Un Hiver Pour Te Resister Morgane Moncomble
Un Hiver Pour Te Resister Morgane Moncomble
Un Hiver Pour Te Resister Morgane Moncomble
Ce livre est une fiction. Toute référence à des événements historiques, des personnages ou
des lieux réels serait utilisée de façon fictive. Les autres noms, personnages, lieux et
événements sont issus de l’imagination de l’auteure, et toute ressemblance avec des
personnages vivants ou ayant existé serait totalement fortuite.
Tous droits réservés y compris le droit de reproduction de ce livre ou de quelque citation
que ce soit, sous n’importe quelle forme.
ISBN : 9782755670578
Copyright
Dédicace
Avant-propos
Playlist
Prologue
Décembre
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Janvier
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Février
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Mars
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Chapitre 42
Chapitre 43
Chapitre 44
Chapitre 45
Chapitre 46
Épilogue
Remerciements
AVANT-PROPOS
J’avais treize ans la première fois que j’ai vu Orion Williams patiner, à
la télévision. Je me souviens encore de la seconde exacte où j’ai perdu le
souffle. Du battement irrégulier de mon cœur, boom BOOM boom, qui
s’affolait à chacun de ses mouvements. Je me rappelle avoir posé la main
sur ma poitrine, comme pour l’en empêcher, sans grand succès. J’étais
hypnotisée.
J’ai honte d’avoir pensé faire face à un ange, dont la tête baignait dans
la lumière des cieux. Son corps était long et gracieux, son expression
mélancolique, ses gestes aussi fluides que le courant d’un ruisseau. Il est
devenu un modèle, une motivation, un but auquel aspirer.
J’ai travaillé comme une acharnée pour avoir la chance de le rencontrer,
si ce n’est de lui arriver à la cheville. Cela m’a pris six ans, mais j’y suis
parvenue. Il est là, en chair et en os, au centre de l’arène glacée, vêtu d’un
pantalon et d’un haut en dentelle, noirs, à l’image d’un prince de la Mort.
Les plumes sombres qui lèchent ses manches lui donnent quant à elles un
air céleste, presque irréel, tandis que les perles dorées le long de son torse
attirent l’œil… et la lumière.
La robe légère d’Harper, sa partenaire, volette contre ses cuisses. Elle
m’évoque une déesse éprise du Diable.
Je me tiens au bord de la patinoire, tout étirement oublié, lorsque le son
d’un violoncelle électrique résonne et me fait sursauter. Mes yeux sont rivés
sur Orion comme s’il était le seul sur la glace. Celui-ci réagit
immédiatement et se jette à corps perdu dans la musique.
C’est aujourd’hui un guerrier qui glisse à toute allure. Je reconnais tout
de suite la mélodie qui fait se recouvrir mes bras de frissons. Hans Zimmer.
« Wonder Woman Theme ».
Toute la salle est aussi ensorcelée que moi par la bataille que livre Orion
contre lui-même. Ses pas sont pressés, ses gestes enragés, comme si le
diable possédait son âme le temps d’une performance. Il utilise son corps
telle une épée, les sourcils froncés dans un mélange de concentration et de
détermination. Le mince et cruel sourire qui trône sur ses lèvres laisse
deviner une arrogance à peine feinte. Il sait. Il est bien conscient d’être le
meilleur.
Mon cœur bat la chamade lorsqu’il tente un quadruple axel mal
réceptionné. Il chute, sans surprise face à la difficulté du saut, mais se
reprend aussitôt sur un enchaînement de pas rapides. C’est comme s’il avait
la Faucheuse aux trousses.
Je suis bouche bée, à la fois jalouse et admirative, lorsqu’il effectue la
seconde moitié de son programme comme une scène de combat. Orion
affronte un adversaire beau mais dangereux, du prénom d’Harper,
enchaînant figure après figure avec puissance et magnétisme. La foule ne
tarde pas à applaudir ce spectacle éblouissant.
Je sais que mon partenaire et moi ne réussirons pas à égaler leur
performance, du moins pas aujourd’hui. C’est mon deuxième Championnat
du monde chez les seniors, et mon premier face à Orion. C’est déjà une
chance de pouvoir rivaliser avec lui.
– Tu vas enfin pouvoir lui demander un autographe ! s’est
enthousiasmée ma mère quand elle a appris la nouvelle de ma sélection.
Tout le monde connaît mon admiration pour Orion… et pas seulement
parce qu’un poster de lui traîne sur la porte de ma chambre.
– Autographe qu’elle embrassera en secret chaque soir à la place de son
oreiller, s’est moqué mon frère, ce qui lui a valu un doigt d’honneur.
Qu’on soit clair : je n’embrasse pas mon oreiller. Je n’embrasse
personne, d’ailleurs. Et c’est un choix !
À la fin de sa prestation, je regarde Orion saluer le public avec grâce et
humilité, la poitrine se levant au rythme de sa respiration entrecoupée. C’est
avec fascination que j’observe ses fans jeter des bouquets de fleurs sur la
glace, ainsi que des peluches à l’effigie de son chien, un dalmatien nommé
Princesse. Des patineuses s’occupent de les ramasser tandis que le jeune
champion sort de l’arène en compagnie de sa partenaire.
– Lily, prépare-toi, m’interpelle ma coach. C’est à vous. Où est Walter ?
Je veux acquiescer, tout en dézippant ma doudoune pour révéler ma
robe de patinage en velours, mais soudain je remarque qu’il vient dans ma
direction. Mes yeux s’écarquillent, je veux paraître cool et décontractée,
mais c’est plus fort que moi : je panique. Du haut de ses vingt-trois ans,
Orion est comme une légende pour moi. Un mythe, aussi conceptuel que la
guerre de Troie ou l’engloutissement de l’Atlantide. Pourtant, il se
matérialise devant moi.
Ses cheveux courts et crépus frisent sur le haut de son crâne, et des
perles de sueur accrochent ses tempes à la peau métissée. Il est grand, le
tissu noir de son costume moulant son buste musclé et longiligne, et son
aura écrase toute pensée cohérente de mon esprit.
Orion passe la brèche qui sert d’entrée et de sortie, puis il s’arrête juste
à côté de moi en reprenant son souffle. Sa partenaire l’étreint joyeusement,
ses cheveux blonds attachés dans un chignon parfait, avant d’aller rejoindre
leur coach.
Il se retrouve seul, saluant la foule de la main. C’est mon moment. Je ne
sais absolument pas quoi faire. Dois-je lui dire bonjour ? Me présenter ?
Le féliciter, peut-être ?
Je n’ai pas le temps de prendre une décision. Son regard ébène se pose
sur moi lorsque quelqu’un lui tend une bouteille d’eau en le complimentant
sur sa performance. Je me fige, immobilisée par le trac. Je dois dire quelque
chose, n’importe quoi, au risque de passer pour une idiote ! Mais mes lèvres
sont fermement scellées. Je ne suis bonne qu’à déglutir, mes patins prenant
racine dans le sol.
Elizabeth Linh Pham, du nerf ! Tu es en train de t’humilier devant
Orion Williams.
Ce dernier fronce les sourcils en me voyant le scruter avec insistance,
probablement gêné par cette attention non désirée. Je sais de quoi j’ai l’air,
pourtant je n’arrive pas à détourner les yeux. J’espère ne pas rougir comme
une groupie énamourée, ce n’est pas mon genre en temps normal.
– Tu es la suivante ?
Il me parle. Orion Williams s’adresse à moi.
J’ouvre la bouche, mais rien n’en sort. Alors je hoche bêtement la tête.
Il doit sûrement avoir l’habitude de provoquer ce genre de choc. Je ne suis
pas la première fan qu’il croise. Je m’attends à ce qu’il reparte sans rien
dire, et je ne lui en voudrais pas. Au lieu de ça, la magie opère comme dans
un rêve – un rêve dont j’aimerais ne jamais me réveiller –, un sourire amusé
illumine soudain son visage, et il pose une main gantée sur mon épaule.
– Bonne chance, alors. Je te regarderai.
« Bonne chance » ? Je n’ai pas besoin de chance !
Il n’a pas le temps d’apercevoir ma réaction car son coach le tire par le
bras pour aller vérifier son score.
L’endroit qu’il a touché brûle sous le velours de mon costume, preuve
que je n’ai pas halluciné son geste. Je suis traversée par une fierté étrange à
l’idée qu’il me connaisse, qu’il m’encourage, moi. Et à la fois, cela veut
dire qu’il ne me considère pas comme une rivale, il me souhaiterait sinon
plutôt de perdre. Sa remarque me pique au vif, mais je me reprends. Il a
raison, après tout : je ne suis pas de taille. Pas encore. Mais un jour, je le
serai.
Un jour, je serai sa rivale.
Un jour, je battrai son record.
Ma tête vibre encore d’une euphorie mal contenue quand Walter, mon
partenaire, apparaît enfin.
– Pardon, j’étais aux toilettes, s’excuse-t-il en me prenant la main.
Il m’emmène sur la glace, ornant son visage d’un sourire hypocrite.
Je sais que nous n’avons aucune chance face à Orion et Harper, mais je me
promets de tout donner aujourd’hui. Je veux qu’il connaisse mon nom.
Je veux qu’il m’applaudisse à son tour, sans savoir qu’il m’inspire depuis
des années, ni que je rêve d’être son successeur.
– Prête ? chuchote Walter quand nous posons au centre de la patinoire.
Je prends une grande inspiration, faisant disparaître de mon esprit le
monde autour de moi, tous les spectateurs impatients et les journalistes
caméra sur l’épaule.
– Toujours.
Une respiration.
Deux respirations.
Trois res…
Mon corps bouge une nanoseconde avant que la musique ne démarre.
Je suis habitée par une nouvelle détermination lorsque la mélodie féerique
de « Chandelier » 1 rythme mes pas. Le froid souffle sur mes joues et dans
ma perruque bicolore, il soulève ma jupe à mesure que je file.
Je ne fais plus attention à rien, si ce n’est à l’harmonie entre mon
partenaire et moi. Nous patinons, dansons et volons comme des
marionnettes animées, avides de liberté.
Nos figures parfaitement exécutées nous valent des applaudissements,
mais cela ne me suffit pas. Malgré notre créativité et notre technique sans
faille, ce n’est pas assez. Nous manquons de mise en danger, de risque.
D’émotions. Ce que je réclame depuis des mois, mais que Walter refuse,
préférant se reposer sur ses lauriers. Je veux montrer au monde de quoi je
suis capable.
Une confiance débordante éclot au centre de ma poitrine. Je ne réfléchis
plus de manière sensée. Et si je prenais une liberté ? Une folie qui nous
coûtera le podium – ou l’une de mes jambes –, mais je suis persuadée de ne
pas en faire partie, de toute façon.
Un sourire excité naît sur ma bouche, ce qui attire l’attention de Walter.
Son regard aperçoit ma posture à distance, et je le vois pâlir. Il devine ce
que je vais faire une seconde trop tard.
Je ne me laisse pas le temps de changer d’avis ou d’avoir peur. Je calme
ma respiration et pousse sur mes pieds pour bondir avec élan. J’effectue un
salto arrière malgré l’interdiction formelle que cette figure représente,
principalement à cause de sa dangerosité. Figure réussie une fois
uniquement en compétition, par Surya Bonaly, et qui porte son nom depuis.
Le temps semble se suspendre lors d’une courte éternité.
Je vais tomber sur le crâne. Je vais me briser le dos.
L’horloge se remet à tourner et, soudain, je retombe… sur un seul pied !
Ce sont les yeux ébahis de Walter qui me font comprendre que j’ai
réussi. Je l’ai fait !
Mes jambes tremblent si fort que j’ai peur qu’elles ne me lâchent, mais
je continue à patiner pour prendre sa main dans la mienne. La foule hurle,
mais je n’y fais pas attention. Mon cœur tambourine dans mes oreilles, trop
fort, noyant tout autre bruit. La fierté doit se lire sur mon visage tandis que
nous poursuivons notre programme.
Lorsque la musique prend fin, Walter secoue la tête dans ma direction.
Il a l’air remué, admiratif, mais énervé aussi. J’ai été égoïste, je n’ai pas une
seule seconde songé à lui quand j’ai accepté d’être punie pour mon acte de
rébellion.
– Qu’est-ce qui t’a pris ?
– Je suis désolée, je déclare en souriant, les larmes aux yeux.
Nous savons tous les deux que je ne le suis pas.
– Tu fais toujours ça… marmonne-t-il entre ses dents serrées. Tu ne
penses qu’à toi.
Il n’a pas tort, c’est pourquoi je me retiens de lui dire que lui et moi
sommes différents. Walter est devenu patineur parce qu’il aime ça, je suis
devenue patineuse parce que je ne peux pas respirer sans ça. Il se contente
d’effectuer des programmes lisses et faciles sans jamais se challenger, là où
je veux me perfectionner toujours un peu plus. Je veux transpirer, sentir la
douleur lancinante des courbatures dans mes membres, verser des larmes de
travail acharné.
Mon seul adversaire est mon propre potentiel.
Mon seul ennemi, mon perfectionnisme.
Je cherche Orion des yeux en quittant la glace, consciente de l’attention
générale qui pèse sur moi et des commentaires ahuris des juges.
Malheureusement, je ne le vois nulle part, mais j’espère que lui m’a vue.
Ma coach me fusille du regard en silence mais garde ses remontrances
pour plus tard, quand nous serons seuls. Je n’ai même pas la décence de
paraître désolée.
Mon non-respect des règles nous vaut une forte pénalité. Orion et
Harper remportent la médaille d’or, ce qui ne surprend personne, tandis que
Walter et moi tombons à la dernière place. Pourtant, je n’ai aucun regret.
Parce qu’après aujourd’hui, je sais que les gens se souviendront de mon
nom.
LILY
Décembre 2023, Montréal
– Encore ! s’écrie Isabella, les bras croisés. Tu dois être plus gainée, tu
es trop molle.
Je me relève difficilement, cachant ma grimace de douleur. La sueur
colle mes cheveux à mon front, et tout mon corps proteste contre une
énième tentative, mais j’obéis malgré tout.
Mon legging de sport est recouvert des résidus givrés que mes
incessants essais ont laissés derrière eux, et pour cause : j’ai passé l’après-
midi à répéter mon triple axel. Je suis tombée sept fois sous le regard
désapprobateur de ma coach et celui, rempli de pitié, de mes camarades.
Piper, notamment, qui s’entraîne elle aussi.
Mon amie m’offre un sourire encourageant tandis que je glisse,
déterminée à exécuter un saut parfait. Jusqu’ici, j’en réussis deux sur trois
seulement. Je plie les genoux et jette ma jambe libre vers l’avant. Mon
corps prend son envol et effectue un, deux, puis trois rotations et demie.
Mais lorsque je retombe, mes muscles épuisés cèdent sous le poids du choc.
Je m’effondre violemment au sol.
– Putain !
J’y étais presque.
Je suis tellement énervée par mon échec que je laisse échapper ce juron
à voix haute. Piper patine jusqu’à moi et me tend la main pour m’aider à me
relever. J’accepte à contrecœur.
– Merci, je chuchote tout bas.
Isabella me scrute depuis les gradins, l’expression sévère. Je sais ce
qu’elle pense : que je ne suis pas encore prête pour gagner les Mondiaux.
Elle a raison, même si je suis déterminée à l’être dans quatre mois.
– Tu vas devoir travailler ta réception, m’assène-t-elle lorsque je la
rejoins après avoir évité les élèves qui continuent leurs figures sans faire
attention à moi. Tu n’es pas assez concentrée.
– Je n’ai pas bien dormi cette nuit…
– Tu manges correctement, en ce moment ? Tu as l’air d’avoir pris du
poids. Demain matin, on te pèsera.
Je hoche la tête en silence, même si j’aimerais lui rappeler que je suis là
depuis huit heures ce matin et que j’ai à peine pris une pause pour déjeuner
ce midi. Comme les six derniers jours de la semaine. Je ne vois pas
comment j’aurais pu prendre du poids.
– Va te reposer, m’ordonne-t-elle. Tu ne me sers à rien dans cet état.
Au même moment, Piper effectue un double salchow et retombe
parfaitement sur son pied. Isabella la félicite, ce qui m’étonne. Elle n’est
pas généreuse en compliments ; j’en sais quelque chose, ça fait trois ans que
je me la coltine.
Après les Mondiaux, qui m’ont valu la dernière place aux côtés de
Walter, j’ai changé de club pour me rapprocher d’Orion Williams. Mon
frère me traite de stalker, mais il ne comprend pas. Si son entraîneur a
réussi à faire de lui le meilleur espoir de sa génération, alors c’est lui qu’il
me faut. Évidemment, il a fallu qu’Orion disparaisse au moment où je suis
arrivée… Finalement, c’est Isabella qui m’a récupérée et je n’ai pas eu mon
mot à dire sur mon nouveau partenaire : Oliver.
– Qu’est-ce que tu fais encore là ? me demande ma coach en voyant que
je suis toujours au bord de la glace. Oust !
Je ne me fais pas prier. Habituellement, je suis du genre à rester jusqu’à
la fermeture de la patinoire. Je ne me plains jamais. Je continue les
exercices sans relâche, et ce malgré les bleus et la transpiration. Mais
aujourd’hui, je tombe de fatigue.
Je rejoins le vestiaire en boitant, ma fesse droite rendue particulièrement
douloureuse par mes nombreuses chutes. Je me déshabille et grimace en
voyant l’hématome qui commence déjà à fleurir sur ma hanche.
– Waouh ! Tu ne t’es pas ratée.
Je tourne la tête vers Piper, qui m’a suivie, et accepte la poche de glace
qu’elle me tend. Je presse cette dernière sur ma blessure et sens
immédiatement la souffrance s’estomper.
– Pourquoi suis-je la seule à m’entraîner si dur ? je soupire en
m’asseyant, seulement vêtue de mes sous-vêtements de sport. Où est
Oliver ?
Je ne sais même pas pourquoi je pose la question. Mon partenaire est
probablement en train de boire des coups avec des amis, ou de faire une
sieste sur son canapé. La pression ? Il ne connaît pas. Le travail acharné non
plus, de toute évidence. C’est bien ce qui nous différencie le plus, et aussi la
raison pour laquelle – même si je ne l’ai jamais dit à personne – je sais qu’il
ne m’emmènera jamais là où j’ai envie d’aller.
Deux juniors passent soudain les portes du vestiaire, et la première
m’interpelle :
– Lily, ton frère est là.
Je grogne dans ma barbe. Je déteste les jours où mon aîné vient me
chercher. Pas seulement parce qu’il me force à écouter son rap idiot dans la
voiture – et son chant approximatif –, mais surtout parce que les filles
deviennent dingues chaque fois qu’il est dans les alentours.
– Jane est là ? s’étonne Piper, qui se recoiffe furtivement.
Je l’observe dans un masque figé par l’horreur. J’ai l’habitude que mes
amies craquent pour mon abruti de frère, et ce depuis l’école primaire.
Je n’ai jamais compris pourquoi. Je dois toujours leur préciser que ce joueur
de hockey au sourire charmeur est le même qui change de chaussettes une
fois toutes les pleines lunes et qui mange de la pizza vieille de trois jours.
Ayez des standards, merde !
– Non… Piper, je t’en supplie, pas toi.
– Quoi ?
– N’importe qui mais pas Jane !
Elle rougit avant de me fusiller du regard.
– Que tu le veuilles ou non, ton frère est canon. Contrairement à toi,
rendue aveugle par les liens du sang, j’ai des yeux en parfait état de
fonctionnement.
Je fais mine de vomir, ce qui la fait marrer. C’est plutôt elle et toutes les
autres qui sont aveuglées par l’uniforme que mon frangin porte sur la glace.
Les filles en raffolent. Je ne serais d’ailleurs pas étonnée d’apprendre que
Jane ait choisi ce métier pour cette raison.
– Sérieusement… Il y a des milliards d’hommes sur Terre, tous plus
décevants les uns que les autres, et tu jettes ton dévolu sur mon frère ?
– S’ils sont tous aussi décevants les uns que les autres, autant opter pour
un beau à tomber à la renverse, non ? sourit-elle dans ma direction. Je suis
sûre qu’il donne de bons cun…
Je refoule un deuxième haut-le-cœur, si bien qu’elle éclate de rire avant
de finir sa phrase. Je refuse d’en entendre davantage.
– Je t’enverrai la facture de mes prochaines séances chez la psy, je lui
annonce en rangeant mes patins dans mon sac.
– Avec plaisir. Tiens, pour tes fesses, dit-elle en me tendant un tube de
crème.
Je la remercie en finissant de me rhabiller. Jane est un crétin dont le
hobby est de faire de ma vie un enfer. Mon nom de contact sur son
téléphone est « Kreattur », en référence à l’elfe de maison dans Harry
Potter 1. Malgré ça, il vient me chercher en voiture chaque fois qu’il en a
l’occasion et m’évite ainsi de rentrer à pied sous la neige. Il n’a pas que des
défauts…
– Bordel, vous avez entendu ? murmure une fille qui entre dans le
vestiaire, la mine inquiète.
Son groupe d’amies lui demande ce qu’il se passe. Les autres jettent des
coups d’œil curieux dans leur direction, comme Piper et moi. Je décide
toutefois de ne pas jouer les commères et me concentre sur les lacets de mes
baskets. Je déteste les ragots, et pas seulement parce que ces mêmes filles
parlent derrière mon dos quand ça les arrange. C’est chacun pour sa
pomme, ici. La sororité ? Ça n’existe pas.
Je suis sur le point de partir, après avoir enfilé mon manteau, quand je
sens tous les regards pivoter vers moi. Je me fige sans comprendre.
Quelques patineuses semblent horrifiées, la main plaquée sur leur bouche,
tandis que d’autres m’offrent des grimaces compatissantes.
– Je peux savoir ce qu’il se passe ? je demande tout haut, les doigts
serrés autour de la sangle de mon sac.
Aucune n’a le courage de m’annoncer la nouvelle. Finalement, c’est
Piper qui répète la question. L’une des filles se racle la gorge, gênée, et le
terrible verdict tombe :
– Oliver a été admis à l’hôpital. J’ai entendu Isabella au téléphone il y a
tout juste cinq minutes…
Le choc me heurte de plein fouet. Je vacille, mais Piper me rattrape par
le coude. Je ne m’attendais pas du tout à cela. Oliver est blessé ?
J’ai beau avoir prié pendant des mois pour qu’on me change de
partenaire, je n’ai jamais voulu qu’il lui arrive malheur, je le jure !
Je sors du vestiaire avec urgence, paniquée. Mon cœur bat la chamade
lorsque je trouve enfin ma coach, près des gradins. Elle est en pleine
discussion avec un homme brun et imposant à qui je n’accorde aucune
attention.
– Isabella ! je l’interpelle en essayant de ne pas laisser ma peur
transpirer. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Comment va Oliver ?
Celle-ci relève la tête en me voyant arriver, puis elle pose une main
rassurante sur mon épaule.
– Syndrome des loges… C’est sa jambe.
Je me fige dans une expression interdite. Le syndrome des loges est une
blessure courante chez certains sportifs, caractérisée par une pression
accrue autour de certains muscles, si forte qu’elle interrompt l’apport
sanguin. Dans des cas graves, où les tissus meurent dans le membre, il peut
en entraîner la perte. Ce genre de scénario est une tragédie pour n’importe
qui, mais le pire des cauchemars pour un athlète.
– Il va être opéré, c’est ça ?
Isabella acquiesce tandis que j’accuse un frisson d’horreur. Je l’imagine
à l’hôpital, seul, terrifié de perdre sa jambe. Son outil de travail. Je ne le
formule pas à voix haute, car je sais ce que les gens diront. Oliver lui-même
répète que je n’ai aucun cœur, que je ne pense qu’à ma petite personne.
J’apprends qu’il va peut-être être amputé, et la première chose qui
m’inquiète est l’arrêt de sa carrière. Parce que pour moi, c’est le plus
important.
Sans le patinage, je ne suis rien.
– J’espère qu’il n’a pas peur…
– Ce genre de choses arrive. Il va s’en sortir.
Je hoche la tête, perdue dans mes pensées. Si Oliver est opéré
maintenant et que tout se passe comme prévu, il va accumuler du retard sur
l’entraînement. Or, nous devons performer au Championnat du Canada d’ici
tout juste un mois, et aux Mondiaux dans moins de quatre. C’est un
handicap, mais nous pouvons l’affronter. Je ferai en sorte de prendre assez
d’avance pour compenser le reste, quitte à répéter ce triple axel jour et nuit.
– Il sera de retour sur la glace à temps pour janvier, tu crois ? Je suppose
qu’il doit se reposer après son opération, mais…
Les mots meurent sur ma langue. Isabella me regarde comme si j’étais
idiote. Son interlocuteur, jusqu’ici silencieux, soupire avec compassion.
C’est en me tournant vers lui que je me rends compte de qui il s’agit. Oh !
Bordel ! Mes yeux s’écarquillent sans que je sache quoi dire.
C’est lui. Scott Martinez. Il est grand, avec un début de calvitie.
Sa corpulence massive pourrait intimider, mais son air déconneur le fait
ressembler à un gros nounours. Je sais qui c’est, bien entendu. Je suis venue
ici en partie pour lui.
– Lily… Je crois que tu n’as pas compris.
Je hausse un sourcil vers Isabella, envahie par un mauvais
pressentiment. C’est Scott qui me répond :
– Oliver ne pourra pas participer au Championnat du Canada dans un
mois. Ni à aucun autre en 2024.
Quelque chose se brise en moi. Parce que je sais parfaitement ce que
cela signifie. Si Oliver est incapable de patiner, cela me pénalise moi aussi.
C’est comme ça que ça marche, en couple.
Pas de compétitions cette année.
Je ne suis ni triste ni déçue. Je suis frustrée et en colère, même si je sais
que je ne devrais pas. Ce n’est pas moi sur la table d’opération, qui craint de
perdre une jambe. Mais qu’en est-il de mon rêve ?
– Alors… Je me suis entraînée comme une acharnée pendant un an,
pour rien ? je laisse échapper d’une voix minuscule, les épaules
tremblantes. J’ai sué, saigné, pleuré, tout ça pour déclarer forfait ? Isa, je ne
peux pas…
J’en suis physiquement incapable. Les larmes me montent aux yeux,
mais je les empêche de couler. Je ne veux pas pleurer pour si peu, encore
moins devant ma coach. Elle déteste ça. Elle m’a toujours répété que c’est
une faiblesse, qu’il y a peu de choses qui valent la peine qu’on pleure pour
elles.
– Je n’y peux rien, Lily. Que veux-tu que j’y fasse ?
– Trouve-moi un autre partenaire, je la supplie en serrant ses mains dans
les miennes.
C’est terrible, je le sais, mais je prends la situation comme un signe.
C’est l’occasion de faire bouger les choses.
– Ce n’est pas aussi facile. Même si l’on trouvait quelqu’un rapidement,
balancer un tout nouveau couple sur la glace est du suicide. Tu n’auras qu’à
attendre un an, ce n’est pas grave.
« Pas grave » ? Bien sûr que si, ça l’est ! Elle ne comprend pas,
personne ne comprend. Je me suis fait une promesse : celle de battre le
record d’Orion Williams. Je voulais à tout prix entrer dans l’Histoire et
rafler l’or aux Mondiaux à seulement vingt-deux ans. Il en avait vingt-trois
lui-même, l’année où il m’a souri en me souhaitant bonne chance.
C’est comme si Isabella plantait un poignard empoisonné dans mes
rêves d’enfant. Le venin se disperse et infecte tous mes espoirs.
Je comprends trop tard que je suis en train de pleurer. Scott me tend un
mouchoir, que j’accepte avec honte.
– C’est l’or que tu veux, jeune fille ?
Je relève la tête si vite que je m’en tords la nuque, ahurie. Ses yeux
plissés sont rivés sur moi. J’ai l’impression qu’il me toise pour tenter de
savoir ce que je vaux. J’opine, le cœur battant. Une lueur étrange brille dans
ses prunelles sombres.
– Ça tombe bien, moi aussi. Je t’ai déjà vue sur la glace… Tu es sans
pitié.
– C’est aussi une tête de mule qui n’écoute rien de ce qu’on lui dit,
marmonne Isabella.
Scott sourit à cela, comme si c’était un compliment plus qu’un
argument contre ma personne.
– Comme tous les plus grands, non ? Si tu es prête à tout pour gagner,
alors je peux t’aider.
– Où tu veux en venir, Scott ? l’interroge ma coach.
Isabella et moi le regardons dans un mélange de curiosité et de
méfiance.
– Je connais quelqu’un qui pourrait vous tirer de cette situation,
annonce-t-il, et le soulagement qui me submerge m’étouffe presque. Il va
sûrement m’envoyer chier, mais si j’insiste un peu… Il y a des chances pour
qu’il accepte. Personne ne refuse la médaille d’or, pas vrai ?
Je me retiens difficilement de le serrer contre moi. Je pourrais même
l’embrasser, tellement je suis heureuse et reconnaissante de son aide.
Si Scott me trouve un partenaire, qui qu’il soit, je vais pouvoir donner mon
maximum.
Isabella me contemple, hésitante, et croise les bras sur sa poitrine.
– Je t’écoute. Qui as-tu en tête, exactement ?
Scott sourit avant de tourner les yeux dans ma direction.
– Orion Williams. Je suppose que tu sais qui c’est.
Quoi ?
J’ai la sensation que mon cœur explose, comme le ferait un ballon de
baudruche piqué par une aiguille. Je perds mon sourire, pétrifiée. J’ai mal
entendu, pas vrai ? C’est forcément mon imagination qui me joue des tours.
Suis-je en train de rêver ? Ce n’est pas la première fois que ce genre de
scénario improbable hante mes nuits, je l’avoue.
Je me pince la peau du bras, silencieuse. Non, c’est bel et bien réel.
– Orion ? répète Isabella sans comprendre. Je croyais qu’il avait pris sa
retraite.
– Qui a dit une chose pareille ? Certainement pas moi.
Je les écoute sans réussir à ouvrir la bouche, secouée.
– La terre entière, Scott. Ton protégé n’a pas été vu depuis trois ans.
Ne fais pas semblant, tu connais forcément les bruits qui courent à son
sujet.
Isabella a raison, ça ne fait pas sens. Au-delà du fait qu’Orion et moi ne
sommes pas du même niveau, tout le monde sait qu’il ne patine plus.
J’ai entendu les murmures et les on-dit à son propos, même si j’ai
rapidement décidé de ne pas y prêter attention. J’ai toujours cru en mon for
intérieur qu’Orion reviendrait un jour en grande pompe, à la surprise
générale. Mais pas comme ça. Pas à mon bras.
– Comme je l’ai dit, il aura besoin d’un peu de persuasion…
La question est plutôt : est-ce que la demoiselle se sent de taille ? Cela
signifie repartir de zéro et atteindre le niveau d’Orion.
Les deux coachs se tournent vers moi, le regard pesant.
Je ne suis pas à la hauteur, je le sais.
Mais je peux l’être, si je m’en donne les moyens.
L’espace d’une folle seconde, je m’imagine sur la glace en sa
compagnie, ma main dans la sienne, avant de brandir la médaille d’or sur la
plus haute marche du podium… Ma décision est prise. Je n’ai même pas à y
réfléchir.
– Ce serait un honneur, j’assure doucement, le dos droit et l’expression
déterminée. Je suis prête à tout.
– Ça me paraît suspect, intervient Isabella. Pourquoi choisirais-tu Lily
plutôt qu’une autre ?
Scott soupire, puis il sourit avec sincérité.
– Je vais être honnête : je suis désespéré. Personne ne veut faire équipe
avec lui, toutes les filles que j’ai pu approcher jusqu’ici ont trop peur
d’accepter.
Impossible. Qui hésiterait devant une telle opportunité ?
– Je ne comprends pas. De quoi ont-elles peur ?
Un silence gênant s’installe, puis Scott murmure :
– Tu n’as pas entendu les rumeurs ? Elles disent toutes qu’Orion est
maudit.
1. Saga Harry Potter, J. K. Rowling.
2
ORION
Décembre 2023, Montréal
J’ai vu la vidéo.
Alors ?
Mouais.
Toi.
T’as gagné.
Arrange une rencontre avec Elizabeth.
LILY
Décembre 2023, Montréal
ORION
Décembre 2023, Montréal
1. Chanson interprétée par Christina Aguilera, pour la bande originale du film Burlesque
(2010).
5
LILY
Décembre 2023, Montréal
1. « Papa », en vietnamien.
2. « Maman », en vietnamien.
3. « Tante », en vietnamien.
4. « Qui donne des frissons », en anglais.
6
ORION
Décembre 2023, Montréal
LILY
Décembre 2023, Montréal
Je m’assieds en tailleur sur mon nouveau lit, la main sur mon ventre qui
gargouille de faim.
Je vois que Jane et moi ne sommes pas frère et sœur pour rien : on a les
mêmes priorités.
Il me répond avec un emoji qui roule des yeux, ce qui me fait sourire.
Après un tour dans la salle de bain pour me brosser les dents, j’enfile un
pyjama. Je ne tarde pas à éteindre la lumière et à me plonger sous les
couvertures.
Mes yeux contemplent le paysage sombre derrière les fenêtres et,
contrairement à ce que je pensais… la vue m’apaise. C’est beau et
silencieux, comme tiré d’un conte de fées. J’ai l’impression de dormir
dehors, à même la neige, les étoiles simplement remplacées par le plafond.
Je m’endors avec des vœux plein la tête, la joue contre le ventre chaud
de mon doudou en peluche.
Je sais que c’est mal parti, mais…
Faites qu’Orion et moi devenions amis.
ORION
Décembre 2023, Montréal
LILY
Décembre 2023, Montréal
ORION
Décembre 2023, Montréal
LILY
Décembre 2023, Montréal
ORION
Décembre 2023, Montréal
LILY
Décembre 2023, Montréal
Quand j’ai vu Orion pour la première fois, les yeux rivés sur ma
télévision, mon esprit s’est imaginé une certaine image de lui. À travers les
interviews et les vidéos de lui prises à son insu, j’étais persuadée de le
connaître. C’est sûrement pourquoi j’ai été déçue de le rencontrer pour de
vrai.
Il avait raison, je lui ai donné trop de responsabilités.
Plus les jours passent et plus cette image fantôme s’effrite. Orion
Williams n’a absolument rien du garçon que je m’étais fantasmé.
« Il est comment, en vrai ? » m’a demandé Jasmine au téléphone. Je n’ai
pas su lui répondre. Mon premier réflexe a été de dire : « Égoïste, snob,
arrogant. » Mais j’ai su avant même de prononcer ces mots que c’étaient
des mensonges.
La vérité a ensuite passé mes lèvres sans que je le veuille, prononcée
dans un murmure peiné :
– Il est… plutôt seul.
Ce n’était pas quelque chose que j’avais imaginé avant de le connaître.
Devant les caméras, Orion est toujours souriant. Il parle à tout le
monde, il charme les journalistes, il rit à toutes les blagues de Scott… Mais
dès qu’on passe en coulisses, Orion devient un garçon seul et terrifié, qui
préfère passer ses soirées dans son canapé et ses week-ends en forêt avec
Princesse.
Jasmine a répondu à cela : « J’imagine qu’après trois ans à s’isoler du
monde, c’est difficile de revenir auprès des mortels. »
J’ai acquiescé, même si j’ai compris depuis Noël que les failles d’Orion
sont plus profondes que ça. Personne n’est jamais resté pour lui. Seuls
Aydan et Harper en ont trouvé le courage.
Scott, aussi. Aucun des deux ne le dit à voix haute, mais je sais que ce
qu’ils partagent dépasse une relation coach-athlète. J’ai bien vu l’émotion
dans les yeux de Scott quand Orion lui a offert son cadeau de Noël. Son
timbre éraillé m’a fendu le cœur quand il a dit : « Merci, fiston. »
– Tiens.
Je me tourne vers mon partenaire, pile au moment où il retire ses gants
avec ses dents.
Il se croit dans une publicité pour déodorant, ou quoi ? Personne n’a le
droit d’être aussi sexy en faisant quelque chose de si commun !
– Pourquoi tu me donnes ça ? je demande lorsqu’il me tend sa paire
noire.
Il fait froid, plus qu’hier, et je regrette d’avoir oublié mes protège-
oreilles sur mon lit.
– Les tiens sont trop fins, répond-il en haussant un sourcil vers mes
mains frigorifiées. Ceux-là ont une doublure chauffante.
Frimeur, je pense en plissant les yeux.
Voyant que je ne les accepte toujours pas, Orion soupire et s’approche
pour s’emparer de mes doigts. Je le regarde retirer mes gants, sa poitrine
effleurant la mienne. Ses gestes sont doux mais précis tandis qu’il enfile
mes doigts gelés dans le tissu chaud. Ils sont légèrement trop grands, mais
assez élastiques pour mouler la forme de mes mains.
– C’est un prêt, précise-t-il une fois que c’est fait. Ne me les vole pas,
j’y tiens.
Je n’ai pas relevé les yeux, tout simplement parce que ses mains
tiennent toujours les miennes. Je ne suis même pas certaine qu’il s’en rende
compte.
J’ouvre la bouche pour le lui dire, mais les mots qui en sortent sont
différents :
– Je n’en ai pas besoin.
Ce n’était qu’un murmure pathétique. Je me racle la gorge tandis
qu’Orion me demande de répéter malgré notre proximité. Ses yeux sont
désormais rivés sur mes lèvres, concentrés. Je retire mes doigts de sa poigne
puis les pose sur son torse pour le pousser légèrement en arrière.
– J’ai dit : « recule, tu pues la sueur ».
Cette fois, il m’a entendue. Comme toute la patinoire, à en deviner le
rire moqueur d’Aydan quelques mètres plus loin.
Orion lève les mains en l’air, pas le moins du monde vexé. C’est
Isabella qui nous rappelle à l’ordre, sous prétexte que nous perdons du
temps. J’oublie mes joues brûlantes et décide de me concentrer sur la
chorégraphie.
Nous commençons sans musique, seulement rythmés par les « 3, 4 »,
« 7, 8 » de ma coach. Orion n’a pas l’air très stable sur ses patins, ce qui est
surprenant venant de lui.
– Ton oreille te fait encore mal ? je lui demande entre deux portés.
Il fronce les sourcils, surpris de ma question.
– Concentre-toi, Juste Lily.
Pas besoin de me le dire deux fois.
Je ne sais pas si c’est la pression du Championnat qui approche ou cette
nouvelle proximité qui s’est instaurée entre nous depuis Noël, mais pour la
première fois depuis le début de cette collaboration, Orion et moi sommes
en totale symbiose. C’est presque enivrant. Nos regards s’accrochent et ne
se lâchent plus. Nos patins glissent sur la glace à la même vitesse,
parallèles. Ses mains me touchent sans pudeur, et nos corps bougent au
rythme de l’autre.
C’est comme si nous ne formions qu’un. Je n’entends même plus la
musique. Seul Orion me guide à travers la glace.
Mon cœur bat plus fort, tellement que les encouragements d’Isabella,
qui crie « Comme ça, voilà ! Sublime ! », me passent au-dessus de la tête.
Lorsque nous terminons notre morceau, nos nez se touchent et nos yeux
ne se sont toujours pas quittés.
Je n’ai pas besoin de nous voir pour savoir que nous étions parfaits.
Cette adrénaline, cette complicité bâtie sur un mélange de respect et de
tension sexuelle, est tout ce que j’espérais de notre couple. Je pensais que
nous en étions incapables, mais j’avais tort.
– Faites ça en compétition, et vous aurez toutes vos chances, nous
félicite Isabella lorsque nous quittons la glace.
Je hoche la tête en silence, refusant de rencontrer le regard d’Orion.
Je ne sais pas d’où ça sort ni ce qui a changé entre nous, mais si c’est ce
que nous sommes capables de faire quand nous ne sommes pas trop
occupés à nous saboter, alors je suis prête à enterrer la hache de guerre.
14
ORION
Décembre 2023, Montréal
LILY
Janvier 2024, Ottawa
C’est le jour J.
Les championnats du Canada débutent dans quelques heures.
Je n’ai jamais été aussi stressée de toute ma vie.
– On dirait que tu vas me vomir dessus, m’intime Orion lors de la
cérémonie d’ouverture. Préviens-moi avant si c’est le cas, que je m’esquive.
Je tiens à ce gilet.
Je me rappelle de sourire, crispée. C’est la partie que j’aime le moins à
chaque compétition : les patineurs et les officiels sont présentés au public.
– Le tirage au sort a été fait, nous apprend Scott lorsque nous rejoignons
les coulisses. Vous passez en troisième.
Je grimace, ce qui attire l’attention d’Orion. Je préfère toujours passer
soit en première position, soit en dernière. Les deux sont généralement les
plus mémorables. C’est d’ailleurs pour cela que le couple avec le meilleur
score patine souvent à la fin, pour le suspense !
Orion et moi commençons notre échauffement. Nous nous étirons dans
notre coin, en silence. Je garde mes écouteurs dans mes oreilles pour ne pas
entendre les commentateurs au micro, derrière le mur.
– Stressée ? me demande mon partenaire en tendant ma jambe en l’air
pour moi.
Je me penche vers lui et grimace sous l’effet de la douleur qui lancine
mes muscles.
– Non, mens-je avec assurance. Et toi ?
– Terriblement.
Je cligne des yeux, surprise par son honnêteté. Je lui demande si c’est
inhabituel, mais il secoue la tête en faisant quelques sauts à la corde à
sauter.
– Non, c’est comme ça chaque année. Je suis du genre anxieux.
– Toi ?
– Quoi ? sourit-il légèrement. Tu ne me crois pas ?
Je hausse les épaules, dubitative. Je suppose qu’il dit la vérité, ce n’est
pas le problème, mais je suis étonnée. J’ai passé des années à l’admirer sur
la glace, et j’ai toujours eu l’impression que c’était facile pour lui.
J’avais tort.
Quelque part, cette pensée me soulage.
– Ça va bien se passer, je le rassure malgré mon propre cœur qui bat la
chamade. Notre programme est solide.
Un tango sur le film Burlesque, rien que ça. Orion et moi avons toujours
du mal à prétendre être fous de passion l’un pour l’autre, mais je crois
qu’on a réussi à créer une certaine tension propre à nous.
Pour une première fois, j’espère que cela suffira.
Le premier couple quitte les coulisses. Orion et moi continuons à nous
entraîner à même le sol sous les regards tendus de nos coachs. Je m’isole
dans mes pensées, le ventre tordu par le trac.
C’est de pire en pire à mesure que les minutes passent. Malgré la
musique dans mes oreilles, j’entends les applaudissements et je suis
incapable de me concentrer.
Et si c’était une erreur ? Et si nous finissons derniers ?
Ce serait la honte pour moi plus que pour Orion, habitué aux podiums.
Si nous finissons plus de troisième, le public dira que c’est ma faute… et il
aura raison.
– Hé.
Je rouvre les yeux en frissonnant de terreur et découvre mon partenaire
qui pose ses mains sur mes épaules et affiche une mine inquiète.
– Ça va ?
– Je sais pas…
– Respire, murmure-t-il, sa main droite glissant dans ma nuque.
Doucement.
Je m’exécute, honteuse de paniquer devant tous nos adversaires. Je ne
veux pas paraître faible, pas lors de notre première compétition. Bordel,
qu’est-ce qu’il m’arrive ?
Le pouce d’Orion effectue des cercles apaisants dans ma nuque, à la
naissance de mes cheveux, et je finis par me calmer.
– Ça va être à vous, nous lance Scott. Préparez-vous, on y va.
Orion m’interroge du regard. Je réponds d’un hochement de tête
déterminé. Nous enfilons nos patins et retirons nos gilets de sport pour
révéler nos costumes flambant neufs.
– Au fait, je murmure en baissant la voix. Ton oreille, ça va mieux ?
J’ai remarqué qu’il avait encore du mal à tout entendre du premier coup,
et même si je ne le lui fais pas remarquer, je ne compte plus le nombre de
fois où je l’ai interpellé sans obtenir de réponse.
Il garde les yeux rivés devant lui en hochant la tête.
– Comme neuve.
Rassurée, je n’insiste pas.
Nous passons le couloir de la mort, et soudain, la main d’Orion trouve
la mienne. Je lève les yeux vers lui, interdite, mais il refuse encore une fois
de me regarder.
Absorbée par mon angoisse, je n’ai même pas pensé à ce qu’il devait
ressentir. Sa dernière compétition date d’il y a trois ans… peu avant que sa
partenaire et amie soit blessée dans un accident de voiture.
Mon cœur s’adoucit, me poussant à entrelacer mes doigts aux siens.
Malgré nos débuts houleux, Orion et moi formons une équipe aujourd’hui.
Je sens plus que je ne vois les yeux des spectateurs se poser sur nous
lorsque nous faisons notre apparition devant l’arène de glace. La prise
d’Orion se raffermit sur ma main, et c’est tout ce qu’il me faut pour que
mon angoisse s’envole.
Orion a besoin de moi. Il a bien plus de raisons que moi d’être stressé.
Il lui faut une partenaire solide et déterminée sur laquelle s’appuyer, et c’est
ce que je vais être.
Nous attendons près de l’entrée de la patinoire après avoir retiré nos
protège-lames.
– On y est, je prononce en lui offrant un sourire rayonnant. Donnons le
meilleur de nous-mêmes, OK ?
Orion opine avant de tirer sur ma main pour m’inviter à le suivre.
Je m’exécute devant les caméras qui filment chacun de nos mouvements, et
nous voilà lancés sur la glace.
Nous faisons un tour de l’arène, sourire aux lèvres, pendant que nos
noms sont annoncés au micro.
– Pour la première fois partenaires sur la glace : Orion Williams et sa
partenaire Elizabeth Pham !
Lorsque nous nous arrêtons enfin au centre de la patinoire, les
applaudissements et les murmures s’évanouissent. C’est le silence complet.
Nous nous mettons en position, le cœur battant.
Quelques secondes avant que la musique retentisse, je chuchote :
– Tu as intérêt à me toucher comme si t’étais fou de moi, Williams.
Il ne répond rien, mais je sens son sourire sur ma peau quand ses lèvres
frôlent ma joue. La seconde d’après, « Show Me How You Burlesque »
éclate dans les enceintes et la voix de Christina Aguilera emplit la salle.
Je me transforme automatiquement en femme fatale. J’ondule en
descendant comme un serpent le long de son corps au son du cor
d’harmonie, les franges de ma robe tournoyant autour de mes cuisses. Mes
mains sont posées sur les siennes dans une pose séduisante.
Lorsque les tambours retentissent enfin, nous nous élançons avec
dynamisme à travers la glace.
ORION
Janvier 2024, Ottawa
1. Le shipping est l’activité qui consiste, particulièrement pour le fan d’une œuvre de fiction, à
exprimer son envie que les personnages de son choix forment un couple dans l’œuvre originale.
17
LILY
Janvier 2024, Ottawa
– Tu as eu beaucoup de chance.
C’est ce que le médecin m’annonce à mon réveil. Je suis tellement
droguée aux antidouleurs que je me contente de le regarder en silence,
allongée dans un lit d’hôpital. Je peine à garder les yeux ouverts.
J’ai envie de lui demander de quelle chance il parle, au juste. Parce que
je suis presque sûre d’être défigurée.
Isabella se trouve à mon chevet, l’air indéchiffrable. Je devine qu’elle
ne veut pas m’inquiéter, mais son silence est si inhabituel qu’il n’annonce
rien de bon.
– Qu’est-ce qu’il s’est passé ? je demande, la gorge douloureuse.
Mon visage me fait toujours mal. Il me gratte, aussi, mais je force mes
mains à rester tranquilles. Je n’ai pas envie de le toucher, de peur de ce que
je vais y trouver.
– Orion… a perdu l’équilibre le temps d’une seconde, m’annonce
Isabella d’un ton doux. Son patin a heurté ton visage.
C’est bien ce qu’il me semblait. Malgré tout, l’entendre envoie une
onde de choc dans tout mon corps.
– Combien ?
Ma voix n’est qu’un souffle quasi inaudible. Mes yeux s’embuent mais
je résiste, cachant mes mains tremblantes entre les draps.
Isabella comprend tout de suite, et je vois son expression fléchir. Elle se
racle la gorge, comme pour retarder l’évidence, puis annonce :
– Quatre-vingts. Tu as eu quatre-vingts points de suture.
C’est plus fort que moi, je me mets à pleurer.
J’aimerais pouvoir faire disparaître les preuves de ma faiblesse, mais
c’est au-delà de mes forces.
– Je veux voir mes parents, je supplie entre deux sanglots.
ORION
Janvier 2024, Montréal
Je m’inquiète, Orion.
Cela fait une semaine que je revis la scène, encore et encore, en tentant
de comprendre ce que j’ai fait de mal et comment j’aurais pu éviter le
drame… en vain.
Ce jour-là, j’ai suivi l’ambulance. J’ai passé la soirée à l’hôpital,
paniqué, pour m’assurer que Lily allait bien. Je sais qu’elle a eu des points
de suture. Je sais qu’elle n’a rien perdu de vital.
Je sais aussi avoir brisé son rêve.
Comme avec toutes les autres.
Parce que j’avais tort : Lily n’est pas l’exception. Je lui ai donné trop de
responsabilités, et voilà que la malédiction m’a rappelé à l’ordre.
« C’est très rare. »
« Vous n’avez pas eu de chance. »
C’est ce qu’a dit le médecin en m’annonçant que ma deuxième oreille
m’avait elle aussi abandonné. Ou plutôt, c’est ce qu’il a tapé sur l’écran de
son ordinateur. J’ai voulu lui répondre « je sais », « ne vous inquiétez pas »,
« je suis habitué ».
Mais même Scott, qui m’accompagnait, n’avait pas les mots face à cette
nouvelle.
À la place, j’ai demandé :
– Est-ce qu’il y a des chances que ça revienne ?
Je n’ai même pas pu entendre ma propre voix en posant la question.
Depuis l’accident, c’est le silence. Il faut crier près de mes oreilles pour que
je puisse capter une quelconque fréquence.
L’expression compatissante du docteur n’a fait que me confirmer ce que
je redoutais. Je connaissais déjà la réponse, mais les mots qu’il a ensuite
tapés sur l’ordinateur me hanteront à jamais.
« Vous avez perdu plus de quatre-vingt-dix décibels d’audition, Orion.
Vous êtes sourd. Je suis désolé. »
Le mot en lui-même m’a fait l’effet d’un uppercut.
Sourd.
Je suis sourd.
Cette fois, Dieu m’a vraiment puni pour tout le mal que j’ai pu faire à
mes partenaires. Cette fois, c’est moi qui trinque. Il fallait bien une justice,
non ?
« Je comprends que cela puisse être un choc. »
« On va devoir vous appareiller. Vous verrez, ça vous aidera à amplifier
les sons que vous réussissez encore à capter. »
« Vous n’êtes pas seul, d’accord ? »
Je me suis contenté d’acquiescer et je n’y suis pas retourné depuis.
Quand je suis sorti, Scott m’a pris dans ses bras sans un mot. C’est
idiot, mais j’ai eu l’impression de le laisser tomber. De le décevoir.
Depuis, je reste enfermé chez moi, prisonnier de mon silence, et je bois.
Comme un trou.
Je ne sors que pour aller acheter de l’alcool.
J’ai du mal à tenir debout, si bien que les gens me prennent pour un
ivrogne.
Le médecin m’a prévenu que les problèmes d’équilibre sont normaux,
et je comprends désormais ce qu’il voulait dire par là.
Je me fais klaxonner par une voiture en traversant hors du passage
piéton. Je l’entends à peine, mais je comprends en la voyant piler devant
moi, le conducteur hurlant des choses à mon égard.
Le caissier ouvre la bouche pour me demander quelque chose, mais je
ne réponds rien. Je dépose un billet sur le comptoir avant de partir.
Je me barricade… et je fais l’erreur d’aller regarder Twitter.
Les gens ne parlent que de ça, bien sûr.
« La malédiction Williams de nouveau à l’œuvre ! », « Une autre de
tombée ! Qui sera la prochaine ? »
Je ne peux pas le supporter.
Et si je l’avais tuée ?
Mon égoïsme a mis Lily en danger, et voilà qu’elle en paye aussi le
prix. J’ai fait d’elle une énième victime, tout ça parce que j’ai persisté tout
en sachant les risques qu’elle encourait.
Voilà pourquoi je n’ai pas d’amis, Lily.
Parce que je suis terrifié chaque jour qu’ils meurent par ma faute.
Pour une fois, j’avais envie d’y croire. J’ai voulu penser que ce serait
différent.
Mais c’est ça le problème avec les héros des tragédies grecques.
Le destin finit toujours par les rattraper.
Je ne peux pas continuer à faire subir cela à Lily.
Alors je choisis d’envoyer un message à Scott. Sans répondre aux siens.
Je me contente de lui annoncer la nouvelle.
LILY
Janvier 2024, Montréal
Orion, je m’inquiète…
Mes messages et mes appels sont restés sans réponse jusqu’à présent.
Jane a fini par accepter de me ramener à la patinoire, ce qui m’a valu les
remontrances d’Isabella, mais mon partenaire reste introuvable.
– Qu’est-ce que tu fais ? m’interroge ma coach lorsqu’elle me voit
enfiler mes patins.
– Je viens bosser, je réponds d’un ton qui veut dire : « À ton avis ? »
– C’est une plaisanterie ?
– Je suis très sérieuse. Je suis restée une semaine dans le canapé de mes
parents alors que j’ai une mère asiatique au foyer : tout prétexte est bon
pour m’échapper avant que je l’étrangle et fasse la une des faits divers.
– Tu devrais te reposer. On ne t’a même pas encore retiré tes fils…
Je lui offre un sourire rassurant, bien qu’un peu fébrile.
– Ce ne sont que des points de suture et une petite commotion. Mes
jambes et mes bras vont bien, et c’est ce qui compte !
Ce n’est pas totalement vrai. Mon corps est fatigué et les muscles de
mon visage me font souffrir.
J’ai passé la semaine à ressentir le manque de la patinoire… tout en
craignant le moment du retour.
Là est le problème.
Je suis terrifiée de retrouver la glace, et c’est bien pour cela que je vais
me forcer.
Plus tôt je recommencerai, mieux ça sera. Il est hors de question que je
laisse la peur me voler ma passion.
Je suis Elizabeth Pham, bordel. Je serai plus forte que ce putain de
stress post-traumatique.
– Laisse-la faire, nous coupe Scott en croisant les bras sur sa poitrine.
Lily a raison, elle doit affronter ses angoisses le plus vite possible.
Isabella le fusille du regard avant de finalement accepter.
– Vas-y doucement. Pas de figure compliquée, c’est compris ? Sinon ta
mère aura ma peau.
Je le lui promets, si bien qu’elle finit par nous laisser.
Je me retrouve seule et tente d’ignorer la curiosité évidente des autres
patineurs. Je sais ce qu’ils pensent et les questions qui tournent dans leur
tête.
– Salut.
Je lève la tête vers l’homme qui s’assied à côté de moi, surprise. Je le
reconnais tout de suite, ou plutôt son sourire séducteur.
L’ami non imaginaire d’Orion.
– Kayden, c’est ça ? Enfin… Aydan, à ce que j’ai cru comprendre, je
précise dans une grimace qui le fait rire. Désolée.
– Tu peux m’appeler comme tu le souhaites, beauté.
Il m’adresse un clin d’œil complice. J’aurais pu trouver son
comportement lourd, mais il me met étrangement à l’aise.
– On patine un peu ensemble ? me propose-t-il soudain. T’as l’air
d’avoir perdu ton partenaire, et la petite blonde qui te sert de copine ne
semble pas être là…
En effet. J’ai dit à Piper que je serais là aujourd’hui, et elle m’avait
promis de m’accueillir. J’ai joué l’indifférente, mais j’étais rassurée d’avoir
quelqu’un à mes côtés. Malheureusement, un message d’elle m’est parvenu
plus tôt ce matin : « Je suis rentrée de soirée à quatre heures, je vais
probablement rester dormir aujourd’hui. Déso XOXO. »
J’ai ravalé ma déception comme j’ai pu, terrifiée à l’idée d’affronter la
glace toute seule.
– Avec plaisir.
Je ne sais pas comment Aydan a compris que j’avais besoin d’un
support physique et émotionnel, peut-être est-ce inscrit sur mes traits, mais
je lui suis reconnaissante pour son geste.
Je le suis jusqu’à la patinoire, le cœur battant plus fort à chaque pas.
Je m’efforce de ne pas scruter la glace et serre mes poings pour éviter que
mes mains ne tremblent.
– C’était un magnifique programme, lance Aydan. Toi et Orion formez
un très beau duo… Vous irez loin.
Je reste immobile, bloquée à l’entrée de la patinoire. Mes jambes
refusent de faire un pas de plus.
Aydan me sourit, et même s’il ne fait aucun commentaire, je sais qu’il
sait. J’ai tellement honte que je fuis ses yeux.
– Tu fais une Odette parfaite, ajoute-t-il en prenant ma main dans la
sienne. Ne doute jamais de toi.
Sa peau est froide et plus calleuse que celle de mon partenaire, mais sa
poigne est douce et rassurante.
– Ce n’est pas mon genre, je souffle sans réfléchir.
Cela le fait rigoler. Je suis surprise qu’il ne me trouve pas prétentieuse
ou imbue de moi-même.
– Orion a raison d’avoir peur : tu vas très certainement lui voler la
vedette un de ces jours.
– Orion n’a pas peur de moi. Personne ne lui arrive à la cheville.
– C’est faux et vrai à la fois, sourit Aydan en baissant les yeux sur mes
patins.
Je fais de même… et me raidis instantanément. Je ne m’en étais pas
rendu compte, trop occupée par notre conversation, mais je suis sur la glace.
– Ne regarde pas en bas, me conseille mon accompagnateur sans se
départir de son sourire. Tout va bien.
Il serre ma main tandis que nous patinons l’un en face de l’autre, lui à
reculons. Mes jambes tremblent et mon cœur devient fou sous mon sein.
Je vois les gens nous épier et j’étouffe.
– Je… Je ne peux pas…
– Tu te débrouilles très bien.
Ma gorge se serre et m’empêche d’en dire plus. Aydan comprend que je
panique, si bien qu’il s’approche pour me dire de respirer. Sa voix est tendre
et apaisante, mais cela ne suffit pas.
Je suis prise de vertiges. Le patin d’Orion qui me percute le visage me
revient à l’esprit, et soudain je ne peux plus bouger. Je suis paralysée, le
visage brûlant d’humiliation.
– Je ne peux pas. Je veux partir. Lâche-moi, dis-je en arrachant ma main
à celle d’Aydan.
– Du calme, Lily. Tout va bien, c’est promis. Laisse-moi t’aider.
Je n’ai pas la force de l’arrêter lorsqu’il me soulève dans ses bras et me
ramène à la terre ferme. Il me relâche sur un banc et me demande si ça va.
Je suis consciente du regard de pitié que me lance Scott à quelques mètres,
et c’est ce qui déclenche mes larmes de rage.
Qu’est-ce qu’il m’arrive ?
Je ne peux pas me permettre d’avoir peur, putain.
– Lily ? Est-ce que ça va ? répète Aydan. Tu as besoin de quelque
chose ?
L’aveu s’échappe de mes lèvres avant que je puisse l’en empêcher.
– J’ai besoin d’Orion.
20
ORION
Janvier 2024, Montréal
Et si ça ne revenait pas ?
Ma gorge se serre lorsque je lis les mots sur son téléphone. J’ai honte
qu’ils soient tous vrais.
C’est plus fort que moi : je craque. Je cache mon visage de mes mains et
me laisser aller à pleurer. Harper m’étreint, ses bras entourant mes épaules
dans un étau de fer. Tout ce que j’ai accumulé ces derniers jours – ces
dernières années – sort d’un seul coup et je ne peux plus en interrompre le
flot.
Ma peur, ma culpabilité, mon deuil.
Parce qu’il s’agit bel et bien d’une mort. Celle de mon ouïe, mais aussi
celle de ma carrière.
Le champion des glaces déchante.
– Merci, dis-je quand je suis enfin calmé. D’être venue.
Je lis le mot « Toujours » sur ses lèvres souriantes.
21
LILY
Janvier 2024, Montréal
– Il a dit quoi ?
Tout mon corps tremble de colère. Scott m’offre une moue désolée,
avant d’assurer que c’est compliqué, qu’Orion a ses raisons. Je sens la main
rassurante d’Isabella sur mon épaule, mais cela ne m’aide pas à me calmer.
– Mais quel lâche ! je peste en faisant demi-tour.
Ce cirque a déjà trop duré.
Je passe mes journées ici à combattre ma peur, et mes nuits à lui
envoyer des messages, mais monsieur décide de me laisser tomber ? Et il
n’a même pas le courage de me l’annoncer lui-même !
Il culpabilise, je sais. Il a peur, je comprends.
Cependant, je lui ai laissé assez de temps pour s’en remettre. Cette fois,
je ne vais pas lui donner l’occasion de jouer les héros altruistes qui se
sacrifient pour les autres.
– Va le voir, me conseille Scott, et je remarque seulement maintenant à
quel point il a l’air fatigué. Je ne saurais pas l’expliquer mais… je pense
que, toi, tu réussiras à le convaincre.
Je ne sais pas ce qui lui fait dire cela, mais j’opine.
Lorsque Jane vient me chercher à la patinoire et qu’il découvre mon
expression tempétueuse, il s’inquiète.
– On va tuer qui, au juste ? Que je prépare mon alibi, ajoute-t-il une fois
que je suis installée dans la voiture. Tu as conscience que je ne sais pas
mentir.
– Orion.
– Okayyyyyyy.
Il ne me pose pas plus de questions. Il démarre et nous arrivons chez
Orion en moins de vingt minutes.
Mon cœur bondit dans ma poitrine quand la voiture s’avance dans
l’allée enneigée… et que je l’aperçois. Il est de dos, enveloppé dans une
doudoune et un bonnet en laine vissé sur la tête, en train de déblayer la
neige devant son perron. Princesse aboie à côté de lui, puis elle l’abandonne
pour venir sauter près de la voiture.
– Laisse-moi ici, je demande à Jane en ouvrant la portière.
– Tu es sûre ? Ça va aller ?
Je hoche la tête. Je n’attends pas de voir mon frère repartir, je caresse
Princesse entre les oreilles avant de marcher jusqu’à Orion, qui m’ignore
toujours, pelle à la main.
– Hé ! je m’écrie, furieuse. Espèce de traître !
Mon partenaire ne se retourne toujours pas. Folle de rage, je me baisse
pour saisir une poignée de neige et la jette en visant sa tête.
Orion sursaute sous l’assaut, puis fait enfin volte-face.
Je me fous bien du choc qui se peint sur son visage lorsqu’il me voit, je
lui crache sans hésiter :
– Tu te fous de ma gueule ?
22
ORION
Janvier 2024, Montréal
LILY
Janvier 2024, Montréal
Une fois rentrée, je fais une sieste pour la première fois depuis… mes
quinze ans, je dirais.
Quand je me réveille, je remarque que quelqu’un a éteint la lumière de
ma chambre avant de fermer la porte. Princesse est emmitouflée dans le
creux de mes jambes repliées, occupée à mâchouiller l’un de ses jouets.
Je m’étire avant d’aller prendre ma deuxième douche de la journée.
Tout mon corps est lourd et me fait mal.
Je suis encore en serviette lorsque je croise Orion dans le salon. Il est en
train de visionner un match de hockey à la télévision, les jambes étendues
devant lui sur le canapé.
– Tu aimes le hockey ? je demande en m’asseyant sur le coin du canapé,
juste à côté de lui.
– Je suis canadien, Lily. À ton avis ?
Il se retourne vers moi et soudain son visage pâlit. Je hausse un sourcil,
mes doigts démêlant mes cheveux mouillés, mais il serre les dents avant de
détourner les yeux. Comme dans la voiture.
Est-ce que me regarder va l’énerver à chaque fois, maintenant ?
– Jane est joueur professionnel. Il a un match, ce soir.
Il me demande qui est Jane. Quand je réponds qu’il s’agit de mon frère,
son regard curieux revient sur moi.
– Drôle de prénom pour un homme.
– Ma mère est fan d’Orgueil et Préjugés, j’explique en roulant des
yeux. Jane, Elizabeth… Bref.
– Il occupe quel poste ? De quelle équipe ?
– Attaquant. Chez les Canadiens de Montréal.
Je souris en voyant ses yeux qui s’illuminent comme ceux d’un enfant
le matin de Noël. J’en étais sûre.
– Attends… Jane Pham est ton frère ? s’étonne-t-il avant de grimacer.
Maintenant que je pose la question, je me rends compte de ma stupidité de
ne pas avoir fait le rapprochement plus tôt.
Je lui demande s’il veut assister au match, un peu timidement. Jane me
donne toujours des places bien situées, mais j’ai rarement le temps d’y aller.
Orion écarquille les yeux, comme s’il se contenait de faire éclater son
excitation.
– J’aimerais bien. Mais ça risque d’être bruyant…
Mes yeux tombent sur ses appareils auditifs, qu’il déteste. Je sais qu’ils
le dérangent car il passe son temps à grogner dans sa barbe à leur propos.
Depuis que je suis revenue vivre ici, on a mis plusieurs stratagèmes en
place pour lui faciliter la vie. Il se réveille désormais grâce au vibreur de
son téléphone contre son matelas, et ses appels émettent des flashs
lumineux. Princesse a compris elle aussi que quelque chose clochait, car
chaque fois que le four sonne, je la vois courir jusqu’à son maître pour l’en
alerter.
– Tu peux toujours les enlever s’ils t’embêtent, tu sais ?
Orion acquiesce en me remerciant, même si je sais qu’il ne le fera pas.
Il ne veut plus se sentir démuni de nouveau.
J’ai passé la nuit à éplucher Internet à la recherche de conseils, parce
que je veux l’aider et lui montrer qu’il n’est pas seul. Je lui ai même
proposé de m’accompagner à des cours de langue des signes, mais il m’a
regardée droit dans les yeux et m’a dit :
– Pourquoi tu veux apprendre ça ?
Pour pouvoir communiquer avec toi.
Je ne l’ai pas dit à voix haute, de peur que ce soit mal interprété.
– C’est toujours pratique, ai-je répondu à la place.
– Je n’en ai pas besoin, mais merci.
La conversation s’est arrêtée là.
Évidemment, j’ai tout de même l’intention d’apprendre à signer, avec
ou sans lui.
– Bon, bah… je vais prévenir Jane qu’on passera ce soir, alors. Je fais
vite, promis !
Je me lève pour aller m’habiller dans ma chambre, mais soudain
j’appuie mon pied sur un endroit meurtri et trébuche sous la douleur.
– Aïe !
Je me rattrape à quelque chose au dernier moment. Il s’agit
manifestement du bras d’Orion, qui s’est levé en vitesse.
Je jette un coup d’œil à mon pied et fais la moue. Mes ampoules se sont
multipliées et les frictions à l’intérieur de mes patins m’ont irrité les gros
orteils jusqu’au sang.
Orion suit mon regard et son expression s’adoucit.
– C’est douloureux ? murmure-t-il.
Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai honte. Mes pieds sont dans un état
abominable. Ce n’est ni propre ni beau. Je n’ai pas envie qu’il voie ça, c’est
pourquoi je tente de rétracter mes orteils sur eux-mêmes.
D’abord mon visage, puis ça.
N’ai-je vraiment plus aucun atout ?
– Pas du tout. Essaie de faire un back flip et de retomber à plat sur la
glace ; ça, c’est douloureux.
– OK, Rocky, se moque-t-il en me lâchant enfin.
Je n’essaie pas de jouer les gros durs. J’ai effectivement connu pire, à
commencer par le coup de patin dans le visage. Bien sûr, je ne le dis pas à
voix haute… Même si je sais qu’Orion y pense aussi.
Son regard glisse le long de ma silhouette et sa mine s’attriste. Je me
rappelle trop tard que je suis encore en serviette. Les hématomes sur mes
épaules et sur mes cuisses sont visibles, et je n’ai aucun moyen de les
cacher.
– Assieds-toi, murmure Orion en disparaissant.
Il revient avec une trousse de secours, et je roule des yeux en
comprenant ses intentions.
– Ce n’est vraiment pas nécessaire…
– J’ai dit : assieds-toi.
Sa voix se fait autoritaire, une facette de lui que je n’ai pas encore eu
l’occasion de voir. Je suis tellement prise de court que j’obéis et pose mes
fesses sur le coin du canapé.
C’était… sexy ?
Oh, waouh. C’est nouveau, ça.
Orion ouvre la trousse sous mon regard attentif. Les gestes concentrés,
il sort plusieurs pansements, s’agenouille devant moi, prend mon mollet
dans ses mains douces et pose la plante de mon pied sur sa cuisse.
Le geste et la position sont tellement intimes que je sens mes joues
brûler. Mes mains sont jointes devant moi, appuyant sur la serviette qui
cache misérablement mes cuisses, mais Orion ne vole même pas un seul
coup d’œil.
Ses yeux sont baissés sur mon pied, qu’il désinfecte délicatement avec
un coton. Quand il souffle dessus pour que ça sèche plus vite, je me sens
frissonner jusqu’à la racine de mes cheveux. Une chaleur inhabituelle prend
naissance au creux de mon ventre, et j’ai peur de mettre un mot dessus.
– Tu dois prendre soin de toi, brise-t-il le silence en déposant un premier
pansement le long de mes doigts de pied.
Ses gestes sont doux et méticuleux, remplis d’une délicatesse que je ne
lui aurais jamais soupçonnée.
– Pour quoi faire ? Tu le fais déjà à ma place.
Et j’aime ça.
J’en suis la première surprise, moi qui n’ai jamais eu besoin de
personne, mais j’aime qu’il s’inquiète pour moi.
– Si je pouvais te séquestrer et te forcer à dormir, je le ferais.
Malheureusement, il paraît que c’est un crime répréhensible.
Je le fusille du regard quand nous nous levons, ses genoux frôlent les
miens, mais il se contente de secouer la tête.
– Tu n’as aucune vie sociale hors du travail, Lily, me coupe-t-il en me
poussant à me tourner, mon dos collé à son torse. Même Princesse sort plus
souvent que toi.
Je m’apprête à réfuter ces accusations quand je sens quelque chose de
froid sur ma peau. Je tressaille et arque mon dos, mais Orion me stabilise
d’une main rassurante. Je comprends qu’il étale une crème le long de mon
épaule.
Je veux lui demander pourquoi il prend soin de moi, mais les mots
restent bloqués dans ma trachée. Ses mouvements sont lents et délicats. Ses
doigts tournent en cercle pour faire pénétrer le gel.
C’est tellement bon que je ferme les yeux.
Faites qu’il ne s’arrête jamais.
– Je dis ça pour ton bien, pas pour être méchant, précise Orion, dont la
voix grave vibre le long de ma peau nue et sensible. Je sais combien le
patinage est important pour toi… mais dans quelques années, tu vas te
réveiller un matin, et tu vas te rendre compte de tout ce que tu as raté.
Une tristesse étrange s’abat sur moi. Ses mots pénètrent mon cœur avec
une facilité qui me fait peur.
– Je ne veux pas que tu passes à côté de ta vie, pas même pour ta
passion… Ni que tu aies des regrets.
Ce n’est pas ce que je fais. Si ?
J’ai des amis, même s’ils ne sont pas nombreux.
Je travaille beaucoup, c’est vrai, mais je suis heureuse.
Et pourtant.
J’ai toujours privilégié le travail, parce que c’est la chose la plus
importante à mes yeux. Je n’ai pas envie de le regretter, pas quand je suis à
deux doigts de réaliser mes rêves les plus fous. Pas quand je suis tout près
de le battre.
– Je n’ai pas l’impression de rater grand-chose, j’assure en me relaxant
sous le contact de ses doigts sur mes omoplates.
Le silence s’étend, tellement que je pense n’avoir jamais de réponse.
Puis son souffle balaye les cheveux dans ma nuque quand il murmure :
– Laisse-moi te montrer, alors.
24
ORION
Janvier 2024, Montréal
Pourquoi ?
Ugh.
Plus sérieusement, Aydan est bel homme, gentil,
drôle. Et en plus il est patineur, comme moi !
1. Personne qui empêche, intentionnellement ou non, quelqu’un d’avoir des rapports sexuels.
25
LILY
Janvier 2024, Montréal
Je souris devant mon téléphone tandis que les filles font savoir leur
dégoût. Nolia ajoute qu’elle hait les hommes, puis elle se déconnecte pour
aller s’occuper de sa fille. Jasmine, quant à elle, m’envoie un message
privé.
Je sors des toilettes en riant et vais rejoindre mon partenaire sur la glace.
À force d’entraînement intensif, je réussis désormais à patiner sans
trembler, et Orion arrive à me porter de nouveau.
La peur est toujours là, mais nous la combattons ensemble.
Je me dissocie complètement de mon propre corps, ce qui m’aide à
terminer nos chorégraphies sans faire de crise d’angoisse. Jane m’assure
que ce n’est pas la solution, que je reste dans le déni, que je rejette ce que je
ressens, mais je m’en fiche. Tant qu’elle fonctionne pour les deux prochains
mois, même si cette méthode est temporaire, elle me convient.
– … truc de merde !
Je m’immobilise, surprise par un cri qui vient d’éclater dans la
patinoire. Je reconnais tout de suite la voix d’Orion, et en tournant au
prochain virage, mes yeux tombent sur lui. Il est assis sur la glace et ses
mains cachent son visage. Scott lui murmure quelque chose, l’expression
frustrée, mais mon partenaire secoue la tête sans s’arrêter.
– Il n’arrête pas de tomber, ça me saoule, s’énerve-t-il en retirant
quelque chose de son oreille droite.
Il jette son appareil auditif par terre devant mon regard stupéfait. Scott
essaie de le raisonner, mais Orion quitte la patinoire.
D’autres patineurs le suivent des yeux, murmurant entre eux. Orion a
arrêté de cacher l’évidence sous ses bonnets, mais personne n’ose trop en
parler à voix haute.
– Qu’est-ce qu’il lui prend ? chuchote Piper, qui vient d’apparaître à
mon côté. Pourquoi est-ce qu’il gueule ?
Je fronce les sourcils, cependant, ne voulant pas me montrer trop sur la
défensive, je réponds calmement :
– Il « gueule » parce qu’il est frustré… Ça fait des jours que je le sens
sur le point d’exploser. Ses appareils auditifs ne lui conviennent pas.
Piper hausse les sourcils d’un air peu ennuyé.
– Pourquoi il les met, alors ?
– S’il n’a pas d’appareils auditifs, il n’entend pas, je lui rappelle
froidement. C’est le but, Piper.
Elle ne répond rien pendant un moment, même si je vois sur son visage
qu’elle n’est pas convaincue.
– Oui, enfin il n’a pas l’air de faire beaucoup d’efforts non plus…
Je suis tellement étonnée par sa remarque que je reste bouche bée.
Comment peut-elle dire une chose aussi insensible ? Je n’aurais jamais cru
entendre cela de sa bouche.
Je ravale ma déception avec difficulté.
– Ton handicap est bien plus chiant que le sien, ajoute-t-elle en
grimaçant devant ma cicatrice.
Je résiste à l’envie de cacher cette dernière derrière une mèche de
cheveux.
– Ce n’est pas un handicap.
– C’est quand même en plein milieu de ton visage… Il n’a pas le droit
de se plaindre alors que c’est sa faute. Au moins, il peut le cacher, lui. Pas
toi.
J’ouvre la bouche pour lui demander de répéter, les joues brûlantes
d’humiliation, mais elle m’interrompt en ajoutant qu’elle m’avait prévenue.
– Waouh, je souffle en lui adressant un regard noir chargé de dégoût.
Je ne pensais pas qu’une seule phrase suffirait à remettre toute notre amitié
en question, il faut croire qu’on peut toujours être surpris.
Je ne lui laisse pas le temps de répondre, je la quitte pour rejoindre
Orion, qui semble prêt à partir. Le discours de Piper me déçoit mais ne
m’étonne pas. Je sais que beaucoup ont le même.
Orion devrait s’estimer heureux parce que ses appareils lui permettent
de continuer à entendre. Il faudrait qu’il se taise parce que son handicap est
invisible. Il ne sera pas toujours pris au sérieux, alors que lui-même lutte
contre cette nouvelle identité.
Handicapé.
Comme si c’était une tragédie, ou même un gros mot.
Une fatalité.
Je sais que c’est ce qu’il pense, et c’est pourquoi il s’énerve du matin au
soir depuis l’accident. Rien ne va jamais comme il le souhaite. Il déprime
parce qu’il n’arrive pas à s’adapter. Il déteste ses appareils mais il refuse
d’apprendre la langue des signes avec moi.
Il déteste les endroits bruyants mais il ne veut pas décliner les
invitations.
C’est un cercle vicieux.
Il est persuadé que ce handicap réduit ses capacités en tant qu’homme,
en tant que champion. Il n’est pas prêt à faire face.
Pourtant, il va falloir… parce que seuls quelques jours nous séparent de
notre prochaine compétition.
Et si nous ne gagnons pas, c’est fini pour nous.
– Tu m’emmènes où ? me demande Orion au bout d’une heure de route.
Quand j’ai demandé à prendre le volant en sortant de la patinoire, il a
accepté malgré ses suspicions. Il ne sait toujours pas où je le conduis, mais
il a arrêté de bouder. Peut-être grâce aux three chocolate cakes qu’on a pris
sur la route, et dont il raffole.
Il a remis ses appareils aussi, bien qu’à contrecœur.
– On est arrivés.
Orion fronce les sourcils, et pour cause : nous sommes au milieu de
nulle part.
J’arrête la voiture, descends et souris face à la vue qui s’offre à nous.
Un lac gelé, entouré par les montagnes et recouvert de neige. Celle-ci a
toutefois été balayée à un endroit pour former une patinoire naturelle.
La lumière dorée de la golden hour se réfléchit sur la glace, créant une
ombre presque pailletée sur nos visages.
– Tu nous as amenés jusqu’ici pour continuer à bosser ? se plaint mon
partenaire, les mains fourrées dans ses poches.
– Je voulais qu’on soit seuls pour répéter, qu’on change un peu de
cadre. Et puis c’est romantique, non ?
– Très. Tu devrais demander à Aydan de nous rejoindre, se moque-t-il
avec un sourire froid.
Il se renfrogne, mais je m’approche et dézippe son manteau pour le lui
retirer. Je fais de même avec mes affaires, puis je lace mes patins sans trop
serrer.
– Tes appareils te gênent ?
Orion reste silencieux un moment, puis acquiesce.
– Et tu as mal aux oreilles quand tu les enlèves ?
– Non. Au contraire, c’est plutôt… paisible, dit-il en scrutant le vide
d’un air mélancolique.
– OK. Alors enlève-les.
Il me regarde comme si j’étais idiote, mais je me contente de hausser les
épaules. Piper n’avait pas totalement tort, même si nos raisonnements n’ont
rien à voir l’un avec l’autre.
– Rien ne t’oblige à en porter. Beaucoup de personnes sourdes
choisissent de ne pas en mettre.
– Et je suis censé faire comment pour communiquer avec les gens ?
– Il y a beaucoup d’alternatives, j’explique en cherchant les bons mots.
Certaines personnes utilisent la langue des signes. D’autres se contentent de
la lecture labiale. Il y a aussi cette application absolument géniale, que j’ai
trouvée sur Internet : les gens parlent et ça te retranscrit tout à l’écrit…
Son expression se ferme. Il se braque, je suis en train de le perdre.
Il refuse d’entendre la vérité, il ne veut pas avoir à changer ses
habitudes… par peur d’être confronté à cette nouvelle réalité.
Je poursuis malgré tout, quitte à ce qu’il s’énerve.
– Ta vie ne s’arrête pas là. Tu peux continuer de faire ce que tu faisais
avant. Juste… différemment. Et c’est normal que tu aies besoin de temps
pour t’adapter, c’est normal que tu sois en colère contre la vie, les dieux,
peu importe, mais arrivera un jour, bientôt, où tu devras l’accepter, Orion.
Tu ne seras jamais heureux sinon.
Mes mots sont durs. Je n’aime pas le savoir triste. Néanmoins, j’essaie
de l’aider.
– Comment veux-tu que j’entende la musique sur laquelle on patine ?
soupire-t-il.
– Qui a dit que tu avais besoin de l’entendre ? Tu as seulement besoin
de la sentir… et de me laisser te guider. Avec ceci, je précise en posant une
main à plat sur son cœur. Il y a aussi des patineurs artistiques sourds,
regarde David Michalowski !
– Je ne veux pas être un « patineur artistique sourd », Lily, me rabroue-
t-il d’un ton sec. J’ai l’impression que c’est tout ce qui me définit depuis
l’accident, et je déteste ça. J’apprécie tes efforts, vraiment, mais…
– Essaie, au moins.
Orion hésite, les dents serrées.
– Pour me faire plaisir, j’ajoute dans un rictus triste qui le persuadera
pour sûr.
Il soupire et je sais tout de suite que j’ai gagné.
Lorsque nous posons un pied sur la glace, je prends sa main pour le
guider au centre, appréciant le silence de la nature qui nous entoure.
On dirait un décor de film.
– Est-ce que tu crois que ça, je demande en pointant ma cicatrice du
doigt, ça me définit en tant que personne ? Est-ce que c’est la seule chose
qui te vient en tête quand tu penses à moi ?
Orion plisse le front comme si l’idée était ridicule. Sa naïveté me fait
sourire. Il est mignon.
– Bien sûr que non. Ça fait partie de toi, mais ce n’est qu’un détail.
Tu es bien plus que ta cicatrice… et ça me rend fou quand tu essaies de la
cacher, commente-t-il dans un murmure.
Je frissonne tandis que ses doigts caressent la ligne de mon nez. Ses
yeux sont rivés sur la longueur de ma cicatrice, qu’il suit de la pulpe de son
doigt, quand il ajoute :
– Tu ne devrais pas en avoir honte.
– Toi non plus. Tu es bien plus que ton handicap… et ce n’est pas lui
qui va t’empêcher de faire ce que tu veux, Orion Williams.
Son regard plonge dans le mien. Nous sommes si proches que je sens sa
poitrine se soulever contre la mienne à chaque respiration. Je vois qu’il
comprend où je veux en venir.
Il est sur le point de flancher, je le sens.
C’est pourquoi j’en profite pour me mettre sur la pointe de mes lames,
une main sur son épaule. Je lui retire ses appareils d’un geste délicat, puis je
les fourre dans la poche de son gilet.
– Laisse-moi te guider, j’articule en allumant la musique sur mon
téléphone.
Il accepte de s’abandonner tandis que je commence notre programme
libre. Je lui tapote le doigt quand la mélodie retentit, signe que nous devons
commencer.
Orion se prend au jeu, l’œil rivé sur chacun de mes mouvements.
Le début est maladroit, nos gestes ne sont pas aussi fluides que d’habitude,
mais nous apprenons à nous faire confiance au fil des minutes. Nos patins
glissent au rythme de la musique, et je souris vers le ciel quand Orion
effectue un porté en étoile quasi parfait.
Il a à peine flanché.
Je ne cesse de le toucher, mes mains caressant ses bras et mes doigts
tapotant l’intérieur de sa paume chaque fois qu’une figure arrive. Nous
communiquons en silence, preuve que nous n’avons pas besoin de mots
pour parvenir à cette fameuse alchimie qui nous a toujours manqué.
Au bout d’une heure, alors que le soleil décline, éclairant nos
mouvements d’une lumière si particulière, je change de musique pour
« Stay » de Rihanna et Mikky Ekko. Je hausse un sourcil interrogateur et lui
montre l’écran de mon téléphone. Il opine en esquissant un petit rictus.
Cette fois c’est lui qui me guide, en totale improvisation, sans même
entendre la musique. Je lui fais confiance et suis chacun de ses
mouvements. Il me tient fermement entre ses bras, son nez frôlant le mien
tandis qu’il nous fait glisser sur la glace sur un genou.
Quand la musique s’arrête, je lui souris avant de signer quelque chose
avec mes mains. C’est probablement maladroit, puisque j’ai appris ça en dix
minutes pendant la pause déjeuner, mais je suis fière de voir l’étonnement
dans ses yeux.
– Qu’est-ce que ça veut dire ?
– « Je ne te lâcherai pas », j’articule tandis qu’il lit difficilement sur mes
lèvres.
Sa gorge se contracte avec émotion. Je suis heureuse de voir que j’ai
réussi à le toucher.
Je rajoute quelque chose que j’ai mémorisé juste pour rire, ce qui lui
vaut un air interrogateur.
– « Imbécile », je traduis avec un sourire arrogant.
Je ne sais pas combien de temps nous restons là, mais c’est seulement
en revenant, la nuit désormais pleinement tombée, que je remarque
qu’Orion n’a toujours pas remis ses appareils.
FÉVRIER
26
ORION
Février 2024, Montréal
Parce que j’ai toujours été abandonné, j’ai cru que Lily ferait pareil.
Mon erreur a été d’attendre qu’elle me fuie, comme les autres. Parce que
c’est ce à quoi on m’a habitué.
« Je ne te lâcherai pas. »
Je tairai les émotions qui m’ont traversé en devinant cette simple
phrase, articulée en silence.
Pour une fois, quelqu’un reste.
– Tu comptes l’inviter à sortir bientôt ou t’attends qu’elle soit à la
retraite ? me demande Aydan un beau jour.
Je veux lui dire que c’est compliqué, que Scott interdit toute relation
romantique ou sexuelle entre partenaires, que Lily n’a pas l’air intéressée…
Mais ce ne sont que des excuses.
J’ai bien vu la façon dont elle me regarde.
Elle me veut autant que je la veux.
– Ce n’est pas le bon moment.
– Orion, le « bon moment » s’est fait la malle depuis des lustres. Vous
observer vous dévorer des yeux sur la glace, c’était mignon au début. Mais
depuis quelque temps, c’est devenu douloureux. Même pour moi.
Je soupire en me massant les tempes.
– Mettez fin à mon calvaire et couchez ensemble, s’il vous plaît.
– Je ne suis pas sûr qu’elle veuille d’un… handicapé.
Je n’avais pas l’intention de prononcer ces mots, mais ils se sont
précipités sur ma langue.
Aydan me scrute. Je me sens bête d’avoir dit un truc pareil, et pourtant
je ne peux pas changer ce que je pense.
Lily est différente des filles avec qui j’ai pu coucher avant. Avec elle,
j’ai peur que ce ne soit pas assez. Je suis terrifié à l’idée de faire l’amour
avec elle et de devenir accro, de vouloir plus, de ne plus imaginer ma vie
sans elle.
Si je tombe amoureux, je dois me préparer à l’éventualité qu’elle me
brise le cœur.
– Bah demande-lui.
– Pardon ?
– Pose-lui la question, répète mon ami. Pour être honnête, j’ai surtout
l’impression que tu essaies de te défiler, et que tu mets ta lâcheté sur le dos
de Lily.
J’y réfléchis longuement avant de me rendre compte qu’il a raison.
– Mec, tu sais que tu n’es pas complètement idiot ?
– Évidemment que je le sais, répond-il en roulant des yeux. Mais
personne ne me croit jamais quand je le dis.
Je profite que Lily soit absente pour passer la journée sans mes
appareils auditifs. Je ne veux pas l’avouer à voix haute, mais bordel ce que
c’est apaisant.
Ma partenaire passe son samedi en famille, alors je m’occupe à faire le
ménage. Je lance une machine à laver avant de nettoyer la salle de bain de
fond en comble. Mais quand je commence à étendre le linge, quelque chose
m’arrête.
– Oh non… Non, non, non !
J’ouvre la bouche, choqué par ce qui me fait face. Le doudou de Lily
me fait toujours peur, c’est pourquoi je l’ai rebaptisé Chucky, mais il me
provoque une bouffée d’angoisse pour une tout autre raison.
Son pelage blanc a pris une couleur bleu délavé.
Mes yeux tombent sur le coupable : mon sweat à capuche indigo. Je n’ai
pas fait attention, Chucky devait trôner quelque part près de la pile à linge,
et j’ai tout embarqué en même temps.
Elle va me tuer.
Lily m’a déjà dit combien ce doudou compte pour elle. Elle l’a depuis
sa naissance, c’est la première peluche qu’on lui a donné à la maternité. Son
frère l’a choisie lui-même, à savoir la personne la plus importante de sa vie.
Je sors tous les produits que je possède et tente de faire disparaître la
couleur. Je frotte tellement fort que les poils de la brosse se retournent sur
eux-mêmes.
Ça ne veut pas. La couleur persiste et me nargue…
Je n’ai pas le temps de réfléchir, j’enfile mes chaussures en vitesse,
attrape le lapin borgne et prends la voiture pour me rendre chez le seul
teinturier que je connaisse.
La dame au comptoir m’adresse un salut que je n’entends pas. Pourtant,
ses lèvres bougent.
Putain.
Je remarque seulement maintenant que j’ai oublié mes appareils sur le
meuble de la cuisine.
Mes mains commencent à transpirer à cause de la panique. C’est la
première fois que je me retrouve dans ce genre de situation. Je ne sais pas
quoi faire, alors je dis bonjour et lui montre le doudou.
– Est-ce que vous croyez qu’on peut faire quelque chose ?
Au lieu d’acquiescer ou de secouer la tête, la femme ouvre la bouche et
débite des choses que je suis incapable de comprendre.
Je lui adresse une grimace désolée, pointant mon oreille du doigt :
– Pardon, je n’entends pas bien… Vous pouvez me faire signe de la
tête ? Ou alors parler moins vite.
Je peux peut-être lire sur ses lèvres, comme me l’a conseillé Lily. Mais
la dame fronce les sourcils tandis que la porte s’ouvre derrière moi et qu’un
couple entre à son tour. Elle dit quelque chose, mais je suis incapable de
saisir quoi. Je lui tends le doudou, désespéré, mais je vois bien qu’elle est
agacée. Elle ne semble pas comprendre le problème puisqu’elle continue à
me parler comme si de rien n’était. Ou peut-être qu’elle s’en fiche.
– Je suis… je commence sans parvenir à prononcer le mot tabou. Je ne
vous entends pas. Est-ce que vous pourriez écrire sur un bout de papier ?
Elle soupire fortement puis lance un regard blasé aux gens derrière moi.
Je crois décrypter : « Je n’ai pas le temps pour ça » sur ses lèvres.
Je suis tellement gêné que j’acquiesce avant de partir tête baissée.
Dans la voiture, je télécharge l’application dont m’a parlé Lily, qui
retranscrit l’oral à l’écrit.
Je visite plusieurs teinturiers, et l’application est un soutien précieux,
mais au bout de trois j’abandonne. Chucky est mort. Irrécupérable.
Après avoir jeté un coup d’œil à ma montre, je comprends qu’il ne me
reste qu’une seule solution.
Trouver un remplaçant.
Je fais toutes les boutiques qui n’ont pas encore fermé, un peu à la hâte.
Je montre la peluche pour référence et demande si un modèle qui lui
ressemble existe. Peut-être qu’avec ça, Lily me pardonnera…
Je parle le moins possible, gêné par les regards curieux lorsque les gens
comprennent que je ne les entends pas. Je parie que ça les arrange bien, vu
les murmures qu’ils échangent quand je rejoins enfin ma voiture.
J’ai fini par trouver plusieurs lapins blancs quelque peu similaires,
même s’il est évident que ce n’est pas Chucky.
Je reviens à la maison avec cinq doudous à la main, dépité.
Je remets aussitôt mes appareils auditifs, rassuré, et vais dans la
chambre de Lily pour déposer l’un des nouveaux doudous. Je sursaute
presque en découvrant la silhouette de celle-ci allongée sous les
couvertures.
– Lily ? je souffle dans l’obscurité.
Elle n’était pas censée rentrer si tôt. Je remarque qu’elle est encore
habillée, alors je m’inquiète. Peut-être qu’elle est malade.
Je me penche vers elle, un coude sur le matelas, pour poser le dos de ma
main sur son front. Sa peau est chaude, mais rien d’inquiétant.
Je la regarde dormir quelques secondes. Elle a l’air si paisible… La voir
ainsi me donne envie de faire pareil. Cette journée a été exténuante
psychologiquement. Je m’allonge donc à ses côtés dans un soupir fatigué.
– T’étais où ?
Je suis tellement surpris par sa question murmurée dans un demi-
sommeil que je me contente de scruter son dos sans répondre.
– Et toi ? Je croyais que tu devais rester en famille.
Le silence s’étend un long moment, jusqu’à ce que sa voix me
parvienne de nouveau :
– Je crois… que je n’aime pas mes amis.
Je fronce les sourcils en entendant la tristesse dans son ton, et étonné
qu’elle change de sujet ainsi. J’ai envie de tendre la main pour la toucher, la
prendre dans mes bras, la rassurer.
Mais je ne fais rien de tout ça.
– C’est comme si je ne la connaissais pas vraiment, et que je ne m’en
rendais compte que maintenant. Est-ce que j’ai été tellement autocentrée
que je n’ai pas remarqué que la fille avec qui je passe mes journées est…
mon opposé.
Je ne sais pas quoi dire. Pour être honnête, j’ai toujours pensé que Piper
et Lily n’avaient rien à voir l’une avec l’autre. Je n’ose pas lui donner mon
avis sincère, mais au fond de moi je suis convaincu que Piper a vu le
potentiel de Lily très tôt et s’est greffée à elle en espérant briller elle aussi.
– Pendant des années, je me suis sentie coupable de la jalouser,
coupable d’être si mesquine au lieu d’être heureuse pour elle, ajoute Lily
dans un souffle quasi inaudible.
– Toi, tu la jalousais ? Pourquoi ?
Cela me semble inconcevable.
– Parce qu’elle avait tout ce que je voulais. Sa vie est facile. Elle est
blonde, blanche, belle. Moi, j’ai dû bosser plus dur qu’elle, plus dur que les
autres, pour qu’on me prenne au sérieux, pour qu’on me remarque, pour
qu’on ne m’oublie pas. J’ai dû faire le double, et ce n’était encore pas assez.
Soudain, je comprends. Pourquoi elle n’a pas de vie sociale, pourquoi
elle veut toujours être parfaite, pourquoi elle n’a pas supporté que je la
sabote par simple caprice. Lily n’a pas le privilège de pouvoir se reposer sur
ses lauriers. En tant qu’homme métis, je le comprends.
Encore une chose qu’on a en commun.
Cette fois, je me colle à son dos et enlace sa taille de mon bras. Lily se
laisse aller à mon étreinte, son corps moulé parfaitement contre le mien.
– Il faut que je t’avoue un truc, je souffle, ma bouche contre ses
cheveux. Le jour de notre rencontre, ce que tu m’as entendu dire… c’était
un mensonge. Je n’ai jamais pensé que tu étais une « débutante », j’ai dit ça
pour convaincre Scott de me laisser tranquille.
Elle reste silencieuse, mais je sais qu’elle écoute attentivement.
– La vérité, c’est que j’avais visionné une vidéo de toi la veille et que
j’ai vu une future championne. Alors j’ai eu peur de tout gâcher… peur de
te briser comme j’ai brisé les autres. Tu ne méritais pas ça. Je voulais que tu
ailles loin.
J’ai à peine terminé ma phrase que Lily se retourne pour se retrouver
face à moi. Nos nez se touchent presque tant nous sommes proches.
Le doux éclat de la lune éclaire faiblement son visage.
– Tu crois vraiment à ces conneries, hein ?
Mon index descend le long de son nez, caressant sa cicatrice. Le plus
étrange dans toute cette histoire, c’est qu’elle n’y croit toujours pas.
– Comment faire autrement ? je rétorque sans oser croiser ses yeux.
Tous ceux que j’aime tombent comme des mouches… Les uns après les
autres…
– Je suis toujours là, moi.
Mon regard rencontre enfin le sien tandis que ses doigts s’accrochent à
mon tee-shirt.
– Je ne crois pas que tu sois maudit, Orion. Je pense que tu préfères le
penser parce qu’il te faut un coupable… et que c’est plus facile de se
blâmer, plus facile de se saboter. Parce que tu refuses d’être heureux, tu
culpabilises d’avancer sans eux… Mais ce n’est pas ce que tes parents
auraient voulu.
Non, je le sais bien. Et ça fait plaisir d’entendre ces quelques mots,
précieux, qui font que mon cœur palpite plus fort dans ma poitrine. Où est-
ce à cause de son corps si proche du mien ? De son regard voilé de désir ?
De l’odeur de lavande qui émane d’elle et fait de moi un affamé ?
Sa main gauche repousse une mèche invisible sur mon front, puis ses
doigts caressent ma tempe. La tension est telle que j’ai peur de briser le
silence.
Mais soudain elle le fait.
Elle me sourit timidement. Et dit :
– Continue de briller plus fort que les autres, Petite Étoile.
J’arrête de respirer.
Petite Étoile.
Quelque chose me transperce en plein cœur et je sens une larme
solitaire couler le long de ma joue. Je dévisage ce bout de femme
incroyable qui me fait face, cette force de la nature qui n’a pas une seule
fois abandonné, pas même quand son corps la suppliait de le faire.
Ma rivale, ma fan et ma partenaire à la fois.
Mon amie et bien plus que ça.
En une seconde, ma main se pose sur sa joue et ma bouche trouve la
sienne.
Ses lèvres sont douces et chaudes, mais je n’ai pas le temps d’en
apprécier le contact.
Merde, qu’est-ce qu’il me prend ?
– Pardon, je murmure en reculant. J’aurais dû deman…
Mes prochains mots meurent sur ses lèvres. Lily m’embrasse en retour,
une main nichée dans mes cheveux, l’autre empoignant mon tee-shirt. Oh.
C’est tout ce qu’il me fallait.
L’adrénaline fuse dans mes veines, le sang me monte au cerveau, un feu
inonde ma poitrine. Je serre sa taille entre mes bras, apprécie le contact de
ses seins pressés contre mon torse, prends le temps de savourer celui de nos
corps dans l’obscurité. Je n’ai pas envie de me précipiter, surtout parce que
je détesterais que le moment prenne fin trop vite…
– Ouvre la bouche, Lily, je chuchote entre ses lèvres.
Elle s’exécute aussitôt pour me laisser goûter sa langue. J’explore sa
bouche avec douceur et avidité. Elle est divine. C’est un putain de feu
d’artifice dans ma tête, et c’est douloureux, mais d’une souffrance plaisante
que je n’arriverai pas à oublier, je le sais.
Je veux plus, mais je me retiens.
Pas encore. Ne lui fais pas peur.
Lorsque l’une de ses paumes s’infiltre sous mon tee-shirt, caressant mes
abdos d’un toucher hésitant, je pousse un soupir qu’elle avale aussitôt. Elle
essaie de reprendre son souffle mais je la serre plus fort pour l’en empêcher.
– Est-ce que tu veux qu’on s’arrête ? je la questionne en priant que non.
Lily secoue la tête en silence. Dieu merci.
Mes doigts jouent avec la couture de son tee-shirt, mais je les garde
accrochés à sa hanche tandis que mes lèvres migrent vers le creux de son
cou. J’embrasse cet endroit sous son oreille, tendrement, et soupire :
– Bordel… tu vas me détester.
Elle me repousse gentiment, un sourcil arqué pour marquer son
interrogation. La vue de ses lèvres humides et gonflées, ainsi que de ses
joues roses, me fait tourner la tête.
Je soupire et attrape Chucky, qui traînait au sol. En le voyant, Lily
écarquille les yeux.
– Il y a eu un léger accident aujourd’hui… Je suis tellement désolé. J’ai
tout essayé, mais ça ne voulait pas partir. J’ai voulu t’en acheter un
nouveau, mais aucun ne lui ressemblait vraiment et je n’étais pas sûr duquel
te plairait le plus, alors… j’ai paniqué…
Je dépose les cinq lapins sur le lit, dans l’espace qui nous sépare. Lily
regarde la pile de peluches avec la bouche grande ouverte, toujours
silencieuse.
– Je sais ce qu’il représente pour toi… Tu peux m’en mettre une, si tu
veux. Juste pas trop fort s’il te plaît, je suis douillet.
J’attends son verdict avec angoisse, mais elle finit par serrer Chucky
contre elle… et par sourire doucement.
– Ce n’est rien. Je l’ai délavé un nombre incalculable de fois avant toi,
alors ne t’inquiète pas.
Elle dépose un baiser sur le doudou, puis le range dans le tiroir de sa
table de chevet.
Je l’ai échappé belle.
Je veux continuer à l’embrasser, mais je n’en fais rien. Ma main reste
posée dans le creux de ses reins et effectue des cercles apaisants sur sa
peau. Elle me considère un long moment, silencieuse.
– Je préfère te prévenir, Orion… Je ne veux pas d’un petit copain,
déclare-t-elle calmement. Je ne peux me permettre aucune distraction, pas
maintenant. On vient tout juste de devenir amis, je ne veux pas gâcher ça
non plus.
Ses paroles ne m’étonnent pas, pourtant je ne peux éviter la déception
qui tire sur mon cœur. Parce que j’avais raison : après seulement un baiser,
voilà que j’ai envie de faire d’elle ma petite amie.
Je veux qu’elle soit à moi. Et que je sois à elle.
– En revanche, ajoute-t-elle dans un chuchotement, tu l’as dit toi-même,
on a besoin d’évacuer le stress… et j’ai ouïe-dire que certains amis
couchent parfois ensemble…
Je pince les lèvres pour m’empêcher de sourire, sans succès.
Lily veut coucher avec moi. Pas avec Aydan ou n’importe quel gars de
Tinder.
Avec moi.
Ma prise se raffermit autour d’elle. Ma main glisse de ses hanches à ses
fesses. J’ai peur de ne pas réussir à me retenir, même si ma raison m’assène
d’y aller doucement. Je veux me laisser le temps d’apprendre à connaître
chaque courbe de son corps, chaque son qui s’échappe de sa bouche,
chaque zone érogène…
– J’ai ouïe-dire ça aussi, je réponds dans un murmure amusé. Tu l’as
déjà fait ?
Je me rappelle l’avoir entendue dire qu’elle n’aimait pas le sexe sans
sentiments. Pourquoi s’engager dans ce genre de relation si elle n’a pas
l’intention de mettre son cœur en danger ?
Mais surtout : vais-je réussir à me contenter de ce qu’elle voudra bien
me donner ?
– Non, avoue-t-elle sans oser me regarder dans les yeux. Est-ce que
c’est un problème ?
Je lui demande ce qu’elle veut dire par là, confus.
– Que je n’aie jamais couché avec personne.
Oh. J’ouvre la bouche sous l’effet de la surprise. Je… ne m’attendais
pas à cela. De toute évidence, il y a eu malentendu.
– Comment ça se fait ?
Je la crois, bien sûr, même si je ne peux m’empêcher d’être curieux.
Lily hausse les épaules.
– Je n’en ai pas eu l’occasion jusqu’ici… Ni l’envie, pour être honnête.
Tu trouves ça bizarre ?
– Pas du tout. Et non, ce n’est pas un problème tant que tu es sûre de toi
et que tu choisis de le faire parce que tu en as envie, avec quelqu’un en qui
tu as confiance.
Soudain, je m’en veux de l’avoir poussée à « se détendre » dans les bras
de quelqu’un d’autre. Je suis un idiot. Même si je suis bien placé pour
savoir que personne ne force jamais Elizabeth Pham à faire quelque chose
qu’elle ne veut pas.
– J’ai envie de le faire avec toi.
– Waouh. Pas de pression.
– T’inquiète, me rassure-t-elle en me tapotant l’épaule. Je n’ai aucune
attente. En fait, la barre est plutôt placée bas. Si c’est nul, je n’aurai même
pas de quoi comparer.
Je ne sais pas si elle dit ça pour m’embêter, mais je la fusille du regard
malgré l’amusement.
– C’est tout de suite très rassurant, merci.
– De rien. On s’organise comment, du coup ? Tu veux faire ça
maintenant, ou tu préfères qu’on prenne le temps de se préparer ? Merde, je
n’ai pas de préservatif… J’irai en acheter demain. Tu connais ta taille ?
– Lily.
Je prends son visage en coupe pour l’obliger à arrimer ses yeux aux
miens, ce qu’elle fait. Elle semble légèrement essoufflée, et je devine
qu’elle panique un peu.
Comme dans tous les autres aspects de sa vie, Lily est une
perfectionniste. Elle est organisée, préparée, déterminée. Elle veut bien
faire. Elle n’a pas d’autre choix que d’être la meilleure.
Je veux lui montrer qu’elle n’est pas toujours forcée d’être comme ça.
Cette fois, je veux qu’elle se laisse aller.
– On ne va pas coucher ensemble, je souffle par-dessus la peau de sa
gorge. Pas ce soir, en tout cas.
Elle fronce les sourcils, vexée. Elle semble même en colère le temps
d’une seconde.
– Je ne suis pas une nonne non plus, tu sais ? J’ai vu des vidéos et je lis
les livres de Sarah J. Maas. Je sais des choses, peut-être un peu trop.
Je pense même que je serais douée !
Je jure dans ma barbe, les yeux clos. Un frisson délicieux descend le
long de mes cuisses jusqu’à la pointe de mes pieds. Elle essaie de
m’achever, ce n’est pas possible.
– Je n’ai aucun doute là-dessus. Mais Lil… Le sexe, ce n’est pas une
compétition. Le jour où on couchera ensemble, on ne sera pas sur la glace.
Il n’y a ni points, ni juges, ni adversaires. Juste nous et un peu de magie.
Ce n’est pas grave, si ce n’est pas parfait.
Son visage se radoucit, si bien que je continue :
– J’ai envie qu’on prenne notre temps. Je veux apprendre à connaître
ton corps… à savoir ce qui t’excite… ce que tu n’aimes pas… Fais-moi
confiance, OK ? Je m’occupe de tout.
Je sens ses joues chauffer sous mes paumes, preuve que je l’ai ébranlée.
Je me penche pour capter ses lèvres dans les miennes, un doigt sous son
menton.
Lily accepte mon baiser avant de murmurer :
– OK.
Elle me rappelle toutefois à l’ordre, insistant sur le fait que cette
nouvelle « relation secrète » ne peut pas aller plus loin.
– Je ne serai pas une distraction, je promets.
Son sourire me fait presque culpabiliser d’avoir menti.
27
LILY
Février 2024, Séoul
Après dix-huit heures de vol, nous voilà enfin arrivés à Séoul, en Corée
du Sud, où se déroulent les championnats des Quatre Continents.
Orion a passé la moitié de ce temps à dormir sur mon épaule, ses doigts
entrelacés aux miens.
– Je rêve ou vous êtes enfin devenus amis ? s’est réjouie Isabella sous le
regard suspicieux de Scott.
– Oh là, tout doux ! « Amis » est un grand m…
– Meilleurs amis, a répondu Orion en levant nos mains entremêlées
comme preuve ultime. Aydan nous a obligés à nous couper les ongles de
pied l’un l’autre, ça nous a rapprochés.
Je grimace de dégoût devant ce mensonge. Mais je l’avoue, c’est mieux
que de dire la vérité : « On a prévu de coucher ensemble incessamment sous
peu. On vous tient au jus ! »
Je ne l’aurais pas pensé, mais Orion est du genre collant. Je n’ai jamais
trop aimé les hommes tactiles, néanmoins il y a une certaine fragilité chez
mon partenaire qui me plaît et m’apaise.
Comme tout le reste.
J’ai évidemment demandé l’avis de mes amies après ce qu’il s’est passé
dans mon lit l’autre soir.
ORION
Février 2024, Séoul
LILY
Février 2024, Montréal
ORION
Février 2024, Montréal
Mon téléphone vibre une nouvelle fois dans la poche de mon manteau,
mais je l’ignore.
Je sais qui c’est. Lily est du genre tenace.
Je lui ai envoyé un message pour la prévenir que j’allais m’aérer
l’esprit, il y a deux heures de cela. Elle continue malgré tout à me demander
où je suis.
Je n’ai pas répondu parce que je préférais être seul. Après tout, personne
n’a pensé à me laisser participer à la conversation. Les voir parler de moi,
me pointer du doigt, sans pouvoir les entendre ni comprendre de quoi il
s’agissait…
Cela m’a rappelé la réalité de mon handicap.
J’ai merdé. J’ai mis Piper en danger. Je ne mérite pas que Lily me
défende avec tant de ferveur.
Je profite donc du silence et du froid, la tête levée vers les étoiles.
J’aurais dû l’entendre. Et si Piper s’était gravement blessée ? Et si les
autres n’étaient pas intervenus à temps ?
Et si cela arrivait à Lily ?
Nous vivons ensemble, après tout. Et si elle se blessait et criait à l’aide
sans que je l’entende ? Et si le détecteur de fumée se déclenchait pendant la
nuit ? Et si quelqu’un entrait par effraction à mon insu ?
Cette surdité est dangereuse. Je la déteste.
Est-ce que c’est ce à quoi ma vie va ressembler maintenant ? Devoir
charger mes appareils pour entendre la plus basique des conversations ?
Devoir demander aux gens de se répéter, de parler moins fort ? Devoir
éviter les endroits trop bruyants et empêcher mes amis de faire la fête ? Voir
la pitié s’installer dans les yeux de Lily… et la laisser prendre ma défense
parce que je suis trop faible pour le faire moi-même ?
Sur la glace, c’est pareil. Ma partenaire me pousse à enlever mes
appareils, mais je suis censé la guider, non l’inverse.
Je suis encore trop fâché contre les dieux.
Je ne comprends pas pourquoi je suis tant puni.
Quand je rentre enfin au chalet, les lumières sont éteintes. C’est
pourquoi je suis surpris de voir Lily assise sur le canapé, seule, les jambes
repliées sous son menton. Son visage illuminé par le feu de cheminée qui
crépite me laisse apercevoir la colère sur ses traits.
Le chalet est plongé dans la semi-obscurité, et les assiettes vides sont
toujours sur la table ; sauf une, toujours pleine. Sûrement la mienne.
– Tu ne dors pas ? je demande doucement en retirant mes bottes pleines
de neige.
Lily tend la main vers moi, et je devine que celle-ci contient mes
appareils auditifs, désormais chargés. Je les prends pour les remettre,
silencieux.
Sa voix me parvient enfin lorsqu’elle dit :
– T’étais où ?
– Je prenais l’air.
Lily m’observe sans répondre, un plaid recouvrant ses pieds. Elle a
enfilé son pyjama et a attaché ses cheveux dans une queue-de-cheval. Elle a
l’air crevée.
– Où sont les autres ?
– Ils sont montés dormir.
Je laisse tomber mon manteau sur le fauteuil le plus près, les mains
frigorifiées. Je n’ose pas m’approcher d’elle.
– Et toi ? Il est deux heures du matin.
– Je préfère dormir sur le canapé ce soir, avoue-t-elle en scrutant les
flammes qui dansent devant ses yeux.
Elle ne veut pas partager la chambre avec Piper… et je suis prêt à parier
qu’elle m’attendait. Si elle s’apprêtait à dormir, elle n’aurait pas laissé la
musique tourner sur le tourne-disque.
– Je suppose qu’il est trop tard pour aller m’excuser auprès de Piper…
Je le ferai demain, je soupire en m’asseyant à côté d’elle.
– Tu n’as pas à t’excuser. C’est plutôt l’inverse.
Je ferme les yeux et pose une paume rassurante sur son genou.
– Elle aurait pu se faire très mal… Heureusement que vous étiez là.
Lily repousse ma main avec une froideur qui me surprend. Sa colère ne
fait que grandir sur son visage, si bien qu’elle prend bientôt toute la place.
Une peur monstrueuse me tord le ventre à l’idée qu’elle puisse m’en
vouloir.
– Qu’est-ce que j’ai dit ?
Son regard noir me trouve et ne me quitte plus.
– Est-ce qu’un aveugle devrait s’excuser de ne pas avoir vu un enfant se
noyer devant lui ?
Je serre les dents devant la comparaison. Elle a raison, même si cela me
fait toujours aussi mal.
– Je ne suis pas sans défense, tu sais ? dis-je en repoussant une mèche
de ses yeux. Je n’ai pas besoin que tu te battes pour moi, Petite Fleur. Tu as
assez de tes propres batailles pour jouer les justicières.
– Je…
– Ce n’est pas parce que je réagis à la colère différemment de toi que je
suis faible, j’ajoute sans la laisser m’interrompre. Je peux être fort et
silencieux, fort et doux. Je sais qu’un homme doit crier et taper dans les
murs pour avoir l’air viril, mais…
Lily pose son index sur mes lèvres pour me faire taire. Toute colère a
disparu de son expression.
– C’est faux. Tu es parfait comme ça… Même si c’est frustrant pour
moi, qui suis plutôt du genre à foncer dans le tas.
Je lui offre un sourire en coin amusé.
– J’ai remarqué.
Pour être honnête, je n’ai pas réagi aux accusations de Piper parce que
je n’ai rien entendu. J’ai évidemment compris la situation de moi-même,
mais ses remarques me sont passées au-dessus de la tête.
– Prends ma chambre, je propose sans la quitter des yeux. Je vais
dormir ici.
Lily ne répond rien. Sa bouche pulpeuse s’ouvre légèrement, mais
aucun son n’en sort. Je la détaille par réflexe, me rappelant le goût
incroyable de sa peau.
– Je crois que je vais rester encore un peu… si ça ne te dérange pas.
Je secoue la tête tandis qu’elle approche son visage du mien. L’attente
est une véritable torture. Nos nez se frôlent, nos lèvres se touchent sans
vraiment s’unir, et nous restons comme ça de longues secondes.
Je la respire, mes doigts jouent avec la naissance de ses cheveux, dans
sa nuque.
Je l’embrasse lentement, avalant chaque soupir, chaque frisson. Je me
délecte de son goût autant que des réactions de son corps. J’aime savoir que
c’est moi qui lui fais ressentir tout ça.
Plus les secondes passent, plus notre baiser devient passionnel, presque
urgent. Le désir qui fuse dans mes veines est tel que je suis incapable de
cacher mon érection naissante.
– Tu me fais perdre la tête, je chuchote entre deux baisers. Tu le sais,
ça ?
Sa bouche migre plus bas, dans mon cou, vers cet endroit sensible
derrière l’oreille. Lorsque sa langue lèche la pomme d’Adam qui roule sous
ma peau fine, des images plus qu’indécentes me viennent en tête.
Un feu s’allume dans le creux de mon estomac.
J’attrape sa cuisse de ma main gauche pour la faire basculer sur mes
genoux. Mon dos retombe sur le dossier du canapé et la voilà qui me
domine, ses jambes de part et d’autre de mon corps.
Une putain d’œuvre d’art.
Mes doigts s’agrippent à la chair de ses hanches. Elle m’embrasse avec
une telle fièvre que je peine à garder le rythme.
Ma peau s’enflamme et mon cœur bat trop vite dans ma poitrine, plus
vite encore lorsque je me redresse pour sentir ses tétons durs contre mon
torse. Mon bras s’enroule autour sa taille, la poussant à se cambrer.
– Je ne pensais pas… souffle-t-elle en brisant notre baiser. Je n’ai jamais
pensé que ça pourrait être comme ça…
Ses pupilles sont dilatées lorsque mon pouce effleure sa lèvre inférieure.
J’effectue une légère pression dessus pour l’ouvrir, et soudain sa bouche se
referme sur mon pouce. Je manque d’exploser lorsque sa langue caresse la
pulpe de mon doigt… lentement… de haut en bas.
Seigneur.
– Lily, je grogne. Si quelqu’un descend…
Son regard reste rivé au mien alors qu’elle suce mon pouce avant de le
libérer de son étau mouillé.
Mon corps tout entier brûle. J’ai tellement envie d’elle que c’en est
douloureux.
– Pour moi non plus, je reprends, le souffle court. Ça n’a jamais été…
comme ça avant.
J’ai connu plusieurs filles, mais je n’ai jamais été incapable de respirer à
leur contact. Seule Lily réussit cet exploit.
Soudain, elle ondule du bassin contre mon entrejambe et je deviens son
obligé.
Je contemple le spectacle qu’elle m’offre, happé par la symphonie de
nos respirations mêlées au crépitement des flammes et à la musique douce
qui remplit la pièce. Je n’aurais jamais cru voir Lily Pham me chevaucher
de la sorte, dans un chalet au milieu de la forêt.
– Comme ça ? souffle-t-elle.
Une mèche de ses cheveux retombe sur son visage et s’accroche à ses
lèvres humides. Je la décale pour pouvoir voir ses yeux à loisir, puis je
passe la main dans son dos pour tirer sur son élastique. Sa chevelure noire
retombe sur ses épaules, et je la caresse du bout des doigts.
– Là, c’est parfait.
J’embrasse son menton tandis que mes doigts s’infiltrent sous le tissu de
son pyjama. J’explore la peau brûlante de son dos, doucement. Lily
emprisonne alors mon cou de ses bras pour accélérer le rythme. Bouche
contre bouche, nos respirations saccadées se mélangent. Je la vois se
mordre la lèvre pour s’empêcher de gémir, et cela suffit à m’exciter
davantage.
Je niche ma tête contre sa poitrine, entre ses seins, et ferme les yeux.
La friction de son entrejambe contre la couture de mon jean me fait craquer
et je lâche un grognement de plaisir.
– Et si quelqu’un nous regardait ? demande-t-elle dans un souffle
erratique.
Je sais qu’elle fait référence à la baie vitrée du salon, dans son dos, qui
donne vue sur le lac. Sa question me fait sourire contre son tee-shirt fin.
Elle ne porte pas de soutien-gorge, putain.
– Personne ne nous regarde, Lily.
– Comment tu peux en être sûr ?
Je relève la tête, assez pour rencontrer son expression intimidée. Puis
ma main glisse sous l’élastique de son short, ce qui la surprend. Je lui laisse
le temps de me repousser, mais elle n’en fait rien. Au contraire, son bassin
pousse contre ma paume, impatient.
– Si c’est le cas, autant qu’ils en aient pour leur argent, non ?
Elle est si mouillée que l’espace d’un instant j’ai peur de jouir trop tôt.
– Oh… mon Dieu, jure-t-elle à mon contact.
Je la touche, encore et encore, tout en l’embrassant jusqu’à en perdre
haleine. J’explore ses replis avec patience, tentant de savoir ce qui lui plaît,
mais aussi ce qu’elle aime moins.
– La prochaine fois que tu te toucheras, je souffle dans son oreille, je
veux que tu te souviennes de ce moment, de l’empreinte de mes doigts sur
toi…
Au moment où ses cuisses tremblent de façon incontrôlable, le plancher
grince au-dessus de nos têtes. Je me raidis instantanément. Lily a tout juste
le temps de bondir de mes genoux avant qu’une silhouette ne descende
l’escalier.
Faites que ce ne soit pas Jane, faites que ce ne soit pas Jane, faites
que…
– Vous ne dormez pas ?
Lily et moi tournons la tête vers Piper, qui contourne le canapé pour
prendre un verre d’eau. Elle s’arrête net en nous voyant, son regard
bondissant entre nous.
Et merde.
Je sais très bien de quoi nous avons l’air. Nos joues rouges, nos lèvres
gonflées, nos cheveux ébouriffés… et nos mines coupables.
Elle scrute le coussin que j’ai posé sur mon entrejambe puis lâche un
petit rire jaune.
– Je vois… Tout s’explique.
Elle s’adresse à Lily en disant cela, et je peux deviner au ton qu’elle
emploie qu’elle n’a pas l’intention de garder le secret.
Lily la dévisage sans rien dire, la mâchoire serrée.
Au moment où Piper s’apprête à nous laisser, je lance :
– Au fait, Piper. Désolé, pour tout à l’heure… Ta cheville a l’air d’aller
mieux, cela dit.
Elle hoche la tête en silence. Je devine qu’elle se fiche bien de mes
excuses, lesquelles auraient été sincères, si elle ne s’était pas foutue de moi.
– C’est drôle… j’ajoute en plissant les yeux. Je pensais que c’était
cassé, ou du moins foulé.
En guise de réponse, elle me lance un regard mauvais.
– Je n’ai jamais dit qu’elle l’était.
– Et malgré ça, tu es restée dix minutes au sol sans pouvoir te relever
seule ? Waouh… Ça devait être douloureux.
Nous sommes tous les trois patineurs, nous avons tous connu des
entorses et des foulures. On sait ce que c’est que de se casser un os. Si sa
cheville n’était pas cassée ni foulée, Piper était capable de se relever toute
seule.
Je lui souris, appréciant la honte sur ses traits.
– En tout cas, je suis content que ça ne soit rien de grave ! Ce serait
dommage que cela t’empêche de gagner les nationaux.
– Je n’ai pas été sélectionnée pour les nationaux.
– Ah… Bon. Un jour, peut-être !
Je tends mon pouce dans les airs pour lui montrer tout mon soutien,
mais elle se contente de partir, les lèvres pincées.
Ce n’est que lorsque sa porte claque à l’étage que Lily se tourne vers
moi. Sa mine impressionnée me fait sourire.
– Tu vois ? Moi aussi, je sais me défendre… à ma manière.
31
LILY
Février 2024, Montréal
ORION
Février 2024, Montréal
Lily reste silencieuse lors du trajet retour. Une fois à la maison, elle
m’annonce que Jane va venir la récupérer une fois qu’elle aura fait ses
valises. Le mini-sapin de Noël posé dans le salon, qu’aucun de nous n’a eu
l’envie de remballer, me nargue vicieusement.
– Tu pars vraiment ? je demande bêtement.
– Scott nous tuerait s’il savait que je reste.
L’idée de me retrouver seul ici me déprime, mais je n’essaie pas de la
retenir. Je la regarde faire ses sacs et décoller les photos au-dessus de son
lit.
Princesse pleure un peu, elle sent que quelque chose se prépare, quelque
chose qui ne va pas lui plaire. Je la caresse derrière les oreilles pour la
rassurer, en vain.
– Je ne sais même pas où tu habites.
– Je t’enverrai mon adresse par message, assure-t-elle en pliant son
pyjama.
Je remarque qu’elle emmène l’un des nouveaux doudous que je lui ai
achetés, et ce simple geste me fait mal. Je n’ai pas envie qu’elle parte.
Je n’ai plus envie de dormir seul.
– Et la nuit ?
– Je ferai comme je l’ai toujours fait jusqu’ici, Orion. Je ne suis plus
une enfant.
– Je parlais de moi, je marmonne, frustré qu’elle me tourne le dos.
J’ai besoin que tu restes, je pense sans réussir à articuler les mots.
Parce que j’ai fait l’erreur de tomber amoureux de toi, Juste Lily… et il
n’y a plus de retour en arrière possible.
– Justement, pense à t’acheter une alarme lumineuse. Juste au cas où…
Elle ne finit jamais sa phrase. Mes bras entourent ses épaules et je la
serre contre moi par-derrière. Je niche mon visage dans son cou, les yeux
fermés. C’est l’odeur que j’ai pris l’habitude de humer pour m’endormir.
C’est le corps que j’ai appris à étreindre pendant mes insomnies.
L’idée de revenir dans mon lit froid me terrifie.
– Je n’ai pas envie que tu partes, je chuchote comme je lui confierais un
secret.
Lily ne dit rien pendant un moment, si bien qu’on reste ainsi sans
bouger. Sa main se pose sur mon bras, chaude et rassurante.
– Je peux te laisser Chucky, si ça te rassure, plaisante-t-elle malgré son
sourire triste.
– Non merci. Il risque de m’assassiner dans mon sommeil.
– On savait que c’était temporaire, Orion. Que ce soit aujourd’hui ou
dans un mois, c’est la même chose.
Elle ment, et nous le savons tous les deux. La vérité, c’est que je la sens
déjà s’éloigner. Depuis que j’ai dit ce que j’ai dit, depuis que j’ai prononcé
ces mots, elle s’est complètement fermée.
Si elle déménage, j’ai peur de la perdre complètement.
Alors je me jette dans le vide.
Je tente un truc, peu importe les conséquences.
Je joue mon cœur, pour la première fois de ma vie.
– J’ai menti.
Ses gestes se suspendent dans les airs. Mon rythme cardiaque s’accélère
quand elle se retourne entre mes bras. Son regard est méfiant, mais elle
m’écoute.
– Quand j’ai dit que je ne serai pas une distraction, je murmure en
caressant ses joues de mes pouces. Je sais que tu ne voulais pas d’un petit
ami, parce que tu as peur que ce soit un obstacle à ta carrière, un danger à ta
victoire. Mais la vérité, c’est que quand je fais quelque chose, je
m’implique à fond ou pas du tout.
Je ne pensais vraiment pas tomber amoureux d’elle, encore moins si
vite. Mais comment pouvais-je résister ? Lily me pousse à être moi-même.
Elle me fait sourire même quand je n’en ai pas envie. Je ressens le besoin
de la protéger du monde entier, de la soutenir dans tous ses projets.
Je veux qu’elle aille le plus loin possible.
Et j’ai envie d’être là pour elle quand ça arrivera.
– J’ai mes défauts, mais je pense faire un bon petit ami. Je suis un peu
collant, c’est vrai. Un peu jaloux aussi. J’ai l’oreille dure, dans tous les sens
du terme, je plaisante malgré mon cœur battant la chamade. Je ne sais pas
très bien cuisiner non plus. Mais je suis là quand tu en as besoin.
S’il te plaît, dis oui. Donne-moi une chance.
– Si tu me laisses faire, je serai la meilleure distraction possible, Lil.
Je ne m’opposerai jamais à ton succès. Je serai le premier à te pousser.
Je ne sais même plus ce que je dis, à ce stade. C’est ridicule, et j’en ai
bien conscience.
Peut-être qu’elle me considère seulement comme un ami. Peut-être
qu’elle ne voudra jamais se mettre en couple.
Ou alors peut-être qu’elle ne veut pas de moi. Parce que je suis maudit.
– Orion, répond-elle d’une voix ferme malgré son tremblement. Qu’est-
ce que tu me demandes, au juste ? Sois plus clair, parce que j’ai peur de mal
comprendre.
Je prends une grande inspiration avant de me lancer :
– Je veux être ton exception. Alors laisse-moi te montrer ce que tu rates,
Elizabeth Pham… Laisse-moi faire de toi la petite amie la plus chérie du
pays. Laisse-moi t’aimer comme tu mérites d’être aimée. Mais surtout :
laisse-moi une chance de te montrer qu’une vie à mes côtés vaut bien mieux
qu’une vie sans.
Je suis presque certain qu’elle va prendre peur et fuir à toutes jambes.
Presque.
Lily me regarde comme elle ne l’a jamais fait avant, avec un mélange
d’effroi et de choc.
– Je… Je te l’ai dit, je ne peux pas…
– Mais pourquoi ? j’insiste sans pouvoir m’en empêcher.
– Parce que ! Scott a raison, dès qu’on pense avec le cœur, on s’attire
des problèmes.
Elle tente de s’écarter, mais je tiens bon.
– Un rencard, je la supplie. Un seul.
Lily cille avant de déglutir. Un sourire résigné habille soudain sa
bouche.
– Tu penses pouvoir me convaincre en un rencard ?
– J’ai confiance en mes charmes.
Elle acquiesce alors, non sans un soupir.
– OK. Faisons ça, Petite Étoile.
Je lui souris, soulagé. Je sais qu’elle n’a pas envie de se laisser charmer,
qu’elle est terrifiée, mais ce n’est pas grave.
J’ai bien l’intention de la faire changer d’avis.
33
LILY
Février 2024, Montréal
Laisse-le venir.
« Aussi » ?
Je vois que t’es confiant.
ORION
Février 2024, Montréal
– Arrête-toi.
Je cligne des yeux, surpris par son ton ferme.
Suis-je allé trop loin ? Je ne veux pas qu’elle prenne peur.
Je mets mon clignotant malgré la route déserte et je m’arrête sur le côté.
À peine ai-je tiré sur le frein à main que Lily s’empare de ma nuque pour
me tirer à elle.
Nos bouches s’entrechoquent avec violence et passion. Je grogne de
douleur et de surprise mêlées. Mes doigts appuient sur sa ceinture de
sécurité au hasard, priant pour la libérer, puis sur la mienne après que j’y
suis parvenu.
Ses fesses heurtent le volant lorsqu’elle essaie de me chevaucher, ce qui
déclenche le klaxon. Nous rions comme des enfants.
Je l’embrasse avec avidité, mes mains sur ses cuisses. Elle est
incroyablement sexy. Ce jean lui fait un cul de folie, même si je la préfère
en leggings de sport. Les siens laissent très peu de place à l’imagination, et
j’avoue honteusement en avoir profité.
– Tu me rends dingue, dit-elle en fourrant ses mains dans mes cheveux.
Je lève le menton pour lécher son cou dans une descente lente et
provocatrice.
– Bienvenue au club.
Mes mains remontent sur ses flancs, relèvent son tee-shirt à rayures sur
ses seins. Ma bouche immortalise chaque centimètre carré de sa peau
brûlante, ce qui la fait respirer plus fort.
– C’est un oui, alors ? je demande en écartant sa brassière sur le côté.
Je suis tellement concentré sur la vue de ses seins que je manque
presque le rouge pivoine qui colore ses joues et ses oreilles.
– Je ne sais pas, souffle-t-elle avant d’avouer : Ça m’effraie.
Je prends son sein dans une main, puis le lèche du plat de ma langue.
Lily frissonne, son bassin ondulant délicieusement contre mon érection.
La sensation est divine.
– Je croyais que tu aimais prendre des risques ? Qu’il en fallait plus
pour te faire peur ?
J’embrasse son téton avec révérence avant de le prendre dans ma
bouche. Je le suce et joue avec, doucement, passionnément.
Plus elle soupire de plaisir, plus j’accélère le rythme.
– Tu es la seule personne que je connais qui ne craint pas de tomber, Lil,
j’ajoute en espérant qu’elle cède. Pourquoi ce serait différent du patinage ?
– Je peux me permettre de blesser mes jambes et mes bras. S’ils se
cassent, ils pourront être réparés, chuchote-t-elle en plaquant mon visage
contre sa poitrine. Mais mon cœur, non.
Je m’écarte pour la regarder droit dans les yeux.
– Si tu tombes, je serai là pour te rattraper, Petite Fleur.
Je signe alors quelque chose avec mes mains, et son visage s’affaisse.
Je sais qu’elle comprend, parce que ce sont les mots qu’elle a utilisés ce
jour-là, sur le lac gelé. Je les ai appris par cœur exprès.
Je ne te lâcherai pas.
J’aperçois des larmes au coin de ses yeux tandis qu’elle laisse tomber
son front sur mon épaule. Je lui accorde le temps qu’il lui faut, ma main
dans sa nuque. Après un moment, elle se dégage précipitamment de moi, si
bien que je perds mon sourire. Merde. Est-ce que je viens vraiment de tout
gâcher en voulant trop insister ?
Je m’apprête à lui dire de revenir quand je la vois passer entre les deux
sièges… et s’asseoir au milieu de la banquette arrière. Ses yeux se plongent
dangereusement dans les miens tandis qu’elle passe son tee-shirt au-dessus
de sa tête, ainsi que son soutien-gorge. Ma bouche devient sèche de la
regarder faire. Tout mon corps grésille et devient dur à sa vue. L’étincelle
d’indécence qui brille dans ses prunelles est le parfait miroir de la mienne.
Elle balance ses bottes par terre, puis elle se penche pour saisir le col de
mon manteau.
Je suis à sa totale merci.
– Tu n’as pas intérêt à me briser le cœur, Orion Williams.
Putain. Je rêve ou c’est un oui ?
Je n’ose même pas lui poser la question. Je la rejoins, difficilement à
cause de mon grand corps. Lily m’aide à retirer mon haut, et bientôt seuls
nos souffles excités résonnent dans la voiture.
Je tente de lui enlever son jean, ce qui se révèle d’une complexité sans
nom au vu du manque d’espace, et cela la fait rire.
J’ai à peine le temps de déboutonner le mien qu’elle fait dévaler une
cascade de baisers le long de mon torse nu.
– Allonge-toi sur le dos, Petite Fleur.
Lily s’exécute, curieuse. Son corps est seulement illuminé par la petite
lumière du rétroviseur intérieur, mais cela me suffit à le dévorer des yeux.
La perfection incarnée. Je caresse sa poitrine d’une main jusqu’à
l’anneau perçant son nombril… puis plus bas. Sa respiration se coupe
lorsque je baisse sa culotte le long de ses jambes.
Mes mains tirent sur celles-ci, assez pour poser ses fesses sur mes
genoux. Je tends deux doigts vers elle.
– Prends-les dans ta bouche.
Ses lèvres s’ouvrent, laissant découvrir sa langue, puis se referment sur
mes doigts. Elle les lèche et les suce sans me quitter du regard, et c’est le
truc le plus sexy de la terre.
Je sais que ça fait longtemps que je n’ai pas fait l’amour, Aydan a assez
insisté là-dessus… mais bordel, je ne me souvenais pas que c’était aussi
intense.
Aussi puissant.
Je la veux tellement que je suis incapable de penser à autre chose.
Matin, midi, soir. Lily ne quitte pas un seul instant mon esprit.
Je reprends possession de mes doigts mouillés par sa salive. Ses jambes
s’ouvrent dans une douce invitation qui me fait frissonner.
– S’il y a quoi que ce soit que tu n’aimes pas, dis-le-moi.
Elle acquiesce avant que je ne caresse son clitoris dans des mouvements
circulaires. J’explore jusqu’à trouver ce qui lui plaît, même si je commence
à avoir ma petite idée.
Quand mes doigts entrent en elle, l’un après l’autre, Lily gémit.
Nous n’allons pas coucher ensemble ce soir. Je ne veux pas que sa
première fois se fasse à l’arrière d’une voiture dans laquelle je dois me plier
en deux. Je veux pouvoir prendre le temps, et que nous ne risquions pas de
nous faire arrêter par la police pour exhibitionnisme.
Pour autant, je compte bien lui faire découvrir un plaisir inédit pour elle.
– Tu veux que j’aille lentement… ou plus vite ?
– Les deux, souffle-t-elle sans me regarder. Je ne sais pas.
Une de mes mains lui caresse les seins tandis que l’autre va et vient en
elle dans des gestes lents. J’accélère à mesure qu’elle laisse entendre son
plaisir. Ses bruits sont tellement sexy qu’ils me donnent envie de la goûter
avec ma bouche.
Je recourbe mes doigts à l’intérieur d’elle, cherchant ce point sensible
qui la fera basculer. Lorsqu’elle est proche de l’orgasme, je ne tiens plus.
Je retire mes doigts pour soulever ses cuisses plus haut.
Lily laisse échapper un cri de stupeur au moment où mes lèvres trouvent
son centre.
– Oh oui… Orion…
Je serre ses cuisses entre mes bras pour la tenir contre mon visage.
Le premier coup de langue sur son clitoris est doux et hésitant, pour
m’assurer que ça lui plaît.
Mais lorsque je sens ses hanches pousser contre ma bouche, je lui donne
ce qu’elle veut. Je dévore ses lèvres mouillées tel un festin, grogne contre
son sexe pour lui montrer que c’est aussi bon pour elle que pour moi.
Elle est tellement belle, là, tout de suite, dans cette position… Je suis
bien content qu’elle ne puisse pas lire dans mes pensées à ce moment
précis, car ça lui ferait sûrement peur.
Je n’ai plus jamais envie de la laisser partir.
J’ai envie qu’elle abandonne son appartement et trouve refuge dans mon
lit chaque soir.
Je veux la goûter toutes les nuits et me réveiller avec son corps entre
mes bras.
– Je pourrais faire ça toute la journée, je murmure sans m’arrêter.
La prochaine fois, ce sera dans mon lit. Sur le comptoir de la cuisine, aussi.
Putain, partout.
– Tu es complètement fou…
– On m’a déjà dit pire, Lil.
Je suce son clitoris puis la pénètre de ma langue à défaut de ne pas
pouvoir entrer en elle autrement. Mon sexe est si dur que c’en est
douloureux. Une de mes mains le caresse pendant que je continue à
tourmenter Lily.
– Je… Je vais venir, s’écrie-t-elle en s’accrochant à mes cheveux courts.
Ses cuisses tremblent de manière incontrôlable autour de moi sous la
force de son orgasme.
Ses yeux voilés de plaisir rencontrent les miens quand je me redresse,
sexe en main. Elle me regarde pendant que je me masturbe au-dessus d’elle,
passant la langue sur mes lèvres mouillées.
Il ne m’en faut pas beaucoup.
La vue de son corps nu et moite me fait partir.
Je grogne au moment de l’orgasme, la tête levée vers le ciel, et éjacule
sur son ventre.
Putain. Je n’arrive pas à croire qu’on vient de faire ça.
Je ferme les yeux pour profiter de cette sérénité d’après-sexe, puis
j’attire Lily à moi malgré nos poitrines collantes.
– Waouh, je chuchote contre son cou. Bordel. De merde.
Sa bouche m’embrasse avec tendresse. Son corps est chaud, son cœur
est enragé sous son sein.
Comme le mien.
– On se croirait dans une scène de Titanic, plaisante-t-elle en faisant
référence à la buée sur les vitres.
Je ris avant d’attraper sa main et de la plaquer contre la fenêtre.
– Voilà, dis-je devant notre empreinte. Là, c’est parfait.
Nous restons comme ça de longues minutes. Ce n’est pas du tout
confortable, mais aucun ne veut briser la magie du moment.
Je n’arrive pas à croire qu’on ait fait ça.
Dans ma voiture, qui plus est.
C’est la sonnerie de mon téléphone qui nous sort de notre bulle. J’ouvre
la vitre avant pour aérer, puis je décroche en voyant le nom d’Aydan.
– Tu nous déranges. Qu’est-ce que tu veux ?
– Scott essaie de vous joindre depuis une heure, répond mon ami d’un
ton sérieux qui réussit à m’inquiéter.
Je jette un coup d’œil à l’heure, puis à mes appels manqués : 8. Merde.
S’il me dérange à cette heure-là un soir de Saint-Valentin, c’est que c’est
sérieux !
– Qu’est-ce qu’il se passe ? je demande en essuyant mon torse à l’aide
d’un mouchoir.
Je fais de même sur le ventre de Lily, qui me regarde avec curiosité.
– Je ne sais pas… Mais ça a l’air grave. Tu devrais le rappeler au plus
vite.
Je promets de le faire avant de raccrocher.
Lily se rhabille en me demandant pourquoi Scott nous harcèle hors du
travail.
– Aucune idée. Viens, je te ramène chez toi.
Une fois que nous reprenons la route, je connecte mon téléphone à la
voiture et rappelle Scott. Je n’ai pas besoin de prévenir Lily, ma partenaire
garde les lèvres scellées.
– T’es où ? répond mon coach avec fureur.
Oh, je vois. Pas de bonjour ni de civilités.
– Je suis en train de conduire, j’ai loupé tes appels. Tout va bien ?
– À toi de me le dire, Orion. Qu’est-ce que tu fous, au juste ? Ça te fait
plaisir de foutre ta vie en l’air ?
Je plisse le front en même temps que Lily, les yeux sur la route.
– Je ne comprends pas… Tu peux être plus clair sur ce que tu me
reproches ?
– On vient de recevoir tes résultats de tests anti-dopage.
Je me raidis instinctivement. Le temps que je digère la nouvelle, Scott
enchaîne déjà :
– Et ils sont positifs.
35
LILY
Février 2024, Montréal
Dans l’avion, Orion enlève ses appareils et tourne la tête vers le hublot.
Je comprends le message implicite : il n’a pas envie de parler. Je le laisse
donc tranquille et passe neuf heures à visionner des vidéos de patinage en
boucle.
Cette fois, nous devons être parfaits. Je n’ai pas le droit à l’erreur, Orion
encore moins. Surtout face aux Russes, qui se montrent absolument
impitoyables dans leurs programmes, comme tous les ans.
J’ai déjà évoqué le sujet avec Isabella et Scott : j’aimerais intégrer de
nouvelles figures dans notre programme libre. Je veux prendre des risques,
offrir un vrai show !
– C’est une mauvaise idée, m’a tout de suite arrêtée Isabella. Tu crois
peut-être que ton stress post-traumatique a disparu en un mois ?
– Orion n’est pas prêt non plus, a confirmé Scott. Essayez déjà de
perfectionner ce que vous avez.
Leur refus catégorique m’a frustrée, même si je suis assez intelligente
pour admettre qu’ils ont raison. Après tout ce qu’il s’est passé, nous
sommes encore fragiles.
Malgré tout… J’ai envie de tenter le tout pour le tout.
À notre arrivée à Oslo, je comprends pourquoi les hivers norvégiens
sont réputés rudes. Il fait si froid que j’ai envie de mourir. La nuit est déjà
tombée, mais je n’ai aucune idée de l’heure qu’il est.
– En arrivant à l’hôtel, prenez un dîner léger et allez dormir, nous
ordonne Scott une fois dans le taxi.
Orion n’a toujours pas articulé un seul mot, et ça commence à me faire
peur. J’attends que nous soyons seuls, ce qui n’arrive qu’une fois que nous
sommes dans le hall de l’hôtel. Je laisse Scott et Isabella gérer les
réservations, puis j’en profite pour entrelacer mes doigts à ceux d’Orion.
– Tu n’as pas beaucoup parlé… Tu n’es pas soulagé ?
– Si. Je suis juste fatigué. Je n’ai pas dormi depuis trois jours.
Je ne suis pas très étonnée de l’entendre.
Je veux lui proposer de me rejoindre cette nuit, mais c’est le moment
que choisit une horde de journalistes pour nous approcher, micro en main.
Je sursaute avec stupeur, ne les ayant pas entendus arriver.
– Orion ! Comment vous sentez-vous ?
– Avez-vous quelques mots à dire sur les accusations de dopage à votre
sujet ?
– Trouvez-vous la décision du TAS juste envers les autres
compétiteurs ?
– Que répondez-vous aux gens qui vous accusent de corrompre les
Jeux ?
En trente secondes top chrono, nous voilà encerclés, emprisonnés,
noyés.
Je lâche la main d’Orion par réflexe, les joues brûlantes, mais celui-ci
s’accroche à moi d’un bras autour de ma taille.
Il leur offre un sourire hypocrite que je connais trop bien en disant :
– Je n’ai aucune communication à faire sur le sujet.
C’est Scott qui nous sort de là, bravant la foule pour nous dire de
monter à l’étage.
Je perds la main d’Orion dans la cohue.
Ils se fichent bien de moi, c’est son sang à lui qu’ils veulent.
Une fois seule dans la sécurité de ma chambre, je me rends enfin
compte de l’ampleur que cette histoire risque encore de prendre…
1. Tribunal arbitral du sport.
36
ORION
Février 2024, Oslo
LILY
Février 2024, Oslo
Orion et moi sommes assis derrière une longue table, le visage à moitié
caché par des micros. Notre médaille d’or pèse lourd sur ma poitrine tandis
qu’une foule de journalistes nous fait face. Je déteste les conférences de
presse, c’est l’un des mauvais côtés du métier, selon moi.
Je ne suis pas douée pour parler en public. Je passe toujours pour
quelqu’un de froid et de hautain, c’est pourquoi je suis bien contente
d’avoir Orion à mes côtés. Lui, il sait faire. C’est un charmeur-né.
Au début, les questions sont inoffensives.
– Comment vivez-vous ce sacre ? demande l’un d’eux. Que représente-
t-il pour vous ?
Orion se tourne vers moi, un sourire encourageant aux lèvres.
Je m’approche du micro pour répondre :
– C’est un rêve éveillé. Il n’y a pas si longtemps de ça, je regardais
Orion sur ma télé en espérant devenir sa rivale. Aujourd’hui, je gagne les
Jeux olympiques à ses côtés. J’aime à croire que c’est le début d’une belle
histoire.
Mon partenaire serre ma main sous la table, ce qui aide mon cœur à se
calmer dans ma poitrine.
– Orion, vous n’avez gagné les Mondiaux en couple qu’une seule fois, il
y a trois ans. Êtes-vous confiant pour l’étape finale ? demande une femme
avec un iPad en équilibre sur ses genoux.
– S’il y a bien une personne capable de me donner la victoire en dehors
d’Harper, c’est bien Lily. Mais nos adversaires sont redoutables, alors on ne
peut que donner notre maximum…
Les questions se succèdent. Je me détends au fil des minutes, pressée
d’en finir pour pouvoir profiter de mon lit douillet, et de mon partenaire.
Mais soudain, un murmure se répand dans la salle. Les journalistes se
regardent entre eux, et beaucoup de mains se lèvent en même temps.
Je remarque trop tard que tous leurs téléphones sont allumés. Une
femme se lève quand Orion la pointe du doigt, et je devine à son expression
sombre que la question ne va pas me plaire.
– Il semblerait que votre médaille soit contestée. Comment vous sentez-
vous à cette annonce ?
Je me fige sur ma chaise, le teint livide. Contestée ?
Qu’est-ce que ça veut dire, au juste ? Est-ce même possible ?
Je cherche nos coachs du regard, mais ils sont introuvables.
Orion bafouille sans comprendre, mais la journaliste le devance avec
cruauté :
– Le jury est accusé d’avoir délivré des résultats fondés sur du
favoritisme.
Ma main se referme autour de ma médaille par réflexe, comme terrifiée
qu’on vienne jusqu’ici pour me l’arracher.
C’est la mienne. Je l’ai méritée.
J’ai l’impression d’être dans un terrible cauchemar. Ma respiration
s’accélère devant les centaines d’yeux qui nous fixent, étouffée par le bruit
des murmures mélangés aux click ! incessants des appareils photo.
Je n’arrive pas à retenir les mots qui passent mes lèvres :
– « Favoritisme » ? Je ne comprends pas…
– Beaucoup s’interrogent sur l’objectivité de Charles Roy, qui entretient
d’ailleurs une grande amitié avec votre coach.
Orion fronce les sourcils, l’expression obscure. Son sourire taquin a
disparu, tout comme le mien.
– Mais…
– Malgré votre programme parfait, le Japon a offert une performance
plus alambiquée. Ne pensez-vous pas que vos concurrents auraient dû être
récompensés pour leur prise de risque ?
Je veux lui répondre que je ne suis pas jury, que ce n’est pas mon travail
ni mon problème.
Ont-ils le droit de contester une médaille qui nous revient de droit, juste
à cause de rumeurs idiotes ?
– Ce n’est pas notre place de remettre en cause la décision des juges,
répond Orion dans un sourire crispé. Nous respectons énormément nos
adversaires japonais, et…
– Donc Roy n’a eu aucune influence sur votre retour aux Jeux
olympiques ? lance un autre journaliste, sa caméra braquée sur nous.
Pouvez-vous affirmer avec certitude que la trimétazidine que vous avez
ingérée « par erreur » n’a eu aucune incidence sur vos prouesses
d’aujourd’hui ?
Je tremble de tout mon corps devant son audace.
Il a osé, le salopard !
– Orion a été forcé d’arrêter son traitement pour… je commence, avant
d’être interrompue :
– D’autres patineurs ont été suspendus et sanctionnés pour moins que
ça. Dans ce cas, comment expliquez-vous la décision du TAS ?
Tout le monde sait ce qu’il insinue. En embrassant la salle du regard, je
devine qu’ils pensent tous la même chose. À l’heure où nous parlons, les
médias clament que nous avons triché. Que le jury est corrompu.
Pire que cela : que nous ne méritons pas de gagner.
Cette simple pensée m’empêche de respirer.
L’extrême joie que j’ai pu ressentir il y a quelques instants disparaît.
C’est comme s’ils venaient de me voler ma victoire…
Comme s’ils avaient effacé tout ce pour quoi j’ai travaillé si dur.
Ils ont gâché le meilleur moment de ma vie en une seconde.
– Une partie du public demande que vous soyez retirés de la
compétition, ajoute quelqu’un que je ne vois pas parmi la foule. D’autres
aimeraient que la finale soit reconduite, avec un nouveau jury. Seriez-vous
prêts à accepter cette décision ?
– Je crois que nous allons arrêter les questions, lance Orion en éteignant
nos micros. Merci à tous d’être venus.
Je l’entends à peine. Les larmes s’accumulent à la lisière de mes yeux.
Tout ce que je veux, c’est partir.
S’ils pensent que je ne mérite pas cette médaille, alors je n’en veux pas.
Je n’ai que faire d’une médaille tachée par leurs rumeurs.
C’est pourquoi je me lève au milieu du chaos, ignorant les appels de
mon partenaire.
Je pars, tout simplement. Mes jambes tremblent mais je tiens bon, le
visage sans expression.
– Elizabeth, une dernière question, s’il vous plaît !
C’est le moment que je choisis pour imploser. Avant de savoir ce que je
suis en train de faire, ma main s’accroche à ma médaille.
Une larme s’échappe quand je l’enlève violemment, le geste ébouriffant
mes cheveux, et la jette à travers la pièce.
Tout le monde hoquette de surprise, les appareils photo désormais
braqués sur moi.
– Prenez-la, je n’en veux plus.
Sur ce, je quitte la pièce sans regarder en arrière.
Je n’ai pas besoin d’un bout de métal pour me dire ce que je vaux.
Et pourtant, j’ai passé ma vie à courir après cette médaille, parce que sans
elle je ne suis rien.
Je n’aurais jamais cru la refuser un jour.
MARS
38
ORION
Mars 2024, Montréal
Ne pouvant pas nous entraîner devant nos coachs, nous allons répéter
nos nouvelles figures tard le soir, à la patinoire qu’utilisent Jane et le reste
de son équipe de hockey.
Parfois, ils restent plus tard pour nous regarder. Tous sifflent ou
applaudissent en nous voyant patiner, ce qui fait rire Lily. Si je comprends
bien, ils sont nombreux à l’avoir connue plus jeune. Ils la considèrent tous
comme une petite sœur, ce que je trouve mignon. Un peu moins lorsqu’ils
me crient dessus au moment où Lily se ramasse sur la glace, tête la
première. Je pousse un juron en l’aidant à se relever, inquiet.
– Tu essaies de la tuer, ou quoi ? hurle l’un d’eux.
– Non, je…
– Fais doucement ! Ses jambes valent de l’or, imbécile !
– Je sais, mais…
– Tu devrais aller à la salle plus souvent, si t’es pas capable de la
rattraper correctement !
Ce n’est pas qu’ils me font peur, mais j’avoue que leur carrure me force
à hocher la tête sans trop répondre.
À la fin de la soirée, j’ose à peine toucher Lily, conscient des regards
noirs qui me transpercent le dos. C’est elle qui finit par chasser les
coéquipiers de son frère, agacée par leur comportement surprotecteur.
Seuls Aydan et Jane restent pour nous encourager, ou pour roucouler
depuis les gradins.
– Ugh, on n’y arrive pas ! s’énerve Lily au bout d’une semaine de
travail acharné.
– On s’en approche, doucement mais sûrement.
C’est faux… et c’est ma faute, je le sens. Mes muscles sont trop tendus,
je ne suis pas assez concentré. J’ai l’impression de revenir à nos débuts,
quand j’étais trop flippé à l’idée de la soulever dans les airs.
Ne pas avoir Scott et Isabella en soutien empire la situation. J’ai trop
peur de la faire tomber, peur qu’elle ne se blesse pour de bon, cette fois, et
que ce soit irréversible.
Une semaine s’écoule encore tandis que nous répétons douze heures sur
vingt-quatre, tous les jours. Lily a le corps recouvert d’hématomes, mais
elle continue d’enchaîner triple axel, quadruple jump et throw quad
salchow.
Nous les réussissons une fois sur quatre. Ce n’est pas beaucoup, mais
aucun de nous n’est prêt à abandonner. Je sens que Lily est tendue, et je
comprends pourquoi : elle touche son rêve du doigt. Elle s’entraîne pour les
Mondiaux depuis toujours. Elle veut battre mon record, et je sais qu’elle en
est capable… mais elle se met trop de pression, et je crains que cela ne lui
pose problème.
Dans quelques jours, c’est notre dernière chance.
Notre dernière épreuve.
Nous n’avons même plus le temps de nous voir en tête à tête, si bien
que, même si je la vois tous les jours…
Lily me manque.
– Il faut que tu me donnes plus d’élan, me conseille-t-elle un soir, le
front en sueur.
– Si je fais ça, je risque de te lancer trop fort.
– Tant mieux. Ça me laissera le temps d’effectuer mes rotations avant
de me réceptionner.
Aydan et Jane sont installées dans les gradins en train de grignoter des
chips. Ils rigolent à propos de quelque chose sur leur téléphone.
Lily et moi essayons une fois de plus, avec la musique pour changer.
Nous patinons côte à côte à une vitesse fulgurante, le vent soufflant dans
nos cheveux. Lorsque je pose les mains sur ses hanches, j’obéis… et la
propulse dans les airs avec force.
Je comprends que c’est une erreur à la seconde où je le fais, et pour
cause : nous sommes trop près du mur.
Non !
Mes yeux s’écarquillent alors qu’il est déjà trop tard pour que je
réagisse.
Lily effectue ses rotations à la perfection, mais lorsqu’elle atterrit, ses
patins tremblent et la font chuter. Son corps s’écrase sur la glace à une
vitesse terrifiante, et je la vois rebondir contre le bord en bois avec une
force qui me paralyse aussitôt.
La plaque de plastique transparent au-dessus tremble bruyamment sous
son poids, ce qui interpelle Jane et Aydan.
– Lily !
Je fonce vers elle et tombe à genoux à ses côtés, au moment où Jane
s’élance sur la glace. Je ne l’ai jamais vu aussi effrayé.
Mon cœur pulse d’effroi lorsque je palpe le corps de ma partenaire à la
recherche d’une quelconque blessure.
– T’es malade ou quoi ? hurle Jane en me repoussant.
– Jane, arrête, grogne Lily de douleur. Je vais bien.
Le soulagement m’inonde la poitrine, mais pas pour longtemps.
On répète depuis deux semaines, sans succès. Il faut se rendre à
l’évidence… Ça ne fonctionne pas.
– Tu n’as pas vu ce que j’ai vu, rétorque son frère en l’aidant à se
relever. Il t’a jeté comme un vulgaire sac à patates !
– J, intervient Aydan, resté légèrement en retrait. Ce n’est pas la faute
d’Orion. C’était un beau lancé, pour ce que ça vaut. Ils étaient juste trop
proches du bord.
Jane le fusille du regard, mais cela semble lui clouer le bec. Je bafouille
quelques excuses, même si Lily roule des yeux en me faisant comprendre
que ce n’est rien.
Nous l’emmenons jusqu’aux gradins pour vérifier l’état de sa cheville et
de sa tête. Elle dit avoir le tournis, ce qui m’inquiète tout de suite, mais au
bout de cinq minutes, elle prétend aller mieux.
– Avoue, tu l’as fait exprès, plaisante-t-elle avec un sourire en coin que
j’ai tout de suite envie d’embrasser.
– Ce n’est pas une plaisanterie…
– Plus de peur que de mal, non ?
– Ça ne marche pas, Lily. Je crois qu’on devrait laisser tomber.
Désolé… J’ai essayé.
Cette fois, son sourire s’évapore. Aydan comprend qu’une dispute
menace et persuade Jane de partir plus tôt ce soir. Nous les laissons prendre
leurs affaires et s’éclipser en silence.
Très vite, Lily et moi sommes les derniers dans la patinoire.
– Ne me regarde pas comme ça, je soupire devant son air mi-énervé mi-
suppliant.
Je ne supporte pas de voir la déception dans ses yeux.
– Pourquoi ? Est-ce que ça fonctionne ?
Oui.
(Un peu.)
Je suis vraiment trop faible !
– Lily, c’est un trop gros risque. Imagine si tu t’étais cassée la cheville
ce soir !
Ma partenaire tente d’insister, mais ma décision est déjà prise. Les gens
peuvent penser ce qu’ils veulent : que nos programmes sont trop prudents,
que nous ne méritons pas de gagner, peu importe. Elle comme moi savons
ce que nous valons. Nous avons réussi à remporter les Jeux olympiques
avec ce programme, alors pourquoi commencer à douter de son efficacité ?
– Je ne crois pas qu’on devrait se laisser influencer par les autres. C’est
comme ça qu’on se trompe.
– Et si cette décision nous coûte l’or ? me défie Lily.
Je hausse les épaules, déterminé.
– Alors ainsi soit-il. Je ne vais pas parier ta vie là-dessus.
C’est cette dernière phrase qui finit par la convaincre.
– On arrête. Désolé, Petite Fleur… j’ajoute après qu’elle a hoché la tête.
Je retourne au vestiaire en ignorant son air penaud. Je sais qu’elle s’en
remettra vite. Contrairement à elle, je nous fais entièrement confiance. Nous
avons le potentiel pour remporter les Mondiaux.
Et c’est ce que nous allons faire.
39
LILY
Mars 2024, Montréal
ORION
Mars 2024, Montpellier
LILY
Mars 2024, Montpellier
ORION
Mars 2024, Montpellier
LILY
Mars 2024, Montpellier
ORION
Mars 2024, Montpellier
Le soir tombé, nous profitons une dernière fois des terrasses françaises
en compagnie des amies de Lily – à l’exception de Nolia, qui a dû partir
retrouver son bébé.
Satomi et Hiro se joignent à nous, et nous mangeons, rions, dansons
pour célébrer notre victoire. Tout est parfait.
À notre retour à l’hôtel, Scott ne fait aucun commentaire en voyant Lily
entrer dans ma chambre.
Nous nous endormons comme des masses au bout de deux minutes,
encore à moitié habillés, dans les bras l’un de l’autre.
Je passe la meilleure nuit de toute ma vie. Longue, paisible et sans
réveil.
– Et si l’on restait là pour toujours ? chuchote Lily au petit matin, la
joue contre ma poitrine.
– En France ?
– Dans cette chambre d’hôtel.
Je considère la question plusieurs secondes. Je dois avouer que c’est
tentant. J’ai peur de ce qui nous attend une fois que nous serons rentrés à
Montréal…
Mon handicap. Oliver. Mon futur. Notre relation.
Je n’ai pas envie d’y faire face, pas encore. Mais s’il y a bien une chose
que Lily m’a apprise, c’est que c’est nécessaire. Il faut affronter ce qui nous
fait peur pour faire place au meilleur.
– On finirait par mourir de faim.
– Il y a des trucs dans le minibar. Il y a aussi le room service.
– Et après ?
– Après… je n’aurai d’autre choix que de te manger. Désolée.
Je souris, amusé.
Je laisse cette pensée planer entre nous pendant un bon quart d’heure.
Puis je la traîne dans la douche, où c’est moi qui la dévore.
Nous dormons encore pendant le vol retour au Canada, terrassés par une
fatigue extrême. Scott nous a obligés à porter nos gilets du club ainsi que
nos médailles, sous prétexte que des journalistes nous attendront à
l’aéroport à l’arrivée.
En effet, des flashs m’aveuglent lorsque nous descendons l’escalator
avec nos valises. Une petite foule composée de photographes nous
mitraillent, micro en main.
Scott tente de nous briefer mais mon esprit est attiré ailleurs. Par notre
groupe d’amis, que je reconnais à l’immense bannière qu’ils brandissent,
sur laquelle n’importe qui peut lire :
« BRAVO KREATTUR ! MEILLEURE PATINEUSE DU MONDE ! »
– Je vais le massacrer, grogne Lily derrière un sourire poli.
J’éclate de rire en voyant Aydan et Jane nous acclamer assez fort pour
nous humilier. Harper se trouve juste à côté d’eux, en compagnie de son
mari, rayonnante. Piper est absente, mais je pense que c’est pour le mieux.
– C’est ma sœur ! hurle Jane avec fierté, ce qui pousse des gens à se
tourner vers lui.
Quand il se décale d’un cran, je remarque le tee-shirt qu’il porte.
Il s’agit d’une photo de Lily quand elle avait environ dix ans, où l’on voit
son appareil dentaire et ses cheveux en bataille. En bas se trouvent les mots
« ORION FAN CLUB DEPUIS 2001 » en lettres roses pailletées.
Lily se cache le visage de ses mains, rouge de honte.
– J’ai envie de mourir.
Je passe un bras autour de ses épaules pour la rassurer.
– Tu sais très bien qu’il le fait exprès.
– Lors de son prochain match, je me pointerai avec des casquettes
personnalisées que je distribuerai dans le public. Si je réussis à soudoyer ma
mère, je devrais pouvoir trouver une photo de lui sur le pot. Il avait six ans,
précise-t-elle avec un air diabolique.
Je lui offre un clin d’œil complice et promets :
– Je t’aiderai.
Malgré leur guerre, les frère et sœur Pham se jettent dans les bras l’un
de l’autre. Aydan et moi sourions de concert, attendris.
– Bravo, mec, me félicite-t-il. Je n’avais pas de doute, mais ça fait
plaisir de voir que j’ai vraiment toujours raison.
Harper lui pince la peau du bras, avant de rétablir la vérité :
– C’est faux. Il est venu à la maison pour regarder la finale, et il a parié
sur les Russes.
– Espèce de traître, je le taquine gentiment. C’est à moi que tu devrais
donner de l’argent.
Je prends Harper dans mes bras et la remercie d’être venue. Son mari
me serre la main par-dessus le fauteuil roulant, tout sourire.
– Harper, voici Lily.
Je présente les deux filles, une main naturellement posée dans le dos de
ma partenaire. Lily embrasse Harper sur les deux joues, à la française. Elles
échangent des banalités, jusqu’à ce que Scott et Isabella nous pressent de
sortir. On attire trop l’attention, mieux vaut partir.
Aydan et Jane proposent d’aller boire un verre ce soir, mais je me vois
forcé de décliner.
– Je dois récupérer Princesse, que j’ai laissée chez Harper.
– Je peux la garder encore un peu, ce n’est pas un problème, me propose
cette dernière.
La vérité, c’est que je suis crevé. J’ai envie de retrouver mon chez-moi.
Je suis un homme d’habitudes. De plus, je ne sais pas si je peux endurer une
autre soirée dans un endroit bruyant. J’ai envie… de silence.
– C’est gentil, mais je vais rentrer, j’insiste donc avec un sourire.
Lily me scrute sans rien dire, et je sais que je n’ai pas besoin de
m’expliquer. Elle lit dans mes pensées. Je sais aussi qu’elle hésite à faire de
même, mais elle doit comprendre que j’ai envie d’être seul.
Même si la quitter me terrifie. Parce qu’il n’y a pas de « À demain en
répet’ ! » Désormais, Lily et moi n’avons plus aucune raison de nous voir.
Elle n’habite plus à la maison. Nous ne sommes plus partenaires.
Nous sommes toutefois un couple.
J’espère simplement qu’elle ne changera pas d’avis lorsqu’elle ne sera
plus obligée de me côtoyer tous les jours.
– On se voit vendredi pour des interviews, c’est ça ?
Elle hoche la tête avant de m’embrasser sur la bouche.
– Repose-toi.
– Envoie-moi un message ce soir quand t’es bien rentrée.
Son visage se pare d’un sourire en coin séducteur.
– Je t’enverrai même une photo de moi au lit.
– Tu as raison. J’aurai besoin de preuves pour m’assurer que tu es bien
saine et sauve.
Je promets de faire de même, puis elle part avec Aydan et Jane dans la
voiture de ce dernier.
Je me retrouve avec Harper et son mari, qui me ramènent très
gentiment.
Une fois chez moi, je m’endors dans le canapé en regardant la neige
tomber, Princesse ronflant paisiblement à mes côtés.
45
LILY
Mars 2024, Montréal
Honnêtement ? Oui.
Tu veux venir ?
Parce que moi, je suis terrifiée. Je n’ai jamais présenté de garçon à mes
parents, ils pensent d’ailleurs que je vais finir vieille fille.
Je pensais pouvoir garder Orion pour moi seule encore un moment,
mais il a fait l’erreur de m’embrasser devant le monde entier et maintenant
mon père me harcèle tous les jours pour le rencontrer.
Si, terriblement.
J’essaie juste de cacher ça avec humour.
Il me demande si Aydan sera là, mais je réponds que non. C’est encore
trop tôt. Jane et moi n’avons pas encore eu le temps d’en parler, mais il n’a
pas besoin de le dire pour que je garde son secret.
Quand il sera prêt, il en discutera avec les parents.
Je suis en train de taper un nouveau message quand la sonnerie de mon
téléphone retentit entre mes mains.
Je suis tellement surprise que je décroche sans le vouloir. J’ai toutefois
eu le temps d’apercevoir le prénom de mon interlocutrice, c’est pourquoi
j’angoisse un peu en répondant :
– Allô.
– Salut, répond timidement Piper. Je te dérange ?
Nous n’avons pas parlé depuis longtemps, elle et moi. J’ai répondu à
son dernier message d’encouragement par un « Merci » simple et concis.
Pour être honnête, je ne suis plus énervée. J’ai maintes fois tenté de
revenir vers elle. Je pensais que je pouvais faire un effort parce qu’elle
s’était excusée. Mais la vérité… c’est que je ne suis plus certaine d’en avoir
envie. Je me suis rendu compte que Piper et moi n’étions pas vraiment
amies. Même avant de rencontrer Orion, nous ne nous voyions qu’à la
patinoire. Jamais en dehors.
– J’étais sur le point de partir, je mens par réflexe. Tout va bien ?
– Oh… Oui, ça va. Je voulais juste te féliciter. Pour l’or.
– Merci, c’est gentil.
Ce ne sont que des platitudes, mais je n’arrive pas à faire mieux. C’est
comme si je ne la connaissais pas. Ai-je été égoïste au point de m’accrocher
à elle parce que mes amies, les vraies, étaient trop loin ?
– Je vais changer de club, m’annonce-t-elle soudain.
Je veux lui demander si c’est à cause de moi, mais elle me devance en
m’expliquant que ses parents déménagent à Toronto, et qu’elle veut les
suivre.
– Cool. Si je ne te revois pas d’ici là… Bonne chance pour la suite.
– Merci. Je ne vais pas te déranger plus longtemps, soupire-t-elle avant
d’ajouter : Mais je tenais à m’excuser de nouveau. J’ai merdé. Je crois…
que j’étais jalouse.
Jalouse… de moi ?
Je manque presque de rire à cause de cette idée saugrenue. Je pensais
que Piper était avantagée parce que tout lui est servi sur un plateau d’argent,
mais peut-être avais-je tort.
Finalement, que cela soit Piper, Ariana ou moi, nous sommes toutes les
victimes d’une pression écrasante qui, bizarrement, concerne
majoritairement les femmes. Nous sommes comparées, montées les unes
contre les autres, poussées à montrer nos facettes les plus laides…
– Parfois, j’aimerais qu’on se soutienne au lieu de se mettre des bâtons
dans les roues, j’avoue tout bas. Après tout, il y a de la place pour plus
d’une personne, sur ce podium.
Piper ne répond pas tout de suite. Je m’apprête à raccrocher lorsqu’elle
murmure enfin, presque pour elle-même :
– Il n’est jamais trop tard pour essayer.
ORION
Avril 2024, Montréal
Jane : …
Aydan : Daddy…
C’est la première fois que j’écris une série. On m’avait prévenue que ce
serait beaucoup de travail, mais il faut croire que je suis quelque peu accro à
mon ordinateur… alors j’ai foncé tête la première.
Quatre tomes étalés sur quatre saisons, c’est : beaucoup de pression, des
doutes, mais surtout l’excitation de vous présenter un tel projet, avec quatre
héroïnes uniques et quatre histoires différentes qui trouveront, j’espère, leur
public.
Si j’ai réussi à venir à bout de ce second tome, c’est parce que j’ai la
chance d’être incroyablement bien entourée. Alors je tiens à remercier ces
gens sans qui cette aventure serait bien moins magique :
Ma maman, toujours, ainsi que mon père. Merci de croire en moi, jour
après jour. Mes succès sont les vôtres.
Mes frères, Ryan et Naïm. Merci de m’écouter vous pitcher mes
histoires même quand vous vous en fichez, de me conseiller quand je doute,
de me raisonner quand j’ai l’impression que je n’y arriverai jamais.
Ma grand-mère, Mamie Danielle, qui me faisait regarder les
compétitions de patinage artistique à la télévision. Merci d’être dans tous
mes souvenirs d’enfance. Ce livre, il est pour toi.
Johan, Doriane, Em, Estelle, et Alexia, Gaëlle : la dream team. Les
meilleurs bêta lecteurs du game, mais surtout les meilleurs amis. Merci de
rendre ma vie plus belle.
Dahlia, Lyly, Delinda, et Magali : mes soeurs d’écriture, ma deuxième
famille, quoi dire d’autre ? Je n’imagine plus mon quotidien sans vous
désormais. Merci de m’inspirer, merci d’exister. Mais surtout, merci de
m’avoir trouvée.
Célia, que j’aime de tout mon cœur. Jamais enemies, pour toujours
lovers. Merci de me comprendre si bien.
Kentin, mon évidence, mon acolyte d’écriture préféré, à côté de qui j’ai
écrit ce roman. Merci d’embellir mes journées, merci d’être un ami sans
jugement et un collègue motivant. Merci d’être ma safe place.
Myriam, ma Mimi, première fan d’Orion. Merci d’être qui tu es.
Ne change jamais.
Marine, mon éditrice de choc. Reprendre une série en cours de route, ce
n’est pas facile, mais on l’a fait ! Ensemble. Merci pour ton soutien, ton
travail et ton œil de lynx. Merci de rendre mes manuscrits meilleurs, et
surtout de me pousser à faire mieux, à me challenger.
Olivia, sans qui je serais totalement perdue. Merci pour tout ce que tu
fais. Quatre ans ensemble, et tu restes la meilleure attachée de presse
possible.
La team d’Hugo Roman, bien sûr. Merci à vous tous et toutes de
m’accompagner depuis sept ans, de m’écouter, de me conseiller, et de faire
perdurer ce rêve d’adolescente qui est aujourd’hui devenue ma réalité.
Hanyu Yuzuru, juste parce que. Merci de m’avoir inspiré ce roman,
merci d’être une légende.
Et enfin : vous. Lectrices et lecteurs, qui lisez cette histoire et les autres.
Merci d’être au rendez-vous. Merci de me faire confiance. Merci d’aimer
mes personnages autant que moi. Merci pour tout l’amour que vous me
donnez au quotidien. J’espère vous le rendre au centuple.