Delanoue LaCGTet 1983

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La CGT et les syndicats de l'Afrique noire de colonisation française, de la Deuxième

Guerre mondiale aux indépendances


Author(s): Paul Delanoue and Philippe Dewitte
Source: Le Mouvement social , Jan. - Mar., 1983, No. 122 (Jan. - Mar., 1983), pp. 103-121
Published by: Editions l'Atelier on behalf of Association Le Mouvement Social

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/3777775

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D6ba t

La CGT et les syndicats


de l'Afrique noire de colonisation fransaise
de la Deuxieme Guerre mondiale
aux independances

par Paut DELANOUE

Philippe Dewitte (<< La CGT et les syndicats d'Afrique occidentale


fransaise (1945-1957) >>, Le Mouvement sociat, octobre-decembre 1981)
n'a pas hesite a s'attaquer au probleme complexe des relations entre
la CGT et les syndicats de 1'AOF dans la periode 1945-1957. I1 faut l'en
remercier. C'est dans cette periode que s'affirmerent les syndicats
africains, qu'ils prirent conscience de leur role specifique dans le
developpement de l'Afrique se liberant de l'emprise coloniale. J'ai
a cette epoque participe; a de nombreuses reunions ou rencontres
avec nos camarades syndicalistes africains, tant en Afrique noire
qu'en France ou meme en d'autres pays; mes remarques reposeront
plus sur une experience directe que sur l'analyse de documents de
l'epoque.
Certaines des conclusions de Philippe Dewitte soulignent ce qu'il
y eut alors de novateur dans l'apport du syndicalisme africain: a Le
depassement du marxisme le plus dogmatique, en particulier le refus
de considerer le proletariat industriel comme le moteur de toutes les
revolutions. >> Et aussi et, a mon avis, seulement dans la derniere
phase de cette periode, apres 1953-1954, le besoin de l'elaboration d'un
socialisme original operant la synthese entre l'ambition universaliste
du marxisme d'une part et l'apport fecond du panafricanisme, de la
lutte nationale, de la tradition communautaire et anti-individualiste
du monde paysan d'autre part. Encore que sur ce dernier point il
faille nuancer.

Si je parle du syndicalisme africain (d'Afrique rloire) en general,


c'est qu'il n'y a pas de difference de nature entre les syndicats de
l'AOF et ceux de 1'AEF, si ce n'est que les syndicats de 1'AEF sont en
general plus jeunes, plus faibles, moins structuresJ que ceux de l'AOF
qui ont l'experience de luttes anterieures (exception faite du Came-
roun, syndicalement rattache a l'AEF).
En revanche d'autres appreciations de Philippe Dewitte posent
des problemes et meritent au moins discussion. Le syndicalisme afri-
cain aurait-il ignore ou sousestime le monde rural et fait figure de
< force d'appoint dans le mouvement d'emancipation nationale >...
< en face d'un mouvement bourgeois puissant et populaire )> ?
La CGT frangaise aurait-elle considere les syndicats africains com-
me une sorte de prolongement de ceux de la metropole ? Et surtout,

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y aurait-il eu un << man que de vigueur anti co loniale de la CGT > ?


Ou cette derniere critique n'est pas juste ou elle passe i cotd du veri-
table probleme: a savoir l'appreciation, correcte ou non, par la CGT,
i partir des annees 1953-1954, de la force, de ltoriginalite, des buts
spdcifiques d'un mouvement syndical africain en pleine evolution.

1. De 1945 a la Conference de Dakar loctobre 19521

Rapports CGT-Syndicats africains

Dans la periode d'apres-guerre, les syndicats africains appartien-


nent h la CGT, participent a ses congres, ecrivent dans sa presse.
C'est 15 un phenombne unique au monde. En Grande-Bretagne, les
syndicats des pays colonises d'Afrique, quand ils existent, ne peuvent
appartenir au TUC. Tout au plus deleguent-ils des observateurs lors
des congres. La FGTB de Belgique ignore pratiquement les tralrailZ
leurs du Congo.
Consequence de << lthumanisme colonial t fransais ou bien cons-
cience que les travailleurs africains et frantais ont les memes adver-
sairesJ se heurtent aux memes forces et doivent se sentir solidaires ?
I1 ne me semble guere possible dthesiter quant i la reponse.
Les succds des travailleurs fransais eurent leurs prolongements
en Afrique. Le droit syndical fut reconnu en AOF en 1937 (sous une
forme restrictive, il est vrai) apres la victoire du Front populaire.
En revanche fin septembre 1938, lorsque la reaction marquait des
points en France, la greve des cheminots du Dakar-Niger se heurta
i une vive repression. L'administration coloniale fit appel a la troupe
pour tirer sur les grevistes (1). En Afrique on n'a pas oublie les rdqui-
sitions, << l'effort de guerre >>, le travail force, les persdcutions de la
periode 1939-1944. La libdration de la France eut d'heureuses rdperF
cussions en Afrique (constitution du RDA) suppression du travail
force en 1946) et eveilla beaucoup d'espoirs.
Certes en 1946 comme maintenant, la CGT est bien loin de consti-
tuer une force homogbne. Qu'il y ait dans ses rangs, notamment au
sein des syndicats de fonctionnaires, d'enseignants, et particulibre-
ment des detachds dans << les territoires d'outre-mer , des partisans
de l'assimilation favorisant, consciemment ou par suite d'illusions}
la politique colonialiste, cela n'est pas niable. Ce nest cependant pas
-- et de beaucoup s'en faut-le caractbre dominant. Apres la scis-
sion ils rejoindront << Force ouvriere >> avec Bouzanquet ou bien se
retrouveront dans les syndicats de la FEN (notamment les syndicats
extra-metropolitains ).
La CGT continue les traditions internationalistes et anticolonia-
listes du mouvement ouvrier fransais, de la conference d'Essen de
1923J de la lutte contre la guerre du Maroc, de la guerre d'Espagne,

(1) I1 y eut six morts et au moins une trentaine de blesses. La greve s'^tant
gEndralisde aprbs cet affrontement, un accord fut signd entre les reprdsentants
des cheminots et Ie gouvernement gendral. Cf. J. SURET-CANAW, L'Ere coloniale
Paris, Editions sociales, 1964. N. BERNARDDUQUENET, z LeS debuts du syndicalis-
me au SdndgaI au temps du Front populaire >, Le Mouvement social, octobre-
decembre 1977, p. 5458; Y. PERSON, z Le Front populaire au Sdndgal (n7.ai 193S
octobre 1938) >, Le Mouvement sociat, avrilduin 1979, p. 98.

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LA CGT ET LES SYNDICATS D AFRIQUE NOIRE
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de la Rdsistance; mais avec la tendance, pour les communistes franZ


sais, i toujours s'aligner sur les positions de la politique exterieure
sovietique.

Nous n'avons pas a etre des assimilateurs * tous les peuples de


l'Union fransaise sont en pleine evolution. I1 faut respecter leur
originalite, leurs croyances, et soutenir leur droit a la vie, contre
tous les imperialismes, ecrit Tollet (2).

L'Union fransaise nJest pas la simple continuation de l'empire


colonial. Si le cadre est le meme, si les fondements economiques n'ont
pas change, les principes diffbrent profondement, comme le souligne
la Constitution. Certes les principes ne sont rien quand ntexistent pas
les forces pour les faire passer dans la vie. Dans l'Union fransaise
de l'immediate aprds-guerre, ces forees existent. I1 ntest pas utopique
de penser que la liberation des pays colonises pouvait etre favorisee,
de maniere peut-etre decisive, par la lutte et les victoires des travail-
leurs fransais. Cette analyse ntest pas seulement celle de militants
fransais, c'est aussi l'espoir de militants, de syndicatistes africains:

Jusqu'a un certain tempst les travailleurs africains pensaient


que seule une modification historique qualitative, intervenant i
l'interieur des peuples des nations au nom desquelles leurs pays
etaient colonises, pouvait favoriser leur propre emancipation. Ce
qui se traduisait par leur affiliation aux syndicats des pays z mEtro
poles >> (3).

On peut reprocher a la CGT de n'avoir pas tire a temps les conclu-


sions de la modification des rapports de force intervenus i partir
des annees 1948-1949, avec l'expulsion de France de la FSM et la guerre
froide. Il stagit moins d'un << manque de rigueur anticoloniale > que
d'une orientation politique. Au surplus l'aide de la CGT i la lutte des
syndicats africains et la participation de ceux-ci a la vie de la cen-
trale syndicale fransaise se sont renforcees et prdcisees dans les an-
ndes qui ont suivi.
La CGT prdconisa effectivement la formation de syndicats uni-
ques en Aftique, comme le souligne Ph. Dewitte. En principeJ les
travailleurs d'une meme entreprise, sans distinction de catEgories,
de qualification, de races, doivent se retrouver dans la meme section
syndicale. Etait-ce vrai alors pour l'Afrique ? Les travailleurs afri-
cains et fransais d'Afrique avaient-ils les memes revendications ?
En fait les syndicats uniques eclaterent trbs tot.
En 1947, j'6tais secretaire a l'organlsation de la FEN, qui avait
un an. Je resus cette amlee-la la visite de Kouassi Kouadio, militant
de la Cote-d'Ivoire dont parle Ph. Dewitte. Il etait, ou avait Et6, l'un

(2) Action syndicaliste universitaire n° 1 ler mai 1948. 0n remarquera la


formulation de Tollet: a tous les imperialismes . Pour les communistes fran-
sais l'adversaire principal est l'impErialisme americain, mais pour les Africains,
en 1948 ?
(3) Ahmed Sekou Toure, dans son discours d'ouverture de la Confdrence inter-
nationale des enseignants de Conakry 27 juillet 1960. En priv6, il ajoutait que
peutQtre, le mouvement anti-impdriaiiste des pays colonises pourrait aider la
libdration des travailleurs fransais... Ce qui ne s'est pas revXld plus exact que
la thbse prEcEdente.

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des deux secretaires du syndicat unique des enseignants africains et


metropolitains. Les Africains avaient de nombreuses revendications
s'inspirant pour la plupart du principe << a travail egal, salaire egal .
Ils reclamaient la reduction du nombre des multiples categories qui
divisaient le personnel enseignant africain (instituteurs principauxJ
instituteurs, instituteurs-adjoints, moniteurs, moniteurs-adjoints, etc.),
le droit pour les Africains et les possibilites materielles d'acceder aux
memes diplomes et qualifications que les Frangais, la suppression
des << chefs de secteur >>l sorte de sous-inspecteurs, d'origine metropo-
litaine en general...
Ces revendications me semblerent justifiees et j'en referai au bu-
reau federal. Apres une rencontre tres fructueuse avec les enseignants
africains du RDA elus au Parlement fransais (notamment Coulibaly
Ouezzin de Cote-d'Ivoire (puis Haute-llolta), Boubou Hama du Ni-
ger...), la FEN accepta l'existence de deux syndicats, l'un africainJ
l'autre metropolitain, sur le meme territoire (4).
Les syndicats uniques ne furent qu'un episode.
Apres de nombreux tatonnements, de nombreuses prises de
reciproques, apres aussi l'expulsion de France de la FSM, la
rence de Bamako (1951) determina ainsi les relations CGT-S
P * *

arrlcalns:
1) les syndicats africains appartiennent a la CGT, participen
ses congres. La CGT prend en outre le relais de la FSM dans l'org
nisation de la solidarite internationale envers les luttes des trav
leurs africains;
2) les syndicats africains sont directement representes aux congres
de la FSM. Abdulaye Diallo, du Soudan << fransais >>, est l'un des vice-
presidents de la FSM au meme titre qu'Alain Le Leap, pour la CGT.
3) Deux comites de coordination sont organises:
AOF-Togo et AEF-Cameroun. La CGT participe a leurs reu
(en general Marcel Dufriche), mais ce sont les Africains qui deci
I1 me sera permis de dire que certaines de leurs decisions ne
dereIlt pas toujours avec les veeux de la direction de la CGT.
Ces rapports CGT-Syndicats africains respectent l'autonom
Africains, organisent la cooperation syndicale franco-africai
mettent la libre expression africaine sur le plan international.
Ajouterai-je que les rapports personnels sont en general f
nels et amicaux ? Plus d'une fois j'ai rencontre des deldgues afri
enchantes de leur accueil lors des congrbs de la CGT ou de le
jour dans des familles fransaises.
Ces formes d'organisation ont ete valables un temps, mais un
temps seulement, jusqu'a l'annde 1956) de nouvelles perspectives afri-
caines s'esquissant dds 1954, ce qus n'a pas toujours etd compris par
des militants de la CGT et de la FSM.

(4) Les Fdddrations de la CGT pouvaient prendre de telles decisions sans en


rdfdrer a 1a Confdddration. Benolt Frachon veillait scrupuleusement au respect
de l'autonomie des Feddrations, telles en particulier celles du Livre, des Officiers
de marine marchande, de l'Education nationale...

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LA CGT ET LES SYNDICATS D AFRIQUE NOIRE 107

L'action syndicate sur le terrain

Elle se heurte a d'enormes difficultes. En premier lieu ltappareil


colonial trds structure, du Haut Commissaire aux chefs de village
(<< chefs traditionnels >) plus ou moins recuperes) en passant par les
gouverneurs, cercles, subdivisions, cantons. I1 y a la police, la gen-
darmerie, lJarmee, les Africains < integres >> dans le systeme. Des
partis politiques sont crees, subventionnes, controles de maniere plus
ou moins directe par certains services franc,ais pour faire piece aux
forces progressistes africaines; par exemple aux partis du RDA quand
ceux-ci n'ont pas suivi Houphouet-Boigny dans ses compromis avec
la colonisation francJaise. C'est le cas en Guinee ou au Soudan. Parfois
on essaie (et quelquefois on reussit) de corrompre certains militants
syndicalistes.
Pour organiser << la traite >> des cultures d'exportation (qui ont en
partie remplace les cultures vivrieres), pour faire parvenir (a haut
prix) les produits de la metropole importes par les compagnies fran-
c,aises, toute une administration et une infrastructure ont ete implan-
tees: installations portuaires, voies de communication, routes, PTT,
edifices publics, aeroports. Partout les directions sont fransaises, les
Africains ayant des postes subalternes. La scolarisation etait neces-
saire, mais elle est uniquement en langue francJaise, ignorant langues
et cultures africaines, et est limitee au strict minimum: d'environ
2 % au Niger a environ 20 % au Dahomey, << le quartier latin > de
1'AOF (5).
Le resultat a ete la naissance d'une classe ouvriere africaine nume-
riquement tres faible par rapport i la paysannerie) mais occupant
des positions strategiques: dockers, cheminots, inscrits maritimes,
ouvriers du batiment, employes (PTT, banques, bureaux des compa-
gnies...), enseignants... Les distances entre les centres urbains sont
tres grandes. Dakar-Bamako depasse la distance Dunkerque-Perpi-
gnan: environ 27 heures de chemin de fer par le Dakar-Niger quand
tout va bien ! Pour Dakar-Niamey il faudrait sans doute comparer a
Paris-Varsovie...
Coordonner un mouvement ouvrier face a l'ordre colonial et a de
telles distances n'est pas une mince affaire. Que d'efforts, de collectes
pour organiser une rencontre ou un congres (souvent a Bamako,
dont la position est relativement centrale dans ltensemble AOF-Togo) !
Dans cette pdriode, jusqu'en 1952J les luttes syndicales sont gene-
ralement limitees a des entreprises (batiment, huileries, dockers...)
ou touchent parfois des branches professionnelles, telles les cheminots
(greve du Dakar-Niger) ou l'enseignement. Deux federations profes-
sionnelles existent: les cheminots (Senegal, Guinee, Cote-d'Ivoire)
qui sont autonomes, les enseignants, integres en general aux organi-
sations CGT.
Dans une meme ville les syndicats eprouvent parfois de grandes
difficultes. Prenons ltexemple de Bamako, ville moins importante que
Dakar ou Abidjan. La municipalite interdit l'utilisation des salles

(5) A noter que si la scolarisation est tres faible dans les territoires islamises
celle-ci est nettement plus elelrde dans les territoires << animistes >>. Les missions
catholiques, protestantes, s'y sont implantEes et ont organisF des ecoles privees.
Le Congo, le Gabon, sont nettement plus scolarises que le Niger ou le Senegal.

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108 P. DELANOUE

publiques aux syndicats. Pour leurs reunions) sous l'impulsion de


Lazare Coulibaly, travailleur du batiment et organisateur des syn-
dicats, les ouvriers, avec leurs forces et ressources, construisirent
une Bourse du Travail sur un terrain libre. Evidemment la Bourse
du Travail etait trop petite lors des meetings, qui se tenaient i l'ext6-
rieur. La municipalite decreta que les rassemblements ne pouvaient
se tenir qu'erl terrain clos. Les travailleurs edifierent alors une vaste
cloture. Plus tard, apres 1952, quand le mouvement se developpa, les
interdictions furent vaines.
Dans ces conditions on peut comprendre l'importance de l'aide
de la CGT au developpement des syndicats africains: solidarite i
l'occasion des mouvements revendicatifs, denonciation dans la me-
tropole, par la plus grande organisation syndicale fransaise, des bri-
mades ou persecutions a l'encontre des militants syndicalistes, aide
pour la participation de l'Afrique aux congres de la CGT ou de la
FSM. Les representants de la CGT se rendant en Afrique sont eux-
memes soumis a une stricte surveillance et a des filatures (6).
I1 faut aussi noter la participation de quelques Europeens, essenw
tielIement des enseignants communistesJ au developpement du mou-
vement syndical et progressiste africain. En 1949 les plus connus,
sept ou huit je crois, furent << rapatries ,> d'officeJ notamment Jean
Suret-Canale du Senegal) Pierre Morlet de Bamako, Renee Jung du
Tchad (7). Les Africains rle les oublierent pas, et j'ai bien souvent
entendu parler de Pierre Morlet a Bamako arrec respect et amitid.
A Dakar les enseignants africains firent une greve de vingt-quatre
heures pour protester contre l'expulsion de Suret-Canale. Malgre boys
ou gardiens, la plupart des Europeens syndiques a des organisations
me tropolitaine s ignorai en t la societe africaine et reciproquement ,
meme sans qu'il y ait forcement hostilite.

Les liens familiaux sont tres ddveloppes en Afrique. Le salarid de


la ville n'oublie pas son village d'origine. Souvent son salaire aide i
la vie de dix-huit ou vingt personnes. II est aussi des paysans qui vont
travailler i la ville et retourneIlt au village des qu'ils ont quelque
argent. Les syndicats dans leurs reunions, leurs motions, evoquent
toujours les revendications de la paysannerie. Ce fut le cas lors de
l'importante conference de Dakar en 1952. A Bamako il se constitua
meme un << syndicat de paysans >> (8). En regle gdnerale cependant les
syndicats sont constitues par les salaries des agglomerations impor-
tantes. Ce sont surtout les partis qui se preoccupent des paysans, tels

(6) Plus d'une fois des camarades africains m'ont signald la prdsence de poli-
ciers venant z attendre > les delezues de la CGT dans les adroports. Un rapport
de filature me concernant fut meme rpublie, vers 1950, sous le titre z Delanoue
l'Africain >, dans une petite revue antl-communiste dphdmbre dirigFe par un ex-
rddacteur du Peuple, L'Ecote et la D#mocratie. Rapport exact pour ltemploi du
temps, absolument errone pour le reste.
(7) Rende Jung a publie, sous le pseudonyme < Andree Clair <, des livres des-
tines aux enfants et faisant connaltre l'Afrique, le Niger en particulier.
(8) Au Congres mondial organisd par la FSM a Vienne en 1953, Birama Traore
parla au nom du Syndicat des agriculteurs du Soudan fransais. Voici un extrait
de son intervention: z A la rdcolte de 1951, les paysans soudanais prdsentbrent
plus d'arachides que le commerce n'en cherchait. Devant la surproduction, les
compagnies coloniales firent baisser les prix. De la sorte les paysans soudanais
ne purent vendre que le quart de leur production d'arachides et ne la vendirent
qu'3 des prix derisoires. En outre l'arachide ayant ete plus cultivee que les cdrda-
les, plusieurs regions du Soudan ont connu la famine. >>

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LA CGT ET LES SYtIDICATS D'AFRIQUE NOIRE
901

quelques partis qui appartinrent au RDA: << l'Union soudanaise >


avec Modiko Keita, le PDG de Guinee avec Sekou Toure. Au SenegalJ
Leopold Senghor reussit, en s'appuyant notamment sur les chefs re-
ligieux islamiquesJ les maraboutsJ a organiser un parti ayant une base
sociale importante dans la paysannerie: le Bloc democratique sene-
galais (BDS), qui assura son avenir politique.
Peut-on a cette epoque, parler de << bourgeoisies nationales )> en
AOF ? Ce sont des societes franJcaises qui dirigent et controlent l'en-
semble de la production et du commerce, avec le concours de l'admi-
nistration coloniale. Les Africains ont seulement des postes de cadres
subalternes ou bien sont des intermediaires dans la collecte, les trans-
ports, la distribution.
I1 existe bien de petites entreprises, de caractere artisanal, speci-
fiquement africaines, dans le batiment, la menuiserie, les transports,
avec quelques dizaines de salaries au maximum. Les plantations bana-
nieres de Guinee sont en general familiales, une main-d'aeuvre sala-
riee etant occasionnellement employee. En revanche la Cote-d'Ivoire
avec les plantations de cacao et de cafe pose un cas d'espece (9). Pour
l'essentiel les bourgeoisies africaines naltront et se developperont
avec les independances politiques.
En AOF et AEF la situation a ce point de vue n'est pas compara-
ble a celles de la Tunisie ou du Maroc. La, les bourgeoisies tunisienne
ou marocaine ont leurs partis, le Neo-Destour et ltIstiqlal, en tete de
la lutte pour l'independance politique contre le colonialisme fransais.
Peut-on meme, en Afrique noire de colonisation fransaise, parler
i cette epoque de perspectives d'independance nationale ? Quelles
nations ? Le Traite de Berlin a vu le decoupage de l'Afrique a au
cordeau >> entre les pays capitalistes d'Europe occidentale. Ethnies
et tribus sont arbitrairement coupees, separees. Le paysan haoussa
du Niger ne se differencie pas de celui de la Nigeria << britannique >>
qui utilise, a l'encontre du colonialisme fransais, les langues mater-
nelles. Toutefois les cadres africains, y compris les cadres politiques
et syndicalistes, subissent l'influence de la culture et des formes de
pensee du pays colonisateur (10). On pourrait donc prevoir que le

(9) Apres la Premiere Guerre mondiale, des planteurs ivoiriens se mirent a


la culture du cacao puis du cafe, cultures d'importation qui prirent un essor
considerable. Les coions fransais s'interesserent alors a ces cultures, en prirent
la direction, les dtendirent au detriment de la zone forestiere, avec cette diffe-
rence qu'ils employerent une main-d'suvre soumise a un travail force extenuant
tant en ce qui concerne les plantations elles-memes que les infrastructures (rou-
tes, ponts, etc.). Les planteurs ivoiriens ne pouvaient trouver de main-d'aeurre
d'appoint salariee. Et la commercialisation des produits etait en general dirigee
par les colons francais.
En 1944, un certain nombre de planteurs africains, ayant des exploitations de
plus de 25 hectares, s'organiserent en syndicat agricole pour se liberer de la
tutelle colonisatrice fransaise, et reclamerent la suppression du travail force.
Ce mouvement dirige par Houphouet-Boigny, fut a l'origine de la creation du
RDA et obtint ie vote de la loi de 1946 supprimant le travail force (en principe).
La formation du RDA et la suppression du travail force eurent un echo conside-
rable dans toute l'Afrique noire. Dans ce cas precis (et pour une periode limitee)
le syndicat des planteurs ivoiriens Joua un role revolutionnaire.
(D'aprbs J. ANOMA, << Le combat du syndicalisme agricole africain >, Bultetin
de ta Fondation Houphouet-Boigny, juillet 1977.)
(10) Souvent les militants africains retournerent, contre Ia colonisation, cer-
tains principes du pays colonisateur: par exemple la Declaration des Droits de
l'Homme et du Citoyen. Dans les annees 1950 le secretaire du Syndicat des Ins-
tituteurs du Gabon, Edouard E..., se vit mentionner sur un rapport d'inspection

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110 P. DELANOUE

mouvement anticoIoniaIiste se developpera de maniere differenciee


selon les cadres de la colonisation. Mais au-dela ? En 1950 Sekou Tou-
re, Bakary Djibo, Abdulaye Diallo, qu'ils soient de Guinee, du Niger,
du Soudan, menent le meme combat dans l'ensemble de 1'AOF colo-
nisee. Plus tard certains militants passeront meme d'un territoire
a l'autre. Quant aux intellectuels africains, ils sont encore tres peu
nombreux, meme au Senegal, le plus europeanise des territoires de
1'AOF. Dans le premier numero de Presence africaine, publie a Paris
en decembre 1947, Alioune Diop ecrit:

Ni Blancs, ni Jaunes, ni Noirs, incapables de revenir entierement


a nos traditions d'origine ou de nous assimiler a lEurope, nous
avions le sentiment de constituer une race nouvelle mentalement
metissee, mais qui ne s'etait pas fait connaitre dans son originalite
et n'avait guere pris conscience de celle-ci... (11).

Dix ans plus tard il en sera bien autrement et l'on pourra parler
du role (considerable) des syndicats et de l'apport des intellectuels
dans le mouvement d'emancipation de l'Afrique noire de colonisation
fransaise.

11. La Conference de Dakar t6-8 octobre 19521 et ses repercussions

Sachant que je devais aller a UTl congres federal des enseignants,


Benolt Frachon m'avait demande d'avancer mon depart pour repre-
serlter la CGT et la FSM a une conference syndicale des travaillleurs
de l'AOF qui se tiendrait a Dakar les 6, 7, 8 octobre 1952.
J'avais deja participe a diverses reunions, je fus neanmoins sur-
pris par la parfaite organisation de la Conference, sa representativitet
la qualite des documents preparatoires, la tenue des discussions.
Materiellement les camarades de Dakar avaient bien fait les cho-
ses, avec leurs seules forces. La Conference se tenait dans la grande
salle de la Bourse du Travail, rue de Thiong, au cceur de la ville.
Les repas etaient pris collectivement, dans la cour.

Il y avait 71 delegues, venus de tous les territoires de 1'AOF et du


Togo (12). L'initiative venait de la Guinee} qui avait constitue un Comi-
te CGT-cheminots autonomes CFTC et lance un appel aux autres
territoires. Tous les principaux responsables syndicaux etaient la, les
cheminots autonomes avec leur secretaire Sarr Ibrahima et la CFTC
avec David Soumah. Seuls les syndicats FO etaient absents.

Bien qu'ayant apporte le salut et l'expression de la solidarite de la


CGT et de la FSM, je fus surtout un observateur suivant les travaux
avec un interet passionne.
La question centrale etait l'adoption d'un Code du Travail satis-
faisant. La titularisation des auxiliaires menaces de licenciements aux

(en substance): plutat que de discQurir sur les Droits de l'Homme, Monsieur E...
ferait beaucoup mieux d'insister sur la necessite de payer les impots...
(11) Cite dans Histoire du Sdndgat et de 'Afrique par Iba DER THIAM et Nadiour
N'DIAnsE (Nouvelles editions africaines, Dakar-Abidjan).
(12) 50 CGT, 11 CFTC, 10 autonomes: 85 % des travailleurs organises etaient
i la CGT.

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LA CGT ET LES SYNDICATS D7AFRIOUE NOIRE 111

themins de fer et, chez les fonctionnaires, les accidents du travail


etaient egalement a l'ordre du jour. Une resolution speciale, par-la
meme importante, etait consacree aux moyens et formes de lutte.
Depuis cinq ans on discutait du Code du Travail pour l'Afrique
dans les Assemblees fransaises; non seulement les travaux n'avan-
saient guere mais le Conseil de la Republique (Senat) avait modifie
dans un sens reactionnaire le texte de l'Assemblee, allant jusqu'a
certaines formes de retablissement du travail force pour les paysans
Ces modifications risquaient d'etre adoptees.
La resolution principale de la Conference de Dakar etait claire
et energique: disparition de toutes formes de travail force dans les
zones rurales; reconnaissance des libertes syndicales, semaine de
quarante heures, independance de l'Inspection du Travail, delegues du
personnel, extension de la legislation relative aux accidents du travail.
Le 8 octobre, les representants de la presse furent invites a la
seance pleiniere de cloture. Puis se tint un immense meeting ou David
Soumah, Sarr Ibrahima, Sekou Toure, firent connaltre les decisions
de la Conference et les moyens qui seraient mis en oeuvre. Fait carac-
teristique, Dakar et le Senegal etant tres majoritairement islamises,
il y eut une interruption a l'heure de la priere.
Les moyens mis en oeuvre seraient les suivants:
1) dimanche 26 octobre grande journee de manifestations publi-
ques au cours desquelles serait donne le compte rendu de la Confe-
rence;
2) le 3 novembre greve generale de vingt-quatre heures aussi bien
dans le secteur prive que dans le secteur public;
3) si au 5 janvier un Code du Travail satisfaisant n'est pas pro-
mulgue, greve generale de soixante-douze heures les 12, 13, 14 janvier
1953.
Ce que furent ces moyens d'action ? Je laisse parler Abdulaye
Diallo:

La journee du 26 octobre fut un succes dans tous les territoires,


car apres les comptes rendus effectues par les delegues a leur retour
de Dakar, aucun territoire ne voulut se laisser depasser. L'emu-
lation joua a plein. Les meetings et les conferences d'explication
se multiplierent. Des prieres eurent lieu dans les mosquees.
L'affaire du Code du Travail devenait l'affaire de tout le monde
et soulevait toute la population.
Le 3 novembre, dans toute l'Afrique occidentale, au Senegal, au
Soudan, en Guinee, au Dahomey, en Cote-d'Ivoire et en Haute-Volta,
les travailleurs de toutes les categories cesserent le travail: foncZ
tionnaires, ouvriers, garsons de cafe et de restaurant, tous resterent
chez eux. Dans plusieurs centres, tels Bamako, Abidjan, Conakry,
bouchers et proprietaires de taxis se joignirent au mouvement (13).

Simultanement, a l'initiative de la CGT et du PCF, la pression se


renforsait au Parlement fransais, la presse repercutait les manifes-
tations africaines: le 22 novembre le Code etait vote.

(13) Compte rendu stenographique du 3e Congres syndical mondial (FSMJ,


10-21 octobre *953.

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112 P. DELANOUE

Si la synchronisation fut parfaite entre les initiatives africaines et


l'action de la CGT fran3caise, un fait nouveau, d'une tres grande im-
portance politique,gs'etait produit: pour ta premiere fois l'action
syndicale des Africains avait ete determinante, les travaitleurs et ddmo-
crates franfais ayant apporte un appoi qui, si important fut-itJ etait
une force d'appoint.
Le syndicalisme africain prit conscience de sa force, de son auto-
nomie et aussi de ses responsabilites dans le developpement et l'eman-
cipation de l'Afrique, tout en maintenant les liens d'amitie et de coo-
peration avec le mouvement ouvrier franJcais.
Comme en France en 1936, un vote ne suffisait pas pour l'applica-
tion des mesures prevues dans le Code, l'exercice du droit syndical}
les conges payes, les quarante heures, etc. I1 fallut de nombreux mou-
vements de greve dans toute l'Afrique noire pour les mettre en oeuvre
au cours de l'annee 1953: greves des postiers de l'AOF les 22 juin, 6
et 7 juillet; au Niger en diverses professions les 27 juillet et 3 aout;
au Cameroun les 10 et 11 aout. Dans l'ensemble du Soudan frangais
une greve generale les 3, 4, 5 aout, etc.
Le gouverneur du Soudan, Mourrague, furieux de l'ampleur de ce
dernier mouvement, fit suspendre 22 militants de syndicats de fonc-
tionnaires dont Lamine Sow, secretaire de l'Union locale de Bamako.
Les travailleurs se remirent en greve jusqu'a la levee des sanctions.
Le 10 aout les syndicats deciderent la reprise du travail. La provoca-
tion fut alors employee: gendarmes et soldats occuperent les rues
de la ville de Bamako. Des perquisitions furent ordonnees, deux mili-
tants arretes: Lazare Coulibaly et Sidibe Mamadou, secretaires des
syndicats du batiment et des cheminots. Les protestations vinrent
flde toute l'Afrique, de France et d'autres pays. Les militants furent
liberes.
En octobre, d'autres mouvements eurent lieu au Senegal, au Daho-
mey, en Cote-d'Ivoire, pour l'application du Code du Travail. De nou-
veaux militants se formerent dans l'action.
Avec l'ampleur du mouvement pour le Code du Travail, la CGT
avait organise, en France, une session speciale pour les Africains, a
son ecole de formation des cadres. Des camarades africains m'ont dit,
mais ce serait a eux de le preciserJ que cette ecole ne correspondait
pas exactement a leurs aspirations.
Plus tard deux ecoles CGT-FSM furent organisees, en Afrique me-
meJ a Bamako et Conakry, K sur le terrain , avec le concours de
camarades frangais competents et devoues.
Dans toute cette periode, les syndicats africains prenaient cons-
cience de leurs forces et apprenaient a voler avec leurs propres ailes.
Leur lutte eut des prolongements juridiques au Soudan en 1954. Le
journal roneote des syndicats BaraScela (<< Le Travailleur )> en langue
bambara) avait publie un article du secretaire du syndicat des petits
commercants de la ville de Kayes decrivant le processus de << vol >>,
sous l'egide de la Chambre de Commerce, des petits producteurs et
commeracants de la region, du fait du monopole des grandes maisons
fixant arbitrairement le prix des produits agricoles. Le meme numero
accusait Mourrague de violer les libertes syndicales. La Chambre de
Commerce et le gouverneur deposerent une plainte en justice contre

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LA CGT ET LES SYNDICATS D AFRIQUE NOIRE
13

Abdulaye Diallo, responsable du journal. Si Diallo etait condamnd,


il ne pourrait plus exercer de mandat syndical.
La CGT organisa la solidarite: Maltre Amblard, du barreau de
Paris, comme avocat de Diallo et moi comme cx temoin de moralite >
allames assister Diallo avec Sekou Toure au nom des syndicats afri-
cains.
Le premier jour, la seance du tribunal fut houleuse. Maitre Am-
blard defendit avec talent Diallo et le mouvement syndical africain.
Le soir meme eut lieu un immense meeting dont rlous fumes les ora-
teurs et ou Sekou Toure analysa le processus de << vol >> des paysans
africains.
Le lendemain, les gendarmes etaient beaucoup moins provocants
a l'entree de la salle. Le Tribunal fit droit aux demandes de l'avocat
et les poursuites etaient abandonnees.
C'etait l'echec du representant de l'administration colonialiste
fransaise, une victoire de la cohesion des travailleurs africains dont
les syndicats CGT constituerent la force principale. Les repercussions
en furent grandes, au Soudan notamment.

111. De la Conference de Dakar aux indXpendances

Avec la lutte pour le Code du Travail et son application, il s'est


developpe dans les differents territoires, et pas seulement chez les
salaries, une certaine conscience de la communaute dtinterets dans
le cadre du decoupage colonial: Senegal, Guinee, Soudan, etc. Et
aussi, et surtout, parmi les syndicalistes, le sentiment de la solidarite
africaine face a l'administration coloniale et a ses auxiliaires. Le
mouvement syndical est devenu la force principale au sein du peuple,
les partis politiques issus du RDA ayant suivi des voies divergentes
et s'etsnt affaiblis, la situation etant tres variable d'un territoire i
l'autre.
Philippe Dewitte a decrit avec exactitude cette periode 1954-1955
ou les militants s'affrontent avant la formation de la CGTA en novem-
bre 1955. Les uns, avec Thiaw Abdulaye, secretaire des syndicats de
Dakar, ancien eleve de l'ecole de la CGT, Gueye Bassirou, secretaire
de l'Union Senegal-Mauritanie, Sekou Toure, secretaire des syndicats
de Guinee et ancien secretaire du Comite de coordination AOF-Togo,
pensent que le moment est venu de fonder une centrale syndicale
independante de la CGT. L'autre courant, avec Cisse Alioune, egale-
ment secretaire des syndicats du Senegal, Diallo Abdulaye, vice-presi-
dent de la FSM, Bakary Djibo, secretaire des syndicats du Niger,
devenu secretaire du Comite AOF-Togo, estime qu'il ne serait ni juste,
ni opportun, de rompre avec la CGT. Comme toujours en Afrique, les
affrontements sont vifs (et souvent suivis de reconciliations specta-
culaires).
Si les deux courants sont de forces a peu pres equivalentes, des
influences nouvelles se font jour. Des syndicalistes de 1'AOF prennent
contact avec les territoires sous colonisation britannique, ou les iddes
nouvelles proviennent en geJneral d'intellectuels, tel N'Krumah, ayant
etudie dans les universites anglaises. Il mtest arrive aussi d'accom-
pagner Julien Boukambou, secretaire des syndicats du Congo, de l'au-

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P. DELANOUE
114

tre cotd du fleute, pour rendre visite a un militant de la poste cen


trale de Leopoldville (Kinshasa) (14). Les idees de Liberation, d'Inde-
pendance, de solidarite anti-imperialiste progressent dans les syndi-
cats et favorisent le courant Sekou Toure. La conference de Bandoeng
(avril 1955), ou la Gold-Coast (Ghana) a participe, a des repercussions
en Afrique de colonisation fransaise.
La prise de position des cheminots autonomes aidant, toutes ces
influences et evolutions aboutissent a la formation de la grande cen-
trale africaine au congres de Cotonou (16, 17, 18, 19 janvier 1957). Au
prealable, tous les syndicats se sont desaffilies de la CGT ou de la
FSM (15). L'UGTAN, ctest a la fois la consecration des luttes ante-
rieures du mourement ouvrier africain et l'affirmation d'un syndica-
lisme original s'integrant dans le mouvement de liberation des pays
du << Tiers Monde >>. L'IJGTAN affirme son caractere anti-imperialiste
et son desir de cooperer avec toutes les organisations aeuvrant dans
le meme sens.
Aura-t-elle les moyens de realiser ses objectifs ?
Entre-temps le colonialisme n'est pas reste inactif. Ne pouvant
s'opposer de front a un mouvement puissant et uni, il essaie de l'en-
diguer et de le fractionner par la loi-cadre Defferre.
Mon opinion quant au contenu, aux objectifs et aux consequences
de cette loi-cadre differe profondement de celle de Ph. Dewitte. Pour
lui et c'est une opinion assez generalement admise elle implique
a terme l'ind;ependance de l'Afrique noire. Pour d'autres elle signifie
la <( balkanisation o de l'Afrique noire en sauvegardant l'essentiel des
structures coloniales (16). Si la loi fut votee le 23 janvier 1956, les
decrets d'application en Afrique noire ne virent le jour qu'en mars
1957 et les elections aux Conseils de gouvernement et aux Assemblees
eurent lieu aussitot. Entre-temps, le Ghana a celebre le premier anni-
versaire de son independance.
Certes la loi-cadre marque des progres: suffrage universel et col-
lege unique, mise en place de Conseils de gouvernement a cote des
Assemblees territoriales. I1 y a deux fois plus d'electeurs qu'en jan-
vier 1956t vingt fois plus qu'en 1946. Mais les Conseils de gouverne-
ment n'auront que des attributions tres limitees: les secteurs les
plus importants sont des << services d'Etat >) diriges de Paris. Les

(14) De chaque cote du fleuve les formes du colonialisme etaient bien diffe-
rentes. A Brazzaville les vendeuses noires du magasin << Printania >> avaient des
salaires inferieurs a ceux des vendeuses << blanches >>, mais les syndicalistes afri-
cains pouvaient prendre l'aperitif en ma compagnie aux terrasses des principaux
cafes. A Ldopoldville les Africains ne pouvaient entrer dans le hall des grands
hotels. Boukambou ne put m'accompagner lorsque Je dus changer des francs
fransais en francs congolais. Passee une certaine heureJ les Africains devaient
quitter le quartier << europeen )>.
(15) Par exemple Gueye Abdulaye vice-president de la Federation internatio-
nale syndicale de l'Enseignement (FISE), departement professionnel de la FSM.
Il devlnt l'un des secretalres de 1'UGTAN. Dans ce cas, la desaffiliation fut essen-
tiellement formelle) la Federation des enseignants d'Afrique noire (FEAN) etant
a invitee > aux reunions au lieu d'etre affiliee.
A noter que les instituteurs et professeurs africains appartenant a la FISE
n'6taient pas X la CGT. Apres la dEcision du bureau politique du PCF prescrivant
aux enseignants communistes de militer dans les syndicats autonomes exclusive-
ment (d l'exception de l'enseignement technique), la FEN-CGT se desintegra.
(16) On peut consulter la brochure Considerations sur la loi4adre dans les
territoires d'Outre-Mer de Ray AUTRA, inspiree par les iournees d'etude de l'Union
ddmocratique dahomeenne (I6DA) les 7 et 8 juillet 1f56 (PortoNovo, Dahomey)
bien avant les decrets d'application.

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LA CGT ET LES SYNDICATS D AFRIQUE NOIRE 115

gouveineurs restent en place. Au sein du gouvernement Guy Mollet,


Houphouet-Boigny est l'un de ceux qui s'opposent a l'institution d'un
executif federal a Dakar, et, a plus forte raison, d'une Assemblee fede-
rale. Que deviendra la solidarite africaine ?
Une conference de 1'UGTAN se tient a Bamako les 8, 9, 10 mars
1958, groupant les membres du Comite directeur, les delegues des
organisations territoriales et ceux des Federations professionnelles.
L'objectif: << depasser rapidement les limites restreintes de la
loi-cadre et ses decrets d'application >> pour aller rapidement vers
l'independance africaine.
Les moyens: << voir dans les executifs locaux non des organismes
a combattre systematiquement, mais des organismes elus par les
populations, et dont ils doivent se servir pour faire avancer la marche
historique de l'Afrique noire vers son unite et son developpement >>;
les militants sont invites, en vue de << la conquete du pouvoir >?, i
participer << d toute action politique, economique, administrative et
sociate >) conforme a l'orientation definie. L'UGTAN avait l'ambition
d'etre un trait d'union en quelque sorte entre toutes les forces, partis
ou syndicats, desirant l'independance et l'unite africaines. A Dakar,
l'hebdomadaire Afrique nouvetle du 21 mars 1958 titrait: <( L'UGTAN
se fixe comme objectif la conquete du pouvoir politique. )>
Enfin la resolution demandait, dans cette perspective, l'iIlstitution
d'un executif federal a Dakar et se proposait la tenue de congres terri-
toriaux et d'un grand congres federal a Conakry en septembre 1958.
On peut considerer que cette orientation de l'UGTAN etait a la
fois? audacieuse et realiste. Aurait-elle les moyens d'en assurer le suc-
ces

On connalt la suite. Certes Sekou Toure devient president en Gui-


nee, Bakary Djibo au Niger, Modibo Keita au Mali. Les militants de
l'UGTAN furent pris par les luttes politiques en face de partis que
suscitait l'administration coloniale fransaise. Dans certains territoires,
tel le Dahomey, il etait tres difficile, pour un observateur exterieur,
de sty reconnaitre... Au Senegal le rapport de force etait different de
celui de la Guinee ou du Mali, etc. La balkanisation de l'Afrique comw
battue par l'UGTAN se repercutait au sein de 1'UGTAN.
La venue de de Gaulle au pouvoir accelera le processus avec le
referendum; les avis furent di£ferents selon les territoires. Deux prE-
sidents se prononcerent pour le a non >>: Sekou Toure et Bakary Djibo.
Avec le PDG Sekou Toure avait eu le temps de remplacer le pouvoir
des << chefs traditionnels >> par des organismes elus, ce qui lui assura
la majorite. Bakary Djibo au Niger suivit la meme voie et constitua
un parti, la Sawaba ceuvrant dans le meme sens; il fut battu au refe-
rundum car il n'avait pas eu le temps d'assurer l'indispensable releve
dans les villages. Le colonialisme fransais employa tous les moyens
de pression et de corruption et reussit a morceler l'Afrique de colo
nisation fransaise. Une Afrique unie pouvait vaincre, pas une Afrique
divisee. Il y eut bien l'ephemere Federation du Mali, la z grande >,
avec quatre territoires, qui ne dura qu'un mois par suite des pressions
fransaises; la << petite , Senegal et Mali, dura un peu plus. La Guinee
fut isolee.

Les nouveaux Etats se doterent de Parlements, d'ambassadeurs,


voire de Compagnies aeriennes, avec une armee de fonctionnaires

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116 P. DELANOUE

dont les traitements correspondaient a ceux des EuropeensJ et plus


parfois. Des bourgeoisies politico-administratives naissaient, cepen-
dant que lteventail des echanges continuait la tradition coloniale, la
seule difference etant que l'ex-AOF et l'ex-AEF n'etaient plus entiere-
ment << chasses gardees >> du colonialisme frantais (17).
Que devinrent les militants de 1'UGTAN ? L'un chef d'Etat: Sekou
Toure. D'autres ministres, ambassadeurs, hauts fonctionnaires, car
il n'y avait guere de cadres. D'autres aussi connurent la prison (18).
Un certain nombre d'Etats de la nouvelle Afrique ont une situation
economique plus difficile, plus dramatique meme, que dans la periode
coloniale, alors qu'une Afrique unie et independante-fut-ce a Ia
seule echelle de l'AOF-aurait pu connaltre un grand developpement
et avoir une reelle autorite sur le plan international. Utilisant les neo-
bourgeois comme relais, le neo-colonialisme a succede a l'ex-colonia-
lisme.

Conclusion

Philippe Dewitte a eu le merite d'attirer l'attention sur l'interet


et l'originalite du syndicalisme africain d'apres la Deuxieme Guerre
mondiale. Il en a decrit les principales phases dans ses relations avec
la CGT. Je ne crois pas que celle-ci ait manque de vigueur anti-colo-
niale; mais certaines analyses politiques du PCF, son retard dans
l'appreciation du developpement du mouvement anti-imperialiste., se
sont repercutes dans les rapports syndicaux franco-africains. Pas seu-
lement d'Afrique noire; ce fut aussi le cas en Afrique du Nord: Tu-
nisie, Maroc, Algerie, notamment dans le mouvement syndical.
Les bourgeoisies d'Afrique noire ntont pas ete la cause de l'echec
du mouvement ouvrier, elles sont nees de cet echec. En revanche les
forces colonialistes fransaises, administration et compagnies d'import-
export notamment, sont arrivees a diviser et reduire un mouvement
qui devenait puissant, en des regions qu'elles connaissaient bien et
dont elles surent utiliser les particularismes et les hommes avec intel-
ligence. Peut-etre les camarades africains ont-ils sous-estime les capa-
cites de manoeuvre de l'adversaire a un moment donne
I1 n'en reste pas moins que la CGT fut la seule centrale syndicale
d'un pays capitaliste industrialise a nouer des liens veritablement fra-
ternels avec les travailleurs des pays colonises, leur apportant aide et
appui. Et cela merite, je crois, d'etre historiquement soulignd.

(17) Des la conference de Dakar, la CIA s'interessait a l'Afrique. Plusieurs


militants (Senegal, Camerolm, Kenya) furent en relation avec elle, comme l'ont
btabli les archives du Ghana aprbs l'accession de N'Krumah au pouvoir.
(18) I1 m'est arrive de rencontrer Cisse Alioune et Diallo Seydou en 1965 a
Alger. Ils etaient ambassadeurs, i'un du Sdnegal, l'autre de Guinee. Plus tard
encore, apres la chute de Modibo Keita, Diallo Seydou devient president des
syndicats du Mali. Quant a Diallo Abdulaye, du MaliJ il devient << ambassadeur
itindrant > de la Guinee de Sekou Toure, etc
Bakary Djibo et Keita Koumandian connurent la prison. Keita Koumandian
secretaire des enseignants de Guinee et de 1'AOF, avait un grand prestige en
Afrique du fait de ses qualites et de son integrite. Cependant il etait adversaire
personnel de Sekou Toure, ce qui l'amena a certaines erreurs. Sekou Toure
l'impliqua dans le << complot des enseignants >. Il fit cinq ans de prison.

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REPONSE A PAUL DELANOUE

par Philippe DEWITTE

Paul Delanoue, militant CGT de l'enseignement dans les annees


cinquante, apporte un temoignage qui peut, pour la premiere fois,
susciter un debat non polemique sur un pan de l'histoire africaine
recente, jusqu'ici peu etudie. Je vais donc revenir sur quelques points
controverses, la plupart encore a l'etat d'hypothbses.
La discussion tourne autour de deux axes principaux: d'une part,
l'appreciation par la CGT de la situation africaine et son action sur
le terrain, d'autre part les consequences de cette action sur les for-
mes organisationnelles, sur les revendications des syndicats africains,
sur la place quJils occupent au sein des luttes nationales, et a terme,
sur la nature meme des independances.
L'appreciation par la CGT de la situation en Afrique, tout d'abord.
En 1945, a la lecture reguliere du Peuple, il est clair que la CGT n'en-
visage pas l'inddpendance avant longtemps. A ce sujet, Racamond, ex-
unitaire, n'est pas plus independantiste que Caussy, futur Force
Ouvriere, lorsqu'il dit:

Elles [les masses musulmanes] reagissent, i l'appel des orga-


nisations syndicales et republicaines, contre les propagandes inte-
ressees qui, sous couvert de nationalisme, cherchent i les entrainer
dans des voies dangereuses pour elles et pour la metropole.
[...] Les colonies doivent faire place i des pays unis i la nation
civilisatrice par des liens d'amitie et d'egalitd (1).

Sans meme parler de la tonalite paternaliste des propos de Raca-


mond, on peut dire que la CGT, dans son ensembte, est alors partie
prenante dans le projet de reforme de l'Union frangaise. Elle luttera
donc desormais, et jusque vers le debut des annees cinquante, pour
<< une veritable Union fransaise >> realisable grace a << lJunion avec le
peuple de France >> , l 'imperiali s me a comb attre etant avant tout celui
des Etats-Unis. C'est ce que Paul Delanoue a justement souligne en
citant Tollet, qui denonce << tous les imperialismes >>. Dans une cer-
taine mesure, la CGT dedouane la colonisation frangaise, qui va deve-
nir juste et fraternelle grace aux reformes en cours; nous sommes
alors dans le contexte de la Liberation et la gauche, PCF compris,
participe au pouvoir.
Par la suite, il est interessant de montrer l'evolution de la centrale,
face i la syndicalisation en masse des travailleurs africains, face a la
nouvelle situation sociale et politique (constitution du RDA, lutte
pour le Code du Travail d'Outre-Mer, etc.), et surtout face aux reven-
dications d'autonomie syndicale des militants africains.
Au regard de cette situation nouvelle, la CGT constitue tout d'abord
ses unions en Afrique. Quand je disais qu'elle les concwoit comme des

(1) Le Peuple, 23 ddcembre 1944.

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118 P. DEWITTE

excroissances outre-mer de l'organisation metropolitaine, j'entendais


qu'elle ne tient pas compte des particularites africaines, rappelees
par Paul Delanoue: immensite du territoire et difficultes de liaisons,
faiblesse financiere des militants et donc des unionsJ importance du
monde rural et toute-puissance de l'administration coloniale. Celle-ci
cherche a tout prix, par la repression et l'intimidation, a limiter la
portee de l'Union fransaise, deja passablement edulcoree par les par-
lementaires de la deuxieme constituante de 1946.
Oans cette optique, la CGT lance donc toutes ses forces dans des
luttes telles que celle pour le Code du Travail qui, pour juste et gene-
reuse qu'elle soit, ne vise qu'a << humaniser >> la colonisation, sans
la remettre en question fondamentalement. La CGT n'a pas, a ce
moment du moins, mene de front la lutte sociale et la lutte indepen-
dantiste.
De meme, les < aspirations nationales des Africains )? litote cou-
ramment employee plutot que l'abrupte << independance >>-sont bien
qualifiees de << legitimes >> par la CGT, mais l'independance naest que
la derniere etape d'une longue lutte sociale. Dans Le Peupte jusque
vers 1952, une mesure quantitative de la place devolue aux << aspira-
tions nationales >> et de celle reservee a << l'union avec le peuple de
France > est h cet egard edifiante.
L'emploi d'une formulation ambigue permet une adaptation souple
de la lutte anti-coloniale: << rejeter le systeme revolu du colonialis-
me )> (2) peut vo1l10ir dire dans certains cas l'independance pure et
simple (pour le Viet-Nam par exemple), dans d'autres, le rejet des
fonnes les plus archaiques de la domination coloniale.
Ce que la CGT combat avant tout, c'est l'exploitation forcenee, ra-
ciste et reactionnaire des gros colons, c'est l'absence de democratie,
c'est le systeme capitaliste transpose dans les colonies, c'est l'impe-
rialisme americain. Dans cette mesure la lutte anti-capitaliste outre-
mer ne peut etre veritablement efficace que grace a l'action commune
avec le proletariat fransais et mondial, l'union dans la CGT est plus
que jamais indispensable, l'autonomie serait fatale au mouvement
syndical africain:

L'ennemi le sait et tente de nous diviser, de nous isoler. Vous


avez repousse ses appels a l'isolement mortel, comme vous avez
repousse avec mepris ses agents de la CISL, l'internationale colo
nialiste (3).

Or, dds 1951 en Afrique, c'est bien l'iIlddpendance qui est a l'ordre
du jour, et aussi l'autonomie des unions CGT, corollaire syndical a
l'indEpendance politique, et prealable necessaire. I1 faut noter a ce
sujet que les partisans de l'autonomie ntont jamais l'intention de
rompre totalement avec la CGT} ils reclament tous (ou presque) l'affi-
liation directe a la FSM, ils ne sont pas des << traltres scissionnistes
de la CISL >.
Des lors, la ConfErence de Bamako et la creation des Comites de
Coordination n'ont pas longtemps suffi i satisfaire les aspirations

(2) Le Peuple, 1 juin 1951.

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RtPONSE A PAUL DELANOUE 119

autonomistes. Ce sont precisement les trois secretaires generaux du


Comite de Coordination AOF-Togo qui seront a la tete de l'autonomie
quatre ans plus tard: Sekou Toure, Bassirou Gueye et Seydou Diallo.
Ainsi la CGT accuse toujours un certain retard par rapport i
l'evolution des positions en Afrique, elle passe son temps a << raccro-
cher les wagons >> pour finalement rallier en catastrophe la creation
de 1'UGTAN en 1957. C'est pourquoi j'avais, dans mon articleJ adopte
un plan strictement chronologique, afin de montrer ce constant deca-
lage entre les positions de la centrale et les aspirations africaines.
C'est pourquoi je parlais aussi de << manque de vigueur anti-colonia-
le > ou., a tout le moins, d'une erreur d'analyse de la CGT concernant
le mouvement national africain. Mais le plus important, c'est encore
l'incapacite, ou le refus, de la centrale, de a faire le menage devant
sa propre porte >>, en clair d'accepter l'autoTlomie de ses unions d'Afri-
que. Ouezzin Coulibaly declarait alors:

Une pernicieuse assimilation a enlrahi l'esprit de nos dirigeants


syndicaux [:] ils sont d'accord pour refuser l'assimilation et ils ne
veulent pas se detacher des formes syndicales importees d'Europe (4).

Le debat en fait n'est pas nouveau, il est frappant de mettre en


parallele les declarations de Ouezzin Coulibaly avec celles de la CGTU
en... 1925:

I1 faut absolument ceuvrer pour la disparition de cette folme


d'imperialisme syndicaliste et aider les travailleurs des colonies i
creer leur propre appareil syndical, auquel, des sa constitution, adhe-
reront les ouvriers europeens travaillant sur le territoire de la
colonie. Alors que l'imperialisme pretend annexer, sous un meme
gouvernement, les peuples conquis par la violence, le mouvement
syndical, au contraire, doit les aider a conquerir le droit de s'admi-
nistrer eux-memes. La solidarite internationale, qui doit unir tous
les travailleurs, ne doit pas se transformer en une tutelle des orga
nisations ouvrieres des pays coloriisateurs sur les syndicats des
colonies (5).

Vers 1950, on chercherait en vain de telles preoccupatiorls < anti-


assimilationnistes )> dans la CGT.
D'autre part, la comparaison avec les TUC britanniques, dont parle
Paul Delanoue, est instructive, elle merite qu'on y revienne un peu.
I1 est vrai que le TUC a manifeste une belle indifference a ltegard du
mouvement syndical africain. Mais cette absence de liens etroits entre
syndicats metropolitairls et syndicats d'Outre-Mer a permis, a contra
rio) l'eclosion rapide et sans entraves des revendications nationales et
panafricaines dans les syndicats au Nigeria, au Kenya, en Gold Coast.
Je partage l'avis de JeaIl Meynaud et Anisse Salah-Bey lorsqutils di-
sent:

Le type de liens etablis entre le syndicalisme africain et les cen-


trales metropolitaines influe sur l'dvolution du phenomene. Le cas

(4) La Libertd, 25 octobre 1955


(5) CGTU, Congrbs de Bordeaux, 1925.

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120 P. DEWITTE

le plus simple est celui des rapports entre le TIJC britannique et les
syndicats d'Afrique. Si l'attitude tres souple du TUC - souplesse
ressemblant parfois i une relative indifference-nta pas directe-
ment encourage l'integration dans l'activite rlationaliste des mou-
vements syndicaux, elle a cependant facilitd une teIle operation.
L'etape de la rupture entre le syndicalisme local et celui de la metro-
pole a dtd dvitde.
t@] Au contraire, l'existence de rapports hibrarchiques entre le
syndicalisme metropolitain et celui des territoires coloniaux a
conduit ces detniers h passer par la phase de contestation et de rejet
de tels liens (6).

Ne peut-on dire que l'attitude britannique - en dehors de tout


jugement de valeur a son egard a permis une plus rapide prise en
charge des mots d'ordre nationalistes et panafricains par les syndi-
cats, tandis que la << sollicitude >> de la CGT les a freines ? Sans doute
s'agit-il la d'une hypothese a verifier, mais en tout etat de cause, les
syndicalistes d'AOF, delegues aux congres de la CGT restent depen-
dants, sous << tutelle bienveillante >>, mais sous tutelle quand meme.
I1 ne faut pas avoir peur de dire qutil subsiste dans la CGT de nom-
breuses sequelles du paternalisme d'antan, alors que les Africains ne
veulerlt plus des rapports << filiaux >> avec la centrale metropolitaine,
qu'ils aspirent a des relations veritablement fraterrlelles. Cela dit, je
sais bien que les rapports indtvidoets entre militants de France et
d'Afrique btaient, eux, on ne peut plus fraternels, je ne parle ici que
des relations entre organisations.
Quelles sont les consequences de cet assimilationnisme de la CGT
le terme est peutetre un peu fort sur la force, l'impact, la place
du mouvement syrldical dans le processus des indeperldances ? C'est
1d un autre point controverse. Je pense toujours que les reticences de
la CGT cette fois le mot est faible-a ltegard de l'autonomie ont
reculd d'autant la creation de 1'UGTAN et que, partant, cette creation
est arrivee trop tardivement pour que le syndicalisme panafricain
apporte au mouvement national ltoriginalite de son combat, disons
de classe. C'est pourquoi cette creation tardive de 1'UGTAN m'a ame-
ne a dire que le syndicalisme, autonome et uni, cred dans la tourmente
de 1957, ne pouvait plus que faire figure de force d'appoint dans le
concert inddpendantiste; on aurait evidemment pu souhaiter qu'il
en soit le fer de lance, mais il n'en avait plus le temps.
Car de son cot6, le pouvoir colonial ne reste pas inactif, il cherche
i battre de vitesse une previsible radicalisation du K mouvement
d'emancipation >. C'est dans ce sens que j'ai qualifie peut-etre un
peu hativement la a loi-cadre Defferre >> de < premisse d'une future
independance >>, je n'ai erl effet pas prdcise la rlature de l'independan-
ce contenue dans cette loi. Pour moi, comme pour Paul Delanoue,
comme pour les Africains de gauche de l'dpoque, il s'agit bien en effet
d'un projet de type ndo-colonial, instaurant la catastrophique balka-
nisation de l'Afrique, et destine a mettre en place a la tete des futurs
Etats les leaders les plus conciliants envers les intdrets frangais. Et
c'est bien ce qui s'est passe. Mais un mouvement syndical fortement

(6) J. MEYNX4UD et A. SALAH-BEY> Le syndicalisme afncain, Paris, Payot, 1963.

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RtPONSE A PAUL DELANOUE 121

implante, autonome et panafricain depuis longtemps, aurait peutetre


inflechi, voire stoppe, une telle evolution.
Or, en 1956, le syndicalisme est affaibli par la desunion, en 1957
il reconstitue peniblement l'unite, un an avant le projet de Commu-
naute fransaise de de Gaulle; n'est-il pas trop tard pour s'opposer
efficacement au RDA ou au BDS, promus au rang d'interlocuteurs
privilegies du gouvernement fransais et qui jouissent encore, on l'ou-
blie trop, d'un prestige certain en Afrique meme ?

*
* *

Je ne peux terminer sans temperer ces observations critiques:


sans souligner 1lne fois encore l'admirable action des militants afri-
cains et fransais de la CGT, et parmi eux Paul Delanoue; sans perdre
de vue l'aprete des luttes qu'ils ont du mener pour arracher les droits
les plus elementaires de justice sociale, de democratie, d'egalite. Car
les grandes compagnies, les banques, l'administration coloniale n'ont
pas vu sans reagir l'erosion de leurs privileges exorbitants, archa;-
ques, elles ont fait payer tres cher la legalisation des syndicats, les
luttes politiques, le vote et l'application du Code du Travail d'Outre-
Mer. Toutes ces luttes devaient etre menees, elles ne le furent pas
sans repression, emprisonnements, morts d'hommes meme. On ne
peut esquiver non plus le contexte de guerre froide, qui fit craindre
le pire a la CGT et qui l'a conduite a subordonner toute son action
a la lutte contre la guerre, jusqu'a lui faire confondre de justes reven-
dications autonomistes avec des manoeuvres de desunion. De meme,
il est certain que l'union avec le peuple de France n'etait pas, en soi,
un mot d'ordre vide de sens: les travailleurs de part et d'autre de
la Mediterranee avaient bien des adversaires communs, meme si leurs
objectifs prioritaires ne furent pas toujours concordants... Ils allerent
meme parfois jusqu'a devenir contradictoires. Il ne faut pas sous-
estimer enfin, les difficultes d'apprehension d'une realite complexe,
totalement neuve, qui plus est perpetuellement en mouvement.
Mon propos visait modestement a tenter de retracer l'histoire de
la CGT en Afrique, sans occulter ses faiblesses, sans minimiser la
difficulte de la tache qui l'attendait, peut-etre meme a comprendre
ce qui a bien pu se passer pour qu'en 1960, une Afrique desunie, ou
plutot non-unie, affronte l'avenir avec l'hypotheque non levee de la
dependance dconomique vis-a-vis de la France. L'histoire du svndica
lisme africain permet au moins d'indiquer quelques directions de re-
cherche, d'apporter un ddbut de reponse quant au silence persistant
du mouvement syndical dans l'Afrique d'aujourd'hui. La puissance de
la repression, le << consensus national > des premieres annees de l'in-
dependance, la ferocite de certaines dictatures actuelles n'expliquent
pas tout.

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