Apparence Trompeuse Sarah Morgan

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SARAH MORGAN

Apparences trompeuses

COLLECTION AZUR
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise sous le titre :
BOUGHT : THE GREEK’S INNOCENT VIRGIN
© 2008, Sarah Morgan. © 2009, Traduction française
Résumé
Bouleversée, Chantal ne peut que se maudire d'avoir récupéré, dans une
corbeille de l'hôtel où elle travaille comme femme de chambre, l'invitation à
une soirée de bienfaisance organisée par le milliardaire Angelos Zouvelekis.
Si elle n'avait pas ainsi cédé à la tentation, elle n'aurait jamais rencontré
celui-ci et ne serait pas tombée sous le charme de cet homme arrogant qui la
prend pour une aventurière de la pire espèce!
Et voilà que, confirmant s'il en était besoin la mauvaise opinion qu'il a
d'elle, Angelos vient de lui proposer de l'argent pour qu'elle l'accompagne
en Grèce, sur son île, afin de jouer le rôle de sa fiancée aux yeux de son
père malade.
Une proposition que Chantal aurait volontiers repoussée, mais qu'émue par
le sort du vieil homme, elle n'a pas eu le courage de refuser...
1.
Interrompu au milieu de sa conversation avec
l’ambassadeur de Grèce par la voix puissante de son père,
Angelos se tourna vers ce dernier.
— J’ai trouvé une véritable déesse, Angelos.
— De quoi parles-tu?
Le fait que son père ait fait l’effort de se déplacer était bon
signe. Quelques mois plus tôt, brisé par un second divorce
douloureux, il refusait en effet toutes les occasions de sortir
de sa villa isolée.
— C’est la femme idéale pour toi.
Son père le regarda en secouant la tête d’un air faussement
scandalisé.
— Parfois, je me demande si tu es vraiment mon fils, reprit-
il. Tu es entouré de femmes splendides et que fais-tu ? Tu
passes ton temps avec des hommes ennuyeux à l’air
sinistre. Quelle erreur ai-je donc commise dans ton
éducation?
Voyant l’expression surprise de l’ambassadeur, Angelos
s’excusa poliment avant d’entraîner son père à l’écart.
— Ce soir, je suis là pour affaires. Tu sais bien que
j’organise ce bal tous les ans, dans le but de rassembler le
plus d’argent possible.
— Les affaires, toujours les affaires ! s’exclama son père en
levant les mains au ciel. Est-ce que les affaires te tiennent
chaud la nuit? Est-ce qu’elles te préparent à dîner? Avec
toi, il est toujours question d’affaires, Angelos, alors que tu
es déjà milliardaire ! Tu as assez d’argent ! Ce dont tu as
besoin, c’est d’une femme !
Plusieurs têtes se tournèrent dans leur direction, mais
Angelos se contenta de rire.
— Ce soir, je ne fais aucun profit, je rassemble de l’argent.
Et tout le monde te regarde. Reste tranquille, ajouta-t-il
malicieusement, sinon je vais demander aux agents de
sécurité de te mettre dehors.
Mais cela faisait si longtemps que son père n’avait pas
trouvé la force de venir l’ennuyer sur le sujet du mariage !
— Et je suis assez grand pour me trouver une femme tout
seul, enchaîna-t-il en riant de nouveau.
— Non. Pas celle qu’il te faut. Tu passes ton temps avec des
créatures qui ne feraient pas de bonnes épouses.
— C’est justement pour cela que je les choisis, murmura
Angelos.
Mais son père repoussa sa remarque d’un geste de la main.
— Tu parles ! Le monde entier est au courant de tes
conquêtes, Angelos, car elles s’étalent à la une de tous les
journaux. Une semaine, c’est Savannah, la suivante, Gisella
—jamais la même ! Et elles sont toutes si minces...
Il fit une grimace de dégoût.
— Comment peux-tu être heureux avec des femmes qui
n’aiment pas manger ? Est-ce qu’elles peuvent te préparer
des petits plats ? Certainement pas. Les femmes que tu
fréquentes ont des jambes sublimes et des crinières de
lionnes — et au lit, elles sont sans doute capables de
performances extraordinaires —, mais s’occuperaient-elles
de tes enfants ? Non. Est-ce qu’elles...
— Je n’ai pas besoin qu’une femme fasse la cuisine pour
moi. J’ai des employés qui s’en chargent.
L’espace d’un instant, Angelos se demanda si, après tout, il
n’avait pas fait une erreur en invitant son père à cette
soirée.
— Et je te rappelle que je n’ai pas d’enfants dont elles
pourraient s’occuper.
— Je sais bien que tu n’as pas d’enfants, répliqua son père
d’une voix exaspérée, et justement c’est là le problème : je
veux que tu en aies. Tu as trente-quatre ans et combien de
fois as-tu été marié? Aucune. Alors que moi, à soixante-
treize ans, je l’ai été trois fois. Il est temps que tu t’y
mettes, Angelos. Je veux être grand-père !
— Ariadne t’a déjà donné des petits-enfants.
— C’est différent. Ariadne est ma fille. Je veux tenir les fils
de mon fils dans mes bras.
— Je me marierai quand j’aurai trouvé une femme qui me
convient, pas avant.
Angelos entraîna son père sur le balcon qui entourait la
salle de réception. Il se retint de lui faire remarquer que
ses deux derniers mariages s’étaient conclus par un
désastre émotionnel et financier.
Jamais il ne commettrait la même erreur.
— Tu ne trouveras pas la femme idéale en fréquentant des
créatures filiformes ! Et que fais-tu à Paris ? Pourquoi ne
pas avoir organisé ce bal à Athènes ?
— L’univers ne se réduit pas à la Grèce, répliqua Angelos
en réprimant un bâillement. Mes affaires m’amènent à
voyager dans le monde entier.
— Et je n’ai jamais compris pourquoi ! Ai-je dû quitter la
Grèce pour gagner mon premier million ? Non !
Son père se retourna vers la salle de bal.
— Où est-elle passée ? Je ne la vois plus.
— Qui cherches-tu ?
— La déesse au corps superbe. Elle était parfaite. Non
seulement elle avait de beaux yeux bleus, des courbes
ravissantes, mais elle paraissait aussi très douce. Une
femme comme ça ferait une bonne mère, j’en suis sûr. Je la
vois très bien avec tes enfants blottis sur ses genoux et
attendant que la moussaka refroidisse sur la table.
Angelos regarda son père avec amusement.
— Je ne te conseille pas de lui dire cela. De nos jours, les
femmes n’apprécient pas ce genre de commentaire. Elles
aspirent à autre chose, crois-moi.
— En effet, celles que tu choisis ont d’autres aspirations,
répliqua son père avec mépris, tout en continuant à scruter
la salle de bal. Crois-moi, celle-ci était faite pour être mère.
Si tu ne veux pas d’elle, eh bien moi, je pourrais me...
— Ah non ! l’interrompit vivement Angelos.
Son père ne comprendrait-il donc jamais ?
— Promets-moi que cette fois tu te contenteras de
l’emmener dans ton lit. Ne l’épouse pas, lui conseilla-t-il en
prenant un verre de jus d’orange sur le plateau d’un
serveur qui passait à côté d’eux.
Puis il l’échangea avec le verre de champagne que tenait
son père.
— Tu ne penses qu’au sexe, Angelos. Moi, j’éprouve
beaucoup plus de respect envers les femmes.
— Très bien. Peux-tu m’expliquer en quoi Tara, elle, t’a
témoigné du respect ? As-tu déjà oublié qu’elle t’a quitté au
bout de six mois, après avoir obtenu de toi plus d’argent
qu’il n’en faut pour vivre jusqu’à la fin de ses jours ?
Son père crispa les doigts autour de son verre.
— Nous avions commis une erreur.
Une erreur ? songea Angelos en serrant les mâchoires.
Pour Tara, il était certain que ce mariage avait été une
réussite totale. Grâce à l’argent de Costas, elle était en
effet devenue une jeune femme extrêmement riche.
— Elle ne savait pas ce qu’elle voulait..., commença son
père, l’air soudain très vulnérable.
— Elle savait exactement ce qu’elle voulait ! l’interrompit
Angelos.
— Une relation entre un homme et une femme devrait être
faite d’amour et de sollicitude, soupira Costas.
Inquiet devant l’attitude de son père, Angelos décida en
silence de demander à ses agents de sécurité de veiller sur
lui afin de le protéger des femmes intéressées qui
s’approcheraient de lui.

— Tes deux derniers mariages ne t’ont-ils donc rien appris


sur les femmes ?
— Si, répondit-il avec une lueur malicieuse au fond des
yeux. Ils m’ont appris qu’il ne faut pas faire confiance à une
femme trop mince.
Visiblement, il avait retrouvé sa bonne humeur.
— La prochaine fois que je me marierai, poursuivit-il, ce
sera avec une femme digne de ce nom.
— Après tout ce qui t’est arrivé durant les six dernières
années, tu crois encore que l’amour existe?
Le visage de son père s’assombrit.
— J’ai aimé ta mère pendant quarante ans. Bien sûr que je
crois que l’amour existe.
S’en voulant de son manque de tact, Angelos posa la main
sur l’épaule de son père.
— Tu devrais cesser de chercher à la remplacer, dit-il
doucement. Elle était unique.
— Je trouverai une femme avec qui partager le reste de ma
vie.
Soudain, Angelos se sentit impuissant devant l’optimisme
aveugle de son père.
— Reste célibataire, c’est plus simple.
— Certainement pas. Je déteste cela. Ce n’est pas naturel
pour un homme de rester seul. Et tu devrais te trouver une
vraie compagne, toi aussi.
— Tu n’as pas à t’en faire pour moi, je fréquente une
femme.
Ce n’était certes pas le genre de relation dont parlait son
père, mais peu importait.
— Est-elle bien faite ? demanda celui-ci d’un ton méfiant.
— Elle est superbe, répliqua Angelos en songeant à
l’actrice hollywoodienne avec qui il avait passé deux nuits
extrêmement excitantes la semaine précédente.
La reverrait-il ? Peut-être. Quant à songer à l’épouser...
Certainement pas. Ils s’ennuieraient mortellement au bout
de quelques semaines, alors passer toute leur vie
ensemble...
Mais une lueur d’espoir brillait déjà au fond des yeux de
son père.
— Et quand vais-je. faire sa connaissance ? Tu ne me
présentes jamais tes maîtresses.
— Quand une femme comptera vraiment pour moi, tu feras
sa connaissance, dit Angelos. Et maintenant, j’aimerais te
présenter Nicole, ma directrice des affaires publiques à
Paris. Elle adore la bonne cuisine et je suis sûr que vous
aurez beaucoup de choses à vous dire.
Il entraîna son père vers la fidèle et inoffensive Nicole qui
les accueillit avec chaleur. Après les avoir présentés l’un à
l’autre, il s’éloigna pour rejoindre les autres invités.
Soudain, il s’arrêta net, fasciné par la femme qui se
trouvait à quelques mètres devant lui.
Un léger sourire flottant sur ses lèvres pulpeuses, elle
s’avançait comme si elle était la maîtresse des lieux, avec
un doux balancement des hanches. Ses cheveux blonds
étaient relevés sur le haut de sa tête et sa robe rouge
écarlate faisait une tache de couleur vive au milieu des
toilettes sombres des autres invités. Elle ressemblait à un
oiseau exotique lâché au milieu d’un vol de corbeaux.
Oubliant aussitôt son actrice hollywoodienne, Angelos la
regarda pendant quelques instants avant d’ébaucher un
sourire satisfait. Son père serait content, songea-t-il en se
dirigeant délibérément vers l’inconnue. Non seulement il
allait s’arrêter de parler affaires pour s’occuper d’une
femme, mais celle-ci possédait des courbes absolument
divines.
« Souris, avance et surtout ne panique pas ! »
Chantal avait l’impression de se retrouver dans la cour de
l’école, au milieu des filles qui se pressaient pour l’observer
avec une curiosité malsaine.
Le souvenir était si vif que les sensations de terreur et
d’humiliation rejaillirent en elle, la prenant complètement
au dépourvu. Même si les années s’étaient écoulées, son
passé était toujours là, enfoui en elle comme de la vase
visqueuse et noire.
Elle fit un effort pour repousser toutes ses anciennes peurs
d’enfant. C’était ridicule de penser à cela maintenant, alors
que cette partie de sa vie était terminée depuis longtemps.
De toute façon, personne ne pouvait deviner qui elle était
et ce qu’elle avait enduré. Son déguisement était parfait.
L’était-il vraiment ? Elle n’aurait pas dû porter de rouge.
Cette teinte vive la faisait ressortir comme un phare au
milieu de toutes ces toilettes sombres. D’autre part, si elle
n’avalait pas quelque chose rapidement, elle allait défaillir.
Les gens ne mangeaient donc pas dans ce genre de soirée ?
Ne mouraient-ils pas de faim, comme elle ?
Pas étonnant que ces femmes soient si minces.
Regrettant de s’être fourrée volontairement dans une
situation aussi périlleuse, Chantal essaya de déambuler
d’un air décontracté dans la vaste salle de bal. « Aie l’air
sûre de toi, c’est primordial, s’ordonna-t-elle en silence.
Redresse les épaules, relève le menton. Le rouge est
parfait. Ne te laisse pas intimider par ces gens. Ils ne
savent rien de toi. En apparence, tu es comme eux. »
Pour se distraire, elle se livra à son petit jeu habituel, celui
qu’elle avait inventé pour survivre dans l’environnement
cruel qui avait été le sien durant son enfance. Par la suite,
la vie avait reproduit le même schéma... Chantal s’était
retrouvée comme dans une nouvelle cour de jeux, et elle
avait forgé de nouveaux mensonges pour se protéger.
Qui serait-elle ce soir ? Une héritière, peut-être ? Ou une
actrice ? Un mannequin ? Non, certainement pas. Elle ne
pourrait jamais convaincre quiconque qu’elle exerçait cette
profession. Elle n’était pas assez grande ni assez mince.
Une confessa italienne ruinée ? Non. Une aristocrate sans
le sou n’aurait jamais été invitée à un bal de charité. Une
riche héritière conviendrait beaucoup mieux. Une femme
qui désirait demeurer incognito pour éviter les rapaces.
Oui, c’était parfait.
Autour d’elle s’étalait un luxe époustouflant et, suspendus
au haut plafond, des chandeliers en cristal étincelaient de
mille feux. Chantal devait faire un effort pour ne pas
s’attarder devant les tableaux et les statues, affichant
plutôt une expression d’indifférence blasée. En effet, elle
était censée vivre au milieu de coûteuses œuvres d’art du
matin au soir...
— Du champagne? demanda soudain une voix grave
derrière elle.
Se retournant vivement, elle découvrit un homme d’une
beauté ténébreuse qui lui adressait un sourire terriblement
sexy. Il semblait très arrogant, songea-t-elle tandis qu’un
violent frisson la parcourait de la tête aux pieds. Et il était
absolument irrésistible. Les yeux brillants, il l’observait
avec une intensité troublante tout en lui tendant un verre
de champagne.
Pourquoi les vestes de smoking transformaient-elles
certains' hommes en de véritables dieux vivants ? se
demanda-t-elle en retenant son souffle. Mais la beauté de
celui-là serait peut- être encore plus époustouflante une
fois qu’il aurait ôté tout vêtement...
Déroutée par l’audace de ses pensées, Chantal sentit
aussitôt une vague brûlante naître au plus profond de son
intimité avant de se répandre dans tout son être. Il ne
l’avait pas touchée, ne lui avait même pas serré la main —
et pourtant...
Cet homme était dangereux, conclut-elle en reculant
instinctivement d’un pas.
— Je pensais connaître tous les gens qui figuraient sur la
liste des invités, mais apparemment je me trompais.
Il avait parlé avec l’assurance tranquille dont héritaient les
nantis dès leur naissance, d’une voix douce et séductrice. A
présent, il haussait légèrement ses sourcils noirs, attendant
manifestement qu’elle se présente.
Luttant encore contre les réactions déstabilisantes de son
corps, Chantal ignora la question qui se lisait dans les yeux
du bel inconnu. Elle n’allait certainement pas se présenter
— et, de toute façon, son nom ne figurait pas parmi ceux des
invités.
Elle l’observa pendant quelques instants, remarquant la
perfection de ses traits et la lueur amusée qui éclairait son
regard. Il la fixait avec assurance, comme s’il envisageait
naturellement de l’emmener dans son lit. Subitement,
Chantal sentit son souffle se bloquer dans sa poitrine.
Oui, il était vraiment dangereux.
L’alchimie qui vibrait entre eux était si intense et si
inexplicable qu’elle avait presque l’impression d’avoir de la
fièvre, songea-t-elle en sentant un nouveau frisson la
parcourir.
Il était temps de trouver une excuse élégante et de
s’éloigner. Elle ne pouvait se permettre de flirter avec
quiconque : elle prendrait le risque d’attirer l’attention sur
elle.
— Apparemment, vous aimez maîtriser la situation, dit-elle
d’un ton léger.
— Vraiment?
— Oui, vous pensiez connaître tous les invités. Cela dénote
un besoin de tout contrôler, vous ne croyez pas ?
— Ou peut-être cela veut-il simplement dire que je préfère
savoir avec qui je passe la soirée ?
— Dans ce cas, cela signifierait que vous n’aimez pas les
surprises.
Une lueur d’appréciation jaillit dans ses yeux sombres.
— Je ne suis pas facilement surpris. D’après mon
expérience, le comportement des êtres humains est
affreusement prévisible.
Cet homme était certainement un expert dans l’art
d’embrasser une femme…songea Chantal. Durant un
instant, elle eut une vision de sa belle tête brune se
penchant vers elle. L’image était si vive qu’elle ne trouva
rien à lui répliquer. Les yeux de l’inconnu descendirent
alors sur ses lèvres, comme s’il partageait son trouble.
— Vous ne dites rien, dit-il. Vous n’essayez pas de me
prouver que j’ai tort?
Son regard effleura son décolleté avant de s’arrêter sur sa
taille.
— Dites-moi quelque chose sur vous qui pourrait me
surprendre, enchaîna-t-il.
N’importe quel détail sur sa vie l’aurait surpris... Son
passé, sa véritable identité... Sans parler du simple fait
qu’elle n’était pas censée se trouver là ce soir.
— Je meurs de faim, dit-elle.
Aussitôt, il se mit à rire tandis que les têtes se tournaient
dans leur direction. Mais .cela ne sembla pas le préoccuper
le moins du monde.
— Dites-vous cela pour me surprendre ou êtes-vous sincère
?
— Je suis tout à fait sincère, mais je ne vois pas ici une
seule femme qui semble partager mon état, dit-elle en
jetant un coup d’œil autour d’elle.
— Vous ne voyez pas une seule vraie femme. Vous avez
faim ? Eh bien, ne vous privez pas, je vous en prie.
Puis il leva la main pour attirer l’attention d’un serveur
avec l’aisance naturelle d’un homme habitué à commander.
Chantal le regarda d’un air envieux. Si seulement elle
possédait une once de cette assurance tranquille...
— Je commençais à croire que les petits fours étaient juste
destinés à être exposés.
— Pour tester la résistance des invités ?
— Si c’est le cas, je vais échouer lamentablement au test.
Souriant au serveur, Chantal lui tendit son verre vide avant
de déposer plusieurs canapés appétissants sur une
serviette en papier.
— Merci. Ils ont l’air délicieux.
Après s’être incliné légèrement, le serveur s’éloigna.
— Pourquoi êtes-vous si affamée ? demanda l’inconnu. Vous
n’avez rien mangé aujourd’hui parce que vous avez passé la
journée chez le coiffeur ?
Elle n’avait rien pris depuis le matin parce qu’elle avait
travaillé toute la journée à servir des clients. D’autre part,
cela n’aurait servi à rien de gaspiller de l’argent alors
qu’elle savait qu’elle pourrait profiter d’un dîner gratuit ce
soir-là.
— Pas tout à fait, dit-elle avant de glisser une bouchée au
saumon entre ses lèvres. Ils sont vraiment divins. Vous ne
voulez pas en goûter un ?
Les yeux noirs restaient posés sur ses lèvres, et ce simple
contact suffisait à attiser les flammes qui consumaient sa
chair.
Ils se trouvaient au milieu d’une véritable foule, alors
pourquoi Chantal avait-elle l’impression d’être seule au
monde avec cet homme ?
Cette fois, il était vraiment temps qu’elle parte, songea- t-
elle en essayant de se ressaisir. Mais, à cet instant, il prit
un amuse-gueule sur la serviette posée dans sa main, d’un
geste étrangement intime. Puis il lui adressa un sourire si
irrésistible, si sexy, qu’elle ne put que lui sourire en retour.
— Vous avez raison, c’est délicieux, dit-il. A présent, je sais
que vous aimez manger et que vous ne passez pas toute la
journée à vous occuper de votre apparence. Allez-vous
m’en révéler un peu plus sur vous ?
— Pourquoi?
— J’aimerais simplement savoir qui vous êtes.
Chantal sentit son cœur faire un véritable bond dans sa
poitrine.
— Si je vous le dis, vous devrez vous présenter à votre tour.
Or, c’est beaucoup plus amusant si nous restons des
étrangers.
Il resta silencieux durant quelques instants.
— Vous ne savez pas qui je suis ?
— Bien sûr que non.
Visiblement, ce n’était pas la réponse qu’il attendait.
— Très bien, dit-il d’une voix grave et douce, pas de
présentations. Eh bien, comment vous décririez-vous vous-
même ?
Comme une menteuse, une tricheuse et une fraudeuse ?
— La perception qu’on a de soi est presque toujours en
décalage avec celle qu’en ont les autres, murmura Chantal,
d’un ton délibérément vague. Mais j’aime me considérer
comme quelqu’un... qui s’adapte facilement.
— Vous ne voulez pas me dire qui vous êtes vraiment?
Elle ne voulait pas penser à celle qu’elle était vraiment,
songea Chantal en réprimant un frisson d’inquiétude.
— Cela a-t-il de l’importance ? demanda-t-elle avec un
sourire. Peut-être suis-je une princesse ? Ou peut-être suis-
je à la tête d’une vaste multinationale ? Ou encore une
riche héritière déterminée à cacher son identité ?
— Laquelle des trois êtes-vous ?
Son interlocuteur avait parlé d’un ton détaché, mais ses
yeux fouillaient les siens avec une intensité déstabilisante.
Chantal savait qu’elle devait mettre un terme à cette
conversation et s’en aller rapidement. De toute évidence,
cet homme était intelligent et il ne lui faudrait pas
longtemps pour découvrir qu’il y avait quelque chose en
elle qui ne sonnait pas juste.
— Je suis une femme. De celles qui préfèrent ne pas être
cataloguées.
— Vous pensez que je classe les femmes ?
— Oui, je suis sûre que vous le faites constamment. Comme
tout le monde.
Feignant d’appartenir à cet univers mondain, Chantal fit
semblant de sourire à quelqu’un, de l’autre côté de la
pièce. Malheureusement, l’homme en question choisit ce
moment pour se retourner vers elle et lui sourit en retour.
Confuse, elle se détourna. C’était vraiment le moment de
partir.
— Je n’aime pas les étiquettes, reprit-elle. Je préfère être
simplement... moi.
A présent qu’ils avaient terminé les amuse-gueules,
l’inconnu prit deux autres verres de champagne sur le
plateau d’un serveur qui passait avant de lui en tendre un.
— Le simple fait que vous soyez ici m’en dit beaucoup sur
vous.
— Vraiment ? demanda Chantal, horrifiée à la pensée qu’il
puisse savoir la moindre chose sur elle.
— Oui, répondit-il en regardant son visage avec attention.
Les billets d’entrée sont très recherchés et difficiles à
obtenir. Puisque vous faites partie des heureux élus, vous
devez être très fortunée.
Chantal songea au studio minable qu’elle avait quitté
quelques heures plus tôt. Le propriétaire venait
d’augmenter le loyer si bien que, dans deux semaines, elle
se retrouverait sans toit.
— La notion de fortune représente des choses différentes
pour chacun, murmura-t-elle en resserrant les doigts
autour de son verre. Pour certains il s’agit d’avoir
beaucoup d’argent, ou d’être en bonne santé. Pour
d’autres, la fortune consiste simplement à se trouver au
sein d’une famille, entourés d’amour et d’affection. Si l’on
considère que la fortune est réservée exclusivement à ceux
qui ont de l’argent, on risque de passer à côté des
nombreux trésors que nous offre la vie, vous ne pensez pas
?
— Si vous croyez vraiment cela, répliqua-t-il avec un rire
teinté de cynisme, vous êtes une femme peu banale. La
plupart des membres de votre sexe pensent que l’argent
est la seule voie possible.
Des gens les regardaient ouvertement et Chantal se sentit
en proie à un accès de panique. Elle eut soudain
l’impression que le mot « usurpatrice » était gravé sur son
iront en lettres capitales. La main tremblante, elle porta
son verre à ses lèvres et avala une grande gorgée de
champagne.
— Vous recommencez avec les stéréotypes. Visiblement,
vous considérez les femmes comme un groupe homogène,
doté de caractéristiques identiques.
— La plupart de celles que je rencontre font effectivement
partie d’un groupe homogène, répliqua-t-il sèchement.
Durant quelques instants, elle oublia les gens qui les
observaient et le regarda avec curiosité, se demandant
quels événements avaient pu le rendre aussi désabusé.
Il était beau, certes, mais il y avait aussi de la dureté en cet
homme. Il se protégeait sous une carapace qui, elle le
soupçonnait, ne se laisserait pas facilement pénétrer. Peut-
y était-elle sensible parce qu’elle avait développé la
même...
— Sans doute évoluez-vous dans des milieux trop exclusifs.
Ou peut-être y a-t-il quelque chose en vous qui attire un
type particulier de femmes.
— Ce doit être mon portefeuille, dit-il avec un sourire
incroyablement sexy.
Chantal se sentit touchée malgré elle par sa pointe
d’humour inattendue, qui contrastait avec son apparence
sophistiquée.
A vrai dire, elle savourait tellement cette conversation
qu’elle n’arrivait pas à s’en aller, même si elle savait qu’elle
devait le faire. Leur échange lui avait redonné de
l’assurance. Grâce à cet inconnu, elle se sentait belle et elle
n’avait jamais ressenti une attirance aussi puissante envers
aucun homme.
— Ce doit être pour cela que les gens nous regardent, dit-
elle d’un ton léger. Ils se demandent si je vais glisser la
main dans votre poche pour vous le dérober.
Il la regarda d’un air songeur.
— Les hommes vous regardent parce que vous êtes la plus
belle femme présente dans cette pièce.
Le compliment lui coupa le souffle.
— Vraiment ? s’efforça-t-elle de répliquer avec insouciance.
Dans ce cas, pourquoi ne se précipitent-ils pas pour
m’inviter à danser?
— Parce que vous êtes avec moi, dit-il négligemment.
Ainsi, il était également possessif, songea Chantal en
s’efforçant désespérément de réprimer le frisson
d’excitation qui traversait son corps comme un courant
électrique. Cet homme ne faisait pas partie de son monde,
aussi jouait-elle à un jeu très dangereux en s’attardant avec
lui. Elle ferait mieux de s’en aller avant que la situation ne
se complique...
Mais elle se sentait incapable de s’éloigner de lui.
— Cela n’explique pas pourquoi les femmes me regardent
aussi.
Une lueur étincela dans les yeux de l’inconnu.
Apparemment, il trouvait sa remarque très naïve.
— A cause de leurs maris. Elles se sentent nerveuses parce
que vous représentez une rivale sérieuse. Et elles
voudraient bien savoir qui est le styliste qui a dessiné cette
robe extraordinaire.
— Ma robe a été créée spécialement pour moi, répliqua
Chantal tandis qu’une vague soudaine de chaleur
l’envahissait. Et j’ai plutôt l’impression que les femmes me
regardent parce que je parle avec vous.
Ce qu’elle comprenait parfaitement car il était vraiment
d’une beauté stupéfiante. Elle se demanda brièvement
quelle était sa nationalité. Il n’était pas français, mais pas
britannique non plus, même s’il s’exprimait dans un anglais
parfait.
En tout cas, même s’ils étaient entourés de créatures
époustouflantes et vêtues de toilettes somptueuses, pour
l’instant, c’était à elle qu’il souriait.
Peut-être avait-elle eu raison de venir, finalement, juste
pour vivre ce moment parfait.
— Elles ne me regardent pas, dit-il avec une lueur sauvage
dans les yeux. Ou si elles le font, elles ne me voient pas.
Elles ne voient que mon portefeuille, justement.
Chantal se mit à rire et se retint de répliquer que, même
s’il avait été pauvre, elles l’auraient dévoré des yeux.
— Si cela vous ennuie, eh bien il y a un remède évident.
Se haussant sur la pointe des pieds, elle lui glissa à l’oreille
:
— Laissez tomber votre fortune.
II tourna légèrement la tête si bien que ses lèvres lui
frôlèrent presque la joue.
— Vous croyez que c’est ce que je devrais faire ?
Il sentait délicieusement bon, songea Chantal dans une
sorte d’ivresse.
— En tout cas, les femmes ne vous regarderaient plus
comme un homme riche et libre.
— Comment savez-vous que je suis libre?
Sentant nettement la tête lui tourner, elle recula
légèrement. Il était vraiment temps de s’éloigner de cet
homme, se dit-elle avec regret. Oui, avant qu’elle n’oublie
qui elle était vraiment.
— Parce que si vous ne l’étiez pas, une femme
affreusement jalouse m’aurait déjà poignardée dans le dos.
— Ainsi, vous me conseillez d’abandonner ma fortune ?
demanda-t-il, les yeux rivés à sa bouche.
— Absolument. Si vous voulez être sûr des motivations
d’une femme, c’est le seul moyen.
Tout à coup, les musiciens entamèrent un tango langoureux
et Chantal ferma les yeux un instant. Cette musique lui
rappelait Buenos Aires, où elle était restée quelques jours
au cours d’un voyage de deux mois en Argentine. Le rythme
lui était si familier que son corps se mit à bouger
automatiquement. Aussitôt, son verre lui fut ôté de la main
et elle sentit son mystérieux compagnon glisser une main
sur son dos avant de l’attirer fermement contre lui.
— Que faites-vous ? demanda-t-elle en ouvrant de grands
yeux.
— Je danse. Avec vous.
— Vous ne m’avez pas demandé si j’étais d’accord.
— Je ne pose jamais une question dont je connais la
réponse. C’est une perte de temps.
— Arrogant, murmura-t-elle avec un lent sourire. Et trop
sûr de vous. J’aurais pu dire non, vous savez.
Elle sentait la chaleur de sa main posée sur ses reins,
provoquant des ondes délicieuses dans tout son corps.
— Je ne crois pas.
Il avait absolument raison. Elle n’aurait jamais pu dire non
à cet homme.
La musique lancinante s’enroula autour d’eux et Chantal
savoura la force et la puissance du corps viril pressé contre
le sien.
Il lui prit la main et l’attira encore plus près de lui, si bien
que leurs deux corps ne faisaient plus qu’un. Puis il
l’entraîna avec adresse sur la piste de danse.
Elle était si réceptive au moindre de ses mouvements
qu’elle avait du mal à respirer. Totalement subjuguée par
les sensations qui se bousculaient en elle, elle s’enivrait
malgré elle ' de l’alchimie puissante qui était née entre eux
dès le premier instant où ils s’étaient rencontrés.
Dansaient-ils vraiment ? Leurs deux corps se livraient
plutôt à une sorte d’exploration sensuelle, s’ajustant à
merveille l’un à l’autre. Son corps puissant glissait contre
le sien, sa jambe suivait la sienne tandis que ses mains se
refermaient sur ses hanches en un geste possessif. Il
évoluait avec une assurance et une sensualité innées — cet
homme devait être un amant incroyable.
Avec une femme de son milieu... Mais, pour l’instant, il était
à elle. Et elle allait profiter au maximum de ces moments
précieux.
Ils dansèrent ainsi, les yeux soudés, le souffle mêlé, leur
danse se transformant peu à peu en une sorte de rite sexuel
venu des temps les plus anciens.
Chantal oublia la présence des autres danseurs. Soudain, il
n’y eut plus que leurs deux corps qui se livraient à quelque
chose de plus profond et de plus complexe que quelques
pas de danse. Leur étreinte était érotique, passionnée et
profondément intime. Ils venaient à peine de se rencontrer,
et pourtant elle comprenait d’instinct ce qu’il attendait
d’elle, elle anticipait le moindre de ses mouvements.
Les sens à vif, elle s’abandonnait au rythme du tango.
Comment était-ce possible d’être brûlante et glacée en
même temps ? Comment pouvait-elle se sentir aussi bien
avec un homme qu’elle n’avait jamais rencontré avant ce
soir et qu’elle ne reverrait jamais plus?
Peut-être était-ce justement à cause de cela, songea-t-elle
en retenant son souffle tandis qu’il lui faisait presque
perdre l’équilibre. Comme elle savait que leurs chemins ne
se croiseraient jamais plus, elle pouvait se permettre de se
laisser aller à ces sensations folles et enivrantes.
Elle se sentait emportée si loin que, quand la musique
amorça un rythme différent, il lui fallut quelques instants
pour revenir à la réalité.
Ils se regardèrent durant un moment infini, puis il la
relâcha et s’écarta d’elle sans la quitter des yeux, une lueur
étrange au fond de son regard.
— Je vais nous chercher quelque chose à boire, dit-il d’un
ton assez froid.
Désorientée par ce brusque changement d’attitude, Chantal
le regarda s’éloigner en clignant des paupières.
Elle se força à respirer à fond, essayant de calmer la
réaction intense de son corps. Il avait l’air en colère, mais
pourquoi ? C’était lui qui avait décidé de danser, pas elle.
Et elle ne lui avait pas marché sur les orteils, que diable...
A cet instant, une femme s’approcha d’elle.
— Je suis Marianna Killington-Forbes, dit-elle avec un
sourire glacial. J’ai l’impression de vous connaître. Nous
sommes-nous déjà rencontrées ?
Oh, oui, elles s’étaient bien rencontrées...
Chantal sentit ses jambes commencer à trembler. Elle se
sentait terriblement nue et exposée, son passé refaisant
surface comme un démon malveillant. Seigneur, elle allait
mourir sur place, d’embarras et d’humiliation.
— Je...
— Elle ne parle pas bien anglais, Marianna. Je lui avais dit
de rester avec moi et de ne pas s’éloigner, mais nous avons
été séparés par la foule.
La voix au fort accent venait de derrière elle, et Chantal se
retourna pour voir à qui elle appartenait. Elle découvrit
alors un homme de soixante-dix ans environ, encore très
beau et séduisant. Ses yeux doux la contemplaient avec
bienveillance et il lui souriait.
Il lui dit quelque chose dans une langue qu’elle ne comprit
pas avant de lui prendre la main et de la glisser fermement
dans le creux de son bras en l’attirant contre lui.
— Marianna ? Voulez-vous lui dire quelque chose ? Je peux
lui traduire, si vous voulez?
Celle-ci pinça les lèvres.
— Elle ne semblait pas avoir de problèmes pour
communiquer avec Angelos.
— Comme vous l’avez sans doute remarqué, répliqua
l’homme en souriant, ils n’avaient pas besoin de mots pour
se comprendre.
Un éclair de jalousie étincela dans le regard de la femme,
qui se tourna vers Chantal.
— Eh bien, je vous souhaite bonne chance. Etant donné
qu’Angelos n’attend jamais de ses maîtresses qu’elles
soient douées pour la conversation, votre incapacité à vous
exprimer devrait vous servir.
Encore horrifiée à la pensée que Marianna avait failli la
reconnaître, Chantal vit s’éloigner celle-ci avec
soulagement.
— Vous tremblez, remarqua l’homme d’une voix douce.
Luttant pour se ressaisir, elle s’accrocha à son bras. Pourvu
que le bel inconnu ne choisisse pas ce moment pour
réapparaître. ..
— Pourriez-vous... rester avec moi quelques instants ?
demanda-t-elle d’une voix faible. Je préférerais ne pas être
seule.
— Bien sûr, ne vous inquiétez pas, dit-il en couvrant sa
main avec la sienne.
— Merci, murmura-t-elle, tellement reconnaissante qu’elle
l’aurait presque embrassé. Je ne sais pas pourquoi vous
avez fait cela, mais je ne l’oublierai jamais. Comment avez-
vous su que j’avais besoin d’aide?
— Quand elle s’est dirigée vers vous, je vous ai vue blêmir.
J’ai cru que vous alliez vous évanouir. Vous ne l’aimez pas,
n’est-ce pas ?
— Eh bien, je...
— Ne soyez pas embarrassée. Je ne l’aime pas non plus, dit
l’homme. Je n’ai jamais pu supporter cette femme. Je me
demande pourquoi elle a été invitée.
— Son père est très riche, dit Chantal.
— Vraiment? Pourtant, on dirait qu’elle meurt de faim
depuis sa naissance.
En dépit de son inquiétude, Chantal ne put s’empêcher de
rire. Puis elle regarda le vieil homme avec curiosité — il lui
rappelait quelqu’un, mais qui ?
— Je ferais mieux de partir, dit-elle.
— Si vous partez, dit-il doucement en resserrant sa main
sur la sienne, ils penseront qu’ils ont gagné. Est-ce cela que
vous voulez?
Elle s’immobilisa. Comment comprenait-il ce qu’elle
ressentait?
— Tout le monde me regarde...
— Eh bien, souriez. Relevez le menton et souriez. Vous avez
le droit d’être ici autant qu’eux.
Sans lui laisser la possibilité de protester, il l’entraîna vers
deux chaises libres.
— Asseyez-vous un instant et tenez compagnie à un vieil
homme seul. Je déteste ces soirées mondaines. Je m’y sens
toujours déplacé.
— Je ne vous crois pas.
— Les apparences peuvent être trompeuses, n’est-ce pas?
Ainsi, il avait compris à quel point elle se sentait mal à
l’aise. Au lieu d’être inquiétée par sa perspicacité, elle
ressentait une profonde gratitude envers lui.
— Pourquoi êtes-vous si aimable avec moi ?
— Je ne suis pas aimable. Je déteste ces bals. Vous ne
pouvez pas m’en vouloir de me divertir avec la plus belle
femme de la soirée.
— Si vous les détestez, pourquoi êtes-vous venu ?
— Pour faire plaisir à mon fils. Il trouve que je ne sors pas
assez.
Il se tourna vers elle et la regarda en plissant les yeux.
— Je vous ai vue danser tout à l’heure, commença-t-il. Vous
ne faisiez qu’un avec votre partenaire. Il y avait une
harmonie parfaite entre vous. Seuls des amants peuvent
danser le tango avec cette passion.
Des amants ?
Chantal ouvrit la bouche pour lui dire qu’elle ne connaissait
même pas le nom de cet homme, mais se ravisa. Il serait
embarrassant de reconnaître qu’elle s’était abandonnée
ainsi avec un total étranger.
Comment Marianna l’avait-elle appelé? Angelos. Ainsi, elle
avait eu raison, il n’était pas anglais.
Quel effet cela ferait-il, se demanda-t-elle rêveusement,
d’être aimée par un homme comme lui?
— Et même maintenant, vous ne pouvez pas vous
empêcher de penser à lui, n’est-ce pas ? reprit son
mystérieux compagnon, l’air visiblement content. Vous
partagez quelque chose de profond et de précieux. Il est
conquis. Je l’ai vu de mes propres yeux. Cette façon dont
vous vous regardiez... Vous dansiez ensemble comme si
vous étiez seuls au monde. Le corps est plus éloquent que
les mots — vous êtes sérieusement épris l’un de l’autre.
— Oh... Non, balbutia Chantal, ce n’est pas exactement...
— Vous n’avez pas besoin d’être réservée avec moi. Je suis
assez vieux pour être votre père, mais je n’ai pas oublié
pour autant ce que c’est que d’être amoureux. Dites-moi,
qu’avez- vous ressenti la première fois que vous l’avez vu?
Chantal hésita puis elle sourit, rassurée par la douceur de
son regard.
— J’ai pensé qu’il était extraordinaire, dit-elle sincèrement.
Je l’ai trouvé très séduisant et intelligent et j’ai été surprise
de constater que je n’avais aucun mal à parler avec lui.
— L’avez-vous trouvé sexy ?
— Oh, oui. Incroyablement sexy, répondit-elle en baissant
la voix. C’était la première fois que je me sentais aussi
attirée par un homme.
Son compagnon hocha la tête avec satisfaction.
— Je le savais. Vous êtes folle de lui, n’est-ce pas ?
— Eh bien, commença Chantal en haussant les épaules
d’un air impuissant. Oui. Mais nous ne nous connaissons
que...
— Vous vous plaisez, c’est tout ! Les fiançailles
interminables sont absurdes : si un homme et une femme
s’accordent bien, c’est tout de suite ou jamais.
Troublée par cette affirmation péremptoire, Chantal
réfléchit durant quelques instants. S’accordaient-ils
vraiment bien ? Elle en doutait fort. En effet, s’il était aussi
riche qu’elle le soupçonnait, ils étaient plutôt mal assortis...
Jamais elle ne se sentirait à l’aise dans son monde — à
supposer qu’il désire qu’elle en fasse partie, ce qui était
tout, à fait improbable.
Repoussant cette pensée, elle regarda l’homme assis à côté
d’elle. Décidément, il lui rappelait quelqu’un.
— Puisque vous êtes un tel expert en langage des corps,
pourquoi avait-il l’air si en colère, d’après vous ?
Bon sang, pourquoi demandait-elle l’avis d’un total
étranger? Parce qu’elle le sentait attentif et compréhensif
et que lui parler semblait la chose la plus naturelle du
monde.
— Quand un homme a succombé au charme d’une femme,
il déteste le reconnaître. Quand j’ai rencontré mon épouse,
j’ai résisté durant des semaines. Aimer une femme rend
vulnérable, et un homme fort n’aime pas se sentir en
position de faiblesse.
— Et qu’a-t-elle fait pour vaincre vos résistances ?
— Ce qu’une femme fait toujours quand elle désire quelque
chose—parler, parler, jusqu’à ce que la résistance de
l’homme tombe en poussière.
— Etes-vous toujours ensemble ? demanda Chantal en
riant.
Le sourire de l’homme s’évanouit.
— Nous le sommes restés durant quarante ans. Elle est
morte il y a dix ans et je n’ai jamais rencontré quelqu’un
qui lui arrive à la cheville. Mais je n’ai pas renoncé à
chercher. Et je n’ai pas oublié l’effet que cela fait de danser
avec une belle femme dans ses bras.
Très émue par ses paroles, Chantal se leva impulsivement
et lui tendit les mains.
— Venez. C’est une valse. Vous dansez la valse ?
Il éclata de rire, visiblement ravi.
— Vous voulez que je vous fasse danser?
— Pourquoi est-ce si drôle ?
— J’ai soixante-treize ans.
— De tous les hommes présents dans cette pièce, c’est
avec vous que j’aimerais le plus la danser.
— Dans ce cas, vous êtes une femme courageuse, parce
qu’Angelos est un homme très possessif. Je ne crois pas
qu’il apprécierait que je vous entraîne sur la piste de danse.
Mais je comprends maintenant pourquoi vous avez réussi là
où tant d’autres ont échoué.
— Quelles autres ? demanda Chantal en fronçant les
sourcils. Que voulez-vous dire?
— Toutes les femmes qui ont aspiré à gagner son cœur.
Voyant les yeux de l’homme s’embuer, Chantal sentit son
ventre se nouer.
— Vous le connaissez vraiment si bien ? Vous ne me l’aviez
pas dit.
— Si je l’avais fait, vous ne m’auriez pas parlé aussi
librement, et ç’aurait été dommage. C’était une
conversation très instructive.
Il lui adressa un sourire mystérieux quand soudain, Chantal
vit le bel inconnu s’approcher, le visage empreint d’une
expression sombre et farouche.
Après s’être arrêté devant eux, il fronça les sourcils devant
leurs mains enlacées.
Aussitôt, Chantal retira les siennes tandis que son cœur
semblait s’arrêter de battre. Pourquoi la regardait-il comme
cela, les yeux étincelants de colère? Il ne pouvait pas être
jaloux. Cela aurait été trop ridicule. Ne sachant quoi dire,
elle retint son souffle et attendit qu’il parle en premier.
Finalement, après un silence pénible, il lui lança d’un ton
sec :
Je vois que vous avez fait la connaissance de mon père.
2.

Chantal servit le groupe de touristes installés à la terrasse


avant de se laisser tomber sur une chaise à une table
voisine, contemplant une tasse vide sans la voir.
Deux semaines après l’événement mondain le plus
prestigieux de l’année, elle se sentait toujours horriblement
embarrassée. Et triste. Vraiment triste. Comme si elle avait
perdu quelque chose de précieux qu’elle ne retrouverait
jamais plus.
Qu’est-ce qu’il lui arrivait ?
Pourquoi ne pouvait-elle pas simplement oublier ce bal et
continuer sa vie comme avant ? Et surtout, pourquoi ne
pouvait-elle pas oublier cet homme ?
Sans réfléchir, elle glissa la main dans la poche de sa jupe
et toucha la page déchirée du journal qu’elle portait sur
elle depuis quinze jours. Elle avait regardé la photo
tellement souvent que le papier était tout abîmé. A présent,
elle regrettait de ne pas avoir acheté une centaine
d’exemplaires de ce journal pour les garder précieusement.
Comme cela, elle aurait pu se rappeler cette merveilleuse
soirée jusqu’à la fin de ses jours... Chaque fois qu’elle
repensait au tango qu’ils avaient dansé ensemble, un
violent frisson ébranlait tout son corps. L’alchimie qui avait
vibré entre eux avait été l’expérience la plus excitante, la
plus bouleversante de sa vie.
Angelos Zouvelekis.
Grâce à l’article qui se trouvait dans sa poche, elle savait
exactement qui il était — milliardaire et philanthrope. Grec.
Oui, bien sûr, grec. Comment ne l'avait-elle pas deviné ?
Ses cheveux brillants étaient d’un noir profond et sa peau
lisse et bronzée témoignait d’une vie passée au soleil chaud
de la Méditerranée.
Elle était tombée sous le charme d’un milliardaire grec
aussi connu pour ses nombreuses conquêtes féminines que
pour ses succès en affaires.
Et, pour Chantal, le conte de fées s’arrêtait là, car elle
n’aurait pas pu choisir un homme plus inaccessible.
Clignant rapidement des paupières, elle refoula les larmes
qui lui montaient aux yeux. Elle devait bien avoir été la
seule femme à ignorer que cet homme était Angelos
Zouvelekis, songea-t-elle avec un sourire mélancolique. Si
elle Pavait su, peut-être serait-elle partie plus tôt, évitant
ainsi de tomber amoureuse de lui.
Oh, pour l’amour du ciel ! s’exclama-t-elle en son for
intérieur. On ne tombait pas amoureuse si facilement ! Ce
qu’elle éprouvait n’était pas de l’amour. C’était seulement...
Se passant la main sur le visage, elle se força à se ressaisir.
A vrai dire, elle ne comprenait pas vraiment ce qu’elle
ressentait, mais en tout cas elle se trouvait dans un état
épouvantable. Il fallait que cela s’arrête. De toute façon,
quelle que soit la nature de ses sentiments envers lui, il lui
avait clairement fait comprendre ce qu’il pensait d’elle.
Il avait été tellement en colère... Comment avait-il
découvert qu’elle n’avait pas été invitée à ce bal ? Elle n’en
saurait probablement jamais rien, songea Chantal en se
couvrant le visage des mains.
Qu’avait-il dit? Qu’elle était une femme cupide, malhonnête
et sans scrupules. Après tout, il avait peut-être eu raison.
En effet, elle n’aurait jamais dû se servir d’un billet qui ne
lui appartenait pas.
Et pour empirer les choses, il y avait eu ce moment atroce
où son père avait adressé un sourire radieux à Angelos, lui
disant sa joie de voir son fils enfin amoureux... Se
souvenant de l’expression d’incrédulité qui s’était inscrite
sur les traits d’Angelos, Chantal s’enfonça dans son siège.
Cela avait été la plus grande de ses erreurs : exprimer ses
rêves et ses fantasmes au vieil homme qui l’avait tant
aidée. Mais il s’était montré si gentil avec elle... Elle l’avait
adoré tout de suite. Il avait été si compréhensif et si
sympathique ! Presque comme un père — bien qu’elle n’ait
aucune idée de ce qu’était une relation entre un père et sa
fille.
Peut-être était-ce justement pour cela qu’elle s’était sentie
attirée vers lui.
Le père d’Angelos.
Elle poussa un soupir de regret. De tous les hommes
présents, pourquoi avait-elle choisi celui-là pour
s’épancher?
Eh bien, cette histoire appartenait au passé, maintenant, et
elle ferait mieux de l’oublier, se dit-elle en redressant les
épaules. Et de se concentrer positivement sur le futur.
Evidemment, elle ne pouvait pas rester à Paris. Elle allait
se rendre dans un endroit où elle ne risquait pas de
rencontrer un Grec beau comme un dieu et très en colère.
En Amazonie ? En Himalaya?
Chantal resta assise quelques instants, essayant de songer
avec enthousiasme à la nouvelle aventure qui l’attendait.
C’était excitant de pouvoir voyager où bon lui semblait.
N’avait-elle pas la chance de pouvoir prendre librement ses
décisions ? La plupart des gens dépendaient de leur travail
ou de leur famille. Elle-même ne connaissait aucune de ces
contraintes. En effet, personne ne se souciait de ce qu’elle
faisait. Elle pouvait partir demain à l’autre bout du monde
sans avoir besoin de demander la permission à personne et
elle pouvait choisir de revêtir la personnalité qui lui
plaisait.
D’habitude, à la simple perspective de découvrir de
nouveaux horizons, Chantal sentait un frisson d’excitation
s’emparer d’elle. Cette fois, rien ne se produisit. Au lieu de
se réjouir, elle avait l’impression d’avoir perdu tout entrain.
— Chantal!
La voix de son patron la sortit brutalement de ses
réflexions.
— Je ne vous paie pas pour rester assise ! Il y a des clients.
Allez vous en occuper ! Je vous préviens, c’est la dernière
fois que je vous le dis.
Rouge de confusion, elle rassembla rapidement la tasse
vide et les deux verres avant de se hâter vers la cuisine.
— Arrêtez de rêver, sinon je chercherai une nouvelle
serveuse.
Le petit homme rond lui adressa un sourire déplaisant, les
yeux délibérément posés sur ses seins moulés dans son
chemisier blanc.
— A moins que vous ne soyez intéressée par un rôle
différent, dit-il d’un ton sans équivoque.
Chantal leva brusquement les yeux vers lui. Sa proposition
avait provoqué un tel dégoût en elle qu’elle devait se
retenir pour ne pas réagir avec violence.
— Cherchez une autre serveuse, dit-elle sèchement. Je
donne ma démission.
Puis elle ôta sans plus attendre le ridicule petit tablier à
volant qu’elle avait été forcée de porter sur une minuscule
jupe noire indécente. Le patron du café pensait que cette
tenue attirait les clients — et il avait raison. Mais en
général il s’agissait du genre de personnes qu’elle aurait
préféré éviter.
Avec un regard méprisant, elle lui fourra le tablier entre les
mains, sans même se soucier de lui réclamer la somme qu’il
lui devait.
Elle se fichait de l’argent. Elle voulait juste s’en aller. Au
fond, ce métier de serveuse ne lui avait jamais convenu. Ni
celui de femme de chambre.
Sentant soudain son passé se refermer autour d’elle, elle se
hâta vers la porte, poussée par un désir désespéré de se
retrouver sous les rayons chauds du soleil.
Le patron du café lui lança une volée d’insultes, mais
Chantal ne l’écouta pas et sortit du café la tête haute.
Elle allait partir. Dès demain. Elle se rendrait dans un pays
exotique où elle ne connaissait personne. Peut-être
l’Egypte. Elle se voyait déjà visitant les pyramides et
nageant dans la mer Rouge...
Se calmant petit à petit, elle s’avança le long du large
boulevard qui menait vers la tour Eiffel. Les arbres étaient
en feuilles et les fontaines gazouillaient gaiement tandis
que mille gouttelettes bondissaient dans le soleil.
C’était l’heure de déjeuner à présent, et les touristes en
tenue décontractée se mêlaient aux élégantes mères
parisiennes qui ramenaient leurs bambins à la maison.
Soudain, une petite fille blonde trébucha et tomba à
quelques mètres de Chantal. Aussitôt, sa mère se pencha
pour la prendre dans ses bras et l’embrasser.
Pendant un bref instant, Chantal les regarda avec envie
avant de se détourner pour poursuivre son chemin.
Elle avait vingt-quatre ans, bon sang ! Elle n’allait quand
même pas envier cette petite fille parce qu’elle avait une
mère attentionnée !
Accélérant le pas, elle évita un groupe d’adolescents qui
glissaient en cercles sur des skate-boards. Ils riaient et leur
camaraderie facile la fit se sentir encore plus nostalgique.
Ils semblaient tous à leur place, heureux et à l’aise.
La tour Eiffel se dressait devant elle, mais Chantal la
regarda à peine. Durant les deux mois qu’elle avait passés
à Paris, elle ne s’était pas jointe une seule fois aux longues
files d’attente dans l’espoir de pouvoir monter jusqu’au
dernier étage. Elle avait évité les pièges à touristes,
préférant découvrir le Paris caché.
Sans se soucier de sa destination, elle marchait, bien
déterminée à profiter de ses derniers moments dans une
ville qu’elle avait appris à connaître et à aimer. Finalement,
elle atteignit les bords de la Seine et s’arrêta un moment
sur le quai, regardant le soleil miroiter sur l’eau. Derrière
elle, des véhicules passaient sans cesse sur les voies
rapides.
Elle traversa le fleuve et se dirigea vers la rue du
Faubourg- Saint-Honoré et ses boutiques de luxe. Chanel,
Lanvin, Yves
Saint Laurent, Versace—ils étaient tous là. Elle s’arrêta
devant une vitrine, attirée par une robe courte à la ligne
sobre dont elle enregistra automatiquement la coupe.
Pourquoi les gens étaient-ils prêts à payer des sommes
astronomiques pour une chose aussi simple ? se demanda-t-
elle une fois de plus. Alors qu’avec le métrage approprié de
tissu et une bobine de fil, on pouvait obtenir le même
résultat pour un montant dérisoire en comparaison.
La robe qu’elle s’était confectionnée pour le bal avait
remporté un succès fou et pourtant, elle avait été coupée
dans un vieux morceau de rideau mis au rancart.
Le grondement d’un moteur puissant interrompit soudain
ses réflexions et la fit se retourner. Elle vit alors une
luxueuse Lamborghini noire s’arrêter brusquement au
milieu de la rue.
Chantal sentit son cœur bondir dans sa poitrine et
brusquement, le monde qui l’entourait s’évanouit à
l’arrière-plan. Confusément, elle entendit une cacophonie
de klaxons.
Elle connaissait cette voiture. Elle l’avait vue deux
semaines plus tôt, au moment où elle avait quitté ce bal
auquel elle n’avait pas été invitée. Le véhicule racé
appartenait à l’homme avec qui elle n’aurait jamais dû
danser.
Subitement, son attention fut attirée par les longs cheveux
blonds soyeux ainsi que par les jambes fines et galbées de
la femme arrêtée devant la vitrine. Angelos freina aussitôt
et coupa brusquement le moteur de sa voiture.
Sans se soucier des visages curieux qui se tournaient vers
lui, il regarda la femme avec attention.
Etait-ce bien elle ?
L’avait-il enfin trouvée, ou prenait-il ses désirs pour la
réalité?
Cette femme semblait différente. Se demandant s’il s’était
trompé, Angelos essaya de se l’imaginer avec les cheveux
rassemblés sur le dessus de sa tête et vêtue d’une robe
haute couture qui exposait ses bras et ses épaules
superbes.
A cet instant, ses yeux rencontrèrent les siens et tout doute
s’évanouit. Même à cette distance, il perçut un éclair de
saphir bleu, cette même nuance rare qui avait attiré son
attention durant cette soirée fatale.
Ses yeux étaient inoubliables.
Enfin, il l’avait retrouvée. Evidemment, en train de faire du
shopping dans l’un des quartiers les plus chers de Paris...
Comment n’avait-il pas songé à conseiller à ses agents de
sécurité de commencer par ce secteur? se demanda
Angelos avec cynisme.
Le simple fait qu’il ait été obligé de la faire rechercher
redoubla la colère qui bouillonnait en lui. Sans se soucier
du panneau d’interdiction de se garer ni du regard avide
des femmes qui l’observaient, il sortit rapidement de sa
voiture.
A ce moment précis, une seule femme l’intéressait, celle
qui le contemplait d’un air stupéfait. Elle semblait si
surprise qu’il eut presque envie de rire.
Etant donné la façon dont ils s’étaient séparés, elle pouvait
bien être étonnée de le voir. Lui aussi était choqué de se
retrouver en face d’elle. En d’autres circonstances, il aurait
continué son chemin en l’évitant. Si on lui avait dit un mois
plus tôt qu’il allait utiliser tous ses contacts pour retrouver
la trace d’une créature aussi méprisable, il ne l’aurait
jamais cru.
Mais il était là, à quelques mètres d’elle, prêt à lui offrir
tout ce dont elle rêvait, et même davantage.
Tout en se dirigeant résolument vers elle, il se consola en
pensant que même si elle avait gagné la première manche,
il remporterait la deuxième, et les suivantes.
Les intentions de cette femme avaient été parfaitement
claires, mais Angelos était absolument certain que, quand il
en aurait fini avec elle, elle regretterait d’avoir osé s’en
prendre à lui.
Il serra les mâchoires, furieux et frustré de se retrouver
dans une telle position. Apparemment, elle faisait partie de
ces aventurières qui passaient leur temps à exploiter les
plus fortunés qu’elles. Une femme sans scrupules et sans
aucune moralité. Le fait de savoir que, pour la première
fois de sa vie, il avait bel et bien été manipulé augmentait
encore sa fureur.
Il la regarda dans les yeux et se retrouva aussitôt en proie
à un assaut de désir si puissant que son cerveau s’arrêta
momentanément de fonctionner.
Elle n’était que grâce et féminité.
Depuis ses magnifiques cheveux blonds qui tombaient
souplement sur ses épaules jusqu’à la courbe généreuse de
ses seins et sa taille d’une finesse inouïe, elle était femme.
Durant les deux semaines passées, il avait été si en colère
contre elle qu’il avait oublié à quel point elle était belle.
Irrité contre lui-même, Angelos détacha son regard de la
jeune femme et essaya de se concentrer. Ces quinze jours
avaient été longs, se rappela-t-il tandis qu’il cherchait une
explication logique à la réaction traîtresse de son corps.
Très longs.
Ayant repris possession de lui-même, il la regarda de
nouveau et découvrit de la culpabilité dans ses yeux.
— Isabelle, commença-t-il avec mépris.
Durant un instant, elle se contenta de le dévisager d’un air
confus.
— Qui est Isabelle ? demanda-t-elle enfin de sa voix
légèrement voilée.
Il s’attendait tout à fait à ce qu’elle nie, mais il sentit
néanmoins la rage exploser en lui.
— Le petit jeu des devinettes est terminé.
— Mais je ne suis pas...
— Arrêtez cette comédie !
Visiblement effrayée par la violence de son ton, elle recula
de quelques pas.
— Montez dans cette voiture, poursuivit-il.
Cette fois, il vit une lueur de panique dans ses yeux.
— Je crois que vous me prenez pour quelqu’un d’autre,
protesta-t-elle.
Il enfonça la main dans sa poche et en tira un papier.
— Je ne me trompe pas. La prochaine fois que vous voudrez
rester incognito, ne laissez pas tomber votre billet.
Ne sachant pas quoi dire, elle contemplait le carton bleu
ciel qu’il lui tendait en silence.
— Maintenant, je comprends pourquoi vous étiez si
réticente à vous présenter, dit-il en observant les
différentes émotions qui se succédaient dans ses yeux.
De la consternation, de la confusion — de la peur ?
— Eh bien, maintenant que nous avons résolu la question
de votre identité, venez.
Toujours silencieuse, elle continuait à regarder le billet
d’un œil fixe.
— C’est votre jour de chance, reprit-il. Vous avez touché le
jackpot.
Elle releva enfin les yeux.
— Franchement, je ne comprends pas de quoi vous parlez.
Angelos était si furieux qu’il devait refréner le désir de la
gifler sur place, avant de tourner les talons et de mettre le
plus de distance entre lui et cette infâme créature. Mais à
cet instant, la vision de son père jaillit devant ses yeux, lui
rappelant pourquoi il se trouvait en face d’elle. Plus vite il
résoudrait la question, plus vite il pourrait retourner en
Grèce.
— Aussi surprenant que cela puisse paraître, je désire
approfondir la relation que vous avez eu le mauvais goût de
commencer.
Furieux de se trouver enchaîné à cette femme malgré sa
volonté, il serra les mâchoires.
— Montez dans cette voiture.
— Je dois vous dire quelque chose.
Elle semblait soudain très jeune et un peu désespérée, mais
il se sentait trop en colère pour éprouver de la sympathie
envers elle.
— Ce que vous avez à me dire ne m’intéresse pas. Cette
fois, c’est moi qui parle, et je ne veux pas de public.
— Je ne vois pas de quoi vous voulez me parler !
— Vous le découvrirez bientôt. Je ne suis pas comme vous
et je préfère éviter de me donner en spectacle.
De plus en plus de gens s’arrêtaient pour les observer,
remarqua-t-il. Bon sang, si jamais quelqu’un le
reconnaissait et prenait une photo, elle ferait la une des
journaux du lendemain...
— Mon hôtel n’est pas loin d’ici.
— Votre hôtel ?
L’expression de la jeune femme était soudain devenue
glaciale, comme s’il lui avait adressé la pire des insultes.
— Trouvez-vous une autre femme, monsieur Zouvelekis. Je
ne fréquente pas les hôtels avec des hommes — surtout
quand il s’agit d’un étranger.
Son attitude prude et digne était tellement en décalage
avec ce qu’il savait d’elle qu’Angelos faillit éclater de rire.
— Un étranger? Je suis le même étranger que celui avec
lequel vous avez dansé, et nous savons tous les deux où ce
tango aurait pu nous mener. Si vous n’aviez pas montré
votre vrai visage si tôt, nous aurions fini la nuit dans ma
chambre.
Les lèvres de la jeune femme s’entrouvrirent pour
protester, mais elle resta muette, comme fascinée.
Alors qu’il luttait encore contre le désir puissant de la gifler
ou de lui tordre le cou, Angelos se retrouva lui-même à
contempler sa peau soyeuse et la rondeur parfaite de ses
seins qui tendaient le tissu de son chemisier blanc.
Pas étonnant qu’il se soit laissé distraire le soir du bal.
Elle était éblouissante.
Exaspéré par ses propres réactions, il se força à se
concentrer sur ses yeux.
— Même si je n’avais pas déjà été au courant de votre
réputation, Isabelle, votre performance le soir du bal aurait
largement suffi à me convaincre que vous êtes une
habituée de l’intimité des chambres d’hôtel, surtout quand
elles sont occupées par des hommes.
— Ma réputation ? répéta-t-elle, l’air étonné, comme si elle
venait de découvrir qu’elle en avait une.
— Maintenant que je sais qui vous êtes, je comprends
pourquoi vous avez pris tant de soin à ne pas vous
présenter. La prochaine fois que vous voulez piéger un
milliardaire, changez de nom.
Les yeux de la jeune femme s’élargirent de nouveau et
soudain, Angelos oublia tout ce qu’il avait eu l’intention de
dire... Elle avait les yeux les plus stupéfiants qu’il avait
jamais vus. D’aussi près, avec le soleil de printemps
illuminant son visage, il voyait que le bleu saphir était
constellé de paillettes vertes, comme si un artiste s’était
ingénié à les rendre plus beaux. Et quant à son corps...
Ses courbes ravissantes étaient responsables de la situation
dans laquelle il se trouvait à présent, songea Angelos en
serrant de nouveau les dents. Le désir l’avait submergé, lui
faisant oublier toute prudence.
Elle le contemplait, sa poitrine se soulevant et s’abaissant
sous son chemisier blanc.
Se rendant compte que les gens les observaient avec de
plus en plus d’intérêt, Angelos lui passa soudain un bras
autour de la taille et l’attira contre lui.
— Je vais vous donner un bon conseil, lui murmura-t-il à
l’oreille.
Dès qu’il l’avait touchée, il avait senti une violente tension
dans le corps de la jeune femme.
— Si vous voulez qu’un homme croie en votre vertu,
poursuivit-il, ne portez pas une jupe aussi indécente. Non
que je m’en plaigne, au contraire. Puisque nous nous
retrouvons coincés dans cette situation, autant nous
amuser.
— Nous amuser? De quoi parlez-vous? demanda-t-elle en
essayant de se dégager.
Angelos resserra son étreinte. Comment pouvait-elle
posséder des courbes aussi fabuleuses tout en étant si
mince ?
— Je parle de notre nouvelle relation, agape mou. Celle que
vous désiriez avec tant d’ardeur l’autre soir.
— Vous êtes ridicule. Lâchez-moi !
— Croyez-moi, rien ne me ferait plus plaisir. Mais
malheureusement je ne peux pas. Vous allez venir avec moi,
afin que nous puissions décider de la suite de notre
charmante escapade romantique.
Ils étaient toujours enlacés, son corps doux et
délicieusement tiède pressé contre lui, si bien qu’Angelos
avait de plus en plus de mal à se concentrer.
Le parfum délicat de sa peau et de ses cheveux envahissait
tous ses sens, provoquant une réponse immédiate de son
propre corps. De plus en plus irrité contre lui-même, il
devina qu’elle partageait l’émoi sensuel qui le consumait.
— Pourquoi voudriez-vous que j’aille avec vous ? Dois-je
vous rappeler ce que vous m’avez dit l’autre jour ? Vous
m’avez jeté au visage que vous préféreriez rester
célibataire toute votre vie plutôt que de passer une heure
avec une femme comme moi.
— Rassurez-vous, je n’ai pas l’intention de passer le reste
de ma vie avec vous. Il ne s’agira que de quelques
semaines.
— Quelques semaines ? demanda-t-elle en secouant
brièvement la tête. Je ne sais toujours pas de quoi vous
parlez, et de toute façon, je refuse de vous suivre.
— Jusqu’à présent, je ne vous ai pas demandé votre avis.
Ou vous vous installez de plein gré dans ma voiture, ou je
vous y fais monter de force.
— Nous avons des témoins, riposta-t-elle en le foudroyant
du regard. Vous croyez vraiment que vous pouvez
m’enlever aussi facilement?
— Non. J’ai une idée bien plus subtile que cela.
Il posa sa bouche sur la sienne avec une ardeur qui
contenait toute la colère et la frustration qu’il ressentait.
Mais quand il sentit les lèvres douces de la jeune femme
fondre sous les siennes, son esprit se vida de toute pensée
cohérente. Sa bouche avait un goût délicieux de fruit
défendu, songea-t-il en s’abandonnant aux sensations
voluptueuses qui se déployaient en lui.
Brusquement il releva la tête.
Quand il contempla son beau visage en fronçant les
sourcils, il remarqua ses yeux troublés et ses joues roses.
Ses doigts étaient agrippés à sa chemise, comme si elle
avait besoin de soutien.
Conscient qu’il s’approchait dangereusement d’un point de
non-retour, il la lâcha et recula d’un pas.
— Un Parisien n’interviendra jamais dans une querelle
d’amoureux, agape mou.
Sans attendre sa réaction, il lui prit le bras tout en ouvrant
adroitement la portière de l’autre main. Après l’avoir
poussée sur le siège et avoir refermé la portière, il
contourna rapidement l’avant de la voiture et alla
s’installer derrière le volant. Puis, tout en évitant
délibérément de tourner les yeux vers sa passagère, il
ralluma le contact du puissant véhicule qui rugit aussitôt.
3.

Qu’attendait-il d’elle?
Surplombant tout Paris, le salon de la suite qu’il occupait
au dernier étage de l’hôtel était plus vaste que son studio
tout entier. En d’autres circonstances, Chantal aurait
savouré le panorama unique qui s’offrait à ses yeux, mais
pour l’instant elle demeurait dans un état de confusion
intense.
Si le tango qu’ils avaient dansé ensemble avait été chargé
d’un érotisme inouï, leur baiser avait été...
A vrai dire, elle était incapable de trouver un terme qui
puisse définir ce qu’elle ressentait encore maintenant.
Angelos ne la regardait même pas. Immobile devant
l’immense baie vitrée, il contemplait la vue sans dire un
mot.
Chantal n’était pas dupe. Il l’avait embrassée pour tromper
les gens qui assistaient à leur querelle, mais cette certitude
ne diminuait en rien l’alchimie qui avait explosé entre eux.
Cette alchimie était-elle la cause de la colère qu’elle sentait
vibrer en lui ?
Affreusement mal à l’aise, elle ne comprenait pas ce qui se
passait. Après l’avoir fait monter dans sa voiture, Angelos
n’avait pas desserré les lèvres. Il avait glissé adroitement
dans la circulation dense, avant de venir s’arrêter devant
l’hôtel le plus luxueux de Paris.
A ce moment-là, il avait fini par se tourner vers elle et lui
avait adressé un seul mot d’une voix glaciale :
Descendez.
Se souvenant des quelques semaines où elle avait travaillé
dans cet hôtel à son arrivée à Paris, elle avait préféré ne
pas attirer l’attention sur elle en se disputant avec lui sur le
trottoir. Aussi Chantal avait-elle simplement baissé la tête
avant de le suivre dans le hall, puis elle était montée avec
lui dans l’ascenseur qui menait directement à sa suite,
espérant que personne ne la reconnaîtrait.
Dès que la porte s’était refermée sur eux, elle avait
regretté de l’avoir suivi et maintenant qu’elle se retrouvait
seule avec lui, elle sentait ses nerfs vibrer à fleur de peau.
— Très bien, je suis là, dit-elle d’un air faussement
décontracté. Que vouliez-vous me dire ?
Comme Angelos restait immobile et muet, elle respira
profondément avant de poursuivre :
— Peut-être vaudrait-il mieux que je parte.
Il se retourna, les traits de son beau visage durs et tendus.
— Si vous partez, je vous ramènerai aussitôt ici, dit-il d’une
voix glaciale.
De plus en plus perplexe, Chantal se figea.
— Mettons quelque chose au point dès le départ, murmura-
t-elle. Je ne coucherai pas avec vous, alors si c’est de cela
qu’il s’agit, vous feriez mieux de me laisser partir tout de
suite.
Un silence tendu suivit sa déclaration. S’il n’avait pas
froncé légèrement les sourcils, elle aurait pu croire qu’il ne
l’avait pas entendue.
— Croyez-vous que j’aie besoin d’aller chercher une femme
dans la rue quand j’ai envie de faire l’amour? demanda-t-il
enfin.
— La façon dont vous vous comportez avec les femmes ne
m’intéresse pas.
— Vraiment? demanda-t-il d’un ton ironique. Vous espérez
que je vais vous croire après vous avoir tenue dans mes
bras au cours de ce bal ?
Se souvenant de l’intensité érotique du tango qu’ils avaient
dansé ensemble, Chantal sentit son cœur s’affoler.
— Ce n’était qu’une danse...
Mais elle se tut, incapable de soutenir le regard brûlant
qu’il dardait sur elle..
Et soudain tout recommença. Inexorablement, Chantal
sentit la puissante attirance qui les avait réunis, le soir du
bal, la posséder de nouveau.
Quelque chose frémit au fond des yeux d’Angelos, une
lueur sombre et dangereuse, et elle comprit qu’il pensait à
la même chose qu’elle — à l’anticipation exquise qui s’était
emparée de leurs corps quand ils avaient bougé ensemble,
à la passion retenue, à l’intimité délicieuse...
Ils continuèrent à se regarder jusqu’à ce que la sensualité
qui frémissait entre eux atteigne une intensité
insupportable.
Cette fois, ce fut lui qui brisa le silence.
— Dites-moi, commença-t-il d’une voix douce, est-ce ainsi
que vous piégez vos victimes ? Vous commencez par danser
avec elles ? Pour qu’elles vous essaient avant de...
— Je ne suis pas à vendre, monsieur Zouvelekis, le coupa-
t-elle, brutalement ramenée à la réalité.
— Je crois que les gens qui vous ont vue danser avec moi
auraient du mal à le croire.
Non seulement il transformait leur danse en une tentative
de séduction délibérée de sa part, mais il se permettait de
la juger.
— J’ai dansé avec vous parce que vous avez insisté, dit
Chantal en redressant les épaules. C’est vous qui m’avez
entraînée vers la piste comme un mâle arrogant et
possessif.
— Vous aviez tout manigancé, riposta-t-il avec mépris. Avec
un autre homme que moi, votre scénario aurait même pu
fonctionner.
— Je n’avais rien manigancé ! protesta-t-elle. Et c’est vous
qui êtes venu vers moi.
— Vous avez paradé devant moi dans une robe créée dans
le seul but d’attirer mon attention.
— Je n’ai pas paradé, répliqua-t-elle.
— Laissez-moi vous donner quelques précisions, dit-il d’une
voix doucereuse. Je suis grec. Et sur le plan de la séduction
nous sommes restés très traditionnels. Les Grecs aiment
choisir une femme et lui faire des avances.
Repensant à l’article qu’elle avait lu sur lui le lendemain du
bal, Chantal fronça les sourcils.
— Je vous prenais pour un homme beaucoup plus évolué.
Vous confiez des postes importants à des femmes, plus que
dans la plupart des autres entreprises.
— Il s’agit d’affaires. Dans ma vie personnelle, je suis très
traditionnel, dit-il d’une voix rauque. Et peu importe que ce
soit au bureau ou dans la chambre, l’important est de
trouver la femme adéquate. Or, en ce qui concerne le rôle
d’épouse, vous ne correspondez pas au profil idéal. La
prochaine fois, peaufinez davantage vos recherches et
choisissez mieux votre proie.
— Mes recherches ? répéta Chantal en secouant la tête.
Vous pensez que j’ai fait une étude sur vous dans le but de
vous séduire ?
— Vous croyez vraiment que je n’ai pas entendu parler de
vous ? lui lança-t-il avec un dédain évident.
Apparemment, cette Isabelle avait une réputation
d’aventurière redoutable... Désorientée, Chantal resta
immobile. Il était évident qu’elle devait tenter de le
convaincre qu’elle n’était pas Isabelle, mais si elle le faisait,
elle devrait avouer qu’elle était une voleuse et qu’elle avait
usurpé l’identité d’une autre. Etant donné qu’elle avait
ramassé le billet dans une poubelle, cela constituait-il un
délit ? Peut-être. Pouvait-elle être arrêtée pour cela ? Elle
n’en savait rien, mais Angelos Zouvelekis était
suffisamment en colère pour lui causer des ennuis.
Et elle n’avait pas besoin de cela. Dans ce cas, mieux valait
passer pour une aventurière que pour une voleuse. Pour
l’instant, le mieux était donc de lui en dire le moins
possible.
— Vous vous trompez sur mon compte, dit-elle.
— Je ne crois pas. Il est évident que vous êtes venue à ce
bal dans l’intention de me séduire.
— Je ne savais même pas qui vous étiez avant d’acheter un
journal, le lendemain.
— Vous croyez que je suis stupide?
— Non. Mais arrogant.
— Réaliste, ripostait-il. Et prudent. Apparemment, vous
ignorez qu’un grand nombre de femmes vous ont précédée.
Alors, je vais vous le répéter : jamais je ne serai attiré par
une femme de votre engeance. La malhonnêteté me
dégoûte
— encore plus chez une femme.
Chantal se figea, doublement soulagée de ne pas lui avoir
dit la vérité. Comment aurait-il pu comprendre ce qui
l’avait poussée à prendre ce billet dans la poubelle d’une
chambre d’hôtel ? Sur un simple claquement des doigts, cet
homme pouvait satisfaire le moindre de ses caprices. Que
pouvait-il savoir des épreuves qu’elle avait traversées ?
Piégée dans une situation dont elle était entièrement
responsable, Chantal frotta ses paumes moites sur sa jupe,
regrettant qu’elle ne soit pas plus longue. Elle se sentait
terriblement exposée, surtout à cet instant, tandis que le
regard d’Angelos descendait lentement sur ses jambes.
— Arrêtez de me regarder, dit-elle fermement.
— Si vous ne voulez pas qu’un homme vous regarde,
répliqua-t-il d’un ton cinglant, portez une jupe qui couvre
vos cuisses.
— Je m’habille comme je veux.
— Je suis entièrement d’accord, Isabelle, dit-il d’une voix
rauque. Mais puisque vous avez choisi cette jupe, ne vous
étonnez pas que les hommes réagissent en conséquence.
Chantal se mordit la lèvre. Elle avait menti uniquement
dans le but de se protéger, sans jamais faire de mal à
personne. Pour la première fois, elle se retrouvait prise à
son propre piège et cela la rendait horriblement nerveuse.
Après leur première rencontre, explosive, elle avait pensé
qu’Angelos ne voudrait jamais la revoir. Même à présent,
elle ne comprenait pas pourquoi il l’avait amenée ici, dans
sa chambre d’hôtel. D’abord, elle avait cru qu’il voulait
coucher avec elle, mais elle se rendait bien compte qu’il ne
s’agissait pas de cela.
— Qu’attendez-vous de moi ?
Visiblement tendu, il desserra le nœud de sa cravate d’une
main impatiente, ouvrit le premier bouton de sa chemise.
— Vous allez continuer longtemps cette comédie?
— Pardon?
— Ne faites pas semblant de ne pas comprendre de quoi je
parle, riposta-t-il en levant les bras d’un geste exaspéré.
Nous savons tous les deux que vous êtes venue à ce bal
dans le seul but de me rencontrer.
— Je vous ai déjà dit que c’était faux. Je...
— Vous vous êtes littéralement jetée sur mon chemin, la
coupa-t-il brutalement. Et dès que je vous ai adressé la
parole vous ne m’avez pas quitté des yeux un seul instant.
— Si vous l’avez remarqué, c’est que vous me regardiez,
vous aussi, releva Chantal.
Sa remarque ne fit rien pour calmer l’humeur de son
interlocuteur. Il marmonna quelque chose en grec et elle
devina d’instinct que ce n’était guère aimable.
— Je devrais vous féliciter, dit-il d’un ton ironique. Je
croyais avoir réussi à déjouer toutes les manœuvres
possibles, mais vous avez atteint un degré de stratégie
supérieur.
— Je comprends que vous soyez très en colère, mais...
— Vous avez raison, je suis très en colère. Durant ces
dernières années, des aventurières sont allées très loin
pour attirer mon attention. Elles se sont fait passer pour
des femmes d’affaires, d’autres ont postulé pour travailler
avec moi. Certaines d’entre elles ont réservé des tables
dans les restaurants où je vais dîner, ou bien elles ont
traîné devant ma maison dans l’espoir de tomber sur moi.
— Ça alors, c’est incroyable ! s’exclama Chantal, étonnée
malgré elle.
Ainsi, des femmes étaient capables de telles audaces pour
approcher quelqu’un...
— Ce n’est pas incroyable, c’est absolument intolérable.
— Ce doit être l’un des inconvénients d’être milliardaire, je
suppose. Ne préférez-vous pas en rire?
— Ce n’est pas amusant, répondit-il en lui lançant un
regard sévère. Surtout quand on va jusqu’à s’en prendre à
mon père dans le seul but de m’atteindre.
— Ah..., dit Chantal en sentant où il voulait en venir. A vrai
dire, ce n’est pas tout à fait ce qui s’est passé.
— C’est exactement ce qui s’est passé, riposta-t-il avec un
regard menaçant. Après avoir dansé avec moi, vous l’avez
pris comme cible.
— A ce moment-là, je ne savais pas encore qu’il était votre
père. Et c’est lui qui m’a abordée, pas le contraire.
— Evidemment ! Les belles femmes sont la faiblesse de
mon père — ce que vous saviez parfaitement.
— Je ne savais rien sur votre père avant ce soir-là. Mais je
l’ai trouvé vraiment adorable.
Angelos lui jeta un regard si féroce qu’elle se sentit frémir.
—: Je pense bien que vous l’avez trouvé adorable ! Il est
riche. Et vous avez un penchant pour les hommes fortunés,
n’est-ce pas, Isabelle ?
— Puisque vous semblez si sûr de la réponse, pourquoi me
posez-vous la question ?
Sans tenir compte de sa remarque, il enchaîna :
— D’après ce que je sais, l’une de vos deux dernières
victimes était même plus âgée que mon père. Vous vous en
êtes sortie avec deux divorces très avantageux pour vous,
n’est-ce pas ? Pour une femme de vingt-six ans, vous n’avez
pas perdu de temps.
Chantal retint son souffle. Cette Isabelle avait épousé deux
hommes ? Dont l’un était apparemment beaucoup plus âgé
qu’elle? Finalement, elle avait peut-être eu tort de ne pas
lui avoir révélé sa véritable identité... En tout cas, la
situation empirait à chaque instant. Elle ferait mieux de
sortir de là et d’oublier cette histoire une fois pour toutes.
— Apparemment, vous n’appréciez pas vraiment ma
compagnie, commença-t-elle prudemment. Alors, pourquoi
êtes-vous venu me chercher ?
— A cause des mensonges que vous avez dits à mon père.
— Quels mensonges ?
— Vous lui avez dit que vous étiez tombée amoureuse de
moi dès le premier instant où vous m’aviez vu. Vous vous
souvenez à présent, ou dois-je continuer?
— Eh bien, je n’ai pas exactement... Il a supposé...
Un muscle tressaillit dans sa mâchoire bien dessinée.
— Et l’avez-vous détrompé ?
— Non, répondit Chantal dans un souffle.
— Bien sûr que non, dit-il d’un ton mielleux. Probablement
parce que votre plan se déroulait à merveille.
— Comment le fait de parler à votre père m’aurait-il aidée
à vous épouser ? demanda Chantal en se demandant de
nouveau ce qui l’avait rendu si méfiant envers les femmes.
— Vous avez vu son visage radieux, bon sang ! Vous avez vu
combien il était ravi quand il a cru que nous étions
amoureux !
— Je crois qu’il a très envie de vous voir marié, en effet,
dit-elle, attendrie au souvenir du vieil homme. Mais je suis
sûre que vous lui avez expliqué qu’il ne s’agissait que d’un
malentendu, et qu’il l’a compris.
Angelos se détourna, les épaules raides de tension.
— Malheureusement, je n’ai pas pu lui en parier.
— Pourquoi?
— Mon père a eu une crise cardiaque cette nuit-là, dit-il en
se retournant, le regard dur. Il est resté à l’hôpital ici
pendant une semaine et ensuite je l’ai fait rapatrier en
Grèce.
— Non ! s’exclama Chantal, sincèrement peinée. Dites-moi
que ce n’est pas vrai...
— Vous pensez que je plaisanterais sur un tel sujet ?
demanda-t-il d’un ton lugubre.
— Non, bien sûr... Je...
Elle se sentait si bouleversée qu’elle dut faire un effort
pour se ressaisir. Qu’est-ce qui lui arrivait? Ce n’était pas
son père à elle. C’était ridicule de réagir aussi violemment.
— Excusez-moi. Je... Va-t-il s’en sortir?
— En quoi cela vous concerne-t-il ?
— Je l’aime vraiment beaucoup. Est-ce qu’il va mieux,
maintenant ?
— D’après les médecins, il s’en est sorti par miracle. Et il
semble déterminé à vivre assez longtemps pour assister à
mon mariage, avec la femme merveilleuse qu’il a vue dans
mes bras, le soir du bal.
— Je suis heureuse qu’il aille mieux, mais...
Comprenant soudain le sens des paroles d’Angelos, Chantal
s’interrompit brusquement.
— Vous ne lui avez pas..., reprit-elle. Vous ne lui avez pas
dit la vérité, n’est-ce pas ?
— Qu’en pensez-vous ?
Elle pensait qu’il aimait son père. Pour les Grecs, la famille
comptait plus que tout.
— Apparemment, vous ne lui avez rien dit à cause de son
état, ce que je comprends parfaitement.
Mal à l’aise, elle s’éclaircit la gorge.
— Ainsi, reprit-elle, cela veut dire qu’il croit toujours que
nous... que nous sommes...
— Amoureux, enchaîna Angelos. Fous l’un de l’autre.
Toutes les balivernes que vous lui avez dites ce soir-là. Dès
qu’il est allé mieux, il s’est amusé à donner des prénoms à
ses futurs petits-enfants pour passer le temps dans sa
chambre d’hôpital.
— Oh...
Chantal réfléchit rapidement.
— Et maintenant, vous attendez le bon moment pour lui
expliquer qu’il s’agissait d’un malentendu ?
— Et quand croyez-vous qu’il sera ravi d’apprendre cette
nouvelle ? riposta-t-il d’un ton mordant. Avant ou après sa
prochaine crise cardiaque ? Car les médecins ne m’ont pas
caché que c’était hélas une éventualité.
— J’espère sincèrement qu’ils se trompent, dit-elle,
horrifiée.
— Moi aussi, dit-il d’un air sombre.
— Est-ce qu’il se repose dans un endroit agréable ?
— Pour l’instant, il est sur mon île.
Angelos possédait une île? Heureusement qu’elle n’avait
pas su qui il était le soir où elle l’avait rencontré, songea
Chantal. Parce qu’elle n’aurait jamais eu le courage de lui
adresser la parole.
— Il est tout seul sur une île ? Vous croyez que...
— Il y a une équipe d’infirmières et de médecins qui
s’occupent de lui, l’interrompit-il. Et j’ai F intention de le
rejoindre rapidement.
— Eh bien, dans ce cas... Je suis sûre qu’une fois que vous
serez là-bas vous trouverez le bon moment pour lui dire
que nous ne sommes pas exactement... ensemble.
— Je n’ai pas l’intention de le lui dire. En tout cas, pas
avant qu’il n’aille mieux. Au contraire, les médecins ont dit
qu’il fallait lui éviter tout souci durant les prochaines
semaines. Il doit être entouré des personnes qu’il aime et
en qui il a confiance.
— Très bien, cela me semble raisonnable, dit Chantal en le
regardant. Que... qu’ai-je à voir là-dedans ?
Une lueur indéchiffrable au fond des yeux, Angelos lui dit
sèchement :
Malheureusement pour vous et moi, vous avez tellement
bien joué votre petite comédie que mon père a énormément
apprécié votre compagnie. Il attend votre arrivée avec
impatience afin de faire plus ample connaissance avec sa
future belle-fille.
4.

Elle était l’image même de l’innocence, songea Angelos en


l’observant. Il y avait une telle douceur dans ses yeux et
dans son visage... Totalement en décalage avec sa
réputation.
— Il croit que nous allons nous marier? demanda-t-elle,
l’air choqué.
Bon sang, il n’arrivait pas à croire qu’il s’était laissé
manipuler ainsi. Il n’avait plus dix-huit ans, que diable !
— Vous lui avez dit que nous étions très amoureux, dit
Angelos en faisant un effort pour garder son calme. Pour
lui, nous allons évidemment nous marier.
Le regard de la jeune femme s’adoucit encore.
— Il s’est montré si aimable... J’ai été tout de suite
conquise par sa gentillesse.
Angelos était tout à fait prêt à la croire ! Il prit aussitôt la
décision de ne pas la laisser seule avec Costas trop
longtemps. En effet, dès qu’elle comprendrait que sa
relation avec lui n’avait pas d’avenir à long terme, elle
n’aurait aucun scrupule à tourner sa convoitise vers son
père.
— Avant que vous ne commenciez à vous réjouir de votre
succès, souvenez-vous que c’est à moi que vous avez
affaire, pas à mon père.
— Vous désirez que j’aille en Grèce avec vous ? C’est pour
cela que vous m’avez amenée ici ?
Je ne le désire pas. Mais vous allez partir avec moi, oui.
Apparemment, les deux hommes qu’elle avait dupés
s’étaient laissé leurrer par ces yeux de saphir, songea
lugubrement Angelos. Et cette fois, elle avait décidé
d’obtenir le jackpot. L’étendue de son audace le stupéfiait.
— Je ne comprends pas pourquoi vous pensez que c’est une
bonne idée. Votre père ne croira jamais que nous sommes
amoureux !
— Détrompez-vous. Grâce à votre mise en scène
convaincante, le soir du bal, il en est convaincu. Votre rôle
consistera à continuer cette petite comédie. Cela ne devrait
pas être trop difficile... Je travaillerai la plus grande partie
de la journée. Vous, vous passerez votre temps au bord de
la piscine avec un verre à la main et vous admirerez la mer
Egée, tout en chantant mes louanges. J’ai cru comprendre
qu’en ce moment vous étiez... entre deux hommes. Alors
considérez ce voyage comme des vacances que je vous
offre.
— Non.
— N’essayez pas de négocier avec moi, la prévint-il
doucement. Il n’y aura pas de meilleure proposition.
— Je n’espère pas de meilleure proposition.
— Dans ce cas, pourquoi refuser?
— Parce que cela ne serait pas loyal envers votre père, dit-
elle en fronçant légèrement les sourcils. Quand il
découvrira que vous lui avez menti, il sera anéanti.
Cette crainte avait traversé Angelos, bien sûr, mais il
n’avait pas trouvé d’autre solution.
— C’est dommage que vous n’ayez pas eu de scrupules plus
tôt. A présent, je n’ai plus le choix. Quand mon père ira
mieux, je lui dirai que finalement nous ne nous entendons
pas aussi bien que nous le pensions.
— Cela ne marchera jamais.
— Pourquoi?
— Si vous me regardez comme vous le faites en ce
moment, il ne croira jamais que nous sommes amoureux.
— Le simple fait que je vous invite sur mon île suffira à le
convaincre. Je n’ai jamais emmené de femme là-bas.
— Jamais ? répéta-t-elle d’un air stupéfait.
Angelos lui lança un regard noir.
— Cet endroit est réservé à la famille et vous n’en faites
pas partie, Isabelle. Ne l’oubliez pas. Vous êtes simplement
nécessaire à la convalescence de mon père.
— Je ne suis pas sûre que...
— Je ne comprends pas pourquoi vous hésitez. Je vous offre
des vacances de luxe tous frais payés.
— C’est justement pour cela que j’hésite, dit-elle en le
regardant avec une lueur indéchiffrable au fond des yeux.
Il pensait pouvoir l’acheter. Mais elle n’acceptait aucun
cadeau de la part des hommes, ni leur hospitalité. Jamais.
Sa vie était basée sur ce principe.
— Je ne peux pas, dit Chantal, le plus fermement possible.
— Vous viendrez, répliqua-t-il d’un ton autoritaire. Même si
je dois vous emmener de force.
— Non. Ma réponse est non.
L’ombre menaçante du passé la confortait dans sa décision.
— Vous ne pouvez pas comprendre, ajouta-t-elle.
— Au contraire, je comprends parfaitement. Et c’est ce qui
vous effraie, n’est-ce pas ? Pour une fois, vous avez affaire à
un homme qui vous comprend. Vos déclarations sur votre
prétendue affection pour mon père sont aussi fausses que
je le pensais.
— Ce n’est pas vrai !
— Dans ce cas, pourquoi refusez-vous d’aller l’aider?
Chantal se détourna. Elle se rappela la gentillesse de
Costas, la chaleur de sa main sur la sienne et la façon dont
il était resté à côté d’elle pour la protéger.
Elle voulait aider. Mais comment pouvait-elle le faire sans
accepter l’hospitalité d’Angelos ?
La solution serait de payer ses propres frais, mais étant
donné l’état pathétique de ses finances c’était impossible.
Elle pourrait acheter son billet d’avion, mais ensuite il ne
lui resterait plus rien.
— Le simple fait que vous hésitiez montre bien que vous
êtes aussi dépourvue de cœur que le dit votre réputation,
reprit-il d’un ton dur. Comme d’habitude, vous ne pensez
qu’à vous.
— C’est faux ! protesta Chantal, blessée par cette
accusation injuste.
Serait-il vraiment dangereux d’accepter? se demanda-t-elle
en se frottant machinalement le front. Ce n’était pas
comme si elle et Angelos vivaient une aventure. En dépit de
l’alchimie qui vibrait entre eux, ils n’entretenaient pas ce
genre de relation.
— Très bien, je partirai avec vous, dit-elle brusquement.
Mais j’insiste pour payer mon billet d’avion.
Une expression stupéfaite traversa son beau visage avant
qu’il n’éclate d’un rire froid.
— C’est un peu tard pour essayer de m’impressionner, dit-
il. Et de toute façon vous n’aurez pas besoin de billet pour
voyager à bord de mon jet privé.
Profondément humiliée, Chantal se sentit rougir jusqu’à la
racine des cheveux. Comment avait-elle pu se montrer
aussi stupide? Elle aurait dû savoir qu’il possédait son
propre jet.
— En tout cas, je ne veux pas que vous payiez quoi que ce
soit pour moi, dit-elle d’un ton ferme.
Il haussa les sourcils.
— Je pourrais probablement calculer votre part si vous me
le demandiez. Mais je vous préviens, la somme serait
importante. Et si vous voulez me convaincre que vous
n’êtes pas intéressée par ma fortune, vous perdez votre
temps. Il y a trop de preuves contre vous.
Chantal se mordit la lèvre. Elle ne possédait pas assez
d’argent pour lui rembourser la valeur du vol, aussi ne
pouvait-elle insister. Mais elle se sentait affreusement mal à
l’aise.
— Si je pars avec vous, dit-elle en relevant le menton pour
le regarder dans les yeux, c’est uniquement pour votre
père.
— Quelle autre raison pourriez-vous avoir, n’est-ce pas ? Je
ne suis pas comme les autres hommes que vous avez
connus, Isabelle. Il me faut plus qu’une petite attirance
pour obscurcir mon jugement.
De plus en plus embarrassée sous son regard inquisiteur,
elle rougit de nouveau et se dirigea vers la fenêtre.
Angelos était si différent de son père...
Debout devant la baie vitrée, elle contempla la Seine qui
serpentait à travers la capitale, et le sommet pointu de la
tour Eiffel qui se dressait fièrement dans le ciel bleu.
De l’autre côté de la ville, dans la partie la plus méconnue
des touristes, se trouvait son petit studio. Le prix était
devenu exorbitant, bien trop élevé pour une serveuse. Il
était temps de partir.
Après tout, pourquoi pas la Grèce?
Elle resterait sur l’île aussi longtemps qu’on avait besoin
d’elle et ensuite, elle chercherait du travail. Le seul
inconvénient était la compagnie d’Angelos Zouvelekis... Il la
déstabilisait plus qu’aucun homme qu’elle avait jamais
rencontré.
Mais n’avait-il pas dit qu’il serait occupé toute la journée ?
Quant à elle, sa mission consisterait à rester au bord de la
piscine en bavardant avec Costas. Et puis, celui-ci s’était
montré si gentil avec elle, si doux...
— J’accepte, dit-elle fermement. Si vous pensez que cela
peut aider votre père.
— Je n’ai jamais imaginé que vous n’accepteriez pas, dit-il
avec mépris. D’après ce que je sais sur vous, vous ne
perdez jamais une occasion de dépenser l’argent qu’on
vous offre.
— Je le fais pour votre père, dit-elle en se raidissant.
— Oh, je n’en doute pas. Votre générosité est légendaire !
— Je me moque de ce que vous pensez, dit-elle calmement,
votre argent ne m’intéresse pas.
Elle était sincère. Car c’était quelque chose de tout à fait
différent qui l’avait attirée vers lui. Un lien puissant qu’elle
ne pouvait s’expliquer.
*
**
La mer Egée s’étendait au-dessous d’eux, miroitant de mille
nuances de bleu différentes.
— C’est beau, murmura-t-elle pour elle-même.
Depuis que le jet avait décollé, Angelos avait passé tout son
temps au téléphone, installé sur un sofa en face du sien. Il
gardait les yeux fixés sur l’écran de son ordinateur posé sur
une table recouverte de documents. De temps en temps, il
interrompait sa conversation pour vérifier quelque chose
sur l’écran ou dans ses papiers.
Il ne lui avait accordé aucune attention.
Et peut-être était-ce aussi bien ainsi, songea Chantal. En
effet, quand elle avait découvert l’intérieur du jet, elle avait
été si émerveillée par le luxe raffiné de l’aménagement
qu’elle s’était sentie affreusement gauche. Comment la
fameuse Isabelle aurait-elle réagi ? s’était-elle demandé en
contemplant les somptueux sofas en cuir crème et l’épais
tapis couleur grège.
Parfaitement à l’aise, Angelos avait ôté sa veste, desserré
sa cravate et commandé un café noir. Du café grec,
constata- t-elle en voyant les moulures épaisses qui
restaient au fond de sa tasse.
Le moment où il lui avait demandé son passeport avait été
terriblement angoissant... Mais elle s’était inquiétée pour
rien car il s’était contenté de le tendre aussitôt à l’un des
membres de son personnel. Depuis, Angelos ne l’avait pas
regardée une seule fois. Il ne lui avait pas non plus
demandé si elle était bien installée. Il ne lui avait même pas
décoché une remarque désagréable.
On aurait dit qu’il préférait penser qu’elle n’existait pas.
Une fois qu’ils seraient arrivés à destination, comment
allait-il réussir à jouer la comédie devant son père ?
— Sommes-nous censés être des amants qui se sont
disputés ? demanda-t-elle quand il eut terminé sa
conversation téléphonique.
— Comment cela, disputés ? répéta-t-il en levant les yeux
et en fronçant les sourcils.
— Nous sommes supposés aider votre père à se rétablir. Je
ne crois pas que la compagnie de deux personnes qui ne
s’adressent pas la parole lui fasse beaucoup de bien. Si
nous étions déjà mariés, il penserait que le divorce n’est
pas loin.
Il laissa tomber le papier qu’il tenait sur la table.
— Je vous parlerai quand cela sera nécessaire.
— Très bien. Mais si vous voulez que je sois convaincante
dans mon rôle, je dois connaître certains détails.
— Lesquels?
— Eh bien, des choses dont vous m’auriez parlé depuis que
nous nous connaissons. Par exemple, je dois savoir si
quelqu’un d’autre que vous vit sur cette île.
— Arrêtez de faire semblant ! s’exclama-t-il en s’appuyant
au dossier du sofa. Comme si vous ne vous étiez pas déjà
renseignée sur ma façon de vivre...
Chantal soupira. Evidemment, une femme comme Isabelle
n’aurait pas eu besoin de poser ce genre de questions...
— Ne vous est-il jamais venu à l’esprit que vous pourriez
vous être trompé sur mon compte ?
— Non, répliqua-t-il en glissant son stylo dans la poche de
sa chemise. Il va falloir que vous renonciez à vos petits jeux
habituels.
Etant donné qu’elle ignorait totalement en quoi
consistaient les petits jeux d’Isabelle, Chantal lui dit d’un
ton vague :
— Ne vous inquiétez pas. Je me contenterai de rester au
bord de la piscine et de bavarder avec votre père.
— Et ne vous faites pas non plus d’illusions de ce côté-là :
votre rôle consiste à convaincre mon père que nous
sommes un couple heureux, c’est tout. Je sais très bien que
vous n’hésitez pas à prendre pour cible des hommes d’un
certain âge si le prix en vaut la chandelle. En ce qui
concerne mon père, je vous conseille de ne rien tenter.
Il fallut quelques instants à Chantal pour comprendre le
sens de ses paroles.
— Insinuez-vous que je pourrais essayer de le séduire?
— Le soir du bal, vous ne vous gêniez pas pour flirter avec
lui.
— Je lui parlais.
— Vous lui avez proposé de danser avec vous.
— Effectivement, j’aurais été ravie de danser avec lui,
figurez-vous.
— Bien sûr, mais vous auriez été encore plus ravie de faire
plus ample connaissance avec lui. On ne sait jamais.
— Vous croyez vraiment que je serais capable de...
Sans la laisser poursuivre, il éclata d’un rire cynique.
— Pensez-vous que j’ignore que votre dernier époux avait
soixante-quinze ans ?
Soixante-quinze ? Isabelle avait épousé un homme de
soixante-quinze ans ? Chantal se demanda de nouveau si
elle n’aurait pas dû dire la vérité à Angelos. Non. S’il était
choqué par la vie d’Isabelle, ne le serait-il pas encore plus
s’il apprenait la vérité sur la sienne ?
— Je vous conseille de ne pas essayer vos stratagèmes sur
mon père, parce que je vous surveillerai.
— Mes stratagèmes ? De quoi parlez-vous ?
— Puisque ça n’a pas fonctionné avec moi, n’essayez pas de
tenter votre chance avec lui. Je ne le laisserai pas se
tromper une troisième fois et épouser une autre
aventurière sans scrupules !
— Mais... Je ne comprends pas, il m’a dit qu’il avait été
marié avec votre mère pendant quarante ans. Je n’ai pas eu
l’impression qu’il s’était trompé. Il était vraiment
amoureux.
Une lueur menaçante étincela dans les yeux d’Angelos.
— Vous lui avez posé des questions sur ma mère ?
— Non ! Nous parlions de l’amour. Il m’a dit qu’elle était
morte. Je... je suis vraiment désolée.
Il ne répondit rien, mais son visage avait pâli.
— Il ne parle jamais d’elle.
— Eh bien, il m’a néanmoins parlé de sa femme. Peut-être
parce que j’étais une étrangère... Je ne sais pas, dit-elle en
haussant les épaules avec impuissance. Pourquoi
disséquez- vous ainsi tout propos ? Qui vous a rendu aussi
cynique ?
— Des femmes comme vous. Je sais qui vous êtes, Isabelle.
Il n’en savait rien du tout, mais elle n’avait pas l’intention
de le lui dire. Peut-être un jour découvrirait-il qui elle était
vraiment, quand il tomberait sur la vraie Isabelle au cours
de l’une de ces soirées mondaines. Mais à ce moment-là,
elle serait loin.
— Alors, que faites-vous tout seul sur votre île ? demanda-
t-elle pour détourner la conversation vers un sujet moins
dangereux.
— Cette île appartient à ma famille depuis cinq
générations. Mes ancêtres y pratiquaient la culture des
oliviers et des vignes. Il y a cinq ans, j’ai fait restaurer la
villa. C’est le seul endroit où nous pouvons vraiment mener
une vie privée, à l’abri des médias.
Cinq générations ? songea Chantal avec envie. Ce devait
être très agréable de connaître sa lignée — et très
rassurant...
— Leur vie était très simple, continua-t-il en étendant ses
longues jambes devant lui. Et quand nous sommes là-bas,
nous avons la même vie simple. Aussi, si vous vous attendez
à des vacances glamour, vous allez être déçue. La seule
chose qui brille est la mer, à perte de vue. Vous pouvez
oublier vos parures de soie et vos diamants. Nous ne nous
habillons pas pour dîner.
Chantal se détendit légèrement. Ainsi, elle ne regretterait
pas de ne pas s’être confectionné de nouvelles tenues
élégantes. Quant aux diamants, elle n’en possédait pas !
— Cela me semble parfait, dit-elle avec un léger sourire.
— Ne soyez pas ridicule. Je sais très bien que vous allez
détester cet endroit.
Puisqu’il en était si sûr, à quoi bon essayer de le convaincre
du contraire?
Chantal avait été si absorbée par leur conversation qu’elle
ne s’était pas rendu compte que l’avion venait d’atterrir et
qu’il roulait maintenant sur la piste.
— Sommes-nous arrivés ? demanda-t-elle.
— Non, dit-il en détachant sa ceinture de sécurité avant de
se lever rapidement. Il n’y a pas de piste d’atterrissage sur
l’île, c’est trop montagneux et rocailleux. Nous allons
prendre le bateau.
Angelos offrit son visage aux embruns et augmenta la
vitesse, heureux de sentir la vedette bondir sur l’eau,
laissant une trace d’écume blanche dans son sillage.
Isabelle allait-elle avoir le mal de mer ? Durant quelques
instants, il se réjouit presque à la perspective de ce qui
l’attendait. .. Elle allait se sentir si frustrée, sur l’île ! Il n’y
avait personne à séduire, là-bas !
De plus, elle lui en voulait sûrement de conduire à une
allure aussi rapide, sans se soucier du vent qui devait faire
de véritables ravages dans sa chevelure blonde.
Avec un certain plaisir sadique, il jeta un coup d’œil par-
dessus son épaule avant de recevoir un choc. Ses cheveux
flottaient librement au vent et, les yeux fermés, la jeune
femme appuyait la tête en arrière contre le bastingage.
Elle semblait ravie et détendue — ce qui était absurde.
Puis il baissa les yeux sur le petit sac de voyage qu’elle
avait emporté avec elle. Son manque de bagages montrait
clairement qu’elle s’attendait à ce qu’il l’emmène faire de
véritables razzias dans les boutiques. Eh bien, elle s’était
lourdement trompée, car ils n’iraient nulle part. Elle serait
forcée de porter les quelques vêtements qu’elle avait
emportés, jour après jour.
Angelos sourit en songeant au rôle qu’elle allait devoir
jouer. Connaissant son père, celui-ci voudrait voir de quoi
elle était capable dans la cuisine. « Est-ce qu’elle sait faire
de bons petits plats, Angelos ? » Non, sans aucun doute. En
fait, il était prêt à parier qu’elle n’avait jamais approché un
fourneau de sa vie.
Alors qu’ils approchaient de l’île, Angelos réduisit la vitesse
avant d’accoster. Quand il coupa le moteur, l’air fut aussitôt
rempli du chant strident des cigales.
Levant les yeux, il aperçut les murs blanchis à la chaux de
la villa, recouverts de bougainvillées rose vif qui offraient
leurs luxuriantes grappes de fleurs au soleil méditerranéen.
— Enfin arrivé à la maison...
Ce fut seulement quand elle le regarda qu’il se rendit
compte qu’il avait parlé à voix haute.
— Je croyais que vous viviez à Athènes ? fit-elle remarquer.
— J’y possède une maison parce que le siège de ma société
se trouve là-bas. Mais j’ai aussi des bureaux dans presque
toutes les capitales du monde — je voyage beaucoup pour
mes affaires.
— Vous n’aimez pas la ville?
— Si, parfois. Mais dans cette villa je me sens plus chez
moi que dans mes autres propriétés. C’est là que nous nous
retrouvons en famille.
A sa grande stupéfaction, elle sembla comprendre tout à
fait ce qu’il voulait dire.
— On voit que vous l’aimez. Elle est très belle.
C’était une réponse tellement improbable de la part d’une
femme aussi mondaine qu’Angelos se sentit profondément
irrité. Une fois encore, il regretta que les circonstances
l’aient forcé à l’emmener avec lui. D’habitude, l’île
représentait un véritable refuge où il échappait au stress et
aux contraintes. Cette fois, il avait apporté les ennuis avec
lui...
Il allait lui faire une remarque désobligeante, mais
l’expression de son visage l’en empêcha. Les yeux brillants
d’excitation, elle regardait la plage de galets blancs comme
si elle mourait d’impatience de se débarrasser de ses
chaussures pour aller y marcher.
De nouveau surpris, Angelos fronça les sourcils. Même si
elle était belle, l’île se trouvait loin du continent. Il n’y avait
pas de cafés à la mode, pas de boutiques de luxe ni d’hôtels
chics. Pas d’hommes riches ni de boîtes de nuit. En fait,
rien pour divertir une femme comme Isabelle. Seulement
des plages, des oliveraies, des vignes et des chemins
poussiéreux.
Il s’était attendu à découvrir de l’ennui ou de l’impatience
sur son visage. Or, la jeune femme semblait heureuse et
pleine d’entrain.
Angelos ne put empêcher ses yeux de descendre sur le
doux renflement de ses seins, sous le fin tissu de son haut
couleur parme. Son corps était épanoui et féminin, sa
bouche pleine et sensuelle, tandis que ses yeux étincelaient
d’un enthousiasme presque enfantin.
Agacé par la puissante réaction de son corps, Angelos serra
les mâchoires. Etait-il vraiment si primaire?
Apparemment, oui.
Il se détourna et acheva d’amarrer le bateau.
Chantal suivit Angelos sur le sentier qui grimpait vers la
villa. Un jardin superbe s’étalait sur le flanc de la colline,
offrant un joyeux mélange de parfums et de couleurs. De
chaque côté, des orangers et des magnolias aux fleurs
roses bordaient le chemin tandis que la mer turquoise
étincelait sous les rayons impitoyables du soleil.
Se rendant compte qu’Angelos se tournait vers elle d’un air
impatient, elle hâta le pas pour le rejoindre. Après un
tournant du sentier, elle découvrit soudain la villa dans
toute sa splendeur.
La demeure avait été construite dans le but d’offrir une vue
spectaculaire, et Chantal en resta sans voix. Entre la villa
et la mer s’étendaient une série de terrasses, séparées par
des vignes et reliées entre elles par d’étroits sentiers. Au
niveau de la villa elle-même s’étendait une vaste piscine,
astucieusement construite de manière à se fondre dans le
paysage. En dépit de sa grande taille, la villa possédait le
charme accueillant des demeures méditerranéennes.
Chantal contempla les bougainvillées qui ruisselaient des
balcons et descendaient sur les murs blanchis à la chaux
vers les jardins parfumés. Au rez-de-chaussée, une large
arcade donnait sur une cour ombragée en pierre au milieu
de laquelle bruissait une fontaine.
Angelos pénétra dans un immense salon au sol pavé de
mosaïques formant des motifs blancs et bleus. Chantal le
suivit et contempla les tentures richement colorées qui
ornaient les murs blancs. Puis elle tourna les yeux vers les
baies vitrées, grandes ouvertes. La pièce donnait
directement sur une vaste terrasse abritée du soleil..
Une infirmière apparut, portant un uniforme immaculé.
— Kalisperal
— Kalispera. Comment va mon père aujourd’hui ? demanda
Angelos en se dirigeant vers elle.
— Il semble déterminé à se faire le plus de mal possible !
répondit l’infirmière en serrant les lèvres d’un air
désapprobateur.
— Ses analyses ne sont pas bonnes ?
— Elles sont excellentes, mais il refuse de modifier son
style de vie.
Visiblement exaspérée par le comportement de son patient,
l’infirmière se tourna vers Chantal.
— Il attend votre arrivée avec beaucoup d’impatience.
Peut- être parviendrez-vous à lui faire entendre raison.
Maintenant que vous êtes là, il pourra se joindre à vous
pour le dîner. Car je n’ai pas réussi à lui faire prendre son
déjeuner.
— Il ne mange pas ? demanda Angelos en fronçant les
sourcils.
— Il n’a pas beaucoup d’appétit, répondit l’infirmière en
sortant un petit carnet de sa poche. Du café noir pour le
petit déjeuner, rien à déjeuner et maintenant il réclame un
verre.
— Pas un verre d’eau, je suppose ? Très bien. Je vais lui
parler.
— Je vous en serais reconnaissante, répliqua l’infirmière en
refermant son carnet avant de le remettre dans sa poche.
Je vais aller donner des instructions à la cuisine pour le
repas de ce soir. Si vous pensez à un plat qui pourrait le
tenter, dites-le-nous.
Angelos prit Chantal par le bras et l’entraîna vers la
piscine. De là, elle découvrit une vue stupéfiante sur la baie
et aperçut plusieurs petites îles qui parsemaient la mer au
loin. Seigneur, pouvait-il exister un endroit plus paisible et
plus beau sur terre ? Elle avait voyagé et vu de nombreux
sites extraordinaires, mais il y avait quelque chose dans cet
endroit qui l’émouvait profondément.
— C’est très beau, murmura-t-elle.
Angelos se tourna vers elle et lui adressa un sourire si
intime, si séduisant, qu’elle sentit aussitôt son ventre se
nouer. Soudain, le monde sembla se rétrécir autour d’elle.
Il n’y avait plus de vue époustouflante, plus de villa. Il n’y
avait qu’Angelos.
Lentement, il se pencha vers elle et lui effleura la joue des
lèvres.
— Attention, je vous surveille, murmura-t-il à son oreille.
Alors, Chantal se rendit compte que son sourire avait
uniquement été destiné à tromper son père... Installé dans
un fauteuil confortable, sur la terrasse qui jouxtait la
piscine, celui-ci les regardait en effet d’un air ravi.
Aussitôt, elle recula d’un pas, confuse et désorientée.
— Je suis si contente de vous revoir, monsieur Zouvelekis,
dit-elle en se dirigeant vers lui.
— Appelez-moi Costas. Après tout, nous sommes presque
en famille.
Il se leva avec effort et lui prit les mains avant de les serrer
entre les siennes. La pression de ses doigts et la chaleur de
son regard émurent profondément Chantal.
Presque en famille.
Même dans ses fantasmes les plus extravagants, elle ne
s’était jamais permis d’imaginer un père aussi
extraordinaire que lui.
— Comment allez-vous ?
Apparemment, il avait perdu beaucoup de poids et son teint
était pâle.
— Maintenant que j’ai une belle femme en face de moi, je
me sens déjà beaucoup mieux. Les infirmières qu’a
trouvées Angelos...
Avant de continuer, il jeta un coup d’œil pour vérifier que
l’infirmière était partie et ne pouvait l’entendre.
— Il aurait aussi bien pu employer des hommes !
— Crois-moi, j’y ai pensé, intervint Angelos d’un air sévère.
Elles ne sont pas là pour que tu les regardes.
— Les regarder? Qu’y a-t-il à regarder? Cette infirmière est
aussi attirante qu’un gardien de prison.
— Je l’ai embauchée pour ses excellentes références. A
propos, elle m’a dit que tu n’avais rien mangé ce midi.
— C’est une espionne, grommela Costas sans lâcher les
mains de Chantal. Hier, j’ai jeté mes médicaments dans le
jardin, et elle m’en a immédiatement redonné une dose. Ce
qui veut dire qu’elle me surveillait en douce.
Chantal éclata de rire.
— C’est pour cela que les fleurs sont si belles !
Costas rit à son tour. Seul Angelos ne semblait pas
s’amuser.
— Je la paie pour que tu te rétablisses le plus vite possible,
dit-il d’un air sombre.
— Si la vie doit être aussi terne, je ne sais pas si j’en ai
envie. Pourtant..., dit Costas en portant les deux mains de
Chantal à ses lèvres. Maintenant que vous êtes là, cela
change tout.
— Laisse-la tranquille, dit Angelos d’une voix rauque en
ôtant fermement les mains de Chantal de celles de son père
avant de les prendre dans les siennes. Ce n’est pas bon
pour ta tension.
— Tu n’as rien à craindre, Angelos.
Son père avait soudain l’air très fatigué, mais ses yeux
souriaient avec malice.
— J’ai vu la façon dont elle te regardait tout à l’heure : à
ses yeux, personne d’autre n’existait. Une femme
amoureuse peut se trouver au milieu d’une foule d’hommes
superbes, elle n’en voit qu’un.
Il avait raison, songea Chantal en se sentant soudain
terriblement vulnérable.
Costas se laissa retomber dans son fauteuil, comme s’il ne
pouvait rester debout plus longtemps.
— Mais nous n’avons pas été officiellement présentés,
reprit-il.
— Je m’appelle Chantal.
Aussitôt, elle vit Angelos hausser les sourcils. Il pensait
probablement qu’elle était embarrassée à l’idée de donner
sa véritable identité.
Quelle ironie... Elle avait passé sa vie à essayer de se faire
passer pour quelqu’un d’autre, et, maintenant qu’elle en
avait vraiment la possibilité, elle n’en profitait pas...
En effet, elle ne voulait pas endosser la personnalité d’une
femme qui ne considérait les hommes que comme des
proies à qui soutirer de l’argent.
Costas s’accrocha d’une main au bord de la table.
— Tu ne te sens pas bien? demanda Angelos en
s’approchant de son père d’un air inquiet.
A vrai dire, il semblait totalement exténué. Se souvenant de
l’homme plein d’énergie et d’humour qu’elle avait
rencontré le soir du bal, Chantal se sentit peinée que sa
maladie ait pu produire de tels changements en si peu de
temps.
— Je vais bien. Ne t’inquiète pas, dit-il à Angelos, une lueur
de fierté brillant au fond de ses yeux noirs.
Puis il ajouta quelque chose en grec à son fils. Devant la
soudaine tension qu’elle lut sur les traits arrogants de
celui-ci, elle comprit que Costas avait parlé d’elle.
— Je crois que vous n’avez pas besoin de moi pour...,
commença-t-elle avec embarras.
— Au contraire, nous avons grand besoin de vous, dit
Costas en lui désignant le fauteuil installé à côté du sien.
Asseyez-vous, je vous en prie. Maria va vous apporter un
verre pour fêter votre arrivée. Jusqu’à ce que je vous
aperçoive dans le bateau, je n’arrivais pas à croire que mon
fils amenait enfin une femme ici ! Vous avez fait de moi un
homme très heureux.
L’infirmière apparut sur le seuil de la terrasse.
— Vous devriez faire une petite sieste avant le dîner,
monsieur Zouvelekis.
— Une sieste ? Vous me prenez pour un bébé?
Mais il se leva aussitôt, comme s’il était soulagé que
quelqu’un lui ait suggéré d’aller se reposer. Son regard se
radoucit quand il regarda Chantal.
— Je devrais me sentir coupable de déjà vous abandonner,
mais je suis sûr qu’Angelos saura s’occuper de vous
pendant mon absence, dit-il avec un clin d’œil malicieux.
Son fils se contenta de sourire en lui prenant le bras, avant
de le conduire doucement vers la villa.
Chantal les regarda avec envie. Elle n’avait pas rêvé,
Angelos était bien capable de douceur. Elle percevait celle-
ci dans ses yeux quand il s’adressait à son père.
Mais, quand il revint vers elle quelques instants plus tard,
son regard était de nouveau froid et hostile. Une femme
d’âge moyen le suivait, portant un pichet de jus de fruits. Il
la présenta à Chantal comme étant Maria, la gouvernante
de la villa. Après lui avoir adressé un sourire chaleureux et
lui avoir souhaité la bienvenue dans un anglais teinté d’un
fort accent grec, celle-ci repartit vers la maison.
— Chantal ? demanda Angelos d’un ton méprisant en
s’asseyant à son tour. Vous avez beau choisir un nouveau
prénom, vous restez la même, agape mou. Mais j’imagine
que c’est commode de pouvoir en changer de temps à
autre.
Puis il sourit et prit le pichet que Maria avait placé devant
eux sur la table.
Piquée au vif, Chantal bondit sur ses pieds.
— C’est mon véritable prénom, dit-elle froidement. Et si
cela ne vous dérange pas, je crois que je vais aller prendre
une douche et me changer.
— Rasseyez-vous.
Il avait parlé d’une voix douce, mais empreinte d’une telle
autorité qu’elle s’exécuta aussitôt.
— Vous vous attendez à ce que tout le monde vous obéisse
au doigt et à l’œil ? demanda-t-elle avec ironie.
— Non. A vrai dire, j’aime bien qu’on me défie. Cela ne sert
à rien de gagner si on est seul dans la course.
Elle s’attendait tout à fait à ce genre de réponse. Il était si
sûr de tout. Si sûr de lui.
— Si vous vous ennuyez avec moi, je vous en prie, allez
chercher quelqu’un de plus intéressant, dit-elle calmement.
Ne vous croyez pas obligé de me tenir compagnie, je me
débrouillerai très bien sans vous.
En réalité, elle désirait qu’il la laisse seule, parce qu’ainsi
elle parviendrait peut-être à rassembler ses idées. Sa
proximité la troublait beaucoup trop... Regardant ses épais
cils noirs et sa grande bouche sensuelle, elle sentit sa
volonté la quitter tout à fait. Elle ne souhaitait plus qu’une
chose : qu’il l’embrasse.
Soudain, ses yeux ténébreux se rivèrent aux siens. La force
qui les attirait l’un vers l’autre était si puissante qu’elle
sentit son souffle se bloquer dans sa gorge.
— Mon père vous aime bien.
— C’est réciproque, dit-elle, la bouche affreusement sèche.
Il est vraiment adorable.
Ils avaient beau parler d’autre chose, elle savait qu’Angelos
était aussi troublé qu’elle. L’alchimie frémissait de nouveau
entre eux, sauvage, dangereuse, tissant des liens invisibles
mais néanmoins puissants.
Avait-il envie de l’embrasser lui aussi ? Ressentait-il la
même chose qu’elle?
Comme en réponse à sa question, Angelos baissa les yeux
sur sa bouche et son regard s’assombrit.
— Que voulez-vous dire par là ? Qu’il est riche ? Et plutôt
séduisant pour son âge ?
Ils continuaient à parler et, pourtant, une tout autre
conversation se déroulait entre eux, en un dialogue qui
n’avait pas besoin de mots.
— Je voulais simplement dire qu’il est d’une douceur et
d’une gentillesse extraordinaires.
L’atmosphère devenait si intime que Chantal sentait son
cœur battre très vite. Seigneur, elle était de plus en plus
mal à l’aise... Elle allait se lever pour tenter de mettre un
terme à la tension qui l’étreignait quand Maria réapparut
sur la terrasse.
Quelqu’un demandait Angelos au téléphone, annnonça la
gouvernante en souriant.
Il se leva en soupirant.
Ce doit être mon bureau d’Athènes. Comme cela risque de
durer un moment, Maria va vous montrer votre chambre.
5.

Chantal le regarda s’éloigner de son pas souple et


déterminé. Qu’y avait-il donc de si attirant en lui ? Il était
très beau, bien sûr, mais il ne s’agissait pas que de cela.
Une aura puissante émanait de lui, qui la troublait malgré
elle chaque fois qu’elle se trouvait en sa présence. Dès
qu’elle l’avait rencontré, elle s’était sentie attirée
inexorablement vers cet homme.
Se rendant soudain compte que Maria attendait
patiemment de la conduire vers sa chambre, Chantal se
leva rapidement et la suivit. La gouvernante la fit bientôt
entrer dans une chambre splendide qui donnait
directement sur la piscine. Spacieuse et lumineuse, la pièce
avait des murs blancs, rehaussés de quelques touches de
bleu profond. Des tableaux apportaient des touches de
couleur, tandis qu’un grand tapis, blanc lui aussi,
recouvrait le sol. Regardant par une porte entrouverte, elle
découvrit une vaste salle de bains tout en marbre et
chromes étincelants.
Si c’était là une chambre d’amis, comment devait être celle
d’Angelos ? se demanda-t-elle. Elle se rappela avec ironie
qu’il lui avait dit mener une « vie simple » sur l’île...
Mais elle savait déjà qu’ils appartenaient à deux univers
totalement différents. Il possédait fortune et famille. Elle
n’avait rien.
Chantal baissa les yeux sur son petit sac de voyage déposé
au milieu de la pièce. Il résumait à lui seul la différence de
leurs conditions.
Mon dieu, que faisait-elle là ?
Comme si elle avait senti son malaise grandissant, Maria la
regarda d’un air bienveillant.
— Je vais vous aider à installer vos affaires, dit-elle.
Mais Chantal secoua aussitôt la tête vigoureusement.
Seigneur, il ne fallait surtout pas que Maria voie le pauvre
contenu de son sac...
Une fois que la gouvernante eut quitté la pièce, elle sortit
les quelques vêtements qu’elle avait apportés — deux
robes, une jupe, un short, quelques hauts simples et un
maillot de bain.
C’était tout. Aucune toilette glamour susceptible de
convenir à la compagne d’un riche milliardaire.
Elle n’aurait jamais dû venir. Et elle n’aurait jamais dû se
servir de ce billet pour aller au bal. Ce qui n’était qu’un jeu
semblait se transformer en une aventure dangereuse.
Angelos avait dit qu’on ne s’habillait pas sur l’île, songea- t-
elle en prenant l’une des robes avec inquiétude, mais
apparemment le mot « simplicité » n’avait pas la même
signification pour eux deux.
Eprouvant le désir de se rafraîchir, elle s’apprêtait à
prendre une douche quand une légère brise entra dans la
pièce par la baie vitrée ouverte. Chantal s’approcha et
contempla la surface de la piscine qui miroitait sous le
soleil. L’eau semblait si fraîche... Pourquoi n’irait-elle pas
nager un peu ?
Angelos travaillait et Costas se reposait, aussi personne
n’en saurait-il rien. Et quand Angelos en aurait terminé
avec ses affaires, elle serait de retour dans sa chambre.
A vrai dire, si elle s’y prenait bien, elle pourrait l’éviter
durant tout son séjour. En effet, s’il était occupé toute la
journée, ils ne se retrouveraient qu’au moment des repas.
Après avoir passé son dernier coup de fil, Angelos se passa
la main sur le visage en poussant un long soupir.
Apparemment, on avait besoin de lui à Athènes. En temps
normal, il serait aussitôt rentré en ville par hélicoptère
pour y rester quelques jours. Mais il préférait ne pas
s’éloigner tant qu’il n’était pas complètement rassuré sur
l’état de santé de son père. D’autre part, il ne voulait pas le
laisser seul avec Isabelle.
Le simple fait de penser à elle exacerba son stress à un
degré vertigineux, si bien qu’il bondit sur ses pieds en
poussant un juron. Il essaya de détendre ses épaules pour
se débarrasser de la tension qui l’étreignait depuis qu’il
avait retrouvé la jeune femme.
Un peu d’exercice l’aiderait à se débarrasser de l’excès
d’énergie qui l’encombrait et détournerait ses pensées de
sa libido, se dit-il en s’étirant longuement. Quelques
longueurs de piscine ne remplaceraient jamais une bonne
séance de sexe, mais pour l’instant il s’en contenterait.
Après avoir pris un caleçon de bain dans un placard, il se
changea rapidement et sortit sur la terrasse. A cet instant,
il entendit le bruit d’un plongeon. Evidemment, il ne
pouvait s’agir que de la seule personne qu’il avait espéré
éviter, songea-t-il avec irritation.
Une fois qu’il fut arrivé au bord de la piscine, il fut d’abord
obligé de reconnaître qu’elle était très bonne nageuse.
Habitué à fréquenter des femmes qui préféraient poser au
bord de la piscine plutôt que de prendre le risque de se
mouiller les cheveux, Angelos l’observa pendant quelques
instants avec surprise. Elle glissait dans l’eau avec la grâce
fluide d’une sirène et il fut assailli par une vague de désir
encore plus puissante que les précédentes.
Par ailleurs, les femmes qu’il côtoyait d’habitude portaient
des costumes de bain qui se réduisaient toujours au
minimum. Alors, pourquoi la vue de son simple maillot une
pièce noir
— visiblement davantage destiné à une activité sportive
qu’à une entreprise de séduction — provoquait-il une
réaction aussi violente en lui ?
Le maillot moulait son corps sublime, mettant en valeur ses
longues jambes minces, les courbes affriolantes de ses
hanches et sa taille étonnamment fine. Son corps était
incroyable, songea-t-il tandis qu’un assaut brûlant de
volupté le submergeait. Il réagissait à cette femme d’une
façon si primitive qu’il recula d’un pas, totalement
déconcerté.
Comprenant le véritable sens du mot « tentation » pour la
première fois de sa vie, Angelos respira profondément et
essaya de repousser les pensées qui obscurcissaient son
jugement. Mais la vision de ses seins épanouis pressés
contre son torse et celle de ces longues jambes galbées
enroulées autour de sa taille annihilait toute volonté en lui.
Après le stress de ces deux dernières semaines, il ne
désirait qu’une chose — sortir la jeune femme de l’eau et
lui ôter ce maillot avant de l’entraîner dans son lit, jusqu’à
ce qu’ils s’écroulent tous les deux, épuisés et rassasiés. A
cet instant précis, il se moquait éperdument qu’elle
représente tout ce qu’il méprisait chez une femme. Un seul
désir l’animait : explorer cette attirance sensuelle qui les
consumait l’un et l’autre.
Soudain, il prit conscience d’un problème plus immédiat.
Une fois qu’elle aurait fini de nager et l’apercevrait, elle
verrait aussitôt la preuve évidente de son désir.
Résolvant le problème avec son esprit de décision habituel,
Angelos avança vers le bord de la piscine et exécuta un
plongeon parfait dans l’espoir que l’eau fraîche calmerait
son ardeur.
Quelques instants plus tard, il remonta à la surface avant
de se diriger vers Isabelle en un crawl puissant.
— Je ne savais pas que... Je croyais que vous travailliez..
balbutia-t-elle, l’air visiblement embarrassé.
Des gouttelettes perlaient sur ses joues et sur sa lèvre
supérieure, et ses longs cils mouillés semblaient encore
plus sombres. Loin d’avoir tenté d’épargner ses cheveux,
elle les avait laissés libres si bien qu’ils encadraient son
visage, lisses et brillants. Quant à ses yeux, ils étincelaient
toujours du même bleu extraordinaire.
Déconcerté de sentir que la situation échappait
inexorablement à son contrôle, Angelos se força à
détourner son regard de ses lèvres pleines et attirantes
comme un fruit mûr. Bon sang, l’eau froide était supposée
le calmer!
— J’avais besoin d’exercice, dit-il d’une voix rauque.
Soudain, il regretta de ne pas avoir plutôt choisi d’aller
courir sur la plage. Même s’il faisait très chaud,
l’atmosphère aurait été plus supportable que celle qui les
entourait maintenant !
De plus en plus troublé, Angelos s’éloigna et enchaîna les
longueurs sans s’arrêter. Il fallait absolument qu’il se
débarrasse du désir impitoyable qui avait envahi son corps.
Après avoir terminé une longueur, il repartit en sens
inverse, mais cette fois son corps rencontra un obstacle.
Il vit alors la jeune femme suffoquer avant de disparaître
sous l’eau en buvant la tasse.
— Theos mou...
Angelos l’aida aussitôt à remonter à la surface, lui
entourant la taille de ses mains pour la soutenir tandis
qu’elle s’étouffait et toussait. Elle posa les mains sur ses
épaules en reprenant son souffle.
Subjugué, Angelos savourait la douceur de sa peau contre
la sienne et la délicatesse de ses formes féminines. Au
moment où il comprit que la toucher avait été une erreur
monumentale, elle le regarda. Ses yeux bleus prirent une
teinte plus sombre et Angelos la désira plus qu’il n’avait
jamais désiré aucune autre femme.
Sans plus réfléchir, il pencha la tête et l’embrassa. Aussitôt,
les lèvres de la jeune femme s’ouvrirent aux siennes et elle
répondit à son ardeur. Enivré par les sensations exquises
qui se déployaient en lui, Angelos explora sa bouche avec
sa langue tandis que sa saveur brûlante et douce faisait
courir un flot incandescent dans ses veines.
Ses doigts se resserrèrent sur sa taille et il l’attira
fermement contre lui, sentant son corps souple s’ajuster au
sien comme une fleur délicate cherchant un soutien.
Apparemment, le désir qui la consumait était aussi puissant
que le sien, songea-t-il en renonçant à lutter contre la
passion qui le dévorait.
Se repaissant de la sensation de son corps contre le sien, il
se noyait en elle, dans son parfum, dans la douceur qui
émanait de tout son être. Son excitation était si intense
qu’elle effaçait tout le reste. Soudain, il sentit ses longues
jambes galbées s’enrouler autour de sa taille. Alors, il fit
glisser les bretelles de son maillot sur ses épaules. Ses
tétons se dressèrent fièrement, roses et fermes. Il s’écarta
légèrement et acheva de lui ôter son maillot, et elle se
pressa de nouveau contre lui.
Angelos sentit ses doigts fins se refermer autour de son
sexe durci par le désir. En proie à des sensations
explosives, il se sentit consumé par une urgence
désespérée. Tout son univers se réduisit soudain à ce seul
instant. A cette femme.
Plus excité qu’il ne l’avait jamais été de sa vie, il referma
les mains sur ses cuisses, conduit par un besoin de
satisfaction presque primaire. Dans l’eau, la jeune femme
ne pesait rien et elle s’arqua contre lui, cherchant l’union
ultime de leurs deux corps.
Un gémissement s’échappa de ses lèvres et, durant
quelques instants, ils demeurèrent en suspens au bord de
l’étreinte finale. Puis il se sentit incapable d’attendre plus
longtemps. Il la pénétra doucement, en une longue
poussée, et s’enfonça tout entier en elle.
Quand sa chaleur se referma autour de lui, Angelos oublia
tout. Confusément, il sentit une tension soudaine dans le
corps de la jeune femme tandis qu’elle enfonçait ses ongles
dans ses épaules. Elle était si brûlante qu’il lui fallut un
moment pour comprendre que quelque chose était bizarre.
Il essaya de contrôler sa propre excitation, mais à cet
instant elle ôta ses mains de ses épaules et enroula ses bras
autour de son cou, l’implorant en silence de continuer.
Ses petits gémissements de plaisir le firent alors basculer
dans l’abîme. Insensible à tout sauf à l’intensité de leur
étreinte, Angelos s’enfonça de nouveau en elle, encore et
encore, se perdant dans sa douce chaleur. Ivre des
sensations qui le submergeaient, il oublia toute sa réserve
habituelle. Jamais il n’avait ressenti un plaisir aussi
profond, aussi inouï.
Il sentit son corps trembler contre le sien avant qu’elle ne
sombre dans un orgasme éblouissant. Sentant sa propre
excitation redoubler, il donna un dernier coup de reins. Le
plaisir déferla alors en lui, l’entraînant dans un univers
totalement inconnu.
Angelos reprit ses esprits le premier et se rendit compte
que la jeune femme était totalement abandonnée contre lui,
les bras enroulés autour de son cou et la tête enfouie au
creux de son épaule.
Bien qu’ils soient cachés par l’abondante végétation qui
fleurissait sur la terrasse, ils étaient terriblement exposés
si quelqu’un sortait soudain de la villa.
Diable, à quoi avaient-ils pensé tous les deux?
S’il avait réfléchi un seul instant, il n’aurait jamais choisi la
piscine comme cadre de ses ébats érotiques. Quant à
Isabelle, étant donné que le sexe semblait être une
expérience totalement nouvelle pour elle, elle s’était
retrouvée entraînée dans un processus qui semblait lui
avoir complètement échappé. Son manque total
d’expérience suscitait bien sûr un certain nombre de
questions. Mais il y songerait plus tard.
Pour l’instant, le plus urgent était de recouvrir son corps
ravissant avant que quelqu’un n’apparaisse et ne la voie
dans l’éclat le plus intime de sa beauté.
Il tendit la main pour récupérer le maillot qui flottait à côté
d’eux.
— Il faut que tu te rhabilles, dit-il d’un ton exaspéré, tout
en parvenant à lui remonter le maillot jusqu’à la taille.
Puis il s’écarta légèrement pour glisser les bras de la jeune
femme dans les bretelles. Elle était aussi molle qu’une
poupée de chiffon et semblait avoir du mal à recouvrer ses
esprits. Tout en réprimant un juron, Angelos réussit enfin à
ajuster les bretelles du maillot.
Alors, il lui prit une main et la posa sur la margelle de la
piscine. Ainsi, la jeune femme pourrait se maintenir toute
seule hors de l’eau.
— Parle-moi, bon sang !
Mais elle restait muette, le regardant avec des yeux
immenses comme s’il venait d’une autre planète. Soudain,
elle entrouvrit enfin les lèvres, mais aucun son n’en sortit.
Malgré tous ses efforts, Angelos ne pouvait détourner les
yeux de sa bouche et il sentit son désir s’éveiller de
nouveau. Perplexe et furieux, il la prit par la taille et la
souleva hors de l’eau. Après l’avoir déposée au bord de la
piscine, il se hissa lui-même sur les mains et sortit du
bassin.
Il prit la serviette qu’il avait posée sur un transat et
l’enroula fermement autour de ses hanches. Seulement
alors, quand il fut certain de pouvoir contrôler ses propres
réactions, il se retourna vers Isabelle.
Toujours assise sur le bord de la piscine, elle n’avait pas
bougé d’un centimètre.
Il lui tendit les mains pour l’aider à se lever, avant de lui
passer un drap de bain. Puis il la poussa vers le transat le
plus proche.
— Explique-moi, maintenant.
Lui expliquer? Il voulait qu’elle lui parle de ce qui venait de
se passer?
L’esprit confus, Chantal le contemplait d’un regard vide.
Elle ne savait pas quoi dire. Parce que cela avait été... Elle
ne pouvait trouver de mot adéquat.
Que voulait-il l’entendre dire? Qu’elle était une autre
personne que la veille ? Que cet instant était au-delà de ses
rêves les plus fous ? Qu’elle aurait été ravie de rester dans
la piscine avec lui pour le reste de sa vie ?
Elle le regarda dans les yeux, mais le contact fut trop
violent, trop intime, si bien qu’elle détourna aussitôt la tête.
Incapable de dire un mot, elle se sentait terriblement
confuse et mal à l’aise. Pourquoi ne disait-il pas quelque
chose, lui ?
— Parle-moi!
Son ton était si impérieux qu’elle réussit à articuler :
— C’était extraordinaire... Tu es très doué.
Une lueur étrange jaillit au fond des yeux d’Angelos, qui
murmura quelque chose en grec.
— Ce n’est pas ce que je te demande, reprit-il sèchement.
Nous allons nous y prendre autrement. Je vais te poser les
questions et tu me répondras. Tu n’es pas Isabelle Ducat,
n’est-ce pas ?
Horriblement embarrassée, Chantal se sentit rougir. Un
instant, elle avait cru qu’Angelos voulait parler de ce qu’ils
venaient de partager... Car, pour elle, rien d’autre n’existait
plus. Mais apparemment, il était loin d’être aussi
bouleversé qu’elle.
— Qu’est-ce qui te fait penser ça?
— La liste de ses amants est interminable. Or, si j’ai bien
compris, la tienne se résume à un seul nom — le mien.
— Je ne vois pas comment tu...
— Arrête, lui conseilla-t-il d’une voix douce. A moins que tu
ne veuilles que je te fasse rougir davantage en te donnant
des détails.
Elle se força à se concentrer sur un point entre ses pieds et
ses genoux pour calmer sa respiration inégale.
— Oh...
— Regarde-moi, ordonna-t-il sévèrement.
Non, elle ne pouvait pas. C’était trop... embarrassant.
Il poussa un lourd soupir.
— Je t’en prie, veux-tu bien me regarder?
Cette fois, sa voix avait été moins autoritaire, comme s’il
avait compris qu’il n’arriverait à rien par la force.
— Que veux-tu savoir ? demanda-t-elle en levant les yeux
avec réticence.
— Commence par me dire qui tu es vraiment.
Qui était-elle ? Elle n’était plus tout à fait sûre de le savoir.
En tout cas, elle était différente de celle qu’elle était une
demi-heure plus tôt.
— Je ne suis pas Isabelle.
— Je le sais déjà. Ce que je ne sais pas, en revanche, c’est
qui tu es et pourquoi tu as usurpé son identité.
— Je n’ai pas usurpé son identité. Pas vraiment. C’est toi
qui as cru que j’étais Isabelle.
— Tu étais en possession de son billet.
— Ce qui montre simplement que les apparences peuvent
être trompeuses.
— Arrête de jouer sur les mots, s’il te plaît.
Sentant une nuance menaçante percer dans sa voix,
Chantal sentit son cœur battre violemment.
— C’est vrai que je me suis servie de ce billet, mais je ne
me suis pas fait passer pour elle. Je n’ai pas utilisé son nom
une seule fois, et tu n’étais pas supposé voir ce billet.
— Nous tournons en rond. Comment as-tu obtenu ce billet?
Seigneur, elle avait l’impression de se trouver à la barre
des accusés, harcelée par un procureur impitoyable !
— C’est une longue histoire.
— Donne-m’en un résumé, ça suffira. J’aime aller droit au
but et nous avons déjà perdu pas mal de temps. Essayons
autre chose. Comment as-tu fait la connaissance d’Isabelle
?
— Mais je ne la connais pas ! protesta Chantal. Je l’ai vue
dans l’hôtel où elle séjournait.
Incapable de soutenir le regard inquisiteur d’Angelos,
Chantal examina les fibres de la serviette moelleuse qui
l’enveloppait.
— J’étais... Je faisais le ménage de sa chambre.
Voilà. C’était dit. Rassemblant tout son courage, elle
attendit sa réaction, les doigts fourrés dans les plis de sa
serviette.
Mais Angelos ne répondait rien. Il devait être horrifié
d’avoir amené une femme de chambre sur son île, à bord de
son jet privé... Il ne trouvait probablement pas de mots
pour exprimer son dégoût, songea-t-elle en essayant de
repousser la douleur qui lui déchirait le ventre.
— Vas-y, dit-elle d’un ton faussement détaché. Dis ce que tu
penses.
Après tout, elle avait l’habitude d’être jugée et repoussée.
Quand elle se décida enfin à relever les yeux, elle découvrit
qu’il l’observait derrière ses cils baissés.
— J’attends toujours de savoir comment tu as eu le billet,
dit-il d’un ton exagérément patient.
— Cela me semble évident.
Il se frotta le front du bout des doigts, comme pour se
forcer à garder son calme.
— Chantal, c’est ton vrai prénom, n’est-ce pas ? Je ne suis
pas très patient. Si un membre de mon personnel avait pris
autant de temps que toi pour répondre à mes questions, je
l’aurais déjà renvoyé.
— Je viens de te dire que je travaillais comme femme de
chambre, dit-elle, sur la défensive.
— J’ai parfaitement entendu. En revanche, je ne sais
toujours pas comment tu as obtenu ce billet. Alors, s’il te
plaît, viens-en au fait !
Apparemment, elle ferait mieux de tout lui expliquer en
détail, songea-t-elle en voyant l’impatience briller dans ses
yeux.
— Je remettais de l’ordre dans sa chambre, en sa présence.
Elle était très énervée parce qu’elle ne savait pas quoi
mettre. Elle jetait ses vêtements aux quatre coins de la
pièce en attendant que je les ramasse. J’ai pensé qu’elle
avait besoin d’aide et je lui ai indiqué la robe qui, d’après
moi, conviendrait le mieux. A ce moment-là, elle a explosé
de rage.
Chantal frissonna involontairement au souvenir de la colère
de la jeune femme.
— Comment avais-je l’impudence de croire que je savais
comment on devait s’habiller pour une soirée comme celle-
là? s’est-elle écriée. Qu’est-ce que je pouvais connaître à la
manière d’attirer un homme riche ? J’ai supporté ses
injures pendant un quart d’heure, avant qu’elle ne décide
finalement de ne pas aller à ce bal. Ensuite, elle a jeté son
billet dans la corbeille et a quitté l’hôtel. Je crois qu’elle a
pris l’avion le jour même.
— Ainsi, tu as pris le billet dans la corbeille?
— Je n’aurais pas dû, je le sais. Mais...
— Mais tu voulais lui prouver qu’elle avait eu tort en te
disant que tu n’étais pas capable d’attirer un homme riche?
Horrifiée, Chantal le regarda dans les yeux.
— Bien sûr que non ! Ce n’était pas pour cette raison!
C’était une question de confiance en moi. Elle m’avait fait
me sentir si... insignifiante, comme si j’appartenais à une
espèce totalement différente de la sienne.
— Tu as pris une de ses robes ?
— Ne sois pas ridicule. Je n’aurais jamais tenu dedans, et
de toute façon, je n’aurais jamais fait une chose pareille.
J’ai confectionné ma robe moi-même.
— En l’espace de quelques heures ?
Blessée par son ton incrédule, Chantal le regarda en
fronçant les sourcils.
— Je sais très bien coudre.
— Ainsi, tu es venue au bal, comme Cendrillon, uniquement
pour lui prouver qu’elle s’était trompée?
— Ça n’avait rien à voir avec cette femme. Elle m’avait
donné l’impression d’être... sans valeur. J’ai voulu me
prouver que les invités étaient des personnes comme les
autres. Que je pouvais m’insérer dans leur monde.
— Cela explique donc la conversation étrange que nous
avons eue ce soir-là, quand tu ne voulais pas me dire qui tu
étais, dit-il d’un air songeur. A présent, je comprends ce
que tu as dit sur les stéréotypes...
— Les gens jugent sans cesse les autres, d’après des
critères superficiels, et la plupart du temps, ils se
trompent.
— Et il ne t’est pas venu à l’esprit de me dire la vérité?
— Tu plaisantes ! Bien sûr que non. Tu m’aurais aussitôt
jetée dehors. Et de toute façon, tu as été si furieux quand
tu as vu que je parlais avec ton père...
— Pas parce que tu parlais avec lui, mais parce que tu lui
as fait croire que tu étais vraiment amoureuse. Ta présence
ici, aujourd’hui, n’est que la conséquence des mensonges
que tu lui as dits ce soir-là.
Chantal le regarda en silence. Il n’y avait plus la moindre
trace de la chaleur et de la passion qu’ils avaient partagées
quelques instants plus tôt.
— J’étais assise à côté de lui parce qu’il était le seul à me
témoigner de la sympathie. J’ignorais qui il était. Je ne
savais pas qui tu étais.
— Tu m’as laissé croire que tu étais Isabelle, alors que tu
as eu maintes possibilités de m’avouer la vérité. Et je crois
comprendre pourquoi, dit-il calmement. Parce que je
t’offrais des vacances tous frais payés sur une île grecque.
— Tu penses vraiment ça?
Profondément blessée, Chantal se leva de sa chaise longue
en serrant la serviette autour d’elle.
— C’est toi qui as insisté pour que je vienne ici !
— Et tu as accepté.
— Parce que tu m’as fait croire que ma présence aiderait
ton père, dit-elle, le cœur battant à tout rompre. J’ai
accepté uniquement pour ça !
— Ainsi, tu as fait cet énorme sacrifice pour le bien-être de
quelqu’un que tu n’avais rencontré qu’une seule fois ?
demanda- t-il en haussant les sourcils d’un air dubitatif.
— Je me fiche de ce que tu penses. C’est la vérité. Mais tu
es apparemment trop cynique et méfiant pour pouvoir
envisager une autre explication.
Bouillonnant d’indignation, elle cligna rapidement des
paupières pour refouler les larmes qui lui étaient montées
aux yeux. Elle ne pleurerait pas. Aucun homme ne le
méritait.
Mais il fallait qu’elle parte. Après ce qui s’était passé dans
la piscine, elle ne pouvait rester.
A cet instant, Maria apparut de nouveau sur la terrasse,
l’air embarrassé. Elle dit quelques mots en grec à Angelos
qui lui répondit d’un ton irrité.
— Theos mou, dit-il avant de se retourner vers Chantal.
J’attendais ce coup de fil et je dois vraiment aller répondre.
Nous terminerons cette conversation plus tard.
Qu’avaient-ils encore à dire ?
Chantal le regarda s’éloigner. Il semblait aussi calme et sûr
de lui que d’habitude. Rien ne suggérait qu’il était en proie
au moindre trouble, songea-t-elle en contemplant ses larges
épaules brunes et musclées.
Quant à elle, elle ne savait toujours pas comment les
choses en étaient arrivées là, ni pourquoi. Et elle se sentait
maintenant la proie d’un mélange confus d’émotions
contradictoires. Après avoir vécu l’expérience la plus
excitante et la plus bouleversante de sa vie, elle avait du
mal à songer à autre chose. Le souvenir de leur étreinte
était si vivace qu’il occupait son esprit tout entier.
Mais, pour Angelos, il ne s’agissait visiblement que de
sexe...
Seule sur la terrasse, elle laissa tomber sa serviette sur le
sol. Son maillot était presque sec à présent.
En tout cas, une chose était sûre — elle avait accepté
l’hospitalité d’Angelos dans le seul but de faciliter la
guérison de son père. Mais à présent tout avait changé.
Et elle savait ce qu’il lui restait à faire.
6.

Après avoir terminé rapidement sa conversation


téléphonique, Angelos demanda à son assistante de ne plus
lui passer d’appels.
Pour l’instant, il n’avait aucune envie de s’entretenir avec
son collaborateur, ni avec aucun des hommes d’affaires qui
cherchaient à lui parler à chaque instant.
Pour la première fois de sa vie, il se fichait éperdument des
questions urgentes à résoudre. Il ne pouvait penser qu’à
une chose : au sexe.
Avec Chantal.
Terriblement énervé, il fit les cent pas dans son bureau.
Tout son corps brûlait. Il aurait voulu retourner tout de
suite sur la terrasse, entraîner la jeune femme dans un
endroit plus intime et recommencer ce qu’ils avaient
entamé, encore et encore.
Et, pourtant, elle ne possédait aucune des qualités
qu’Angelos admirait chez une femme. Certes, elle était
belle, mais elle avait reconnu être malhonnête. D’accord,
elle n’était pas Isabelle Ducat. Mais elle avait néanmoins
pris un billet qui ne lui appartenait pas.
Apparemment très à l’aise, elle s’était fait passer pour
quelqu’un d’autre. Cela aurait dû l’empêcher de la désirer,
car il détestait être dupé.
Alors, pourquoi sa libido échappait-elle à tout contrôle?
Pourquoi se sentait-il comme un adolescent en proie à ses
premiers émois sexuels ?
Avec un rire sombre, il se força à admettre l’évidence.
Parce qu’ils venaient de faire l’amour d’une façon
extraordinaire.
Même si elle l’avait trompé, elle était vierge, et le fait
d’avoir été son premier amant lui avait procuré un
sentiment d’euphorie incroyable.
Fronçant les sourcils, il repassa les faits dans sa mémoire.
Certes, elle ne lui avait pas dit la vérité, mais elle avait
raison — c’était lui qui avait insisté pour qu’elle vienne. Et
si elle lui avait avoué son identité, cela aurait-il changé
quelque chose ?
Non. Il aurait toujours voulu qu’elle vienne pour que son
père se sente mieux.
Alors, quelle différence cela faisait-il ? Elle était là
maintenant, n’est-ce pas ? Et l’alchimie entre eux était
stupéfiante.
Où était le problème ?
Elle était venue pour profiter de vacances aux frais d’un
milliardaire ? Eh bien, il allait les lui offrir, ainsi que les
robes et les bijoux qui allaient avec. Ils vivraient des nuits
torrides et durant la journée, il s’arrangerait pour qu’elle
passe le plus de temps possible à faire du shopping.
Puisqu’elle l’utilisait pour son argent, pourquoi ne se
servirait-il pas d’elle pour le plaisir?
Incapable de se concentrer, il décida de renoncer à
travailler ce jour-là et se dirigea vers la suite que son père
occupait quand il venait à la villa.
Quand il arriva dans sa chambre, il le trouva en train de se
préparer pour le dîner.
— Comment te sens-tu ?
— De mieux en mieux, répondit Costas. Qu’as-tu fait cet
après-midi ?
Angelos repoussa les images érotiques qui affluaient dans
son cerveau.
— J’ai travaillé, dit-il en se massant machinalement la
nuque.
— Vraiment? Eh bien, j’espère que tu n’as pas laissé
Chantal seule trop longtemps. Protège-la.
— De qui ? Il n’y a personne ici.
— De l’ennui, dit sèchement Costas en boutonnant sa
chemise. Quand les femmes s’ennuient, elles s’en vont.
Angelos réfléchit en silence... La dernière fois qu’il avait vu
Chantal, elle semblait si bouleversée par leurs ébats qu’elle
n’aurait pas été capable d’aller bien loin.
« N’approche plus jamais un séduisant milliardaire grec. »
Chantal referma brutalement son sac de voyage et le posa
sur le sol. Dans la vaste chambre luxueuse, il semblait
vraiment déplacé.
Eh bien, cela n’avait aucune importance, songea-t-elle en
haussant les épaules. De toute façon, elle ne reviendrait
jamais dans cet endroit.
Au moment où elle allait décrocher le téléphone pour
trouver un moyen de regagner Athènes, la porte s’ouvrit
sur Angelos.
Visiblement, il venait de prendre une douche. Il portait
maintenant un pantalon léger en lin écru et une chemise
blanche qui mettait en valeur son physique d’athlète et sa
peau bronzée.
Aussitôt, Chantal sentit son corps frémir et elle se
détourna, mortifiée de constater à quel point elle réagissait
violemment à sa présence.
— Je cherche un moyen de partir d’ici. Puisque tu es là, tu
pourrais peut-être m’aider?
— Pour aller où?
— A Athènes. Je prendrai l’avion pour rentrer chez moi.
— Chez toi ? demanda-t-il après un silence tendu.
— Oui, dit-elle, le plus dignement possible.
Puis elle ouvrit son sac à main et en sortit la liasse de
billets qu’elle avait soigneusement comptés cinq minutes
plus tôt.
— C’est pour toi, dit-elle en les lui glissant dans la main.
— Qu’est-ce que c’est? demanda-t-il, l’air très surpris.
— De l’argent. Tu devrais le savoir puisqu’il joue un rôle si
important dans ta vie.
C’était tout ce qu’il lui restait, moins la somme dont elle
aurait besoin pour payer son voyage.
— Quoi que tu puisses penser, poursuivit-elle, je ne veux
pas que tu me paies des vacances. Je n’aurais jamais dû
venir.
Ayant recouvré un peu de sa fierté, elle avança et prit son
sac de voyage tout en évitant de croiser son regard. Si elle
le regardait, elle était perdue.
— Je ne veux pas de ton argent, dit-il en laissant tomber la
liasse sur la première chaise.
Chantal essaya de ne pas songer au temps qu’il lui avait
fallu pour gagner cette somme.
— J’insiste, déclara-t-elle.
Il jeta un coup d’œil aux billets avant de la regarder de
nouveau.
— Je vois que mes remarques t’ont blessée, murmura- t-il.
Mais reconnais que j’avais de bonnes raisons. Tu avais
prétendu être Isabelle Ducat et cette femme est la pire des
aventurières.
— Peut-être. Mais même quand tu as su que je n’étais pas
Isabelle, tu as aussitôt pensé que j’avais accepté de venir
ici pour profiter de ta fortune.
Chantal resserra les doigts sur la poignée de son sac.
— Maintenant que tu as découvert qui je suis, je n’ai plus
aucune raison de rester. Je te serais reconnaissante de me
trouver un moyen de partir d’ici. Y a-t-il un bateau-taxi ?
— Je n’ai pas l’intention de t’appeler un taxi, dit-il d’un ton
brusque. Repose ce sac.
— Non.
— Je t’ai vraiment blessée...
— A quoi vois-tu cela? le coupa-t-elle brutalement en se
dirigeant vers la porte. Nous autres aventurières avons la
peau dure. Cela fait partie du métier.
En quelques enjambées, il la rejoignit et la prit par le bras.
— Dis-moi pourquoi tu as accepté mon invitation, dit-il en
l’attirant contre lui.
— Tu le sais déjà, riposta-t-elle en essayant en vain de
réprimer la chaleur qui se répandait dans toutes les fibres
de son corps. Pour profiter au maximum de ton argent.
— Dans ce cas, pourquoi pars-tu maintenant?
— A cause... de ce que nous avons fait.
— Tu dis cela parce que tu es blessée dans ton amour-
propre.
Seigneur, sa bouche était beaucoup trop proche de la
sienne !
— Je suis prêt à reconnaître que je te dois des excuses,
ajouta-t-il
— Ce n’est pas la peine. Je ne t’en veux pas. Etant donné
les circonstances, il était logique que tu aies cette image de
moi.
Chantal essaya de nouveau de se dégager mais Angelos la
tenait fermement.
— Alors, pourquoi as-tu accepté ? répéta-t-il.
Submergée par des sensations enivrantes, Chantal sentait
sa colère diminuer.
— A cause de ton père, avoua-t-elle. Tu m’as persuadée que
ma présence pourrait l’aider à se rétablir. Il avait été si
gentil avec moi, le soir du bal... Personne ne m’avait jamais
témoigné autant de bonté. Je me sentais tellement mal. Ce
qui prouve qu’Isabelle avait raison : je n’étais pas à ma
place.
— Pourquoi voudrais-tu ressembler à tous ces gens ?
demanda Angelos, l’air sincèrement perplexe. Que fais-tu
de ta vraie personnalité ?
— Il faut avoir beaucoup d’assurance pour assumer sa
différence. J’avais l’impression que tout le monde me
regardait.
— Ils te regardaient effectivement — à cause de ta robe.
Elle était extraordinaire. Où l’avais-tu trouvée?
Chantal se concentra sur l’un des boutons de sa chemise.
— Ils refaisaient la décoration de l’une des chambres de
l’hôtel et j’ai trouvé du tissu rouge qu’ils allaient jeter. J’ai
pensé qu’il serait parfait.
Un silence stupéfait suivit sa confession.
— Tu veux dire que cette robe rouge a d’abord été un
rideau?
— Un rideau de luxe, dit-elle en haussant les épaules.
Pourquoi as-tu l’air si choqué ? Tu viens juste de dire qu’il
fallait que j’assume ma personnalité.
Il la regarda avec une incrédulité totale et la relâcha.
— Ce soir-là, dit-il d’une voix étrange, tu ne savais
vraiment pas qui j’étais, n’est-ce pas ?
— Bien sûr que non. Comment l’aurais-je su ?
— En général, les femmes le savent, dit-il après un léger
silence.
— Celles que tu fréquentes. Mais je suis différente, dit-elle
d’un ton ferme. Si je t’ai parlé, c’est uniquement parce que
tu m’avais adressé la parole. J’étais là, regrettant d’être
venue à ce bal, et puis tu es apparu...
Elle s’interrompit un bref instant au souvenir de l’intensité
de cet instant.
— ... et tu étais... Il y avait... quelque chose...
Leurs yeux se soudèrent et il fronça les sourcils.
— Si tout cela est vrai et que tu es vraiment venue ici pour
aider mon père, alors pourquoi veux-tu partir?
Parce qu’elle le devait, songea-t-elle en détournant les yeux
de son beau visage.
— Parce que tout a changé à présent. Je ne suis pas
Isabelle, et notre relation est devenue... trop personnelle.
Cela va à l’encontre de mes principes.
— Notre relation est exactement celle que mon père
voulait. Ce serait absurde que tu partes maintenant. Nous
avons cessé de faire semblant, c’est tout. En fait, cela
simplifie les choses.
— Pas pour moi. Nous avions...
Elle s’interrompit avant de reprendre :
— Tu crois que je ne songe qu’à t’exploiter.
Il jeta un bref coup d’œil sur les billets qu’il avait laissés
tomber sur une chaise.
— C’est pour cela que tu m’as donné cet argent ?
— Je ne veux pas que tu paies les frais de mon séjour ici.
De toute ma vie, je n’ai jamais accepté l’argent d’un
homme.
— Je ne t’ai pas proposé d’argent !
— Tu paies pour mon hébergement, cela revient au même.
Et tu me prends pour une aventurière.
Une lueur malicieuse passa au fond des yeux d’Angelos.
— En général, les aventurières ne sont pas d’innocentes
vierges, agape mou.
Incapable de trouver une réplique appropriée, Chantal
resta silencieuse.
— Tu ne partiras pas, déclara-t-il.
— Si. Je dois m’en aller.
— Chantal, dit-il d’un ton ferme et décidé. Tu affirmes que
tu es venue ici à cause de mon père...
— C’est vrai.
— Alors, pourquoi partir? Mon père a toujours besoin de ta
présence. Depuis que tu es arrivée, il ne parle que de toi. Il
attend avec impatience de nous rejoindre pour le dîner.
Rien n’a changé.
Chantal se mordit la lèvre.
— Tout a changé, commença-t-elle en le regardant dans les
yeux. Nous...
— Oui, dit-il doucement, nous avons couché ensemble. Et
étant donné que tu étais vierge je suppose que tu n’utilisais
aucune contraception ?
Son cœur fit un bond. Enceinte ? Cela ne lui était même
pas venu à l’esprit. Comment avait-elle pu oublier que...
— Je ne me trompe pas, n’est-ce pas ? insista-t-il d’une voix
douce.
Chantal fit rapidement quelques calculs dans sa tête.
— Il n’y aura pas de problème, dit-elle enfin, les joues en
feu. Alors ce n’est pas la peine de...
— De quoi?
— ... de penser que je t’ai attiré dans un piège. Même si
j’étais enceinte, je n’accepterais rien de toi.
— Ne perdons pas de temps sur ce sujet puisqu’il n’est pas
d’actualité. Le plus important est le présent.
— Tu vas me laisser partir.
— Quoi que tu penses de moi, répliqua-t-il d’un ton
exaspéré, je n’ai pas l’habitude de faire l’amour avec une
femme sans me soucier des conséquences.
— Dans ce cas, pourquoi as-tu oublié tes responsabilités
avec moi ?
Ses yeux plongèrent dans les siens.
— Je me suis posé la même question. Et je suis sûr que je
trouverai la réponse en temps voulu. Pour l’instant, puisque
tu dis que mon père s’est montré gentil avec toi, tu dois
rester.
— Ce n’est pas juste, dit-elle en le regardant avec
désespoir.
— Je joue pour gagner, Chantal, pas pour être juste.
— Tu es vraiment impitoyable, n’est-ce pas ?
— Je sais ce que je veux, c’est tout.
Elle secoua la tête avec impuissance. Dès qu’elle se
trouvait en face de lui, elle se sentait comme une feuille
emportée dans la tourmente. Et puis, il avait raison, elle ne
pouvait oublier la gentillesse que lui avait témoignée
Costas.
— D’accord, se força-t-elle à répondre. Je reste...
— Bien sûr que tu restes, dit-il avec suffisance.
— ... mais seulement si tu me laisses payer ma part.
— Je ne comprends pas ton désir d’indépendance.
— Ce n’est pas qu’une question d’indépendance...
Elle s’interrompit brutalement. Si elle continuait ainsi, elle
allait devoir s’expliquer.
Le regard impénétrable, il l’observa un moment en silence.
— Très bien, dit-il enfin. Si cela te fait plaisir.
Il prit la liasse de billets avant de la glisser dans sa poche.
— Maintenant que ce problème est résolu, tu peux défaire
ton sac. Mon père et moi t’attendons sur la terrasse.
— Je n’ai pas faim, protesta Costas quand Chantal déposa
une petite portion de poivrons grillés sur son assiette.
— Ils sont délicieux, dit-elle. Allez, juste une bouchée.
— Les femmes..., soupira Costas en prenant sa fourchette.
— Vous pourrez vous reposer ensuite, dit-elle en se servant
d’un autre plat. Qu’est-ce que c’est?
— Fasoldda — des haricots rouges cuits au four avec des
légumes, des fines herbes et de l’huile d’olive. C’est très
bon, goûtez.
— Seulement si vous en prenez, dit-elle en le servant en
souriant. Eh bien ?
— D’accord.
Angelos observait la façon intelligente dont Chantal forçait
son père à manger. Elle ne s’intéressa à sa propre assiette
qu’une fois qu’elle eut réussi à lui faire avaler suffisamment
de nourriture. Après quelques bouchées, elle sourit à son
père.
— Vous avez raison, c’est absolument délicieux !
Costas rit de contentement et désigna un autre plat.
— Dans ce cas, essayez celui-ci...
Ils ressemblaient à deux enfants, songea Angelos en les
regardant. Maintenant qu’il savait qu’elle n’était pas
Isabelle Ducat, il remarquait des détails auxquels il n’avait
pas fait attention auparavant. Comme le fait qu’elle ne
flirtait pas. Son attitude était seulement amicale et
attentionnée.
Il se souvint du soir du bal. Il avait été attiré par elle parce
qu’il l’avait trouvée totalement différente des autres
femmes. Ce n’était pas étonnant que son père ait lui aussi
été séduit par elle. Fasciné, Angelos observait la courbe de
ses lèvres quand elle souriait, la petite fossette à sa joue,
l’éclat de ses yeux quand elle riait...
Et puis il y avait son corps... Il se rendit compte que les
mots lui manquaient pour le décrire. En tout cas, il
semblait avoir été créé spécialement pour son plaisir.
Angelos lui avait à peine adressé la parole durant le dîner,
songea amèrement Chantal en offrant son visage au jet
puissant de la douche. A la fin du repas, elle l’avait laissé
sur la terrasse avec son père, tous les deux absorbés dans
une conversation sur les marchés financiers d’Extrême-
Orient.
En tout cas, Costas avait enfin mangé un peu. Elle devrait
simplement veiller à ce qu’il fasse la même chose à chaque
repas.
Quelques instants plus tard, après s’être enveloppée dans
une épaisse serviette de bain blanche, elle sortit de la
douche et revint dans la chambre. Stupéfaite, elle s’arrêta
sur le seuil.
Vêtu d’un simple caleçon, Angelos était étendu sur le lit,
parlant rapidement en grec dans son téléphone mobile.
Choquée de le voir là, elle allait battre en retraite dans la
salle de bains quand il la vit et termina aussitôt sa
conversation.
— Tu étais si longue que j’étais sur le point d’aller te
rejoindre dans la douche.
— Que fais-tu dans ma chambre ?
— Notre chambre, agape mou, dit-il d’une voix rauque en
tendant la main vers elle. Viens.
Chantal croisa les bras sur sa poitrine.
— Pour quoi faire ?
— Je sais que tu manques d’expérience, commença-t-il, les
yeux étincelants de malice, mais tu n’es quand même pas si
innocente.
— Tu veux dire que nous allons partager ce lit? demanda- t-
elle, sans bouger d’un centimètre.
— En général, c’est ce qui se passe.
— Mais tu..., balbutia-t-elle en réprimant un violent frisson.
Je... c’était juste une fois.
— Je crois t’avoir déjà dit que les aventures passagères
n’étaient pas mon style.
— Mais c’est ridicule... Nous nous connaissons à peine.
— Au contraire, nous nous connaissons dans le sens le plus
littéral et le plus intime du terme, répliqua-t-il d’une voix
suave.
— C’est différent, répliqua Chantal, les joues en feu. Nous
n’avions pas réfléchi.
— Le sexe ne demande pas une grande réflexion
intellectuelle.
Son cœur battait violemment dans sa poitrine.
— Mais tu ne... tu t’es ennuyé avec moi !
— Ennuyé ? répéta-t-il en la contemplant d’un air
incrédule. Peux-tu me préciser à quel moment j’ai eu l’air
de m’ennuyer?
— Après. Tu n’en as même pas parlé.
— Pour moi, le sexe n’est pas un sujet d’études. Je préfère
faire l’amour plutôt que d’en parler, dit-il d’une voix
terriblement sexy. Et à ce moment-là il y avait des
questions plus importantes à régler. Tu me trouves peut-
être vieux jeu, mais j’aime bien connaître le prénom de la
personne avec qui je viens de faire l’amour.
Il bondit lestement du lit et vint vers elle. Quand sa main
s’empara de son poignet, elle se sentit fondre comme du
miel.
— Angelos...
— J’aime la façon dont tu dis mon prénom, déclara-t-il
doucement en glissant l’autre main derrière son cou afin de
l’attirer vers lui. Et durant les prochaines heures c’est le
seul mot que je veux t’entendre prononcer.
Chantal aurait voulu protester, mais elle se sentait
submergée par une vague impitoyable de désir. Son corps
tremblait d’une anticipation délicieuse et elle vacilla vers
Angelos en poussant un gémissement. Il couvrit alors sa
bouche de la sienne, tout en la débarrassant de sa
serviette.
Après l’avoir renversée sur le lit, il se pencha au-dessus
d’elle, son regard brûlant dévorant son corps nu.
— Angelos...
— Tu es incroyablement belle, murmura-t-il.
Et cette fois, quand il l’embrassa, Chantal eut l’impression
que tout son être s’embrasait. Elle était si excitée qu’elle
enfonça les ongles dans ses épaules, dans un ultime effort
pour maîtriser la force impitoyable qui prenait possession
d’elle.
Angelos la dominait complètement. Lentement, il se pencha
vers ses seins. De ses doigts, de sa bouche, il lui prodigua
des caresses d’un érotisme si intense qu’elle crut qu’elle
allait s’évanouir.
Elle brûlait. Chaque cellule de son corps fondait. Ivre de
plaisir, elle se cambra. A présent, elle ne se souciait plus de
la pudeur. Seul le plaisir comptait.
— Est-ce que je suis le premier à te toucher ? demanda-t-il
d’une voix rauque.
— Oui, oui... Angelos, s’il te plaît...
Il sourit avec satisfaction et se débarrassa de son caleçon.
— Je n’ai jamais autant désiré une femme que toi. Tu es à
moi. Rien qu’à moi...
Alors que cette affirmation aurait dû la choquer, Chantal
sentit son excitation redoubler. Haletante, elle regarda le
corps nu d’Angelos. Il était superbe, avec ses larges
épaules, son ventre plat, et quant au reste...
Seigneur, pourquoi ne la touchait-il pas ? Qu’attendait-il ?
Le besoin qui la taraudait était lancinant, presque
douloureux. Elle arqua les reins vers lui en une supplication
muette.
Ses doigts se glissèrent enfin dans les boucles douces qui
protégeaient son intimité. Puis il la caressa enfin là où elle
mourait d’envie qu’il s’aventure. Ses caresses étaient si
habiles qu’elle explosa bientôt en un violent orgasme.
Brisée par les sensations délicieuses qui déferlaient en elle,
Chantal murmura le prénom d’Angelos. Aussitôt, il la
pénétra avec ardeur.
En proie à une nouvelle vague d’excitation, Chantal
s’accrocha à ses épaules. Les sensations qu’elle éprouvait
échappaient complètement à son contrôle. Quelques
instants plus tard, elle se trouva entraînée avec lui dans un
orgasme encore plus stupéfiant que le premier. Il s’enfonça
alors en elle si profondément qu’ils sombrèrent ensemble
dans l’extase, consumés par le même feu.
Quand ils furent apaisés, il lui repoussa les cheveux de son
visage avec une douceur inouïe.
— Tu es incroyable, murmura-t-il.
Elle allait lui dire la même chose quand elle sentit ses
doigts s’aventurer de nouveau sur ses seins. Stupéfaite, elle
poussa un petit cri de surprise.
— Tu veux recommencer...
Tu es si innocente, murmura-t-il. Je suis ravi d’avoir le
privilège de te faire découvrir les secrets du plaisir, agape
mou.
7.

Chantal se réveilla seule dans le grand lit.


Sans même consulter sa montre, elle comprit qu’il était
déjà tard. Un soleil chaud pénétrait en effet dans la
chambre par les portes-fenêtres ouvertes, illuminant la
pièce d’une lumière dorée, et elle entendait des voix
masculines provenant de l’extérieur.
Apparemment, leurs ébats nocturnes et le manque de
sommeil n’avaient pas affecté Angelos, songea-t-elle tandis
qu’une foule de souvenirs embarrassants lui revenaient à la
mémoire.
Seigneur, elle avait passé la nuit à faire l’amour avec un
homme qu’elle connaissait à peine. Et pas n’importe quel
homme... Un milliardaire. Ce qui aggravait encore la
situation. Ne s’était-elle pas toujours juré qu’elle n’aurait
jamais ce genre de relation ? Ne savait-elle pas, plus que
toute autre, ce que cela signifiait?
Elle était indépendante avant de venir sur l’île. A présent,
qu’était-elle devenue ? Sa maîtresse ? Son amante ? En tout
cas, elle obéissait aux règles d’Angelos. Elle profitait de sa
villa, de sa table, nageait dans sa piscine...
Tout à coup, une véritable panique s’empara d’elle.
Elle avait laissé un homme l’acheter.
Comment pouvait-elle rester, si cela l’obligeait à renoncer à
tous les principes en lesquels elle croyait ? Pourtant, si elle
était honnête envers elle-même, Chantal devait admettre
que
sa réticence à partir n’était pas seulement due au fait
qu’elle voulait voir guérir Costas.
Elle était folle d’Angelos.
Quand la jeune femme sortit sur la terrasse d’un pas
hésitant, Angelos venait de terminer sa troisième tasse de
café et essayait de se concentrer sur les paroles de son
père.
Rien qu’à la regarder, n’importe qui aurait aussitôt compris
à quoi elle avait passé la nuit, songea-t-il en regardant ses
beaux yeux ensommeillés et sa bouche gonflée par leurs
baisers passionnés. Le petit short qu’elle avait choisi de
porter ce matin-là accentuait la finesse de sa taille et la
courbe généreuse de ses hanches. Il se dégageait d’elle une
troublante impression, d’innocence et de sensualité mêlées.
L’esprit soudain vide de toute pensée cohérente, Angelos
maudit la générosité qui l’avait poussé à la laisser dormir. Il
aurait mieux fait de la réveiller pour continuer l’exploration
de son corps exquis...
Apparemment, elle se livrait au même genre de réflexion
car, quand leurs regards se croisèrent, elle rougit. Ses yeux
bleus glissèrent alors sur sa bouche avant de se détourner.
— Je suis désolée d’arriver aussi tard, murmura-t-elle.
De plus en plus amusé par son embarras, Angelos l’observa
avec encore plus d’attention. Elle était incapable de cacher
ses émotions et il adorait cela.
Eh bien, son père serait facilement convaincu de la nature
exacte de leur relation, songea-t-il avec malice en se levant
pour lui avancer une chaise.
— Kalimera, dit-il en lui souriant.
Puis il lui caressa doucement la joue du revers de la main.
Il perçut alors le léger soupir qui lui échappa des lèvres
avant qu’elle ne s’assoie rapidement. Enivré par le parfum
délicieux qui émanait naturellement d’elle, il sentit aussitôt
un violent désir le traverser.
— Je crois que je ferais mieux de vous laisser seuls, dit
Costas en souriant et en reposant sa tasse de café sur la
table.
Se rendant compte que sa propre réaction avait été aussi
transparente que celle de la jeune femme, Angelos fronça
les sourcils.
— Ne sois pas ridicule.
Bon sang, que lui arrivait-il ? Discrétion et discipline
étaient les deux principes qui régissaient sa vie amoureuse,
mais dans ses rapports avec Chantal, il y avait dérogé.
Il vit le sourire de son père s’élargir.
— Vous pouvez vous féliciter, Chantal, dit-il joyeusement en
reprenant un fruit. Vous êtes la seule femme à avoir réussi
à distraire mon fils des cours de la Bourse. Il a visiblement
des préoccupations beaucoup plus intéressantes en tête.
Regrettant de ne pas avoir encouragé son père à les laisser
seuls, Angelos repoussa le désir qui le consumait et se
força à réfléchir. En temps normal, que ferait-il après une
nuit d’ébats érotiques ?
Il travaillerait et laisserait sa partenaire vaquer à ses
occupations. D’après son expérience, cela revenait
généralement à aller flâner dans les boutiques de luxe.
Eh bien, c’est exactement ainsi qu’il allait organiser la
journée. Il travaillerait un peu et il ferait plaisir à Chantal.
Il voulait lui faire plaisir.
Satisfait, Angelos s’appuya au dossier de sa chaise, un
léger sourire aux lèvres.
— Eh bien, je vais contredire mon père, dit-il à la jeune
femme. Car j’ai du travail qui m’attend aujourd’hui. Tu
peux rester ici si tu veux, ou tu peux demander à Jannis de
t’emmener sur le continent en bateau. Nous gardons une
voiture là-bas, aussi si tu veux aller faire un peu de
shopping...
Il s’attendait à voir son visage s’illuminer d’enthousiasme,
mais elle se contenta de le regarder avec de grands yeux.
— Pour quoi faire ? Je n’ai besoin de rien.
— Dans ce cas, offre-toi quelque chose dont tu n’as pas
besoin, répliqua Angelos, très amusé par sa réponse naïve.
Décidément, elle lui plaisait de plus en plus... C’était bien
la première fois qu’une femme refusait la possibilité d’aller
dépenser son argent dans les boutiques. Puis il songea
soudain qu’elle n’avait peut-être pas compris qu’il paierait
ses achats.
— Tu auras ma carte de crédit, agape mou.
Aussitôt, il vit ses épaules se raidir.
— Je n’en ai pas besoin.
— Elle ne veut rien de toi ! s’exclama son père en riant.
Ecoute mon conseil et ne la quitte pas d’une semelle.
Etait-elle sincère ? se demanda Angelos en fronçant les
sourcils. Ou essayait-elle de l’impressionner?
— Si tu changes d’avis, dis-le à Jannis, dit-il calmement.
Il t’emmènera où tu voudras.
Soudain, il se demanda si elle n’aurait pas tout simplement
préféré retourner au lit... avec lui. S’il n’avait pas eu de
nombreux coups de fil en retard, il l’y aurait remmenée sur-
le-champ, sans même la laisser terminer son petit déjeuner.
Ce soir, ils iraient se coucher de bonne heure, décida-t-il en
sentant le désir le gagner.
— Tu prends du café? lui demanda-t-il en souriant.
— Oui.
Elle se pencha pour prendre la cafetière sans attendre qu’il
la serve. Puis elle sourit à Costas.
— Comment allez-vous, ce matin ?
— Comme un agneau qui vient de naître. Après le petit
déjeuner, je commence les exercices avec une
kinésithérapeute.
Il se tourna vers Angelos.
— C’est toi qui l’as choisie. Dis-moi, est-elle plus séduisante
que les infirmières?
— Elle a des petits-enfants, répondit Angelos en prenant
une orange dans la coupe de fruits. Et le but de ces soins
est de t’aider à te rétablir, pas à assouvir tes fantasmes.
— Je n’ai rien contre les femmes mûres ! Est-elle mince?
Interceptant le regard surpris de Chantal, Angelos sourit.
— Mon père se méfie beaucoup des femmes minces,
expliqua-t-il en pelant soigneusement l’orange avant de
déposer quelques quartiers dans son assiette. Goûte ceci.
Elle vient directement de l’arbre.
Son père agita l’index en l’air.
— Ce n’est pas naturel pour une femme d’être mince. Une
femme...
— ... ne doit pas se tromper sur ses priorités, termina
Angelos, observant avec fascination Chantal se lécher les
doigts après avoir glissé un quartier juteux entre ses lèvres
charnues.
— Mon père pense qu’une femme doit aimer manger.
— Quand c’est aussi bon que cela, ce serait difficile de faire
autrement, dit-elle en prenant un autre quartier.
Quand elle croisa son regard, sa main s’immobilisa.
Savourant l’effet qu’il produisait sur elle, Angelos sourit.
Visiblement, elle ressentait la même chose que lui.
Il repoussa une fois encore l’envie de l’emmener au lit tout
de suite. Ce soir, tous deux seraient si fous de désir que la
nuit serait doublement satisfaisante...
Pourquoi n’y avait-elle pas pensé dès qu’Angelos lui avait
proposé d’aller faire du shopping ? se demanda Chantal en
regardant le rivage se rapprocher.
Quand ils arrivèrent dans le port, elle se pencha vers
Jannis.
— C’est parfait. Pouvez-vous me laisser ici ?
— Mais il n’y a rien de chic ici. Je vais vous conduire à
Athènes en voiture.
— Je ne veux pas aller dans les endroits chics, dit-elle en
sautant à bas du bateau.
Regardant autour d’elle, elle vit les nombreux restaurants
qui longeaient la plage.
— Ici, c’est vraiment parfait.
— Vous voulez passer une demi-heure ici ?
— Non, toute la journée, répondit-elle en lui souriant et en
prenant son sac. Merci beaucoup de m’avoir amenée. Y a-t-
il un bateau-taxi qui pourrait me ramener sur l’île ?
— Il n’y a pas de bateau-taxi, répondit Jannis, de plus en
plus stupéfait. Si vous m’indiquez une heure, je viendrai
vous chercher avec plaisir.
Chantal réfléchit quelques instants. Elle aurait préféré
rentrer par ses propres moyens, mais elle n’avait guère le
choix.
— Très bien, je vous remercie. 17 heures ?
Cela lui laisserait tout le temps dont elle avait besoin.
Jamais Angelos n’avait eu autant de mal à se concentrer sur
son travail.
Après le premier coup de téléphone, il s’était retrouvé à
contempler la porte de son bureau, se demandant ce que
Chantal était en train de faire. Prenait-elle le soleil au bord
de la piscine ? Nageait-elle ?
Le souvenir de son corps moulé dans le maillot une pièce fit
naître une telle vague de chaleur dans son corps qu’il
poussa un juron étouffé. Luttant pour ne pas aller vérifier
par lui-même si elle n’avait besoin de rien, il se tourna vers
l’écran de son ordinateur, sans le moindre enthousiasme.
Quand Maria vint lui annoncer que le déjeuner était servi, il
avait déjà décidé de prendre son après-midi pour le passer
au lit avec Chantal. Mais quand il arriva sur la terrasse, il
eut la désagréable surprise de voir que le couvert avait été
dressé pour deux.
— Jannis l’a emmenée sur le continent, lui dit Maria en
déposant un plat sur la table. Il ira la chercher à 17 heures.
Ainsi, elle avait prévu de s’absenter toute la journée ? Eh
bien, pour une femme qui avait proclamé n’avoir besoin de
rien, songea-t-il en prenant une olive, elle n’avait pas perdu
de temps.
Rien là de surprenant. Ce qui l’était davantage, c’était la
déception douloureuse qu’il ressentait.
***
Epuisée après avoir passé la journée debout dans la
chaleur, Chantal était allongée sur une chaise longue,
sirotant une boisson glacée tandis que Costas lui racontait
des histoires sur l’enfance d’Angelos.
— ... vous comprenez, il fallait toujours qu’il gagne ! dit-il
en souriant. S’il rencontrait une difficulté, alors il serrait
les dents et recommençait, jusqu’à réussir.
— J’espère que tu ne lui montres pas des photos de moi
bébé.
Chantal se retourna vivement et vit Angelos qui les
contemplait avec une expression sardónique.
Il était aussi si beau et si sexy qu’elle sentit aussitôt un
frisson de désir naître au plus profond de sa féminité.
— Je vais aller me reposer un peu avant le dîner, annonça
alors Costas en souriant à Chantal d’un air malicieux.
Angelos le regarda traverser la terrasse avant de
disparaître à l’intérieur de la villa. Puis il se retourna et
vint s’asseoir à côté d’elle.
— Tu m’as manqué aujourd’hui.
Ses yeux descendirent se poser sur sa bouche et, durant un
instant, Chantal fut incapable de respirer. Son corps avait
réagi avec une rapidité qui la bouleversait. L’attirance qui
les unissait était si puissante qu’elle anéantissait tout le
reste.
— Je t’ai manqué ? balbutia-t-elle.
— Tu ne me crois pas ? demanda-t-il d’une voix rauque.
— Mais tu as travaillé, non ? répliqua Chantal en
s’efforçant de calmer son trouble.
— J’ai essayé, mais je dois avouer que ma concentration
était un peu relâchée.
Les yeux à demi clos, il la contemplait avec un léger
sourire.
— Tu es fatiguée ? reprit-il.
— Fatiguée?
— Ta journée a été longue, répondit-il en passant
doucement le bout du doigt sur sa cuisse avant de s’arrêter
sur son genou. Et tu n’as pas beaucoup dormi, la nuit
dernière.
— La nuit dernière?
— Tu es supposée me répondre, agape mou, dit-il d’une
voix douce, pas répéter tout ce que je dis.
Chantal chercha une réponse, mais il était beaucoup trop
près pour qu’elle puisse se concentrer. Incapable de
détourner les yeux, elle se sentait prisonnière des siens et
ne pouvait que le contempler en silence.
Avec un petit rire, il se pencha vers elle, mais s’arrêta juste
avant de toucher ses lèvres.
— Si tu ne parles pas, murmura-t-il, nous devrons trouver
un autre moyen de communication.
Chantal poussa un petit gémissement d’impuissance. Elle
désirait tellement qu’il l’embrasse que c’en était presque
douloureux ! Enfin, il mit un terme à son tourment et prit
sa bouche.
La passion se déchaîna aussitôt entre eux et leurs langues
se mêlèrent avec une intense volupté. Mais tout à coup,
Angelos s’écarta.
— Pas ici, dit-il d’une voix rauque. Rentrons.
— Non, répliqua Chantal.
— Non ? répéta-t-il, l’air stupéfait.
— Non. Nous ne pouvons pas. Pas avant d’avoir parlé de
quelque chose, quelque chose d’important.
— Tu veux me montrer tes achats ?
— Quels achats ?
— Tu as passé la journée à faire du shopping, lui rappela- t-
il d’un ton amusé.
— Je n’ai rien acheté.
— Tu as passé toute la journée dans les boutiques et tu
n’as rien acheté ? Comment est-ce possible ?
— Je n’ai pas fait de shopping.
Rassemblant tout son courage, Chantal prit son sac posé à
côté d’elle et en sortit une enveloppe.
— Tiens. C’est pour toi.
Après l’avoir prise d’un air interrogateur, il ouvrit
l’enveloppe d’un doigt et en examina le contenu.
— Ah non ! s’exclama-t-il d’un air exaspéré. Pourquoi me
donnes-tu de l’argent, cette fois-ci ?
— C’est pour mes repas, les dépenses... je ne sais pas
comment les appeler, balbutia Chantal. Et je t’en prie, ne
proteste pas, je veux vraiment que tu prennes cet argent.
Il resta un long moment silencieux. Finalement, après ce
qui sembla une éternité à Chantal, il déclara:
— Tu me paies pour le sexe?
— Non ! protesta-t-elle violemment en secouant la tête.
Bien sûr que non !
— Alors pourquoi ?
— Parce que je ne veux pas que tu subviennes à mes
besoins.
— Tu dis n’importe quoi.
— Après ce qui s’est passé, c’est indispensable.
Sans dire un mot, il laissa tomber l’enveloppe sur les
genoux de Chantal.
— C’est important, ajouta-t-elle. Si tu ne prends pas cet
argent, j’aurai l’impression que tu m’entretiens, et je ne
veux pas de cela.
— La plupart des femmes rêvent de trouver un homme
riche qui les gâte.
— Peut-être, mais pas moi.
— Je ne veux pas de ton argent, dit-il d’une voix crispée.
— Pourquoi ? demanda-t-elle, sincèrement surprise par sa
réaction. Tu détestes que les femmes s’intéressent à toi
seulement pour ton argent !
— Mais ce n’est pas ton cas, n’est-ce pas ? répliqua-t-il
vivement. Quand nous nous sommes rencontrés, tu ne
savais même pas qui j’étais.
— Maintenant, je le sais.
A cet instant, il se leva brusquement et lui prit les mains
pour la forcer à quitter sa chaise longue. Quand ses bras
s’enroulèrent autour de sa taille, elle détourna le visage, se
raccrochant désespérément à ses dernières forces.
— Je ne peux pas, dit-elle en résistant à grand-peine au
désir de lui abandonner ses lèvres.
— Tu te refuses à moi ? Tu prétends ne pas vouloir de mes
caresses ?
Sa voix était douce, virile et elle poussa un lent
gémissement tandis qu’elle sentait la pression chaude de sa
main sur son dos nu et que ses lèvres frôlaient sa bouche.
— Je les accepte, murmura-t-elle, si tu acceptes mon
argent. Prends-le, Angelos, je t’en prie.
Il marmonna quelque chose en grec et la relâcha,
visiblement tendu.
— De quoi me pries-tu, Chantal ? demanda-t-il en la
reprenant sauvagement dans ses bras. Je te désire, et tu me
désires aussi.
Ses mains errèrent avec passion sur tout son corps jusqu’à
ce qu’elle tremble de désir.
— Tu es déloyal, Angelos, murmura-t-elle.
— C’est toi qui es déloyale, répliqua-t-il d’une voix sourde
en lui caressant les reins. Tu voudrais m’imposer des règles
ridicules.
— Juste une seule, dit-elle en haletant.
— Arrête ces bêtises, agape mou. Je suis suffisamment
convaincu de ton honnêteté à présent. J’ai pensé à toi toute
la journée...
— Je ne dis pas cela pour te convaincre, dit-elle en le
repoussant. Et tu ne m’écoutes pas !
— Je t’écoute, mais je n’aime pas ce que j’entends.
— Ecartes-tu toujours ainsi les choses qui te déplaisent?
— Non, dit-il en haussant les épaules. Disons que je les
transforme en choses agréables. Et franchement, je ne
comprends pas ton problème. Nous sommes ensemble et je
te gâte. Qu’y a-t-il de mal à cela?
— Je ne veux pas de cadeaux d’ordre financier.
Le désir bouillonnait entre eux et Chantal avait de plus en
plus de mal à résister. Visiblement Angelos menait le même
combat. Son regard descendit sur sa bouche et s’y arrêta.
— Et si je t’emmenais dîner au restaurant ? Insisterais-tu
pour payer ta part?
— Oui, bien sûr.
— Tu parles sérieusement ? demanda-t-il d’un ton
incrédule.
— Oui. Si je te laissais payer, j’aurais l’impression que tu
m’achètes.
— Cela voudrait simplement dire que je veux te faire plaisir
! Et je suis las de cette conversation !
— Moi aussi, chuchota-t-elle, le cœur battant de plus en
plus violemment. Hier, tu me prenais pour une aventurière
sans scrupules et cela te dégoûtait. Maintenant que j’essaie
de payer ma part, tu n’es toujours pas content. Ton
comportement est vraiment contradictoire.
Visiblement à bout de patience, il prit une profonde
inspiration.
— Très bien. Si cela te met à l’aise...
Puis il prit les billets qui étaient tombés sur le sol avant de
les glisser dans sa poche avec un sourire exagéré.
— Tu es satisfaite?
— Oui. Je suis heureuse que tu sois d’accord avec moi.
— En cet instant précis, je veux bien être d’accord avec toi
sur à peu près n’importe quel sujet. Maintenant, pouvons-
nous cesser de parier?
Chantal lui adressa un sourire tremblant et glissa ses bras
autour de son cou.
— Tu me comprends ?
Non, mais je suis prêt à faire tout ce que tu voudras,
murmura-t-il en l’attirant fermement contre lui. Allons au
lit, maintenant, avant que tu n’inventes une autre règle
stupide.
8.

Trois jours plus tard, Angelos essayait de se concentrer sur


le dossier qui s’étalait devant lui quand il le referma
brusquement.
Cela faisait seulement deux heures qu’il avait laissé
Chantal dans leur lit et il ne désirait qu’une chose — aller
la rejoindre et lui faire l’amour.
C’était la première fois de sa vie qu’il trouvait une femme
plus attirante que son travail. A vrai dire, le travail lui
semblait désormais une contrainte irritante.
Même si elle était vierge quelques jours plus tôt, Chantal
adorait le sexe, ce qui redoublait le plaisir d’Angelos. En
conséquence, il avait un mal fou à se consacrer à son
travail.
Levant les yeux sur l’écran de son ordinateur où s’étalait un
ensemble compliqué de chiffres, il se demanda s’il ne ferait
pas mieux de s’arrêter carrément de travailler pendant
deux semaines. Il pourrait ainsi se consacrer complètement
à la jeune femme. Ensuite, il serait débarrassé de la
véritable obsession qui semblait s’être emparée de lui.
Pourquoi pas ?
Il employait les meilleurs cadres et attendait d’eux qu’ils
assument leurs responsabilités. Théoriquement, il devrait
pouvoir se permettre de faire une pause.
Néanmoins, Chantal ne restait jamais à la villa durant la
journée. Chaque fois qu’il s’était aventuré sur la terrasse
dans l’espoir de la surprendre, il avait constaté qu’elle
s’était éclipsée
aussitôt après le petit déjeuner et n’avait pas l’intention de
rentrer avant la fin de l’après-midi.
Angelos se sentait vaguement irrité par le fait qu’elle passe
autant de temps loin de la villa chaque jour. Pour une
femme qui proclamait ne pas aimer le shopping, elle
passait pas mal de temps en ville. Peut-être faisait-elle du
tourisme?
En tout cas, elle ne restait pas allongée au bord de la
piscine à espérer qu’il vienne la rejoindre au milieu de la
journée. Peut-être se sentait-elle seule? Il était vrai que
quand Costas ne se reposait pas, il était occupé soit avec sa
kinésithérapeute, soit avec ses infirmières, son médecin...
Ou jouait-elle un jeu plus compliqué ?
Même si elle était inexpérimentée, elle n’en était pas moins
une femme. Pensait-elle qu’en s’éloignant toute la journée
elle exacerberait le désir qu’il avait d’elle?
Si c’était le cas, son plan réussissait au-delà de ses
espérances. ..
Sentant les souvenirs de la nuit précédente l’envahir,
Angelos décida d’aller la rejoindre, qu’elle fasse du
shopping ou du tourisme. Ensuite, il la ramènerait à la villa
et, après s’être détendus dans la piscine, ils iraient faire
une sieste voluptueuse.
Chantal apporta leurs plats à un groupe de touristes
anglais qui étaient installés à la meilleure table de la
taverne.
— Deux moussakas, un souvlaki...
Il faisait horriblement chaud, ses pieds lui faisaient mal et
elle était exténuée après une nouvelle nuit sans sommeil.
Au fond, elle aurait donné n’importe quoi pour passer le
reste de la journée dans la piscine.
Elle déposait une grande salade colorée au centre de la
table quand elle entendit une voiture s’arrêter derrière elle.
L’un des hommes regarda dans cette direction.
— Elle est splendide, dit-il avec un regard d’envie.
— L’hummos et la salade au tarama, dit Chantal en
déposant les derniers plats sur la table. Vous désirez autre
chose ?
Seigneur, elle avait tellement chaud qu’elle avait
l’impression qu’elle allait se liquéfier sur place.
Personne ne répondit à sa question. Les hommes
énuméraient les qualités du véhicule tandis que les femmes
étaient apparemment subjuguées, elles aussi.
L’une d’elles se pencha vers sa voisine.
— Tu as vu ce corps..., chuchota-t-elle, les yeux brillants,
tandis que son amie affichait un sourire séducteur.
Il fallut quelques instants à Chantal pour comprendre
qu’elles ne parlaient pas de la voiture, mais de son
conducteur. Mue par son instinct, elle se retourna.
Et elle vit Angelos claquer la portière de sa voiture avant
de s’avancer vers le restaurant avec son assurance
habituelle, ses cheveux noirs comme du jais brillant dans le
soleil. D’un regard calme et confiant, il examina les tables,
apparemment inconscient de l’intérêt suscité par son
arrivée.
Dès qu’il la vit, une lueur de désir brut passa dans ses yeux.
— Apparemment, il est pris, murmura une femme avec
regret.
Rassemblant tout son courage, Chantal s’avança vers lui en
souriant
— Hello ! Quelle surprise. Je peux te servir un verre ?
— Qu’est-ce que tu fais là, bon sang ? demanda-t-il d’une
voix dangereusement douce tandis que Chantal apercevait
du coin de l’œil le patron du restaurant qui s’approchait
d’eux.
— Je travaille. Et je ne peux pas vraiment te parler. C’est
l’heure de pointe et nous avons beaucoup de monde.
Elle commença à s’éloigner, mais Angelos lui prit le poignet
d’une main d’acier.
— Tu travailles ? répéta-t-il d’un ton incrédule. Que veux-tu
dire par là?
— Eh bien..., commença-t-elle avec gêne. J’ai un job et je
suis payée pour cela. Et maintenant, je dois vraiment te
laisser, parce que...
— Pourquoi ?
— Tes questions sont un peu stupides, répliqua-t-elle en
adressant un sourire d’excuse au patron de la taverne. Je
travaille pour la même raison que tout le monde. Parce que
j’ai besoin d’argent.
Le regard d’Angelos devint menaçant.
— Je ne vois vraiment pas pourquoi tu aurais besoin
d’argent. Je t’ai proposé ma carte de crédit.
— J’ai besoin d’avoir mon propre argent.
— Je t’ai dit de considérer ma carte comme la tienne.
— J’ai besoin d’avoir de l’argent à moi, répliqua-t-elle avec
exaspération.
— Et pourquoi as-tu besoin d’avoir de l’argent à toi ?
— Pour toutes sortes de raisons. Mais surtout pour payer
mes dépenses, à la villa.
— Tu travailles pour ça ? Tu as passé les trois jours
derniers à travailler ici ?
— Oui. Qu’y a-t-il de mal à cela? Ton père est occupé toute
la journée, et tu travailles. Nous ne possédons pas tous un
compte en banque en Suisse, figure-toi. J’ai déjà dépensé
tout l’argent que j’avais apporté avec moi.
Se rendant compte que tout le monde suivait leur
conversation, elle essaya de nouveau de se dégager, mais il
resserra sa prise.
— Il faut que nous parlions.
— Peut-être, mais pas maintenant, dit-elle en jetant un
regard mortifié autour d’elle. Tout le monde nous regarde,
Angelos.
— Partons d’ici, dit-il après avoir suivi son regard.
— Pars si tu veux, mais sans moi. Tu peux penser ce que tu
voudras, mais c’est le seul travail que j’ai trouvé. Et si tu ne
me lâches pas immédiatement, je ne le garderai pas
longtemps.
— Cela n’a aucune importance parce que tu ne reviendras
plus jamais ici.
Puis il adressa quelques phrases rapides en grec au patron
qui hocha vigoureusement la tête.
— Toutes mes excuses, dit-il en agitant les mains vers
Chantal. Je ne savais pas qui vous étiez.
— Qu’est-ce que cela signifie ? demanda-t-elle tandis que le
patron tournait les talons et se mettait à nettoyer les tables
à sa place. Qui croit-il que je suis ?
— Ma compagne, dit Angelos d’une voix suave en l’attirant
vers lui dans un geste délibérément possessif. Et
maintenant, nous partons tous les deux.
Puis, sans attendre sa réponse, il l’entraîna d’une main
ferme vers la voiture.
— Angelos, attends ! protesta-t-elle. C’est mon travail!
— Plus maintenant. Il trouvera une autre serveuse.
— Tu n’as pas le droit ! Je ne veux pas !
Cette fois, Chantal réussit à se dégager et s’immobilisa.
— J’en ai besoin.
— Si c’est pour me donner l’argent que tu gagnes, je
refuse.
Brusquement, il la souleva dans ses bras malgré ses
protestations et la déposa sur le siège passager.
— Nous continuerons cette conversation dans un endroit
privé. Je déteste les scènes en public.
— Alors cesse de te donner en spectacle ! Angelos, je...
— Je ne veux pas que tu travailles, s’exclama-t-il en
s’installant rapidement derrière le volant.
— Si tu refuses mon argent, j’aurai l’impression d’être ta...
— Ma quoi ? demanda-t-il avec colère.
Puis il appuya sur l’accélérateur et la voiture s’éloigna
vivement du quai dans un rugissement puissant.
— Angelos, ramène-moi ! Je t’en prie.
— Tu ne travailleras plus là-bas.
Elle s’enfonça dans son siège en soupirant.
— Si tu savais comme j’ai eu du mal à le persuader de me
donner ce job!
— Je ne veux pas le savoir.
— Je ne comprends pas pourquoi tu es aussi en colère.
— Vraiment ? demanda-t-il en changeant de vitesse en un
geste rageur. Voir ma femme en train de servir dans un bar
n’est pas de nature à me mettre de bonne humeur.
Sa femme ?
— Tu parles comme un homme préhistorique, dit-elle en
luttant contre le violent frisson qui avait traversé son corps
à ses mots possessifs.
— Très bien. Je parle comme un homme préhistorique, dit-
il d’un ton sec. Il faudra que tu t’y habitues.
— Et que fais-tu de l’égalité des sexes ?
— Je respecte l’individualité, affirma-t-il en freinant au
dernier moment avant de négocier un virage. Les hommes
et les femmes sont différents. Enfin, ils sont supposés
l’être.
— Il n’y a pas que toi, Angelos. Je suis là moi aussi.
— Mais c’est à toi que je pense ! s’exclama-t-il d’une voix
ulcérée. Tu espères vraiment me convaincre que tu
préfères rester debout toute la journée à t’épuiser pour un
salaire misérable, plutôt que de rester au bord de la piscine
à te faire dorloter?
— Eh bien, oui. Puisque nous avons une... relation intime,
je ne peux pas te laisser payer quoi que ce soit pour moi.
— J’admire tes principes, mais tu vas trop loin. Ça suffit.
— Je ne veux pas être une femme entretenue.
A présent, la voiture grimpait dans les collines, sur une
route en lacets terriblement dangereuse. Angelos
conduisait vraiment trop vite, songea Chantal en se
cramponnant à son siège.
— Tu pourrais te rendre utile de mille façons, mais pas en
servant dans un restaurant. Je ne veux plus t’entendre
parler de ça.
— Cela m’est nécessaire, commença-t-elle. Sinon, j’aurais
l’impression de...
Elle s’interrompit brusquement, se rendant compte qu’elle
s’engageait sur un terrain périlleux.
Avec un mouvement brusque, il fit tourner le volant et
arrêta la voiture au bord de la route dans un nuage de
poussière. Puis il se tourna vers elle, les yeux terriblement
sombres.
— L’impression de quoi ? Dis-moi. Je veux savoir.
Chantal sentait son cœur battre à tout rompre dans sa
poitrine.
— Je...
— Dis-le!
— J’aurais l’impression que tu me paies pour faire l’amour.
— Tu veux dire que tu aurais le sentiment d’être traitée
comme une prostituée ?
Le mot la glaça intérieurement.
— Non ! Ce n’est pas ce que je voulais dire...
— T’ai-je jamais proposé de l’argent en échange de nos
ébats ? demanda-t-il d’une voix dure.
Elle secoua la tête, luttant contre la nausée qui lui montait
aux lèvres.
— Non, mais...
— Il n’y a pas de « mais ». La réponse est non. Crois-tu que
je t’ai amenée en Grèce pour t’héberger gratuitement afin
de te séduire ?
— Non, mais tu ne vois pas les choses comme moi. Toi,
lorsque tu couches avec une femme, tu as l’habitude de
l’inonder de présents jusqu’à ce que tu te lasses d’elle, et
puis tu passes à la suivante.
Il l’observa quelques instants, la mâchoire crispée.
— Laisse-moi te rappeler à quel point j’ai respecté mes
habitudes avec toi, agape mou. Il y a quatre jours, je t’ai
fait l’amour dans la piscine, en plein jour, alors qu’on aurait
pu nous voir de la villa...
— Tu es un homme très sensuel, dit-elle en sentant le
rouge lui monter aux joues.
— Je suis aussi un homme très discret, répliqua-t-il
sèchement Et d’ordinaire, je passe mon temps à travailler.
— Tu as travaillé tous les jours.
— J’ai passé environ vingt minutes devant mon ordinateur,
durant lesquelles j’ai eu un mal fou à me concentrer.
Soudain, Chantal se demanda si sa colère était dirigée vers
elle ou vers lui-même.
— Tu as du mal à te concentrer?
Il resta silencieux quelques instants, ses doigts
tambourinant nerveusement sur le volant.
— Je n’ai jamais eu autant de mal à accomplir un nombre
ridicule de tâches.
L’aveu semblait lui avoir été très douloureux et Chantal ne
put réprimer une sensation de vertige.
— C’est à cause de moi ?
— Oui.
— Eh bien...
La bouche horriblement sèche, Chantal se passa la langue
sur les lèvres.
— Je suppose que c’est normal au début d’une relation.
— Non, pas pour moi, dit-il presque violemment. Ni de me
disputer dans un endroit public, d’oublier la question de la
contraception ou de prendre la mauvaise direction quand je
suis au volant.
— C’est la mauvaise route? demanda Chantal, le cœur
battant si fort qu’elle pouvait à peine respirer.
Les yeux brillants d’exaspération, Angelos fit un geste
impatient vers les oliveraies qui couvraient le flanc de la
colline.
— Tu vois un port ?
— Je croyais que tu avais pris cette direction exprès.
— Après t’avoir vue servir ces touristes, j’étais si aveuglé
par la colère que j’ai tourné à gauche au lieu de prendre à
droite.
Chantal ne put s’empêcher de sourire.
— Tu trouves ça drôle ? Je déteste me sentir ainsi. D’autre
part, Jannis est probablement déjà en train d’ameuter la
terre entière, reprit-il.
Etrangement émue de le voir aussi désemparé, Chantal
sentait un bonheur inconnu naître en elle. Elle ne pouvait
s’en empêcher. Même si elle savait que c’était stupide et
irréaliste de se réjouir, elle était heureuse de savoir qu’il
était bouleversé par sa présence.
— Pauvre Jannis..., murmura-t-elle. Que vas-tu faire?
— Pour commencer, je vais te ramener à la villa afin de ne
plus perdre mon temps à te chercher partout, dit-il d’une
voix sourde. A partir de maintenant, je veux savoir où tu es,
à chaque instant.
Puis il lui posa la main derrière la nuque avant de l’attirer
vers lui. Sa bouche était si proche de la sienne qu’elle
sentait son souffle tiède lui caresser les lèvres.
— Je devrai pointer?
— Non, parce que tu n’iras plus nulle part. Désormais, ton
univers se limitera à notre chambre et à la piscine.
Enivrée par son parfum viril, Chantal ferma les yeux. Elle
savait qu’elle aurait dû protester, mais elle mourait d’envie
qu’il l’embrasse et elle ne voulait pas retarder cet instant.
Incapable de résister à la passion qui les attirait l’un vers
l’autre, elle s’abandonna contre lui.
Il l’embrassa enfin avec fougue tandis que sa main se
refermait sur son sein.
Brusquement, il s’écarta d’elle et lui lança un regard
incandescent.
— Rentrons, dit-il d’une voix rauque avant de remettre le
contact.
Plus tard ce soir-là, Angelos se dirigea vers la terrasse à
l’heure du dîner. Il se sentait apaisé et plein d’énergie.
Après avoir fait l’amour avec Chantal de façon explosive, il
avait en effet pu se consacrer avec succès à son travail.
Mais il attendait déjà la nuit prochaine avec impatience.
Il trouva son père installé à table, un verre de jus de fruits
à la main, le journal dans l’autre.
— Tu as vu le cours des actions ?
— Non.
Ses préoccupations se trouvaient bien loin du cours des
actions, songea Angelos en s’asseyant en face de son père.
Au même instant, Chantal apparut sur le seuil de la porte-
fenêtre qui donnait sur la terrasse. L’air très concentré, elle
portait plusieurs plats en équilibre.
Angelos lui adressa un. sourire en s’appuyant au dossier de
sa chaise.
— Pourquoi sers-tu le dîner ? demanda-t-il d’un ton
moqueur. Maria a eu un accident ?
— Non, elle est occupée avec la diététicienne.
Avec beaucoup de précautions, elle déposa un plat de
poisson grillé orné de tranches de citron devant Costas,
avant de mettre un autre plat devant Angelos.
— Goûte ça, dit-elle, les yeux brillants de fierté. Je voudrais
savoir ce que tu en penses.
Fasciné par l’éclat bleu de son regard, Angelos attendit un
moment avant de baisser les yeux sur la nourriture placée
devant lui.
— Tu veux savoir ce que je pense de la moussaka?
— De cette moussaka, oui. C’est moi qui l’ai préparée.
Le souffle court, elle contemplait son visage avec
inquiétude.
— Tu as fait la cuisine ? demanda Angelos, incapable de
dissimuler sa surprise. Quand ?
— Maria m’a donné les recettes. Nous avons aussi préparé
des feuilles de vigne farcies. C’est plus difficile, mais je
crois que je me suis pas mal débrouillée.
Elle s’installa à côté de lui et attendit, la bouche
entrouverte.
— Vas-tu goûter?
Eh bien, elle avait réussi à le surprendre, une fois de plus...
Au lieu de rester au lit comme il l’avait cru, elle avait
travaillé dans la cuisine, préparant le dîner.
— Pourquoi?
— Parce qu’il faut manger.
— Non, dit-il d’un ton impatient. Je veux dire que tu n’as
pas à faire la cuisine alors que j’emploie Maria pour cela.
Tu aurais dû te reposer.
— Maria a beaucoup de travail. En plus de l’organisation
générale de la villa, elle s’occupe de toutes les courses et
de ton père. Je sais faire la cuisine, alors je peux l’aider.
— Tu n’as pas besoin de le faire, dit-il.
Il la vit aussitôt relever le menton d’un air obstiné.
— Puisque tu refuses mon argent, c’est ma contribution.
— Je n’en veux pas.
Voyant qu’il l’avait blessée, Angelos s’en voulut aussitôt de
son manque de tact.
— Je ne veux pas dire que je refuse ce que tu as préparé.
Mais simplement que tu n’as pas besoin de faire la cuisine.
Elle se pencha en avant et se servit une part généreuse de
moussaka.
— Te rends-tu compte que tu es vraiment vieux jeu ?
— Je ne suis pas vieux jeu, dit-il en poussant un soupir.
— Si. Tu ne veux pas qu’une femme travaille, dit-elle en
examinant la nourriture dans son assiette d’un air ravi. Tu
penses que je dois passer mon temps à t’attendre sur une
chaise longue.
— Ce n’est pas vrai.
— Alors, pourquoi m’as-tu forcée à abandonner mon travail
?
Angelos remarqua que son père semblait de plus en plus
intéressé par la conversation.
— Un travail ? Quel travail ? demanda-t-il tout à coup.
— Celui de serveuse que j’avais trouvé dans un restaurant,
lui répondit Chantal en souriant. Mais Angelos m’a obligée
à le quitter.
Costas se mit à rire.
— Je commence à comprendre...
— Il n’y a rien à comprendre, l’interrompit Angelos en
prenant son verre de vin. Et c’est ridicule de dire que je ne
veux pas que les femmes travaillent. Une grande proportion
de mes cadres sont des femmes.
— Mais je parie que tu ne fréquentes pas ces femmes en
dehors du travail, dit doucement Chantal. Je suis sûre que
tu sépares soigneusement ton travail et ta vie privée. Ce
qui fait aussi de toi un hypocrite. Tu apprécies qu’une
femme travaille, mais pas ta compagne. J’en conclus donc
que tu fréquentes plutôt de riches héritières.
— Pourquoi une telle conclusion?
— Parce que tu ne veux pas que les femmes te prennent
ton argent, mais tu ne veux pas non plus qu’elles gagnent
leur vie. Cela élimine une large part de la population.
Conscient que son père suivait cet échange avec le plus
grand ravissement, Angelos serra les dents.
— Cette conversation est absurde.
— Tu dis cela parce que j’ai raison.
Elle regarda son assiette.
— Ne vas-tu pas au moins goûter la moussaka? Je crois
qu’elle est très bonne et j’en suis fière.
— La plupart des femmes seraient ravies qu’un homme soit
prêt à les entretenir, répliqua Angelos en prenant sa
fourchette. S’il en a les moyens, je trouve ça normal et je
ne suis pas vieux jeu pour autant.
— Mais tu redoutes que les femmes ne soient intéressées
que par ton argent. Cela rend la situation très confuse,
surtout pour moi.
Costas rit de nouveau.
— C’est la première fois que tu n’as pas le dernier mot ! Tu
devrais y réfléchir, elle est parfaite, Angelos. Elle est
comme ta mère.
— Etait-elle une riche héritière ? demanda Chantal avec
intérêt.
Angelos vit le regard de son père s’embrumer.
— C’était une femme, tout simplement, dit-il d’une voix
émue. Et je l’aimais. Je l’aurais aimée de la même façon,
qu’elle ait été riche ou pauvre. Et elle savait faire la
cuisine... C’est là que j’ai commis une erreur avec les deux
suivantes : elles étaient incapables de préparer le moindre
plat.
— C’est normal, lui fit remarquer Angelos, elles ne
mangeaient rien.
— Ne me le rappelle pas, dit son père en haussant les
épaules. Je pourrais peut-être goûter la moussaka ?
— Le docteur préfère que vous mangiez du poisson, dit
fermement Chantal. Et celui-ci est délicieux. Maria et moi
l’avons préparé avec soin, et je voudrais savoir s’il vous
plaît. Sinon, je le supprimerai de la liste. Nous essaierons
un plat différent chaque jour.
Costas prit docilement sa fourchette.
— C’est délicieux, dit-il après un instant.
— Vous le trouvez bon ? Vraiment ? demanda Chantal en
souriant d’un air ravi.
Angelos contemplait la bouche de la jeune femme. Peu
importait qu’elle sourie, qu’elle parle ou qu’elle l’embrasse,
sa bouche le fascinait.
Quant à Costas, il dévorait son poisson avec enthousiasme.
— N’écoutez pas Angelos. Si votre moussaka est aussi
bonne que ce poisson, vous pouvez faire la cuisine pour moi
tous les jours.
Cela faisait des années qu’il n’avait pas vu son père aussi
détendu et aussi heureux. Pas depuis la mort de sa mère. Et
une seule personne était responsable de ce miracle.
Chantal.
A cet instant, elle se tourna vers lui.
— Tu ne manges pas, remarqua-t-elle. Ce n’est pas bon ?
Angelos se rendit compte qu’il avait oublié la moussaka.
— C’est trop chaud.
— Non. Maria m’a prévenue que tu n’aimais pas que ce soit
brûlant et j’ai attendu un peu avant de l’apporter. Tü
n’aimes pas ?
— Si, cela a l’air délicieux.
— Alors, qu’y a-t-il ? demanda-t-elle en reposant sa
fourchette. Tu me regardes d’un air bizarre.
Oui, probablement parce qu’elle produisait un effet
volcanique sur sa libido. A tel point qu’il avait soudain
l’impression qu’il ne pourrait pas attendre la fin du repas
pour l’emmener au lit.
— Il n’a pas l’habitude d’être en compagnie d’une femme
qui mange, dit gaiement Costas.
Angelos sourit faiblement à son père et se décida enfin à
manger la moussaka préparée par Chantal. Il en reprit
même, pour lui faire plaisir.
Enfin, son père bâilla et s’excusa avant de quitter la table.
Aussitôt, Angelos se leva et proposa à Chantal de regagner
leur chambre.
— Tu ne veux pas de café ? demanda-t-elle comme il
l’attirait fermement contre lui.
— Non, dit-il d’une voix rauque. Je ne veux que toi, agape
mou. Nue, dans mes bras. Tout de suite.
— Angelos, murmura-t-elle. Nous avons quitté la chambre il
y a quelques heures à peine.
— Nous avons eu tort. Nous n’aurions jamais dû sortir de
notre lit, dit-il en lui caressant les seins. Je n’arrive pas à
décider quelle est la partie de toi que je préfère. J’ai besoin
de te déshabiller pour t’examiner tout entière.
— Mes hanches sont trop larges.
— Elles sont parfaites. Tu es parfaite. Même mon père
t’adore, dit-il en se penchant pour l’embrasser dans le cou.
Tu joues un rôle très important dans son rétablissement et
je t’en suis reconnaissant. Ne crois pas que je ne vois pas
que c’est grâce à toi qu’il mange convenablement, et qu’il a
réussi à abandonner le vin pour des jus de fruits et de l’eau.
— Moi aussi, je l’aime beaucoup, dit-elle en s’écartant
légèrement. Et j’avoue que je t’envie.
— Vraiment?
— Oui, tu as une chance incroyable. Je ferais n’importe
quoi pour avoir un père comme le tien.
— Ton père est-il encore en vie ?
Il la sentit se raidir et elle s’écarta davantage de lui avant
de lui tourner le dos.
— Lui et ma mère ne... Ils ne sont pas restés en contact. Je
ne sais pas où il vit.
— Tu n’as jamais essayé de le retrouver?
— Non.
— Est-ce la cause de ton sentiment d’insécurité ? demanda
Angelos en posant les mains sur ses épaules pour la forcer
à se retourner. Est-ce pour cela que tu te sous-estimes
autant ?
Durant un moment, elle resta silencieuse, puis elle se
haussa sur la pointe des pieds et lui effleura les lèvres des
siennes.
— Embrasse-moi, Angelos, murmura-t-elle. Ne dis plus rien
et embrasse-moi.
Subitement, il se rendit compte qu’il ne savait rien de sa
vie, mais pour l’instant la caresse de sa bouche sur la
sienne l’empêchait de réfléchir à quoi que ce soit.
Il ne désirait qu’une chose, déchirer ses vêtements et
explorer son corps dans les moindres détails.
Après l’avoir soulevée dans ses bras, il l’emporta dans la
chambre et la déposa sur le lit. Puis il écrasa sa bouche sur
la sienne tout en la déshabillant fébrilement.
— Angelos, je t’en prie..., chuchota-t-elle.
Son murmure acheva de lui faire perdre la tête. Après
s’être débarrassé en hâte de ses propres vêtements, il vint
se placer au-dessus d’elle en un mouvement presque
désespéré. Aussitôt elle écarta les jambes et souleva ses
hanches vers lui.
Pressé par un désir d’une intensité folle, il la pénétra
puissamment, lui arrachant un gémissement de plaisir qui
exacerba sa passion. Elle était brûlante... Enivré par les
sensations délicieuses qui déferlaient en lui, il s’enfonça
profondément en elle pour satisfaire le besoin presque
douloureux qui s’était emparé de lui.
Quand elle enfonça ses ongles dans ses épaules en criant
son prénom, il sentit l’orgasme se déchaîner en elle.
L’univers explosa alors autour de lui et il s’abandonna à son
tour.
Après un long moment de silence, Angelos roula sur le dos
et l’entraîna avec lui.
— Je veux savoir pourquoi tu travaillais comme femme de
chambre.
Elle ne répondit pas tout de suite.
— C’est le seul job que j’ai trouvé en arrivant à Paris, dit-
elle enfin.
— D’où venais-tu ?
— De Buenos Aires.
— Je suppose que c’est là que tu as appris à danser le
tango ?
Soudain, il voulait tout savoir sur sa vie.
— Et avant l’Argentine ?
— J’ai voyagé au Pérou. Auparavant, j’étais allée en Inde,
en Australie et en Nouvelle-Zélande...
Angelos se sentait de plus en plus intrigué.
— Eh bien, tu n’es pas quelqu’un qui s’enracine, dit-il en
s’accoudant afin de pouvoir la regarder.
Aussitôt, elle détourna les yeux.
— Non, pas vraiment.
— As-tu fait des études ? continua-t-il en l’observant avec
attention.
— Non.
— Pourtant, tu es très intelligente...
— Je ne réussissais pas à l’école. Je n’aimais pas y aller.
Pouvons-nous parler d’autre chose ? demanda-t-elle en se
redressant brusquement. Et toi ? Raconte-moi comment tu
as réussi ta brillante carrière.
A en juger par son ton crispé, il valait mieux changer de
sujet, songea Angelos en l’attirant dans ses bras.
— Je n’aimais pas l’école non plus. Je la trouvais très
contraignante. Je voulais faire les choses à ma façon.
— Je parie que tu étais néanmoins le premier partout?
— Bien sûr.
— Tu n’as pas beaucoup changé, n’est-ce pas ? s’exclama-
t-elle en riant.
— Non, répondit-il, heureux de la voir retrouver sa bonne
humeur. Mon père avait très bien réussi et voulait que je
me joigne à lui.
— Mais tu n’en as rien fait.
— Bien sûr que non. Ç’aurait été trop facile.
— Ainsi, tu as créé ta propre entreprise... Je suis ravie de
constater que tu es vulnérable, comme tout le monde.
Vulnérable ? Surpris, Angelos la fixa d’un air perplexe.
— En quoi suis-je vulnérable?
— Apparemment, tu voulais prouver quelque chose à ton
père.
Envisageant cette possibilité pour la première fois de sa
vie, Angelos se mit à rire.
— Tu as sans doute raison, mais ne le dis pas à mes
concurrents. S’ils apprenaient que je suis vulnérable, ma
vie professionnelle deviendrait sans doute très compliquée,
et j’aurais moins de temps à passer au lit avec toi.
— Je suppose que ton père est très fier de toi, dit-elle d’un
air envieux.
— Et toi ? demanda-t-il. Puisque ton père était absent, je
suppose que c’est ta mère qui t’a élevée ? Où viviez-vous ?
— Nous avons beaucoup déménagé quand j’étais enfant,
ensuite j’ai passé plusieurs années dans un pensionnat.
Mais je suis un peu fatiguée, Angelos. Bonne nuit.
Puis elle lui tourna le dos, montrant ainsi clairement que le
sujet était clos. Angelos contempla son corps immobile en
silence.
Elle ne supportait pas de parler de son enfance, ni de sa
mère ou de sa scolarité, c’était évident. Apparemment, ce
n’avait pas été une période agréable pour elle et pourtant,
elle était d’une intelligence vive et aurait dû réussir
brillamment.
Frustré, il se rendit compte qu’il voulait reprendre cette
conversation. Il désirait la comprendre. Et cette pensée le
troublait car il n’avait jamais éprouvé ce désir envers
aucune autre femme.
Mais il voyait bien qu’il devrait attendre qu’elle soit plus
détendue pour l’interroger. Pour l’instant, il se contenterait
de la prendre dans ses bras.
Cela lui était égal qu’elle lui tourne le dos pour dormir,
mais il n’était pas question qu’elle reste loin de lui.
9.

— Prépare ton sac. dit Angelos en sortant de la salle de


bains.
Une serviette nonchalamment enroulée autour des
hanches, il était torse nu et Chantal voyait des gouttelettes
d’eau scintiller sur sa peau hâlée.
Il était plus beau qu’une statue antique, songea-t-elle en
regardant les muscles souples de ses épaules.
— Pourquoi ? Je ne veux pas partir d’ici.
— Nous ne partons pas vraiment, dit-il lui adressant un
regard amusé. Et je suis content que tu te plaises ici.
— J’aime cette île.
Et surtout, elle l’aimait lui. Même si elle se répétait sans
cesse que leur relation ne menait nulle part, elle ne pouvait
contrôler ses sentiments.
Elle l’aimait, elle aimait Costas, et elle aimait l’île. Et elle
aurait voulu que l’univers se limite à cet endroit de rêve.
— Nous allons seulement passer deux jours à Athènes.
— A Athènes ? répéta-t-elle en se redressant sur les
oreillers. Pourquoi ?
— Malheureusement, mon absence a créé quelques
problèmes au bureau et il faut absolument que j’aille m’en
occuper, expliqua-t-il avant de disparaître dans le dressing.
Il en ressortit aussitôt avec une chemise blanche à la main.
— Vas-y, dit-elle. Moi, je reste ici.
Pas question. Je me concentre beaucoup mieux sur mon
travail quand tu es à proximité.
Après s’être débarrassé de sa serviette, il enfila sa chemise
d’un geste habile. Pourquoi était-elle aussi sensible au
moindre de ses gestes ? se demanda Chantal en réprimant
un frisson. On aurait dit que son corps avait été créé pour
répondre à celui d’Angelos.
— Je ne veux pas aller à Athènes, dit-elle en serrant ses
genoux dans ses bras. Ton père ne peut pas rester tout
seul.
— Tout seul ? Il est entouré d’un médecin, de deux
infirmières et d’une diététicienne. Sans compter la
masseuse qui vient chaque matin, et Maria. En outre, nous
serons rentrés demain. Je passerai l’après-midi au bureau
et ensuite nous irons à une réception. Puis nous passerons
la nuit dans ma maison d’Athènes avant de revenir ici pour
le déjeuner.
— Une réception ?
Angelos prit une cravate posée sur le dos d’une chaise.
— Oui, un nouveau bal de charité.
— Je ne veux pas y aller, dit-elle farouchement. Je ne fais
pas partie de ce monde.
— C’est le mien, comme cette île, agape mou. Et toi aussi
tu en fais partie, dit-il doucement.
Peut-être, mais seulement parce qu’il aimait faire l’amour
avec elle. Rien de plus.
— La vie sur l’île n’a rien à voir avec ces manifestations
mondaines. Et puis cette fois, ton père ne sera pas là pour
me venir en aide.
— Pourquoi aurais-tu besoin qu’on te vienne en aide?
demanda-t-il en fronçant les sourcils. Tu n’as aucune raison
de te sentir en insécurité, en aucune situation. Tu es
différente, Chantal, et c’est pour cela que tu me plais. Tu es
généreuse et belle, et tu te préoccupes de choses qui
comptent à mes yeux.
— Je ne fais pas partie de cet univers ! insista-t-elle. A ce
bal, à Paris, tout le monde me regardait.
— Parce que tu es ravissante. Tu étais bien plus belle que
toutes les autres femmes présentes ce soir-là. Et mille fois
plus authentique. Tu ne dois pas te sous-estimer ainsi.
— En plus, je ne connaîtrai personne...
— Tu me connais moi, dit-il d’un ton catégorique en
traversant la pièce pour aller prendre sa veste. Cesse de
me contredire, s’il te plaît.
— Je n’ai rien à me mettre sur le dos.
— Tu parles enfin comme une femme ! dit-il en souriant.
Nous te trouverons une toilette qui te donnera confiance en
toi, ne t’en fais pas.
Comme si elle ne savait pas que la véritable confiance en
soi venait de l’intérieur...
— Je ne veux pas aller à Athènes, Angelos.
— Prépare tes affaires, ordonna-t-il d’un ton ferme. Tu n’as
aucune inquiétude à avoir. Je serai à côté de toi. Si tu as
besoin d’aide, je serai là.
En proie à un affreux pressentiment, Chantal le regarda
avec désespoir. Leur relation était terminée, elle le sentait.
Ces deux semaines fabuleuses allaient s’achever bientôt
dans la douleur.
Elle allait retrouver l’autre Angelos, songea Chantal tandis
que l’hélicoptère privé s’approchait d’Athènes. Sur la petite
île, loin de la vie trépidante du continent, elle avait presque
oublié qu’il était milliardaire. Ils avaient été un homme et
une femme, rien de plus.
Vêtu d’un costume gris pâle qui mettait en valeur sa
silhouette mince et ses cheveux noirs, il était redevenu un
homme d’affaires, et son téléphone sonnait sans cesse.
Chantal observa son profil bien dessiné. Pourquoi le trou-
vait-elle soudain si intimidant?
Parce qu’il était habillé plus strictement qu’à la villa?
Se souvenant qu’il était le même homme que celui auprès
duquel elle s’était réveillée le matin même, elle respira
profondément en essayant de se calmer. Mais elle ne put
faire disparaître le sentiment de malaise qui assombrissait
le bonheur qu’elle avait vécu durant les deux dernières
semaines.
Après avoir terminé sa conversation, Angelos se tourna
vers elle.
— Comme je te l’ai dit tout à l’heure, je passerai l’après-
midi au bureau. Mais nous irons d’abord t’acheter une
toilette pour ce soir.
Chantal songea au peu d’argent qu’elle avait dans son sac.
— Ne m’emmène pas dans un endroit ridiculement cher.
— Je veux te gâter.
— Et moi je ne veux pas de ton argent.
— Je ne te propose pas d’argent, dit-il en se penchant pour
dégrafer sa ceinture de sécurité. Je t’offre un cadeau. Cesse
de protester, s’il te plaît. Nous sommes arrivés.
Une luxueuse limousine à air conditionné les conduisit
bientôt dans le centre d’Athènes et Chantal contempla avec
intérêt la ville bourdonnant d’activité.
Sur sa droite, elle remarqua un marché coloré et regretta
de ne pas avoir le temps de s’arrêter pour aller y faire un
tour.
Mais Angelos avait apparemment une autre idée en tête et
quelques minutes plus tard, le chauffeur arrêta le véhicule
devant une vitrine luxueuse.
Une fois sur le trottoir, Chantal regarda les magnifiques
toilettes disposées dans la vitrine. Parmi elles, une robe
attira son attention. Elle l’observa pendant quelques
instants, enregistrant sans y penser la coupe et le tissu.
Angelos l’entraîna à l’intérieur du magasin et une vendeuse
stylée se dirigea aussitôt vers eux. Elle devait se demander
ce qu’une femme vêtue aussi simplement faisait avec un
homme si riche. Eh bien, elle penserait avec raison qu’il
couchait avec elle, songea-t-elle sombrement.
Parfaitement à l’aise, Angelos jeta un coup d’œil à sa
montre avant de se tourner vers Chantal.
— Choisis quelque chose.
Se forçant à ne pas regarder la vendeuse, elle se dirigea
vers la robe qu’elle avait remarquée dans la vitrine. A vrai
dire, elle était très simple ; c’était la qualité du tissu qui en
faisait la particularité.
— Elle vous irait très bien. Elle est conçue pour dissimuler
les petits excès de poids, dit la vendeuse.
Angelos fronça les sourcils.
— Dans ce cas, elle ne lui ira pas, dit-il d’une voix suave.
Car ma compagne n’a aucun poids superflu.
Se sentant ridiculement reconnaissante envers lui pour son
intervention, Chantal contempla la robe.
— Combien coûte-t-elle?
Visiblement déconcertée par sa question, la vendeuse
regarda Angelos en silence.
— Vous travaillez dans ce magasin, dit-il d’un ton glacial,
vous devez donc connaître le prix de cette robe.
Après une brève hésitation, la femme s’éclaircit la gorge.
— Dix mille euros.
— C’est scandaleux ! s’exclama Chantal en reculant d’un
pas.
— Vraiment? demanda Angelos. Si elle te plaît, essaie-la.
— Une robe de dix mille euros ? Certainement pas.
— Le prix n’a pas d’importance.
— Bien sûr que si. Je ne peux pas dépenser une telle
somme.
— Moi je peux.
— Non ! répliqua-t-elle, consciente du regard stupéfait de
la vendeuse.
Elle se dirigea vers la porte d’un pas décidé.
— Puis-je te parler un instant ? demanda-t-elle à Angelos.
Il la suivit en poussant un soupir exaspéré et sortit de la
boutique derrière elle.
— Que se passe-t-il? Tu as besoin d’une toilette pour ce
soir, alors achète cette robe. Elle t’ira très bien, j’en suis
sûr.
— Pourquoi m’as-tu amenée ici ? demanda-t-elle en
croisant résolument les bras. Tu veux me rendre ridicule ?
— Je t’ai amenée ici pour t’offrir une robe.
Chantal sentit son souffle s’accélérer malgré elle.
— Tu n’as donc rien appris pendant le temps que tu as
passé avec moi ? Je ne veux pas de ton argent !
Se rendant compte que les larmes lui montaient aux yeux,
elle cligna rapidement des paupières.
— De toute façon, ajouta-t-elle, ce serait absolument
ridicule de dépenser une somme pareille pour une robe.
— C’est vraiment difficile de te faire plaisir...
— Au contraire. Quand tu me prépares une orange au petit
déjeuner, tu me fais plaisir. Quand tu me masses les
épaules avant que je m’endorme, tu me fais plaisir. Mais
n’essaie pas de m’acheter, Angelos.
— Je n’essaie pas de t’acheter, bon sang ! s’exclama-t-il,
visiblement à bout de patience. Je veux simplement t’offrir
une robe. Et si je t’ai amenée ici, c’est parce que je sais que
toutes les femmes rêvent de cette boutique.
— Pas moi.
— Non, apparemment. Tu es très compliquée. Alors... dit-il
en faisant un geste vers la rangée de boutiques de luxe qui
se côtoyaient dans l’avenue, si cet endroit ne te convient
pas, où veux-tu aller?
Subitement, elle se souvint du marché qu’elle avait vu sur
le chemin et l’entraîna par la main en sens inverse.
— Où m’emmènes-tu ?
— Chercher une robe.
— Il n’y a pas de boutiques par là. Et il fait quarante degrés
à l’ombre, protesta Angelos en marchant à grands pas.
Personne ne se promène dans les rues à cette heure.
— Les milliardaires, non, mais les gens ordinaires sortent à
cette heure-ci, Angelos. Essaie de vivre comme une
personne normale, au moins pendant cinq minutes.
Puis elle traversa la rue en se faufilant au milieu des
voitures et trouva bientôt le marché.
Angelos contempla la foule bigarrée avec stupéfaction,
avant de forcer Chantal à lui faire face.
— Tu vas à un bal où sera présente la crème de la société
athénienne, et tu veux porter une robe achetée sur ce
marché ?
— Non, pas une robe, dit-elle sans tenir compte de sa
remarque.
Elle se dégagea et s’avança parmi les rangées d’étals
jusqu’à ce qu’elle trouve ce qu’elle cherchait : des rouleaux
de soies multicolores imprimées à la main. Elle s’arrêta,
étudiant les différents rouleaux de tissu jusqu’à ce qu’elle
remarque un vert profond, parsemé de petites impressions
bleu vif.
— Celle-ci, s’il vous plaît, dit-elle au vendeur.
Puis elle sortit un petit carnet de son sac et un crayon
avant de dessiner rapidement un croquis.
— Tu achètes du tissu ? demanda Angelos en consultant de
nouveau sa montre sans plus se soucier de dissimuler son
irritation. Je te préviens : malgré ma fortune, je ne
trouverai jamais de tailleur pour te confectionner une robe
qui soit prête ce soir.
— Je vais la faire moi-même.
Se servant des chiffres qu’elle venait d’inscrire sur son
carnet, elle demanda le métrage dont elle avait besoin et
fut ravie de constater qu’elle avait assez d’argent pour
payer.
Angelos murmura quelque chose en grec avant de revenir à
l’anglais.
— J’aurais été ravi de t’offrir cette robe, bon sang !
— Mais je n’aurais pas été heureuse de la porter. Détends-
toi, Angelos, je suis très contente de mon choix.
Après avoir tendu l’argent au vendeur en souriant, elle
rangea le tissu dans son sac. Puis elle s’avança vers
l’étalage voisin et acheta du fil. Un peu plus loin, elle
choisit une simple barrette et de minuscules coquillages.
Angelos la contempla d’un air incrédule.
— Je n’ai pas de machine à coudre chez moi.
— Je couds à la main, dit-elle en terminant ses achats par
un tube de colle. J’ai seulement besoin de quelques heures,
c’est tout.
Elle lui sourit.
— Je ne comprends pas pourquoi tu es si furieux. Grâce à
moi, tu as économisé une fortune. Et je suis heureuse parce
que j’ai réussi à tout payer avec mon argent.
— Ton désir d’indépendance est ridicule, maugréa-t-il. Je
voulais vraiment te faire plaisir.
— Fais-moi plaisir autrement, murmura-t-elle en se
haussant sur la pointe des pieds .pour l’embrasser. J’aime
être avec toi. Cela me suffit.
— Allons chez moi, dit-il d’une voix rauque.
S’ils ne se dépêchaient pas, ils allaient être en retard,
songea Angelos. A vrai dire, il s’en moquait complètement,
mais il s’inquiétait pour Chantal. Elle était si nerveuse... Il
n’aurait jamais dû céder pour cette robe, se dit-il en
soupirant.
— Angelos?
Quand il se retourna, ce qu’il découvrit lui coupa le souffle.
Chantal avait réussi à transformer le morceau de tissu
acheté sur le marché en une robe élégante. Retenue à ses
épaules par deux fines bretelles, l’étoffe effleurait ses
courbes ravissantes et descendait jusqu’au sol, l’ourlet
étant souligné par des motifs formés par les minuscules
coquillages.
Ses cheveux dorés se répandaient sur ses épaules nues et
un bracelet de coquillages ornait son poignet fin. Dans une
main, elle tenait un petit sac de soirée assorti à sa robe.
Elle était spectaculaire. Et terriblement sexy. Comme une
sirène autorisée à passer une nuit de plaisir sur terre.
Le désir parcourut le corps d’Angelos, si violemment qu’il
dut faire un effort surhumain pour ne pas se jeter sur elle
et lui ôter cette robe fabuleuse.
Visiblement inquiète, elle s’avança vers lui d’un pas
hésitant.
— Dis quelque chose... Je t’en prie...
Angelos franchit le peu de distance qui les séparait et la
prit dans ses bras. Puis il s’empara de sa bouche et
l’embrassa avec fougue jusqu’à ce qu’il sente ses tétons se
dresser fermement contre sa poitrine.
Elle s’abandonna contre lui durant quelques instants avant
de s’écarter.
— Alors ? Je veux savoir ce que tu en penses.
— Tu es éblouissante.
— Vraiment? demanda-t-elle, le visage soudain rayonnant.
— Je n’arrive pas à croire que tu aies pu confectionner
cette robe. Où as-tu appris à coudre?
— J’ai appris toute seule. Elle te plaît?
Brusquement, Angelos se rendit compte avec surprise que,
plus que tout, il désirait la rendre heureuse.
— Tu peux vraiment être fière de toi.
— Tu crois ? demanda-t-elle, l’air ravi.
— Tu as un talent fou.
Elle fronça légèrement les sourcils comme si elle n’y avait
jamais pensé.
— Excuse-moi, dit-il en glissant la main sur la courbe
ravissante de ses fesses, mais cette fois, il faut que nous
partions.
Son sourire s’évanouit.
— Nous pourrions rester ici et...
— Je veux te montrer au monde entier ! Et tu n’as aucune
raison de ne pas avoir confiance en toi. Tu surpasseras
toutes les autres femmes présentes à ce bal. Tu vas voir,
elles voudront toutes savoir où tu as trouvé cette robe.
Alors tu ferais bien de préparer ta réponse...
La réception était un événement mondain auquel assistait
le gratin de la société athénienne. Chantal fut accueillie
aimablement, mais elle ne put s’empêcher de remarquer la
curiosité qui se lisait dans les yeux des invités.
— Ils me regardent, murmura-t-elle à Angelos qui lui
tendait une flûte de champagne.
— Bien sûr. Ta robe est aussi extraordinaire que celle que
tu portais à Paris, dit-il en lui glissant un bras autour de la
taille avant de l’embrasser délicatement.
Quand il releva la tête, elle le regarda avec surprise.
— Je croyais que tu détestais les exhibitions en public?
— Eh bien, cela montre à quel point tu m’as changé, dit-il
en souriant. A présent, je vais te présenter à quelques
personnes qui comptent pour moi.
Tout en la gardant serrée contre lui en un geste possessif, il
l’entraîna parmi la foule élégante.
— J’ai l’impression que tout le monde veut t’adresser la
parole, remarqua Chantal. Es-tu un génie ou est-ce
simplement parce que tu es riche ?
Il rejeta la tête en arrière et éclata de rire tandis que
plusieurs personnes les regardaient avec étonnement.
— Les deux, répondit-il d’un air malicieux. Je suis riche
parce que je suis un génie.
— Et tu es arrogant, ne l’oublie pas, répliqua-t-elle sur le
même ton.
— Viens, dit-il en lui prenant la main avant de l’entraîner
vers l’immense terrasse éclairée par de nombreuses
bougies.
Sous leurs yeux, la ville s’étendait, étincelant de mille
lumières.
— Je suis content que tu sois là ce soir.
— Tu ne m’as pas vraiment laissé le choix. Mais nous
devons parler, Angelos.
— Oui, dit-il d’une voix caressante. Eh bien, parlons.
— Ici ? demanda-t-elle avec surprise.
— Quand nous serons rentrés chez moi, tu sais bien que
nous ne parlerons pas. Que veux-tu me dire, Chantal ?
Elle sentait à sa voix qu’il était aussi troublé qu’elle, aussi
dut-elle faire un effort pour continuer.
— Il est temps de dire la vérité à ton père.
— Je suis d’accord. Nous lui parlerons demain.
— Je ne veux pas le blesser.
— Il ne sera pas blessé ! Il sera aux anges.
— D’apprendre que tu lui as menti ?
— Quand lui ai-je menti ? demanda-t-il doucement en
levant la main pour repousser une mèche de son front. Il
sait que nous sommes ensemble, maintenant, et c’est ce qui
compte.
Que voulait-il dire par là? Confuse, elle resta silencieuse un
instant.
— Je ne comprends pas...
— Notre histoire n’est pas terminée, agape mou. Croyais-tu
vraiment que j’allais te laisser partir?
Il était si près d’elle que Chantal sentait la chaleur qui
émanait de son corps.
— Que proposes-tu ? demanda-t-elle, le cœur battant à
grands coups irréguliers dans sa poitrine.
— N’est-ce pas évident? Quand nous quitterons l’île, tu
viendras avec moi.
Sa réponse était si inattendue...
— Mais où ?
— Partout où j’irai.
Pourquoi pas ? Durant quelques instants, une excitation
folle courut dans ses veines, mais elle s’éteignit presque
aussitôt. Comment pourrait-elle accepter?
— J’aurai le droit de travailler?
— Pourquoi le voudrais-tu ? demanda-t-il, l’air stupéfait.
— Je te l’ai déjà dit.
— Etant donné que je voyage beaucoup et que tu
m’accompagneras dans mes déplacements, tu ne pourras
pas travailler.
Chantal s’immobilisa, se sentant devenir peu à peu
insensible et glacée.
— Ainsi, je serai une femme entretenue ?
— Tu seras ma maîtresse, ma compagne. Tu peux choisir le
terme que tu préfères.
— Je n’ai pas les moyens de rester avec toi, dit-elle
simplement. Ton style de vie est trop dispendieux. Ce que je
gagne par semaine ne suffirait pas à payer ta facture de
téléphone.
— Je ne veux pas que tu paies quoi que ce soit. Tu auras
tout ce dont tu as besoin.
— Et que serai-je alors ? Une prostituée qui se consacre à
un seul client ?
Un silence lourd suivit ses paroles. Puis il lui saisit
brusquement le poignet d’une main ferme avant de
l’entraîner vers la salle de bal. A grands pas, il lui fit
traverser la foule et l’entraîna dans la rue.
Quelques instants plus tard, sa voiture apparut comme par
magie et s’arrêta devant eux.
Cette fois, il était furieux. Vraiment furieux. Tout son être
vibrait de colère contenue.
— Angelos...
— Monte, dit-il d’un ton lugubre. Monte ou je te fais entrer
dans cette voiture de force.
— Je ne...
— Ne dis plus un mot.
Elle obéit en silence avant qu’il ne referme la portière sur
elle. Puis il vint s’installer derrière le volant avant de
démarrer sur les chapeaux de roues.
Chantal préféra fermer les yeux tandis qu’il conduisait la
voiture à toute allure dans la circulation dense d’Athènes.
Finalement il s’arrêta, ignorant les voitures qui
klaxonnaient en passant à côté d’eux à toute allure.
— Où sommes-nous ?
— Dans un endroit neutre, dit-il en se tournant vers elle
avec une expression terriblement sombre.
— Je ne comprends pas pourquoi tu es tellement en colère.
— Tu m’accuses de te traiter comme une prostituée et tu
t’étonnes que je sois furieux?
— Je n’ai jamais dit ça ! Simplement que si tu subvenais à
tous mes besoins, je me sentirais comme telle. Ce n’est pas
la même chose.
— Est-ce que tu te rends compte du nombre de femmes qui
auraient rêvé de m’entendre prononcer ces paroles ?
— Oui, mais je ne suis pas comme elles.
Il se passa nerveusement la main sur le visage.
— Que dois-je faire ? Que veux-tu de moi ? Dis-le-moi,
parce que je suis à court d’idées.
— Rien, murmura-t-elle. C’est justement cela. Nos vies sont
trop différentes. Je ne peux pas vivre avec toi comme ton
égale et, par conséquent, je ne peux pas rester.
— Chantal, commença-t-il d’une voix extrêmement tendue.
Dans le monde entier, il y a des couples qui vivent
ensemble et dont les revenus ne sont pas égaux. Les
hommes vont travailler, leurs femmes élèvent les enfants.
Dans certaines familles, c’est l’inverse, mais une chose est
certaine — ils n’ont pas tous le même statut financier.
— Non, en effet.
— Je n’arrive pas à te comprendre.
— Peut-être parce que personne ne t’a jamais rien refusé,
dit-elle en se tournant vers la vitre. Tu t’en remettras.
— Il ne s’agit pas de cela, dit-il sèchement. Ce que je ne
comprends pas, c’est pourquoi cette question compte
autant pour toi.
— Je suis comme ça, c’est tout.
— Non, répliqua-t-il avec colère. Cela ne suffit pas. Si je
dois te laisser partir, Chantal, aie au moins la décence de
m’expliquer pourquoi.
Immobile, elle resta silencieuse, sentant l’impatience qui
bouillait dans les veines d’Angelos.
— Chantal, reprit-il d’un ton menaçant. Je ne te laisserai
pas partir avant que tu...
— Ma mère était une prostituée.
Lentement, elle se retourna vers lui.
— C’est vrai, dit-elle, surprise de son propre calme. C’est
ce que je suis, Angelos. La fille d’une prostituée.
— Chantal...
Incapable de le regarder plus longtemps, elle détourna la
tête. L’humiliation était terrible, mais elle se força à lui
donner les détails qu’il voulait entendre.
— Tu désirais connaître la vérité, eh bien la voici. Après
cela, ne me demande plus jamais de t’en parler.
Pourquoi lui avait-elle avoué son secret, alors qu’après ça il
ne voudrait plus jamais la revoir?
— Inutile de préciser que ma mère me considérait comme
un fardeau encombrant. D’abord, nous avons beaucoup
déménagé. Je changeais d’école à chaque trimestre.
— Regarde-moi, Chantal, dit-il en lui posant la main sur le
bras.
Mais elle se dégagea aussitôt, les yeux fixés dans le vide.
— J’avais beaucoup de mal à m’adapter.
— Evidemment. Je comprends maintenant pourquoi tu
avais du mal à l’école. Etaient-ils au courant pour ta mère?
— Oh, oui. J’avais beau le cacher, quelqu’un découvrait
toujours ce que faisait ma mère. Evidemment, personne
n’avait le droit d’être ami avec moi — et de toute façon
personne ne le désirait. Quand j’étais seule dans la cour de
récréation, ou quand les autres me tourmentaient, je
m’inventais une autre vie. Chaque fois que je détestais la
situation dans laquelle je me trouvais...
— Tu n’as pas besoin de m’en parler, dit-il doucement,
après un long silence.
Elle se tourna alors et s’autorisa à le regarder. Pour la
dernière fois.
— Je veux que tu comprennes qui je suis.
— Tu n’es plus cette petite fille, remarqua-t-il en fronçant
les sourcils.
— Si. C’est elle qui a fait de moi ce que je suis.
Des larmes d’humiliation lui obscurcirent la vue et, pendant
quelques instants, elle se demanda si elle pourrait
continuer.
— Quand j’ai eu dix ans, ma mère a rencontré un homme
riche, dit-elle en clignant des paupières. Il l’a présentée à
un autre homme fortuné et toute sa clientèle a changé — je
suppose qu’on pourrait appeler cela une promotion. J’ai été
envoyée dans un pensionnat très chic.
— Les autres filles...
— Savaient-elles ce que faisait ma mère ? Oui ! s’exclama-
t-elle avec un rire amer. Les pères de plusieurs d’entre elles
étaient même ses clients —je crois qu’aucune d’elles ne
s’en est jamais rendu compte.
— Je comprends pourquoi ta vie au pensionnat a été si
dure.
— Ces filles m’ont ôté le peu d’assurance qui me restait. Et
je les ai laissées faire parce que je suppose que je me
haïssais autant qu’elles me haïssaient. Dès que je l’ai pu,
j’ai voyagé. J’espérais toujours laisser mon passé derrière
moi, mais évidemment ça ne fonctionne pas ainsi.
— Tu vois toujours ta mère ?
— Elle ne s’est jamais intéressée à moi, répondit Chantal
en secouant la tête.
Angelos resta silencieux pendant quelques instants.
— Et c’est pour cela que tu as décidé de ne jamais accepter
d’argent de la part d’un homme... Maintenant je
comprends.
— Je me suis juré de ne jamais laisser un homme
m’entretenir, dit-elle en le regardant dans les yeux.
Maintenant que tu as compris, expliqueras-tu tout cela à
ton père ? Je détesterais qu’il pense du mal de moi.
Les larmes se pressaient à présent sous ses paupières et
elle savait qu’elle ne pourrait plus les retenir longtemps.
— Chantal...
— Merci, Angelos.
Etouffée par l’humiliation, elle ne pouvait supporter
d’entendre ce qu’il voulait lui dire. Elle saisit son sac.
— Même si tu es affreusement riche et arrogant, je ne me
suis jamais sentie insignifiante avec toi. Tu es un homme
digne de respect, vraiment.
Puis, sans lui laisser le temps de répliquer, elle ouvrit la
portière et se précipita au milieu des voitures.
Sa vision était si brouillée par les larmes qu’elle faillit se
faire renverser plusieurs fois. Des klaxons se firent
entendre, des conducteurs lui crièrent des injures en grec,
mais elle continua à courir.
Elle parvint enfin de l’autre côté de la rue et se perdit dans
un dédale de petites rues. Quand elle estima qu’elle avait
mis assez de distance entre elle et Angelos, elle s’arrêta
enfin et s’appuya contre un mur.
Tout en reprenant son souffle, elle entendit des voix et un
bruit d’assiettes et de couverts provenant d’une cuisine
toute proche. Puis un homme cria quelque chose dans un
appartement situé au-dessus d’elle.
Chantal se rendit alors compte qu’elle pleurait. Lentement,
elle glissa sur le sol pour laisser la tristesse et le désespoir
la submerger.
10.

Chantal sortit son calepin de sa poche.


— Avez-vous choisi vos plats ?
— Vous nous accordez encore cinq minutes ?
Les touristes américains étaient plongés dans la lecture du
menu, essayant de traduire le nom des plats.
Elle leur sourit et regarda autour d’elle pour vérifier que
personne n’avait besoin d’elle. Incapable de s’en empêcher,
elle laissa errer son regard dans la rue. Mais il n’y avait pas
de voiture de sport, pas de milliardaire grec — personne.
A quoi s’attendait-elle ? se demanda-t-elle avec une triste
ironie. A ce qu’Angelos parte à sa recherche ? Ne lui avait-
elle pas dit qu’elle ne pouvait pas rester avec lui ?
De toute façon, il ne penserait jamais qu’elle ait pu choisir
de revenir à Paris. Il croirait plutôt qu’elle était partie à la
découverte d’un nouveau pays, comme elle l’avait toujours
fait dans le passé. C’était d’ailleurs ce qu’elle aurait dû
faire.
Mais elle n’avait pas été capable de s’y résoudre. Paris était
une ville qu’elle avait partagée avec Angelos. C’était
comme si, en restant là, elle gardait une petite partie de
lui.
Repoussant la tristesse qui menaçait de l’anéantir, elle
redressa les épaules et se dirigea de nouveau vers la table
des Américains pour les aider à faire leur choix.
Quand elle eut terminé de travailler, elle revint vers la
vieille maison dans laquelle elle louait un petit studio
meublé.
Tout en montant ses cinq étages, elle se demanda ce
qu’Angelos pouvait bien faire au même moment. Négociait-
il des contrats à New York ou discutait-il du cours des
actions avec son père, confortablement installé au bord de
la piscine?
Sentant sa gorge se nouer, Chantal poussa la porte de son
studio et s’arrêta net sur le seuil.
Angelos était étendu sur le sofa, dominant toute la pièce de
sa grâce virile...
Elle cligna des yeux plusieurs fois, se demandant si sa vue
lui jouait des tours.
— Que... comment es-tu entré?
— Ta propriétaire m’a ouvert la porte, dit-il en regardant
autour de lui. Je ne sais pas combien elle te prend pour le
loyer, mais de toute façon elle te vole. Cet endroit n’est pas
fait pour être habité par des êtres humains.
Abasourdie, Chantal referma la porte derrière elle.
— Que fais-tu ici ?
— Je suis venu chercher ce qui m’appartient, dit-il en lui
adressant un regard extrêmement possessif qui la fit
trembler des pieds à la tête.
— Angelos...
— Fais tes bagages. J’ai averti ta propriétaire que tu
partais. Ce studio est beaucoup trop petit pour toi.
— Je n’ai pas les moyens de m’offrir quelque chose de plus
grand, dit-elle en laissant tomber son sac sur le sol.
— Si, tu peux.
Chantal ferma les yeux. Allait-il recommencer ?
— Je t’ai déjà dit que je ne voulais pas de ton argent...
— Je ne t’en offre pas, dit-il d’une voix douce, en se levant
d’un bond. Assieds-toi, Chantal.
Ses jambes tremblaient si violemment qu’elle se laissa
tomber sur l’unique chaise sans protester. Puis elle
contempla le dossier qu’il venait de déposer sur ses
genoux.
— Qu’est-ce que c’est ?
— C’est ton projet professionnel.
— De quoi parles-tu ? demanda-t-elle en le regardant avec
stupéfaction. Je ne comprends rien.
Il lui adressa un sourire plein d’assurance.
— Je veux que nous soyons ensemble, et puisque tu tiens
absolument à rester indépendante financièrement, j’ai
trouvé une solution. Regarde ce dossier.
Confuse et perplexe, elle ouvrit la chemise cartonnée et en
sortit quelques feuillets.
— Zouvelekis Fashion ?
— Tu as déjà au moins vingt clientes qui attendent avec
impatience que tu te mettes au travail. Alors, dépêche-toi
de lire ce document, lui conseilla-t-il avec une lueur de
satisfaction au fond des yeux.
— Tu veux que je crée des vêtements ?
— Comprends-moi bien, dit-il d’une voix rauque. Du
moment que ton activité te procure ces revenus auxquels tu
tiens tant, je me fiche éperdument que tu crées des
vêtements ou que tu inventes de nouvelles recettes de
moussaka.
Elle feuilleta le dossier.
— Je ne pourrai jamais financer tout ce...
— Je savais que tu dirais cela, l’interrompit-il. Aussi ai-je
engagé quelqu’un de qualifié pour s’occuper de la question.
Après lui avoir pris le dossier des mains, il la força à se
lever.
— A toi de choisir ce qui te convient le mieux. Ou tu me
rembourses une somme à la fin de chaque mois, ou tu
acceptes de faire partie du groupe Zouvelekis.
— Angelos, je ne...
— Cesse de chercher des objections ! la prévint-il. Parce
que j’ai passé des heures à régler toutes ces questions. En
ce qui me concerne, le problème est résolu.
— Tu as passé des heures à t’en occuper?
— Oui.
— Tu as fait cela pour moi ?
— Non. Je l’ai fait pour moi, murmura-t-il. Afin que tu
acceptes enfin de vivre avec moi.
— Tu veux toujours vivre avec moi ?
— C’est difficile de faire vivre un mariage si les deux époux
ne sont pas ensemble.
Chantal sentit ses genoux trembler si violemment qu’elle
dut se rasseoir sur la chaise.
— Qu’est-ce que tu viens de dire ?
— Tu ne m’as pas compris ?
— Je... je ne sais pas quoi dire.
— Eh bien, laisse-moi parler. Tu me dois trois euros.
— Pourquoi?
D’un air mystérieux, Angelos sortit un petit objet de sa
poche.
— C’est le prix de cette bague.
Il l’attira de nouveau vers lui et la prit dans ses bras.
— Entre les moments où je rédigeais ton projet et les
recherches que je faisais sur le marché du stylisme et de la
mode, j’ai trouvé une bague. Un diamant rose rare, qui
avait été acheté par un cheikh pour sa plus jeune épouse.
Interdite, Chantal regarda le bijou fantaisie qu’il tenait
dans sa main.
— Ce n’est pas cette bague, comme tu le vois. Car je me
suis soudain rendu compte que, si je t’offrais un diamant
unique, tu l’accepterais seulement si je te laissais le payer.
— Oh..., murmura-t-elle en sentant son cœur s’affoler. Tu
commences à me connaître...
— Alors je t’ai acheté cela à la place, dit-il en lui prenant la
main pour glisser l’anneau à son doigt. C’est du toc et ça
m’a coûté trois euros. Si tu veux me rembourser, vas-y. Du
moment que tu acceptes de m’épouser...
— Tu veux m’épouser ? demanda Chantal d’une voix
tremblante.
— Pourquoi cela te surprend-il ?
— Eh bien, parce que... parce que je suis...
— Aimable, belle, généreuse, indépendante, modeste,
incroyablement sexy...
— Arrête ! le coupa-t-elle en riant nerveusement. Angelos,
tu ne peux pas m’épouser !
— Ne me dis jamais que je ne peux pas faire quelque
chose, lui conseilla-t-il d’une voix douce en lui caressant la
joue. C’est le meilleur moyen pour me pousser à réussir.
— Ma mère est une prostituée.
— Et alors ? Elle pourrait aussi bien être un hippopotame,
dit-il d’une voix rauque. Ce n’est pas elle que je veux
épouser, c’est toi.
Chantal ne put refouler le petit son qui sortit de sa gorge, à
mi-chemin entre un sanglot et un éclat de rire.
— Tu prends la mauvaise décision... Tu le regretteras... Tu
me trouveras embarrassante...
— Jamais ! Au contraire, je suis très fier de toi.
— Ton père...
— Mon père y tient absolument.
Il prit son visage entre ses mains et la regarda dans les
yeux.
— Tu es essentielle à notre famille. Mais je veux d’abord
savoir quelque chose. Le soir du bal, pourquoi as-tu dit à
mon père que nous nous aimions ?
— Parce que cela me paraissait un rêve merveilleux, dit-
elle timidement. Je faisais semblant d’y croire...
— Comme tu le faisais dans la cour de l’école, dit-il en
hochant la tête. Je m’en doutais. Ce n’est que quand tu es
partie que j’ai compris cela. Et que je me suis rendu
compte que tu m’aimais.
Qu’il connaisse ses sentiments la rendait affreusement
vulnérable. Chantal essaya de s’écarter, mais il la retint
fermement.
— Cette fois, tu ne t’échapperas pas, murmura-t-il.
— Angelos...
— Est-ce que tu as pensé à ce que j’ai ressenti ce soir-là,
quand tu m’as révélé toutes ces choses sur ta mère avant
de te précipiter au milieu des voitures ? J’ai cru que tu
allais te faire écraser !
— Je me sentais si mal...
— Je le savais et j’ai voulu te rattraper pour te dire que
tout cela n’avait aucune importance. Mais quand j’ai réussi
à traverser, tu avais disparu. Ensuite, j’ai compris que tu
avais ton passeport sur toi : j’ai envoyé des gens dans les
aéroports et dans les ferrys, mais personne n’a pu
retrouver ta trace.
— Oui, je garde toujours mon passeport avec moi, j’ai
tellement voyagé que c’est devenu un réflexe, expliqua-t-
elle. En fait, j’ai travaillé à Athènes pendant quelques
semaines jusqu’à ce que j’aie assez d’argent pour venir ici.
— Pourquoi à Paris ?
— Parce que…commença-t-elle d’une voix timide.
— Parce que c’est là que nous nous étions rencontrés,
n’est-ce pas ? C’est pour cela que j’ai décidé de chercher
ici.
Il l’attira contre lui.
— Promets-moi que tu ne t’enfuiras plus jamais loin de moi.
— Tu es affreusement possessif...
— Oui, parce que je t’aime.
— Moi aussi je t’aime, Angelos, murmura-t-elle en
enfouissant sa tête contre son torse. Je crois que je t’ai
aimé dès le premier instant où je t’ai vu.
— Je le sais. Comment aurait-il pu en être autrement?
Des larmes de joie plein les yeux, Chantal releva la tête et
le regarda.
— Quel homme arrogant...
— Je suis seulement sûr de moi, répliqua-t-il avec malice.
Acceptes-tu de m’épouser... pour faire de mon père le plus
heureux des hommes ?
— Tu sais, à ce bal à Paris, une ancienne compagne de
pensionnat a manqué me reconnaître. Elle est venue vers
moi et j’étais si terrifiée que je ne pouvais articuler un mot.
C’est là que ton père a volé à mon secours. Je l’ai adoré
tout de suite. Personne ne m’était jamais venu en aide.
— Eh bien, je peux t’assurer qu’il sera aux anges lorsqu’il
saura que nous allons nous marier.
— Je l’aime vraiment beaucoup, dit-elle en souriant.
Puis elle pencha la tête de côté.
— Zouvelekis Fashion..., reprit-elle. Tu veux que mon
entreprise porte ton nom ?
— Bientôt ce sera aussi le tien, agape mou. Et tout le
monde saura que tu es ma femme.
— Es-tu sûr que tu veux que tout le monde le sache ?
Devant son air exaspéré, Chantal rougit.
— Excuse-moi. Je ne peux pas changer en cinq minutes. Tu
dois m’apprendre comment faire — de la même façon que
tu m’as initiée à tous les plaisirs du sexe.
— Ah..., commença-t-il en penchant son visage vers le sien.
Je ne t’ai pas enseigné tous les plaisirs. Il en reste encore
quelques-uns que je serai ravi de te faire découvrir.
— C’est vrai ? demanda Chantal en lui passant les bras
autour du cou. Dans ce cas, qu’attends-tu ?

*
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