Pour Une Anthropologie Des Arts de L'afrique Noire
Pour Une Anthropologie Des Arts de L'afrique Noire
Pour Une Anthropologie Des Arts de L'afrique Noire
Louis Perrois
Le (( musée imaginaire >> est finalement la forme la plus élaborée et la plus subtile de
l'ethnocentrisme des grandes cultures. Jean Laude soulignait: (( C'est le danger des
musées imaginaires : ils émoussent notre faculté de saisir les caractères originaux d'un
art, ils réduisent tous les arts de tous les pays et de tous les temps à quelques
dénominateurs communs mais fallacieux : le sens propre à chacun d'eux, c'est-à-dire
non seulement sa signification mais aussi l'ensemble des valeurs qu'il polarise se noie
dans une masse indifférenciée, dans un miroitement aux effets purement rétiniens. )>
Cette mise au point de ce spécialiste s'il en est de l'art nègre en rapport avec l'art
moderne européen, demande à être constamment rappelée tant la tentation de récupé-
ration des arts exotiques reste grande alors qu'on pourrait penser, après cinquante ans
d'expositions, de livres, d'études et de réflexion scientifique, avoir enfin atteint le seuil
d'une vision en phase avec des réalités vécues ailleurs.
En fait, il s'agit toujours d'admettre que les gens vivent autrement, pensent 'et
créent différemment. Les progrès dans cette perspective sont plus lents qu'on ne
l'imagine. En histoire de l'art, même si celle-ci inclut les (( arts primitifs )), les modèles
de référence restent la sculpture antique grecque et la peinture européenne, chacune
considérée comme le type (( classique )> par excellence. La doctrine évolutionniste a la
vie dure et peut prendre des aspects très modernes dans un monde où le progrès
technologique est toujours considéré comme la condition ultime de sa survie.
Bien sûr, chacun est libre d'apprécier tel ou tel objet, tel ou tel style; faut-il pour
autant ériger un regard individuel en une vision à imposer aux autres ? C'est souvent
le cas des collectionneurs et des collections, privées surtout.
Si la légitimité du choix n'a pas à être contestée, la pertinence au niveau de l'étude
de l'art n'est jamais évidente. Même pour les collections de musées que l'on sait
constituées de manière forcément conjoncturelle quoique plus systématique, on pense
rarement à en relativiser la représentativité et la valeur objective. Car le rapport entre
le matériel conservé et la connaissance de sa réalité contextuelle doit être recherché par
un effort particulier et assidu de documentation, Lien au-delà du premier regard
esthétique. Cette démarche est encore trop rarement pratiquée.
Il ne faut pas confondre le goût qu'on peut avoir pour les objets exotiques dans
lequel rentre en fait un appétit très intime de rêve, avec la connaissance de ce qu'ils
, sont en réalité pour les hommes qui les ont créés et utilisés. La fascination exercée par . .
réel très contraignantes pour ceux qui sont concernés. Nous contemplons les a r k .c
-.
d'ailleurs, nous ne les vivons jamais. . . . . . . .
.
L'évasion exotique est un moyen d'échapper au stress de nos sociétés mais. on doit .' 1 ;
admettre que les cultures lointaines ont également le leur, différent certes, mais , _
-se fonde sur une vision du monde ou une histoire technique transmises par les . ..
cultures qui se sont développées sur le sol africain. >) . .
' -__
Pour elle, il est tout à fait téméraire de prétendre reconnaître les principes de S’
traditions esthétiques à l‘échelle des trois quarts d’un continent.
Michel Leiris soutient dans l’avant-propos du livre de Jacqueline De1ange3qu’il faut
percevoir l’approche globale des arts africains moins comme, d‘emblée, une e histoire
des arts et des styles )) que comme la recherche et I’articulation dans l’espace et le
- temps <( des matériaux en vue d‘une telle histoire >).
Dans cette perspective sans illusion sur la complétude d’un panorama toujours trop
rapide des arts de l’Afrique noire, il reste utile cependant de prendre conscience de leur
diversité, ne serait-ce que pour échapper à l‘étroitesse de la notion d’c( art nègre )) telle
qu’elle s‘est figée dans notre pratique culturelle contemporaine occidentale.
A cet égard Jacqueline Fry remarque très justement que les arts actuels de nos pays
industrialisés présentent des similitudes étonnantes avec les arts traditionnels de
l’Afrique : <( Multidisciplinarité, importance de l‘installation et de la performance,
exploitation soutenue des matériaux les plus divers, pratique du collage et du mon-
*
tagé, prééminence du signe, union du littéral et du métaphorique, exercice d’une
-, esthétique communautaire, visées critiques, etc, B ~ ce , qui correspond à un néo-primi-
tivisme artistique international mais non à la découverte d’un c ailleurs qui reste flou
your lui D. Avec les possibilités documentaires podernes et les facilités pour aller sur
*
place, au ceUr même de ces cultures, maintenant si peu lointaines dans l’espace, on
peut s’interroger sur l’incommunicabilité persistante de ces mondes qui se côtoient ’
sans jamais vraiment chercher à se connaître.
La mode des expositions, ouvrages ou débats qui (( redécouvrent )) l’art nègre régu-
lièrement depuis des décennies, découle en fait de la crainte inconsciente de la néces-
saire remise en question de nos certitudes face aux cultures différentes.
D’oÙ cet attrait pour un esthétisme de premier degré, d’autant plus fort qu’il est
i
plus ancré par ailleurs dans LA culture, à la mode, intellectuelle et mondaine.
Les objets n‘apparaissent << nus )) que dans nos musées et nos catalogues : dans la
réalité, ils ont été, ou parfois sont encore, au centre d‘un environnement complexe qui
les justifie et les assume. Les couper à jamais de ce vécu, par commodité ou parfois par
principe, en soutenant l’opinion qu’il n’y a plus rien à connaître de l‘Afrique parce
qu’elle change aussi vite que nous, est une erreur de perspective que tous les praticiens
africanistes dénoncent en permanence. Il y a encore énormément de données à collec-
ter et à analyser en matière de cultures africaines traditionnelles et dans certaines
régions à propos de styles plastiques encore vivants.
Dans la pratique, ce qu’il faut arriver à coordonner, concilier et dynamiser, c‘est une
collaboration harmonieuse entre ethnologie et esthétique, ce qui apparaît très difficile.
Jean Laude conclut à ce sujet: (< Lorsqu’elle choisit comme terrain d’analyse les arts
des sociétés sans écriture, l’esthétique se trouve en présence des faits qu’elle ne peut
comprendre qu‘avec le secours de la recherche ethnographique. Or non seulement
l’analyse de ces faits ainsi étayés par l‘ethnologie est de son domaine propre et doit
être construite avec ses méthodes spécifiques, mais réciproquement elle permet à
l’ethnologie de poser (et dans le cas échéant, de résoudre) des problèmes qui, primiti-
vement, semblaient échapper à ses zones d’investigation. Entre l‘ethnologue et l’es-
théticien, une collaboration est nécessaire. Cette collaboration doit être simultanée :
les problèmes ne se posent pas séparément, distinctement. I1 est un moment où
l‘ethnologue doit se faire esthéticien faute de quoi il laisserait échapper des aspects de
cette notion de (( valeur )) qui est également de l‘ordre de sa recherche.
Les ethnologues se sont à juste titre méfiés de l‘esthétique. La masse considérable
d’ouvrages consacrés à (( l‘art nègre )), ressassant les mêmes généralités, bâtissant de
fragiles théories, est bien faite pour éveiller ces soupçons. Et puis, il n‘y pas un art
nègre: on le sait maintenant.
Que dirions nous si nos amis africains publiaient à un rythme furieux des ouvrages
intitulés l’art blanc >) avec une centaine de reproductions empruntées à la peinture et
((
cherches approfondies des objets et des contextes sur le terrain, ont été menées depuis
les années 30, comme celle de Marcel Griaule à propos des masques dogon du Mali,
.
travail pilote malheureusement trop peu imité par la suite pour la multitude des autres
styles africains, de l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique du Sud. Les monographies sont
restées rares jusqu’à présent.
Jacqueline Fry insiste sur le fait que c’est surtout la sculpture sur bois qui a mobilisé
l’attention occidentale au détriment d’autres productions jugées un peu vite subsi-
diaires. On peut parcourir rapidement le contenu du catalogue classique )> des arts de
l’Afrique noire :
au Mali : la sculpture des Dogon et des Bamana;
en Guinée : la sculpture des Baga;
au Burkina-Faso (Haute-Volta) : la sculpture des Bobo et des Mossi;
en Côte d’Ivoire: la sculpture des Sénoufo, des Dan et des Baoulé;
au Ghana: la sculpture des Ashanti;
au Nigeria : les arts anciens de Nok, Ifé et Bénin et la sculpture des Yoruba, Ibo,
Ibibio, Ijo, Ejagham, et au nord Jukun, Chamba et Tiv;
au Cameroun : la sculpture des Grassland (Bamiléké, Bamoun) ;
au Gabon: la sculpture des Fang, Kota, Kwélé, Tsogho et Pounou-Loumbo;
au Congo: la sculpture des Mbochi-Kouyou, Bembé et TéLé;
au Zaire : la sculpture des Kongo et Yombé, Luba, Songyé, Kuba, Luluwa, Pendé,
Yaka et Léga;
en Angola: la sculpture des Tshokwé. . .
Petit à petit, chacun de ces points forts a été p e r p comme trop schématique pour la
caractérisation d’une région surtout si l’on se donnait la peine d’y séjourner et de voir
de près les problèmes posés par les objets, les styles, l’histoire, les rites et autres détails
de contextes vivants. Des zones entières sont restées ignorées de ce point de vue
jusqu’à ces dernières années: le Kenya avec les productions des Turkana, des Pokot,
des Masai et des Mijikenda; la Tanzanie avec les Makonde; la Zambie avec les Shona;
l’Afrique du Sud avec les Zoulou, mais aussi d‘autres régions un peu écartées ou
difficiles d’accès de pays comme la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Nigeria, le Cameroun,
le Gabon, la Guinée équatoriale, l’Angola et le Zaire.
La diversité des productions artistiques africaines apparaît peu à peu dès que l’on
systématise à la fois le regard sur les objets (et pas seulement ceux sculptés dans le
bois) et l’analyse des contextes dans la double perspective de l‘histoire et de l’anthro-
pologie. Sans même prétendre à une quelconque exhaustivité, les études portant sur
une région précise permettent de (( découvrir D une richesse culturelle étonnante et
presque inespérée dans le désenchantement contemporain à l’égard des pays lointains.
C’est ainsi que les arts du Burkina-Faso, de la Côte d’Ivoire, du Nigeria, du Gabon,
du Zaire entre autres ont été réexaminés, analysés, identifiés avec beaucoup plus de
précision et remis en perspective historique.
I - D’aucuns peuvent s’interroger sur le fondement‘ théorique et (( idéologique )> de ces
f ..
études qui, plus détaillées, n’en sont pas moins ethnographiques que les monographies
sur les rituels. .. . . <
En effet la question est de savoir si les objets (< d‘art )) africain doivent inévitable-
ment être soumis à l’approche anthropologique ou si la considération intellectuelle e t . . _
.. . . ,
~
. r .
reviendrons plus loin. La fréquentation des objets, de tous les éléments matériels des
cultures, dans les musées et sur le terrain, permet de constater l’abondance des solu- . .
tions esthétiques, des formes, des structures, des volumes et des décors, que ce soit
pour les objets rituels ou des objets simplement fonctionnels qui vont du style de la
((bûche >>, où la matière est à peine touchée, jusqu‘à un naturalisme parfois maniéré
où le souci du détail et des surfaces est patent. De même, dans u n autre registre, les .. ,.
formes peuvent être structurées selon des schémas de productions très différents et . -. .
voulus. “ _’ .
Pour les masques, c’est encore plus flagrant car, du naturalisme idéalisé des Dan, . . I .
,
Que dire alors des arts <( décoratifs )) comme la sculpture des Cléments architectu-
raux, les armes, les parures, les arts mobiliers, etc. où le foisonnement des motifs,
toujours autant de messages symboliques, apparaît comme un champ d'étude prati-
quement infini à propos de milliers d'univers ethniques différents ?
c'est-à-dire aux objets que nous considérons en Occident comme dignes d'être quali-
.
fiés d'œuvres d'art.
. . Les (( arts )) africains s'expriment de manière très diversifiée dans la mesure où la
.' ,, .'volonté' esthétique se combine toujours avec une préoccupation fonctionnelle, que ce
. ., . . soit'dans les arts du corps, l'art <( mobilier )), l'architecture, les arts du feu (métallurgie
-
. .
. . "it poterie), la peinture ou la sculpture proprement dite.
'2.
..
' I
._. .' :*', Plus ou moins calqués sur les ensembles de civilisations dans lesquels ils sont
'
.,. ii produits, .co'mpris et toujours appréciés, les univers esthétiques sont des totalités
. .
complexes, des expressions culturelles globales, de forme souvent éphémère, comme ,
le veut la tradition de l'oralit6 dominante, où différentes expressions combinées - la
danse, la musique instrumentale, le chant, la poésie, la parure, l'architecture, la
décoration et la sculpture - se manifestent en vue d'atteindre à une certaine maîtrise
du milieu cosmique, celui-ci comprenant à la fois l'homme, la nature et le monde
surnaturel.
On constate, par une pratique des arts africains'en Afrique même, que les perfor-
mances esthétiques (dans lesquelles les objets n'ont qu'une part limitée) sont plus
importantes que les supports symboliques qu'elles utilisent. I1 faut donc les (( voir ))
dans une perspective globale qui fait presque toujours défaut hors d'Afrique.
C'est un lieu commun d'affirmer aujourd'hui que les arts africains ont une dimen-
sion de théâtre total. Cependant on persiste, par commodité ou parfois par principe, à
vouloir isoler les objets dans un regard fantasmatique dont on soutient qu'il aide à
trouver leur valeur universelle.
Non seulement le << beau )) est une notion éminemment culturelle par rapport à des
normes particulières, mais en outre, à l'intérieur du contexte même, il n'est c o n p que
comme un équilibre d'éléments, les uns matérialisés, les autres exprimés dans l'eu-
I
phorie, la souffrance ou l'illumination des fêtes ou des rites. La sculpture, en fait, n'est
. ,! que la forme la plus accessible (et la plus transportable) de ces ensembles.
L'art uu quotidien
30 Louis Perrois
f
J'
Si les masques et la statuaire sont généralement réservés à l'usage exclusif des
hommes, les peintures rituelles et les coiffures sont également féminines et mascu-
.
lines. On connaît l'intérêt des hommes peul nomades pour les parures nécessaires à la
fête annuelle du Géréwol au cours de laquelle les jeunes filles choisissent leurs préten- .
dants.
La coiffure est partout l'objet de soins attentifs. On retrouve d'ailleurs les types
anciens de coiffes postiches représentés dans la sculpture. Les Fang portaient jusque .
dans les années 1920 une sorte de perruque faite de fibres végétales tressées, décorée
de cauris puis plus tard de boutons de chemise'((( monnaie >) de traite), qui était fixée
aux cheveux et agrémentée de chaînettes et autres anneaux de laiton décorant lenez et ,
les oreilles. Chez les Ibo du Nigeria comme chez les Kota du Gabon, les'femmes
portaient des coiffures distinctes correspondant à des statuts hitiatiques hiérarchisés. .
I1 est évident que la parure est occasionnelle, la nécessité de se montrer pourvu de
tel ou tel signe n'existant que lors de circonstances précises. Toutefois, des parures i
d'une décoration à caractère symbolique comme dans le tissage ou, chez les' Peul par : i.. '
exemple, dans le traitement des calebasses par teinture et pyrogravure. Demême pour ,. . : .:
les objets en cuir des Haoussa. ..
L'ivoire et l'os ont été travaillés essentiellement en zone forestière pour fournir de :
petits objets, amulettes en forme de masque ou de statuette, ou de plus importants .
comme des trompes d'appel ou des appuis-tête (chez les Kongo et les Léga).
La métallurgie, pratiquée à peu près partout, a donné lieu à un épanouissement de :
l'art du métal: par moulage (le bronze traité selon la technique de la fonte à la cire . :. ;
. . .
perdue), par placage (l'or, en Afrique de l'Ouest; le cuivre en Afrique équatoriale), ou . '
forgeage et martelage (le fer, avec les magnifiques armes &&fique centrale aux décors'.. ..'
finement ciselés). La ferronnerie a fourni des objets rituels .comme les tiges à motifs
géométriques ou figuratifs des Dogon, Fon ou surtout Yoruba. . .
._
. .
Pour une nnthropologie des arts 31
Quand à l'art mobilier de bois, il touche le plus souvent à la sculpture proprement ' ;
dite qu'il s'agisse de boîtes à fard ou à <( médicaments )), de cannes, de petits meubles . , ' .
. (appuis-nuque ou chaises chez les Shona et les Tshokwé), de tabourets, de manches de , . ~
' . objets, dont certains sont des chefs-d'œuvre d'élégance à la patine d'usage d'un raffi-
,
. .
- ... ."-. nement exceptionnel, participent des arts africains au même titre que les objets pro-
,
. .
.prement rituels habituellement montrés. Ils témoignent d'un goût sûr pour les beaux
.,. objets, ceux qui ravissent à la fois l'œil qui ¡es contemple et la main qui les caresse.
'
'
Pour ce qui concerne l'habitat, l'archéologie a découvert en Afrique un certain
nombre de vestiges de cités anciennes construites en pierre: Koumbisaleh (au sud de la
Mauritanie, l'ancienne capitale de l'empire du Ghana?); Ouri et Ain-Fara dans le Dar
Four' au Spudan actuel; Engaruka et autres multiples enceintes de pierres de la Tanza-
. nie et du Kenya; enfin les nombreux sites de la Zambie, du Zimbabwé, du Mozambi-
.' . qué et du nord du Transvaal sud-africain dont la grande ellipse de Zimbabwé - (( la
, ,.'. maison de pierre >) -est le.plus remarquable complexe architectural.
,
. ..
.' . . . Là en pays shona, sous l'autorité du (( seigneur des mines )), le Monomotapa, a été
'.. ' construite une véritable ville de pierre avec un palais, des maisons et un mur d'en-
,
.', ' ceinte de p1u.s de 9 mètres de haut et épais de plus de 4,50 mètres. Ces constructions
.. 1ont été faitesde blocs de granit équarris, assemblés sans mortier ( X I I ~ - X Vsiècles).
~
. .
Les constructions traditibnnelles plus récentes sont faites de matériaux beaucoup '
plus fragiles et peu durables comme la brique crue et le pisé en zone de savane, le bois
et l'écorce en zone de forêt. Ces maisons sont parfois décorées de motifs peints ou
traités en bas-relief, les issues pouvant être encadrées d'éléments sculptés surajoutés
(Sud-Bénin, Ouest-Cameroun). A noter qu'à côté d'un habitat rural commun ont pu
se développer gà et là des résidences de chefs à la décoration parfois somptueuse
comme le palais de l ' O h du Bénin (XVIe-XIXe siècles) au sud du Nigeria, où les parois
et les poteaux de soutien étaient recouverts de plaques de bronze figurant des scènes
de la vie de la cour. Cette forme d'art a toutefois été tout à fait exceptionnelle.
L'abondance, maintenant bien amoindrie, de cet art au quotidien principalement
dans les régions de grande sculpture, atteste de l'importance du ((beau )> et du ((bien
fait )) pour des objets dont on pourrait penser qu'ils ne doivent être que fonctionnels.
On peut parler d'une véritable <( esthétique artisanale )) correspondant à la haute
maîtrise des tisserands, vanniers, forgerons, fondeurs, potières, constructeurs et
sculpteurs africains.
Ces arts mineurs, souvent laissés à l'arrière-plan, étaient en fait beaucoup plus
présents dans la vie des gens que les masques et les statues, dans la mesure où ces
objets-là devaient rester soit cachés soit à peine visibles dans le flou du surnaturel se
manifestant aux humains. Ils constituaient le décor réel de la vie villageoise et en tant
que tel, supportaient tout le symbolisme opératoire du quotidien. Ils nous restituent, à
leur étude de détail, le vécu des sociétés africaines traditionelles.
I1 n'est pas question de brosser ici un panorama détaillé des productions plastiques de
l'Afrique noire; plusieurs volumes y suffiraient à peine. En revanche, il est possible
d'esquisser les grands traits de la carte stylistique de la sculpture africaine: ce canevas
sera utile pour situer les objets de l'exposition non seulement dans l'espace mais aussi
, pour chacun d'eux dans leur contexte socio-culturel et leur univers symbolique.
Cette région au' climat tropical sec est le domaine des cultivateurs de mil. Plusieurs
grands empires s'y sont développés au cours des siècles. La sculpture des peuples
soudanais, du Mali au Burkina-Faso, jusqu'au Nord du Nigeria, est austère et angu-
leuse; la géométrie cubiste des volumes atteste d'un goût certain pour l'abstraction,
les formes et les décors ne faisant que suggérer des significations explicitées ailleurs,
'
dans la littérature orale notamment.
32 Louis Perrois
Les DOGON de la falaise de Bandiagara au Mali, bien connus au point de vue .
ethnographique grâce aux travaux de Marcel Griaule et de toute son équipe et, au
point de vue de l’art, grâce à I’étude de Jean Laude, ont conservé jusqu‘à aujourd’hui
un héritage culturel complexe où la mythologie tient une place déterminante. La
sculpture est d‘inspiration socio-religieuse et tend à neutraliser sinon maîtriser les
forces de la vie et de la mort.
Les sculpteurs dogon qui sont le plus souvent en même temps forgerons, castés
comme tous les groupes d’artisans en Afrique de l‘Ouest, façonnent des masques
anthropomorphes ou zoomorphes de formes toujours schématiques qui servent au
cours des fêtes de deuil et sont censés permettre la récupération de la force vitale du
mort. Les statuettes, pour la plupart, représentent les ancêtres et évoquent les épi-
sodes importants des mythes. Si les masques sont exhibés $ tous, les statues, elles,
doivent rester cachées.
Originaires du même pays que les Dogon, le Mandé, les BAMBARA ou BAMANA,
qui dominèrent une partie du Mali pendant des siècles, ont une sculpture sur bois
particulièrement remarquable par la pureté de ses lignes, du moins pour les objets
anciens car ce style a abouti aussi, de nos jours, à des formes très décadentes.
On connaît des Bamana des statues d’ancêtres et de jumeaux, des poupées de
fertilité et de très nombreux masques correspondant aux six sociétés d’initiation dont
les plus connues sont le N’domo et le Koré. Les antilopes tyi-wara sont des sommets
de coiffure utilisés au cours de danses liées aux rites de fertilité de la terre.
Les SÉNOUFO du Nord de la Côte d’Ivoire se distinguent par une statuaire beau-
coup plus abondante que celle des peuples du Moyen-Niger, plus portés à fasonner des
masques, surtout les MOSSI et les BOBO du Burkina-Faso. Les statues sénoufo, très
appréciées en Occident pour leur effet décoratif, servaient dans le culte des ancêtres.
Le Mali a fourni depuis deux décennies un ensemble de figurines en terre cuite
d‘origine archéologique (malheureusement de fouilles le plus souvent clandestines)
que l’on désigne sous le nom de style de DJENNÉ, aux formes très expressives et
asymétriques. Ces objets datent du XIe au xVIIe siècle.
-.
comme u n <( art >>.Emigrés de chez les Ashanti, les Baoulé devenus agriculteurs ont I
1’Afrique noire, sont des portraits idéalisés commémoratifs ou des figures funéraires.
Le masque Gu, représentation du créateur, est un visage humain aux traits sereins et
aux surfaces soigneusement polies. Tous les bijoux en cuivre, laiton, or ou bois plaqué
de feuilles d’or attestent ce goût de la parure de prestige et des belles choses. Les poids
, I - à peser 1/01s’apparentent directement à ceux des Ashanti.
. , . ..., . . Les ASHANTI du Ghana, de vieille tradition royale, eurent très tôt des relations
. ._
r .- . . commerciales avec les marins européens qui venaient leur acheter de l‘or et des
’
. ._ .
esclaves. Peu de sculpture proprement dite mais quelques objets-symboles très dé-
...
corés comme le tabouret du roi, de bois plaqué de feuilles d’or, qui représente l’unité
du peuple. Des figurines de bois, akua bu, sont portées par les femmes enceintes. Les
poids à peser l’or sont remarquables, certains d‘inspiration géométrique, d’autres
. représentant des scènes de chasse ou autres d‘une facture très expressive (ce sont
souvent des proverbes).
’
. .Dans la région, un peu plus à l’est, au Bénin et au Nigeria, on trouve un certain
,. ‘ nombre de cités-États comme Abomey, capitale des FON dont l’apogée s’est situé au
I . . ’. -.. XVIIIe siècle. Les artisans travaillaient sous le contrôle direct du roi, les œuvres,
,’
,..’:. ..sculptures
. ou décoration architecturale, art mobilier et bijouterie, devant exalter sa
.
.; : puissance et ses hauts faits. L’art était directement lié à la symbolique du pouvoir.
. . * ‘ Les YORUBA du Nigeria, actuellement plusieurs millions d’individus, constituaient
. un royauine unifié dont la capitale était Ifé. Le panthéon yoruba compte des centaines,
de ((dieux),, chacun avec des prêtres et des fidèles. Les masques et les sculptures
polychromes appartiennent à des sociétés initiatiques secrètes dont l’une des plus
actives est le Gklédé. Les jumeaux morts étaient apaisés par des petites statuettes
appelées ibeji qu‘on devait traiter comme de véritables enfants.
Les terres cuites et les bronzes d‘Ifé, certaines pièces remontant au X I I ~siècle, sont
les portraits idéalisés des grands dignitaires. Les traditions techniques des fondeurs
d‘Ifé se sont transmises par la suite au Bénin où elles ont été perpétuées à travers des
portraits royaux ou des personnages importants de la cour de l’Oba, le roi, et des
plaques destinées à décorer les parois et les poteaux de soutien du palais. La grande
période du Bénin se situe au XVIe siècle, la période de décadence commenfant au XVIIIe
pour s’accélérer jusqu’à la prise de la capitale du Bénin en 1897, date qui marque
l’écroulement définitif de la dynastie.
Au sud-est du Nigeria et dans le bassin de la Cross-River, région d‘eau et de forêt
dense, plusieurs peuples, IBO, IBIBIO et EKOÍ organisés en communautés villageoises
de type segmentaire, ont fait preuve d’un grand dynamisme sculptural, tant au niveau
de l’architecture et de la décoration que de la statuaire proprement
~- dite, dont les
expressions en bois ont laissé place de nos jours à un art de la terre cuite ou du ciment
monumental polychrome assez étonnant.
’
. L‘art des EKOÍ et ANYANG jusqu‘au Sud-Cameroun est une zone de transition
’
entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. I1 touche d’ailleurs au Grassland
. camerounais, dans la région de Batibo, dont les spécialistes estiment que ce serait là la
zone d’origine des Bantou.
L’O,gest-Cameroun, pays de hauts plateaux recouverts de savane, est habité par un
. grand’nombre de groupes organisés-en chefferies, généralement pluri-ethniques à
l‘origine: on peut distinguer les chefferies BAMILÉKÉ au sud, le BAMOUN à l‘est et
l‘ensemble NSO-OKU-KOM au nord-ouest.
La sculpture du Grassland n‘a pas de caractère proprement c tribal >>; on y distingue
de multiples courants d‘influence. La statuaire et l’art décoratif exaltent le prestige du
chef, le foiz, tandis que les masques expriment la contre-puissance d’équilibre des
‘i sociétés initiatiques telles le Ku’izgang- ou le Keinjye.
Au point de vue,des solutions plastiques, l’art du Grassland utilise un registre de
volumes puissants, articulés de manière très expressive, parfois caricaturale, liés à un
sbuci de formulation symbolique constant. Le décor, souvent perlé pour la statuaire et
le mobilier royal, est très important; il represente des animaux comme l’araignée, le
serpent ou la panthère auxquels sont attachés les valeurs essentielles du groupe.
L‘Afrique centrale et australe est le domaine des BANTOU dont les langues se sont
répandues au cours des siècles du nord-ouest vers le sud-est du continent noir.
34 Louis Perrois
A la latitude de l’équateur, au Gabon et au Congo, s’étend la grande forêt chaude, ~
sombre et humide OÙ se sont fixés depuis un siècle des peuples anciennement semi-
nomades de structure sociale segmentaire, tels les Kota, les Tsogho et les Fang. . .
Les KOTA, occupant tout l‘est du Gabon mais apparentés à plusieurs groupes
congolais parmi lesquels les MBÉTÉ , ont façonné des figures de reliquaire dont
certaines sont de morphologie très abstraite, pratiquement bi-dimensionnelle, en bois
décoré de plaques et, ou, de fils de laiton et parfois de cuivre. Les MAHONGWÉ et les
OBAMBA sont les deux sous-styles kota les plus remarquables. .
Du Centre-Gabon à la côte atlantique, on trouve un grand nombre de types de
masques, liés soir aux rituels de deuil soit à l’initiation, qui tous dérivent morphologi-
quement les uns des autres, des plus schématiques (le style vouvi) aux plus réalistes
(le style potinoti-lotrmbo connu longtemps comme mpongwk), leur caractéristique
essentielle étant la coloration blanche du visage. On les appelle (( les masques blancs >).
Quant aux FANG, répartis en plusieurs groupes tribaux distincts bien que parents,
divisés en un grand nombre de clans quasiment autonomes, ils ont produit une
statuaire de formes globalement homogènes bien que typées au niveau de plusieurs
sous-styles (ngotimba, mabéa, botilou au Sud-Cameroun; ntotimoti et muaî dans le
bassin du Ntem; okak en Guinée équatoriale; betsi et nzaman de Libreville à Ndjolé;
mitzic et makokoti), caractérisée par un aspect monumental très classique dans l’art
africain et une grande sobriété de décor. La face en cœur des visages de bois des
statuettes du Byéri des Fang est un thème plastique qu‘on retrouve aussi bien chez les
KWÉLÉ du Nord-Congo que chez les LÉGA du Nord-Est du Zaire. Si la forme est très
comparable, les fonctions des objets diffèrent complètement : les statues fang protè-
gent les boîtes-reliquaires contenant les reliques des ancêtres alors que celles des Léga
sont des symboles emblématiques des notables de la société du Bwami, groupe initiati-
que qui comprend aussi bien des hommes que des femmes.
Les Fang ont aussi façonné des masques dans le cadre de sociétés secrètes à but
judiciaire, comme le Ngil, ou thérapeutique comme le Ngontang.
Les TÉKÉ du Congo, habitant la lisière de la grande forêt, ont des masques plats 6t
circulaires, au décor abstrait (style des TÉKÉ TSAAYI) et des statuettes-reliquaires
utilisées le plus souvent dans des rituels magiques.
Les marottes et statues des KOUYOU de la région de la Likouala-aux-herbes consti-
tuent un style de transition entre les productions du Zaire et celles des peuples du
bassin de l’Ogooué.
La’vaste région qui s’étend de la côte congolaise et angolaise au sillon nord-sud des
grands lacs de l’Afrique orientale est un pays de grande forêt dans la boucle du Zaïre,
mais aussi de forêt claire puis de savane plus au sud.
C‘est une zone de grande culture à la fois par l’ampleur des événements historiques
qui s’y sont déroulés depuis des siècles et par les témoignages c a r t qui en sont restés. . . .. .. . . , ,
tal, pays des LUNDA-TSHOKWÉ ,sur un fond paysan d’organisation segmentaire.....- . . ... .
(1
. ‘ . A
I .
., .. -
. . . .. .
_ .
Les arts roy aux de l’Afriqzie centrale .. .
I .
au XIVe siècle, ont été très tôt en contact avec les explor-ateurs et missionnaires
portugais.
. C’est Diego Cá0 qui découvrit l’embouchure du Nzadi (dont il comprit le nom en
(( Zaire >>)
et incita le puissant roi Mftlmu Nzinga Nktlwti à se convertir au christia-
. , . I , Les plus anciennes productions artistiques connues des Kongo sont les ntndi, des
'
. ,.. statues de pierre tendre trouvées dans les anciens cimetières, certaines de ces œuvres
'-
. . . . remontant au XVIe siècle. Les iztadi seraient des statues de chefs. Plus récentes, des
, '
r .
statues de bois servaient au culte des ancêtres: leur facture est très réaliste et raffinée.
.
;' Plus qu'ailleurs en Afrique, le thème de la (< mère à l'enfant )) est privilégié d'où un
style souvent dynamique et asymétrique, parfois même tout à fait anecdotique.
, .
Enfin, l'art kongo s'est illustré par les innombrables statues magiques ou nkisi que
. .
les ngaiign (maîtres de la manipulation des forces invisibles, les (( féticheurs n) utili-
. . saient il n'y a encore pas si longtemps pour leurs rituels thérapeutiques (voire de
,i.
. . ... . . . sorcellerie). Les (( fétiches à clous )) sont parmi les objets les plus impressionnants de
'.'.
_ -. . '. ..'l'art
I . . de l'Afrique noire.
. La théocratie des KUBA , dans la vallée du Kasai, a suscité un développement
. .. . a -.. '
.I ,: . 'artistique remarquable, les sculpteurs sur bois (dont le roi lui-même) constituant la
... . '
. ,. .
. .. . . .caste la plus importante des artisans.
. . .
. .. Les Kuba en fait sont une fédération de dix-sept groupes sous la domination des .,
BUSHOONG, ((les gens du couteau de jet )). Toutes les sous-chefferies sont auto-
nomes.
L'art kuba est plutôt d'essence politique que religieuse. Les objets font référence à la
vie des hommes et des groupes, des chefs et des rois plutôt qu'aux ancêtres.
On connaît une vingtaine de izdop ou statues royales bushoong, le roi étant aussi
((dieu sur la terre)). Il est difficile de se prononcer avec certitude sur l'ancienneté
relative de ces objets dont on remarque le style un peu trop homogène pour qu'il ait
pu se maintenir tel quel du VIIe siècle à nos jours. Il est possible, comme ailleurs, par
exemple chez les Bamiléké, que les rois aient éprouvé de temps à autre le besoin de
renouveler la galerie de leurs ancêtres7.
Le pouvoir du roi s'exprimait aussi par des masques qui intervenaient lors des
rituels d'initiation et de deuil. L'art décoratif kuba est de qualité exceptionelle: la
plupart des objets de la vie quotidienne (qu'ils soient de bois, de fer, de terre ou de
fibres) sont décorés de motifs dûment répertoriés et dénommés.
Les LUBA du Sud-Est du Zaire constituent un vaste complexe de chefferies artisto-
cratiques où l'art, rattaché au culte des ancêtres et à la magie, s'est particulièrement
développé. Au point de vue linguistique, il faut diviser les Luba en trois rameaux: les
Luba du Kasái (détachés de ceux de l'est), les Luba du 'Katanga ou Luba-Shankadi et les
Luba-Hemba, les plus orientaux.
. L'empire luba a été fondé au XVIe siècle par un guerrier envahisseur connu sous le
nom de Kongolo-Mukulu. C'est son successeur et assassin Kalnla Ilungu qui institua
le pouvoir monarchique d'essence divine.
L'art luba est particulièrement élaboré et raffiné, avec un goût prononcé pour les
volumes courbes et les surfaces suaves et polies, tout à fait adapté au thème le plus
fréquemment traité, celui de la femme.
Plusieurs sous-styles luba ont pu être définis (notamment par Frans Olbrechts,
Albert Maesen et François Neyt) dont les principaux sont celui des SHANKADI, au
sud, de facture tendant à un schématisme parfois anguleux, et celui des HEMBA, aux
I objets plus réalistes, traités dans un registre de formes amples et arrondies, au nord-
I' , est. Certains artistes ont laissé des œuvres très reconnaissables comme le (( maître de
Il' Buli >), auteur de toute une série d'objets, dont des tabourets à caryatide qui figurent
.. . parmi les chefs-d'œuvre exceptionnels de l'art africain.
Certains groupes voisins, comme les BOY0 et les BEMBÉ, ont produit une statuaire
. presque cubiste )), quoique massive, où les volumes sont géométrisés dans une struc-
((
ture aux proportions volontairement bouleversées tant pour les masses du corps que .
If pour le rendu des détails.
L
li Les LULUWA ou BENA LULUA du Kasai et les SONGYÉ participent plus ou moins
li du vaste complexe luba: les premiers avec de fines et élégantes statuettes du culte de
fertilité tshibola, représentant des femmes enceintes au visage et au ventre entière-
ment ciselés de scarifications en léger relief, des statues d'ancêtres plus grandes et des 7 Cornet 1972, p. 135
masques de sociét6s secrètes comme le nkaki au nez énorme fortement busqué; les S Roberts19S6
36 Louis Perrois
L
seconds, les SONGYÉ ou YEMBÉ, occupant la région située au nord des Luba-Shan- .
kadi, peuple très préoccupé par tout ce qui touche à la magie. L‘art songyé est très 1
opératoire: les statues manga sont chargées de mutiples ingrédients et (( médica-
.
ments )) magiques - cornes, coquillages, peaux, poils, plumes, etc. - qui la plupart du
temps cachent entièrement le bois. Les formes sont résohment stylisées et géométri-
ques comme les volumes et le décor des masques fshiwebe (à fonctions judiciaires).
Les LUNDA-TSHOKWÉ de la zone occidentale du Katanga et de tout le Centre-Est
de l’Angola ont constitué eux aussi un puissant royaume au XVIIe siècle. Les Tshokwé
sont issus des Lunda dont le roi céda les insignes du pouvoir au mari de sa fille, u n
chasseur errant luba du nom de Tshibinda llzingn KnteIe. Les princes lunda ainsi
dépossédés émigrèrent, emmenant avec eux des partisans : ces péripéties historiques
des XVIIe et XVIII~siècles expliquent l’extrême dispersion de ce peuple.
~
Là encore la structure sociale centralisée a favorisé un grand essor de l’art plastique,
’
surtout à la cour du Mwnta Ynmvo, le descendant du héros chasseur, fondateur du
royaume : statues d’ancêtres, cannes, chaises aux barreaux et au dossier entièrement
sculptés témoignent d’une vigueur de création qui n‘a disparu qu‘au X I X ~siècle avec
I’écroulement de l‘empire lunda. Joseph Cornet qualifie ces œuvres de (( baroques )), eu
égard à un goût certain pour la déformation du réel.
Les Tshokwé ont également des masques, de bois et de fibres, qui se produisent lors
des fêtes de la circoncision [mtikanda). L’art du métal est également pratiqué (fer,
cuivre et laiton).
._.
des masques de chef.
La partie sud de la rive occidentale du lac Tanganyika est habitée par les ‘TABWA ” ,
dont l’art, entrevu très tôt, n’a été vraiment étudié que récemment, en particulier par , ~
Allen Roberts. Pour lui, ((l’art est utilisé dans les cérémonies pour perpétuer et ,’.
glorifier l’ordre existant* )). .. . .
Les statues représentent aussi bien des hommes que des femmes, parfois un chef ( 2 . .. . .
porté sur les épaules. Le style, plastiquement apparenté à celui des Luba, est t0ut.e
courbes discrètes avec des surfaces décorées de nombreuses scarifications punctiform
...,_ . en lignes. Les Tabwa fasonnent aussi des masques soit anthropomorphes ‘soit
bovidés aux larges cornes.
38 Louis Perrois
5,
a
9
La maîtrise des matériaux
Les sculptures africaines les plus connues et les plus nombreuses sont en bois, mais
nombre de pièces majeures sont en ivoire, en métal ou en pierre. Ces matériaux ont
été parfois utilisés de façon concomitante dans les mêmes milieux, régions ou peuples,
quoique par des spécialistes différents.
Le bois est employé partout en Afrique, aussi bien dans les zones tropicales sèches
que dans les régions équatoriales forestières où on trouve de nombreuses essences
utilisables, pour façonner d'abord tous les objets mobiliers courants (sièges, éléments
d'architecture, cannes et manches divers, récipients et ustensiles culinaires, mortiers,
etc.), puis les masques, statues et autres objets à usage rituel.,,
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,;
3, I' ' La création i?zformelle: les paysans-artistes
1'
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I! 1'
40 Louis Perrois
a
1
seurs. Le travail de la forge, au moment où il est pratiqué, requiert de l'artisan comme
de ses aides (exclusivement .des garsons) des précautions rituelles très précises et ..
contraignantes touchant à l'interprétation symbolique qu'on fait de la transformation
du minerai en métal utilisable.
Dans les mythes dogon et bamana, le forgeron est toujours un héros civilisateur,
dispensateur des techniques primordiales nécessaires à la vie des hommes et permet- '
grands initiés ou des prêtres. Les sculpteurs de pierre des cathédrales médiévales,
malgré quelques marques discrètes gà et là, sont restés également anonymes, absorbés ,
..
Traditions symboliques et dynamisme des styles
Dans la réalité, les arts plastiques africains n'ont aucune existence en dehors des
univers socio-religieux dont ils sont une expression parmi d'autres tout aussi impor-
tantes (la danse, la musique, la transe, les mythes, les gestes et les signes, etc.).
L'esthétique des formes visuelles prend alors sa place parmi tout un faisceau d'acti-
vités de la pensée dont le but ultime est la maîtrise des forces invisibles régissantle
monde, celui des vivants comme celui des morts, celui du village comme celui de la
nature souvent hostile qui l'enserre.
,voyons aujourd‘hui que le dernier aspect tout à fait circonstanciel. Chaque monogra-
.. ,. ’_ . phie montre que ce que de loin nous considérons comme bien défini (les Dogon, les
. .
. .. .. . .’ .Bamana, les Mossi, etc.), est en fait de près assez flou et difficile à identifier de fagon
’
I
- .
*. ; différentielle..
L‘aire des Fang-Béti par exemple, en Afrique équatoriale, est habitée par une di-’
zaine d’cc ethnies )), de langue’s et de comportements plus ou moins différents, néan-
moins apparentées si on considère un ensemble régional plus vaste (l’Afrique cen-
trale).
Dans ces conditions (qui constituent la réalité des choses), il devient difficile de
délimiter avec exactitude des styles et des sous-styles qui seraient les expressions
spécifiques et exclusives de ces groupes. Il vaut donc mieux envisager l’histoire des
styles comme une trame à plusieurs niveaux, d‘un dynamisme constant dans le temps
et dans l’espace, dont les Cléments seraient plus ou moins perméables entre eux.
En fait les chocs culturels, forts ou insidieux, les syncrétismes, les emprunts et les
abandons stylistiques sont toujours présents même si leur évidence ne peut être
constatée à l’échelle de temps de notre analyse. Les styles dont l’analyse morphologi-
que permet de révéler les invariants relatifs et les variantes, naissent, se développent,
s’affirment, entrent en décadence et disparaissent.
Pour l’instant, la connaissance fragmentaire que nous avons des civilisations afri-
caines, dans leur historicité surtout, ne permet pas d’aller bien loin dans cette stylisti-
que dynamique. On peut cependant s’apercevoir que l’approche c( tribaliste )) est loin
de correspondre à la complexité de la réalité: si on a pu s’en contenter pendant
longtemps faute de mieux, il est temps d‘abandonner ce point de vue commode pour se
. , mesurer avec %arichesse du réel, chercheurs européens et chercheurs africains associés
(ce qui est encore une autre facon d’aborder le problème).
L’étude des arts plastiques africains implique donc une stratégie de recherche 1 voies
multiples dont les principales sont l’histoire, l’étude des langues, l’analyse de l‘envi-
ronnement et l’anthropologie. En fait, toutes ces investigations permettent de relever
les systèmes symboliques et donc l’accès aux représentations visuelles qui les
expriment.
On peut se demander, après cette évocation rapide de ce que sont les arts plastiques
négro-africains, si la création qui les a suscités a ét6 ou est une nécessité structurale ou
un épiphénomhe conjoncturel. L’art est-il un Q plus )) ou un composant essentiel mais
narmal de la réalité quotidienne des sociétés africaines ?
Les enquêtes de terrain sur ce sujet tendent à montrer que les artistes ne peuvent
pas créer c beau )) sans créer (( juste )) dans la mesure où la demande sociale est toujours
très précise par rapport à l‘usage prévu de l‘objet attendu.
La marge de liberté du sculpteur (comme du danseur ou du musicien) est limitée par
la capacité de compréhension de ses clients car le produit fini fait partie d‘un système
”
de signes (thèmes, formes, couleurs, décors) que chacun est censé connaître (les
initiés) ou admettre (tous les autres). La sculpture, en ce sens, est une <<écriturea
42 Louis Perrois
élémentaire. On peut écrire bien ou moins bien, l’essentiel est que le contenu du
message soit communiqué. L’objet est donc un média.
Les arts africains ne sont donc pas hermétiques même si le sens des représentations
qu’ils supportent nous reste caché, à nous Européens comme àtous les étrangers et les
villageois non concernés.
Je n’évoquerai que pour mémoire la question de savoir si toutes les langues afri-
caines ont des mots distincts pour évoquer la (( beauté D, Toutes, en tout cas, ont des
mots pour caractériser ce qui est (( juste )), ((bon)), agréable >) et efficace N comme il
y en a évidemment pour ce qui est (( mauvais )) et (( néfaste D tant pour ce qui concerne
i -
les gens que les choses.
I1 semble avéré que toutes les sociétés ont besoin de la médiation des symboles pour
maîtriser le milieu dans lequel elles se développent. La puissance des techniques ne
peut s’exprimer qu’à la suite d’une conceptualisation imaginaire. Les croyances et tous
les comportements qui en découlent sont une réponse, toujours plus ou moins collec-
i
tive, des hommes pensants dans un environnement contraignant.
Du coup, l’appropriation des formes symboliques par quelques-uns, les artistes
mais surtout les initiés, est un moyen de pouvoir sur la collectivité : les masques sont
là pour effrayer, les statues d’ancêtres pour garder jalousement les reliques qu‘elles
surmontent. Plus cet univers est imaginé, compliqué et terrible, plus les (( nganga >)
auront de pouvoir.
Les objets (( d‘art )) sont donc aussi des instruments de puissance sociale: les trônes
perlés bamiléké, les portraits d’oba du Bénin mais aussi les masques ngil des Fang
sont, dans les mains de quelques-uns, le rappel concret quoique symbolique de la
dépendance de tous par rapport à l’ordre imposé par les manipulateurs de la structure.
En fait, les expressions artistiques sont constamment au centre d’un rapport de forces
spirituelles et sociales. Elles changent d‘ailleurs au gré de ces fluctuations. C’est là que
se situe le moteur de la dynamique des styles.
Dans ces conditions (on a pu parler de sociétés traditionnelles ((totalitaires ))), si la
spontanéité de création existe indéniablement, au sein de systèmes symboliques iden-
tifiés, celle de la contemplation esthétique pure n’est pas concevable de la même fagon
dans la mesure où u n objet (jamais complètement (( profane ))) est toujours perçu in
situ dans une perspective plus ou moins immédiatement fonctionnelle. On juge donc
de l‘adéquation des formes et des décors au système global avant d’estimer si la
sculpture est bonne ou médiocre. Si u n nkisi kongo est très (( chargé )) par exemple, on
se passera généralement de savoir si c’est en outre un bel objet.
Le jugement esthétique est donc tout à fait secondaire, rarement exprimé et en tout
cas étroitement fondu dans une perception socio-religieuse de laquelle il ne peut
pratiquement jamais être isolé.
D’oÙ le regard global que le public africain a pour les objets de ses propres cultures
et les problèmes qui en découlent au plan du (( développement culturel )), en particulier
pour la conservation et la mise en valeur des patrimoines traditionnels.
La beauté formelle existe en Afrique noire - et de quelle manière magistrale ! -mais
elle est toujours vécue. L’appréciation du beau passe par une participation personnelle
et souvent une action, non par une contemplation iéflexive. Le public africain parti-
..
cipe pleinement et ne reste jamais passif pour ce qui le -concerne directement. D’oÙ,le .i, .. . ..
malentendu relatif qu‘a suscité l’engouement de l’occident pour lesarts i nègres )>. .. :,
_. .. _
’
.. . .
I
Les objets, les masques, la statuaire, les tabourets décorés comme les parures mais. .. I’ ’
-. .
aussi la danse et la musique attestent du goût certain des Africains pour la fête.‘(les.’”; ,”.:,.. :.
((performances ))) qui contrastent avec la routine et les difficultés de la vie. quoti:.. . .. _ ..
d‘ienne. ., . . ;.
La nécessité de maîtriser les forces de l’environnement (naturel et surnaturel), le . .-’
milieu de la vie et celui de la mort, s’est réifiée dans des signes très ‘divers qui vont des, . . . ’ ’
’
rythmes et des formes aux volumes et aux couleurs, ces messages ésotériques mas- .
quant en fait l’angoisse existentielle de l’homme face au monde de l’au-delà.
L’art, en ce sens, est donc l’expression symbolique la plus élaborée de la force vitale .,
de l‘homme. C’est peut-être cela qui nous émeut, de culture à culture, alors même que ’ .. 1
le sens précis des messages nous échappe le plus souvent.
. . * . .
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Pour une anfhropologíe des arts 43