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Exemple de sujets corrigés


Exemple de sujets corrigés

Vous trouverez ci-après deux exemples de sujets corrigés. Le premier vous permettra de
vous entraîner plus avant aux problèmes de rédaction du commentaire composé à partir
du plan détaillé.

Nous réviserons :

 l’introduction
 la conclusion
 la rédaction des transitions
 la rédaction des têtes de parties
 la rédaction de l’analyse stylistique.

Le second sujet est intégralement traité. Vous pourrez ainsi prendre mieux conscience
de la globalité du travail à fournir dans les quatre heures de l’épreuve.

SUJET 1 : Victor Hugo (1802-1885).

« La Charge des cuirassiers de Waterloo », Les Misérables, 1862.

Alors on vit un spectacle formidable.

Toute cette cavalerie, sabres levés, étendards et trompettes au vent, formée en


colonnes par division, descendit, d’un même mouvement et comme un seul homme,
avec la précision d’un bélier de bronze qui ouvre une brèche, la colline de la Belle-
Alliance, s’enfonça dans le fond redoutable où tant d’hommes déjà étaient tombés, y
disparut dans la fumée, puis, sortant de cette ombre,reparut de l’autre côté du vallon,
toujours compacte et serrée, montant au grand trot, à travers un nuage de mitraille
crevant sur elle, l’épouvantable pente de boue du plateau de Mont-Saint-Jean.

Ils montaient, graves, menaçants, imperturbables, dans les intervalles de la


mousqueterie et de l’artillerie, on entendait ce piétinement colossal. Étant deux divisions,
ils étaient deux colonnes ; la division Wathier avait la droite, la division Delord avait la
gauche. On croyait voir de loin s’allonger vers la crête du plateau deux immenses
couleuvres d’acier. Cela traversa la bataille comme un prodige.

Rien de semblable ne s’était vu depuis la prise de la grande redoute de la Moskowa par


la grosse cavalerie ; Murat y manquait, mais Ney s’y retrouvait. Il semblait que cette
masse était devenue monstre et n’eût qu’une âme. Chaque escadron ondulait et se
gonflait comme un anneau du polype.

On les apercevait à travers une vaste fumée déchirée çà et là. Pêle-mêle de casques, de
cris, de sabres, bondissement orageux des croupes des chevaux dans le canon et la
fanfare, tumulte discipliné et terrible ; là-dessus les cuirasses, comme les écailles sur
l’hydre.

Ces récits semblent d’un autre âge. Quelque chose de pareil à cette vision apparaissait
sans doute dans les vieilles épopées orphiques racontant les hommes-chevaux, les
antiques hippanthropes, ces titans à face humaine et à poitrail équestre dont le galop
escalada l’Olympe, horribles, invulnérables, sublimes ; dieux et bêtes.

I - La mise en scène de la réalité historique

 1. Répartition des indications et références historiques : dans toute la première


moitié du texte, intégrées à la description
o 1.1 La situation ou les références géographiques
o 1.2 L’allusion aux personnages historiques (les noms propres)
o 1.3 La description des soldats, le lexique guerrier
 2. La mise en scène de la bataille : une charge de cavalerie présentée comme un
spectacle
o 2.1 L’importance du regard, le point de vue
o 2.2 La gestion narrative des mouvements
o 2.3 Les éléments constitutifs du spectacle : formes, bruits, couleurs, matières
 Conclusion partielle : Victor Hugo part de la réalité historique : quelques références
précises, mais ce n’est pas pour lui l’essentiel - réorganisation, mise en scène : il
s’agit d’augmenter l’impact de la scène, élevée au rang de spectacle - l’auteur
développe une vision qui conduit à une transformation de la réalité.

II - La vision de l’écrivain métamorphose le réel pour faire de cet épisode historique


une scène d’épopée, qui évoque les antiques théomachies (combats des dieux)

 1. Une scène d’épopée


o 1.1 Une scène irréelle, voire fantastique, où les éléments réels se mêlent aux
éléments surnaturels et merveilleux (leur perception peut d’ailleurs n’être
imputable qu’à une vision brouillée : hésitation/fantastique)
o 1.2 L’exagération épique, traduite aussi par l’ampleur du ton (longues
phrases dans la seconde moitié du texte)
o 1.3 les soldats cessent d’être individualisés : destin collectif (fusion)
 2. Les références mythologiques évoquent un combat entre les dieux
o 2.1 Le thème de la grandeur, de la démesure, suggère le grandissement
héroïque des soldats
o 2.2 Ce grandissement héroïque est accentué par les références
mythologiques
o 2.3 Association de la grandeur héroïque et de la monstruosité bestiale
 Conclusion partielle : Victor Hugo utilise un certain nombre de procédés
traditionnels de l’épopée, il en tire une vision saisissante, d’une grande force
évocatrice.

Rédaction de l’introduction et de la conclusion :

 Introduction
o Présentation du texte :
Victor Hugo, fasciné par l’épopée napoléonienne, consacre tout un livre des
Misérables à la bataille de Waterloo. Il évoque en particulier, dans une page
célèbre, la charge des cuirassiers.
o Spécificité du texte :
Le génie visionnaire de l’écrivain, nourri d’une importante documentation
historique sur la bataille de Waterloo, transcende la réalité et magnifie
l’horreur de la guerre.
o Plan :
Nous verrons comment Victor Hugo met en scène les données historiques
puis nous montrerons comment il construit la grandeur épique du tableau.
 Conclusion
o Bilan :
Victor Hugo fonde son évocation de la charge des cuirassiers à Waterloo sur
des données historiques précises. Cet ancrage dans le réel lui permet de
mettre en scène avec une grand efficacité narrative et descriptive cet
épisode spectaculaire de la bataille. Mais l’objectif de Victor Hugo est avant
tout d’élever l’aventure des soldats de Napoléon au rang d’épopée ; il y
parvient par une transfiguration du réel qui fait appel au fantastique et au
mythe.
o Ouverture :
C’est là ce qui fait l’originalité essentielle de l’évocation hugolienne de
Waterloo, très différente de présentations distanciées et critiques comme
celles de Chateaubriand dans Les Mémoires d’Outre-tombe et de Stendhal
dans La Chartreuse de Parme. Plus peut-être que tout autre écrivain du xixe
siècle, Victor Hugo a contribué à l’élaboration du mythe napoléonien et cet
extrait des Misérables nous fournit un exemple représentatif du rôle que ses
textes ont pu jouer dans cette élaboration.

Rédaction du développement : trois exemples

Rédiger l’enchaînement de la tête de partie et le début de l’analyse textuelle

 Partie II :
Le génie visionnaire de l’écrivain métamorphose le réel pour faire de cet épisode
historique une scène d’épopée, qui évoque les antiques combats de dieux dans les
récits mythologiques (tête de partie). La dimension épique (1) du combat transparaît
d’abord dans le parti pris fantastique de la narration hugolienne (1.1). En effet,
l’écrivain mêle les éléments réels aux éléments surnaturels et merveilleux...

Rédiger la référence à un champ lexical et le commentaire du champ lexical

 Partie II, 2.1 :


Les thématiques de la grandeur et de la démesure suggèrent le grandissement
héroïque des soldats. Deux réseaux lexicaux renvoient à ce processus : les
adjectifs « colossal » et « immenses » se rapportent directement aux cuirassiers et
annoncent l’identification des soldats aux « titans » mythologiques ; mais les
éléments du décor, la « grande redoute » et la « vaste fumée », participent de ce
grandissement héroïque par un effet de redondance.

Rédiger l’amorce d’une étude stylistique

 Partie II, 1.2 :


Victor Hugo retrouve avec bonheur l’ampleur de ton caractéristique des récits
épiques. Cette ampleur est plus particulièrement sensible dans le rythme des
phrases... (compléter cette amorce par l’étude de la syntaxe et du rythme des
phrases).

SUJET 2 :

Claude Roy, Clair comme le jour, 1943.


Séries générales, Groupement III, juin 1996.
Le poème suivant a été inspiré à Claude Roy par une jeune nageuse endormie sur une
plage aux environs de Nice.

Dormante
Toi ma dormeuse mon ombreuse ma rêveuse
ma gisante aux pieds nus sur le sable mouillé
toi ma songeuse mon heureuse ma nageuse
ma lointaine aux yeux clos mon sommeillant œillet
distraite comme nuage et fraîche comme la pluie
trompeuse comme l’eau légère comme vent
toi ma berceuse mon souci mon jour ma nuit
toi que j’attends toi qui te perds et me surprends
la vague en chuchotant glisse dans ton sommeil
te flaire et vient lécher tes jambes étonnées
ton corps abandonné respire le soleil
couleur de tes cheveux ruisselants et dénoués
Mon oublieuse ma paresseuse ma dormeuse
toi qui me trompes avec le vent avec la mer
avec le sable et le matin ma capricieuse
ma brûlante aux bras frais mon étoile légère
je t’attends je t’attends je guette ton retour
et le premier regard où je vois émerger
Eurydice1 aux pieds nus à la clarté du jour
dans cette enfant qui dort sur la plage allongée

1Piquée par un serpent, Eurydice mourut sur le rivage. Son époux, Orphée, tenta en vain
de la ramener des Enfers.

 I. Questions d’observation
o 1. Relevez les dénominations de la femme et commentez leur choix. (2
points)
o 2. Quelles différences formelles observez-vous entre la strophe centrale et
les autres strophes du poème ? (1 point)
o 3. Étudiez les sonorités dans le 1er quatrain. (1 point)
 II. Faites de ce poème un commentaire composé (16 points).

Réponses aux questions

1. Les dénominations de la femme sont très nombreuses ; elles parcourent tout le


poème dont elles assurent l’unité, en particulier au moyen des jeux de sonorités,
puisque la plupart des appellations de la femme se terminent en [oez]. Elles sont
mises en apposition au pronom personnel « toi » (vers 1), auxquelles elles se
rapportent et qu’elles complètent. Toutes les dénominations, à l’exception des deux
dernières (« Eurydice » et « cette enfant qui dort ») sont précédées de l’adjectif
possessif de la première personne. Elles constituent autant de surnoms tendres par
lesquels le poète tente de saisir et de définir sa relation avec la femme. Les plus
nombreuses évoquent le sommeil et la mort (« dormeuse, ombreuse, rêveuse,
gisante, songeuse, berceuse, paresseuse, dormeuse, Eurydice »). Les autres
dénominations renvoient aux stéréotypes de la femme-fleur (« mon sommeillant
œillet ») ou de la femme enfant, évoquent le cosmos (« mon étoile légère ») ou
contribuent à introduire une dimension intemporelle et mythique dans l’évocation de
la jeune fille, comparée à « Eurydice ».
2. La strophe 3 est la seule où n’apparaît aucune dénomination de la femme.
L’apostrophe (« toi ma dormeuse », « toi qui me trompes ») disparaît au profit d’un
passage descriptif. La femme n’est plus nommée, appréhendée sur le mode de
l’appellation, mais décrite dans un tableau où elle est en étroite communion avec la
nature.
3. Les sonorités dans le premier quatrain sont sourdes ([], [o], [oe]) et douces ([(oe)z],
[z], [s], [m]). La combinaison de ces sonorités et leur récurrence évoquent
l’engourdissement et le sommeil. La sonorité [oez] combine à la fois une voyelle
sourde et une consonne douce ; elle est dominante dans la syllabe finale des
dénominations de la femme, qu’elle contribue ainsi à associer étroitement au thème
du sommeil.

Commentaire composé

Pour vous aider dans votre entraînement, nous proposons ci-dessous un plan sommaire
du commentaire composé.

 I - La dormeuse ou la contemplation de la belle endormie


o 1. Le champ lexical du sommeil
 sommeil et dénominations de la femme
 titre du poème
o 2. Sonorités et rythme : le bercement
 analyse des effets sonores
 analyse du rythme
o Conclusion partielle : sommeil et mort ?
 II - La femme et la nature
o 1. Mouvement et immobilité
 analyse des deux champs lexicaux
 le plan du texte
o 2. Un personnage en symbiose avec la nature
 rôle de l’immobilité
 des images sensuelles
 la femme participe des éléments naturels
o Conclusion partielle : communion avec la nature - le poète exclu ?
 III - Les sentiments du poète/une quête amoureuse ?
o 1. La jalousie
 champ lexical de l’adoration amoureuse
 les sources de la jalousie
 le sentiment de l’exclusion
o 2. Un appel pressant
 appel d’amour
 quête amoureuse
o Conclusion partielle : Orphée, figure du poète ?
Commentaire rédigé

« Dormante », de Claude Roy, extrait du recueil Clair comme le jour, est un poème
d’amour. Le poète y évoque avec lyrisme une jeune fille endormie sur une plage. À la
faveur d’un moment privilégié, la parole poétique tente de cerner une relation qui n’est
peut-être que rêvée. Nous verrons comment le poète rend compte de sa contemplation
de la jeune endormie. Puis nous étudierons l’harmonie parfaite qu’il décèle entre la
femme aimée et la nature et nous analyserons les sentiments les plus intimes qu’il se
risque à formuler à la faveur du sommeil de la jeune fille.

L’image de la jeune fille contemplée par le poète est indissociable du sommeil qui
semble la transfigurer. C’est ainsi que le titre du poème, « Dormante », combine
d’emblée les thèmes de la féminité et du sommeil. Ces deux thèmes et leur étroite
imbrication structurent par la suite la progression du poème dont ils assurent l’unité.

Si l’on excepte l’occurrence du nom « sommeil » au vers 9, le champ lexical de


l’endormissement se confond avec les dénominations de la femme. Le poème peut donc
être compris comme une sorte d’invocation à la belle endormie, à travers l’accumulation
d’appellations tendres qui sont autant de tentatives de saisir la nature même d’une
personnalité qui fuit dans le sommeil. « Dormeuse » (vers 1 et 13) répond à « Dormante
» ; à l’état passager suggéré par le titre succède l’affirmation d’un caractère distinctif. Par
ailleurs, le titre fait écho à la dénomination finale (vers 20) « cette enfant qui dort ». Le
poème, clos sur lui-même, explore par les mots un monde fermé, qui isole la jeune fille,
le monde du sommeil et du rêve.

Le champ lexical du sommeil joue en effet sur les connotations et les associations
sémantiques. Il rapproche « dormeuse » et « rêveuse », dormir et songer, mais aussi le
sommeil et la mort. Le mystère et la fascination qui émanent tant du personnage que du
poème relèvent de leur ambivalence fondamentale. La jeune fille est-elle seulement
endormie, ou morte et perdue, telle « Eurydice » ? Est-elle « paresseuse » ou « gisante
», figée dans un sommeil de mort ?

Métaphorique ou réelle, l’image de la mort n’est de toute manière que sous-jacente, et


adoucie par les sonorités et les rythmes qui introduisent un bercement régulier. Claude
Roy emploie à cette fin la coupe régulière de l’alexandrin (6+6) dans de nombreux vers
du poème (vers 2,4,6,9,11,16,18,19,20). Dans d’autres vers, libres cette fois, le rythme
joue sur la répétition régulière des appellations de la femme : aux vers 1 et 3, on a le
schéma rythmique (1) + 3 + 3 + 3, rythme « oral » qui ne tient pas compte des règles de
la versification traditionnelle.

Ces effets rythmiques sont soulignés par les effets sonores. La sonorité [oez] domine
dans le poème, à la fois à la rime et en rime intérieure. D’autres sons doux et assourdis
([], [o], [e], [m], [s]) complètent l’atmosphère d’engourdissement propice à un sommeil
que métaphoriquement, le poète rapproche de la mort.

Autant que par son état d’engourdissement, la jeune fille se caractérise par les liens
étroits qu’elle entretient avec le décor et les éléments naturels qui le composent. Le
personnage féminin semble faire partie intégrante de la nature dont elle apparaît comme
l’une des composantes.

C’est ainsi que le poème rend compte d’un dialogue entre mouvement et immobilité, où
la nature semble s’animer, tandis que la jeune dormeuse est pétrifiée, au point que son
image appelle la métaphore de la mort que nous évoquions plus haut. La seule action
rapportée au personnage féminin est purement instinctive, voire passive : « ton corps [...]
respire le soleil ». Mais c’est la « vague » qui se « glisse », « flaire » ou « vient lécher »
le corps de la jeune fille. Une nature animée prend en quelque sorte possession du
personnage, figé dans une immobilité dont rend compte l’absence de verbes conjugués
dans les strophes 1, 2 et 4.

Dans l’abandon de son sommeil, la dormeuse est en symbiose totale avec le paysage de
mer et de sable où elle dort. « Nageuse » sortie de la mer, elle est « eau » elle-même,
comme ses « cheveux ruisselants ». L’eau, qu’elle soit mer ou « pluie », sert ici à
affirmer sa féminité même. Mais la femme est aussi lumière comme « le soleil » et
chaleur (vers 16). Pour ces différentes raisons, elle n’est pas ressentie (contrairement au
poète) comme un corps étranger dans le cadre naturel. En effet, elle ne diffère en rien
des éléments qui l’entourent.

Comme une nouvelle Vénus sortie des flots, elle appartient à la nature qui la possède.
Immobilité et inconscience l’intègrent au paysage et la séparent du poète amoureux qui
la contemple. On ne peut qu’être frappé par les images à la fois concrètes et sensuelles
qui décrivent la relation entre la jeune fille et la nature sur le mode de la relation
amoureuse. Dans la strophe 3, pivot du poème, la vague « flaire » et « vient lécher » les
jambes de la femme. C’est dans cette strophe centrale que la relation exclusive est
identifiée. Elle est néanmoins préparée dès la strophe 2 par les comparaisons des vers 5
et 6 et le parallèle établi par le poète entre la femme et les phénomènes cosmiques : «
mon jour, ma nuit », expression à laquelle fait écho l’image du vers 16, « mon étoile
légère ».

Dans son sommeil, la femme aimée devient étrangère au poète. Fuyante, elle lui
échappe, perdue dans son sommeil, et dans la symbiose avec la nature, comme
Eurydice dans la mort. De ce rêve empli d’éléments naturels, le poète se sent exclu.

Le poète amoureux, en contemplation devant la jeune ondine qui lui paraît différente et
transfigurée dans son sommeil, laisse libre cours à l’expression de sentiments marqués
à la fois par la jalousie et le désir.

La jalousie, indissociable du sentiment d’exclusion, jaillit de presque toutes les


expressions d’adoration amoureuse du poète. C’est ainsi qu’il est jaloux des pensées et
des rêves de la jeune fille qu’il sait ne pouvoir pénétrer, ce qu’exprime la répétition
sémantique « rêveuse » / «songeuse » dans la première strophe. Les rêves de la jeune
fille apparaissent en fait comme intimement liés à sa féminité même, comme en
témoigne la fusion de l’élément aquatique et du sommeil, donc du rêve, au vers 9. Le
poète est jaloux aussi de devoir partager la femme aimée avec les éléments naturels qui
eux peuvent la toucher, comme le « soleil » qui baigne son corps (vers 11), ou encore le
« vent », « la mer » et « le sable » (vers 14 et 15). Il est jaloux encore du temps consacré
au sommeil comme s’il lui était volé. C’est ce dont témoignent des qualificatifs et des
dénominations à valeur de reproches comme « distraite » ou « ma paresseuse ».
L’abondance des adjectifs possessifs de la première personne marque le désir de
possession. Ce désir est d’autant plus affirmé que ces possessifs précèdent les
différentes dénominations de la femme. Au contraire, les adjectifs possessifs de la
deuxième personne (strophe 3) marquent la douleur de la séparation.

Le poème n’est en effet pas un dialogue : il n’y a pas échange, mais plutôt appel
pressant d’un poète amoureux. Cet appel renvoie à la quête de la femme qu’il croit
perdue pour lui. Tel un cri, il est destiné à percer jusqu’à l’inconscient de la jeune fille
endormie. C’est pourquoi le poète multiplie les appellations tendres et les juxtapose dans
un effet d’accumulation qui s’étend à toutes les strophes, sauf la troisième. On notera
aussi l’anaphore du pronom personnel « toi », qui marque l’insistance du poète à
s’imposer à la conscience de la jeune fille - ou sa tentative de s’insinuer dans ses
pensées et ses rêves. Le poème développe par ailleurs une sorte de mélopée d’amour,
qui s’appuie sur des sonorités douces et envoûtantes en [oez] et le rythme régulier des
vers. Il s’agit d’une mélopée insistante destinée à atteindre la jeune fille jusqu’au plus
profond de son sommeil.

Dans sa quête amoureuse, le poète se nomme à la première personne (vers 8, 17, 18).
Le jeu des pronoms personnels témoigne en réalité d’une relation unilatérale. Le poème
est-il la plainte d’un amoureux qui aime plus qu’il n’est aimé, comme le suggèrent les
dénominations « mon souci, mon oublieuse », ou encore « ma capricieuse » ? Tout
poète est-il frère d’Orphée ? Toute femme désirée son Eurydice ?

« Dormante » est un poème d’amour où le poète mêle le bonheur d’aimer et la


souffrance d’un cœur inquiet et incertain. Claude Roy y développe le thème éternel de la
dualité de l’amour : à la fois source de joie et de peine. Le poète a su traduire ce
déchirement à l’aide d’images concrètes qui sont pour beaucoup dans l’impression de
sincérité que laisse son chant.

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