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Histoire du repos 1st Edition Alain

Corbin
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Du même auteur

Les Filles de noces, Aubier, 1978.


Le Miasme et la Jonquille, Flammarion, 1982.
Le Territoire du vide – L’Occident et le désir du rivage 1750-1840, Aubier, 1988.
Les Cloches de la Terre, Albin Michel, 1994.
Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot, Flammarion, 1998.
La Douceur de l’ombre, Fayard, 2013.
Les Filles de rêve, Fayard, 2014.
Histoire du silence, Albin Michel, 2016.
La Fraîcheur de l’herbe, Fayard, 2018.
Terra Incognita – Une histoire de l’ignorance, Albin Michel, 2020.
La Rafale et le Zéphyr, Fayard, 2021.
© Éditions Plon, un département de Place des Éditeurs, 2022
92, avenue de France
75013 Paris
Tél. : 01 44 16 09 00
Fax : 01 44 16 09 01
www.plon.fr
www.lisez.com

Mise en pages : Graphic Hainaut


Dépôt légal : mars 2022
ISBN : 978-2-259-31159-5

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Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le
consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les
articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Sommaire
1. Couverture
2. Du même auteur
3. Titre
4. Copyright
5. Citation
6. Introduction
7. 1. Sabbat et repos paradisiaque
8. 2. Le repos éternel, socle fondamental de cette histoire
9. 3. Repos et quiétude
10. 4. Le retrait, la retraite aux Temps modernes, ou « l’art de se
forger un repos »
11. Interlude - Charles Quint
12. 5. La disgrâce, occasion de repos
13. 6. Le repos au sein du confinement
14. 7. Commodités et nouvelles postures du repos, XVIIIe-XIXe
siècles
15. 8. Le repos au cœur de la nature
16. 9. Le repos de la terre
17. 10. Repos dominical et « démon du repos »
18. 11. La fatigue et le repos
19. 12. Le repos thérapeutique de la fin du xixe siècleau milieu du
xxe siècle
20. Conclusion
21. Notes
22. Remerciements
23. Actualités des Éditions Plon
C’est dans les moments de repos que l’on sait
à quoi on pense.
Propos d’Alain, 28 juillet 1909.
Introduction

« Ah, si j’avais su créer une entreprise, je serais aujourd’hui sur le


dos. » L’expression m’avait frappé. Je discutais avec un ami de la
famille. Nous étions en 1977. Être sur le dos, ne rien faire et méditer.
Cela m’avait évoqué un roman des années 1930, Les Allongés. On y
parlait des malades, du soin mis à supporter le mal. Au pensionnat,
le dimanche, entre les deux messes, notre seul temps de repos de la
semaine était censé être consacré à la correspondance avec la
famille… Tant de bribes me reviennent qui disent une façon
aujourd’hui disparue de récupérer.
Dire ou se dire : « Il faut que je me repose », c’est formuler un
désir, un sentiment que l’on considère, sans y réfléchir, comme
l’expression d’un besoin élémentaire, de l’homme comme de
l’animal ; lequel, en quelque sorte, échapperait à l’histoire. Rien n’est
plus faux. Les définitions, les figures du repos n’ont cessé de varier
au cours des siècles ; et, le plus souvent, de s’imbriquer, de se
superposer, de se combattre. À l’évidence, il n’est pas de similitude
entre le souhait d’accéder, un jour, au repos éternel et celui de jouir
d’un repos permettant de vaincre le « burn-out ».
Or, enfant, je me souviens de cette formule souvent entendue :
« Ne le dérange pas, il se repose. » Une forme de gravité, une
pointe de sacré entouraient ces moments. On savait pourtant que la
personne concernée ne dormait pas. Alors, que faisait-elle ? Plus
tard, au service militaire, trois formules réglaient notre
comportement : garde à vous, présentez arme, repos. Répétées à
chaque exercice ou rassemblement. Les postures marquaient trois
positions bien définies. Le repos ne l’était guère, mais exigeait une
moindre tension, comme dans le sport, quand on accorde un temps
de pause entre deux exercices. Le relâchement. Ce livre n’est pas
consacré à ces temps spécifiques qui définissent un moment
d’évasion entre deux activités. Le but est de comprendre la
conception même du repos de nos ancêtres et de faire éprouver le
vertige de l’être qui le caractérisait.
Il ne s’agit pas, dans ce livre, d’empiler le fruit des études,
d’ailleurs en nombre assez restreint, consacrées à cet objet. Notre
visée est, en adoptant un regard surplombant, de repérer la genèse
ou l’éventuelle amplification de figures et de techniques du repos au
fil du temps ; en tentant de discerner le moment fort de chacune
d’entre elles et leur éventuel affaissement. Alors se dessineront des
périodes, au sein d’une histoire faite de superposition, de novation et
d’inertie sous forme d’« épaves de culture ».
Le repos a été si important dans le monde d’avant qu’il a envahi
toute la création artistique. La peinture a représenté ces scènes où
l’on voyait un personnage retiré en lui-même, loin du labeur. La
littérature aussi a évoqué ces instants, nous le verrons. Pourtant,
dans ce livre, j’ai voulu privilégier les sources non fictionnelles pour
mesurer comment les croyances sociales et humaines se sont peu à
peu construites sur le sujet. Ainsi ai-je, sauf à de rares exceptions,
laissé de côté les romans.
L’objet est donc de faire comprendre le chemin qui mène du temps
où le repos était identifié au salut, c’est-à-dire à un état d’éternité
heureuse, au « grand siècle du repos », qui s’étend, pour faire
simple, entre le dernier tiers du XIXe siècle et le milieu du XXe. Alors
s’additionnent, avec plus ou moins de décalage, la création de la
nouvelle figure hédonique des plages, le triomphe du repos au soleil
que symbolise la mode du bronzage, le repos thérapeutique pratiqué
dans les sanatoriums, nouveaux temples du repos, et l’ampleur, en
France, de la revendication de congés payés, perçus comme temps
de repos destiné à remédier à la fatigue due au travail.
Pour suivre ces pistes, il faut remonter à l’origine du repos, dans
cette époque lointaine au fondement du monde occidental, les
temps bibliques.
1
Sabbat et repos paradisiaque

La croyance selon laquelle, à l’issue de la Création relatée dans la


Genèse, Dieu se serait « reposé » a longtemps fondé et justifié, pour
les âmes simples, le fait de se reposer le septième jour. Cette
conviction se réfère au repos sabbatique des Juifs, lequel résulte
d’injonctions diverses contenues dans l’Exode, le Lévitique et les
Nombres, non dans la Genèse. Ce prétendu repos de Dieu, croyance
partagée par nombre de chrétiens mal informés, n’est pas, selon
l’Église, celui d’un Créateur fatigué. Il est erroné de le supposer car
cela serait contraire à la perfection, à l’éternité de Dieu, et
rabaisserait sa personnalité au statut de certaines de ses créatures.
Aux yeux des théologiens chrétiens, le « repos de Dieu », célébré le
premier jour de la semaine (cf. infra) et non le septième, est
« poussée créatrice » qui inaugure un nouveau « transfert d’énergie
sur la Création », le commencement d’un cycle. En bref, repos, ici,
ne signifie pas ne rien faire1*.
Reste que la prescription faite au fidèle de se reposer le septième
jour est réitérée dans la Bible. Dans l’Exode, Yahvé dit à Moïse :
« Toi, parle aux Israélites et dis-leur : vous garderez bien mes
sabbats, car c’est un signe entre moi et vous pour vos générations,
afin qu’on sache que je suis Yahvé, celui qui vous sanctifie. Vous
garderez le sabbat car il est saint pour vous2. » Cette parole divine
qui ordonne le sabbat le constitue, tout à la fois, en signe de
l’Alliance entre Dieu et son peuple et en temps sacré qui a pour effet
de sanctifier le fidèle. La parole de Yahvé adressée à Moïse ne
s’arrête pas là : « Qui le profanera [le sabbat], ajoute-t-il, sera mis à
mort ; quiconque fera ce jour-là quelque ouvrage sera retranché du
milieu de son peuple3. » La rigueur des sanctions prouve
l’importance que Yahvé attache au repos le jour du sabbat ; d’autant
qu’il réitère l’injonction de la mise à mort. « Pendant six jours on
fera l’ouvrage à faire, mais le septième jour sera le repos complet,
consacré à Yahvé4. » Ici est défini le sens conféré au septième jour
dans l’histoire des Juifs, et les chrétiens s’en inspireront tout en
modifiant le sens, répétons-le. Ce jour n’est pas jour de repos en
vue d’un simple délassement, c’est, avant tout, un jour consacré à
Dieu, qui scelle une « alliance éternelle » ; « c’est un signe à
perpétuité ». Aucune instance chrétienne n’omettra de dire que le
repos dominical sanctifie le temps de ce jour.
Dans plusieurs des livres suivants, Yahvé répète l’injonction. Ainsi,
dans l’Exode, il précise : le septième jour tu chômeras, « que ce soit
les labours ou la moisson ». Surtout, il précise de nouveau qu’il sera
« pour vous [les Israélites] un jour saint, un jour de repos complet
consacré à Yahvé ». L’essentiel n’est pas tant le repos complet que
sa valeur sainte. « Vous n’allumerez de feu, le jour du sabbat, dans
aucune de vos demeures5. »
Dieu revient sur le sujet dans le Lévitique. Il renouvelle ses
injonctions et fait du sabbat « le jour de sainte assemblée » ; ce qui
étend la portée de ce septième jour.
Les commentateurs de l’École de Jérusalem indiquent ce qui, à leur
avis, constitue le sens du dimanche chrétien : ce temps serait, pour
les fidèles, le premier jour de la semaine (cf. chapitre 10) où grâce
est rendue à « celui qui crée et recrée le monde […], celui qui
inaugure l’éternité6 ». Il est important de suivre l’entrelacs des
interprétations du texte biblique entre Juifs et chrétiens.
Revenons à la Bible et, plus précisément, au Lévitique. On y lit la
création, parmi les « années saintes », d’une « année sabbatique7 ».
La fondation de ce temps associe la nature à la notion de repos.
« Lorsque vous entrerez au pays que je vous donne, enjoint Yahvé,
la terre chômera un sabbat pour Yahvé. Pendant six ans tu
ensemenceras ton champ, pendant six ans tu tailleras ta vigne et tu
récolteras les produits. Mais en la septième année, la terre aura son
repos sabbatique, un sabbat pour Yahvé : tu n’ensemenceras pas
ton champ et tu ne travailleras pas ta vigne, tu ne moissonneras pas
tes épis, qui ne seront pas mis en gerbe, et tu ne vendangeras pas
tes raisins, qui ne seront pas émondés. Ce sera pour la terre une
année de repos. » En outre, ce « sabbat de la terre » sera
accompagné tous les quarante-neuf ans d’une année jubilaire,
précédant la cinquantième au cours de laquelle, de nouveau, la terre
sera laissée en jachère. Ce repos de la terre mérite d’être souligné
mais, selon les commentateurs, il ne s’applique spécifiquement qu’à
la Terre sainte ; c’est pourquoi les chrétiens ne reprendront pas
l’injonction.
Il était nécessaire de rappeler l’origine biblique, fortement réitérée,
de la fondation du sabbat enjoint à Moïse, que les chrétiens
transformeront en un dimanche, jour de repos parce que consacré
au Dieu créateur (cf. infra).
Revenons à la lecture de la Genèse car on y discerne un autre
repos : celui de l’homme installé au centre du paradis terrestre. En
effet, c’est la Faute, suivie de la Chute et du châtiment d’Adam et
Ève, qui implique la mort des hommes, la révolte des animaux, leur
entre-dévorement et l’astreinte au travail pénible. Pour me faire
comprendre, je me réfère à l’épopée la plus célèbre du XVIIe siècle :
Le Paradis perdu de Milton. L’auteur a fort bien perçu l’importance et
décrit la nature du repos paradisiaque dont l’homme se trouvera
privé au lendemain de la Chute. Son texte participe au façonnement
de l’imaginaire du repos ; c’est pourquoi il relève de notre objet.
Milton dessine la figure d’une fatigue paradisiaque spécifique et, du
même coup, celle d’un repos inconnu des hommes. Adam et Ève, le
jour, se livrent au jardinage « sous un bosquet d’ombrage, qui
murmure doucement sur un gazon vert ». « Ils s’assirent, écrit
Milton, au bord d’une limpide fontaine. Ils ne s’étaient fatigués au
labeur de leur riant jardinage, qu’autant qu’il le fallait pour rendre un
frais zéphyr plus agréable, le repos plus paisible, la soif et la faim
plus salutaires » ; subtile économie qui définit un repos magnifié par
une douce fatigue ; radicalement différente de celle qui imposera,
après la Chute, de prendre du repos. Au cœur du paradis terrestre, il
fallait, tout juste, que le repos fût désiré, qu’il fût, en quelque sorte,
un « doux besoin », lequel magnifiera celui qu’Adam et Ève
prendront dans leur « berceau » de feuillage inaccessible à toute
autre créature.
Tandis que les animaux jouaient, « ils se reposaient inclinés sur le
mol duvet d’une couche damassée de fleurs8 » ; et « se livraient,
nus, non embarrassés des vêtements que nous portons, aux
caresses naturelles à des époux si beaux » ; cela alors qu’ils étaient
seuls ; ce qui colore ce repos d’une émotion particulière. Adam et
Ève ignorent, ainsi, ce que pouvaient être les autres.
La nuit tombée, s’adressant à Ève, Adam met en rapport leur
ineffable repos et celui de la nature : « Belle compagne, l’heure de la
nuit, et toutes choses allées au repos, nous incitent à un repos
semblable9 » ; c’est que Dieu a, pour l’homme et la femme, rendu le
travail et le repos, comme le jour et la nuit, alternatifs. Cela dit, les
autres créatures, désœuvrées, ont moins besoin de repos que
l’homme ; et cela, parce que, au sein du paradis terrestre, ce dernier
a une œuvre assignée.
Milton se livre alors à un hymne qui exalte l’amour conjugal,
associé au repos nocturne de toute la Terre, vécu en un lieu
inviolable, si ce n’est par le serpent. Au lendemain du châtiment,
quand le paradis terrestre leur sera interdit, la première chose que
feront, selon Milton, les époux malheureux sera de « choisir le lieu
de leur repos10 ».

* Les notes se trouvent en fin de volume.


2
Le repos éternel,
socle fondamental de cette histoire

Durant près de deux millénaires, c’est le repos éternel qui a obsédé


les esprits et donné fondamentalement sens à la notion de repos.
Les théologiens, les prédicateurs, les moines, les pasteurs de toutes
catégories n’ont cessé de répéter que la vie, ici-bas, n’était que peu
de chose et que l’essentiel résidait dans le salut, c’est-à-dire en
l’accès à un repos paradisiaque, au milieu des élus, parmi les anges,
qui entouraient le Rédempteur, son Père et le Saint-Esprit.
D’où l’importance de l’ars moriendi (art de mourir), des prières lors
des funérailles, au centre desquelles se chante le requiem. Il
constitue l’introït de la messe des morts, laquelle, de ce fait, a pour
synonyme « messe de requiem ». Le texte de cet introït est prière
pour le repos de l’âme d’un ou des défunts. Le terme requiem est,
en latin, l’accusatif singulier de requies, qui signifie « repos ». Les
premiers mots de l’introït sont : « Requiem aeternam dona eis,
Domine. » C’est-à-dire : « Donne-leur le repos éternel, Seigneur. »
Au cours de l’histoire des messes de requiem se sont accentuées les
références au Jugement dernier, à la résurrection et à la menace de
la damnation éternelle.
Préparer son salut, c’est-à-dire échapper aux griffes du démon en
évitant le péché, être animé par la peur que celui-ci inspirait était
l’essentiel en une vie. C’est pourquoi les cataclysmes naturels étaient
interprétés comme des châtiments envoyés par un Dieu en colère ou
comme des signes pour ne jamais oublier que l’essentiel résidait
dans le salut, dans l’obtention du repos paradisiaque.
À l’horizon de tout cela, l’épreuve à franchir avant d’obtenir ce
repos était le Jugement dernier, que l’on a longtemps imaginé
proche. Près des tombeaux des gisants, le portail des cathédrales et
autres églises évoquait ou représentait ce terrible jour où les
méchants seraient précipités dans la géhenne et ses tourments.
Les sculptures romanes et gothiques ont pesé sur les esprits –
peut-être, il est vrai, moins qu’on ne le répète – pour instiller cette
horreur du châtiment et le vif désir d’accéder à la compagnie des
élus.
Avant le XIXe siècle – et je me réfère au grand livre de Philippe
Ariès et à ceux qui ont été consacrés à la mort au XVIIIe siècle –, les
défunts n’étaient pas enterrés, comme ce fut le cas par la suite,
dans une tombe individuelle. Ce privilège était réservé aux élites et
aux membres du clergé ; néanmoins, dans la pensée de faciliter le
repos dans l’attente du Jugement dernier, il était d’usage de mettre
le défunt en position allongée ; et chacun garde en mémoire les
tombeaux des gisants installés dans les temples.
On pourrait penser que tout cela n’est qu’histoire très ancienne,
celle qui a fait l’objet de la grande trilogie de l’historien Jean
Delumeau, La Peur en Occident, Le Péché et la Peur : la
culpabilisation en Occident et Une histoire du paradis. Ce n’est pas si
simple.
Les cérémonies au cours desquelles l’on chante le requiem, les
« messes de requiem », se célèbrent encore fort souvent de nos
jours, nonobstant le recul de la pratique. Bien des plus grands
musiciens de l’époque contemporaine ont tenu à inscrire leur
requiem dans une longue liste de chefs-d’œuvre : Mozart, Berlioz,
Verdi, Brahms, Fauré dont le In paradisum illustre magnifiquement la
douceur du repos paradisiaque souhaité au défunt.
Un des grands moments musicaux de l’histoire chrétienne de ce
dernier se trouve dans les ultimes minutes de la Passion selon saint
Matthieu de Jean-Sébastien Bach. Après que le corps du Christ a été
mis au tombeau et que la pierre a été scellée, il est répété par le
chœur des fidèles : « Jésus repose doucement ! » Et le récit de la
Passion se termine par la réitération, accompagnée de la musique la
plus sublime, de l’aspiration à ce « doux repos », que les fidèles
souhaitent aussi à eux-mêmes, la mort venue.
À la fin du Samson de Haendel, les membres du cortège qui
conduit la dépouille du héros à sa dernière demeure, après la
destruction du temple et la mort des Philistins, lui souhaitent un
repos « éternel et doux ». Une fois encore est dite l’association du
repos et de la douceur. Ainsi la musique sacrée, en deux de ses plus
hauts sommets et sans qu’il s’agisse de messes de requiem,
souhaite-t-elle au défunt la douceur du repos.
Au cours du XVIIe siècle, Bossuet, dans son sermon sur la mort –
un des plus grands textes de la littérature française –, a su
admirablement appeler au mépris de la vie terrestre, à l’aspiration au
repos éternel ; et ce n’est qu’un exemple.
L’analyse du cantique de requiem aide à bien comprendre
l’importance qu’a revêtue le repos éternel et la nécessité de le poser
en socle de ces variations historiennes sur la multiplicité des figures
du repos ; toutes inspirées par l’existence de temps courts, souvent
fragmentés, fort éloignés du sens d’une durée éternelle. Une donnée
se fait bien souvent récurrente : on ne doit pas troubler le « repos
des morts », le pire à ce propos étant le viol de leur sépulture.
Respecter les morts, c’est ne pas offenser leur mémoire ; il faut à ce
propos toujours « laisser les cendres en repos » ; et les cimetières
sont parfois nommés « champ du repos ».
3
Repos et quiétude

Point de bonheur où il n’y a point de repos,


et point de repos où Dieu n’est point.
Massillon

La figure du repos selon Pascal est extrêmement complexe ; et la


fragmentation des textes ne facilite pas la tâche de l’analyste. En
premier lieu, selon l’auteur des Pensées : « Rien n’est si
insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans
passions, sans affaire, sans divertissement, sans application. »
Pascal explique cette affirmation forte : l’homme « sent alors son
néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son
impuissance, son vide ».
Il précise la gamme des affres que fait éprouver à l’homme « le
plein repos » : « [Il] sortira du fond de son cœur, de son âme
l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir1. »
L’ennui a, dans son cœur, des « racines naturelles ». Il remplit
« l’esprit de son venin2 ». Le lecteur songe alors à la menace de
l’acedia médiévale3 et, surtout, relève la précision des multiples
états d’âme suscités par l’ennui. Le paradoxe est que « l’homme qui
n’aime que soi ne hait rien tant que d’être seul avec soi4 ».
Menacé par l’ennui, résultat du plein repos, l’homme ne cesse de
s’en préserver par le divertissement ; c’est-à-dire par le mouvement,
le « remuement », l’agitation, le « trouble », le bruit, le jeu, lesquels
détournent de penser à sa malheureuse condition.
Quel que soit son état, l’absence de « divertissement » rend
l’homme malheureux. Il en va de même quand il se trouve dans la
solitude. En bref, il lui faut sortir et « mendier le tumulte » pour
« être diverti de penser à soi ». Sans divertissement, aux yeux de
l’homme, « il n’y a point de joie, avec le divertissement il n’y a point
de tristesse5 ».
Or, assure Pascal, le repos, rejeté, est paradoxalement désiré ; et
cela sincèrement, du fond de l’âme. Un instinct secret pousse
l’homme au repos, alors qu’il se tient dans l’ignorance de ce qu’il est.
Pour sa part, Pascal confie : « J’ai découvert que tout le malheur des
hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer
en repos, dans une chambre6. »
Un instinct secret pousse les hommes au divertissement mais il est
« un autre instinct secret, qui reste de la grandeur de notre première
nature, qui leur fait connaître que le bonheur n’est en effet que dans
le repos et non pas dans le tumulte ; et de ces deux instincts
contraires, il se forme en eux un projet confus, qui se cache à leur
vue dans le fond de leur âme, qui les porte à tendre au repos par
l’agitation7 », mais, plus profondément, au repos en Dieu. En effet,
la conclusion des Pensées que Pascal consacre au repos est qu’il
« faut chercher Dieu8 ».
En ce XVIIe siècle, une autre tension se manifeste qui nous conduit
à nous attarder sur une notion essentielle à qui veut comprendre la
signification de ce qui est qualifié de « repos en Dieu ». Il s’agit de
la quiétude. Elle est alors objet de débats ; et l’on se souvient de la
querelle du quiétisme qui a fait se disputer théologiens, prélats,
prédicateurs et dévots, à la fin dudit siècle. La quiétude est en ce
temps au cœur de notre objet. Elle colore en profondeur la séculaire
notion de repos en Dieu. Quies signifie quiétude, laquelle, bien
entendu, est totalement détachée de la notion de fatigue ; le penser
relèverait d’un grave anachronisme.
Passons vite sur la généalogie de la notion ; soulignons seulement
qu’elle s’enracine dans la gamme d’émotions des mystiques du siècle
précédent. Thérèse d’Avila considère la quiétude comme un grand
don de Dieu accordé lors du deuxième degré de l’oraison.
À ce stade, celui qui prie n’atteint pas encore l’état de ravissement,
ce « bonheur de l’âme » qui sera vécu ultérieurement. Au cours de
ce deuxième degré s’allume l’étincelle, accordée par Dieu ; c’est
alors le plus précieux de ses dons : la quiétude. « Le devoir de
l’âme, le temps où dure cette quiétude, c’est de ne rien faire qu’avec
douceur et sans bruit », éviter même les paroles de remerciements à
Dieu. Ainsi s’opère l’union « de la volonté et du repos » ; alors
s’effacent les phrases, les discours, « tout bruit de l’entendement ».
Donc, dans ces moments de quiétude, commande Thérèse, « laissez
l’âme reposer dans son repos, mettez le savoir de côté ». En ce
deuxième état, l’orant se met entièrement en présence de Dieu,
lequel veut que « l’âme se fasse niaise9 ».
Au siècle suivant, François de Sales s’inspire de Thérèse d’Avila
mais s’attarde plus longuement sur la notion de quiétude. Son
Introduction à la vie dévote, ouvrage dans lequel il traite du sujet,
connut un immense succès ; innombrables furent les jeunes filles et
les femmes qui s’en inspirèrent. François de Sales définit l’état de
repos qu’il qualifie de quiétude ; il en détaille la pratique, les
degrés ; il indique la manière de la conserver car le risque est
permanent de perdre cet état. Pour mieux expliciter sa pensée, il se
fonde sur les textes évangéliques.
Voyons comment il définit la quiétude : la Salamite10 a connu un
état de son âme « tout paisible », « elle est toute tranquille et en
repos ». Or, au cours de l’oraison, « ce repos passe quelquefois si
avant en sa tranquillité, que toute l’âme et toutes les puissances
d’icelle demeurent comme endormies, sans faire aucun mouvement
ni action quelconque, sinon la seule volonté, laquelle ne fait aucune
autre chose sinon recevoir l’aise et la satisfaction que la présence du
Bien-Aimé lui donne » ; et cela « sans sentir que nous sentons11 ».
L’âme qui en ce doux repos jouit de ce délicat sentiment
« tranquille en son Dieu ne quitterait pas ce repos pour tous les plus
grands biens du monde ». Ainsi, Madeleine, aux pieds de Jésus12,
écoutait sa sainte parole : « Assise en une profonde tranquillité, elle
ne dit mot, elle ne pleure point, elle ne sanglote point, elle ne
soupire point, elle ne bouge point. » Elle écoute. Jésus assure
« qu’elle a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point ôtée » ; et
François de Sales précise que cette part était de « demeurer en paix,
en repos, en quiétude auprès de son doux Jésus13 ».
Puis il explique comment ce « repos sacré » se pratique. Comme le
petit enfant attaché au sein, « l’âme qui est en repos et quiétude
« suce presque insensiblement la douceur de la présence14 » de
Dieu, sans inquiétude… N’a-t-elle pas sujet de demeurer en repos ?
demande François de Sales : en cet état, elle s’abandonne à la
jouissance d’une présence… « tout le reste de l’âme demeurant en
quiétude avec elle15 ».
Afin de conserver la quiétude, il faut éviter de se comporter comme
ces gens qui, « en lieu d’occuper doucement leur volonté à sentir les
suavités de la présence divine, ils emploient leur entendement à
discourir sur les sentiments qu’ils ont16 ». « L’âme […] à qui Dieu
donne la sainte quiétude […] se doit abstenir tant qu’elle peut de se
regarder soi-même ni son repos, lequel pour être gardé ne doit point
être curieusement regardé, car qui l’affectionne trop le perd17. »
Autre injonction : si l’âme ne peut s’empêcher d’être divertie par ce
qui l’environne, qu’elle « conserve au moins la quiétude en la
volonté ». Surtout, qu’elle ne se remue point « pour ramener les
autres puissances qui s’égarent », telle l’imagination « car elle
perdrait son repos18 ».
La subtilité des chemins de l’oraison, l’intrication de la tranquillité et
de la suavité, la perte de l’écoute de soi et, avant tout, la réussite
d’un repos absolu de l’âme ne pouvaient être tues par qui pratiquait
l’impératif d’une histoire compréhensive du temps passé. L’oubli
contemporain de la notion de quiétude – mais non de son
antonyme : l’inquiétude – serait de mauvaise démarche historienne.
Face à Fénelon et à François de Sales se dresse, durant cette
seconde moitié du XVIIe siècle, la forte personnalité de Bossuet. On
ne s’étonne pas de voir ce farouche ennemi du quiétisme poser sur
le repos un regard différent. Il ne l’exalte pas, sauf en quelques
rares allusions. En son sermon sur la mort, Bossuet dévoile
fermement sa pensée ; elle est celle de l’Église. Le repos est avant
tout le repos éternel. La mort met l’homme en attente, en repos ; lui
qui quitte son « ancien édifice » – le corps – est destiné à devenir
une chair renouvelée. Dieu, assure Bossuet « nous donne un
appartement, pour nous faire attendre en repos l’entière réparation
de notre ancien édifice19 ».
Bossuet est impressionné par la grandeur de la règle monastique,
notamment celle de Benoît et celle de Bernard de Clairvaux,
personnalités admirables à ses yeux, auxquelles il consacre plusieurs
panégyriques. Or, à les lire, il n’est guère question de repos au sens
où nous l’entendons en ce XXIe siècle. Les temps de prière et de
méditation suffisent à restaurer la force nécessaire à la réalisation
des tâches. En ce qui concerne les fidèles, Bossuet estime, en son
deuxième panégyrique de saint Benoît, que les « sentiers de la
perfection » excluent le repos car le voyage du chrétien implique que
celui-ci se tienne « toujours en haleine » ; c’est bien, assure-t-il, le
projet du saint. En effet, la croyance d’être parvenu au but fait
qu’« on se relâche ; le sommeil nous prend, on périt ». Le chrétien
est en permanence menacé par un « assoupissement de l’âme »
contre lequel il doit sans cesse lutter. « Il y a en nous, assure
Bossuet, une partie languissante qui est toujours prête à s’endormir,
toujours fatiguée, toujours accablée, qui ne cherche qu’à se laisser
aller au repos. » « [Cette] partie languissante et endormie lui dit [au
fidèle] pour l’inviter au repos : tout est calme, tout est accoisé ; les
passions sont vaincues, les vents sont bridés, toutes les tempêtes
apaisées, le ciel est serein, la mer est unie, le vaisseau s’avance tout
seul […] ; ne voulez-vous pas prendre un peu de repos ? L’esprit se
laisse aller, et sommeille : assuré sur la face de la mer calmée […],
et laisse aller le vaisseau à l’abandon : les vents se soulèvent, il est
submergé20. »
Les puissantes métaphores marines et maritimes, qui rappellent
subtilement que le voyage en mer est symbole de la vie du chrétien
voguant vers son salut, sont caractéristiques des références au
monde cosmique, si prégnant dans l’écriture de Bossuet. En outre, la
règle de Benoît, à ses yeux « docte et mystérieux abrégé de toute la
doctrine de l’Évangile21 » indique le risque de sujétion de l’âme
qu’implique le repos.
Cette tension entre l’exaltation de la quiétude qui est repos en Dieu
et la tentation du repos qui est risque de naufrage illustre la
complexité de la notion même de repos dans la théologie catholique
du XVIIe siècle. Nous la retrouverons au siècle des Lumières quand,
associée à la sécularisation de la notion de repos, face à l’exaltation
de la quiétude, monteront les affres de l’inquiétude, si bien
analysées par Jean Deprun22.
4
Le retrait, la retraite aux Temps modernes, ou « l’art
de se forger un repos »

Il est une forme de repos très débattue aux XVIIe et XVIIIe


siècles ; c’est celle qui s’allie au « retrait » et à la « retraite ». Elle
concerne les hommes et, très secondairement, les femmes qui « ont
vécu » et qui doivent se soucier « du temps qui leur reste », pour
reprendre une formule de La Rochefoucauld. À la fin du XVIe siècle,
Montaigne, qui revient à plusieurs reprises sur cet objet, désigne
tout d’abord le temps auquel il convient de prendre du repos par le
retrait. Il est un moment où l’individu se dit : « C’est assez vescu
pour autruy, vivons pour nous au moins ce bout de vie. Rame- nons
à nous et à nostre aise nos pensées et nos intentions. » « Noz forces
nous faillent, retirons-les et resserrons en nous1. »
Cela est, bien souvent, décision difficile : « Ce n’est pas une legiere
partie que de faire seurement sa retraite » ; « préparons-nous-y ;
plions bagages ; prenons de bonne heure congé de la
compaignie2 ». Il est des complexions « plus propres à ces
préceptes de la retraite les unes que les autres ». Cela est,
notamment, difficile aux « âmes actives et occupées qui embrassent
tout et s’engagent par tout, qui se passionnent de toutes choses3 ».
Montaigne s’arrête longuement sur la décision que l’on doit prendre
de se retirer en faveur de ses enfants. Un père « atterré d’années et
de maux, privé, par sa faiblesse et faute de santé », doit avoir
« désir de se despouiller pour se coucher4 ». Ainsi, il a conseillé à un
gentilhomme veuf et « fort vieil » « d’une vieillesse toutefois assez
verte » de laisser sa maison à son fils et « de se retirer en une
sienne terre voisine, où personne n’apporterait incommodité à son
repos… il m’en creut, et s’en trouva bien5 ».
L’essentiel – et cela concerne les gens les plus sages – est de se
forger un repos. Montaigne indique une série de tactiques
permettant d’atteindre ce but.
Le retrait – ou la retraite – est d’abord abandon. Montaigne
énumère ce qu’il implique de quitter : « Celuy qui se retire […] doit
avoir prins congé de toute espece de travail […] et fuir en général
les passions qui empeschent la tranquillité du corps et de l’âme et
choisir la route qui est plus selon son humeur6. » « La plus contraire
humeur à la retraite, c’est l’ambition. La gloire et le repos sont
choses qui ne peuvent loger en mesme giste7. » Il convient, dans
une perspective stoïcienne, de « donner sa fin de vie à l’ombre ».
« Celuy qui se retire, ennuié et dégousté de la vie commune, doit
former celle-cy [la retraite] aux règles de la raison, l’ordonner et
ranger par préméditation et discours.8 » Il doit s’éloigner de tout
tourment.
Au moment du retrait, chacun est source de son repos ; ce qui
implique de « se contenter de soi-même », de se « resserer en soi »,
de se retirer en soi, de « vivre pour soi », de ne penser qu’à soi ; de
« n’espouser rien que soi9 ». Cela dit, « il faut réserver
d’embesoignement et d’occupation autant seulement qu’il en est
besoing pour nous tenir en haleine » et éviter les « incommodités »
d’une « lasche oysiveté10 ». Ainsi, conclut-il, de ne lire que des livres
« plaisans et faciles » ou « ceux qui me consolent et conseillent à
régler ma vie et ma mort11 ». En bref, mieux vaut préférer et
aiguiser son appétit à ce qui reste, à ce que l’âge ne lui a pas encore
dérobé.
L’occupation qu’il faut alors choisir « ce doit estre une occupation
non pénible ny ennuyeuse… cela dépend du goust particulier d’un
chacun12 ». Ainsi, Montaigne confie détester résolument le soin du
ménage et conseille à celui qui envisage une « pleine et grasse
retraite » de laisser à ses gens « ce bas et abject soing13 ».
Montaigne balaie les obstacles qui sont crainte du repos du fait de
la peur de se retrouver ou de sombrer dans l’ennui.
Un siècle plus tard, La Rochefoucauld énumère avec précision « les
raisons naturelles qui portent les vieilles gens à se retirer du
commerce du monde : le changement de leur humeur, de leur
figure, et l’affaiblissement des organes les conduisent
insensiblement, comme la plupart des autres animaux, à s’éloigner
de la fréquentation de leurs semblables. L’orgueil, qui est inséparable
de l’amour-propre, leur tient alors lieu de raison : ils ne peuvent plus
être flattés de plusieurs choses qui flattent les autres […]. En outre,
ils ont vu mourir un grand nombre de leurs amis […] et ils n’ont
même presque plus de part à la gloire14 ».
« Chaque jour leur ôte une portion d’eux-mêmes ; ils n’ont plus
assez de vie pour jouir de ce qu’ils ont, et bien moins encore pour
arriver à ce qu’ils désirent ; ils ne voient plus devant eux que des
chagrins, des maladies, de l’abaissement ; tout est vu, et rien ne
peut avoir pour eux la grâce de la nouveauté15 ».
Un tel pessimisme se trouve, dans la pensée de La Rochefoucauld,
à peine tempéré par des réflexions plus positives. Restent aux
hommes retirés, « détrompés des désirs inutiles », les choses
soumises à leur volonté, dont ils se rapprochent ou s’éloignent
comme il leur plaît et font tout dépendre d’eux. « Leur goût se
tourne alors vers des objets muets et insensibles ; les bâtiments,
l’agriculture, l’économie, l’étude » en lesquels « ils sont maîtres de
leurs desseins et de leurs occupations16 ».
Mais il y a plus profond. La Rochefoucauld, se référant à Lucrèce et
s’adressant au retraité : « Pourquoi ne te retires-tu pas de la vie
comme un convive rassasié et ne te résignes-tu pas, sot que tu es, à
prendre un repos exempt de soucis ? » Il va de soi qu’en ce temps,
ce n’est pas la fatigue qui impose le repos mais le détachement,
l’absence de souci, la fuite loin de l’agitation. Le repos, en ce sens,
est détente qui permet à l’esprit de se régénérer, à l’individu
d’acquérir sagesse et sérénité ; sans oublier « la béatitude de l’âme
qui la console de toutes ses pertes et le fait renoncer à toutes ses
prétentions ».
En ce qui nous concerne, d’accord avec Montaigne,
La Rochefoucauld estime que, « quand on ne trouve pas son repos
en soi-même, il est inutile de le chercher ailleurs17 ». Toutefois, il fait
allusion à « la peur de se retrouver », laquelle, à son avis, est autre
et plus grave que le simple ennui.
Nombreux sont les moralistes des XVIIe et XVIIIe siècles qui ont
abordé la notion de repos. Ces variations illustrent le plus souvent ce
qui précède. Selon Madame de Sablé : « La possession de beaucoup
de biens ne donne pas le repos qu’il y a de n’en point désirer18 » ;
et, selon Étienne-François de Vernage, « le repos de l’homme
dépend du calme de ses passions et du retranchement des
inquiétudes et des soins superflus. C’est en vain qu’il le cherche
ailleurs19 ».
La profondeur des réflexions de La Bruyère se détache au sein de
cette cohorte. Il clame « le meilleur de tous les biens… c’est le
repos, la retraite [notons le lien] et un endroit qui soit son
domaine20 ». « La vie est courte et ennuyeuse : elle se passe toute
à désirer. L’on remet à l’avenir son repos et ses joies, à cet âge
souvent où les meilleurs biens ont déjà disparu, la santé et la
jeunesse21. » La Bruyère souligne la valeur du repos en tant
qu’objet de désir ; aux sots, il répond : désirez trois objets : « la
santé, le repos et la liberté22 ».
Dufresny remarque combien, autour de lui, le repos est objet de
désir, notamment chez les courtisans. L’un d’entre eux, âgé de
soixante-quinze ans, lui a confié : « J’ai beaucoup travaillé, et je n’ai
travaillé que pour avoir le moyen de vivre en repos ; j’espère bien
me reposer dans quelques années. » Désabusé et ironique, Dufresny
ajoute : « Je dirais volontiers que ceux de ce caractère travaillent
jusqu’à la mort, pour se reposer le reste de leur vie23. »
C’est le même sentiment que Diderot, gouailleur, exprime un siècle
plus tard. Évoquant les voyageurs embarqués sur un bateau qui est
en train de sombrer, tel qu’il est représenté par Joseph Vernet sur un
tableau que Diderot se réjouit de posséder, il imagine les pensées de
l’un d’entre eux, un « furieux » qui se promettait des gains
considérables à la fin de la traversée : « Il avait médité le repos et la
retraite ; il en était à son dernier voyage. Cent fois dans la route, il
avait calculé par ses doigts le fond de sa fortune ; il en avait arrangé
l’emploi : et voilà toutes ses espérances trompées24. »
L’homme est lui-même soit dans le tumulte soit dans le repos, écrit
Diderot dans son Essai sur la peinture ; « et le moment du tumulte
et le moment du repos ont cela de commun, écrit-il, que chacun s’y
montre ce qu’il est25 ».
Au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, Joseph Joubert revient à de
nombreuses reprises dans ses Carnets tout à la fois sur la vieillesse
et sur le repos. Il souhaite : « Repos aux bons ! paix aux
tranquilles26 ! » Le premier de ces deux états est essentiel, à ses
yeux, car « la privation de repos a un grand sens pour l’âme. Le
repos n’est pas un rien pour elle. Il lui représente un état où elle est
uniquement livrée à son propre mouvement sans impulsions
étrangères27 », loin de l’agitation : « Le désabusement dans la
vieillesse est une grande découverte28. »
Reprenant une réflexion énoncée par les moralistes qui l’ont
précédé, Joubert assure que « travailler pour n’avoir rien à faire,
c’est à cela que se passe la vie humaine. Le mouvement mène au
repos, le repos conserve en soi, se nourrit de lui-même29 ». Cette
exaltation du repos s’accompagne de celle de la vieillesse qui
possède la sagesse. « Voisine de l’éternité, [elle] est une espèce de
sacerdoce30. »
Interlude
Charles Quint

Arrêtons-nous un instant pour une respiration consacrée à


l’exemple de retrait le plus célèbre du XVIe siècle : celui de Charles
Quint, le 18 septembre 1555. La figure du repos se trouve nimbée
de plusieurs désirs dans la nature même de ce retrait : s’y mêlent
renoncement, détachement, art de bien mourir et soif de repos.
Charles Quint est alors âgé de cinquante-cinq ans. Rappelons que,
en ce milieu du XVIe siècle, les deux autres principaux monarques,
François Ier et Henri VIII, sont décédés à l’âge de cinquante-deux et
cinquante-cinq ans.
Bien des facteurs expliquent le retrait de Charles Quint. En tout
premier lieu, la tentation de la retraite était une tradition chez les
souverains espagnols ; elle appartenait à l’hispanité chrétienne.
Charles Quint, quant à lui, nourrissait le projet de renoncement
depuis fort longtemps ; il l’avait exprimé dès 1535. En outre, sa
santé était fort dégradée. Depuis l’âge de trente ans, il souffrait de la
goutte. Dès l’âge de quarante-sept ans, il apparaissait aux
observateurs comme un vieillard, à la main paralysée, à la jambe
souvent repliée sous lui. Il souffrait du diabète.
La religion occupait une très grande place dans sa vie. Il pratiquait
le jeûne, la macération, parfois la flagellation. Il aimait s’en aller
prier dans un monastère.
Depuis longtemps, Charles Quint avait préparé son projet de retrait
et choisi le lieu où il entendait se retirer. Parmi les trois traditions
auxquelles il était lié par ses ancêtres, la bourguignonne,
l’autrichienne et l’hispanique, il choisit cette dernière et décida de
faire retrait près d’un monastère de l’ordre de saint Jérôme –
spécifiquement espagnol –, celui de Yuste, situé en Estrémadure.
C’est toutefois à Bruxelles que, le 25 octobre 1555, il renonça
solennellement à la longue liste de ses charges et pouvoirs31 au
profit de son fils Philippe II, alors roi consort du royaume
d’Angleterre en tant qu’époux de la reine Marie Tudor.
Le voyage à destination du monastère de Yuste fut rendu très
difficile par une météorologie éprouvante et par des retards dans
l’édification de son petit lieu de retrait. En effet, Charles Quint ne se
fit pas moine comme on l’a parfois prétendu, mais il s’installa dans la
toute proximité du monastère de Yuste, à l’intérieur d’un modeste
bâtiment, confortablement meublé toutefois, décoré de huit tableaux
de Titien et de souvenirs de famille.
Durant les quelques mois de son séjour, Charles Quint jouissait
d’un accès direct au monastère et pouvait, de son appartement,
assister aux offices. A-t-il, alors, joui d’un repos, loin de l’agitation du
monde ? Sans doute partiellement, mais la réponse à cette question
n’est pas simple. Son retrait n’était pas complet : une série de
missives, de rapports, de requêtes le tenaient au courant des
événements du monde, de la victoire de Saint-Quentin comme de la
perte de Calais par les Anglais, ce qu’il déplora vivement. Mais plus
que les éventuelles menaces aux frontières, ce furent les progrès du
luthérianisme, au cœur même de l’Espagne, qui suscitèrent sa plus
forte colère.
Au cours de son retrait à Yuste, il se prépara à une mort sainte.
L’ancien empereur, répétons-le, suivait régulièrement les offices du
monastère : messes, vêpres et complies. Chaque jour, il écoutait un
ou plusieurs sermons, entendait des lectures de la Bible. Avant de se
coucher, il récitait une longue prière. Son confesseur, en permanence
à ses côtés, occupait une grande place dans son modeste intérieur.
Charles Quint disposait d’une petite bibliothèque qui lui permettait
nombre de lectures pieuses mais aussi celle de quelques ouvrages
d’histoire, notamment de tradition bourguignonne. Il pouvait,
régulièrement, se promener dans le petit jardin qui bordait son
logement.
Le 21 septembre 1558, ce n’est ni la goutte ni le diabète qui
l’emporta mais la malaria qui sévissait dans l’Estrémadure
septentrionale. Sa fin fut édifiante. Il demanda aux assistants de
l’aider à mourir et s’éteignit en prononçant le nom de Jésus à deux
heures du matin.
Convenait-il de dédier ces quelques pages dans un volume
consacré au repos ? On peut en douter, mais il est aussi possible que
Charles Quint, après avoir connu tant d’agitation, ait trouvé à Yuste,
au lendemain de son renoncement, un détachement qui, en lui,
s’apparentait à un repos.
5
La disgrâce, occasion de repos

Nous abordons le subtil statut du repos imposé par la disgrâce. Au


cours des XVIIe et XVIIIe siècles, principalement dans le royaume
de France, celle-là a revêtu, au sein de la société de cour, une
importance essentielle. Elle consistait en la privation de la présence
du roi. Être disgracié, c’était, pour un aristocrate, l’interdiction de
paraître à la Cour, le devoir de renoncer au tumulte de la vie
parisienne et l’obligation de se retirer dans ses domaines, en
province. J’avais, il y a quelques années, commenté la notion même
de ce type de territoire qui avait hérité une partie de ses traits des
représentations de la disgrâce1.
Au sein de la société de cour, la province était alors considérée
comme un enfer, un exil intérieur qui condamnait la victime à la
léthargie, à une mort symbolique. L’éloignement du tumulte
paraissait vouer aux affres de l’ennui. La disgrâce s’identifiait à la
rouille, à la moisissure. La crainte d’être oublié de la Cour et de la
ville accentuait les douleurs de l’éloignement.
Or, si l’on se réfère à Pascal, la disgrâce est l’occasion d’un repos –
car, désormais, « personne ne les empêche [les disgraciés] de
penser à eux2 ». L’exil peut se muer en désert autorisant
l’épanouissement de l’espace intérieur. Ainsi se dessine l’image d’un
repos compensateur des souffrances de la disgrâce : l’oisiveté
imposée facilitant la réflexion, autorisant de nouvelles manières de
goûter la vie, loin de l’agitation et du tumulte, sans, pour autant,
effacer les regrets.
La lecture de nombre de témoignages permet de discerner la
subtilité de ce repos. En effet, au cours de la disgrâce, l’échange
épistolaire se trouvait stimulé par l’éloignement, l’écriture de soi
enrichie par l’absence d’agitation ; ce qui, d’une certaine manière,
renouait subtilement avec des pratiques de l’épistolarité antique. La
disgrâce pouvait, en outre, être l’occasion de promenades, de
rencontres sociales qui reproduisaient, en réduction, celles de la
Cour ou de porter intérêt à la restauration de l’un ou de plusieurs
châteaux ; données qui, en un sens, évoquent l’otium cum dignitate
de l’Antiquité romaine, teintée de résignation stoïcienne.
À titre d’exemple, la longue correspondance échangée entre Bussy-
Rabutin3 et la marquise de Sévigné permet de discerner le complexe
entrelacs psychologique qui caractérise le premier, entre souffrance
de la disgrâce, recours aux pratiques de l’otium puis, par-delà,
renoncement, résignation et plaisir d’un repos compensateur, lequel
rattache son cas à notre objet.
Bussy-Rabutin, cousin de la marquise, homme de guerre valeureux,
a été disgracié dès 1659 par Louis XIV pour avoir, dans ses écrits,
révélé la conduite du roi. La Cour et la ville lui étaient interdites. Il
devait se retirer dans ses châteaux de Bourgogne. Tâchons de
condenser sa prolixe écriture. Bussy-Rabutin considère la disgrâce
comme un exil mais reconnaît qu’elle permet de goûter la vie d’une
autre manière que dans l’agitation de la Cour et le tumulte de la
ville. En attendant le « retour en grâce », il entretient et embellit ses
châteaux, procédant à des « ajustements », reçoit mille visites, se
rend à Dijon où fonctionne une société de cour en réduction. Il
goûte l’agrément de cette « petite régence ». Il s’émeut des fidélités
qu’on lui témoigne encore depuis Versailles. Il se résigne à constater
que, tout compte fait, il se trouve mieux traité que bien d’autres
disgraciés. Il évoque, à ce propos, les compagnons de Nicolas
Fouquet, le fastueux surintendant des finances emprisonné à
Pignerol.
Ce qui concerne proprement notre objet est que Bussy-Rabutin allie
la résignation et le repos. Le 12 août 1680, il confie à la marquise :
« La longueur de ma disgrâce m’a rendu indifférent sur tout ce qui
regarde ma fortune, et je ne songe plus qu’à bien vivre et me
réjouir… Puisque Dieu l’a voulu, j’aime autant la vie douce et
tranquille que je mène depuis quelques années qu’une vie plus
agitée. J’ai assez fait de bruit autrefois4. » Cet éloignement de
l’agitation, qui eût réjoui Pascal, comble la marquise, laquelle confie
à Bussy-Rabutin seize jours plus tard : « J’ai une grande joie, […]
que vous soyez enfin en repos dans votre château à philosopher et à
moraliser très utilement, car on ne peut bien penser comme vous
faites sans être bien armé et fortifié contre les cruelles opiniâtretés
de la fortune5 » ; et Bussy-Rabutin lui répond, le 4 septembre :
« Pour des réflexions, nous en faisons autant qu’une grande oisiveté
en peut permettre6. » En bref, il démontre qu’il a, dès lors,
surmonté les regrets de l’agitation, les affres de la disgrâce, pour,
après la résignation, s’abandonner à un véritable repos.
Lors d’un court séjour à Paris, effectué avec la permission du roi, il
avait confié à Madame de Sévigné, le 25 juin 1680 – année fort
intéressante du fait des changements qui s’opèrent chez Bussy-
Rabutin : « Pour les maux que cette Providence m’a faits en ruinant
ma fortune, j’ai été longtemps sans vouloir croire que ce fût pour
mon bien, comme me le disaient mes directeurs ; […] je ne dis pas
seulement pour mon bien en l’autre monde, mais encore pour mon
repos en celui-ci7. »
6
Le repos au sein du confinement

La réclusion peut-elle engendrer le repos par la contrainte ? Rien


n’est moins sûr. Soulignons tout d’abord que notre notion de
réclusion et ses rapports avec le repos ne concernent pas les moines
reclus pour mieux se livrer à la prière et faire leur salut loin de
l’agitation du monde. Ceux-là se trouvaient souvent contraints à un
temps de travail sans oublier qu’ils étaient en attente du repos
éternel. Les individus enfermés dans une prison ne se placent que
très rarement dans la perspective du repos ; de Silvio Pellico au
prince Napoléon, enfermé au fort de Ham, certains ont écrit leur
expérience ou leurs réflexions politiques. La prison a joué un grand
rôle dans la conception de la vie et l’œuvre du marquis de Sade,
sans que l’on relève l’importance de la notion de repos.
Il en va tout autrement du simple confinement, volontaire ou non,
temporaire ou non, provoqué par des accidents de la nature, des
décisions sanitaires ou réglementaires voire par la seule volonté de
l’individu. Gontcharov a axé son roman Oblomov1 sur un cas fictif,
extrême, inoubliable. Considérons quelques cas de confinement réel
documentés. Montaigne dit avoir rencontré un individu qui,
volontairement, s’était confiné durant de longues années et jusqu’à
la mort. Selon l’auteur des Essais, il était victime de la mélancolie. Le
lecteur peut penser qu’il s’agissait, pour ce reclus, de fuir l’agitation
du monde et de jouir de soi dans la tranquillité. En plus de
l’agitation, l’importunité, elle aussi, menace le repos. Ainsi le
XVIIe siècle est-il celui de la détestation des « fâcheux ».
Il s’agit de Jean d’Estissac, doyen de Saint-Hilaire de Poitiers. Nulle
référence n’est faite, en ce cas, à une démarche suscitée par le désir
érémitique, c’est-à-dire d’une solitude totalement consacrée à Dieu.

[L]ors que j’entray dans sa chambre, écrit Montaigne, il y avait vingt et deux
ans qu’il n’en estoit sorti un seul pas ; et si avoit toutes ses actions libres et
aysées, sauf un reum [rhume] qui luy tombait sur l’estomac. À peine une fois la
sepmaine voulait-il permettre que aucun entrast pour le voir : il se tenoit
toujours enfermé par le dedans de sa chambre, seul, sauf qu’un valet luy
apportoit une fois le jour à manger, qui ne faisoit qu’entrer et sortir. Son
occupation était se promener [donc dans sa chambre] et lire quelque livre […]
obstiné au demeurant de mourir en cette démarche, comme il fit bien tost après,
[en 1576]2.

Le confinement peut résulter d’un événement naturel. C’est ce qui


a suscité l’un des chefs-d’œuvre de la littérature française,
L’Heptaméron de Marguerite de Navarre. Bien qu’il relève de
l’imaginaire du repos dans le confinement, il a paru légitime de le
citer dans ce livre dans la mesure où « il s’insère dans la tradition
des récits d’enfermement dans des lieux préservés des misères et
des laideurs du monde ».
Dans ce cas imaginaire, le confinement est collectif, il aboutit à une
cessation de l’agitation, à un repos empli de distractions. Une petite
assemblée d’hommes et de femmes appartenant à l’aristocratie,
venus se soigner à Cauterets, se trouve confinée par le débordement
du Gave. Après qu’un certain nombre a péri, les survivants se
réfugient dans un monastère avant d’être, les jours suivants,
accueillis par la « bonne dame Oisille ». Puis la crue augmente. Dès
lors, les reclus cherchent quelques passe-temps pour « adoulcyr
l’ennuy », lequel est susceptible de rendre malade de tristesse.
L’un des reclus, Hircan, constate que les hôtes de la dame Oisille,
« mortifiés », ont besoin d’un passe-temps, après dîner et jusqu’aux
vêpres, « qui ne soit pas dommageable à l’âme et soit plaisant au
corps », et ainsi « passeront la journée joyeusement ». En bref,
Hircan propose de muer le confinement en temps de plaisir et de
repos de l’âme.
Parlamente ajoute une proposition précise, inspirée de la littérature
italienne : que « [t]ous les jours, depuis midi jusqu’à quatre heures,
nous allions dedans ce beau pré le long de la rivière du Gave, où les
arbres sont si feuillus que le soleil ne saurait percer l’ombre, ni
eschauffer la fraîcheur, là assiz à nos aises, chacun dira quelque
histoire. » « Au bout de dix jours auron[t] parachevé la centaine3. »
Dès le lendemain, l’assemblée formée de ces gens menacés par
l’ennui du fait de la privation de leurs passe-temps habituels fut
toute assise sur l’herbe, « si mole et délicate, qu’il ne leur faillait ny
carreau ni tapis ». Posture qui, en ce temps de confinement,
combine pratique de la religion – en vue du repos de l’âme – et
joyeux repos du corps au sein du pré à l’herbe verte ; et les histoires
se succèdent…
Dans la littérature française, le plus célèbre texte issu du
confinement proprement dit reste le Voyage autour de ma chambre
de Xavier de Maistre4. En effet, ce militaire aux arrêts dans une
chambre durant quarante-deux jours ne souffre pas d’une véritable
réclusion qui serait celle d’un coupable enfermé dans une prison.
Xavier de Maistre profite de ce temps d’isolement pour vivre un
repos qu’il nous faut analyser.
À lire le texte dans lequel il rapporte les plaisirs du confinement on
ne peut que songer aux écrits de Pascal concernant les bienfaits du
repos dans une chambre. En cette fin du XVIIIe siècle, la doctrine
des tempéraments qui associait la circulation des humeurs aux traits
de caractère était sur son déclin ; mais dans le cas de Xavier de
Maistre, il apparaît clairement que ce dernier pouvait être rangé
parmi les êtres dotés d’un tempérament lymphatique ; catégorie
d’individus attirés par le repos. À son propos, Florence Lotterie parle
d’« indolence souriante ». Xavier de Maistre, par ailleurs doté d’une
solide culture classique, aimait les délices de la flânerie, c’est-à-dire
un type de promenade s’apparentant au repos.
Après avoir vécu une jeunesse tranquille, l’existence de Xavier de
Maistre au sein des armées russes fut ponctuée de temps de repos.
On note, en lisant sa biographie, une tension entre l’itinérance et le
confinement. Comme plus tard bien des écrivains du XIXe siècle,
Xavier de Maistre goûtait à l’évidence « le voyage immobile » ; il
subissait la tentation du lieu clos comme « refuge choisi et stable »,
permettant le repos, loin de la vaine agitation5.
Dans cette perspective, la chambre s’impose, par excellence,
comme le lieu du repos. C’est pourquoi elle se situe, surtout en ce
temps où montent les attraits de la vie privée, au centre de notre
objet. Elle se fait rempart, refuge, lieu de plaisirs vécus dans la
solitude, d’une forme particulière de repos ; il ne s’agit pas, ici,
spécifiquement du lit, de sommeil, pas même des sensations
hypnagogiques qui le précèdent et qui ne peuvent être identifiés à
des temps de repos6.
Celui auquel nous nous référons ici résulte des plaisirs de la
solitude en chambre. Ce lieu est en rapport harmonieux avec la
conscience du sujet ; d’où une forme spécifique de repos. Celui-ci se
trouve qualifié par la présence d’objets familiers, souvent de ceux
qui racontent une histoire familiale ou, tout au moins, sont les
témoins du passé personnel, dans leur stabilité. Cette référence à
l’histoire de la famille et de soi parle à l’individu enclos dans sa
chambre, elle est obstacle à la dislocation de l’être.
Contentons-nous, pour l’instant, d’évoquer la robe de chambre.
Celle-ci s’impose, en ce temps, avec une force particulière au sein de
la cohorte d’objets qui symbolisent et même matérialisent le repos.
La souffrance éprouvée par Diderot quand on l’a séparé de sa vieille
robe de chambre manifeste le lien ancien avec un habit, par
excellence symbole du repos.

Pourquoi ne l’avoir pas gardée ? écrit-il. Elle était faite à moi, j’étais fait à elle.
Elle moulait tous les plis de mon corps sans le gêner ; j’étais pittoresque et beau
[…] Il n’y avait aucun besoin auquel sa complaisance ne se prêtât […].
Sous son abri, je ne redoutais ni la maladresse d’un valet, ni la mienne, ni les
éclats du feu, ni la chute de l’eau. J’étais le maître absolu de ma vieille robe de
chambre […]. Où est mon ancien, mon humble, mon commode lambeau de
calemande7 ?

C’est à l’extrême fin du XIXe siècle, après que Hugo et, plus
encore, Baudelaire ont dit goûter cela que le poète belge Georges
Rodenbach a analysé le discours de la chambre et de ses objets avec
le plus de talent. C’est dans la chambre que la sensation de repos
s’impose avec une force particulière, à certains moments, lors de
certains rituels. À ce propos, Xavier de Maistre souligne celle
éprouvée à l’instant du réveil et la saveur particulière du petit
déjeuner. Tels s’avivent les plaisirs du repos, vécu, éprouvé en un
lieu préservé de l’agitation, des laideurs et des misères du monde.
Bien entendu, cela s’accompagne de la convenance, de la
commodité, non seulement du lieu mais des objets conçus pour le
repos et sur lesquels il nous faudra revenir (cf. infra).
Xavier de Maistre décrit avec précision certains gestes qui
témoignent du repos et qui en accentuent la sensation. Lisons-le à
ce propos : « J’avoue que j’aime jouir de ces doux instants [du
réveil] et que je prolonge toujours, autant qu’il est possible, le plaisir
que je trouve à méditer dans la douce chaleur de mon lit. » Ailleurs,
il insiste sur le plaisir « de se sentir sommeiller », qu’il qualifie de
« plaisir délicat et inconnu de bien des gens. On est assez éveillé
pour s’apercevoir qu’on ne l’est pas tout à fait et pour calculer
confusément que l’heure des affaires et des ennuis est encore dans
le sablier du temps8 ».
Autre qualité du repos, plus forte celle-là : à en croire Xavier de
Maistre, il intensifie l’amitié – curieusement il ne parle pas de
l’amour. Évoquant l’un de ses amis, décédé récemment, à un
moment, déplore-t-il, où « notre liaison se resserrait encore dans le
repos et la tranquillité9 ! ».
Pour conclure, à propos du lien entre la chambre et le repos,
écoutons encore Xavier de Maistre assurer que « dans cette contrée
délicieuse, qui renferme tous les biens et toutes les richesses du
monde », s’est opéré « un changement dans ses idées et dans ses
sentiments10 ».
7

Commodités et nouvelles postures du repos, XVIIIe-


XIXe siècles

Le confinement peut s’associer au désir de la commodité, c’est ce


qu’indique La Bruyère, brossant le portrait d’Hermippe, lequel
« cherche en toutes choses » « ses petites commodités »
indispensables à la qualité de son repos. Bien qu’il s’agisse de
fiction, faisons une entorse à notre décision d’éviter de l’utiliser
comme preuve de pratique.
Hermippe « voit faire son lit » et se demande « quelle main assez
adroite ou assez heureuse pourrait le faire dormir comme il veut
dormir ». Soucieux de la qualité de son repos, il travaille ses gestes,
ses postures, désireux de s’épargner tout « mouvement de trop ».
« Il faisait dix pas pour aller de son lit dans sa garde-robe, il n’en fait
plus que neuf par la manière dont il a su tourner sa chambre,
combien de pas épargnés dans le cours d’une vie1 ! »
La Bruyère évoque la quête de « petites commodités ». Or, un peu
plus tard, au cours du XVIIIe siècle, le terme prend un sens d’une
tout autre ampleur. La quête des commodités en vue de favoriser la
qualité du repos s’intensifie. Il s’agit d’affiner progressivement des
formes nouvelles de délassement. C’est qu’en ce temps, écrit
Georges Vigarello dans un texte admirable consacré à ce sujet2,
monte l’expérience de l’homme sensible, de plus en plus
intensément désireux de se ressentir ; d’où la concentration accrue
sur le milieu immédiat en vue d’améliorer la qualité du repos et,
surtout, d’affiner toutes les sensations qui le définissent ainsi que les
accessoires qui permettent de les provoquer.
La commodité, dans cet ensemble de processus, est une recherche
de facilités inédites d’adapter l’espace externe à la nouvelle texture
de l’espace interne, d’affiner la manière d’habiter en vue d’éprouver
des jouissances particulières, en permettant de nouvelles postures
du repos.
« Des attitudes se recomposent », écrit Georges Vigarello, « le
repos se montre autrement » ; un nouveau mobilier s’adapte à un
progressif « abandon corporel » voire à une « nonchalance
ostensible3 ». Auparavant, le siège vertical, par sa fermeté, imposait
que le dos fût redressé, les jambes verticales. Or, voici que les
sièges-réceptacles visent désormais à accroître l’aisance, l’agrément,
et se font meubles de repos.
Georges Vigarello décrit avec précision les étapes initiales de ce
processus qui, par un jeu d’interactions, entraîne de nouveaux désirs
corporels, de nouveaux « dessins du repos ». Tout d’abord
s’élaborent des appuis du dos dans les sièges. Mademoiselle Clairon,
actrice, adopte, en ce temps, une posture semi-allongée,
« nonchalamment étendue sur une chaise longue, les bras croisés,
les yeux fermés immobiles4 ».
À ce moment, ce meuble nouveau baptisé aussi « duchesse »
permettait de conserver la position assise et d’étendre les jambes
sur un socle prolongeant le siège au dossier légèrement incliné. On
dit chaise longue parce que ce meuble comportait huit pieds
permettant de le porter. Donc, quand on se retrouve installé sur une
telle chaise longue, le repos se montre de manière nouvelle au
spectateur ; il témoigne d’un abandon corporel qui se fait ostensible.
Le rocking-chair, d’origine anglaise, constitue une nouvelle étape
dans le processus d’intensification et d’ostentation des postures de
repos. Son balancement, la possibilité qu’il offre de tourner le regard
vers le ciel confèrent au repos de nouvelles sensations heureuses.
Ici, le bercement, évocateur d’une posture infantile du repos, est
nouvelle commodité. Au fil des décennies, le rocking-chair s’est
perfectionné afin, tout à la fois, d’intensifier et de moduler les
postures du repos. La confection du dossier rond, puis le
rembourrage, l’amplitude accrue des formes, la multiplication des
rondeurs, l’adaptation de coussins ont fait que le siège, écrit
Georges Vigarello, s’est peu à peu « enfoncé délibérément sous le
poids de l’usager5 ». Il n’est plus question de fermeté mais de
douceur des épaisseurs ; aboutissement du processus : le sofa
kangourou apparu en Amérique. Il épouse les formes du corps :
« enfoncement du bassin, arcature du cou, pliure du genou6 ».
Puis vint le temps du siège adaptable, épousant la variabilité
possible des positions du repos. Ce n’est plus le fauteuil mais
l’individu qui dirige l’amollissement du corps, la position du repos. À
la fin du XIXe siècle, sur le pont des paquebots apparaît le
transatlantique, symbole pour longtemps du meuble de repos
adaptable, dont la souplesse a été promise à un long succès,
puisque au XXe siècle, comme on sait, il envahit les plages et les
terrasses. Sans oublier qu’il a nourri un imaginaire dans lequel l’âme
et le corps se laissent aller à la langueur, dans une atmosphère
propice à la sensualité.
Cette brève histoire des objets de commodité, qu’ont façonnés les
modalités du repos, a inspiré la substitution de la notion de détente
face à celle, ancienne, de quiétude, liée au repos en Dieu, fort
éloignée de ce qui précède et dont le meuble emblématique était le
prie-Dieu, encore largement présent dans les intérieurs bourgeois
des XIXe et XXe siècles.
Il serait un autre objet d’étude concernant la modification des
textures du repos : il s’agit de l’histoire de ses postures… et chacun
garde en mémoire celles du yoga. Il s’agit d’une histoire qui déborde
notre propos. Évoquons, pour me faire comprendre, ce que confie
Xavier de Maistre dans son Voyage autour de ma chambre. Lors de
son confinement, il invente des postures de repos et de tranquillité.
Ainsi, il s’installe dans son fauteuil, « ses deux pieds antérieurs […]
élevés à deux pouces de terre » ; puis il se balance de droite à
gauche pour faire avancer le fauteuil. Plus aventureux est ce qu’il
décrit comme « posture de repos et d’attente » : « Je me glissai
jusqu’au bord de mon fauteuil, et, mettant les deux pieds sur la
cheminée, j’attendis patiemment le repos. C’est une attitude
délicieuse que celle-là7 […]. »
8
Le repos au cœur de la nature
Prélude

Outre celles des philosophes déjà évoquées, certaines références


antiques, plus ou moins revendiquées, ont pesé sur les figures du
repos qui constituent notre objet. Ainsi, les modes de délassement
présentés par Virgile dans ses Bucoliques et, secondairement, dans
les Géorgiques ont hanté bien des esprits depuis la Renaissance et
cela pour longtemps, ainsi que le prouve encore la traduction des
Bucoliques par Paul Valéry, accompagnée de Variations sur ce chef-
d’œuvre.
Nous délaisserons la tradition arcadienne car, du fait de sa double
face, apaisée et violente, elle ne ressortit pas véritablement à une
histoire du repos. Quant à l’idylle et à l’influence de Théocrite, bien
qu’on puisse le considérer comme l’inventeur du genre bucolique, à
le lire, les figures du repos sont moins variées, moins intenses que
dans les œuvres de Virgile.
Ce dernier présente des figures d’un repos souhaité, exalté, vécu
dans un lieu amène (locus amoenus) où règne la mollitia, la douceur
exquise, le raffinement à la « limite de l’efféminé1 ». Nous savons
qu’il s’agit d’un espace imaginaire où se déroulent des actions
rêvées. Mais cela nous concerne, tant ce locus amoenus a pesé sur
l’imaginaire occidental. Il est lieu de douceur où se goûte un repos,
précurseur du sommeil. Les sensations éprouvées par les
personnages ont, à l’évidence, pesé sur les rêves des lecteurs
d’Occident ; notamment chez tous ceux qui, tel Ronsard, ont évoqué
le repos sur l’herbe, au pied des arbres, à proximité des fontaines.
Afin de bien le faire comprendre, citons quelques courts extraits
des échanges entre les personnages :

Chantez ! s’écrie le berger Palémon dans la troisième Bucolique. Car devant


nous, assis dans l’herbe tendre,
Tous les champs sont verts, tous les arbres bourgeonnent

Et Ménalque s’adressant à Mopse dans la cinquième Bucolique :

Ton chant, divin poète, est aussi doux pour moi


Qu’un bon somme dans l’herbe à mon corps fatigué

Dans la septième Bucolique, Mélibée invite Daphnis :

Viens à l’ombre t’asseoir, si tu n’as rien à faire

Et Corydon, présent, s’écrie :

Font [fontaine] moussue, herbe tendre et plus douce qu’un somme


Arbousier verdoyant qui donnez un peu d’ombre
Protégez mon troupeau des ardeurs du solstice

Damon, lit-on dans la huitième Bucolique, souhaite que Daphnis


« succombe à la fatigue et se couche dans l’herbe2 ».

Le mythe du Tempé, développé dans les Géorgiques, demeura le


symbole de tout lieu délicieux où règnent félicité et tranquillité ; et le
« vieillard fortuné » de Tarente, modèle du bonheur, sinon du repos,
est une figure présente chez les écrivains du XVIe siècle que nous
avons vus décrire ou souhaiter la retraite. L’otium, ou loisir cultivé de
la Rome antique, pratiqué par l’élite n’était pas, à proprement parler,
période de repos. L’exercice des magistratures demeurait présent, à
l’arrière-plan des préoccupations des individus réfugiés loin du sénat,
à l’image de Pline le Jeune installé dans sa villa de Toscane.
Néanmoins, parfois, en ce milieu est dit le désir d’un temps libre
imprégné de repos. À titre d’exemple, on lit dans les épigrammes de
Martial la déclaration d’un ami de l’auteur au sein de laquelle est
exprimée l’aspiration à vivre pour soi ; ce que l’on peut considérer
comme l’expression du désir d’un véritable repos :

S’il m’était permis, chez Martial, de jouir avec toi de jours paisibles / d’avoir du
temps libre / et de vaquer ensemble à la vraie vie / nous ne connaîtrions ni les
seuils ni les demeures des puissants / ni les sombres procès ni le triste forum / ni
les orgueilleux bustes d’ancêtres ; / mais les promenades, les conversations […]
/ l’ombre, l’eau vierge,
les thermes / Voilà quels seraient toujours, nos lieux de réunion et nos travaux /
Mais, pour l’instant, aucun de nous ne vit pour soi3.

Il est fort hasardeux de réduire à quelques individus l’ensemble de


ceux qui ont dit le repos qu’ils ont vécu au sein de la nature. Ils sont
si nombreux qu’une vaste bibliothèque d’ouvrages rédigés par les
spécialistes de l’histoire littéraire du sentiment de la nature les traite
à profusion. Nous ne les citerons pas. Considérons ce thème à haute
altitude et en raccourci afin de faire comprendre, à grands traits,
l’évolution du sentiment, de la sensation de repos éprouvé au sein
des espaces naturels.
Nous choisissons, pour ce faire, deux expériences individuelles,
l’une s’étant déroulée à la Renaissance et dite par Ronsard, la
seconde, celle de Jean-Jacques Rousseau, lors de la naissance de ce
que l’on qualifie « âme sensible » au XVIIIe siècle ; expérience alors
beaucoup plus largement partagée et beaucoup plus subtile que la
première.
Ce projet, en ce qui concerne Ronsard, pose un autre problème.
Détecter les figures du repos éprouvé au sein de la nature durant les
Temps modernes et mesurer leur nouveauté, est-ce une démarche
valide ? Nous avons décidé d’exclure les témoignages relevant de la
fiction romanesque, compte tenu des tactiques d’illusion du vrai
qu’elle utilise. En un mot, elle n’est pas preuve d’émotion éprouvée
au sein du cercle social décrit, contrairement aux diverses formes
d’écriture de soi : journal intime, autobiographie, correspondance4…
Qu’en est-il du texte poétique, puisque nous avons décidé de
présenter les figures du repos décrites par Ronsard5 ?
Il est évident que la rédaction d’un poème répond, en tout premier
lieu, à une visée littéraire ; et l’on pourrait penser que cela
disqualifie le contenu pour tout ce qui relève de l’histoire des
pratiques. Or, cela n’est pas si simple. Certes, quand Ronsard décrit
les figures du repos dont il a joui dans la verdure de Gastine, rien ne
prouve que cela ne relève pas de sa seule imagination. Peut-être
n’a-t-il pas effectivement expérimenté ce type de repos.
Reconnaissons toutefois que de telles expériences aient été vécues
apparaît vraisemblable. Surtout, il s’agit pour nous de repérer et de
présenter les nouvelles figures du repos ainsi que les circonstances
et références éventuelles qui les expliquent. Que Ronsard se soit ou
non couché dans l’herbe ne disqualifie pas l’éventail des émotions du
repos qu’il présente ; leur nouveauté ainsi que l’ampleur de leur
diffusion justifient de les intégrer à une histoire du repos.
Il est, dans l’œuvre de Ronsard, une donnée qui pourrait étonner
chez un chrétien. Il ressasse la décrépitude de la vieillesse, qu’il
conçoit comme le vestibule de la mort :

L’homme vieil ne peut marcher,


N’ouyr, ne voir, ny mascher
C’est une idole enfumée,
Au coin d’une cheminée6.

Les vieux, chargés d’ans, sont :

perclus, estropiats, catarreux, impotants

Et, plus tard, parlant de lui, Ronsard écrit :

Je n’ay plus que les os, un squelette je semble,


Décharné, dénervé, démusclé, dépoulpé,
Que le trait de la mort sans pardon a frappé,
Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble7.

Ce portrait est fort éloigné de ceux que brosse Montaigne de la


vieillesse ainsi que de ceux des moralistes que nous avons cités.
Ronsard ne présente pas le trépas comme l’entrée dans un repos en
Dieu ; à l’exception de l’épitaphe de l’abbesse de Poissy :

Et qu’en paisible et sommeilleux repos


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Foundation, the trademark owner, any agent or employee of the
Foundation, anyone providing copies of Project Gutenberg™
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volunteers associated with the production, promotion and distribution
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indirectly from any of the following which you do or cause to occur:
(a) distribution of this or any Project Gutenberg™ work, (b)
alteration, modification, or additions or deletions to any Project
Gutenberg™ work, and (c) any Defect you cause.

Section 2. Information about the Mission of


Project Gutenberg™
Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of
computers including obsolete, old, middle-aged and new computers.
It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and
donations from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the


assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s
goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a
secure and permanent future for Project Gutenberg™ and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help,
see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at
www.gutenberg.org.

Section 3. Information about the Project


Gutenberg Literary Archive Foundation
The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state’s laws.

The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West,


Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
to date contact information can be found at the Foundation’s website
and official page at www.gutenberg.org/contact

Section 4. Information about Donations to


the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation
Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without
widespread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can
be freely distributed in machine-readable form accessible by the
widest array of equipment including outdated equipment. Many small
donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax
exempt status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating


charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and
keep up with these requirements. We do not solicit donations in
locations where we have not received written confirmation of
compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of
compliance for any particular state visit www.gutenberg.org/donate.

While we cannot and do not solicit contributions from states where


we have not met the solicitation requirements, we know of no
prohibition against accepting unsolicited donations from donors in
such states who approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make


any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of
other ways including checks, online payments and credit card
donations. To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate.

Section 5. General Information About Project


Gutenberg™ electronic works
Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be
freely shared with anyone. For forty years, he produced and
distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of
volunteer support.

Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printed


editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
edition.

Most people start at our website which has the main PG search
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including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
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