Apparence Trompeuse Sarah Morgan
Apparence Trompeuse Sarah Morgan
Apparence Trompeuse Sarah Morgan
Apparences trompeuses
COLLECTION AZUR
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise sous le titre :
BOUGHT : THE GREEK’S INNOCENT VIRGIN
© 2008, Sarah Morgan. © 2009, Traduction française
Résumé
Bouleversée, Chantal ne peut que se maudire d'avoir récupéré, dans une
corbeille de l'hôtel où elle travaille comme femme de chambre, l'invitation à
une soirée de bienfaisance organisée par le milliardaire Angelos Zouvelekis.
Si elle n'avait pas ainsi cédé à la tentation, elle n'aurait jamais rencontré
celui-ci et ne serait pas tombée sous le charme de cet homme arrogant qui la
prend pour une aventurière de la pire espèce!
Et voilà que, confirmant s'il en était besoin la mauvaise opinion qu'il a
d'elle, Angelos vient de lui proposer de l'argent pour qu'elle l'accompagne
en Grèce, sur son île, afin de jouer le rôle de sa fiancée aux yeux de son
père malade.
Une proposition que Chantal aurait volontiers repoussée, mais qu'émue par
le sort du vieil homme, elle n'a pas eu le courage de refuser...
1.
Interrompu au milieu de sa conversation avec
l’ambassadeur de Grèce par la voix puissante de son père,
Angelos se tourna vers ce dernier.
— J’ai trouvé une véritable déesse, Angelos.
— De quoi parles-tu?
Le fait que son père ait fait l’effort de se déplacer était bon
signe. Quelques mois plus tôt, brisé par un second divorce
douloureux, il refusait en effet toutes les occasions de sortir
de sa villa isolée.
— C’est la femme idéale pour toi.
Son père le regarda en secouant la tête d’un air faussement
scandalisé.
— Parfois, je me demande si tu es vraiment mon fils, reprit-
il. Tu es entouré de femmes splendides et que fais-tu ? Tu
passes ton temps avec des hommes ennuyeux à l’air
sinistre. Quelle erreur ai-je donc commise dans ton
éducation?
Voyant l’expression surprise de l’ambassadeur, Angelos
s’excusa poliment avant d’entraîner son père à l’écart.
— Ce soir, je suis là pour affaires. Tu sais bien que
j’organise ce bal tous les ans, dans le but de rassembler le
plus d’argent possible.
— Les affaires, toujours les affaires ! s’exclama son père en
levant les mains au ciel. Est-ce que les affaires te tiennent
chaud la nuit? Est-ce qu’elles te préparent à dîner? Avec
toi, il est toujours question d’affaires, Angelos, alors que tu
es déjà milliardaire ! Tu as assez d’argent ! Ce dont tu as
besoin, c’est d’une femme !
Plusieurs têtes se tournèrent dans leur direction, mais
Angelos se contenta de rire.
— Ce soir, je ne fais aucun profit, je rassemble de l’argent.
Et tout le monde te regarde. Reste tranquille, ajouta-t-il
malicieusement, sinon je vais demander aux agents de
sécurité de te mettre dehors.
Mais cela faisait si longtemps que son père n’avait pas
trouvé la force de venir l’ennuyer sur le sujet du mariage !
— Et je suis assez grand pour me trouver une femme tout
seul, enchaîna-t-il en riant de nouveau.
— Non. Pas celle qu’il te faut. Tu passes ton temps avec des
créatures qui ne feraient pas de bonnes épouses.
— C’est justement pour cela que je les choisis, murmura
Angelos.
Mais son père repoussa sa remarque d’un geste de la main.
— Tu parles ! Le monde entier est au courant de tes
conquêtes, Angelos, car elles s’étalent à la une de tous les
journaux. Une semaine, c’est Savannah, la suivante, Gisella
—jamais la même ! Et elles sont toutes si minces...
Il fit une grimace de dégoût.
— Comment peux-tu être heureux avec des femmes qui
n’aiment pas manger ? Est-ce qu’elles peuvent te préparer
des petits plats ? Certainement pas. Les femmes que tu
fréquentes ont des jambes sublimes et des crinières de
lionnes — et au lit, elles sont sans doute capables de
performances extraordinaires —, mais s’occuperaient-elles
de tes enfants ? Non. Est-ce qu’elles...
— Je n’ai pas besoin qu’une femme fasse la cuisine pour
moi. J’ai des employés qui s’en chargent.
L’espace d’un instant, Angelos se demanda si, après tout, il
n’avait pas fait une erreur en invitant son père à cette
soirée.
— Et je te rappelle que je n’ai pas d’enfants dont elles
pourraient s’occuper.
— Je sais bien que tu n’as pas d’enfants, répliqua son père
d’une voix exaspérée, et justement c’est là le problème : je
veux que tu en aies. Tu as trente-quatre ans et combien de
fois as-tu été marié? Aucune. Alors que moi, à soixante-
treize ans, je l’ai été trois fois. Il est temps que tu t’y
mettes, Angelos. Je veux être grand-père !
— Ariadne t’a déjà donné des petits-enfants.
— C’est différent. Ariadne est ma fille. Je veux tenir les fils
de mon fils dans mes bras.
— Je me marierai quand j’aurai trouvé une femme qui me
convient, pas avant.
Angelos entraîna son père sur le balcon qui entourait la
salle de réception. Il se retint de lui faire remarquer que
ses deux derniers mariages s’étaient conclus par un
désastre émotionnel et financier.
Jamais il ne commettrait la même erreur.
— Tu ne trouveras pas la femme idéale en fréquentant des
créatures filiformes ! Et que fais-tu à Paris ? Pourquoi ne
pas avoir organisé ce bal à Athènes ?
— L’univers ne se réduit pas à la Grèce, répliqua Angelos
en réprimant un bâillement. Mes affaires m’amènent à
voyager dans le monde entier.
— Et je n’ai jamais compris pourquoi ! Ai-je dû quitter la
Grèce pour gagner mon premier million ? Non !
Son père se retourna vers la salle de bal.
— Où est-elle passée ? Je ne la vois plus.
— Qui cherches-tu ?
— La déesse au corps superbe. Elle était parfaite. Non
seulement elle avait de beaux yeux bleus, des courbes
ravissantes, mais elle paraissait aussi très douce. Une
femme comme ça ferait une bonne mère, j’en suis sûr. Je la
vois très bien avec tes enfants blottis sur ses genoux et
attendant que la moussaka refroidisse sur la table.
Angelos regarda son père avec amusement.
— Je ne te conseille pas de lui dire cela. De nos jours, les
femmes n’apprécient pas ce genre de commentaire. Elles
aspirent à autre chose, crois-moi.
— En effet, celles que tu choisis ont d’autres aspirations,
répliqua son père avec mépris, tout en continuant à scruter
la salle de bal. Crois-moi, celle-ci était faite pour être mère.
Si tu ne veux pas d’elle, eh bien moi, je pourrais me...
— Ah non ! l’interrompit vivement Angelos.
Son père ne comprendrait-il donc jamais ?
— Promets-moi que cette fois tu te contenteras de
l’emmener dans ton lit. Ne l’épouse pas, lui conseilla-t-il en
prenant un verre de jus d’orange sur le plateau d’un
serveur qui passait à côté d’eux.
Puis il l’échangea avec le verre de champagne que tenait
son père.
— Tu ne penses qu’au sexe, Angelos. Moi, j’éprouve
beaucoup plus de respect envers les femmes.
— Très bien. Peux-tu m’expliquer en quoi Tara, elle, t’a
témoigné du respect ? As-tu déjà oublié qu’elle t’a quitté au
bout de six mois, après avoir obtenu de toi plus d’argent
qu’il n’en faut pour vivre jusqu’à la fin de ses jours ?
Son père crispa les doigts autour de son verre.
— Nous avions commis une erreur.
Une erreur ? songea Angelos en serrant les mâchoires.
Pour Tara, il était certain que ce mariage avait été une
réussite totale. Grâce à l’argent de Costas, elle était en
effet devenue une jeune femme extrêmement riche.
— Elle ne savait pas ce qu’elle voulait..., commença son
père, l’air soudain très vulnérable.
— Elle savait exactement ce qu’elle voulait ! l’interrompit
Angelos.
— Une relation entre un homme et une femme devrait être
faite d’amour et de sollicitude, soupira Costas.
Inquiet devant l’attitude de son père, Angelos décida en
silence de demander à ses agents de sécurité de veiller sur
lui afin de le protéger des femmes intéressées qui
s’approcheraient de lui.
Qu’attendait-il d’elle?
Surplombant tout Paris, le salon de la suite qu’il occupait
au dernier étage de l’hôtel était plus vaste que son studio
tout entier. En d’autres circonstances, Chantal aurait
savouré le panorama unique qui s’offrait à ses yeux, mais
pour l’instant elle demeurait dans un état de confusion
intense.
Si le tango qu’ils avaient dansé ensemble avait été chargé
d’un érotisme inouï, leur baiser avait été...
A vrai dire, elle était incapable de trouver un terme qui
puisse définir ce qu’elle ressentait encore maintenant.
Angelos ne la regardait même pas. Immobile devant
l’immense baie vitrée, il contemplait la vue sans dire un
mot.
Chantal n’était pas dupe. Il l’avait embrassée pour tromper
les gens qui assistaient à leur querelle, mais cette certitude
ne diminuait en rien l’alchimie qui avait explosé entre eux.
Cette alchimie était-elle la cause de la colère qu’elle sentait
vibrer en lui ?
Affreusement mal à l’aise, elle ne comprenait pas ce qui se
passait. Après l’avoir fait monter dans sa voiture, Angelos
n’avait pas desserré les lèvres. Il avait glissé adroitement
dans la circulation dense, avant de venir s’arrêter devant
l’hôtel le plus luxueux de Paris.
A ce moment-là, il avait fini par se tourner vers elle et lui
avait adressé un seul mot d’une voix glaciale :
Descendez.
Se souvenant des quelques semaines où elle avait travaillé
dans cet hôtel à son arrivée à Paris, elle avait préféré ne
pas attirer l’attention sur elle en se disputant avec lui sur le
trottoir. Aussi Chantal avait-elle simplement baissé la tête
avant de le suivre dans le hall, puis elle était montée avec
lui dans l’ascenseur qui menait directement à sa suite,
espérant que personne ne la reconnaîtrait.
Dès que la porte s’était refermée sur eux, elle avait
regretté de l’avoir suivi et maintenant qu’elle se retrouvait
seule avec lui, elle sentait ses nerfs vibrer à fleur de peau.
— Très bien, je suis là, dit-elle d’un air faussement
décontracté. Que vouliez-vous me dire ?
Comme Angelos restait immobile et muet, elle respira
profondément avant de poursuivre :
— Peut-être vaudrait-il mieux que je parte.
Il se retourna, les traits de son beau visage durs et tendus.
— Si vous partez, je vous ramènerai aussitôt ici, dit-il d’une
voix glaciale.
De plus en plus perplexe, Chantal se figea.
— Mettons quelque chose au point dès le départ, murmura-
t-elle. Je ne coucherai pas avec vous, alors si c’est de cela
qu’il s’agit, vous feriez mieux de me laisser partir tout de
suite.
Un silence tendu suivit sa déclaration. S’il n’avait pas
froncé légèrement les sourcils, elle aurait pu croire qu’il ne
l’avait pas entendue.
— Croyez-vous que j’aie besoin d’aller chercher une femme
dans la rue quand j’ai envie de faire l’amour? demanda-t-il
enfin.
— La façon dont vous vous comportez avec les femmes ne
m’intéresse pas.
— Vraiment? demanda-t-il d’un ton ironique. Vous espérez
que je vais vous croire après vous avoir tenue dans mes
bras au cours de ce bal ?
Se souvenant de l’intensité érotique du tango qu’ils avaient
dansé ensemble, Chantal sentit son cœur s’affoler.
— Ce n’était qu’une danse...
Mais elle se tut, incapable de soutenir le regard brûlant
qu’il dardait sur elle..
Et soudain tout recommença. Inexorablement, Chantal
sentit la puissante attirance qui les avait réunis, le soir du
bal, la posséder de nouveau.
Quelque chose frémit au fond des yeux d’Angelos, une
lueur sombre et dangereuse, et elle comprit qu’il pensait à
la même chose qu’elle — à l’anticipation exquise qui s’était
emparée de leurs corps quand ils avaient bougé ensemble,
à la passion retenue, à l’intimité délicieuse...
Ils continuèrent à se regarder jusqu’à ce que la sensualité
qui frémissait entre eux atteigne une intensité
insupportable.
Cette fois, ce fut lui qui brisa le silence.
— Dites-moi, commença-t-il d’une voix douce, est-ce ainsi
que vous piégez vos victimes ? Vous commencez par danser
avec elles ? Pour qu’elles vous essaient avant de...
— Je ne suis pas à vendre, monsieur Zouvelekis, le coupa-
t-elle, brutalement ramenée à la réalité.
— Je crois que les gens qui vous ont vue danser avec moi
auraient du mal à le croire.
Non seulement il transformait leur danse en une tentative
de séduction délibérée de sa part, mais il se permettait de
la juger.
— J’ai dansé avec vous parce que vous avez insisté, dit
Chantal en redressant les épaules. C’est vous qui m’avez
entraînée vers la piste comme un mâle arrogant et
possessif.
— Vous aviez tout manigancé, riposta-t-il avec mépris. Avec
un autre homme que moi, votre scénario aurait même pu
fonctionner.
— Je n’avais rien manigancé ! protesta-t-elle. Et c’est vous
qui êtes venu vers moi.
— Vous avez paradé devant moi dans une robe créée dans
le seul but d’attirer mon attention.
— Je n’ai pas paradé, répliqua-t-elle.
— Laissez-moi vous donner quelques précisions, dit-il d’une
voix doucereuse. Je suis grec. Et sur le plan de la séduction
nous sommes restés très traditionnels. Les Grecs aiment
choisir une femme et lui faire des avances.
Repensant à l’article qu’elle avait lu sur lui le lendemain du
bal, Chantal fronça les sourcils.
— Je vous prenais pour un homme beaucoup plus évolué.
Vous confiez des postes importants à des femmes, plus que
dans la plupart des autres entreprises.
— Il s’agit d’affaires. Dans ma vie personnelle, je suis très
traditionnel, dit-il d’une voix rauque. Et peu importe que ce
soit au bureau ou dans la chambre, l’important est de
trouver la femme adéquate. Or, en ce qui concerne le rôle
d’épouse, vous ne correspondez pas au profil idéal. La
prochaine fois, peaufinez davantage vos recherches et
choisissez mieux votre proie.
— Mes recherches ? répéta Chantal en secouant la tête.
Vous pensez que j’ai fait une étude sur vous dans le but de
vous séduire ?
— Vous croyez vraiment que je n’ai pas entendu parler de
vous ? lui lança-t-il avec un dédain évident.
Apparemment, cette Isabelle avait une réputation
d’aventurière redoutable... Désorientée, Chantal resta
immobile. Il était évident qu’elle devait tenter de le
convaincre qu’elle n’était pas Isabelle, mais si elle le faisait,
elle devrait avouer qu’elle était une voleuse et qu’elle avait
usurpé l’identité d’une autre. Etant donné qu’elle avait
ramassé le billet dans une poubelle, cela constituait-il un
délit ? Peut-être. Pouvait-elle être arrêtée pour cela ? Elle
n’en savait rien, mais Angelos Zouvelekis était
suffisamment en colère pour lui causer des ennuis.
Et elle n’avait pas besoin de cela. Dans ce cas, mieux valait
passer pour une aventurière que pour une voleuse. Pour
l’instant, le mieux était donc de lui en dire le moins
possible.
— Vous vous trompez sur mon compte, dit-elle.
— Je ne crois pas. Il est évident que vous êtes venue à ce
bal dans l’intention de me séduire.
— Je ne savais même pas qui vous étiez avant d’acheter un
journal, le lendemain.
— Vous croyez que je suis stupide?
— Non. Mais arrogant.
— Réaliste, ripostait-il. Et prudent. Apparemment, vous
ignorez qu’un grand nombre de femmes vous ont précédée.
Alors, je vais vous le répéter : jamais je ne serai attiré par
une femme de votre engeance. La malhonnêteté me
dégoûte
— encore plus chez une femme.
Chantal se figea, doublement soulagée de ne pas lui avoir
dit la vérité. Comment aurait-il pu comprendre ce qui
l’avait poussée à prendre ce billet dans la poubelle d’une
chambre d’hôtel ? Sur un simple claquement des doigts, cet
homme pouvait satisfaire le moindre de ses caprices. Que
pouvait-il savoir des épreuves qu’elle avait traversées ?
Piégée dans une situation dont elle était entièrement
responsable, Chantal frotta ses paumes moites sur sa jupe,
regrettant qu’elle ne soit pas plus longue. Elle se sentait
terriblement exposée, surtout à cet instant, tandis que le
regard d’Angelos descendait lentement sur ses jambes.
— Arrêtez de me regarder, dit-elle fermement.
— Si vous ne voulez pas qu’un homme vous regarde,
répliqua-t-il d’un ton cinglant, portez une jupe qui couvre
vos cuisses.
— Je m’habille comme je veux.
— Je suis entièrement d’accord, Isabelle, dit-il d’une voix
rauque. Mais puisque vous avez choisi cette jupe, ne vous
étonnez pas que les hommes réagissent en conséquence.
Chantal se mordit la lèvre. Elle avait menti uniquement
dans le but de se protéger, sans jamais faire de mal à
personne. Pour la première fois, elle se retrouvait prise à
son propre piège et cela la rendait horriblement nerveuse.
Après leur première rencontre, explosive, elle avait pensé
qu’Angelos ne voudrait jamais la revoir. Même à présent,
elle ne comprenait pas pourquoi il l’avait amenée ici, dans
sa chambre d’hôtel. D’abord, elle avait cru qu’il voulait
coucher avec elle, mais elle se rendait bien compte qu’il ne
s’agissait pas de cela.
— Qu’attendez-vous de moi ?
Visiblement tendu, il desserra le nœud de sa cravate d’une
main impatiente, ouvrit le premier bouton de sa chemise.
— Vous allez continuer longtemps cette comédie?
— Pardon?
— Ne faites pas semblant de ne pas comprendre de quoi je
parle, riposta-t-il en levant les bras d’un geste exaspéré.
Nous savons tous les deux que vous êtes venue à ce bal
dans le seul but de me rencontrer.
— Je vous ai déjà dit que c’était faux. Je...
— Vous vous êtes littéralement jetée sur mon chemin, la
coupa-t-il brutalement. Et dès que je vous ai adressé la
parole vous ne m’avez pas quitté des yeux un seul instant.
— Si vous l’avez remarqué, c’est que vous me regardiez,
vous aussi, releva Chantal.
Sa remarque ne fit rien pour calmer l’humeur de son
interlocuteur. Il marmonna quelque chose en grec et elle
devina d’instinct que ce n’était guère aimable.
— Je devrais vous féliciter, dit-il d’un ton ironique. Je
croyais avoir réussi à déjouer toutes les manœuvres
possibles, mais vous avez atteint un degré de stratégie
supérieur.
— Je comprends que vous soyez très en colère, mais...
— Vous avez raison, je suis très en colère. Durant ces
dernières années, des aventurières sont allées très loin
pour attirer mon attention. Elles se sont fait passer pour
des femmes d’affaires, d’autres ont postulé pour travailler
avec moi. Certaines d’entre elles ont réservé des tables
dans les restaurants où je vais dîner, ou bien elles ont
traîné devant ma maison dans l’espoir de tomber sur moi.
— Ça alors, c’est incroyable ! s’exclama Chantal, étonnée
malgré elle.
Ainsi, des femmes étaient capables de telles audaces pour
approcher quelqu’un...
— Ce n’est pas incroyable, c’est absolument intolérable.
— Ce doit être l’un des inconvénients d’être milliardaire, je
suppose. Ne préférez-vous pas en rire?
— Ce n’est pas amusant, répondit-il en lui lançant un
regard sévère. Surtout quand on va jusqu’à s’en prendre à
mon père dans le seul but de m’atteindre.
— Ah..., dit Chantal en sentant où il voulait en venir. A vrai
dire, ce n’est pas tout à fait ce qui s’est passé.
— C’est exactement ce qui s’est passé, riposta-t-il avec un
regard menaçant. Après avoir dansé avec moi, vous l’avez
pris comme cible.
— A ce moment-là, je ne savais pas encore qu’il était votre
père. Et c’est lui qui m’a abordée, pas le contraire.
— Evidemment ! Les belles femmes sont la faiblesse de
mon père — ce que vous saviez parfaitement.
— Je ne savais rien sur votre père avant ce soir-là. Mais je
l’ai trouvé vraiment adorable.
Angelos lui jeta un regard si féroce qu’elle se sentit frémir.
—: Je pense bien que vous l’avez trouvé adorable ! Il est
riche. Et vous avez un penchant pour les hommes fortunés,
n’est-ce pas, Isabelle ?
— Puisque vous semblez si sûr de la réponse, pourquoi me
posez-vous la question ?
Sans tenir compte de sa remarque, il enchaîna :
— D’après ce que je sais, l’une de vos deux dernières
victimes était même plus âgée que mon père. Vous vous en
êtes sortie avec deux divorces très avantageux pour vous,
n’est-ce pas ? Pour une femme de vingt-six ans, vous n’avez
pas perdu de temps.
Chantal retint son souffle. Cette Isabelle avait épousé deux
hommes ? Dont l’un était apparemment beaucoup plus âgé
qu’elle? Finalement, elle avait peut-être eu tort de ne pas
lui avoir révélé sa véritable identité... En tout cas, la
situation empirait à chaque instant. Elle ferait mieux de
sortir de là et d’oublier cette histoire une fois pour toutes.
— Apparemment, vous n’appréciez pas vraiment ma
compagnie, commença-t-elle prudemment. Alors, pourquoi
êtes-vous venu me chercher ?
— A cause des mensonges que vous avez dits à mon père.
— Quels mensonges ?
— Vous lui avez dit que vous étiez tombée amoureuse de
moi dès le premier instant où vous m’aviez vu. Vous vous
souvenez à présent, ou dois-je continuer?
— Eh bien, je n’ai pas exactement... Il a supposé...
Un muscle tressaillit dans sa mâchoire bien dessinée.
— Et l’avez-vous détrompé ?
— Non, répondit Chantal dans un souffle.
— Bien sûr que non, dit-il d’un ton mielleux. Probablement
parce que votre plan se déroulait à merveille.
— Comment le fait de parler à votre père m’aurait-il aidée
à vous épouser ? demanda Chantal en se demandant de
nouveau ce qui l’avait rendu si méfiant envers les femmes.
— Vous avez vu son visage radieux, bon sang ! Vous avez vu
combien il était ravi quand il a cru que nous étions
amoureux !
— Je crois qu’il a très envie de vous voir marié, en effet,
dit-elle, attendrie au souvenir du vieil homme. Mais je suis
sûre que vous lui avez expliqué qu’il ne s’agissait que d’un
malentendu, et qu’il l’a compris.
Angelos se détourna, les épaules raides de tension.
— Malheureusement, je n’ai pas pu lui en parier.
— Pourquoi?
— Mon père a eu une crise cardiaque cette nuit-là, dit-il en
se retournant, le regard dur. Il est resté à l’hôpital ici
pendant une semaine et ensuite je l’ai fait rapatrier en
Grèce.
— Non ! s’exclama Chantal, sincèrement peinée. Dites-moi
que ce n’est pas vrai...
— Vous pensez que je plaisanterais sur un tel sujet ?
demanda-t-il d’un ton lugubre.
— Non, bien sûr... Je...
Elle se sentait si bouleversée qu’elle dut faire un effort
pour se ressaisir. Qu’est-ce qui lui arrivait? Ce n’était pas
son père à elle. C’était ridicule de réagir aussi violemment.
— Excusez-moi. Je... Va-t-il s’en sortir?
— En quoi cela vous concerne-t-il ?
— Je l’aime vraiment beaucoup. Est-ce qu’il va mieux,
maintenant ?
— D’après les médecins, il s’en est sorti par miracle. Et il
semble déterminé à vivre assez longtemps pour assister à
mon mariage, avec la femme merveilleuse qu’il a vue dans
mes bras, le soir du bal.
— Je suis heureuse qu’il aille mieux, mais...
Comprenant soudain le sens des paroles d’Angelos, Chantal
s’interrompit brusquement.
— Vous ne lui avez pas..., reprit-elle. Vous ne lui avez pas
dit la vérité, n’est-ce pas ?
— Qu’en pensez-vous ?
Elle pensait qu’il aimait son père. Pour les Grecs, la famille
comptait plus que tout.
— Apparemment, vous ne lui avez rien dit à cause de son
état, ce que je comprends parfaitement.
Mal à l’aise, elle s’éclaircit la gorge.
— Ainsi, reprit-elle, cela veut dire qu’il croit toujours que
nous... que nous sommes...
— Amoureux, enchaîna Angelos. Fous l’un de l’autre.
Toutes les balivernes que vous lui avez dites ce soir-là. Dès
qu’il est allé mieux, il s’est amusé à donner des prénoms à
ses futurs petits-enfants pour passer le temps dans sa
chambre d’hôpital.
— Oh...
Chantal réfléchit rapidement.
— Et maintenant, vous attendez le bon moment pour lui
expliquer qu’il s’agissait d’un malentendu ?
— Et quand croyez-vous qu’il sera ravi d’apprendre cette
nouvelle ? riposta-t-il d’un ton mordant. Avant ou après sa
prochaine crise cardiaque ? Car les médecins ne m’ont pas
caché que c’était hélas une éventualité.
— J’espère sincèrement qu’ils se trompent, dit-elle,
horrifiée.
— Moi aussi, dit-il d’un air sombre.
— Est-ce qu’il se repose dans un endroit agréable ?
— Pour l’instant, il est sur mon île.
Angelos possédait une île? Heureusement qu’elle n’avait
pas su qui il était le soir où elle l’avait rencontré, songea
Chantal. Parce qu’elle n’aurait jamais eu le courage de lui
adresser la parole.
— Il est tout seul sur une île ? Vous croyez que...
— Il y a une équipe d’infirmières et de médecins qui
s’occupent de lui, l’interrompit-il. Et j’ai F intention de le
rejoindre rapidement.
— Eh bien, dans ce cas... Je suis sûre qu’une fois que vous
serez là-bas vous trouverez le bon moment pour lui dire
que nous ne sommes pas exactement... ensemble.
— Je n’ai pas l’intention de le lui dire. En tout cas, pas
avant qu’il n’aille mieux. Au contraire, les médecins ont dit
qu’il fallait lui éviter tout souci durant les prochaines
semaines. Il doit être entouré des personnes qu’il aime et
en qui il a confiance.
— Très bien, cela me semble raisonnable, dit Chantal en le
regardant. Que... qu’ai-je à voir là-dedans ?
Une lueur indéchiffrable au fond des yeux, Angelos lui dit
sèchement :
Malheureusement pour vous et moi, vous avez tellement
bien joué votre petite comédie que mon père a énormément
apprécié votre compagnie. Il attend votre arrivée avec
impatience afin de faire plus ample connaissance avec sa
future belle-fille.
4.
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