These Laura Merla
These Laura Merla
These Laura Merla
Merla, Laura
ABSTRACT
Cette thèse porte sur les dynamiques identitaires et plus précisément sur l'appréhension et la présentation
de soi en tant qu'individu de genre masculin lorsque celles-ci posent problème au sens schutzéen du
terme, au travers de l'étude de la transgression des normes de la division sexuelle du travail opérée par les
pères " au foyer ". La thèse s'articule autour de trois chapitres principaux. Le premier (chapitre 4) se centre
sur les réactions d'autrui a la paternité au foyer, telles qu'elles sont relatées par les pères interrogés. Le
second (chapitre 5) met au jour les stratégies mises en place par les pères au foyer pour gérer le manque
de légitimité auquel ils sont confrontés. Le troisième (chapitre 6) propose une analyse phénoménologique
de l'appréhension genrée de soi. Au travers de cette thèse, c'est une nouvelle définition de l'identité de
genre qui est proposée. / This thesis deals with identity dynamics and, more precisely, with masculine
self-presentation and self-definition when these become problematic. This is done through the study of
gender norms transgression operated by "at-home" dads. The three main chapters of the thesis are the
following. Chapter 4 is focussed on peoples' reactions to at-home fatherhood, based on the accounts of
housefathers. Chapter 5 analyses at-home dads' strategies to deal with the lack of legitimacy they are
confronted to. Chapter 6 proposes a phenomenological analysis of gendered self-definition. Through this
work, the author proposes a new definition of gender identity.
Merla, Laura. Appréhension et présentation de soi et transgression des normes de la division sexuelle du
travail : le cas des pères "au foyer" / Self-definition and self-presentation and gender norms transgresssion :
the case of "at-home" dads/. Prom. : Marquet, Jacques http://hdl.handle.net/2078.1/4844
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2
Introduction
Introduction
3
Introduction
Les travaux que nous venons de citer tendent à montrer que tous les
individus sont concernés aujourd’hui par l’importance du travail
professionnel en tant que norme sociale, qu’ils soient hommes ou femmes.
Une nuance doit pourtant être apportée ici. La dernière étude citée plus haut
a notamment montré que certaines femmes parviennent, mieux que les
autres (hommes et femmes) à élaborer une identité susceptible de
remplacer l’identité sociale que leur procurait le travail professionnel, à
condition de s’être préalablement « davantage définies au sein de leur
famille que par leur statut de travailleuses ».4 Ceci nous renvoie à un autre
espace majeur de production et de validation des identités sociales : la
famille. Même si, comme l’ont notamment démontré les travaux de
Maruani et de Battagliola, et comme le proclame l’ouvrage de Schweitzer,
« les femmes ont toujours travaillé », l’industrialisation et la séparation
spatio-temporelle du travail-production (travail professionnel) et du travail-
reproduction (travail domestique et familial) a mis en place un type
3
D’Amour M., Lesemann F., Deniger M-A, Shragge E.: « Les chômeurs de longue durée de plus de 45
ans : entre exclusion et réflexivité », Lien social et Politiques – RIAC, 42, Automne 1999, pp. 121-133.,
p. 124.
4
Ibid, p. 132.
4
Introduction
5
Battagliola F., Histoire du travail des femmes, La Découverte, Paris, 2000 ; Maruani M., Le travail et
l’emploi des femmes, La Découverte, Paris, 2000 ; Schweitzer S., Les femmes ont toujours travaillé. Une
histoire du travail des femmes aux 19ème et 20ème siècles, Emile Jacobs, Paris, 2002.
6
Dubar C., La crise des identités. L’interprétation d’une mutation, Le Lien Social, PUF, Paris, 2000,
pp.60-62.
7
Voir notamment Barrère-Maurisson, M.-A., La division familiale du travail: la vie en double, PUF,
Paris, 1992; Hochschild, A. R., The Time Bind: When Work Becomes Home and Home Becomes Work,
New York, Metropolitan Books, 1997.
8
Maruani M., op. cit., p. 15.
5
Introduction
mères d’au moins un enfant de moins de 6 ans est passé de 56.9% en 1989
à 69.5% en 1999.9
9
OECD, Employment Outlook, 2001, p. 134.
10
Cet écart était en 2001 de 17.4% en l’absence d’enfants, 23.5% en présence d’un enfant et 24.7% en
présence de deux enfants ou plus.
11
OECD, Employment Outlook, 2002, p. 78.
12
Ibid.
6
Introduction
13
Source en matière de crédit-temps (ayant remplacé l’interruption de carrière en 2000) : Office national
de l’Emploi (ONEM).
14
Source : ONEM
15
Source : ONEM
16
Fusulier B., Merla L. « Articuler vie professionnelle et vie familiale : enjeu de société, enjeu pour
l’égalité », in Les Cahiers de l’Education permanente n°19 : Quel genre pour l’égalité ?, Bruxelles, 2003,
pp. 119-136.
7
Introduction
17
Delumeau J., Roche D. (dir.), Histoire des pères et de la paternité, Larousse Coll, In Extenso, Paris,
2000.
18
Des Deserts S., « Au bonheur des pères », Le Nouvel Observateur, Paris, n°1914, 12-18 juillet 2001,
p.14-18. C. Castelain-Meunier est sociologue au CNRS.
8
Introduction
professionnelle et vie familiale passe non pas par un retrait des femmes,
mais bien des hommes, du marché du travail, qu’il soit volontaire ou non.
C’est précisément sur eux que porte cet ouvrage. Au fil des pages qui
suivent, nous allons essayer de comprendre, en nous centrant sur leurs
propres récits, la manière dont les hommes qui cessent de travailler ou de
chercher un emploi dans le but explicite de s’occuper de leur(s) enfant(s),
et que nous appellerons « pères au foyer », se définissent eux-mêmes, la
perception qu’ils ont du degré de légitimité des pratiques qu’ils mettent en
œuvre et la manière dont ils gèrent cette (non-) légitimité dans les
interactions quotidiennes et vis-à-vis d’eux-mêmes. Cette ligne
méthodologique nous conduira tout naturellement à donner la priorité au
sens que les individus donnent à leurs actions.19
19
Les différents chapitres de cette thèse sont présentés à la fin du chapitre 1.
9
Chapitre 1. Perspectives théoriques
11
Chapitre 1. Perspectives théoriques
L’approche du genre que nous avons adoptée dans ce travail, ainsi que
la thèse que nous allons aborder dans cet ouvrage ont été construites tout au
long du processus de recherche, et s’appuient sur un cadre théorique lui-
même en constante évolution. Sans vouloir nier la pertinence d’autres
approches, nous sommes davantage entrée dans la peau d’un artisan qui
construit progressivement ses outils, les adaptant au matériau au fur et à
mesure qu’il entre lui-même en résonance avec celui-ci, et sans savoir
jusqu’au dernier moment quelle sera la forme de son oeuvre. A ce titre,
notre méthodologie participe de l’élaboration d’une « théorie fondée », ou
« grounded theory », que Demazière et Dubar définissent comme « une
théorie qui découle inductivement de l’étude du phénomène qu’elle
présente. C’est- à- dire qu’elle est découverte, développée et vérifiée de
façon provisoire à travers une collecte systématique de données et une
analyse des données relatives à ce phénomène. Donc collecte de données,
analyse et théorie sont en relations réciproques étroites. On ne commence
pas avec une théorie pour la prouver par la suite. On commence plutôt
avec un domaine d’étude et on cherche à faire émerger ce qui est pertinent
pour ce domaine »20.
12
Chapitre 1. Perspectives théoriques
13
Chapitre 1. Perspectives théoriques
21
Oakley A., Sex, Gender and Society, Arena, Aldershot, 2nd edition, 1985.
14
Chapitre 1. Perspectives théoriques
22
Citation tirée de Delphy C., L’ennemi principal. 2) Penser le genre, Editions Syllepse, Collection
nouvelles questions féministes, Paris, 2001, p. 247.
23
Hirata H., Laborie F., Le Doaré H., Senotier D. (coord), Dictionnaire critique du féminisme, PUF,
Paris, 2000, p. 191.
24
Delphy C., op. cit., p. 30-31.
25
Tout comme d’autres éléments fondamentaux comme les différences de classe sociale, d’âge ou
ethniques, par exemple.
15
Chapitre 1. Perspectives théoriques
26
Husserl E., L’idée de la phénoménologie, Paris, PUF, 1970 ; Pharo, P., « Problèmes empiriques de la
sociologie compréhensive », Revue française de sociologie, n°26, 1985, pp. 120-149 ; Schütz A.,
Luckmann T., The structures of the life-world. Vol I., Northwestern University Press, Evanston, 1973 ;
Schütz A., Luckmann T., The structures of the life-world. Vol II., Northwestern University Press,
Evanston, 1989; Schütz, A., Collected Papers I, Martinus Nijhoff, The Hague, 1982 ; Schütz, A.,
Collected Papers II, Martinus Nijhoff, The Hague, 1976 ; Schütz, A., Collected Papers III, Martinus
Nijhoff, The Hague, 1975 ; Schütz, A., Le chercheur et le quotidien. Phénoménologie des sciences
sociales, Méridiens Klincksieck, Paris, 1987 ; Williame R., Les fondements phénoménologiques de la
sociologie compréhensive : Alfred Schütz et Max Weber, Martinus Nijhof, La Haye, 1973.
27
Nous nous référerons principalement ici à : Berger P., Luckmann T., La construction sociale de la
réalité, Armand Collin, Paris, 1996.
16
Chapitre 1. Perspectives théoriques
qui est étrange, ce qui peut être accepté comme tel et ce qui demande une
recherche ultérieure pour lever le doute que nous nourrissons à son égard.28
28
Cette ligne peut se déplacer : ce qui ne pose pas question maintenant n’est indubitable que jusqu’à
preuve du contraire.
29
Williame R., op. cit., p. 41.
17
Chapitre 1. Perspectives théoriques
en lui que nous allons puiser au moment T1 les éléments dont nous avons
besoin pour agir : il constitue notre stock disponible de connaissances.
Avant d’aller plus avant dans cette voie, ajoutons que la connaissance
est distribuée et approuvée socialement.31 La réserve de connaissances
actuellement disponible varie d’un individu à l’autre, et est organisée en
zones plus ou moins claires selon le moment de la vie. Un individu peut
être un expert dans certains domaines et un profane dans d’autres. La
connaissance porte aussi sur cette distribution sociale : nous savons à qui
nous devons nous adresser en tant qu’expert de tel ou tel domaine. Le
caractère indubitable des expériences s’accroît si d’autres personnes (que
nous considérons comme compétentes) confirment la validité de ces
connaissances, soit parce qu’elles font les mêmes expériences, soit parce
qu’elles nous croient. Comme le dit Schütz « toute connaissance, notre
propre expérience originaire aussi bien que la connaissance socialement
dérivée reçoit un poids supplémentaire si elle est acceptée non seulement
30
Schütz A, op. cit., 1987, pp. 19-20.
31
Ce qui renvoie déjà en partie à des relations de pouvoir étant donné le statut conféré aux « experts » de
tel ou tel domaine (domaines eux-mêmes susceptibles d’être hiérarchisés).
18
Chapitre 1. Perspectives théoriques
Nous partageons donc avec les individus qui vivent dans la même
société que nous un ensemble de connaissances et typifications du monde
de la vie quotidienne, monde qui est, par là-même, socialement construit.
Cette part sociale du stock de connaissances que les individus d’une même
société partagent à des degrés divers, n’est pas uniquement un outil
d’appréhension du monde : elle participe à orienter les pratiques dans un
sens déterminé, et s’inscrit dans des rapports de pouvoir.
Imaginons ensuite que les individus de notre exemple ont des enfants.
Au cours des interactions qu’ils auront « en famille » les parents
transmettront à leurs enfants les typifications qu’ils ont élaborées avant leur
naissance. C’est, nous disent Berger et Luckmann, un véritable monde
social qu’ils vont leur transmettre, une réalité construite qui apparaîtra aussi
naturelle que la nature elle-même à ceux qui font l’objet de la transmission.
Pour le tout jeune enfant toutes les institutions apparaissent comme
32
Williame R., Op. Cit., p. 70-71.
33
Berger P., Luckmann T., op. cit.
19
Chapitre 1. Perspectives théoriques
20
Chapitre 1. Perspectives théoriques
monde. 34 Dans la conscience du petit enfant, les rôles et attitudes des autres
significatifs vont acquérir un caractère abstrait pour se déplacer vers les
rôles et attitudes en général. L’attitude de « maman » devient « l’attitude
des mères ». Cette abstraction est appelée l’autre généralisé. Elle implique
l’intériorisation de la société en tant que telle et de la réalité objective
établie en son sein de même que, simultanément, l’établissement subjectif
d’une identité continue et cohérente. En intériorisant la réalité qui lui est
transmise sous une forme objective (via le langage notamment) l’enfant se
construit sa propre identité subjective. A ce stade le petit enfant n’a pas le
choix des individus auxquels il va s’identifier. Il intériorise le monde de ses
autres significatifs comme étant le monde, le seul monde existant et
concevable, le monde tout court. Via le langage, l’enfant va intérioriser
différents schémas définis institutionnellement qui vont lui fournir des
programmes institutionnalisés pour la vie quotidienne. Ainsi un petit
garçon va apprendre qu’il doit être courageux et ne pas pleurer. Ce faisant
il va intérioriser au minimum les rudiments de l’appareil de légitimation (il
se doit d’être courageux s’il veut devenir un homme).
34
Cette conception de l’identité en tant que place assignée sera nuancée plus loin.
21
Chapitre 1. Perspectives théoriques
35
Notons que l’externalisation croissante du soin des enfants et l’omniprésence des médias les exposent
dès leur plus jeune âge à des sous-univers de sens, ce qui augmente le niveau de complexité de la
socialisation. Non seulement la famille partage avec un nombre croissant d’autres instances la
socialisation précoce, mais la socialisation familiale évolue également au gré du cycle de vie, tant des
enfants que des parents, des recompositions familiales etc.
36
Berger et Luckmann, op. cit., p. 92.
22
Chapitre 1. Perspectives théoriques
37
« gender must be seen as an ever-changing fluid assemblage of meanings and behaviors. In that sense,
we must speak of masculinities and feminities, and thus recognize the different definitions of masculinity
and feminity that we construct. By pluralizing the terms, we aknowledge that masculinity and feminity
mean different things in different groups of people at different times. ». Kimmel M., The Gendered
Society, Oxford University Press, New York, 2000, pp. 10-11.
38
Cette diversité des masculinités a été mise en avant dans des travaux comme ceux de Tolson (Tolson
A., The limits of masculinity, Tavistock, London, 1977), de Messerschmidt (Messerschmidt, J.,
Masculinities and crime : critique and reconceptualization of theory, Rowan & Littlefield, Lanham,
1993) et de Staples (Staples R., Black masculinity : the black male’s role in American society, Black
Scholar Press, San Francisco, 1982) qui ont joué un rôle pionnier dans la mise en avant de la diversité des
formes de masculinité en fonction de la classe sociale ou de l’ethnicité, ainsi que des travaux ayant
montré la diversité des masculinités produites dans un même contexte institutionnel (et dont les premières
se situent dans le champ de l’éducation, comme Willis, P., Learning to labour : how working class kids
get working class jobs, Saxon House, Farnborough, 1977 ; et Kessler et al, Gender relations in secondary
schooling, Sociology of Education, n° 58, pp. 34-48) . Cf Connell R.W., Masculinities, Polity Press,
Cambridge, 3ème édition, 1999, p. 36.
39
Ce niveau global renvoie à l’ « ordre de genre », structure historiquement construite des relations de
pouvoir entre hommes et femmes et de définition du masculin et du féminin.
40
Connell R.W., op. cit., 1999, p. 77.
23
Chapitre 1. Perspectives théoriques
41
En ce qui concerne les relations hiérarchiques entre féminités, Connell n’utilise pas le terme
d’hégémonie, mais de « féminité accentuée »41 étant donné que toutes les formes de féminité sont
construites dans le contexte de la domination masculine. Il n’existe donc pas, pour l’auteur, de forme
hégémonique établissant une domination féminine. A cela s’ajoute le fait que les opportunités de
domination institutionnalisée entre femmes sont limitées. Dans ce contexte, le mécanisme central de la
féminité accentuée consiste à masquer les alternatives à la domination masculine en mettant l’accent sur
la fragilité féminine, le soin des enfants, l’émotivité etc. Cette vision est proche de celle décrite dans le
Dictionnaire critique du féminisme. Plutôt que de parler de masculinité hégémonique et de féminité
accentuée, les auteures y distinguent virilité et muliérité, définis respectivement comme « l’expression
collective et individualisée de la domination masculine » recouvrant les « attributs sociaux attribués aux
hommes et au masculin : la force, le courage, la capacité de se battre, le « droit » à la violence et aux
privilèges associés à la domination de celles, de ceux, qui ne sont pas, et ne peuvent être, virils : femmes,
enfants… » et la « forme érectile et pénétrante de la sexualité masculine » ; et « le néologisme qui désigne
l’aliénation de la subjectivité féminine dans le statut de soumission. La muliérité recouvre ce que Nicole
Claude Mathieu (1991a) désigne sous l’expression de « conscience dominée » en lui donnant le contenu
psychologique de la défense contre le déficit chronique de reconnaissance du travail féminin. Attitude
compulsive de propreté chez les ménagères et les aides-soignantes, idéalisation du don de soi chez les
infirmières (…) La muliérité n’est donc pas le symétrique de la virilité. Alors que la virilité peut servir
d’identité d’emprunt en ce qu’elle est promesse de valorisation, la mulérité ne renvoie qu’à la
dépréciation et l’effacement de soi ». Hirata et al., op. cit., p. 71 et 74. Une nuance s’impose ici. Le travail
féminin n’est pas déprécié partout, entièrement et par tous, et peut être source de reconnaissance et
d’estime de soi. Voir notamment Ferreras I., op.cit. et Mossuz-Lavau J., de Kervasdoué A., Les femmes
ne sont pas des hommes comme les autres, Editions Odile Jacob, Paris, 1997.
24
Chapitre 1. Perspectives théoriques
que ne se dessine à ce jour un modèle alternatif qui aurait pris le pas sur le
premier.
42
« Institutions create gendered normative standards, express a gendered institutional logic, and are
major factors in the reproduction of gender inequality » in Kimmel M., op. cit., p. 94. Pour une analyse
théorique plus poussée sur le sujet, voir notamment Connell R.W., Gender and Power, Stanford
University Press, Stanford, 1987. Pour une analyse du caractère genré des organisations professionnelles,
voir notamment Acker J., « Hierarchies, Jobs and Bodies : A Theory of Gendered Organizations »,
Gender and Society, n°4 Vol 2, 1990, pp. 139-156, p. 146 ; Gherardi S., Gender, symbolism and
organisational cultures, Sage Publications, London, 1995.
43
« A sociological perspective examines the ways in which gendered individuals interact with other
gendered individuals in gendered institutions. As such, sociology examines the interplay of those two
forces – identities and structures – through the prisms of socially created difference and domination ». In
Kimmel M,, op. cit., p. 95.
25
Chapitre 1. Perspectives théoriques
26
Chapitre 1. Perspectives théoriques
27
Chapitre 1. Perspectives théoriques
51
Dubar C., La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin, 3e
édition, 2002, p. 110.
52
West C., Zimmerman D., “Doing Gender”, Gender and Society, N°1 Vol 2, 1987, pp. 125-151., p. 140.
Ces auteurs ont été les premiers à mettre en avant le caractère performatif du genre.
53
« When we do gender, we “do” it in front of other people ; it is validated and legitimated by the
evaluations of others. Gender is less a property of the individual than it is a product of our interactions
with others. (…) Gender is “a relationship, not a thing” – and like all relationships we are active in their
construction (…) we actively – interactively – constantly define and redefine what it means to be men or
women in our daily encounters with one another ». In Kimmel M., op. cit., p. 106. Ajoutons que le
28
Chapitre 1. Perspectives théoriques
rapport à autrui joue également au niveau de l’appréhension de soi, qui se construit à la fois dans la
relation à autrui et à sa propre biographie. C’est ce que Dubar met en avant non seulement lorsqu’il traite
du rapport entre identité assignée (« pour autrui ») et identité revendiquée (« pour soi »), mais aussi
lorsqu’il distingue, au sein de celle-ci, une forme « relationnelle » qui « découle d’une conscience
réflexive qui met en œuvre activement un engagement dans un projet ayant un sens subjectif et impliquant
l’identification à une association de pairs partageant le même projet », et une forme « biographique » qui
« implique la mise en question des identités attribuées et un projet de vie qui s’inscrit dans la durée ».
(Dubar, C., op. cit., 2002, p. 55.) Dans la seconde, la réflexivité se fait narration : l’individu cherche à
établir un lien, une cohérence entre ses diverses expériences, dans un processus dynamique et constant de
construction d’une histoire personnelle au travers du temps. La première fait, elle, référence à la face du
« Je » que l’individu souhaite faire reconnaître par ses pairs (et que Dubar nomme « Soi-même réflexif »).
Le rapport à soi, la définition de soi « pour soi » se construit ici en référence à ces Autres significatifs.
54
Coleman W., « Doing masculinity, doing theory », in Hern J, Morgan D (Eds), Men, masculinities and
social theory, Unwin Hyman, Boston, Sydney and Wellington, 1990, pp. 186-199.
29
Chapitre 1. Perspectives théoriques
55
Voir notamment Kimmel M., op. cit, p. 7; Whitehead S, « Man: the Invisible Gendered Subject? », in
Whitehead S., Barrett F. (Eds), The Masculinities Reader, Blackwell Publishers, Cambridge, 2001, pp.
351-365.; et le numéro « Le genre masculin n’est pas neutre » de la revue Travail, genre et sociétés,
L’Harmattan, Paris, Mars 2000.
56
Flood M., « Between men and masculinity : an assesment of the term « masculinity » in recent
scholarship on men », in Pearce S, Muller V (Eds), « Manning the next millenium. Studies in
masculinities”, Black Swan Press, Bentley, 2002, pp. 203-212.
57
Ibid, p.210.
58
MacInnes J., The End of Masculinity. The confusion of sexual genesis and sexual difference in modern
society, Open University Press, Buckingham, 1998.
30
Chapitre 1. Perspectives théoriques
59
Flood M., op. cit., p.210-211.
60
Ibid, p.211.
31
Chapitre 1. Perspectives théoriques
61
Nous nous centrerons ici sur les principaux auteurs de notre cadre théorique. D’autres explications sont
fournies notamment des auteurs féministes comme Delphy, Chabaud-Rychter, Daune-Richard, Devreux,
Kergoat, Tabet etc.
62
Voir Connell, R.W, op. cit., 1987 ; Connell, R.W., op. cit, 1999 ; Connell, R.W., Gender, Polity Press,
Oxford and Cambridge, 2002.
32
Chapitre 1. Perspectives théoriques
63
Badinter E., XY. De l’identité masculine, Odile Jacob, Paris, 1992, p.267.
33
Chapitre 1. Perspectives théoriques
Dans ce chapitre nous verrons la manière dont les autres, qu’ils soient
intimes ou non, réagissent à la situation de père au foyer au cours des
interactions de face à face, en nous appuyant sur la manière dont les pères
au foyer appréhendent subjectivement le regard que les autres portent sur
eux. Au travers de ce double processus, il s’agira de faire la lumière sur les
normes de genre que la confrontation aux pères au foyer fait surgir. Nous
tenterons donc de donner corps au premier pôle de la tension qui
caractérise notre définition de l’appréhension et de la présentation de soi en
tant qu’individu masculin et/ou féminin, à savoir les normes assignées,
dans le stock social de connaissances, aux individus de sexe masculin pour
les masculinités et aux individus de sexe féminin pour les féminités, et qui
servent à appréhender le monde sous une forme typifiée et à orienter les
pratiques.
Le degré d’intimité qui lie les partenaires d’une interaction exerce une
influence directe sur la manière dont chacun est appréhendé. Schütz nous
enseigne que plus cette intimité est grande, c'est-à-dire plus autrui est
appréhendé au moyen de typifications construites au cours d’interactions
64
Nous avons donc été attentive à examiner l’ensemble des réactions que les pères au foyer nous ont
rapportées, qu’elles soient sources de soutien ou au contraire de remise en question.
34
Chapitre 1. Perspectives théoriques
65
Voir notamment Schütz, A., op. cit., 1973, p. 80-81.
66
Smith C.D., « “Men don’t do this sort of thing”. A case study of the social isolation of househusbands
», in Men and Masculinities, Vol 1, N°2, 1998, pp. 138-172, p. 146.
67
Singly, F. (de), Le soi, le couple et la famille. La famille, un lieu essentiel de reconnaissance et de
valorisation de l’identité personnelle, Armand Colin, Paris, 2005, p. 14.
68
Ibid, p. 52.
35
Chapitre 1. Perspectives théoriques
L’une des thèses centrales que Kaufmann développe dans son ouvrage
part d’un constat devenu somme toute banal: la multiplication et
l’assouplissement des rôles ayant caractérisé le passage des sociétés de type
communautaire aux sociétés de type sociétaire, a eu pour effet de
contraindre les individus à se construire et se définir de façon totalement
69
Ibid, p. 64.
70
Ibid, p. 187.
36
Chapitre 1. Perspectives théoriques
71
Ibid, p. 66.
72
Ibid, p. 173-174.
73
Ibid, p. 171-172.
74
Schütz A., Luckmann T., 1973, p. 202-206 et 225.
37
Chapitre 1. Perspectives théoriques
38
Chapitre 1. Perspectives théoriques
79
Ibid, p. 188. et 192.
80
Martuccelli D., op. cit., p. 78.
39
Chapitre 1. Perspectives théoriques
40
Chapitre 1. Perspectives théoriques
41
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
81
Marquet J., Nomisation et réalités dynamiques. Contribution à une sociologie compréhensive,
Academia, Coll. Hypothèses, Louvain-la-Neuve, 1991, p. 215.
43
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
et c’est par la parole que les sujets humains (les Moi qui sont aussi des Je)
se socialisent en s’appropriant ces formes »82. C’est pourquoi la réalisation
d’entretiens et leur analyse ont constitué le matériau de base de notre
recherche.
82
Demazière D, Dubar C., op. cit., p. 38.
44
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
45
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
Sur base des résultats obtenus88, nous avons construit une première
version de guide d’entretien qui a servi de base à la réalisation d’entretiens
exploratoires auprès d’un groupe de 11 répondants se trouvant dans des
situations diverses (au foyer à temps plein, à mi-temps ou à quart-temps ;
avec une partenaire travaillant à temps plein ou à temps partiel ; et
appartenant à diverses catégories sociales). C’est au fil de ces entretiens
que nous avons choisi de concentrer notre enquête sur les individus ayant
opté pour un arrêt total de travail (ou de recherche d’emploi) pour une
période minimale de 6 mois, dans le but explicite de s’occuper des enfants,
alors que leur partenaire demeurait professionnellement active. Les critères
de l’activité professionnelle de la conjointe et de la référence explicite au
soin des enfants comme moteur à l’arrêt de travail devaient permettre
d’assurer le caractère effectif du renversement des normes de la division
sexuelle du travail. Le volet préliminaire a également fait ressortir le rôle
important de l’étendue temporelle de l’engagement au foyer. La fixer à
minimum 6 mois à temps plein permettait d’éliminer les arrêts de travail
ponctuels et/ou à temps partiel via la prise exclusive de congés parentaux,
qui pouvaient paraître, tant aux yeux des pères eux-mêmes que de leur
entourage, comme des parenthèses comportant des implications
relativement faibles en termes identitaires.
87
19 participants ont omis de répondre à cette question.
88
Les résultats ont été publiés dans le Ligueur paru en juin 2003.
46
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
ont permis d’enrichir notre cadre d’analyse, nos hypothèses et notre guide
d’entretien.
47
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
Enfin, le hasard a mis sur notre route un père au foyer qui a accepté de
participer à cette enquête.90
48
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
92
Voir annexe 3
49
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
93
Donc, qu’il s’agissait d’une thèse de doctorat en sociologie portant sur les pères au foyer ou sur les
hommes qui réduisent leur investissement professionnel pour s’occuper de leur(s) enfant(s)
50
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
51
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
94
Nous discuterons plus loin de la raison pour laquelle ces informations étaient dévoilées, ainsi que de
leur impact sur la situation d’entretien.
52
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
On pourrait faire l’hypothèse qu’il est plus facile pour des pères au
foyer de se confier à une femme qu’à un homme, et ce à deux égards. Cela
pourrait être le cas pour ceux qui partent de l’idée que les femmes sont plus
ouvertes à ce mode de vie, plus favorables à l’implication paternelle dans le
soin des enfants qu’une majorité d’hommes. L’association qui est
couramment faite entre parole intime, expression des émotions et femmes
53
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
95
Arendell note au sujet des entretiens qu’elle a menés auprès d’hommes divorcés, que plusieurs d’entre
eux lui ont confié éviter d’aborder des questions intimes liées à leur divorce devant d’autres hommes, par
peur de se voir accuser de faiblesse émotionnelle. Arendell, T., « Reflections on the researcher-researched
relationship : a woman interviewing men », Qualitative Sociology, Vol. 20, N° 3, 1997, pp. 341-368., p.
348.
96
Williams C., Heikes E., « The importance of researcher’s gender in the in-depth interview : evidence
from two case studies of male nurses », Gender and Society, Vol. 7, N°2, 1993, pp. 280-291. Williams est
une femme et Heikes est un homme.
97
A contrario, Arendell constate, tout comme McKee et O’Brien, que les hommes divorcés interrogés
dans ces deux enquêtes n’ont pas hésité à proférer des propos explicitement sexistes devant leur
interlocutrice. Arendell, T., op. cit., p. 360 ; et McKee L. , O’Brien M., « Interviewing men : taking
gender seriously », in Garmarknikow D., Morgan D., Purvis J. & Taylorson D (Eds), The public and the
private, Heinemann, London, 1983, pp. 147-159, p. 158.
54
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
des faits et opinions similaires dans les deux cas.98 L’idée, par exemple,
que les infirmières seraient moins douées que les infirmiers pour les actes
techniques a été exprimée, mais elle l’a été directement et de manière
péremptoire dans le face à face avec l’interviewer, alors qu’elle s’est
appuyée sur un plus grand travail d’explication et de justification face à
l’intervieweuse.
Il nous est difficile de tirer des conclusions sur les avantages ou les
inconvénients que nous avons évoqués ici à partir de notre enquête, et ce
pour la simple raison que nous ne pouvons pas comparer nos entretiens
avec un travail similaire au nôtre, qui aurait été entrepris par un homme.
Des opinions négatives et stéréotypées à l’égard des femmes ont parfois été
exprimées, s’accompagnant ou pas de paroles ou de regards par lesquels
l’informateur signifiait son regret d’exprimer une critique qui pourrait
offenser la femme qu’il avait en face de lui; tout comme des propos
critiquant le « machisme » et/ou mettant en valeur les qualités supposées
des femmes. Il est difficile de faire la part des choses, pour ces derniers,
entre désir de se présenter sous un jour favorable à leur interlocutrice et
discours participant de la gestion d’une identité hors-normes au regard du
genre. Nous n’avons en outre pas relevé de différence notable entre
l’attitude à notre égard des pères au foyer qui entretiennent des relations
positives et proches avec des femmes et/ou qui se sentent davantage
soutenus par les femmes que par les hommes, et ceux qui sont confrontés à
des critiques particulièrement vives ou à des marques de désapprobation de
la part d’autres femmes. Nous nous contenterons de signaler que l’attitude
de neutralité bienveillante et d’acceptation inconditionnelle des propos
émis, le climat de confiance que nous avons tenté d’installer et la durée de
l’entretien visaient à limiter l’interférence entre désir de se présenter sous
un jour favorable et expression de ses pensées intimes, tout comme à mettre
l’informateur suffisamment à l’aise que pour lui permettre d’exprimer des
opinions potentiellement déplaisantes pour leur interlocutrice.
55
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
99
La recherche d’Arendell constitue à nos yeux un exemple à ne pas suivre à cet égard: le fait que la
chercheuse ait été exposée à des tentatives explicites de séduction (et à des jugements de valeur sur son
mode de vie) résulte, à notre sens, en grande partie de la posture qu’elle a adoptée (de manière réfléchie
ou non), et qui a consisté à répondre aux questions personnelles que ses informateurs lui posaient. En
donnant accès à son intimité, elle s’est éloignée de la position de chercheuse « neutre » menant un
entretien dans le cadre d’un projet scientifique. Afin d’éviter de tels glissements, nous avons
systématiquement éludé les questions portant sur notre vie privée et sur nos opinions, en signalant, sur un
ton positif, que nous étions là pour écouter notre interlocuteur et non pour parler de nous, et proposant de
reporter ce type de discussion en fin de rencontre. Nous n’avons accepté de répondre de manière
succincte qu’à trois types de questions (êtes-vous mariée, avez-vous des enfants, et êtes-vous favorable à
ce que des hommes soient pères au foyer ?), lorsqu’il nous semblait indispensable d’y répondre pour le
bon déroulement de l’entretien (voir plus bas « les hommes et la parole intime »).
100
Pour une revue de la littérature à ce sujet, lire Dulac, G., « Masculinité et intimité », Sociologie et
Sociétés, Vol. 35, N°2, pp. 9-34.
56
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
Un second élément à avoir joué dans certains cas est la familiarité avec
l’introspection, la réflexion sur soi et la verbalisation de cette réflexion. 102
101
La personne avec qui elle a été la plus difficile à atteindre, celle avec qui la conversation est restée, à
notre sens, plus superficielle, nous a été renseignée par un tiers en réponse à l’une de nos annonces, et ne
semblait pas très intéressée par cette enquête, émettant à plusieurs reprises des doutes quant à son utilité,
notamment en termes de retombées sur la situation des pères au foyer en général.
102
On notera que la plupart des hommes rencontrés avaient un niveau d’éducation élevé (supérieur non-
universitaire ou universitaire) qui allait de pair avec une facilité d’expression. Ceci dit, les deux pères au
foyer ayant un niveau d’éducation bas (secondaire inférieur) nous ont eux aussi confié des réflexions
intimes, souvent bien argumentées. Notons que seul l’un des deux est originaire d’un milieu populaire et
peu qualifié. Le fait que nous soyons nous-même issue d’un milieu assez proche peut avoir contribué à
faciliter le contact.
57
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
Nous pensons en particulier aux pères au foyer ayant une longue pratique
de séances de méditation, de séminaires de développement personnel et/ou
ayant suivi une thérapie avec un(e) psychologue. Ceci les a amenés très
rapidement, dans l’entretien, à parler de leur intimité, et a donné un tour
très construit et clair aux réflexions qu’ils ont livrées sur eux-mêmes. Ce
qui avait toutefois le désavantage de nous exposer à un discours déjà
construit en dehors de la situation d’entretien, empêchant en partie celle-ci
de fonctionner correctement, et nous contraignant à un recadrage récurrent
de la discussion. L’entretien semble pourtant avoir bien amené certains sur
un terrain nouveau ou à reconsidérer le discours préétabli, comme en
témoignent les demandes de transmission de la retranscription de
l’entretien sous prétexte qu’il aurait amené la personne à formuler et à
découvrir des choses qui n’avaient pas été révélées par le travail
thérapeutique entamé auparavant.
58
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
59
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
Une fois réalisés, les entretiens ont tous été retranscris dans leur
intégralité. Nous avons nous-même fait ce travail pour la plupart des
entretiens, afin de nous imprégner le plus possible du matériau. Les six
derniers entretiens ont été retranscris par une tierce personne, pour des
raisons d’ordre pratique, et analysés après que nous ayons vérifié la qualité
de la retranscription en la comparant à la bande enregistrée.
Tous les entretiens ont fait l’objet dans un premier temps d’une
analyse individuelle, afin de dégager la cohérence propre à chaque
discours. Ces analyses, réalisées au fur et à mesure de la récolte des
données, nous ont également permis de dégager progressivement les
catégories d’analyse, laquelle a été réalisée en nous appuyant sur le logiciel
NVivo. Lors de chaque analyse individuelle, les catégories repérées ont été
confrontées à celles dégagées précédemment, les enrichissant ou apportant
de nouvelles catégorisations. Une fois ce travail exploratoire achevé, une
première analyse transversale a été effectuée sur base de 14 analyses
individuelles. Celle-ci a permis de tester et d’enrichir la structure d’analyse
construite au fil du temps. Les entretiens suivants ont également été
analysés individuellement, puis injectés dans l’analyse transversale,
apportant de nouvelles informations au fur et à mesure que des profils
variés venaient compléter notre corpus d’entretiens, et ce jusqu’à ce qu’un
niveau de saturation soit atteint, et que les hypothèses et modèles
d’interprétation soient stabilisés.
60
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
104
Maroy, C., « L’analyse qualitative des entretiens », in Albarello L. et al., op. cit., pp. 83-110, p. 94.
61
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
62
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
chômeur cohabitant de 300 euro net par mois. Il vit en couple avec
Claudine, 41 ans, diplômée du secondaire supérieur, fonctionnaire et
concierge. Elle touche environ 1.250 euro par mois, et bénéficie d’un
logement de fonction. Ils ont deux garçons, Pascal (7 ans) et Romain (5
ans), nés après le licenciement de Christophe.
63
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
64
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
105
Dans cette recherche, il porte le pseudonyme de Jean-Claude. Marquet J. (coord), op. cit., p.13.
65
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
informaticienne ayant un salaire mensuel net supérieur à 2.000 euro. Ils ont
4 enfants: Marc, Emeric, Emmanuelle et Béatrice. Les trois premiers
étaient âgés respectivement de 11, 8 et 3 ans au moment de l’arrêt de travail
de leur père, qui a coïncidé avec la naissance de la cadette. Notons que
Joseph fait partie de l’aristocratie belge.
66
Chapitre 2. Dispositif méthodologique
67
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
106
Les lecteurs qui souhaiteraient passer directement au vif du sujet de la thèse trouveront dans la
conclusion de ce chapitre un résumé détaillé des éléments qui y sont présentés.
69
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
nous opérerons prend son origine dans les récits mêmes des personnes
interrogées : nous commencerons donc par aborder les tâches domestiques,
puis celles liées au soin des enfants. A cette occasion, nous lèverons déjà
un coin du voile sur la suite de cet ouvrage, la question de la participation
aux tâches offrant un premier aperçu de quelques uns des mécanismes que
nous analyserons dans les chapitres suivants.
70
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Dans les récits que nous avons recueillis, ce qui frappe avant tout,
c’est la multiplicité de facteurs qui sont invoqués pour expliquer le
processus qui a mené à la situation de père au foyer. Ces facteurs se
combinent de manière variable et ne sont pas tous mentionnés à chaque
fois. Nous les avons regroupés en sept catégories : les valeurs, le temps et
la qualité de vie ; la sphère professionnelle ; un calcul coûts-bénéfices ; la
partenaire ; les problèmes organisationnels ; le rapport à la génération
précédente ; et l’âge des parents.
Joseph : On avait envie quand même, si on décide d’avoir une famille et une
famille nombreuse c’est pas pour que ce soit quelqu’un d’autre qui s’en
occupe et donc voilà ben la décision a été prise que ben c’est moi qui
arrêtais. Et que je m’occupais des enfants, de la famille, de tout. Et que elle,
elle continuait à travailler.
Serge : Mais pff, déjà depuis que j’étais adolescent, je m’étais dit que si je
fondais une famille et qu’on avait les moyens, qu’il y ait une personne qui
reste à la maison pour élever les enfants, ce serait quand même mieux que
de les voir à la crèche, à la garderie, et qu’ils ne voient jamais leur parents,
quoi.(…)
71
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Geert : Si, les enfants, je dis non maintenant il faut absolument le faire
maintenant ! Parce que si je le fais dans 2 ans, ils ont 2 ans de plus, ou dans
4 ans, c’est trop tard. J’ai vraiment trouvé que c’était maintenant qu’ils
avaient besoin de moi
Cette peur que les enfants grandissent sans que leur père les ait
réellement connus se retrouve dans plusieurs témoignages, comme dans
celui de Daniel.
Daniel : mais je ne le voyais pas, hein. Or un enfant, bon moi, j’ai quitté en
91, donc il avait 5 ans, heu il allait entrer en première primaire. Mais j’ai
dit: « mais si je continue ainsi, mon fils, il va grandir je ne vais jamais le
voir ».
72
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Yvan : Puis il y a une autre chose aussi quand vous m'avez dit euh, euh, et
que quelqu'un d'autre s'en occupe je, j'ai un peu de méfiance aussi par
rapport aux, aux crèches et tout ça. (…) je veux dire euh c'est parfois une
éducation un peu euh pff on prend un peu les enfants pour des cons.
Brice : Je vois pas pourquoi on irait confier les enfants à d’autres. Dans des
structures d’accueil où ils sont…pff. On n’a pas le temps dans les structures
d’accueil de s’occuper d’un enfant convenablement. C’est mon avis. Il y en
a d’autres qui préfèrent confier l’éducation de leurs enfants aux
spécialistes. Disons que au niveau des enfants, moi j’ai une expérience
tellement négative de l’enseignement des gens, des enfants qui n’ont pas été
élevés, que je veux pas faire la même chose avec mes enfants. Les enfants ne
sont plus éduqués. Alors moi je veux pas faire ça avec mes enfants.
Colin: Ben avec ma femme on trouvait que les journées démarraient à 200 à
l’heure et se terminaient à 200 à l’heure. Et fallait lever les enfants très tôt
pour les conduire, à l’époque ils étaient encore tout petits, aller les
conduire chez la gardienne, puis elle devait rentrer vite fait du boulot pour
aller les rechercher… fin c’était toujours comme ça.
Hervé : (…) je travaillais donc pour la société R. et alors mon enfant était
dans une crèche. Et c’était déjà compliqué parce que mon horaire parfois
c’était, enfin en général, je travaillais l’après-midi mais c’était jamais
précis l’heure à laquelle je devais arriver. Et alors on l’a inscrit à la
crèche. (…) et puis il a commencé à avoir des bronchites et c’est devenu
l’enfer quoi parce qu’il fallait, à la crèche ils ne le veulent plus quand il a
une bronchite. On devait chaque fois s’arranger pour s’occuper de lui. Et
puis à mon boulot ils me demandaient parfois de venir le matin et moi je ne
savais pas comme ça. Ils aimaient bien que je sois souple et j’arrivais pas.
Ca c’était vraiment problématique quoi.(…)
Laurent: Euh et donc, euh, c’est vrai que très rapidement je me suis rendu
compte, mais en fait, si je me mettais à travailler à Paris, je me mettais à
chercher du travail, qu’est ce qu’on va faire au moment des vacances? (…)
Donc, c’est vrai que pour moi, je trouve ça hyper stressant euh de me dire
pour chaque vacances, il faut se casser la tête pour trouver des solutions.
73
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Euh, chaque fois qu’ils sont malades, c’est le stress. Pff je trouve ça hyper
fatiguant mentalement, euh…. Toujours devoir faire face in extremis à
toutes ces situations
Karl : c’est bien ça… alors premièrement, c’est bien sûr une chance d’être
avec mes enfants. Bien sûr! (…)Et je voudrais vraiment avoir un contact,
que mes enfants dans quinze ans qu’ils viennent chez moi pour dire:«j’ai un
problème avec ça,».
Philippe: j’avais aussi le temps pour reconstruire un peu des relations dans
le temps avec mes enfants. Parce que vers la ‘fin quand je travaillais avec
les enfants en psychiatrie, j’avais des problèmes de disponibilité quand je
rentrais à la maison, d’agacement de mes propres enfants, j’avais un peu
une fatigue nerveuse que je me voyais renvoyer à mes enfants sans le
vouloir quoi. Donc je n’étais plus assez disponible pour mes enfants.
Joseph : Vous savez quand vous voyez vos enfants, quand vous rentrez et
vous les voyez 5 minutes et que eux-mêmes sont hyper énervés parce que
vous êtes là et que ils veulent tous vous raconter des tas de choses et des tas
de trucs, ben si vous-mêmes vous n’êtes pas réceptif parce que justement
vous êtes stressé, vous en avez ras-le-bol de la journée que vous avez eue et
ainsi de suite, ben fatalement ça, ça éclate et ça dégénère. (…) on s’est
rendu compte qu’en fait ben on voyait pas les enfants grandir, on savait pas
ce qui se passait à l’école, on n’avait plus de vie de famille
107
Ce discours se retrouve aussi bien à l’origine de la décision de rester au foyer que dans la gestion de
cette situation, comme nous le verrons plus loin.
74
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Solange: Et lui râlait parce qu’il ne m’aidait dans rien mais il se rendait
bien compte qu’il n’aurait pas su. Et moi j’en avais un peu marre de courir
sans arrêt aussi donc.
3.1.1.2. Sphère professionnelle
Hervé: A mon avis, si je suis père au foyer aujourd'hui, c’est un peu par
facilité, c’est parce que j’ai, j’avais un boulot intérimaire qui a duré quand
même 7-8 mois et puis un jour la société a arrêté, est tombée en faillite. Et
alors, je suis dit, « qu’est-ce que je vais faire, commencer encore de
nouveau à chercher un boulot ? » J’avais un garçon et il fallait payer la
crèche… alors je me suis dit, oh tant pis, je vais rester à la maison et
m’occuper de lui… (…) je ne suis pas culpabilisé de rester à la maison. Je
sais ce qui m’attend de l’autre côté.
Hervé : Oh j’ai fait beaucoup de boulots dans le social comme TCT et ACS.
(…) C’est « 3ème circuit de travail ». Quand vous êtes au chômage, après
75
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
quelques temps, c’est un peu comme si vous aviez un diplôme en plus quoi,
vous remplissez certaines conditions et alors, les employeurs sont motivés
de vous engager. (…) grâce à ça, j’ai fait des remplacements. J’ai remplacé
une pause carrière là dans une pouponnière, c’était super sympa. (…)
Alors, j’ai travaillé aussi dans une maison de quartier à M. et là il y avait
des activités avec les jeunes du quartier. C’était aussi sympa. Alors qu’est-
ce que j’ai fait, j’ai travaillé aussi pour le C., ça c’est une organisation qui
aide les handicapés à se réintégrer dans la vie. Et puis, j’ai travaillé euh pff
qu’est-ce que j’ai fait, j’ai travaillé un peu dans le bâtiment aussi, comme
intérimaire. Puis, j’ai travaillé oh là là, avec le temps… mon dernier boulot,
c’était pour R., c’est une société en fait qui euh … c’était pour les gens qui
n’avaient pas le temps d’aller faire leurs courses et qui faisaient leur
shopping via Internet.(…)
L.M:Vous avez toujours travaillé en intérim ou dans des contrats à durée
déterminée?
Hervé: Oui. Et à la poste aussi. Une fois l’Orbem m’a envoyé à la poste,
j’étais sous-percepteur, j’étais au guichet. Ca c’était ma 1ère expérience.
(…) voilà, enfin. (Silence) Je sais plus j’essaie de réfléchir, faudrait presque
que j’aille chercher ma farde avec toutes mes déclarations d’impôt pour
voir (rire).
Didier : Donc euh voilà donc euh point de vue boulot après mon service
militaire, j’ai travaillé un petit peu. Mais ça a été à mi-temps, ça a été des
week-ends donc j’ai jamais eu un emploi euh à temps plein ni vraiment euh
fixe ni très intéressant.
Brice : Je trouve que le fait de travailler, c’est pas vraiment le travail qui
me gêne, c’est la contrainte qui va avec le travail. Avoir, devoir absolument
aller tel jour à telle heure à tel endroit pour faire quelque chose dont
finalement tout le monde se fout.
76
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Il lie les contraintes qui pèsent sur toute activité professionnelle aux
horaires imposés et à la subordination à un patron ou un supérieur
hiérarchique. Brice dit avoir besoin de maîtriser ce qu’il fait. Et puis il ne
voit pas les fruits de son travail. Lorsqu’il était ouvrier oui, il faisait un
travail concret, il voyait son travail avancer au fil de la journée, mais le
travail d’ouvrier était trop pénible pour lui. Par contre, quand il était
chercheur à l’université, puis lorsqu’il est devenu professeur de
mathématiques il a eu le sentiment que son travail ne servait à rien parce
qu’il ne produisait pas de résultats tangibles. On sent chez lui une certaine
amertume par rapport à son passé de chercheur, même s’il n’en parle pas
ouvertement. Il nous dira pourtant à la fin de l’entretien, hors-micro, que
«le problème avec les chercheurs c’est que quand ils ont trouvé, on les
vire». Il s’étend davantage sur les inconvénients du métier d’enseignant
dans le secondaire. C’est un métier stressant, qui n’est pas valorisé par la
société, qui est insécurisant étant donné l’incertitude dans laquelle on se
trouve tant que l’on n’est pas nommé.
Brice : Moi avant d’être nommé tous les ans je perdais mon emploi. Au 30
juin je perdais mon emploi hein. Et j’étais pas sûr de le ravoir en
septembre. Et il fallait continuer à vivre quand même.
Brice : (…) quand j’étais prof j’avais beau me pointer tous les jours à
l’heure dans ma classe, à la fin de l’année j’avais vraiment l’impression
que j’avais rien fait quoi. C’était, quand on voyait les examens on se
demandait «mais bon dieu à quoi on a servi pendant 1 an?». C’était, ce
métier d’enseignant était dévalorisant pour moi sans compter qu’il est
dévalorisé dans la société aussi
77
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Daniel: Et en 90, 91, là j’en ai eu marre de la banque. Parce que bon, moi,
après 7 à 8 ans, je commence un peu à en avoir assez, quand on connaît, on
s’ennuie.
Daniel: Moi, je préférais l’ancien système hein (…) chacun avait son
marché quasi monopolistique dans son créneau et dans sa clientèle. Et
pouvait donc garantir à son personnel tel niveau de revenus. Ils ont tout
libéralisé. (…) Evidemment on rentre dans une société, où tout se met en…
comment?...J’oublie le terme ici, donc, une société de capitalistes purs
c'est-à-dire, abaissement des coûts au minimum, maximisation du profit de
façon immédiate et à courte vue. (…) Moi on m’a tout changé. Je suis entré
à la banque euh j’avais une carrière pleine promise. Donc je suis entré avec
50.000 net par mois en 1984, après 4 ans je devais passer conseiller
adjoint, et après 10 ans, conseiller. Donc en 1984 j’avais 28 ans. Donc à 38
ans comptez que je pouvais être à 150.000 net par mois. En cours de route
les 4 ans sont devenus 6 ans. Et le truc supérieur était supprimé. C’est ça
qui m’a fait quitter aussi. (…) c’était comme un pion hein à l’armée. Tu fais
ce qu’on te dit de faire et tu te tais! Ca a été à un point où j’ai dit un jour à
notre chef, je ne sais plus ce qu’il nous sortait encore comme connerie,
«c’est pas la peine de recruter des universitaires pour nous demander de
nous taire. Alors recrutez des cons, ils ne diront rien et vous serez content.
Et en plus vous ferez des économies, ils vont coûter moins cher». C’est aussi
pour ça que je suis pas resté hein.
78
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
79
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Donc, ils sont élevés quasiment mono parental. Soit la mère suit le mari et
ça ne va pas non plus, enfin, pour moi, hein. J’ai des amis qui sont
expatriés. (…) Ils sont partis, ils sont probablement aux Philippines, ou je
ne sais où, ils gagnent beaucoup d’argent. Je ne les envie pas, hein. Mais
seulement la dernière fois que je l’ai vu, qui marchait, qui courait, qui avait
deux ans, à trois ans, il était retombé dans la petite enfance et il avait
quasiment recommencé à ramper. Ah, on avait des boys, on avait des
jardiniers, etc, mais l’enfant était livré à lui-même et c’était quasiment, il
avait régressé terriblement. (…)Finalement bon…on s’est dit, bon…il vaut
mieux rester ici. On s’est dit, bon, au niveau matériel, on ne gagne pas
beaucoup d’argent, c’est pas ça mais, il y a la qualité de vie, quoi.
Yvan : J'avais pas une grande envie de travailler non plus ‘fin je veux dire
j'aime bien faire les choses mais j'étais pas poussé euh oui pas une grande
envie d'aller m'engager dans un bureau ou un truc comme ça quoi, j'aime…
Et puis d'un autre côté aussi ben je trouve que c'était pas mal de pouvoir
s'occuper plus de ses enfants quoi. (…) on avait la possibilité financière
aussi même si au début comme ma femme travaillait à mi-temps ben on s'en
sortait quoi. (…) il n'y avait pas de garderie dans la commune, ‘fin pas de
crèche dans la commune. (…) Puis il y a une autre chose aussi quand vous
m'avez dit euh, euh, et que quelqu'un d'autre s'en occupe je, j'ai un peu de
méfiance aussi par rapport aux, aux crèches et tout ça.
Dans les deux cas, on notera qu’il aurait, selon eux, été possible de
trouver un emploi, mais en acceptant soit qu’il ne corresponde pas au
niveau d’études ou qu’il implique une expatriation dans le cas de Jean-
Paul, soit qu’il ne soit pas intéressant et/ou valorisant dans le cas d’Yvan.
Le fait que la partenaire soit salariée a permis à ces deux hommes de
refuser les emplois qu’ils ne jugeaient pas convenables.
80
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
congé. J’avais quand même des horaires assez compliqués plus c’est un
métier aussi assez harassant.
Colin : j’en avais vraiment marre. Je partais tôt le matin pour déposer les
enfants à l’école parce que je commençais à 8h30 et je finissais à 18h00, à
E. donc grosse demi-heure de route. Je rentrais à 18h30-19h parce que je
finissais pas souvent à l’heure. Donc c’était rentrer, juste les voir une demi-
heure et ils allaient coucher donc ça m’intéressait pas.(…)
L.M : Et votre boulot vous plaisait?
Colin : Oui.
L.M : C’était simplement le fait de ne pas être beaucoup à la maison?
Colin : Pas voir les enfants.
Joseph : C’est un travail qui, qui me plaisait tout à fait, certainement. C’est
quelque chose que j’avais choisi donc c’est une orientation qui me plaisait
énormément (…) Et je m’étais rendu compte qu’en fait c’est au niveau
communal que ça m’intéressait le plus parce que c’est vraiment là qu’on
peut je dirais toucher les gens et faire le meilleur travail au niveau
environnemental. Donc ben voilà c’est (soupir). (…) bon moi il arrivait
parfois que je devais faire des, parfois je devais rég…, chaque semaine je
devais faire au moins faire une à deux gardes le soir donc je rentrais pas
avant 20h du soir.
Karl : J’ai pensé aussi: je vais travailler aussi toute ma vie. Et désolé si je
vous dis comme vous, vous allez travailler dans deux mois ou dans un an.
Mais après dix ans, c’est un peu les mêmes. Même que je suis président ou
même que je travaille avec des autres choses, c’est travail. Il y a des autres
noms dans l’étiquette, mais c’est le même. Un peu!
81
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Grégoire : et puis j’ai donné mon préavis comme ça sur un coup de tête, en
me disant que bon de toute façon mon épouse avait quand même un bon
salaire.
Brice : C’est comme ça et elle a, elle, elle est dans un schéma où elle ne
peut pas ne pas travailler. Elle peut bien rester à la maison 6 mois quand
elle a des congés de maternité mais il faut qu’elle retourne travailler. Elle
ne saurait pas faire autrement. Et dans sa famille elles sont toutes pareilles,
hein. Elles sont trois sœurs et il n’est pas question qu’il n’y en ait pas une
qui travaille quoi. Elles ont été conditionnées pour travailler donc elles
travaillent. Elles ne peuvent pas imaginer de ne pas travailler.
108
A l’exception d’Anne, la femme de Claude.
109
Le salaire mensuel brut moyen des femmes travaillant en Belgique s’élevait à 2.239 euro en 2003
(données Statbel), ce qui correspond à un salaire mensuel net moyen d’environ 1.400 euro dans un couple
bi-actif avec un enfant à charge.
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Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Laurent : Sans compter encore que mon épouse, par son travail, euh, elle
est partie trois fois l’année dernière 15 jours à l’étranger: Cambodge, Inde,
Népal… Donc quand elle part, ben elle n’est pas là pendant 15 jours, mais
pas là, ça veut dire, pas là du tout. Euh, quand elle revient, elle est fatiguée,
ce n’est pas un reproche, mais elle est fatiguée, donc on ne peut pas dire
que quand elle revient, elle est tout de suite opérationnelle.
Joseph : Si mon épouse était appelée à droite, à gauche elle rentrait aussi
vers 19h-19h30-20h00 donc elle voyait parfois plus les enfants.
Geert: non, non, c’est évidemment quelque chose qu’on a beaucoup discuté
ensemble. Oui, sans elle, je ne l’aurais pas fait. Parce que j’étais dans un
métier que j’aimais bien, que j’avais créé, où les gens avaient la gentillesse
de dire qu’ils m’appréciaient et c’est un métier de relations publiques.
Donc, c’est très très important parce que et les ministres et l’homme de la
rue, le sportif de tous bords, de toutes cultures, me connaissaient et je les
connaissais, donc c’était évidemment, c’était un très très grand
changement. Et ça, c’était bien pesé.
L.M: Bien discuté ensemble.
Geert: Ah oui, tout à fait, tout à fait discuté ensemble, oui, oui. Ici, c’était
aussi privilégier son parcours professionnel, le sien, le mien étant presque
au bout.
83
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Daniel: Et alors là s’est déjà posé le premier choix. Je lui ai dit: « écoute,
je ne vois pas pourquoi je continuerais à travailler, tu gagnes très bien ta
vie, étant médecin spécialiste à ton compte» elle ne dépendait pas d’un
hôpital, le gamin est né en 87, donc il avait 5ans. Je dis: «moi, je peux très
bien rester à la maison. Parce que travailler, quand moi je fais tout mon
110
C’était le cas chez Christophe, Colin, Didier, Jean-Paul et Joseph. La partenaire d’Yvan aurait souhaité
réduire son temps de travail de manière permanente, mais pas au point de rester à la maison à temps plein.
Et Ingrid, la femme de Karl, a pris un congé parental avant son mari.
84
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
décompte, heu, il faut payer la voiture, heu, 12 heures parti par jour, et je
décompte ce que je gagne net, les femmes de charges à payer au noir.
L’entretien de la maison à payer les types au noir, quand je décompte tout»
je dis: «pour finir, je travaille pour rien, on court tous les deux comme des
fous, moi, ça ne m’intéresse pas».
Colin : On s’est dit ça peut plus durer, y en a un de nous deux qui va arrêter
de travailler et le choix c’est fait à celui qui gagnait le moins. Donc c’est
moi (rire). En plus elle travaille pas trop loin et moi je travaillais assez loin
donc en plus. Voilà.
Joseph : Alors donc on a…on a réfléchi bon elle, elle avait un salaire qui
quand même était plus élevé que le mien, elle avait un contrat à durée
indéterminée, une garantie de progression dans le… dans sa boîte. Moi
j’étais à des contrats à durée déterminée sans garanties
Parmi les éléments matériels entrent également en compte les frais liés
à la rénovation du lieu de vie, qui peuvent être économisés par la prise en
charge des travaux par le père au foyer.
John: Quand nous avons acheté par exemple cette maison en 1996 c’était,
on a réalisé que ce serait un long, long projet de rénovation. Et c’est
toujours en cours en ce moment donc il y a toutes sortes de choses, je suis
tout le temps en train de rénover. Et tout à l’heure dans l’après-midi, quand
vous serez partie, je vais travailler en haut dans euh notre chambre, que
nous sommes en train de faire rénover. Je ne fais pas tout moi-même mais il
y a plein d’autres choses que je fais dans la maison.
85
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Donc, il y a des revenus indirects qui font finalement que tout l’un dans
l’autre…
Dans certains cas, le bilan financier est nul, voire positif. C’est
notamment le cas pour John et pour Joseph.
John: L’autre chose, c’est que la nature du système fiscal est telle que cela
n’augmente en fait pas notre, notre revenu de manière significative si je, si
je gagne de l’argent. Et c’est une chose qui a un effet sur ma motivation
aussi. On pense « et bien il y a peut-être d’autres choses utiles dont je peux
m’occuper ».
Joseph : (…) tout mon salaire je dirais que je gagnais ben il servait à, à
payer toutes ces dames qui venaient ici et ainsi de suite. Donc
financièrement parlant mon salaire je dirais ne servait à rien
Laurent: Et, enfin, juste pour un peu, euh, c’est vrai que comme on a un peu
d’argent derrière nous
111
C’est le cas pour Claude, Joseph, Laurent, Philippe et Serge
86
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
je ne sais pas quoi, enfin, dans les plus chanceux. Et c’est vrai que oui,
c’est bien, je ne critique pas, enfin, c’est leur manière de voir les choses.
Euh, mais je me dis: « peut-être que, peut-être que je me trompe, peut-être
que je regretterai, peut-être que mes enfants me le reprocheront, peut-être
que c’est bien de faire un peu moins fructifier cet argent et de l’utiliser un
peu pour ce que je vis actuellement» pour palier comme on dit: «arrondir
les fins de mois» grâce à ça. C’est un investissement comme un autre.
87
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
le genre de style de vie où vous pouvez limiter le temps que vous passez au
travail et protéger le temps que nous avons avec notre famille. Et la
meilleure solution si l’on prend tous les facteurs en considération – vous
savez le fait que, vous savez, si vous travaillez dans le domaine juridique
votre salaire sera plus élevé que si vous travaillez dans l’enseignement -,
cela semble être la meilleure solution. Donc c’est lié aux circonstances,
c’est une sorte de, c’est juste comme ça vous savez, il se trouve que c’est
comme ça.
Hervé: mais c’est qu’elle a investi plus dans les études quoi. Elle aurait été
plus mal, aurait été plus culpabilisée. (…) Je n’ai pas trop de diplôme donc
je n’ai pas grand chose à perdre quoi. Mais le jour où je dois travailler
naturellement c’est plus difficile. Et si je dois travailler je vais trouver un
boulot à mon avis pas terrible comme je n’ai pas beaucoup de diplômes et
tout ça. Tandis que ma femme elle a un bon diplôme. Elle a un diplôme de
droit donc d’abord elle va gagner mieux sa vie. Moi je vais avoir un salaire
de misère. C’est l’avantage. C’est ça aussi qui m’a motivé à rester à la
maison quoi. On a un peu pesé le pour et le contre.
88
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Joseph : Parce que je sentais bien également, dans la décision, je dirais que
je sentais bien que le, mon épouse est une intellectuelle et beaucoup moins
une manuelle. Donc fatalement rester enfermée à la maison n’est pour
quelqu’un je dirais d’intellectuel qui a besoin d’un travail intellectuel, c’est
pas l’idéal. Et donc elle risquait là aussi de se retourner et de se, de s’aigrir
je dirais. C’est un risque. Je sais pas si ça se serait produit ou pas hein je
n’en sais rien. Mais donc là aussi c’est quelque chose qui a pesé dans la
balance.
Serge : ben, elle aime bien d’aller travailler, elle aime bien d’aller
travailler. Je crois qu’elle a plus besoin de relations sociales extérieures
que moi. D’ailleurs, je vois bien ça, quand on est en congé et tout ça, et
qu’elle reste, je ne sais pas moi, qu’on ne part pas, qu’elle reste une
semaine à la maison, je vois qu’elle tourne un peu en rond, et…
L.M: Elle a besoin d’être un peu à l’extérieur, heu…
Serge : plus que moi.
Joseph : (…) ça c’est aussi un, je dirais un, un critère qui a pesé dans la
balance, c’est que si moi je, j’avais continué à travailler et que mon épouse
avait arrêté, comme elle n’est pas bricoleuse, ça veut dire que c’était
systématiquement moi quand je rentrais le soir ou le week-end je devais
passer mon temps à bricoler.
3.1.1.4. La partenaire
89
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Laurent : En fait c’est plutôt ma femme qui m’a convaincu que j’étais
quelqu’un de fort occupé. C’est vrai que je l’étais quand même, mais
j’estimais que j’avais quand même des horaires relativement sympas. C'est-
à-dire que je partais jamais avant 9h du matin. Et c’est vrai que parfois, je
rentrais à 18h, mais parfois il était 20h, voire plus tard, mais enfin, plus
tard, c’était exceptionnel, on va dire deux fois par mois. Et puis, c’est vrai il
y avait des périodes de rush, on va dire, euh, maximum quatre mois par an
où là c’était vraiment…. Enfin, vraiment intensif. Et puis, même si j’avais
des horaires relativement sympas, c’est un boulot où on doit être joint 24h
sur 24 et c’est vrai que le téléphone sonnait souvent à la maison, etc. Et que
à la fin, comme ça stressait mon épouse, ben, moi, ça me stressait d’autant
plus. Et ça devenait de plus en plus difficile … enfin, je ne vais pas dire
ingérable, mais en tout cas difficile à gérer comme situation de vivre ce
boulot autant que je voulais le vivre avec mon épouse derrière euh bon. (…)
Et donc, euh, il y avait… j’étais un peu tiraillé parce que autant j’aimais
bien ce que je faisais, je me donnais à fond dans ce que je faisais, autant je
me rendais compte que ma femme était de moins en moins heureuse dans sa
situation de mère au foyer (…) Et quant à mon épouse, elle était toujours en
train d’un peu, ça a toujours été un peu latent dans notre couple, toujours
un peu en train de ruer dans les brancards, parce que elle ne travaillait pas
et qu’elle n’était pas si bien que ça à la maison, qu’elle avait besoin
d’étudier et de travailler…
90
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Laurent : [mon frère] avait entendu via, via, que telle ONG cherchait une
personne ayant tout à fait le profil, pas de chance ou chance, de mon
épouse. Euh, et donc, euh, sans du tout y croire, elle m’a dit: « ben, tiens,
est-ce que je…étant donné la situation, tu n’aimes plus trop ton boulot
parce que les choses ne se développent pas comme prévu, ton boss est là, la
pression est là, hein… est-ce que je ne me mettrais pas en tête de solliciter
dans cette ONG?» Alors je lui ai dit:« ben, oui, évidemment super! Si c’est
une opportunité pour toi, pour moi qui sait …» Mais on ne savait pas du
tout dans quoi on se lançait, évidemment. Et puis finalement, ben, euh, il y a
eu un premier rendez-vous, puis un second, puis un troisième à Bruxelles, et
alors, là, on se disait: « aïe, aïe, aïe! Ça se confirme,» et puis paf! Elle a été
retenue.
Laurent : Euh, on s’était dit que ce serait pour nous un bon moyen de
revenir à Bruxelles. Et pas de chance parce que finalement quand on lui a
dit: « oui » on lui a dit «au fait le poste, on vous avait annoncé que c’était à
Bruxelles, mais finalement on a un peu changé notre fusil d’épaule, et ça
va être à Paris.»
91
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Notons que dans ce cas, ainsi que dans celui de Serge par exemple,
c’est parce que la partenaire ne souhaite pas/plus assumer le rôle de mère
au foyer alors que la présence d’un parent est primordiale pour le père, que
celui-ci devient père au foyer.
par l’absence de place dans des structures d’accueil ou leur coût trop
élevé ;
Laurent: Euh et donc, euh, c’est vrai que très rapidement je me suis rendu
compte, mais en fait, si je me mettais à travailler à Paris, je me mettais à
chercher du travail, qu’est ce qu’on va faire au moment des vacances?
Parce que, il y a plus ou moins quatre, cinq mois de vacances sur l’année
92
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Serge : Donc, on a eu le premier, et… pff la crèche, ça n’allait pas pour lui,
il était tout le temps, tout le temps malade, le pauvre. Il faisait des
allergies, il a fait des bronchites. Et puis le pédiatre a dit: « bon, si on
continue comme ça, il va faire une bronchite chronique, ça va l’handicaper
pour plus tard» Bon, il a bien fallu prendre la décision tout de suite quoi.
L’éducation reçue à la maison n’est que peu présentée dans les récits
comme modèle ayant façonné les pratiques actuelles. La référence à cette
socialisation familiale intervient de deux manières dans le processus de
passage au foyer. Comme référence négative, quand les hommes déclarent
avoir été motivés par l’envie de ne pas reproduire le comportement de leurs
parents – et en particulier de leur père - mais au contraire d’investir dans
une autre forme de paternité ; et comme référence positive, mais
généralement par rapport à la mère cette fois, dans les cas où ils déclarent
avoir été motivés par l’envie d’offrir à leurs enfants ce que leur mère, au
foyer, leur a donné lorsqu’ils étaient jeunes.
Colin: Non moi c’est l’inverse. Moi j’étais malheureusement je pense que
j’ai jamais été désiré et, et on me l’a fait souvent sentir. Donc moi j’ai été à
l’internat très jeune. Et à mon avis je veux faire l’inverse. Je veux faire
l’inverse. J’ai été élevé par ma grand-mère donc le week-end, ‘fin la
semaine j’étais à l’école le week-end on me déposait chez ma grand-mère.
Grégoire : Oui. Parce que… mes parents ont divorcé que j’avais 8 ans, et
ça fait que j’ai pratiquement jamais connu mon père. Et ‘fin je sais qu’il
s’est vraiment jamais occupé de moi. Et même après je vais dire, bon il
habitait pas tellement loin puisqu’il habitait à X, et je ne le voyais jamais et
il ne voulait pas me voir. Il ne s’est jamais occupé de moi. Donc euh ça a
quand même toujours été un manque
Joseph : Et la deuxième chose ben j’ai vu que ma mère était, en étant mère
au foyer était je pense équilibrée et satisfaite comme elle était et qu’elle
était toujours à notre disponibilité et donc c’était très important pour nous
aussi. Et donc il fallait qu’il y ait au moins un des deux qui, qui soit
disponible pour les enfants.
3.1.1.7. Age des parents
93
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Geert : Et alors pour arriver au bout, donc j’avais 60 ans et j’étais inquiet
par les négociations sur la prépension, la préretraite bon, ceci et beaucoup
d’autres choses c’est parce que c’est quand même un petit peu systémique
hein, c’est pas les enfants. Si les enfants, je dis non maintenant il faut
absolument le faire maintenant ! Parce que si je le fais dans 2 ans, ils ont 2
ans de plus, ou dans 4 ans, c’est trop tard. J’ai vraiment trouvé que c’était
maintenant qu’ils avaient besoin de moi et qu’ils pouvaient m’apporter
quelque chose. Et donc administrativement, il y avait cette interrogation sur
la préretraite et voilà, conclusion, je me suis donc lancé et j’ai demandé ma
préretraite pour m’occuper des enfants. (…).
3.1.1.8. Mise en perspective
Les différents facteurs que nous avons dépeints ici, ainsi que la mise
en avant de leur caractère combinatoire – montrant ainsi que l’entrée dans
la situation de père au foyer est fondée sur un ensemble complexe
d’éléments qui se renforcent mutuellement – sont tout à fait en phase avec
les résultats d’autres études menées depuis les années 1980 sur les pères au
foyer et/ou sur les pères qui prennent en charge la responsabilité première
du soin des enfants en réduisant notamment leur temps de travail de
manière significative, et ce en dépit de la diversité des approches et
méthodologies utilisées ainsi que des publics ciblés, notamment en termes
géographiques.112
112
Les études auxquelles nous faisons référence ici ont été menées en Australie, au Canada et aux Etats-
Unis, et privilégient tantôt une approche psychologique et causale de la paternité au foyer, tantôt une
approche sociologique et compréhensive, les deux se distinguant à la fois par la méthodologie (les
premières reposant majoritairement sur des enquêtes par questionnaire alors que les secondes privilégient
les entretiens semi-directifs) et par l’objectif recherché, les psychologues tendant plutôt à identifier les
déterminants permettant de prédire l’implication paternelle au-delà de l’échantillon analysé. Il s’agit, dans
l’ordre alphabétique de : Doucet A., « It’s Almost Like I Have a Job, but I Don’t Get Paid : Fathers at
Home Reconfiguring Work, Care and Masculinity », Fathering, Vol. 2, N°3, 2004, pp. 277-303; Gerson
K., No Man’s Land. Men’s Changing Commitments to Family and Work, Basic Books, New York, 1993;
Harper J., Fathers at Home, Penguin Books, New York, 1980; Grbich C.F., « Male primary caregivers in
Australia : the process of becoming and being », in Acta Sociologica, Vol 40, pp. 335-355; Lutwin D.,
Siperstein G., « Househusband Fathers », in Hanson S., Bozett F., Dimensions of Fatherhood, Sage
Publications, London, 1985, pp. 269-287; Radin N., « Primary Caregiving Fathers of Long Duration », in
Bronstein P., Pape Cowan C., Fatherhood Today. Men’s Changing Role in the Family, John Wiley and
94
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Sons, New York, 1988, pp. 127-143; Russell G., « Shared-Caregiving Families: An Australian Study », in
Lamb M. (Ed), Nontraditional Families: Parenting and Child Development, Lawrence Erlbaum
Associates, London, 1982, pp. 139-171; Russell G., The changing role of fathers ?, University of
Queensland Press, St Lucia, Queensland, 1983; Russel G., « Problems is Role-Reversed Families », in
Lewis C., O’Brien M., Reassessing Fatherhood. New Observations on Fathers and the Modern Family,
Sage Publications, London, 1987, pp. 161-179; Smith C.D., op. cit., pp. 138-172.
113
Gerson a mené une enquête sociologique auprès de 138 pères vivant à New York au début des années
1990. Parmi eux, 33% se présente comme des «pères impliqués », désireux de participer davantage que
leurs pères au soin des enfants. 39% d’entre eux, soit 13% de l’échantillon total, prenaient ou prévoyaient
de prendre en charge le soin des enfants entièrement ou à égalité avec leur compagne. Gerson K., op. cit.,
p. 1-12.
114
Doucet A., op. cit. Dans cet article, Doucet, sociologue canadienne, se centre sur les récits de 70 pères
vivant au Canada et ayant été au foyer avec leurs enfants pendant 1 an au moins. Sur ces 70 personnes, 64
vivaient en couple. Ces hommes se considèrent comme les responsables premiers ou à égalité du soin des
enfants, et tous ont été identifiés en tant que pères au foyer parce qu’ils ont soit quitté un emploi à temps
plein pour au moins un an, soit organisé leur emploi du temps (flexible ou à temps partiel) en fonction de
leurs responsabilités parentales. Ces hommes ont été interviewés entre 2000 et 2003. Doucet A., op. cit.,
p. 282-283.
95
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
115
Les différents articles publiés par le psychologue Graeme Russell présentent les résultats d’une
enquête menée à la fin des années 1980 en Australie auprès d’un échantillon de familles parmi lesquelles
71 pères partagent ou assument la majeure partie du soin des enfants, à raison d’un minimum de 15h par
semaine pendant les heures normales de travail. Parmi ceux-ci, 21% sont sans emploi et vivent en couple
avec une femme qui travaille, elle, à temps plein. Le reste se répartit comme suit : dans 32% des cas les
deux parents travaillent à temps plein ; dans 30% la mère travaille à temps plein et le père à temps partiel;
et dans les 14% de cas restants la mère travaille à temps partiel et le père à temps plein. In Russell G., op.
cit., 1983, p. 23. Notons que l’article de 1982 se centre, lui, sur un échantillon de 50 familles,
correspondant aux critères évoqués ci-dessus. Dans 58% des cas les femmes sont les principales
pourvoyeuses de revenus. In Russell G., op. cit., p. 141. L’article publié en 1987 concerne une population
de 37 familles dans lesquelles la mère est employée à temps plein et le père est le principal pourvoyeur de
soins aux enfants – et travaille en moyenne 15h par semaine dans 21 cas, les autres ne travaillant pas.
116
Le livre Fathers at Home présente les récits de pères au foyer australiens et l’analyse de ces récit par la
sociologue Jane Harper. Le cœur de son échantillon comprend deux familles dans lesquelles le père est au
foyer à temps plein, 3 famillles où le père à été au foyer à temps plein dans le passé, et travaille, au
moment de l’enquête, soit à temps partiel, soit à temps plein, et 3 familles dans lesquelles les deux parents
travaillent à temps partiel. Ces récits, livrés par écrit, sont complétés par les commentaires, recueillis au
cours d’entretiens semi-directifs, de 7 autres individus ou couples présentant la même diversité. In Harper
J., op. cit., pp. xi-xxv.
96
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
117
Harper J., op. cit, p. 187.
118
Russell G. op. cit, 1982, p. 146. Notons que Russell hésite quant au statut à donner à ce facteur, en ceci
qu’il peut renvoyer à des croyances acquises une fois le soin réellement effectué, et non avant la décision
de le prendre en charge.
119
La psychologue américaine se livre dans cet article à une analyse causale de l’implication paternelle
dans le soin des enfants à partir d’un échantillon de 59 familles où l’on retrouve une proportion
équivalente de parents partageant à égalité le soin des enfants, de familles dans lesquelles la mère est la
principale responsable du soin des enfants, et de familles dans lesquelles le père assume cette
responsabilité. Deux enquêtes par questionnaire ont été menées auprès de cet échantillon en 1977 puis en
1981. L’étendue de la participation paternelle au soin des enfants a été mesurée par l’auteure sur base de
l’agrégation de divers indicateurs, qui ne prenaient pas en compte le temps de travail ou le temps consacré
au soin des enfants. In Radin N., op. cit., p. 129-131.
120
Radin N., op. cit., p. 128-129.
97
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
121
Ajoutons à cela que, dans notre propre travail tout comme dans celui de la plupart des sociologues
auxquels nous faisons référence ici, c’est le sens que les individus donnent à leurs pratiques qui est mis en
avant. En conséquences, les facteurs que nous avons identifiés comme jouant un rôle dans le processus de
décision sont ceux-là mêmes que les pères que nous avons rencontrés ont pointé du doigt.
122
Harper J., op. cit., p. 73-74.
123
Harper J., op. cit., p. 31.
98
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Dans le premier cas, la concrétisation est rendue possible parce que les
conditions sont enfin réunies pour pouvoir passer à l’acte. Pour Brice, il
s’agit de sa nomination dans l’enseignement qui ouvre le droit à une pause-
carrière. Serge a attendu d’avoir économisé suffisamment d’argent pour
pouvoir se permettre d’arrêter de travailler, décision précipitée par la
maladie de son fils.
Brice : Ben c'est-à-dire que le travail ne m’a jamais fort passionné. Et donc
quand j’ai eu la possibilité de rester chez moi, ben je suis resté chez moi.
C’est tout. Donc l’idée c’est que il fallait quelqu’un pour s’occuper de lui
[Aurélien]), et ma foi comme moi ça m’arrangeait bien de ne plus travailler
et bien… Et que la possibilité s’est offerte parce que pour les enfants
précédents ça était pas possible de rester à la maison parce que j’étais pas
nommé dans l’enseignement. Donc j’avais pas droit à prendre tous les
124
« It wasn’t us thinking « We want to be equal », although that’s problably behind it too. But we wanted
to do it because Andrew wanted to stay home and I think when I first came home from hospital he was
very unhappy about going back to work. It was the rational thing to do, considering his low career
prospects at the bookshop ». Harper J., op. cit., p. 11.
99
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Hervé: A mon avis, si je suis père au foyer aujourd'hui, c’est un peu par
facilité, c’est parce que j’ai, j’avais un boulot intérimaire qui a duré quand
même 7-8 mois et puis un jour la société a arrêté, est tombée en faillite et
alors, je suis dit, qu’est-ce que je vais faire, commencer encore de nouveau
à chercher un boulot; j’avais un garçon et il fallait payer la crèche… alors
je me suis dit, oh tant pis, je vais rester à la maison et m’occuper de lui…
100
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Grégoire : Le fait d’arrêter, comme je vous dis j’en avais vraiment assez et
j’ai arrêté sur un coup de tête. En plus, oui, c’était vraiment sur un coup de
tête. Je voulais vraiment pas faire cet horaire-là. Et moi je suis quelqu’un
qui voulait vraiment voir ses enfants. Et en partant le matin, comment dire
je commençais à midi donc il fallait que je parte vers 11h, et je rentrais le
soir que la petite était au lit à ce moment-là. Je la voyais seulement que le
week-end. Et je voulais vraiment pas en arriver là.
Entre ces deux extrêmes on trouve des récits qui témoignent plutôt
d’une évolution plus progressive des conceptions, au fil des naissances
comme cela a été le cas pour Armand notamment, ou à l’issue d’un long
processus de discussion avec la conjointe, comme dans le cas de Laurent,
illustré plus haut.
Pour Colin, le désir de s’investir dans le soin des enfants remonte aux
premier temps de sa vie avec Solange. Son épouse et lui ont décidé bien
avant d’en avoir qu’ils se concentreraient un maximum sur eux pendant
leur petite enfance. Ce choix a été renforcé par deux éléments : la difficulté
à concevoir leur premier enfant et la participation active de Colin aux
accouchements. Colin et son épouse ont cru ne jamais avoir d’enfant.
101
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
125
C’est-à-dire, dans cette étude, du lundi au vendredi entre 8h et 18h.
126
Grbich C., op. cit., p. 343.
102
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Une fois qu’il devient clair pour chacun qu’il va désormais devenir
un parent au foyer, en arrêtant totalement de travailler ou en cessant de
chercher un emploi, vient la période que nous appellerons « période de
transition », et qui renvoie au moment, qui peut durer de quelques semaines
à plusieurs années dans certains cas128, où l’individu opère ce passage entre
sa situation antérieure et sa nouvelle situation de père au foyer. Dans les
différents récits, cette transition est tantôt vécue comme un passage en
douceur, tantôt comme une période de difficulté et de remise en question
abrupte des habitudes et routines établies, qui nécessite un effort
d’apprentissage et de dépassement des appréhensions.
Brice : Non, la seule chose c’est que j’ai plus de temps pour ... Avant quand
on partait le matin la machine tournait la nuit quand on avait de l’eau,
maintenant on est en pénurie d’eau, et maintenant on la fait tourner la
journée. Mmais le matin c’était tellement la course. Le matin quand je
travaillais et que ma femme travaillait que le linge restait dans la machine
127
Harper J., op. cit., p. 14.
128
Grégoire déclare avoir mis près de 8 ans pour parvenir à gérer correctement son rôle de père au foyer.
103
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
L.M: Et est-ce que votre implication dans les tâches, est-ce qu’elle a
augmenté quand vous avez commencé à rester à la maison? Ou est-ce
qu’elle est restée stable ?
John: (silence) Non je crois qu’elle est restée identique. Mais j’ai
probablement trouvé plus de choses à faire puisque j’étais plus à la maison.
Je pense que c’est probablement, probablement resté pareil. (silence) Oui,
euh, oui nous sommes tous les deux conscients du fait que si voulez passer
toute la journée à faire le ménage, y compris nettoyer une maison comme
celle-ci, parce que à tout moment il y a quelque chose de poussiéreux (rire)
vous pourriez passer toute la journée rien qu’à prendre les poussières.
104
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Brice : Non, ça c’est fait assez en douceur parce que ma femme était encore
en congé de maternité à ce moment-là. Donc, les choses se sont, non, ça a
même été pour moi un grand soulagement de ne plus devoir aller travailler.
Yvan : Euh hum alors, au niveau des enfants, donc euh, le premier est né il
y a cinq ans. Euh, au début donc, on s'en occupait, donc, on va dire euh mi-
temps moi tout seul, mi-temps à deux. Euh ensuite après un certain temps,
ben, au fur et à mesure, ben, ma femme reprenait plus de travail, c'est passé
à 60 et puis à 80% maintenant elle est à 100%
Laurent: ça a été sans doute crescendo. Pour moi. Donc, de plus en plus,
j’ai pris le truc en mains, en charge…. (…)
L.M: Non. Et quoi, le jour où vous vous êtes retrouvé à la maison à devoir
vous occuper du ménage et des enfants, ça, ça a dû être un gros
changement quoi?
105
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Jean-Marie : Non, enfin pff, j’étais content. Mais je ne sais plus. Peut-être
que progressivement, oui. Quand j’étais chercheur, de toute manière on ne
foutait rien. (…)
L.M: Vous étiez souvent à la maison alors, ou bien?
Jean-Marie : Oui. A la maison ou n’importe où hein. (…) on travaillait à
mort comme ça jours et nuits quasiment pendant une semaine, une fois tous
les trois mois, quoi. Donc, j’avais effectivement le temps de … Je ne sais
plus très bien, moi, les détails de l’organisation du ménage, mais, donc, je
n’ai pas découvert du jour au lendemain le travail ménager, non.
3.1.3.2. Une transition difficile
106
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
temps passer d’une chose à l’autre, se dire, bon, c’est bien, il y a des
cuisines, il y a ceci, il y a cela et c’est tout le temps sauter d’un sujet à
l’autre. Et puis on est continuellement interrompu par un coup de fil, par un
coup de sonnette, par ceci, par cela (soupir).
Colin, Grégoire et Claude ont dû, eux qui ne participaient pas ou très
peu à la tenue de la maison et au soin des enfants, « tout apprendre ». La
transition a été pour eux un moment difficile. Colin a dû vaincre sa peur:
peur de ne pas s’en sortir, de ne pas être à la hauteur, de ne pas parvenir à
s’organiser pour que les enfants soient à l’heure à l’école.
Grégoire et Claude ont, eux aussi, dû tout apprendre. Dans leur cas,
comme dans celui de Colin, leur conjointe a joué un rôle important dans ce
processus d’apprentissage.
107
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Claude: Oui, donc il a fallu que j’apprenne. Donc, j’ai dû apprendre à faire
la cuisine, parce que quand j’étais étudiant je faisais la cuisine mais après
j’avais oublié. Et puis comme entre-temps on est devenu végétariens, moi,
cuisiner, je savais pas. Donc, ma femme a dû m’apprendre. J’ai dû
apprendre à faire la lessive, chose que je n’avais jamais faite de ma vie. Le
repassage c’est pas encore mon fort (rire). (…)
L.M: Vous avez appris tout seul?
Claude: Ah non, non, c’est ma femme, et j’ai pris des notes hein! J’ai… Et
au début ça me paraissait tellement compliqué! Il y avait le 40°, couleurs,
blancs, enfin foncé, clair, blanc, 60°, 30°, oh la la c’était d’un compliqué !
Enfin je trouvais ça vraiment… Alors que ça avait l’air tout bête quoi. Et le
type de produit qu’il fallait mettre pour chaque type de lessive, où est-ce
qu’il fallait les mettre dans la machine, tout ça elle m’a montré et j’ai noté.
Grégoire : Lorsque j’ai arrêté de travailler? Ca, ça a été très difficile, hein.
Pff, ça a vraiment été très difficile. Déjà moralement, accepter de ne plus se
sentir valorisé par son travail. Bon j’avais quand même un travail assez
valorisant, où je me faisais quand même respecter au niveau du travail, et
se sentir là de nouveau…
Claude : Et ce qui est très drôle, d’ailleurs, c’est que tout à coup mon
téléphone n’a plus sonné. Et à ça, enfin mon téléphone professionnel n’a
quasiment plus sonné, et à ça j’ai mesuré qu’effectivement c’était fini. De
passer des jours entiers, de ne pas avoir une seule fois son téléphone
professionnel sonner. Et là a commencé la vraie crise. (…Je ne savais plus
qui j’étais puisque je ne faisais plus rien.(…) moi je savais plus à quoi je
108
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
sers. Je servais plus à rien sauf à m’occuper des enfants. (…) Je suis qui, je
sers à quoi, j’existe encore pour qui?
129
Les deux auteurs ont interrogé par questionnaire et au cours d’entretiens semi-directifs 56 américains
engagés à temps plein dans un rôle d’homme au foyer, mariés, avec au moins un enfant mineur, et
impliqués dans ce rôle depuis au moins 6 mois au moment de l’enquête. Celle-ci a été menée au début des
années 1980. In Lutwin D., Siperstein G., op. cit., p. 273.
130
Lutwin D., Siperstein G., op. cit., p. 276.
109
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Une fois devenus pères au foyer, dans quelle mesure ces hommes
prennent-ils en charge les tâches domestiques et liées au soin des enfants ?
Ces tâches sont fortement liées et difficilement discernables pour certaines,
comme l’entretien du linge, les courses ou la préparation des repas. Elles
font partie intégrante des fonctions éducatives remplies par la famille.131
Nous ne pouvons cependant faire l’impasse sur une distinction entre tâches
domestiques et tâches plus directement liées au soin des enfants : celle-ci
fait en effet sens dans une grande partie des entretiens analysés.132 Les
pères que nous avons rencontrés sont ou ont tous été (à une exception près)
selon eux fortement impliqués dans les dernières, alors que leur
participation aux premières peut varier.
131
Singly distingue trois fonctions éducatives : l’entretien et la réparation qui « correspond aux temps
passés à préparer les repas, les vêtements, la nourriture, à conduire l’enfant chez le médecin, le dentiste,
et plus généralement à organiser et à effectuer une grande part du travail ménager » ; le réconfort,
« temps passés à câliner, à écouter, à jouer… » ; et le développement, « ensemble des interventions que
parents et spécialistes désignent souvent sous le terme d’éducation ». Singly, F. (de), op. cit., p. 167-168.
132
Les tâches domestiques renvoient ici au nettoyage du lieu de vie, à l’entretien du linge, à la préparation
des repas, aux courses, à la vaisselle, au jardinage et au bricolage. Les tâches liées au soin des enfants
consistent à les nourrir, les langer, les habiller, leur donner le bain, les border, les conduire à l’école et
assurer le suivi de leur scolarité
133
L’exacte répartition des tâches, mesurée notamment en temps, n’était pas l’objet de notre recherche.
Nous avons abordé la question de la répartition des tâches au cours de l’entretien, en demandant aux pères
de nous indiquer comment chaque tâche était répartie entre leur compagne et eux, pendant leur vie au
foyer et avant celle-ci. Nous n’avons pas interrogé la partenaire à ce sujet, sauf dans les rares cas où elle
était présente au moment de l’entretien. Nous nous intéressions en effet davantage au discours que ces
pères tiennent sur leur participation aux tâches que sur leur réalisation effective.
110
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Joseph : Euh, il faut savoir, je dirais, planifier les choses. Parce que mine
de rien, euh, avec tous les aléas qui nous tombent dessus je dirais
régulièrement euh, chaque jour, ben il faut savoir planifier les courses, le
dîner, les études des enfants, le nettoyage de la maison, le repassage, la
lessive, le bricolage, les courses spéciales je dirais, pas spécialement les
courses de ménage mais les courses spéciales parce qu’il y a ceci ou cela
qu’il faut, qu’il faut aller acheter, euh et puis euh et puis gérer je dirais tout
ce qui euh tout ce qui nous tombe dessus.
Ces pères tiennent à ce que leur partenaire n’ait plus rien à faire le soir
venu. Assumer le travail domestique fait partie intégrante de leur rôle au
foyer : c’est ainsi que l’arrêt de travail trouve toute sa légitimité. On
retrouve souvent l’idée que ces pères sont des personnes au foyer « comme
les autres ».
Serge : Maintenant, j’ai à cœur que tout soit fait, quoi. Que quand elle
rentre, elle ne doive pas dire: « tiens, il faut ranger ça, ci ou là » quoi!
Laurent: Mais par rapport à tout ce que j’ai dit, un truc qui est marrant,
c’est que pour justifier un peu ma présence à la maison, je trouve ça
important justement de faire tout.
111
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Armand : Mais c’est à peu près ça, une journée. C’était langer, c’était
préparer les repas, nettoyer la maison, repasser et tout ce qui s’en suit. Fin
comme, comme n’importe qui, qui reste dans sa maison.
A cela s’ajoute, pour Karl et Laurent dont les épouses ont elles aussi
été au foyer pendant un certain temps avant eux, l’envie soit pour le
premier, d’assumer autant qu’Ingrid l’a fait, soit pour le second, davantage
– afin d’être cohérent avec les reproches qu’il lui faisait à l’époque.
L.M: C’est ça! C’est vous qui vous occupez des tâches ménagères aussi ?
Karl : Toutes choses, toutes choses. Parce que ma femme a fait la même
chose, avant elle a fait le ménage, elle a fait la course…
L.M: Les courses.
Karl : Les courses et elle a fait toutes, toutes choses.
Laurent : Donc, c’est vrai que je prends ça assez à cœur, je ne prends pas
ça en me disant: « c’est en attendant… ». Ou « je vais le faire à moitié, c’est
une bonne place de planqué, … » ou je ne sais pas quoi. Enfin, mais c’est
vrai que, là aussi, c’est sans doute aussi par rapport, en réaction à mon
épouse. Où ça m’énervait qu’elle soit à la maison, et qu’elle fasse si peu.
Karl : C’est notre but, d’avoir les soirées ensemble. Et pas que nous
travaillons et « les enfants, plus tard! »
Dans certains cas, une part réduite des tâches continue à être effectuée
soit à deux, soit par la partenaire exclusivement. Les courses sont faites à
deux chez Serge et Jean-Paul, mais la gestion des stocks relève d’eux seuls.
Le repassage demeure la seule activité réservée à la partenaire chez Brice,
Bruno et Jean-Paul.
112
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Bruno : La seule chose que je ne fais pas, c’est repasser. Parce que je n’ai
jamais repassé pour moi. D’ailleurs mon épouse ne doit pas repasser pour
moi, elle repasse juste les trucs qu’elle a envie qui soient repassés pour elle,
je veux dire. Et pour les enfants, à la fin, les aînées voulaient aussi des trucs
pour eux et bon, d’ailleurs à la fin, les aînées aidaient au repassage.
Puisqu’elles voulaient des trucs repassés. Mais moi, je partais de ce
principe là, si vous voulez des trucs repassés, vous les repassez vous-même,
vous êtes assez grands pour le faire. Mon épouse avait une ancienne
habitude de repasser plein de choses. Moi, mes T-shirts, je les mets en
dessous d’une chemise, de toute façon, après 30 secondes sous un pull ils
sont chiffonnés et je ne vois pas la nécessité de les repasser.
Comme on le voit dans ces extraits, deux motifs sont mis en avant :
l’incompétence et une divergence de point de vue sur le repassage (sur sa
nécessité dans le cas de Bruno, et sur la qualité à atteindre dans le cas de
Brice) – et qui conduit à poser dans le premier cas qu’il revient à ceux qui
le jugent nécessaire, de repasser leur linge –.
Laurent: Et c’est marrant, le repassage, j’ai découvert ça, j’ai toujours dit
que je voulais bien tout faire à la maison, sauf le repassage, euh, et j’ai
découvert ça en juillet 2004 je crois quand je sentais que le vent était en
train de tourner et que je me suis rendu compte qu’en fait c’était pas si
113
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
114
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Grégoire : Mais je crois que j’ai une mentalité comme ça de toute façon,
j’ai une mentalité où je dois être dirigé. Et même avant quand je travaillais,
j’avais souvent aux évaluations de fin d’année ou des choses comme ça, le
genre d’évaluation « fait bien son travail mais pas plus ». Parce que je suis
pas le genre à prendre des initiatives, à, je suis vraiment pas le genre à
prendre des initiatives, à prendre des… à commander ou…Je me verrais
pas chef d’entreprise ou…
L.M : Et pour faire les courses c’est vous qui faites la liste?
Grégoire : Je fais la liste, c'est-à-dire que pendant la semaine, ce qui
manque, je l’indique sur une liste (…) Et c’est aussi moi qui vais penser à
organiser mon repas pour la semaine, et faire mes courses en fonction de ce
que je vais faire aussi pendant la semaine.
Dans le cas de Colin, pour toutes les tâches, la logique est la même :
c’est Solange qui en donne l’impulsion. C’est elle qui trie le linge pour que
Colin s’en occupe ensuite (il fait tourner la machine et met le linge à
sécher), c’est elle qui fait la liste des courses, etc. Elle délègue à Colin
l’entretien quotidien du ménage (nettoyage « en surface » de la maison,
petites courses, repas des enfants en journée) et s’occupe elle-même du
gros entretien du lieu de vie et des repas du soir.
115
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
116
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
l’un ou par l’autre, même si la part de Hervé est plus importante que celle
de sa compagne étant donné qu’il est à la maison. D’après Hervé, les
principaux moteurs de la répartition sont le plaisir et la motivation à
effectuer certaines tâches.
117
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
John: Hum la cuisine est assez flexible je dirais. Maintenant qu’est-ce qui
se passe en pratique ? En pratique cela veut dire qu’en semaine elle rentre
vers 18h30, en fonction de la manière dont sa journée de travail s’est
déroulée (…) si elle a eu un gros dîner, on va se consulter. (…) Donc c’est
moi en général. Sauf si je suis complètement crevé parce que j’ai travaillé à
quelque chose, j’ai fait un travail manuel en haut et je ne tiens presque plus
debout le soir je pense que là elle s’en occuperait. Mais c’est moi en
général. Et ensuite on sert à souper, on fait la vaisselle, vous savez je
termine et elle sert et je vais faire la vaisselle. Quelque chose comme ça.
(…) Donc en ce qui concerne la vaisselle, c’est moi en journée et le soir si
elle, si j’ai cuisiné pour elle, elle va faire la vaisselle et si elle est en haut en
train de faire quelque chose de spécial je la ferai. Donc c’est assez fluide je
dirais. Et c’est de l’ordre de 60/40
John : la voiture, c’est un sujet délicat, parce qu’elle n’a jamais réussi à
dépasser sa peur de conduire. (…) De temps en temps quelque chose cloche
avec les ordinateurs (…) et cela ne me dérange pas de chercher ce qui ne va
pas alors qu’elle, cela ne l’intéresse pas, elle n’est pas motivée pour le
faire.
118
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
La raison pour laquelle il prend seul en charge les courses est la même
que celle invoquée par les pères du premier groupe : libérer du temps le
week-end pour la vie de famille. John fait lui-même la liste des courses et
Cecilia y ajoute les articles dont elle a besoin.
119
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Samuel: bon, comme je vous l’ai dit, exceptionnellement, on fait tout à deux
et à quatre. Bon, c’est exceptionnel. Mais on a émis certaines préférences.
Moi, j’ai dit à ma femme que bon, la popote, la cuisine, si elle a des courses
à faire, si elle doit partir, je m’en charge, mais elle fait ça beaucoup mieux
que moi et on est bien d’accord avec ça. Et donc, euh que maman a besoin
de ce moment de liberté quand les enfants sont un peu turbulents, et bien
donc ça la gêne dans ce qu’elle fait et je viens imposer un petit peu le calme
parce que maman cuisine. Et ça marche très bien. Je veux dire, si c’était
moi qui cuisinais, ben je n’aurais pas pu d’ailleurs faire les deux et
maintenir mes deux petits diables autour de moi, parce que, ils sont assez
turbulents vers 17, 18h de l’après-midi et préparer la popote. Donc on a
aussi, comme je vous l’ai dit, quelqu’un qui vient en général entre 17 et 19h
pour résoudre ce genre de petit souci. (…)
Chez Claude par contre, toutes les tâches sont partagées lorsque
Sabine est présente à la maison, à l’exception du bricolage dont il se charge
seul. C’est celui des deux qui prend l’initiative d’une tâche qui l’effectue.
Claude : Bon, je fais une lessive de délicats, je passe dans les chambres des
filles en demandant « est-ce que vous avez des soutiens, des sous-vêtement
ou des trucs délicats à mettre à la lessive ? » et hop, je prends l’initiative.
Donc, effectivement, c’est les deux.
Claude : Quand elle est en voyage, c’est moi tout seul (…) Tous les jours je
fais une lessive, tous les jours je fais les repas, tous les jours je veille à ce
que la vaisselle soit remplie, que le ménage soit fait toutes les semaines.
3.2.1.4. Aidant ponctuel, sans responsabilités
120
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Geert: mais non, mais on les a choisies selon les compétences. Mais la
vaisselle, il faut qu’elle se fasse, donc on n’a pas dit, « c’est toi qui fait la
vaisselle ou c’est moi », non. Ce matin, elle a fait la vaisselle parce que hier
soir, j’ai oublié ou j’ai pas eu le temps de la faire. Mais je fais aussi bien la
vaisselle, donc, on n’est pas… Mais c’est vrai qu’elle fait à manger. Mais
elle fait à manger parce que bon, je vous ai dit, elle a appris les cours de
cuisine, elle fait la cuisine bien, elle aime bien de la faire (…) Mais aussi, je
repasse pas, je repasse pas, je voudrais bien, j’ai essayé mais c’est un peu
pfff c’est chiant. Mais, je prends toujours dans ça ici, nécessité fait loi. Si
je devais le faire, je repasserais.
L.M: Oui, oui.
Geert: Mais, une chemise, je prends tellement de temps. Mais c’est pas
pour ça qu’elle doit le faire non, alors on cherchera autre chose. Au
départ, nous n’avons pas de… (…) On n’a pas de tâche. (…) Je ne fais pas
la lessive mais je dis toujours nécessité fait loi. Maintenant, je vais devoir
quand même un peu euh plus m’investir, je dois faire sans doute un peu de
lessive ou quoi, surtout quand ils iront à l’école. Disons, j’exclus rien mais
c’est vrai que à part, non ça, le repassage et la lessive, euh…
121
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
L.M: Ça vous ne faites pas? Donc c’est votre femme qui le fait?
Geert: Je vais sûrement le faire, je vais sûrement le faire… ou sans doute,
sans doute…
L.M: Et nettoyer la maison?
Geert: Ca ne m’arrive pas encore beaucoup, ça ne m’arrive pas beaucoup
parce que nettoyer à la maison. Euh, pfff, quand je dis nettoyer la maison,
je pense à tout faire. Donc, ici, je passe l’aspirateur, je brosse, etc… mais
nettoyer la maison, ce serait de passer euh de passer à l’eau, et tout les
vitres, etc…
L.M: Oui c’est ça.
Geert: Mais je n’en suis pas encore là .. (…) je n’en suis pas encore là
mais l’entretien quotidien, peut-être que disons, ce ne sera pas nécessaire
mais s’il le fallait, oui, s’il le fallait.
Christophe : Alors, ce qui est l’aspirateur donc, les tâches dites ménagères,
hein, puisque je vis au foyer hein (…) faire le ménage, oui, il y a bien eu un
minimum à faire, mais vraiment le strict minimum.
Christophe : tout ça, ça ne me plaît pas non plus, parce que, ménage, je le
vois bien avec ma femme: « ah, oui, je n’ai pas fait mon ménage… mais
non, samedi, tu sais bien que je fais le ménage …» Que moi, je vais faire
autre chose. Ca me casse les pieds de, d’entendre l’aspirateur, par exemple,
trop longtemps, je n’aime pas du tout ça.(…) Moi, ça m’arrangerait plutôt
que les femmes se chargent des tâches ménagères, parce que moi ça
m’emmerde. Bon, c’est enregistré, tant pis, c’est comme ça! Et je le dis
vraiment comme je le pense, c’est très carré, je nuancerai après, heu, voilà,
et ça m’a toujours ennuyé, et ça m’ennuie toujours! (…) ma femme a une
éducation, et dans sa famille, aussi, elle a beaucoup de sœurs, c’est une
grande famille, et moi je dirais des stéréotypes (…) Parce que elle a assisté
à une éducation, elle a des stéréotypes où elle se sent à l’aise pour le faire.
(…) il se fait que j’ai rencontré une bonne femme qui pour elle, c’est dans
l’ordre des choses et moi, ça m’arrangerait bien que ce soit un ordre des
choses à elle, puisqu’elle le fait sans trop de contraintes, donc, le faire à sa
place, moi, ça serait épouvantable! Voilà!
122
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Christophe : alors que j’ai eu trois sœurs et ma mère, heu faisait à bouffer
et prenait de temps en temps les poussières et tout. Mais ce n’était pas
important. (…) Donc, moi, j’étais un peu gâté, (rires) et c’est pas non plus
peut-être pour rien j’ai eu des facilités qui me posent des problèmes en
étant adulte, je dis bien, des problèmes parce que il faut bien admettre ou
alors on est pas lucide, que il faut quand même bien faire des choses et les
partager. Quand on se rend compte qu’à 57 ans on a encore difficile de les
faire, bon, moi je ne fais toujours pas mon lit
Christophe : elle va plus vite que moi en général pour faire les choses. Si
par exemple, moi, je repasse. J’ai fait, hein. Bon, il y avait une manne, je ne
vais pas laisser traîner la manne elle n’a pas l’habitude de laisser traîner
les choses. Ce n’est pas le style. Elle fait très bien les choses qu’elle doit
faire, c’est parfait, je ne suis pas idiot, hein. (Rires) Non, je vous assure, je
n’ai pas fait exprès, hein. C’était pas calculé de ma part.
Christophe : Ce n’est pas ça, c’est autre chose. Et je trouve encore autre
chose, notamment, j’ai envie d’investir une part de la cuisine, maintenant.
Mais quand les travaux seront faits dans la maison, passer plus de temps
123
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
dans les tâches ménagères pour soulager ma femme, parce que ça ne doit
pas continuer comme ça non plus. Ce n’est pas fait exprès, il y a une série
de circonstances qui ont fait que. Ce n’est pas de la mauvaise volonté de ma
part, mais ça va changer. Parce que j’ai envie, si un jour elle aime la
cuisine chinoise, c’est un bête exemple, j’ai envie de refaire ça.
124
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Christophe : il y a des hommes qui sont capables d’assumer les deux, qui
ont assez de confiance et assez de force, que sais-je encore? De caractère,
de motivations, de solidité pour offrir ça à leur femme. Moi, je le dis
honnêtement, je n’ai pas la capacité, je n’ironise pas hein, moi, j’aurais
bien aimé être comme ça! Un moment donné, j’ai cru que ça pouvait
marcher mais la réalité n’est pas comme ça pour moi, et je ne peux pas dire
que……j’ai renoncé à prétendre à ça. C’est un moment donné que j’ai cru
que je pouvais prétendre à ça, mais en réalité, je n’avais pas la force pour
le faire, voilà. Parce que ça demande de prendre sur le temps que moi
j’investis pour faire autre chose, et là le sacrifice est beaucoup trop grand,
alors voilà!
3.2.2. A propos de la participation au soin des enfants
125
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Cinq pères au foyer décrivent leur situation comme suit : une fois le
soir venu, la mère prend le relais dans l’accomplissement du soin des
enfants.
Didier : Je vais les rechercher et alors c’est goûter, c’est devoirs puis…
c’est le bain, se mettre en pyjama et puis préparer et le souper. Et puis,
quand ma femme rentre, parce que ça dépend quand elle rentre, ça dépend
un peu, ‘fin parfois 17h30-18h elle est là, elle s’en occupe un peu, elle
prend la relève parce que bon, c’est parfois dur dur. Et puis euh voilà quoi.
126
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
Brice : Quand elle est là, elle s’occupe des enfants. (…) Mais non, c’est pas
chacun son tour, c’est euh, elle rentre qu’il est 18h30 souvent. Alors, moi,
ça fait déjà 2h et demie que je suis avec les enfants, on a fait les devoirs, on
a joué un peu, et puis si en plus moi je viens me mettre dans le temps qui
reste, parce que de 18h30 jusque 20h-20h30 il reste plus grand-chose de
temps. Il faut encore manger, donner le bain. Ben, elle aime bien de voir ses
enfants aussi. Elle part à 6h30 le matin, Aurélien, lui, souvent, il se lève
vers 7h10. Elise, elle se lève avant parce qu’elle aime bien se lever tôt, mais
donc elle voit sa mère le matin. Mais les deux autres, le petit et Aurélien, ils
ne voient jamais leur mère. Donc elle, ça lui fait plaisir de s’occuper de ses
enfants. Et je crois que ça lui fait plaisir que je lui foute la paix à ce
moment-là avec les enfants. Et moi ça m’arrange bien.
Cette idée de passer le relais à la mère à son retour n’est pas présente
chez les autres interviewés. Ceux-ci décrivent plutôt le soir et le week-end
comme des moments où le soin des enfants est partagé à égalité entre les
parents.
Laurent: Et alors le soir, euh, je leur donne le bain. Le contrat avec elle,
c’était euh, « tu rentres à 18h et tu donnes les bains, et moi, pendant ce
temps, enfin on répartit plus les tâches à 18h quand tu rentres ». Et il
s’avère que c’est vrai parfois elle rentre à 18h et elle le fait, mais je … c’est
pas pour autant que moi, je vais m’allonger en attendant que ça se passe. Je
veux dire, quand elle est là, c’est 50/50. Quand elle n’est pas là, ben,
j’assume jusqu’au coucher si elle n’est pas encore rentrée ou jusqu’au
repas.
127
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
qu’on parle beaucoup de tout ça. Et si je vois qu’il a plus besoin, ben, je le
laisse plus faire ses trucs de rallye ou il est aussi passionné de vieilles
voitures, je me dis je le laisse faire ça et je me concentre plus moi sur les
enfants donc.
Colin : Et moi l’inverse
128
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
3.3. Conclusion
129
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
130
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
garde des enfants, achat de plats préparés, etc.), aux éventuelles indemnités
de remplacement en cas de pause-carrière, crédit-temps, congé parental ou
chômage, et aux éventuelles réserves financières utilisables pour
compenser une perte de revenu. Les aspects qualitatifs renvoient aux
conditions de travail (horaire, perspectives professionnelles, ambiance de
travail, etc.) ainsi qu’à l’attachement au métier exercé, au temps consacré
aux déplacements domicile-lieu de travail, au stress engendré par
l’articulation entre vie professionnelle et familiale, et plus largement à la
qualité de vie actuelle et souhaitée. L’arrêt de travail, même lorsqu’il
entraîne une réduction du niveau de vie, apparaît alors souvent comme un
gain en termes de qualité de vie.
131
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
motivés par l’envie d’offrir à leurs enfants ce que leur mère, au foyer, leur
a donné lorsqu’ils étaient jeunes.
Deux auteurs situent les récits, tout comme nous l’avons fait dans
notre propre enquête, sur un continuum qui va de la description de l’arrêt
de travail comme la concrétisation d‘un désir ancien de s’occuper soi-
même des enfants et de faire passer la carrière professionnelle au second
plan, à la survenance d’un événement soudain qui bouscule les habitudes et
pousse à considérer d’un œil nouveau l’investissement dans la sphère
familiale. L’on retrouve entre ces deux extrêmes des récits qui témoignent
plutôt d’une évolution plus progressive des conceptions au fil des
naissances, à l’issue d’un long processus de discussion avec la conjointe,
lorsque l’arrivée d’un enfant se fait attendre…
Une fois qu’il devient clair pour chacun qu’il va désormais devenir
un parent au foyer en arrêtant totalement de travailler ou en cessant de
chercher un emploi vient la « période de transition » qui renvoie au
moment, qui peut durer de quelques semaines à plusieurs années dans
certains cas, où l’individu opère ce passage entre sa situation antérieure et
132
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
134
Lutwin D., Siperstein G., op. cit., p. 276.
133
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
134
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
L’analyse des discours que ces pères au foyer tiennent sur leur
participation aux tâches domestiques lève un coin du voile sur une partie
135
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
des processus qui seront mis à jour dans la suite de cette thèse. Au travers
des différents groupes dessinés ici, on observe deux constantes.
135
Ce point sera approfondi dans le dernier chapitre de cette thèse,
136
Doucet A., op. cit., p. 290.
136
Chapitre 3. Entrée dans la paternité au foyer et participation aux tâches
137
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Maintenant que nous avons fait plus ample connaissance avec les
pères au foyer qui ont participé à cette étude, il est temps d’entrer dans le
vif du sujet de cette thèse. Ce chapitre sera consacré à son premier volet qui
porte, pour mémoire, sur le fait que les interactions avec autrui sont le lieu
potentiel d’un rappel du caractère transgressif du rôle de père au foyer et
ont, de ce fait, une portée délégitimante.
Dans ce chapitre nous verrons la manière dont les autres, qu’ils soient
intimes ou non, réagissent à la situation de père au foyer au cours des
interactions de face à face, en nous référent à la manière dont les pères au
foyer appréhendent subjectivement le regard que les autres portent sur eux.
139
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Il est difficile d’avancer une explication pour cette place plus grande
accordée dans l’entretien à ce que ces hommes ressentent comme un
manque de soutien. Une première tentative d’explication pourrait être de
l’attribuer au contexte de l’entretien : peut-être avons-nous insisté sans le
vouloir davantage sur cet aspect, ou ces pères qui témoignaient pour la
première fois d’une situation hors-normes ont-ils ressenti le besoin de nous
confier avant tout leurs soucis. La durée relativement longue des entretiens
devait toutefois permettre aux personnes interrogées de rapporter ce
qu’elles tenaient absolument à dire puis de prendre le temps d’aller au-delà,
et d’instaurer un climat de confiance à même de faire sauter les barrières
qui peuvent s’opposer au récit d’éléments jugés très personnels. Nous
verrons plus loin que la mise en avant des aspects positifs de la situation de
père au foyer occupe une place de choix dans la gestion du manque de
légitimité. Il se peut par ailleurs que ces hommes, déjà confrontés comme
nous le verrons plus loin, à un manque de reconnaissance en dehors du
foyer, soient particulièrement sensibles aux réactions de leur conjointe qui
lui font écho. Ajoutons enfin que dans les cas où le soutien de la partenaire
allait de soi, les pères ont accordé moins de place à celle-ci dans leur récit.
140
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Les réactions qui ont une force dévalorisante sont de plusieurs sortes.
Les premières renvoient plutôt à un manque : manque de reconnaissance du
travail effectué à la maison et de la réalité souvent difficile de la vie au
foyer.137
L.M : Est-ce qu’elle se rend compte de tout le travail que vous faites?
Joseph : Oui, je crois que oui. Pas tout le travail. Parce que mine de rien je
dirais que quand une pièce est propre vous vous en rendez pas compte pour
finir. Vous vous en rendez compte quand la pièce est, a un centimètre de
poussière partout et que tout d’un coup elle est propre. Bon ben à ce
moment-là vous vous en rendez compte. Mais quand c’est nettoyé je dirais
tous les deux-trois jours vous vous en rendez pas compte. Donc elle s’en
rend compte quand il y a quelque chose de spécial qui a été fait.
Yvan : L'autre jour ben oui elle travaillait à la maison, celle-ci dormait et je
devais aller chercher Sacha à l'école (…) mais bon après Juliette m'a dit
« mais qu'est-ce que tu as fait en chemin ? Ca fait 50 minutes que t'es
parti ». Je dis mais attends c'est ça qu'il faut quoi. C'est 50 minutes qu'il
faut pour aller à l'école, prendre l'enfant, revenir à la maison. C'est 50
minutes deux fois par jour que je passe dans la voiture. Pour les courses
c'est la même chose quoi. C'est 1h15 pour aller faire les courses quoi.
(…)C'est pas comme si on se, le matin euh quand on se lève du lit le
déjeuner est prêt et puis après hop c'est les vacances quoi non c'est euh tout
ce qu'il y a à faire il faut le faire (…) Mais on ne se rend pas compte que ça
prend du temps, que ça sort pas comme ça euh. Que le linge est pas
ramassé tout seul et remis dans l'armoire comme ça par magie quoi.
137
Ce manque de reconnaissance par la compagne du travail effectué à la maison ressort également des
travaux de Russell et de Harper. Ainsi, les hommes interrogés par le premier font état de remarques
émanant de leurs épouses au sujet de leur emploi du temps, tout comme d’un manque de compréhension à
l’égard de leurs propres problèmes. (Russell G., op. cit., 1983, p.137-138.) Comme Harper le fait
remarquer : « le conjoint au foyer est comme un travailleur en coulisses, on ne le remarque que lorsque
les lumières ne fonctionnent pas ». “The housespouse is like the backstage hand, who is only noticed
when the lights do not work” in Harper J., op. cit., p. 58. Le fait de parler de « conjoint » au foyer, en
renvoyant aussi bien aux hommes qu’aux femmes, souligne le fait que son invisibilité concerne tous les
individus qui l’accomplissent, indépendamment de leur genre. Nous reviendrons sur ce point
ultérieurement.
141
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Yvan : (…) oui par exemple le mercredi Juliette travaille euh travaille ici à
la maison. Moi j'ai eu Magda le matin, après-midi Sacha et Magda. Aà 18h
j'arrête, je vais au cours, 3 heures de cours d'informatique ‘fin pas
informatique hein, photographie numérique donc c'est 3 heures devant les
ordinateurs. Je rentre à 21h bon je suis pas en super forme quoi. Et alors
euh elle dit « oui mais moi j'ai travaillé toute la journée ». Et là c'est foutu
quoi (rire).
Joseph : Elle n’a pas, parce qu’elle ne se rendait pas compte de ce que je
faisais. Et donc fatalement c’est toujours la même chose hein. Vous avez
toujours l’impression que l’autre ben il se prélasse pendant toute la journée
pendant que moi je travaille et puis quand je rentre ben oui ben c’est facile
hein.
Yvan : Mais ça c'est un peu ennuyant. Pour ça c'est vrai que l'argent c'est
un pas évident parce que bon. Et même si soi-disant c'est notre argent à
nous deux ben c'est vrai que parfois quand on se dispute (rire) on va dire
que, c'est déjà arrivé qu'on dise « oui mais j'ai acheté ». Je dis « mais
attends ». ‘fin c'est, c'est pas toujours si clair que ça. Normalement c'est, je
crois que je vais dire euh de ce qui est conscient en tout cas c'est qu'elle
pense que c'est notre argent à nous mais c'est vrai que parfois il peut y
avoir des reproches comme quoi ben sur ce que je dépense ou des choses
comme ça quoi (rire). Mais bon.
Philippe : c’est vrai que j’ai tenu compte qu’elle avait l’air d’en avoir
marre que je ne travaille pas et que petit à petit, elle avait l’air de dire que
c’est elle qui ramenait l’argent dans le ménage alors que enfin, pour moi ça
me paraissait un peu absurde parce que dans le long terme, enfin, ça n’a
pas … (…) mais je crois que quelque part derrière ce langage-là, il y avait
le fait qu’elle en avait marre aussi de me voir ne pas travailler alors qu’elle
se cassait le dos quoi.
142
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Philippe : ma femme, elle… elle c’est pas au clair, ça. C’était pas euh,
arrêter de travailler 1 mois, 2 mois ça va mais se dire que on se vit bien
sans travailler, ça, ça ne va pas. Quelque part, ça n’allait pas à ma femme
non plus
Daniel : Pour elle apparemment ça n’allait pas. Il fallait qu’il y ait un papa
qui soit là, qui travaille pour montrer au fils, qui… hein, un homme ça
travaille.
Joseph : C’est quelque chose qui est presque… presque naturel je dirais
que, que ce soit fait. On considère vraiment comme quelque chose de
naturel. On se rend pas compte de ce que ça représente parfois.
138
Les modes de gestion des réactions délégitimantes feront l’objet du prochain chapitre.
143
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Joseph : Et c’est vrai que je dirais en tant qu’enfant quand on rentre et que,
que sa mère est là disponible et tout on a l’impression qu’elle n’a rien fait
de la journée.
Joseph : J’ai moins à raconter. Mais c’est vrai qu’elle aime bien de savoir
ce que j’ai fait. C’est vrai que le soir souvent elle me demande que je lui
raconte. Bon je ne raconte jamais grand-chose, je ne suis pas, c’est dans
ma nature. Je ne lui raconte jamais grand-chose mais c’est vrai que si j’ai
quelque chose d’un peu spécial ou quoi ou qu’est-ce oui je lui raconte.
Mais… oui bien sûr qu’elle est à mon écoute, ça c’est certain. Et je crois
que c’est son devoir d’épouse également donc euh on a toujours été à
l’écoute l’un de l’autre mais la disponibilité n’est pas toujours la même.
(…) c’est vrai que je vais pas commencer à lui raconter non plus que j’ai
nettoyé telle pièce ou que j’ai repassé ceci, bon ça c’est, c’est vraiment pas
ça qu’elle attend non plus.
Joseph : Mais… moi je, je suggère à tous les maris, surtout ceux qui ont des
enfants, avec une femme au foyer, qu’ils échangent leur boulot pendant
minimum un mois et qu’ils voient ce que c’est. Je crois qu’ils changeront
d’optique sur la manière de voir le boulot que leur femme fait. Ca vaut la
peine. Voilà.
144
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Philippe : et euh, chose que je n’ai pas, elle, elle travaillerait encore bien
en se justifiant qu’il y a les angoisses par rapport à l’argent. Alors que moi,
je trouve que franchement c’est pas pour ça que je vais travailler. Donc,
j’ai pas d’angoisse par rapport au fait que je ne travaille pas. D’autant que
quand je travaille, je ne gagne pas des salaires mirobolants donc euh.
Quand je suis à la maison je fais aussi des choses que sinon j’aurais dû
payer quelqu’un pour le faire. Donc, l’un dans l’autre, financièrement, je
trouve que je gagne ma vie. Parce que c’est vrai que j’arrête de travailler,
mais dans les faits, psychologiquement, j’ai quand même toujours a
tendance à garder l’impression que je gagne ma vie quelque part. Donc
c’est vrai, je vais rester un an sans travailler mais en un an j’aurai quand
même monté la cuisine, que le cuisiniste m’aurait demandé une certaine
somme pour la monter euh, je vais faire certains travaux que j’estime un
peu rentables entre guillemets et justifiés à moi-même quelque part. Je fais
pas des calculs savants hein mais j’apporte quand même un petit revenu au
ménage.
145
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
146
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
prenant ce dont il a besoin dans son entourage pour accroître son propre
capital et accompagnant et validant dans la sphère familiale ce que sa
femme est à l’extérieur. Ces figures constituent des cas typiques et ne se
retrouvent pas telles quelles dans notre étude, mais on décèle des traces de
ce travail tantôt d’encouragement à s’engager dans une activité
professionnelle, tantôt de soutien à un engagement déjà important et qui
servent, un peu à la manière du Pygmalion, à valider et valoriser son propre
engagement au foyer. Ainsi c’est grâce aux encouragements de Claude que
son épouse a osé se lancer dans le tourisme.
Hervé : Mais elle n’a jamais été sûre d’elle comme ça. (…) Elle n’était pas
très sûre d’elle et ça l’a valorisée je crois justement de pouvoir travailler à
l’extérieur et d’avoir quelqu’un qui comme ça, qui fait plutôt le rôle de la
femme à la maison. Ca l’a valorisée parce que tout tombait sur elle pour le
salaire et tout ça. C’est elle qui travaillait et tout ça.
Yvan et Claude ont placé leur compagne dans une situation qui facilite
son engagement dans le travail professionnel en la déchargeant du travail
ménager. Cet argument sert plutôt à Yvan de défense face au manque de
reconnaissance qu’il ressent dans le chef de sa compagne.
Yvan : Ben c'est difficile à dire. Ben je crois que elle, ben elle pense que
c'est bien mais euh mais il y a quand même euh, ben, de toute façon, ça elle
comprend pas toujours c'est que ça lui permet de travailler. (…) Surtout que
parfois c'est vrai qu'on peut prendre aussi des habitudes de vie. Et si on
gagne bien et on mène une vie confortable après ben on se dit que même si
on n'a pas travaillé, que si on a donné les, enfin ceux qui restent à la
maison donnent un petit peu aussi la possibilité de mener un travail qui
donne une vie confortable. ‘Fin moi en tout cas je pense que c'est comme
ça. Parce que euh pour pouvoir s'investir dans son travail il faut avoir le
temps et être dégagé de certains impératifs. Et je sais pas, quand on peut
rentrer le soir sans avoir à penser à faire les courses, sans avoir à penser à
faire ça, ben on peut rentrer plus tard le soir euh, euh on peut répondre,
oui, je sais pas, différemment aux exigences du travail. Ce qu'on peut pas
faire si on est seul. Parce que c'est ça aussi que les mères - pas seulement
147
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
les mères mais - c'est vrai qui sont seules avec leurs enfants, on sait quand
même moins s'engager dans son travail, c'est sûr, parce que quand il faut
encore assurer en plus du boulot toute la, toute l'intendance ben on accepte
quoi, des mi-temps ou des quart-temps qui n'ont pas déjà des revenus très
élevés. Et puis après on, on fait pas avancer quelqu'un qui est en mi-temps
hein. On fait avancer quelqu'un qui a un temps plein et qui est prêt à faire
des heures supplémentaires en plus.
Claude : Et…là elle s’est remise à la peinture. Parce que c’était un des ses
hobbies, c’était de faire de la peinture sur soie, enfin de l’aquarelle sur
soie. (En montrant un tableau) Ben ça c’est elle qui l’a fait. (…) Ca a été
même une activité professionnelle pour elle pendant plusieurs années,
jusqu’à ce que les enfants commencent à demander trop de temps, et donc
elle avait abandonné tout ça. Et elle a repris cette année. Grâce au fait que
j’avais arrêté moi et que je pouvais m’occuper un peu des choses du
ménage.
4.1.2. Les enfants
Il est apparu dans les entretiens que la plupart de ces hommes puisent
dans leur relation avec leur(s) enfant(s) une source de valorisation et de
reconnaissance de leur position de père au foyer. Ils insistent sur la qualité
de la relation qui les unit, et rapportent une série de petites anecdotes qui
sont autant de témoignages de reconnaissance.
Colin: Et puis j’ai Kevin qui le dimanche met sa salopette et dit « papa je
vais avec toi chipoter sur les vieilles voitures ». Parce que j’aime bien les
vieilles voitures donc euh il chipote avec moi. Il fait rien m’enfin il chipote.
Et Raphaël commence. « Papa je vais travailler avec toi hein » qu’il
m’dit.(…) Et ma fille «papa», que je vois certains, je sais pas ils n’ont pas
les mêmes rapports avec leurs enfants que moi j’ai. J’ai un peu des rapports
qu’une maman je vais dire. Ils sont, ils ont pas peur de moi. Dans le sens,
c’est vrai. Quand il a quelque chose à me dire il me le dit
Joseph : Hier une de mes deux filles m’a chanté une chanson. Elle m’a
demandé si, elle voulait me chanter une chanson qu’elle avait apprise à
l’école. Alors je lui dis « oui », et alors elle l’a chantée. C’était une chanson
sur le mois de mai, je sais plus très bien, mais dans la dernière phrase, la
dernière phrase disait quelque chose comme «et les enfants sont allés dans
les prés cueillir des bouquets». Et en chantant elle me dit «cueillir un
bouquet pour offrir à leur papa». Et puis j’ai dit «mais t’es sûre que c’est
bien ça que vous avez chanté à l’école»? Et alors elle m’a dit «ah non à
l’école c’est pour les mamans». Donc voilà. Elle avait fait la transformation
et donc pour elle si vous voulez les fleurs venaient pour moi parce que
148
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
j’étais plus proche d’elle et que c’était plus moi qui m’occupais d’eux. Donc
les fleurs me revenaient plus qu’à leur mère.
Armand : C’est vrai que ça crée des liens très, très forts (…) c’est vrai que
c’est Pierre surtout, qui m’appelait «mapa». Il n’a jamais dit papa, il n’a
jamais dit maman, et il a dit mapa.(…)
Jacqueline: Je pense que bon ben lui c’était toujours « papa » et il est
toujours collé à son père hein malgré tout ça reste quand même.
Grégoire : Je sais que les filles sont quand même assez attachées à moi.
C'est-à-dire que bon la petite, il lui faut toujours ses 15 bisous avant de
partir, ses trois gâtés et resauter dans les bras.
Claude : Et puis maintenant je dirais que les relations sont assez cool,
d’ailleurs elles apprécient même plus la situation lorsque ma femme est
partie et que je suis seul à la maison parce que tout tourne. (…) Et donc
maintenant c’est assez, c’est très, très bien. Et elles rigolent de ma situation
de ne pas travailler parce que quand elles doivent remplir des papiers pour
l’école « profession du père: rien » (…) bon ça les fait marrer quoi. Mais ça
se passe bien.
Claude: Bien donc dans un premier temps ce qui a été très intéressant c’est
qu’elles ont chacune à leur tour fait une crise. Donc bien quoi, avec des
confrontations mais très, très fortes.
L.M: Une fois que vous avez arrêté?
Claude: Oui oui. Je dirais que quand je n’étais… avant que je n’arrête, ce
qui se passait (…) c’est que comme je me sentais tellement coupable de ne
pas être là, quand j’étais là, j’étais un peu une espèce de papa gâteau qui
accepte tout et qui pardonne tout et qui laisse tout passer. Parce que je les
voyais tellement peu que c’est pas à ce moment là que j’allais commencer à
jouer au gendarme. (…) Bon maintenant que j’étais tout le temps à la
maison, je me suis retrouvé dans un rôle différent puisque j’étais plus dans
cette culpabilité. Et là j’ai commencé à faire respecter les règles qui étaient
celles que ma femme avait mises en place depuis des années. Mais là
évidemment ça a clashé. Dans un premier temps elles se sont révoltées l’une
après l’autre
Mais ce sont elles aussi qui l’ont poussé à tenir ses engagements.
149
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Claude : Et il a fallu ici que j’explicite, puisque dans les réunions de famille
comme on se dit pas mal de choses, j’avais dit aux filles « Voilà. J’arrête de
travailler dans l’objectif de m’occuper de vous ». Vous pensez bien que très
vite elles me l’ont rappelé quand j’étais à la maison, hein. Et que à 16h je
faisais autre chose, ne serait-ce que lire ou jouer du piano… ou aller me
balader, ou aller chez des amis puisque bon comme j’avais du temps… Et
parfois j’étais pas là quand elles rentraient à 16h, elles me le reprochaient
en disant «attends papa, c’est quoi ce truc-là? Tu nous as vendu un truc
maintenant et tu ne respectes pas le contrat?».
Philippe: Mais donc avec mes enfants, à un moment donné je pense qu’elles
étaient aussi demandeuses que je retravaille. Je pense que pour des enfants,
avoir un papa qui ne travaille pas, je pense que socialement à l’école, ça a
quand même encore … C’est quand même un petit poids. C’est un pas
grand poids hein au point de devenir un problème mais… Je pense qu’elles
étaient contentes que je retravaille.
L.M: A l’école elles disaient quoi?
Philippe : Je pense qu’elles papotent avec leur copines et elles disent que
papa ne travaille pas, il est au chômage. J’imagine qu’à un moment donné,
ça doit faire un peu court, je sais pas, dans l’image du père qu’elles peuvent
avoir.
Colin regrette, lui, le fait que ses enfants ne réalisent pas encore ce
qu’il fait pour eux. Par certaines de leurs réactions, ses enfants lui donnent
le sentiment qu’il tient le « mauvais rôle ».
150
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
maman mais pas avec leur papa. Et c’est peut-être parce que je suis là tout
le temps.
Pour terminer nous rapporterons une discussion que nous avons eue
avec Yvan et son fils de 5 ans, Sacha. Nous avions demandé à Yvan s’il
savait comment son fils décrivait à l’école l’activité de son père. Yvan nous
a invité à poser la question directement à Sacha. Voici sa réponse :
L.M : Quand on te demande qu'est-ce qu'il fait ton papa qu'est-ce que tu
réponds ?
Sacha : Je sais pas.
Yvan : Si tu sais ce que je fais.
Sacha : Je sais pas comment on dit.
Yvan : Dis-le avec d'autres mots alors. Choisis des mots que tu sais. Hein ?
Sacha : J'ai oublié les mots.
Yvan : Dis-le en Suédois alors.
Sacha : Pourquoi ?
Yvan : Mais non je ne sais pas (rire).
Sacha : J'ai oublié les mots. Je sais pas en Français et non les mots en
Suédois j'ai oublié. Je sais pas.
L.M : Et ta maman elle fait quoi ?
Sacha : Elle travaille.
L.M : (…)Et papa il travaille aussi ?
Sacha : Non.
L.M : Il fait quoi alors ?
Sacha : Je sais pas.
151
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Hervé : (…) j’ai une sœur qui est psychologue Elle est bien, d’ailleurs elle
me flatte chaque fois qu’elle m’a au téléphone, elle me dit « oh mais
comment tu fais ? Je ne comprends pas moi avec mes deux maintenant j’ai
du mal chaque fois ». Elle est très valorisante, et tout ça quoi.
140
Smith C., op. cit., pp. 147-148.
152
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Claude : Donc je dirais que ça a plutôt été bien. Et beaucoup de nos amis
admirent la démarche que j’ai faite, en disant « pff, c’est vrai que
j’aimerais bien faire… ».Il y en a plusieurs à qui ça donne l’envie. En
disant « pff, moi aussi j’ai une vie de fou. Mais je n’ose pas. » Il y en a
beaucoup qui disent ça : « Il faut quand même oser ».
Dans le cas de Bruno, l’envie qu’il a suscité chez l’un de ses amis a
abouti à ce que ce dernier change ses propres habitudes.
Samuel : j’ai changé aussi, donc, à part d’être soutenu, les gens ont vu donc
un autre homme. Autrement épanoui, autrement… avec d’autres
orientations, un petit peu plus sérieuses et raisonnables. On devient sérieux
quand on est papa.
153
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Samuel: Plusieurs fois, avec mon premier dans les bras et le deuxième aussi
d’ailleurs, je suis en train de lui donner le biberon sur un banc public, donc
dans un parc, peu importe, et des personnes, des grands-parents plutôt, des
personnes de 60 ans ou plus s’arrêtaient pour me dire: « ce que vous faites
là, il va s’en souvenir toute sa vie» (…) Par rapport à certains
professionnels, j’en ai rencontré deux: ceux avec une belle expérience,
énormément de souplesse et qui se sont adaptés aux changements des jeunes
et moins jeunes mamans et papas. Et qui ont…et qui étaient déjà informés
de l’existence et de la multiplication des nouveaux papas, dit les papas
poules, qui vont prendre un nouveau-né dans les bras, qui vont langer le
nouveau-né, s’occuper de lui, le nourrir, etc. J’ai vu et été très bien
accueilli par ces personnes-là d’une certaine expérience.
Jean-Paul : Bon, une fois quand je dis que je suis père au foyer, on me dit:
« Ah, vous en avez bien de la chance ». En général, c’est ça la réflexion: «
Vous en avez bien de la chance ».
154
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Christophe: Je crois que se sont des gens marginaux. Leur façon d’être,
leur façon de penser, leurs occupations, leurs passions, la façon de parler
de leur travail. (…) Heu, oui, il y a un côté marginal, il y a un côté peut-être
un peu, c’est peut-être un peu le côté snob de chez mes amis et de chez moi-
même, c’est de ne pas être comme les autres. (Rires) Un peu, un peu, c’est
une bêtise quoi! C’est peut-être un luxe qu’on s’autorise.
155
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Karl : c’était après l’école, nous sommes rencontrés, nous avons laissé les
enfants jouer pendant une demi-heure, une heure, chaque journée après
l’école. Et alors, nous avons parlé, nous avons amené du café parfois (rire).
On a fait des petites excursions parfois.(…) alors comme nous sommes à la
maison, je viens chercher, laisser mon enfant dans l’école, j’ai rencontré les
autres alors, j’ai resté dans la plaine de jeux…
L.M: La cour de récréation…
Karl : oui, la cour de récréation, et on a commencé à parler. (…)
L.M: Et ce n’était que des hommes, ou bien des hommes et des femmes?
Karl : Dans ce temps là, c’était seulement un an que j’étais là, mais il y
avait la plupart qui était ou qui sont des hommes. C’était difficile en fait
pour les femmes d’entrer dans ce cercle. (Rires) (…)
L.M: Et heu, c’était un groupe, donc, vous faisiez des excursions, c’était
aussi un lieu où vous parliez des enfants, de quoi est-ce que vous parliez
ensemble?
Karl : Oui, mais pas seulement des enfants. J’ai remarqué les femmes, elles
parlent que les enfants.
156
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Karl : c’est absolument naturel ici, parce que c’est plus de femmes en Suède
qui passent le test, le concours, elles sont plus intelligentes, mais elles ont
des meilleurs résultats dans l’école, alors nous doit les suivre. Il y a plein
des hommes qui sont à la maison ici, que j’ai rencontrés.
L.M: Vous avez, heu… Ce sont des hommes qui …, dont l’épouse travaille
aussi dans cette institution européenne?
Karl : Oui
L.M: D’accord! Donc, quelque part, c’est normal, quand on a une femme
qui travaille pour cette institution européenne de rester à la maison.
Karl : Oui (…) en tout cas, nous avons le même cadre de références. Nous
sommes venus ici, avec les femmes, et on a quitté notre vie travaillante, et
nous sommes j’espère ouverts pour commencer une nouvelle vie.
Hervé : il y a une vieille dame à B. justement qui était une amie d’enfance
de mon père. Elle est décédée maintenant depuis un mois. Et qui était
psychologue. Et j’allais souvent la voir. Et elle avait travaillé beaucoup
avec les enfants. Et elle souvent je lui parlais. Elle était formidable pour ça.
(…) chaque fois que je lui téléphonais, j’avais je ne sais pas, une remise en
question ou quoi, j’avais un problème avec un enfant, je lui en parlais.
Parce qu’elle était vraiment à l’écoute, et alors justement elle était super
sympa. Elle avait souvent des déprimes parce qu’elle était seule, alors
j’allais la voir pour un oui ou un non. J’avais les clés de son appartement et
je débarquais chez elle comme ça. C’était comme une tante. (…) Elle,
j’allais souvent la voir et elle était formidable avec les enfants. Et là aussi
c’était un peu relais les derniers mois. J’allais même au cinéma parfois et je
lui laissais un ou deux enfants.
Samuel: J’ai une sœur qui vit en Italie. Et pour qui je suis sûr et certain que
cette nouvelle situation donc, est venue vraiment comme, très, très bien
accueillie. Cc’est un bonheur pour elle aussi, elle adore les enfants, elle a
deux enfants magnifiques, et merveilleux, (…) donc, des commentaires
positifs, des comparaisons, énormément de conseils et d’échanges avec ma
grande sœur, ce qui est normal. C’était un petit peu, quelque part et c’est
157
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Claude : j’ai eu aussi deux-trois très très bons amis, deux femmes et un
homme, à qui j’ai fait la demande explicite à un moment où ça allait
vraiment très, très mal, leur demander « est-ce que je peux vous appeler
jour et nuit si vraiment ça va mal ?». Et tous les trois m’ont dit « oui », et
j’ai passé de nombreuses heures avec ces deux femmes et cet homme
séparément, soit au téléphone soit aller souper parfois à deux, juste pour
être capable de verbaliser ce que je vivais et d’avoir un regard extérieur qui
ne soit pas celui de ma femme.
Hervé: Je n’y vais pas parce que c’est la maison Dolto. J’y vais parce que
c’est pratique. Vous y allez l’après-midi ou parfois le matin. Il y en a trois à
B. Et alors l’avantage c’est que ce n’est pas fatigant pour les parents. C’est
beaucoup moins fatigant que de rester à la maison. Vous allez là-bas et les
enfants rencontrent d’autres enfants et les parents doivent rester. (…) Moi
j’y allais parfois pendant trois-quatre heures là-bas. Alors vous donnez, je
ne sais plus, il faut payer 2 €, une petite participation et il y a un ou deux
éducateurs qui sont là, un psychologue ou même un psychiatre qui sont là
et qui à la limite peuvent vous aider ou ... Mais eux ne parlent jamais Ils
sont toujours à votre écoute et tout ça.
Laurent: C’est vrai que le travail que je fais aujourd'hui avec cette dame va
sans doute m’aider à nommer les choses, et plus me dire: « ouh, lala, qu’est
ce que je fais? Il faut que je recommence à bosser comme un malade, ou il
faut que je recommence à bosser, tout simplement ?» Peu importe, mais
j’espère que… enfin, je n’attends pas d’elle la réponse, mais plutôt de moi,
mais un peu grâce à elle. Euh pour mieux nommer ce que je vis. Parce que
c’est vrai, comme je vous l’ai expliqué, c’est arrivé de façon un peu
précipitée. (…) Le travail que je fais avec cette personne, c’est d’abord
pour mieux nommer ce que je vis. Et soit me dire: « ben c’est ça, je l’ai
nommé, et je le vis à fond. Et j’arrête de la vivre en stand by. » Parce que
c’est vrai que ce qui devient de plus en plus pesant, c’est de la vivre en
158
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
141
Harper J., op. cit., p. 181-182; Russell G., op. cit., 1983, p. 134-136.
142
Harper J., op. cit., p. 185.
143
Karl a fréquenté pendant quelque temps un groupe de pères au foyer (qu’Yvan a quant à lui refusé de
rencontrer), et Claude et Bruno se connaissent de longue date, leur amitié ayant précédé le passage au
foyer.
159
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Bruno: En plus, je me suis rendu compte aussi, bon, par rapport au regard
extérieur, bon, je suis entouré de pas mal de gens en fait, c’est complexe,
soit des gens vous envient, mais ils ne feraient jamais la même chose que
vous en fait
Grégoire : Parmi les amis, j’ai déjà eu beaucoup de discussions avec les
gens comme ça et … parfois c’est, il y a des hommes qui me disent
carrément que j’ai de la chance, qui voudraient bien être à ma place ou
bien que ça ne les dérangerait pas, qu’ils l’accepteraient. Et bon j’en
connais quand même pas qui ont franchi le pas. Parce que c’est toujours
facile de dire « je le ferais bien ». Mais entre le dire et le faire réellement il
y a quand même souvent un pas à franchir.
Karl: Juste une réflexion: j’ai remarqué que la plupart des femmes disent: «
mais c’est merveilleux que tu es à la maison ». (Rires) Même qu’il reste un
petit sens dans leur voix, en tout cas après quelques semaines ou quelques
mois, « mais tu es encore à la maison? ». Et c’est peut-être moi qui sens
cela, mais en tout cas, ce serait plus facile si je resterais alors une demi-
année à la maison, et après je trouvais un travail normal ou très masculin,
et j’aurais pu dire que : « oui, je restais à la maison et maintenant je
travaille, comme normal ». Ce serait plus facile. Même que je n’ai jamais
entendu quelqu’un qui dit: « mais tu rêves, tu es resté 14 mois, c’est
terrible, hein! », ça n’existe pas. C’est plutôt des choses de sens fin.
L.M: Oui, c’est subtil.
160
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Hervé : Mais c’est vrai que parfois il y a des gens comme ça. L’autre jour,
j’étais dans un magasin près de P. et alors il y a un type qui me reconnaît
161
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
L.M (à propos de l’épouse de Hervé): Elle en parle à son travail du fait que
vous restez à la maison?
Hervé: Oui tout le monde le sait. Oh oui, oui bien sûr. Mais comme ils
travaillent dans l’environnement durable, ils rigolent parfois avec ça et
disent « ah c’est bien » (rire) Oui parfois j’ai des remarques. Un jour il y
avait une réunion et alors il y avait un monsieur d’entreprise qui est arrivé
et qui souriait et qui rigolait un petit peu comme ça, mais bon.
Serge : Il y a juste dans mon équipe de hockey, quand ils ont appris ça, ils
se sont un peu marrés en disant: « c’est toi qui fais le repassage,
maintenant ? Et ça va pour faire à manger? » Et bon…
Les réactions dont nous avons fait état ici, tout comme celles qui
feront l’objet du point suivant, sont autant de mécanismes informels au
travers desquels s’exerce le contrôle social. Ce que nous observons ici est
bien rendu par Harper : « Les mécanismes informels de contrôle social,
comme les ragots, les taquineries et les railleries ou juste de simples
silences, sont (…) couramment utilisés pour faire rentrer les gens « dans
les rangs ». Ce sont des sanctions à l’usage de la non-conformité. (…) Un
père au foyer viole ostensiblement les normes sociales qui ont trait aux
rôles sexuels ».144
162
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
145
Russell notamment note que les réactions des femmes sont globalement plus positives que celles des
hommes, mais il ajoute plus loin que les pères qu’il a rencontrés voient rapidement ces réactions sous un
autre jour : celles-ci seraient chargées de sous-entendus quant à la réalité de leurs compétences, ou
d’ironie – ce qui renvoie à l’identification, dans nos entretiens, de remarques se profilant comme de
subtils rappels du manque de légitimité de la paternité au foyer. (Russel G., op. cit., 1983, p. 134-138) De
son côté, Harper établit une liste des réactions dans laquelle elle distingue trois sous-
groupes correspondant aux personnes de qui elles émanent, à savoir les femmes, les hommes et les
parents.
163
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Yvan : Ma belle-mère aussi quoi, je pense qu'elle, oui c'est pas très évident
avec elle (rire) de s'entendre. Elle, elle trouve que c'est bien mais d'un autre
côté elle reste je crois plutôt dans, dans un, comment ? Un format très
classique comme ça où c'est la mère qui doit savoir ou des choses comme
ça. On ne peut pas demander, si on me demande mon avis pour un truc pour
les enfants elle dit « hé ! » En plus elle pense que je ne comprends pas, elle
le dit en suédois mais je comprends tout ce qu'elle dit.
Ces extraits illustrent une série de réactions qui rappellent aux pères au
foyer qu’ils investissent un rôle et des pratiques féminines. Le premier et le
dernier révèlent également toute la complexité des réactions évoquées ou
de l’importance jouée par l’appréhension subjective des réactions d’autrui.
Les propos tenus par Armand n’indiquent pas clairement quelles ont été les
réactions des mères autour de lui, mais se focalisent plutôt sur
« l’impression » que des réactions dont il ne fait pas état suscitent en lui.
Dans le cas de Claude, les remarques portent sur le rejet à la fois de la
transgression des normes de la division sexuelle du travail et de l’idée
qu’une femme puisse « s’amuser » pendant que son mari assume seul
l’entièreté des tâches ménagères – le « s’amuser » remplaçant poliment,
comme Claude le précisera plus loin, « avoir des aventures avec d’autres
hommes ».
Brice : Ou bien parfois quand je vais faire les courses, je discute avec les
caissières. Et l’autre jour il y en avait une qui allait justement prendre du
temps pour s’occuper des enfants. Et je lui explique que moi je l’ai fait. Et il
y a une dame derrière qui fait « mais pourquoi c’est pas votre femme? » «
164
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Parce que c’est moi qui ai choisi de le faire » (rire). Et donc elle était
vraiment interpellée. Elle trouvait normal que la caissière s’en aille pour
éduquer ses enfants mais elle trouvait pas normal que moi je sois resté chez
moi. Enfin voilà.
Karl: mais je peux dire que parfois c’est un problème pour les autres gens.
Ces gens peuvent parler, parce que c’est les prérogatives des femmes de
prendre ces mois. Et parfois, c’est: « mais qu’est-ce que tu fais? C’est mon
endroit! » Et ce n’est pas très facile d’entrer dans ce régime pour les
hommes.
165
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
que moi je suis un peu plus, bon en tant qu’homme, ça va plus vite. C’est
vrai que je n’ai pas la patience d’une femme. Et puis ils sont peut-être pas
toujours bien couverts ou j’oublie ceci ou j’oublie ça quoi. (rire) Ca c’est
amusant quand je vais là dans ces maisons de rencontrer parfois des mères
qui ne sont pas, qui n’aiment pas trop, qui sourient ou qui...
Samuel: J’ai rencontré et été moins bien accueilli par des personnes de
moindre expérience ou, comment je dirais? Plus conservatrices, qui ne
pouvaient pas imaginer un seul instant cette situation-là, ou qui imaginaient
moins facilement cette situation-là, et qui donc marquaient elles une
certaine inquiétude à voir donc, un homme avec des grosses pattes, hein,
bon, elles ne sont pas si grosses que ça les miennes, mais enfin bon, prendre
soin du nouveau-né et s’occuper un petit peu de questions de problèmes
qui…, dont en général, les hommes ne se mêlent pas. Enfin, bon, et avec une
tendance de s’adresser à la maman, plutôt qu’aux deux ou exclusivement au
papa dans certains cas. Et donc, de voir un petit peu…, d’être étonné,
surpris, et même de voir avec une certaine réticence, la présence d’un
homme dans la chambre d’hôpital. C’est arrivé une fois, à la maternité.
Yvan : Quand elle est née aussi à l'hôpital c'était la même chose hein. Moi
je pensais à lui donner son bain la première fois, Juliette voulait se reposer.
L'infirmière me dit « la mère doit venir avec ». Je lui dis « mais elle n'a
jamais donné un bain à un enfant quoi, elle va pas le faire ». « Non, non
elle doit venir avec ». Bon on est allés et puis
L.M : C'est pour la deuxième ?
Yvan : Oui. Alors je pensais donner le bain. (Imitant l'infirmière) « Non,
non je vais le faire ». « On a déjà un enfant je sais comment on fait ».
(Imitant l'infirmière) « Vous avez oublié ».
Des exemples du même type que ceux que nous relatons ici se
retrouvent de manière récurrente dans d’autres études : rappel de la
responsabilité première de la mère en ce qui concerne le suivi scolaire (de
la part d’enseignants), la santé de l’enfant (de la part de pédiatres)146,
remises en questions de la capacité des hommes à s’occuper correctement
d’un enfant147, questions sur les raisons de l’absence de la mère148… Smith
146
Lutwin D., Siperstein G., op. cit., p. 281.
147
Rapporté notamment par Harper J., op. cit., p. 181-182 ; Lutwin D., Siperstein G., op. cit., p. 280 et
Smith C., op. cit, p. 149.
166
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
rapporte dans ses travaux que les pères au foyer doivent se soumettre de
façon récurrente à une série de tests (comme la préparation de pâtisseries
pour l’école, par exemple) dont la réussite conditionne l’acceptation, par
les autres mères notamment, de l’idée qu’ils ont effectivement les
compétences requises pour assumer leur rôle, et qu’ils le remplissent
effectivement. Il met également en lumière une série d’interactions sociales
au cours desquelles le statut de père au foyer à plein temps est oublié,
délibérément ou non, par un interlocuteur et qui laissent selon lui
transparaître l’idée tantôt que le père au foyer n’est pas entièrement
responsable des enfants, tantôt qu’il n’est pas possible qu’un homme se
définisse majoritairement par le biais du soin donné aux enfants plutôt que
par référence au travail professionnel à temps plein – si ce n’est sur une
base temporaire. Ce présupposé est si fortement ancrée que le rappel au
cours de la conversation de la position occupée – à savoir celle de père au
foyer – est appréhendé comme un trait d’humour (une « bonne blague ») ou
est oublié aussitôt.149
148
Russell G., op. cit., 1983, p. 134-136.
149
Smith C., op. cit., p. 149. L’incrédulité face à l’annonce faite par un homme de ce qu’il est père au
foyer, qui peut aller jusqu’à prendre une telle annonce pour une plaisanterie, est également mentionnée
notamment par John Fox, l’un des hommes interviewés par Harper. Voir Harper J., op. cit., p. 174.
150
Doucet A., op. cit., p. 288.
167
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Bruno: Des gens qui ont réagi, si je veux vous dire, c’est les beaux-parents
de mon frère, par exemple, très, très fort. Les beaux-parents de mon frère
ont réagi. Là clairement, ils ont même réagi, je peux vous dire que, ils ont
réagi, et ça, c’était il y a cinq ans. Parce que lui est un architecte à la
retraite, et on a eu affaire à lui pour des soucis ici dans la maison, et
comme c’était encore la maison de mes beaux-parents, mes beaux-parents
étaient là. Et je sais donc, comme ils étaient à la retraite ils sont venus tous
les deux, et ils ont parlé à ma belle-mère en disant: « votre beau-fils qui ne
travaille pas, vous trouvez ça normal et tout? ».
151
“In referring to « a guy thing », these fathers are implicitly referring to the connections between
dominant or hegemonic masculinity and paid work and the associated sense of vertigo that men feel when
they relinquish earning as a primary part of their identity.”, in Doucet A., op. cit., p. 289.
168
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
encore de temps en temps les réflexions avec les enfants « il faut bien que
maman travaille pour vous nourrir » ou des choses comme ça.
L.M : Qu’est-ce qui la dérange?
Grégoire : Ben ce qui la dérange c’est que c’est mon épouse qui gagne
l’argent.
Jean-Paul : Quand l’aîné est né, je n’avais pas de statut officiel puisque je
n’étais pas naturalisé. Ca a duré six ans. J’ai vu tous les ministres possibles
et imaginables. J’ai été jusque chez l’autre sénateur bourgmestre à A. pour
lui expliquer ma situation. Il m’a traité de proxénète parce que je faisais
travailler mon épouse à ma place, alors que je ne pouvais pas travailler du
fait que je n’avais pas de statut.
Laurent (à propos de son père) : euh il se dit, euh, ce que je vous disais tout
à l’heure: « est-ce qu’il sera, est-ce qu’il est vraiment épanoui avec cette
situation, est-ce que entre guillemets, il ne se fait pas dominer par sa femme
qui lui a imposé le fait de vouloir travailler et lui euh hein »
Claude : Donc c’est sûr que ils ont un peu de mal à accepter. Bon ils ont
compris mes motivations à arrêter de travailler, mais en même temps ils ont
du mal à accepter qu’il y a des longues périodes où je me retrouve seul à la
maison avec mes enfants à devoir assumer tout, parce que ma femme est en
train de s’amuser entre guillemets à l’étranger.
169
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Philippe: Je pense que les gens de ma génération qui sont des amis ou des
choses comme ça, ils me connaissent bien donc ils ne s’en font pas, mais
quelque part, ça les inquiète quand même un peu, eux. Le fait que je ne
travaille pas et que je puisse me sentir… (…)
L.M: Quand vous me disiez que vos amis étaient inquiets, c’était inquiets
dans quel sens, inquiets pour vous ou inquiets pour eux?
Philippe : Inquiets pour eux. Pas inquiets pour moi, ou peut-être par
moments. (rires) Mais non, c’est plus une inquiétude, un peu comme si vous
voyez une personne en chaise roulante, vous êtes quelque part, petite
inquiétude de vous retrouver en chaise roulante quand même. C’est un peu
dans ce sens-là, l’inquiétude. (…) je crois quand même que quand on se
trouve comme homme à dire « je ne travaille pas, et je suis content de ne
pas travailler » c’est dire « je suis un homme mais pas seulement par le
travail ». Donc, j’ai dans mes amis quand même, je pense que beaucoup de
mes amis sont journalistes, c’est ça en premier qui fait qu’ils sont un
homme, ils sont d’abord journalistes. Donc imaginer qu’ils puissent perdre
leur travail, euh, c’est une perte d’identité très grande pour eux.
Karl : Et parfois, un autre exemple avec mes amis qui n’a pas resté à la
maison, …
L.M: Des amis suédois?
Karl : Oui, oui. C’est un, je ne connais pas le mot? Menace que je reste. Et
évidemment ils ont eu des discussions dans la famille: « pourquoi est-ce que
tu ne restes pas à la maison? Pourquoi seulement la femme a demandé ? ».
Et parfois, je crois que c’est une petite menace. (rire)
Samuel: apparemment j’ai même été un petit peu trop loin parce que face à
des amis, des couples dont on ne connaît pas vraiment l’intimité, ben,
apparemment de retour à la maison, ça a été: « tu vois, hein! Samuel, lui, il
se réveille la nuit, il nourrit l’enfant, il est là les après-midi, il laisse partir
sa femme le samedi toute la journée faire ses courses et il s’occupe des
enfants…» Donc, quelque part, attention aux situations disons de
…comment dirais-je? Oui, de jalousie que ça peut créer au sein de couples
où ça ne s’est pas passé comme ça
170
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
qui, par un effet de boomerang, donne l’impression en retour que les pères
au foyer « se la coulent douce », image qui revient fréquemment comme
nous le verrons lorsque nous aborderons le point suivant.
Grégoire : Et même au niveau de mes amis, bon je fais du sport, et les gens
que je fréquente, je fais du, j’ai fait énormément de vélo, maintenant je fais
plutôt de la course à pied, mais même là-dedans c’est souvent un peu de,
comment dire, le sport d’un certain niveau les gens sont un peu macho
comme ça, vous voyez, être aussi valorisé par rapport à ça. Et bon j’ai
souvent eu des problèmes. (…) Entre hommes c’est difficile de ne pas,
comment dire, se faire valoriser par son travail. Mais qu’on fasse n’importe
quoi, de toute manière à partir du moment où on fait du travail, même si
c’est un bête travail manuel ou quelque chose, c’est valorisant de toute
façon. A partir du moment où on reste à la maison et ben c’est…
Hervé : le premier jour que je suis venu l’habiter (la maison), mon voisin
m’a demandé qu’est ce que je faisais. Et je lui ai dit que j’étais père au
foyer. Et il m’a regardé d’un drôle d’air, pas très rassuré. Et puis le
lendemain, il a réfléchi et il m’a dit « mais qu’est-ce que tu as fait dans ta
vie ? » Eet je lui ai un peu expliqué mon parcours. Et alors il a commencé
à être rassuré, et puis quelque temps après, il a dit » c’est super ce que tu
fais, c’est du boulot ».
171
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
L.M: C’est pas ce genre de crainte que votre maman avait au début quand
vous avez décidé d’arrêter de travailler?
Didier : Non, c’est pas le fait…non, ce n’était pas à ce niveau-là. Ca elle
savait bien que... je... j’étais capable de faire ça. Mais c’était plus le fait sur
la tradition que…que c’était l’homme qui restait à la maison, et que en plus
moi j’avais fait des études, et que… voilà, et qu’après c’était pour rester à
la maison. Mais elle n’acceptait pas facilement et…
Philippe: C’est là que je me suis dit, ben oui. Mais avant de prendre mon
travail, je ne me sentais pas vraiment mal quoi. Il y a des jours avec et des
jours sans. Mais une fois que j’ai retravaillé, je me suis dit « mais oui tout
d’un coup, je me sens mieux ». (rires) Donc il y a quand même quelque
chose, il y quand même un truc qui… la valeur travail vient quand même
172
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
soutenir quelque chose (rires). Moi qui m’étais toujours dit « ben le travail
il n’y en a de toute façon plus pour tout le monde, ça ne sert à rien de se
bousculer pour avoir du travail » mais là je suis occupé à me dire « mais
quand même, le travail c’est quand même un élément qui dans la vie d’un
être est un plus ». (…)Oui parce que quelque part il y avait un potentiel qui
dormait quoi, et c’est un petit peu bête d’être… Enfin c’est, j’étais un petit
peu soulagé, parce que quelque part aussi il y a toute l’expérience
professionnelle qu’on peut acquérir et qu’un moment donné dans la vie, on
a envie de transmettre, enfin il y a un côté qu’on a envie de transmettre
quoi. Quand on ne travaille pas, on ne transmet plus, on n’a plus de cadre
pour transmettre. Ou bien il faut trouver des nouveaux cadres mais donc
euh. (…)
C’est une source de contacts sociaux et le médium par lequel ceux qui
l’exercent acquièrent une identité sociale.
Claude : Donc ça a été une année qui a été très, très bouleversante
intérieurement. Parce que quand on arrête de travailler, enfin je vais parler
pour moi, je ne sais pas si c’est une généralisation, mais quand j’ai arrêté
de travailler, malgré le fait que je connais par coeur le processus de deuil,
je l’ai enseigné maintes et maintes fois en entreprise, le deuil a quand même
été beaucoup plus difficile à faire que je ne l’imaginais. Parce que il y a une
perte d’identité. Je ne savais plus qui j’étais puisque je ne faisais plus rien.
Quand les gens me demandaient « qu’est-ce que tu fais ? », soit je disais
« je faisais », d’ailleurs vous m’avez demandé de me présenter, je vous ai
dit ce que j’ai fait jusqu’à présent avant de m’arrêter. Mais « qui êtes vous
? », moi je savais plus à quoi je sers. Je servais plus à rien sauf à
m’occuper des enfants.
173
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Grégoire : Ca revient à ce que je vous disais tout à l’heure, que les hommes
ont du mal à se valoriser par autre chose que le travail. Même je pense
qu’il y a beaucoup de personnes à partir du moment où ils ont leur retraite
ou leur pension plus tard ils ont des problèmes parce que ils ne se sentent
plus valorisés par le travail. C’est question de ça.
Didier : Mais j’crois déjà que l’fait qu’il y a un des parents qui reste à la
maison c’est déjà de moins en moins fréquent. Quand on entend autour de
nous, même les mamans qui restent à la maison il n’y en a plus beaucoup
donc euh…dire qu’il y en a un qui ne travaille pas c’est déjà une chose,
mais quand c’est le papa ben … (rire) C’est parfois plus dur à passer mais
bon (soupir)
174
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
152
Le calcul coûts-bénéfices effectué au moment de prendre la décision est aussi utilisé par la suite pour
faire la démonstration des économies qui résultent de la présence au foyer du père (qui effectue certains
travaux lui-même, prend le temps de partir à la recherche des « bonnes affaires », s’occupe lui-même des
enfants etc.). Ceci permet aux pères au foyer d’appuyer l’idée qu’ils contribuent aussi financièrement au
ménage.
175
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Jean-Paul : Il doit y avoir sûrement des gens qui disent « mais celui-là, il
manque, bon, il manque de force virile ou il fait des tâches à la limite
avilissantes » entre guillemets. « Se mettre à quatre pattes pour nettoyer par
terre, ah, un homme qui se met à quatre pattes pour passer le torchon,
quand même ! » Je suis certain qu’il y a certains qui le pensent mais qui ne
me le disent pas
Samuel: Papa poule est parfois considéré comme une vraie poule, donc pas
un homme. Et j’ai entendu dire des choses et d’autres: « qu’est-ce qu’il est
gentil, il est trop gentil pour un homme »
Nous avons été frappée, au cours des entretiens, par la faiblesse des
références directes à la masculinité et à son déni explicite dans les récits
des réactions d’autrui que les pères au foyer nous ont livrés. Russell fait le
même constat dans son propre travail, et se demande à cet égard s’il ne faut
pas y voir le signe soit d’un refus de la part des hommes interrogés
d’aborder cette question, soit d’une difficulté pour les hommes à aborder ce
genre de sujet.154 On pourrait en effet y voir le signe du processus, mis au
jour par Garfinkel dans sa célèbre analyse du cas d’Agnès et qui consiste à
minimiser ou évacuer une question qui renvoie à sa propre identité de
genre.155
Les réactions qui ont une portée invalidante touchent enfin au manque
de reconnaissance du travail effectué à la maison et des difficultés liées à la
153
Le renvoi du côté de l’homosexualité qui se situe, selon Connell, au bas de l’échelle hiérarchique des
masculinités, est également signalé dans les travaux de Smith (Smith C., op. cit., p. 148) et de Lutwin et
Siperstein (Lutwin D., Siperstein G., op. cit., p. 280.
154
Russell G., op. cit., 1983, p.127-128.
155
Garfinkel H., Studies in ethnomethodology, Polity Press, Oxford & Cambridge, 10e édition, 2004. On
peut également l’interpréter d’une autre manière – interprétation qui peut se combiner à la précédente –,
en faisant l’hypothèse, en tout cas dans notre propre étude, qu’il n’est plus de bon ton à l’heure actuelle de
faire ouvertement et explicitement référence à la masculinité au cours des interactions avec autrui.
176
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Yvan : C'est drôle je vais vous dire ça avant d'oublier. Je, en parlant de
représentations. Parce que l'autre jour, je rêvais que je disais à quelqu'un
que quelqu'un allait venir faire un travail sur les pères au foyer, et alors je,
je hum je disais à cette personne « je ne sais pas en fait si c'est un travail
sur les paresseux » (rire) enfin c'est vraiment là-dessus, c'est vraiment donc
(rire).
Yvan : Mais sinon ben par rapport aux institutions on va dire euh bon, tout
ce qui est syndicat et tout ça, aller expliquer, ça faut laisser tomber quoi je
veux dire ça, ça sert, j'ai essayé de le faire l'autre fois quand j'ai reçu ma
lettre euh de, comme quoi on allait me retirer le chômage, les allocations de
chômage plutôt et j'ai un peu expliqué ça mais la, je me trouvais face à un
mur donc euh. En gros pour la, la demoiselle là j'étais un paresseux. (…) (à
propos de sa famille) on me dit que moi je suis en vacances tout le temps ou
« qu'est-ce que tu fais de tes journées ? »
Armand: Enfin vous savez je pense que c’est, ça s’est tassé mais j’ai quand
même des beaux-frères dans la famille qui ne l’ont jamais admis. Etre au
foyer c’est n’avoir rien à faire quoi.
Dans le cas de Grégoire, l’idée qu’il n’a rien à faire, répandue parmi
les membres du club sportif qu’il fréquente, va jusqu’à entacher ses
victoires sportives, l’empêchant ainsi de les savourer pleinement.
156
Harper J., op. cit., p. 46, 48, 55, 58, 178, 181-182; Russell G, op. cit., 1983, p. 134-136.
157
Nous reviendrons sur le voisinage dans un point ultérieur
177
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
comment dire, avec quelqu’un, la réflexion c’était «oui mais moi j’ai un
travail, je travaille pendant la semaine. C’est normal que je sois plus
fatigué ». Oui. « Si j’avais autant de temps pour m’entraîner que toi ». Ils
ne se rendent pas compte qu’à la limite parfois j’ai pas plus de temps pour
m’entraîner parce que je dois par exemple, pendant les vacances j’ai très
difficile. Parce que j’ai pris toujours l’habitude de ne pas laisser mon
épouse avec les enfants, même le soir, de rester en famille et tout ça, parce
que bon, de ne pas en plus accaparer le temps le soir. Ca fait que bon, si
j’ai pas la matinée ou la journée pour m’entraîner, parce que j’ai les
enfants qui sont là, et après je me retrouve pratiquement de week-end à
week-end à n’avoir rien fait. (…) Et même pour faire des travaux à la
maison (…) j’ai souvent moins de temps. Parce que bon ils rentrent à
17h30, mais ils vont travailler jusque 19-20h-21h donc ils ont 4h-5h, ou
bien ils vont travailler tout le week-end, alors que moi, j’essaie de caser ça
entre des plages d’horaires où les enfants sont à l’école. Don c’est une
heure ici, une heure là. Et à la limite ça avance moins vite quoi.
Sans aller jusqu’à sous-entendre que les pères au foyer ne font rien,
certaines connaissances mésestiment la réalité du travail domestique et du
soin des enfants.158
Yvan : Mais euh oui, c'est-à-dire qu'il y a beaucoup de gens qui disent « ah
tu as de la chance euh t'es à la maison tout le temps et tout ». Mais, pff, c'est
pas toujours amusant d'être à la maison.
158
Tout comme nous le soulignions déjà à propos des partenaires.
178
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Solange: Mais par contre, on a l’impression pour n’importe quoi qu’il est
disponible, quoi.
Colin: Oui, que je suis disponible.
Solange: Il est là à la maison tout le temps, donc on téléphone à Colin, ben
il doit savoir donner le coup de main qu’on a besoin je vais dire dans la
minute qui suit. Ca c’est…
Colin: Ben c’est pas le cas.
Solange: Il est à la maison donc il ne fait rien. Si on lui téléphone et qu’on a
besoin il doit être là. Il leur dit « non moi j’ai mes enfants aussi ‘fin j’ai des
trucs à faire » donc il dit « non pas maintenant », ‘fin il reporte plus tard.
.(…)
Colin: François c’est le fils du voisin. Il est au chômage, donc, il s’ennuie.
Ben il vient ici, ‘fin il vient souvent ici, ben il vient un peu n’importe
comment. Alors je le mets dehors presque hein. Je dis « excuse-moi c’est
pas que je t’aime pas mais j’ai autre chose à faire quoi ». Mais ils sont pas
fâchés. Ils comprennent mais, non ils ne comprennent pas, ils subissent.
Yvan : il faut je dirais presque avoir assez confiance en soi ou bien faire
quelque chose et avoir un retour, parce que on n'a pas un seul regard
positif. Il y a personne qui va vous dire euh je sais pas, si on travaille, on
fait un bon travail euh je sais pas, et intellectuel ou pas, ben on, quelqu'un
va apprécier ‘fin ou pas, mais on a un retour de la qualité de ce qu'on fait
ou de l'utilité ou je sais pas moi. Si on fait plaisir à quelqu'un et on est
médecin ou je sais pas on a un retour. Mais là euh si on sait pour soi-même
que c'est, que c'est peut-être bien pour les enfants, on est content d'être avec
ses enfants ou des choses comme ça, bon on se dit « ben, ça leur fera
toujours quelque chose, ils seront pas « maman, maman ! » » Ou euh je sais
pas, « quand les garçons quand ils seront grands, ils seront pas là à essayer
de trouver une mère de remplacement comme ça qui aurait été accaparante.
Ils auront eu les deux, c'est assez équilibré quoi. » On peut se dire ça mais,
mais dans un autre sens il n'y a personne qui vous dit euh « oh ça c'est
super ». On peut dire « oui c'est sympa » mais on n'a pas en tout cas un
retour positif quoi sur ce qu'on fait. Faut être, faut se le dire à soi-même
(rire).
179
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
159
Voir notamment Chabaud-Rychter D., Fougeyrollas-Schwebel D., Sonthonnax F., Espace et Temps du
Travail domestique, Librairie des Méridiens, Coll. Réponses sociologiques, Paris, 1985.
160
Comme les auteurs cités ci-dessus le soulignent, « une partie du travail domestique lui-même s’exerce
en d’autres lieux que la maison. Les boutiques, le marché, les magasins à grande surface, bref les
commerces de tous ordres, sont des lieux où s’effectue le travail domestique. Les rencontres avec les
enseignants, la participation aux réunions de parents d’élèves, font partie du travail domestique. De
même les visites aux médecins, aux dentistes, la présence à l’hôpital lorsque des membres de la famille y
sont soignés. (…) ». (Chabaud-Rychter, D. et al., op. cit., p. 23).
180
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Serge : non, non, il y a eu des réactions un peu partout, mais pas au niveau
de mes parents, non. Ici dans le voisinage, oui, mais…
L.M: Vous pourriez m’expliquer quel genre de réactions vous avez eu ?
Serge : Je suis devenu le fainéant de la rue par exemple, hein. Peut-être pas
pour les jeunes, ceux qui ont mon âge ou qui sont plus jeunes, mais il y a
pas mal de retraités, je sais bien que j’ai des échos, j’ai des retours, pff
comme quoi, «c’est scandaleux, il reste à la maison, il ne fout rien, ce n’est
pas normal à son âge…» En plus de ça ils étaient persuadés que j’étais au
chômage, donc « en plus de ça, il va toucher au chômage…et ceteri, et
cetera…» Alors que je ne suis pas inscrit au chômage, j’ai donné ma
démission, point barre.
Grégoire : Je pense que ici dans le quartier par exemple, c’est un quartier
où il y a quand même beaucoup de personnes âgées qui me voient là à la
maison, je pense que, on ne m’a jamais rien dit, mais ça doit certainement
pas être très, très bien considéré. De voir que, oui, je suis là à la maison, je
peux faire mes petites activités. On me voit faire mon petit sport quotidien.
(…) je pense que dans le quartier on doit certainement dire « ah oui celui-
là, il a la belle vie ».
181
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
161
Smith C., op. cit., p. 152.
162
Smith C., op. cit., p. 153-155.
182
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
midi, centres de jours accueillant les parents et leurs enfants, etc.) sont
occupés quasi exclusivement par des femmes, tout comme les centres
commerciaux ou les magasins suivant les produits qui y sont vendus ou le
moment de la journée. La présence d’un homme, seul ou avec ses enfants,
peut paraître étrange.
Laurent: Euh, et c’est vrai que, d’autant plus à V., enfin, vous ne connaissez
peut-être pas très bien, mais V., c’est vraiment euh, un peu la vieille
bourgeoisie française qui se retrouve, avec des gros principes, etc. Alors
des hommes au foyer, je n’ai jamais fait de recherches, mais à mon avis, il
ne doit pas y en avoir 36. (…) Et c’est vrai que je me sens d’autant plus
comme un martien dans ce microcosme quand je me promène ou… Je me
rappelle, une des première fois où je suis sorti avec les enfants, on est allé
dans une plaine de jeux qui est toute proche, c’est vraiment la caricature de
la mère au foyer, tout bien mise, avec les deux, trois, cinq enfants, parce
qu’à V., ça pullule. (…) Euh, mais c’est vrai que je me suis vraiment senti
comme un martien en arrivant sur cette plaine de jeux, où je me sentais
dévisagé, etc. euh. Parce que: « c’est quoi cet homme, il doit être au
chômage, ou…? » Enfin, ce n’était pas normal quoi.
Yvan : Et alors euh puis parfois quand je vais acheter, si je vais acheter des
vêtements pour euh pour les enfants, les gens rigolent. Oui c'est ça aussi,
les gens rigolent, trouvent ça « sympa » de voir un père qui achète des
chaussures
Colin: Je me sens pas différent des autres pères à la différence que bon, je
vais au rallye avec Kevin, parce qu’il aime bien, moi aussi j’aime bien. De
temps en temps je pratique même un petit peu, quand les moyens me le
permettent ou j’ai l’occasion de le faire. Euh à la différence c’est que je
vois que moi, je suis toujours, si je vais à un rallye je suis jamais, jamais
sans Kevin ou même Raphaël des fois, parce que des fois il vient aussi. Que
tous les autres sont tout seuls. Qui ont des enfants aussi hein. Donc je suis,
bon j’aime bien le rallye mais je vais participer, bon, si Kevin il n’aimerait
183
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
pas ben j’irais pas. Tout simplement. (…) Et que je vois les autres. Ben
seulement par contre elle lui dit « bon lundi c’est l’école dont 18h-18h30
maximum il faut être rentré ». Je rentre. C’est là la différence. Que les
autres ben ils s’en foutent. Et là peut-être on me traite un peu, « ouais t’es
con, tu dois déjà rentrer… ».
Bruno: Je veux dire, vous voyez bien que les mamans à l’école ne cherchent
pas de contacts avec les parents masculins. D’abord il y en a très peu.
Enfin, moi je n’en vois quasiment pas à l’école, je veux dire dans ma
situation. (…) Madame tout le monde, à l’école qui se demande pourquoi
cet olibrius vient conduire ses enfants à l’école tous les matins, bon, etc.,
etc. c’est évidemment moins facile.
Laurent: Et c’est vrai qu’on est beaucoup seul. Surtout comme homme au
foyer. Une femme au foyer, euh, bon, je caricature un peu mais vous voyez
ce que je veux dire, euh. Elle va prendre le thé chez sa copine, euh, on fait,
ne fût-ce que faire des activités avec d’autres mamans, ben, c’est quelque
part plus automatique. De faire entre mamans avec des enfants. Euh, je ne
sais pas, j’ai une amie là à P., euh, qui est pas tout à fait femme au foyer
parce qu’elle a une activité à côté, mais c’est vrai que je sais que par
exemple tous les mercredis, elle est seule avec ses enfants. C’est vrai que,
enfin je trouve que ça me met un peu dans une situation un peu bizarre, ou
c’est peut-être moi qui euh, mais c’est moins normal que si c’était mon
163
Et qui transparaît également dans les travaux de Smith. (Smith C., op. cit., p. 152.)
184
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Grégoire : Les autres papa ben pff, à part parler du travail où moi je suis
carrément sorti, parler du football ça m’intéresse pas du tout, donc vous
voyez un peu ce que je veux dire? Donc parfois je me sens un petit peu hors
du coup quoi.(…) J’ai besoin quand même d’avoir des relations sportives
par exemple avec des hommes, pour avoir un contact quand même social
avec des hommes. Mais alors à ce moment-là le, le dialogue reste souvent à
100% sur le sport, donc c’est quand même quelque chose que je connais
assez bien et j’ai pas trop de problèmes là-dessus. A partir du moment où
on commence à parler d’autre chose, c’est quand même…comment dire? Je
me sens moins… concerné, oui je me sens moins concerné, je me sens moins
pris par la discussion et peut-être même mis à l’écart.
164
Cette idée est également exprimée par l’un des pères interrogés par Harper, lorsqu’il dit avoir constaté
l’amenuisement progressif des sujets de discussion qu’il pouvait aborder avec les autres hommes en
général, et ses anciens collègues en particulier. (Harper J., op. cit., p. 48.). L’auteur montre que les pères
relient leur sentiment d’isolement au fait qu’ils ne peuvent compter, comme les femmes, sur le soutien
d’un groupe de pairs partageant les mêmes expériences. Ils font également référence aux barrières qui
rendent difficile la communication entre hommes et femmes, que ce soit à l’occasion de consultations
dans des centres de soin des enfants, sur les plaines de jeux ou au jardin d’enfant, celles-ci ayant
tendance, selon l’un d’eux, à se montrer embarrassées ou méfiantes. (Harper J., op. cit., p. 60-61.)
165
Sentiment qui est loin d’épargner toutes les mères au foyer, comme Harper le mentionne elle-même.
(Harper J., op. cit., p. 59-60.)
185
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
sorte d’existence solitaire d’une certaine manière. Et vous savez, vous êtes
avec les enfants, mais cela reste solitaire. Parce que vous êtes dans, et c’est
par exemple ce que Cécilia trouve difficile à imaginer, et qu’elle pourrait
trouver difficile, c’est qu’elle aime travailler avec des collègues qui la
stimulent, elle travaille dans une boîte d’avocats de haut niveau donc ils
sont tous intelligents et intéressants. Et cela fait partie de ce qu’elle aime.
Et à moi aussi cela me plairait. Donc c’est le principal désavantage: ne pas
avoir cela.
Laurent: Euh, mais bon le fait que je veux sans doute faire d’autres choses,
pour euh, équilibrer ma vie, c’est aussi, sans doute, le fait qu’il me manque
quelque chose. Euh, faire que ça, c’est un peu réducteur. Euh, je ne parle
pas du côté intellectuel comme j’en parlais au début de l’entretien, mais
c’est, … oui, voir autre chose quoi. Et c’est vrai qu’on est beaucoup seul.
Surtout comme homme au foyer.
Karl: Par exemple, j’ai des difficultés, la pire chose de rester à la maison,
c’est que je me sens, je trouve que… je reste à la maison tout le temps, tout
le temps, tout le temps, et c’est dur.
186
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Bruno: Oui, bon, par rapport à moi, ce qui est très clair, c’est que j’ai du
mal à définir en termes d’inconfort ce qui est ma part à moi, donc de mon
histoire, et lié à la situation. Ca c’est vraiment très difficile de distinguer, je
trouve. Euh bon euh
L.M: Donc par là vous voulez dire par exemple le fait que vous, le sentiment
d’isolation par exemple vous ne savez pas si c’est dû au fait que vous êtes…
Bruno: Oui, est-ce que c’est mon tempérament, mon caractère ou est-ce que
c’est… Bon par exemple, en même temps, j’entends qu’il y a des gens qui
vivent la même chose. Mais ça ne veut encore rien dire. Parce
qu’apparemment il y a des parents au foyer, ‘fin j’ai pas d’exemple de
pères, mais de mères au foyer qui arrivent à vivre ça tout à fait bien. Donc
qui mettent en place un certain nombre de trucs. Donc là voilà.
Nous verrons plus bas que ces hommes s’appuient sur une série de
comparaisons entre leur situation et d’autres situations de vie afin de
construire et étayer le discours qu’ils élaborent sur eux-mêmes. Comme
nous le mentionnions plus haut, mis à part trois exceptions, les pères de
notre étude ne connaissent pas d’autres hommes au foyer. La situation la
plus proche de la leur est alors celle des mères au foyer. Au cours de
discussions avec elles, ou via les représentations qu’ils ont de leur situation,
ils peuvent puiser des arguments soit pour rapprocher leur propre situation,
et en particulier les inconvénients qui en résultent, de celle des femmes au
foyer ;
Laurent: Et c’est marrant parce que souvent en en discutant avec des amis
ou quoi, souvent j’ai l’impression d’être un peu dans la peau des femmes
qui sont au foyer. Enfin, je me pose un peu les mêmes questions que les
femmes qui sont au foyer: « si je fais ça maintenant, qu’est-ce que je ferai à
40 ans? Je n’aurai rien sur mon CV, enfin, j’aurai un trou sur mon CV de
cinq ans ou plus… »
187
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Yvan : Oh j'en suis sûr parce que parfois je discute avec des, ben les seules
parfois avec qui on peut partager ça c'est des mères (rire) à l'école ou quoi
euh qui disent aussi, elles sont à la maison tout le temps mais on croit
qu'elles foutent rien quoi.
Brice : Et puis il y a des réflexions comme ça, quand on dit ça, ce qu’on ne
dirait pas à une femme par exemple. Une femme elle est femme au foyer et
puis ça s’arrête là quoi.
Laurent : euh, je crois que c’est… c’est marrant, parce que ça je ne vous ai
pas encore dit, euh finalement, souvent j’ai dit à mon épouse, et je continue
à le dire, que être homme au foyer, peut-être que c’est plus facile à vivre,
enfin sur certains aspects par rapport au monde extérieur, que être femme
au foyer. Parce que être femme au foyer, en tout cas au début, la situation
d’homme au foyer, euh quand je l’ai annoncé à gauche et à droite, quand il
m’arrivait d’en parler, ça interpellait super fort les gens, parce que ce n’est
pas encore vraiment la norme, euh, et donc, ça fait parler les gens. (…) Ça
suscite l’intérêt quoi. Une femme qui est au foyer, on a tout de suite tourné
la page, et on parle de la situation de l’homme: « et toi, ton boulot, euh? »
Et la femme est beaucoup moins mise en valeur. Et moi, c’est vrai que c’est
assez récurrent, ça revient toujours ce sujet là: « t’es toujours au foyer?» et
« blabla, blabla ».
L.M: Vous pensez que ça aurait été plus facile si vous aviez été une femme
au foyer?
Serge: Non je ne crois pas.
L.M: Quand vous discutez avec votre amie qui est mère au foyer, elle, sa
situation est assez proche de la vôtre?
Serge: Il faut dire que dans la société ça coule plus de source quoi hein.
(…)
L.M: Vous avez l’impression qu’une mère au foyer ça serait plus accepté ?
Serge: C’est plus accepté. Bien qu’il y en a quand même de moins en moins
aussi hein. (…) Mais c’est peut-être plus péjoratif pour les femmes de, le
188
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
189
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Brice : Mais de nouveau, comment, il n’y avait pas, par exemple, sur la
case de l’ONE il y a « milieu d’accueil de l’enfant ». Et il y a des trucs pour
cocher et puis il y a «autre». Et il y a « crèche », « gardienne », « maman »,
mais « papa », il y a pas. On a dû rajouter.
Yvan : Mais sinon, ben, par rapport aux institutions on va dire euh bon, tout
ce qui est syndicat et tout ça, aller expliquer ça faut laisser tomber quoi je
veux dire ça, ça sert, j'ai essayé de le faire l'autre fois quand j'ai reçu ma
lettre euh de, comme quoi on allait me retirer le chômage, les allocations de
chômage plutôt, et j'ai un peu expliqué ça. Mais la, je me trouvais face à un
mur donc euh. En gros pour la, la demoiselle là j'étais un paresseux. ‘Fin
j'en rigole un petit peu parce que je vois bien comment elle fonctionne, ce
genre de dame mais pour elle j'étais un paresseux ça c'est clair quoi. « Et
vous n'avez jamais trouvé de travail ? Universitaire et tout ? » (…)
Maintenant j'ai entendu enfin maintenant, peut-être qu'il y a longtemps
190
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
mais on peut demander une dispense de pointage pour euh pour s'occuper
des enfants (…) Mais bon si j'avais fait ça j'aurais pas été ennuyé
maintenant quoi. Parce que je le savais pas.(…)
191
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
4.3. Conclusion
192
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
Dans les deux cas, l’assignation masculine au travail salarié est relayée
avec force. Le travail professionnel occupe une place centrale dans la
construction identitaire masculine : il est source de reconnaissance, de
valorisation des compétences, de contacts sociaux, et, plus largement,
d’une identité sociale. En s’en écartant, les pères au foyer s’exposent à un
manque de reconnaissance qui passe par toute une série de remarques qui
touchent aussi bien leur entourage familial qu’eux-mêmes. L’exemple
qu’ils donnent a cependant une portée subversive : face à eux, les certitudes
de certains vacillent. Ces interlocuteurs sont pris de vertige à l’idée que leur
identité puisse s’axer sur autre chose que le travail professionnel, mais sans
que cela ne se traduise, à part dans de très rares cas, par une modification
du style de vie, tant le modèle dominant conserve de sa force.
193
Chapitre 4. Validation et invalidation dans le contexte des interactions
194
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
166
Kaufmann J.C., op. cit., p.258.
167
Cette idée a été largement développée notamment dans les travaux de Hegel, Mead et Honneth. Ce
dernier considère l’individuation humaine, tout comme Hegel et Mead « comme un processus dans lequel
l’individu ne peut accéder à une identité pratique que dans la mesure où il peut s’assurer de sa
reconnaissance par un cercle croissant de partenaires de communication. Des sujets capables de parler
et d’agir ne peuvent être constitués comme individus qu’en apprenant, à partir de la perspective d’autres
195
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
sujets leur témoignant leur assentiment, à se rapporter à eux-mêmes en tant qu’êtres qui possèdent des
qualités et des capacités positives. (…) l’expérience du mépris porte en elle le risque d’une offense qui
peut mener à un effondrement de l’identité entière de la personne. (…) c’est à l’expérience de la
reconnaissance réciproque que des sujets capables d’agir doivent leur aptitude à développer un rapport
positif à soi. Leur Ego pratique est dépendant de relations intersubjectives dans lesquelles ils peuvent
faire l’expérience de la reconnaissance. Car ils ne peuvent apprendre à se fier à eux-mêmes ou à se
respecter eux-mêmes qu’à partir de la perspective de la réaction approbatrice de partenaires
d’interaction ». Honneth A., « Intégrité et mépris : Principes d’une morale de la reconnaissance »,
Recherches sociologiques, Vol. XXX, n° 2, 1999, pp. 11-22, p. 13 et 16.
168
Ibid, p. 187.
196
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
197
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Les hommes que nous avons rencontrés mettent en place une série de
discours leur permettant de réduire la portée des réactions négatives
auxquelles ils sont confrontés, discours qui portent tantôt sur eux-mêmes et
tantôt sur les autres. Les premiers ont pour fonction de résister aux critiques
en mettant en avant des aspects de leur propre personnalité ou de la
situation qu’ils vivent qui contredisent ou circonscrivent l’image négative
qui leur est accolée. Les discours consistent un mise en avant des traits
personnels fondant diverses images de soi, centrées précisément sur la
capacité à résister à l’image négative qui leur est apposée ; sur la
distanciation à l’égard de la place du travail professionnel dans la définition
de soi ou au contraire sur la démonstration du maintien de celle-ci ; sur la
mise en exergue des avantages que la paternité au foyer procure, et qui
fonde une image positive de soi jouant sur de multiples facettes ; et enfin
sur la présentation de soi en tant qu’individu réflexif qui, via son arrêt de
travail, cherche à apporter une réponse à des questions plus existentielles,
cet arrêt de travail prenant alors les allures d’une thérapie.
Colin: Mais c’est pas grave, on se tracasse pas avec les autres. (…) Et celui
qui dit que rester à la maison… je m’en fous il fait ce qu’il veut
Hervé : Mais pff, je ne m’en fais pas trop de ce qu’on pense de moi. En
général, je n’ai jamais vraiment de problème avec ça. (…) Non bon moi j’ai
pas trop d’état d’âme. Non, moi je me dis « je suis comme je suis » et j’ai
pas envie de montrer une image justement que je ne suis pas.
198
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
C.P169 : Vous n’avez pas l’impression que l’homme qui est en vous est un
peu mis sur le côté?
Jean-Paul : Pas du tout, pas du tout. Je m’en fous d’ailleurs, je m’en fous
éperdument.
Colin: Je suis pas complexé parce que je suis obèse moi, j’ai pas peur de le
dire. C’est pas grave, je suis obèse depuis que je suis tout petit. C’est pas
pour ça que je vais pas me mettre en slip et aller nager. Les gens pensent ce
qu’ils veulent. Euh si la norme était aux gens obèses, les gens qui seraient
beaux et minces seraient laids. (…) C’est pas la norme, mais c’est pas
grave, puisque je suis hors normes. Et je suis hors normes pour tout.
169
Cet entretien a été réalisé par Charlotte Plaideau (C.P.).
199
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
avec des enfants biologiques et une petite fille adoptée), s’inscrit dans le
premier procédé.
Jean-Paul : Moi, je suis noir et elle est blanche donc, déjà que nous avons
des cultures, deux cultures différentes. Il faut mettre de l’eau dans son vin,
et de l’autre côté, ma femme n’arrive pas à me comprendre. Moi, je
comprends parfaitement puisque j’ai plus d’amis ici qu’en Afrique, et elle
n’a jamais mis les pieds en Afrique. D’autre part c’est une famille
recomposée parce que nous avons un enfant adopté donc ce qui est encore
un autre rapport. Vous avez les enfants biologiques, ce qui est encore un
autre rapport
200
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
toute l’Afrique. Et puis, je suis revenu en Belgique et j’ai fait des petits
boulots. Puis, je suis reparti après en Asie et je suis revenu en Belgique où
j’ai de nouveau travaillé pour économiser. Et puis, j’ai été à Madagascar,
l’île de la Réunion, l’île Maurice. Et puis j’ai fait ça jusqu’à mes euh j’ai
41… jusqu’à mes 35 ans à peu près. Et là, j’ai rencontré ma copine, et on a
fait un voyage au Vietnam, Chine, Philippines. (…) moi j’ai jamais, jamais
suivi le chemin traditionnel et j’ai toujours bien aimé faire ce que j’avais
envie. Et je n’aime pas trop suivre les pressions. Si vous faites comme tout
le monde, moi je suis malheureux. Moi j’ai envie d’être libre, de partir
quand j’ai envie. J’ai envie de faire ce que j’aime bien.
Hervé met également en place une image d’un soi « aventurier », dont
la vie est ponctuée d’une succession de défis (et qui prolonge, peut-être,
cette période de sa vie où il bourlinguait à travers le monde). Faire face aux
réactions négatives n’apparaît alors que comme un défi parmi tant d’autres.
Ces défis consistent à être capable de faire la même chose que les femmes
(langer un enfant par exemple), à parvenir à gérer des situations de stress
(arriver à l’heure chez le médecin alors que son fils a sali son lange), à
trouver des systèmes permettant de sa faciliter la vie (donner la panade
dans un biberon)… Ces défis mettent du piment dans sa vie, le confrontent
à des situations excitantes qui demandent de l’organisation et de
l’ingéniosité, et qui permettent de faire face à l’isolement et à l’ennui.
Hervé : Moi je vois ça beaucoup comme un défi quoi. Par exemple l’autre
jour, j’avais un rendez-vous avec le docteur à 11 h 15. Et alors, le matin à
9 h 00, je me dis « qu’est-ce que je vais faire, j’ai rendez-vous à 11 h 15 ! ».
Et puis je dis « allez, j’ai envie d’aller au Makro. Mais il faudra que j’aille
vite parce que je dois aller à mon rendez-vous. » Donc, je vais au Makro.
Tout va très bien. Je fais mes courses. Et puis je sors du Makro, je prends
Laurent et il avait fait caca dans ses langes et il y en avait partout. (…) Je
le mets dans la voiture. J’arrive ici. Ca m’arrangeait pas du tout, moi
j’étais pressé, je devais aller voir le docteur. Donc j’ai dû le prendre, le
porter et le mettre dans la baignoire, passer avec la douche, partout, il y en
avait partout. C’était un peu stressant, mais ça m’amuse. C’est excitant
comme tout. Il faut aller vite. Il faut être bien organisé. (…) j’ai souvent
des situations comme ça. Il y a du stress, mais c’est amusant. Il faut
apprendre à gérer. Et c’est vrai que parfois, j’ai un peu mal à la tête comme
ça, mais ça m’amuse. C’est un défi.
5.1.2. De l’importance du travail professionnel dans la
définition de soi
Nous avons déjà vu dans le chapitre 3 qu’une partie des pères au foyer
était auparavant fortement investie dans une activité professionnelle. Pour
201
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
eux, développer une image de soi qui s’écarte de la sphère du travail salarié
constitue un enjeu important.
Philippe: quand moi j’arrête de travailler c’est aussi, c’est plutôt un gain
d’identité. Moi je le vis plutôt comme ça. Puisque mon travail, enfin je suis
éducateur avec des enfants, je suis pas euh, oui je suis éducateur mais
même socialement, c’est pas très bien reconnu, enfin, je veux dire (rires).
Vous voyez, donc je suis pas vraiment, c’est pas là que je vais chercher mon
identité donc, enfin, et par rapport aux enfants aussi, donc, enfin dans le
cadre de mon travail aussi, je suis interpellé sur des remises en question.
Alors celui qui est banquier, qui est gérant d’agence, il est fier de dire « ok
ça c’est un travail d’homme ça hein ». Et il y a quelque chose de cette
image-là qui quelque part leur suffit pour faire leur petit parcours dans leur
vie quoi. Que moi c’est pas suffisant. Moi, j’étais obligé de me poser des
questions que les gens…, j’étais obligé d’apprivoiser ma mort avant
l’heure, j’étais obligé, enfin toutes les questions un peu existentielles que
l’on se pose bien plus tard dans la vie. J’étais obligé pour tenir le coup
enfin, pour rester disponible professionnellement quoi, j’étais obligé de
m’interroger là-dessus et d’en faire aussi mon identité. Donc, le travail lui-
même était devenu une part beaucoup moins importante de ce qui peut
constituer mon identité d’homme.
202
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
parce que éventuellement je suis moins épanoui, mais je pense que je suis
encore euh je ne me sens plus agressé dans mon identité.
Laurent: Le travail que je fais avec cette personne, c’est d’abord pour
mieux nommer ce que je vis. Et soit me dire: « ben c’est ça, je l’ai nommé,
et je le vis à fond. Et j’arrête de la vivre en stand by. » Parce que c’est vrai
que ce qui devient de plus en plus pesant, c’est de la vivre en stand by,…
L.M: C’est temporaire…
Laurent : c’est temporaire, on ne sait pas très bien. Donc, je veux plus
assumer, euh… Et même vis-à-vis du monde extérieur quoi.
Grégoire (à propos des critiques qui lui sont adressées): Ben oui on en a
déjà parlé tout à l’heure, comme je vous dis, c’est vraiment ce qu’on entend
203
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
souvent. Et c’est quelque chose qui est assez difficile à vivre. Et d’un autre
côté, je crois que ça peut quand même être un travail à temps plein.
204
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
L.M: Et pourquoi est-ce que vous avez conservé quand même une certaine
activité professionnelle à côté de…
Bruno : mais parce que bon, moi, j’en avais besoin pour mon équilibre. Moi
en fait, je me suis dit « d’abord je n’ai pas envie de perdre tout à fait pied
205
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
170
Pour Doucet, l’implication dans le coaching d’équipes sportives ou dans la prise en charge de travaux
physiques dans les classes, activités présentant des qualités « masculines », permet notamment de
compenser l’impossibilité de se définir en tant qu’individu masculin par référence au travail professionnel
salarié. In Doucet A., op. cit., p. 289.
206
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Une autre manière de gérer les aspects négatifs liés à l’image de père
au foyer consiste à mettre l’accent au contraire sur les avantages que
procure la situation.172 Il s’agit ici de développer une image positive de soi
jouant sur diverses facettes, et qui se combinent de manière variable dans
chaque entretien. Nous en présenterons quatre, celles qui sont le plus
couramment présentes. Les deux premières reflètent une image positive de
soi en tant que père ayant une relation privilégiée avec ses enfants, et en
tant que « bon » conjoint/partenaire, comme nous l’avons déjà vu dans le
chapitre précédent.173 Bruno exprime clairement cette idée.
Bruno : non, mais, c’est pas que c’est pas valorisé, mais ça n’a pas…Enfin,
oui, ce n’est pas, sociologiquement parlant, ce n’est pas valorisé, ça oui,
clairement. Donc là oui, ce n’est pas valorisé. C’est valorisé par quoi? Par
ce que je peux en retirer au niveau de ma relation avec Maud, mon épouse,
à ce que je peux en retirer par rapport aux enfants
Ici aussi, ces images se construisent à la fois dans le discours que les
hommes élaborent sur eux-mêmes, et au travers de celles que les autres
171
Dans son étude, Doucet fait elle aussi référence au fait que les hommes qu’elle a rencontrés éprouvent
le besoin de conserver une dimension professionnelle dans leur vie. Selon elle, un certain nombre
d’hommes ayant conservé un emploi à temps partiel le faisaient « en partie pour maintenir un lien avec
les conceptions masculines de l’identité ». cf : « [Fathers remained connected with paid work] partly to
maintain the link with masculine conceptions of identity”, Doucet A., op. cit., p. 289.
172
L’enquête réalisée par Harper auprès de mères au foyer australiennes montre qu’elles ont recours à un
procédé assez proche qui consiste, d’après l’auteur, à équilibrer les inconvénients liés au fait de rester à la
maison avec ses avantages : l’ennui est compensé par le gain de temps libre, l’isolement par la chance
d’avoir plus de temps à consacrer aux enfants, et la dépendance par l’avantage de pouvoir être son propre
patron. Harper J., op. cit., p. 34.
173
Notamment en assurant auprès d’elle un rôle de Pygmalion / Gentleman.
207
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Serge : On est moins stressé, la vie est quand même plus douce, plus
calme…. Le matin, il ne faut pas se presser comme… bon, quand on va
travailler… Bon, c’est vrai que je dois quand même les conduire à l’école,
mais bon je me lève suffisamment tôt pour me donner suffisamment de
temps. Et je ne dois pas me dire: « tiens, il va y avoir ça sur la route, je ne
vais pas arriver au boulot… » Ou bien « il faut faire ci, il faut faire ça… »
Si on oublie quelque chose, ben en général, on peut le rattraper quoi. Non,
c’est plus cool! Ce qui ne veut pas dire que c’est plus facile, non, mais c’est
plus cool. Si je peux dire ça comme ça.
Brice : Pour moi? Ca n’a pas l’air, mais j’ai beaucoup moins de stress.
(rire) Moins de stress qu’avant. Dans l’enseignement c’est un métier
vraiment très, très, très stressant et j’étais beaucoup plus nerveux quand je
rentrais. J’avais pas le temps de m’occuper de mes enfants. Maintenant ça
n’a plus rien à voir quoi. Quand les enfants rentrent, je fais leurs devoirs et
puis je joue avec eux. Avant quand je rentrais du travail j’allais les
chercher à l’école et c’était… il était pas question qu’ils viennent faire du
bruit autour de moi. Tellement j’étais stressé. La qualité de vie est bien
meilleure. Voilà.
208
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Brice : On est axés dans une mentalité travail ici. Je trouve que…ce qu’il
faudrait changer, il faudrait changer la mentalité des gens. Et que les gens
209
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Brice a été l’un des pères au foyer qui a le plus rapidement pointé du
doigt les réactions négatives liées à sa situation. La lettre dans laquelle il a
exprimé le souhait de participer à la présente enquête, en réponse à une
annonce dans la presse, faisait déjà référence aux réactions négatives de ses
anciens élèves. Cela ne l’empêche pas d’affirmer le caractère épanouissant
de son engagement au foyer.
Brice : D’un autre côté on va dire « mais comment est-ce qu’on pourrait
financer que les gens ne travaillent pas ? ». Mais c’est possible, il y a des
idées. Mais ça c’est de la politique. A bas le travail ! (…) Si on rémunérait
les gens, ben, pour qu’ils puissent vivre et avoir des relations sociales, on
aurait pas besoin de travailler pour avoir des relations sociales. C’est pas
obligatoire de travailler pour avoir des relations sociales. Et rémunérer les
gens pour ce qu’ils sont, pas pour ce qu’ils font.
L.M : Une allocation universelle, quoi.
Brice : C’est à ça que je pense. (rire) Et c’est finançable, hein. Mais on va
pousser les hauts cris ! Il suffirait par exemple de supprimer les
abattements pour enfants à charge. On supprime ça. Plus personne ne
reçoit ses réductions pour enfant à charge sur ses impôts. Déjà ça, ça libère
une masse financière très importante. Alors on va dire « oui, mais les gens
210
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
qui ont des familles nombreuses bénéficient de ça ». Oui, mais c’est pas
grave. Puisque d’un autre côté on leur rend cet argent sous forme
d’allocation universelle. La différence, c’est que les gens qui sont très
riches bénéficient plus des abattements fiscaux, ils bénéficient de
l’allocation universelle. Et les gens qui sont très pauvres, qui de toutes
façons ne payaient pas d’impôts, bénéficient aussi de l’allocation
universelle. Et donc, c’est tout bénéfice pour les plus pauvres, ce genre de
choses. Mais… Et on pourrait faire autre chose. On pourrait affecter
l’argent des allocations familiales aussi à cette allocation universelle.
L’argent du chômage pourrait être affecté à ça. Et les gens n’y perdraient
pas. Seulement, c’est la mentalité. Rémunérer des gens parce qu’ils ne font
rien, ça heurte la, allez la…la mentalité des gens. Mais il faut travailler dès
le départ. C’est quand les gens sont à l’école, quand les enfants sont à
l’école qu’il faut taper sur le clou que le travail est pas la seule façon de se
valoriser. (…) et venir dire que les gens seraient moins enclins à travailler
s’il y avait une allocation universelle, c’est pas vrai ! Les gens feraient
quand… Un agriculteur passionné par ses bêtes, il continuera à faire ses
bêtes. Un enseignant, moi, j’avais des collègues qui étaient très motivés par
leur job, ben ils continueraient à faire leur job. (…) On fait passer la valeur
du travail avant toutes les autres valeurs, et en plus, quelque chose
d’aberrant, on fait passer la compétition avant l’entraide. C’est lamentable
un truc comme ça. Il faudrait valoriser autre chose. Moi j’essaye de le faire
dans mes classes. Quand je faisais des exercices avec mes élèves,
j’essayais, c’était pas celui qui trouverait le premier qui aurait le plus de
points. C’était le groupe ensemble qu,i s’il trouvait une solution, serait
valorisé. Mais à condition que tout le monde participe. Mais pas la
compétition « c’est toi qu’a 10, toi qu’a 9 ». Ca n’a aucun sens ! On n’est
pas ici pour se battre tout le temps, c’est idiot. Ecraser le voisin c’est pas le
but de l’homme.
L.M : Vous essayez d’inculquer ça à vos enfants aussi ?
Brice : Oui. Oui. J’essaye que les choses soient, qu’on soit en coopération
plutôt qu’en conflit. (…) on joue parfois à des jeux de société, celui qui a
gagné c’est pas forcément celui qui arrive à mettre son pion le premier. On
joue quoi. Et même si on ne finit pas une partie, on a joué. C’est ça qui
compte.
211
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
L.M : D’après vous cette envie d’élever vous-même vos enfants, elle vous
viendrait d’où?
Joseph : (silence) Je pense que c’est le contexte familial. C’est… je suis issu
d’une famille de sept enfants. Mon père est issu d’une famille de 8 enfants.
Mon épouse est issue, elles sont quatre filles. Donc déjà je dirais la, la
famille a beaucoup d’importance.
Ils ont tous deux reçu une éducation chrétienne allant dans ce sens.
Joseph : Je crois que le, l’éducation que nous avons reçue également. Je
pense que le… il faut pas le cacher, on est d’une famille judéo-chrétienne,
et nous avons euh 2000 ans je dirais qui pèsent quand même sur nos
épaules. Et donc on ne peut pas le, le rejeter comme ça. Et c’est
effectivement, je pense que l’éducation que nous avons reçue a été orientée
dans ce sens-là. Et, et donc je pense que ça a toujours été, je dirais, quelque
chose de normal que, qu’on s’occupe de nos enfants et de la famille. Parce
que ça a une importance, je pense, primordiale
Joseph : (…) pour nous autres, je dirais, dans la famille très large, pas
seulement je dirais mon épouse et moi mais le, je crois que la, comment
dirais-je? Le carriérisme n’est pas du tout de, de bon goût, n’est pas du tout
quelque chose qui est visé. La recherche de l’argent n’est pas du tout
quelque chose qui nous a, qui nous attire. (…) c’est pas dans cette optique-
là qu’on a été élevés
Joseph : (…) mais plutôt le euh le, comment dirais-je? Le don de soi vis-à-
vis des autres, l’aide aux autres personnes et tout donc euh. (…)Et donc
euh, il est important, je crois, qu’il y ait au moins une personne qui soit
212
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
ouverte, à leur écoute, et qui soit là pour les aider. Je pense que c’est le rôle
en tout cas des parents (rire) dans une famille. Et donc il faut qu’il y ait au
moins un des deux qui soit disponible.
Le fait que Joseph désigne ses propres parents comme modèles pour
son comportement souligne un peu plus l’importance de la préservation de
l’identité héritée.
Joseph : Et la deuxième chose, ben, j’ai vu que ma mère était, en étant mère
au foyer, était, je pense, équilibrée, et satisfaite comme elle était, et qu’elle
était toujours à notre disponibilité. Et donc c’était très important pour nous
aussi. Et donc il fallait qu’il y ait au moins un des deux qui, qui soit
disponible pour les enfants.
Joseph : Or je crois que une famille, surtout des gens qui veulent avoir des
enfants, une famille nombreuse, surtout qui viennent d’une famille
nombreuse, ben la famille a de l’importance. Et je dirais que la famille est
une des valeurs essentielles pour nous autres. (…) Or, j’estime que la
société, le noyau de la société, c’est la famille. Et pas l’individu. Et donc
pour moi, la famille est vraiment très importante. Parce que c’est au sein de
la famille que se crée tout. Tout se crée là. Si on a des parents qui sont
équilibrés, qui sont heureux de vivre et qui savent transmettre ces valeurs-là
à leurs enfants, qui savent transmettre l’amour à leurs enfants, et bien les
enfants seront heureux dans la vie. Et transmettront ces mêmes valeurs. Et
tout je dirais, toutes leurs relations par après seront basées sur ces valeurs-
là. Et donc fatalement je dirais, aussi bien au niveau de leur travail qu’au
213
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
niveau des collègues, des amis, qu’au niveau de leur hobby, de leur sport ou
ainsi de suite, ces valeurs, ils les transmettront. Et pour moi c’est comme ça
que vit une société.
214
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
L’arrêt de travail prend dès lors les allures d’une thérapie. Nous
reprendrons ici deux exemples, celui de Bruno et celui de Philippe.
Bruno : Moi, en fait, je pense que mon choix de parent au foyer est un choix
conscient. Donc il y avait un choix conscient de vouloir être parent au
foyer, mais en même temps il y avait une dynamique inconsciente que je ne
maîtrisais pas.
Bruno : Mais, donc, moi je, enfin bon, …l’histoire de…, enfin mon histoire
à propos de la famille, c’est que d’abord, j’ai fondé ma famille assez tard.
Que je suis avec un certain nombre d’interrogations au niveau de mon
positionnement, euh, dans la vie et dans la société, qui font que j’ai un
parcours et social et professionnel comment je vais dire? Atypique. En ce
sens que bon, j’ai fait une formation, donc j’ai une licence en kinésithérapie
comme formation. Mais pour des raisons qui ne sont pas encore très, très
claires, j’ai, je me suis toujours dit que je ne pratiquerais jamais. Et donc
j’ai utilisé mon diplôme, mais je n’ai jamais pratiqué la kiné au sens
propre. (…) J’ai eu aussi cette vision du monde, quand j’ai eu fini mes
études et que j’étais kiné, je n’ai pas travaillé comme kiné parce que je me
suis dit « je ne me sens pas encore assez compétent ».
Il n’a donc pas pratiqué la kiné d’abord, dit-il, parce qu’il ne s’estimait
pas assez compétent, et ensuite parce qu’il a toujours été attiré par tout ce
qui avait trait à l’enfance et à des situations de handicap nécessitant un
travail de développement de la personnalité. Il a travaillé à plusieurs
reprises dans des équipes pluridisciplinaires, s’est intéressé de très près à la
psychologie et aux techniques de développement personnel faisant appel à
des dimensions corporelles (massage sensitif, etc.), en tant
qu’accompagnant de personnes en thérapie. Au début de son arrêt de travail
il recevra de temps en temps des personnes à domicile afin de les
accompagner dans leur thérapie en les aidant à mettre en pratique les leçons
apprises chez leur thérapeute. Devenir père au foyer, c’était prolonger ce
215
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Bruno : (…) mon choix d’être parent au foyer, c’est aussi pour moi un plus
au niveau de ma compétence dans l’accompagnement des gens, je sais ce
que c’est.
En tant qu’aîné Bruno dit avoir dû dès son plus jeune âge assumer un
rôle de parent auprès de ses propres parents, et avoir été confronté à une
mère (« une mauvaise mère ») qui écrasait son mari et ne lui permettait pas
d’occuper une place auprès de lui et de ses frères. La décision de devenir
père au foyer a participé inconsciemment de ce désir de donner à ses
enfants ce que lui-même n’a pas reçu et de « compenser la mauvaise
mère ».
216
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Bruno : j’ai l’impression que je me suis mis dans la situation qui allait me
permettre d’avancer. Ce que je peux peut-être dire aussi qui me paraît
important, c’est que moi je me souviens, quand j’avais 18, 19 ans, je m’étais
dit un truc du style, « moi je vais me trouver une femme qui aura envie de
travailler et moi je m’occuperai des enfants ». Alors ce que je peux dire,
c’est que si j’avais besoin de ça, c’est parce que moi en tant qu’enfant, j’ai
très vite adopté un rôle d’adulte par rapport à mes propres parents. J’étais
l’aîné, et très vite j’ai pris en charge mes parents. (…) J’ai toujours fait un
travail par rapport à moi-même, parce que très clairement, sortir de la
situation d’avoir été un enfant qui a pris en charge ses parents, c’est pas du
tout évident.(…) maintenant, aujourd’hui, je peux dire que si je suis arrivé à
ça, mais inconsciemment - je crois que j’ai pris conscience de ça mais a
posteriori - ça m’a donné l’occasion de donner à mes enfants ce que je n’ai
pas eu (…) Je dirais, mon expérience en maternité, en pédiatrie, comme
parent au foyer et tout ça, ça ouvre des portes, pour moi. (…) qu’est ce qui
se passe pour un enfant comme moi qui ai pas eu, enfin qui ai mal vécu ma
relation à mes parents- et j’en ai ma part de responsabilités, donc, c’est pas
seulement mes parents mais - il s’est fait qu’il y a eu pas adéquation entre
mon tempérament et celui de mes parents donc, qu’est-ce qui s’est passé?
Mais c’est la mauvaise mère. Donc, qu’est-ce qui se passe? Quand vous
avez un vécu mauvaise mère, ben euh par rapport à votre compagne, c’est
la même chose. Moi par rapport à mes enfants, c’était l’occasion rêvée de
compenser la mauvaise mère entre guillemets. Même si ma femme n’est pas
une mauvaise mère, je veux dire.
Bruno : Mon objectif à moi, c’est soutenir la mère dans son rôle de mère.
Ça veut dire que elle puisse avoir la relation de mère à filles.
Il en vient à dire que vivre en père au foyer avait donc pour objectif
sous-jacent d’affermir sa base pour pouvoir réaliser ses futurs projets, et de
se libérer du mécanisme qui le poussait à reproduire son propre passé.
Bruno : La conviction que j’ai maintenant, c’est que tout le travail qui a été
fait en tant que parent au foyer, c’est quelque part affermir la base. Ma
base et par la même occasion, les autres. (…) et donc de aussi me guérir, de
guérir une partie de moi. Parce que ça, c’est au niveau du processus, je vois
que ça fonctionne comme ça. En tant que parent et même dans les couples,
je veux dire. Choisir son partenaire, c’est aussi se donner une occasion de
réparer quelque chose chez soi, et aussi l’autre. ‘Fin, je veux dire,
217
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Bruno : quand je suis amené à vous parler, enfin grâce à vous d’une
certaine façon, je suis amené à prendre conscience de choses qui se passent
dont je n’ai pas conscience. (…) Bon maintenant, je veux dire, là
aujourd’hui, enfin grâce à votre interview, je prends conscience de ça.
C’est la première fois que je parle comme je parle, là, maintenant. Disons
que en étant amené à mettre des mots dessus, je me dis: «tiens, ben il y a ça
». Je ne l’avais pas nommé. Donc, à la limite, merci.
218
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
174
Cette oscillation reflète aussi la complexité de la situation dans laquelle il se trouve : officiellement, il
n’est pas père au foyer mais chômeur. Ajoutons que, par nos questions, nous le poussons à choisir entre
les deux idées qu’il avance.
219
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Philippe : Oui mais socialement, je vais dire que c’est pour réfléchir sur
moi. (…) Parce que ça c’est admissible. Dire « oui, moi j’ai travaillé
longtemps, je suis un peu fatigué, je me repose un peu chez moi », ç,a tout le
monde peut entendre. La plupart des gens l’envient parce que « toi tu peux
te le permettre enfin, moi si je pouvais… ». Donc quelque part les gens
peuvent entendre ça.
L.M: Par contre, dire « j’arrête pour être disponible pour mes enfants » ça
passe moins?
Philippe : Euh quand tu dis « je prends du temps pour mes enfants, ça me
donne du temps pour les enfants, etc. » les gens sourient, les gens sont, c’est
admissible mais je pense que si je disais d’emblée « j’arrête de travailler
pour m’occuper de mes enfants et uniquement pour ça », je suis pas certain
que ça serait tellement admissible dans la norme.
L.M: C’est plus admissible de s’arrêter pour réfléchir, pour prendre du
temps, pour souffler parce qu’on a travaillé.
Philippe : Oui, oui.
220
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
175
Kaufmann J.C., op. cit., p. 190. Un tel mécanisme a été mis en lumière notamment dans les travaux de
Paugam sur la disqualification sociale. L’auteur que les habitants de cités socialement disqualifiées
mettent en autres en place des stratégies de distinction sociale afin de se démarquer des habitants de la
cité, tentant ainsi de limiter leur assimilation à l’image négative accolée à leur lieu de vie. Paugam S., La
disqualification sociale, Presses universitaires de France, Coll. Quadrige, Paris, 2000.
221
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
John (au sujet d’un ami d’enfance qui a fait carrière dans l’informatique):
avant de me marier, j’ai séjourné chez lui et il vivait hors de Londres, et si
vous connaissez un peu Londres, beaucoup de gens vivent hors de Londres
et s’y rendent en voiture le matin. Et le trafic est incroyablement dense. Et
pour aller travailler il se levait à 4h40 du matin. Et ensuite il partait vers
5h. Et j’étais dans la voiture avec lui et le trajet a duré 1h30. Et je lui ai dit
« c’est incroyable le temps que cela prend pour entrer dans Londres ». Il a
répondu « non, ça roule bien » (rire). Et je pensais « Et bien, en voilà une
qualité de vie ! ». Et puis bien sûr il rentrait à la maison quand les enfants
étaient au lit. Et ils vivaient dans une magnifique maison avec un mobilier
fantastique, bien plus luxueux que celui que nous avons. Mais j’ai trouvé ça
assez consternant, consternant. Mais c’est un autre choix.
Laurent: j’en n’ai pas encore parlé, mais mon boss à Montpellier, donc,
fatalement, c’était le boss, donc, il était d’autant plus pris par son travail,
euh, il avait également une épouse super carriériste et nanana, et donc, ils
se mettaient à fond dans leur boulot. Leurs enfants qui ont plus ou moins
l’âge des nôtres aujourd'hui, ben, ont toujours été éduqués par quelqu’un
d’autre (…) Et que mes enfants soient éduqués par quelqu’un d’autre, c’est
un truc que, … ça ne me convient pas. Et il m’entendrait, il me dirait: «
mais c’est pas vrai, quand je suis là, je suis là ». Mais pour moi, c’est pas
juste quoi, il travaille tellement la semaine qu’il ne peut pas être là, comme
il dit, et vraiment là le week-end. Oui, parfois il va se promener avec eux, il
va faire des trucs, il dira ça, mais pas de façon si relâchée et oui, avec une
222
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
qualité de présence, on revient toujours à ce mot, euh, que, que, que moi,
pour ne pas me nommer, aurais.
Serge: C’est vrai, quand ils sont si petits, bon, je vois ça avec ma sœur qui
est toute seule, donc elle n’a pas le choix, elle habite à B., elle dit: «bon,
heu, je vais chercher ma fille, il est déjà 18h15 quand je la ramène à la
maison, j’ai juste le temps de la laver, de lui donner à manger, je lui fais un
bisou sur le front, et elle est au lit, je ne l’ai pas vue de la semaine, quoi» Et
donc c’est la même chose pour l’enfant, donc elle ne voit pas ses parents. Je
me dis que c’est un peu dommage. Surtout que ça grandit si vite que on ne
le voit pas passer, hein.
Didier : Ben oui on a des enfants, on est là, on s’en occupe, on n’est pas
comme ces gens qui ont des enfants et qui sont à gauche et à droite, et leurs
enfants ont 10 ans, et ils ne les ont pas vus grandir (…) Parce que pour moi
des gens qui se lèvent à 7 heures, qui mettent leur enfant à 7h30 ou à
l’école, ou à la crèche, ou n’importe où, que c’est les grands-parents qui les
reprennent à 16 heures et que eux ont les enfants quand ils ont soupé le soir
à 19 heures, pour les mettre au lit. Je suis désolé mais je ne sais pas ce
qu’ils ont de leur enfant, hein? Parce que moi, on en connaît comme ça
hein. Qui voient leur enfant... ’fin qui ne les voient pas puisque ils les lèvent
le matin, ils vont les porter et ils viennent les reprendre le soir pour les
mettre au lit et… donc ils n’ont rien de leur enfant, les enfants n’ont rien de
leurs parents. Alors moi je sais pas où est … je ne sais pas comment
expliquer mais je veux dire euh, c’est pas ça, élever des enfants.
223
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Armand: (…) je pense qu’on vit quand même dans une société très, très
mouton, très cadre, où finalement on n’a pas beaucoup le temps de
s’arrêter pour regarder un peu ce qu’on fait. Moi, j’ai pris dix ans quand
même, hein. Ca oui, ça, ça, ça me paraît évident, et je pense que ça me sert
encore tous les jours. (…) j’ai pas eu le temps de m’encroûter quelque part.
(…) Je pense que les autres hommes ont leur vie mais c’est plus difficile je
pense quand on renonce au cadre métro-boulot-dodo, vacances, maintenant
on peut le rajouter, mais les vacances, c’est exactement la même chose que
le boulot pour moi. Dans la mesure où quand je les entends parler comme
ça je me dis « ben ils en profitent pas vraiment ». On en parle six mois
avant, on en parle six mois après et au bout du compte on les a pas vues
passer entre les deux. On se demande même si elles ont eu lieu parfois. Non,
j’ai pas à ce niveau-là. Mais je pense qu’il y a quand même pas mal de gens
qui ont la chance de vivre aussi leur propre aventure. J’espère pour eux en
tout cas.
Hervé : J’ai envie de faire ce que j’aime bien. Et ce que font les gens, ce
n’est pas vraiment, je ne sais pas, la plupart des gens, ce n’est pas une
bonne référence. (…) C’est vrai parfois je me dis « c’est vrai pourquoi je
suis comme ça ? Pourquoi je ne suis pas comme la plupart des gens comme
ça, classique ? ». Je trouve ça fatigant. Je trouve ça fatiguant d’être comme
tous les gens. Je ne sais pas, de travailler du matin au soir et puis d’aller au
club de football le samedi. Puis je ne sais pas, j’ai envie de faire comme
mon instinct me dit. J’ai envie d’être libre. On a la chance d’être en
Belgique. Je ne sais pas. On est dans un pays avancé. On a la chance de
pouvoir faire plein de choses et d’être libre. Il faut en profiter quoi.
Pourquoi vivre comme des idiots comme ça ? Pourquoi vivre comme des
idiots ?
Yvan : y en a qui, oui il y en a qui sont, j'ai l'impression quand même, ‘fin je
vois comme ça qu'il y a un âge un peu où quand on est étudiant, on est un
peu ouvert à tout, puis, brusquement comme ça je vais dire, quand on
s'installe, ben c'est un peu le mot quoi on, on reprend très, très vite des
catégories mais extrêmement classiques euh qui, qui figent comme ça. J'ai
des cousins, c'est vraiment comme ça quoi. Et alors qui oui, quand ils
224
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
étaient étudiants, il étaient, ‘fin je sais pas, ‘fin ils guindaillent beaucoup
euh, ils font plein de choses, plein de bêtises, ‘fin des choses qui ne sont pas
spécialement bien acceptées comme ça. Et brusquement quand ils
s'installent, là, euh ils redeviennent comme leurs parents quoi finalement
très, très fort quoi et parfois c'est assez choquant. Ils vieillissent plus vite.
(rire) Moi, je reste. On est toujours, parfois j'aime bien, ‘fin je revois des
amis avec qui je m'entendais bien quand j'étais jeune quoi, et qui me disent
que je ne change pas. (rire) Bon, ça va (rire).
Hervé: Ou parfois des gens, si, parfois ça m’arrive, des gens un peu
démodés et qui me disent « oh moi je ne saurais jamais faire ça quoi ». Des
gens qui sont un peu surpris, plus classiques, et tout ça. (…) Par exemple,
j’ai un copain marocain. Il travaille à STIB. Il est marié, il a fait venir sa
femme du Maroc parce qu’il avait rencontré des Marocaines en Belgique
mais il trouvait qu’elles étaient trop émancipées et tout ça et qu’elles
sortaient de trop et ça n’allait pas. Alors il a épousé une Marocaine du
Maroc. Il l’a fait venir. Et alors elle travaille. Et alors je trouve que c’est
dur. Il doit aller tout le temps travailler à la STIB, sa femme doit s’occuper
des enfants euh pff tandis que nous, bon à la limite, si ma femme voulait
vraiment rester à la maison, on pourrait changer. Je veux bien aller
travailler s’il faut quoi mais. Dans la famille, c’est l’homme qui est le pilier
quoi c’est lui qui doit aller travailler. Il n’aime pas son boulot enfin il y a eu
des périodes où il n’aimait pas son boulot et il devait absolument quoi.
L.M: Oui, oui. Et c’est des commentaires qui viennent de quel type de
personnes?
Laurent : Euh, oui, souvent des gens qui travaillent et qui n’ont pas cette
chance, euh, de pouvoir avoir une présence plus importante à la maison. (à
225
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
propos de son quartier) Parce que c’est vrai que c’est très, très un peu tradi
avec les enfants avec les petits cols en velours, avec les quatre boutons, on
n’est pas tellement, on n’est pas complètement anti non, plus mais enfin, on
n’est pas tout à fait comme ça.
L.M : On en a déjà un petit peu parlé, mais qu’est-ce que vous répondez à
ceux qui disent que les hommes qui restent à la maison ne sont pas vraiment
des hommes?
Brice : Ah ben qu’ils fassent le travail et puis on en reparlera. C’est tout, je
n’ai rien à leur dire. C’est pas vraiment des hommes, ben si pour être un
homme il faut aimer le football et aller gueuler dans les gradins du
Standard, on n’a pas la même conception de l’homme. (rire)
Joseph (à propos de ses parents) : Donc, c’est vrai que quand je leur ai
annoncé ça, ils étaient plutôt un peu étonnés, parce que c’est peut-être le
genre de chose qui ne se faisait pas de leur temps (…) on est dans une
société où c’est la femme qui reste au foyer, c’est le mari qui travaille.
Donc, faut bien comprendre que quand on inverse une, des valeurs, ben les
gens sont toujours réticents à l’accepter.
226
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
John (à propos de sa mère): elle vient d’un autre monde, d’une époque
différente et d’un ensemble différent de croyances.
Comme Schütz l’a montré, les individus sont appréhendés via une
configuration de types plus ou moins anonymes. Ces typifications peuvent
être basées sur des critères « objectifs » comme l’âge ou le sexe auxquels
sont associés diverses attitudes et comportements sur base à la fois du stock
social de connaissances et des expériences vécues. La classe sociale
constitue un autre critère de classification. Afin de mieux appréhender les
autres à la fois au cours des interactions et dans leur activité réflexive, les
hommes de notre enquête se livrent eux aussi à une catégorisation de leurs
détracteurs en mobilisant de tels critères, auxquels ils en ajoutent d’autres
comme la « souplesse » et la « rigidité » ou le degré d’intimité/anonymat.
Or, nous avons vu que les critiques émanent de toutes part, transcendant
ainsi les catégories préétablies qui permettraient d’expliquer les réticences.
Les pères au foyer peinent donc à maintenir leur raisonnement face à la
complexité du réel, et ce d’autant plus que le degré d’intimité qui les lie à
leurs détracteurs augmente. L’exemple de Brice met bien en lumière cette
délicate tentative de maîtrise du réel.
227
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Brice : Quand je parlais avec mes élèves de ça, ceux qui acceptaient la
situation, c’était les gens plus aisés. Et les gens qui venaient d’une
catégorie un peu moins aisée, socialement défavorisée, étaient choqués par
ça.
Brice : Souvent je vais, je suis resté délégué syndical et souvent je vais aux
réunions des syndicats, c’est un milieu très, il y a très peu de femmes
syndicalistes, et les gens ne comprennent pas déjà un, que je reste délégué
syndical alors que je suis plus dans les écoles. Et donc ils ne comprennent
pas non plus pourquoi c’est moi qui reste chez eux
Il faut noter que ces critères peuvent jouer à double sens, comme l’âge
par exemple. Si les personnes âgées sont moins ouvertes, les jeunes ne le
sont pas forcément plus (pensons à ses élèves qui lui ont reproché de
« vivre aux crochets » de sa femme lorsqu’il leur a annoncé son départ), ce
dont il s’étonne d’ailleurs. Et il rappelle que les collègues de sa femme qui
critiquent son mode de vie sont jeunes, ce qui tendrait à les rendre naïves
(«elles croient que le monde est à elles»). Il peut aussi sembler ambigu de
la part de Brice d’invoquer le milieu d’origine comme critère sachant qu’il
provient lui-même d’un milieu ouvrier. Mais il rétablit la logique en
précisant qu’il a fait des études et que c’est précisément grâce à cela qu’il a
pu faire le choix de rester à la maison.
Brice : Mais je suis pas sûr que les gens qui sont moins éduqués
accepteraient une situation comme moi je vis. Enfin c’est pas… une
question sociale, quoi. Les gens qui sont d’un milieu plus défavorisé
auraient à mon avis plus de difficultés à accepter la situation. Je crois. Mais
ça c’est peut-être pas objectif de ma part.
L.M : Vous avez plus l’impression que le rejet vient de personnes de ces
milieux-là?
228
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Brice : Non, non, c’est pas ça que je veux dire. Non, non. Ce que je veux
dire c’est que ça ne viendrait même pas à l’esprit… Je crois que nous on a
fait ça et qu’on peut le faire parce qu’on a fait, on est, on a fait des études
universitaires, on a, on est, voilà je crois que c’est pour ça. Mais je sais
bien que c’est toujours délicat de mettre des ségrégations sociales, mais je
pense que c’est vraiment ça.
Enfin rien dans le reste de son discours ne permet de dire que les
femmes sont plus ouvertes à ce qu’un homme reste à la maison – il
évoquera d’ailleurs plusieurs réactions négatives émanant de femmes.
Selon la situation, le critère mobilisé sera différent. Ainsi, au sein de la
configuration de types qui sert à appréhender autrui, ceux qui, dans une
situation donnée, ne peuvent être mobilisés car ils contrediraient une
croyance précédemment exprimée (le sexe, par exemple) passent au second
plan au profit d’autres types (comme l’âge).
Armand: Vous savez, il faut dire aussi que je travaillais d’abord avec des
enfants dans un milieu très féminin, j’avais à part moi personne d’autre
hein, donc finalement, je pense que tout le monde pouvait comprendre que
quand on a trois enfants, qu’on reste à la maison.
Karl : alors, sa famille, peut-être ça fait une différence dans votre étude,
mais un peu plus traditionnelle, travailleurs (ouvriers). Et ma famille c’est
plutôt: ils viennent dans une famille vraiment travailleur mais aujourd'hui,
il a travaillé, mon père était patron d’une grande industrie, et ce n’était pas
un salaire énorme, ou comme ça, absolument pas. Mais ça a changé le
statut dans la société. Et dans ma famille on a lu des livres, et on a discuté
des choses comme ça. C’était important. Avec l’école, c’est bien qu’on avait
fait des études, même que nous étions les premiers dans ma famille ou dans
ce côté.
L.M: Vous étiez les premiers à avoir fait des études?
Karl : Oui, oui! Et c’était plus accepté dans ma famille, c’était plus naturel,
si on peut dire ça.
L.M: Heu, c’était plus naturel, quoi? De rester à la maison?
Karl : Oui
229
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
L.M: C’est ça. Parce qu’ils sont plus ouverts, c’est ça ce que vous voulez
dire?
Karl : Selon moi, selon, la classe au milieu, c’est souvent plus ouvert aux
changements dans la société. Et j’ai trouvé la même chose dans la classe
plus haut. Que c’est souvent, que la femme reste à la maison, c’est un peu le
même dans la classe plus bas. Si ce n’est pas vraiment heu…
Serge : Je dois dire que les images négatives chez les femmes c’est rare.
Chez les hommes ça arrive, mais chez les femmes c’est plus rare.
L.M: Chez les femmes, c’est quoi? De l’admiration?
Serge : Peut-être pas de l’admiration, mais trouver ça bien, heu. Non, je
n’irais pas jusqu’à l’admiration, quoi. Sauf celles qui sont carriéristes.
Parce que j’ai une amie de pff, je ne la vois quasiment plus, bon, elle a fait
ses études en droit avec moi, et bon elle c’est très « études », et elle fait
toujours la plus grande distinction, ou presque toujours. Quand elle n’avait
pas un 18/20, elle était malade. Et j’ai eu des échos comme quoi, « c’était
vraiment lamentable » que « jamais elle ne sacrifierait sa carrière à une vie
de famille, je devais avoir plus d’ambition dans la vie, et que c’était …
vraiment…pff! »
230
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Karl : Mais dans ma famille, j’ai deux frères, et j’ai un frère qui c’était
mieux pour lui quand il était né ou qu’il était père pendant les années 50,
parce que vraiment il vit un rôle comme le père a vécu avant.
L.M: C’est ça. Donc, il vit comme les pères des années 50?
Karl : Oui, oui. Et l’autre, il est comme moi, mais il n’est pas resté à la
maison, parce que ce n’était pas nécessaire, mais il n’a pas de chose contre
de rester à la maison.
Les critères mis en avant par Samuel pour expliquer les réactions de
professionnels de l’enfance sont d’un autre ordre. Ceux-ci sont
appréhendés au départ via des typifications correspondant à la profession
qu’ils exercent. Or, ces individus ne réagissent pas tous de la même
manière à sa situation. Samuel va baser l’explication de ces différences sur
leur parcours professionnel. Les critères invoqués seront l’expérience, la
souplesse/rigidité, l’adaptation ou l’absence d’adaptation à l’évolution des
comportements des jeunes parents et le degré de connaissance de ces
derniers. Il crée ainsi une dichotomie entre deux types de professionnels,
caractérisés chacun par une configuration de types spécifique. Les
professionnels ayant réagi positivement à sa situation de père au foyer sont
décrits de la manière suivante :
231
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Samuel: J’ai rencontré et été moins bien accueilli par des personnes de
moindre expérience ou, comment je dirais? Plus conservatrices, qui ne
pouvaient pas imaginer un seul instant cette situation-là, ou qui imaginaient
moins facilement cette situation-là, et qui donc marquaient, elles, une
certaine inquiétude à voir donc, un homme avec des grosses pattes, hein,
bon, elles ne sont pas si grosses que ça les miennes, mais enfin bon, prendre
soin du nouveau-né et s’occuper un petit peu de questions de problèmes
qui…, dont en général, les hommes ne se mêlent pas. Enfin, bon, et avec une
tendance de s’adresser à la maman, plutôt que aux deux ou exclusivement
au papa dans certains cas. Et donc, de voir un petit peu…, d’être étonné,
surpris, et même de voir avec une certaine réticence, la présence d’un
homme dans la chambre d’hôpital. C’est arrivé une fois, à la maternité.
Enfin, on peut noter dans le discours que Laurent tient au sujet de son
père qu’il tente d’excuser les réactions de celui-ci non seulement en les
attribuant aux valeurs ambiantes, mais aussi à l’amour que celui-ci lui porte
et qui le pousse à s’inquiéter pour lui.
Laurent (à propos de son père) : Oui, enfin, c’est vrai que culturellement
parlant, c’est pas comme ça que ça se passe. Et donc je comprends que ça
le désarçonne. Et puis, bon, je suis son fils, et certainement, et je
comprends, euh il se dit, euh, ce que je vous disais tout à l’heure: « est-ce
qu’il sera, est-ce qu’il est vraiment épanoui avec cette situation, est-ce que
entre guillemets, il ne se fait pas dominer par sa femme qui lui a imposé le
fait de vouloir travailler et lui euh hein ? » Oui, et enfin, il y a un peu de
tout qui est lié.
232
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Dans un extrait que nous avons déjà cité plus haut, Laurent soulignait
l’importance de nommer les « choses » à savoir, sa situation. Dans cette
étude nous avons pris le parti de nommer les hommes que nous avons
interrogés « pères au foyer ». Cette dénomination, absente du langage
institutionnel, récente et peu répandue dans le langage courant, est une
construction élaborée sur base de son équivalent féminin « mère au foyer »
qui fait, lui, à la fois davantage partie de ces deux langages. Il se réfère à
une typologie relativement bien définie à laquelle ont historiquement été
accolées une série d’attentes en termes de comportement.
176
Brice, Bruno, Daniel, Didier, Hervé, Jean-Paul et Serge.
233
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Hervé fait de même, bien qu’il tempère légèrement son goût malicieux
pour la provocation.
L.M: En général, vous dites facilement aux gens que vous êtes père au
foyer?
Hervé: Oui, oui, j’aime bien parfois peut-être pas les choquer ou un peu les,
ça ne me dérange pas quand on en parle. De plus en plus maintenant il y a
des pères au foyer et … Bof, je dis pas, si on me le demande, je le dis quoi.
Je ne vais pas m’en vanter quoi mais si on me le demande, je le dis
quoi.(…) D’un côté, je suis content je me dis moi c’est bien. Moi je n’ai pas
trop d’état d’âme, donc, j’aime bien parfois un peu choquer les gens ou un
peu.
177
Le rapport d’Armand à la dénomination de père au foyer n’est pas celui de l’identification totale, mais
de l’identification-distanciation dont nous allons parler dans un instant.
234
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
178
Armand, Christophe, Colin, Geert, Grégoire, John, Joseph, Laurent, Philippe et Yvan.
235
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
identité commune. Etre père au foyer n’est, dit-il, qu’une partie de son
identité.179
Yvan : Ben, j'aime pas trop les groupes, déjà. Mais, mais non, je sais pas,
ça ne me correspond pas. Mais je, je vais dire que je ne m'identifie pas
comme ça en soi… j'ai l'impression que si on se donne, comment ? Si on se
rencontre entre, disons ça, comme ça pères au foyer ça sera comme si on
s'identifie au père au foyer. Moi je vais dire, je suis à la maison avec les
enfants, je m'identifie pas quoi, c'est pas, euh, c'est un de mes aspects, mais
j'estime que je fais autre chose. Oui, c'est pas parce qu'on se donne rendez-
vous comme ça qu'on est comme ça, hein, ça c'est, c'est moi qui le dis, hein,
mais je veux dire euh, c'est pas quelque chose auquel je m'iden… si je vois
une affiche avec je sais pas un père au foyer qui va à la plaine de jeux, ben
j'irai pas, parce que je, je sais pas, c'est pas pour ça qu'on aurait des choses
en commun quoi. (…) je dirais pas que je m'identifie en tout cas à eux,
même si je suis content de le faire quoi, en partie.
Christophe: C’est curieux, parce que les gens disent: avoir un ménage, être
dans un foyer, un ménage, foyer. Un père au foyer, c’est quelqu’un qui fait
le ménage comme une femme, et ça c’est pas du tout ça, moi, comme je me
perçois. (rire) (…) Bon, il y a cette histoire d’être au foyer, d’être à la
maison, de s’occuper des enfants, qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire
alors « être au foyer», si ce n’est pas seulement dormir quelque part,
bouffer quelque part, enfin, là, le lieu où, qu’on retrouve après son travail,
il faut bien prendre un bain de temps en temps, bien se nourrir. Alors ça
c’est le chez soi des gens, c’est leur foyer, leur ménage, ils appellent ça
comme des mots. Des mots qui ne traduisent pas ma réalité. Je suis un peu
dans les nues et je n’ai peut-être pas un vocabulaire suffisant, ou je ne suis
pas assez créatif pour trouver d’autres mots. Donc, il faudra se satisfaire
des expressions courantes, voilà! Mais moi, je ne me retrouve pas très bien
dans « être un homme au ménage, ou au foyer », ou quoi…
179
Harper fait également référence au caractère multidimensionnel de l’identité des pères au foyer. « Ils
sont pères, mais leur identité provient de sources diverses. Etre un homme au foyer et un père n’est jamais
l’origine unique de leur identité. » cf « Fathers they are, but their identity comes from diverse sources.
Being a househusband and father is never the sole origin of self ». In Harper J., op. cit., p. 63.
236
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
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Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
tard ils la découvriront. Il joue sur les mots, ne disant ni qu’il est au foyer,
ni qu’il n’exerce pas d’activité professionnelle. Parmi les personnes à qui il
a révélé qu’il est père au foyer, on retrouve ses voisins et les commerçants
du quartier qui, de par leur proximité et la fréquence des contacts, seraient
susceptibles de le découvrir par eux-mêmes. Il n’a toutefois fait part de sa
situation aux derniers qu’après qu’ils lui aient eux-mêmes posé la question.
Joseph : Par contre, par exemple, euh, j’ai un nouveau plombier, parce
qu’il est venu justement faire les travaux ici, et comme je trouve qu’il
travaille très bien, qu’il a des idées intéressantes et tout, ben, lui le sait.
Mais je sais que dans sa mentalité ça ne choque pas. Donc je lui en ai
parlé, enfin je sais pas si c’est lui qui m’avait, enfin c’est venu sur la table,
on en a parlé. Ben, je sais qu’avec lui, ça ne posera pas de problèmes
quand il devra venir ici quoi.
180
Ce qui montre qu’il s’agit bien d’une lecture subjective de ce contexte.
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Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Joseph : par exemple, ben je sais pas moi, avec un entrepreneur qui
viendrait faire des travaux ici, que je sais que lui euh un père au foyer c’est
inimaginable, et bien je vais pas le lui dire. Fatalement. Bon parce que il
pourrait très bien se braquer et me voir d’une certaine manière, et donc à
ce moment-là les rapports que j’aurai avec lui je dirais en tant que maître
d’œuvre vis-à-vis de lui qui est un employé pour le boulot, risquent d’être
faussés. Ou de poser problème. Donc, à ce moment-là, ben pas besoin d’en
parler et puis c’est tout hein.
Lorsqu’il rencontre une personne, Joseph se base donc sur une série de
critères parmi lesquels on retrouve : les effets possibles que la vérité
pourraient avoir sur la relation ; la probabilité que la personne découvre la
vérité ; le caractère temporaire ou non du contact ; et les conceptions qu’il
attribue « au feeling » à la personne qui lui fait face.
Yvan : Ben on sent un petit peu si c'est quelqu'un qui a des réticences, un
petit peu plus, euh, moins catégorique ou, ou peut-être moins classique un
peu sur ce qu'il y a dans la vie ou sur des valeurs, je dirais peut-être plutôt
des valeurs euh on pourra le dire. Mais c'est vrai que dans certains cer…
Des gens qui ont plutôt mon âge ou plutôt je sais pas le genre de parcours,
qui ont des intérêts comme moi, ben, je pourrai la dire parce qu'il y en a qui
le font, ils ne mettent pas le travail au centre de tout euh. Et il y en a qui
sont au chômage, je sais pas, depuis 10 ans, ils sont tous seuls, ils ont pas
d'enfant, mais bon euh ils sont actifs, je sais pas moi, ils écrivent des
scénarios euh, ils s'occupent à 10.000 trucs qui est pas considéré comme du
travail, mais bon si, ils font quelque chose quoi finalement. Mais bon alors
là on peut le dire
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Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Yvan : Ceux à qui je dis pas, c'est vraiment les gens que je rencontre et des
choses comme ça. Souvent j'essaye plutôt pas de mentir mais de (rire) plutôt
mettre un flou pour ne pas raconter des cracks non plus hein. Ca, ça fait un
peu minable quoi. Mais euh (rire). Oui, c'est vrai que j'ai l'occasion de
travailler de temps en temps, mais bon, c'est minime par rapport au temps
que je, et j'insiste plutôt là-dessus euh comment ? Oui, pour donner on va
dire une vision qui correspond plus à ce que les gens ont envie d'entendre
parfois. (…) Parce que je pense que ça vaut la peine d'expliquer ce qu'on
fait quand on va être complices. Sinon, je trouve que ça vaut pas, si c'est
pour se heurter à un mur d'incompréhension et de préjugés, j'ai pas
l'impression qu'on a gagné grand-chose.
L.M: Et sinon autour de vous, qu’est-ce qui faisait que … c’est les amis
proches par exemple à qui vous l’avez dit , qu’est-ce qui faisait que vous
disiez à quelqu’un et pas à l’autre?
Philippe : (Silence) Bonne question hein. J’essaie de cibler deux situations,
deux personnes à qui j’ai dit l’un ou l’autre. (silence) Je crois que le fait
d’avoir travaillé en … pff. (silence) Oui peut-être que la différence, c’est
peut-être les personnes que je rencontrais à qui je parlerais facilement de
mon travail, et les personnes que je rencontrais à qui je parlerais facilement
de mon couple. Je crois que la différence pourrait venir de là.
L.M: Et ceux à qui vous parlez de votre couple, c’est des confidents,
intimes…
Philippe : Ce sont des amis intimes, oui, oui.
L.M: Que vous connaissez déjà depuis suffisamment longtemps et …
Philippe : Oui, des amis à qui on peut, chez qui on peut débarquer à 4 h du
matin, si on veut un jour débarquer à 4 h du matin, on sait qu’on peut quoi.
Et vice versa, donc. Ce sont des amis qu’on ne voit pas nécessairement
souvent, mais que quand on se voit, c’est très intense.
240
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
John: Je crois que nos amis et relations ne sont pas au courant du fait que
je suis beaucoup à la maison. Mais ils savent aussi que j’enseigne à temps
partiel. Maintenant je ne, parce que lorsque j’enseignais, (…) je faisais
parfois 15 heures par semaine, et parfois 4 heures par semaine en fonction
du nombre de cours en parallèle. Et bien sûr je ne dis pas aux gens « au fait
je ne fais plus que 2 heures en ce moment ». Donc l’impression que les gens
ont est variable.
241
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
L.M : Donc vous ne dites pas aux gens, même si ce sont vos amis, que
maintenant vous êtes à la maison et que vous ne travaillez plus, que ce n‘est
plus aussi important pour vous maintenant ?
John : En fait, je n’ai pas vraiment l’occasion d’avoir ce genre de
conversation, parce que dans la plupart de mes conversations, les gens
n’entrent pas autant dans les détails lorsqu’ils me posent des questions.
181
Ce terme doit être pris ici dans une acception restrictive, celle du « maniement », de l’arrangement des
éléments présentés, et non dans une acception à connotation négative et normative qui renverrait à une
manœuvre frauduleuse visant à fausser délibérément la réalité afin de tromper un interlocuteur.
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Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Joseph : Je dirais que surtout qu’il y a pas tellement longtemps que j’ai
quitté mon emploi donc euh, je dirais, ben, si ça leur convient de savoir que
je suis dans l’environnement, ben voilà, c’est tout. Je suis toujours
d’ailleurs dans l’environnement puisque je donne encore des conseils à des
gens qui viennent me trouver. Mais je le fais gratuitement parce que j’ai de
la documentation ici et ils viennent chercher de la documentation, ils
viennent pour savoir ceci ou cela, des renseignements au niveau législatif
ou des histoires pareilles, ben comme je suis encore un peu dans le coup je
le fais. Donc dire entre guillemets que je suis dans l’environnement, c’est
pas vraiment mentir.
Joseph : Mais c’est rare les personnes à qui je ne l’ai jamais dit. J’ai pas à
première vue comme ça… j’ai toujours fini par le dire.
Joseph : D’abord je dirais par amusement. Parce que ça, j’aime bien je
dirais, j’aime pas le mot manipuler parce que c’est péjoratif, mais j’aime
bien de temps en temps m’amuser. Parce que je suis assez, j’essaye en tout
243
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
cas d’être, je dirais, euh, le plus précis dans les mots que j’utilise. Et je me
rends compte que les gens interprètent énormément. On dit une chose et les
gens comprennent tout de travers. Et donc, je me suis rendu compte que
quand on disait les choses d’une certaine manière, qui n’est pas fausse
parce que je dis la vérité hein mais les gens pouvaient l’interpréter de
différentes manières. Et alors j’aime bien souvent de jouer là-dessus. Jouer
parfois sur les mots, jouer sur le sens de certaines phrases et tout, même
avec mes enfants, hein, je le fais, je dirais pour voir jusqu’où les gens vont
percevoir et interpréter ce que je dis.
Dans cet extrait, Joseph exprime un argument qui lui permet, au-delà
de la minimisation du jeu auquel il se livre, de détourner les réactions
négatives vers une autre cible : celles-ci ne seraient pas adressées à la
situation réelle de père au foyer mais à une interprétation erronée des mots
utilisés pour la nommer. Grâce à ce tour de passe-passe, il parvient à
invalider ces réactions et à neutraliser leur effet sur l’image qu’il a de lui-
même.
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Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
De son côté, Yvan joue sur les mots : il ne « ment » pas mais il « met
un flou » ; comme il lui arrive de travailler au noir il peut jouer sur la
frontière entre chômage, travail et foyer.
Yvan : Souvent j'essaye plutôt pas de mentir mais de (rire) plutôt mettre un
flou pour ne pas raconter des cracks non plus hein. Ca, ça fait un peu
minable quoi. Mais euh (rire). Oui c'est vrai que j'ai l'occasion de travailler
de temps en temps, mais bon, c'est minime par rapport au temps que je, et
j'insiste plutôt là-dessus euh comment ? Oui, pour donner on va dire une
vision qui correspond plus à ce que les gens ont envie d'entendre parfois.
L.M: Quand vous rencontrez quelqu’un, vous dites que vous êtes retraité ou
vous dites que vous êtes père au foyer?
Geert: je dis que je suis retraité, oui. Parce que ceux que je rencontre, bon,
si quelqu’un que je ne connais pas me dit: « qu’est-ce que vous faites? » «
Retraité. » « Et pourquoi? » « oui, pour m’occuper de mes enfants. » Donc,
je ne lui dis pas que j’ai été chef de cabinet là, ou bazar là, je m’en fous.
Quelqu’un qui me connaît, « tiens il y a longtemps que je ne t’ai pas vu,
qu’est-ce que tu fais là ?», « Ben je suis retraité, je m’occupe de mes
enfants » mais, je suis retraité, oui. Avant, il ne m’arrive pas de dire « je
suis père au foyer ».
182
Notons que Geert se définit lui-même comme un père au foyer « particulier », sa particularité étant
justement liée notamment au fait qu’il est retraité.
245
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Laurent: je ne trouve pas honnête de dire que je suis au chômage, parce que
quelqu’un qui est au chômage, pour moi, c’est quelqu’un qui cherche du
travail. Enfin qui essaye d’en trouver en tout cas. Et moi, je ne me sens pas
dans cette situation-là.
Colin : Puis je n’en parle pas déjà. Peut-être qu’ils pensent que tout
bêtement je suis au chômage hein. (…) On n’en parle même pas (…) pas
qu’on veut se cacher hein.
Solange: Non, t’as jamais eu l’occasion d’en parler comme ça.
Colin: Non. Non et en plus comme je suis un peu manuel, je vais dire, je
suis souvent en salopette, parce que j’ai souvent un petit quelque chose à
faire soit à la maison, soit sur mes vieilles voitures, soit, donc je suis
souvent en salopette je dois dire.
Le fait qu’il soit vêtu d’un bleu de travail lorsqu’il va chercher ses
enfants à l’école suggère aux autres qu’il exerce une activité
professionnelle au noir, ce qu’il ne dément pas.
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Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
enfants tant dans la définition de soi que dans la présentation de soi. D’un
côté l’on retrouve Jean-Marie, Karl et Samuel, de l’autre, Claude. Chez les
trois premiers, les termes de référence utilisés sont porteurs d’un sens
proche de celui de père au foyer en ceci qu’ils se centrent sur l’activité de
soin des enfants. Ainsi, Karl n’utilise à aucun moment de l’entretien le
terme de père au foyer, même s’il n’a pas réagi négativement lorsque nous
l’avons utilisé au cours de l’entrevue. Pour se décrire et se présenter aux
autres il utilise la formule « à la maison pour m’occuper de mes enfants ».
Il s’identifie totalement à cette formule au sens où il l’utilise à la fois vis-à-
vis de lui-même et vis-à-vis des autres. Notons que le fait que le français
n’est pas sa langue maternelle peut jouer ici.
Jean-Marie : Et moi, j’étais mère au foyer parce que ce n’était même pas
père au foyer, hein, c’était mère au foyer. C’est comme ça que c’est arrivé.
(…)
L.M: Quand vous étiez à la maison, vous disiez quoi aux gens, que vous
étiez au chômage, que vous étiez père au foyer, qu’est-ce que vous disiez?
Quand on vous demandait: «qu’est-ce que tu fais?»
Jean-Marie : ah, non, « je suis à la maison, et je m’occupe des gosses ».
247
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Claude : C’est vrai que ils ont été quelque part en arrière-fond pendant
toute cette année où j’ai tiré des enseignements des erreurs faites par l’un et
par l’autre.
Claude : Peut-être parce que, aussi bien ma femme que moi, on n’a jamais
voulu se définir en tant que couple par rapport à nos enfants. On est
d’abord un couple, accessoirement nous avons des enfants, mais ça c’est
pour une durée déterminée. Et puis un jour nos enfants partiront et nous
serons toujours un couple. Enfin si nous restons ensemble.
Claude : je passe actuellement cinq heures par jour à écrire pour mon
bouquin. Et puis comme ça à 16h quand les enfants rentrent de nouveau je
suis autant disponible, je peux faire le ménage, etc. C'est-à-dire que je n’ai
248
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
rien changé sauf que les cinq heures que je passais avant à m’introspecter,
à être malade de voir comment j’étais et à me promener pour essayer de
faire le point, ben maintenant je les passe à écrire.
Notons que Claude est le seul parmi les hommes que nous avons
interrogés à avoir cessé de travailler alors que ses filles étaient toutes âgées
de 9 ans et plus.
249
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
L.M: Quelles ont été les réactions autour de vous quand on s’est rendu
compte, ou quand vous avez dit que vous restiez à la maison pour vous
occuper de vos enfants? D’abord, est-ce que vous avez dit ça, d’abord, et
quelles ont été les réactions?
Christophe: Oui, oui. Mais la première chose que j’ai dite, mais c’est une
façon très habile de ne pas se faire trop interpeller trop directement. J’ai dit
que j’avais des doutes. Enfin, j’ai dit la vérité quoi, j’ai dit que j’avais des
doutes sur ma capacité à pouvoir m’occuper d’un enfant, je ne l’avais
jamais fait. Je ne m’étais jamais intéressé à la question auparavant. Mais
les circonstances faisaient que c’était peut-être l’occasion de le faire.
250
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
d’une situation tout à fait exceptionnelle due aux petits enfants, aux enfants
jeunes et non pas, …et voilà.
Mettre l’accent sur les avantages pour soi, pour la conjointe ou pour
les enfants, expliquer les raisons de ce choix ou faire la preuve, au fil de
temps, du caractère positif de l’engagement au foyer comptent également
parmi les manières d’influencer les conceptions d’autrui vis-à-vis de soi.
Hervé a par exemple joué auprès de ses beaux-parents sur les avantages de
la situation afin de les convaincre que leur fille est plus heureuse ainsi.
Ceux-ci sont multiples : Brigitte peut valoriser son diplôme ; leur qualité de
vie est bonne ; les enfants sont bien pris en charge.
Hervé : Mais par exemple les parents de Brigitte là, au début, ils étaient un
petit peu étonnés, et puis après quelque temps ils ont trouvé ça magnifique.
L.M : Qu’est-ce qui a fait qu’ils ont changé d’avis?
Hervé : Ben il faut les convaincre un peu. Il faut qu’ils comprennent
pourquoi on a fait ce choix-là. Par exemple ils voient que leur fille a un bon
diplôme de droit, donc ils se disent que ce serait bête qu’on ait investi dans
ses études, qu’elle ait un diplôme et qu’elle ne travaille pas. Et ils, alors, ils
voient bien que si moi, je travaille, et qu’elle travaille, que c’est l’enfer si
les enfants sont malades ou quoi. Et puis ils trouvent ça bien et que leur fille
est contente. Brigitte, quand elle revient, je ne sais pas, la maison est
quand même plus ou moins en ordre et je prépare le repas. On a une qualité
de vie, donc ils trouvent ça bien.
Nous avons déjà abordé plus haut l’importance que peut revêtir le
maintien d’une activité extra-domestique qui peut en certaines occasions
prendre une connotation professionnelle. Le fait que certaines de ces
activités extra-domestiques aient une connotation masculine sert également
de support à une présentation de soi en tant qu’individu conforme aux
normes de la masculinité.
Armand : Vous savez les mères c’est chouette mais elles sont souvent
possessives. (…) et c’est vrai qu’au début les réactions des gens c’est quand
même un peu, faut dire qu’à l’époque il y en avait pas des tonnes, je pense
toujours pas des tonnes non plus d’ailleurs, c’est un peu spécial. J’avais un
peu l’impression que je leur prenais leur boulot quelque part. A la sortie
des classes c’était vraiment…après ça s’est tassé parce que pendant un petit
temps j’ai conduit le minibus de l’école, donc, j’avais en même temps un
autre rôle, un rôle plus masculin, plus, plus dévolu à celui du travail
251
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
252
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Smith fait également référence, dans son étude sur les pères au foyer
australiens, à plusieurs mécanismes similaires à ceux que nous avons
présentés ici, et qui ont pour fonction de répondre à l’illégitimité de la
paternité au foyer. Le premier, qu’il nomme la « rationalisation de
l’illégitimité », consiste notamment à considérer les critiques émises
comme le résultat d’attributs psychologiques personnels de ceux qui les
émettent, ou du climat social ambiant. Le second renvoie à la
« manipulation » ou à la « rétention » d’informations dans le but d’éviter la
confrontation à des réactions potentiellement douloureuses. Le troisième,
plus rare, revient, en revendiquant ouvertement un rôle de père au foyer, à
défier l’illégitimité qui touche celui-ci.185
184
Pour ce dernier point, voir Harper J., op. cit., p. 174.
185
Smith C., op. cit., pp. 160-162.
253
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
et réaffirmer leur conformité aux normes dominantes.186 Elle note que dans
certains contextes, il arrive que des hommes donnent un autre nom à leur
travail, afin de lui conférer une connotation plus masculine et donc, plus
légitime. 187 Selon elle, « Ces hommes considèrent que « nommer» le
métier exercé au « mauvais» public pourrait les menacer. Ils renomment
donc leur travail ou le présentent à des « outsiders » dans un langage plus
masculin et, par là, plus acceptable.».188 Ces hommes se livrent donc, tout
comme certains pères au foyer de notre étude, à une évaluation anticipative
des réactions à leur « vraie » situation, sur base de laquelle ils décident de
la manière dont ils vont se présenter à autrui.
186
Williams C., Still a Man’s World. Men Who Do Women’s Work, University of California Press,
Berkeley, 1995.
187
Un assistant social dit être « psychothérapeute », un enseignant du primaire se contente de dire qu’il
travaille « dans l’enseignement », un infirmier se présente comme « un ancien infirmier soldat du
Vietnam ». In Williams C., op. cit., p. 128.
188
« For these men, « naming » the occupation to the « wrong » audience could be threatening, so they
rename their work, or describe it to « outsiders » in more masculine, and hence, more acceptable
language ». In Williams C., op. cit., p. 128.
189
D’amour M. et al., op. cit., pp 128-129.
190
On notera également qu’il est fait mention de la possibilité, pour les femmes, de se définir comme
« mères », possibilité qui n’a pas d’équivalent du côté des hommes. D’amour M. et al., op. cit.,, p. 128.
254
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
191
D’amour M. et al., op. cit., pp. 126-127.
192
D’amour M. et al., op. cit., p. 129.
193
Delor, F., Séropositifs. Trajectoires identitaires et rencontres du risque, L’Harmattan, Paris, 1997.
255
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
194
Pour rappel, personne dans l’entourage de John et Cecilia, son épouse, n’a été mis au courant de la
vraie situation de John, mais ceci ne conduit pas, comme dans le cas de l’homosexualité, à une dislocation
identitaire et à l’émergence d’un sentiment de honte. Le fait que les pères au foyer développent diverses
stratégies leur permettant de limiter l’impact négatif des critiques émises à leur égard peut participer à
éviter d’en arriver à de telles extrémités.
256
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
257
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
258
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Sur le plan des interactions, nous avons, pour terminer, mis en exergue
diverses stratégies à côté de la gestion stratégique de la présentation de soi,
qui visent soit à réduire ou neutraliser les réactions négatives, soit à agir sur
autrui pour modifier ses propres conceptions. La réduction et/ou la
neutralisation des réactions négatives est assurée par l’anticipation des
critiques, l’affirmation que la paternité au foyer s’inscrit dans des
« circonstances particulières », et par une présentation de soi en tant
qu’individu conforme aux normes de la masculinité via la prise en charge
d’activités à connotation masculine. A côté de cela, mettre l’accent sur les
avantages, pour soi, pour la conjointe ou pour les enfants, expliquer les
raisons de ce choix ou faire la preuve, au fil de temps, du caractère positif
de l’engagement au foyer sont autant de manières d’influencer les
conceptions d’autrui vis-à-vis de soi.
259
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
260
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Entre les deux figures que nous avons dessinées ci-dessus se profile
une troisième figure, qui s’axe sur la gestion de la transgression des normes
dominantes non plus en fonction d’une concordance entre (non)
endossement subjectif et intersubjectif, mais plutôt de la gestion stratégique
de la présentation de soi aux interlocuteurs en présence. Pour rappel, notre
analyse du rapport avec la dénomination de « père au foyer » avait révélé la
possibilité d’une tension entre appréhension et présentation de soi, et qui
pouvait se concrétiser par un véritable travail de test des personnes en
261
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
195
Ce mécanisme peut être assimilé à l’évaluation prospective des retombées émotionnelles à laquelle
Stryker et Burke assignaient un rôle essentiel dans l’élaboration des choix identitaires préalables à
l’action.
262
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
Les trois modes de gestion dessinés ici ont ceci de commun qu’ils
participent du processus de distanciation/rapprochement à l’égard
d’ « autruis » qui risquent, pour les premiers, d’invalider la structure de
plausibilité à laquelle les pères au foyer se raccrochent pour défendre
subjectivement leur investissement. Ainsi, en diminuant les détracteurs, en
renvoyant les critiques qu’ils émettent à des facteurs externes, et plus
largement en se distanciant des remarques émises, les pères au foyer
circonscrivent la portée des images négatives qui leur sont accolées, évitant
ainsi qu’elles ne contaminent et n’invalident la structure de plausibilité sur
laquelle ils s’appuient. Celle-ci s’axe largement, comme nous l’avons vu au
sujet de la figure de la transgression assumée, sur la valorisation de la
famille, sur la relativisation de la place du travail salarié et sur la mise en
avant des avantages que procure la paternité au foyer tant pour celui qui s’y
investit que pour son entourage. La figure de la transgression circonscrite
laisse apparaître une structure de plausibilité qui, si elle peut elle aussi
largement s’appuyer sur la valorisation de la famille et des avantages de la
paternité au foyer, conserve une place de choix à l’inscription dans la
sphère professionnelle, maintien qui passe par des stratégies de
(re)définition de diverses activités sous un angle professionnel. La
troisième figure laisse apparaître tout ce travail de
distanciation/rapprochement au cours des interactions avec autrui,
l’évaluation anticipative des réactions permettant de repérer les
interlocuteurs qui confirmeront et nourriront, ou au contraire mettront à
mal, la structure de plausibilité sur laquelle les pères au foyer s’appuyent.
263
Chapitre 5. (Re)construction d’une image positive de soi
peut se faire que si l’on parvient à gérer les défis que pose la transgression
des normes dominantes.
264
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
196
Ce chapitre se rapporte uniquement au soin des enfants et non à la prise en charge des tâches
domestiques telles que définies dans le chapitre 3. Nous avons en effet vu dans celui-ci que si la totalité
des pères que nous avons rencontrés prennent en charge l’ensemble des tâches liées au soin des enfants
lorsque leur partenaire est absente, les autres tâches domestiques donnent lieu à une répartition plus variée
au sein du couple.
265
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
266
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
Les six exemples que nous allons aborder ont en commun qu’ils
montrent un travail de gestion de la transgression s’appuyant à la fois sur
un rejet du « machisme » et sur une appréhension de soi en tant qu’individu
masculin. Cette inscription dans un genre masculin prend, pour les trois
premiers, la forme d’une relative conformité aux définitions dominantes de
la masculinité, alors que pour les trois suivants, elle participe de la
revendication de la mise en pratique d’une forme alternative de
masculinité.
Joseph : d’abord un homme est frustré quand la femme est enceinte. Parce
que bon, ça a duré quelques secondes, mais il en a aucun plaisir pendant 9
mois. Donc, la femme durant la grossesse a énormément de contact avec
l’enfant. Et donc, à ce niveau-là, je dirais qu’il y a une liaison très intime
qui se fait entre l’enfant et sa mère. Ca, c’est une première chose. Ensuite,
il y a l’accouchement, donc que le mari ne sait pas vivre. Même s’il est à
côté à tenir la main, il ne sait pas vivre ce que vit la mère. Et la troisième
chose c’est que c’est la mère qui le nourrit. Et de nouveau lorsque la mère
donne le sein il y a de nouveau une relation intime qui s’établit entre
l’enfant et la mère. Ce que l’homme n’a pas. Je dirais que le père est
extrêmement frustré, je dirais, à ce niveau-là. Et donc, euh, je dirais que
tout ce bagage, toute cette liaison, je dirais, qu’il y a eu entre la mère et
l’enfant, ben, il est en manque d’un autre côté. Donc, si le père s’occupe de
l’enfant au moment où la mère le sèvre, et bien, il y a quelque chose qui
n’existe pas. Donc, il ne saura pas aussi bien s’en occuper que la mère.
Ceci dit, ces différences entre hommes et femmes ne doivent pas, dans
une société non-machiste, empêcher les uns et les autres de remplir des
rôles dévolus à l’autre sexe.
267
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
Joseph : Est-ce que ça voudrait dire que un homme n’aurait pas le droit de
remplir des tâches ménagères? Je crois que ça c’est un peu trop machiste et
c’est, oui, c’est ce que certains membres de la société, ou certaines sociétés
essayent de faire. Mais je suis tout à fait contre ça. Et j’estime qu’au
contraire, si certaines femmes remplissaient beaucoup plus, si beaucoup
plus de femmes remplissaient des rôles d’hommes à certains niveaux je
pense que la société roulerait beaucoup mieux.
268
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
problème et qui vient sans que l’on y pense. Les termes « naturel » et
« éducationnel » sont considérés ici comme des synonymes.
Joseph : Je dirais que une, bon, quand on est une famille nombreuse, ben
fatalement, les aînés ont tendance à s’occuper des plus jeunes. Et donc, en
tant que quatrième, je me suis occupé de ma plus jeune sœur. Donc, c’est
quelque chose de normal. C’est quelque chose de logique, c’est naturel. Et
donc, à ce niveau-là, il y a pas de problème.
Grâce à cette diversité que l’on retrouve chez les humains, ses enfants
savent bien qu’il est un père et non une mère.
Joseph : Non je n’ai pas le rôle de la mère. Je n’ai pas le rôle de la maman.
Ca, je crois que vis-à-vis des quatre, ils l’ont très bien compris, parce que le
rôle de la maman n’est pas être mère au foyer. Ils le savent. Ils voient très
bien, je dirais, dans leur famille, dans leur entourage qu’il y a des papa qui
travaillent, il y a des papa qui ne travaillent pas, il y a des maman qui
travaillent et des maman qui ne travaillent pas, il y a parfois les deux
parents qui travaillent et parfois les deux parents qui ne travaillent pas.
269
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
Donc il y a toutes les possibilités, donc, ils sont très, très ouverts à ce
niveau-là, donc, ils savent ce que c’est qu’un papa et ils savent ce qu’est
une maman.
Question 2 : Les hommes qui possèdent une fibre maternelle les rendant
capables de soigner les enfants restent-ils masculins ?
Oui, car dans la nature, des mâles prennent eux aussi en charge ce type de
fonction.
270
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
Joseph : le père généralement c’est souvent l’autorité. C’est lui qui impose
les limites. (…) Mais c’est surtout, je dirais, principalement au niveau,
comment dirais-je, hiérarchique. Hiérarchisation, je dirais, dans la société
animale. (…) où c’est le mâle dominant qui généralement impose, je dirais,
la hiérarchie au niveau de toutes les personnes (…)Et donc, ben fatalement,
la supériorité, c’est moi qui l’ai, ça je le sais et je pense que souvent c’est le
père et c’est le mâle qui a cette autorité là. (…) c’est aussi le rôle du, du
mâle entre guillemets dans la société, je dirais, animale, et donc, ben, c’est
ce que j’essaye de, c’est moi qui essaye d’imposer cette fonction-là
également. Et donc vis-à-vis des garçons, de nouveau, c’est moi qui ai les
discussions, je dirais, sur tout ce qui est le masculin, et ainsi de suite.(…) Je
dirais que l’apprentissage de la vie, c’est plutôt moi qui le fais. Donc, je
dirais, apprendre à conduire aux garçons, apprendre à rouler en vélo,
apprendre à nager, c’est toujours moi qui l’ai fait. Et je pense que ça, c’est
le rôle je dirais, de l’homme. C’est le rôle du père.
Yvan : pour moi la norme a changé euh et il y a pas de raison que ce soit
plutôt une femme qui le change. C’est quand même un acte technique, quoi.
Mais c’est vrai que je le fais pas de la même manière non plus, je le fais pas
comme une mère, je, ‘fin je sais pas, même la façon dont je parle avec mes
enfants, je parle pas comme une mère quoi, je suis pas leur mère. Moi en
tout cas je, j’ai pas eu trop de problème avec ça euh je me sens pas leur
271
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
mère, et donc, ça c’est clair, hein. (…) C’est pas parce que je fais à manger
euh que, faire à manger, c’est technique, quoi. Mais après, la façon de
parler et de donner à manger, je le fais comme un père. Il y a des choses
que je fais pas, on le fait pas de la même manière en tout cas. Euh, non,
pour ça, j’ai pas l’impression que c’est connoté sexuellement, ‘fin le, les, les
choses quoi. Il n’y a rien que je ne fais pas parce que j’estimerais que c’est
un truc de femme.
Yvan : Non, peut-être plus des repères quoi euh, que le père donne peut-être
un peu plus. (…) C’est peut-être plutôt moi qui donne les repères euh, c’est
pas la discipline, c’est plutôt des repères que je leur donne quoi. (…) il y a
des choses que je suis assez strict quoi en tout cas. (…) parfois je dois partir
rien qu’avec lui (Sacha),, c’est bien d’être entre garçons quoi je trouve. (…)
Euh, je trouve c’est pas mal quoi. Je crois qu’on est quand même sensé un
peu faire, c’est la même chose dans un style différent, pour faire un peu
sentir euh, euh oui, peut-être où est le garçon (…) je crois qu’on a un rôle
à jouer aussi pour, pour marquer l’identité sexuelle aussi. (…) je suis
affectueux avec les deux. Je suis peut-être comme une mère aussi, mais pas
du tout de la même manière. Mais il y a de l'affection, même physique et des
choses comme ça, j'ai pas peur de prendre mon fils dans mes bras ou de lui
caresser le dos ou la tête.
Prendre soin des enfants, être proche d’eux lorsqu’ils sont en bas
âge, c’est établir les bases d’une relation de confiance entre un père et ses
enfants.
Yvan : je trouve que c’est peut-être bien dans la petite enfance d’être assez
proche du père, comme ça il y a un peu une relation euh qui est établie et
sur des, sur des bonnes bases. Et qu’après la relation doit continuer, mais
besoin de moins de présence. Euh, on le sent parce que quand ils sont petits
comme ça il faut plus être là tout le temps euh, mais pour avoir une intimité
au départ et (…) donner à manger (…), endormir et des choses comme ça
euh pour avoir une confiance, parce que quand ils sont petits, ça passe
plutôt par le, par le physique ou par le ressenti et le, le contact.
272
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
Colin: C’est plus inné chez une femme je pense que… c’est la femme qui
(…) c’est la femme qui le porte, c’est la femme qui le porte. C’est peut-être
le truc qui me manquera, que je n’ai pas porté d’enfant pour voir ce que
c’est. Mais c’est sûr que le rapport entre un maman, un maman et un
enfant, je trouve, est plus fort grâce à ça. Parce que l’enfant a ressenti tout
ce que la maman ressent, avant de naître. Donc il y a peut-être une
symbiose plus importante qu’avec le papa.
273
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
que plus la vie coûte cher. (…) il faut se donner un coup de main. (…) un
père qui partage tout avec sa femme. Ca serait l’idéal. Donc, quand je dis
partager, c’est partager l’intimité, c’est partager les enfants, c’est partager
la tenue de la maison, c’est partager toute la vie quoi. Tout simplement.
Colin : Monsieur qui reste à la maison n’est pas, n’est pas une femme,
comme madame qui reste à la maison n’est pas un homme. C’est, non, c’est
l’évolution de la vie qui fait que. Bon ma grand-mère, j’ai une de mes
grands-mères qui a toujours travaillé, j’ai l’autre de mes grands-mères qui
n’a jamais travaillé. Mais pour moi, c’est deux femmes tout à fait les
mêmes. Bon, mes grands-pères, ben ils ont travaillé tous les deux, mais si il
y en avait un qui était resté à la maison, je vois pas la différence. Parce que
on a une charge de travail chacun pour soi, plus la charge de travail qu’il
faut se partager à la maison. (…) Je suis pas devenu une femme hein. Je
suis toujours un homme avec mon caractère. Je suis pas atrophié du tout.
J’ai fait un choix. Et je pense que je l’assume.
274
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
Claude considère, lui aussi, que le soin des enfants est une compétence
dont la nature a doté préférentiellement les femmes, pour des raisons
anatomiques et biologiques.
275
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
276
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
est fort, qui surtout ne montre pas ses faiblesses, qui est performant, etc.,
etc. ». Aujourd’hui je me rends compte…
Claude : Ben, je pense que je fais partie de cette minorité d’hommes qui
déjà, acceptent de se remettre en question. (…) Ma vision hein, c’est que on
est bien plus coincés et emprisonnés que les femmes dans des images, dans
des… L’image qu’il y a encore « un garçon ça ne pleure pas » ou « un
homme ça doit rester fort », etc. (…) J’ai été aussi dans cette prison. Et je
me suis rendu compte que la terre ne s’est pas écroulée parce que j’ai
commencé à accepter mes ombres, à accepter ma fragilité, à accepter de
pleurer, accepter de dire à des bons amis ou des bonnes amies « non ça va
pas ».
277
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
Hervé considère lui aussi que les femmes sont « naturellement » les
plus aptes à s’occuper d’un enfant, surtout en bas âge, et en particulier
pendant la période d’allaitement.
Hervé : Je trouve qu’il n’y a rien à faire, les premiers mois c’est une
femme. C’est le top. Je le vois bien. Brigitte le prend, elle va en haut, elle
peut travailler. Elle le met dans le lit, il voit Brigitte, il va s’endormir
beaucoup plus qu’avec moi, parce qu’il est plus rassuré. (…) Ca, je suis
d’accord que pour l’allaitement, une femme doit rester à la maison. C’est
important pour le bébé. Ca, c’est physique quoi. On peut ne rien faire.
Hervé : Père traditionnel ben oui c’est le père qui va travailler et puis la
mère qui est à la maison et qui travaille à mi-temps et… Ca, ça ne peut plus
aller. C’est frustrant pour la femme. Parce que comme elle étudie comme
278
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
L.M : Quand vous dites que les hommes ne sont pas marrants, ça veut dire ?
Hervé : (…) Ils sont plus classiques. Je ne sais pas. Ils ne se remettent pas
en question. (…) Il faut laisser faire les gens comme ils veulent. Je trouve
que c’est incroyable le manque d’ouverture. (…) Je ne me rends pas bien
compte que dans la société les gens sont très traditionnels et très classiques.
(…)Pff, oui, parfois je me dis « si ça pouvait un peu changer la société, que
les gens soient un peu, on y gagnerait tous quoi. » (…) moi, j’ai jamais,
jamais suivi le chemin traditionnel, et j’ai toujours bien aimé faire ce que
j’avais envie. Et je n’aime pas trop suivre les pressions. Si vous faites
comme tout le monde, moi, je suis malheureux. Moi, j’ai envie d’être libre
(…) Et ce que font les gens, ce n’est pas vraiment, je ne sais pas, la plupart
des gens, ce n’est pas une bonne référence. (…) Je trouve ça fatigant. Je
trouve ça fatiguant d’être comme tous les gens. (…) On est dans un pays
avancé. On a la chance de pouvoir faire plein de choses et d’être libre. Il
faut en profiter, quoi. (…)
279
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
Serge : On dit qu’on est un couple, coq et mère poule, comme ça. C’est
comme ça qu’on nous qualifie.
L.M: Ça veut dire quoi?
197
On notera qu’afin de permettre à sa compagne de continuer à allaiter leur plus jeune enfant, Hervé la
rejoint tous les midis sur son lieu de travail.
280
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
Serge : Pff, enfin, moi, je ne trouve pas que je les couve, mais bon… mais
c’est vrai qu’on est fort attentif à ce qu’ils soient bien habillés, ne pas les
confier à n’importe qui, quoi. À tout le temps les surveiller. (…)
L.M: Est-ce qu’il y a quand même des choses qui sont différenciées dans
votre rôle de père par rapport au rôle de votre femme?(…)
Serge : non, pas du tout! Non, c’est vraiment partagé, je ne vois vraiment
pas ce que je pourrais dire: « tiens, moi, en tant que père… » Non! Non,
pour les choses pour lesquelles je suis peut-être plus doué, comme le
bricolage ou aller faire du jardinage, si ça les intéresse, c’est probablement
avec moi qu’ils le feront, mais je ne dis pas que c’est mon rôle de père de
leur inculquer ça, quoi.
L.M: Donc, on pourrait dire que vous êtes interchangeables, votre femme et
vous?
Serge : Oui.
Serge : Oh, non, non! Ben, écoutez, heu, ça fait depuis que je suis
adolescent qu’on n’arrête pas de parler de l’égalité des sexes et de
l’émancipation féminine, mais si on ne le vit pas au présent, ce n’est pas la
peine quoi. Si on veut vraiment qu’il y ait des sociétés égalitaires, je ne vois
281
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
pas pourquoi les hommes ne pourraient pas faire ce que font les femmes,
puisque les femmes font déjà ce que font les hommes. Oui.
282
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
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Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
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Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
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Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
Christophe : je suis quelqu’un qui ne refoule pas sa féminité. Parce que les
artistes, en général, ont plus de facilités à … ont plus de complicités au
niveau de leur inconscient avec la part féminine qui est en eux, et
gnagnagna et gnagnagna. Parce qu’on prête à la femme des choses très
horribles, qu’elle est plus narcissique que l’homme. Ça je ne suis pas
convaincu. Donc, il y a des hommes qui ont un côté narcissique aussi, ou
efféminé, qui ne le refoulent pas comme un gros Italien à gros bras, macho,
hein. On voit hein, les stigmates de ça. Qui, lui, est complètement à côté,
parce qu’il refoule sa part féminine et il ne peut pas la voir chez un homme,
ce qui fait que lorsqu’il rencontre une femme, et c’est un peu le cas de Don
Juan, hein. Don Juan a un problème, c’est qu’il étreint toutes les femmes et
il n’en possède aucune.
286
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
287
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
Bruno : je pense que j’ai, ça c’est peut-être ma chance, c’est d’avoir les
deux polarités. Et d’ailleurs c’est aussi mon objectif, même si je pense que
la polarité féminine, je l’ai, mais elle est trop encore inconsciente. Vous
voyez, ce n’est pas quelque chose qui est intégré. Ça se passe de manière,
tout seul et donc, je l’ai dans les deux sens, ça veut dire aussi bien positif
que négatif, puisque je ne le maîtrise pas, je le subis en fait.
288
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
Bruno : C’est ça, oui. Non pas que, mais que le pôle féminin, n’ayant pas, je
dirais…Ma conviction, et par mes lectures, par mon expérience, etc., c’est
que le pôle féminin soutient le pôle masculin. Ça veut dire que si vous n’êtes
pas soutenu par vos émotions, par ce qui se passe à l’intérieur de vous, etc.
quelque part, il y a un vide. Et que donc, vous pouvez éventuellement
crâner, bon partir dans l’activisme à outrance, le carriérisme, etc., vous
pouvez le faire. Il y a des gens qui le font, mais à un moment donné, ça
s’effondre. Alors, je ne sais pas si c’est un bien ou un mal, mais moi, j’ai
toujours eu la conviction que je devais d’abord mettre autre chose que du
sable mouvant en-dessous de mes pieds avant de partir. (…) en tout cas, la
conviction que j’ai maintenant c’est que tout le travail qui a été fait en tant
que parent au foyer, c’est quelque part affermir la base.
Bruno : Ben oui, la polarité masculine, c’est celle par rapport aux enfants,
bon, c’est celle qui cadre, qui amène à dépasser les peurs, à oser affronter
l’extérieur, à se donner des projets, à entreprendre. (…) C’est pour ça que
je trouve que, par exemple, l’escalade est un vraiment un très bon, un très
bon sport pour un enfant. Parce que vraiment, on est confronté à ses peurs,
ses doutes, etc., c’est un truc qui vraiment va loin ça, c’est un sport extrême
un peu. Et en même temps, c’est aussi l’occasion d’apprendre à gérer et de
198
Ces activités ont varié au cours du temps, et ont été assumées à temps (très) partiel. Il s’est tantôt agit
de massage thérapeutique, tantôt de travail dans le bâtiment.
289
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
Nous l’avons dit plus haut, Bruno étend la complémentarité entre pôle
masculin et féminin aux relations de couple : c’est de l’équilibre entre
masculinité et féminité à ce niveau que dépend la possibilité d’atteindre un
même équilibre au niveau individuel. Si sa femme a bien développé sa
polarité masculine en s’investissant sur le plan professionnel, ce
développement ne s’est pas fait au prix du délaissement de sa polarité
féminine, ce qui évite alors à Bruno de devoir compenser le « manque de
féminité » de sa compagne en surinvestissant le pôle féminin.
Bruno : j’ai déjà entendu parler par des gens que je considère plus euh qui
ont fait plus de chemin que moi, qui parlent d’androgynie. C’est un concept
que je ne connais pas très bien, mais si je devais faire un rattachement à
290
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
Les différents individus dont nous avons parlé jusqu’à présent sont
tous parvenus, parfois vaille que vaille, à poser les conditions d’une
appréhension de soi en tant qu’individu genré dans laquelle la vision du
monde qui rend possible ou qui atteste de la capacité d’un homme à
prendre en charge le soin des enfants s’accorde avec l’image de soi que
l’on souhaite projeter. Le dernier cas que nous allons présenter ici, celui de
Grégoire, nous donne à voir le fait que cette concordance peut poser
problème.
291
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
Grégoire : il y a une chose que je voulais absolument c’était avoir une fille.
Et alors au moment des échographies, mon épouse ne voulait absolument
pas savoir le sexe de l’enfant. Et moi je voulais absolument le savoir, parce
que si c’était un garçon, je voulais m’y préparer. (…) et quand on a parlé
du deuxième enfant, de nouveau, je voulais avoir une fille encore. Je voulais
pas avoir de garçon. (…) Et à un moment on a parlé d’un troisième, et …
j’ai hésité parce que j’avais peur d’avoir un garçon (rire). (…) je crois que
si on m’aurait dit à 100% c’était une fille, on aurait eu un troisième. (…)
J’avais peur de ne pas savoir me comporter avec un garçon. Et encore
maintenant, je vois qu’on parlait tout à l’heure quand on va à la piscine
avec les maternelles et tout ça, qu’il faut les habiller et les sécher et tout ça,
je ne m’occupe jamais des garçons. C’est bizarre hein, je saurais pas
vraiment m’occuper d’un garçon. C’est…(…) le contact physique comme
ça, j’ai l’impression que je pourrais pas l’avoir avec un garçon.
292
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
Grégoire : parfois j’ai plus facile à dialoguer avec des femmes qu’avec des
hommes. (…) Les autres papa ben pff, à part parler du travail où moi je
suis carrément sorti, parler du football ça m’intéresse pas du tout, donc
vous voyez un peu ce que je veux dire ? Donc parfois je me sens un petit peu
hors du coup quoi. (…) Comme moi je vous disais tout à l’heure, le fait que,
293
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
bon, les hommes sont quand même macho, on ne peut pas revenir là-dessus,
et c’est difficile de se sentir au même pied d’égalité.
L.M : Qu’est-ce que vous répondez à ceux qui disent que les hommes qui
restent à la maison ne sont pas des hommes ?
Grégoire : (Silence) Ben oui on en a déjà parlé tout à l’heure comme je
vous dis, c’est vraiment ce qu’on entend souvent. Et c’est quelque chose qui
est assez difficile à vivre.
Grégoire : J’ai besoin quand même d’avoir des relations sportives par
exemple avec des hommes, pour avoir un contact quand même social avec
des hommes. Mais alors à ce moment-là le, le dialogue reste souvent à
100% sur le sport, donc c’est quand même quelque chose que je connais
assez bien, et j’ai pas trop de problèmes là-dessus. A partir du moment où
on commence à parler d’autre chose c’est quand même…comment dire ? Je
me sens moins… concerné, oui je me sens moins concerné, je me sens moins
pris par la discussion et peut-être même mis à l’écart. Et c’est quelque
chose souvent qui me rattache à la condition féminine, quoi.
294
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
295
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
6.5. Conclusion
Dans son ouvrage, Marquet centre son analyse sur la façon dont les
individus gèrent la transgression des axes qui structurent leur monde, axes
qui apparaissent comme autant de frontières ordonnant le monde en sous-
univers de sens, et ce au cours d’entretiens dans lesquels les individus ont
été amenés à se positionner face à diverses situations extrêmes liées à la
procréation médicalement assistée, comme le recours à une mère-porteuse.
199
Marquet, J., Nomisation et réalité dynamique. Contribution à la sociologie compréhensive, Academia
Coll. Hypothèses, Louvain-la-Neuve, 1991.
200
Marquet J., op. cit., p. 207.
201
Marquet J., op. cit., p. 156.
202
Il en est ainsi dans le monde agricole, où c’est la figure de l’homme-singe qui, en rendant monstrueuse
l’éventualité d’un dépassement de la frontière homme/animal, assure le maintien de la frontière.
296
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
203
Marquet J., op. cit., p. 207.
297
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
204
Selon le Trésor de la langue française informatisé
205
Selon le Trésor de la Langue française informatisé
206
Selon le Dictionnaire Hachette encyclopédique illustré, Hachette, Paris, 1997, p. 1399
207
A ceci près que contrairement à son équivalent papier, il n’est pas octroyé aux individus par autrui,
mais bien confectionné par les pères eux-mêmes. Il ne prend d’ailleurs sens que dans la propre vision du
monde que ces hommes construisent.
298
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
Les autre cas que nous avons présentés donnent à voir diverses
manières de décliner le rapport entre inscription dans un territoire, poste-
frontière et passeport.
Les discours élaborés par Claude, Hervé et Serge donnent à voir une
première variante de ce rapport. Tous trois se présentent comme des
ressortissants du territoire « masculinité » tout en proclamant leur
appartenance à une minorité au sein de celui-ci, qui partage des traits
communs avec la majorité mais possède également des caractéristiques qui
la différencient d’elle.
299
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
300
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
301
Chapitre 6. Investir des tâches féminines en restant « masculin » ?
302
Conclusion
Conclusion
Le premier, s’il est fortement ancré dans le terrain qui a été le nôtre,
s’inscrit dans la continuité des travaux qui traitent, comme ceux de
D’Amour et al., de Delor ou de Paugam, de la gestion identitaire de
pratiques considérées comme illégitimes, et, tout comme le second volet,
d’une sociologie des masculinités.
208
Martuccelli, D., op. cit., p. 78.
303
Conclusion
l’individu se fait de ses détracteurs. Cette idée n’est, certes, pas nouvelle.
Mais les pères au foyer dont nous avons suivi les cheminements, plutôt que
de mettre en place un stratégie de distanciation à l’égard de ceux qui leur
renvoient une image négative et de rapprochement exclusif avec ceux qui
les soutiennent, jouent subtilement de ces deux positionnements avec autrui
sans que le second ne soit réservé exclusivement aux sympathisants,
comme les tentatives d’attribuer les critiques émises à des facteurs comme
les valeurs ambiantes et la gestion stratégique de la présentation de soi en
fonction des croyances imputées à autrui en témoignent notamment. Le
risque d’isolement social qui guette certains face à une majorité comptant
parfois des personnes très proches au sein de ses rangs et qu’aucune
inscription dans un collectif rassemblant des individus vivant une situation
similaire ne vient compenser, augmente le coût potentiel d’une mise à
distance verbale et physique des détracteurs. La situation que nous avons
étudiée a en effet ceci de particulier qu’elle donne à voir un travail
éminemment solitaire et individuel de gestion de la transgression. Les pères
au foyer se connaissent rarement entre eux, ne peuvent s’appuyer sur une
dynamique de groupe pour « faire face » aux autres, et s’inscrivent dans un
rôle largement invisible et ignoré y compris par les « experts » (qu’ils
soient ou non professionnels de l’enfance), ce qui les prive de toute
référence à un discours pré-établi légitimant la paternité au foyer en tant
que telle.
304
Conclusion
Celle-ci passe par une mise en ordre du monde qui, en s’appuyant sur
la double figure « poste-frontière – passeport », donne au voyageur les
traits tantôt d’un « transfrontalier » pour qui l’appréhension de soi en tant
qu’individu masculin ne pose pas question, tantôt d’un membre d’une
« minorité nationale » s’inscrivant dans une forme alternative de
masculinité qui repose précisément sur la mobilité entre ces deux sous-
univers de sens, tantôt d’un « détenteur d’une double citoyenneté »
masculine-féminine qui tend vers l’androgynie, et enfin d’un « immigrant »
pour qui l’appréhension de soi en tant qu’individu féminin supplante
l’inscription dans un genre masculin. Lorsque la vision du monde qui est
mise en avant ne s’appuie pas sur une dichotomisation entre deux sous-
univers de sens fortement nomiques émerge la figure d’un « citoyen du
monde » pour qui la distinction même entre masculinité et féminité ne fait
pas sens au regard de l’appréhension de soi
305
Conclusion
209
Doucet A., op. cit., p. 296.
306
Conclusion
307
Bibliographie
Bibliographie
309
Bibliographie
D’Amour M., Lesemann F., Deniger M-A, Shragge E.: « Les chômeurs de
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Willis, P., Learning to labour : how working class kids get working class
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317
Annexes
Annexes
319
Annexes
Niveau d’étude
Secondaire inférieur 1
Secondaire supérieur 1
Supérieur non-universitaire 6
Universitaire 13
Ouvrier 1
Employé 9
Cadre 4
Indépendant 3
Sans emploi 4
20-29 5
30-39 9
40-49 5
50+ 2
320
Annexes
Employée 7
Cadre 5
Indépendante 4
Fonctionnaire européenne 5
Nombre d’enfants
1 1
2 11
3 et plus 9
Entre 0 et 1 an 13
Entre 2 et 3 ans 3
Entre 4 et 5 ans 3
6 ans et plus 2
321
Annexes
Questionnaire portant sur les pères qui ont diminué leur investissement professionnel pour s’occuper
d’un enfant
Bonjour,
Si vous faites partie des pères qui ont, à un moment ou l’autre de leur vie, arrêté de travailler, pris un
congé parental, une pause-carrière, réduit leur temps de travail, bref, mis entre parenthèses leur vie
professionnelle pour s’occuper d’un enfant, ce questionnaire vous concerne. Mon nom est Laura Merla.
Je suis sociologue à l’Université catholique de Louvain, et je mène actuellement une recherche sur les
pères qui ont choisi, à un moment ou un autre, et pour une période plus ou moins longue, de travailler
moins pour s’occuper d’un ou de plusieurs enfants. Votre témoignage est précieux, et votre anonymat
sera respecté tout au long de l’enquête.
Le questionnaire ci-dessous constitue la première étape de cette recherche. Merci à vous qui prendrez
quelques minutes pour le remplir et me l’envoyer à l’adresse suivante, pour le 5 février 2003 au plus
tard :
Laura Merla
UCL/ANSO
1/1 Place Montesquieu
1348 Louvain-la-Neuve
Si vous avez des questions, n’hésitez pas à m’écrire par courrier classique à l’adresse ci-dessus ou par e-
mail à l’adresse suivante : [email protected]
I. Avant de diminuer pour la dernière fois votre investissement professionnel pour vous consacrer à vos
enfants, quelle était votre situation professionnelle ?
322
Annexes
5.1. Le samedi 0 0
5.2. Le dimanche 0 0
5.3. Le soir 0 0
5.4. La nuit 0 0
II. Quelle était la situation de travail de votre partenaire/conjointe au moment où vous avez décidé de
réduire votre investissement professionnel pour la dernière fois ? Si vous n’aviez pas de
partenaire/conjointe, passez directement à question 11.
323
Annexes
III. Les questions suivantes portent sur votre décision de réduire votre investissement professionnel au
profit des enfants.
11. Pouvez-vous nous expliquer la raison principale qui vous a poussé à prendre cette décision ?
324
Annexes
13.1. Quel âge avait votre plus jeune enfant au début de cette période de diminution de votre activité
professionnelle ?
13.2. Combien de mois a duré cette diminution de travail ? Si cette période est toujours en cours,
veuillez indiquer combien de mois elle durera au total.
14. Quelle(s) formule(s) avez-vous utilisée(s) ? Si vous avez combiné plusieurs formules, veuillez les
cocher et les numéroter dans la marge par ordre chronologique d’utilisation.
IV. Les questions suivantes portent sur la réaction de votre milieu professionnel
15. Les personnes suivantes étaient-elles au courant du fait que vous réduisiez votre investissement
professionnel pour vous occuper d’un enfant ?
a. Oui b. Non
15.1. Vos collègues hommes 0 0
15.2. Vos collègues femmes 0 0
15.3. Vos supérieurs 0 0
17. A votre avis, votre décision aura-t-elle des répercussions sur votre avenir professionnel ?
0 a.Oui, 0 b.Oui, 0 c.Aucune
positives négatives
V. Cette série de questions se rapporte au partage des tâches domestiques et d’éducation des enfants
pendant la période où vous avez diminué votre investissement professionnel.
325
Annexes
21. Quelle était votre situation de vie lorsque vous avez diminué votre investissement professionnel ?
0 a. En couple et marié
0 b. En couple et non marié
0 c. Divorcé et remarié
0 d. Divorcé et en couple non marié
0 e. Divorcé et célibataire
0 f. Célibataire
0 g. Veuf et remarié
0 h. Veuf et en couple non marié
22. Dans quelle commune résidez-vous ? Veuillez indiquer le code postal de votre commune.
23. Combien d’enfants vivaient avec vous la dernière fois que vous avez diminué votre investissement
professionnel ?
0 a. Un enfant
0 b. Deux enfants
0 c. Trois enfants
0 d. Plus de trois enfants
Si vous êtes intéressé à collaborer davantage à cette enquête, merci de nous laisser un numéro de
téléphone ou une adresse e-mail où vous joindre. Il va de soi que vos coordonnées resteront
confidentielles et ne seront utilisées que dans le cadre de cette enquête.
326
Annexes
Le guide d’entretien n’est pas conçu comme une suite de questions précises mais plutôt comme un
ensemble de points auxquels il faudra prêter attention au cours de la discussion. Cette discussion sera
plutôt ouverte et c’est au chercheur qu’il incombera de canaliser le récit de la personne interviewée dans
les limites des domaines repris ci-dessous, tout en laissant une marge de liberté afin d’ouvrir la porte à
des éléments non pris en compte a priori mais qui pourraient se révéler intéressants.
La question de départ sera très large, du type « décrivez-moi votre parcours, racontez-moi votre
histoire », ou plus ciblée, du type « racontez-moi comment vous en êtes arrivé à rester à la maison pour
vous occuper de vos enfants ? ». Commencer par une question large laissera la liberté à l’interviewé de
sélectionner lui-même les éléments de son parcours de vie qui lui semble pertinents, et donc d’organiser
lui-même son propre récit, de donner sens à ses pratiques et de les intégrer dans une ligne du temps.
Au cours de la discussion il faudra prêter une attention particulière aux points suivants, répartis en cinq
catégories.
327
Annexes
Les questions reprises dans le tableau ci-dessus ont pour objectif global d’identifier les autruis sur
lesquels la personne interrogée a pu compter, sur lesquels elle s’est appuyée pour construire un discours
légitimant et rendant plausible la prise de congé ; et ceux qui ont constitué un obstacle à cette
construction. La manière dont la personne interrogée s’est située par rapport à ces autruis significatifs
est aussi importante. Quelles stratégies ont été mises en œuvre ? Comment l’individu gère-il les
interactions entre ces différents autruis significatifs, entre les différents cercles d’appartenance qui
constituent son environnement?
La catégorie suivante a également trait aux interactions et à leur rôle dans la construction de structures
de plausibilité mais ici le degré d’intimité qui lie les autruis à la personne interrogée diminue. Nous
basculons de la sphère des partenaires à celle des contemporains.
328
Annexes
La troisième catégorie210 identifiée renvoie au niveau des pratiques mises en œuvre par la personne
interrogée.
La quatrième catégorie a trait à la personne interrogée elle-même non plus en termes de pratiques mais
de représentations.
Les questions ci-dessous sont bien sûr complémentaires par rapport aux questions soulevées jusqu’ici.
210
L’ordre dans lequel nous avons présenté ces catégories ne reflète en rien le degré d’importance
accordé à chacune d’elles.
329
Annexes
travail de l’autre ?
Pour terminer la cinquième catégorie renvoie aux dispositifs légaux en place et au regard que l’individu
porte sur eux.
Enfin, l’entretien s’achèvera par des questions portant sur les éléments suivants
330
Tables des matières
INTRODUCTION ............................................................... 3
331
Tables des matières
5.2. Réduction de la portée des images négatives associées à l’identité de père au foyer en
dehors du contexte des interactions : discours sur autrui ............................................ 221
5.2.1. Quand le discours se porte sur les acteurs des modèles dominants ............... 222
5.2.2. Quand le discours sur autrui se centre sur les détracteurs afin de réduire la portée des
critiques ........................................................................................................................ 225
5.4. Réduction de la portée des images négatives associées à l’identité de père au foyer au
cours des interactions ...................................................................................................... 250
5.6. Conclusion : trois modes typiques de gestion de la transgression des normes de genre
................................................................................................................... 257
5.6.1. Récapitulatif................................................................................................... 257
5.6.2. Typologie des figures de gestion de la transgression..................................... 260
332
Tables des matières
6.3. Appréhension de soi en tant qu’individu qui tend vers l’androgynie.. 288
CONCLUSION............................................................... 303
333