Effets de Voix
Effets de Voix
Effets de Voix
Effets de voix
La voix – cette inconnue – si proche et si lointaine : attachée, détachée,
Anne Décamps
parfois arrachée au corps.
Une ombre qui suit nos pas sans pouvoir l’attraper.
Impossible à voir – sans contour – pourtant si présente.
Flux sonores – modulations – trajectoires – blocages – bifurcations.
Étrange… intime… étrange, étrangère… intime, étrangère.
Réside dans la voix, un couinement… son grain, si présent et pourtant si
souvent négligé.
F. Kafka, M. Duras, G. Gould, S. Beckett, A. Artaud, J. Lacan,
Effets de voix
G. Deleuze, F. Guattari, H. Michaux, A. du Bouchet, P. Quignard, G.
Clerambault, M. Tsvetaïeva… Autant d’éclats de voix !
Effets de voix
Si le poète devance le psychanalyste, ce livre tente de dégager les processus
de subjectivations qui s’engagent lorsqu’on produit de la voix.
Semblables à une rafale de fables, ces écrits libèrent des sons, des sonori-
tés, des visions, traversées de désirs – libérés ou retenus, rythmes, visibili-
tés, invisibilités dans le champ du désir.
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Anne Décamps
Effets de voix
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Introduction
Mise en scène de la voix, toujours mouvante ; elle ne peut être cata-
loguée, codifiée, même si dans le chant elle appartient à une catégorie,
une classification. Chaque voix a sa spécificité ; à chaque instant, son
intensité.
La voix circule, se précipite, se pose, ou s’amenuise.
Elle est le dedans-dehors qui parfois, rejoint le spectaculaire… qui,
toujours, se déploie dans un dispositif, un processus : celui de la vie…
jouxtant avec la mort… à bout de souffle.
La voix s’habille, se déshabille pour jouer sa partie.
Elle libère ou retient les sons à travers mouvements, corporalités,
souffles, respirations.
Partenaire du langage ou en crise avec lui, la voix est un parcours
sémiotique qui flirte avec le symbolique, l’imaginaire, le réel ou qui
divorce des chemins qui lui sont tracés… Silence ! -5
La sémiotique de la voix est susceptible de trahir les assignations
bien ordonnées, ou bien de s’y assujettir.
La voix comme acte, actrice, actante est le lieu du nouage entre le
pré-verbal et le verbal :
– rencontre furtive qui produit un éclat de voix ;
– instantanéité qui produit des bifurcations, de nouvelles intensités,
explosions, expulsions, implosions, chutes sonores, comme visibilités
des devenirs des subjectivations, des subversions dans le champ du
désir ;
– invocations, évocations, interpellations, incantations, apparitions…
Dans son aspect versatile, elle renverse les logiques significationnelles,
interprétatives, et implique l’élément sonore dans la dynamique du
transfert… efficience sémiotique sur une surface symbolique, attachée
au réel… son côté scandé par le Chronos, son côté déchaîné par l’Aïon.
Elle produit des flux sonores qui travaillent au corps.
Toujours engagée dans un dispositif, qu’il soit de la vie quotidienne,
clinique, voire théâtral, spectaculaire, elle ne supporte pas de défini-
tions fermées, échappant subrepticement aux énoncés.
Matière sonore, elle attaque le texte, et le renouvelle sans cesse.
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La voix…
Le rideau s’ouvre avec « Joséphine la Cantatrice ou le Peuple des
Souris… » C’est en mars 1924 que Franz Kafka écrit cette nouvelle : il
meurt trois mois après… Joséphine est une adepte de la musique et sait
l’exprimer. Son chant provoque un transport dans l’auditoire ; ce qui est
d’autant plus étonnant que la race de ce peuple n’aime pas la musique.
Mais il se passe une chose étrange dans ce phénomène. Cette étrangeté
provient du fait que l’on croit comprendre ce chant alors qu’on ne le
comprend pas vraiment.
« Le sentiment qui sort de ce gosier est une chose que nous n’avons jamais entendu
auparavant et que nous n’avons même pas la capacité d’entendre… Est-ce même du
chant ? Ne s’agit-il pas plutôt d’un couinement ? Et naturellement nous savons tous
couiner ; c’est le talent qui est propre à notre peuple, ou plutôt ce n’est même pas un
talent, mais une expression caractéristique de notre vie. Nous couinons tous, mais il ne
devient évidemment à l’esprit de personne de faire passer cela pour un art, nous coui-
nons sans y prêter attention et même sans le remarquer et il y en a beaucoup parmi -7
nous qui ne savent pas que le couinement est un de nos caractères distinctifs…
Mais, malgré tout, ce qu’elle (Joséphine) émet n’est plus seulement un couinement ;
pour comprendre son art, il ne suffit pas de l’entendre, il faut aussi la voir… quand on
est assis devant elle, on sait que ce qu’elle couine ici, n’est pas un couinement… Est-ce
son chant qui nous ravit ou n’est-ce pas plutôt le silence solennel dont sa faible petite
voix est entourée ?… Un rien, un hasard, le moindre contretemps, un craquement du
parquet, un grincement de dents, un dérangement dans l’éclairage, tout lui paraît
propre à rehausser l’effet de son chant… Quels efforts abominables elle est obligée de
faire pour arracher de son gosier, je ne dis pas un chant, mais le simple couinement…
Couinement ! Plus qu’un chant !… La voix propulse sa rébellion face “aux fausses
informations et aux demi-vérités”… Couinement !… qui s’élève quand le silence s’im-
pose à tous les autres… est presque un message que le peuple adresse à chacun de ses
membres. »
Couinement s’adressant à un peuple, qui par certains aspects, est
terriblement enfantin et par d’autres terriblement et « prématurément
vieux ». Son message n’est pas toujours perçu ni entendu ; seul un esprit
d’enfance peut l’entendre, y porter de l’intérêt ; cet enjouement souvent
incompréhensible reste le vestige d’une oreille d’enfance qui se main-
tient et qui permet de saisir ce couinement « perlé, et que rien ne saurait
le détruire… Le couinement est l’idiome de notre peuple ; simplement,
beaucoup d’entre nous couinent leur vie entière sans le savoir ».
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À l’ombre… de la voix!
La Voix est une ombre qui suit nos pas sans pouvoir l’attraper ; elle
fuit, fugue, jaillit, agresse, murmure, délecte, assone, dissone. Elle nous
colle à la peau, si multiple et pourtant si singulière.
La voix est là, toujours là, même dans le silence, dans le murmure
d’une voix blanche, dans une lecture silencieuse, à voix basse dit-on, -
dans une lecture silencieuse qui n’en est pas moins sonore. Peut-être
était ce choix qui prend en compte des mots qui, par leur matérialité,
mixant le sonore dans le silence, agit par et sur le réel de la voix par le
biais du féminin toujours là, comme une voix vue de biais, où le corps
de la voix, tout comme le corps lui-même, déroule un texte, fabrique de
sons, fabrique de mots. Ce biais du féminin est à entendre comme
intensité où s’évanouit la parole, cet instant où le suraigu prend le relais,
où surgit le cri, l’extrême aigu qui ne permet plus d’articulation de la
14 - parole :
« L’une des propriétés principales du chant dans l’aigu, c’est de rendre impossible
l’articulation intelligible de la parole. En effet, sur le plan acoustique, au-dessus de
660 Hz, c’est-à-dire le mi4, on ne peut plus distinguer les voyelles les unes des
autres… à cette question de la distinction des voyelles, vient se surajouter le pro-
blème de l’articulation des consonnes, (les consonnes résultent d’une obstruction
totale ou partielle du canal vocal…) J. Lacan avait d’ailleurs relevé incidemment cet
antagonisme entre langage et chant en se référant justement à la fonction des
consonnes et tout spécialement des occlusives qui, selon son expression, s’entendent
précisément de ne point s’entendre4. »
Problème du cri et de l’aigu du chant, de l’inarticulé dans le sur-aigu
– à ce moment-là – abolition de la distinction entre l’humain et l’ani-
mal… Dans le Séminaire de Lacan L’identification, séance du
29/11/1961, retenons4bis :
« Auprès de moi, j’ai une chienne nommée Justine en hommage à Sade… Ma chienne,
à mon sens et sans ambiguïté, parle. Ma chienne a la parole sans aucun doute. Ceci est
important, car cela ne veut pas dire qu’elle est le langage. La mesure dans laquelle elle a
la parole sans avoir le rapport humain au langage est une question d’où il vaut la peine
d’envisager le problème du préverbal… Elle ne parle pas tout le temps… uniquement
où elle a besoin de parler, à des moments d’intensité émotionnelle, et de rapport à
l’autre, à moi-même. La chose se manifeste par des sortes de couinements gutturaux…
une espèce de frémissement labial… effets de souffle sur les joues de l’animal qui
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consistent à faire habiter les diverses cavités dans lesquelles se produisent les vibrations
phonatoires… ma chienne ne me prend jamais pour un autre… alors que le sujet-par-
lant est amené, du fait de rester pur-parlant, à vous prendre toujours pour un autre…
qu’à vous prendre pour un autre, le sujet vous met au niveau de l’Autre avec un
grand A. »
Alors que chez la chienne, chez l’animal, il y a absence des consonnes
occlusives (consonnes dont l’articulation comporte essentiellement une
occlusion du canal buccal, suivie d’une brusque ouverture : ex. : p, t, k, d,
g) : il n’y a chez l’animal que flottement, frémissement, souffle ; on repère
que chez l’être humain, l’inarticulable est au niveau des suraigus et au
niveau des occlusives ; « la chanteuse ne peut pas chanter les occlusives ».
Lacan reprend :
« Le phonéticien touche d’un seul pas le phonème AP et le phonème PA, ce qui lui
permet de poser les principes de l’opposition de l’implosion AP à l’explosion PA et de
nous montrer que la consonance du P est, comme dans le cas de votre fille, d’être
muette. Le sens du P est entre cette implosion et cette explosion. Le P s’entend précisé-
ment de ne point s’entendre, et ce temps muet du milieu, retenez la formule, est
quelque chose qui, au seul niveau phonétique de la parole, est comme qui dirait une
sorte d’annonce d’un certain point où, vous verrez, je vous mènerai après quelque
détour… Je profite simplement au passage par ma chienne, pour vous signaler au pas-
sage et pour vous faire remarquer en même temps que cette absence des occlusives
dans la parole de ma chienne, est justement ce qu’elle a de commun avec une activité - 15
parlante que vous connaissez bien et qui s’appelle le chant. »
Entre ce suraigu et cet « entendre » de ne point s’entendre, se
déploie la voix pure, lieu de l’inarticulable, lieu de la jouissance. C’est ce
couinement de Joséphine dont parle Kafka dans sa nouvelle « Joséphine
la Cantatrice ou le peuple des Souris », couinement qui est une musica-
lité dans la voix, un couinement… qui pour être entendu exige de voir
Joséphine !
« Pour comprendre son art, il ne suffit pas de l’entendre, il faut aussi la voir… Est-ce
son chant qui nous ravit ou n’est-ce pas plutôt le silence solennel dont sa faible petite
voix est entourée ?… Il n’y a plus que les tout jeunes pour s’intéresser encore à la canta-
trice, pour contempler avec étonnement la façon qu’elle a de froncer les lèvres, de faire
passer l’air à travers les mignonnes petites dents de devant, de se pâmer en admirant les
sons qu’elle émet et de se servir de son évanouissement pour y puiser le courage de
nouvelles performances, à ses yeux les plus fabuleuses… Il y a un certain esprit d’en-
fance, qui ne meurt jamais en nous, qui reste indéracinable dans notre peuple… C’est
de cet enfantillage de notre peuple que Joséphine tire avantage depuis toujours5. »
La voix, matière sonore silencieuse, est une sorte d’oxymore, par
lequel s’amorce une approche de texte, production de sons, de mots,
lignes de forces, d’intensités, pétris par et dans le langage, la culture, la
temporalité. La voix, empreinte de la langue maternelle, de la culture,
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est liée au féminin, à cette voix « blanche », murmure maternel qui pro-
pulse des sons chuchotés, dont on ne se départit jamais vraiment. La
tonalité de la voix reste bien souvent liée à cette trace. Mais cette trace
est-elle aussi sûre d’elle-même ?
De par la culture, cette voix mêlée au féminin qui est du genre mas-
culin reste une voix ambiguë. La voix est une émission sonore, quelque
chose qui cherche à se faire entendre. Elle insinue dans ses propres
sinuosités.
Ambiguïté, voix ambiguë ! Objet sans garantie !
Toujours du féminin dans la voix, jouxté par un déterminant mas-
culin – l’appellation, « le féminin » est d’emblée un lieu d’oppositions
où le terme s’associe au genre masculin par son déterminant. Cet article
accolé au féminin produit un lieu de contrastes ou de fragments ou terre
de combat et, ou, de travestissements de la voix : cet aspect sera déve-
loppé plus tard… par la voix des castrats.
Mais dans ce « féminin », envisagé comme Intensités, celui qui sup-
porte la voix « blanche », relève d’un son inarticulable, où se trouve le
lieu de l’errance, une explosion du sens, une mise en suspens temporelle,
une promesse d’une voix qui – s’entend de ne pas s’entendre –, une
promesse de jouissance.
16 - La voix existe dans son immatérialité… toujours en devenir, elle est
aussi un processus qui se constitue du multiple. Nous sommes en
effet…
….« Offert aux voix »…
« De quelles ondes était couru l’amnios
lorsque maman riait de la saison
nageant rêveuse à la frange des eaux
ou chantonnait d’être au cœur du matin
ou lente souriait de revenir à elle
à quelle profondeur d’écoute et d’ombre
à cause de ce rire en suspension
à cause de ce chant mouillé de nuit
enfant promis à la musique j’attendais
offert aux voix qui chercheraient ma peau6 »
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par irruption, par échappée, même si elle est bien dressée par une his-
toire racontée : chant, chanson apprise… elle en est le support.
Elle est avant tout une qualité par ce qui est promu et par ce qui
échappe, par ce qui ne s’articule pas.
Dans ce couinement de la voix, se logent l’intime, la jouissance, la
tendresse, la haine ou le comblement. Par ce couinement, elle conjugue
l’être, l’être bifide. Elle est toutes les formes de l’imaginaire, dans l’ex-
primé et l’implicite de l’être. Elle est à situer dans le contexte d’un dis-
cours amoureux : elle est, dit Roland Barthes, ce qui permet de dire
l’implicite sans l’articuler ; elle est ce qui passe outre l’articulation sans
tomber dans la censure du désir ou la sublimation de l’indicible.
Par sa force métaphorique, s’adjoignent l’exprimé et l’implicite du
Texte. Elle est erratique, lieu privilégié de la différence échappant au
domaine de la science : pas seulement physique, pas seulement histo-
rique, ni esthétique, ni psychanalytique ; il n’y a pas de voix neutre,
toute voix se pénètre de ce qu’elle dit ; elle est inouïe, in-ouïe, dans ce
qui s’entend et son au-delà.
La voix est pourtant dans un rapport trans, dans un réel comme fic-
tion et participe de la transe ; trans-mission et trans-gression, où les
termes résonnent, comme une voix qui résonne dans un espace vide, et
20 - raisonne avec des outils pour rendre compte de la complexité des
ombres : le masculin dans le féminin ; le féminin dans le masculin.
« La voix est donc plus qu’une porteuse de mots, l’organe de la parole. En latin, et en
espagnol, le pluriel désigne les mots voces, vozes, sens secondairement étendu au singu-
lier. C’est dire que les mots sont des unités de voix, autant qu’ils sont dans la voix. Par
quoi la notion de mot est rythmique et orale avant d’être sémantique ou lexicale. La
voix est ce qui appelle. Elle inclut l’interlocution. L’autre. L’étymologie enfouit et
montre à la fois la solidarité de la force religieuse, juridique, militaire de l’appel, avec
l’oralité. D’où des vestiges : vocation, avocat. Mais le son, lui, dans ce qu’en dit l’origine
du mot, est lié aux bruits des choses. C’est la sonnerie du monde. Pas de rapport avec
la voix. D’autres langues ont d’autres liens. En grec, la voix, phonè est liée au dire,
phèmi. Et à la famille latine d’où nous restent les fées. En hébreu, la voix, qol et l’assem-
blée, qahal. Les surprises de la philologie rapproche golos, la voix en russe, et gallus le
coq en latin. Le bruit au sens de ce qu’on entend dire associe l’allemand laut, sonore, et
son, et l’anglais loud au grec kleos, le bruit qui court, la gloire, au russe slovo le mot,
slava la gloire8. »
Avec la voix, nous sommes amenés à rencontrer le rythme qui est en
outre l’expérience de l’affect, expérience d’affecter et d’être affecté où
l’on ne peut privilégier les rapports qui les composent sur leur décom-
position, car composition et décomposition vont toujours ensemble.
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ce n’est pas une statue que je suis devenu, je ne suis pas devenu fixe, atone, de pierre,
une colonne ; j’aime la course rapide10. »
Nietzsche danseur, n’est pas l’homme des certitudes bien pen-
santes et de l’idéologie figée mais celui de la transmutation, celui de
la transvaluation.
Sans certitude, la voix est alors toujours en marche, trébuchante,
parfois dansante, de toute façon en mouvement permanent, même dans
ses pauses ; le silence étant inclus dans le continu de la voix.
« Le problème, chez Nietzsche est celui des vitesses et des lenteurs entre particules.
Aucune forme n’y résistera, aucun caractère ou sujet n’y survivra. Zarathoustra n’a que
des vitesses et des lenteurs, et l’éternel retour, la vie de l’éternel retour, est la plus
grande libération concrète d’un temps non pulsé… et entre ces nouveaux rapports de
vitesse et de lenteur, il y aura certes, changement d’agencement, saut d’agencement à
un autre, il y aura des ratés. Cela est ainsi dans tout événement de transmutation non
volontaire. Alors, le plan, plan de vie, plan d’écriture, plan de musique, ect., ne peut
que rater, puisqu’il est impossible d’y être fidèle, mais les ratés font partie du plan puis-
qu’il croît ou décroît avec les dimensions de ce qu’il déroule chaque fois (planitude à n
dimensions). Étrange machine, à la fois de guerre, de musique et de contagion-prolifé-
ration-involution11. »
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La voix… un devenir!
La pensée deleuzienne abordant tout phénomène comme un devenir
viendra nous soutenir dans cette marche, pour évoquer la question de la
voix. Cette pensée s’élabore à partir de concepts qui sont pris dans un
mouvement permanent, où le monde, la culture, l’histoire, le sujet, le
désir sont pris à la fois dans une logique de pliures (Leibnitz) et d’inten-
sités (Spinoza), où les affects sont producteurs de vitesse et de lenteur,
engagés dans les processus de déterritorialisation, et même de désubjec-
tivation, où tout acte est à situer sur un registre différentiel, où les
concepts sont exactement comme des sons, des couleurs ou des images ;
les concepts sur la linguistique, pourrait-on dire ne sont que des intensi-
tés exactement comme des sons, ils nous conviennent ou non, ils pas-
sent ou ne passent pas.
Donner le bref tissage de cette pensée qui pourra peut être nous aider à
aborder ce problème qu’est la voix comme pensée impossible, impossible à - 27
objectiver, si ce n’est à l’appréhender à travers des matériaux de forces et
d’intensités pris sans cesse dans un devenir, dans un mouvement de térrito-
rialisation, de dé-térritorialisation, de re-térritorialisation…
Dire que la voix est une « ligne de devenir, qui n’a ni début ni fin, ni
départ ni arrivée, ni origine ni destination – et parler d’absence d’ori-
gine, ériger l’absence d’origine en origine, est un mauvais jeu de mots.
Une ligne de devenir a seulement un milieu. Le milieu n’est pas une
moyenne, c’est un accéléré, c’est la vitesse absolue du mouvement… Un
devenir n’est ni un ni deux, ni rapport des deux, mais entre-deux, fron-
tière ou ligne de fuite, de chute, perpendiculaire aux deux… » Le deve-
nir constitue une « zone de voisinage et d’indiscernabilité… », ainsi …
l’exemple de la guêpe et de l’orchidée, indiquant cette ligne de devenir :
« Dans la ligne ou le bloc de devenir qui unit la guêpe et l’orchidée se produit une
commune déterritorialisation, de la guêpe en tant qu’elle devient une pièce libérée de
l’appareil de reproduction de l’orchidée, mais aussi de l’orchidée en tant qu’elle devient
l’objet d’un orgasme de la guêpe elle-même libérée de sa propre reproduction.
Coexistence de deux mouvements assymétriques qui font bloc, sur une ligne de fuite
où s’engouffre la pression sélective. La ligne, ou le bloc, ne rejoint pas la guêpe et l’or-
chidée, pas plus qu’elle ne les conjugue ou les mélange/elle passe entre les deux, les
emportant dans un commun voisinage où disparaît la discernabilité des points… Le
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qui ne sont pas pensables. Forces sonores, temps pulsé, forces non-
sonores, temps flottant non pulsé, bouillonnement, organisation du
temps, intensités silencieuses, rythmes de toute nature, durée et exten-
sion, expression dans l’espace-temps.
« Le problème posé, dit-il, est : comment ces durées vont pouvoir s’articuler, car bien
souvent, elles sont hétérogènes ou marquées d’oscillations ou de trans-rythmicité. »
La voix est dotée de durée, comme effet de vitesse et de rythme,
proche de la musique, sans pouvoir s’y réduire totalement… essayons
tout de même de l’approcher…
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« Dans cette mouvance, le devenir n’est ni un, ni deux, ni rapport des deux, mais
entre-deux, frontière ou ligne de fuite, de chute, perpendiculaire aux deux19. »
C’est toujours dans une dé-territorialisation que se produit le deve-
nir ; devenir enfant ; devenir femme.
Musicalité de la voix, comme processus de devenir : la voix comme
devenir, de flux sonores plus ou moins intenses – la voix, comme « la
représentation musicale, trace une ligne horizontale, mélodique, la
ligne basse à laquelle se superposent d’autres lignes mélodiques où des
points sont assignés qui entrent, d’une ligne à l’autre, dans des rap-
ports de contre-point ; d’autre part une ligne ou un plan vertical, har-
monique, qui se déplace le long des horizontales, mais n’en dépend
plus, allant de haut en bas et fixant un accord capable de s’enchaîner
avec les suivants20 ».
G. Deleuze, évoque Boulez lorsqu’il - se fait historien de la musique
lorsqu’il évoque l’invention musicale. Il montre comment, chaque fois
de façon très différente, « un grand musicien invente et fait passer une
sorte de diagonale entre la verticale harmonique et l’horizon mélodique.
Et, chaque fois c’est une autre diagonale, une autre technique, une autre
création. Alors sur cette ligne transversale qui est réellement déterritoria-
lisation, se meut un bloc sonore, qui n’a plus de point d’origine et qui n’a
plus de coordonnées horizontales et verticales puisqu’il crée ses propres - 35
coordonnées horizontales ou verticales. Il est dans un temps non
pulsé21 ».
La voix est une sorte de création qui surgit des coupures dans la
mélodie, qui s’appuyant sur elle, émerge sur un autre trajet que celui qui
serait attendu. La voix n’est pas à situer seulement sur un registre mémo-
riel, de sons produits comme s’ils étaient enregistrés.
Des vitesses et des lenteurs s’insèrent dans la forme musicale, pous-
sant celle-ci à une prolifération, tantôt à une extinction, une abolition
sonore, involution et les deux à la fois.
« Le musicien peut dire je hais la mémoire, je hais le souvenir, et cela
parce qu’il affirme la puissance du devenir22 », où alors ce bloc sonore se
trouve dans une situation de flottement comme un chromatisme en
peinture ou une polyphonie en musique et « il arrive même que le bloc
sonore soit totalement réduit à un point comme à une seule note : le si
de Berg dans Wozzeck, le la de Schumann… À travers le quadrillage de
l’orchestration, le violoncelle erre, et trace sa diagonale où passe le bloc
sonore déterritorialisé ; ou bien une sorte de ritournelle extrêmement
sobre est “traitée” par une ligne mélodique et une architecture polypho-
nique très élaborée. Tout se fait à la fois, dans un système multilinéaire :
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– dans la deuxième, cela s’étire ; et puis cela se réveille : ça pique, ça cogne, ça rutile
sombrement ;
– dans la troisième, cela se tend, cela s’étend : aufgeregt ;
– dans la quatrième, ça parle, ça déclare, quelqu’un se déclare ;
– dans la cinquième, ça douche, ça déboîte, ça frissonne, ça monte en courant, en
chantant, en tapant ;
– dans le sixième, cela dit, cela épelle, le dire s’emporte jusqu’à chanter ;
– dans la septième, ça frappe, ça tape ;
– dans le huitième, ça danse, mais aussi ça recommence à gronder, à donner des
coups… »
En effet !…
« L’Intermezzo inhérent à toute l’œuvre schumanienne, n’a pas pour fonction de dis-
traire, mais de déplacer : tel un saucier vigilant, il empêche le discours de prendre, de
s’épaissir, de s’étaler, de rentrer sagement dans la culture du développement ; il est cet
acte renouvelé (comme l’est toute énonciation) par lequel le corps s’agite et dérange le
ronron de la parole artistique. À la limite il n’y a que des intermezzi : ce qui interrompt
est à son tour interrompu, et cela recommence.
Le corps schumanien ne tient pas en place, il ne connaît que des bifurcations25. »
Le corps dans la voix, la voix dans le corps, ne tiennent pas en place.
Ce sont leurs rythmes. Pris dans ces mouvements, ils ne se construisent
pas, ils divergent perpétuellement, au gré d’une accumulation d’inter-
mèdes… Ce processus en référence au corps et au codage dans lequel il - 37
est pris – un battement !…
« Le battement schumanien est affolé, mais il est aussi codé ; et c’est parce que l’affole-
ment des coups se tient apparemment dans les limites d’une langue sage qu’il passe
ordinairement inaperçu26… »
L’intermezzo de Schumann démontre combien texte et corps sont
intimement mêlés, lieu de passage et de transgression.
La voix, par sa texture est susceptible de déranger la ritournelle, et ce
dérangement passe bien souvent inaperçu dans les multiples bifurca-
tions qu’elle emprunte. Habile et rusée, elle file vers des tonalités qui
peuvent nous faire battre le cœur, sur le mode de l’incognito… la voix
est ainsi contrapunctique.
La voix est processus de territorialisation, de déterritorialisation et
de reterritorialisation, comme système multilinéaire, qui n’a plus
d’origine (libérée de sa référence anatomique, biologique, faite de sou-
venirs et codée). Elle est susceptible de jouer dans des rapports de
contrepoint.
Le contrepoint ! Théorie polyphonique, qui part de la mélodie (écri-
ture linéaire constituant une forme) et qui définit les principes de super-
position des lignes mélodiques.
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connue… (dont la prévalence est dans le langage), d’un autre côté, contradictoire-
ment, la tonalité (mais aussi la prosodie du corps) qui supporte la tonalité devenant la
servante habile des coups qu’à un autre niveau elle prétend domestiquer28. »
La voix, à certains moments, est un point réel échappant à toute
symbolisation ; en ligne de devenir, le corps et la tonalité sont déterrito-
rialisés et produisent … des couinements !
Des couinements… jusqu’à parvenir à la Ursonate de Kurt
Schwitters… rimes sans raison, onomatopées déclamées sans discours,
babil et ensauvagement… vibration de l’être, vibration du monde…
La voix, un devenir vocal !
Le bloc sonore d’expression comme processus de devenir !
La voix erratique, en ligne de fuite, en ligne de devenir, est dotée ou
douée d’effets de contamination. Comment traduire ce réel ?
Processus de Devenir, bloc sonore de devenir au niveau de l’expres-
sion, processus de devenirs, devenir-enfant et devenir-femme – mou-
vances de devenir-constitution – de transversales qui ne cessent pas de
s’échapper des coordonnées fonctionnant comme des codes musicaux –
Borborygmes musicalement ordonnés ou pas – pure sonorité !
Et le contenu ? Indissociable de l’expression sonore !
Difficile à dire ce devenir !
« Difficile à dire, mais c’est quelque chose comme : un enfant meurt, un enfant joue, - 39
une femme naît, une femme meurt, un oiseau arrive, un oiseau s’en va… c’est parce
que l’expression musicale est inséparable d’un devenir-femme, d’un devenir-enfant,
d’un devenir-animal qui constituent son devenir… (et ça n’a rien d’accidentel)… mais
c’est en raison même du danger propre à toute ligne qui s’échappe, à toute ligne de
fuite ou de déterritorialisation créatrice… tourner en destruction en abolition… non
en vertu d’un instinct de mort… mais du fait d’une dimension propre à son agence-
ment sonore, moment qu’il faut affronter où la transversale tourne en ligne d’aboli-
tion.29 »
La musique ! En avant la musique ! La musicalité de la voix « a soif
de destruction, tous les genres de destruction, extinction, cassage,
dislocation.
N’est-ce pas son fascisme potentiel ?… Le devenir affrontant son
propre danger, quitte à tomber pour en renaître : devenir-enfant, deve-
nir-femme, devenir animal, en tant qu’ils sont le contenu même de la
musique et vont jusqu’à la mort30 ».
La voix est un processus d’agencement, un affolement, une disposi-
tion à destituer les codages dans lesquels elle est nécessairement prise.
La Musique ! En avant la musique ! La musicalité de la voix… Où ?
Qui ?…
La Voix maternelle, objet perdu ?… Où ?
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la voix et ce peut être aussi, pour la reterritorialiser parfois vers des ver-
sants réactionnaires… parfois, restant déterritorialisée vers des mouve-
ments résistants. Qui en témoignera ? Et comment ? Voix suspendue
dans la déterritorialisation, jusqu’à la mort… vite reprise par la voix des
survivants… Vite ! La reterritorialiser ! Vite ! Une… des ritournelles
mémorielles… Stop ! Qu’en faire ?
Quelle reprise ? Par qui ? Par quoi ? Pour qui ? Pour quoi ?
La ritournelle-territorialisation, reterritorialisation, manie une force
collective, religieuse, lieu où s’opère la machination de la voix.
La machination de la voix, qu’est-ce à dire ?
Le devenir-femme, le devenir-enfant de la musique apparaissent dans
le problème de la machination de la voix. Le devenir n’est pas à mettre
en rapport avec une filiation mais avec une machination !
Prenons appui sur le cours de G. Deleuze (séance du 8 mars 1977).
« Histoire d’un cas de machination de la voix », propos du livre de
Dominique Fernandez, Porporino.
D. Fernandez évoque la musique en affirmant qu’elle a été toujours
traversée par un contenu intime qui « était le débordement ou le dépas-
sement de la différence des sexes ». Il dit que la musique est toujours et
essentiellement une restauration de l’androgyne.
42 - Il est bien connu que la musique est d’abord vocale et que l’on sait à
quel point les instruments ont fait l’objet d’une espèce de surveillance,
notamment dans la codification musicale et dans l’action de l’Église sur
la codification musicale. Pendant longtemps, il était exigé que, à chaque
syllabe corresponde une note… contrôle de la voix, de la musique.
L’instrument est longtemps tenu en dehors ; il ne faut pas qu’il
déborde la voix.
Quand est ce qu’une voix devient musicale ?
Du point de vue de l’expression, la voix musicale est essentiellement
déterritorialisée.
Il y a des types de chant qui ne sont pas encore musique, celle de la
ritournelle c’est le « tra-la-la- » qui, elle est territorialisée : puis, elle
s’agence à autre chose qui produit une déterritorialisation : et cela
implique de dépasser la différence des sexes.
« Je dis que les sexes, avec leurs sonorités vocales particulières, c’est une territorialisa-
tion de la voix… Oh ! ça, c’est une voix de femme !… Oh ! ça, c’est une voix
d’homme ! »
Pourquoi la voix déterritorialisée, du point de vue de l’expression,
c’est la même chose que le dépassement de la différence des sexes du
point de vue du contenu ?
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dant de cet enfant en elle… enfant qui deviendra dépossédé de son cri,
le mêlant à toutes sortes d’interprétations.
Ce cri-matériau sonore sub-aigu relève de l’inarticulable : déterrito-
rialisé.
Le sujet construit ce cri comme perdu dans la rétroaction du proces-
sus de symbolisation opéré par le langage. Il n’est donc pas étonnant
non plus de voir cette quête s’aventurer aux confins du cri… qui sera
repris comme cri de femme, élément de devenir comme point limite qui
engage dislocations, cassures, bifurcations, nouveaux agencements…
Le féminin, l’enfant, comme devenirs dans la voix, « affectés » par la
culture, le langage et en même temps par les agencements, les empiète-
ments, chevauchements des genres de la différence des sexes, persistent
dans la voix, comme entre-deux. Dans cet entre-deux s’opèrent des
transmutations modifiant des forces, des seuils d’intensités – seuils
modulables, contre-points : déterritorialisation par le discontinu, terri-
torialisation et reterritorialisation dans le continu sonore.
Les sons pris dans un processus de devenir accèdent à des seuils, parfois
inaccessibles, que l’on entend de ne pas les entendre. L’inaccessibilité
comme un son audible dans l’inaudible ou dans l’in-ouïe du cri, in-ouï
dans le oui de l’ouïe, qui lui en donne une figure parfois divine, opère de
façon inopinée… L’entendre de ne pas l’entendre. - 45
Opération de devenir, un agencement impromptu, proche du « oui »
de Nietzsche, comme transmutation de l’être, pensée de l’affirmatif qui
s’est délestée des procédés dialectiques fondés sur des jeux opposition-
nels obstinés.
Aussi, le cri d’Antonin Artaud… qui se délocalise de la langue, pro-
ductions de souffles.
Aussi, la tentative de Louis Wolfson élaborant des procédés phoné-
tiques par allitérations et paronomases: transfert de sons, disjonctions,
combinaisons de lettres, tentatives de correspondances sonores d’une
langue à l’autre, amplifications et diminutions sonores avec stéthoscope
dans les oreilles, obturations partielles des oreilles pour atteindre une modi-
fication sonore… productions de grognements de gorge et de crissements
de dents, pour tuer la langue maternelle… combat de tous les instants
contre la voix de la mère « très haute et perçante, et peut-être triomphale ».
Créer un devenir à partir d’un impossible qui reste sous-jacent à tout
langage, venant mettre à la question tout ce qui relève du sens commun
du langage : ses désignations, ses significations, ses traductions.
Le devenir-femme, le devenir-enfant dans la voix appartiennent à
une logique de démultiplication où les forces, les intensités, les agen-
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Une voix que l’on cherche! Une voix qui se cherche! Une
voix en attente…
En ouvrant le livre de Marguerite Duras, Navire Night 33, se profile et
se faufile la voix, voix émise, cherchée et recherchée, mais aussi celle que
l’on voudrait garder au plus près de celle qui a été évoquée dans un récit,
dans le vœu insatiable d’en garder son authenticité, dans un écrit.
« J’ai eu peur, dit M. Duras que l’histoire de J. M., se perde.
J’ai fait demander à J. M. de la consigner au magnétophone. Il répondit favorable-
ment. Il raconta son histoire à son auditrice, M Duras, avec malgré tout, une appré-
hension – celle de ne pas être cru s’il disait tout. »
C’est à partir d’une bande magnétique, recueil d’une voix que M.
Duras écrit Navire Night. J. M. et M. Duras étant tous deux pris et épris
par le recueil d’une voix.
M. Duras lui demanda son accord de publication et de la possibilité - 47
d’en faire un tournage cinématographique. Il accepta.
À partir de là, J. M. demeura silencieux. La transcription d’une voix,
d’une voix de récit, éprise de la voix d’une femme nommée F., et la mise
en image de cette même voix dans un film coupa la voix du locuteur
mais raviva son désir de retrouver cette voix perdue. Donc, il demeura
silencieux. Mais ce silence le mit en situation d’attente, d’une voix en
attente comme s’il était à chaque instant au bord de parler – dans un
dire qui ne parvient pas à se dire.
Cette histoire évoquée parle d’une relation amoureuse que nous
pourrions nommer invisible puisqu’elle se déroule essentiellement par
l’intermédiaire du téléphone. Cette liaison auditive dura 3 ans.
Ainsi, après l’avoir re-évoquée au magnétophone, et à la relecture de
l’écriture de M. Duras, le désir que J. M. avait pour F. redevint présent ;
il demanda alors à M. Duras de mettre en toutes lettres le nom de F., en
toutes lettres pour qu’elle se reconnaisse, comme appel envers F., afin
qu’elle se manifeste. M. Duras maintient l’initiale F. dans son texte et
dans son film.
Par la suite J M reçu plusieurs coups de téléphone « sans personne
au bout du fil, sauf cette présence respirante indéniable, et dont il savait,
lui, que c’était celle de F. Parce que c’était déjà sa manière à elle, pendant
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leur histoire de lui faire connaître qu’elle l’aimait et si fort qu’il en était
de croire en mourir. »
La présence amoureuse est alors comme le souffle-voix, voix inarticu-
lée comme consentement à l’autre – premier mot, premier cri, on ne
sait pas le crier –… comme un avant cri, un cri que l’on ne peut pas
crier. Pour éviter que les images filmiques ne viennent obturer la portée
de la voix pure, qui elle, est sans image, et que l’on ne peut pas voir, M.
Duras usa d’un subterfuge. Elle utilisa un renversement cinématogra-
phique, tandis que le son s’écoulerait.
« Pour ce faire, on a mis la caméra à l’envers, et on a filmé ce qui entrait dedans, de la
nuit, de l’air, des projecteurs, des routes, des visages aussi. »
Reprenons l’histoire de Navire-Night, histoire d’une rencontre.
La rencontre de J. M. et de F. se fait par téléphone. C’est par ce
médiateur téléphonique sans image et sans contact physique qu’ils se
rencontrent dans l’espace et dans le temps. Il lui donne son numéro télé-
phonique ; elle ne donne pas le sien. Se met en place, d’emblée une rela-
tion dissymétrique : c’est elle qui l’appellera toujours. Sa voix, à elle, est
ressentie comme fascinante. Ils passent des heures à se décrire, et dans
cet espace purement sonore, elle se décrit. Dans cette description
48 - sonore, le son se fait corps. C’est par le corps de sa voix qu’elle circons-
crit son corps – dans cette adresse, elle lui dit :
« Je me regarde avec tes yeux. »
Lui-même, lui dit qu’« il voit que son corps bat au son de sa voix.
Elle lui dit qu’elle le sait, qu’elle le voit, l’entend les yeux fermés. » « Il
dit : j’étais un autre à moi-même et je l’ignorais. » « Elle dit n’avoir pas
su avant lui, être désirable d’un désir d’elle-même qu’elle pouvait parta-
ger. Et que cela fait peur. »
Pendant des nuits, ils jouissent l’un de l’autre par ce téléphone décroché:
« C’est un orgasme noir, sans toucher, réciproque, ni visage, les yeux fermés. Ta voix
seule. Le texte des voix dit les yeux fermés.
— Aucune image sur le texte du désir ?
— Laquelle ?
— Je ne vois pas laquelle ?
— Alors il n’y a rien à voir.
— Rien. Aucune image.
Le navire Night est face à la nuit des temps.
Aveugle, avance.
Sur la mer d’encre noire. »
Les rendez-vous sont toujours empêchés par elle, mais il ne s’en
offusque pas.
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Elle lui dit qu’elle est leucémique et bâtarde. Elle révèle ce balance-
ment entre vie et mort, entre présence et absence, désir maternel empê-
ché par une naissance plus ou moins dissimulée, dans un désir parental
lui-même dissimulé et pourtant présent.
Et il se met à l’aimer.
Son entourage la surveille dans la fragilité de sa vie, qui lui interdit
toute dépense d’énergie dans l’investissement amoureux, même télé-
phonique.
Face à ces entraves, elle maintient ses appels, appels téléphoniques.
Un jour, elle se révèle en lui faisant transmettre deux photos où elle est
photographiée dans un parc, un mouchoir brodé avec ses initiales et de
l’argent.
Les photos ne correspondaient pas à l’image qu’il s’en faisait.
À partir des photographies, il ne reconnaîtrait plus la voix.
« Le désir est mort, tué par une image. »
Mais ce désir resurgit par une quête de la nomination de F, aux tra-
vers des indices qu’elle lui donne pour la trouver, aux travers des objets
qui lui appartiennent et qu’elle lui fait donner par personne interposée.
Elle lui fait donner de l’argent comme si elle le payait de lui donner
tant de désir. - 49
Il est pris dans cette quête du désir, où elle est prise elle-même dans
cette même quête, dans une vie marquée et menacée de disparition, par
la mort d’un désir empêché. Quête d’un désir de nomination car elle ne
sait pas pourquoi, avant même leur naissance, les noms de sa mère et de
son père se trouvent déjà unis sur les pierres tombales du Père Lachaise.
Cette disparition d’elle-même, de sa vie, de ses origines, de cette dis-
tance imposée par un père, qui a aimé sa mère hors mariage, et qui n’a
permis la relation mère-fille que par procuration.
Le désir dissimulé, dans une présence cachée, met au secret la mère
dans une position dissimulée de servante auprès d’un autre couple
reconstitué.
Elle évoque dans sa voix, cette hantise de la disparition : la sienne,
celle de sa mère, du désir entre son père et sa mère par l’épouvante
qu’elle en éprouve :
« Cette disparition du son avec la montée du soleil, comme une ville qui se vide à
l’heure de la sieste, tout ferme comme la nuit.
C’est la peur qui s’élève non pas avec la venue de la nuit, mais qui surgit de la nuit
dans la clarté… silence de la nuit en plein soleil… le soleil au zénith et le silence de la
nuit… la peur. »
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Cette nuit qui surgit dans la clarté où il n’arrive plus rien que l’ap-
proche des cris « dans ce même manque à aimer »… L’épouvante surgit
quand il n’y a plus d’ombre.
« Je vous ai parlé d’épouvante. Je vous ai dit : peu à peu on se demande ce qui arrive…
cette disparition du son avec la montée du soleil… le silence de la nuit en plein
soleil… puis l’ombre revient, s’entasse, se durcit, et pendant un certain moment sans
ombre aucune. »
Il recherche sa voix, son timbre, sa tonalité, à travers celle de la mère
qu’il rencontre ; rencontre autorisée par elle. Il trouve que ces deux voix
sont pareilles ; leurs inflexions, au téléphone, il confond. Souvent.
Elle lui donne des rendez-vous…
« Il croit qu’elle n’est pas responsable de cette impuissance à venir. »
Entre eux, cette jouissance, où l’on voit sans voir :
« Entre eux, ce mur infranchissable aveugle… Parfois, ils ne peuvent
plus se supporter… crient », se quittent sur une scène de jalousie où elle
voudrait être l’unique et où elle le fait suivre et le met sous contrôle.
Elle modifie sa voix, « la déguise » pour qu’il ne la reconnaisse pas ;
mais « il la reconnaît toujours » ; il sait qu’elle le regarde sans cesse dans
un jeu poursuite qu’elle instaure pour voir sans être vue. Même sous les
50 - falsifications de la voix, il la reconnaît. Ce qu’il sait d’elle provient de sa
voix, « distinguant ses voix de ses voix ; sa voix couchée, sa voix mou-
rante, sa voix piégée, ou d’enfant ? Sa voix quand elle parle du père
adoré, sa voix de salon – sa voix menteuse – sa voix dénaturée, détim-
brée du désir – sa voix d’épouvante ; elle ne peut plus lui mentir… » Il
crie qu’il veut savoir encore, un détail imprévu mais probant.
S’il avait une image d’elle au début de leur relation téléphonique, il
dit « n’avoir plus maintenant aucune image » que la chronologie des
jours et des lieux était défaite, qu’il ne distinguait plus son propre
inconnu de tout autre inconnu.
Dans ses appels téléphoniques, la voix entendue produit « un
orgasme, aride, nu, incomparable. » Mais ce qu’il rencontre aussi, en
elle, à travers elle, « c’est la puissance phénoménale de la solitude, la vio-
lence non adressée du désir. »
Semblable à ce que pourrait dire l’écrivain, dans ce qu’il écrit après
recueil de sa parole, il dit « tout était vrai mais il ne reconnaissait
rien. » Dire, écrire, lire, entendre la voix dans un récit est du domaine
de la vérité et de la non reconnaissance. L’évocateur comme l’écrivain
sont emportés dans l’au-delà de la visibilité d’une voix émise ou
entendue.
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Dans cette nuit de soleil, la voix est l’oxymore ; elle est ce qui révèle
l’invisibilité même, comme si l’ombre ne pouvait être mise qu’au secret,
cachée, ou bien prise dans une lumière éblouissante et aveuglante, ou
bien elle est le visible dans la peur et l’épouvante d’une nuit sans ombre,
d’une nuit en plein soleil. La lumière du désir, d’une nuit, est portée par
la voix.
Elle est l’invisibilité de la visibilité qui s’entend.
Elle est hors territoire, immaîtrisable dans le balancement incessant
d’une non-connaissance reconnue, ou d’une reconnaissance sans
connaissance. La voix est porteuse de désir car elle est erratique, a-spa-
tiale et a-temporelle, renvoyée au tiers absent, à la poursuite d’une
image, dans une défaite de l’image, dans une image défaite.
La voix… proche d’une image, d’un manque dans l’image ?
Approche du désir- même ?
Émettre une voix. Celui qui émet une voix est celui qui se dévoile
dans l’inconnu, il est un être sans identité… « C’est d’un déblaiement
fabuleux qui s’opère dès qu’on ose parler, plutôt quand on y arrive… »
« De même écrire, c’est n’être personne, quand sans contrôle de l’exté-
rieur, vous laisser s’écouler le son et l’histoire. »
Les tirets, les coupures du texte, de la voix dans le texte se font d’eux-
mêmes… il n’est pas possible d’y revenir voir une deuxième fois. La voix - 51
posée est d’emblée exposée ; elle se pose dans son irréductible différence
où la singularité de l’autre est rendue incommunicable, inassimilable.
Elle est le dessaisissement de toute reconnaissance intellectuelle. Elle
existe dans la fragmentation du temps et des images. Malgré la média-
tion d’un enregistrement – susceptible de mémoire d’une histoire, la
voix enregistrée est dessaisissement du sujet qui l’émet, dessaisissement
du sujet et de toute histoire racontée. Elle se dévoile dans l’inconnu ; on
ne peut y revenir deux fois ; elle est le lieu du dessaisissement.
J. M. reconnaissait la véracité de ses propos enregistrés, mais il ne
reconnaissait rien, car cette histoire, cette voix, la sienne mêlée à celle de
l’autre, le dessaisissait de façon permanente de lui-même… La voix est
porteuse de ce Rien… et l’on peut percevoir que la voix en tant que
transport de Rien n’est pas rien, elle est le lieu du vertige, à l’immense
marée des appels.
La voix est semblable à un corps étrange. Elle est une étreinte, hors d’at-
teinte qui se mêle à celle de l’autre comme une membrane poreuse, fabrique
d’images sans images; images absentes ou toujours décalées. Elle est une
aporie qui ne cesse pas de chercher, de divaguer dans une quête incessante,
expressive et productive, d’une infinité de sons toujours échappés.
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La voix est donc musicale, et elle nous touche… sans contact physi-
quement matériel et pourtant au plus près de notre être, dans notre
innommable être, entre vérité et non reconnaissance.
Les formes de la voix comme celle de la musique, leur rôle joué,
enjoué ou déjoué, continu et fragmenté, concerne l’ensemble des pra-
tiques que le sujet met en œuvre dans son souci de soi ; souci de soi pris
ici comme remaniements successifs, dans un mouvement continu et
dans un mouvement sans continuité selon une série de ruptures… les
premières ruptures étant celles de la puissance de l’air, de sa capacité res-
piratoire plus ou moins profonde, le souffle étant toujours intermittent,
pulsé. Dans ce souffle pulsé qui fait vibrer la mince, fine membrane de
l’organe phonatoire, s’exerce une série de ruptures retrouvées dans les
divers tempos et les diverses intonations. Tout comme la musique n’est
pas l’instrument, la voix n’est pas l’organe : toutes deux résultent d’un
processus de compositions, esquissé par les divers tempos, les variations
de tempos, de rythmicités, d’octaves, de sonorités, aiguës, et ou, de
basses.
Ces différences évoluant dans la modulation de la voix et de la
musique produisent nuances, fulgurances, interruptions, aberrations,
disproportions du son et de la pensée, dissonances…
52 - La voix et la musique sont, de manière incessante, la matière abs-
traite, et la matérialité d’un renversement toujours possible des données,
où la restitution du sens ne peut être complète. Même si la partition est
bien là, elle est toujours exprimée de différentes manières, interprétée et
interprétable à l’infini.
La voix s’organise alors comme un tableau à plusieurs entrées ; selon
l’entrée que l’on prend, on se trouve devant une nouvelle combinatoire ;
on se trouve dans un champ qui n’est pas structuré de la même façon.
Entre sonorité et dissonances, se faufilent tous les phénomènes émo-
tionnels de la perception auditive, sensations corporelles, connues et
surtout inconnues de soi et de l’autre… de la jouissance du sujet, de son
rapport à soi et à l’autre, où la porosité de la voix, son caractère erratique
est le lieu de passage de ce que l’on pourrait appeler approximativement
le dedans et le dehors, à tel point qu’on ne sait à qui, véritablement elle
s’adresse.
Entre le corps de J. M. et de F., cet entre-deux traversé par la voix,
c’est l’inconnu dit M. Duras. « Entre l’inconnu du sien et tout inconnu.
Qu’elle, de même que lui, n’aurait pas su si elle était celle de l’histoire ou
celle, en dehors, qui regardait l’histoire. » La voix est ainsi transport et
transfert d’inconnu.
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respirer
comme terre
mais plus haut, sur
ce froissement
du premier mot qui décroche …
air actif qui altère…
…brûler
déjà comme voir à quoi on va brûler.
…tant qu’il reste
un mot
à tirer
54 - hors
du dehors, ce sera moi aussi peut-être
…je dis air
pour qu’il y ait un
vide
par lequel alors il soufflera entre les mots.
…pour avoir
trop voulu saisir, je me trouve entier
dans le creux de la main
…visage muet
de celle avec qui j’étais en vie
quelques instants
auparavant.
…..on a fermé les yeux sur moi 34. »
La voix est une respiration, un souffle, traversée et transpercement de
l’air ; elle est dans la marge, prise entre son et sens ; transpiration de l’air,
froissement de l’air, épuration de l’air,
Circulation de l’air, « qui nous tire hors du dehors » dit André du
Bouchet
La Voix serait la perte de tout lieu, qui cherche un lieu à la surface de
l’air, pour la retenir, pour la soutenir ; comme propulsée par le souffle de
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56 - Et pourquoi ?
« C’est que son Timbre vibre encore au loin comme un orage/Dont on ne sait s’il se
rapproche ou s’en va35. »
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gissante et furtive est une tension, qui comporte une évocation silen-
cieuse, qui soit aussi une invocation et même une convocation, et une
révocation, puisqu’elle élève la chose ou la personne, à l’état d’indéfini :
une femme.
« Cette image-là, répond aux exigences de Mal vu Mal dit, Mal vu Mal entendu, qui
règnent dans le royaume de l’esprit48… »
C’est un souffle, une intensité pure comme l’image sonore du cri
d’un oiseau qui s’éteint dans la nuit… un rêve… et quand l’image se
dissipe, on croirait entendre une voix : le possible s’est accompli, c’est
fait, j’ai fait l’image.
L’image sonore relaie l’image visuelle… « comme exploration d’in-
tensités pures49 ».
Des visions ou des sons, comment les distinguer ? si purs et si
simples, si forts, qu’on les appelle mal vu mal dit… Dire que ce sont des
processus d’intensités. Des visions et des sons comment les distinguer ?
Nous avons l’impression que nous sommes en dehors, en dedans…
sorte de conglomérats, en perpétuel décalage, en perpétuel mixage, dans
un état de métamorphose à rebours … glissement dans une mouvance
ressentie lorsqu’on essaie de monter une dune de sable… l’agrippement
62 - n’est pas d’un bon secours – le perceptif est l’aléatoire – c’est un ensable-
ment, une fragmentation visuelle et sonore… toujours Mal vu, Mal
entendu, incertitudes permanentes sur l’émetteur et sur le destinataire.
Voix qui capte, répercute, voix inépuisable et univers de la voix qui
s’épuise dans une métamorphose à sens et contre sens comme le retour-
nement d’un gant… où le vide est, dans ce retournement, dedans-
dehors…, personne.
La voix, comme une troisième personne, neutre, blanche, venue
d’ailleurs, comme une voix off, celle qu’on entend dans un travail d’écri-
ture ou émise par un soliloque…
L’ouvrage Mal vu Mal dit de Samuel Beckett est une écriture anticipa-
trice de la mort de sa compagne Suzanne. Ce texte démontre que nous ne
pouvons pas nous passer ni de la vue, ni de la parole, mais pour parler de
cette compagne de vie, tous les indices sont évanescents : même le caba-
non dans lequel elle a vécu et dans lequel elle est entrain de s’éteindre.
Au bout de leur histoire. Voilà le logis du mal vu mal dit…
« Déjà tout s’emmêle. Choses et chimères. Comme de tout temps. S’emmêle et s’an-
nule. Malgré les précautions50. »
Tout se perd, évanescence de la mémoire, impossibilité de trouver les
mots justes, la voix défaille. Comme l’espace est vide désormais… « elle
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vient imiter, sur un plan rythmique ; elle est l’acte d’arracher de l’air, pour
faire agir l’être, quand tout est épuisé, quand il manque un mot, quand
l’articulation signifiant-signifié est altérée : manière de traduire ce qui de la
voix ne cesse de parler de l’être, en lui, de lui, à lui, dans et par des couacs
de la voix. Quand l’être échappe dans l’épuisement des perceptions
sonores et visuelles… la voix s’accroche à la phonétique, comme bris et
débris de l’être… paradoxe du dire dans une nomination impossible.
Pétrir la langue, pousser, soulever, ramasser.
Relever, tournoyer, mettre en boule.
Le langage est un vrai pétrin,
Où le fouet de la langue propulse les mots,
Les met en torsion,
Pour y incorporer le levain.
Mais la voix fragmente les sons
Arrache des cris ; éclatements sonores,
Juxtapositions et répétitions sonores.
Les sons appauvrissent les mots
Les jettent, les fracassent, les mettent en naufrage ;
La composition des mots, dans une figure défigurée,
66 - Introduit le rythme poétique et musical.
La voix dépourvue de contenu
Se satisfait de la forme de l’informe.
Effets déroutants et jubilatoires.
Le rythme de l’onomatopée,
Est une pâte, levée par la pulsion
Qui se soulève dans l’acte même du désir
Ou dans la surchauffe… des traces de l’animalité.
Voix explosive… telle, un fouet soulève la boue…
Cris et onomatopées…
Dans les sons répétés…
***
dans la partition… c’est absolument jouissif… pardon de dire cela, mais c’est absolu-
ment jouissif69 ! »
Le corps est entièrement plongé dans le son. Comme lui, il est
presque sans bord, corps contre le hors-corps du son. Jouissance d’être
arraché à soi-même, par l’intensité du son.
Le corps, d’autant plus présent qu’on l’oublie.
Le son, d’autant plus présent qu’on oublie son corps dans le son.
Jouissance avec la part de soi-même, se situant le plus souvent en
situation d’étrangeté, dont on ne veut rien savoir, mais à l’appel de
laquelle il faut se rendre… Glenn Gould avait une mémoire terrifiante,
il jouait comme sans souvenirs :
« La musique puisait en lui. Il voulait s’oublier quand il jouait, se perdre de vue en elle,
que ce soit elle qui se souvînt de lui70. »
Cette jouissance du son émergeant d’un jeu sans souvenir, d’un
piano, jusqu’à oublier corps et piano, cette même jouissance ressentie
lorsque Gould découvre le son dans le piano et dans la voix de sa mère
chanteuse-pianiste « lorsqu’il toucha le clavier la première fois sur les
genoux de sa grand mère ne restait-il pas l’enfant qui jouait et déchiffrait
comme s’il lui fallait traverser quelque chose. Un mur, une épreuve, un
amour71 ». - 77
La jouissance de l’artiste - cette présence arrachée à soi-même, où le
son erratique est l’entrée et la mise en perspective, l’intrusion des mou-
vements psychiques inconscients. L’artiste ne serait-il pas celui qui a
donné son assentiment à l’inconscient ?
Assentiment provient étymologiquement du latin assentire, donner
son assentiment, sentir, éprouver, ressentir, laisser devenir sensible, lais-
ser se manifester… ce qui ne relève en rien d’une position infantile
régressive de réminiscence à un passé. L’artiste se situe dans une position
déterminée de contrer tout désaveu quant aux forces pulsionnelles
inconscientes.
La création de ce son, l’activité de création – défi de désaveu – une
manière de traverser le mur, le mur du son… dans cette traversée…
accès à une jouissance Autre qui supplémente la jouissance phallique.
Traverser le mur du son… du sens du sens… utopie majeure du signi-
fiant. Créer dans la dérobade du sens, dans la béance du sens et même
dans la dérobade des discours sur l’inconscient qui se targuent de don-
ner du sens à tout. Cette escroquerie des discours interprétatifs qui relè-
vent d’une surdétermination sociale du sens dans des théories bien fice-
lées, Glenn Gould travaille farouchement à la dénouer à partir du
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Épuiser les signaux, et entendre les signes qui passent par le jeu de
l’écrit et du sonore. Glenn Gould ne cessera pas d’exercer cette pratique.
L’artiste n’est pas fou, impulsif, compulsif. Qu’est-ce cette folie qu’on
veut lui faire souvent jouer ?
Glenn Gould joue avec le signe (la note, le son) comme empreinte,
coupure, et celui-ci n’est pas vide de sens. Il montre que le sens du
signe-son n’est jamais saturé, pris dans un bouclage univoque. Il peut
« se signer » en dehors de tout référentiel unique, en conséquence hors
signifié, mais pris dans le flottement de l’exécution., son rythme, son
tempo, et de fait, dans la fonction qu’il joue dans le jeu relationnel avec
tous les autres sons.
Chaque son comporte une valeur différentielle, par rapport à tous les
autres qui se trouvent dans la ligne mélodique et contrapunctique.
Glenn Gould n’aurait-il pas travaillé cette question de l’arbitraire du
son, dégagé d’une certaine forme de signifié, émission d’un son sans rien
qui s’échange. Pour une même partition, le tempo choisi, lent ou rapide,
fait ressortir l’expression tonale, l’interprétation en sera différentielle.
Nous donnerons pour exemple les deux interprétations que Glenn
Gould a effectuées des Variations Goldberg de Bach : la première jouée
en 1955, à l’âge de 22 ans, dure 38 minutes 27, la seconde, jouée en
1981 à 48 ans, dure 51minutes 15. Dans cet écart de tempo, la combi- - 79
natoire sonore et son effet interprétatif, le référent sonore (la composi-
tion) a été largement décalé, l’attache du son (signe) à la partition, à
l’écriture musicale et au temps a été déplacée. Le son devient l’objet
métonymique de la lettre (note), du temps, et du silence. Le son pro-
cède du vidage des codifications référentielles (note à note). Il prend sa
valeur dans la spatialisation, dans le corps comme espace pris dans l’es-
pace sonore, le silence en faisant partie.
Glenn Gould est un résistant contre « la résistance » des discours sur-
déterminés, des conformismes auditifs ou visuels – résistant contre la
résistance des phénomènes de clôture, il guette l’absent dans la combi-
natoire sonore, le non-sens du sens, le non-vu du vu, le son effacé pour
en faire des processus de devenirs. Pour ce faire, il franchit la clôture du
corps doté d’armatures ; il joue la partie avec un corps « saigné à blanc »,
avec un corps mobile, effacé, pris dans une spatialisation sonore, faisant
corps avec l’instrument producteur de sons.
Pourquoi « chauffé à blanc ? » Le musicien-interprète est confronté à
des signes, sans significations, même si nous essayons de les connoter de
référents affectifs, ils restent sans souvenirs, pris dans un espace- temps
mobile et une écriture hiéroglyphique qui reste pur élément sonore. Le
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langue) sont reliées par un lien qui est fait de fil de laine, pour éviter de
couper l’étoffe. La technique de la ligature consiste à poser deux étoffes
plat sur plat ; poussez votre index sous l’étoffe inférieure et liez, en reti-
rant votre index, le chou d’étoffe à double épaisseur que votre index
avait soulevé : les deux étoffes resteront solidement réunies. Pour que le
chou ne puisse glisser dans son collier, nous remplirons sa cavité, avant
de la lier, par une bille ou tout autre corps rond que la ligature y enfer-
mera. Le noyau inclus ligaturé est un équivalent de la Fibule, mais il
n’abîme pas l’étoffe, ou très peu87 ».
Dans ses présentations du drapé, G. G. de Clérambault nous engage
sur une voie plus structurale, où se profile une sorte de paradoxe topolo-
gique enfermé dans la formule suivante : « deux surfaces adhérentes
engendrent un noyau, formule que l’on peut expliciter en disant que
deux surfaces étant mises en rapport, que nous nommons surface à sur-
face, quelque chose de l’ordre du nœud, du nodule advient, se trouve
supposé, impliqué ou appelé ; ou pour le dire autrement : quand deux
surfaces se rencontrent, une interrogation se noue88 ».
Le son de la voix et le monde sonore suscitent une passion érotique,
qui vaut principalement comme surface. Telle une étoffe, la voix nous
touche, produisant la même jouissance que celle d’une étoffe en contact
90 - avec la surface cutanée. Clérambault parlant des étoffes (que nous trans-
poserons sur le domaine de la voix) dit :
« Pour désigner cette recherche spéciale d’un contact doué d’une vertu aphrodisiaque
deux mots nous paraissent nécessaires ; le terme d’hyphéphilie désignerait la recherche
d’une étoffe (comme on recherche une voix qui réponde, son étoffe, ou la notre, que
nous ne saisissons jamais vraiment, dans sa sonorité) la locution d’hyphéphilie éro-
tique rendrait compte de ce processus synesthésique (hyphê, étoffe). D’ailleurs le terme
de hyphéphilie, ou encore cet autre, plus général, d’aptophilie (hapto, je touche) nous
paraisse remplir une lacune du vocabulaire usuel89… »
Dans un sens plus large, ce terme d’haptophilie, indique les diverses
formes de contact, notamment dans le rapport de surface à surface, où
la voix nouant et nouée est en jeu, impressionnante, impressionnée,
comme drapé, enrobement-dérobement de la voix émergeant et se
déposant sur le corps. La voix ne se saisit alors que dans l’instantané de
son émission, dans l’instantané d’un drapé, d’un redrapé, prise dans le
drapé du sonore. Tel le corps enveloppé dans ce drapé, tel « le haïk, »
dont s’enveloppent les femmes marocaines. Leur présence évolue en
fonction des variations des poses à l’aide de quelques mouvements de
bras, des mains ou de la tête. De même, nous pourrions dire que le
drapé de la voix, « habille »… ce qui revient à dire qu’ensemble il vêt-
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La voix…
…emplie de…
« Emplie de moi
Emplie de toi.
Emplie des voiles sans fin de vouloirs obscurs.
Emplie de plis.
Emplie de nuit.
Emplie de plis indéfinis, des plis de ma vigie.
Emplie de pluie.
Emplie de bris, de débris, de monceaux de débris.
Des cris aussi, surtout de cris.
Emplie d’asphyxie.
Trombe lente92. »
guant « les plis, simples et composés ; les ourlets, les nœuds et coutures
étant des dépendances du pli ; les drapés, avec points d’appui98… » dans
ses effets infinis, démesurés, sur la puissance de penser et le pouvoir
politique.
La voix comme pli est un agencement dont la continuité ne fait pas
évanouir la notion de différence, mais dont la différence se trouve dans
la vitesse, où les intensités sont des degrés de vibrations. (que les sourds
connaissent et repèrent finement).
La voix comme phénomène de pliures, de drapé, d’« ourlet fes-
tonné » (qui est lui-même un pli) vient « noyauter » le corps, comme un
« noyau inclus ligaturé » : telle, comme « un drapé large, flottant mais
habité, elle déguise, maquille le corps autant dans ses formes que dans
son identité sexuelle ; la peau est cachée comme pour préserver d’éven-
tuels contacts99 ».
Le contact de la voix et sa mise à distance, tels sont les deux mouve-
ments sonores qui peuvent transporter dans leurs flux, de la jouissance,
dans un dérobement-enrobement de l’élément sonore… manière de
poser sa voix et d’organiser le dépôt du corps, et de faire jouer la déro-
bade. La voix habille le corps, où éros s’expose, s’incarne, s’exprime, s’in-
corpore – et ces « “s’ex” et ces “s’in” ici soulignés disent ce rythme et
94 - cette tension dehors-dedans que le drapé rend100 ».
Impossibilité de saisir la voix, de la fixer, le corps est situé entre des
surfaces : elle n’est que développement d’une surface, et, le drapé (de la
voix) se compose, s’écrit comme une interrogation, avec ses plis multi-
formes, ses frayages, ses nouages, ses dénouements, ses points et pôles
d’articulation, ses tombées et retombées « et cette interrogation tourne
sur elle-même, n’ayant d’autre limite que la retombée ultime dans la
mort101 ».
La voix est une force qui est capable de passer partout. Elle est un
matériau de contact, de manipulation, de froissage, et une mise en
contact où le pli se déplie sur le même plan sonore, un intérieur et un
extérieur. Prise dans le tableau sonore, elle joue la partie avec l’articulé et
le désarticulé, et l’informe. Elle plie, se plie, déplie, se déplie, replie, se
replie dans et avec l’espace sonore, dans une affinité matérielle de l’orga-
nisme et de l’inorganique. Elle est une puissance de contact, une varia-
tion. Elle s’invagine, s’involue sur le monde sonore, nous capture et
nous étreint. Si nous avons pu parler de la voix comme phénomène de
pliures dans lesquelles une érotique se « faufilerait » comme un bâti de
couture ou comme une « dé-robade » c’est en vue de mettre en relief une
érotique qui la sous-tend et la met en tension.
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Cette érotique, dans ses plis, ses replis, ses déplis fait jouer l’idée
d’un rapport sado-masochiste de la voix, exempt d’une approche symp-
tomatologique, mais qui se révèle au travers d’un sadisme dans une voix
masochiste, dont ce sadisme est à l’intérieur du masochisme et n’est pas
le vrai sadisme : de même pour le masochisme du sadique… « l’essentiel
dans le masochisme, c’est le contrat, une relation contractuelle tout à
fait spéciale… comme une alliance plaisir-douleur, comme un compor-
tement d’humiliation et d’esclavage, ou comme le fait que l’esclavage
s’instaure à l’intérieur d’une relation contractuelle102 » avec un monde
dont la texture peut être appréhendée comme un symptôme dont la ver-
sion beckettienne nous le démontre.
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sept ans, se serait laissé lier de plein gré sur l’autel du sacrifice. Dans la
liturgie juive, la lecture de l’Akéda a pour but de rappeler à Dieu, la foi
sans faille des fidèles et la miséricorde que Dieu manifesta à Isaac.
À Roch Hachana, après la lecture de l’Akéda, on fait retentir le scho-
far en souvenir du bélier qu’Abraham sacrifia à la place de son fils.
Les sonneries du schofar sont de trois types : une longue note tenue
(tekia) ; trois notes détachées (chevarim) ; ou une série de neuf notes sac-
cadées (teroua). La liturgie de Roch Hachana exige que l’on fasse retentir
cent coups de schofar à la synagogue. Les fanfares sont scindées en deux,
de façon à dérouter Satan, qui peut ainsi être amené à penser que la
deuxième sonnerie annonce le Jour du Jugement, jour où le prophète
Elie embouchera le grand schofar pour donner le signal du rassemble-
ment des exilés et la Résurrection.
On sonne le schofar à l’office du matin durant le mois d’Eloul, qui
prépare la célébration de Roch Hachana, ainsi qu’à la fin du jeûne de
Yom Kippour. On s’en sert aussi dans les rites d’exorcisme et les cérémo-
nies d’excommunication (cf. Dictionnaire du judaïsme, « Histoire,
mythes et traditions » d’Alan Unterman.)
En ces situations, le schofar est un objet mémoriel qui produit un
son, présentifiant la substitution d’un sacrifice. Il prend valeur de signal
de lien, dans l’alliance et la foi, mais aussi comme rupture de lien au - 97
moment de l’excommunication (cf. celle de Spinoza).
S’il s’inscrit dans les rites, il n’est pas simplement la « trace-son » d’un
souvenir : il est lien qui ligature la communauté. Ce son du schofar
inclut à la fois la liesse inhérente à l’alliance, et la consternation dans la
répudiation. Par conséquent, le son n’est pas univoque, il peut compor-
ter la valeur de contraires : lien et rupture de lien.
« Comment le même, lie mêmement, par les contraires… Ils paraissent confus, voire
contradictoires en un certain sens, les liens mis en œuvre par un certain genre de lieur,
si l’on observe les effets et les affects contraires de ces liens… on le voit forcé à crier et
à se taire, forcé à la joie et à la tristesse, à l’espoir et au désespoir, à la crainte et à l’au-
dace, à la colère et à la douceur, aux larmes et aux rires104… »
Afin d’approfondir la fonction du schofar, Lacan resitue l’instrument
dans les textes bibliques : Exode, chapitre 19, verset 16 à19 ; et, chapitre
20, verset 18.
Ce texte évoque le temps de l’alliance au Sinaï, la théophanie et le
décalogue.
Le son du schofar surgit dans une atmosphère « de coups de tonnerre
et d’éclairs ; la montagne du Sinaï était toute fumante parce que Yavhé
était descendu dans le feu ; la montagne tremblait. Le son allait en s’am-
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d’incorporation… une voix ne s’assimile pas, elle s’incorpore ; c’est là ce qui peut lui don-
ner une fonction à modeler notre vide. Et nous retrouvons l’instrument du schofar. Ce
qui donne son sens à cette possibilité qu’un instant il puisse être tout musical, il puisse
être substitut de la parole, en arrachant puissamment notre oreille à toutes ces harmonies
coutumières. Il modèle le lieu de notre angoisse, seulement après que le désir de l’Autre
ait pris forme de commandement. C’est pourquoi il peut jouer sa fonction de donner à
l’angoisse sa résolution, qu’elle s’appelle culpabilité ou pardon, qui est l’introduction
d’un autre ordre. Ici, que le désir soit manque est fondamental, nous dirons que c’est sa
faute principielle, faute au sens de quelque chose qui fait défaut, voilà ce qui explique la
naissance de la culpabilité et de son rapport à l’angoisse… J’ai dit que je ne savais pas ce
qui, dans le schofar, disons clameur de culpabilité, s’articule de l’Autre qui couvre l’an-
goisse… quelque chose comme le désir de l’Autre doit y être intéressé, qui se retrouverait,
pourrait-on dire, avec la notion de sacrifice, sacrifice qui est destiné, non pas tout à l’of-
frande ni au don qui se propagent dans une bien autre dimension, mais à la capture de
l’autre comme tel dans le réseau du désir… il est d’expérience commune que nous ne
vivons pas notre vie, qui que nous soyons, sans offrir sans cesse à je ne sais quelle divinité
inconnue, le sacrifice de quelque mutilation que nous nous imposons, valable ou non, au
champ de nos désirs108. »
Nous pouvons considérer que la répétition du son du shofar, tout
comme la voix dans son insistance, vient mesurer, et interroger l’écart de
signification qui existe dans la Voix de Dieu ou de l’Autre. Mesurer
l’écart dans ce qu’il prononce, dans le « ça parle » mais aussi écart du dire
100 - au dit, écart autour duquel la voix tourne, et dans lequel le sujet s’ins-
crit ; la répétition ne venant qu’à créer un trou, un trou comme absence
de garantie. C’est pourquoi l’écriture entrera en scène, qui dépendra de
cet appel incessant face à cet impouvoir. La voix inaudible, intraduisible,
se situant dans les failles du savoir, va alors passer à l’écrit, (cf. Le
Décalogue, les rituels) comme économie de la parole. En tant que réfé-
rencée au code, aux tables de la loi qui viennent sceller l’alliance, comme
on scelle le langage avec la logique, la grammaire et l’homophonie, la
voix s’investit, se constitue, participe du chiffrage et du nouage du
corps, agit avec ruse et artifice. Ainsi la voix est circonvenue, accrochée
au désir de l’Autre, suspendue à l’interrogation du : « que me veut-il ? »,
prête à toutes « mutilations » possibles, prête à des rites sacrificiels (into-
nation, aphonie, dysphonie) pour s’assurer de la garantie illusoire de cet
Autre que l’on pourrait appeler « Dieu obscur », (mis en position de
maître, pouvant adopter de multiples aspects dans sa face de comman-
dement). Ces mutilations peuvent prendre différentes formes, même
celles relevant d’une résistance apparente, lorsqu’elle suppose déjouer la
puissance de l’Autre, en émettant un vœu de silence.
Dans cette mutilation, la voix peut devenir aphone, dérailler, trahir,
être trahie, détonner, être le support, l’enjeu, l’objet de « rites » ou de
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positions sacrificielles allant jusqu’à être liée, ligotée, otage même, à des
vœux de silence de mort… voix complice et fidèle à un contrat qui se
voudrait inaltérable : contrat à une fidélité obligée… pour la garantie
d’un Autre… sublime… L’Autre mis en position d’idéal… approche
d’une position masochiste…
Me voici !, dit la voix, soumise et sadique à la fois, prise dans des
enjeux sacrificiels, pour être l’élue de son Dieu, garantie contre toutes
épreuves, contre toutes défaillances. Dans ce même mouvement, qui est
celui d’une croyance absolue, elle devient soumise, et victime sacrifiée
de l’Autre du langage… Par conséquent, cet Autre, dont le désir ne
serait jamais assouvi, la mettrait en état d’expiation obligée… voix exté-
nuée et servile dans un pacte de complicité sado-masochiste, engagée
dans la foi d’un Autre absolu, maître de la batterie des signifiants, alié-
née à son désir… vécu comme séducteur-persécuteur auprès d’une
vérité supposée absolue.
La voix soumise à la croyance d’une voix unique et totalisante, voire
totalitaire (dans laquelle elle se berce ou s’étrangle), s’abîme dans une
relation masochiste sans se priver de quelques écarts sadiques…
Voix !… ton intonation te trahit bien souvent !… Voix, ne vois-tu pas
que ta langue est baignée de sang ! du sang des sacrifiés, sacrifiés par des
traîtres et des meurtriers de tes désirs au profit, de l’agrippement à des - 101
certitudes illusoires !
La voix servile peut devenir « tendance », uniforme, conforme, dissi-
mulée, parfois absente aujourd’hui dans le pacte conclu avec les moyens
muets de communication des nouvelles technologies. Elle peut être
aussi paralysée lorsqu’elle sert les moyens de production pour s’affirmer,
accolée aux images idolâtrées, vénérées comme des veaux d’or.
Dans l’univers obscur du monde de la consommation, la voix peut
« pactiser », être utilisée, voire consommée, comme on consomme une
nourriture… Voire la voix dans la publicité, les voix particulières de cer-
taines radios qui choisissent des présentateurs jouant de leur voix
comme un distributeur automatique. Elle est le support des messages
publicitaires dans les médias, développant charme ou séduction, voire
même exposant des tendances ascétiques sur des ondes religieuses.
Elle devient un objet matériel-marchandise, ou le support d’un
message spirituel : la finalité étant la voie d’accès au bonheur. Elle est
une promesse d’acquisition d’objets de consommation : elle est elle-
même objet de consommation des auditeurs. Elle participe aux appa-
rences, en vue du prestige social, de la conviction politique, ou de la
standardisation.
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La voix… un cri…!
« Eh ! Un cri ! Je suis là ! ici ! maintenant ! à l’instant ! »
Une irruption !
« Comment parler du cri ? »
On le voit, on l’entend… Gueule ouverte, crispée, béante, vocifé-
rante, hurlante, déchirante, cri infini, intempestif, pulsé, propulsé,
éjecté, courroucé, apeuré, horrifié, expulsé, défigurant, sidéral, sidéré,
sidérant, d’affrontement, de combat, de lutte, de meute, de prédation ;
c’est aussi le cri du désespoir, du dernier espoir… « Eh ! cris… viens, je
suis là, sauve-moi ! »
Une apocalypse, une incantation, une terreur…
Cris de folie, de révolte, de stupéfaction, d’étonnement.
Une naissance, une mort, une jouissance, une résistance, une dou-
leur… le premier cri, le dernier cri… de souffrance, de plaisir… et tous
ces petits cris, jappés, crissés, chatouillés, convulsés d’érotisme, orga- - 105
niques, orgasmiques, tourbillonnants d’ardeur sensuelle. Cris de joie, de
liesse, d’énergie ; cris mêlés, emmêlés comme des piaillements d’oiseaux
avec ou sans volière !
Le cri du son perdu, vociféré dans la nuit et qui renvoie son écho.
Le cri et son tenant lieu… la voix off, son résidu sonore, son reste,
son vestige, les débris d’une impalpable présence, sa marque, sa trace,
son vertige, comme un accord plaqué fortissimo, après un tonnerre
sonore, qui se maintient, s’amenuise, décline, et se dissout dans l’écho,
l’écho de son silence… une anamorphose du cri… qui s’étire, se
déforme, comme un cri de passage, de présence-absence : la voix off
signale l’ultime et l’impersonnelle présence, à la limite du là-pas là…
Cri différentiel, cri de catastrophe, l’ultime sursaut quand tout est
épuisé.
Le cri est toujours spectral… ultime forme de l’informe et toujours
un secret ; fantomal, trop ou pas assez habité, dans ses contours appuyés,
proche de la fixité, et pourtant non circonscrits… bien souvent appelle
le trait, le dessin, l’image, l’écrit.
L’image qui s’impose bien souvent à nous, provient de cette peinture
de Edvard Munch, datée de 1893. E. Munch a alors 30 ans quand il la
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Ce cri est intriqué inexorablement dans le silence qui lui fait corps. Il
est le trait minimal, dont l’origine et le surgissement sont arrachés au
réel innommable. Silence et cri sont indissociablement liés : recto et
verso d’une même surface déroulée à l’infini quand aucun Autre n’y
appose sa coupure : face à face avec le réel.
« Ce silence, est le lieu même où apparaît le tissu sur quoi se déroule le message du
sujet où le rien d’imprimé, laisse apparaître ce qu’il en est de cette parole, et ce qu’il en
est, c’est précisément à ce niveau son équivalence avec une certaine fonction de l’ob-
jet (a)… par l’objet oral, le sujet entre, fait durer et soutient le silence… ce qui nous
apprend la valeur de ce silence, qui le rend indiscernable de la verbalisation »
Il semble possible d’avancer que le silence ne préexiste pas au cri qui
s’y déposerait dessus ; le silence est crée par le cri lui-même. Cri et silence
sont pris de façon emboîtée, tous deux situés sur une même surface sans
bord, qui ne comporte ni endroit ni envers, s’enroulant autour d’un
vide central.
À partir du tableau d’Edvard Munch, nous constatons que le cri,
comme trait minimal de la voix, est semblable à la lettre, par son impos-
sibilité à être lu autrement que par l’écrit : il est extérieur à la structure
du signifiant, déconnecté de la syntaxe et du « panel » lexical.
Le cri est pure métonymie, métonymie du désir. Le signifiant, se
modulera dans la voix tandis que le cri, comme « localisation de (a) se - 107
“coïncera” dans un nœud, une image écrite113 ».
Cette image écrite n’a rien à voir avec le symbole, et ne relève pas de
l’image spéculaire, mais elle est le trait c’est-à-dire le bord réel d’un trou
par lequel se produit un effet.
« Freud parle de l’aperception du caractère primordial de ce trou, de ce trou du cri,
creux infranchissable marqué à l’intérieur de nous- même et dont nous ne pouvons
qu’à peine nous approcher. Et ce silence est confondu avec cet espace enclos par la sur-
face, par elle-même inexplorable114. »
C’est avec l’appui de la topologie, et notamment de celle de la bou-
teille de Klein que Lacan s’approche de « l’exploration » de la voix.
Cette bouteille dont le culot rejoint le goulot en opérant un recoupe-
ment en forme de cercle, met en scène un espace dont l’intérieur est en
continuité avec l’extérieur, mais gardant un trou central. La voix et
notamment ce cri exclu de l’image spéculaire, creuse un trou dans l’or-
ganisation du Moi. La voix du cri, comme cri de la passion de l’être
(amour, haine et ignorance) comme cri de la pulsion, comme cri du fan-
tasme vient se nouer avec quelque chose de l’Autre, de l’extérieur. Ce
nouage maintiendra tout de même un vide, un trou autour duquel s’ef-
fectuera le trajet de la voix comme objet a, soit par un processus de ten-
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Hoici, le musicien pitoyable avait été recueilli par charité. Hoici ne voyait pas l’étin-
celle du ciel… mais la magie mouvante de la nuit qui venait… sentait le vol des
démons cachés. Il avait peur. Pelotonné sur lui-même, sa biva serrée contre sa poitrine,
la face renversée, appuyé contre le mur fragile, il attendait. C’est à ce moment que la
voix impérieuse du samouraï le nomma, comme exhalée de l’essence des choses…
Alors il obéit.
Je suis venu dit le guerrier, je suis venu… Et ils continuèrent à marcher au milieu du
silence des pierres. Alors la grande voix impérieuse et lointaine reprit le même son de
musique brisée – de la part de mon maître, de la part de mon maître, pour te cher-
cher… Entrée dans le palais, une lumière intense toucha la peau du chanteur
aveugle… la terreur. Le samouraï lui demanda de chanter le mariage de la prin-
cesse… la princesse de notre grand mikado… Alors il sembla au chantre malheureux
que la vision lui était revenue… comme s’il n’avait plus de paupières… Il eut l’im-
pression d’une chute, et il sentit ses doigts courir sur la corde de la biva humaine sui-
vant le rythme du poème commandé… Il se sentit tourner. Alors il se renversa en
arrière, il voulut mourir, il sentit que l’intensité de l’émotion dépassait ses forces…
Le samouraï s’était levé, il le suivait. Avant l’aurore, ils se trouvèrent devant le petit
temple. Hoichi tourna trois fois sur lui-même et écouta. De nouveau, il était aveugle
et seul. Alors, pour la première fois, il osa regarder en lui-même, et se demanda : Où
suis-je allé ?
Il ne parla, ni ne bougea, … tel un pantin, le bonze le crut mort… tel un somnam-
bule… il se releva ; ils arrivèrent devant les grilles du cimetière… il fut agenouillé par la
terreur. Il se sentit arrivé aux bornes extrêmes de la vie… égaré de lui-même, il lui sem-
110 - blait entendre s’entrechoquer des armées ; il entendait le barrissement d’éléphants fan-
tastiques… Le bonze le conduisait et lui dit qu’il était ensorcelé… “Vous avez subi
l’appel des esprits, Hoichi, vous êtes sorti de la vie… Mais n’ayez crainte, ce soir je vous
revêtirai de la robe qui protège, la vêture magique qui égare les esprits”. Le soir le
bonze entreprit de déshabiller le musicien, et sur sa chair, ils tracèrent des exorcismes,
qui écartent les esprits. Ainsi couvert d’inscriptions, il avait l’air revêtu d’une robe de
dentelle noire… ensuite, il se retrouva, seul, térrorisé, de sombres oiseaux venaient
raser sa tête. Il aurait voulu être sourd. Il aurait voulu perdre conscience. Il aurait voulu
être mort. Il se cache.
Et tout à coup la grande voix métallique du samouraï s’éleva, lui demandant de revenir
au palais pour chanter la suite de l’histoire. Le samouraï paraissait incertain, et l’appela.
“Hoichi, où êtes-vous, Hoichi ?” Et tout à coup, il s’arrêta. Par tous les dieux, s’écria-t-
il, si je ne vois pas le musicien, que je vois au moins ses oreilles, je les rapporterais tou-
jours à mon maître, pour lui prouver que je me suis acquitté de ma mission. Et il s’ap-
procha donc de l’endroit où le musicien était allongé, et où seulement étaient visibles
ses deux oreilles, et les lui arracha.
Le bonze avait omis de peindre les versets protecteurs sur les oreilles… »
Voilà comment Hoichi, le musicien pitoyable, perdit ses oreilles.
Ce petit texte affirme combien le corps, la pensée, en attente, se lais-
sent posséder et déposséder de leur être, enfermés, et déshabités par les
injonctions et manipulations qui les mettent hors d’eux-mêmes, jusqu’à
en perdre tous les sens, délocalisés et destitués par la pression du langage
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Cette inconsistance s’affirme dans des phrases jouant sur des tonali-
tés vocales réitérées de platitude et de gravité du son : sonorités com-
pactes et basses. À la lecture nous repérons la répétition du son, A,
comme tonalité, part sonore du « moindre ».
Dans Attendant Godot… quelques phrases…
« C’est ça, faisons un peu de conversation127… »
« C’est ça, contredisons- nous128… »
« C’est ça, posons-nous des questions129… »
Vladimir (s’étant consulté), maintenant… (joyeux) te revoilà…
(neutre) nous revoilà… (triste) me revoilà.
Dans l’œuvre (fin de partie…)
« — À part ça, ça va ?
— Tout ça, pour ça.
— Je n’aime pas ça.
— Puisque ça se joue comme ça… (il déplie le mouchoir) jouons ça comme ça… (il
déplie)… et n’en parlons plus… (il finit de déplier)… ne parlons plus. (Il tient à bout
de bras le mouchoir ouvert devant lui.) Vieux linge ! (un temps.) Toi, je te garde130. »
La réitération des sons produit un phénomène d’écho où la voix se
promène par effet de formules et de répétitions qui dissout le sens du
discours et dilue les personnages.
116 - Chronos délayé dans la voix, laisse glisser l’Aïon, comme temps
infini, comme infini événement. Sournoisement, Aïon attaque la
logique binaire qui structure le temps chronologique. La mécanique de
la logique binaire est attaquée par le renversement des propositions et en
les rendant équivalentes. La voix navigue dans cet univers temporel et
intemporel jouxtant avec la possibilité et l’impossibilité, se faufilant de
fait, entre le nommable et l’innommable. Travaillée et travaillant avec
ces deux formes du temps, elle reste toujours dans l’ambiguïté. Elle est
l’ambiguïté-même dans l’épuisement des repères fixes.
Les répétitions sonores trouvent leurs réserves hors du temps et dans
le temps, et elles viennent s’échouer et ré-émerger quand le possible
s’atténue, frisant, frôlant l’impossibilité de l’être.
« — Comment vont tes yeux ?
— Mal.
— Comment vont tes jambes ?
— Mal.
— Mais tu peux bouger.
— Oui.
— Alors bouge !… Où es-tu ?
— Là.
— Reviens ! Où es-tu ?
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— Là.
— Pourquoi ne me tues pas ?
— Je ne connais pas la combinaison du buffet… »
Face à cet épuisement de l’être, (Hamm dit à Clov : « Je croyais que tu
allais me quitter. ») le sursaut se traduit par la répétition basique culi-
naire d’une bouillie, semblable à une bouillie verbale, où la sonorité en
(i), la répétition sonore, permet de se dégager de cette peur physique, de
ce danger encouru.
« Ma bouillie !… Ma bouillie !… Ma bouillie !… Donne-lui sa bouillie. Il n’y a plus de
bouillie… Il n’y a plus de bouillie. Tu n’auras jamais plus de bouillie… Je veux ma
bouillie ! Donne-lui un biscuit”131… »
dans lesquelles la hauteur des sons revêt pour l’expression du sens des
mots autant d’importance que les traits segmentaux… le langage tam-
bouriné s’impose finalement comme une évidence, pour des sociétés, où
l’écriture est inexistante, et pour des gens qui vivent dans un environne-
ment où il est indispensable de savoir distinguer chaque bruit de la
savane ou de la forêt, des gens qui ont grandi au rythme de ces mer-
veilleuses percussions.
Le langage sifflé « émis grâce à un petit instrument de bois était un
mode de communication entre chasseurs isolés dans la brousse, loin de
tout habitat humain. L’utilisateur commence par siffler le nom de celui
auquel il souhaite s’adresser au moyen de ce langage. Si une réponse lui
vient, il enchaîne avec toutes sortes de phrases utilitaires telles que “j’ai
faim”, “rentrons”, “j’ai trouvé un troupeau d’éléphants”, “apporte-moi
de l’eau”, etc. Son interlocuteur lui répond de la même manière. Ce
petit sifflet de bois (tel une voix), accroché au cou par une cordelette, est
en quelque sorte le transmetteur de ces chasseurs. Leurs messages, libre-
ment modulables, s’échangent même parfois avec une pointe d’humour
en s’envolant comme des cris aigus d’oiseaux parmi les herbes hautes et
drues et les arbres clairsemés de la savane143. »
Ce langage sifflé sans support de trace écrite émane d’une organisa-
tion rythmique : celle de l’interlocution, comme propension de sons - 121
scandés.
Il est aussi d’usage, dans les sociétés d’Afrique occidentale, de déve-
lopper le langage tambouriné, où le tambour y occupe une place pré-
pondérante pour faire le récit historique de la dynastie royale.
« Le tambour… fait sans la moindre erreur et dans un majestueux vacarme le long récit
de la dynastie royale, transmis jusqu’à nos jours de génération en génération. Cette
récitation se déroule solennellement lors des fêtes royales, en présence du roi lui-même
et d’un public de plusieurs centaines de personnes. Ce langage n’implique donc pas
une réciprocité, comme dans le cas des échanges de coup de sifflet : il s’agit de l’émis-
sion par une seule personne de sons destinés de manière unilatérale à un grand nombre
d’auditeurs et qui ne nécessite aucune réponse de leur part… Ce mode d’expression ne
permet pas comme le langage sifflé, de construire à son gré un message d’ordre privé ; il
n’est destiné qu’à la transmission d’un message à caractère public, dont le moindre
détail a été préalablement fixé144. »
Cette pratique du langage tambouriné est très codifiée, effectuée par
un joueur de bendre, entraîné depuis son jeune âge, lui seul dépositaire
de cet acte de transmission, destiné à réciter une généalogie royale, sans
faille. Nous pourrions dire que ce langage relève du rythme du pouvoir.
« En tant que message, le son du bendre récitant la généalogie royale s’impose avec
autorité, comme s’il se déversait au plus profond des entrailles de ses auditeurs145. »
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butiement d’à peu près, face à une proximité d’une langue qui cherche à
faire remonter une colonne d’air susceptible de faire sortir des mots-sons
de la mort… La dédicace de Louis Wolfson en est un exemple :
« À Ma Mère, Musicienne, Morte d’un Mésotthéliome Métastasiant (et, Mettons, de
Manques Médicaux) au Milieu de Mai, Mardi à Mercredi au Mouroir Mémorial, à
Manhattan, Mille997 147. »
Le rythme n’est pas seulement la scansion symétrique et périodique
d’une phrase sonore, il est ce qui émerge du phrasé et qui produit du
changement dans la sonorité de la voix. Il est le mouvement de la voix
qui signe l’inscription du sujet au moment même où il est entrain de
parler. Il transit ou fait couler – geler– grelotter – réchauffer le son.
« J’inclus dans le rythme, l’organisation de ce qu’on appelle les sonorités qui sont la
matière du sens… Le rythme fait le sens, même contre le lien logique entre les
mots148. »
Le rythme ne totalise pas un discours, il le casse.
Il démystifie la réalité des mots ; il brise la croyance de la totalité des
mots et remet en cause toute illusion de l’unité étymologique
(illusion qui oublie l’altérité historique et la diversité des apports cul-
turels où se trouve prise la voix) et révèle l’impossible traduction littérale
qui n’est qu’une arrogance du sens. - 123
Le rythme dans la voix fait apparaître que le langage et l’histoire ne
relèvent pas d’une totalité, mais de l’infini ; l’infini qui se développe
dans un processus de pliures, déroulé sur le continu du silence et du
bruit du monde.
La voix porte le langage et la culture, comme le langage et la culture
portent la voix.
Le rythme de et dans la voix transforme le son et le langage, et pro-
duit un discours en mouvement ; le rythme se trouve dans le sujet et
provoque une transformation du son, du sens et des discours mettant en
crise le signe et le sens, révélant leur dogmatisme inhérent au binarisme,
au dualisme : le son fait le sens ; le sens fait le son.
Le rythme est la ligne de fuite, la fulgurance qui « zippe » la voix, le
continu sonore. Il vient tracer ses trajectoires nous permettant de nous
décaler des entités duelles et discontinues, du paradigme dualiste, telles
que :
Fond/forme ; signe/sens ; individuel/social ; norme/écart ; affect/intel-
lect ; rationnel/irrationnel ; nature/culture ; essence/substance.
Prose/poésie ; logique/prélogique ; abstrait/concret ; émotion/déraison ;
énoncé/énonciation…
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doute de soi, de tout amour-propre dans l’art… je me suis très vite liée d’amitié avec le
piano à queue et son clavier – do-ré-mi…
…Pour les notes, au début ça n’allait pas du tout. La touche, on pouvait appuyer des-
sus, mais la note ? La touche existait, elle était là, noire ou blanche, la note, elle, n’exis-
tait pas, elle était posée sur la ligne (laquelle ?). De plus, la touche s’entendait, la note
— non. La touche avait une existence, les notes — aucune. Et pourquoi faire une note
quand il y avait une touche ?
Ainsi, je ne comprenais rien, jusqu’au jour où j’ai vu, sur l’en -tête du papier à lettres
que m’avait donné Augusta Ivanovna pour le Glückwunsch (vœu de bonheur) de ma
mère, des moineaux au lieu de notes, perchés sur une portée. Alors j’ai compris que les
notes vivaient sur des branches d’arbres, chacune sur la sienne, et de là, elles sautaient
sur les touches, chacune sur la sienne. Et alors la note produisait un son… Bien que
j’eusse vite appris à lire la musique à la perfection, je n’ai jamais aimé les notes. Les
notes me gênaient… elles me faisaient perdre la mélodie, le savoir, le mystère… elles
me faisaient perdre mes mains, elles empêchaient mes mains de savoir par elles-mêmes,
elles s’interposaient en tiers… Quelque vingt-cinq ans plus tard, elles (ces notes) sont
tout de même tombées, elles se sont ruées en bas… Ma mère savait-elle que j’étais
poète ? Non.
L’exigence de la mère est semblable au claquement du métronome… Mais aussitôt
que je suis tombée sous l’emprise de son claquement méthodique, j’ai commencé à le
haïr et à le redouter : j’étais saisi de crainte, j’avais des palpitations, des sueurs froides,
exactement comme maintenant, la nuit, j’ai peur du réveil ou de tout autre bruit régu-
lier dans la nuit. Comme si ce bruit venait quérir mon âme… L’inanimé contre le
128 - vivant, celui qui n’est pas là contre celui qui existe. Et si le mécanisme ne s’arrêtait
jamais, si je ne pouvais jamais quitter le tabouret, si je ne pouvais jamais quitter le tic-
tac, tic-tac ?… Le métronome était un cercueil habité par la mort… Ce fut mon pre-
mier contact avec la technique, contact qui a déterminé tous les autres. C’était la tech-
nique dans toute sa fraîcheur, son bouquet d’acier… Oh ! Jamais je n’ai été en retard
sur le métronome. Non seulement il me maintenait dans le rythme, mais il me rivait
physiquement au tabouret… torture… Lorsque plus tard, poussée par la nécessité
rythmique, j’ai commencé à morceler, à casser les mots en syllabes à l’aide du tiret,
inhabituel dans les vers, et que j’ai été, à cause de cela et pendant des années, fustigée
par certains, glorifiés par un petit nombre, je n’ai su que répondre, sinon, “il le faut”.
Mais un beau jour, j’ai revu devant mes yeux, ces textes de romances de ma petite
enfance criblés de tirets parfaitement légitimes, et je me suis sentie lavée : lavée par la
musique entière de toute « modernité », lavée, soutenue, raffermie et légitimée, exacte-
ment comme l’enfant qui, par la découverte d’une marque secrète, s’avère être de la
famille et avoir enfin droit à la vie ; Mais peut-être Belmont avait-il raison lorsqu’il me
faisait cet admiratif reproche : “Tu demandes à la poésie ce que seule la musique peut
rendre”.
Marina se mit à lire la musique comme un flot de tempête et de joie… ta, ta-ta, ta-
ta… “C’est ainsi que de dessous le métronome, m’inondaient des flots de poésie sans
tact et sans mesure”. »
Le piano fut son premier miroir. Mais à la mort de sa mère, elle ne le
toucha plus. La métrique se mit à mourir en même temps. Elle se mit à
jouer ses propres partitions dans une prosodie de contacts… Et là, c’est
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— J’aimais qu’à la première vue ce fut lisse et que sous ce lisse ce fut profond comme
dans l’eau… J’aimais que sous ma main il y eût un gouffre, que le gouffre surgisse sous
mes mains, que sans bouger on pût tomber sans fin.
— J’aimais la perfidie de ce clavier lisse prêt à céder au moindre contact et à m’englou-
tir. J’aimais la folle envie, la folle peur d’appuyer : la peur en appuyant de réveiller tout.
…Et aussi que cela fit deuil… (Les articles dans la phrase se mettent à disparaître, et
simultanément l’objet ; le mot ouvre un espace autre, un espace de sonorité)…
— J’aimais clavier, mot si puissant que maintenant je ne puis le comparer à l’aile large-
ment déployée d’un aigle, mais alors je ne le comparais à rien du tout.
— J’aimais “gamme chromatique”, mots qui avaient la sonorité d’une cascade de
montagne cristalline et que je comprenais tellement mieux que n’importe quoi de
grammatical, que je ne comprends toujours pas et à partir de quoi, du reste, je cesse
justement de comprendre. La chromatique que j’ai aussitôt préférée à l’ordinaire… Je
l’aimais – je le dis maintenant – parce que la Chromatique c’est tout un mode de vie
de l’âme et que ce mode de vie est le mien : la Chromatique, c’est tout le contraire de la
grammaire, c’est le Romantique. Et le Dramatique. Cette Chromatique est restée ainsi
pour toujours dans mon épine dorsale. Je dirais même plus : la gamme chromatique est
mon épine dorsale, l’échelle vivante le long de laquelle s’élance et dans tout mon des-
tin… J’aimais la touche elle-même – ce mot, ce corps, cet acte. »
J’aimais « gamme chromatique », tout le contraire de la grammaire dit
elle… son rythme à elle émergea, la dilatation de sa voix se fait en forme
de cassage, privée de tout sentimentalisme ; le choc sémantique est pro-
130 - duit par sa propre cadence et renverse la métrique parfaite. Marina a le
rythme dans la peau, au bout de ses doigts ; le plan sonore se fait à tra-
vers l’écriture, sonorités de contacts où elle amplifie la scansion comme
expression, production d’énonciations. La voix qui transperce l’écrit est
ce qui crée son propre langage, où le tiret fortement employé devient
temps rythmique, respiration.
Le son cherche la respiration, comme la respiration cherche le son.
Le poème écrit en français en 1923 intitulé « La neige », déploie cette
force rythmique qui la traverse dans une sonorité de souffles, qui vien-
nent témoigner de sa position subjective.
« Neige, neige
Plus blanche que linge,
Femme lige
Du sort : blanche neige.
Sortilège !
Que suis-je et où vais-je ?
Sortirai-je
Vif de terre.
Neuve ? Neige,
Plus blanche que page
Neuve neige
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licites : correspondance, amitié, tout irait bien ! Mais je sais que tu ne signifies ni cor-
respondance, ni amitié. Dans la vie des autres, je veux être ce qui ne fait pas mal, c’est
pourquoi Je mens – à tous, sauf à moi-même.
Toute ma vie dans une situation fausse. “Car je suis mensongère, où je suis étrangère.”
Mensongère, Rainer, pas menteuse !
Quand je mets les bras autour du cou d’un ami, c’est naturel ; quand je le raconte, ça
ne l’est plus (même pour moi !). Et quand je fais un poème, cela redevient naturel.
Donc, l’acte et le poème me donnent raison. L’entre-deux me condamne. C’est l’entre-
deux qui est mensonge, pas moi. Quand je rapporte la vérité (les bras autour du cou),
c’est un mensonge. Quand je la tais, c’est la vérité.
Un droit intime au secret. Cela ne regarde personne, même pas le cou autour duquel
j’ai noué mes bras. C’est mon affaire. Et songe avec cela que je suis une femme, mariée,
des enfants, etc.
Renoncer ? Ah ! Ce n’est jamais urgent pour en valoir la peine. Je ne renonce que trop
facilement. Au contraire, quand je fais un geste, je me réjouis de pouvoir encore faire
un geste. Mes mains veulent si rarement159 ! »
Vérité approchée, vérité jamais dite. La vérité se dégage de l’acte
répété, dans le geste et dans la fiction inhérente au rythme de l’écriture,
à l’éclat sonore de la voix qui s’en dégage. Dans le récit, qui est l’entre-
deux, aucune vérité ultime. La voix est ce geste qui déplace à l’infini les
signifiants, répétition à l’infini dans une adresse infinie. La répétition
dans la voix, et de la voix, inaugure le rapport des multiples, de la multi-
tude sonore créant ainsi les écarts des plus petits différentiels, qui pas- - 133
sent le plus souvent inaperçus. Pourtant, dans la répétition des éléments
sonores, se déroule le grain de la voix qui devient lui-même signifiant,
celui qui se faufile à travers tous les autres.
La répétition vient du geste, de l’alliance inconsciente des regards,
nous rappelle J. Lacan dans La Lettre Volée, en préambule de ses Écrits.
La répétition sonore produite par l’alliance inconsciente des sonori-
tés émises par la voix dont le drame, ou la comédie, ou le rire se scénari-
seraient par le rythme, dont la partition inconsciente se déploie dans le
Witz. Alliance inconsciente des voix qui prend sens dans le non-sens, au
moment où la voix dérape… ce qui en donne tout son sens.
La communication non verbale entre deux sujets, entre soi et soi, est
mise en rapport avec cet objet-voix potentiel, source et lieu d’illusions :
le rythme de l’être, prenant alors le rôle de l’illusionniste ou du prestidi-
gitateur. Principe de métamorphose, la voix n’est pas seulement une
illusion mais un effet, produisant certains effets. Ce transfert sonore, et
insonore du rythme, a-signifiant pouvant devenir signifiant, nous fait
passer du registre de l’exactitude à celui de vérité.
Les stratagèmes et les astuces de la voix frôlent la vérité, qui sem-
blable à elle, ne peut s’approcher par une logique rationnelle, celle de la
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fuite, que surgit l’étrange dans la voix. Sexualité dans la voix… intruse,
intrusive et familière.
Dans cette même condition d’étrangeté, une voix méconnaissable à
soi-même, dont l’étrangeté reste située à l’intérieur de soi-même…
comme effet d’un processus de refoulement ?
L’inquiétante étrangeté dans la voix est dans le familier et le
refoulé… d’un désir dissimulé. Singulière ? ou étrangère ? ou bien les
deux à la fois ? La voix : la familière, la singulière-étrangère, est prise dans
ce processus à la fois d’un jeu d’échos et de déprise de soi de l’élément
mimétique. Double mouvement qui représente les deux faces de la répé-
tition rythmique et en joue de façon enjouée, pas toujours aussi naïve
que ça… dans ses métamorphoses…
Par ses bavardages incessants Écho, fille d’Héra détournait l’attention
de sa mère, femme de Zeus. Par ses bavardages, elle devenait la complice
des infidélités de Zeus… Héra perçut la stratégie de sa fille, et la punit
en la soustrayant à toute parole, ne lui laissant que la voix, avec la seule
possibilité de répéter les mots entendus… Triste sort que celui de la
répétition réduite à une réverbération d’un son réfléchi sur un objet
extérieur… Cette répétition mimétique devint un véritable obstacle, un
empêchement à déclarer son amour à Narcisse… Ce fut fatal ! Cette
136 - répétition l’a conduit à la mort.
« Ainsi la légende de la nymphe Écho, éconduite et mortifiée par Narcisse avant qu’elle
ne s’évapore, condamnée à n’être plus qu’une voix qui répète celle des autres. Méprisée,
elle se cache dans les forêts ; elle abrite sous la feuillée son visage accablé de honte et
depuis lors, elle vit dans les antres solitaires. Mais son amour est resté gravé dans son
cœur et le chagrin d’avoir été repoussée ne fait que l’accroître. Les soucis qui la tien-
nent éveillée épuisent son corps misérable, la maigreur dessèche sa peau, toute la sève
de ses membres s’évapore. Il ne lui reste que la voix et les os ; sa voix est intacte, ses os
ont pris, dit-on la forme d’un rocher (celui de l’oreille ?…)
Depuis, cachée dans les forêts, elle ne se montre plus sur les montagnes ; mais tout le
monde l’entend : un son, voilà tout ce qui survit en elle160. »
La répétition mimétique est une condamnation ! Une condamna-
tion à une errance de mortification qui se referme sur elle-même… Le
bla-bla-bla d’une parole vide, semblable au chant du coucou, n’alterne
que sur le « cou du cou », qui ne répond que « cou pour cou », miroir
sonore qui n’engendre qu’une image de plus en plus rétrécie, sans
espace.
Blocage de la voix, enfermée sur une jouissance du son et du temps
composé d’un redoublement mimétique, à laquelle Narcisse s’associe et
se réduplique étrangement. Répétition d’énoncés, répétition d’images…
répétition de sons, d’images-sons… noyade dans un puits sans fond.
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Selon la version de Pausanias, Narcisse avait une sœur jumelle qui lui
ressemblait de façon étonnante. Tous deux vêtus de manière identique,
portant la même chevelure, ils allaient tous deux à la chasse. Narcisse
tomba amoureux de sa sœur. Quand elle mourut, Narcisse s’approcha
de la source près de laquelle, elle avait trouvé la mort. Découvrant sa
propre image à la surface des eaux, il crut avoir retrouvé le visage de celle
qu’il aimait. Honoré sous le nom de Héros silencieux, près du sanctuaire
d’Amphiaraos, Narcisse disparaît dans l’eau, pour renaître sous la forme
d’une plante qui porte son nom tandis que Amphiaraos, au contraire,
disparaît dans la terre, pour renaître ensuite d’une source jaillissant au
milieu du sanctuaire. Narcisse figé dans l’espace d’une image, cherchant
l’image morte, celle de la voix d’Écho, se tue à nier le temps et tombe
amoureux de lui-même. Narcisse, se mit à dépérir dans un silence de
mort.
« Il devient lui-même victime de la vengeance d’Écho. Il succombe au feu secret qui le
dévore lentement. Il a perdu son air de santé, ses forces et tous les charmes qu’il admi-
rait naguère. Son corps n’a plus rien de la beauté que jadis Écho avait aimé. Chaque
fois que le malheureux jeune homme s’était écrié : “Hélas !” La voix de la nymphe lui
répondait en répétant : “Hélas !” (sic attenuatus amore Liquitur et tecto paulatim carpi-
tur igni ; Nec vigor et vires et quae modo visa placebant ; Nec corpus remant, quondam
quod amverat Echo… haec resonis iterabat vocibus « eheu !) 161. »
- 137
À cette répétition mimétique, répondant au principe de constance
relevant d’une position narcissique, imaginaire dont nous parle Freud
comme sentiment océanique, semblable à une « chambre d’échos »
d’énoncés prêt-à-porter de moindres tensions, se superpose la mobilité,
impossible localisation de la voix, qui la rend perceptible dans l’inau-
dible et l’invisible, à la seule condition de ne pas vouloir tomber dans le
piège du « se connaître soi-même, ou du connaître l’autre, comme objet
d’investigation…
Ainsi peut agir le principe d’inconstance ! Voix des multiples ten-
sions. Voie où l’image et la voix peuvent se débrider et se déployer dans
les intervalles d’énoncés, moments où le sujet émerge de la suture, de la
défaite de la certitude des énoncés interprétatifs évoqués comme des
échos sonores, relatifs à tout prêt-à-porter théorique.
Écouter la voix, la vacillation de la voix, traversée par ses singularités
rythmiques, dont le rythme est répétition d’une vérité cachée dans une
propagation sonore.
Le Rythme se trouve dans le creux des énoncés, là où rien n’est
imprimé, la pulsation de la pulsion, dans le silence interstitiel, « silence
dont le musicien sait faire un temps162 ».
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138 - Cette moue buccale est une persistance rythmique qui reste rivée à
l’écho d’une indicible douleur, « une réverbération écholalique, de son
cerveau malade qu’il s’agit de faire cesser ».
Il tentera pour faire cesser la voix persécutrice de sa mère d’opérer des
jeux de transpositions phonétiques avec d’autres langues… quête de
vibrations pour un effacement des traits phonétiques de la langue
maternelle… recherche d’un écart mais qui reste pris dans un cristal.
Le rythme est une tentative…
Il prend la valeur d’une interjection plus ou moins réussie. Il peut
faire surgir une image ou rester englouti.
Dans son aspect abouti, quelque chose est à isoler à l’intérieur de la
phrase, et très précisément quelque chose qui fait surgir l’image et la
fonction de la coupure… Exclamation, point d’exclamation… Eh ! Ah !
Oh ! Intonations d’une interpellation dans un jeu de ponctuations ryth-
miques. Le souffle, la respiration, le corps viennent se déposer quelque
part dans le champ de l’Autre, « pour qu’il y soit là comme un germe, je
t’« autruifie » ou je t’« autruche », comme vous voudrez, et si je dis
“ah !”, et bien, c’est eh, je t’épie, oui163 ».
Le rythme est la demande « sur le bout de la langue », le germe qui
introduit le désir dans son ambiguïté, faisant la jonction entre désir et
transfert. Il est l’insu du sujet,… oui, qui se produit le plus souvent à son
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ses origines même dans une impulsion psychique secrète qui est la
Parole d’avant les mots167 ».
Telle, elle nous rapproche du théâtre balinais décrit par Antonin
Artaud, qui nous reste étrange, nous, les Occidentaux :
« Idée de théâtre, qui nous propose une réalisation stupéfiante en ce sens qu’elle sup-
prime toute possibilité de recours aux mots pour l’élucidation de thèmes les plus abs-
traits ; et qu’elle invente un langage de gestes faits pour évoluer dans l’espace et qui ne
peuvent avoir de sens en dehors de lui168… »
En effet, la voix est spatiale, une gestuelle sonore.
Elle est à « entendre » comme geste sonore, pétrie de cris, de couleurs et
de mouvements. Elle seule, même dépourvue d’articulation langagière est
une poésie, le lieu de fermentation, de fragmentation d’images visuelles et
sonores. Comme les artistes du théâtre balinais, elle peut revêtir des « vête-
ments éclatants et dont les corps par-dessous semblent enveloppés de
langes ! Il y a quelque chose d’ombilical, de larvaire dans ses évolutions…
et il y a aussi son aspect hiéroglyphique qui développe tout ce qui dépasse
le texte ». Même dépourvue ou atteinte ou désagrégée par le langage, elle
peut déployer son expression dans l’espace, comme une gestuelle sonore.
On pourrait se demander si l’oralité de la voix, ce langage sans parole
serait « capable d’atteindre le même objet intérieur que la parole, si du
142 - point de vue de l’esprit et théâtralement il peut prétendre à la même
efficacité intellectuelle que le langage articulé. On peut en d’autres
termes se demander s’il peut non pas préciser des pensées mais faire pen-
ser, s’il peut entraîner l’esprit à prendre des attitudes profondes et effi-
caces de son point de vue à lui169 ».
La voix est donc en elle-même un jeu scénique qui déborde le lan-
gage, une pure invention langagière sans parole, qui s’appuie sur la théâ-
tralité du corps et du monde sonore. Les sons de la voix sont des hiéro-
glyphes vivants et mouvants. Et ces hiéroglyphes sont « à leur tour sur-
brodés d’un certain nombre de gestes, de signes mystérieux qui corres-
pondent à l’on ne sait quelle réalité fabuleuse et obscure que nous autres
gens d’Occident, avons définitivement refoulée170 ».
La voix exprime et dissimule à la fois… lieu de l’impossible traduc-
tion de la réalité. Pourtant, elle s’obstine à révéler que le contenu d’un
langage est une expression et qu’une expression est un contenu. Il s’agit
de l’entendre, lui laisser le temps de dérouler sa thèse. Pas de dichotomie
entre contenu et expression, seulement un enroulement, qui ne sup-
porte pas la traduction d’un sentiment termes à termes.
Avec la Voix, nous sommes projetés dans le domaine de l’intraduisible,
du défaut interprétatif des concepts bien ordonnés. Elle est pourtant un
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révélant-révélé, qui prend des chemins de traverse. Aucune voix n’est tra-
duisible, et pourtant comporte une puissance toujours potentielle.
Nous transposerons ce que dit Antonin Artaud au sujet du sentiment
sur le domaine de la Voix, … vous inviterons à vous reposer et à seule-
ment l’entendre pour lui laisser la possibilité de nous dire à l’oreille, les
murmures de ses vérités sur les subjectivations toujours en devenir.
« Tout vrai sentiment est en réalité intraduisible. L’exprimer c’est le trahir. Mais le tra-
duire c’est le dissimuler. L’expression vraie cache ce qu’elle manifeste. Elle oppose l’es-
prit au vide réel de la nature, en créant par réaction une sorte de plein dans la pensée.
Ou si l’on préfère, par rapport à la manifestation-illusion de la nature elle crée un vide
de la pensée. Tout sentiment puissant provoque en nous l’idée du vide. Et le langage
clair qui empêche ce vide, empêche aussi la poésie d’apparaître dans la pensée. C’est
pourquoi une image, une allégorie, une figure qui masque ce qu’elle voudrait révéler
ont plus de signification pour l’esprit que les clartés apportées par les analyses de
parole171. »
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La Bifurcation élastique
Si on étend un élastique jusqu’à la cassure
L’ELASTIQUE SE ROMPT EN DEUX
La poésie n’appelle pas cette cassure une rupture
MAIS UNE BIFURCATION
Comme une rivière qui aurait
Un affluent qui remonterait
SON COURS À L’ENVERS VERS SA SOURCE
Toute cassure de la poésie est une bifurcation
Est un changement dans le cours général de la poésie
Générale
Écrire des poèmes sur un élastique
144 - ET LES TENDRE JUSQU’À LA CASSURE
POUR INVITER d’autres choses à les tirer vers soi
Parfois l’élastique de la poésie attire les choses
Que la langue désigne
ET LA CHOSE VIENT COGNER CONTRE SON MOT
Parfois l’élastique casse et la chose
RESTE AU MÊME ENDROIT EN REGARDANT SON
MOT
Parfois l’élastique change de chose et de mots
QUAND IL SE ROMPT IL DÉSIGNE UNE AUTRE
DISTANCE
Et signifie un autre nom ou une autre chose
L’élastique tendu entre le mot et la chose
Jusqu’à sa rupture ou sa bifurcation
Modifie à chaque millimètre de son agrandissement ou de sa
Rétraction une autre chose dans la chose et un autre mot
Dans le mot
En ce sens la poésie qui va jusqu’à la cassure de l’élastique
Ne confond pas le croisement des mots
Et le croisement des directions
Mais elle sait qu’un véritable poème
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Lorsqu’il croise les mots comme par exemple entre deux mots
Entre deux élastiques croise aussi deux directions
Si un poème est toujours une cassure il est donc
aussi toujours une bifurcation
Le poème est une fidélité à la poésie
Telle La Voix…
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Trajectoires
Travailler en tant que psychologue clinicienne et psychanalyste de
nombreuses années auprès d’enfants, d’enfants sourds-muets ou pré-
sentant des troubles graves du langage.
Travailler quelques années auprès de personnes en fin de vie atteintes
de la maladie du sida.
Ces expériences cliniques m’ont conduit à aborder la question de la
voix.
Qu’est-ce que la voix ?
Qu’est que produit la voix dans sa dimension sonore, même si elle se
présente furtivement, se réduisant parfois à un fil vocal ?
Qu’est-ce qui reste « sur le bout de la langue » ?
La voix est-elle la défaillance du langage ?
Ou ce qui reste quand le langage défaille ?
146 - Ou ce qui précède, fomente le langage, ou le pétrit ?
La voix est source de l’action – une production – un surgissement
quand le langage est pris en défaut, pour faire de nouvelles rencontres –
transferts multiples.
La voix constituée d’apparitions est cet objet qui court après quelque
chose qui lui échappe et qu’elle désire. Telle, la voix ; telle l’écriture…
une rencontre plus ou moins réussie.
L’informe de la voix rejoint l’informulé de l’écrit.
À travers la voix dans l’écrit, surgissent des rencontres fortuites qui
nous font changer de voies – telles des apparitions.
La voix et l’écriture, les mouvements qui s’opèrent dans le dispositif
analytique produisent des désorientations, des bifurcations, des
moments accidentels côtoyant leur poésie intrinsèque.
La voix, écrire sur la voix est une manière de s’attarder sans s’échapper
trop vite sur la question des évènements apparaissants, des apparitions,
des surgissements, des évocations, des invocations, et des convocations.
Voix-écriture-théorie… Toute théorie est une fiction.
Trajets mobiles de regard, d’écoute, d’entendre – aux effets de voix.
Être saisi et dessaisi à la fois.
La voix est un lieu d’entrailles et d’entailles où le rythme vocal, blotti
dans le texte est une manière de laisser une empreinte.
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qu’on ne ressent pas vraiment mais qui brûle : « Je brûle ! Je brûle » est la
non-domination de soi et est l’ombre portée de la mort pour peu qu’on
ne remette pas la main sur le mot qui fuit. C’est cette main dans le
silence. C’est cette prédation silencieuse… Écrire, c’est approcher non
pas le feu – « Je brûle ! » – mais le foyer central où le feu prend sa
flamme.
Le poème est ce jouir. Le poème est le nom trouvé. Le faire corps
avec la langue est le poème… Une des pensées auxquelles je dois le plus
est celle de Kong-souen Long… Ce que les anciens Chinois repro-
chaient à Kong-souenLong, c’était de n’être d’aucune école… Par mal-
heur, pour son destin, le « n’être d’aucune école » était une conséquence
de sa pensée ; mais, par chance, pour sa pensée, cette conséquence de sa
pensée est peut-être tout simplement une conséquence de la pensée, du
fait de la défaillance.
IL y a deux propositions qui ont été montrées du doigt comme « sur-
prenantes » de la part de Kong-souen Long. Ce sont sans aucun doute
les propositions décisives :
« Il existe des pensées qui dérivent de nulle part.
Il y a des méditations sans aboutissement.
La larme, disent les bouddhistes, qui est située entre le langage et le réel ne peut être
épuisée. C’est le Gange172. » - 149
Pascal Quignard, Le nom sur le bout de la langue,
éd. Gallimard/Folio, 2001, p. 72-76.
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NOTES
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- L’épuisé, éd. de Minuit, 2002.
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TABLE
Introduction ............................................................................................ 5
La voix … ................................................................................................ 7
Jetez les dés ! Faites vos jeux ! La voix/un objet sans garantie ................. 12
À l’ombre de… la voix ! ......................................................................... 14
Comment penser la voix ?... Une échappée ! ...........................................17
La voix… un affect mutant !... une impulsion ....................................... 21
Une voix… déconcertante !
Une rythmicité musicale dans un espace polyphonique ....................... 24
La voix… un devenir ! ............................................................................ 27
La voix… un horizon multiple ! ............................................................. 29
La voix…/hors représentation, telle la musique ! ................................... 31
La voix, un phénomène de vitesse, territorialisation,
déterritorialisation, reterritorialisation .................................................. 33
Une voix que l’on cherche ! Une voix qui se cherche !
Une voix en attente… ............................................................................ 47
La voix… vacuité de l’air ! ...................................................................... 54
La voix se cogne aux murs ! Ligne de fuite… entre l’être et le rien ......... 57
La voix… une interjection !… une onomatopée .................................... 65
La voix… un corps saigné à blanc .......................................................... 69
La voix… flux sonores ........................................................................... 81
La voix… emplie de plis ........................................................................ 92
La voix… le son de la Voix… une voix qui vient…
on ne sait d’où… ................................................................................... 96
La voix… un cri… ! ............................................................................ 105
Le rythme… la vibration de la Voix ..................................................... 119
La voix… vers une prose poétique ....................................................... 126
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Effets de voix
La voix – cette inconnue – si proche et si lointaine : attachée, détachée,
Anne Décamps
parfois arrachée au corps.
Une ombre qui suit nos pas sans pouvoir l’attraper.
Impossible à voir – sans contour – pourtant si présente.
Flux sonores – modulations – trajectoires – blocages – bifurcations.
Étrange… intime… étrange, étrangère… intime, étrangère.
Réside dans la voix, un couinement… son grain, si présent et pourtant si
souvent négligé.
F. Kafka, M. Duras, G. Gould, S. Beckett, A. Artaud, J. Lacan,
Effets de voix
G. Deleuze, F. Guattari, H. Michaux, A. du Bouchet, P. Quignard, G.
Clerambault, M. Tsvetaïeva… Autant d’éclats de voix !
Effets de voix
Si le poète devance le psychanalyste, ce livre tente de dégager les processus
de subjectivations qui s’engagent lorsqu’on produit de la voix.
Semblables à une rafale de fables, ces écrits libèrent des sons, des sonori-
tés, des visions, traversées de désirs – libérés ou retenus, rythmes, visibili-
tés, invisibilités dans le champ du désir.
CS