Culture Client Guillaume Antonietti Full Chapter

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Culture client !

Guillaume Antonietti
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GUILLAUME ANTONIETTI
DANIEL RAY

Culture Client
Réussir sa transformation
Suivi éditorial : Kristell Jullien
Mise en pages : Straive
Couverture : Carl Brand

© 2022, Pearson France pour l’édition française

Pearson France
2 rue Jean Lantier
75001 Paris

Aucune représentation ou reproduction, même partielle, autre que celles prévues à


l’article L. 122-5 2° et 3° a) du Code de la propriété intellectuelle ne peut être faite
sans l’autorisation expresse de Pearson France ou, le cas échéant, sans le respect
des modalités prévues à l’article L. 122-10 dudit code.

ISBN : 978-2-3260-6021-0
Dépôt légal : février 2022
Sommaire

Remerciements

Préface

Introduction

PARTIE 1
LA CULTURE CLIENT, LE NOUVEAU COMBAT DES ENTREPRISES

Chapitre 1 - Les entreprises n’échapperont pas à la nécessité de la


culture client

Chapitre 2 - Orientation client : ce que la science nous apprend

Chapitre 3 - S’orienter client est-il rentable ?

PARTIE II
MESURER LA CULTURE CLIENT POUR MIEUX LA PILOTER

Chapitre 4 - Les enjeux autour de la mesure : quelles approches


pratiques ?

Chapitre 5 - La culture client de l’organisation


Chapitre 6 - La culture client des collaborateurs : la partie
immergée de l’iceberg

PARTIE III
SITUATION ACTUELLE DES ENTREPRISES ET PERSPECTIVES

Chapitre 7 - Les grandes tendances observées

Chapitre 8 - Les huit commandements de l’orientation client

Conclusion

Bibliographie
Remerciements

Nous tenons à remercier l’ensemble de nos clients, mais aussi tous


ceux qui, par leurs convictions et leur exemplarité, nous permettent
de faire avancer le sujet de la culture client au cœur des entreprises.
Préface

Lorsque j’ai débuté ma carrière, la notion de « culture client » était


loin d’exister. La plupart des dirigeants étaient encore convaincus
que seuls la qualité et le prix d’un produit ou d’un service
conditionnaient l’acte d’achat. Le service client se devait alors d’être
réactif et disponible en cas de problème, sans pour autant être
considéré comme un élément essentiel de l’offre. Les clients étaient
présumés « volatiles » et le terme de « fidélisation » apparaissait
tout juste dans les discours des marketeurs.
C’est alors que j’ai rejoint, en 2002, la Maif qui non seulement
bannissait le terme de client au profit de celui de « sociétaire », mais
recherchait avant tout la satisfaction de celui-ci. Si au départ,
influencé par ma formation et mes premières années à Bercy, j’ai
surtout cherché à améliorer la productivité, j’ai rapidement réalisé
que c’était cette volonté de servir le client, en dépit notamment du
temps passé sur chaque dossier, qui faisait précisément la force de
l’entreprise. À partir de ce constat, nous nous sommes interrogés
avec mes équipes : comment aller plus loin encore, faire en sorte
que chacun dans l’entreprise ait réellement pour priorité la
satisfaction de nos sociétaires, de façon durable ?
Nous aurions pu réorganiser notre service client, multiplier les
process, enseigner de nouvelles « techniques commerciales » ou
organiser des parcours de formation. Pourtant, notre intuition,
nourrie par des témoignages et des lectures, fut tout autre : pour
des clients heureux, il faut avant tout que les collaborateurs de
l’entreprise partagent cette ambition et en aient aussi la possibilité
au quotidien – trouvant ainsi un vrai sens à leur travail. Et comme
l’indiquent Guillaume Antonietti et Daniel Ray dans cet ouvrage, cela
vaut pour l’ensemble des salariés, pas seulement pour ceux en
contact direct avec le client.
Le point de départ fut ainsi le management, à travers un véritable
plan de transformation culturelle afin de laisser une plus grande
place à l’autonomie et à la bienveillance et de réaffirmer nos valeurs.
À l’aide de groupes de travail collaboratifs, de renégociations de nos
accords et de plans de formations personnalisés, le « management
par la confiance » au service de nos sociétaires est alors devenu le
nouveau socle de nos relations internes. Nos managers sont
désormais là pour entraîner et donner du sens plutôt que des ordres.
Nos collaborateurs ne sont quant à eux plus placés dans un rôle
d’exécutant de simples tâches ou de procédures décidées en central,
ils bénéficient de réelles marges de manœuvre afin de résoudre, à
leur niveau, les problèmes auxquels ils sont confrontés. Nous avons
ainsi fortement investi sur l’une des trois dimensions de la culture
client mise en lumière dans le présent ouvrage : l’autonomie et la
responsabilisation des équipes.
Le fonctionnement collectif devient ainsi plus agile, il profite de
l’intelligence, de la connaissance des situations et de l’imagination de
chacun, au service de solutions plus adaptées. Une formule pourrait
résumer cette articulation entre la manière dont on permet au
collaborateur de révéler tout son potentiel, plutôt que de l’enfermer
dans des processus limitants, et celle dont il peut alors le mettre à
profit pour son entreprise : rendre capable pour rendre possible.
Chacun participe ainsi au projet collectif et, surtout, comprend son
rôle, la contribution qu’il apporte au quotidien.
Ce mode de relations internes est non seulement la clé d’un
épanouissement individuel mais aussi la meilleure façon d’assurer la
satisfaction des clients. En effet, lorsqu’un collaborateur aime ce qu’il
fait car il y trouve du sens, qu’il dispose d’une certaine autonomie lui
permettant d’être un acteur impliqué, qu’il est considéré avec
bienveillance, alors il devient spontanément un ambassadeur
convaincu de son entreprise et noue avec les clients une relation
sincère et chaleureuse. L’expérience de la Maif le démontre : une
culture interne véritablement centrée à la fois sur la satisfaction
clients mais aussi sur l’attention sincère portée au collaborateur,
irrigue durablement toute l’entreprise jusqu’au client.
Je pourrais multiplier les exemples : des conseillers qui tissent de
véritables liens durables avec nos sociétaires, à ceux qui sont prêts à
se déplacer chez eux pour leur rendre service ou à imaginer de
nouvelles solutions pour s’adapter à leurs situations particulières. Et
comme le soulignent très justement Daniel Ray et Guillaume
Antonietti dans cet ouvrage, cela concerne tous les collaborateurs :
chacun, à son échelle, comprend qu’il contribue à cette réussite,
même s’il n’est pas directement en contact avec le client. Il n’y a
ainsi pas d’étanchéité entre la culture interne d’une entreprise et sa
relation client ou l’image qu’elle dégage en externe. Ce qui se passe
à l’intérieur se voit à l’extérieur.
Cependant, pour que cela fonctionne « réellement », il faut que
tout soit aligné au sein de l’entreprise. C’est ainsi qu’à la Maif, par
exemple, notre accord d’intéressement prévoit une distribution
égalitaire et non un pourcentage des salaires comme c’est
habituellement le cas. C’est aussi notre façon de démontrer à
chaque salarié que sa contribution compte tout autant que celle d’un
autre, peu importe son niveau dans la hiérarchie.
Par ailleurs, nos conseillers ne sont pas commissionnés aux
ventes qu’ils réalisent afin qu’ils délivrent un conseil véritablement
sincère. Enfin, les offres imaginées par nos équipes traduisent notre
engagement au service de nos sociétaires : nous les développons
avant tout pour qu’elles répondent à un besoin, qu’elles soient
claires et simples et, lorsque c’est possible, aient un impact positif
sur la société. C’est le cas par exemple de notre offre de pièces de
réemploi pour les réparations automobiles. Mais comment arriver à
construire de telles offres si tous les collaborateurs concernés par ce
processus ne sont pas sincèrement orientés client – y compris, bien
sûr, ceux qui ne sont pas au contact des clients ? L’ensemble de nos
pratiques au sein de l’entreprise vont ainsi toutes dans le même sens
et c’est cette cohérence qui donne sa force à notre modèle.
Et nos résultats confirment les études scientifiques citées dans cet
ouvrage : au quotidien, la satisfaction de nos sociétaires se
manifeste alors par leur fidélité exceptionnelle qui constitue l’un de
nos avantages concurrentiels les plus forts ! Elle est, de loin, la plus
élevée du monde de l’assurance. En effet, à la Maif, le taux de
départ – autrement dit le pourcentage de clients qui nous quittent
dans l’année sur le nombre total d’assurés – est cinq à dix fois
inférieur à celui de nos concurrents. Nous avons calculé que si nous
avions le taux de départ moyen du marché, il nous faudrait dépenser
100 millions d’euros supplémentaires par an pour acquérir les
nouveaux clients qui compenseraient les départs.
Ainsi, si nos salariés passent plus de temps sur chaque dossier et
auprès de nos clients, ou que nos commerciaux ne font pas de «
vente forcée », ce coût est finalement mineur par rapport à ce qu’il
nous rapporte ! En témoignent la croissance de notre portefeuille de
clients, année après année, mais aussi les nombreux prix que nous
recevons : à la Maif, être orienté client ne détruit pas de la valeur
pour l’entreprise, cela en crée.
Grâce aux efforts de tous les collaborateurs pour faire vivre cette
véritable culture client au quotidien, nous montons en effet sur la
première marche du Podium de la Relation Client du secteur
assurance tous les ans, depuis 2004 ! Et cette année, en 2021, nous
avons même été les premiers, tous secteurs confondus. Une
récompense qui a une saveur toute particulière car elle porte sur
notre activité 2020, dans un contexte de crise sanitaire qui a
contraint toutes les entreprises à se réorganiser. Ainsi, si nous
apprécions déjà les effets de notre culture interne avant la crise,
ceux-ci se sont particulièrement révélés lors du premier confinement
: en quelques jours, nous avons su nous réorganiser avec agilité et
efficacité.
Nos équipes, qui avaient l’habitude d’avoir des relations de
confiance avec leurs managers et d’être autonomes, ont continué à
se mobiliser, même depuis leur domicile. Elles ont su faire preuve de
la même attention, écoute et bienveillance dont elles bénéficiaient
en interne, auprès de nos sociétaires qui nous contactaient, parfois
profondément inquiets face à la situation sanitaire. Notre forte «
relation client qualitative », pour reprendre le terme employé dans
cet ouvrage, nous a ainsi permis d’être encore mieux à leurs côtés
dans des moments difficiles.
Par ailleurs, elles se sont, en retour, nourries de toute la
satisfaction qui leur était témoignée par nos clients à la suite de nos
décisions engagées et notamment notre choix de leur rembourser
l’équivalent des primes d’assurance de leurs véhicules interdits de
rouler durant le confinement.
Notre modèle, orienté client, devient ainsi un véritable cercle
vertueux : nos salariés, épanouis, parce que tous mobilisés autour
d’un même objectif porteur de sens, font preuve d’une attention
sincère et d’une réelle volonté de satisfaire nos clients. Ces derniers
nous font part, en retour, non seulement de leur satisfaction, parfois
même de leur attachement à la Maif. Ces témoignages nourrissent, à
leur tour, la fierté de nos collaborateurs qui n’en sont alors que plus
engagés pour porter les valeurs de notre entreprise.
Ainsi, conforté par mon expérience à la Maif, j’en suis désormais
plus que convaincu : si vous cherchez à développer une « culture
client », faites confiance à vos collaborateurs et donnez-leur les
moyens d’agir en faveur des clients au quotidien !

PASCAL DEMURGER
Directeur général du groupe Maif
Introduction

“The purpose of business is to create and keep a customer”.


PETER DRUCKER

Pendant des années, les consultants ont essayé de nous convaincre


de l’importance des clients… Et c’est la Covid qui y a réussi ! Du jour
au lendemain, plus aucun client, donc zéro chiffre d’affaires. On a
fini d’intellectualiser l’importance de nos clients, on l’a vécue
douloureusement.
CITATION DU DG D’UNE ENSEIGNE DE DISTRIBUTION SPÉCIALISÉE

Pourquoi cet ouvrage ?

Pour survivre dans une concurrence exacerbée (digitalisation, prise


de pouvoir du client, etc.), les entreprises ont beaucoup investi pour
faire vivre « une expérience mémorable » à leurs clients. Mais la
plupart d’entre elles se rendent aujourd’hui à l’évidence : impossible
d’atteindre un tel objectif par la contrainte, la course aux process et
aux indicateurs de performance. En effet, tout cela ne mène souvent
qu’à du “customer washing” : on repeint l’extérieur aux couleurs des
clients, mais en réalité rien ne change ; on rémunère les
collaborateurs sur la satisfaction client ou encore le NPS (Net
Promoter Score), mais ceux-ci, obnubilés par l’atteinte de leurs
objectifs, finissent par supplier leurs clients de « mettre 9 ou 10 à
l’enquête de satisfaction, sinon on perd notre prime ». Disons-le tout
net : il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans le monde
merveilleux de l’expérience client !
Si aujourd’hui les problématiques de culture client préoccupent
tant les directions générales et les managers, c’est qu’ils se rendent
compte qu’on ne transforme pas une organisation uniquement à
coups de normes, de process et de KPI : c’est bien la culture même
de l’entreprise qui est en cause. Peter Drucker – encore lui –
l’affirmait dès les années 1950 : “Culture eats strategy for breakfast”
(« la culture ne fait qu’une bouchée de la stratégie »)… Et en effet,
les seules entreprises ayant réussi un tel recentrage client l’ont fait
en s’attaquant aux croyances et aux valeurs partagées au sein de
leur organisation, mais aussi aux rites, aux mythes, aux habitudes,
etc. – et bien sûr aux normes, process et KPI qui vont avec –,
permettant ainsi aux salariés, de la direction générale jusqu’au bas
de l’échelle, d’avoir un vrai intérêt personnel à agir en faveur des
clients.
Cet investissement semble avoir payé puisque les entreprises les
plus orientées client connaissent une croissance et une rentabilité
largement supérieures à la moyenne. En effet, sur ce point au
moins, toutes les études convergent, qu’elles soient réalisées par des
chercheurs ou des consultants (Mc Kinsey, Bain & Co., etc.) : seule la
création d’une véritable culture client permet de transformer
l’entreprise et d’acquérir un avantage concurrentiel durable – ou tout
au moins de survivre... Ainsi, comme le disait Olivier Gavalda,
directeur général du Crédit Agricole Île-de-France, en novembre
20201 : « Ne me parlez plus de “satisfaction client”, mais de “culture
client” ! La première se base toujours sur les mêmes indicateurs vus
et revus… La seconde, en revanche, est un défi que nous devons
tous et toutes nous attacher à relever au quotidien. À nous de
révolutionner nos pratiques, notre état d’esprit et nos instruments de
mesure ».
Étonnant ? Non, car ce que partagent des leaders aussi divers
qu’Amazon, Décathlon, Maif, Zappos ou encore Valrhona, c’est avant
tout une véritable obsession d’être systématiquement orienté client.
Et cette orientation client est palpable à tous les niveaux, qu’il
s’agisse des décisions du comité de direction, des comportements
des salariés au contact des clients mais aussi des fonctions supports
(RH, R&D, etc.) : tout converge vers cette préoccupation client.
Mais comment réussir une telle transformation sans y passer dix
ans et des millions d’euros, tout en évitant de tomber dans l’écueil
du customer washing… ?

Objectifs de l’ouvrage

L’objectif de cet ouvrage est directement opérationnel. Il s’agit


d’aider les dirigeants et les managers (direction générale, marketing,
stratégie, RH, expérience client, culture client…) à réussir leur
recentrage client, c’est-à-dire à créer une véritable culture client au
sein de leur entreprise.
Pour cela, notre expérience auprès de plus de 130 entreprises de
toutes tailles et tous secteurs (ex. : Arkea, Bouygues Construction,
Cegid, Crédit Agricole, Danone, Décathlon, EDF, Fnac, Malakoff
Humanis, Orange, Printemps, SNCF, Valrhona…) nous a permis de
repérer un certain nombre d’écueils quasi systématiques, mais aussi
de nous forger quelques solides convictions. Ce sont ces convictions
que nous partageons ici, en posant les vraies questions – souvent
inattendues – et en essayant d’y répondre sans détour.
L’enseignant-chercheur – Daniel Ray – apporte les fruits de plus
de 30 années de recherches sur l’orientation client, sur sa rentabilité
mais aussi sur les principaux facteurs clés de succès et les écueils à
éviter. Le manager – Guillaume Antonietti – témoigne, quant à lui,
de ses 20 années d’expérience en tant que consultant mais aussi en
tant qu’ex-directeur de la connaissance client de Décathlon puis de
la transformation client de La Halle (Vivarte). Et nos 7 années de
collaboration et d’échanges sur ces problématiques de culture client
nous permettent de proposer un certain nombre de méthodes mais
aussi d’exemples et d’astuces pratiques destinés à optimiser le ROI
de la démarche.

Structuration de l’ouvrage

Cet ouvrage est découpé en 3 parties successives. Il décrit tout


d’abord les 4 facteurs clés de succès incontournables pour réussir
une telle transformation :
1. Avoir compris pourquoi se recentrer client était inéluctable
(horizontalisation, maturation des marchés) ;
2. Ne pas se tromper de guerre : travailler sa culture client, ce n’est
pas « former les équipes aux gestes métiers » ;
3. Oui, s’orienter client est rentable et permet donc de réconcilier
l’intérêt du client avec celui de l’entreprise ;
4. Pour décider et agir de façon chirurgicale, rien ne remplace un
diagnostic suffisamment précis.

Il explique ensuite en détail chacune des deux grandes dimensions


de l’orientation client : concrètement, sur quoi peut-on agir ?
Enfin, il s’appuie sur un état des lieux de la culture client en
France pour proposer 8 commandements, 8 basiques permettant à
une entreprise de se mettre dans les meilleures dispositions pour
réussir son recentrage client.
Sorte de vade-mecum de l’orientation client, cet ouvrage peut se
lire en un aller / retour TGV. S’il se veut immédiatement
opérationnel, avec de nombreux exemples (cas réels d’entreprise),
mais aussi des témoignages d’experts et de managers confrontés à
la problématique, il propose aussi une démarche générique et
structurante issue des recherches scientifiques, qui peut donc être
utilisée comme « aide à la décision » tout au long de cette
transformation, facilitant une mise en œuvre immédiate et un
meilleur ROI.
Bonne lecture !

1 Source : https://www.linkedin.com/pulse/d%25C3%25A9passer-la-
satisfaction-client-pour-vraiment-les-clients-gavalda/?
trackingId=vezIy21bSHaojzhkWcHLbg%3D%3D
Partie 1
La culture client, le nouveau
combat des entreprises
Chapitre 1

Les entreprises n’échapperont


pas à la nécessité de la
culture client

Les modifications actuelles des rapports de force entre les marques


et les consommateurs ne relèvent pas d’une simple mode
conjoncturelle. Elles s’inscrivent en effet dans un mouvement plus
global de transformation de nos sociétés. Les entreprises qui
voudront survivre à ces bouleversements n’auront pas d’autre choix
que d’engager une réelle transformation client.
Voilà pourquoi, avant d’aborder de façon très opérationnelle la
mise en place et le management d’une véritable culture client, il
nous semble impératif que les décideurs (vous, lecteur !)
comprennent bien ce qui se joue derrière les préoccupations autour
de la culture client : pourquoi devons-nous, de gré ou de force, nous
recentrer client ? Quelles sont les conséquences à ne pas être
orienté client ? Comment éviter les erreurs vues ailleurs et améliorer
ainsi notre ROI ?
Les entreprises tardent à entrer dans le
nouveau monde

Malheureusement, ce constat n’est pas encore admis par tous. La


plupart des entreprises tardent ainsi à comprendre les enjeux de
l’évolution actuelle des rapports marques / consommateurs et à les
intégrer dans leurs business models.

L’horizontalisation des rapports marques /


consommateurs

Nous appelons « horizontalisation » le phénomène selon lequel les


consommateurs se sentent de plus en plus en position d’égal à égal
avec les marques – voire en position de force. Ce mouvement s’est
accéléré ces dernières années avec l’explosion des interactions entre
les consommateurs via les réseaux sociaux, interactions non
maîtrisables par les marques.
Mais au-delà de l’inéluctable maturation des marchés qui inverse
mécaniquement le rapport de force entre offre et demande, trois
phénomènes accélèrent ce développement. Tout d’abord, la montée
en puissance de l’économie collaborative (mutualisation, usage
plutôt que possession), mais aussi l’accès des consommateurs à une
information technique et experte en deux clics, limitent
mécaniquement la toute-puissance des marques. Ensuite, la
croissance exponentielle des avis de consommateurs permet à
chacun de s’affranchir du discours commercial des marques.
Les avis clients prennent en effet de plus en plus d’importance
(multiplication par trois du nombre d’avis, rien que sur l’année 2019
selon Google My Business, + 82 % sur Tripadvisor). Les
consommateurs ont tendance à les prendre très au sérieux et à
fortement les utiliser, en tous cas plus que le discours officiel des
marques ou celui des vendeurs / commerciaux. La confiance a
changé de camp : qui aurait imaginé un jour faire plus confiance à
des inconnus (avis clients) qu’à des vendeurs spécialisés ? Et a
contrario, c’est la défiance qui s’est installée chez les consommateurs
vis-à-vis des marques : en 2017, seuls 7 % des consommateurs
français déclaraient penser que les marques étaient « ouvertes et
honnêtes » ! (source : étude Authentic Brand).
Cette perte de légitimité des formes de pouvoirs traditionnelles,
qui, auparavant, était acquise d’emblée, donne aujourd’hui naissance
à l’horizontalisation en faisant émerger d’autres formes de rapport
entre les entreprises et les clients / consommateurs.

Les formes de pouvoirs traditionnelles sont remises en cause, ce qui


donne naissance à un nouveau monde dans lequel des entreprises
d’un nouveau genre apparaissent

Uber est une émanation de cette nouvelle donne. Mais pourquoi les
sociétés de taxi n’ont-elles pas inventé elles-mêmes ce service plus
tôt ? Parce que dans l’« ancien monde », elles détenaient le pouvoir,
avec une certaine forme de monopole « entre soi » (quelques
marques qui se font une concurrence feutrée). Chez Uber, le pouvoir
est rééquilibré (nous n’avons pas dit inversé !) : le client note le
chauffeur, avec potentiellement des conséquences importantes pour
lui, mais le chauffeur note aussi son client… Ainsi, les autres
chauffeurs peuvent refuser une course d’un client trop souvent mal
noté. Nous sommes au cœur de l’horizontalisation.
Le modèle relationnel sur lequel Uber, AirBnB, Doctolib ou encore
Blablacar basent leur succès est simple : faciliter la vie à leurs
clients, sans pour autant être totalement « à leur botte ». Et au-delà
de ces entreprises déjà très développées, des milliers de start-ups
émergent dans ce nouveau monde horizontal.

Les Digital Native Vertical Brands (DNVB)


sont surtout nativement orientées client !
Bergamotte, Jimmy Fairly, Oh My Cream, Le Slip Français, Tediber et Tip
Toe, Asphalte… Ça vous parle ? « Les Digital Native Vertical Brands sont
des marques indépendantes nées sur Internet qui se concentrent sur un
produit ou un marché très précis. Elles réalisent elles-mêmes la conception,
la fabrication et la commercialisation de leurs produits et s’adressent
directement aux consommateurs, sans l’intermédiaire de distributeurs »
selon la définition de l’association des Digital Native Vertical Brands
(www.france-dnvb.com).
Le digital est un élément nécessaire de la définition des DNVB, mais pas
suffisant. L’essentiel à nos yeux est qu’elles parviennent à pénétrer leurs
marchés avec une culture client largement au-dessus de celle de leurs
concurrents préexistants :
elles savent être à l’écoute des attentes de leurs clients en amont de
la production ;
elles préfèrent conserver la relation avec leurs clients plutôt que de la
sous-traiter : elles maîtrisent la chaîne complète, de la conception à la
distribution ;
elles inventent des postures relationnelles puissantes parce que
conniventes avec leurs clients ;
et surtout, leur véritable singularité, à bien y regarder, c’est que leur «
mission client » est inscrite au cœur de leur business model. Et leur
succès en est la meilleure démonstration !

On a trop vite fait de classer toutes ces entreprises, de BlaBlaCar


aux DNVB, dans la catégorie « start-ups digitales ». Certes, elles
sont nées récemment, elles sont de plain-pied dans le monde digital,
mais ce qui les caractérise surtout, ce sont quatre différences
radicales avec les entreprises ayant bâti leur succès sur des recettes
passées :
1. Ne pas forcer la fidélité. Vous devenez client et vous sortez
quand vous le voulez. Impensable pour les entreprises
classiques. Pensez aux abonnements auxquels vous avez
souscrits et auxquels vous souhaitez mettre fin… Dans les
entreprises du nouveau monde, on ne confond plus fidélité
attitudinale (j’aime la marque) et fidélité comportementale (je
rachète). Seuls les clients qui sont satisfaits restent fidèles.
2. Une disponibilité totale. Le temps de réponse du service
client d’Amazon est parmi les plus performants au monde. Et
même si les entreprises de l’ancien monde font des efforts
considérables à ce sujet, elles considèrent souvent leur service
client comme un centre de coûts qu’il convient de minimiser. Les
entreprises du nouveau monde ont, quant à elles, compris que la
disponibilité fait partie du business model de base actuel.
3. Une vraie transparence. Comme évoqué plus haut, les
entreprises du nouveau monde cherchent à créer de la
préférence sans techniques coercitives. Pour nous retenir, elles
ont donc tout simplement intérêt à ce que les termes du contrat
soient parfaitement connus et acceptés par les clients. Pas de
mauvaises surprises.
4. Une fluidité absolue. Ces entreprises cherchent avant tout à
simplifier les interactions avec leurs clients. On accède très
rapidement aux services, on choisit le temps que l’on souhaite
consacrer à l’interaction. Les scénarios d’interactions, donc les
parcours clients, sont pensés « en faveur des clients ». Tout est
organisé de manière à ce que le client fasse le moins d’effort
possible, ou en tout cas que la démarche du client soit la plus
simple et « sans couture » possible. On retrouve ainsi chez
Amazon un « responsable de la réduction de l’effort client », et
Orange a par exemple créé une direction de la « simplification de
l’expérience client » au niveau du groupe.
Nous ne vivons pas une crise, nous changeons de monde. Les
bouleversements sont déjà majeurs, mais devraient encore
s’accentuer. Nous sommes au début d’une nouvelle histoire : faisons
confiance à nos enfants pour la construire… mais transformons nos
entreprises pour qu’elles s’adaptent au plus vite à cette nouvelle
donne inéluctable !

Les entreprises de l’ancien monde sont dépassées

Les consommateurs, de leur côté, sont déjà prêts pour cette


horizontalisation, c’est-à-dire cette relation fluidifiée où l’effort est
pris en charge par l’entreprise, non par le client. L’étude GAFAnomics
publiée par Farnobel (2014) nous rappelle le gain de temps obtenu
sur 15 années, grâce à la technologie, pour effectuer des tâches
banales : il est 25 fois plus rapide d’organiser une soirée avec des
amis, 70 fois plus rapide d’acheter et d’emporter de la musique pour
son footing, 3 000 fois plus rapide de regarder un film rare. Vous
souvenez-vous des vidéos clubs ? Ils existaient pourtant encore il y a
seulement 15 ans…
Cela, tout le monde le perçoit, y compris les décideurs. Pourtant
nous attendons toujours trop longtemps en caisse dans les
magasins, nous avons encore des livraisons incomplètes nécessitant
de nous battre contre l’interlocuteur du service client, visiblement
totalement lobotomisé par des process internes complexes mais
obligatoires, et qui ne repère pas notre « cas » dans le script qu’il
doit impérativement suivre à la lettre... Il est toujours compliqué de
payer en carte bleue dans certains taxis. Notre banquier essaie
toujours de nous vendre des produits bancaires qui ne nous
intéressent pas. Acheter en ligne ne permet pas de cumuler les
points sur notre carte de fidélité comme en magasin, etc.
Face à ce nouveau mode relationnel (liberté, disponibilité,
transparence, fluidité, immédiateté) attendu par les consommateurs
(parce que déjà mis en place par les entreprises du nouveau
monde), les entreprises de l’ancien monde peinent à s’adapter – et
ce, malgré des managers et des salariés souvent motivés et
conscients des mutations actuelles. À l’image des taxis cités plus
haut, leur domination liée à leur puissance historique les a trop
souvent « engourdies » pendant de longues années. Certaines
pensent même pouvoir continuer quelques mauvaises habitudes en
toute impunité… (voir l’exemple ci-après). Quelle présomption à l’ère
des réseaux sociaux !

EXEMPLE
Dans un magasin textile, les soldes serviraient-elles à augmenter les
prix… ?

FIGURE 1.1 Photo vue sur un échange Facebook privé, devenue virale

Et non, il ne s’agit pas d’une erreur d’étiquetage puisque ce cas est très
courant !

Les entreprises doivent considérer qu’elles n’ont plus le même


pouvoir sur les clients, et qu’au contraire, l’avenir passera par la
coconstruction et donc l’échange permanent. A minima, les clients
ne peuvent plus être considérés comme de simples « portemonnaies
» prêts à faire d’emblée confiance aux marques.
Certains voient dans ce mouvement de transformation une
nécessité d’être plus « responsables », plus « développement
durable », plus « engagés ». Nous pensons qu’il ne faut pas réduire
le besoin de résilience des entreprises à leur unique capacité à être
plus « responsable écologiquement ». Ce point est évidemment
central, mais plus largement, il s’agit, pour chaque entreprise, de
trouver sa réelle vocation dans la société : quelle valeur ajoutée
apporte-t-elle à ses différentes parties prenantes, au premier rang
desquelles se trouvent ses clients ?

Comment se transformer ?

L’enjeu le plus urgent pour nos entreprises est de parvenir à


conserver voire gagner leur légitimité dans ce nouveau monde. Voici
cinq pistes de travail (parmi d’autres) qui nous semblent prioritaires
pour gagner la guerre de l’expérience client et regagner la confiance
des clients :

Piste n° 1 : rendre la liberté aux clients


Dans le nouveau monde, vos clients resteront parce que vous le
méritez, parce qu’ils l’auront choisi, et non pour de mauvaises
raisons (« séquestration » par contrat, technologie, etc.). Dans un
monde horizontal, la fidélité par contrat / par obligation est ainsi une
négation de la vraie fidélité (ex. : « je rachète cette marque parce
que je la préfère »), et donc de la rentabilité durable.
Avec cette première piste, se dessinent les liens qui vont nous
animer durant cet ouvrage : changement de monde
(horizontalisation) → nécessité de transformation des entreprises →
création d’une véritable culture client → rentabilité durable.

Piste n° 2 : en finir avec les signes d’arrogance


Dans leur communication, les marques ont toujours voulu donner de
bonnes raisons aux consommateurs de les aimer, en « montrant les
muscles ». Le mouvement est désormais différent : elles doivent
montrer qu’elles aiment leurs clients et qu’elles se préoccupent donc
en priorité de leur satisfaction. Romain Voog (ex-président d’Amazon
France) affirmait ainsi il y a déjà quelques années : « Nous ne
misons pas beaucoup sur la publicité. Nous préférons mettre cet
argent dans l’expérience client ».

Piste n° 3 : être « connecté à ses clients » pour adapter son


offre et ses services… jusque dans la cocréation
Dans un monde horizontal, il est indispensable de proposer une offre
parfaitement en adéquation avec des besoins qui changent pourtant
rapidement. Cela signifie être en permanence présent auprès de ses
clients pour décoder leurs attentes, voire leur proposer de participer
eux-mêmes à la construction de l’offre. Au-delà de la
personnalisation, certaines marques intègrent leurs clients dans
l’élaboration même des produits. Certes, ce concept n’est pas
nouveau, notamment en B to B, mais nous pensons que cette
capacité à mettre systématiquement ses clients au cœur du
processus de création fera partie des qualités requises pour les
entreprises du nouveau monde.

Quand « C’est qui le patron ? » (tout est


dans le titre) renverse les chaises
« Quand les consommateurs se mettent au milieu du débat, c’est la petite
zone d’espoir qui réapparaît » (Nicolas Chabanne, créateur de la marque
C’est qui le patron ?).
C’est qui le patron ? parvient à bousculer le marché en imposant une
démarche centrée client. Lors d’une interview (BFM Business, 22 février
2021), quand le journaliste lui demande s’il parvient à créer des liens avec
les géants de l’agroalimentaire, Nicolas Chabanne répond : « Si on les
écoute, ils cherchent à nous utiliser comme caution. On veut non pas
apporter une caution pour faire du green washing, mais co-brander les
produits avec les grandes marques. Quand Danone ou Nestlé nous appelle
et qu’on leur explique notre volonté (co-branding vs simple caution), alors
le directeur marketing refuse car il pense que les consommateurs vont être
perdus » : fâcheuse tendance de ces marques à toujours privilégier le
rapport dominant (la marque), qui explique au dominé (le consommateur)
qui, comme au xxe siècle, devrait « boire les paroles des grandes marques
».
Mais comme l’affirme Nicolas Chabanne : « Ça va finir par craquer et ce
vieux monde va céder ». Et visiblement, ça commence déjà à céder… :
C’est qui le patron ? représente plus de 16 millions d’acheteurs !

Piste n° 4 : regagner la confiance de ses clients


Comme évoqué plus haut, la confiance a changé de camp : les
consommateurs font en effet beaucoup plus confiance à des gens
qu’ils ne connaissent pas et qui donnent des avis sur un hôtel, un
produit, un service, qu’aux professionnels eux-mêmes.
Comment regagner la confiance de ses clients ? Pour simplifier, la
confiance est la conjonction de deux phénomènes : crédibilité et
bienveillance. Ainsi, « je suis persuadé que cette marque veut me
satisfaire, et je suis persuadé qu’elle en a la capacité ». Si la
question de la capacité semble aujourd’hui moins cruciale pour la
plupart des entreprises de l’ancien monde (souvent de grandes
entreprises), regagner la confiance revient à multiplier les preuves
factuelles que l’entreprise désire vraiment satisfaire durablement ses
clients. Mais vu la défiance actuelle, le chemin de la preuve ne doit
pas s’arrêter demain matin…

Piste n° 5 : simplifier la vie de ses clients


Dans un environnement devenu beaucoup plus fluide, il devient
urgent de s’assurer que les clients vont faire le moins d’effort
possible dans le cadre de leurs interactions avec les marques1.
EXEMPLE
Certains magasins commencent à gérer l’encaissement « volant » sur la
surface de vente par n’importe quel vendeur. Quelle fluidité de pouvoir se
faire encaisser par la personne qui vous a renseigné et servi !
De même, le fort développement du « click & collect » (réserver un
produit sur le site web d’une enseigne et venir le récupérer en magasin)
relève de cette logique de fluidité du parcours d’achat.

Malheureusement, malgré tous les efforts consentis par de


nombreuses marques, les consommateurs constatent encore
d’énormes lacunes dans la façon dont les marques parviennent à
leur simplifier la vie.
Comme on peut le constater, réussir cette transformation n’est
pas simple. La plupart des dirigeants l’ont compris et investissent
dans l’amélioration de l’expérience client. En 2021, nous ne
rencontrons plus aucune entreprise qui n’ait pas placé l’expérience
client au top de son plan stratégique. Malheureusement, comme
elles nous l’affirment, les retours sur investissement sont souvent
faibles.
En effet, « mettre le client au cœur de ses préoccupations » est
un enjeu beaucoup plus structurel, et la transformation des
entreprises (horizontalisation) sera culturelle ou ne sera pas.
La partie suivante a pour objectif de montrer un certain nombre
d’erreurs que peuvent faire des entreprises qui n’ont pas
véritablement engagé leur transformation culturelle, et cela, malgré
de très bonnes intentions en matière d’expérience client.

Être orienté client ou pas : les conséquences


peuvent être lourdes

Parvenir ou échouer à être orienté client a un impact sur le plan à la


fois stratégique et opérationnel.
Un impact sur les décisions structurantes, décisives ou stratégiques

Du fait des contraintes du capitalisme financier (« capitalisme


trimestriel »), certaines décisions stratégiques sont prises dans une
recherche de profitabilité à très court terme plutôt que dans l’intérêt
des clients. Or le constat est clair : ce type de décisions se retourne
inéluctablement contre l’entreprise et sa performance commerciale à
moyen et à long termes. Car à part en situation de monopole
durable, se mettre à dos ses clients, c’est ruiner le principal actif de
toute entreprise.
Loin de nous l’idée de prétendre qu’il faille penser aux clients
avant de penser à l’entreprise. Mais l’inverse n’est pas valable non
plus, le risque étant de voir ces décisions se retourner contre les
intérêts de l’entreprise.

EXEMPLE
Une multinationale industrielle dans le B to B a décidé de centraliser sa
logistique afin d’optimiser sa rentabilité. L’idée étant d’avoir un unique
entrepôt européen, plaque tournante de l’ensemble des sites de livraison.
Décision compréhensible. Malheureusement, les délais et la qualité de
livraison se sont fortement détériorés. Les clients ont exprimé leur
insatisfaction au niveau national, mais la logistique étant dorénavant
gérée au niveau international, pas moyen pour un patron de pays d’agir
pour améliorer la satisfaction de ses propres clients. Conséquence
immédiate : désaffection des clients et pertes de part de marché. Certes,
les gains financiers concernant la partie logistique ont été optimisés, mais
le manque de préoccupation client a généré une décision qui s’est avérée
in fine totalement contre-productive en termes de performance
économique (pertes de nombreux contrats).

Un impact sur la relation client au quotidien

Indépendamment des process, les collaborateurs au contact client


peuvent faire vivre à ces clients une expérience exceptionnelle,
normale ou médiocre. Nous avons tous en tête de très bonnes
expériences vécues grâce à un vendeur particulièrement attentionné,
bienveillant, prêt à trouver une solution à notre problème… Autant
de personnes pour qui notre intérêt est visiblement prioritaire. Ou au
contraire des situations très agaçantes avec des personnes qui ne
font absolument aucun effort pour nous. Ces comportements
dépendent du « désir sincère » de prioriser l’intérêt du client. Nous
verrons plus loin que ce « désir sincère » est soit une affaire de
personnalité (être individuellement orienté client ou pas) et/ou la
résultante de ce que nous appellerons « culture client de
l’organisation ».
Analysons maintenant les conséquences de ce « désir sincère »
de favoriser l’intérêt du client dans trois cas différents :
1. relation client en situation processée, avec un process orienté
client ;
2. relation client en situation processée, mais cette fois avec un
process non orienté client ;
3. relation client en situation non processée.

FIGURE 1.2 Trois cas d’interactions possibles

Interaction client en situation processée, avec un process


orienté client
EXEMPLE
Un client récemment abonné appelle le service client pour modifier une
information le concernant. Le centre de relation client (CRC) fait le
nécessaire et adresse un mail de confirmation au client. Le process est
respecté, mais ce mail revient en « NPAI » (n’habite pas à l’adresse
indiquée), ce qui génère une requête dans le CRM. Le CRC clôture celle-
ci en précisant que les modifications ont bien été faites. Une autre tâche
est alors confiée à un conseiller clientèle pour appeler ce même client
dans le cadre d’une démarche de réassurance. En découverte dans le
CRM, le conseiller voit que ce client est débiteur. Or la consigne, dans ce
cas, est de ne pas appeler le client – ce qu’il fait. Le process est respecté.
Le service financier, de son côté, adresse quatre relances par mail au
client car il est débiteur. Là aussi, le process est respecté.
Conclusion : chacun des process a bien été respecté, mais le client :
n’a pas eu de confirmation que la modification demandée avait bien
été effectuée ;
n’a pas bénéficié de l’appel de fidélisation, dispositif stratégique
pour l’entreprise ;
a été relancé pour impayé et se retrouve au contentieux malgré lui.
À date, l’histoire ne nous dit pas si ce client est toujours client…

Que retenir de cette histoire vraie (et sûrement ordinaire) ? Que


chacun a certes respecté son process, mais que sans « esprit client
», même les process les mieux pensés mènent souvent à des
catastrophes côté client.

Interaction en situation processée, avec un process non orienté


client
Vous l’avez compris, nous nous retrouvons ici dans le pire des cas :
celui où un process existe et où il n’est pas orienté client. Si le
collaborateur respecte ce process, il paraît clair que la satisfaction
client ne sera pas au rendez-vous. Pour autant, malgré des process
peu orientés client, les collaborateurs savent parfois faire preuve de
discernement, permettant donc à leur client de vivre une expérience
positive. Mais pourquoi cela se passe avec tel collaborateur et pas
avec l’autre ? Comment réagit le manager s’il est au courant ? Et le
PDG ?
Ces questions posent la nécessaire nuance entre orientation client
individuelle et culture de l’organisation ; problématique qui sera
largement abordée plus loin dans cet ouvrage.

Interaction en situation non processée


Un grand nombre d’interactions client renvoient à des situations qui
ne font appel à aucun process. Le collaborateur au contact du client
va donc devoir agir sans se référer à une directive, une procédure,
une pratique normée. Libre alors à lui de le faire dans l’intérêt du
client, dans celui de l’entreprise ou dans le sien. Dans ce cas précis,
la culture client va évidemment jouer un rôle majeur, la culture du
collaborateur et celle de l’entreprise devenant alors un « filtre » à
décisions.

EXEMPLE
Prenons l’exemple (réel) d’un collaborateur d’une boutique d’opérateur
télécom. Un client qui achète un smartphone lui fait part de son
inquiétude quant à sa capacité à connecter son appareil avec le système
Bluetooth de sa voiture. Le vendeur décide alors d’accompagner ce client
jusqu’à son véhicule pour lui montrer la manipulation. On imagine que
cela a été possible car il y avait peu de clients qui attendaient dans la
boutique. Malgré tout, cette décision spontanée et personnelle (non
obligatoire dans le cadre d’une qualité de service normale) va générer
une expérience client exceptionnelle, et donc sans doute une réelle
fidélité ainsi que du bouche-à-oreille positif auprès de ses collègues et
amis.

Pour terminer, intéressons-nous à un exemple particulièrement


éclairant puisqu’il combine différentes situations processées et non
processées. Cet exemple montre que la culture client de
l’organisation et/ou des collaborateurs est un phénomène complexe
à mettre en place et à maîtriser.
EXEMPLE
Désireux d’offrir un cadeau à sa femme pour la Saint-Valentin, un client
s’est rendu dans une bijouterie. Il a présenté la carte de fidélité qui était
au nom de sa femme. Or, dans un souci d’optimisation de l’expérience
client, l’enseigne transmet dorénavant par mail au propriétaire de la carte
les certificats d’authenticité (ainsi plus de souci de stockage ni de perte).
Problème : sa femme a donc malheureusement reçu, dès le samedi, le
certificat d’authenticité du bijou qu’elle allait recevoir en cadeau le
lendemain… Surprise ratée !

Nous tenons là un bon exemple d’une entreprise qui, croyant bien


faire pour ses clients (nouveau service qui facilite la vie des clients),
rate totalement son objectif par manque de culture client. En effet,
parallèlement à la mise en place de ce process orienté client, il aurait
fallu aussi travailler la culture client des collaborateurs. Ainsi, dans
notre exemple, la vendeuse aurait dû avoir « l’intelligence client » de
vérifier le nom figurant sur la carte de fidélité, qu’il s’agissait bien
d’un cadeau pour cette personne, puis, de proposer de différer
l’envoi du certificat. D’où vient ce déficit de comportement ? À
nouveau, il est possible que ce soit une maladresse de la part d’une
vendeuse peu orientée client et/ou que cela provienne d’un déficit
de culture client de l’organisation.
Suivant la façon dont ils ont été conçus, les process peuvent donc
être aidants ou répulsifs pour agir en faveur des clients.
Malheureusement, créer une véritable culture client leur paraissant
complexe à maîtriser, à évaluer et donc à manager, les entreprises
ont trop souvent recours à des normes supposées plus facilement
maîtrisables et objectivables. Et mettre en place ces normes leur
permet aussi de croire que les collaborateurs les moins enclins à
prioriser l’intérêt des clients « rentreront dans le rang ».
Or nous constatons qu’il n’en est rien :
Les normes ne sont souvent objectivables que vues d’une feuille
Excel, loin de toute réalité du terrain ;
Aucune norme ne transformera un collaborateur non orienté
client en créateur d’enchantement. Certes, il dira « bonjour » si
la norme l’y oblige, mais ce « bonjour » sonnera faux et
provoquera la réaction contraire à celle désirée chez le client…
Au commencement étaient les process

Pour mesurer le poids de plus en plus important des normes et des


process destinés à manager l’expérience client, il est nécessaire de
comprendre les processus « d’industrialisation de la relation client ».

Le fondement de la démarche : la chaîne


satisfaction-fidélité-profit

La recherche académique a depuis longtemps souligné le rôle de la


satisfaction client dans la performance économique des entreprises.
Keiningham et al. (2008)2 ont, par exemple, montré que la
capitalisation boursière d’une entreprise en t1 était très fortement
liée au niveau de satisfaction de ses clients en t0. D’après leurs
résultats, un trader qui a investi 100 $ en 1996 dans les entreprises
du Standard & Poor 500 a doublé la valeur de son portefeuille au
bout de 10 ans (204,70 $) ; en revanche, si ce même trader a investi
100 $ dans des sociétés comparables mais ayant, cette fois, une
satisfaction client à la fois au-dessus de la moyenne et en
augmentation, la valeur de son portefeuille a non plus doublé mais
triplé au bout de 10 ans (312,04 $) – soit plus de 100 %
d’augmentation par rapport au Standard & Poor ! Au vu de ce genre
de chiffres, on comprend mieux l’intérêt croissant des dirigeants
(naturel ou forcé) pour la satisfaction client…
Pour autant, les liens entre satisfaction et rentabilité sont
complexes, et la majeure partie de l’effet de la satisfaction sur la
performance financière n’est pas directe. De nombreuses recherches
ont ainsi montré que la fidélité venait souvent s’insérer entre la
satisfaction des clients et la performance : si la satisfaction ne
permet pas de créer de la fidélité, son effet sur la performance s’en
trouve largement diminué. Ainsi, selon un modèle maintenant
classique – mais toujours débattu compte tenu d’autres concepts
venant interagir (engagement, attachement, confiance, etc.) – la
satisfaction engendrerait (peut-être) de la fidélité ; fidélité qui
engendrerait elle-même du profit (sous certaines conditions)3.
Fortes de ces démonstrations, mais surtout prises à la gorge par
la pression concurrentielle conjuguée au pouvoir grandissant des
clients, les entreprises se sont mises à vouloir piloter la satisfaction
de leurs clients.

La nécessité de manager les comportements

Elles ont ainsi mis en place des processus destinés à normaliser les
comportements des collaborateurs afin d’optimiser l’expérience
vécue par leurs clients, mais aussi d’assurer une vraie cohérence de
l’expérience entre canaux. Après l’industrialisation de leurs chaînes
de production, les entreprises sont ainsi rentrées de plain-pied dans
l’ère de « l’industrialisation de la relation client ».

La prise de conscience de la nécessité de développer l’expérience


client / les parcours client

Historiquement développée dans les années 1970-1980 autour des


politiques qualité, la satisfaction client devient, dans les années
1990-2000, l’apanage des directions marketing. Dans un monde où
la concurrence est exacerbée, gagner un nouveau client coûte de
plus en plus cher : le client devient un bien rare, d’où la
prépondérance des politiques de type « cultivateur » (rétention des
clients) plutôt que « chasseur » (conquête). Dans ce contexte, après
avoir longtemps été le but recherché, la satisfaction n’est plus le
Graal ; elle n’est que l’un des instruments au service de la
fidélisation.
Enfin, depuis une dizaine d’années, l’expérience client a
clairement renversé la satisfaction et la fidélité dans l’esprit des
managers. Les enseignements de Pine et Gilmore (1998)4
s’appliquent en effet parfaitement à un monde où le rapport de force
entre offre et demande s’est inversé. Pour autant, contrairement à
ce que pensent certains, il ne faut pas impérativement faire vivre à
tout moment « une expérience mémorable » à ses clients !
L’économie de l’expérience est plutôt fondée sur une compréhension
en profondeur des véritables besoins et aspirations des clients
durant l’intégralité de leurs relations avec la marque – qui comprend
donc aussi l’avant (anticipation) et l’après achat/consommation
(souvenir).

EXEMPLE
Lorsque les studios Universal de Los Angeles constatent que leurs clients
doivent passer des heures à attendre au soleil, ils transforment ces
moments d’attente en « attractions » au sein de groupes de clients ou
entre groupes de clients, et leur font donc vivre des moments uniques : à
Universal Studios, on ne s’ennuie pas pendant les moments d’attente –
certains refont même la queue juste pour profiter à nouveau de ce bon
moment (authentique) !

Dans ce contexte, la compréhension des parcours client5 et, surtout,


la convergence de toutes les forces de l’entreprise vers ce but
constituent un basique indispensable à une expérience client réussie.
Mais contrairement aux pratiques que nous observons dans de
nombreuses entreprises, cette « reconstitution chronologique, pour
un motif donné de contact (achat, réclamation, etc.), de ce que vit
un client tout au long de ses interactions avec l’entreprise »6 doit
nécessairement être appréhendée « côté client ». Ainsi,
commencer chaque phrase liée aux parcours client par «
Moi, client, je… » plutôt que « Il va en magasin pour… »
constitue donc LE mantra indispensable à qui s’intéresse à
l’expérience client. En effet, la tentation est forte de voir les
parcours client à travers notre propre prisme interne (nos processus,
nos scripts, etc.) : dans toute entreprise, la force centripète est
souvent bien supérieure à la volonté de se focaliser sur les attentes
explicites mais aussi implicites des clients !

EXEMPLE
Quand la direction des remontées mécaniques et services des pistes de
Val d’Isère passe d’une vision du parcours client de type « Nous sommes
coincés par la raideur des pistes pour les retours à la station » à une
vision telle que vécue par les clients « Moi, client débutant avec enfants,
j’ai peur lors du retour à la station à cause des skieurs qui dévalent les
pistes noires et qui arrivent nécessairement au même endroit », cela
ouvre la porte à la création d’une expérience client largement améliorée :
en déplaçant les pistes « Débutants » sur une zone plus appropriée en
altitude et en les incitant fortement à redescendre en utilisant les
télécabines (plans, panneaux, conseils des perchmen et des pisteurs,
etc.), Val d’Isère a largement amélioré l’expérience et donc la satisfaction
de ce segment important de clients – satisfaction qui décuple la
probabilité de recommandation de la station mais aussi de
renouvellement de séjour.

Mais dans la plupart des entreprises, qui dit « optimisation des


parcours client » dit « mise en place de processus », donc de
normes et de process, afin d’assurer la cohérence des pratiques
entre différents sites, moments, situations, etc. Et qui dit «
processus » dit nécessairement « indicateurs de performance »…

Une pluie de nouveaux indicateurs

De très nombreux indicateurs « client » ont ainsi été créés au fil du


temps (et des modes…) : CSAT, NPS, CES, WAR, etc.
Le plus connu et le plus répandu reste sans conteste le NPS (Net
Promoter Score). Proposé par F. F. Reichheld en 20037, cet indicateur
s’appuie sur une simple question de recommandation : «
Recommanderiez-vous cette marque à un collègue ou un ami ? »,
avec des notes allant de 0 (« non, certainement pas ») à 10 (« oui,
certainement »). Il consiste à retrancher le pourcentage de «
Détracteurs » (notes de 0 à 6) au pourcentage de « Promoteurs »
(notes 9 ou 10). Le succès de cet indicateur repose sur différents
arguments – largement critiquables8 –, notamment le fait que,
d’après Reichheld, le NPS soit fortement corrélé à la croissance du
CA et permette également de ne plus avoir à réaliser d’imposantes
enquêtes de satisfaction. Quoi qu’il en soit, la simplicité du modèle
et la puissance de Bain & Co (F. F. Reichheld est associé au sein de
ce cabinet de conseil) a permis au NPS de s’imposer comme la
norme en matière de mesure de la « performance client » d’une
marque.
Le recours à un ou plusieurs indicateurs client a généralement un
effet bénéfique assez rapide sur la satisfaction client : les équipes se
mobilisant, les scores ont tendance à augmenter les premiers mois.
Et de façon plus générale, insérer un indicateur client dans le
balanced scorecard du dirigeant a aussi un mérite majeur : porter le
sujet de la satisfaction client au cœur de l’entreprise, souvent pour la
première fois…
Mais avec le temps, il devient compliqué de mobiliser l’entreprise
autour de cet indicateur pour 3 raisons principales :
1. Après un effet levier à court terme, les scores évoluent
finalement assez peu. N’oublions pas pour autant que «
simplement » maintenir un (bon) score de satisfaction constitue
déjà un résultat très positif. En effet, la satisfaction est définie
comme le rapport entre la performance perçue et les attentes. Or
dans un monde concurrentiel, ces attentes évoluent
systématiquement et rapidement à la hausse : dans ces
conditions, maintenir un (bon) score de satisfaction signifie donc
avoir progressé aussi vite que les attentes de ses clients… ;
2. De nombreuses entreprises utilisent peu la richesse des
baromètres de satisfaction pour décider des actions
opérationnelles, et négligent les verbatims associés. Les
indicateurs client sont ainsi considérés comme des contraintes et
non des opportunités ;
3. Comme tout indicateur de performance (lois de Campbell et de
Goodhart9), les indicateurs client sont souvent détournés de leur
objectif initial : l’atteinte du niveau demandé par la direction sur
l’indicateur (CSAT, NPS, CES, etc.) devient très vite l’objectif en
tant que tel, reléguant l’objectif initial (le vrai) au second plan. Ce
danger majeur des indicateurs client est développé dans le
paragraphe suivant.

De façon plus générale, qu’il s’agisse des biais liés aux indicateurs,
de la force centripète intrinsèque à toute organisation qui nous incite
à nous préoccuper en priorité des problèmes internes, ou encore de
la pression sociale qui règne autour de la satisfaction client, tout
nous pousse à une contradiction majeure : la nécessité de faire
bonne figure vis-à-vis de l’extérieur (le célèbre « Nos clients sont au
cœur de nos préoccupations ») tout en gérant au mieux les
contradictions internes (réduction des coûts, injonctions
contradictoires du management, etc.). Au total, même si l’intention
était positive à la fois pour les clients (satisfaction), pour l’entreprise
(rentabilité), mais aussi pour les collaborateurs (satisfaction au
travail), cette contradiction vécue par la grande majorité des
entreprises mais surtout des collaborateurs – et pas uniquement
ceux en contact des clients – mène inéluctablement à trois types de
pratiques négatives que nous détaillons ci-après.

“The big mistake”


Comme évoqué précédemment, la coexistence de différentes
contraintes apparemment contradictoires mais pour autant
inéluctables mène les entreprises à un certain nombre de pratiques
détruisant de la valeur. Le capitalisme financier actuel impose en
effet une forte pression à très court terme : avec des actionnaires
réclamant un retour sur investissement annuel de l’ordre de 15 %10,
comment ne pas prioriser la réduction des coûts et les gains de
productivité à outrance ?
Mais en même temps, comme nous l’avons décrit plus haut, plus
les marchés deviennent matures, plus ils se complexifient et se
durcissent : les clients prennent le pouvoir et la concurrence
s’exacerbe, menacée de plus par l’arrivée de nouveaux acteurs aux
business models différents (plateformes, etc.).
Au total, les entreprises sont donc contraintes à se recentrer client
pour survivre, tout en créant plus de valeur pour l’actionnaire à très
court terme. Cet effet tenaille (cf. Figure 1.3) est (mal) vécu au
quotidien par l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise, et en
premier lieu par les dirigeants.

FIGURE 1.3 L’effet tenaille du capitalisme financier et de la maturité des


marchés
Qu’observe-t-on en termes de pratiques pour survivre dans cet
océan de contradictions ? Malgré la diversité des solutions, trois
grandes (mauvaises) directions semblent plébiscitées : le customer
washing, le détournement des indicateurs client, et de façon plus
générale, la lobotomisation de la relation client.

Recours au customer washing

À l’instar du green washing (vanter ses préoccupations écologiques


uniquement pour se dédouaner socialement, et ne rien faire en
réalité), le customer washing consiste à s’affirmer particulièrement
concerné par les problématiques d’expérience client, mais à ne
surtout rien modifier de ses mauvaises pratiques. Ainsi, lorsque la
pression des clients devient trop forte et qu’une organisation n’est
pas en capacité de modifier ses pratiques ni son mode de
fonctionnement dans le temps imparti (structure, organisation,
process, etc.), la tentation est grande de privilégier la peinture
extérieure plutôt que de s’attaquer aux fondations : ce qui est
montré dans la devanture n’a ainsi rien à voir avec la boutique, et
encore moins avec l’arrière-boutique…

- JEU -
Réfléchissez aux trois marques que vous considérez comme les moins
préoccupées par votre satisfaction (vous verrez, c’est facile !). Allez voir
maintenant, par exemple, leur site internet : il y a fort à parier que dès la
page d’accueil, vous trouviez des éléments de langage tels que « satisfaire
nos clients est notre priorité » ou encore « notre mission : proposer à nos
clients une expérience exceptionnelle »…
Allez, on vous aide : regardez par exemple du côté du commerce du bout de
la rue qui placarde des affiches sur sa véritable obsession de la satisfaction
client mais qui ferme entre midi et deux « parce que nous aussi, on a le droit
de manger ». Ou encore dans le secteur bancaire ou de l’assurance, sans
parler de la réparation automobile ou encore de l’habillement – pour n’en citer
que quelques-uns – : autant de secteurs où certaines entreprises (certaines
seulement, heureusement) pratiquent quotidiennement le grand écart entre
promesse affichée et réalité de l’expérience vécue par leurs clients.

Mais rappelons tout de même que ce customer washing est souvent


bien involontaire. Les entreprises auxquelles vous avez pensé ne
sont pas toutes constituées de collaborateurs qui se moquent de la
satisfaction client, mais plutôt de gens comme vous et moi qui se
retrouvent « cornérisés » entre leurs obligations de performance
financière et de performance client… Mais vous l’avez bien compris :
si certains l’ont longtemps pratiquée dans le passé, une telle posture
ne peut plus durer à l’ère de l’horizontalisation et des réseaux
sociaux, car ses conséquences peuvent vite devenir dramatiques en
termes d’image.

Détournement des indicateurs de performance


client

EXEMPLES
Alice travaille au service client d’une grande banque. Dans le cadre
d’un plan global de réduction des coûts, on lui demande de faire
non plus 5 mais 6 appels à l’heure, tout en atteignant un NPS
supérieur à 40. L’exercice lui paraît évidemment impossible.
Maud, marketeuse dans les télécoms, s’entend dire qu’elle doit
impérativement sortir deux offres atteignant un score de 85 % de «
très satisfaits », et ce dans un délai court et avec un budget
amputé de 30 %.

Dans les illustrations qu’on vient d’aborder, trois solutions s’offrent à


Maud et à Alice : se démettre (démissionner, changer de job), se
soumettre (privilégier les indicateurs de productivité), ou ressentir
un profond malaise dans leur travail (il s’agit ici de dissonance
cognitive), travail qui devient totalement dénué de sens et donc
source de burn-out.
On comprend donc aisément qu’une quatrième solution (souvent
complémentaire à la troisième), plus simple, plus immédiate mais
aussi moins coûteuse, soit la plus répandue. Elle consiste à «
s’occuper personnellement » de l’indicateur de satisfaction ou du
NPS : sollicitation des clients pour qu’ils nous notent 9 ou 10 (NPS),
omission de certains clients insatisfaits dans les fichiers destinés aux
enquêtes de satisfaction, « choix éclairé » des résultats à montrer ou
non à la direction, etc.
« Je ne crois qu’aux statistiques que j’ai falsifiées moi-même »
disait Churchill…
Or, il apparaît que ces pratiques sont en train de se généraliser
dans tous les secteurs : en effet, si l’un des compétiteurs obtient des
scores élevés – même faux – et le fait savoir, ses concurrents sont
obligés de suivre. Ainsi, qui d’entre nous peut aujourd’hui affirmer
n’avoir jamais été abordé par un collaborateur d’une entreprise dans
la réparation automobile, les télécoms, la banque, le retail, etc. avec
cette demande : « Si vous êtes satisfait, répondez bien 9 ou 10 à
l’enquête de satisfaction. C’est important pour nous », voire « Je
peux vous avoir une réduction supplémentaire de 3 % si vous me
mettez 9 ou 10 à l’enquête de satisfaction »… On sent l’indicateur
NPS et les biais évoqués ci-dessus !
Ces pratiques posent une question de fond : puisque l’indicateur
ne correspond plus à la réalité, quid des conséquences positives
normalement attendues (rachat, recommandation, etc. et donc
rentabilité accrue) ? Et, surtout, comment échapper à de tels biais ?

EXEMPLE
Il y a quelques années, le comité de direction d’une célèbre entreprise
française, leader mondial dans son domaine, avait pris conscience que
l’ensemble de ses filiales truquait les résultats des enquêtes afin d’obtenir
un niveau de NPS qui ne les pénalise pas : la réalité de l’expérience client
était au plus bas mais les résultats des NPS « officiels » étaient plutôt
bons… Ce comité de direction avait compris que de telles pratiques
menaient l’entreprise à sa perte, et s’indignait du manque de
professionnalisme et d’engagement de ses salariés. Pourtant, à y
regarder de plus près, les responsables n’étaient pas uniquement les
collaborateurs concernés mais avant tout le management (et donc en
premier lieu le comité de direction en question)… Moment épique
lorsqu’un des directeurs osa appeler les choses par leur nom et affirmer
haut et fort que « le problème est d’abord dans cette salle, parce que
nous faisons semblant depuis des années de nous centrer sur la
satisfaction de nos clients, alors qu’en réalité nous ne mettons qu’une
pression stupide à nos collaborateurs à travers l’atteinte d’indicateurs
hors sol, uniquement destinés à nous rassurer et à faire bonne figure vis-
à-vis du monde économique et de nos actionnaires » !

Quand les indicateurs client ne décrivent plus la réalité de ce que


vivent les clients, ils ne permettent plus de manager et encore moins
d’optimiser l’expérience client. Parce que ces pratiques peuvent
durer tant qu’elles restent « sous les radars », leurs conséquences
sont dramatiques pour l’entreprise mais également pour la
motivation et l’engagement des salariés. Et plus les collaborateurs
redouteront les conséquences négatives de résultats médiocres sur
ces indicateurs, et/ou plus les dirigeants seront aveugles, plus le
réveil sera douloureux : perte importante de clients, difficulté à en
conquérir de nouveaux, dépositionnement de la marque.
De nombreuses entreprises ont indexé une partie de la
rémunération variable de leurs salariés sur un indicateur client (NPS,
satisfaction, etc.). En première analyse, cela peut paraître une
excellente idée pour motiver les collaborateurs et leur faire prendre
conscience de l’importance de ces indicateurs. Sauf que, comme le
montrent de nombreux retours en arrière à l’heure actuelle, le biais
évoqué ci-dessus risque fort de n’en être que décuplé : l’objectif
mesuré par l’indicateur concerné (satisfaction des clients, volonté de
recommander la marque, etc.) sera totalement négligé au profit du
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escondida,
la causa no sufre poder
publicarse,
ni para decirse ni para callarse
ni entrada se halla, ni tiene
salida.
Mudar ni oluidar ya no es en
mi mano,
ni puede quererse ni puedo
querello,
porque el menor daño está en
padezello
y en mí lo doliente es mejor
que lo sano;
es grande el dolor, mas es tan
ufano
que veo perderse mi vida de
claro,
si más no perdiesse no es
mucho ni caro
que cierto en perdella
perdiendo la gano.
El fuego que dentro del
alma m'abrasa
su pena es tan graue que no
sé dezilla,
querria viuir por solo sofrilla
mas este querer la muerte me
acusa;
conoze en mis males que no
se m'escusa,
pues toda la causa está en mi
desseo,
más mal no pudiera hacerme
Perseo
aunque me mostrara la faz de
Medusa.
(Habla contra el amor.)
Contentate agora, amor
engañoso,
pues todos tus fuegos con
tanto furor
encienden y abrasan de vn
pobre pastor
sus tristes entrañas, sin dalle
reposo:
bien te podrás llamar vitorioso
venciendo vn vencido que
quiso vencerse
de quien imposible le fue
defenderse
ni tú si le viesses serias
poderoso.
Esfuerça tus fuerças en mí
pobrecillo,
enciende con ellas mi fuego
mortal,
que quanto más creces la
pena en mi mal
la causa me hace contento
sofrillo;
empleas tus flechas en vn
pastorcillo
rustico, solo de bien y de
abrigo,
que no podrán tanto tus
mañas comigo
que desto m'apartes, ni menos
dezillo.

(Habla con su soledad.)


Venid soledad, leal
compañia,
que solo con vos me hallo
contento,
con vos gozo más de mi
pensamiento
que nunca se parte de mi
fantasia,
vos no me dexais, dexóme
alegria,
plazer ni esperança en quien
ya no espero,
reposo, descanso, tampoco
los quiero
ni nada de quanto primero
tenia.

(Habla al ganado.)
O triste ganado qu'estás sin
señor
a solas paciendo, pues solo te
dexo,
quexarte has de mí, tambien
yo me quexo
del mal que sin culpa me haz'
el amor.
No plangas perder tan triste
pastor
de quien no esperabas ya
buena pastura,
pues él ya no espera sino
desuentura,
dexalo a solas passar su dolor.
E vos mi çurron, e vos mi
rabel
que soys el descanso que
traygo comigo,
pues veys que me veo quedar
sin abrigo,
razon es que quede sin vos e
sin él;
n'os duela partir agora d'aquel
que hasta el morir aun dél se
desdeña,
e vos mi cuchar e vos mi
barreña
andayos con dios, partios
tambien dél.
A solas quedad comigo,
cayado,
pues todo lo dexo y pasar no
me dexa,
al menos con vos del mal que
m'aquexa
podré sostenerme estando
cansado;
dexé mi çurron, rabel e
ganado,
la yesca, eslabon, barreña,
cuchar,
dexé mis plazeres, mas no mi
pesar
e menos a vos tampoco he
dexado.
Agora reposo que solo me
veo,
agora descanso en medio mis
males,
o lagrimas mias, o ansias
mortales,
o tristes sospiros con quien yo
peleo;
la vida aborrezco, la muerte no
veo,
que aun essa me niega su
triste venir,
e trueca el matarme con
darme el viuir
por no complazer mi triste
desseo.
O más aborrido pastor sin
ventura
de quantos oy viuen en toda la
tierra,
nin todo lo llano, nin toda la
sierra
nin todos los bosques, ni otra
espesura;
quien t'a de sanar, tu muerte
procura,
no tienes reparo, ni tienes
abrigo,
ni tienes pariente, ni tienes
amigo,
si mueres te falta tambien
sepultura.
Agora estaras, Torino,
contento
que tú de tu mano te diste
herida
que basta quitarte mill vezes la
vida
sola la causa de tu
pensamiento,
medido do llega su
merecimiento
vista tu suerte quedar tan
atrás
que quieres tu pena y no
quieres más
y no te consienten sofrir tu
tormento.
¿Dónde toviste, Torino, el
sentido,
cómo podiste tan presto
perdello?
¿que vees tu mal, no pues no
querello?
si quexas, tus quexas no eres
oydo,
consientes tu mal e no eres
creydo.
Mejor te seria del todo morir
que verte penando muriendo
seruir
do solo es tu pago tenerte
aborrido.
Oido yo a huego quexuras
tamañas
como este pastor descubre
que siente,
yo nunca vi en otro qu'estando
doliente
dixese que s'arden en él sus
entrañas;
yo creo que tiene heridas
extrañas
que quieren del todo con
yerua matallo,
quiero buscar quien venga a
curallo
si puedo hallarlo por estas
cabañas.
Quiça l'a mordido perro
dañado
o qualq'animal o lobo rabioso
pues da tales buelcos, no
tiene reposo
y esta delos ojos ciego
turbado;
no vee do dexa çurron ni
cayado,
vertida la yesca, quebrado el
rabel,
o es el demoño que anda con
él
o qualque desastre que tiene
el ganado.
O si con su amo quiça si ha
reñido
si quiere lleualle qualque
meçada,
mas él no haria por poca
soldada
estandose a solas tamaño
roydo;
miafe que pienso que no es so
mordido,
c'aquellos solloços no son de
buen rancho,
quiero traballe del pie con el
gancho,
quiça si lo sueña estando
adormido.

(Habla el mismo Guillardo


admirandose
porque no le sintio trauando
del.)
O dolo a dios y
cómo no siente?
mayor es que sueño
este su mal,
alli me pareze que
viene Quiral
que le es gran amigo
y aun cabo pariente,
quiero llamallo, zagal
es valiente,
oyes, Quiral, allegate
acá.
Q. Miafe, Guillardo,
yo ya me yua allá
que bien ha buen rato
que lo tengo en miente.
G. Pues yo te he
llamado por fazer tu ruego
que vengas a ver tu
amigo Torino,
que aqui le he
hallado tan fuera de tino
que dize que s'arde
en brasas de fuego.
Q. Quiça habra
perdido o choto o borrego
y está maldiziendo la
res que lo cria.
G. No es esse el mal,
Quiral, que dezia,
mayor es el daño de
qu'él está ciego.
Yo me he
quillotrado tan junto con él
que de las manos le
quité el cayado,
ni él me sintio ni mira
al ganado,
ni cura si andan los
lobos en él;
acá está el çurron,
allá está el rabel,
y el no son sospiros y
ahuncos de muerte
diziendo y quexando
su mal qu'es tan fuerte
que passa los otros
de pena cruel.
Y aun tengo
sospecha quiça qu'está
enfermo
según l'he sentido tan
gran comezon,
que deue tomalle
qualque torozon
d'andar passeando
de noche este yermo.
Q. Miafe, pues vamos
a vello, Guillermo,
pues sabes la via, da
tú camino.
G. Helo aqui está
debaxo este pino.
Q. Duermes, Torino?
T. ¿Que qués, que
no duermo?
Q. Pues saluete Dios.
T. Vengais
norabuena.
Q. Qué sientes,
Torino, que gimes tan fuerte?
T. Siento, pastores, el
mal de la muerte
y essa no llega por
darme mas pena;
passion me combate,
razon me condena,
dolor me fatiga,
tristeça me aquexa,
querria sanar, querer
no me dexa,
los males son mios,
la causa es agena.
Q. Yo creo que tienes
esprito malino,
per signum crucis a
dios recomiendo,
ni sé lo que dizes ni
menos t'entiendo,
harasme dezir que
hablas con vino.
Retorna, retorna,
retorna, Torino,
razona con tiento,
con seso y de vero,
peor seras tú que
Juan Citolero
con sus patrañuelas
que s'anda contino.
T. No te marauilles
m'abraso en inuierno
y enmedio el verano
perezco de frio,
no he visto otro mal
assi como el mio
y assi le juzgo de
todos moderno.
Q. Date, Torino, date
gobierno,
si aqui no estás sano
muda majada.
T. Primero, Quiral,
por medio el yjada
mi mal reuiente y se
vaya al infierno.
Q. ¿Qué mal puede
ser tan crudo que sientas
lo mucho que duele y
callas tu fatiga?
¿es mal dellonbrigo o
dolor de barriga
que dices el daño y la
causa no cuentas?
Veo en ti dolor que
revientas,
¿es mal de costado
que a todos avança?[287]
T. No es esse, Quiral,
es poca esperança,
qu'es muy mas cruel
que cuanto me mientas.
Q. ¿De qué
desesperas? ¿has algo sembrado
que piensas perdello
o quiça que no naça,
o has miedo que falte
lugar donde paça
en estos exidos tu
poco ganado?
T. No es este, pastor,
mi graue cuydado,
mas verme penado e
de muerte herido
de mano de quien me
tiene aborrido
y assi desespero de
ser remediado.
Q. Ahotas que pienso
que tu mal oteo
e dudo que creo
qu'es mal d'amorio,
dalo al demoño tan
gran desuario
que mata la vida su
solo desseo.
T. Mayor es el daño,
Quiral, que posseo
qu'en todos los males
que sufro e consiento
fallece esperaba e
crece tormento
y en todos los medios
remedio no veo.
Q. Do yo al demoño
la hembra maldita
que mata un zagal
assi de passion.
T. Calla, Quiral, por
Dios tal razon
que solo en oyllo la
vida me quita,
que no es quél tú
dizes mas antes bendita
segun las virtudes
que caben en ella.
Q. ¿Pues cómo la
alabas y quexaste della?
Dime quien es, quiça
si es Benita.
La nieta d'aquel
que hu mayoral
de todos los hatos
d'aquesta dehesa
y hija d'aquel que con
justa empresa
teniendo justicia
perdió tribunal,
y aun hija d'aquella
que dizen qu'es tal
qu'en todas las otras
que viuen agora
ninguna se halla tan
noble señora
que sea con ella en
nobleça ygual.
Pues si esta que
digo tanto es hermosa
que basta alegrarte
con su fermosura
e basta a dar vida a
qualquer criatura
e mas como dizes
qu'es tan virtuosa,
pues date reposo,
reposa, reposa,
si assi como dizes
tan fuerte la quieres,
siendo ella tal, dime
porqué mueres,
siendo tu llaga en si
gloriosa?
T. Yo no sé dezir el
mal de que muero
ni tú lo sabrias
podiendo sentillo,
yo sélo sentir mas no
sé dezillo,
ni sé lo que pido ni sé
lo que quiero,
socuños termeños, te
digo de vero
que tiene quien vella
d'amor me condena,
tornando a miralla me
crece más pena
que dexame siempre
más mal que primero.
Q. Plazer me daria si
yo de ti fuesse.
T. Dolo al demoño,
Quiral, tu consejo,
diran que vi en ella
algun aparejo
por do mi esperança
esperança tuuiesse,
y aun más me diria
quien tal en mi viesse
que ando perdido sin
seso y sin tiento
pues saben qu'es
tanto su merecimiento,
qu'es poco mi mal si
dél yo muriesse.
Q. Miafe, pues
quedate con tu dolor
pues tú te lo quieres
y quexas tu mal.
T. Querria una cosa
tan solo, Quiral,
que fuese tan grande
qual es e mayor
con que Benita
mostrasse color,
qu'es ella contenta
que yo lo sufriesse;
si esto, Quiral, Benita
hiziesse
jamas pediria más
bien ni favor.
G. Di que t'a dicho
por tu fe, Quiral,
¿qué dolor siente que
assi lo apollina?
¿Tienes tú huzia que
haura melecina
o asmo que pienso
qu'es gota coral?
Q. Miafe, Guillardo,
su mal es un mal
c'allá do se sienta por
mal de pecados
harto mal año y pro
malos hados
tien el pastor que se
pone en lo tal.
G. ¿Qué mal puede
ser c'así percudia
y assi lo ahuncava
con tanto cariño
que daua chillidos
assi como un niño
que no parecia so
que se moria?
Q. Un mal es,
Guillardo, de tanta porfia
qu'es bien de plañir
aquel q'el acude.
G. Dolo al demoño y
tan fuerte percude
que no da reposo ni
noche ni dia.
Q. Un mal es que
s'entra por medio los ojos
e vase derecho hasta
el corazon,
alli en ser llegado se
torna afficion
e da mil pesares,
plazeres y enojos,
causa alegrías,
tristeças, antojos,
haze llorar y haze
reyr,
haze cantar y haze
plañir,
da pensamientos dos
mill a manojos.
G. ¿Es biuora o qué
o es alacran
o es escorpion, o es
basilisco,
que yo oy dezir aquí
en nuestro aprisco
que a todos los mata
los qu'á velle van?
Q. Amor es,
Guillardo, que da mas afan
de pena crecida y
ansiosas fatigas.
G. Daldo al demoño,
hartaldo de migas,
dalde cuajada e
queso y aun pan.
Si fruta quisiere dalde
castañas,
dalde mançanas,
vellotas, piñones.
Q. No come Guillardo
sino corazones
y higados viuos y
viuas entrañas.
G. Echaldo de fuera
de vuestras cabañas
a ese demoño
gusano cruel.
Q. Miafe, no valen
sañas con él
ni valen razones ni
fuerças ni mañas.
G. ¿Pues cómo se
sana quillotro tan fuerte?
dalde triaça, yo la
traygo en mi esquero.
Q. No es buena,
modorro, que si es verdadero
no tiene salud jamas
sin la muerte.
G. Pues si ese diabro
es mal dessa suerte,
segun que yo veo
morir so Torino.
Q. Morir si me dizes,
ya muere el mezquino,
¿no vees que su vida
en morir se convierte?
G. O dome a dios y a
san Berrion,
si vello pudiesse,
Dios me confonda
si no le matasse con
esta mi honda
porque él no matasse
assi esse garçon.
Q. Calla, bestiazo,
que no anda en vision
para que puedas assi
dalle empacho.
G. O dolo al fuego,
¿es hembra o es macho,
o es duen de casa o
qualque abejon?
Q. Es cosa que nace
de la fantasia,
y ponese enmedio
dela voluntad,
su causa primera
produze beldad,
la vista la engendra el
corazon la cria,
sostienela viua
penosa porfia,
dale salud dudosa
esperança,
si tal es qual deue no
haze mudança,
ni alli donde está
nunca entra alegria.
G. O yo no t'entiendo
o no sé que s'es,
ni es esso ni essotro,
ni es cosa ni al,
tú dizes qu'es bien, tú
dizes qu'es mal,
no es bestia, ni es
ave, ni pece, ni es res,
no está del derecho
ni está del enues,
no dexa viuir, ni mata
tampoco,
no es gusarapa, no
es cuerdo ni loco;
pues yo te prometo
que a la fin algo es.
Mas helo aqui
torna Torino turbado,
con su mortalera de
rabia o cordojo,
quiero pedille si es
fiebre o enojo
y hazer que lo diga
por fuerça o de grado.
Dime, Torino, qué mal
t'a tomado
que assina te trae
desaborrecido,
ca este demoño
jamas l'entendido
mill desbariones
c'aquí m'a contado.
T. Guillardo,
Guillardo, mi mal es c'adoro
d'amor a Benita
porqu'es mi señora,
mi vida la quiere, mi
alma l'adora
y ella me trata peor
que a un moro.
G. O dom'a dios e
agora lo yñoro,
esso que dizes
querencia se llama,
quando un zagal dize
que ama,
yo ya lo sabia, miafe,
de coro.
Tú andas, Quiral,
chuchurreando
con chichorrerias en
chicharramanchas,
en prietas, en
blancas, en cortas y en
anchas,
y no me quillotras lo
que te demando,
¿qué te calle andar
quillotrando
del mal que a Torino
le daua porfia?
que aunque no lo sé
yo ya lo sabia
qu'es una locura que
s'anda burlando.
Y di, tú, Torino,
qu'eres sabiondo
¿assi te percossas
por una zagala?
haue verguença de ti
noramala,
no digan que eres
algun berriondo.
T. Guillardo,
Guillardo, mi mal es tan hondo
que no puedo ya ni
quiero valerme,
si hallo remedio con
que defenderme
aquel es el mismo
con que me confondo.
G. Pues hela aqui
viene, laque assi te mata,
con otra zagala que
se anda tras ella,
levanta, Torino, e
vamos a ella

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