Insep 1241-0691 1996 Num 12 1 1142

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Les Cahiers de l'INSEP

Arts martiaux, arts de défense ou arts de combat ?


Michel Audiffren, Jacques Crémieux

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Audiffren Michel, Crémieux Jacques. Arts martiaux, arts de défense ou arts de combat ?. In: Les Cahiers de l'INSEP, n°12-13,
1996. Arts martiaux, sports de combat. pp. 61-66;

doi : https://doi.org/10.3406/insep.1996.1142

https://www.persee.fr/doc/insep_1241-0691_1996_num_12_1_1142

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ARTS
MARTIAUX,
OU ARTS DEARTS
COMBAT
DE DÉFENSE
?

Michel AUDIFFREN, Jacques CRÉMIEU

Cet exposé est avant tout une réflexion terminologique relativ


l'utilisation des termes arts martiaux pour désigner un ensemble
pratiques sociales très spécifiques et bien ancrées dans notre socié
moderne. Nous tenterons ainsi de répondre à deux questions : d'u
part, d'où vient le terme d'art martial ? D'autre part, ce terme est
approprié pour désigner l'ensemble des pratiques sociales qu'il e
globe aujourd'hui ? Nous chercherons ensuite à montrer que le term
d'art de combat est beaucoup plus large dans son acception que cel
d'art martial, et qu'il paraît ainsi mieux adapté'pour désigner les trad
tions guerrières d'un peuple ou d'un groupe social bien déterminé.

Si l'on consulte différents dictionnaires, on s'aperçoit très vite q


le terme d'art martial est invariablement associé à la culture japonai
Ainsi, le Robert définit les arts martiaux comme les arts de combat t
ditionnels japonais quand le Larousse les définit comme les sports
combat japonais tels que Judo, Karaté et Aïkido. Plusieurs problèm
se posent quant à ces définitions. Tout d'abord, on peut se demand
s'il est justifié d'utiliser indifféremment les termes d'art de combat
sport de combat. On peut ensuite s'interroger sur la légitimité d'ass
cier exclusivement la culture japonaise aux activités de combat dés
gnées par le terme art martial.

Si martial, du nom du dieu Mars, se rencontre en français dès 13


à propos de la guerre et de l'armée, l'utilisation de l'expression ar
martiaux est beaucoup plus récente et semble provenir d'une tradu
tion initiale de l'anglais martial arts en 1933 (dictionnaire Le Rober
Ceci soulève de nouveaux problèmes : pourquoi ce nouveau term
est-il apparu alors que d'autres termes voisins tels que art de la guer
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l'utilisation initiale des termes arts martiaux par les Anglais ne répond
pas à la question de savoir d'où ils tenaient eux-mêmes ce terme.
Pour tenter de répondre à ces nombreuses questions, il convient tou
d'abord d'effectuer une première mise au point terminologique dans l
distinction entre sports de combats et arts martiaux, déjà abordée dan
la première édition des "Journées de Réflexion sur les Sports de Com¬
bat et les Arts Martiaux" (Crémieux et Audiffren, 1991). Ces deux ter
mes désignent des pratiques sociales différentes et nous allons tente
d'en faire la démonstration. Nous nous appuierons tout d'abord sur l
travail de Pierre Parlebas (1981) pour distinguer les pratiques sportive
des autres pratiques sociales. Selon cet auteur, trois critères semblen
caractériser une activité sportive : elle nécessite l'activité motrice d
sujet, elle se réalise dans un cadre compétitif réglementé, elle est insti
tutionnalisée. Pour qu'une activité sociale soit qualifiée de sportive
faut donc qu'elle remplisse ces trois conditions ; l'absence de l'une d'en
tre elles rendrait abusif l'emploi de ce qualificatif. Dans notre sociét
moderne, plusieurs activités de combat respectent ces trois critères : l
boxe anglaise, la lutte libre, le judo, l'escrime... D'autres activités d
combat, par contre, ne respectent pas un ou plusieurs de ces critères
l'Aïkido et le Taijiquan ne se pratiquent pas dans un cadre compétiti
réglementé, le Kendo et le Sumo ne sont pas institutionnalisés dan
notre société occidentale-

Pierre Parlebas (1981, 1985) a également proposé une classificatio


des activités sportives dans laquelle il inclut les sports de combat. Cett
classification est fondée sur le principe qu'une activité sportive peu
être considérée comme un système d'interaction global entre un suje
agissant, l'environnement physique et d'autres participants éventuels
Dans cette classification, les sports de combat sont caractérisés par u
environnement physique sans incertitude et une interaction praxiqu
avec un seul adversaire. Plusieurs autres activités sportives telles que l
squash remplissent ces mêmes critères. P. Parlebas propose alors de dis
tinguer les sports de combat de ces autres activités par le fait qu'ils son
caractérisés par un départ des deux combattants en face à face. Cepen¬
dant, une fois de plus, d'autres sports de raquette tels que le tennis et l
tennis de table respectent cette caractéristique. L'auteur tente alors d
ARTS MARTIAUX SPORTS DE COMBAT

distinguer ces activités par la notion de distance de garde. Toutef


cette dernière notion semble peu pertinente dans le cas des sports
raquette. Afin de mieux distinguer les sports d'opposition duals, Je
Louis Olivier (cité par Michel Audiffren, 1987), introduit la notion
simultanéité d'actions semblables. Il considère en effet qu'au co
d'un combat sportif les deux adversaires peuvent réaliser simultan
ment des actions semblables : ils peuvent par exemple attaquer sim
tanément en appliquant la même technique. Par contre, dans les spo
de raquette, les actions sont médiées par une balle. Les deux adv
saires ne peuvent donc pas agir sur la balle simultanément, ils ne
peuvent qu'alternativement. Nous pouvons donc caractériser les spo
de combat par quatre propriétés synchroniques : un milieu stable,
affrontement contre un seul adversaire (un contre un), un départ
face à face, et la possibilité d'une simultanéité d'actions semblable
Si les arts martiaux font référence .à toutes les situations de com
dans lesquelles le combattant doit protéger sa vie, alors la définit
des sports de combat que nous venons d'énoncer ne peut s'appliqu
aux arts martiaux. En effet, il existe des situations de combat où
adversaires sont multiples et le milieu non domestiqué. Il faudrait ajo
ter à cela que les sports de combat définissent, par leur règlem
sportif, les actions autorisées et les actions interdites alors que les a
martiaux préparent à des situations où tous les coups sont permis. Po
Jean-Paul Clément (1984), une activité initialement art martial pe
devenir sport de combat si elle entre dans un processus de catégori
tion de poids, comme ce fut le cas du judo.

Tout ce que nous venons de développer montre qu'il est abu


d'assimiler un art martial à un sport de combat et vice-versa. Ain
alors que des combattants sportifs sont préparés à faire face à un s
adversaire dans un milieu connu, les pratiquants d'arts martiaux so
préparés à faire face à un ou plusieurs adversaires avec l'aide d'un
plusieurs partenaires dans un milieu parfois inconnu. Nous pouvo
donc considérer que c'est la finalité de la pratique qui distingue
arts martiaux des sports de combat : la pratique d'un art martial d
préparer le combattant à préserver sa vie quelles que soient les
constances, alors que la pratique d'un sport de combat doit préparer
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combattant à tirer le meilleur parti du règlement sportif. Le problèm


de la distinction entre art martial et sport de combat étant résolu, il nou
faut maintenant nous interroger sur l'origine du terme anglais marti
arts. Pour aller plus avant, nous formulerons une hypothèse qui, à notr
connaissance, n'a pas encore été vérifiée historiquement : le terme an
glais proviendrait de la traduction d'un terme chinois. Ce terme chinoi
est soit le terme ancien Wu Yi, soit le terme plus moderne Wu Shu. Ce
deux expressions ont exactement le même sens. Elles sont écrites ave
deux caractères chinois qui signifient respectivement militaire, martia
guerrier pour le premier, et talent, habileté, aptitude, adresse, métier
art pour le second. Le terme ancien se prononce Bu gei en japonais e
V5 nghê en viêtnamien alors que le terme plus récent se prononce B
jutsu en Japonais, et Vô thuât en viêtnamien. Dans ces trois pays, ce
termes désignent respectivement l'ensemble des traditions guerrière
Les Japonais ayant été les premiers à introduire leurs arts de combat e
Europe, il est compréhensible que nos académiciens aient considér
que le terme arts martiaux désignait les pratiques guerrières importée
par les japonais. Cependant, cela est-il bien légitime ? Il ne faut pa
oublier que plusieurs arts martiaux japonais plongent leurs racines dan
les arts de combat chinois, comme c'est le cas pour le Karaté d
(Haberstzer, 1986 ; Portocarrero, 1986 ; Tokitsu, 1993). De plus, les re
vues spécialisées utilisent aujourd'hui le terme arts martiaux pour dési
gner aussi bien les pratiques guerrières japonaises que les pratique
guerrières chinoises, coréennes ou viêtnamiennes. Il paraît donc plu
légitime de parler $ arts de combat asiatiques, comme le font Don Draege
et Smith (1969), pour désigner l'ensemble des traditions guerrières pra
tiquées dans toute l'Asie.

Pourquoi nos académiciens ont-ils créé une nouvelle appellation alor


que les termes art de la guerre et art militaire étaient déjà utilisés depu
longtemps ? En fait, l'art de la guerre désigne plutôt les traditions guer
rières qui permettent à une nation de mieux gérer ses relations conflic
tuelles avec d'autres nations belliqueuses (Griffith, 1963 ; Machiavel
L'art militaire désigne plutôt, quant à lui, l'ensemble des moyens, de
pratiques et des procédés qui permettent de faire fonctionner une ar
mée et de faire la guerre. Les termes art de la guerre et art militair
semblent donc s'appliquer à des groupes d'individus importants alor
ARTS MARTIAUX SPORTS DE COMBAT

que le terme art martial serait réservé à des groupes plus réduits d'in¬
dividus.

Les arts martiaux désignent parfois des traditions guerrières qui


n'ont jamais été des traditions militaires. Citons le cas de plusieurs
styles de Boxe chinoise qui se sont développés dans des sociétés se¬
crètes, des temples bouddhistes ou taoïstes, des familles ou des eth¬
nies. Bien que ces groupes sociaux possèdent une organisation hiérar¬
chique, celle-ci n'était pas toujours comparable ou assimilable à une
organisation militaire. L'emploi des termes arts martiaux peut donc ici
entraîner certaines confusions si l'on donne au mot martial le sens de
militaire. De même, dans notre société moderne occidentale, on trouve
une multitude d'activités appelées arts martiaux qui n'ont plus rien de
commun avec une quelconque tradition militaire. On trouve des arts
martiaux devenus sports de combat (judo, karaté...), pratiques prophy¬
lactiques (taijiquan), ou encore méthodes d'auto-défense (ju jutsu,
sambo...). Il paraît donc là encore abusif d'utiliser le terme d'art mar¬
tial pour désigner ces activités. Enfin, certains peuples, bien qu'ayant
des traditions guerrières, n'ont pas toujours eu d'organisation militaire
ou d'armée. L'utilisation du terme art martial paraît une fois encore
abusif si elle s'applique à ces traditions guerrières. On parlera ainsi
plus justement d'arts de combat africains et amérindiens plutôt que
d'arts martiaux africains et amérindiens.

Nous proposerons donc d'utiliser le terme plus général d'art de


combat pour désigner l'ensemble des pratiques sociales, militaires ou
non, ayant pour finalité de préparer l'individu à faire face à des agres¬
sions de toute sorte. Nous suivrons en cela Don Draeger et Smith (1969)
qui ont utilisé, tout au long de leur ouvrage, le terme art de combat
(fighting art) pour désigner les pratiques et traditions guerrières déve¬
loppées dans différents pays asiatiques.
L'exposé qui précède nous a donc permis de montrer que :
1 - les termes arts martiaux et sports de combat désignent des prati¬
ques sociales bien distinctes
2 - le terme art martial est vraisemblablement la traduction d'un
terme chinois très ancien
3 - le terme art martial a vraisemblablement été introduit en Eu¬
rope par les japonais

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4 - les arts martiaux désignent communément aujourd'hui les tradi¬


tions guerrières de tous les peuples d'Asie
5 - le terme art martial a parfois été utilisé abusivement pour dési¬
gner certaines pratiques sociales agônistiques
6 - le terme art de combat est plus large dans son acception que celu
d' art martial et donc plus approprié pour désigner les traditions guerriè¬
res de tous les peuples et groupes sociaux de la terre.

Références

AUDIFFREN (M.).-Traitement des informations visuelles dans les sports de comba


de percussion. Université de Nice : mémoire de maîtrise STAPS, 1987.
CRÉMIEUX (J.), AUDIFFREN (M.).-Sports de combat et neurosciences. Le Ronin
47, 1991, pp. 13-15.
CLÉMENT (J.-P.).-Les catégories de poids en sport de combat. Éthique sportive e
ethos de classe. In : Anthropologie des techniques du corps. Actes du colloque inter
national organisé par la revue STAPS. Nice : Éditions de 1AFRAPS, 1984, pp. 283-290
DRAEGER LTD.
International (D.F.),1969.
SMITH (R.W.).-Asian fighting arts. New York : Kodansh

GRIFFITH (S.B.).-L'art de la guerre de Sun Tzu. Poitiers : Flammarion, 1963, 1972


HABERSETZER (R.).-Karaté de la tradition. Paris : Éditions Amphora, 1986.
MACHIAVEL(N.).-L'art de la guerre. Paris : Flammarion, édition 1991.
PARLEBAS (P.).-Contribution à un lexique commenté en science de l'action motrice
Paris : INSEP-Publications, 1981.
PARLEBAS (P.).-La motricité ludosportive. Psychomotricité et sociomotricité. In
P. Arnaud et G. Broyer (Eds.). La psychopédagogie des activités physiques et sportives
Tou-louse : Éditions Privât, 1985, pp. 335-362.
PORTOCARRERO (P.).-De la Chine à Okinawa. Tode, les origines du karaté-do
Boulogne-Billancourt : Éditions SEDIREP, 1986.
TOKITSU (K.).-Histoire du karaté-do. Paris : Éditions SEM, 1993.

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