêt de l’enfant le
principe fondamental du jugement. Ce dernier a en effet privilégié l’intérêt de l’enfant qui
répond à sa présence au côté de sa mère malgré que cette dernière soit condamnée par
une peine d’emprisonnement suite à un comportement immoral, le tribunal ayant estimé
qu’il était injuste de condamner la mère à deux reprises surtout que le tribunal s’était
assuré que l’enfant ne représentait aucun trouble psychologique, scolaire ou autre1038.
Cependant, dans un autre jugement rendu par la Cour d’appel ayant confirmé un premier
jugement du tribunal de première instance condamnant la mère en ordonnant la
déchéance de son droit de garde en se référant à l’application de l’article 173 du texte
dans la mesure où la mère a été condamnée pour un comportement jugé d’immoral,
condamnation pour cause d’adultère1039.
Ainsi en la matière, l’instabilité des jugements et leurs divergences semblent être le reflet
d’une considération imprécise de la déchéance du droit de la garde à l’égard de la mère et
en l’occurrence d’une prise en considération dissemblable de l’intérêt de l’enfant en
matière de garde, dans la mesure où l’imprécision des raisons de la déchéance du droit de
la garde à l’égard de la mère soit fondée principalement sur une perception plutôt
traditionnelle empêchant une égalité d’attribution de ce droit sous la seule condition du
respect de l’intérêt de l’enfant, chose que le législateur n’a pas réussi à établir à travers
les dispositions adoptées dans le texte de 2004.
1037
Jugement n° 2858 du 26/09/2005, dossier n° 2680/06.
1038
Jugement n° 1314, du 22/03/2007, dossier n° 2680/06, cité par Assia GOURRAM, thèse, op. cit., p. 320.
1039
Jugement publié à AL MAAYAR, Ordre des avocats du bureau de Fès, juin 2007, n° 37, p. 180, cité par
MOUFADIL Ouical, L’évolution du droit de la femme au divorce à l’épreuve de la pratique judiciaire en droit
marocain, op. cit., p. 306.
507
B- Les conséquences de l’éloignement et l’intérêt de l’enfant.
508
De même, le texte prévoit que le retrait doit principalement s’étendre à tous les enfants
qui sont déjà nés au moment du jugement du retrait, toutefois, l’article 379-1 accorde une
liberté au tribunal qui conserve la liberté de limiter et d’apprécier l’application du retrait
aux autres enfants, en dépendant de la situation de chacun notamment par rapport à leur
âge ou encore des comportements des parents. Ce retrait prononcé par le tribunal
n’intègre que les attributs de l’autorité parentale c’est-à-dire les droits et devoirs qui sont
liés à cette dernière1040 qui peuvent aller jusqu’à la possibilité du changement du nom de
l’enfant sans que le parent ou les parents déchus de l’autorité parentale aient la possibilité
de s’y opposer puisqu’elle constitue une prise en considération de l’intérêt de l’enfant1041.
Par ailleurs, le retrait de l’autorité parentale n’affecte pas le lien de filiation et en
l’occurrence des droits qui en ressortent tel que les droits de successions, tout en
conservant la possibilité de sauvegarder un droit de correspondance qui peut être accord
par le juge selon la considération de ce dernier de l’intérêt de l’enfant qui peut exiger soit
la conservation de ce droit soit son écartement.
1236. Dans l’acheminement de ces dispositions adoptées par le législateur français, ce
dernier a également adopté une organisation qui permet la protection de l’enfant à la suite
du retrait de l’autorité parentale. En effet, le législateur s’est intéressé aux différentes
possibilités qui peuvent permettre la réorganisation ou le remplacement de cette autorité
parentale. Il évoque dans un premier temps le retrait de l’autorité parentale à l’égard d’un
seul parent, en prévoyant à travers l’article 373-1 que « si l’un des père et mère décède ou
se trouve privé de l’exercice de l’autorité parentale, l’autre exerce seul cette autorité »,
c’est-à-dire que lorsqu’un parent est déchu de l’autorité parentale, cette dernière est en
principe dévolue à l’autre parent si toutefois le parent qui va assurer cette autorité
parentale est en état de l’exercer et de protéger l’intérêt de l’enfant. Ainsi, ce retrait de
l’autorité parentale à l’égard d’un seul parent peut également être partiel, permettant donc
à ce parent de partager et d’exercer les droits et devoirs qui n’ont pas fait l’objet d’un
retrait dans le jugement avec l’autre parent titulaire de l’autorité parentale1042.
1237. Par ailleurs, lorsqu’il s’agit d’un retrait de l’autorité parentale à l’égard des deux
parents, l’enfant est confié provisoirement à une personne proche c’est-à-dire à un parent
ou à un ami proche qui peut assurer la protection et sa prise en charge d. Cette prise en
charge se limite uniquement à effectuer les actes usuels relatifs à l’éducation et à la
surveillance de l’enfant 1043.
1238. Les parents conservent pendant cette période leur droit d’entretenir des relations
personnelles avec leur enfant selon les modalités établies par le tribunal en attendant la
désignation d’un tuteur qui peut être sous trois formes familiale, sociale ou
administrative.
1040
Il importe de souligner que même lors d’un retrait total de l’autorité parentale, le juge peut prévoir par le billet
d’une disposition expresse du jugement que le parent déchu peut à titre exceptionnel ne pas être dispensé de son
obligation alimentaire à l’égard de l’enfant.
1041
Conseil d’Etat, 4 décembre, 2009, req., n° 309004, cité in Le rapport de l’observatoire national de la protection de
l’enfance, Octobre 2018, p. 22.
1042
Rapport, observatoire nationale de la protection de l’enfance.
1043
Annie BOUYS, Alain VOGELWEITH, Autorité parentale et aide sociale à l’enfance, dans Enfances & psy, 2003/2,
n° 22, pp. 38-44. Disponible sur : www.cairn.fr.
509
La première se présente sous forme de « tutelle qui s’ouvre lorsque le père et la mère
sont deux décédés ou se trouvent privés de l’exercice de l’autorité parentale » Elle permet
de désigner un tuteur parmi les membres les plus proches de la famille et un subrogé
tuteur qui seront tenu d’exercer l’ensemble des droits et des devoirs de l’autorité
parentale sous la surveillance du juge1044.Toutefois, lorsqu’il s’agit d’une déchéance
partielle d’autorité parentale, la question est encore plus complexe dans la mesure où le
parent conserve la titularisé et l’exercice de tous ses droits non retirés par le juge.
1239. Par ailleurs, en absence d’une possibilité de désignation d’une tutelle familiale, le
juge confie l’enfant au service d’aide sociale de l’enfance (ASE). Il faut différencier
entre l’enfant dont le parent conserve partiellement des droits sur lui , il y aura alors un
partage d’autorité parentale entre le parent et le service qui attribue souvent les droits et
les devoirs relatifs à l’éducation et à la protection permettant au parent de conserver
uniquement son droit relatif au consentement au mariage de l’enfant, de son émancipation
ou encore de son adoption. Tandis que, lorsqu’il s’agit de retrait total de l’autorité
parentale, l’enfant est confié à l’ASE en qualité de pupille de l’Etat dont le préfet exerce
la fonction de tuteur avec l’intervention du conseil de famille.
1240. Toutefois, le placement de l’enfant doit être dans toutes les situations précitées
répondre à son intérêt en protégeant son droit à une vie familiale à travers la préservation
du droit de visite du parent et la limitation dans le temps de cet emplacement faisant de
son retour dans son foyer familial l’objectif principal. C’est dans ce sens que la cour
européenne des droits de l’Homme effectue un contrôle quant au respect notamment de
l’article 8-1 de la CEDH relatif au respect de la vie familiale. La cour veille donc à
limiter restriction ou limitation de droit de visite risque d’amputer sur les relations entre
le parent et son enfant et de compromettre toute facilité et toute aide de rétablir et de
renforcer les liens familiaux entre les personnes concernées afin de surmonter les
difficultés1045. Ainsi, dans ce sens, tout droit de visite fait aujourd’hui l’objet d’un
contrôle avec prudence que ce soit par la jurisprudence européenne ou nationale
notamment de la Cour de cassation qui vise dans l’ensemble à établir une effectivité des
visites ou encore à imposer aux juges de définir l’ensemble des modalités du droit de
visite en refusant toute délégation aux services sociaux1046.
1241. Cependant, pour Madame Claire NEIRINCK, la modification apportée par la loi du
5 mars 2007 a permis de créer une certaine difficulté lorsque le juge des enfants fixe « la
fréquence et la nature des droits de visites accordées aux parents, néanmoins il peut
laisser la possibilité aux deux parties (le parent et le service ou l’établissement) de
décider conjointement de l’ensemble des conditions de cet exercice. Ce qui semble être
difficile et met en difficulté la possibilité de mettre en accord le parent et celui à qui
l’enfant est confié »1047. De plus, une autre limite peut être soulevée par rapport à ce droit
qui a pour objectif le maintien et le renforcement des relations entre le parent et l’enfant,
c’es quand il est considéré amputé lors des visites médiatisées.
1044
Il convient tout de même de convier un conseil de famille lorsqu’il est question de consentir un mariage, de
l’émancipation de l’enfant et de son adoption.
1045
CEDH, 1er juillet 2004, Couillard Maugery c. France, RAJIS-JDJ, janvier 2005, p. 56, cité par Claire NEIRINCK,
Placer l’enfant : Pourquoi ?, Association jeunesse et droit, journal du droit des jeunes, 2012/1, n° 311, p. 54.
1046
Ibid., p. 53.
1047
Id, ibid.
510
La loi du 5 mars 2007 avait validé l’adoption des visites organisées avec la présence d’un
tiers désigné par le service ou l’établissement à qui l’enfant est confié. Cette mesure est
en principe un élément visant à protéger l’enfant de tout danger physique ou
psychologique. Toutefois, sa pratique ampute le droit de visite en limitant la possibilité
d’une reprise de vie familiale suite au cadre et aux conditions de son exercice notamment
la suppression de la possibilité à l’enfant d’être accueilli chez le parent, ou encore
l’absence d’intimité surtout que le rôle du tiers n’est pas précisé par la loi 1048.
1242. Dans le même ordre d’idées, il semble évident que les conséquences de tout
éloignement de l’enfant de son parent doit répondre à une prise en considération
primordiale de son intérêt .En France, ce dernier représente de plus en plus le repère de
toutes les mesures prises dans l’objectif de protéger l’enfant lorsqu’une déchéance
d’autorité parentale prend lieu à l’égard de l’un ou des deux parents.
1243. Contrairement à cette perception développée qui prévoit toute une réglementation
législative dans l’objectif de protéger l’intérêt de l’enfant, le droit marocain quant à lui ne
s’est pas encore détaché du modèle familial traditionnel, qui comme nous l’avons précisé
antérieurement, adopte une perception spécifique de l’institution de la garde.
En effet, la question de l’éloignement de l’enfant de l’un ou des deux parents n’est pas
traité de la même manière, puisque le législateur se confronte à traiter la question au
niveau des deux institutions notamment la garde et la tutelle légale.
1244. Ainsi, la garde est confiée dans un premier temps à la mère qui doit répondre à
des conditions physiques et morales dont celles relatives à la religion, au remariage et sa
à la capacité physique. Toutefois, lorsque cette dernière se retrouve déchue de son rôle, le
législateur établit une liste précise évoquant les personnes à l’égard de qui l’enfant peut
être confié. Cette dévolution de la garde répondant à un ordre de priorité, prévoit dans
son article 171 du Code de la famille que « la garde est confiée en premier lieu à la mère,
puis au père, et puis à la grand-mère maternelle de l’enfant. ». Cette disposition répond
fidèlement à la pratique traditionnelle du droit musulman et plus précisément de l’école
malékite qui adopte explicitement la règle du passage systématique de la garde de la mère
à « ses ascendantes, la plus proche en excluant la plus éloignée ».
Cet alignement privilégie même les tantes maternelles et paternelles de la mère qui
précédent les ascendantes du père1049.Un principe qui reflète le sens même de l’attribution
de la garde prioritairement à la mère considérant qu’elle entreprend un rapport de
tendresse innée avec son enfant qui se transmet systématiquement aux femmes de sa
famille.
1245. Cependant, dans son processus de modernisation, le législateur marocain a tenté
d’intégrer d’une manière explicite le principe de l’intérêt de l’enfant en accordant au
tribunal un libre pouvoir d’appréciation de décider quelle personne peut assurer la
protection de l’enfant en précisant qu’à défaut de la mère et de la grand-mère il revient au
tribunal de décider « en fonction des présomptions dont il dispose, et toujours dans
l’intérêt de l’enfant, d’attribuer la garde à l’un des proches parents les plus aptes à
l’assumer ».
1048
Ibid., p. 54.
1049
Dina CHARIF FELLER, op. cit., p. 159.
511
Toutefois, dans la pratique cette liberté d’appréciation accordée au juge est souvent
appliquée d’une manière traditionnelle sauvegardant la perception du droit musulman qui
privilégie le placement de l’enfant dans la famille maternelle.
1246. Néanmoins, le législateur fixe quelques règles jugées indispensables afin de
protéger l’intérêt de l’enfant lors de son placement en soulignant que le tribunal
« ordonne que soit assuré un logement décent à l’enfant soumis à la garde, au même titre
que les autres obligations découlant de la pension alimentaire ». Dans le même sens, le
législateur va encore plus loin en prévoyant que dans l’objectif de protéger l’intérêt de
l’enfant, le tribunal peut faire appel aux services d’une assistante sociale pour établir un
rapport précisant les conditions de l’endroit où l’enfant est confié en garde. Elles
doivent répondre aux besoins matériaux et moraux de l’enfant 1050 En plus la personne
assurant la garde doit être honnête et doit veiller à l’éducation, la scolarisation et la
religion de l’enfant 1051.
1247. Par ailleurs, en droit marocain la spécificité de l’institution de l’autorité parentale et
la séparation entre l’institution de la garde et celle de la tutelle légale permet de soulever
de nouvelles observations relatives aux différentes situations dans lesquelles le droit de la
tutelle légale est assuré principalement par le père. En effet, lorsque la mère perd la
garde, le droit marocain la confie d’abord au père qui devient le gardien et le tuteur.
Toutefois, lorsque les deux parents n’assurent pas la garde selon les conditions prévues
par la loi, et lorsqu’elle est confiée à une autre personne, le père demeure titulaire de la
tutelle lui permettant d’avoir des droits sur la personne et les biens de l’enfant.
1248. Autrement-dit, lorsqu’il est question uniquement de la déchéance de la garde à
l’égard de la mère, le père conserve son statut de tuteur légal et c’est à lui que revient la
prise de toutes les décisions relatives à l’enfant. Ceci limite les droits accordés à la
personne exerçant la garde. Ainsi, le législateur de 2004 semble resté en conformité avec
le fiqh en matière de la tutelle légale, en admettant que le père est prioritairement
considéré comme la personne qui exerce la (wilaya) sur la personne et les biens de
l’enfant. Il conserve fidèlement les principes du droit musulman qui s’illustrent en trois
sortes de tutelle : légale, testamentaire désignée par le père ou la mère et dative
accordant au juge le rôle d’un organe de contrôle 1052.
1249. Le législateur de 2004 n’établit pas d’une manière explicite les raisons pour
lesquelles le père peut être déchu de son droit de tutelle légale sur ses enfants. Ainsi dans
son article 236, le législateur prévoit que « le père possède le droit de tuteur légal de ses
enfants, tant qu’il n’a pas été déchu de cette tutelle par un jugement… ». Cette absence
de précision quant aux éléments permettant au juge de déchoir le père de son droit de
tutelle permet d’affirmer que le législateur vise à renforcer le pouvoir d’appréciation du
juge lui permettant de juger en fonction de chaque cas et en fonction de la situation de
chaque famille.
1050
Article 172, Code de la famille.
1051
Article 173, Code de la famille.
1052
M. André COLOMER, La tutelle des mineurs dans la Moudawwana ou code du statut personnel marocain, in
Revue internationale de droit comparé, Vol. 13 n° 2, Avril-juin 1961, pp 327-337.
512
Ainsi, cette liberté permet au juge de désigner un tuteur qui peut être la même personne à
qui la garde est confiée. Il doit néanmoins jouir de la pleine capacité, être diligent, résolu
et honnête1053.Par ailleurs, cette liberté d’appréciation est accordée au juge en matière de
placement de l’enfant suite à une déchéance de garde ou de tutelle de ses parents à son
égard dans l’objectif de le protéger. En réalité le juge se trouve souvent confronté à
l’obligation de placer l’enfant au sein de sa famille maternelle même si elle n’est pas
considérée comme sa meilleure protectrice. En effet, le manque de structures de la
protection de l’enfance oblige le juge de prendre en considération la réalité et de
privilégier le choix le plus bénéfique à l’enfant ; c'est dans ce sens que le juge marocain
ne privilégie pas la question de la déchéance
1250. Dans les sociétés développées tel que la France, l’individualisation des droits au
sein de la société et de la famille en particulier, a permis l’évolution de l’attribution et
l’exercice de l’autorité parentale. En effet, le passage « d’une égalité parentale à la
coparentalité, des droits de l’enfant à l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’égalité entre
enfants à un droit commun de l’autorité parentale »1054 a abouti aujourd’hui à une
attribution et un exercice conjoint de l’autorité parentale entre le père et la mère, c’est-à-
dire que les deux parents sont à égalité de droits et de devoirs à l’égard de l’enfant, sans
aucune différenciation liée à leur statut marital1055. L’affirmation de cette égalité n’est
pas aussi simple et claire qu’elle peut paraître dans la mesure où elle ne reflète pas
réellement le sens et le genre de cette égalité : Est-elle une sorte d’accord entre le père et
la mère ? Est-elle un partage de prise de décision entre eux sur toutes les questions qui
concernent l’enfant, ou une complémentarité entre les deux parents dans l’intérêt de
l’enfant ? Les trois questions permettent d’établir un constat à une seule affirmation qui
est la participation mutuelle et conjointe des deux parents visant la prise en charge de
l’enfant d’une manière égale dans toute complémentarité afin que son intérêt soit
protégé.
1251. C’est dans ce sens que les droits et les devoirs reconnus par la loi à l’égard des
parents sont aujourd’hui déployés dans l’intérêt de l’enfant, dépassant toute prérogative
subjective et individuelle dans la mesure où « la notion de l’intérêt de l’enfant constitue
la pierre angulaire de l’autorité parentale : elle en est la condition, le critère, la mesure
et la fin »1056. Par ailleurs, comme nous l’avons développé antérieurement, le caractère
large et souple du concept de l’intérêt de l’enfant permettant toute possibilité
d’appréciation dont celle des parents, se trouve face à une difficulté d’exercice de
l’autorité parentale entre le travail et le contrôle qui permettent de mener un équilibre au
sein de cet exercice.
1053
Article 246, Code de la famille marocain.
1054
Philipe MALAURIE et Hugues FULCHIRON, op. cit., pp. 594-598.
1055
Guy RAYMOND, L’autorité parentale sous contrôle ?, Enfances & Psy, 2003/ 2, n° 22.
1056
Ibidem, p. 596.
513
Toutefois, suite à l’évolution de tous les éléments précités, cet exercice se trouve
aujourd’hui sous la pression de l’évolution continue des droits de l’enfant, du rôle de
contrôle exercé par l’Etat, de la prise en considération progressive et générale de l’intérêt
supérieur de l’enfant, et de la matérialisation des éléments constitutifs de ce principe.
1252. Cette position n’a pas toujours été adoptée. D’abord en France, cette intervention
faisait partie de l’exception dans la mesure où les juges ont plutôt fixé sur le fondement
de la faute aboutissant au divorce. Ainsi, la loi du 4 juin 1970 prévoyait à travers
l’article 372-1 qu’en cas de désaccord entre les deux parents quant à l’intérêt de l’enfant,
ou lorsqu’il s’agit d’une pratique antérieure du couple, le parent le plus diligent pourrait
ainsi saisir le juge pour enfant afin qu’il puisse statuer sur cet exercice.
De plus, à ce stade une tentative de conciliation visant les époux est entamée et en cas
d’échec, les époux restaient toujours unis par le lien du mariage en ayant la possibilité
d’obtenir une résidence séparée qui trouvait sa référence dans l’article 215 de l’ancien
code civil, ou aussi permettre une séparation de fait 1057 sans conséquences sur l’exercice
de l’autorité parentale permettant le recours au juge des tutelles dans l’objectif de fixer
les modalités de la garde entre les deux parents.
1253. Cette situation va connaître une évolution progressive vers un exercice conjoint de
l’autorité parentale d’abord suite aux nombreux litiges relatifs à l’exclusion des pères de
la vie de l’enfant, puis au développement de la famille naturelle et des parents divorcés
pour qui l’élargissement de l’exercice en commun était devenu possible. C’est dans ce
sens que l’évolution juridique a permis l’adoption de l’exercice conjoint de l’autorité
parentale en ignorant progressivement la question de l’entente préalable des époux.
L’exercice commun devenait alors le principe et son écartement dépend uniquement de la
prise en considération de l’intérêt de l’enfant et donc il n’était plus question de recueillir
l’avis des parents sur cet exercice commun. Toutefois, l’exercice commun de l’autorité
parentale n’a pas été systématique pour les familles naturelles, dans la mesure où l’article
374 alinéa 2 du Code civil issu de la loi du 4 juin 1970 permettait aux parents naturels
d’élaborer une demande d’exercice commun de l’autorité parentale sans en faire une
obligation. La loi MALHURET 1058 a également renforcé cette possibilité en offrant aux
parents d’élaborer une simple déclaration devant le juge des tutelles afin d’exercer
conjointement une autorité parentale sur la personne de l’enfant né hors mariage. Ainsi, il
a fallu attendre la réforme de 2002 afin de renforcer l’exercice commun de l’autorité
parentale pour les parents qui ne sont pas mariés et de pouvoir généraliser l’obligation de
leur engagement (sauf cas d’exception) dans l’exercice commun de l’autorité parentale.
En droit marocain, malgré qu’elle soit récente, la concrétisation de l’intégration du
principe de l’intérêt de l’enfant, de sa garde (hadana) et de la tutelle légale ont
également permis de marquer une évolution en matière d’attribution et d’exercice de cette
institution malgré qu’elle soit dotée d’une spécificité quant à la question d’égalité des
droits et des devoirs des parents à l’égard de leur enfant.
1057
T. FOSSIER, L’intervention du juge des tutelles dans la séparation de fait de parents légitimes, JCP, G, I, 1987,
3291, cité par Diyae SFENDLA, thèse, op., cit., p. 415.
1058
Loi n° 87-570 du 22 juillet, 1987 sur l’exercice de l’autorité parentale.
514
1254. La question de l’exercice de l’autorité parentale dans les deux systèmes juridiques,
vise principalement comme objectif à permettre à l’enfant de grandir et d’évoluer dans un
environnement sain exigeant aux parents d’exercer leur fonction d’autorité parentale
dans le respect de sa personne. En effet, la question de l’environnement sain se réfère
dans un premier temps à l’environnement familial qui renvoie systématiquement à la
responsabilité principale des parents ou des représentants légaux d’élever l’enfant et
d’assurer son développement.
La garantie de cet environnement familial sain doit être la priorité des parents lors de
leur union ou de leur séparation. D’ailleurs, c’est en se référant à cet environnement que
les juges fondent leur décisions quant aux modalités d’exercice de l’autorité parentale;
des décisions trouvant également un renforcement dans l’article 18-1 de la CIDE qui
prévoit que « les Etats parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du
principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est
d’élever l’enfant et d’assurer son développement ».
Ceci renvoie systématiquement à l’environnement parental qui doit répondre à une prise
en considération de l’intérêt de l’enfant. En effet, c’est à la recherche d’une garantie de
développement de l’enfant dans un environnement sain et dans un cadre stable, que
l’autorité parentale (Paragraphe 1)
ne cesse de s’élargir sur d’autres règles, notamment celles relatives au déplacement
illicite des enfants devenant aujourd’hui un nouveau champ de concrétisation de l’intérêt
supérieur de l’enfant (Paragraphe 2).
1255. Dans les deux systèmes juridiques, l’autorité parentale est désormais définie
comme étant une fonction qui vise à protéger la sécurité, la santé et la moralité de
l’enfant. L’objectif de cette fonction est celui d’éduquer et de veiller sur le
développement de la personne de l’enfant tout en respectant son droit d’être associé aux
décisions qui le concerne selon son âge et son degré de maturité. Par ailleurs, l’évolution
de cette fonction attribuée aux parents ne se limite pas aux autorisations et aux décisions,
mais elle se traduit désormais par des actions concrètes et par l’implication des parents
dans la vie de leur enfant à travers les différents domaines de développement de ce
dernier.
1256. En France la loi du 4 mars 2002 établit un droit commun de l’autorité parentale
permettant de regrouper l’ensemble des règles relatives à l’exercice de l’autorité parentale
en adoptant une nouvelle perception égalitaire permettant à tous les enfants de bénéficier
des mêmes droits quelques soient les circonstances de la naissance de l’enfant et à tous
les parents quelques soient le statut de leur couple. C’est ainsi que l’article 287 qui pose
le principe d’un exercice commun des parents est fondé uniquement sur le lien de
filiation1059. Autrement dit, à partir du moment de la reconnaissance de l’enfant par les
deux parents, ces derniers sont tenus d’exercer conjointement l’autorité parentale, sauf
1059
Solène PELLETIER, Les exercices de l’autorité parentale, in Journal du droit des jeunes, 2003/9, n° 229.
Dans ce sens, il importe de souligner qu’avant l’adoption de cette égalité d’exercice de l’autorité parentale sans aucune
prise en considération du statut marital des parents ou des circonstances de naissance de l’enfant, le législateur français
exigeait l’existence d’un ensemble de preuve de la vie commune des parents.
515
dans les cas d’exception qui sont prévus par l’article 372 du code prévoyant que
l’exercice de l’autorité parentale est exercé par l’un des parents lorsque « la filiation est
établie à l’égard d’un seul parent après la première année de naissance de l’enfant dont
la filiation est établie à l’égard de l’autre parent, qui reste le seul investi dans cet
exercice, lorsque la filiation est judiciairement déclarée à l’égard du second parent.
Néanmoins, elle peut être exercée en commun en cas de déclaration conjointe du père et
de la mère adressée au directeur des services de greffe judiciaires du tribunal judiciaire
ou sur décision du juge aux affaires familiales ». De ceci, il semble évident que la règle
en matière d’exercice de l’autorité parentale est celle de l’accord commun des parents et
de la coparentalité : l’exercice unilatéral n’est qu’une exception.
Toutefois, dans les deux cas de figure et malgré la prudence du législateur à protéger
l’intérêt de l’enfant à travers l’exercice commun de l’autorité parentale, nombreuses sont
les difficultés relatives à une coparentalité non respectée suite à la séparation des parents.
1257. Dans le même ordre d’idées, en se référant à ces difficultés relatives à l’exercice
de l’autorité parentale, que le législateur marocain a peiné à prendre en considération
l’intérêt supérieur de l’enfant malgré l’introduction de la protection exprimée par l’article
54 posant l’ensemble des principes protecteurs à son égard pendant l’exercice de
l’autorité parentale. Cela impose aux parents de veiller à la préservation de l’identité de
l’enfant, à sa santé, à la garantie de 1060 sa filiation, à sa garde ainsi qu’à sa pension
alimentaire. De même il faut préserver son intégrité physique et psychologique, garantir
et assurer son enseignement et sa formation en s’adaptant à son aptitude physique et
intellectuelle et enfin lui assurer une orientation religieuse et une transmission des règles
de la bonne conduite. Ainsi, cette disposition est considérée comme la première intention
particulière du législateur à l’égard de l’enfant soulignant le rôle attribué aux deux
parents et concrétisant leurs fonctions en créant de nouveaux rapports entre les parents et
l’enfant1061. Toutefois, le respect des modalités de la réalisation de cette disposition se
trouve souvent éparpillé entre le droit de garde attribuée à la mère et l’attribution de la
tutelle légale à l’égard du père qui offre à ce dernier le monopole de tous les actes relatifs
à l’enfant, tout en conservant l’obligation des deux parents de répondre aux obligations
prévues dans l’article 54 du Code de la famille. Pour les deux systèmes juridiques, la
recherche de l’établissement d’un exercice d’autorité parentale conjoint vise
principalement à garantir l’intérêt de l’enfant à vivre dans un environnement sain lui
permettant d’abord d’entretenir des relations avec ses deux parents puis de leur demander
de respecter leurs engagements sur le niveau matériel ou moral.
1061
Il importe de souligner que le législateur a conféré pour la première fois une protection particulière à l’enfant
handicapé à travers la consécration d’une protection spécifique à son égard en prévoyant une adaptation spécifique à
l’enfant en matière d’enseignement et de formation.
516
A- Une garantie d’évolution de l’enfant dans un environnement sain.
1062
Francoise. DEKEUWER-DEFOSSEZ, Rénover le droit de la famille. Propositions pour un droit adapté aux réalités
et aux aspirations de notre temps, Rapport au garde des sceaux, ministre de la justice, la documentation française, nov.,
1999, p. 74, cité par Diaa SFENDLA, thèse, op. cit., p. 414.
517
1261. En effet, en France l’aménagement des modalités de l’exercice de l’autorité
parentale est confié au juge des affaires familiales (JAF) En l’absence d’un accord
commun des parents, ce dernier élabore son appréciation afin d’homologuer1063 un accord
parental permettant le respect des droits de toutes les parties et faisant de l’intérêt de
l’enfant comme objectif principal. Le juge se présente donc comme étant le garant du
double lien parental à travers toutes les mesures dont il est appelé à prendre et à respecter
dans l’objectif d’assurer « l’effectivité du maintien des liens entre l’enfant et ses
parents », en obligeant chacun des parents à respecter le droit de l’autre et à maintenir
une relation avec l’enfant préservant son intérêt.
1262. De même pour le législateur marocain qui définit le rôle du tribunal dans l’article
182 prévoyant qu’en cas de désaccord, ce dernier fixe toutes les modalités relatives à
l’exercice de cette autorité parentale qui s’illustre principalement dans la tutelle légale
mais également dans les devoirs des deux parents à l’égard de l’enfant.
En outre, dans les deux systèmes juridiques, lorsqu’il est question d’un désaccord entre
les parents sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge ou le tribunal est
principalement en quête de l’intérêt de l’enfant à travers des éléments qui permettent de
garantir à ce dernier un environnement sain où l’épanouissement de sa personne est le
seul objectif.
En effet, cet environnement sain renvoie d’une manière systématique à la stabilité de
l’enfant basée sur les repères d’ordre affectif, spatial ou encore temporel dans la mesure
où ils représentent l’élément fondamental de toute prise de décision par le juge en
matière d’exercice d’autorité parentale puisqu’ils constituent des critères de décisions
dans l’intérêt de l’enfant.
1263. Ainsi, ces critères sont intégrés dans les textes juridiques d’une manière non
détaillée, dans la mesure où toute référence à ces critères est plutôt visée sur la prise en
considération de la protection physique et psychologique de l’enfant sans pour autant
adopter des textes internes ou internationaux qui les évoquent d’une manière explicite.
Toutefois, ce sont les juges qui ont fait de ces éléments des critères de décisions dans
l’ensemble des affaires relatives à l’exercice de l’autorité parentale, notamment lorsqu’il
s’agit des précisions de ces repères tel que l’éloignement de l’enfant de son milieu où il
est scolarisé ou de l’endroit ou encore de l’éloigner de l’un de ses parents. D’ailleurs,
c’est dans ce sens que la première chambre civile de la cour de cassation avait rendu une
décision le 19 novembre 2009 en précisant que « les enfants ont tous leurs repères
matériels et affectifs en France »1064, ou encore dans une autre décision évoquant le
repère affectif de l’enfant à ses parents. La Cour d’appel de Lyon avait décidé dans un
arrêt du 12 mars 2012 que « l’intérêt supérieur de l’enfant en bas âge était de retrouver
ses repères auprès de sa mère »1065.
1063
Article 373-2-7 du Code civil.
1064
Cass. 1er civ., 19 nov. 2009, inédit, pourvoi n° 09-68179 ; D. 2010. Pan. 1904, obs. A. GOUTTENOIRE ; P. Murat,
Dr. Fam. 2010, comm. 2
1065
Cour d’appel Lyon, 12 mars 2012, n° de RG 11/01093.
518
C’est la position adoptée par la jurisprudence marocaine qui, dans un jugement rendu par
la Cour suprême le 05 avril 2016, a refusé la déchéance de la garde à une mère précisant
que « les enfants ont déjà leurs repères notamment l’habitation et la scolarisation dans le
pays où réside la mère » et donc considérant que l’intérêt de l’enfant est fondé sur ces
éléments de repères1066.
1264. En outre, c’est dans ce sens que l’importance accordée au maintien des liens entre
l’enfant et ses deux parents n’est pas insignifiante. En effet, ce maintien des liens
représente un élément fondateur de l’environnement familial que l’enfant doit conserver
malgré la séparation de ses deux parents. Pour l’enfant, le maintien de ces liens
représente une source d’atténuation de la souffrance qu’il peut vivre suite à la séparation
de ses parents. Cette séparation qui le met face à une double difficulté, d’abord face à la
perte du couple de ses parents puis à son obligation de s’adapter à un changement rapide
dépendant d’une nouvelle situation qui l’oblige à vivre avec l’un de ses parents ou à être
en garde alternée et subir toutes les conséquences de ce changement pouvant être brutal
pour lui notamment s’il est en bas-âge1067. Pour la psychologue Carole MANCHANT,
cette perturbation subite par l’enfant est principalement due à l’attachement qu’il ressent
à l’égard de ses parents, qui lui procurent, une fois ensemble, le sentiment de la sécurité
puisqu’il comprend qu’il est toujours dépendant d‘eux sans penser à leur rupture ou à
être séparé de l’un d’entre eux puisque pour lui cela signifie une menace à son intégrité
physique et psychologique sauf lorsqu’il est question de violence conjugale où l’enfant
est le déclencheur de la séparation1068.
1265. Ainsi, l’enfant conserve de toute séparation, le sentiment de la menace et de
l’inquiétude qu’il doit gérer mais doit également faire le deuil de cette relation commune
qui existait à trois en contrôlant tous ses sentiments selon son âge, sa maturité et sa
capacité de compréhension de son entourage. C’est dans ce cadre que le maintien des
relations parents-enfants se présente comme un élément assouplissant les conséquences
subites par l’enfant suite à la séparation, afin de lui éviter le sentiment d’insécurité, le
sentiment dépressif, le trouble de sommeil ou la perte de confiance en soi et aux adultes.
Par ailleurs, l’importance accordée à ce maintien des relations entre l’enfant et ses
parents, se traduit pratiquement et systématiquement à travers la question de la résidence
de l’enfant. En effet, suite à la séparation des parents il devient question de choisir entre
une résidence habituelle chez l’un des parents ou une résidence alternée.
1266. Les perceptions en la matière divergent dans la mesure où la prise en considération
de l’intérêt de l’enfant en matière de résidence dépend de son environnement et de la
stabilité qui peut lui être procurée. En effet, la recherche de cette stabilité figure dans
l’ensemble des repères de l’enfant qui visent et permettent son orientation dans le temps
et dans l’espace, il importe donc de maintenir ses repères et ses habitudes au détriment
des décisions ou des envies parentales.
1066
Décision n° 303, Dossier n° 979/2/1/2015, rendue le 05 avril 2016.
1067
Carole MONCHANT, Les liens parents-enfants à l’épreuve de la séparation : regards croisés, in l’enfant à
l’épreuve de la séparation parentale, sous la direction de Laëtitia ANTONINI-COCHIN et Marie-cécile LASSERRE,
l’harmattan, 2019, p. 97.
1068
Ibid, p. 100.
519
En France, le modèle familial adopté repose sur le principe d’un maintien de
coparentalité dans toutes les situations. C’est ’à travers la loi du 4 mars 2002 que le
législateur a permis au juge la possibilité d’ordonner la résidence alternée en cas de
séparation dans l’objectif de favoriser et conserver le maintien des relations de l’enfant
avec ses deux parents.
1267. Toutefois, cette réforme vient apporter un assouplissement à la jurisprudence qui,
avant cette loi n’était pas favorable à l’admission de la résidence alternée de l’enfant 1069.
La loi de 2002 a donc adopté une nouvelle perception du rôle et de la place du père qui
été souvent dévalorisée dans la question de sa participation à l’éducation de l’enfant,
tentant ainsi de replacer son rôle dans la vie de l’enfant.
Cette loi va donc souligner le droit et le devoir des deux parents à assurer leur rôle dont la
référence principale est celle prévue par la CIDE à travers les articles 7, 9 et 18 qui
prévoient que l’enfant a le droit d’être élevé par ses deux parents, que les Etats parties
sont tenus à respecter ce droit sauf si l’intérêt supérieur de l’enfant exige le contraire et
que les deux parents s’engagent à assurer la reconnaissance du principe selon lequel ils
ont une responsabilité commune pour élever l’enfant et assurer son développement ».
En adoptant la possibilité d’une résidence alternée en cas de séparation, le législateur a
souhaité d’abord renforcer l’égalité entre les parents en matière d’autorité parentale
malgré qu’elle ne soit pas systématique suite à l’exercice conjoint de l’autorité parentale
puisque le partage égalitaire de l’hébergement n’est pas considéré comme une
obligation1070et dans certaines situations elle ne répond pas à la réalité du vécu parental
dans la mesure où l’alternance de l’enfant entre deux domiciles peut perturber sa stabilité.
1268. Toutefois, si la résidence alternée reflète l’objectif de protéger l’égalité des parents
dans l’exercice de l’autorité parentale et l’intérêt de l’enfant dans le maintien des
relations avec ses parents, certaines réflexions remettent en cause la prise en
considération de l’intérêt de l’enfant. D’ailleurs, le législateur évoque la question de la
garde alternée dans l’article 373-2-9 alinéa 2 « qu’à la demande de l’un des parents ou en
cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l’enfant, le juge peut ordonner à
titre provisoire une résidence en alternance dont il détermine la durée. Au terme de celle-
ci, le juge statue définitivement sur la résidence de l’enfant en alternance au domicile de
chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux ». Ainsi, cette disposition, qui n’évoque
pas explicitement l’intérêt de l’enfant mais qui laisse entendre que l’objectif principal est
celui de la protection de l’intérêt de l’enfant, est discutée dans la mesure où la question de
l’unification de l’exercice de l’autorité parentale peut paraître comme une
instrumentalisation de la question de la résidence de l’enfant ne représentant pas un foyer
d’unification de l’exercice de l’autorité parentale alors que les décisions relatives à la
résidence alternée doivent être prises en fonction de chaque 1071.
1069
Les juges de fond voyaient dans la résidence alternée une sorte de perturbation de la stabilité de l’enfant.
1070
Cass. Civ. 1ère, 25 avr. 2007, Rev. Dr. Fam, 2007, comm. 143, note par. Pierre MURAT.
1071
Thèse, Diae SFENDLA, thèse, op. cit., p. 423.
520
1269. Toutefois, le législateur affirme, à travers la réforme de 2002, que l’attribution de
la garde alternée est un reflet systématique de l’individualisation des droits et de l’égalité
des parents dans l’exercice de cette autorité en considérant que ces éléments sont
considérés supérieurs à une perception traditionnelle de la famille et de l’exercice de
l’autorité parentale.
De la même manière, cette vision est consolidée par les mesures financières qui
favorisent ce mode de résidence, et qui sont adoptées notamment en matière de partage
des allocations familiales prévu dans les articles L521-2 et R 521-2 du Code de la
sécurité sociale ; les aides aux logements qui sont attribuées à chacun des parents ou à
l’enfant effectuent la résidence en alternance considérant que chaque foyer est un foyer à
part pour l’enfant 1072.
Cependant, malgré que la loi permette depuis 2002 d’exercer la résidence alternée, cette
dernière représente selon les statistiques du ministère de la justice 12% en 2020 donc
480.000 des enfants partagent d’une manière égale la résidence entre les deux domiciles
de leurs parents1073. Un taux, bien que élevé par rapports aux années précédentes,
demeure très limité sous différents éléments. Il s’agit d’une limite sociale se manifestant
dans l’investissement des deux parents dans la sphère professionnelle qui influence et
joue un rôle déterminant dans la mise en place de cette modalité d’exercice. De plus,
malgré l’engagement des femmes dans le milieu professionnel et leur indépendance
financière, nombreuses sont celles qui s’investissent d’une manière plus importante dans
l’exercice de l’autorité parentale et conservent encore plus la perception traditionnelle
visant à attribuer la garde de l’enfant principalement à la mère bien que l’exercice de
l’autorité parentale soit attribué aux deux parents.
Ainsi, il semble évident que le principe de l’intérêt de l’enfant représente le moteur de la
modalité d’exercice de l’autorité parentale. Son caractère mou permet ici d’adopter et de
percevoir les deux perceptions différentes de son intérêt tantôt en le considérant dans la
résidence alternée lui permettant d’entretenir des relations incessantes d’une manière
égale avec ses deux parents, tantôt en recherchant son environnement familial sain à
travers sa stabilité.
1270. En droit marocain, la perception de l’environnement sain ne répond pas d’une
manière identique à celle adoptée par le droit français. En effet, le législateur marocain a
choisi d’adopter une perception spécifique à l’autorité parentale en la divisant entre la
garde principalement attribuée à la mère et la tutelle légale attribuée au père. Cette
différenciation aboutit systématiquement à un exercice différent de l’autorité parentale et
donc à une application très limitée de l’article 7 de la CIDE qui incite à ce que « l’enfant
soit éduqué par ses deux parents ».
1072
Cass. Civ. 2ème ch. 30 mars 2017, n° 161372, à la règle des attributions financières partagées, les prestations
sociales font exception dans la mesure où il y a qu’un seul allocataire unique qui peut les percevoir.
1073
Etude de l’institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), publiée le 3 mars 2021.
Cette étude souligne que les différences sociales et professionnelles des milieux familiaux sont significatifs, dans la
mesure où les parents dont l’enfant réside en alternance entre eux sont davantage diplômés et plus souvent en emploi
(dont 57% sont cadres ou exerçant des professions intermédiaires).
521
Dans la réforme menée en 2004, le législateur évoque dans le chapitre relatif à la garde
que la personne chargée de la garde doit dans la mesure du possible « prendre toutes les
dispositions nécessaires à la préservation et à la sécurité, tant physique que morale, de
l’enfant soumis à la garde, et de veiller à ses intérêts en cas d’absence de son
représentant légal et, en cas de nécessité, si les intérêts de l’enfant risquent d’être
compromis ».
1271. En effet, cette préservation physique et notamment psychologique dissimule d’une
manière indirecte le rôle de la personne assumant la garde de protéger l’enfant et de lui
garantir un environnement familial sain. Toutefois, cet environnement ne peut être
concrétisé sans l’existence et le rôle assumé par l’autre parent. Ainsi, comme nous
l’avons précisé, le droit marocain accorde principalement le droit de la garde à la mère
c’est-à-dire que sa résidence principale est celle de la gardienne en éradiquant ou en
ignorant la possibilité d’une résidence alternée. Néanmoins, le législateur de 2004 a
accordé une grande importance et a établi une nouvelle organisation du droit de visite de
l’enfant soumis à la garde.
1272. Le Code de la famille prévoit que la personne qui n’est pas gardienne et qui est
souvent le père, conserve son droit de visite afin de permettre à l’enfant d’entretenir des
relations avec les deux parents. Toutefois, le texte apporte une sorte de modernité à
travers la possibilité offerte dans l’article 181 qui prévoit que « le père et la mère
peuvent convenir, dans un accord, de l’organisation de la visite et la communiquent au
tribunal qui en consigne le contenu dans la décision accordant la garde ». Une modernité
qui renvoie à la possibilité de convenir à un accord commun entre les parents mais qui
conserve la perception traditionnelle en y ajoutant que l’accord doit être réalisé dans le
cadre du droit de visite.
1273. Ainsi, le législateur éloigne encore plus la possibilité d’adopter une résidence
alternée, une perception qui réaffirme son attachement à la vision religieuse musulmane
de l’inexistence d’une coparentalité notamment lorsqu’il s’agit des couples désunis. De
plus, le partage de l’institution de l’autorité parentale entre la garde et la tutelle légale
rend encore plus complexe l’instauration d’une résidence alternée et instaure un partage
de tâches qui consiste à attribuer à la femme la garde habituelle et à l’homme le droit de
visite chaque week-end en principe.
Toutefois, le législateur adopte la possibilité d’intervention du juge afin de protéger
l’intérêt de l’enfant et de lui garantir un environnement sain à travers l’article 183 qui
prévoit que le tribunal veille à ce que l’organisation du droit de visite soit dans le respect
de la personne de l’enfant et lui permet alors l de prendre toutes les mesures nécessaires
dont la modification afin que ce droit de visite ne porte pas préjudice aux deux parties ou
à l’enfant en particulier.
522
1274. Ainsi, en droit marocain le mode d’exercice adopté par le législateur correspond
plus à l’exercice séparé de l’autorité parentale en droit français En effet, ce mode
d’exercice est organisé lorsque l’intérêt de l’enfant le commande. Il signifie
principalement que l’un des parents assume au quotidien la charge de l’enfant et que
l’autre parent dispose d’un droit de visite et d’hébergement (sauf lorsque le juge interdit
l’accès à ce droit au nom de l’intérêt de l’enfant). Ce parent, appelé le parent (gardien)
dispose ainsi de toutes les prérogatives attribuées par le Code civil.
Toutefois, il est toujours tenu d’agir dans le respect du rôle de l’autre parent à savoir
l’informer de tous les événements importants relatifs à la vie de l’enfant, surtout ceux qui
peuvent affecter son droit de visite tel que le changement de domicile 1074.
Par ailleurs, le parent qui dispose d’un droit de visite conserve « son droit et devoir de
surveiller l’entretien et l’éducation de l’enfant. Il doit être informé des choix importants
relatifs à la vie de ce dernier »1075.
1275. Dans les deux systèmes juridiques, la préoccupation du législateur, quant à la
question de l’environnement familial de l’enfant et de l’obligation de lui garantir le droit
d’entretenir des relations avec ses parents malgré la séparation, se manifeste clairement
dans le rôle du juge qui se renforce de plus en plus en la matière. En effet, en France, la
loi de 2002 a explicitement renforcé le rôle du JAF dans les conflits pouvant surgir à
cause de l’exercice de l’autorité parentale. Ainsi l’article 373-2-6 accorde au JAF un
large pouvoir et une compétence partant d’une possibilité de conseiller les parents à
recourir à une médiation afin d’assurer les droits et les devoirs de chacun et de garantir
l’intérêt de l’enfant. Il peut également coordonner les accords établis entre les parents
en matière d’exercice de l’autorité parentale et de veiller à apporter des solutions à tous
les conflits parentaux dans l’appréciation de l’intérêt de l’enfant.
1276. Ce rôle est également renforcé par celui du juge des enfants qui a en plus un rôle
d’assistance éducative notamment lorsque la santé, la sécurité ou la moralité de l’enfant
sont mises en danger suite à un manquement des parents lors de l’exercice de l’autorité
parentale. Dans ce cas, il est appelé à entendre l’enfant et à mener les enquêtes qu’il
estime nécessaires dans l’objectif de décider du placement de l’enfant dans un
établissement ou chez une personne digne de confiance afin de le protéger. De même
pour le juge marocain qui acquière dans la réforme de 2004 un rôle de contrôle beaucoup
plus important se traduisant même dans la pratique judiciaire. Par exemple un jugement,
rendu par la Cour suprême le 16 février 2016, permet la déchéance du droit de la garde de
la mère suite à un non respect des modalités et de l’organisation du droit de visite à
l’égard du père de sa fille en déménageant d’une ville à une autre le privant ainsi
d’entretenir des relations avec son enfant 1076.
1074
Guy RAYMOND, op. cit.
1075
Article 373-2-1, Code civil.
1076
Décision n° 168 dossier n° 717/2/1/2015, rendue le 16 février 2016.
523
B-Une garantie d’évolution de l’enfant dans un cadre stable.
1077
Marie-Christine SEYS, Dans un monde qui bouge, quelles sources de stabilité individuelle ?, in Actualités en
analyse transactionnelle, 2008/4, n° 128.
524
Cette obligation d’entretien, dotée aujourd’hui d’un caractère moral1078, incombe
uniquement aux parents puisqu’elle repose principalement sur le lien de la filiation et de
parenté. Ainsi, même le parent déchu de son autorité parentale, demeure titulaire de son
obligation de participer à l’entretien de son enfant tant que le lien de filiation est établi.
1282. L’obligation d’entretien de l’enfant par ses deux parents représente une pièce
maîtresse de la concrétisation et de l’effectivité du lien de parenté. Elle vise à garantir à
l’enfant une vision d’avenir quant à ses besoins et son éducation et à la préparation de son
avenir1079. C’est en suivant cette perception qu’il est d’abord question de souligner la
différence entre l’obligation d’entretien et l’obligation alimentaire. Cette distinction ne
semble pas évidente puisqu’elle permet d’établir un nombre d’éléments similaires entre
les deux obligations. D’une manière générale, l’obligation d’entretien relève du cadre
général de l’obligation alimentaire en faisant vivre l’enfant; elle est impérative et dépend
des ressources des parents1080.
1283. Cependant, nombreuses sont les différences qui peuvent être soulevées à ce sens
Tout d’abord il est question de la dotation de l’obligation d’entretien par le caractère
d’éducation qui vient élargir son champs de concrétisation dans les rapports entre l’enfant
et son parent. L’obligation d’entretien, à l’opposé à celle alimentaire, est de caractère
unilatérale et non réciproque, c’est-à-dire qu’elle incombe uniquement les parents et non
pas les enfants1081. C’est une charge naturelle qui découle de la paternité et de la
maternité. Elle se concrétise en nature puisqu’elle peut prendre forme même lors de
l’exercice de la vie familiale et enfin elle incombe uniquement les parents sans obliger
les grands-parents à l’assumer même suite au décès de ces derniers 1082.
1284. Cette question d’obligation d’entretien a connu une grande évolution à travers
l’adoption de la loi de 2002 qui a permis la mise en place d’un ensemble de dispositions
visant à cadrer les dispositions de l’ancien régime qui était « partiel et éclaté entre les
devoirs des époux et les effets du divorce »1083. Toutefois, si la question de l’entretien de
l’enfant ne pose pas de problème lors de l’union parentale, néanmoins lors de la
séparation des parents, elle devient source de conflits dont le JAF est tenu d’apporter des
solutions adaptées à chaque situation prenant en considération de nombreux éléments
dont la résidence de l’enfant1084, l’évaluation du coût de son entretien et de son
éducation, la situation financière de chacun des parents, etc.
1285. Cependant, la jurisprudence n’a pas attendu l’évolution législative afin de faire du
principe d’entretenir son enfant une obligation pour les deux parents à l’égard de leurs
enfants1085.
1078
François BOULANGER, Les rapports juridiques entre parents et enfants, perspectives comparatistes et
internationales, éd. économica, 1998, p. 137.
1079
Carole SIFFREIN-BLANC, La parenté en droit civil français étude critique, presse universitaires d’Aix-Marseille,
PUAM, 2009, p. 476.
1080
Philippe MALAURIE, Hugues FULCHIRON, Droit de la famille, 6ème éd., LGDJ, 2018, p. 798.
1081
Il importe de souligner qu’un parent dans le besoin peut demander des aliments à son enfant fortuné mais il ne peut
jamais l’obliger à assurer une obligation d’entretien.
1082
Philippe MALAURIE, Hugues FULCHIRON, id, ibid., pp. 779-800.
1083
Ibid.
1084
Dans 79% des cas, la résidence des enfants est fixée chez la mère; 12% des enfants en résidence alternée ; et 7%
uniquement des enfants résident chez leur père.
1085
Cass., 1ère civ., 12 février 2020, n°19-10. 200.
525
1286. Ceci a été agréé avant même l’adoption de la loi de 1972 sur l’égalité des filiations,
puisque dans un jugement rendu en 19351086, la Cour de cassation avait déjà affirmé la
solidarité parentale à l’égard de leurs enfants qu’ils soient légitimes ou naturels en
admettant une action en remboursement des frais d’entretien et d’éducation intentés par la
mère naturelle contre le père de l’enfant 1087. Une position qui va être renforcée d’abord
par la loi de 1975 qui précise d’une manière explicite que le divorce ou juste la
séparation ne met pas fin aux obligations et aux devoirs parentaux à l’égard des enfants,
permettant donc au parent chez qui l’enfant réside de bénéficier de la contribution de
l’autre parent. Cette position est aussi améliorée par la loi adoptée en 2002 quant aux
modalités, égalités et mécanismes d’application. De plus, l’entretien de l’enfant par ses
deux parents est considéré depuis 1974 par la Cour de cassation comme « une règle légale
et d’ordre public » qui ne peut pas être l’objet de renonciation ou de refus.
1287. Aujourd’hui, l’article L. 213-3 du code de l’organisation judiciaire dispose que le
juge aux affaires familiales connaît des actions liées à la fixation des obligations
alimentaires et à la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants. Ainsi, c’est au
JAF qu’il revient de décider des modalités d’exécution de l’obligation d’entretien. Cette
dernière est fondée sur la détermination du juge de la contribution à l’entretien et à
l’éducation. En effet, pour élaborer cette décision, le JAF doit se référé à deux éléments
principaux qui sont les ressources et les charges de chacun des parents et les besoins de
l’enfant. En effet, si pour le premier élément, le rôle du juge peut être fondé sur les
documents présentés par chacun des parents, le second élément quant à lui, demeure flou
face aux différents besoins de l’enfant. Ils peuvent être référenciés à un barème ou à une
table de référence publiée par la chancellerie depuis l’année 2010 afin de faciliter au juge
l’élaboration d’une réflexion commune lors des audiences avec les parties concernées et
de lui permettre d’évaluer et d’estimer le besoin de l’enfant tout en étant en harmonie
avec les autres décisions de justice1088.
1288. De plus, un autre élément peut également faire l’objet d’une réflexion profonde
quant à la participation commune à l’entretien de l’enfant est celui de la durée de cette
obligation. En effet, l’obligation d’entretien ne dispose pas d’une limite d’âge mais elle
perdure jusqu’à ce qu’il soit capable et qu’il soit en mesure de répondre financièrement
de ses besoins en acquérant une autonomie financière.
Toutefois, cette possibilité n’a été acquise juridiquement qu’à travers la loi de 2002 qui a
modifié l’article 371-2 du Code civil, faisant de la majorité un élément secondaire qui
n’entraîne pas la cessation de l’obligation d’entretien. Cette réforme a été fondée
principalement sur l’évolution sociale et économique qui intègre la réalité des enfants qui
continu leurs études même lorsqu’ils deviennent de nouveau majeurs et qu’ils se trouvent
rarement en mesure de s’autofinancer les études et subvenir aux besoins personnels.
1086
Cass. Civ. 27 novembre 1935 D.P. 1936-1-25, note A. cité par François BOULANGER, op. cit., p. 138.
1087
Id, ibid.
1088
Isabelle IMBERT-DUHAMEL, Les difficultés relatives à la contribution à l’éducation de l’enfant, in l’enfant à
l’épreuve de la séparation parentale, op., cit., p. 60-62.
D’ailleurs dans un arrêt rendu le 12 février 2020, la Cour de cassation rappelle que le montant de la contribution à
l’entretien et à l’éducation de l’enfant est estimé et adapté aux ressources de chacun des parents et aux besoins de
l’enfant conformément à l’article 371-2 du code civil. Cass., 1ère civ. 12 février 2020, 19-13. 368.
526
1289. Cependant, c’est l’élément de l’avènement de la majorité de l’enfant qui a toujours
posé problème en matière d’obligation d’entretien dans la mesure où il déclenché chez le
parent débiteur la volonté d’interrompre son obligation estimant que la majorité de
l’enfant déclenche systématiquement sa capacité de subvenir à ses besoins.
Ainsi, c’est face à cette situation que le législateur de 2002 a intégré le progrès déjà établi
par la jurisprudence qui avait déjà pris en considération « l’obligation parentale
d’entretien » en intégrant le principe de cette obligation et de son maintien même lorsque
l’enfant est majeur1089, et de son renforcement par la loi du 28 décembre 2019 relative
visant à agir contre les violences au sein de la famille permettant la modification de
l’alinéa 2 en disposant que l’obligation de l’entretien « ne cesse de plein droit ni lorsque
l’autorité parentale ou son exercice est retiré, ni lorsque l’enfant est majeur ». Par ailleurs,
l’application de cette disposition c’est-à-dire le maintien de l’obligation d’entretien de
l’enfant même après la majorité reste subordonnée encore aujourd’hui et comme dans le
passé à quelques conditions dont celles relatives à la poursuite des études sérieuses ou
suite à la recherche active d’un premier emploi1090.
1290. Cependant, cette question soulève un problème de fond qui est celui de savoir si
l’obligation d’entretien répond uniquement à une obligation rattachée à la continuité des
études de l’enfant même lorsqu’il est jeune majeur, ou bien elle doit se doter encore du
caractère d’éducation qui prend en considération la moralité de la tâche du parent sans
que l’enfant exprime le besoin. Autrement dit, l’obligation d’entretien de l’enfant doit-
elle continuer malgré l’arrêt des études de ce dernier où doit-elle continuer dans le cadre
d’une solidarité familiale jusqu’à ce que le jeune majeur ait une stabilité financière ? En
réponse, la jurisprudence a déjà apporté à travers différents arrêts la perception qu’il faut
adopter quant à l’entretien de l’enfant assurant que cet entretien de l’enfant doit durer
« jusqu’à ce qu’il termine ses études supérieures et obtienne une situation professionnelle
stable et rémunérée »1091.
Ainsi cette décision permet de constater un élargissement du champ de cette obligation
d’entretien qui peut aller jusqu’à dépasser le fait que le jeune majeur trouve un travail
mais elle se réfère encore plus à sa stabilité professionnelle. Par ailleurs, compte tenu des
décisions jurisprudentielles, le caractère du besoin de l’enfant semble le fondement de
l’obligation d’entretien, or l’obligation d’entretien n’est pas doté des mêmes
caractéristiques que l’obligation alimentaire et doit correspondre plus à un engagement de
moralité avant qu’il soit une réponse au besoin de l’enfant.
1291. L’obligation d’entretien de l’enfant peut prendre différentes natures ; elle peut être
sous forme d’un versement mensuel d’une somme d’argent ou en nature par le fait de lui
procurer un logement. D’ailleurs c’est dans ce sens que l’article 211 dispose que : « le
juge aux affaires familiales prononcera également si le père ou la mère qui offrira de
recevoir, nourrir et entretenir dans sa demeure, l’enfant à qui il devra des aliments,
devra dans ce cas être dispensé de payer la pension alimentaire ».
1089
Carole SIFFREIN-BLANC, op. cit., p. 480.
1090
Cass. 1ère Civ. 9 février 2011, n° 09-71102.
Cass. Ch. 1ère civ. 12 février 2020, n° 18-25.359. Dans un autre arrêt La cour de cassation s’est également prononcée
sur l’obligation des parents d’entretenir et d’éduquer leurs enfants au-delà de leur majorité tant qu’ils ne sont pas
autonomes.
1091
CA Reims, 19 septembre 2002, juris-data n° 2002-202438, cité par Carole SIFFREIN-BLANC, op. cit., p. 481.
527
Dans la majorité des situations conflictuelles relatives à l’obligation d’entretien de
l’enfant, un autre problème peut être soulevé et qui renvoie à l’effectivité de cette
obligation qui doit être assurée par les parents notamment lorsqu’il s’agit d’une longue
durée incluant les études et la stabilité de l’enfant. Une situation qui crée forcément des
difficultés de contribution conjointe des parents à l’éducation de l’enfant, notamment
lorsqu’il s’agit d’un parent dont les créances sont les plus faibles. C’est dans ce sens que
l’Etat intervient depuis les années 1950 à travers l’adoption d’un nombre de mesures
telles que l’introduction du rôle de la caisse des allocations familiales, permettant ainsi de
venir en aide aux familles qui se trouvent dans cette difficulté afin de protéger l’enfant de
la précarité. Toutefois, les mesures adoptées visent à éviter des difficultés pour l’enfant et
non pas d’assumer le rôle du parent, puisque ce dernier n’est dispensé de cette obligation
que s’il est dans l’impossibilité matérielle d’y répondre.
1292. Par ailleurs, malgré que le législateur ait prévu des voies d’exécution strictes afin
de contraindre le parent de répondre à l’entretien de l’enfant, le droit civil envisage peu
de sanctions à l’égard du parent n’assumant pas l’effectivité de sa responsabilité
d’entretien en lui accordant les possibilité de remboursement de ses dettes auprès de la
caisse aux allocations familiale et en éloignant le plus possible sa sanction. Toutefois,
sanctionner le parent qui n’assume pas sa responsabilité d’entretien n’est pas absent ou
impossible.
En effet, l’absence de cet entretien permet d’avoir recours au Code pénal qui vient en
renfort du droit civil permettant à travers l’article 227-3 d’incriminer le parent n’assurant
pas sa responsabilité d’entretien d’abandon pécuniaire de famille en disposant que : « le
fait pour une personne, de ne pas exécuter une décision judiciaire ou une convention
judiciairement homologuée lui imposant de verser au profit d’un enfant mineur, …une
pension, une contribution, des subsides ou des prestations de toute nature dues en raison
de l’une des obligations familiales prévues par les titres V, VI, VII et VIII du livre 1er du
code civil en demeurant plus de deux mois sans s’acquitter intégralement de cette
obligation, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
Ainsi, le rôle du droit pénal en droit de la famille est de caractère répressif dont l’objectif
est de caractère protecteur à l’égard de la famille et de l’enfant en particulier puisque tout
manque d’entretien d’enfant est considéré comme porteur de préjudice à ce dernier 1092.
Pour le législateur français l’obligation d’entretien de l’enfant semble être d’une part une
préoccupation de fond à travers laquelle l’intégration du principe de l’intérêt de l’enfant
semble être l’objectif principal dans la mesure où cette prise en considération est
prolongée même après la majorité et dure jusqu’à la stabilité professionnelle du jeune
majeur ; d’autre part elle est également le reflet de l’équilibre adopté par le législateur
dans la relation triangulaire entre les parents et l’enfant et en assurant les droits et devoirs
de chacun d’entre eux.
1092
Carole SIFFREIN-BLANC, op. cit., p. 487.
528
1293. En droit marocain, cet équilibre recherché par le législateur en matière d’obligation
d’entretien n’est pas simple à adopter. En effet, comme nous l’avons signalé
antérieurement, en droit marocain le père conserve une grande partie de ses privilèges qui
sont fondés sur le droit musulman lui accordant le droit d’exercer la puissance paternelle
sur ses enfants. Cette règle renvoie systématiquement à une perception tout à fait
différente à celle adoptée par le législateur français qui fait de l’égalité des droits et
devoirs des parents le principe de base dans l’ensemble de l’attribution et de l’exercice de
l’autorité parentale dont l’obligation d’entretien. En effet, la spécificité adoptée par le
législateur marocain permet d’influencer d’une manière explicite les rapports entre les
parents et l’enfant en attribuant au seul père l’obligation d’assurer l’entretien de l’enfant
et de lui garantir un logement décent.
1294. En droit musulman, il n’existe pas de différence dans le fond entre l’obligation
alimentaire et l’obligation d’entretien. La première répond à l’objectif d’assurer « la
subsistance de l’enfant » c’est-à-dire son besoin de nourriture, de vêtements et de
logement, alors que l’obligation d’entretien se dote d’un caractère plus large qui n’est pas
restreint à « faire vivre l’enfant » mais à protéger sa santé et d’assurer son éducation et
spécifiquement celle religieuse1093.
1295. L’école Malékite admet que le père est le seul responsable de la famille et de son
enfant ; il est tenu d’assurer l’entretien de ces derniers d’une manière générale, sauf
lorsqu’il est dans l’impossibilité financière d’assumer ces dépenses, il sera alors dispensé
de son obligation et peut se diriger vers le trésor public qui peut assurer les dépenses de
son enfant. En effet, cette obligation d’entretien réservé au père trouve son fondement
d’abord dans le Coran puis dans les hadiths prophétiques, le premier représente une
référence explicite de la distribution des rôles entre l’homme et la femme au sein de la
famille lorsque Dieu dit : « Et les mères (mariées ou divorcées), doivent allaiter leurs
nouveau-nés deux années complètes. Cette prescription concerne les mères qui veulent
donner un allaitement complet. Au père de l’enfant de le nourrir et vêtir de manière
convenable. Nul ne doit supporter plus que ses moyens (…) »1094. De la même manière,
un hadith du prophète affirme l’obligation du père d’entretenir son enfant puisqu’il a
conseillé à une femme qui est venue le consulter affirmant que son mari est avare et ne
subvient pas aux besoins de son fils, le prophète lui répond « prends de son argent ce qui
te suffit à toi et à ton enfant »1095.
Cette perception va être encore plus développée par le droit musulman qui va adopter un
nombre de règles visant à organiser les conditions et les limites de cette obligation
d’entretien. En effet, pour les conditions il suffit qu’il y ait un lien de filiation entre
l’enfant et le père, et que ce dernier puisse répondre matériellement à cet entretien. De
plus, le droit musulman impose cette obligation au père même après la majorité de
l’enfant faisant quelques différenciations entre l’enfant fille et garçon. Ainsi, pour ce
dernier son droit à la nafaqah perdure même après sa majorité s’il soit pauvre, ou atteint
d’une maladie qui l’empêche de subvenir lui-même à ses besoins. Quant à la fille, elle
peut conserver ce droit si elle est pauvre et si elle n’est pas encore mariée.
1093
Dina CHARIF-FELLER, op. cit., p. 131.
1094
Sourate la Vache, II, 233.
1095
Sabuni TALAQ, p. 289, note explicative, p. 95, cité par Dina CHARIF-FELLER, op. cit., p. 132.
529
1296. En outre, le droit musulman souligne d’une manière stricte que l’obligation
d’entretien de l’enfant est donc une « une obligation personnelle à laquelle le père ne
peut renoncer ». Autrement dit, l’entretien de l’enfant ne peut être délégué à une autre
personne même lorsque cette dernière est la mère. Toutefois, lorsque le père est dans
l’impossibilité de répondre aux besoins de son enfant à cause du manque de moyens et
que la mère est aisée, il revient à cette dernière d’assurer les besoins de ses enfants avant
que cette obligation soit dirigée vers les membres de la famille paternelle puis transmis
au trésor public1096. De ceci, il semble alors évident que le droit musulman adopte une
perception d’obligation d’entretien qui ne pèse que sur le père en excluant le rôle de la
mère même lorsqu’elle dispose de la possibilité de l’assumer ; ainsi cette dernière est
conviée de l’assumer uniquement lorsque le père est dans l’incapacité physique et
matérielle.
Ainsi, c’est en suivant cet esprit et ce séparatisme des rôles entre l’homme et la femme au
sein de la famille et notamment en matière d’obligation d’entretien des enfants que le
législateur marocain a fondé sa législation tout en modifiant de nombreuses dispositions
visant à favoriser l’égalité entre l’homme et la femme puis à concrétiser une prise en
considération de l’intérêt de l’enfant dans la mesure de garantir son entretien tel qu’il est
retenu dans l’article 27 de la CIDE. Autrement dit, le législateur marocain était encore à
la recherche d’un équilibre entre le principe religieux et celui des humains tels qu’ils sont
adoptés par les conventions internationales que le Maroc a signées et ratifiées.
En ce qui concerne les rapports entre l’enfant et le parent notamment en matière
d’obligation d’entretien de ce dernier à l’égard du premier, les règles restent fidèles à
l’esprit du droit musulman et à l’ancien texte de statut personnel 1097, en apportant
quelques modifications qui demeurent très limitées dont la principale est celle relative à
l’obligation du père d’assurer un logement décent pour son enfant.
1297. Dans le chapitre relatif à la pension alimentaire le législateur marocain précise que
« l’obligation alimentaire résulte du mariage1098, de la parenté1099 et de
l’engagement1100 », ce qui amène à une obligation d’engagement et d’entretien pour le
parent à l’égard de son enfant. L’article 189 définit l’obligation d’entretien de l’enfant
comme suit : « l’entretien comprend l’alimentation, les soins médicaux, l’instruction des
enfants et tout ce qui est habituellement considéré comme indispensable… ». Restant
fidèle au droit musulman et à l’ancien texte de statut personnel, précisant que cette
obligation incombe de principe au père. L’article 198 dispose que : « le père doit
pourvoir à l’entretien de ses enfants… ».
1096
CHARIF-FELLER, op. cit., p. 132.
1097
L’article 126 de l’ancien texte de statut personnel dispose que : « Le père doit subvenir aux besoins de ses enfants
en bas âge ou incapables de se procurer des ressources ».
1098
L’article 194 dispose que : « L’époux doit pourvoir à l’entretien de son épouse dès la consommation du
mariage… ».
1099
L’article 197 du Code de la famille dispose que : « La pension alimentaire due aux parents est assurée par les
enfant à leur père et mère et par le père et la mère à leurs enfants, conformément aux dispositions du code ».
1100
L’article 205 dispose que : « Celui qui s’est obligé envers un tiers, mineur ou majeur, à lui verser une pension
alimentaire pour une durée déterminée, doit exécuter son engagement. Si la durée est indéterminée, le tribunal la fixe en
se fondant sur l’usage ».
530
Toutefois, le législateur de 2004 apporte une importante modification qui permet
l’introduction d’une prise en considération de l’intérêt de l’enfant en prolongeant la durée
de cet entretien. Ainsi, l’ancien texte de statut personnel définissait à travers l’article 126
que l’entretien de l’enfant ou la pension alimentaire prenaient fin pour le garçon à la
puberté ou à l’âge de vingt et un ans s’il fait des études et à la fille jusqu’à ce que son
entretien incombe à son mari. Le nouveau texte quant à lui instaure cette obligation à
l’égard de l’enfant jusqu’à l’âge de la majorité qui est de dix-huit ans et jusqu’à vingt
cinq ans s’il poursuit ses études.
1298. L’évolution du texte ne s’est pas limitée uniquement à la prolongation de l’âge
d’entretien de l’enfant mais elle a également prise en considération plus de mesure visant
à protéger l’intérêt de l’enfant que ce soit dans l’objectif de sauvegarder son niveau de vie
d’avant le divorce. Cette évolution consiste à innover la méthode de calcule de la pension
alimentaire en intégrant d’autres critère tels que la scolarisation de l’enfant, ce qui rend
l’obligation due au père, comme une obligation d’entretien général qui peut introduire de
nombreux éléments. En effet, si l’ancien texte1101 adoptait une vision très limitée de la
prise en considération de la situation de l’enfant, la réforme de 2004 remplace cette
disposition par l’article 85 qui précise que le calcul de la pension alimentaire doit tenir
compte de la condition de niveau de vie et de la situation scolaire de l’enfant avant le
divorce de ses parents « tout en évaluant les charges inhérentes aux besoins précités, il
est tenu compte, par référence à une moyenne des revenus de la personne astreinte à la
pension alimentaire et de la situation de celle qui y a droit, du coût de la vie, et dessus et
coutumes dans le milieu social de la personne ayant droit »1102. Puis, l’innovation de
l’article 190 qui dispose que : « Le tribunal se fonde, pour l’estimation de la pension
alimentaire, sur la déclaration des deux parties et sur les preuves qu’elles produisent
(…) ». Toutefois, le tribunal acquiert à travers la réforme de 2004 une grande liberté
d’appréciation quant à l’obligation d’entretien de l’enfant.
1299. En effet, c’est dans ce sens qu’un jugement a été rendu par la Cour suprême le 29
mars 20161103 affirmant la possibilité du tribunal d’élaborer sa propre appréciation et
estimation du montant dû pour l’entretien d’un enfant, en condamnant un père à payer des
frais dus à cet entretien dans son ensemble tant que le tribunal avait pris en considération
l’article 1881104 et tant que le père n’a pas prouvé son incapacité financière.
Toutefois, malgré que la prise en considération de l’obligation d’entretien introduise
l’ensemble des frais d’entretien courant dont les frais de scolarité, cette dernière
lorsqu’elle est effectuée dans le secteur privé peut représenter une limite. C’est ainsi que
dans un jugement rendu par la Cour suprême le 31 mai 2016 1105, cette dernière avait
rejeté la décision de la cour d’appel de la ville de Khoribga, en précisant que le tribunal
doit prendre en considération la situation financière du père en intégrant toutes ses
charges personnelles autre que son obligation d’entretenir son enfant, et en soulignant que
1101
L’article 119 du statut personnel disposait que : « Pour l’évaluation de la pension alimentaire et de ses accessoires,
il est tenu compte, en se référent à la moyenne, des ressources de l’époux, de la situation de l’épouse, de la coutume des
gens de la région, des circonstances du moment et des prix (…) ».
1102
Article 189 du Code de la famille marocain.
1103
Cour suprême, décision n° 294, 29 mars 2016, dossier n° 630/2/1/2015.
1104
L’article 188 dispose que : « nul n’est obligé de subvenir aux besoins d’autrui que dans la mesure où il peut
subvenir à ses propres besoins. Toute personne est présumée solvable jusqu’à preuve contraire ».
1105
Cour suprême, décision n° 457, du 31 mai 2016, dossier n° 299/2/1/2016.
531
la décision de scolariser un enfant dans le secteur privé exige l’accord du père qui
demeure le tuteur légal malgré que la garde soit attribuée à la mère et malgré que cette
dernière estime que la scolarisation de la fille dans l’école privée était dans l’intérêt de
l’enfant.
1300. Un autre élément est également pris dans l’intérêt de l’enfant en matière de son
entretien, est celui du délai du traitement d’un mois 1106 afin que l’enfant ne soit pas
déstabilisé par le changement de sa situation et de l’intervention de chacun de ses parents
dans son entretien. Dans le même sens un autre élément peut être soulevé visant à
garantir un logement décent pour l’enfant. En effet, cette question de garantir un
logement à l’enfant ne figurait pas dans l’ancien texte puisque le législateur de 2004 a
décidé de faire de l’obligation de garantir un logement décent un élément distinct de la
pension alimentaire au sein de l’obligation d’entretien.
1301. En effet, l’article 168 fait du logement de l’enfant un élément d’entretien distinct
de la pension alimentaire afin d’assurer encore plus de stabilité à l’enfant ; cet article
dispose que « le père doit assurer à ses enfants un logement ou s’acquitter du montant du
loyer dudit logement tel qu’estimé par le tribunal (…) ». De ceci, il est donc devenu
interdit au père d’expulser son enfant soumis à la garde du domicile conjugal tant qu’il
n’a pas exécuté le jugement relatif à la garantie du logement à l’enfant ; ainsi lorsqu’il est
question de l’enfant soumis à la garde il est également question d’interdiction d’expulser
la mère gardienne qui conserve ici un droit de protection qui se manifeste dans sa
possibilité du maintien au foyer conjugal tant que le père n’a pas procuré un logement à
l’enfant.
Cette obligation n’est pas limitée par l’âge, c’est-à-dire que l’application de l’article 168
n’est soumise à aucune condition, et le tribunal veille à ce que les mesures de l’exécution
du jugement par le père soient toutes adoptées. Toutefois, dans la pratique l’enfant et la
femme sont souvent expulsés du logement (de force ou par ignorance de leur droit) où ils
habitent trouvant refuge chez la famille en attendant que le jugement soit rendu ;
ce dernier accorde en principe entre 500 à 800 (50 à 80 euros) dirhams par mois comme
indemnité de logement1107.
1302. Cependant dans la majorité des jugements rendus par les tribunaux de fond la
référence aux frais de logement ne pas toujours distincte de la pension alimentaire
puisque les juges se contente uniquement par la fixation d’un montant global de la
pension. Cette pratique trouve son origine dans l’existence de deux cas de figures dans
lesquels une demande de frais de logement peut être demandée. En effet, il est possible
que la pension alimentaire de l’enfant soit demandée au cours de la vie conjugale puis au
en cas d’une dissolution du lien conjugal ; ainsi pour les tribunaux qui adoptent cette
méthode l’explication peut être facile à démontre puisqu’il est question d’application de
l’article 168 qui attribue à l’enfant le statut de « l’enfant soumis à la garde »,
cependant l’absence de cette qualité pour l’enfant qui n’est pas sous garde ce dernier ne
peut pas percevoir les frais de logement ou tout au moins que de tels frais soient intégrés
dans la pension alimentaire conformément à l’article 189 1108.
1106
L’article 119 du Code de la famille.
1107
Yazid BEN HOUNET et Nouri RUPERT, L’application du droit de la famille au Maroc : du genre et de la
parentalité, l’année du Maghreb, 18/ 2018, pp. 169-183.
532
D’autre part, il importe de souligner que le législateur de 2004 a également établi la
possibilité de revaloriser la pension alimentaire ou celle due à l’entretien d’une manière
générale, permettant soit son augmentation ou sa diminution du mentant de cet entretien
dans l’objectif de protéger l’intérêt de l’enfant à travers la prise en charge de son
entretien. Cependant, cette possibilité fait souvent face de quelques appréciations
traditionnalistes qui estiment que le montant dû par le premier jugement demeure valable
allant jusqu’à considérer qu’en grandissant l’enfant à moins de besoins tel a été
l’argument avancé par le tribunal de première instance de Fès qui a jugé que l’enfant de
17 ans avait des charges moins importantes1109.
1303. D’ailleurs, cette question de revalorisation soulève également la question même des
montants de base qui sont attribués par les tribunaux et qui sont jugés de dérisoires
puisqu’ils ne répondent pas tous fidèlement à la situation réel du père dans la mesure où
dans certains cas ils peuvent varier entre 200 à 250 dirhams (20 à 25 euros) ou plus selon
le pouvoir discrétionnaire du juge. C’est même dans le cadre de la limitation de ce
pouvoir qui représentait quelques défauts du respect de l’intérêt de l’enfant et de son droit
à un entretien adapté au coût de vie en croissance continue que le ministère de la justice
avait élaboré un projet visant à élaborer un guide pratique en 2010 dédié aux juges de
fond permettant l’adoption de quelques principes d’ordre juridiques et économique afin
de permettre aux juges d’adapter leurs décisions.
Par ailleurs, un autre élément peut également faire l’objet de réflexion est celui de
l’exécution des jugements, puisque le respect des délais prévus par le Code de la famille
en la matière notamment celui d’un mois 1110 pour la pension alimentaire ou pour la
garantie d’un logement sont rarement respectés1111, pourtant lorsqu’il s’agit du respect
des délais il est question du respect de l’intérêt de l’enfant 1112.
1304. Pourtant le législateur n’a pas manqué de rendez-vous quant aux mesures et aux
sanctions qu’il peut appliquer en cas de non-respect des jugements relatifs à cette
obligation d’entretien notamment à travers le Code de procédure qui permet que « le
tribunal détermine les moyens d’exécution du jugement de condamnation à la pension
alimentaire et des charges de logement à imputer sur les biens du condamné, ou il
ordonne le prélèvement à la source sur ses revenus ou sur son salaire. Il détermine, le
cas échéant, les garanties à même d’assurer la continuité du versement de la pension. Le
jugement ordonnant la pension alimentaire demeure en vigueur jusqu’à son
remplacement par un autre jugement ou la déchéance du bénéficiaire de son droit de
1108
Mustapha ZARROUKI, L’intérêt supérieur de l’enfant en droit familial marocain, op. cit., p. 132.
1109
Jugement n° 494 du 24/01/2008, dossier n° 2263/1/06, cité par Mustapha ZARROUKI, ibid, p. 133.
1110
Article 190, Code de la famille marocain.
1111
Pour Monsieur Mohamed RADOUAN, le non-respect des délais prévus par le texte est d’abord dû à la question de
la notification ; en effet, les juges ne peuvent pas statuer sur des demandes qu’après notification des défenseurs, ce qui
prend plus que le délai fixé par le texte. Puis, une autre part de responsabilité accordée aux justiciables qui sont priés
d’assurer eux-mêmes la notification. in Comment les dispositions de la Moudawana sont contournées, ignorées,
dévoyées,. Disponible sur : www.medias24.com.
1112
Il importe de souligner que la loi numéro 10-41 créée par le Dahir n° 1-10-191 du 7 Moharrem 1432 (13 décembre
2010) a permis la création du fond d’entraide familiale, qui a pour objectif de fixer les catégories qui bénéficient des
aides familiales notamment lors du retard d’exécution des jugements relatifs à l’obligation d’entretien de l’enfant afin
d’aider la mère d’assurer son rôle de gardienne. Cette loi souligne que l’un de ses objectifs principaux est celui de la
protection de l’enfant, puisqu’elle vise toute une catégorie d’enfant dont :
Les enfants auxquels une pension alimentaire est due, les enfants soumis à la kafala auxquels une pension alimentaire
est due ; les enfants auxquels une pension alimentaire est due après le décès de la mère.
533
pension »1113. Puis à travers l’article 479 du Code pénal qui prévoit que « l’abandon de
famille est un délit réprimé par le Code pénal. Il est commis par le père ou la mère de
famille qui délaisse, sans motif grave et pendant plus de deux mois, le domicile conjugal
et, par là même, se soustrait à ses obligations d’ordre matériel ; ou qui néglige de verser
une pension alimentaire fixée judiciairement, que cette pension soit destinée au conjoint,
aux parents ou aux enfants… » ; le père peut donc être condamné à un emprisonnement
d’un mois à un an et d’une amende de 200 à 2000 dirhams ou de l’une de ces deux peines
seulement.
1305. L’illustration des dispositions relatives à l’obligation d’entretien en droit marocain
permet explicitement de souligner d’abord une contradiction entre l’exercice de cette
fonction d’autorité parentale et de la coparentalité prévue par l’article 51 du Code de la
famille qui dispose que : « La prise en charge, par l’épouse conjointement avec l’époux
de la responsabilité de la gestion des affaires du foyer et de la protection des enfants.. »,
une disposition qui se limite face à la séparation des rôles de la fonction de l’autorité
parentale qui peut d’une manière indirecte renforcer le rôle du père qui à travers sa
détention de la tutelle légale conserve et légitime le pouvoir du père sur ses enfants.
1306. L’évolution des règles relatives à l’exercice de l’autorité parentale a permis dans
les deux systèmes juridiques d’adopter un renforcement du rôle conjoint des parents à
l’égard de leurs enfants malgré les limites avérées dans le système juridique marocain. En
effet, ce renforcement de coparentalité qui est adopté par la CIDE qui rappelle les Etats
de respecter le droit de l’enfant de vivre avec ses deux parents et si cela n’est pas
possible, de maintenir des contacts avec ses deux parents, s’il en est séparé. Autrement
dit, elle incite les Etats à prendre toutes les mesures possibles afin de protéger la stabilité
physique et psychologique de l’enfant qui devient dans certaines situations l’arme de
guerre et enjeu des conflits parentaux1114.
1307. Cependant, si l’évolution progressive de l’institution de l’autorité parentale avance
à son rythme dans chacun des pays en s’adaptant aux éléments participatifs à son
développement notamment la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant,
l’égalité entre les sexes et le développement social, économique et juridique.
Toutefois, dans le monde d’aujourd’hui où la mobilité des personnes devient croissante
et la multiplication des unions mixtes dont la culture humaine et juridique sont parfois
très éloignées imposent une réalité assez complexe de l’exercice de l’autorité parentale
puisqu’il n’est plus possible de séparer l’évolution du droit interne en la matière avec tout
prolongement international1115. En effet, la prise en considération de l’exercice de
l’autorité parentale sur le niveau international fait du principe de l’intérêt supérieur de
l’enfant un élément fondateur qui a servi d’une manière directe ou indirecte à
l’élaboration de l’ensemble des conventions internationales et de celles bilatérales entre
les Etats dans l’objectif de protéger l’enfant et de garantir son droit d’être élevé ou de
1113
Yazid BEN HOUNET et Nouri RUPERT, id, ibid.
1114
Article 10 al. 2 de la CIDE.
1115
François BOULANGER, op., cit., p. 229.
534
maintenir des relations avec ses deux parents en cas de séparation; et d’organiser
l’exercice de l’autorité parentale entre ses deux derniers.
Le fonctionnement et l’exercice de l’autorité parentale dans les deux systèmes juridiques
est soumis à une organisation de fonctionnelle qui permet à chacun des parents d’exercer
son droit de maintenir des relations avec son enfant, ainsi toute intervention unilatérale de
l’un des parents visant à modifier le mode de fonctionnement de l’autorité parentale en
ayant recours à « des procédés violant »1116 permettant le déplacement illicite ou
l’enlèvement d’un enfant commun hors des frontières nationales. Cet acte qui est
également appelé « enlèvement internationale d’enfants » ou le « kidnapping
parental »1117 représente une ingérence d’abord à l’égard de l’autre parent victime de cet
acte puis à l’égard de l’enfant lui-même qui se retrouve face à une situation déstabilisante
qui peut nuire à la protection de son intérêt.
1308. C’est dans cet esprit que les textes internationaux sont venus pallier l’incapacité ou
l’inefficacité des textes internes dans l’objectif d’instaurer des principes communs sur les
questions relatives aux rapports personnels des enfants et à la lutte contre leurs
enlèvements dans le cadre familial. Toutefois, pour répondre à cette problématique, il est
question d’élaborer tout un mécanisme international commun fondé sur l’adoption des
principes internationaux communs afin de permettre la protection de l’intérêt de l’enfant
lorsqu’il s’agit d’un déplacement illicite de l’enfant. Ainsi, pour les deux systèmes
juridiques, l’adhésion et la participation à ce processus évolutif de la prise en
considération de l’intérêt de l’enfant en matière d’enlèvement d’enfant faisait l’obligation
d’appréhender les litiges familiaux de ce genre dans la mesure où l’appréciation du
principe de l’intérêt de l’enfant fait souvent l’objet d’une appréciation nationaliste qui
diffère d’une législation à une autre.
1309. C’est dans ce cadre qu’une réglementation internationale était nécessaire afin
d’adopter un nombre de principes internationaux visant à répondre à la protection
internationale de la personne de l’enfant et de ses droits et dont les objectifs étaient
évident et se présentaient comme suit :
-Une reconnaissance du caractère illicite de tout enlèvement d’enfant sans accorder
d’importance à la nationalité de l’enfant et au territoire ou il se trouve.
-Le retour de l’enfant dans son cadre de vie familial initial avant même le débat sur le
fond.
-La prise en considération objective de l’intérêt de l’enfant à travers l’adoption d’une
solution quant à l’attribution du droit de garde et de visite.
-L’attribution d’un rôle de prévention à l’enlèvement des enfants aux Etats membres.
Ces objectifs vont être adoptés par de nombreux textes dont ceux à caractère
multinational, d’autres européen et enfin les conventions bilatérales. En effet, ces
conventions sont : la Convention internationale relative aux droits de l’enfant de 1989 ; la
Convention européenne des droits de l’Homme du 4 novembre 1950 à travers son article
1116
Ibid, p. 262.
1117
Pour certains spécialistes tel que Michel SERGE, le terme kidnapping est fort, « puisqu’en pratique l’enlèvement
n’est pas aussi spectaculaire qu’il peut paraître, il est souvent l’œuvre d’une parent qui récupère son enfant et l’emmène
dans son pays d’origine souvent sous prétexte notamment d’y passer des vacances, et qui refuse ensuite de regagner le
pays dans lequel la famille avait sa résidence habituelle, Michel SERGE, la lutte contre les enlèvements internationaux
d’enfants, op. cit., p. 152.
535
8 relatif au respect de la vie familiale ; la Convention de la Haye du 25 octobre 1980 sur
les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants qui est ratifiée par 83 Etats; la
Convention de la Haye du 19 Octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable,
la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et
de mesures de protection des enfants dont l’article 7 vise principalement la question du
déplacement illicites d’enfants ; La Convention de Luxembourg du 20 mai 1980 sur la
reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de garde des enfants et de
rétablissement du droit de garde ; le règlement Bruxelles II bis (règlement CE 2201/2003)
du 23 novembre 2004 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des
décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale qui complète
la convention de La Haye de 1980 et enfin les conventions bilatérales émises entre les
Etats dans l’objectif de faciliter et d’apporter encore de précisions aux conflits qui
peuvent être soulevés entre les Etats.
Pour comprendre la prise en considération de l’intérêt de l’enfant en matière
d’enlèvement ou de déplacement illicite des enfants entre les deux systèmes juridiques
français et marocain, il importe de se limiter à l’analyse des conventions signées et
ratifiées par les deux Etats, et de comprendre leurs applications et leur influence sur la
prise en considération de ce principe, la convention internationale des droits de l’enfant et
de la Convention de la Haye de 1980 1118 (A) afin de connaître leur limites et le besoin du
recours aux conventions bilatérales à titre d’exemple la convention franco-marocaine (B).
1118
La Convention du 25 octobre 1980 est entrée en vigueur en France le 01 novembre 1983, et au Maroc le 01 juin
2010 ; soulignant que le Maroc est le premier Etat de l’Afrique du nord à en devenir partie.
1119
Y. BENHAMOU, Réflexion en vue d’une meilleure défense en justice de l’enfant, D., 1993 p. 103. H.
PARCHEMINAL, Le juge aux affaires familiales et la protection de l’intérêt de l’enfant, RD sanit. Soc. 1994, pp. 201.
J. RUBELLIN-DEVICHI, Le principe de l’intérêt de l’enfant dans la loi et la jurisprudence françaises, JCP 1994.
536
1311. Ainsi, face à cette différence d’appréciation de l’intérêt de l’enfant au sein des
conflits « in concerto » dans certains cas et « in abstracto » dans d’autres dépendamment
du droit du pays, de l’appréciation du juge ou de la spécificité culturelle, il devenait
exigeant d’adopter et d’établir quelques normes générales visant à atténuer voire à éviter
les conséquences nuisibles sur l’intérêt de l’enfant. En effet, le cadre général qui peut être
discuté et fasse l’objet d’une comparaison dans ce sens est celui de la prise en
considération de l’intérêt de l’enfant en matière d’enlèvement ou de déplacement illicite
dans la CIDE et dans la Convention de la Haye de 1980 pour ensuite comprendre les
limites de ces textes notamment en droit marocain.
a- Un cadre général
I.3739.A. VON OVERBECK, L’intérêt de l’enfant et l’évolution du droit international privé de la filiation, Mélanges
Schnitzer, librairie de l’Université de Genève, 1979, p. 361.
1120
Les Etats parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités
compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que
cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
Les Etats parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement
des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de
l’enfant.
1121
Michel FARGE, La lutte contre les enlèvements internationaux d’enfants, in La convention internationale des droits
de l’enfant, une convention particulière, op. cit., p. 151.
537
1314. Par ailleurs, malgré son autorité symbolique considérable, l’apport de la CIDE en
matière d’enlèvement est considéré comme limité dans le sens où le texte lui-même
appelle les Etats de palier les manquements qui peuvent être créés par les différents
conflits familiaux qui traversent les frontières par le recours aux accords bilatéraux. Par
ailleurs, si la CIDE ne répond pas à toutes les difficultés auxquelles l’intérêt de l’enfant
peut faire face dans un conflit familial, la Convention de La Haye du 25 octobre 19801122
sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfant quant à elle est jugée
« d’ingénieuse »1123 que le professeur Y. LEQUETTE la définit comme « l’une des
réussites indiscutables de la conférence de la Haye, dans la mesure où son mécanisme a
prouvé une efficacité tant pour le nombre progressif des adhérents que par son efficacité
entre les Etats membres »1124 .
En effet, ce texte qui est en vérité un mécanisme d’entraide adopté par les Etats dans
l’objectif de remédier aux manquements des règles classiques du droit international,
reflète tout d’abord un schéma classique des conventions multilatérales traitant des
questions relatives à la protection des droits de l’enfant, faisant de l’intérêt de l’enfant un
objectif primordial sans pour autant le définir afin de permettre à sa prise en
considération dans le cadre des dispositions de la convention et de faciliter les
spécificités.
1315. Le texte dégage de nombreuses idées relatives à la concrétisation de l’intérêt de
l’enfant, dont celui qu’il ne soit pas déplacé ou retenu hors de l’Etat de sa résidence
habituelle et à rétablir la situation antérieure au déplacement illicite, soulignant qu’un
déplacement d’un enfant de telle manière est contraire à son développement harmonieux
puisque ce dernier ne s’accommode pas aux chocs et aux ruptures brutales avec son
entourage habituel ce qui fait de « son retour à son Etat d’origine son intérêt »1125.
Autrement, le texte fait de l’objectif de rétablir la situation antérieure au déplacement
illicite son objectif en interdisant l’intervention de toute autre juridiction en matière de
garde autre que celle du lieu de résidence principale et habituelle de l’enfant, considérant
que seul le juge du lieu de résidence peut statuer et émettre une appréciation sur l’intérêt
de l’enfant.
1316. Ainsi, la solution apportée par le texte est quasi-systématique quant au retour de
l’enfant au « statu quo ante », permettant de limiter tout acte juridique dans le pays ou
l’enfant est déplacé, puisque la règles impose que l’enfant retourne d’abord à son milieu
habituel et qu’il soit renvoyé devant le juge de sa résidence1126, avant que l’enfant
atteigne l’âge de 16 ans1127.
Il est donc évident que l’élément de la nationalité n’a aucune influence évitant ainsi tous
les conflits qui peuvent être causés par les personnes ayant une double nationalité, et
1122
Elle est remplacée dans le cadre européen par le règlement dit Bruxelles II bis, Règlement (CE), n° 2203/2001 du
27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en
matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000.
1123
Ibid, p.135.
1124
Cours la HAYE, Recueil 1994, unification du droit international privé familial.
1125
Rapport explicatif de Mlle PEREZ-VERA, Actes et docs, 14ème session de la conférence de la Haye de DIP, T, III.
1126
Alain CORNEC, Il faut nommer l’intérêt supérieur de l’enfant : La convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur
les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants : un exemple d’intérêt supérieur de l’enfant, in JDJ, 2011/1, n°
303, pp. 39-44.
1127
L’article 4, Convention de La Haye 1980.
538
rendant impossible tout retranchement derrière l’argument de la nationalité du for pour
rejeter la restitution. Toutefois, l’engagement dans l’action du retour de l’enfant exige
que l’autorité centrale de d’Etat où l’enfant trouve refuge soit informée et qu’elle ait pris
toutes les mesures nécessaires afin d’assurer la remise et le retour volontaire de l’enfant
tel qu’il est prévu dans l’article 10 du texte. D’ailleurs, l’article (7 al. 2) prévoit que les
autorités sont appelées d’abord à avoir recours à des méthodes à l’amiable pour récupérer
l’enfant.
1317. L’objectif principal du texte est donc celui du retour de l’enfant en excluant toute
intervention sur le fond que ce soit sur la question de la garde ou le droit de visite
considérant que les Etats contractants doivent respecter les jugements rendus par les juges
de milieu habituel de l’enfant. Ainsi, le principe du retour doit donc respecter certains
éléments que ce soit de fond ou de forme. Sur le fond, la convention concerne d’abord les
déplacements illicites d’un enfant qu’ils soient effectués par l’un des parents à qui
l’exercice de l’autorité parentale ou de garde était attribué ou conjointement.
Autrement dit, le déplacement est effectué lors d’un exercice effectif du droit de garde.
Toutefois, l’exercice de ce droit de garde qui est défini par le texte à travers (l’article 5-a)
comme étant le droit portant sur les soins de la personne de l’enfant notamment celui de
décider de son lieu de résidence. Cette définition qui parait simple ne soulève pas de
problématique lorsque la garde est exercée par l’un des parents ou lorsqu’elle est exercée
conjointement tant que les parents vivent ensemble.
C’est en effet lorsque les deux parents n’habitent plus ensemble et qu’ils soient engagés
tous les deux dans l’exercice de la garde, et que l’un d’entre eux souhaite emmener
l’enfant dans un autre Etat, que ce déplacement est considéré comme illicite et comme
une atteinte unilatérale du droit de la garde exercée en commun par le père qui emmène
l’enfant, dans la mesure où il ne détient pas l’exclusivité du droit de garde.
1318. Ce dernier est alors attribué par le juge du milieu de résidence et ne peut être
attribué à un juge d’un autre Etat, exclu par principe de toute intervention sur le fond.
C’est ainsi que l’article 19 de la convention prévoit que la décision sur le retour de
l’enfant n’affecte pas le fond du droit de garde. Autrement dit, dès que le juge requis est
informé du déplacement illicite, ou du non-retour de l’enfant, il ne pourra statuer sur le
fond du droit de la garde sauf lorsqu’il est établi que les conditions émises par la
convention ne sont pas réunies pour permettre le retour de l’enfant à son pays
d’installation ou jusqu’à ce qu’une période raisonnable soit écoulée sans l’enregistrement
d’une demande d’application de la convention ne soit demandée (Article 16). De plus, le
texte souligne que malgré qu’une décision soit rendue ou soit susceptible d’être rendue
par le juge de l’Etat de refuge, le retour de l’enfant à l’Etat de son milieu et son
installation habituelle demeure la règle principale. Cette dernière est également renforcée
par l’incompétence du juge requis sur le fond qui permet systématiquement de suspendre
toute action visant le changement d’un jugement relatif au droit de garde et donc
d’imposer une primauté du droit et de la décision du juge d’origine (Article 1).
En outre, cette disposition renvoie à une affirmation implicite de la convention qui
renvoie à la solution proposée pour les conflits de lois et de juridiction. En effet, à partir
du texte l’affirmation est celle que seul le juge d’origine est compétent, et en l’occurrence
539
le respect de la loi du lieu de résidence c’est-à-dire l’objectif est de faire respecter la loi
de l’Etat de résidence.
1319. La seconde situation concerne le non-retour de l’enfant suite à un droit de visite,
qui répond à d’autres critères qui sont fondés principalement sur l’appréciation de
l’illicéité du déplacement et des moments des faits afin que le respect des délais du retour
de l’enfant soit respecté qui est celui d’un an, afin de permettre la également l’application
du droit d’origine considérant le déplacement d’illicite.
Cependant, à cette règle principale du retour systématique et immédiat de l’enfant à son
milieu d’origine, il existe quelques exceptions qui permettent ce non-retour pour diverses
raisons qui sont souvent motivées par la prise en considération de l’intérêt de l’enfant. En
effet, ce dernier représente ici l’élément décisionnaire pour la situation de l’enfant visant
à attribuer à cette dernière un caractère plus humaniste refusant de faire de l’enfant un
objet de conflit entre les parents.
La prise en considération de l’intérêt de l’enfant par le juge requis se manifeste à travers
son respect de certains éléments jugés constitutifs même de cet intérêt. En effet, le juge
peut s’opposer au retour de l’enfant dans les cas suivant :
1128
Alain CORNEC, op. cit.
1129
Rapport explicatif, n° 20 et s. Disponible sur : http://hcch.e-vision.nl/upload/expl28.pdf.
1130
Dans ce sens, l’étude de Monsieur le Professeur Francois. BOULANGER, Les cas de non-retour par suite d’un
déplacement illicite de mineurs dans un cadre international » Rev., dr., fam., 2015, n° 11, étude 16.
540
Elle précise également que même le recours à des termes lourds lorsqu’elle évoque le
risque qui doit être « grave » et « intolérable » ce qui signifie un recours exceptionnel à la
référence de ce principe. En effet, c’est même l’application de l’article 13 de la
convention qui fait référence à l’intérêt de l’enfant qui va créer des difficultés
d’application due à son interprétation puisqu’il va servir comme étant un mécanisme
correcteur à celui doté d’une rigidité qui s’illustre dans l’obligation du retour de l’enfant
dans son milieu naturel. Ainsi, l’intégration du principe dans cet article permet d’atténuer
la rigueur de l’obligation du retour de l’enfant et en accordant aux juges requis une
possibilité et une marge de liberté d’appréciation dans l’objectif de garantir à l’enfant une
meilleure prise en considération de son intérêt.
1322. En effet, c’est dans ce sens que le recours implicite à l’intérêt de l’enfant dans
l’article 13 du texte parait légitime, logique puisqu’il est question d’instaurer une règle
qui ne soit pas stricte. D’ailleurs Madame RUBELLIN-DEVICHI considère que :
« le recours à cette notion est parfois un moyen commode pour le juge de se dispenser
d’appliquer la règles de droit, en toute bonne foi d’ailleurs, et nous avons essayé de
montrer combien l’intérêt de l’enfant devait être pris comme critère seulement lorsqu’il
n’y a pas de règles applicables : l’intérêt de l’enfant est d’abord de bénéficier de la règle
de droit, lorsqu’il en existe une »1131. Cette appréciation est plutôt réaliste dans la mesure
où elle reflète la difficile réalité d’attribuer à un juge national la libre possibilité de
déterminer l’intérêt de l’enfant qui est souvent influencé par la perception nationale de
l’intérêt de l’enfant dans la pays et la loi nationale et qui connaît également l’influence
des valeurs culturelles, religieuses et morales ; une situation qui laisse apparaître une
possible faille juridique quant à la prise en considération de l’intérêt de l’enfant telle
qu’elle est recherchée par l’esprit du texte. Toutefois, cette vision trouve sa limite dans
les règles d’application des traités dont le juge se trouve dans l’obligation de faire une
application exacte des dispositions du texte afin que l’ensemble des parties contractantes
respectent également l’engagement de retourner l’enfant à son milieu d’origine.
Le juge est donc tenu de respecter d’une manière objective l’esprit du texte qui répond à
la protection physique, morale voire matérielle, un équilibre et une combinaison des
éléments caractérisant l’intérêt de l’enfant qui permettent une meilleure prise en
considération par les juridictions.
1131
Jacqueline. RUBELLIN-DEVICHI, Les principe de l’intérêt de l’enfant dans la loi et la jurisprudence française,
JCP 1994 éd. Générale doctrine n° 3739, p. 87 et s.
541
b-L’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant.
1132
L’article 13 dispose que : « Nonobstant les dispositions de l’article précédent (relatif au retour de l’enfant),
l’autorité judiciaire ou administrative de l’Etat requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque la
personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit : (…) b) qu’il existe un risque grave que le
retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une
situation intolérable ».
1133
Cour Cass. n° 98-17902, 22 juin 1999, cité par Alain CARNER, op. cit., p. 41.
542
Une décision qui a provoqué à l’époque un contre-enlèvement des enfants par leur père
en Allemagne ce qui a suscité une réaction politique appelant à faire respecter les
dispositions de la convention et son esprit global par les tribunaux nationaux.
Cette position a pourtant connu une évolution permettant d’abord d’affirmer le principe
du retour de l’enfant à son milieu original et faisant de la possibilité du non-retour une
exception fondée sur des éléments de plus en plus précis et prouvés quant à la notion du
danger auquel l’enfant peut être exposé et de la prise en considération de son intérêt
supérieur.
1326. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’il va y avoir de nombreuses décisions rendues dans
ce sens de protection de l’intérêt de l’enfant et de son exposition au danger. Ainsi, une
décision rendue par la Cour de cassation1134, réaffirme le choix retenu par les juges de
fond de refuser le retour d’un enfant en Allemagne où il avait sa résidence habituelle avec
son père. à qui on a reproché le manque de présence et en l’occurrence un manque de
prise en charge de l’enfant en se référant aux éléments tangibles qui prouvent les risques
auxquels l’enfant été exposé. La Cour rappelle donc que l’appréciation des juges de fond
est souveraine en matière de désignation des éléments constitutifs du danger physiques et
psychologiques auxquels l’enfant peut être exposé.
1327. La Cour de cassation s’est également prononcée dans un arrêt du 27 juin 20191135
sur les conditions de la mise en œuvre de l’article 13 de la convention. En l’espère, un
couple franco-luxembourgeois avec un enfant dont la résidence habituelle est au
Luxembourg, se sépare devant les juridictions du pays qui attribuent les modalités de
garde selon le droit luxembourgeois.
Quelques années plus tard, l’enfant est emmené par sa mère en France sans l’accord du
père ; ce dernier agit alors de deux manières d’abord devant les autorités centrales du
Luxembourg afin de signaler le déplacement illicite et exigeant le retour immédiat de son
enfant et ensuite devant le tribunal du Luxembourg qui lui accorde la garde définitive de
l’enfant en se référant au principe de l’intérêt de l’enfant en soulignant que la réaction de
la mère (qui est celle d’enlever l’enfant) est contraire à l’intérêt de l’enfant et que le père
est capable de mieux gérer l’éducation de l’enfant.
En France, le parquet saisit le JAF afin d’ordonner le retour de l’enfant au Luxembourg
où l’enfant a sa résidence habituelle. Cependant, les juges du fond considèrent que le
renvoi de l’enfant au Luxembourg représente un danger pour ce dernier, soulignant « le
caractère obsessionnel du père, les idées suicidaires, et la maltraitance exprimées par
l’enfant lui-même ». Le demandeur forme alors un pourvoi en cassation évoquant que
l’état de refuge membre de la Convention de la Haye de 1980 est tenu de respecter
d’abord le jugement de l’état de résidence habituelle de l’enfant concernant la garde, puis
celle du déplacement illicite de l’enfant, et qu’un refus de retour de l’enfant ne peut être
prononcé sans la prise en considération des motifs retenus par la juridiction de l’Etat
membre d’origine et de tous les éléments fondateurs adoptés par ces derniers 1136.
1134
Cour Cass. 1ère ch., civ., 12 décembre 2006, n° de pourvoi 05-22.119.
1135
Cour Cass. 1ère ch., civ., 27 juin 2019, n° de pourvoi 19-14.464.
1136
Francois Mélin, Déplacement illicite d’enfant : appréciation du critère du risque grave, 15 juillet 2019. Disponible
sur www.dalloz-actualite.fr.
543
1328. La Cour de cassation décide alors d’approuver la décision des juges de fond et de
réaffirmer la prise en considération de l’intérêt de l’enfant en le protégeant des risques
graves qui pouvaient nuire à sa sécurité physique et psychologique en cas de son retour à
l’Etat de sa résidence habituelle. La Cour estime que l’application de l’article 12
disposant du retour de l’enfant est toutefois appliqué dans le respect de l’article 13 al-1
qui dispose que l’autorité du pays de refuge n’est pas tenu d’ordonner le retour lorsque la
personne qui s’y oppose à ce retour établit qu’il y est un réel danger physique et
psychologique pour l’enfant. De plus, l’arrêt rappelle également que les circonstances de
la situation sont également appréciées en vue de l’article 3-1 de la CIDE relatif à l’intérêt
de l’enfant.
L’esprit adopté par cette dernière décision est celui privilégié et approuvé par la CEDH
qui consiste à combiner entre la prise en considération de l’intérêt de l’enfant et
l’application de la Convention de la Haye de 1980. Toutefois, il importe de souligner que
la question soumise à cour n’est pas traitée d’une manière à vérifier l’application ou
l’interprétation des dispositions de la Convention de la Haye puisque la cour n’est pas
compétente pour examiner la violation d’une autre convention internationale.
Néanmoins elle se réfère aux autres conventions dans l’objectif de déterminer la portée et
le sens de la convention européenne des droits de l’Homme et en permettant le respect de
chaque état de ses engagements internationaux. La Cour s’appuie donc sur l’article 8
relatif au droit au respect de la vie privée et familiale qui renvoie systématiquement à une
prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant. Cette référence qui s’illustre
d’une manière explicite ou implicite à l’article 3-1 de la CIDE, permet aux juges de
vérifier la cohérence entre la prise en considération du principe et le respect des
dispositions de la convention EDH.
1329. D’ailleurs le fameux arrêt Maumousseau et Washington1137 c. France qui opposait
un couple franco-américain sur la garde de leur petite fille, reflétait bien la perception à
deux sens notamment lorsque la cour précise « que l’interprétation effectuée par les
juridictions françaises internes de l’article 13-b de la Convention de la Haye n’était pas
incompatible avec la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant de la CIDE » en soulignant
que « la CIDE appelle et oblige les Etats parties à prendre toutes les mesures nécessaires
afin de lutter contre les enlèvements et les déplacements illicites des enfants, et que les
Etats sont appelés à adhérer aux accords internationaux et ou aux accords bilatéraux
dont la convention de la Haye pour concrétiser cet objectif ». La Cour considère que la
concrétisation et la préservation de l’intérêt de l’enfant répond elle-même à la lutte contre
les déplacements illicites, et que l’appréciation de la notion de l’intérêt de l’enfant doit
être en cohérente avec les textes visés en l’occurrence la Convention de la Haye.
1137
CEDH, 6 déc. 2007, Maumousseau et Washington c/ France, req. n° 39388/05.
544
Autrement dit, la référence à l’intérêt de l’enfant doit être prise en considération dans le
cadre de l’article 13-b malgré que ce dernier ne se réfère pas d’une manière explicite à ce
principe, il est néanmoins une référence principale notamment à travers le préambule 1138
du texte et donc l’esprit même de ce dernier répond à la protection de l’intérêt de l’enfant.
De même, la Cour a considéré que les juridictions françaises ont apprécié d’une manière
stricte l’article 13-b ce qui répond à l’exigence de l’intérêt supérieur de l’enfant à travers
son retour à son milieu habituel1139.
Cependant, malgré que cette orientation de la Cour européenne paraissait plus logique et
concordante entre l’appréciation de l’intérêt de l’enfant et l’application de l’article 13 de
la Convention de la Haye de 1980 permettant le retour de l’enfant, la cour a néanmoins
adopté d’autres appréciations et assimilations entre le retour de l’enfant à son milieu
habituel et l’adoption de l’intérêt de l’enfant.
En effet, dans d’autres arrêts l’appréciation de l’intérêt de l’enfant semble apprécier
l’intérêt de l’enfant tel qu’il est adopté par la CIDE en étant un élément supérieur à celui
visé par la Convention de la Haye, aboutissant ainsi à une interprétation différente de
celle adoptée concernant l’affaire Maumousseau et Washington, qui permet la
confirmation d’un non-retour de l’enfant déplacé illicitement fondé également sur
l’appréciation de l’intérêt de l’enfant.
1330. L’évolution de la position de la Cour européenne des droits de l’Homme s’illustre
dans l’affaire Neulinger et Shuruk contre la Suisse du 6 juillet 2010 1140, dans laquelle
l’appréciation de l’article 13-b de la Convention de la Haye de 1980 par la cour de
Strasbourg s’est faite d’une manière différente à celle adoptée auparavant. En effet, la
cour a apprécié l’intérêt de l’enfant dans son non-retour à son milieu habituel en dépit de
l’application de l’article 13-b qui engage et oblige le retour de l’enfant illicitement
déplacé.
Ainsi, si dans l’ancienne position la Cour estimait qu’elle n’était pas compétente de
déterminer les risques graves auxquels l’enfant peut faire face, par sa nouvelle position, la
cour se permet de contrôler l’appréciation de l’intérêt de l’enfant qui a été adoptée par les
tribunaux nationaux dans le cadre de la Convention de la Haye.
En l’espèce, une mère de nationalité suisse avait quitté avec son enfant d’une manière
illicite l’Etat d’Israël où ils étaient installés et là où vivait le père de l’enfant qui est de
nationalité israélienne. Ce dernier demanda alors le retour immédiat de son enfant sur la
base de l’article 13-b de la convention de La Haye. Le retour constituait alors une
démarche d’urgence afin de mettre fin à « une voie de fait »1141.
1138
Le préambule de la Convention de La Haye de 1980 énonce que : « Les Etats signataires de la présente convention,
profondément convaincus que l’intérêt de l’enfant est d’une importance primordiale pour toute question relative à sa
garde… ».
1139
Gwenaëlle HUBERT-DIAS, L’intérêt supérieur de l’enfant dans l’exercice de l’autorité parentale, étude éclairée
par le droit européen, éd., épure-éditions et presse universitaires de Reims, 2018.
1140
CEDH, 6 juillet, 2010, Neulinger et Shuruk c. Suisse, req. n° 41615/07.
1141
A. BOICHÉ, « Enlèvement illicite d’enfants : actualité jurisprudentielle de la convention de La Haye », AJ. Fam.
2010, p. 482, cité par Gwenaëlle HUBERT-DIAS, op. cit., p. 140.
545
La réponse apportée à cette situation par la cour de Strasbourg est considérée comme
nouvelle, puisqu’elle va permettre l’adoption d’une nouvelle interprétation de l’intérêt de
l’enfant permettant à ce principe d’être le critère de décision du retour de l’enfant sans
pour autant se référer à la même interprétation cohérente adoptée dans l’arrêt
Maumousseau et Washington.
Entre les deux grands arrêts, l’évolution de la Cour européenne des droits de l’Homme
semble adopter une évolution fondée sur une nouvelle interprétation de la concrétisation
de la notion de l’intérêt de l’enfant dans le cadre de l’application de la Convention de la
Haye en se référant à l’article 8 de la convention européenne.
Autrement dit, la cour de Strasbourg adhérait à la perception de ne pas faire de l’intérêt
de l’enfant un critère de non-retour de l’enfant1142, en précisant que les éléments invoqués
au nom de l’intérêt de l’enfant pour empêcher son retour vidaient le texte de la
convention de la Haye de son contenu et de l’objectif d’engagement des Etats parties. En
d’autres termes la cour cherchait à établir une cohérence entre le principe de l’intérêt de
l’enfant et le fond de la convention. Désormais, la nouvelle interprétation permet de
décider du non-retour de l’enfant à son milieu habituel dans le cadre d’une prise en
considération de l’intérêt de l’enfant.
1331. L’évolution ou le changement de la position de la cour de Strasbourg est
principalement due à la prise en considération de tous les éléments caractérisant l’intérêt
de l’enfant dans l’interprétation de l’article 13-b de la Convention de la Haye. Une
position qui peut être dangereuse dans la mesure où la continuation de cette prise en
considération de l’intérêt de l’enfant peut même permettre sa remise en cause qui est
jusqu’aujourd’hui un instrument efficace dans la lutte contre l’enlèvement et les
déplacements illicites d’enfants.
C’est ce que Madame le Professeur GOUTTENOIRE considère comme une position qui
confirme « une tendance adoptée par la cour de Strasbourg à conditionner le retour de
l’enfant à son intérêt supérieur, ce qui rend ce retour moins systématique et limite sans
doute, l’efficacité du dispositif de lutte contre les déplacements illicites d’enfant, même si
c’est au nom d’une juste cause »1143. Ainsi, cette position incertaine à double
interprétation de la cour de Strasbourg de l’intérêt de l’enfant remet en question
l’application stricte de l’article 13-b de la Convention de la Haye et favorise d’une
manière explicite la possibilité du non-retour de l’enfant déplacé illicitement qui doit en
principe demeurer une exception dans le cadre d’une prise en considération de l’intérêt de
l’enfant.
1332. La possibilité d’interprétation de l’intérêt de l’enfant dans le cadre de l’application
de l’article 13-b de la Convention de la Haye peut provoquer des conflits encore plus
complexes lorsqu’il s’agit d’interprétation spécifique de l’intérêt de l’enfant dans des
systèmes juridiques qui adoptent une perception différente des risques auxquels l’enfant
peut faire face, aboutissant donc à des jugements de non-retour fondés sur des principes
influencés par la religion, la culture, etc.
1142
La cour de Strasbourg, le retour de l’enfant avec sa mère en Israël aurait entrainé une atteinte au respect de la vie
privée et familiale de la mère puisque cette dernière est poursuivie pénalement en Israël, ce qui justifie le refus de la
mère de retourner en Israël ce qui peut remettre en question la situation familiale de l’enfant en cas de retour.
1143
ADELINE. GOUTTENOIRE, obs. sous CEDH, 12 juillet 2011, Sneersone et Kampanella c/ Italie, in La famille
dans la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme, Rev. dr. Fam., 2012, études n° 6, n° 19.
546
Cette situation est celle du système juridique marocain qui a adhéré à la Convention de la
Haye de 1980 le 9 mars 2010, entrée en vigueur le premier juin 2010 1144.
1333. L’adhésion du Maroc à la Convention de la Haye de 1980 est aujourd’hui le reflet
d’une évolution législative progressive qui s’inscrit dans le cadre de la modernisation
judiciaire empruntée par le pays depuis des années. En effet, comme nous l’avons précisé
précédemment, cette modernisation visée par le législateur marocain a fait d’un nombre
de questions telles que l’égalité entre un homme et une femme et la protection des droits
de l’enfant un champ de réforme qui a permis l’adoption de nouvelles perceptions
ouvertes et d’un engagement international qui ne cesse de s’améliorer.
Toutefois, la spécificité du système juridique marocain qui aboutit souvent à la mise en
place d’un nombre de réserves quant aux questions qui heurtent les limites à caractère
religieux, permettent de s’interroger sur l’appréciation et l’application de la Convention
de la Haye par les juridictions internes du pays, dans le cadre d’une appréciation
spécifique du législateur marocain de l’intérêt de l’enfant dans de nombreuses questions.
1334. La solution adoptée par la pratique judiciaire peut paraître beaucoup plus simple
dans la mesure où le juge marocain se limite à une application stricte de la Convention de
la Haye de 1980 afin d’éviter toute intervention dans le fond ou de permettre une
appréciation nationale des raisons du non-retour de l’enfant à son milieu national. C’est
dans ce sens que la Cour suprême a affirmé dans un arrêt du 02 juin 2015 1145 que les
dispositions de la Convention de la Haye de 1980 sont d’une applicabilité supérieure à
celle du Code de la famille en matière de retour des enfants déplacés illicitement. En
l’espèce, un conflit entre un père franco-marocain et une mère marocaine sur le
déplacement illicite de leur enfant de la France où est leur résidence habituelle au Maroc.
Le père agit alors dans le cadre de l’application de la Convention de la Haye et demande
le retour immédiat de son enfant en France (son milieu habituel).
1335. L’autorité judiciaire marocaine a affirmé que conformément à la convention de la
Haye et à l’application des articles 7, 10, 12 et 16 du texte, le déplacement effectué par la
mère est considéré comme illicite et que le fait que la durée du déplacement ne dépasse
pas la durée de moins d’un an (art. 12), le retour de l’enfant en France doit être immédiat,
affirmant que la constitution marocaine dispose que les conventions internationales
priment sur le droit interne une fois la convention est entrée en vigueur dans le pays, ce
qui permet au parquet de demander le retour immédiat de l’enfant à son milieu habituel.
La mère évoque alors l’application de l’article 166 du Code de la famille qui accorde le
droit de garde à la mère jugeant le déplacement de l’enfant de licite puisqu’il y a eu un
divorce prononcé par un tribunal marocain ce qui lui accorde systématiquement le droit
de garde soulignant que les deux parents sont de nationalité marocaine et qu’ils se sont
mariés au Maroc ce qui lui accorde le droit de garder l’enfant au Maroc puisque la mère a
sa résidence habituelle actuelle au Maroc. La décision rendue par le tribunal de première
instance de la ville d’Oujda1146accorde raison à la mère en se référent aux éléments
avancés par cette dernière, une décision qui va être réaffirmée en appel.
1144
Publié dans le journal officiel n° 6026 du 04 Mars 2012.
1145
Décision n° 283 du 02 juin 2015, dossier n° 443/2/1/2014.
1146
Décision n° 5661du 26/08/2013, Dossier n° 1636/13.
547
Un pourvoi devant la cour suprême est formé par le demandeur ; et par son arrêt du 02
juin 2015, la cour désapprouve les juges de fond et considère que le déplacement de
l’enfant par la mère est illicite et contraire aux dispositions de la convention de la Haye.
Elle considère aussi qu’il est également infondé puisque le non-retour de l’enfant doit
être une exception fondée sur des preuves, or en la matière la mère n’apporte aucune
preuve de risque auquel l’enfant peut être confronté en cas de retour à son milieu habituel
(art. 13-b). La cour affirme également que l’absence de la prise en considération de la
convention de la Haye est contraire à la constitution marocaine qui est considérée comme
une loi interne supérieure au Code de la famille.
1336. Dans une autre affaire1147, la cour suprême a également affirmé l’application stricte
de la convention dans son ensemble lorsqu’elle a rejeté une décision de la cour d’appel
qui avait ordonné le retour des enfants d’un couple à double nationalité allemande-
marocaine en Allemagne. En l’espèce, la mère de quatre enfants qui est de nationalité
allemande, qui a décidé de retourner vivre en Allemagne en invoquent l’application de
l’article 3 de la convention afin qu’elle puisse exercer son droit de garde soulignant
également qu’il est dans l’intérêt de l’enfant de maintenir les liens avec ses deux parents
sans interruption notamment la mère. Ces arguments ont permis au tribunal de première
instance et à la cour d’appel d’autoriser le retour des enfants à leur mère. Une décision
qui va être rejetée par la Cour suprême en invoquant d’autres éléments justifiant le non-
retour des enfants. En effet, la Cour a considéré, d’abord que la mère avait renoncé elle-
même à la garde de ses enfants (malgré le fait que la mère évoque que la renonciation de
la garde en Allemagne était un acte qui tendait uniquement à faciliter le voyage et le
retour des enfants avec leur père.
Ce dernier rejette en totalité le recours à la convention de la Haye puisqu’il estime qu’il
n’y a pas lieu de déplacement illicite, et que son silence pendant plus de deux ans
confirme l’absence d’un déplacement illicite. Le père évoque également que l’intérêt
actuel de ses enfants était d’avoir une certaine stabilité au Maroc à travers leur résidence
habituelle et leur scolarisation et que la mère était au courant de cette situation
puisqu'elle-même détient une carte de résidence marocaine.
De plus, suite au départ de la mère en Allemagne, les témoins assurent que le père est le
seul qui assume toute la responsabilité de l’autorité parentale et que la mère exerçait son
droit de visite habituel sans aucune restriction. La cour décide de rejeter la demande de la
mère et d’ordonner un non-retour des enfants en Allemagne.
Entre les deux arrêts, il paraît difficile de systématiser le recours ou l’application de la
Convention de la Haye et que l’appréciation de l’intérêt de l’enfant demeure susceptible
d’interprétation selon le conflit. Toutefois, les juridictions marocaines semblent vouloir
éviter tout croisement entre la perception de l’intérêt de l’enfant national qui intègre
l’élément religieux et culturel dans le cadre de l’application de la Convention de la Haye
et notamment lorsqu’il s’agit du retour de l’enfant à son milieu habituel ou de l’exception
de son non-retour.
1147
Décision n° 90 du 26 janvier 2016, Dossier n° 286/2/1/2015.
548
1337 En effet, le danger auquel les juridictions internes peuvent être confrontées est celui
relatif à la religion de l’un des parents et à l’application de la Convention de la Haye,
dans la mesure où l’élément d’exception du risque peut être appréhendé par le cadre
religieux qui est un critère de fond pour l’exercice de l’autorité parentale sur le
fondement de l’article 173 al. 3 qui dispose que : « la capacité d’élever l’enfant sous
garde, d’assurer sa sauvegarde et sa protection sur les plans religieux, physique et moral
et de veiller à sa scolarité » ; ou encore lorsque l’article 145 qui dispose que l’enfant
« accède à la filiation de son père et suit sa religion ». Des dispositions qui installent une
sorte de discrimination à l’égard du parent non musulman et qui éloigne la prise en
compte l’intérêt de l’enfant lorsqu’il est à côté de celui qui subit la discrimination.
D’ailleurs dans de nombreux arrêts le père évoque « le cadre et l’environnement religieux
auxquels appartiennent les enfants ». Des dispositions qui rendent d’ordre public le
retrait de la Hadana à une mère non musulmane puisqu’elle est jugée dans l’incapacité de
transmettre une éducation religieuse aux enfants 1148.
1338. Le Maroc se trouve donc obliger de respecter les dispositions de la Convention de
la Haye dans le cadre du retour immédiat de l’enfant à son milieu habituel. D’ailleurs
c’est même dans le cadre de cet engagement international que le pays avait également
ratifié comme étant le premier pays musulman la Convention des Nations Unies
concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la
compétence en matière de responsabilité parentale et des mesures de protection des
enfants1149. En effet, la ratification de ce texte qui permet de renforcer la protection des
enfants et d’éviter « les conflits entres les systèmes juridiques en matière de compétence
et de lois applicables, de reconnaissance et d’exécution des mesures de protection des
enfants dans le respect de la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant 1150 ».
1339. Toutefois, l’adhésion du Maroc à un nombre important d’instruments
internationaux n’est pas suffisante pour répondre à l’ensemble des conflits à caractère
familial qui peuvent opposer le système marocain avec un autre système juridique qui
adopte une perception différente des relations familiales. C’est même dans ce sens que
l’article 11 de la CIDE souligne que : « Les Etats parties prennent des mesures pour
lutter contre les déplacements et les non-retours illicites d’enfants à l’étranger. A cette
fin, les Etats parties favorisent la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux ou
l’adhésion aux accords existants ».
C’est dans ce sens que le Maroc a adopté un nombre de conventions bilatérales afin
d’éviter toute incidence entre son système juridique imprégné par les pratiques
musulmanes en matière familiale avec ceux adoptés par les pays occidentaux à titre
d’exemple la France.
1148
Fabien. CADET, L’ordre public en droit international de la famille, Etude comparée France/Espagne, Paris,
L’Harmattan, 2005.
1149
La convention de la Haye de 1996, ratifiée et entrée en vigueur le 1 er décembre 2002 et qui a fait l’objet du dahir n°
202-136 du janvier 2003, publié au BO n° 5108 du 15 mai 2003, p. 375.
1150
Préambule de la Convention de la Haye de 1996.
549
B - La convention franco-marocaine
1340. Face aux difficultés posées par la divergence des systèmes juridiques en matière
familiale, les autorités politiques se sont retrouvées devant l’obligation d’abord d’adhérer
aux principaux textes internationaux permettant d’adopter un ensemble de principes
communs puis d’établir des conventions bilatérales dans l’objectif de mettre en place un
système de règles qui est mieux adapté aux conflits familiaux et permettant de renforcer
les coopérations judiciaires dans le domaine du droit de la famille 1151.
En effet, autre que les conventions internationales et celles multilatérales, la valeur et
l’importance des conventions bilatérales sont cruciales en matière de coopération
judiciaire entre les Etats. Ainsi est le cas de la convention franco-marocaine relative au
statut des personnes, de la famille et à la coopération judicaire. Cette convention consiste
à résoudre les conflits de lois sans porter atteinte à l’identité des deux Etats et de
préserver la culture, les mœurs, les valeurs voire même la religion.
1341. La coopération judiciaire entre la France et le Maroc a connu un long
acheminement qui a débuté par la première convention franco-marocaine du 5 octobre
1957 relative à l’aide mutuelle judiciaire et l’exequatur des jugements et qui va être
complété par la convention du 10 août 1981 permettant l’adoption de nombreuses règles
relatives à l’état des personnes et à la famille dont les conflits relatifs à l’attribution et
l’exercice de l’autorité parentale vont représenter une part très importante dans l’objectif
de limiter les déplacements illicites des enfants entre les deux pays.
1342. En effet, la Convention franco-marocaine présente d’abord un cadre général des
mécanismes adoptés en matière de conflits de lois. Elle permet l’adoption de certaines
règles de droit commun qui mettent en évidence les éléments relatifs à la capacité et l’état
de personne1152 tout en ayant en référence la nationalité de chacune des parties.
En effet, l’élément de la nationalité influence d’une manière systématique les conflits
familiaux notamment le mariage et ses effets. Toutefois, en matière de déplacement
illicite des enfants, la condition de la nationalité ne semble pas être un critère pour les
parties du litige.
1343. En la matière, l’article 19 prévoit d’abord la garantie et le respect réciproque sur le
territoire des deux Etats de l’ensemble des modalités d’exercice du droit de garde dans le
respect de l’intérêt de l’enfant. De même la convention prévoit à travers l’article 20
l’engagement et la coopération visant « à rechercher et localiser sur leur territoire des
enfants déplacés dont le droit de garde est contesté ou méconnu ».
Une référence qui peut paraître vague en matière de déplacement illicite des enfants mais,
néanmoins elle permet d’adopter d’une manière explicite la philosophie globale de la
convention de la Haye qui est celle de faire du retour immédiat de l’enfant à son milieu
habituel le principe et de son non-retour l’exception.
1151
Marie Claire FABOLETS, La position matrimoniale de la femme marocaine, in Les femmes et la construction
européenne, Les Cahiers du GRIF, n° 48, 1994, pp. 69-87.
1152
La référence à cette question se traduit d’abord en droit français à travers l’article 3 du code civil qui dispose que :
« Les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les français, même résident à l’étranger », puis en se
référent à l’article 4 de la convention elle-même qui dispose que : « La loi de l’un des deux Etats désignés par la
présente convention ne peut être écartée par les juridictions de l’autre Etat que si elle est manifestement incompatible
avec l’ordre public » et enfin de l’article 3 du Dahir royal sur la condition civile des étrangers au Maroc.
550
Cet esprit de la convention de la Haye est évident à travers les engagements bilatéraux
qui incitent les autorités centrales des deux Etats à prendre toutes les mesures nécessaires
afin d’assurer la remise volontaire des enfants ou de faciliter une solution amiable, à
protéger l’enfant de tout danger auquel il peut être confronté et à permettre et garantir le
respect de l’exercice de droit de visite.
1344. Cependant, la difficulté qui découle du respect de l’application de la convention
bilatérale ne se limite pas à celle de l’adoption de la règle et du mécanisme du retour de
l’enfant à son milieu habituel telle qu’elle a été adoptée que ce soit à travers la
convention de la Haye ou à travers la convention bilatérale ; la difficulté se manifeste là
encore dans l’appréciation spécifique de l’autorité parentale en droit marocain même
lorsqu’il s’agit d’une convention bilatérale. Ainsi, la recherche d’une coopération entre
des règles d’autorité parentale où le législateur français met en œuvre une perception de
coparentalité avec un système qui distingue entre le droit de la garde et celui de la tutelle
semble être complexe.
1345. Pour apporter une réponse plus explicite voire plus précise que celle adoptée par la
convention de la Haye, la convention bilatérale permet d’affirmer la règle principale du
retour de l’enfant et d’une reconnaissance d’exécution du jugement rendu par l’un des
deux Etats. En effet, l’article 25 de la convention prévoit que : « le juge de l’Etat où
l’enfant a été déplacé ou retenu doit ordonner, à titre conservatoire, la remise immédiate
de l’enfant, à moins que la personne qui a déplacé ou retenu l’enfant n’établisse que
lorsque le déplacement a été effectué la personne qui exercé la garde n’assurait pas
effectivement ou de bonne foi son droit de garde ; ou lorsque la remise de l’enfant peut
être d’une nature à mettre en danger la santé, la sécurité de l’enfant ou d’une survenance
d’une événement d’une gravité exceptionnelle ». De même, l’article 24 prévoit que « le
refus d’une décision établie par l’un des Etats ne peut être refusée lorsque le tribunal qui
a rendu la décision est celui de la résidence effective des parents ou de la résidence du
parent avec qui l’enfant vit habituellement ; lorsque le tribunal de l’Etat qui a rendu la
décision appliqué : si les parents sont de la même nationalité, c’est donc leur loi
nationale qui est appliquée et en absence de nationalité commune c’est la loi de leur
résidence commune, où la loi de la résidence du parent avec qui l’enfant vit
habituellement ».
1346. La concrétisation de ces dispositions permettant la coopération entre les deux Etats
s’est manifestée à travers de nombreux arrêts qui ont permis d’abord une appréciation
stricte de ces dispositions, tels que l’arrêt du 9 juillet 20021153 à travers lequel la Cour de
cassation a cassé une décision par le biais de l’article 25 de la convention bilatérale. En
l’espèce, un couple de nationalité française marié vit au Maroc avec ses deux enfants. La
mère décide de rentrer en France avec ses enfants en saisissant le juge français pour une
demande de divorce suite à laquelle une ordonnance de non conciliation a été rendue,
fixant la résidence habituelle des enfants en France aux côtés de la mère. En appel, la
cour a rejeté la demande du procureur de la république demandant le retour immédiat de
l’enfant à son père au Maroc.
1153
Cass. Civ. 1ère, 9 juillet 2002, n° 01-13.336 01-15.423. Disponible sur : www.legifrance.gouv.fr cité par Diae
SFENDLA, Thèse, op. cit., p. 217.
551
La Cour de cassation va alors rejeter la décision des juges de fond jugeant le déplacement
des enfants par la mère du Maroc vers la France d’illicite, la Cour se réfère à l’application
de l’article 25 de la convention franco-marocaine ordonnant le retour immédiat des
enfants à leur père, puisque la résidence habituelle des enfants avant leur déplacement par
la mère d’une manière illicite est celle qui se trouve au Maroc. Cette application
rigoureuse de la convention bilatérale et le respect de la coopération entre les deux Etats
en matière judiciaire a été réaffirmé dans d’autres arrêts. Toutefois, lorsque la notion de
l’intérêt de l’enfant intervient, l’appréciation des dispositions de la convention bilatérale
peut également être appliquée en se référant à l’importance de la prise en considération
de cet intérêt. C’est dans ce sens que la Cour de cassation a permis à travers ses deux
arrêts du 22 mai 20071154 d’apporter plus de précision quant à l’appréciation et
l’application de la convention bilatérale.
1347. En l’espèce, un couple franco-espagnol (mère française, père espagnol) qui réside
au Maroc a divorcé devant les tribunaux marocains ; le tribunal de la ville de Agadir a
attribué la garde à la mère avec obligation de résider à Agadir puisque le père s’est vu
attribué un droit de visite. La mère voyage avec l’enfant en France et saisit le tribunal de
grande instance de Montpellier afin de modifier le droit de visite du père. Par un arrêt
rendu par la Cour d’appel de Montpellier du 17 janvier 2006, la cour souligne que la mère
a été privée de maintenir des relations avec sa fille durant toute la période et que cette
dernière vivait chez son père, qui n’exerçait pas son droit de garde de bonne foi.
La cour a considéré l’appréciation de l’intérêt de l’enfant et a exigé l’application de
l’article 9-3 de la CIDE relatif au maintien des relations avec les deux parents et que dans
le cadre du respect de cette disposition, la cour estime qu’il est plus judicieux de
maintenir l’enfant en France. De même, la cour s’appuie sur l’application de l’article 25-2
de la convention bilatérale prévoyant que le principe est celui du retour immédiat de
l’enfant à son milieu habituel sauf lorsque la personne qui a déplacé l’enfant établit que le
retour de l’enfant peut mettre gravement en cause la santé, la sécurité en raison de la
survenance d’un événement de gravité exceptionnelle depuis l’attribution de la garde.
1348. Le père quant à lui évoque une saisine frauduleuse du juge français par la mère,
considérant que le déplacement de l’enfant a été fait d’une manière illicite et
qu’entretemps le tribunal de première instance d’Agadir lui attribué le droit de garde de
son enfant. Il considère alors qu’en vertu de la convention bilatérale seuls les tribunaux
marocains sont compétents dans l’examen du conflit relatif à la garde et au droit de visite.
La mère reproche à la Cour d’appel de Montpelier de s’être référée à la convention
bilatérale franco-marocaine alors que les dispositions de cette convention notamment
celles de la section 2 du chapitre 3 ne s’appliquent que lorsqu’il y’a conflit entre deux
parties de nationalité française et marocaine tandis que le père de son enfant est de
nationalité espagnole.
1349. La Cour de cassation s’aperçoit que la référence au chapitre 3 de la convention
bilatérale contient des dispositions relatives à l’entraide judiciaire dans le domaine de la
garde sans aucune condition de nationalité, jugeant le déplacement de l’enfant d’illicite.
1154
Cass, ch. Civ. 1ère, 22 mai 2007, n° de pourvoi 06-10892 ; Cass, ch. Civ. 1ère, 22 mai 2007, n° de pourvoi 06-
12687, Civil et familial, dans JDJ, 2007/8 n° 268.
552
Toutefois, la cour a estimé que la convention bilatérale « contient des règles de
compétence indirecte, permettant d’apprécier la compétence de la juridiction marocaine
qui a rendu le jugement », et que les dispositions du chapitre III du texte permettent à la
juridiction française d’effectuer la vérification des conditions selon lesquels le retour de
l’enfant peut être remis en cause. Pour cette raison la cour casse l’arrêt de la Cour d’appel
de Montpellier qui avait décidé que seul le juge marocain était compétent en matière
d’attribution du droit de la garde.
Dans le second arrêt, la cour souligne que l’application de l’article 25-2 de la convention
bilatérale est juste dans la mesure où la cour d’appel a effectué une appréciation de
l’intérêt de l’enfant, jugeant le retour de ce dernier au Maroc comme contraire à son
intérêt puisque les éléments de l’espèce démontre une possibilité de rupture du lien
parental entre l’enfant de sept ans et sa mère ce qui peut aboutir à un traumatisme
psychique, et permettre à la mère de maintenir l’enfant en France 1155.
1350. Ainsi, la cour de cassation a cassé le premier arrêt de la cour d’appel de
Montpellier et a confirmé l’appréciation de l’intérêt de l’enfant en ayant en référence le
risque auquel l’enfant peut faire face, ce qui reflète la prise en considération de l’intérêt
de l’enfant et de sa suprématie même lorsqu’il s’agit de l’application d’une convention
bilatérale et que l’application rigoureuse des dispositions de cette dernière doivent être
exercées dans le cadre d’appréciation de la prise en considération de l’article 9.3 de la
CIDE qui exige le maintien des relations entre le parent et l’enfant sauf lorsque ce
maintien peut représenter un risque pour l’enfant.
Ainsi, il ressort que la prise en considération de l’intérêt de l’enfant demeure l’élément
décisionnel qui peut influencer l’application des conventions que ce soit celle de La Haye
de 1980 ou la convention bilatérale franco-marocaine et justifier une liberté
d’appréciation de la part du juge sur la portée et la valeur des éléments de preuve du
danger auquel l’enfant peut être confronté.
1351. D’ailleurs, dans un autre arrêt du 12 juillet 20171156, la Cour de cassation réaffirme
sa position sur l’exception du non-retour de l’enfant en se référant d’abord à l’article 13.b
de la Convention de La Haye de 1980, puis à l’article 25 de la convention franco-
marocaine. En l’espèce, un homme et une femme sont mariés au Maroc depuis 2004 et
sont parents de quatre enfants qui sont nés de cette union. La mère choisit de s’installer
en France avec ses enfants, sans l’accord du père. Ce dernier décide de saisir les autorités
marocaines, pour un déplacement illicite de ses enfants sur le fondement de la
Convention de La Haye de 1980. Le procureur de la république près du tribunal de
grande instance de Rennes assigne la mère devant le JAF pour voir déclarer illicite le
déplacement des enfants. La mère faisait grief à l’arrêt d’ordonner le retour au Maroc des
enfants se trouvant en France dans un délai de quinze jours à compter de l’arrêt, sans
succès.
1155
Civil et familial, dans JDJ, 2007/8 n°268, commentaire des deux arrêts par Jean-Luc RONGÉ.
1156
Cass., ch. civ. 1ère, 12 juillet 2017, n° de pourvoi 17-11.840.
553
1352. En effet, la Cour suprême rappelle qu’il est question d’une application de
l’article 13-b de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, et qu’il ne peut être fait
exception du retour immédiat de l’enfant que lorsqu’il s’agit d’un danger prouvé et de
caractère grave auquel les enfants peuvent être confrontés ou d’une situation intolérable
pour ces derniers. De plus, la Cour souligne qu’au vu de l’application de l’article 34 de la
convention, cette dernière n’empêche pas le recours à un autre instrument liant l’État
d’origine et l’État requis afin d’obtenir le retour des enfants retenus d’une manière illicite
dans l’un de ces deux États. Ainsi, il résulte de l’application de l’article 25 de la
Convention franco-marocaine du 10 août 1981 l’exception à tout retour immédiat de
l’enfant uniquement si la personne ayant déplacé ou retenu l’enfant établit et prouve que
le retour de celui-ci et sa remise immédiate sont de nature à mettre en danger sa santé ou
sa sécurité, et en l’occurrence, celle des quatre enfants. De même, il importe de prendre
en considération tous les éléments fournis par les autorités judiciaires et par l’autorité
centrale1157 de l’État de résidence habituelle des enfants ainsi que toute information
relative à la situation sociale de la famille tout en respectant et tenant compte des
dispositions législatives concernant le droit de garde dans cet État de résidence. En outre,
la Cour rappelle que l’ensemble des appréciations des conditions du retour immédiat de
l’enfant et de l’exception de son non-retour doivent être appréciées selon l’article 3-1 de
la CIDE, en intégrant la considération primordiale de l’intérêt supérieur de l’enfant.
1353. Par ailleurs, face à l’application stricte de la convention bilatérale et à sa neutralité
à l’égard de l’appréciation de son contenu qui vise principalement le retour immédiat de
l’enfant mineur illicitement déplacé avant de pouvoir trancher sur la question du droit de
garde, certaines exceptions persistent encore et permettent une remise en question de la
rigueur de cette application. En effet, certaines décisions permettent de souligner qu’il est
également question d’une prise en considération des motivations que les juges de fond
peuvent apprécier, notamment lorsqu’il s’agit de celles relatives aux principes
fondamentaux des droits de l’Homme. C’est dans ce sens que la Cour de cassation1158 a
affirmé la décision des juges du fond qui ont écarté la convention bilatérale en se référant,
dans leur motivation, au souci d’une protection physique et psychologique de la mère de
l’enfant qui a été condamnée par le tribunal de Rabat à réintégrer le domicile conjugal1159.
1157
Il importe de souligner que les autorités centrales désignées par la convention bilatérale sont : les ministères de la
Justice des deux États respectifs dont les attributions sont celles soulignées par les articles 17 et 20 du texte qui sont les
mêmes que celles établies dans l’article 7 de la Convention de La Haye de 1980 et qui sont élaborés sous deux
principaux axes ; d’abord une assistance judiciaire mutuelle puis une coopération relative à l’exercice du droit de garde
et de visite sur chacun des territoires concernés tout en ayant comme objectif le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant
tel qu’il est énoncé dans l’article 19 du même texte qui garantit « le libre exercice du droit de garde sur l’enfant mineur
sous la seule condition de l’intérêt de l’enfant, sans autre restriction tirée de leur droit interne ».
1158
Cass. Civ. 1ère, 15 mai 2002, n° 00-11.087, RJPF, 2002, n° 10, 35, obs. A-M. BLANC.
1159
Il est à noter que dans l’ancien texte de statut personnel comme celui du Code de la famille, chacun des époux
conserve le droit de saisir la justice si le conjoint a quitté le domicile conjugal. Le texte de 2004 se réfère à un élément
principalement moral qui se manifeste dans l’article 4 du texte et qui dispose que : « le mariage est un pacte fondé sur
le consentement mutuel en vue d’établir une union légale et durable, entre un homme et une femme. Il a pour but la vie
dans la fidélité réciproque, la pureté et la fondation d’une famille stable sous la direction des deux époux,
conformément aux dispositions du texte ». Mais également à l’article 52 du même texte qui dispose que : « lorsque l’un
des conjoints persiste à manquer aux obligations visées à l’article précédent, l’autre partie peut réclamer l’exécution
des obligations qui lui incombent ou recourir à la procédure de discorde prévue aux articles 94 à 97 du texte ».
Toutefois, il importe de souligner que bien que cette procédure soit possible pour les deux époux, le recours à cette
procédure est davantage pratiqué par les hommes que par les femmes et ceci est également dû aux effets du refus de la
femme de rejoindre le domicile conjugal, puisqu’elle perd systématiquement son droit à pension prévu par l’article 195
554
Cette dernière qui est de nationalité française et qui a regagné la France avec son enfant,
évoquait ainsi son droit de protection ainsi que son droit de garde. En l’espèce, les
tribunaux français ont considéré la décision rendue par le tribunal de Rabat comme étant
une atteinte à un droit fondamental de la personne et en l’occurrence de la mère.
La Cour avait estimé que la justification de la décision adoptée par les juges du fond était
légalement établie et que le critère relatif à l’exception au retour de l’enfant ne faisait pas
l’objet d’une contestation. Ainsi, il ressort de cette décision que le recours à l’exception
au retour de l’enfant peut être fondé sur d’autres éléments, même lorsque ces derniers ne
reflètent pas d’une manière directe le danger auquel l’enfant peut être confronté. En effet,
il est question d’une protection indirecte de l’enfant auquel il est possible d’avoir recours
à travers son audition en estimant que la prise en considération de l’intérêt de l’enfant est
mise en danger par l’un de ses parents ce qui permet d’éliminer l’application du droit
marocain.
1354. De même, dans une autre affaire 1160, la Cour de cassation a réaffirmé qu’il est
possible d’éradiquer la convention bilatérale lorsqu’il est question du respect de l’ordre
public français, notamment lorsqu’il s’agit d’un retour immédiat de l’enfant qui prive l’un
des parents d’exercer son droit d’autorité parentale. En effet, en l’espèce, la Cour de
cassation avait estimé que le retour des enfants, dont la domiciliation habituelle était au
Maroc, sur le territoire marocain n’était pas dans l’intérêt supérieur de ces derniers
puisque la mère avait perdu son droit de garde suite à son départ du Maroc avec les
enfants sans l’accord du père. Le juge français a donc estimé que le retour des enfants au
Maroc ne permettrait pas le respect du maintien des relations personnelles entre les
enfants et leurs deux parents en application de l’article 9-3 de la CIDE. La position de la
Cour approuve que le danger auquel les enfants peuvent être confrontés soit celui de la
séparation même avec le parent qui a commis l’enlèvement, en assurant que le maintien
des relations entre les deux parents et les enfants peut être mieux garanti lorsque ces
derniers sont maintenus en France.
Ceci permet de se poser la question des effets d’un respect strict de la convention
bilatérale, dans la mesure où il est possible de s’interroger sur le respect de l’exercice
d’une coparentalité même lorsque la mère n’est plus gardienne. Un raisonnement que
Monsieur Michel FARGE souligne comme étant « un jugement sévère sur la capacité du
Maroc à assurer l’effectivité de ses décisions de justice en matière de responsabilité
parentale », ce qui aboutit à installer le doute sur l’efficacité de la coopération franco-
marocaine1161.
1355. L’exception au retour immédiat de l’enfant déplacé illicitement reflète une réelle
difficulté de l’application de la convention bilatérale en la vidant de son objectif principal
qui visait principalement le retour de l’enfant sauf lorsqu’il s’agit d’une possibilité
d’exposition de ce dernier à un danger. Ainsi juger des modalités d’exercice de l’autorité
parentale ailleurs que dans le pays de résidence habituel de l’enfant rend complexe
l’effectivité de la convention.
du texte qui précise que : « L’épouse qui refuse de rejoindre le domicile conjugal après sa condamnation à cet effet,
perd son droit à pension ».
1160
Cass. Civ. 1ère, 22 mai 2007, n° 06-12.687, Rev. dr. Fam., 2007, n° 7, comm. 155, Michel FARGE.
1161
Michel FARGE, op. cit.
555
En outre, si en France la prise en considération de l’ordre public où la référence aux
textes européens des droits de l’Homme permet d’écarter la coopération bilatérale, le
Maroc, quant à lui, n’hésite pas non plus à éloigner l’application du texte lorsqu’il s’agit
du respect de son ordre public, notamment lorsqu’il y a référence aux principes religieux
ou au privilège de nationalité. Ainsi, cette spécificité adoptée explicitement par le Code
de la famille à travers l’article 2 du texte dispose que : « les dispositions du code de la
famille s’appliquent : à tous les Marocains même ceux portant une autre nationalité… à
toute relation entre deux personnes lorsque l’une d’elles est marocaines et à toute
relation entre deux personnes de nationalité marocaine lorsque l’une d’elles est
musulmane… ». Cette disposition est en principe contradictoire avec l’esprit recherché
par le texte en instaurant une certaine discrimination à l’égard des personnes qui
disposent d’une autre nationalité, en les privant de se référer à leur droit national et
imposant l’application du droit marocain aux deux parties marocaine et française. Cette
position a toujours été critiquée par les spécialistes qui la considèrent comme contraire au
principe moderniste de la réforme de 2004 ainsi qu’à celui du droit international privé,
estimant l’écartement d’une prise en considération du droit étranger au même degré que
le droit national tout en soulignant que le législateur avait prévu la prise en considération
des dispositions spécifiques aux juifs marocains.
1356. Ainsi, cette spécificité adoptée par le législateur semble être un élément qui vide la
convention franco-marocaine de son contenu notamment à l’article 4 du texte qui
souligne que « la loi de l’un des deux États désignés par la présente convention ne peut
être écartée par les juridictions de l’autre État que si elle est manifestement incompatible
avec l’ordre public ». Cependant, la pratique remet en question l’applicabilité stricte de
cette disposition dans la mesure où la référence même à l’ordre public dans le texte limite
le terrain d’entente entre les deux systèmes juridiques 1162.
De ceci, il ressort systématiquement les limites de la convention bilatérale franco-
marocaine, que ce soit celle du 5 octobre 1957 relative à l’aide mutuelle judiciaire,
l’exequatur des jugements et d’extradition, ou encore la convention du 10 août 1981.
1162
Yves LEQUETTE, De l’utilitarisme dans le droit international privé conventionnel de la famille, in
L’internationalisation du droit. Mélanges en l’honneur du Professeur Yvon LOUSSOUARN, Paris, Dalloz, 1994,
p. 246, spec. n° 3.
556
Conclusion de la Seconde Partie.
1357. L’adhésion à une Convention internationale par un pays n’est pas une réussite en
soi, puisqu’elle doit être accompagnée d’un pragmatisme visant sa concrétisation dans la
réalité. Dans ce sens, Françoise DEUKEUWER-DÉFOSSEZ souligne que « l’effectivité
pratique de la CIDE est évidement la plus importante. Peu importe que le droit français
respecte ou non la CIDE, tant il est vrai qu’un droit théorique est peu utile. C’est le
respect effectif des droits et de l’intérêt de l’enfant qui est le véritable enjeu de cette
convention »1163. Une réflexion qui s’applique également au droit marocain et qui renvoie
clairement à la prise en considération du principe de l’intérêt de l’enfant ainsi que sa mise
en œuvre.
1163
Francoise DEUKEUWER-DÉFOSSEZ, op, cit, p. 35.
557
D’une part, celle d’un préambule du code de la famille et d’une constitution qui affirment
le recours au principe tel qu’il est reconnu par la CIDE et, d’autre part des dispositions du
code de la famille qui limitent, voir même interdisent cette prise en considération en
accordant au juge la possibilité de recourir aux règles du « fiqh » afin de justifier tout
refus de cette prise en considération.
558
Conclusion Générale
559
1366. En droit marocain, il parait que le contexte et les éléments d’influence autres que
ceux juridiques sont toujours d’actualité. Il est courant que le choix du législateur
marocain soit celui de faire un compromis entre une perception traditionnelle de l’enfant
et des valeurs de provenances différentes à savoir culturelles, sociales et/ou religieuses. Il
est sans doute vrai que la solution adoptée par le législateur marocain, qui est considérée
comme « une voie médiane », a permis d’apporter des réponses à la réalité de la
transformation de la société et de la famille marocaine ainsi qu’à la nouvelle place
occupée par l’enfant. Toutefois, l’étude du droit marocain de la famille permet de
souligner les difficultés et les conséquences de cette composition entre le traditionnel et le
moderne à travers la méthode de l’ijtihad. Cette dernière représentée par le législateur à la
fois comme une méthode de légitimation de son intervention mais aussi comme un
instrument de réforme qui permet la sauvegarde des principes fondamentaux du droit
musulman1164.
1367. En effet, tout en reconnaissant le dynamisme apporté par la réforme du Code de la
famille marocain de 2004, qui a permis une certaine flexibilité au droit, nombreuses sont
les insuffisances et les lacunes. La réaffirmation du législateur marocain de la
conservation de la norme religieuse semble être inévitable, puisqu’il est difficilement
envisageable de mener une réforme en matière familiale dans le cadre d’un rejet absolu
de la norme religieuse, et toute tentation de bouleverser ce cadre adopté n’est jamais
couronné de succès. Dans ce contexte, l’étude de l’intérêt supérieur de l’enfant semble
donc revêtir une spécificité en droit marocain qui fait de ce principe un objectif difficile à
atteindre dans le cadre d’une préservation de toutes les normes protégeant un modèle
familial traditionnel. Ainsi, c’est cette notion même de « famille traditionnelle » qui
incarne le modèle fondé sur la légitimité du couple, le patriarcat, et les inégalités entre
l’homme et la femme, que l’individualisation des droits de l’enfant trouve ses limites.
1368. La perspective adoptée par le législateur marocain quant à l’appréciation et la
concrétisation de l’intérêt supérieur de l’enfant est similaire à celle adoptée dans les
questions qui ont subi des réformes. Le caractère composite entre la règle internationale
et celle du droit musulman est évident, dans la mesure où toute introduction du principe
de l’intérêt supérieur de l’enfant n’a été faite que dans le cadre du respect de « la
Maslaha » qui répond à une interprétation approximative mais différente de cet intérêt en
droit musulman.
1369. En outre, l’introduction du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la
réglementation nationale marocaine a permis quelques modifications à travers une
affirmation plus importante du statut de l’enfant au sein de la famille et a accordé au juge
un nouvel instrument plus puissant pour désigner cet intérêt. Cependant, ce caractère
composite n’est pas sans conséquence, puisqu’il a obligé le législateur à respecter à
nouveau les limites du modèle familial et à se contenter de réformer les questions
relatives à l’intérêt de l’enfant d’une façon sélective entre celles qui peuvent faire l’objet
de cette introduction et celles où cet intérêt doit s’incliner pour ne pas heurter la norme
religieuse. Cette méthode a introduit dans le Code de la famille un décalage non
négligeable quant à la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ainsi,
1164
Mariam MOUNJID, op. cit., p. 332.
560
comment peut-on considérer, dans les décisions qui concernent l’enfant, l’intérêt
supérieur de ce dernier tout en négligeant son droit à la filiation lorsqu’il est né hors cadre
du mariage ? ou encore à celui d’entretenir des relations avec ses deux parents dans le
cadre de la Hadana, ou de le protéger de ces derniers mêmes lorsque son intérêt est mis
en danger ?
1370. Ces contradictions sont le résultat d’une confrontation entre deux perceptions
différentes de la protection de l’intérêt de l’enfant au sein de la famille. En effet, si pour
la perception internationale, la prise en considération de l’intérêt de l’enfant a une
considération supérieure, en droit musulman, cette supériorité est plutôt attribuée au cadre
familial et au respect des normes religieuses et sociales. Toutefois, ce caractère composite
adopté n’est pas l’unique réticence à la concrétisation de cette prise en considération,
mais il s’agit également de l’interprétation faite des règles du droit musulman qui malgré
la voie de l’ijtihad offre une belle opportunité.
Cette dernière permet d’adapter et d’harmoniser le droit interne avec les engagements
internationaux et d’adopter des textes qui répondent mieux aux exigences actuelles ; le
législateur demeure traditionnel limitant le recours à cet « effort de réflexion » dans de
nombreuses questions « ce qui favorise plus une approche historique du droit
musulman »1165 qu’une approche moderne fondée sur des approches novatrices
permettant l’adoption de nouveaux principe tels que celui de l’intérêt supérieur de
l’enfant.
Cependant peut-on considérer que l’outil de l’ijtihad est suffisant pour permettre des
réformes profondes de l’intérieur du cadre religieux ? Deux réponses contradictoires et
conflictuelles peuvent être apportées à cette question ; d’une part, celles adoptées par le
courant fondamentaliste qui a la conviction que la charia a déjà apporté une protection
adaptée à la personne de l’enfant et qui est valable pour tous les temps et tous les lieux.
D’autre part, un courant plutôt laïc qui souhaite sortir du cadre religieux et d’entreprendre
des réformes fondées sur les normes universelles. Ainsi, la prise en considération de
l’intérêt supérieur de l’enfant par le législateur marocain, consiste à souligner que la
référence du droit musulman ne doit être une excuse qui tolère le non-respect de
l’engagement international de l’État marocain vis-à-vis la CIDE. Ce dernier, répétant le,
qui s’est engagé dans un processus de modernisation doit répondre présent quant à la
protection des droits de tous les enfants sans aucune distinction ou discrimination
quelconque.
1371. Par conséquent, pour que le Maroc respecte ses engagements internationaux en
matière familiale, la référence au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le
préambule du Code marocain de la famille paraît insuffisante. Il conviendrait que ce
principe soit introduit à travers des institutions fondamentales dont l’intérêt de l’enfant
doit être considérée comme priorité. En ce sens, pour que la prise en en considération de
l’intérêt supérieur de l’enfant soit concrétisée, il faudrait envisager une nouvelle réforme
visant l’adoption et la mise en œuvre de l’ensemble des principes de la CIDE dans un
cadre législatif plus moderne adapté au progrès que le domaine du droit de l’enfant ne
cesse de connaitre.
1165
Mariam MONJID, op. cit., p. 333.
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Cour d’appel
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Cour Sup., le 10 mai 2006, dossier n° 289/2/1/2006.
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Cour sup., 09 février 2016, dossier n° 446/2/1/2015, décision n°134.
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Cour sup. 8 juin 2005, dossier n° 713/2/1/2003, et n° 439 du 28 sept 2005.
Cour Sup. Arrêt n° 180 du 15/03/2005, Dossier n° 604/2/2/2005, jurisprudence de la
Cour suprême, n° 67, janvier 2007, p. 140.
Cour sup. Décision n° 169, Dossier 571/2/1/2015, qui date du 16 février 2016.
Cour sup. décision n° 294, 29 mars 2016, dossier n° 630/2/1/2015.
Cour sup. Décision n° 303, rendue le 05 avril 2016, n° de dossier : 979/2/1/2015.
Cour sup. décision n° 457, du 31 mai 2016, dossier n° 299/2/1/2016.
578
Tribunal de première instance de Rabat, jugement n° 904 du 19/4/2004, dossier n°
1214/03/10 cité par R. ZEIDGUY, op. cit., p.U.N. Dev. Program (PNUD), Access to
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Tribunal de première instance de Rabat, jugement n° 904 du 19/4/2004, dossier n°
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Site du Ministère marocain de la justice et des libertés : www.justice.gov.ma
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www.adala.justice.gov.ma.
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581
582
INDEX
583
- Inégalité entre homme et femme, - pluralisme juridique, 438, 480.
68s, 76, 452s. - présomption de paternité, 765, 894,
895s.
- progrès scientifique, 1050s, 1060s,
- interruption volontaire de grossesse,
1074, 1077s.
250, 972.
- psychologie de l’enfant, 409, 1141s,
J 1077, 1142s.
- puberté, 116-146, 815s, 1296s.
- JAF, 611s.
- juge de la famille, 637, 643s. R
- juge des enfants, 714s, 1234s.
- reconnaissance de paternité, 107,
- juristes musulmans, 116s.
905s, 944s, 1123s.
L - réforme du code de la famille, 18,
20, 92, 548, 1152, 1182.
- la parentalité, 1080s, 1103, 1161,
1162s. T
- liberté religieuse, 59s. 508, 510,
- Tifl, 115s.
512s.
- tutelle matrimoniale, 82, 496.
M
V
- mariage des mineurs, 630s, 703s.
- valeurs religieuses, 478, 529s, 1174.
- . mariage polygame, 83. 101, 132s.
- vérité biologique, 885s, 897s.
- mariage religieux, 72, 711,
- médiation, 611, 631, 784s.
- monarchie, 71, 75, 134, 136, 141s.
O
- obligation alimentaire, 1277s, 1282,
1291s.
- obligation des parents, 124,130s,
745s, 1174s.
- ordre public, 1196, 1286, 1337s,
1355s.
P
- parenté, 94, 358, 532s, 772, 879s,
1053s.
- parole de l’enfant,125, 304, 808,
815s.
- philosophie des droits de l’enfant, ,
275s, 6557s
584
TABLE DES MATIÈRES
SOMMAIRE .......................................................................................................................... IV
INTRODUCTION .................................................................................................................... 1
La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) est considérée comme le traité le plus
ratifié au monde. Cet instrument adopte pour la première fois des principes fondamentaux dédiés à la
reconnaissance et à la protection des droits de l’enfant dans toutes les situations qui le concernent.
Parmi ces principes, il y’a celui de « l’intérêt supérieur de l’enfant » proclamé à l’article 3-1 qui
revêt une importance particulière dans toutes les législations. L’étude de ce principe dans le cadre
d’une comparaison entre deux systèmes juridiques complètement différents permet de soulever deux
principaux caractères dont il est doté. D’une part, ce principe est synonyme de force par son pouvoir
d’influencer le droit. D’autre part, par sa complexité qui résulte du manque d’une définition claire et
précise. En France, l’évolution du modèle familial a permis de transformer ce principe d’un élément
décisionnel à un principe de droit imposé au législateur et aux juges. Le revirement jurisprudentiel de
la Cour de cassation du 18 mai 2005 permettant l’applicabilité directe de la CIDE a permis d’intégrer
pleinement la primauté et la supériorité de l’intérêt de l’enfant. Une évolution qui parait rationnelle
puisqu’elle reflète l’aboutissement d’une histoire de consécration des droits de l’enfant. Cependant,
en droit de la famille marocain, la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant tel qu’il est
reconnu par la Convention parait plus complexe. Le droit de la famille au Maroc est fondé,
principalement, sur le droit musulman, qui adopte une perception particulière de l’enfant, de ses
droits, et de son intérêt. Ainsi, l’introduction d’un principe moderne d’origine philosophique trouve
de nombreuses limites. Ces dernières sont principalement relatives au modèle familial adopté qui
demeure traditionnel, et à la perception de la notion de l’intérêt « Al-Maslaha », qui doit répondre
aux normes culturelles, religieuses et sociales.
Mots clefs : CIDE- Intérêt- Enfant- droit- famille- Droit marocain- Droit français
Summary
The United Nations Convention on the Rights of the Child (UNCRC) is considered as the most
ratified treaty in the world. This international instrument adopts fundamental principles dedicated to
the recognition and protection of children's rights. Among these principles, there is "the best interests
of the child" principle, proclaimed in article 3-1 which is of particular importance in all legislation.
The study of this principle in the context of a comparison between two completely different legal
systems reveals two main characteristics with which it is endowed. On the one hand, this principle is
synonymous with strength through its power to influence the law. On the other hand, by its
complexity which results from the lack of a clear and precise definition. In France, the evolution of
the family model has made it possible to transform this principle from a decision-making element to
a principle of law imposed on the legislator and judges. The jurisprudential reversal of the Court of
Cassation of May 18, 2005 allowing the direct applicability of the CIDE made it possible to fully
integrate the primacy and the superiority of the interests of the child. An evolution that appears
rational since it reflects the culmination of a history of consecration of the rights of the child.
However, in Moroccan family law, taking into consideration the best interests of the child as
recognized by the Convention appears more complex. Family law in Morocco is mainly based on
Muslim law, which adopts a particular perception of the child, his rights, and his interests. Thus, the
introduction of a modern principle of philosophical origin finds many limits. These are mainly
related to the adopted family model, which remains traditional, and the perception of the notion of
"Al-Maslaha" interest, which must meet cultural, religious and social standards.