Le Texte Littéraire Maghrébin Franc
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Le Texte Littéraire Maghrébin Franc
ORCID : 0000-0002-4777-4041
Université de Silésie
et culturelle, se trouve obligée de modifier ses cursus pour mieux s’adapter aux
besoins du monde du travail qui intéresse ses futurs diplômés.
Le didacticien de la littérature se trouve en effet confronté à des change-
ments s’opérant dans les programmes de la traditionnelle philologie romane
qui s’orientent de plus en plus – ce qui a eu lieu notamment à l’Université de
Silésie – vers l’enseignement du français-langue de traduction, langue de spé-
cialité, langue-outil de communication professionnelle. L’orientation de la for-
mation universitaire auparavant dite classique et prioritairement pédagogique
(formation des professeurs de français-langue étrangère) vers la formation ciblée
sur la traduction spécialisée implique des modifications au niveau des mé-
thodes et des enjeux de l’enseignement. Certes, la littérature se heurte
aujourd’hui, plus qu’auparavant, à une concurrence d’autres domaines tels que
la traduction informatique ou l’apprentissage du français des affaires. Ce qui
amène bien évidemment les professeurs de littérature à réviser et renouveler
leurs méthodes d’enseignement, pour mieux les adapter aux compétences des
étudiants. Il s’agit de trouver des méthodes pour préserver l’intérêt des étudiants
pour la littérature et montrer les liens qui existent entre la formation littéraire
et la formation de la langue française appliquée.
Cette démarche qui paraît de prime abord désavantageuse pour le statut de
la littérature dans l’enseignement universitaire du français apporte cependant,
à mon avis, quelques nouvelles perspectives et quelques enjeux nouveaux. Ces
perspectives et ces enjeux résultent du fait que le statut même du texte littéraire
change dans les dernières décennies. Par rapport aux modes de lecture du texte
littéraire qui dominaient dans les années 1970-1990 et qui s’inscrivaient dans
les traditions herméneutiques et surtout structuralistes, aujourd’hui les études
littéraires se servent davantage des apports des études culturelles, sociologiques
et anthropologiques. Par conséquent, l’intérêt pour le texte littéraire dépasse
les frontières de l’histoire de la littérature et de l’analyse littéraire ; sa réception
s’attache de plus en plus au contexte socioculturel auquel il appartient. Dans le
domaine qui m’intéresse ici, l’œuvre littéraire s’intègre plus facilement dans la
didactique de la langue appliquée et appelle une approche interdisciplinaire.
Car, au-delà des méthodes d’explication strictement historiques, génériques ou
formelles, la littérature francophone – de plus en plus ouverte aux paradigmes
non littéraires tels que le reportage, l’essai, le témoignage – s’insère dans le cadre
des études interculturelles et participe dans la réflexion sociologique qui s’inté-
resse à la réalité de l’espace francophone.
Dans les études du FLA, dont l’objectif principal consiste à développer non
seulement les compétences linguistiques de l’étudiant, mais aussi ses compé-
tences de communication, son autonomie intellectuelle et la culture générale
nécessaires pour ses futures activités de traducteur ou d’interprète, la notion
de l’interculturel constitue le premier point de repère. L’interculturel est une
sorte de pivot autour duquel tournent les objectifs du programme universitaire
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FLA : former des diplômés non seulement compétents du point de vue linguis-
tique, ayant acquis les connaissances de base et le vocabulaire en sciences socia-
les et en économie, mais surtout ouverts au monde, conscients de sa richesse et
de sa diversité. Et c’est la littérature maghrébine qui offre à l’étudiant tout un
panorama de pratiques interculturelles, dans la mesure où l’œuvre maghrébine
francophone résulte de la communication entre deux ou plusieurs cultures, la
culture originaire de l’écrivain et la culture française à laquelle il se réfère par
le biais, entre autres, de son choix linguistique et de sa formation scolaire. Le
texte maghrébin francophone témoigne ainsi de la diversité des modèles cultu-
rels qui coexistent et s’influencent au sein d’une seule langue, le français. Cette
langue choisie en tant qu’outil de communication littéraire se laisse pourtant
imprégner par d’autres langues de l’écrivain francophone qui est bilingue ou
plurilingue. Abdelkébir Khatibi, Tahar Ben Jelloun et Assia Djebar considèrent
le plurilinguisme comme un avantage et leurs idées sont représentatives de plu-
sieurs auteurs francophones. Dans Amour bilingue notamment, Khatibi parle
de la « folie de la langue » pour faire l’apologie du pluralisme babélien1. Assia
Djebar, dans Ces voix qui m’assiègent, définit la francophonie comme un lieu
de la diversité, de la richesse et de la franchise. Elle parle d’« une francophonie
en constant et irrésistible déplacement » et ajoute : « […] ma francophonie ne
peut se situer dorénavant que dans cet élargissement du champ »2. Tahar Ben
Jelloun voit le bilinguisme de l’écrivain francophone comme une source d’en-
richissement du français : « Personne ne peut affirmer que cette appartenance
à deux mondes, à deux cultures, à deux langues n’est pas une chance, une mer-
veilleuse aubaine pour la langue française »3.
L’œuvre maghrébine francophone constitue donc un modèle de croisement
culturel, un modèle d’échange et de dialogue qui peut s’avérer formateur pour
l’étudiant. Car, d’une certaine manière, l’étudiant partage le même type d’expé-
rience, à un niveau de communication pratique. Comme le souligne Addelkader
Kheir « une langue étrangère n’est pas seulement un outil de communication
mais elle se veut également un pont assurant la transmission des expérien-
ces, des valeurs et des visions du monde »4. Ainsi, en acquérant les compé-
tences du traducteur, l’étudiant doit exercer un travail de translation d’une
langue à l’autre. Il participe ainsi à un rapprochement entre les deux cultures :
il confronte sa propre culture véhiculée par sa langue maternelle avec la culture
1
Cf. A. Khatibi, Amour bilingue, [dans :] Œuvres I. Romans et récits, Paris, La Différence,
1983, p. 186.
2
A. Djebar, Ces voix qui m’assiègent, Paris, Albin Michel, 1999, p. 40.
3
T. Ben Jelloun, On ne parle pas le francophone, [dans :] Le Site de Tahar Ben Jelloun :
http://www.taharbenjelloun.org/index.php?id=33&L=&tx_ttnews[tt_news]=121&cHash=6af7
cd43c403de613b70d05e31510a25, consulté le 19/01/2018.
4
A. Kheir, « L’interculturel et l’enseignement/apprentissage du texte littéraire : le cas du
conte », Synergies Chine, no 8, 2013, p. 53.
Le texte littéraire maghrébin francophone dans l’enseignement universitaire… 71
cible. Pour que cette découverte soit satisfaisante, il devra prendre conscience
des différences et des particularités de chacune des deux cultures, il devra cher-
cher des passerelles entre elles dans l’acte de traduction étant en lui-même l’une
des réalisations de communication interculturelle.
L’interculturel repose donc sur le respect de l’Autre, condition sine qua non
de tout dialogue, de tout échange. Il apprend à celui qui y adhère à s’ouvrir à la
différence pour la comprendre. Il est donc une source d’enrichissement person-
nel. Pour Tzvetan Todorov, « l’interculturel est constitutif du culturel »5. Il est
donc ce qui empêche la culture de se replier sur elle-même, de se scléroser, de
se figer et finalement de s’autodétruire. Comme le constate Luc Collès : « Toute
culture qui s’isole est amenée à disparaître »6. Les relations interculturelles assu-
rent à chaque culture qui adhère à cet échange un renouvellement, un dyna-
misme, une vie. C’est ce qui l’empêche de tomber dans deux pièges dont parle
Luc Collès : objectivation (c’est-à-dire une fausse conviction de sa cohérence et
de son immobilité) et sacralisation (c’est-à-dire le dogme de sa supériorité sur
d’autres cultures)7. L’interculturel est surtout salutaire pour l’individu dans la
mesure où il s’appuie sur l’idée que l’identité individuelle est toujours plurielle
et qu’elle participe à plusieurs systèmes de valeurs. Ce qui, bien évidemment,
dispense l’individu d’une obligation qui serait d’ordre totalitaire : celle d’ad-
hérer à chaque valeur provenant de la culture de sa communauté (nationale,
ethnique, etc.). Car, comme l’explique Amine Maalouf dans Les Identités meur-
trières : « Chacune de mes appartenances me relie à un grand nombre de
personnes : cependant, plus les appartenances que je prends en compte sont
nombreuses, plus mon identité s’avère spécifique »8.
Amine Maalouf fait ainsi l’éloge de l’expérience de la diversité qui ne risque
pas de délayer, disperser l’identité et l’individualité ; bien au contraire, elle la
raffermit, la renforce et la consolide. Sans pourtant risquer de la scléroser, de la
pétrifier : « L’identité n’est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et
se transforme tout au long de l’existence »9.
Jaouad Serghini explique à ce propos que « l’interculturel recèle une dyna-
mique culturelle, il reflète également l’interaction entre les cultures, l’échange, la
communication, le partage, la complémentarité, la reconnaissance de la culture
de l’autre en dehors d’un ethnocentrisme réducteur »10. Cela veut dire – je suis
5
T. Todorov, « Le croisement des cultures », Communications, n° 43, 1986, p. 16.
6
L. Collès, De la culture à l’interculturel – Panorama des méthodologies : http://www.platefor-
meinterculturelle.fr/IMG/pdf/De_la_culture_a_l_interculturel_1_.pdf, consulté le 19/01/2018.
7
Ibid.
8
A. Maalouf, Les Identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998, p. 27.
9
Ibid., p. 33.
10
J. Serghini, Pour une approche interculturelle du texte littéraire à travers les textes des écri-
vains maghrébins et subsahariens de la nouvelle génération : http://www.llcd.auf.org/IMG/pdf/
SERGHINI.pdf, p. 2, consulté le 19/01/2018.
72 Magdalena Zdrada-Cok
11
Cf. ibid., p. 3.
12
Cf. V. Segalen, Essai sur l’exotisme, une esthétique du divers, Montpellier, Fata Morgana,
1978, p. 44-60.
Le texte littéraire maghrébin francophone dans l’enseignement universitaire… 73
13
H. Sheeren, « Les identités meurtrières d’Amin Maalouf. Analyse d’un extrait », Français
2000, Enseigner les littératures francophones 2, revue de l’ABPF, Bruxelles, septembre 2007,
p. 49-56.
Le texte littéraire maghrébin francophone dans l’enseignement universitaire… 75
14
J’emprunte le terme à Michel Le Bris et Juan Rouaud ainsi qu’aux autres de 44 signa-
taires du manifeste Pour une littérature-monde en français, paru le 16 mars 2007 dans Le Monde
et publié ensuite sous forme de l’ouvrage collectif : Pour une littérature-monde en français, sous
la dir. de M. Le Bris et J. Rouaud, Paris, Gallimard, 2007.
76 Magdalena Zdrada-Cok
tension culturelle »15 dans laquelle peuvent avoir lieu des quiproquos interpré-
tatifs. Pour éviter cette situation, il faut que l’auteur et le lecteur partagent un
certain nombre de références : Kheir parle à ce propos d’un référent culturel
commun sur lequel repose la compréhension du texte. Elle a lieu dans ce qu’il
appelle « zone de communication culturelle »16. L’appartenance du texte et du
lecteur à un fonds référentiel commun constitue une porte favorisant l’accès
aux différences culturelles : à leur compréhension et à leur acceptation. Kheir
la présente comme « une zone de compromis »17. En effet, c’est à partir d’un
partage d’idées que peut avoir lieu une différenciation, une distinction entre le
moi et l’Autre. C’est seulement dans ce contexte qu’on peut retrouver le respect
de la différence, principe fondamental de la communication interculturelle. Le
texte est donc dans ce cas-là assez proche du système des références du lecteur
au point que celui-ci poursuit la lecture à la fois avec curiosité et implication.
En même temps, ce système de références d’un texte donné comporte des diffé-
rences par rapport à celui du lecteur, sans provoquer pourtant en lui le senti-
ment de rejet. L’attitude de celui-ci me fait penser à la conception de l’exote de
Segalen : il accepte la différence, retrouve et raffermit sa propre identité diffé-
renciée de celle représentée dans le livre (par personnage interposé) et en arrive
à reconnaître la relativité de sa propre culture qui l’amène au respect de celle
d’autrui.
Cette relation que je propose comme modèle dans la situation de lecture, je
la trouve possible à construire si l’on étudie des œuvres intertextuelles. Dans ce
cas-là, l’intertexte auquel se réfère l’auteur francophone est un réfèrent culturel
commun, à condition qu’il soit connu du lecteur polonais. Je pense par exemple
au roman 2084. Fin du monde (Gallimard, 2015) de Boualem Sansal, Meursault-
contre-enquête (Actes Sud, 2014) de Kamel Daoud ou Maudit soit Dostoïevski
(P.O.L., 2011) d’Atiq Rahimi. Les mondes représentés dans les hypotextes (1984,
L’Étranger, Crime et châtiment) constituent des passerelles qui guident la lecture
de l’étudiant polonais et l’introduisent petit à petit dans le monde d’une culture
moins connue et plus difficile à comprendre.
Pour conclure, la littérature maghrébine enseignée en licence de FLA per-
met de faire comprendre à l’étudiant que le français est une langue de la diver-
sité, un mode de communication interculturelle. En initiant l’apprenant à la
littérature monde en français, l’enseignant dévoile devant lui de nombreuses
stratégies de lecture et de nombreux enjeux que propose actuellement le texte
littéraire francophone.
15
A. Kheir, op. cit., p. 57.
16
Ibid.
17
Ibid.