Actes Uniformes Et Droit Pénal Des Etats Signataires Du Traité de l'OHADA - La Difficile Émergence D'un Droit Pénal Communautaire Dans L'espace OHADA

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Ohadata D-05-41

ACTES UNIFORMES ET DROIT PENAL DES ETATS SIGNATAIRES DU TRAITE


DE L'OHADA : LA DIFFICILE EMERGENCE D'UN DROIT PENAL
COMMUNAUTAIRE DES AFFAIRES DANS L'ESPACE OHADA

Ndiaw DIOUF
Maître de Conférences agrégé
Chef du département de droit privé Faculté des Sciences juridiques et
politiques
Université C. A. DIOP de Dakar

La « difficile rencontre du droit pénal avec le droit communautaire»1 a toujours été


signalée par ceux qui, spécialistes ou non du droit criminel, ont mené des travaux
consacrés, en tout ou en partie, à la place du droit pénal dans la construction
européenne2. C'est que, parfois, il faut sanctionner pénalement les atteintes aux
intérêts protégés par le droit communautaire ; or les Etats parties acceptent
difficilement d'abdiquer leur souveraineté en matière de détermination des
comportements constitutifs d'infraction et des peines à leur appliquer.

Ce problème ne pouvait pas ne pas être pris en compte au moment de l'élaboration


du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique qui devait
déboucher sur la création d'un véritable espace juridique commun constitué des
Etats parties.

Ce Traité, adopté le 17 octobre 1993 à Port-Louis (Maurice)3, a eu pour ambition


d'améliorer l'environnement juridique des entreprises en mettant un tenue à
l'insécurité judiciaire, mais aussi et surtout à l'insécurité juridique résultant, dans les
pays signataires, de la vétusté et de la disparité des
textes applicables. Pour cela, l'élaboration de règles communes aux différents Etats
parties s'avère nécessaire. C'est la raison pour laquelle le Traité a prévu l'adoption
d'Actes uniformes directement applicables et obligatoires.

1
Expression empruntée à M. Boré qui a fait une étude justement intitulée « La difficile rencontre du
droit pénal français et du droit communautaire», voir Mélanges Vitu, Cubas, 1989, p.25.
2
V. par exemple : H. Labayle, L'application du titre VI du Traité sur l'Union européenne et la matière
pénale, Rev. Sc. Crim. 1995, 35 ; Boré, La difficile rencontre du droit pénal français et du droit
communautaire, Mél. Vitu, Droit Pénal contemporain, Cujas 1989 p.25 : Delmas - Marty et P. Truche,
Uniformité ou conformité des systèmes juridiques nationaux : des règles identiques aux principes
directeurs, in Quelle politique pénale pour l'Europe, Economica 1993, p321 ; J.H. Robert,
L'incrimination par renvoi du législateur national à des règlements communautaires futurs, Mél.
Levasseur, p. 169 ; B. Bouloc, l'influence du droit communautaire sur le droit pénal interne, Mél.
Levasseur précit. p .103 ; D. Soulez-Larivière, Droit pénal international des affaires ; mythe ou réalité,
Dalloz Affaires, 1998, p. 272.
3
C'était à l'occasion de la Conférence des pays ayant en commun l'usage du français.
Sur l'historique du Traité, V. Martin Kirsch, Historique de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique
du droit des affaires, Penant 1998. n°spéc. p.129 ; Le Boulanger, L'arbitrage et l'harmonisation du
droit des affaires en Afrique, Rev arb. 1999, doct. p.541 ; Jacqueline Lohouès-Oblé, L'apparition d'un
droit international des affaires en Afrique, RIDC 3. 1999, p.543.
A terme, il devrait y avoir une harmonisation, voire une unification4, des règles
applicables aux sociétés commerciales, aux commerçants personnes physiques, aux
difficultés des entreprises, à la vente commerciale, à la comptabilité des entreprises
(qui constituent le domaine traditionnel du droit commercial), ainsi que des règles
applicables à l'arbitrage, aux relations sociales, au recouvrement des créances et
aux garanties des créanciers5.

Pour l'instant, sept Actes uniformes ont été adoptés et ils couvrent presque
l'ensemble des matières concernées6.

Le droit des affaires ainsi harmonisé a besoin de sanctions pour son efficacité.
Certes il a édicté ses propres sanctions telles que la nullité des actes pris en violation
des règles prévues ; mais celles-ci peuvent se révéler inefficaces. En pareil cas, le
droit pénal peut apporter l'appui de ses propres sanctions. C'est ce qui explique que
le droit pénal ne pouvait pas rester en marge de ce mouvement.

Il ne suffit pas d'admettre que le droit pénal doit être mis au service du droit
communautaire pour donner à celui-ci la sanction nécessaire à son efficacité ; il faut
aussi voir comment réaliser cette articulation.

La solution de ce problème n'est pas aisée, car il faut tenir compte de deux impératifs
qui semblent a priori difficilement conciliable.

D'un côté, il y a l'impératif d'harmonisation des législations pénales sanctionnant les


violations du droit communautaire. Si la violation de la même norme est sanctionnée
différemment d'un Etat à un autre, l'application uniforme du droit communautaire
risque d'être sérieusement compromise.

De l'autre, il faut respecter la souveraineté des Etats qui ne peuvent pas et ne


doivent pas être dépossédés, au profit d'un organe supranational, du pouvoir de
légiférer en matière pénale. Le pouvoir de commander ou d'interdire et d'édicter une
sanction de nature à porter atteinte à la liberté, voire à la vie, ne peut être délégué.
La nécessité de ne pas toucher à cet attribut de la souveraineté qu'est le Droit pénal
4
Sur ces notions d'harmonisation, d'uniformisation et d'unification, v. Le Boulanger, précité V. aussi
P.-G. Pougoué, Présentation générale et procédure en OHADA, P.U.A, Coll. Droit uniforme, p.11.
Selon cet auteur, «Dans l'harmonisation, on cherche à coordonner des systèmes juridiques différents
ou à respecter la sensibilité essentielle d'une législation donnée. Il s'agit de réduire les différences
pour atteindre des objectifs communautaires... L'uniformisation ou unification est plus radicale. Elle
aboutit, dans une matière juridique donnée, à une réglementation unique, identique en tout point de
vue pour les Etats concernés. Il n'y a pas de place, en principe, pour des différences. »
5
V. art. 2 du Traité qui donne la liste des matières concernées. Ce texte prévoit d'ailleurs que
l'harmonisation pourrait concerner toute autre matière que le Conseil des ministres déciderait, à
l'unanimité, d'y inclure conformément à l'objet du Traité et aux dispositions de son article 8.
6
Il s'agit de l'Acte uniforme relatif au droit commercial général (JO. OHADA, n°1 du 1er octobre 1997
p.9 et s.), de l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'-intérêt
économique (JO. OHADA n°2 du 1°` octobre 1997, p.1 et s.), de l'Acte uniforme portant organisation
des sûretés (JO. OHADA du 1er juillet 1998 p. 1 et s.), de l'Acte uniforme portant organisation des
procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution (JO. OHADA n°6 du fer août 1998 p
1 et s.), de l'Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif (JO.
OHADA n°7 du 1er juillet 1998 p. 1 et s.), de l'Act e uniforme relatif au droit de l'arbitrage (JO. OHADA
n° 8 du 15 mai 1999, p. 1 et s.), enfin de l'Acte u niforme portant organisation et harmonisation des
comptabilités des entreprises sises dans les Etats parties au Traité OHADA ( JO. OHADA n° 10 du 20
novembre 2000, p. 1 et s.).
n'a pas échappé aux auteurs du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires
en Afrique qui ont évité de citer cette matière parmi celles qui doivent être
harmonisées.

Pour tenir compte de ces deux impératifs, une solution de compromis a été trouvée ;
elle a consisté à incriminer dans les Actes uniformes les comportements qui portent
gravement atteinte aux intérêts que l'on veut protéger et à renvoyer aux législations
nationales pour la détermination des sanctions applicables. La norme d'incrimination
contenue dans les Actes uniformes ne pouvant accéder à « une vie juridique
autonome »7, il faut donc la combiner avec la norme de sanction édictée par la loi
nationale.

Cette solution consistant à faire cohabiter les Actes uniformes et la loi nationale est
inévitable, puisqu'il faut parvenir à une sanction efficace des atteintes à l'ordre
économique tout en respectant la souveraineté des Etats. Cette rencontre
nécessaire des deux ordres juridiques (I) ne va pas cependant se réaliser aisément.
La même norme peut, en effet, être sanctionnée différemment selon les Etats ; il s'y
ajoute que les termes utilisés sont parfois tellement imprécis que la recherche de la
loi nationale édictant la sanction relève d'un véritable parcours du combattant. C'est
ce qui explique que cette rencontre inévitable se révèle aussi source de difficultés
(II).

1/ UNE ENCONTRE NECESSAIRE

Traditionnellement en droit pénal, l'incrimination, c'est-à-dire la détermination des


comportements qui sont prohibés, et la sanction encourue par ceux qui ne respectent
pas la prohibition, sont contenues dans le même texte8. Mais pour la répression des
atteintes aux Actes uniformes, les contraintes de la souveraineté des Etats font que
la sanction ne peut résulter que d'une disposition de la loi nationale. Cela conduit
nécessairement à un éclatement de l'élément légal des infractions concernées, en
raison du concours des compétences normatives.

A - Les contraintes imposées par la souveraineté des Etats

Tous les pays signataires du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en
Afrique ont, du seul fait d'avoir signé ce Traité, consenti aux limitations de
souveraineté nécessaires à la réalisation des objectifs visés. Ils ont accepté que leur
Parlement soit dessaisi, au profit d'un organe supranational9, du pouvoir d'édicter les
normes applicables aux relations économiques qui se tissent sur leur territoire.

Ces limitations ne semblent pas poser de problèmes constitutionnels particuliers. Au


Sénégal, par exemple, le Conseil constitutionnel, qui avait été saisi par le Président
de la République pour se prononcer « sur la constitutionnalité des articles 14, 15 et

7
L'expression est de Daniel Mayer, in l'ouverture européenne du droit pénal, Mél. Loussouam 1994,
p. 265.
8
On note cependant le développement de la pratique des incriminations par renvoi qui consiste, pour
le législateur, à déterminer la sanction et à renvoyer la définition de l'infraction à d'autres textes
réglementaires ou même conventionnels. Pour une analyse de cette pratique en droit français, y. J.
Pradel. Droit pénal général, Cujas, 2ème édit. 1999, n°s 138 et s. p.37.
9
Selon l'article 6 du Traité, les Actes uniformes sont adoptés par le Conseil des ministres.
16 du Traité de Port-Louis10 au regard des articles 80 et 82, alinéas 3, de la
constitution11 », a, dans un arrêt du 16 décembre 199312, estimé qu'il ne résulte de
ces dispositions13, « ni changement du statut international du Sénégal en tant qu'Etat
indépendant et souverain, ni modification de son organisation institutionnelle, et que
le dessaisissement de certaines de ses institutions - Cour de cassation mais aussi
Assemblée nationale - n'est ni total, ni unilatéral ». Il en a déduit que ce
dessaisissement ne constitue pas « un abandon de souveraineté, mais une limitation
de compétences qu'implique tout engagement international et qui, en tant que telle,
ne saurait constituer une violation de la constitution, dans la mesure où celle-ci, en
prévoyant la possibilité de conclure des traités, autorise, par cela même, une telle
limitation de compétences ».

Il est intéressant de noter que, dans cet arrêt, le Conseil constitutionnel, sans y être
obligé, a cru devoir préciser que, même si les articles soumis à son examen avaient
prescrit un abandon de souveraineté, ils ne seraient pas contraires à -la constitution.

Il appartient aux spécialistes du droit international public de dire si le Sénégal peut


consentir un abandon de souveraineté au nom de la réalisation de l'unité africaine.
Pour notre part, nous nous bornerons à tenter de répondre à la question de savoir si
la limitation de compétences peut être poussée jusqu'à déposséder les Etats de cette
prérogative régalienne que constitue le droit de punir. A cet égard, nous estimons
qu'une réponse négative s'impose. En effet, les Etats ont, de tout temps, refusé le
transfert de cet attribut essentiel de la souveraineté qu'est l'exercice de la
répression.14 Pour cette raison, le Droit pénal a toujours résisté à toute
internationalisation et à toute intégration dans une souveraineté autre que
strictement étatique. Dans ces conditions, le souci de permettre la réalisation d'une
unité d'interprétation des normes issues des Actes uniformes ne saurait justifier la
naissance et le développement de sources internationales du droit pénal des Etats
membres. Cela explique certainement pourquoi il n'est nullement fait référence au
droit pénal des affaires dans la liste des matières devant faire l'objet d'une
harmonisation.

Tout au plus peut-on envisager la coordination des systèmes pénaux par l'élimination
des discordances notées dans la détermination des comportements à incriminer. Il
ne faut pas, en effet, que la violation des prescriptions des Actes uniformes,
pénalement sanctionnée dans certains Etats, reste impunie dans d'autres. Pour
parvenir à cette coordination, le Traité, après avoir prévu la possibilité pour les Actes
uniformes d'inclure des incriminations, met à la charge des Etats signataires une
obligation, celle de déterminer les sanctions pénales encourues15. On se trouve ainsi

10
Il s'agit en tait du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique.
11
L'arrêt a été rendu sous l'empire de la constitution de 1963. Le Sénégal s'est doté d'une nouvelle
constitution (voir loi n° 2001-03 du 22 janvier 200 1, JORS n° 5963 du 22 janvier 2001, p. 27 et s.)
mais les données du problème n'ont pas changé.
12
Arrêt n°3/C/, Penant 1998, p. 225. note A. SALL.
13
Ces dispositions attribuent à la Cour commune de justice et d'arbitrage, compétence pour connaître,
par voie de cassation, de certaines décisions rendues en dernier ressort par les juridictions des Etats
parties.
14
J.H. Robert, L'intégration par renvoi du législateur national à des règlements communautaires
futurs, Mél. Levasseur, p. 164 ; D Mayer, L'ouverture européenne du Droit pénal, précit.
15
V. art.5, alinéa 2 du Traité aux termes duquel « les Actes uniformes peuvent inclure des dispositions
d'incrimination. Les Etats parties s'engagent à déterminer les sanctions pénales encourues ».
en présence d'un système où la norme d'incrimination et la norme de sanction
relèvent d'ordres juridiques différents. Ce concours de compétences normatives
conduit à un phénomène inhabituel, l'éclatement de l'élément légal de l'infraction.

B - Le concours voulu de compétences normatives

Une peine d'emprisonnement et/ou d'amende se révèle parfois indispensable pour


assurer la protection de certains intérêts. Face aux situations où l'appel au droit
pénal est nécessaire, les Actes uniformes, à défaut de pouvoir édicter eux-mêmes la
sanction, se bornent à formuler une incrimination et à renvoyer à la législation de
chaque Etat pour déterminer la peine. Le renvoi est donc toujours obligatoire; il n'est
pas, cependant, fait de la même manière. Si dans certains cas, l'intervention du
législateur national est nécessaire, dans d'autres, elle ne l'est pas puisque les textes
qui existent déjà permettent de sanctionner le comportement considéré.

1 - Le renvoi à des textes préexistants

Dans certains cas, l'Acte uniforme, après avoir indiqué le comportement prohibé,
renvoie à une sanction préétablie existant ou censée exister dans la législation
nationale des Etats parties. Il part en quelque sorte d'une infraction qui sert de repère
et renvoie aux peines qui lui sont applicables.

Dans de tels cas, le législateur national n'a aucun pouvoir d'appréciation, puisque
c'est l'Acte uniforme instituant l'incrimination qui choisit, même si c'est de manière
indirecte, la peine applicable, par référence à une infraction déjà prévue par la loi
nationale.

Cette méthode conduit à déposséder les Etats de leurs pouvoirs répressifs, car c'est
la nonne communautaire (Acte uniforme) qui, de sa propre autorité, indique non
seulement ce qui doit être sanctionné, mais aussi comment il doit l'être. Il suffit
d'analyser les dispositions d'incrimination de l'Acte uniforme portant organisation des
sûretés, de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d'exécution et de l'Acte uniforme portant organisation des
procédures collectives d'apurement du passif pour se rendre compte que les Etats
parties sont dessaisis à la fois du pouvoir de déterminer les comportements à punir
et de celui de fixer la mesure de la sanction.

L'Acte uniforme portant organisation des sûretés prévoit, dans son article 97 dernier
alinéa, que les peines prévues pour le délit d'abus de confiance s'appliquent au
débiteur ou à toute personne qui, par des manœuvres frauduleuses, prive le
créancier nanti de ses droits ou les diminue.

En déterminant la peine par référence à une infraction qui existe déjà dans la loi
nationale, l'Acte uniforme s'arroge indirectement le pouvoir de fixer la mesure de la
sanction. On peut, au demeurant, se demander en vertu de quel principe l'Acte
uniforme prévoit, pour de tels agissements, même si c'est de manière indirecte, des
peines différentes de celles que certaines lois nationales appliquent à des faits
similaires16.
16
L'un des éléments constitutifs de l'infraction visée par l'article 97 de l'Acte uniforme portant
organisation des sûretés, c'est l'usage de manœuvres frauduleuses. Or, dans certaines législations
La méthode de renvoi à un texte préexistant de la législation nationale est également
utilisée dans l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d'exécution. Les agissements qui y sont visés,
déplacement ou aliénation des biens saisis, sont punis des peines applicables, dans
la législation nationale, au détournement d'objets saisis. C'est cri tout cas la
conclusion à laquelle on peut aboutir à la lecture des mentions que l'article 100,
consacré aux opérations de saisie pratiquées entre les mains du débiteur, oblige
l'agent d'exécution à faire figurer dans l'acte de saisie. En effet, ce texte indique
d'abord que « l'agent d'exécution doit mentionner, en caractères apparents, que les
biens saisis sont indisponibles, qu'ils sont placés sous la garde du débiteur, qu'ils ne
peuvent être ni aliénés ni déplacés... sous peine de sanctions pénales... » ; il précise
ensuite qu'il doit reproduire « les dispositions pénales qui sanctionnent le
détournement d'objets saisis » .

L'analyse de l'article 109 (7° et 10°) consacré aux opérations de saisie pratiquées
entre les mains d'un tiers conduit à la même conclusion.

La méthode utilisée dans cet Acte uniforme est assez curieuse, puisqu'on a profité
d'un texte destiné à fixer les conditions de forme d'un acte de procédure (l'acte de
saisie) pour glisser une incrimination qui risque de passer inaperçue. Elle a
cependant le mérite d'indiquer clairement le comportement prohibé et la norme de
sanction éventuellement applicable. Ce qui n'est pas le cas dans l'Acte uniforme
portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif.

Cet Acte uniforme, comme les autres, indique les agissements qui doivent être
pénalement sanctionnés et renvoie à la loi de chaque Etat partie pour l'établissement
de la sanction. Les termes utilisés sont cependant tellement vagues qu'il est parfois
pratiquement impossible de déterminer la disposition de la législation nationale à
laquelle il est fait référence pour la répression.

Il est vrai que, dans certains cas, la norme de sanction qui se trouve en droit interne
peut être aisément trouvée, l'Acte uniforme portant organisation des procédures
collectives choisissant lui-même une qualification qui existe déjà dans les lois
nationales. Ainsi certains actes imputables aux commerçants personnes physiques
et aux associés de certaines sociétés commerciales sont considérés comme des cas
soit de banqueroute simple17, soit de banqueroute frauduleuse18. Etant donné que
les législations nationales comportent des dispositions sanctionnant les délits de
banqueroute19, il suffit de se reporter à ces dispositions pour trouver la norme de

comme le Code pénal sénégalais (ce Code résulte de la loi n° 65-60 du 21 juillet 1960 portant Code
pénal), l'infraction qui implique l'usage de manœuvres frauduleuses est qualifiée escroquerie punie de
peines plus sévères (emprisonnement d'un an au moins et de cinq ans au plus et d'une amende de
100.000l 'à 1.000.000f - art .379) que l'abus de confiance ( emprisonnement de 6 mois au moins et de
4 ans au plus et d'une amende de 20.000 à 3.000.000f- art. 383 al. 1er CP) que vise l'Acte uniforme.
17
Les cas de banqueroute simple sont énumérés par l'article 228 de l'Acte uniforme portant
organisation des procédures collectives.
18
Les cas de banqueroute frauduleuse sont énumérés par l'article 229 de l'Acte uniforme portant
organisation des procédures collectives.
19
Par exemple, au Sénégal la banqueroute simple est prévue et punie par l'article 376 al. 2 du CP et
la banqueroute frauduleuse par l'article 376 dernier alinéa du même code. Au Burkina Faso, il y a les
articles 495 et 496 du Code pénal (ce Code résulte de la loi n° 43-96 ADP du 13 novembre 1996) pour
sanction. De la même manière, certains actes imputables aux dirigeants de
personnes morales20 sont incriminés sous une rubrique intitulée « infractions
assimilées aux banqueroutes », et les peines qui leurs sont applicables sont soit
celles de la banqueroute simple21, soit celles de la banqueroute frauduleuse22. Enfin
certains agissements imputables aux tiers sont punis des peines de la banqueroute
frauduleuse23.

Mais on ne peut pas perdre de vue que, dans beaucoup d'autres cas, l'identification
de la norme de référence suscite les plus grandes difficultés, les termes utilisés par
l'Acte uniforme étant tellement vagues qu'il est pratiquement impossible de choisir
entre les différentes dispositions qui ont vocation à recevoir application.

Quand l'Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d'apurement


du passif renvoie, pour la répression des agissements imputables aux proches du
débiteur en cessation des paiements24 ou aux créanciers25, aux peines prévues par
le Droit pénal en vigueur dans chaque Etat partie pour les infractions commises au
préjudice d'un incapable, les indications qu'il donne sont tellement vagues, qu'il ne
renseigne pas suffisamment sur la norme de sanction de droit interne. Il n'y a pas en
effet une, mais plusieurs infractions rentrant dans les prévisions du texte.

En revanche, lorsqu'il prévoit, pour la répression des comportements imputables au


syndic26, aux peines prévues par le droit pénal national « pour les infractions
commises par une personne faisant appel au public au préjudice d'un loueur,
dépositaire, mandataire, constituant de nantissement... », on cherche en vain le texte
de référence, les précisions étant telles qu'il est impossible de trouver l'infraction
correspondant à cette définition.

La technique de pénalisation par référence adoptée dans l'Acte uniforme portant-


organisation des procédures collectives ainsi que d'ailleurs dans l'Acte uniforme
portant organisation des sûretés et l'Acte uniforme portant organisation des
procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution, conduit à confiner
le législateur national dans un rôle purement « platonique »27, puisque la répression
des agissements considérés n'appelle aucune intervention de sa part.

la banqueroute simple et l'article 498 de la même loi pour la banqueroute frauduleuse. Au Niger, les
peines de la banqueroute simple et de la banqueroute frauduleuse sont prévues par l'article 365 du
Code pénal (le Code pénal nigérien est institué par la loi n°61-27 du 15 juillet 1961. Journal officie l
spécial de la République du Niger, n° 7 du 15 novem bre 1961). En République de Guinée, les peines
de la banqueroute simple et de la banqueroute frauduleuse sont fixées par l'article 443 du Code pénal
( Code dû à la loi n° 98/036 du 31 décembre 1998).
20
Il s'agit des personnes physiques dirigeantes de personnes morales assujetties aux procédures
collectives et des personnes physiques représentantes permanentes de personnes morales qui
dirigent elles-mêmes d'autres personnes morales assujetties aux procédures collectives.
21
V. article 231 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures collectives qui énumère les
faits punis de peines de la banqueroute simple.
22
V. article 232 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures collectives qui énumère les
faits passibles des peines de la banqueroute frauduleuse.
23
Voir article 240 de l'Acte uniforme.
24
Voir article 241.
25
Voir article 244.
26
Voir article 243.
27
L'expression est de Daniel Mayer, L'ouverture européenne du droit pénal, précit.
C'est toute la différence avec les autres Actes uniformes qui se bornent à inviter le
législateur national à pénaliser certains comportements, ce qui rend indispensable
son intervention.

2 - Le renvoi à des textes à créer

La méthode utilisée par l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et
du groupement d'intérêt économique présente le double avantage d'être conforme à
l'esprit de l'article 5, alinéa 2 du Traité et de respecter la prérogative des Etats en
matière d'établissement des sanctions.

Dans cet Acte uniforme où toute une partie28 est consacrée aux dispositions pénales,
les formules utilisées pour annoncer les incriminations29 traduisent la volonté du
législateur régional de laisser aux Etats Parties toute liberté pour déterminer la
sanction qu'ils jugent appropriée.

La même technique de pénalisation est utilisée dans l'Acte uniforme relatif au droit
commercial général30 et l'Acte uniforme portant organisation et harmonisation des
comptabilités des entreprises sises dans les Etats parties au Traité relatif à
l'harmonisation du droit des affaires en Afrique31.

Pour la répression des agissements visés par ces différents Actes uniformes,
l'adoption d'un texte spécial se révèle indispensable32. C'est d'ailleurs une obligation
que l'article 5 alinéas 2 met à la charge des Etats parties.

En définitive, quelle que soit la méthode adoptée, la rencontre des Actes uniformes
avec les législations nationales est inévitable. Cette rencontre, révélatrice de la
perméabilité du droit pénal aux sources du droit international, peut, parfois, être à
l'origine des plus grandes difficultés.

II - UNE RENCONTRE DIFFICILE

En édictant des normes d'incrimination et en renvoyant aux Etats parties pour


déterminer les pénalités, le législateur régional a tenté le pari d'assurer une
protection pénale uniforme de l'ordre économique tout en ménageant la souveraineté
des Etats en matière pénale. A-t-il réussi ce pari ? Il est permis d'en douter compte
tenu des difficultés qui apparaissent tant au regard de la mise en œuvre des règles
de fond qu'au regard de l'application des règles de procédure.

A - Des difficultés liées à la mise en couvre des règles de fond

28
Il s'agit de la partie intitulée « Dispositions pénales » (articles 886 à 905).
29
L'article 886 indique que le fait visé est constitutif d'une infraction pénale. Les articles 887 et
suivants prévoient simplement que les personnes auteurs des agissements visés encourent une
sanction.
30
Article 43.
31
Article 111.
32
Par exemple au Sénégal une loi a été spécialement adoptée pour fixer les peines applicables aux
infractions contenues dans l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du
groupement d'intérêt économique ; il s'agit de la loi n° 98-22 du 26 mars 1998, JORS n° 5798 du 25
avril 1998 p. 303.
L'éclatement de l'élément légal de l'infraction, qui résulte de la distinction des normes
d'incrimination et des normes de sanction, conduit tantôt à un affaiblissement du
principe de légalité, tantôt à une disparité des sanctions applicables, ce qui constitue
une atteinte au principe d'égalité!

1 - L'affaiblissement du principe de légalité

Dans les Actes uniformes qui optent pour un renvoi à une disposition préexistante de
la loi nationale, il est parfois impossible de déterminer avec précision la norme de
sanction.

Il suffit pour s'en convaincre de se référer à certaines dispositions de l'Acte uniforme


portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif. L'article 241
qui incrimine certains agissements imputables aux proches du débiteur et l'article
244 qui incrimine ceux qui sont imputables aux créanciers prévoient, pour la
répression, l'application des peines prévues par le droit pénal en vigueur dans
chaque Etat partie pour les infractions commises au préjudice d'un incapable. Du fait
de l'imprécision des termes utilisés, il peut y avoir hésitation sur le choix de la norme
de répression. En effet il peut y avoir, dans la législation nationale, plusieurs
infractions pouvant porter atteinte aux intérêts d'un incapable. L'abus des besoins
d'un mineur prévu et puni par certaines législations33 porte atteinte aux intérêts d'un
incapable au même titre que l'exposition ou le délaissement d'enfants ou
d'incapables prévus par les mêmes législations34. Si l'on sait que ces infractions sont
prévues par des textes différents qui prévoient des peines différentes35, on mesure
l'ampleur de la tâche du juge national appelé à rechercher la nonne de répression.

La recherche du texte applicable est d'autant plus compliquée que si le juge national
estime que, compte tenu de l'autonomie du droit pénal, le mot incapable utilisé par
l'Acte uniforme portant organisation des procédures collectives n'a pas le même sens
qu'en droit civil, la liste des textes en concours va s'allonger. En effet, auront vocation
à s'appliquer, non seulement, les textes réprimant les infractions portant atteinte aux
intérêts de ceux à qui la loi interdit de participer au commerce juridique en raison de
leur inexpérience ou de la défaillance de leurs facultés mentales ou corporelles,
c'est-à-dire les incapables au sens du droit civil, mais aussi les textes applicables
aux infractions portant atteinte aux intérêts des personnes qui, sans être considérées
comme incapables par le droit civil, sont dans une situation de particulière
vulnérabilité en raison de leur âge, de leur maladie, de leur infirmité ou même de leur
situation économique36.
33
Par exemple, article 381 du Code pénal sénégalais, article 489 du Code pénal burkinabé, article
339 du Code pénal nigérien et article 343 du Code pénal guinéen.
34
Au Sénégal : article 344 du Code pénal; au Burkina : articles 391 et suivants du Code pénal ; au
Niger article 253 du Code pénal ; en République de Guinée : articles 343 à 346 du Code pénal.
35
D'ailleurs la même infraction peut être punie de peines différentes selon les circonstances qui
l'entourent ou la qualité de l'auteur. Ainsi au Burkina les peines encourues pour le délaissement se
trouvent dans quatre textes différents: art. 391 à 393 : il en est de même en Guinée : articles 343 à
346. On peut remarquer au passage qu'en Guinée et au Burkina des faits identiques sont punis de
peines tout à fait différentes (en Guinée les articles 343 et 346 du Code pénal ; au Burkina les articles
391 alinéa 1er et 393 alinéa 1er du Code pénal).
36
On peut penser à l'application, en Guinée, de l'article 339 de la loi de 1998 réprimant la mise en
gage d'être humain
et au Niger, de l'article 260-5' réprimant le fait pour un parent de compromettre la sécurité et la
moralité de ses enfants.
En l'absence d'indication claire sur la détermination du texte de droit interne
applicable, le juge saisi des poursuites ne peut effectuer son choix qu'en mettant en
parallèle la valeur sociale à laquelle la personne poursuivie sur le fondement des
articles 241 et 244 a porté atteinte et la valeur sociale que la norme interne veut
protéger. Il serait tout de même difficile, en effet, de concevoir l'application d'un texte
destiné à protéger l'intégrité physique d'une personne à un délinquant qui, par son
comportement, a porté atteinte à la propriété ou a violé la morale des affaires.

D'ailleurs cette solution consistant à comparer les valeurs sociales se révèle parfois
inappropriée. En effet, dans certains cas, le problème ne résulte pas du concours de
textes applicables, mais plutôt de l'absence de textes.

Le renvoi fait par l'article 243 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures
collectives illustre parfaitement la difficulté à mettre en œuvre cette solution. Pour la
répression du syndic qui exerce une activité personnelle sous le couvert de
l'entreprise du débiteur en cessation des paiements, qui use du crédit de celui-ci ou
qui se rend acquéreur de ses biens, ce texte renvoie aux dispositions du droit pénal
national réprimant « les infractions commises par une personne faisant appel au
public au préjudice d'un loueur, dépositaire, mandataire, constituant de
nantissement, prêteur à usage ou maître d'ouvrage ».

Ce texte n'est pas un modèle de clarté ; c'est le moins que l'on puisse dire. En effet il
ne permet pas de trouver, dans le droit pénal national, la norme de référence,
puisqu'aucune infraction ne correspond à la définition qu'il contient.

On peut certes penser à l'abus de confiance, car cette infraction qui se consomme
par le détournement ou la dissipation d'une chose remise à titre de louage, de dépôt,
de mandat, de nantissement, de prêt à usage ou de travail salarié ou non salarié37,
est nécessairement commise au préjudice de l'une des personnes visées par l'article
243. Mais une telle analyse n'est guère satisfaisante. En effet, l'Acte uniforme parle
d'infraction commise par une personne taisant appel au public ; or, l'abus de
confiance ne comporte pas, parmi ses éléments constitutifs, l'appel au public.

Il y a, il est vrai, l'abus de confiance aggravé, certaines législations38 faisant de


l'appel au public une circonstance aggravante. On ne peut cependant perdre de vue
que l'abus de confiance aggravé ne peut être commis qu'au préjudice d'un déposant,
d'un mandataire ou d'un constituant de nantissement. L'appel au public n'est en effet
une circonstance aggravante de l'abus de confiance que si l'agent pénal y a recours
en vue d'obtenir la remise de fonds ou de valeurs à titre de dépôt, de mandat ou de

37
Voir pour le Burkina l'article 487 al. 1" du Code pénal, pour le Sénégal l'article 383 du Code pénal,
et pour la Guinée l'article 433 du Code pénal. L'acte matériel peut changer d'une législation à une
autre (l'article 487 al. 1er du Code pénal Burkinabé et l'article 383 al. 1° du Code pénal sénégalais
parlent de l'inexécution de l'obligation de rendre ou de restituer la chose remise ou d'en faire un usage
ou un emploi déterminé alors que l'article 433 al. l° du Code pénal guinéen parle de dissipation ou de
détournement), mais les conditions préalables sont les mêmes. Pratiquement dans tous les textes, il
est question d'une chose remise à titre de mandat, de nantissement, de prêt à usage ou pour un
travail salarié ou non salarié. Il n'y a que la loi pénale nigérienne qui parle de remise d'une chose à un
titre quelconque (voir article 338 al. ler).
38
Par exemple voir l'article 487 al. 1er du Code pénal burkinabé, l'article 383 al.2 du Code pénal
sénégalais, l'article 433 al. 3 du Code pénal guinéen et l'article 338 al. 2 du Code pénal nigérien.
nantissement. Il n'y a pas d'aggravation si la remise est faite à un autre titre39. On ne
voit pas, dans ces conditions, pourquoi l'Acte uniforme parlerait d'infractions
commises au préjudice d'un loueur, d'un prêteur ou d'un maître d'ouvrage s'il voulait
renvoyer aux peines de l'abus de confiance aggravé.

Le renvoi à une norme préexistante, en ce qu'il introduit une certaine incertitude dans
la détermination de la sanction, contribue à l'affaiblissement du principe de légalité
par l'octroi au juge d'un pouvoir d'interprétation excessif

Le principe de légalité, tous les auteurs l'admettent maintenant, ne se résume pas


seulement à l'exigence d'une loi pour l'établissement des incriminations et la
détermination des sanctions. Il impose aussi la promulgation de lois suffisamment
accessibles, précises et prévisibles dans leurs conséquences40 afin que les citoyens
puissent savoir ce qui est interdit, prévoir les conséquences d'un acte déterminé et
régler leur conduite.

Si par l'utilisation de formules vagues, le législateur communautaire n'indique pas


avec suffisamment de clarté et de précision ce qui est interdit et la sanction de
l'accomplissement de l'acte interdit, il ouvre la porte à l'arbitraire du juge41 auquel est,
en définitive, transféré le pouvoir normatif.

Tous les Actes uniformes ne traînent pas cependant cette tare. En effet, certains
d'entre eux indiquent simplement, et de manière claire, l'incrimination et laissent au
législateur national le soin d'édicter une nonne de sanction. Hélas, cette manière de
procéder présente aussi un inconvénient, en ce sens qu'elle conduit, en offrant la
possibilité de sanctionner différemment le même comportement, à porter atteinte au
principe d'égalité qui est tout aussi important que le principe de légalité.

2 - L'atteinte au principe d'égalité

En restituant aux législations nationales la plénitude de leur compétence dans la


détermination des peines applicables aux atteintes au droit communautaire et en leur
laissant toute liberté dans la détermination de leur quantum et de leur nature, le
Traité relatif à l'harmonisation du Droit des affaires en Afrique compromet l'unité
d'application du droit communautaire.

Selon les Etats, la violation d'une norme communautaire pourrait être diversement
sanctionnée. Un acte passible de peines correctionnelles dans tel Etat pourrait être

39
Louage, prêt à usage et travail salarié ou non.
40
Voir sur la question de la qualité de la loi, M. Delmas-Marty et P. Truche, Uniformité ou compatibilité
des systèmes juridiques nationaux: des règles identiques aux principes directeurs, in Quelle politique
pénale pour l'Europe, Economica. 1993, p.321; voir aussi Favoreu, La constitutionnalisation du droit
pénal, in Droit pénal contemporain, Mélanges Vitu, 1989, p.169.
41
A l'arbitraire du juge s'ajoute, d'ailleurs, ce que l'on a appelé l'arbitraire de la loi. Comme on l'a
montré, en effet, à partir de l'analyse des décisions du conseil constitutionnel français, une loi
inintelligible exprime l'arbitraire du pouvoir en ce sens que, ne fournissant pas au destinataire
l'information sur ce qu'elle vise, elle ne peut fournir l'information sur ce qu'elle ne vise pas, ce qui fait
que la personne ne pouvant connaître ce qui est interdit est dans une situation analogue à celle où
tout serait interdit. V. Frison-Roche et W. Baranés, Le principe constitutionnel de l'accessibilité et de
l'intelligibilité de la loi, D. 2000, chron. p.301
frappé de peines de police dans tel autre, puisque chaque Etat détermine les
sanctions conformément à sa propre politique pénale.

Il ne serait pas étonnant d'ailleurs que les Etats patries fassent du droit pénal un
instrument de politique économique et de concurrence, en édictant les sanctions les
moins sévères ou en évitant tout simplement de sanctionner les violations du droit
communautaire.

Le risque d'une concurrence déloyale42 entre Etats est réel si l'on sait que la plupart
des Etats signataires du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en
Afrique sont en même temps membres d'organisations sous-régionales (CEMAC-
CEDAO-UEMOA) dans lesquelles, en raison de la libre circulation des personnes et
des biens, il y a une véritable mobilité des opérateurs économiques.

L'application uniforme du droit communautaire est d'autant plus compromise par la


diversité des sanctions que la Cour commune de justice et d'arbitrage est, en la
matière, marginalisée. En effet le recours en manquement n'étant pas prévu43 par le
Traité, la Cour ne peut être saisie lorsqu'un Etat n'exécute pas l'obligation de
sanctionner découlant de l'article 5 alinéa 2 dudit Traité. Par ailleurs, une certaine
lecture de l'article 14 du traité qui fixe les attributions de la Cour laisse penser que le
contrôle de l'interprétation des dispositions répressives des Actes uniformes peut lui
échapper au profit des "juridictions nationales statuant en cassation44, ce qui au
demeurant peut être source de difficultés au niveau de la procédure.

B - Des difficultés d'ordre procédural

L'article 14 du Traité, qui donne compétence à la Cour commune de justice et


d'arbitrage pour se prononcer sur les décisions rendues par les juridictions d'appel
des Etats parties dans les affaires relatives à l'application des Actes uniformes,
réserve expressément le cas des décisions appliquant des sanctions pénales.

A la lecture de ce texte, on est tenté de croire que les pourvois en cassation en


matière pénale doivent nécessairement être portés devant les juridictions nationales
statuant en cassation et qu'ils ne peuvent, en aucun cas, être soumis à la Cour
commune de justice et d'Arbitrage, seraient-ils fondés sur un moyen tiré de la
violation d'un Acte uniforme.

Une analyse plus attentive devrait cependant conduire à une position plus nuancée,
car la solution n'est pas aussi tranchée qu'on pourrait le penser.

42
Ce risque a déjà été souligné à propos des rapports entre le Droit communautaire européen et la
matière pénale. Ainsi, selon un auteur, "Systèmes nationaux à basse et à haute pression... autorisent
une concurrence déloyale nourrie par la diversité, la contrariété, l'absence de sanctions pénales des
violations du droit communautaire", V. H. Labayle, l'application du titre VI du Traité sur l'union
européenne et la matière pénale, précit.
43
V. sur cette question du recours en manquement, J. Lohouès-Oblé, L'apparition d'un droit
international des affaires en Afrique, RIDC 1999, p. 543. Selon cet auteur, « la Cour ne peut être
saisie du manquement d'un Etat à ses engagements lorsque cet Etat, par exemple, s'est abstenu ou a
refusé de prendre sur le plan interne, les dispositions législatives ou réglementaires d'application des
actes d'harmonisation comme le lui impose le Traité ».
44
Cour de cassation ou Cour suprême selon les pays.
L'article 14 ne visant que les décisions qui appliquent une sanction pénale, que
décider si la décision ne porte pas condamnation ? La compétence de la Cour
commune est-elle exclue lorsque le pourvoi est dirigé contre une décision prononçant
une relaxe à la suite d'une erreur de qualification ou contre une décision d'une
juridiction d'instruction?

Même à supposer que, dans le vocabulaire des auteurs du Traité relatif à


l'harmonisation du Droit des affaires en Afrique, « décision prononçant une sanction
pénale » soit synonyme de « décision rendue en matière pénale»45, on ne peut pas
dire que la compétence de la Cour commune de Justice et d'Arbitrage doit
absolument être écartée. En effet, la nécessité d'assurer une unité d'interprétation
des Actes uniformes s'oppose à une telle solution.

Il est vrai que la juridiction nationale statuant en cassation est seule compétente,
lorsque le pourvoi tend à faire sanctionner la violation d'une règle de procédure
(nullité des actes de procédure), la violation d'une règle de compétence ou la
violation de l'obligation de motiver (défaut de motifs, insuffisance de motifs ou
contradiction de motifs).

II est tout aussi vrai que le pourvoi tendant à faire censurer la violation de la norme
de sanction ne peut être porté que devant les juridictions nationales statuant en
cassation. Tel est le cas du pourvoi fondé sur la violation de la norme de sanction à
laquelle renvoie l'Acte uniforme portant l'incrimination décision prononçant une peine
complémentaire (confiscation ou fermeture d'établissement) non prévue ou décision
prononçant une peine inférieure au minimum légal sans constater l'existence de
circonstances atténuantes.

On ne peut cependant écarter la compétence de la Cour commune, lorsque le


pourvoi est fondé sur la violation de l'Acte uniforme qui établit l'incrimination.

Toute solution consistant à attribuer, aux juridictions nationales, la compétence pour


statuer sur ces pourvois conduirait à avoir autant d'interprétations du même texte
qu'il y a d'Etats parties et ce n'est certainement pas ce que souhaitaient les auteurs
du Traité.

Doit-on considérer, alors, que le contentieux judiciaire en matière pénale est attribué
concurremment à la Cour commune de Justice et d'Arbitrage (compétente pour
contrôler les qualifications) et aux juridictions nationales statuant en cassation
(compétentes pour contrôler l'interprétation des normes de sanction)?

Une telle solution, si elle était retenue, pourrait, elle aussi, faire naître de sérieuses
difficultés. Il suffit de songer à l'hypothèse où une partie entend critiquer une décision
en se fondant, d'une part sur la violation d'une règle de procédure ou de compétence
ou sur la violation de la norme de sanction, d'autre part sur la violation de la norme
d'incrimination.

45
Telle semble être l'opinion du Professeur Pougoué selon qui « La Cour n'est pas compétente pour
la décision à caractère pénal même si celle-ci concerne les actes uniformes ». v. P-G Pougoué,
Présentation générale et procédure en OHADA, P.U.A., 1998, p.15.
Etant donné qu'il est hors de question de former un seul pourvoi avec deux moyens
destinés à être soumis à deux juridictions différentes, faut-il former deux pourvois en
cassation contre la même décision?

Il faudra peut-être attendre longtemps pour avoir une réponse à cette question et aux
autres questions liées à l'interprétation des règles de fond, car tout dépendra de la
réaction de la Cour commune de Justice et d'Arbitrage et des juridictions nationales
statuant en cassation. En tout état de cause, la réponse retenue ne s'imposera que si
elle est acceptée par toutes les juridictions ayant vocation à intervenir en la matière.

CONCLUSION

Notre ambition n'était pas, en menant cette étude, d'apporter des solutions aux
différents problèmes liés à l'application des Actes uniformes et à leur articulation
avec les règles qui se trouvent dans le droit pénal interne des Etats parties.

Il s'agissait, plus modestement, de contribuer à cerner les facteurs qui ont empêché
l'élaboration d'une politique pénale cohérente dans le cadre communautaire.

Parmi ces facteurs on peut noter l'absence de choix clair des auteurs du Traité.
Ceux-ci se sont bornés à indiquer les comportements constitutifs d'infraction et à
renvoyer aux Etats parties pour la détermination des sanctions, alors qu'ils auraient
dû, à notre avis, préciser le contenu de l'obligation des Etats en la matière, en
indiquant la manière d'établir la sanction. Il ne suffit pas en effet de les obliger à
sanctionner pénalement ; il faut aussi les obliger à sanctionner selon les vues du
législateur communautaire. Pour y parvenir, le conseil des Ministres pourrait prendre
l'initiative de l'adoption d'une convention établissant des règles que les Etats
signataires s'engageraient à intégrer dans leurs systèmes juridiques selon leurs
procédures constitutionnelles respectives.

Seule cette solution aurait permis d'amener les Etats non seulement à créer des
normes de sanction compatibles avec les objectifs du Traité, mais aussi à neutraliser
les textes qui, existant déjà en droit interne, sanctionnent les agissements de même
nature que ceux prévus par les Actes uniformes, mais sous une autre qualification46.
Ainsi, l'unité d'interprétation des normes communautaires serait assurée et la
souveraineté des Etats en matière pénale sauvegardée.

46
On sait qu'en Guinée, certains agissements constitutifs de banqueroute frauduleuse au sens de
l'Acte uniforme portant organisation des procédures collectives (article 229) sont déjà prévus par le
Code pénal (article 448) sous la qualification d'organisation frauduleuse de l'insolvabilité.

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