PDF of Histoire de L Autriche 1St Edition Helene de Lauzun Full Chapter Ebook

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 69

Histoire de l Autriche 1st Edition Hélène

De Lauzun
Visit to download the full and correct content document:
https://ebookstep.com/product/histoire-de-l-autriche-1st-edition-helene-de-lauzun/
More products digital (pdf, epub, mobi) instant
download maybe you interests ...

L histoire de Poncia 1st Edition Conceição Evaristo

https://ebookstep.com/product/l-histoire-de-poncia-1st-edition-
conceicao-evaristo/

Histoire naturelle de l architecture 2nd Edition Rahm

https://ebookstep.com/product/histoire-naturelle-de-l-
architecture-2nd-edition-rahm/

Scythia L étonnante Histoire de l antique Irlande 2nd


Edition Hervé Cariou

https://ebookstep.com/product/scythia-l-etonnante-histoire-de-l-
antique-irlande-2nd-edition-herve-cariou/

Scythia L étonnante Histoire de l antique Irlande 2nd


Edition Hervé Cariou

https://ebookstep.com/product/scythia-l-etonnante-histoire-de-l-
antique-irlande-2nd-edition-herve-cariou-2/
Étienne de Silhouette Le ministre banni de l histoire
de France 1709 1767 1st Edition Thierry Maugenest

https://ebookstep.com/product/etienne-de-silhouette-le-ministre-
banni-de-l-histoire-de-france-1709-1767-1st-edition-thierry-
maugenest/

Histoire de l abolition de la peine de mort 200 ans de


combats 1st Edition Jean Yves Le Naour

https://ebookstep.com/product/histoire-de-l-abolition-de-la-
peine-de-mort-200-ans-de-combats-1st-edition-jean-yves-le-naour/

L invention de la propriété privée une autre histoire


de la Révolution 1st Edition Rafe Blaufarb

https://ebookstep.com/product/l-invention-de-la-propriete-privee-
une-autre-histoire-de-la-revolution-1st-edition-rafe-blaufarb/

Le duel dans l histoire européenne l honneur et le


règne de l aristocratie 1st Edition Victor Kiernan

https://ebookstep.com/product/le-duel-dans-l-histoire-europeenne-
l-honneur-et-le-regne-de-l-aristocratie-1st-edition-victor-
kiernan/

Troia L Histoire de la Nouvelle Troie 2nd Edition Hervé


Cariou

https://ebookstep.com/product/troia-l-histoire-de-la-nouvelle-
troie-2nd-edition-herve-cariou-2/
© Perrin, un département de Place des Éditeurs, 2021

92, avenue de France


75013 Paris
Tél. : 01 44 16 08 00

ISBN : 978-2-262-09531-4

« Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute
reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est
strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la
Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété
intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »

Couverture : Bal de Vienne, peinture par Wilhelm Gause, 1904.


© The Granger Collection, New York/Coll. Christophel
Sommaire
Couverture

Titre

Copyright
Avant-propos
Introduction. Aux origines de l’Autriche (996-1493)

L’Autriche avant les Habsbourg


L’arrivée des Habsbourg sur le trône du Saint Empire
L’Autriche, des troubles à la gloire
Première partie. La maison d’Autriche (1493-1815)

Naissance de la maison d’Autriche : l’œuvre de Maximilien Ier


La formation d’une monarchie danubienne avec Ferdinand Ier
La Réforme et ses effets
Les divisions dans l’héritage de Ferdinand Ier
Ferdinand II et la guerre de Trente Ans
L’imposant règne de Léopold Ier
Charles VI ou le crépuscule de la dynastie
Le défi de la guerre de Succession d’Autriche
Marie-Thérèse, l’« impératrice »
Joseph II et le joséphisme
L’Autriche devant la Révolution et l’Empire
Deuxième partie. De l’empire d’Autriche à la double monarchie (1815-1918)

La fin de l’épopée napoléonienne et le congrès de Vienne


L’Autriche de Metternich et l’ère Biedermeier
La révolution de 1848
L’Autriche de François-Joseph
L’Autriche dans la Première Guerre mondiale
Troisième partie. « Ce qui reste » de l’Autriche : la Première République (1918-1938)

La nouvelle Autriche et le traité de Saint-Germain


Les débuts de la République
La Première République en crise
L’expérience Schuschnigg : de « deux États allemands » au Reich national-
socialiste
La culture dans l’entre-deux-guerres, entre innovation et nostalgie
Quatrième partie. « Mort et résurrection » (1938-années 2000)

L’Autriche sous le régime nazi


De la libération à la reconstruction
L’ère Kreisky
Le retour de la grande coalition à l’heure de Franz Vranitzky
L’intégration européenne de l’Autriche
L’Autriche des années 2000 dans la tourmente
Conclusion
Annexes

Annexe 1. Succession simplifiée des empereurs du Saint Empire romain


germanique
Annexe 2. Généalogie simplifiée des Babenberg
Annexe 3. Généalogie simplifiée des Habsbourg d’Autriche
Annexe 4. Présidents et chanceliers de la Première République
Annexe 5. Présidents et chanceliers de la Seconde République
Annexe 6. Table de correspondance des noms de lieux
Bibliographie
Remerciements
Notes
Index
Avant-propos

« L’Autriche, c’est ce qui reste. » C’est par ces mots cinglants que
Clemenceau aurait salué, en 1919, lors des négociations du traité de Saint
Germain-en-Laye, la naissance de la petite République d’Autriche prenant la
succession de l’immense Empire austro-hongrois.
Citation apocryphe, comme il en arrive si souvent des mots historiques ?
Quoi qu’il en soit, ce dur jugement issu des négociations pour les traités de
paix révèle le caractère paradoxal de ce petit pays du cœur de l’Europe qui, à
travers une dynastie, les Habsbourg, a porté un empire où le soleil ne se
couchait jamais et se cache aujourd’hui sous les traits d’une placide
République d’un peu moins de 9 millions d’habitants. L’Autriche, « ce qu
reste » ? Mais quels restes…

L’Autriche fait partie, pour nous autres Français, de notre patrimoine


imaginaire, et y occupe une place de choix. Le mot évoque, pêle-mêle, la
magie de robes de bal tournoyantes et la chevelure brune de Sissi, le génie de
Mozart, des chocolats crémeux et de chaudes vestes de laine, un pays de
montagnes et de lacs d’un bleu profond, traversé par les flots du Danube, ou
encore les ors de Vienne, capitale unissant à un degré rare le classicisme et la
modernité. De superbes clichés, pour une réalité bien méconnue. L’Autriche
indissociable des Habsbourg, n’est pourtant pas née avec eux, qui n’ont à
l’origine rien d’autrichien. L’Autriche elle-même, pendant des siècles, reste
parfaitement insaisissable car il n’existe pas, à proprement parler, d’Éta
autrichien, mais un archiduché, un empire qui l’englobe et le dépasse, des
couronnes que ses souverains autrichiens portent, mais avec d’autres titres e
pour d’autres pays. Qu’est-ce que l’Autriche ? Une énigme de plusieurs
siècles, de presque un millénaire, qui n’en finit pas d’être posée, jusque dans
les ultimes rebondissements de la vie politique autrichienne au début du
e
XXI siècle.
Dans ces conditions, rédiger une histoire de l’Autriche représente un déf
bien réel. À quel territoire se cantonner, quand le vocable « Autriche » désigne
toujours plus que les simples limites du duché originel, une Maison, puis un
empire ? Il a fallu faire des choix. Nous avons donc pris le parti de nous
concentrer sur les frontières de l’Autriche actuelle, 83 879 petits kilomètres
carrés, et de nous interroger sur ce qui est advenu, avant l’instauration de la
Seconde République d’Autriche, sur cette petite portion de territoire du centre
de l’Europe. Il est toutefois inenvisageable d’aborder ce territoire comme un
vase clos. Il est donc question aussi, dans ces pages, de tous les peuples
provinces et royaumes qui ont partagé les destinées de l’Autriche : la Bohême
la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, l’Italie, les pays slaves du Sud, la Suisse
l’Allemagne, bien sûr, sans oublier l’Empire ottoman. Notre ouvrage n’étan
pas une histoire impériale de l’Autriche, on nous pardonnera les nécessaires
coupes que nous avons dû effectuer dans ces histoires locales, intimemen
mêlées à celle de l’Autriche.
Quand on se lance dans une entreprise aussi vaste qu’une histoire
générale, la voie est jalonnée de nombreux écueils. Il faut rendre compte des
dynamiques politiques, et géopolitiques, mais aussi économiques, sociales, e
surtout, pour un pays tel que l’Autriche, culturelles. Que le lecteur fasse
preuve de bienveillance, si tel ou tel aspect lui paraît insuffisammen
développé : il n’y a pas d’écriture de l’histoire sans une part de subjectivité, de
passion aussi, ce qui se traduit invariablement par des lacunes ou, au contraire
des traitements de faveur. Nous estimerons que notre tâche est accomplie si
en refermant cet ouvrage, notre lecteur se sent dans le cœur un amour profond
pour ce beau pays si riche, et essentiel au rayonnement de notre culture
européenne.

Hélène DE LAUZUN

Dans ces pages, l’auteur a fait le choix de franciser autant que


possible les prénoms à consonance allemande, hongroise ou tchèque
en se référant à l’usage le plus courant jusqu’à une époque récente
Les particules de noblesse, abolies en Autriche en 1918, ont été
conservées dans un souci de continuité historique.
En fin de volume, le lecteur trouvera une table de correspondance
linguistique pour les noms de localité les plus importants mentionnés
au fil du texte.
Introduction
Aux origines de l’Autriche (996-
1493)

— Que le Dieu tout-puissant, qui entend la prière du pauvre, vous


honore, dans ce monde et dans l’autre, comme vous l’honorez
vous êtes un seigneur puissant, connu dans toute la Suisse par une
conduite chevaleresque ; vous avez six belles-filles : puissent-elles
ajouta le prêtre avec enthousiasme, apporter six couronnes dans
votre maison, et puisse votre splendeur s’étendre jusqu’aux
générations les plus reculées !
Frédéric von Schiller
Le Comte de Habsbourg, 1803

L’Autriche avant les Habsbourg


Les territoires que nous qualifions d’« autrichiens », c’est-à-dire ceux qu
forment, aujourd’hui, la République d’Autriche, ont leur histoire propre bien
avant l’avènement de la puissance habsbourgeoise, dont on pense souven
qu’ils sont inséparables.
Les Bundesländer de la République fédérale sont les héritiers d’antiques
provinces. On en dénombre aujourd’hui neuf : la Haute-Autriche, capitale
Linz, aux confins de la Bavière et de la République tchèque ; la Basse
Autriche, à l’est, le plus étendu, avec pour capitale Sankt-Pölten ; le
Burgenland, à la frontière avec la Hongrie, capitale Eisenstadt ; la Styrie, au
sud-est, avec pour capitale Gratz ; la Carinthie, au centre-sud, capitale
Klagenfurt ; à l’ouest, frontalier avec l’Italie et la Suisse, le Tyrol, capitale
Innsbruck, et le Vorarlberg, capitale Brégence, et enfin, le Salzbourg, avec
pour capitale la ville du même nom, entre le Tyrol et la Haute-Autriche
Vienne, la ville-capitale, bénéficie aussi du statut de Land à part entière, e
constitue donc, avec ses 1 800 000 habitants, le neuvième État. Ces régions
s’organisent autour d’un fleuve, le Danube, et de massifs montagneux
principalement les Alpes orientales, mais aussi le massif de Bohême et les
Carpates, au nord et à l’est. À l’exception de la région occidentale du
Vorarlberg, dont les eaux se jettent vers le Rhin, l’essentiel du territoire
appartient au bassin supérieur du Danube. La chaîne des Alpes orientales
rejoint la vallée du Danube au niveau de Vienne ; elle occupe la majeure partie
de l’État autrichien, et présente des sommets moins élevés qu’à l’ouest, avec
de nombreuses voies de circulation transversales à travers les cols.
L’Autriche est tout sauf un territoire fermé. C’est une zone de carrefour
antiquement romanisée. À l’âge du fer (probablement vers 800 avant Jésus
Christ), les Celtes bâtissent un oppidum à l’emplacement de Vienne ; les
Romains, quant à eux, s’installent durablement dans la région sous le règne
d’Auguste. Une limite à cette présence : la bataille de Teutobourg, en l’an 9 de
notre ère, qui s’est soldée par le terrible massacre des légions de Varus par le
chef germain Arminius. Si la localisation exacte de la bataille fait encore
débat, une chose est sûre : cette défaite romaine se solde par un repl
stratégique des troupes romaines de Germanie. Elle fixe une ligne structurante
de l’espace centre-européen : à Rome, l’ouest du Rhin et le sud du Danube
Aux Germains, l’au-delà des forêts. Vindobona, l’ancêtre de Vienne, est du
côté de Rome. L’Autriche actuelle est alors partagée entre plusieurs provinces
principalement la Norique (Styrie, Carinthie, région de Salzbourg, une grande
partie de la Basse-Autriche et de la Haute-Autriche), et la Pannonie (pour la
région de Vienne), mais aussi la Rhétie (Tyrol).
Ces régions aux marges de l’empire font l’objet d’une romanisation lente
et progressive. Elles jouent un rôle tantôt défensif, tantôt offensif, comme lors
de la conquête de la Dacie par Trajan au début du IIe siècle. Les territoires
autrichiens donnent même à l’empire l’un de ses empereurs les plus célèbres
Septime Sévère, fondateur de la dynastie des Sévères. Originaire de
Tripolitaine, il conquiert cependant le trône impérial vacant après les épisodes
tumultueux des règnes de Commode et Pertinax depuis Carnuntum, capitale
de la Pannonie, située à quelques lieues de Vienne.
Les provinces romaines de l’Est sont naturellement heurtées de plein foue
par les « grandes invasions ». Du IVe au VIe siècle, Ostrogoths, Huns, Germains
puis Avars et Slaves traversent la plaine danubienne. Une première répartition
s’esquisse au VIe siècle, les Germains en Autriche, les Slaves en Bohême. Les
territoires autrichiens finissent par rejoindre la mouvance franque avec les
campagnes de Charlemagne contre les Avars dans les années 790. L’action de
Charlemagne transforme durablement les réalités locales, sur le modèle de ce
qu’il a effectué en Bavière. À son invitation, de nombreux colons bavarois s’y
installent. La « marche de l’Est » commence à se couvrir de son blanc
manteau d’églises, et le vieil évêché de Salzbourg est érigé en archidiocèse en
798 par le pape Léon III, tandis que Charlemagne fait de l’archevêque le
métropolite de Bavière. C’est de cette époque que datent les premières
occurrences latines du mot Austria, que l’on trouve dans l’Histoire des
Lombards (Historia Langobardorum), rédigée au Mont-Cassin dans les
années 780. Cette première Autriche, bien que germanisée, est l’héritière d’un
passé romain, ce qui dessine d’emblée pour elle un caractère de différenciation
par rapport au reste de l’espace germanique. La romanisation ancienne a
permis également une structuration profonde du pays par le catholicisme.
Au début du Xe siècle, le pays est ébranlé par la dernière des grandes
invasions, l’invasion hongroise, venue de la steppe russe. Les Hongrois
poussent leurs raids meurtriers à travers toute l’Allemagne du Sud, et jusqu’en
Bourgogne, avant qu’Otton Ier, roi de Germanie, ne leur inflige un coup d’arrê
à la bataille de Lechfeld, en 955, en territoire bavarois. Lechfeld marque dans
une certaine mesure la fin des grandes invasions venues de l’est, qui avaien
mis à mal l’équilibre occidental et chrétien en construction depuis plusieurs
siècles. Une telle victoire accroît considérablement le prestige d’Otton, qui en
962 se fait couronner comme empereur à Rome, après une vacance du titre de
près de soixante-dix ans. Le Saint Empire romain germanique est né.
En ces temps reculés, la couronne impériale n’est pas une couronne
héréditaire, mais une couronne élective, selon des modalités qui fluctuent
pour nombre de peuples, l’élection du chef est encore largement la norme
Avant d’être couronné empereur des Romains par le pape, Otto a été élu en
936 au titre honorifique de roi de Germanie par acclamation, c’est-à-dire pa
une élection populaire1. Du Xe au XIIe siècle, le processus électoral évolue dans
le temps pour finir par s’établir de la manière suivante : la première étape es
l’élection du candidat comme roi de Germanie. Il est ensuite élu puis couronné
« roi des Romains », du fait de la succession revendiquée de l’Empire romain
antique, par un collège électoral généralement réuni à Francfort. Il doit ensuite
être couronné roi d’Italie, traditionnellement à Pavie, où il revêt l’insigne de la
couronne de fer, avant de se faire couronner empereur, à Rome, en mémoire
du couronnement de Charlemagne en l’an 8002.
Aussitôt après Lechfeld, soucieux d’empêcher de futures invasions
Otton Ier choisit de créer une marche3 de l’Est contre l’ennemi hongrois. Pou
être plus précis, s’organisent alors deux marches, rattachées au duché de
Bavière : la marche de l’Est (Ostmark, puis Ostarrichi, ou domaine de l’Est
qui donnera Autriche), et la marche de Carinthie, recouvrant les territoires
actuels de la Carinthie, mais aussi de la Styrie et de la Slovénie. Leu
localisation est stratégique, et leur rôle de verrou, décisif. Les deux marches
acquièrent progressivement une existence autonome. La marche de Carinthie
devient duché, tandis que la marche d’Autriche est bientôt confiée à une
puissante dynastie venue de Franconie, les Babenberg, en 976, sur décision de
l’empereur Otton II. Léopold Ier Babenberg devient ainsi le premier margrave
d’Autriche, selon le titre qui s’applique au chef militaire d’une marche. La
première mention écrite du mot Ostarrichi remonte à 996, dans un acte établ
à Bruchsal, dans le Bade-Wurtemberg actuel. Il s’agit d’une donation d’un
territoire à l’archevêque de Freising, en Bavière, territoire indiqué comme se
situant en « Ostarrichi », dans une zone correspondant à la Basse-Autriche
actuelle.
Le nom de Babenberg n’évoque pas grand-chose au lecteur français
Pourtant, ce sont eux, et non les Habsbourg, les véritables fondateurs de
l’Autriche. Leur famille trouve son origine en Haute-Franconie, au nord de la
Bavière. La tradition familiale revendique des liens avec les ancêtres des
Capétiens. Progressivement, sous le titre de margraves d’Autriche, ils
s’imposent dans cette zone comme des seigneurs de premier plan, notammen
grâce à la personnalité de Luitpold (ou Léopold III, dit « le Pieux »). En 1125
il s’était vu proposer la couronne impériale, mais la refusa et préféra conforte
son administration de l’Autriche, sur laquelle il régna de 1096 à 1136 : son
choix contribue de manière essentielle à renforcer et individualiser les
territoires autrichiens. Il couvre l’Autriche de fondations monastiques, dont la
plus célèbre est le monastère cistercien d’Heiligenkreuz, appelé à devenir le
lieu de sépulture des Babenberg. La piété de Léopold lui vaut d’être canonisé
en 1485. Au XVIIe siècle, il devient saint patron de l’Autriche et de Vienne
double honneur dont aucun autre souverain n’a jamais bénéficié.
L’espace germanique est au cœur du Moyen Âge soumis à d’incessantes
querelles, qui opposent entre elles les différentes dynasties qui se disputent la
couronne impériale, connues à travers le combat mythique des « Guelfes »
contre les « Gibelins ». Le terme de guelfe renvoie à la dynastie des Welfs
remontant à l’époque carolingienne, que l’on retrouve pour l’une de ses
branches à régner sur la Bourgogne, et qui étend son pouvoir sur l’Allemagne
notamment en Bavière. Le terme de gibelin, quant à lui, fait référence, sous
une forme romanisée, au château de Waiblingen, fief et lieu de ralliement de la
famille concurrente des Hohenstaufen. La situation de l’empire se dégrade
particulièrement à la mort de l’empereur Henri V, de la dynastie franconienne
qui meurt en 1125 sans héritier. La succession est difficile, et dans les luttes de
pouvoir, la famille des Babenberg choisit le camp des Hohenstaufen, qui fini
par l’emporter. La puissante famille allemande leur en sait gré, et le nouve
empereur, Frédéric Ier Barberousse, récompense ses fidèles. Il accorde donc au
margraviat d’Autriche, entre les mains d’Henri II Babenberg, dit Jasomirgott
le rang de duché autonome en 1156 : c’est ce qu’on appelle le Privilegium
Minus, premier acte impérial qui donne une existence juridique et des
privilèges particuliers à un territoire appelé Autriche.
Le Saint Empire médiéval est le théâtre de luttes extrêmement complexes
opposant entre elles les grandes maisons allemandes, qui se disputent le trône
impérial. Vient s’y greffer le duel constant qui oppose la papauté et l’empire
chaque famille noble choisissant alternativement de servir l’une ou l’autre
Dans ce jeu subtil, l’Autriche joue un rôle particulier : c’est un territoire à la
fois marginal, aux confins de l’empire, et stratégique, qui fait l’objet d’âpres
négociations et de récompenses. La famille de Babenberg, qui domine
l’Autriche, sait conclure des unions prestigieuses qui témoignent de son rang
à plusieurs reprises, les margraves d’Autriche épousent des filles d’empereur
c’est le cas de Léopold III, puis d’Henri II. Le Privilegium Minus élève le
margraviat d’Autriche au rang de duché héréditaire, au profit des Babenberg
En cas d’absence d’héritier mâle, la descendance en ligne féminine es
également prévue. En l’absence d’héritier direct, le nouveau duc d’Autriche
bénéficie du privilège de choisir lui-même son successeur, au nom de ce que
l’on appelle la libertas affectandi, qui n’est toutefois accordée qu’à la
personne d’Henri et de son épouse, Théodora, une princesse byzantine. En cas
de problème avec des héritiers ultérieurs, l’empereur conserverait le droit de
nommer un successeur à la tête du duché d’Autriche.
À la suite d’Henri II Jasomirgott, les Babenberg continuent de jouer la
carte de la fidélité aux Hohenstaufen. Léopold V, fils d’Henri II, participe à la
troisième croisade aux côtés de Richard Cœur de Lion. Un épisode décisif : la
légende veut qu’au cours du siège de Saint-Jean-d’Acre sa tunique soi
devenue rouge du sang de ses ennemis, à l’exception d’une bande blanche
protégée par sa ceinture. En souvenir, les Babenberg prirent comme armes une
bande rouge horizontale traversée en son centre par une bande blanche, « de
gueules à la fasce d’argent4 ». Léopold V consolide la frontière du duché
d’Autriche au nord, contre le duché de Bohême, et ajoute à son patrimoine le
duché de Styrie. Ses deux fils, Frédéric Ier et Léopold VI, lui succèdent tour à
tour et travaillent eux aussi à accroître le prestige de l’Autriche. Léopold V
peut s’enorgueillir d’avoir pris pour épouse une princesse venue d’Orient
parente de l’empereur byzantin Isaac II. La succession se complique avec son
fils, Frédéric II Babenberg. Rebelle contre l’autorité de Frédéric I
Hohenstaufen, il s’engage dans des guerres incessantes contre ses voisins de
Bohême ou de Hongrie. Il meurt en 1246 sans héritier mâle, en ayant échoué à
faire ériger l’Autriche en royaume et la ville de Vienne en évêché, objectifs
déjà poursuivis par son père avant lui. Le duché retombe dans l’escarcelle
impériale, alors que le Saint Empire romain germanique s’apprête à entre
dans une période trouble.
L’Autriche ainsi en déshérence offre une proie de choix : elle peut être
convoitée par d’autres princes allemands, mais aussi par les voisins immédiats
de l’Autriche, le royaume de Bohême, ou le royaume de Hongrie. Le
Privilegium Minus prévoyait la possibilité d’une succession féminine
Frédéric est sans enfants, mais laisse derrière lui une nièce, Gertrude, e
surtout une sœur, Marguerite, d’abord mariée à Henri VII Hohenstaufen, fils
aîné de Frédéric Ier Barberousse et éphémère roi de Germanie, puis remariée
au roi de Bohême Ottokar II. Toutes deux peuvent prétendre à l’héritage
autrichien. La « succession d’Autriche » qui s’ouvre alors est complexe, e
nécessiterait un arbitrage impérial. Mais d’autorité impériale il n’y a plus
vraiment en ces temps troublés, laissant le champ libre aux appétits des uns e
des autres. Depuis 1250, le Saint Empire romain germanique est en bien
mauvaise posture. Il traverse ce qu’on appelle le Grand Interrègne, l’une de
ces obscures séquences dont l’histoire a le secret, et que Charles Péguy
frappait de l’infamie du nom de « périodes » par opposition aux glorieuses
« époques. » En 1250, est mort le grand empereur Frédéric II, de la famille des
Hohenstaufen. En l’absence de successeur crédible, l’empire se cherche une
tête pendant près de vingt ans. Les prétendants se bousculent, et l’on tente
vainement de trouver un équilibre en allant chercher en Hollande, en Castille
ou en Cornouailles des empereurs fantoches, souverains sans autorité.
Dans ce chaos, certains espèrent faire main basse sur l’Autriche privée de
maître. Le premier intéressé vient de Bohême, sous le nom d’Ottokar I
Přemysl, celui-là même, pour les connaisseurs, auquel Hergé rend un discre
hommage dans les pages de Tintin en Syldavie. Le fondateur de la dynastie
des Přemyslides fut baptisé en 875, et depuis 950 un lien de vassalité unit la
Bohême au Saint Empire, obligeant les ducs de Bohême à participer à l’effor
militaire des rois de Germanie et à les accompagner à Rome. Après des efforts
infructueux pour tenter de s’affranchir de la tutelle germanique, les
Přemyslides se sont vus octroyer par Frédéric II au début du XIIIe siècle la
dignité royale, pour leur fidélité à l’empereur dans sa lutte contre la papauté
Désormais, l’empereur accorde l’investiture au roi de Bohême, et le roi de
Bohême a la liberté de nommer ses évêques. Le roi Ottokar II se présente donc
comme un candidat plus que sérieux à la succession autrichienne, l’un de ceux
que l’on ne peut balayer d’un revers de la main.
En face de lui, le roi de Hongrie, Béla IV, affirme ses prétentions. Aguerr
par la lutte contre les Tataro-Mongols, qui envahirent la Silésie, la Moravie, e
la Hongrie en 1241, Béla IV encourage ses vassaux, dans un pays dévasté e
dépeuplé, à multiplier les raids contre l’Autriche, pour aller y quérir des
paysans emmenés comme prisonniers et destinés à repeupler la Hongrie mise
à sac et appauvrie. Soucieux de se protéger, les vassaux autrichiens choisissen
d’aller se chercher un nouveau protecteur, sans en appeler à l’empereur, en la
personne d’Ottokar, qui n’est alors « que » le fils et héritier du roi de Bohême
Pour conforter sa position, Ottokar choisit d’épouser la nièce de Frédéric I
Babenberg, Marguerite d’Autriche, son aînée de plus de vingt ans, tout cela
avec l’accord du pape. En 1269, l’extinction de la lignée des ducs de Carinthie
dont il est légataire universel lui permet de récupérer cette province ainsi que
la Carniole. En quelques années, il réussit le tour de force de régner sur un
territoire quasiment équivalent à l’essentiel de l’Autriche et de la Slovénie
actuelles, ce qui lui donne une position tout à fait éminente en Europe
centrale. L’Autriche profite incontestablement de cette tutelle, même s
Ottokar mécontente les seigneurs locaux qui ont profité de la fin des
Babenberg pour accroître leur puissance.
Ottokar a pu prospérer ainsi devant la vacance du pouvoir impérial. Au
faîte de sa puissance, il convoite aussi le trône du Saint Empire, mais il es
écarté de la course par les princes allemands qui se méfient de ses ambitions e
lui préfèrent l’obscur Rodolphe, comte de Habsbourg. Celui qui est alors
connu sous le nom de Rodolphe IV, comte de Habsbourg depuis 1249, se fai
élire roi de Germanie et roi des Romains sous le nom de Rodolphe Ier. À la
faveur de cette élection, l’honnête maison de Habsbourg, qui trouve son
origine quelque part au Xe siècle, aux confins de l’Alsace et de la Suisse
alémanique, entre dans l’histoire par une porte dérobée. Lorsqu’il est élu ro
des Romains, Rodolphe a déjà cinquante-cinq ans. Il est à la rigueur un
Alsacien, un Suisse allemand, il n’a pour l’instant pas grand-chose à voir avec
l’Autriche. Ce n’est que progressivement que le centre de gravité de sa famille
va glisser du Rhin au Danube, et, en unissant avec les Habsbourg ses destinées
à celles du Saint Empire, l’Autriche jusque-là restée dans l’ombre gagne
définitivement ses lettres de noblesse.

L’arrivée des Habsbourg sur le trône du Saint


Empire
Depuis le château fort de l’épervier (Habichtsburg, dont la construction
est attestée en 1020), les Habsbourg, une famille installée originellement aux
confins de la France, de la Suisse et de l’Allemagne actuelles avec pou
fondateur un certain Gontran le Riche, ont, deux siècles durant, patiemmen
assis leur domination sur l’Alsace. Au XIe siècle, le lignage est à l’origine de
nombreuses fondations monastiques, et entretient sa puissance par de belles
alliances matrimoniales. C’est en 1090 que l’on voit apparaître pour la
première fois le titre de comte de Habsbourg, revendiqué par Otton, petit-fils
de Radbot, seigneur de la forteresse de Habichtsburg, quand il s’en va
guerroyer aux côtés de l’empereur contre le roi de Hongrie. Au XIIe siècle
comme les Babenberg, les Habsbourg font partie du cercle des fidèles au clan
Hohenstaufen, et ils accroissent ainsi leur patrimoine en recueillant les
héritages de lignages éteints : peu à peu, ils peuvent s’estimer crédibles pou
prétendre au trône impérial.
Au moment de l’élection, en 1273, Rodolphe, qui est alors comte de
Habsbourg sous le nom de Rodolphe IV, ne l’emporte ni par son prestige n
par sa puissance, mais parce qu’il apparaît par excellence comme une
candidature de compromis, celui qui ne gênera les ambitions de personne, trop
insignifiant pour faire de l’ombre à quiconque, mais suffisamment puissan
pour apporter un peu de stabilité à un empire exsangue : le parfait équilibre
Personnage de peu d’envergure, il a su cependant tisser des relations dont i
sait faire bon usage. Il a eu la chance d’avoir pour parrain l’empereu
Frédéric II, et a constamment réaffirmé sa fidélité à la dynastie des
Hohenstaufen dans la lutte sans merci qui les oppose à la papauté. Il est ains
paradoxal qu’un Habsbourg doive son accroissement de puissance à la
constance du combat contre le siège de saint Pierre… alors que la dynastie
plus tard, ne jurera, à la manière des Jésuites, que par la fidélité au pape.
À ce « détail » près, tout l’être de Rodolphe incarne ce qui va devenir plus
qu’une tendance familiale : une identité et un programme politique, à mesure
que les générations suivantes se chargeront d’embellir le portrait de celui qu
donna véritablement à la dynastie ses lettres de noblesse et lui indiqua la
marche à suivre pour les siècles. Une absence d’ambitions démesurées, une
culture de l’enracinement local et de la juste maîtrise des horizons familiers
une piété simple et ardente.
Schiller lui a rendu un brillant hommage en 1803 dans son poème De
Graf von Habsburg (Le Comte de Habsbourg). Mettant en scène le roi
empereur – Rodolphe, élu roi des Romains, n’a dans les faits jamais été
couronné empereur par le pape – dans la pompe de sa cour d’Aix-la-Chapelle
il fait de lui le garant de la paix et du bonheur de ses peuples. Affable, simple
et souriant, il aime à se rappeler les douces heures de sa jeunesse quand la
musique des ménestrels berçait ses rêveries ; il se prend à écouter un chanteu
de passage, et, sans vouloir lui commander, le laisse libre d’exprimer son
génie et son âme. Et l’inconnu célèbre alors en musique une geste d’un noble
personnage : alors qu’il chevauche à la chasse, il tombe nez à nez avec un
prêtre qui, portant le Saint-Sacrement à un malade, se retrouve bloqué par une
rivière qu’il doit traverser à gué. Le comte s’incline et laisse son cheval au
pauvre prêtre pour qu’il puisse traverser sans encombres, et poursuit la chasse
sur la monture de son écuyer. Le lendemain, le prêtre vient rapporter le cheva
au comte, mais celui-ci se déclare indigne de jamais monter dorénavant à la
chasse ou au combat, sur un cheval qui a porté le Créateur, et fait don de
l’animal aux œuvres du Seigneur. Vous l’aurez compris : le comte de la
chanson n’est autre que l’empereur lui-même. Puis le chanteur se dévoile
c’est lui le prêtre qui, quelques années plus tôt, eut à bénéficier de la piété e
de la générosité de Rodolphe : « L’empereur écoute ce chant la tête penchée e
comme s’il songeait au temps passé. En regardant le chanteur, il comprend le
sens intime de ses paroles. Il reconnaît les traits du prêtre, et cache dans les
plis de son manteau de pourpre les larmes qui s’échappent de ses yeux. Tous
les assistants le contemplent et reconnaissent en lui le comte qui a rendu ce
hommage à la grandeur de Dieu. » Cette anecdote est fondatrice et reste pou
les siècles une référence de la piété habsbourgeoise. Schiller n’est pas le
premier à avoir célébré de sa plume le récit mythique du fondateur de la
dynastie, érigé au rang de véritable patrimoine familial des Habsbourg, et qu
explique pour une grande part la piété eucharistique qui fut celle de cette
famille, jusqu’au dernier empereur, Charles, et même au-delà.
Avec cet arrière-plan, et après le désordre du Grand Interrègne, l’élection
de Rodolphe augure d’un règne placé sous le signe de la paix, de l’ordre et de
la justice. Rodolphe obtient le soutien du pape en lui promettant une croisade
Toutefois, il choisit de s’économiser la pénible et périlleuse expédition du
Römerzug pour aller se faire couronner empereur dans la ville de sain
Pierre ; ses efforts se portent bien plutôt sur la pacification des territoires du
centre de l’Europe. L’Autriche est dans sa ligne de mire, elle qui fit l’obje
d’un processus de succession quelque peu douteux avec l’extinction des
Babenberg et la mainmise d’Ottokar sur les provinces danubiennes : le
mariage de ce dernier avec Marguerite, la sœur de Frédéric II, le dernie
Babenberg, offrait en effet un titre de légitimité bien mince. C’est pourquo
Rodolphe, nouvellement élu, choisit de convoquer Ottokar devant la diète
d’empire à Wurtzbourg, pour tenter d’y voir plus clair, et au besoin
régulariser la situation. Ottokar prend ombrage de cette convocation, pourtan
tout sauf infamante dans l’esprit de Rodolphe : il méprise ouvertemen
Rodolphe, qu’il juge indigne de son élection. Rodolphe, bon prince, le
convoque à nouveau, cette fois à Augsbourg ; le roi de Bohême ne se déplace
pas plus, mais dépêche son conseiller pour plaider sa cause. Le verdict tombe
sans appel : Ottokar ne dispose d’aucun droit sur les anciennes possessions des
Babenberg ; les biens usurpés lui sont confisqués, et il est mis au ban de
l’empire au mois de juin 1275. L’archevêque de Mayence prononce un an plus
tard son excommunication.
D’éminente, la position d’Ottokar se fragilise. Nombreux sont ceux qu
comprennent que l’ordre est revenu, et qu’ils ont tout intérêt à se ranger sous
la bannière de Rodolphe. L’archevêque de Salzbourg choisit de souteni
Rodolphe, tout comme les seigneurs de Styrie. Rodolphe soigne ses relations
avec ses voisins immédiats : il s’assure du soutien du comte de Tyrol
Meinhard IV de Goritz, comte de Goritz et de Tyrol, en mariant son propre
fils, Albert, à la fille du comte, Élisabeth. En effet, à cette époque, le comté de
Tyrol, situé en un lieu stratégique de passage à travers les Alpes entre l’empire
et l’Italie, représente un territoire totalement indépendant du duché
d’Autriche. La lignée masculine des comtes de Tyrol, qui s’est éteinte en
1253, a conduit à la transmission du Tyrol au comte de Goritz, par l’union des
deux familles. Rodolphe consolide aussi ses liens avec le duc de Bavière, en
lui accordant sa fille, et s’allie enfin au roi de Hongrie. C’est toute la stratégie
future de la puissance habsbourgeoise qui est ici en germe : alliances de
proximité avec la Bavière et la Hongrie, politique de mariages, et, en toile de
fond, la fidélité au pape gage de son soutien.
La lutte contre Ottokar est une lutte armée, et l’armée de Rodolphe
progresse jusqu’aux portes de Vienne, obligeant le roi de Bohême à négocier
Il signe le 26 novembre 1276 une paix de compromis. La paix conforte les
droits d’Ottokar II sur la Bohême et la Moravie, et lui accorde le nord de la
Basse-Autriche, présent dans la corbeille des noces de la fille de Rodolphe
Judith de Habsbourg, avec le fils d’Ottokar, Venceslas. Rodolphe récupère
quant à lui l’Autriche, la Styrie, la Carinthie et la Carniole. Pour Ottokar, un
tel abaissement est inacceptable ; il ne peut accepter de perdre ainsi les
territoires de la succession des Babenberg, et se reconstitue patiemment un
parti, en cherchant des soutiens en Allemagne du Nord et jusqu’en Pologne
Le choc final intervient en 1278, lors de la bataille de Dürnkrut ou de
Marchfeld, qui voit s’opposer Ottokar et ses soutiens, à Rodolphe, flanqué
d’une armée de chevaliers autrichiens, styriens et de contingents du roi de
Hongrie. Ottokar y trouve la mort le 26 août 1278.
La bataille de Marchfeld marque une étape décisive dans l’histoire
autrichienne. Outre le fait qu’elle rogne définitivement l’expansion du
royaume bohême au-delà de son noyau originel, et rend impossible pour près
de trois siècles l’union sous une même couronne de l’Autriche et de la
Bohême, la bataille consacre l’installation des Habsbourg en Autriche par la
« voie royale », puisque Rodolphe garde pour sa famille le patrimoine des
Babenberg. Il gouverne l’Autriche jusqu’en 1282 en vertu de sa prérogative
royale, puis en 1282 il inféode l’Autriche et la Styrie à ses fils Albert e
Rodolphe5. En 1286, il inféode la Carinthie et la Carniole à son allié le comte
de Tyrol. Alors même qu’ils sont à l’origine de parfaits étrangers en ces terres
les Habsbourg, dont la puissance s’accroît toujours plus loin de leur berceau
de naissance, vont demeurer les maîtres de l’Autriche jusqu’en 1918.
Rodolphe Ier a donc réussi le tour de force de conquérir la couronne
impériale et de s’emparer de l’Autriche, mais ces acquis restent fragiles. Ayan
renoncé à se faire couronner empereur à Rome, il ne peut faire élire de son
vivant son fils Albert roi des Romains. En conséquence, à sa mort en 1292, la
couronne impériale échappe temporairement aux Habsbourg, puisque les
princes allemands, effrayés par l’ascension habsbourgeoise, choisissent pou
lui succéder un prince insignifiant, Adolphe de Nassau. La mise à l’écart de la
fonction impériale a tout du moins le mérite de permettre aux Habsbourg de se
concentrer sur leur nouveau domaine autrichien, où il y a fort à faire. Sur les
rives du Danube, ils sont encore des étrangers, et Albert, devenu seul duc
d’Autriche face à son frère Rodolphe, doit faire face à deux révoltes
successives de la noblesse styrienne et autrichienne, en 1291-1292 et 1295
1296, car il tend à privilégier sa propre clientèle au détriment des nobles
locaux. Il « s’austriacise » en choisissant pour ses fils, entre autres, les
prénoms de Frédéric, Léopold et Henri. Il soigne tout particulièrement la ville
de Vienne à laquelle il octroie une charte en 1296.
Pendant ce temps, du côté de l’empire, Adolphe de Nassau mécontente les
princes allemands au point qu’il se fait déposer par la diète6. La place est alors
libre pour Albert, méprisé quelques années plus tôt : il est élu roi des Romains
pour succéder à Adolphe en 1298. La politique menée par Albert une fois à la
tête de l’empire témoigne d’une vaste ambition pour sa lignée. Il cherche à
s’emparer de la Bohême frappée par l’extinction des Přemyslides, affirme des
prétentions sur la Thuringe et la Misnie7, mais se heurte à des révoltes
notamment en Suisse et en Alsace. C’est dans ce contexte que naît la légende
du héros suisse Guillaume Tell, qui se rendit célèbre pour avoir refusé de
s’incliner devant le mât coiffé du couvre-chef du bailli Hermann Gessler
représentant de l’autorité habsbourgeoise dans les cantons d’Uri et de Schwyz
et personnage très sourcilleux.
Alors même qu’il tente d’élargir les horizons des Habsbourg, la position
d’Albert est contestée dans le fief originel d’Habichtsburg. Le 1er mai 1308
Albert est assassiné par son neveu, Jean de Souabe, jaloux de la puissance
d’un oncle désormais bien peu enclin à partager le patrimoine familial. Une
fois de plus, la couronne impériale échappe temporairement aux Habsbourg
au profit de la dynastie de Luxembourg, en la personne d’Henri VII. Leu
pouvoir s’affaiblit du côté de l’Allemagne de l’Ouest, si bien qu’ils son
conduits à se recentrer sur leur nouveau patrimoine, les pays autrichiens. La
tendance se confirme avec Frédéric et Léopold, les deux fils d’Albert Ier, qu
deviennent en 1308 ducs d’Autriche et de Styrie. En tentant de venger la mor
de leur père, tué avec le soutien de nobles de Suisse et d’Alsace, ils
n’obtiennent pour tout résultat que la rébellion des Suisses et la défaite
militaire, en 1315, à la bataille de Morgarten : leur place n’est définitivemen
plus en Suisse alémanique, et les Suisses sauront amplement, à l’avenir
mythifier cette victoire héroïque des montagnards de la Confédération des
trois cantons – Uri, Schwyz et Unterwald – contre la tyrannie habsbourgeoise
et en faire l’une des étapes décisives dans la conquête des libertés helvétiques.
Au même moment, Frédéric essaie de reprendre la couronne impériale à la
mort d’Henri VII, et mène une guerre de huit ans à son cousin et rival, Louis
de Bavière, dont il conteste l’élection. Après une lutte acharnée, Frédéric
parvient à arracher à son cousin un accord de partage du trône, mais
l’administration des terres autrichiennes l’oblige à y renoncer : dans ses
objectifs politiques, il lui faut arbitrer entre l’Autriche et l’empire et fixer des
priorités. En 1330, sans héritier mâle, Frédéric transmet le patrimoine familia
à deux autres de ses frères, Albert, qui devient Albert II d’Autriche, et Otton
le dernier de la fratrie.
Loin du trône impérial, l’heure est à la consolidation, et bientôt à
l’extension, des territoires autrichiens. La fidélité renouvelée à l’empereu
Louis de Bavière porte ses fruits, puisqu’il leur ouvre des espérances su
l’héritage de la maison de Goritz8, à la tête du Tyrol du Sud, de la Carinthie e
de la Carniole. Albert II acquiert dès 1335, après extinction de la lignée
masculine de la maison de Goritz, la Carinthie et la Carniole, tandis que le
Tyrol, lui, est transmis en lignée féminine à la fille du comte Henri de Goritz
Marguerite de Carinthie. Les Habsbourg resserrent le lien avec le mariage de
Meinhard, fils de Marguerite, avec une fille d’Albert II9.
Albert II choisit d’organiser sa succession entre ses quatre fils : en vertu
d’un principe d’égalité, ils seront donc tout quatre « corégents ». Cette
pratique, qui peut paraître curieuse à l’aune des habitudes françaises, d’une
monarchie où prévaut la règle de primogéniture, susceptible de causer tensions
et rivalités dans une fratrie, a du moins le mérite d’éviter la partition du
patrimoine. Elle reste bien vivace dans les territoires habsbourgeois, et ce
quasiment jusqu’au XVIIe siècle. Dans les faits, c’est l’aîné, Rodolphe, qui va
prendre l’ascendant sur ses plus jeunes frères, à la mort d’Albert II en 1358.
Le prénom de Rodolphe porte chance aux Habsbourg : après les grandes
heures de Rodolphe Ier, voici venu le temps de Rodolphe IV10, qui écrit une
nouvelle page glorieuse et décisive pour l’histoire de l’Autriche, à tel poin
qu’il mérite le nom de « Fondateur », bien décidé à marcher sur les traces de
son auguste et impérial arrière-grand-père, Rodolphe Ier. L’acte majeur du
règne de Rodolphe IV est la « forgerie » ou faux de chancellerie, du
Privilegium Majus, établi en 1358 ou 1359, sur les bases du Privilegium
Minus de Frédéric Ier Barberousse de 1156. Le document, un ensemble de cinq
textes reconstitués et prétendument datés du XIe au XIIIe siècle, fait désormais
du duché d’Autriche un archiduché. Il instaure sa transmission pa
primogéniture masculine. En cas d’absence d’héritier, loin de revenir à
l’empereur comme ce fut le cas dans le passé, l’Autriche peut être transmise à
un héritier librement choisi par le duc d’Autriche.
La proclamation du Privilegium Majus est un geste audacieux, qu
apparaît comme une réponse à la Bulle d’or, publiée par l’empereu
Charles IV de Luxembourg en 1356. La Bulle d’or de 1356 organise en effe
l’institution impériale de façon pérenne, en instituant officiellement l’élection
de l’empereur par sept princes électeurs11, parmi lesquels ne figure pas le duc
d’Autriche. La dignité impériale est désormais conférée par l’élection, et non
plus par le couronnement, ce qui, de facto, diminue l’influence du pape su
l’empire. Exclus de l’empire, les ducs d’Autriche et la maison de Habsbourg
entendent donc se garantir une position éminente et afficher leu
indépendance : contribution minimaliste à l’armée impériale, absence
d’obligation de se rendre à la Cour impériale pour prêter hommage à
l’empereur. Si d’aventure le nouvel archiduc d’Autriche devait se rendre à la
diète d’empire, il y siégerait à la droite de l’empereur, juste après les princes
électeurs. Le Privilegium Majus proclame aussi l’absence de suzeraineté de
l’empereur sur les fiefs situés en Autriche, et l’impossibilité pour les sujets
autrichiens de faire appel auprès des tribunaux impériaux. La forgerie prend
également soin d’accorder aux nouveaux archiducs d’Autriche maints titres
honorifiques : l’office de grand veneur de l’empire, le titre d’archiduc palatin
le titre de duc de Souabe, relevé pour l’occasion.
Le Privilegium Majus est un acte majeur, car il donne une existence
propre à une Autriche qualifiée de dominium Austriae, avec une existence
propre qui ne se limite pas à un patrimoine habsbourgeois formé de territoires
indivisibles. Pour l’empereur Charles IV, qui n’est autre que le beau-père de
Rodolphe, le geste est perçu comme une provocation d’une rare violence. I
refuse sans surprise de reconnaître la forgerie12. Il y répond en attisant les
rébellions contre les Suisses, dont les Habsbourg étaient encore les seigneurs
ou contre les princes d’empire possessionnés en Autriche. Malgré cette
vindicte venue d’en haut, Rodolphe trace sa route. Décisive est son action su
la ville de Vienne : il fonde un chapitre de chanoines à la cathédrale Saint
Étienne, première étape vers la constitution de la ville en évêché, un siècle
plus tard13. Sur le modèle de l’antique université de Prague, Rodolphe fonde
en 1365, peu avant sa mort, l’université de Vienne. La puissance de Rodolphe
se trouve enfin confortée par la récupération du Tyrol, en 1363 : quand
Meinhard, le dernier descendant des comtes de Tyrol, de santé fragile, meur
en 1363 à peine âgé de dix-neuf ans, et sans descendance, le Tyrol tombe
définitivement dans l’escarcelle habsbourgeoise, en vertu d’un accord passé
avec sa mère, Marguerite de Carinthie14. Les « pays héréditaires » se
rapprochent progressivement de ce que nous connaissons, aujourd’hui, sous le
vocable d’Autriche.
Rodolphe IV meurt prématurément, à l’âge de vingt-cinq ans, alors qu’i
négociait à Milan une alliance avec la maison Visconti pour son frère Léopold
En l’absence de descendance, le pouvoir passe à ses deux jeunes frères, Alber
et Léopold, qui prennent les noms d’Albert III et de Léopold III d’Autriche
Les conditions de succession stipulées dans le Privilegium Majus restent pou
l’instant lettre morte, et l’Autriche va être soumise aux affres de la partition
entre une branche « albertine » et une branche « léopoldine », division
consacrée par le traité de Neuberg, en 1379. La branche léopoldine se divise à
son tour, au début du XVe siècle, entre une branche styrienne et une branche
tyrolienne.
Cette division n’empêche pas les Habsbourg de poursuivre l’œuvre
d’extension du domaine familial autrichien : en 1368, ils s’installent en
Brisgau ; en 1369, les droits sur le Tyrol leur ont définitivement été reconnus
par l’empereur, contre les Wittelsbach de Bavière qui revendiquaient auss
l’héritage ; en 1375, ils acquièrent Feldkirch dans le Vorarlberg ; et en 1382
ils récupèrent la ville de Trieste qui offre à l’Autriche un débouché sur la me
appelé à être crucial.
Les accroissements de territoire s’accompagnent ailleurs de pertes : la
maîtrise des territoires suisses devient de plus difficile pour l’un des fils de
Léopold III, Frédéric IV, qui se les voit confisquer par la diète d’empire, en
représailles de son soutien à l’antipape Jean XXIII. Plus globalement, le
pouvoir morcelé de la dynastie habsbourgeoise tend, localement, à s’effacer au
profit des noblesses locales. Malgré tout, la puissance revient en la personne
de Frédéric V, fils d’Ernest Ier, fils de Léopold III, de la branche styrienne
Confronté à des luttes incessantes sur les territoires autrichiens, il parvien
néanmoins à reconquérir le trône impérial, sous le nom de Frédéric III, et à
transmettre d’importants pouvoirs à son fils Maximilien.

L’Autriche, des troubles à la gloire


Personnage complexe, dont le règne fut marqué par l’anarchie et les luttes
sur tous les fronts, Frédéric V de Styrie, ou Frédéric III du Saint Empire, doit à
son apparente faiblesse, comme son ancêtre Rodolphe Ier, d’avoir pu se faire
élire roi de Germanie en 1440, tandis que s’éteignait la puissante maison de
Luxembourg.
Le terrain avait été préparé à un retour des Habsbourg aux affaires de
l’empire : Albert V de Habsbourg, de la branche albertine, avait épousé
Élisabeth, la fille de l’empereur Sigismond de Luxembourg. À sa mort en
1438, il avait recueilli son héritage en se faisant élire roi des Romains et roi de
Germanie sous le nom d’Albert II. Il était parvenu également à se faire élire
roi de Hongrie, puis roi de Bohême, non sans entraîner, dans ce royaume, une
profonde division aux racines religieuses15. Il rassemble sur sa tête les trois
couronnes qui feront, à partir du XVIe siècle, toute la puissance
habsbourgeoise, mais ce n’est pour l’heure qu’une conquête éphémère. I
meurt de la dysenterie un an plus tard, en octobre 1439, et tout est à
recommencer pour son héritier, Ladislas, qui naît de manière posthume en
février 1440.
Dans ce contexte, Frédéric, de la branche styrienne16, se fait sans trop de
difficultés élire roi des Romains en 1440, mais il met du temps à unifier autou
de lui un véritable patrimoine autrichien. Pour ce faire, il place
progressivement sous son autorité tous les autres membres de sa famille, tou
en gardant un œil sur les territoires voisins de Bohême et de Hongrie. Dans un
premier temps, le jeune Ladislas, surnommé « le Posthume », cherche à
garantir l’héritage de son père, et se présente comme le candidat naturel au
trône de Hongrie comme au trône de Bohême, mais il entre en concurrence
dans l’un et l’autre pays, avec des partis « nationaux » qui ne veulent pas
entendre parler d’un souverain « allemand ». Élisabeth de Luxembourg e
l’enfant Ladislas viennent donc se mettre sous la protection de Frédéric, avec
un gage de grande valeur : ils ont emmené avec eux, au mépris de toutes les
lois fondamentales du royaume de Hongrie, la couronne de Saint-Étienne
Frédéric entendant garder le contrôle sur son précieux pupille, des sortes de
« lieutenants généraux » sont élus, en attendant que Ladislas ait l’âge de
gouverner et que Frédéric accepte de le libérer : pour la Bohême, Georges de
Poděbrady17, avec la fonction de lieutenant général en 1444, et pour la
Hongrie, Jean Hunyadi18, avec le titre de gouverneur impérial, en 1446. Dans
le même temps, Frédéric place également sous tutelle Sigismond de Tyrol
l’héritier de la branche tyrolienne. Mais, sous ces apparences de maîtrise, la
position de Frédéric est en réalité bien faible, et se constitue une coalition des
mécontents, autour de Georges de Podiebrad, de Jean Corvin, mais auss
d’Ulrich Eyzinger, l’intendant de Frédéric en Basse-Autriche, en rébellion
avec la noblesse locale contre son souverain.
Pendant que l’occupent ces difficiles affaires de succession, Frédéric
remporte une vraie victoire sur le front des affaires impériales. Au mois de
février 1440, il a été élu roi des Romains – probablement sans l’avoir vraimen
cherché – mais en vertu du principe désormais bien connu que le meilleu
candidat à l’empire est celui qui inquiète le moins. Frédéric V de Styrie
devient Frédéric III du Saint Empire. La couronne impériale va désormais
rester dans les mains des Habsbourg jusqu’à la disparition du Saint Empire
romain germanique, en 1806, sous les coups de boutoir de Napoléon. S
Frédéric doit son élection à sa relative modestie, il ne manque pourtant pas
d’une conscience aiguë de la dignité de sa famille et nourrit pour elle de
grandes ambitions. C’est lui qui adopte comme devise le célèbre sigle
AEIOU : Austria Est Imperare Orbi Universo (il revient à l’Autriche de
régner sur le monde entier). Vaste programme pour celui qui n’est alors que
duc de Styrie, mais qu’il entend mener à bien avec patience et persévérance
Son pouvoir est étroit, mais ses horizons sont larges : en 1444, il conclut une
alliance avec la France de Charles VII ; en 1452, il épouse une infante
portugaise, Éléonore du Portugal, nièce d’Henri le Navigateur. Pour la
dernière fois, le roi des Romains accomplit le Römerzug : en 1452, Frédéric
se rend à Rome pour se faire couronner empereur, premier et dernier des
Habsbourg à bénéficier d’une telle consécration. Il profite de sa dignité
impériale pour confirmer le peu recommandable Privilegium Majus trafiqué
par son ancêtre Rodolphe IV, et officialise le terme d’archiduc pour désigne
les membres de la maison de Habsbourg : le titre sera désormais porté par tous
les membres de la famille. Paradoxe dont l’histoire a le secret, il redonne ains
du lustre à l’institution impériale occidentale tout juste un an avant que ne
s’effondrent définitivement sous la poussée ottomane les derniers vestiges de
l’Empire romain d’Orient.
En 1457, meurt Ladislas le Posthume, à l’âge de dix-sept ans : ains
s’éteint la branche albertine des Habsbourg, ainsi meurt aussi l’éphémère
rassemblement des domaines autrichiens, bohêmes et hongrois. En Bohême
Georges de Podiebrad se fait élire roi de Bohême. En Hongrie, l’élection du
successeur de Ladislas offre la couronne de Saint-Étienne à Matthias Corvin
fils de Jean Corvin. Frédéric tente de récupérer une parcelle de son héritage
en se faisant élire roi de Hongrie par une poignée d’opposants aux Corvin, e
entre ainsi en conflit ouvert avec le jeune Matthias, avant d’arriver à un
compromis en 1463, avec le traité de Sopron, par lequel Frédéric accepte de
reconnaître Matthias comme roi de Hongrie moyennant terres et finances.
Frédéric est sollicité sur tous les fronts, et se heurte également à un riva
de son propre sang, son frère cadet Albert. Comment appliquer les principes
du Privilegium Majus récemment confirmé, quand les recommandations qu’i
induit, en faveur de la primogéniture, sont en contradiction flagrante avec une
tradition germanique de partage successoral encore bien vivace ? L’Autriche
n’est pas pensée comme un tout, et suscite des appétits concurrents. En face de
Frédéric en Styrie et de Sigismond au Tyrol, Albert VI revendique pour lui
même la Basse-Autriche. La paix et la prospérité des domaines habsbourgeois
pâtissent de ces luttes sans fin : s’y affrontent des bandes de mercenaires
engagés par l’un et l’autre frère, réduisant les campagnes à l’état de ruine et de
famine. Frédéric ne parvient pas vraiment à s’imposer, et l’entretien de ses
mercenaires lui cause de graves ennuis financiers. Après un siège de Vienne
victorieux, Albert VI tient la ville contre son frère. Seule sa mort, en 1463
permet à Frédéric de ramener la paix dans les pays danubiens d’Autriche.
Tandis que se pacifient difficilement les affaires de Basse-Autriche, le
péril se fait sentir aussi à l’ouest, autour de ce que l’on appelle l’Autriche
antérieure, à savoir des territoires de Bade, de Souabe, d’Alsace, et du
Vorarlberg, antiques possessions habsbourgeoises qui les confrontent alors aux
Suisses et aux Bourguignons. Les Suisses confédérés lancent de nouvelles
conquêtes contre les territoires habsbourgeois déjà diminués quelques
décennies plus tôt. Ils s’emparent de la Thurgovie, à l’est de Zurich. En 1461
les Autrichiens en signant la paix acceptent de leur céder ces territoires ; les
tentatives pour en reprendre le contrôle vont systématiquement se solder pa
des échecs.
Dans le conflit qui les oppose aux Suisses, les Habsbourg espèrent pouvoi
trouver un appui dans le duché de Bourgogne. Avec à sa tête Charles le
Téméraire, ce duché constitue un acteur de poids, avec lequel il faut savoi
compter. Les affaires de Bourgogne et leurs interactions avec les Habsbourg
contribuent à recentrer le champ politique de l’Autriche vers l’ouest. Les
territoires du Téméraire s’étendent à cette période sur la Bourgogne et la
Franche-Comté d’une part, et d’autre part sur les Pays-Bas. Entre les deux, un
important duché de Lorraine que Charles espère bien soumettre. Il tient de son
père l’ordre de la Toison d’or. En 1469, par le traité de Saint-Omer, il a obtenu
en gage l’Alsace et le Brisgau. L’alliance avec les Habsbourg lui perme
d’affronter avec plus de force son cousin Louis XI, roi de France. Sous la
tutelle du Téméraire se reconstitue peu à peu l’antique Lotharingie
l’ambitieux Charles rêve de constituer un royaume indépendant, et il n’exclu
pas de participer un jour à la course impériale.
Frédéric III négocie avec ardeur pour marier son fils, l’archiduc
Maximilien, à la fille de Charles, Marie de Bourgogne, la plus convoitée des
héritières. Le jeu est dangereux, car une telle union briserait définitivement les
rapports pour l’instant excellents entre Frédéric III et le roi de France, et les
ambitions de Charles le Téméraire sont apparemment sans limites. Mais
Frédéric III parie sur l’avenir et a senti que là était l’intérêt de sa maison. Dans
un premier temps, les négociations ouvertes en 1473 à Trèves n’aboutissen
pas. Charles est difficile à manier. Il lance une campagne contre l’archevêché
de Cologne qui sème la panique dans l’empire, et pousse les Habsbourg à
changer d’alliance pour s’entendre avec les Suisses : en découle l’édi
perpétuel de 1474, qui entérine d’une manière définitive la victoire des
Confédérés et le repli autrichien.
La grogne monte dans les territoires bourguignons, ce qui n’empêche pas
Charles, en lutte avec les Confédérés, de se lancer en même temps dans la
conquête de la Lorraine. Dans ces temps troublés, il choisit également de
relancer le dossier des fiançailles de Marie et Maximilien. L’accord est conclu
in extremis. Le 5 janvier 1477, Charles trouve la mort devant Nancy, sous les
assauts conjugués des Lorrains et des Suisses, et Maximilien épouse la fille de
Charles le Téméraire à Gand le 19 août de la même année.
Ce mariage est l’un des gestes décisifs qui porteront l’Autriche au somme
de sa puissance, en permettant la jonction des patrimoines danubien e
bourguignon19. Il entérine d’une manière tout aussi certaine la brouille entre la
maison d’Autriche et la maison de France.
En Hongrie, le conflit avec Matthias Corvin reprend en 1477. Depuis la
mort de Georges de Podiebrad, roi de Bohême, en 1471, Matthias Corvin
espère récupérer le trône de Bohême au détriment de l’héritier Vladislav
Jagellon20, d’autant qu’il a déjà mis la main sur la Moravie et la Silésie. Un
conflit autour de l’attribution du poste d’archevêque de Salzbourg fournit le
prétexte à la reprise des hostilités, puisque Frédéric comme Matthias Corvin
tentent d’y imposer leur favori. Matthias finit par lancer une offensive contre
la Basse-Autriche, et met la main sur Salzbourg. Il finit par prendre Vienne en
1485, ainsi que Wiener Neustadt. La situation devient critique au point que
Maximilien, qui s’est fait élire roi des Romains en 1486, du vivant de son
père, pousse à la réconciliation et aux concessions avec Matthias. Mais
Frédéric III ne veut pas en entendre parler, et seule la mort de Matthias au
mois d’avril 1490 met fin au conflit. Malgré trois mariages successifs
Matthias est mort sans héritier. La Hongrie passe également aux mains de
Vladislav Jagellon, et il est prévu que Maximilien pourra prétendre au trône de
Hongrie si la descendance des Jagellon vient à se tarir.
Frédéric III ne néglige pas pour autant la gestion des pays héréditaires
Pour améliorer l’encadrement des fidèles de ses territoires, il obtient du pape
Pie II la fondation des évêchés de Laybach, de Wiener Neustadt, et enfin, de
Vienne, même si la prééminence, en termes de ressort et de prestige, reste
encore aux sièges de Passau et de Salzbourg. Frédéric III s’installe le premie
à Fiume, débouché maritime de l’Autriche sur l’Adriatique appelé à un grand
avenir. En 1490, à la suite d’une révolte des nobles tyroliens, Sigismond2
abandonne la régence du Tyrol et de l’Autriche antérieure à Maximilien, le fils
de Frédéric.
Le 19 août 1493, meurt Frédéric III. Sa succession, du fait de l’élection de
son vivant de son fils Maximilien, s’effectue sans heurts après un règne plus
que mouvementé, durant lequel les destinées de l’Autriche furent mises à rude
épreuve. Un règne sans lustre, mais décisif, comme celui, au même moment
de Louis XI du côté de la France. C’est bien sous Frédéric III que naît
s’installe et s’impose l’expression de « maison d’Autriche », appelée à
d’augustes destinées.
Première partie
La maison d’Autriche (1493-1815)

Si la foi et la fidélité ont été bannies de ce monde et se son


enfuies, je veux leur donner refuge.
Charles Quint

L’épanouissement de l’Autriche à l’époque moderne est le fruit d’une


curieuse histoire : tout est parti d’une famille originaire de Suisse alémanique
les Habsbourg, qui se retrouve, par une série de hasards et d’opportunités
historiques, à administrer des territoires, les territoires autrichiens, bien
éloignés de son fief d’origine. Cette implantation autrichienne fortuite l’amène
à s’immiscer dans l’histoire du Saint Empire romain germanique. La famille
se retrouve entraînée vers des destinées impériales, qui vont, de ce fait
permettre à ses terres d’adoption d’acquérir un rayonnement inattendu. C’es
cette équation originelle hautement improbable qui fait la particularité de
l’Autriche, et qui rend aussi malaisé le travail de définition de son essence e
de ses contours, à rebours de la trajectoire, presque linéaire en regard
d’affirmation de la puissance française. Pourtant, des balbutiements de la
Réforme à la Révolution française, une véritable puissance européenne
s’installe et se renforce au cœur de l’Europe, puisant sa force dans un
catholicisme enraciné et dans une dynastie devenue experte dans l’art de
concilier les inconciliables.

Naissance de la maison d’Autriche : l’œuvre de


Maximilien Ier
Maximilien est le fils unique de Frédéric III. Ce dernier lui mène la vie
dure en lui comptant le moindre de ses deniers pour ses campagnes militaires
notamment en Hongrie.
La bonne fortune, dans tous les sens du terme, de Maximilien lui vient de
son mariage avec Marie de Bourgogne, habilement négocié par son père. La
mort de Charles le Téméraire, quelques mois plus tôt, semble compromettre
l’héritage, puisque Louis XI, en effet, n’entend pas laisser l’héritage du duc de
Bourgogne passer sans coup férir aux mains des Autrichiens. En tant que
suzerain de Charles pour les fiefs français, il n’hésite pas à recourir aux armes
pour réclamer son dû. En conséquence, Maximilien doit défendre les biens
apportés par son épouse : il met à profit pour cela d’excellentes qualités de
capitaine et d’entrepreneur de guerre, et parvient à imposer le respect à
Louis XI. En 1479, Maximilien remporte une victoire sur Louis XI à la
bataille de Guinegatte, mais, malgré les trêves renouvelées, la guerre se
poursuit jusqu’en 1482.
Le mariage de Maximilien et de Marie donne naissance à deux enfants
Philippe, dit le Beau, futur père de Charles Quint, et Marguerite, future
gouvernante des Pays-Bas. Malheureusement pour Maximilien, son épouse
trouve la mort dans un accident de cheval en 1482, alors que ses enfants son
encore tout petits. La défense de l’héritage de Marie devient alors
particulièrement compliquée pour Maximilien qui n’est plus « que » le père du
futur duc : il n’a aucune légitimité propre, et est soumis à la pression des États
de Flandre, Hainaut, Brabant et Hollande qui entendent réduire son autorité.
La paix avec la France est finalement conclue en décembre 1482, par le
traité d’Arras. À cette occasion, sont prévues des fiançailles entre Marguerite
et le dauphin Charles (futur Charles VIII). Marguerite, qui sera élevée en
France, doit apporter en dot les territoires bourguignons alors occupés par la
France : l’Artois, la Franche-Comté, et différents territoires de la Bourgogne
actuelle (Mâconnais, Charolais, Auxerrois, et diverses petites seigneuries)
L’archiduc Philippe, frère de Marguerite, récupère tous les « Pays-Bas »
(Flandres, Brabant, Limbourg et Luxembourg, Hainaut, Namur, Hollande e
Zélande), et viendrait à récupérer la dot de Marguerite au cas où le mariage
serait annulé. Pour le cas où Philippe le Beau, lui, mourrait, l’ensemble des
Pays-Bas reviendrait à la couronne de France.
Les choses se compliquent puisque, de son côté, Maximilien envisage de
se remarier avec Anne, duchesse de Bretagne, dans la perspective d’ajouter la
province à ses propres possessions, puisque Anne en est la dernière héritière
il imagine pouvoir rééditer le brillant coup de ses épousailles avec l’héritière
bourguignonne. Les choses vont assez loin, le mariage est même célébré pa
procuration à Rennes, au mépris du droit féodal, puisque Anne, en vertu d’un
traité ad hoc, le traité du Verger1, passé entre le roi de France Charles VIII e
le duc de Bretagne François II, père d’Anne, ne pouvait contracter d’alliance
sans l’accord du roi de France. Ce sont ses premières noces, et elles sont de
courte durée : Charles VIII n’hésite pas à recourir aux armes pour empêcher la
réalisation de l’union, et va jusqu’à mettre le siège devant Rennes, profitant de
ce que Maximilien est retenu en Hongrie, avant de prendre lui-même Anne
pour épouse en 1491, causant au passage la rupture des fiançailles de
Marguerite et de Charles. Le traité d’Arras devenu caduc, un nouveau traité
est élaboré, le traité de Senlis, en 1493. Marguerite retourne auprès de son
père, mais une partie de sa dot reste acquise à la France : l’intégralité du duché
de Bourgogne, notamment, revient ainsi à la France. La pauvre archiduchesse
Marguerite rejetée multiplie les mariages ratés : avec Jean d’Aragon en 1497
pendant du mariage de son frère Philippe avec Jeanne de Castille, frère de
Jean, qui ne survit que six mois à leur union, puis en 1501 avec Philibert de
Savoie, qui meurt trois ans après leurs noces d’un accident de chasse alors
qu’elle n’a que vingt-quatre ans. C’est en tant que régente des Pays-Bas, à
partir de 1507, qu’elle finit par trouver un brillant accomplissement.
En 1498, Maximilien tente, en vain, de récupérer cette fameuse
Bourgogne, mais personne dans l’empire n’accepte de le suivre dans sa
campagne et il faut pour lui se résoudre à ce nouvel état de fait. Une
compensation est obtenue par Maximilien sur le comté de Goritz : c’est sous
son règne que cette belle province alpine rejoint définitivement et dans son
intégralité le noyau autrichien. Il faut rappeler qu’au XIIIe siècle, le chef de la
maison de Goritz, qui possédait le Tyrol, Meinhard III2, mort en 1258, avai
divisé son héritage entre ses deux fils. La branche aînée de la maison de
Goritz portait le titre de comtes de Tyrol, jusqu’à la mort d’Henri de Goritz en
1335 ; comme nous l’avons vu, sa fille Marguerite avait fait le choix de
transmettre son héritage tyrolien à Rodolphe IV de Habsbourg en 1363. I
restait toutefois la branche cadette des comtes de Goritz, qui va s’éteindre à
son tour dans la deuxième moitié du XVe siècle, avec Léonard de Goritz, sans
descendance. Soumis à la pression de ses puissants voisins, les Habsbourg
d’une part, mais aussi, la République de Venise, il conclut peu avant sa mort
en 1500, un accord avec Maximilien pour que ses terres soient désormais
incluses dans le domaine des Habsbourg.
La politique d’accroissement du patrimoine des Habsbourg, et de ce fai
l’agrandissement de ce domaine que l’on appelle Autriche est l’axe prioritaire
de la politique de Maximilien. Il finit par regrouper sous son contrôle direct la
Basse-Autriche, l’Autriche intérieure (Styrie, Carinthie, Carniole), le Tyrol e
le comté de Goritz, les évêchés de Brixen et Trente, quelques seigneuries de
Souabe orientale, dans l’orbite habsbourgeoise depuis le Grand Interrègne, des
territoires dispersés dans le Vorarlberg (Feldkirch, Bregenz), et enfin
l’Autriche antérieure, c’est-à-dire le résidu des possessions sur le Rhin (Haute
Alsace, Brisgau, Fribourg).
L’administration de ces territoires n’est pas chose aisée. Leur caractère
disparate, leur relative autonomie entretenue par l’absence répétée de leu
souverain appelé sur d’autres fronts, les rend peu enclins à l’obéissance. Le
problème récurrent repose sur le consentement des assemblées locales, les
diètes, à l’impôt, qui n’est jamais acquis. À Vienne, la diète s’oppose ains
régulièrement au vote des contributions. Plus fondamentalement, les habitants
des pays héréditaires habsbourgeois n’ont aucun sentiment d’appartenance
« autrichien » : c’est là un problème de fond de cette vaste partie de l’Europe
L’attachement va à la petite patrie locale et, parfois, au lointain empire, mais i
n’y a pas de point de convergence intermédiaire autre que l’attachement au
seigneur qui vienne rassembler les sujets autour d’un socle commun. Les
réformes que tente de mettre sur pied Maximilien ne vont donc pas du tout de
soi. Maximilien pose les jalons d’une réforme constitutionnelle qui va être
poursuivie par Ferdinand Ier, son petit-fils, et s’inspire pour cela de l’héritage
bourguignon. Homme d’État pointilleux, rigoureux, il suit de près les affaires
et ne cesse de sillonner ses domaines, à une époque où l’exercice du pouvoi
est encore très largement, en Autriche comme ailleurs, itinérant. Il institue
deux gouvernements : l’un pour la Basse-Autriche et l’Autriche intérieure
(l’Est), l’autre pour le Tyrol et l’Autriche antérieure (l’Ouest). Il aurait été
favorable à un seul gouvernement centralisé, mais la pression des ordres es
alors bien trop forte.
La notion d’ordres ou d’États, termes plus ou moins synonymes, es
caractéristique de l’Europe centrale et paraît étrangère au lecteur de l’Europe
occidentale. Depuis toujours, le pouvoir y est partagé entre le souverain et les
ordres, ou les États3. On pourrait les rapprocher des États, provinciaux ou
généraux, de la France d’Ancien Régime, mais leur pouvoir est beaucoup plus
étendu. Il se fonde sur le droit d’État, ou ensemble de privilèges formant une
constitution de type coutumier. On trouve généralement quatre ordres : l’ordre
des prélats, l’ordre des seigneurs, particulièrement puissants en Hongrie pa
exemple, c’est-à-dire les membres de la haute noblesse, aux comportements de
féodaux, capables de rivaliser sans difficulté avec leur souverain, l’ordre de la
noblesse, qui rassemble la noblesse intermédiaire, la plus importante en
nombre, et enfin, l’ordre des villes. Ils représentent un véritable contre
pouvoir à celui du souverain.
Rassemblés dans les diètes, c’est-à-dire les assemblées qui existent pou
les différents territoires, ce sont eux qui disposent généralement des cordons
de la bourse en pouvant choisir de voter ou non les contributions demandées
par le souverain. Longtemps, les diètes ont eu le pouvoir d’élire le souverain
Leur importance varie d’un royaume à l’autre, et la tendance générale de la
période moderne est à l’affaiblissement du pouvoir des diètes au profit du
souverain, mais ce serait une grave erreur que de les sous-estimer, ou de les
considérer comme le reliquat d’une époque médiévale désormais révolue.
La plus fameuse des diètes est la diète d’empire. Elle se réunit en
différentes villes d’Allemagne, dont les principales sont Worms, Spire
Augsbourg ou Nuremberg. Devenue après la guerre de Trente Ans une sorte de
congrès diplomatique permanent, elle siège alors à Ratisbonne ; mais elle n’es
pas la seule. On trouve en son sein trois collèges, équivalents de trois ordres
les électeurs, les princes, laïcs ou ecclésiastiques, et les villes. Le mode de
fonctionnement des diètes peut être très variable également d’un royaume à
l’autre : convoquées par le roi, elles peuvent se réunir plus ou moins souvent
plus ou moins longtemps. L’existence d’une administration dans les territoires
se justifie pour pouvoir graviter autour des diètes, et négocier avec elles.
Le travail de Maximilien commence au Tyrol, laissé dans l’anarchie du
fait de l’administration hasardeuse de Sigismond. Un gouvernement collégia
y est établi dès 1481, avec des conseillers élus par les États, chargés de
contrôler l’utilisation des finances aux mains d’un intendant, et complétés pa
un « gouvernement », qui est une sorte de régence. Le système est repris dans
les autres territoires en 1493 : un gouverneur et des conseillers, mais aussi un
trésorier et une Chambre des comptes. Le problème financier est central
puisqu’il ne saurait y avoir de pouvoir sans subsides, et qu’il n’y a pas de
subsides votés sans les diètes. La réforme est complétée en 1501-1502 ; le
partage entre le politique et le financier est acquis avec une Chambre des
comptes distincte d’une chambre de la Cour chargée de l’administration des
domaines. La justice est aux mains d’un tribunal de la Cour, qui rend ses
jugements en vertu du droit romain, et un Conseil aulique est institué pou
juger en dernier ressort. Les instances ne sont alors pas concentrées à Vienne
mais réparties dans tous les pays héréditaires. Linz accueille le gouvernement
Wiener Neustadt le tribunal, Vienne le Conseil aulique et la Chambre des
comptes.
Maximilien peine à imposer son système. L’idée d’aller à Vienne pour y
être jugé en dernier ressort déplaît, d’autant que le peuple comme les élites
préfèrent le droit coutumier au droit romain. Face aux institutions de
Maximilien, les diètes se renforcent et s’installent dans les capitales locales
l’édifice tient quelques années, puis s’effondre, et il n’en reste bientôt plus que
la régence et la Chambre des comptes. Les pays héréditaires tiennent en outre
à affirmer leur indépendance à l’égard de l’empire, tandis que Maximilien, lui
projette de faire de l’Autriche un royaume autonome au sein du Saint Empire
au même titre que la Bohême, par exemple. Ces projets restent lettre morte
l’heure n’est pas encore venue à la naissance d’un État unifié au cœur de
l’Europe danubienne, le chemin vers l’Autriche est encore long.
Bien qu’il soit d’une ère où les souverains sont itinérants, Maximilien
s’installe volontiers à Innsbruck, ville qu’il préfère à Vienne. Celle qui es
aujourd’hui capitale du Tyrol, installée sur l’Inn, lui paraît beaucoup plus
centrale pour administrer à la fois son patrimoine familial et l’empire. Sa
position est stratégique, tant pour le commerce que pour la politique. Il y
installe une partie de ses administrations. La première poste impériale es
gérée depuis Innsbruck ; son arsenal est l’un des plus fournis d’Europe, et es
adossé à de prestigieuses manufactures d’armes. Le Tyrol est une des pièces
maîtresses de sa puissance, car les montagnes qui le parent sont prodigues en
nombreuses richesses : argent, cuivre et sel. La ville porte aujourd’hui encore
la trace de cette période faste, la plupart des vieux édifices de la cité remontan
à la période de Maximilien.
Si Maximilien travaille avec acharnement et systématicité à organiser e
renforcer les pays héréditaires, cela ne l’empêche pas d’œuvrer aussi pour la
grandeur de l’empire : il ne voit pas de contradictions entre les deux tâches
comme tant de Habsbourg après lui. Maximilien entreprend une vaste réforme
des institutions du Saint Empire, dépourvu de tout organe véritablemen
exécutif, et trop souvent en proie à l’anarchie et aux dissensions déchirant les
diètes. En 1495, la diète de Worms vote la « paix perpétuelle » condamnant les
guerres privées. Maximilien instaure au niveau impérial une Chambre
impériale au statut de Cour suprême de justice. La diète en nomme les juges
si bien que la prérogative hautement symbolique de la justice finit pa
échapper à l’empereur. Maximilien tente, sans succès, de réformer la
perception de l’impôt impérial : le principe d’un impôt général voté par la
diète et réparti entre les États est admis mais sa mise en œuvre n’aboutit pas
réellement. La collaboration avec les États, dirigés par l’archevêque de
Mayence, Berthold de Henneberg, s’avère très compliquée. L’archevêque es
avant tout soucieux de garantir les privilèges des princes allemands, selon lu
véritables détenteurs de la puissance publique, contre l’empereur perçu
comme une simple autorité morale.
Maximilien entreprend en 1512 la réorganisation de l’empire en cercles
ou Kreise, réforme qui n’aboutit vraiment qu’avec son fils Charles
À l’occasion de cette réforme, commencent à se définir les contours d’un
« Cercle d’Autriche », épousant peu ou prou les territoires héréditaires. On y
trouve, outre l’archiduché d’Autriche, l’Autriche antérieure, la Carinthie, la
Carniole, le comté de Goritz, l’Istrie, la Styrie, les évêchés de Trente, Coire e
Bressanone, le Tyrol, la ville libre de Trieste, et un certain nombre de petits
territoires épars de l’Allemagne méridionale. Toujours à court d’argent
Maximilien entame une relation privilégiée avec les banquiers Fugger
banquiers d’Augsbourg, appelée à une grande postérité, puisque ce sont les
avances de Fugger qui permettront, quelques années plus tard, de garanti
l’élection de Charles Quint au trône impérial contre son rival François Ier.
La question financière est le problème récurrent auxquels sont confrontés
tous les souverains de l’Europe de ce temps, à l’exception peut-être, dans une
certaine mesure, des monarques français qui sont parvenus à la faveur de la
guerre de Cent Ans à instaurer un impôt direct et permanent, la taille, dès la
deuxième moitié du XVe siècle. Pour les Habsbourg, l’argent frais est avan
tout le nerf de la guerre : il n’y a d’armée permanente ni dans les pays
héréditaires, ni dans l’empire, et entretenir des mercenaires coûte cher, et les
dépenses militaires excèdent bien souvent les revenus des pays héréditaires
d’une part, et les emprunts, d’autre part. Dans le cas de Maximilien, à la
différence de Sigismond de Tyrol par exemple, ce n’est pourtant pas faute
d’être rigoureux et regardant à la dépense. Maximilien commence à travaille
avec les Fugger en 1491, en leur accordant la concession des mines d’argen
du Tyrol, moyennant de confortables avances de trésorerie. La concession se
fait au taux très avantageux de 50 % sur le prix de vente de l’argent pour les
Fugger, ce qui leur garantit un enrichissement considérable. Les Habsbourg en
retirent la possibilité de bénéficier de facilités de paiement quand les caisses
sont, comme c’est bien souvent le cas, désespérément vides.
Un point d’inflexion majeure est enfin à porter au règne de Maximilien
En 1507, souhaitant se faire couronner à Rome selon la tradition, il se heurte à
l’hostilité des Vénitiens à le laisser passer, et doit se résoudre à se dispense
des services du pape, Jules II. Il choisit donc de se proclamer empereur de lui
même, et met en place une formule qui va durer jusqu’en 1806 : « Nous, par la
grâce de Dieu, empereur romain élu. » La dignité de roi des Romains es
désormais attachée à un souverain avant tout germanique, ce qui affaibli
d’autant la prétention à l’universalité du Saint Empire.
L’accomplissement de l’œuvre de Maximilien ne saurait être entier sans
une consolidation de l’Est de ses domaines : aucun Habsbourg n’a vraimen
renoncé à garder un œil et un pied dans les royaumes de la couronne de Saint
Étienne (Hongrie) et de Saint-Venceslas (Bohême). Les deux couronnes sont à
l’époque dans les mains de la famille des Jagellon. Miracle de la destinée ou
authentique génie diplomatique, Maximilien va réussir à reproduire à l’Es
l’extraordinaire résultat obtenu à l’Ouest par le mariage négocié par son père
avec Marie de Bourgogne, et par lui-même, pour ses enfants Philippe e
Marguerite avec les héritiers espagnols.
Cette fois-ci, c’est pour ses petits-enfants, qu’il travaille avec succès, en
concluant en 1515 à Vienne des unions pleines de promesse. Il fiance tou
d’abord sa petite-fille Marie, fille de Philippe, à Louis4, fils du roi Vladislav
Jagellon, de Hongrie et de Bohême. Les promis sont tout juste âgés de neu
ans. Par ailleurs, Maximilien s’engage pour son fils à épouser la toute jeune
Anne, sœur de Louis, qui n’a alors que douze ans. La promesse est réalisée
dès l’année qui suit, en 1516, quand Ferdinand, le cadet, demande la main
d’Anne. Le mariage est conclu en bonne et due forme en 1521, soit deux ans
après la mort de Maximilien. C’est véritablement sous le règne de Maximilien
que prend tout son sens la célèbre maxime latine : « Alii bella gerant, tu
felix Austria, nube5. » Lui qui bénéficia de la bonne fortune de son mariage
bourguignon, sut arranger pour sa descendance de prestigieuses alliances
promises à un grand avenir.
Dans les derniers temps de son règne, Maximilien travaille avec zèle à
organiser sa succession, en faveur de son petit-fils Charles. Depuis 1516, il en
a fait le gouverneur des Pays-Bas, et le jeune Charles règne également sur les
Espagnes, Castille et Aragon, depuis la mort de son père Philippe la même
année6. Mais sa position dans l’empire est plus fragile et incertaine : la
puissance des Habsbourg n’a-t-elle pas, sous son règne, atteint des sommets
jamais gagnés jusque-là ? Cet accroissement de puissance ne risque-t-il pas de
lui coûter l’élection impériale ? Au sein des désormais immenses possessions
habsbourgeoises, qu’advient-il de l’Autriche ?
Maximilien meurt au mois de janvier 1519, laissant derrière lui une œuvre
immense qui consacre définitivement la puissance européenne des Habsbourg
S’ouvre alors le duel mythique pour le trône impérial, qui fait s’oppose
Charles, le petit-fils de Maximilien, à la tête de l’héritage patrimonia
habsbourgeois, des terres bourguignonnes et de l’Espagne, et François Ier, ro
de France. Se lance bientôt dans la bataille également Henry VIII, ro
d’Angleterre. Entre ces personnalités immenses, l’affrontement est épique e
chevaleresque, au point que Victor Hugo le choisit, quelques siècles plus tard
comme toile de fond grandiose de sa pièce Hernani. Mais la lutte se fai
surtout à coups de pièces sonnantes et trébuchantes. La capacité à remporte
l’élection impériale repose, d’une part, sur une certaine forme de légitimité –
et depuis Frédéric III, ce sont les Habsbourg qui détiennent la dignité
impériale – et, d’autre part, sur la capacité à acheter le vote des sept princes
électeurs. François Ier peut compter sur le soutien des Italiens, au premier rang
desquels on trouve les Médicis. Mais c’est l’appui déterminant des banquiers
Fugger qui permet à Charles Quint de l’emporter, au moyen de lettres de
change payables après l’élection, et gagées sur les formidables richesses des
Amériques qu’ils seront en droit de pouvoir approcher, si Charles d’Espagne
est élu. Il dépense dans l’affaire pas moins d’un million de florins, soit six
années pleines de revenus des mines du Tyrol.
Charles est élu roi des Romains le 28 juin 1519, et couronné empereur à
Aix-la-Chapelle en 1520. Il lui faut attendre 1530 pour être couronné par le
pape Clément VII, à Bologne, leurs relations houleuses n’ayant pas permis un
tel geste plus tôt.

La formation d’une monarchie danubienne avec


Ferdinand Ier

Un partage entre deux frères


À la tête d’un empire où le soleil jamais ne se couche, Charles « Quint »
risque d’avoir bien du mal à se soucier de ses territoires autrichiens, qui, noyés
dans la masse, n’ont pas les attraits des colonies ou des Pays-Bas par exemple
Le jeune souverain ne se sent pas allemand. Ne lui prête-t-on pas ce mo
d’esprit provocateur : « Je parle espagnol à Dieu, italien aux femmes, français
aux hommes et allemand à mon cheval » ? La langue de son enfance est le
français, lui qui fut élevé, à la mort de son père et éloigné d’une mère jugée
folle, par sa tante Marguerite d’Autriche, veuve d’un Savoyard et pétrie de
fierté bourguignonne. L’Autriche de Charles Quint, ce sont alors les « pays
héréditaires » : Haute-Alsace et Brisgau, auxquels s’ajoutent la Basse
Autriche avec la ville de Vienne, l’Autriche intérieure des comtés de Goritz
de Styrie, Carinthie et Carniole, et enfin le comté de Tyrol à la position
stratégique entre l’Allemagne et l’Italie. Tout cela constitue pour Charles un
appui solide en Europe centrale, mais n’est qu’une partie d’un tout infinimen
plus vaste et complexe, fruit de ses multiples héritages : Pays-Bas
bourguignons, Italie, Castille et Aragon, et empire d’Amérique.
Monarque universel par les territoires sur lesquels s’étend son règne
Charles le Cinquième l’est aussi par ses ambitions. Mais sa puissance n’es
pas infinie, et devant l’ampleur de la tâche il est bientôt obligé de se rendre à
l’évidence : l’administration de ses terres doit être partagée. Dans les Pays-Bas
anciennement bourguignons et désormais espagnols, il s’appuie sur sa tante
Marguerite, puis sur sa sœur, Marie, quand elle se retrouve veuve de Louis I
Jagellon, et enfin sur son fils Philippe à partir de 1549. En Autriche, c’est à
son cadet, Ferdinand, qu’échoit ce rôle.
La destinée autrichienne de Ferdinand Ier n’avait a priori rien d’évident
Son grand-père, dont il partageait le nom, Ferdinand d’Aragon, aurai
volontiers vu en lui un roi d’Espagne avant que Charles n’accapare pour lui
même la couronne de Castille. En guise de compensation pour l’avoir écarté
de l’Europe méridionale, il lui confie en 1521 un premier « lot » en Europe
centrale. Rien de bien étrange ni de bien neuf à cela : on sait que les partages
patrimoniaux chez les Habsbourg étaient chose courante. Par le traité de
Worms, signé au mois d’avril 1521 auprès de la diète d’empire, Ferdinand se
voit confier par Charles la Basse-Autriche et l’Autriche intérieure7. La même
année, Ferdinand épouse Anne, sœur du roi de Bohême et de Hongrie Louis I
Jagellon, en vertu du traité de Vienne de 1515 : il conforte ainsi son ancrage
au centre de l’Europe. Un an plus tard, en 1522, par le traité de Bruxelles
Charles cède l’ensemble du patrimoine allemand des Habsbourg à Ferdinand
Il récupère ainsi en plus le Tyrol, l’Autriche antérieure, et les seigneuries
d’Allemagne méridionale : c’est à partir de ce moment que l’on peu
véritablement parler, de manière distincte, de Habsbourg d’Espagne et de
Habsbourg d’Autriche, tandis que se précisent définitivement les contours de
l’ensemble autrichien. En même temps, le cadet acquiert en quelque sorte le
statut de représentant de Charles, toujours empereur en titre, pour les affaires
allemandes de l’empire. La tâche est immense, car Charles se replie de plus en
plus sur ses terres espagnoles, tandis que l’empire sombre dans les affres de la
réforme et que Ferdinand doit donc défendre son frère devant la fronde des
princes luthériens. Le lot est à la fois prestigieux – il s’agit du cœur de
l’héritage familial – et empoisonné : Ferdinand se retrouve en première ligne
pour gérer les conflits religieux comme la poussée ottomane, et ne peut voi
briller que de loin l’éclat des richesses du Nouveau Monde.
L’installation de Ferdinand sur ses terres autrichiennes ne se fait pas sans
heurts. La ville de Vienne, avant même son arrivée, est en proie à la rébellion
et impose un nouveau gouvernement, contre celui instauré par feu Maximilien
et accusé de corruption, obligeant Ferdinand à une reprise en main musclée
qui amène la ville à perdre une bonne part de ses libertés, notamment sa
juridiction et sa monnaie. Le Tyrol est quant à lui agité par des révoltes
paysannes qui s’étendent à toutes les provinces autrichiennes de 1524 à 1526
pendant de l’épisode violent connu en Allemagne sous le nom de « guerre des
Paysans ». Savant mélange de contestations religieuses et sociales
l’embrasement se déclare au Tyrol en raison de la pression fiscale exercée pa
le gouverneur espagnol, Gabriel de Salamanque. Les rebelles, sous la bannière
d’un certain Michael Gaismair, rêvent d’abolir les institutions de l’Église
catholique8 et d’instaurer un utopique « État paysan » aux fondements
démocratiques. Des insurrections éclatent aussi à Salzbourg, obligeant à
l’écrasement des séditieux.
Alors que retombe à peine le souffle de la colère et que revient le calme
parvient à Ferdinand la nouvelle de la bataille de Mohács menée contre les
Turcs par Louis II Jagellon. S’y affrontent les troupes de Soliman le
Magnifique, et celle du jeune roi de Hongrie. L’artillerie ottomane a raison des
40 000 hommes péniblement rassemblés par Louis ; Louis II trouve la mort le
29 août 1526 dans des circonstances tragiques, écrasé par son cheval
Quelques jours plus tard, la ville de Pest est prise, sur la rive orientale du
Danube, permettant aux Turcs de s’installer durablement en terre hongroise
Du fait de la mort de Louis, et en vertu des traités de 1491 et de 1515
Ferdinand se retrouve putativement à la tête de la Bohême et de la Hongrie. I
lui revient de faire valoir ses droits, de poursuivre la lutte contre les Ottomans
et d’unifier ses territoires disparates ; c’est là le programme politique de
l’Autriche pour désormais plusieurs siècles.
Un aperçu de la carte de l’Autriche en 1526 permet de saisir la position
particulièrement complexe, pour ne pas dire intenable, qui est celle de
l’Autriche au lendemain de la bataille de Mohács. À l’ouest, les territoires
autrichiens ne sont pas d’un seul tenant, et forment une véritable dentelle
enchâssée dans le cadre du Saint Empire. À l’est, l’Autriche est la voisine
immédiate de nouveaux territoires que Ferdinand doit administrer en lieu e
place des Jagellon, à savoir les pays de la couronne de Bohême, et la partie
des pays de la couronne de Hongrie qui ne sont pas tombés sous la tutelle
ottomane. Tel est désormais le lot de la branche cadette de la famille, ceux que
l’on va appeler les Habsbourg d’Autriche. La branche aînée, les Habsbourg
d’Espagne, s’est quant à elle gardé les morceaux de choix de l’Italie et des
Pays-Bas, sans parler bien sûr de l’Espagne et du Nouveau Monde. La dignité
impériale pour Ferdinand est un lot de consolation peut-être chargé d’honneur
mais avant tout porteur de lourds ennuis.
L’Autriche à l’avant-poste de la lutte contre les Turcs
Le drame de l’Autriche est, pendant toutes ses années – qui partou
ailleurs en Europe sont caractérisées par des processus de construction et de
renforcement des États modernes –, d’être confrontée à un défi de taille qu
rend secondaire tout autre impératif politique, à savoir la lutte contre l’Empire
ottoman. Depuis le XIVe siècle, les Ottomans exercent une pression constante
et déterminée sur l’Europe chrétienne. Ils prennent tout d’abord pied dans les
Balkans et en Grèce, puis la chute de Constantinople en 1453 sous les coups
de boutoir de Mehmed II marque définitivement et symboliquement leu
installation en Europe. Si, pour les Français, le danger musulman n’en est plus
véritablement un depuis la mythique bataille de Poitiers ; si, pour les
Espagnols, même, la Reconquista permet progressivement de tourner la page
Another random document with
no related content on Scribd:
mankind, which is still obliged to make the same sacrifice of time and
labour to obtain a product which henceforth nature partly realises. If
this state of things should continue with every invention, a principle
of indefinite inequality would be introduced into the world. Not only
we should not be able to say, value is in proportion to labour; but we
should no more be able to say, value has a tendency to be in
proportion to labour. All that we have said of gratuitous use, of
progressive community, would be chimerical. It would not be true
that labour [les services] is given in exchange for labour [des
services] in such a manner that the gifts of God pass from hand to
hand, par-dessus le marché, on the man intended [destinataire], who
is the consumer. Each one would always exact payment for not only
his labour, but also for that portion of the natural forces which he had
once succeeded in applying. In a word, humanity would be
constituted on the principle of a universal monopoly, in place of the
principle of progressive community.”—Harmonies Economiques, Vol.
vi., p. 354.
We think, with Bastiat, that the use of natural agents ought to be
gratuitous, and that no one has the right to artificially monopolise in
such a way as to exact royalties [prélever des redevances], which
are not due, and which often are obstacles almost as insurmountable
as those which invention ought naturally to remove.
T. N. Benard.

[5] Unfortunately, this is not true of British law. The illustration


founded on it is (like the rest of these papers) admirable.—R. A.
M.
SPEECH OF MICHEL CHEVALIER,
AT THE MEETING OF THE “SOCIÉTÉ
D’ÉCONOMIE POLITIQUE,” ON THE
5TH JUNE, 1869.
(From the June Number of the Journal des Economistes.)
M. Michel Chevalier, Senator, proposed to consider Patents in
their relation to freedom of labour [la liberté du travail], a corner-
stone of modern political economy, and to the principle of the law of
property, which is greatly respected by economists and which serves
them as guide.
Does the principle of freedom of labour accommodate itself to that
of Patents? It may be doubted. All Patents constitute a monopoly;
now, it is indisputable that monopoly is the very negation of freedom
of labour.
In the case of Patents, it is true, monopoly has a limited duration;
but in France this duration generally extends, if the Patent is worth it,
to fifteen years; which makes a long time in our day when the
advances of manufacturers are so rapid and so quickly succeed one
another. A hindrance or an obstacle which lasts fifteen years may
greatly damage and seriously compromise important interests.
It would be easy to exhibit by examples the extent and the
importance of these disadvantages.
In France the manufacturer to whom a new apparatus or a new
machine is offered is always in uncertainty whether the invention
proposed is not already the subject of some Patent, the property of a
third party, in which case he would be exposed to the annoyance of
a law-suit at the instance of this third party. It follows that he
frequently hesitates about adopting a machine, apparatus, or method
of work, which would be an advantage not only to the manufacturer,
but to the community at large, whom he might supply better and
cheaper. Another case which occurs to us is that of a manufacturer
in whose factory an improvement has suggested itself. He is forced
to take out a Patent, and consequently to observe formalities and
undertake expenses with which he would rather dispense; he is
obliged, and becomes a patentee, whether he will or no; because, if
he did not, it might happen that the improvement might come under
the observation of one of the numerous class of Patent-hunters. This
man might take out a Patent, which is never refused to the first
comer; and once patented, he might annoy and exact damages from
the manufacturer with whom the invention, real or pretended,
actually had its birth.
In France the annoyances which Patents may occasion are very
serious. It is well known that, by the French law, the patentee may
seize not only the factory of the maker, but also, wherever he may
find it, the machine or apparatus which he asserts to be a piracy of
that for which he has taken a Patent. He may take it away or put it
under seal, which is equivalent to forbidding the use of it. M. Michel
Chevalier thinks that this is a flagrant attack on the principle of the
freedom of labour.
It can also be shown how, in another way, labour may be deprived
of its natural exercise by the monopoly with which patentees are
invested. When an individual has taken out a Patent for an invention,
or what he represents to be such, no one is allowed to produce the
object patented, or use it in his manufacture, without paying to the
patentee a royalty, of which he is allowed to be the assessor, and
which sometimes assumes large proportions. The result is, that the
produce manufactured can only be offered in foreign markets at a
price so augmented that the foreigner refuses it if some other
producer, residing in a country where the Patent is not
acknowledged, establishes competition. Thus, for instance, France,
which worships Patent-right, cannot export the “Bessemer” steel to
Prussia, because there this product is not patented; whereas in
France, on the contrary, it is subject to a heavy royalty, on account of
the Patent.
The same thing may be said of velvets, which have been very
much in fashion, and for which a French manufacturer took out a
Patent. The effect of this Patent was, that French manufacturers of
this stuff were shut out from the foreign markets, because outside
France they had to encounter the competition of Prussia, whose
manufacturers were not subject to any royalty, the Patent not being
acknowledged there.
In our day, when export trade excites so great an interest among
all manufacturing nations, and has so much influence on the
prosperity of internal commerce, M. Michel Chevalier believes that
the observation he is about to make ought to be taken into serious
consideration. At least it follows, according to him, that before
approving and continuing the present system of Patents, it would be
necessary that they should be subjected to uniform legislation in
every country. Now there are manufacturing nations—Switzerland,
for instance—which absolutely refuse; there are others where
Patents are subjected to so many restrictions that it is as if they did
not exist; such is Prussia.
From the point of view of the right of property, it is contended that
Patent-right should be respected, since it only assures property in
invention in the interest of him to whom the community is debtor. M.
Michel Chevalier sees in this argument only a semblance of the
truth. We must first inquire whether an idea may really constitute an
individual property—that is, exclusive personal property. This
pretension is more than broached. A field or a house, a coat, a loaf,
a bank-note, or credit opened at a banker’s, readily comply with
individual appropriation, and can hardly even be otherwise
conceived of; they must belong to an individual or to a certain fixed
number of persons; but an idea may belong to any number of
persons—it is even of the essence of an idea that once enunciated,
it belongs to every one.
Besides, is it certain that the greater part of patentees have had an
idea of their own, and that they have discovered anything which
deserves this name? Of the great majority of patentees this may be
doubted, for various reasons.
The law does not impose on the individual who applies for a
Patent the obligation of proving that he is really the inventor.
Whoever has taken out a Patent may very easily turn it against the
real inventor; this has occurred more than once.
Besides, the law lays it down as a principle that it is not an idea
that is patented, and constitutes the invention valid; and thus it
excludes from the benefit of patenting the savants who make the
discoveries, of which Patents are only the application.
It is by the advancement of human knowledge that manufactures
are perfected, and the advancement of human knowledge is due to
savants. These are the men prolific in ideas; it is they who ought to
be rewarded, if it were possible, and not the patentees, who are
most frequently only their plagiarists.
M. Michel Chevalier does not desire systematically to depreciate
patentees. Among them there are certainly many honourable men.
The inventions, real or pretended, which they have patented are
supposed to be new and ingenious uses or arrangements
[dispositions], by help of which we put in practice some one or more
specialities of manufacture; true discoveries are always due to the
savants. But in general these arrangements, represented as new,
have no novelty.
In the detailed treatises on Mechanics, Physics, and Chemistry, in
books of technology, with their accompanying illustrations, such as
are now published, we find an indefinite quantity of combinations of
elementary apparatus, especially of mechanical arrangements, and
very often the work of professional patentees consists in searching
through these so numerous collections for uses and arrangements,
which they combine and group. What right of property is there in all
this, at least in the greater number of cases?
Against the pretended right of property alleged by the defenders of
Patents there will be much more to say. There exists in the greater
number of cases much uncertainty about the inventors, even when
true and important discoveries are in question. Is it known with
certainty who invented the steam-engine, who invented the aniline
dyes, or photography, even? Different nations are at variance on
these points, as formerly they were on the birthplace of Homer. The
fact is, that the majority of inventions are due to the combined
working [collaboration] of many men separated by space, separated
by great intervals of time.
On this subject M. Michel Chevalier repeats what he heard from
an eminent man who was Minister of Finance at the time when
Daguerre received the national recompense which had been
awarded him with the acclamations of all France. One of the
Government clerks brought to this eminent personage proof that he
too had made the same invention; and also there were the labours of
M. Niepce de Saint Victor, analogous to those of M. Daguerre.
[M. Passy, the chairman of the meeting, confirmed the statement
of M. Michel Chevalier on this fact.]
M. Michel Chevalier, in continuation, remarked that in our time
industrial arts are subject to great changes in the details of their
operations.
Independently of the general alterations which from time to time
completely change the face of any given manufacture, there is no
important workshop where some useful notion is not occasionally
suggested by some mechanic or overseer, which leads to minor
improvements [un perfectionnement de détail]. It would be an abuse
to grant, during a term of fifteen years, or even a much shorter,
exclusive use of any particular improvements to any single
individual. It would not be just, for it is quite possible that the idea
might have occurred to another at the same time, or that it might
occur the next day. It would even be against the general interest, for
it would fetter competition, which is the chief motor in the progress of
the useful arts.
But it is said inventors are useful to society; we must therefore
recompense them. To this M. Michel Chevalier answers that it may
be too liberal to confer the flattering title of inventor on men who,
when a veritable discovery has been made by savants, push
themselves forward to appropriate the profits, in securing by Patents
the various special applications which may be made of it. Besides,
there are different sorts of recompenses; there are other than
material rewards, and these are not the least coveted. The savants
who are the greatest discoverers are satisfied with these immaterial
rewards—honour, glory, and reputation. The example is worthy of
recommendation; not but it is quite allowable for a man to extract
from his labour [travaux] whatever material recompense he can. But,
in many cases at least, the Patent is not necessary for this purpose.
The authors of some useful discovery would often have the resource
of keeping their secret and working the invention themselves. That
would last for a time. Even under the system of Patents several
inventors have thus sought and found an adequate remuneration.
Thus the famous Prussian steel manufacturer, M. Krupp, has
taken out no Patent, and yet has made a colossal fortune; also M.
Guimet, of Lyons, inventor of French blue. Their secret remained in
their own hands for more than fifteen years, the maximum duration
that their Patent would have had in France.
Lastly, in the case of some truly great discovery it would be natural
to award a national recompense to the inventor. If James Watt, for
instance, had received from the British Parliament a handsome sum,
every one would have applauded it. These rewards would not
impoverish the Treasury, since similar cases are of rare occurrence.
In recapitulation, Patent-right may have been allowable in the
pasts when science and manufactures had not yet formed so close
and intimate a union. It was advisable to attract towards
manufactures, by means of exceptional inducements, the attention of
those who made a study of the sciences. But now that the union is
consummated, Patent-right has ceased to be a useful auxiliary to
industry. It is become, instead, a cause of embarrassment and an
obstruction to progress. The time is come to renounce it.
Another speaker at the meeting, M. Paul Coq, thought that, on a
question so delicate and controverted history furnishes instruction
which directs to a right solution. Notably Franklin, a genius eminently
practical, declared himself unwilling to avail himself, as to his
numerous discoveries, of any Patent. The refusal of this great man is
founded upon the principle that every one receives during his whole
life ideas and discoveries from the common fund of knowledge by
which all profit, and therefore ought, by reciprocation, to let the public
freely benefit by every invention of his. This, with Franklin, was not a
mere sentimental truth, but a practical conviction, based upon
reasons worthy of the author of “Poor Richard.” There is in the
bosom of society a constant exchange of beneficial thoughts and
services. Every one stimulated by the efforts of others ought, in the
spirit of equity, to make the community participants of the
improvements and useful applications for which he has in a manner
received payment in advance. On this system, equality, competition,
and freedom of industry find their account in the law of reciprocity;
whereas, on the footing of privilege established and defined by the
theory of Patents, there is created an artificial property, along side of
that rightful property which has in it nothing arbitrary or conventional,
and depends simply for its existence on civil law. These circles,
thereby traced round the inventor and his discovery, are so many
hindrances and so many obstacles to the expansion of forces, in the
way of continuous progress. Under pretext of maintaining individual
rights, improvement is in reality paralysed by superimposed
difficulties, and especially litigation without end, on account of which
nobody dare touch, either far or near, what has been appropriated.
The numerous actions at law, raised with a view to ascertain whether
such and such a process constitutes a perfectionation, a new
application, or merely an imitation, are my proof. There is another
proof in the distinction attempted to be made between matters
patentable and methods scientific which may not be patented. All
this, as it affects progress, the free expansion of forces, is infinitely
grave. Franklin has found for his precepts, already alluded to, more
than one adept pupil. One modest savant, whose name deserves to
be better known among us for his numerous services rendered to
science as well as to the arts—Conté—honoured to replace in
France the pencils of England, the importation of which was not
possible in time of war—not only supplied by his new process the
want of plumbago with success, but made it better than the English.
To him are due, besides black-lead pencils, which make his name
celebrated, the crayons of various colours, which have been so
serviceable in the arts of design. Well, like Franklin, he presented his
process to industry, and contented himself with being first in the new
manufacture. It must be remarked that he who thus opens the way
easily maintains the first rank which the date of his invention assigns
him, and which public confidence assures him....
Before concluding, M. Paul Coq adverted to the distinction
between the right of property generated by a creation of a work of art
or of literature, and factitious property decreed in the interests of
industry. The skilful painter, who should copy faithfully line for line,
tint for tint, a chef d’œuvre like the picture of Ingres, which every one
knows, “The Source,” in order to expose it for sale and pocket the
advantages, not merely lays hold of the property of a great artist who
lives by the fruit of his talent, but perpetrates, in all points of view, an
action mean and vile. To inventions in the domain of the useful arts,
processes and operations do not carry the stamp of personality,
which is the glory of the artist and author, and which of itself
constitutes a protection equal to that which protects right of property.
The invention is something impersonal, like a service rendered
and returned, which is not exchanged or paid by services of
equivalent weight and description. There is, therefore, no plausible
objection to maintaining unimpaired the common right, which, by its
freedom of movements, its equality, and its reciprocations, alone
efficaciously favours the result of which these are the indispensable
corollaries.
EXPERIENCE IN FRANCE.
The following observations were published in the Avenir
Commercial, November 1, 1862, and June 28, 1863, have been
kindly translated and presented by the Author:—

THE RESULTS OF A BAD LAW.

I.

When you walk along a public road, if you find a watch, a


diamond, a note of a hundred or a thousand francs, and, far from
seeking the owner to give it back, you apply it to your own use, moral
law and civil law take hold of you and condemn you without
hesitation. It matters not whether he who lost what you found be rich
or poor, his carelessness, his negligence, or the accident that
caused his loss, give you no sort of right to use it and make it yours.
There are not two opinions on that point: the laws of all countries
condemn the man who enriches himself with what chance throws in
his way.
But if a scientific man—seeking some impossible discovery, finds
a clue to an idea—meets with an interesting phenomenon—
indicates, in some way, new properties belonging to some bodies—
announces the results of some new chemical combination—it is only
a scientific research. This or that other skimmer of inventions can get
a Patent for the application of the idea, of the discovery, of the
method; and the law guarantees his pretended right not only against
all reclamations of the scientific man who has discovered the whole,
but against the whole world, deprived of all possibility of making use
of the discoveries of science!
And not only the law forbids every one to use this or that produce,
except if made by the patentee, but it also prohibits the use of any
similar produce made by different means.
Then, to prevent all inventors to approach the ground that the
patentee has chosen, he takes immense care to have his Patent
made of formulas so wide and elastic, that all inventions in the same
course of ideas will be infringements in the eye of the law.
To these observations it is answered that industrialists or scientific
men are equal before the law, that all have an equal right to its
protection, but on the express condition that the invention be put in
use.
We see very well where is the privilege of the chance patentee,
who has made the discovery of the scientific man his own, but we do
not see where is its justice or equality.
We see very well where is the privilege of the man who has had
nothing to do but to apply the idea deposited in a book by a scientific
man—an idea that, in fact, was at the disposal of the public, since
the discoverer did not claim its proprietorship; but we do not see why
the law gives a monopoly to him who has only borrowed that idea.
But we are told, the law is quite equitable, for it, says, “To every
man his due. The scientific man discovers a body, glory be to him. If
he will add to it some profit, let him indicate the properties that may
be used industrially, and let him take a Patent for his discovery. But
he must hurry, because if industry forestalls him, industry will get the
profit.”[6] It is exactly as if this was the law: A millionaire drops a 100-
franc note. It will not make him much poorer. If he wants to get it
back, let him return where he came from and seek along the road.
Let him hurry, for if this note is found, he who will have got it may
keep it.
Common sense and equity would join to say that when a scientific
man indicates a discovery or an invention, that invention or discovery
remains at the disposal of every one if the finder does not claim the
exclusive right to work it. But the law is different, and the results are
soon made apparent.
In 1856 an English chemist, of the name of Perkins, was seeking
the way to make artificial quinine. In the course of his experiments
he discovered in the laboratory of M. Hofmann the property residing
in aniline of producing a violet colour by the action of bi-chromate of
potass.
Perkins got a Patent for this discovery. The attention of the
scientific and industrial classes being called to this property of
aniline, and to the possibility of extracting from it divers colouring
matters, several French and other chemists and manufacturers got
Patents for many more new processes.
In 1858, Hofmann, continuing to study aniline, discovered the red
colour. He sent a memoir to our Académie des Sciences, in which he
gave the exact method to produce this magnificent crimson red.
Hofmann took no Patent; it seemed as if he wanted to present
gratuitously to tinctorial industry a new and beautiful produce.
Six months after, a manufacturer, who as early as 1857 had tried
to get patented in France the patented discovery of Perkins, sold to a
manufacturer of chemical produce a process copied from the
discovery of Hofmann, by which the red of aniline could be
manufactured by the reaction of the bi-chloride of tin. The Patent
was granted, and the produce manufactured. But very soon after, in
France and abroad, more advantageous and more scientific
methods, preferable to the patented one, were found.
All the French manufacturers who tried to use any of these new
processes were prosecuted and condemned for infringement on the
right of the patentee. It then followed that one kilogramme of red of
aniline was sold abroad for £12, and the monopolisers sold it for £40
in France.
This could not last, particularly after the treaty of commerce, by
which printed and dyed goods could be introduced. Manufacturers
threatened to give up work, and the patentee thought proper to
reduce his prices.
But another result, no less fatal to French interests, soon followed.
The most intelligent manufacturers of colouring-stuffs, those who
were at the head of that branch of industry, and had concentrated in
Paris, Lyons, and Mulhouse the fabrication of the finest and most
delicate dyes for the home and foreign market, went to establish new
factories across the frontiers.
The existing Patent prevented them from satisfying the demands
of their customers abroad, who required some aniline colours, and
they were obliged to carry their industry to foreign parts.
The following is the list of the manufacturers who have founded
new establishments beyond the reach of the monopolising Patent:—
A. Schlumberger, of Mulhouse, new factory at Bâle (Switzerland);
Jean Feer, of Strasburg, new factory at Bâle; Peterson and Seikler,
of Saint Denis, new factory at Bâle; Poirrier and Chappal, of Paris,
new factory at Zurich; Monnet and Dury, of Lyons, new factory at
Geneve.
Five other establishments, raised by Swiss people but under the
direction of Frenchmen, are being founded at Bâle, Zurich, Glaris,
and Saint Gall. Then there are still to be founded, the factory of M. A.
Wurtz, brother to Professor Wurtz at Leipsic; another, by M. O.
Meister at Chemnitz; a French factory at Elberfeld; three, also
French, in Belgium; and three others in Switzerland.
It is, in fact, a general expatriation, like the one that followed the
revocation of the Edict of Nantes. It is worthy of remark that in
Germany there are twelve Patents for making colours or dyes from
aniline; in England there are fourteen, in France (thanks to the
interpretation given to the law) there is one. “Et nunc caveant
consules.”
T. N. Benard.

[6] Extract of a paper on the subject in the Propriété


Industrielle.

II.
In our number of November 1, 1862, we published on this very
same question an article in which we stated that about twenty
French manufacturers had been forced to go abroad to escape the
unheard-of exigencies of the law of Patents. We were answered by
insults that we disdained; but the facts that we had revealed were
not contested.
A volume just published on the legislation and the jurisprudence of
the law of Patents enables us to show another side of the question,
and to prove how injurious it is to manufacturers and inventors, and
how profitable to certain gentlemen of the Bar who have the
speciality of cases for infringement on Patents. We say it openly and
fearlessly, if it was not for the lawyers who swim freely amongst the
windings of that law, it would not have a supporter. Manufacturers
and inventors are shamelessly made a prey to a group of pleaders
who defend right and wrong with the same deplorable alacrity.
What an immense number of law-suits have arisen from the 54
articles of that law! The volume we have in hand has been written
with the intention of giving to the public a view of the jurisprudence
adopted by the Courts in the interpretation of each paragraph. A
summary of the trials that have taken place since its promulgation in
1844 follows each article of the law.
Article I. is as follows: “Every new discovery or invention, in all
kinds of industry, ensures to its author, under the conditions and for
the time hereafter determined, the exclusive right to work for his
benefit the said discovery or invention. This right is established by
documents granted by the Government, and called Patents.”
The first trial that we find in the list took place in 1844. The
question was, Whether the words all kinds of industry could be
applied to things that are not in trade? The Court’s decision was for
the affirmative.
The second trial was raised to know if, when a working man is only
executing the orders given to him by another party, with the
indications and in the interest of this last, the working man may be
reputed the inventor, and if the results of his labour may have the
character of an invention, so that he may claim [revendicate] its
ownership by a Patent. The Court decided for the negative.
We pass four other suits running on the interpretation of this first
article, that seems so innocent, so inoffensive, and come to the
eleventh trial. In conferring by Article I., under the conditions that it
determines, on the author of new discoveries or inventions the right
of working them exclusively for his own benefit, did the law intend to
deprive of all rights those who were using the same means of
fabrication prior to the delivery of the Patents? The question was, in
other terms, to know whether the Patent is good and legal against
every one except against the party who, having worked it for a
certain period anterior to the granting of the Patent, might be kept in
possession of his industry? On March 30, 1849, the Court of
Cassation decided for the affirmative in the case of “Witz Meunier
versus Godefroy Muller.” You fancy, perhaps, that the affair is all right
and settled; the Court of Cassation has spoken, and every inventor
who will not have taken a Patent may work out his invention without
fear of prosecution from a patentee coming long after. You are
greatly mistaken. You do not know how keen, and ardent, and clever,
and anxious are the seekers of Patents. Previously to that the Court
Royal of Paris had declared in May, 1847, in the case of “Lejeune
versus Parvilley,” that the Patent can be put in force against the
manufacturer working the invention before it was patented, if he has
not published it before the patentee, and if the patentee is the first
who has introduced it in commerce. But in 1847 the Court Royal of
Paris did not know the opinion given in 1849 by the Court of
Cassation. We see how unsafe are the things of this world. Say if
you can ever be sure of holding and knowing the truth.
On August 19, 1853, the same question was brought again before
the Court of Cassation in the case of “Thomas Laurent versus Riant,”
and the Court decided that the Patent can be put in force against
whoever possessed the invention before it was patented. There is at
Lyons a manufacturer who for a great many years fabricated a dye
for which he has not taken a Patent, but the secret of which he
carefully keeps to himself. If, by some manœuvring, by some
doubtfully moral means, an industrialist—as there are too many
amongst the patentees—contrived to worm out this secret, and got a
legal Patent, he could work the discovery and oblige the Lyonese
manufacturer to cease all productions of the same kind. Would it not
be an admirable example of legality?
The contradiction that we have just noted between two verdicts
given by the same Court upon the same question gives us the right
to say that the magistrates ought to show a little more indulgence to
those they condemn. When there is a law like that relative to
Patents, common mortals are very excusable if they make a mistake
in interpreting in a wrong way this or that expression, since we see
the highest Court in the country giving sometimes one interpretation
and sometimes another.
The first article of the law has given rise to fifteen different suits,
inscribed in the pages of the volume we hold. These fifteen suits
have been tried before the Civil Courts or the Court of Cassation.
People may well be frightened at the mountain of papers that must
have been used and destroyed by the attorneys, counsel, barristers,
&c., before the public could have any clear notion of what the
legislators meant.
The second article is as follows: “Will be considered as new
inventions or discoveries—the invention of new industrial produce;
the invention of new methods or the new application of known
methods to obtain an individual result or produce.” This article, we
may say, is the main beam of the edifice, consequently it has given
occasion to no less than 104 suits. One might fancy that the
multitude of judicial decisions given by the Courts has thrown the
most brilliant light on the interpretation to be given to the three
paragraphs forming the second article. Alas! these paragraphs are
just as obscure as before. For instance, the Imperial Court of Paris
decided on August 13, 1861, that the “change in the form of a
surgical instrument, even when there may result an advantage or
greater facility to the operator, cannot be patented.” But on July 26 of
the same year it had decided that “a production already known—a
straw mat, for instance—may be patented when its form, its size,
and its length are new.” So, again, the Court of Cassation decided,
on February 9, 1862, that “the production of a new industrial result is
an invention that may be patented, even if it is only due to a new
combination in the form and proportions of objects already known.”
On the contrary, the Correctional Court of the Seine decided on
December 24, 1861, that a modification of form, even when it
procures an advantage, is not of a nature to constitute a patentable
invention. Can we not say with the poet:

“Deviner si tu peux, et choisis si tu l’oses?”

The lawyers of Great Britain are accustomed to celebrate certain


anniversaries by a professional dinner. The President of the party,
after having proposed the health of the Queen and the Royal Family,
calls upon his brethren to join in a toast to the prosperity of the
profession they follow. This traditional toast is characteristic enough.
It is as follows: “The glorious uncertainty of the law!” We think the
facts we have related give to this toast a right of citizenship on this
side of the Channel.
T. N. Benard.
IMPORTANT MESSAGE FROM THE
SECRETARY OF THE
CONFEDERATION, COUNT VON
BISMARCK, TO THE NORTH GERMAN
FEDERAL PARLIAMENT.
Berlin, December 10, 1868.
In the presence of the manifold and well-founded complaints
concerning the defective state of legislation on Patents in Prussia
and Germany, the Royal Prussian Government deems it important to
have considered without any further delay what course might best be
adopted in the matter.
At the same time, however, and with a view to the position long
since taken by Government in regard to the question, it must not be
omitted in the first place to decide whether henceforth Patents
should be granted at all within the boundaries of the Confederation.
The frequent polemics on the principles of Patent-Laws, to which the
repeated attempts at reform have given birth during the last ten
years, and more particularly the discussions in the late German
Federal Assembly, have enhanced the questionability of the
usefulness of Patents.
After taking the opinion of the Chambers of Commerce and the
mercantile corporations, the Prussian Government, on the occasion
of the German Federal Assembly Session of 31st December, 1863,
gave utterance to the doubt whether under present circumstances,
Patents for inventions may be considered either necessary or useful
to industry. Since then the Royal Prussian Government has taken
the question once more into serious consideration, and feels bound
to answer it in the negative on the strength of the following
arguments.
From a theoretical point of view, it may be taken for granted that
the conferring of an exclusive right to profits which may be derived
from industrial inventions, is neither warranted by a natural claim on
the part of the inventor which should be protected by the State, nor is
it consequent upon general economical principles.
The right of prohibiting others from using certain industrial
inventions, or bringing certain resources and profitable means of
production into operation, constitutes an attack upon the inalienable
right which every man has, of applying each and every lawful
advantage to the exercise of his profession, which is the more
obvious, as there exists a prevailing tendency to free industrial
pursuits from all artificial restrictions adherent to them, and the time-
honoured practice can only be upheld by a thorough vindication and
a practical proof of its fully answering the purpose. To demonstrate
this should be the chief aim of all arguments against abolition.
To an argument which has repeatedly been urged—i.e., that the
granting a temporary exclusive right is indispensable (so as to
secure for the meritorious inventor a reward adequate to the mental
labour and money expended, as well as risk incurred, in order that
there be no lack of encouragement to the inventive genius)—the
objection may be raised that the remarkably developed system of
communication and conveyance now-a-days, which has opened a
wide field to real merit, and enables industrial men promptly to reap
all benefit of production by means of enlarged outlets for their
articles, will, generally speaking, bring those who know how to avail
themselves before others of useful inventions to such an extent
ahead of their competitors, that, even where no permanent privilege
is longer admissible, they will make sure of a temporary extra profit,
in proportion to the service rendered to the public.
It is, in fact, in the peculiar advantage produced by the early
bringing into operation of a fresh suggestion of their minds, that the
remuneration of those lies, who, through cleverness and steadiness
of purpose, succeed in satisfying existing wants in a manner less
expensive and superior to what previously was the case, and
notwithstanding do not obtain any monopoly. Not of less account are
the practical impediments which stand in the way of every effort to
bring about an improvement of the Patent-Law.
It is generally admitted by the promoters of Patent-right, that the
system of inquiry or examination, as it is now working in Prussia,
cannot possibly remain in its present condition, and the experienced
officers appointed to decide upon Patent matters and make the
necessary inquiries, unanimously confirm that opinion. Though
provided with relatively excellent means of ascertaining, the Prussian
Technical Committee for Industry had to acknowledge as early as
1853 (Vide Prussian Trade Archives of 1854, Vol. ii., page 173, ff.)
that the question whether an invention submitted for being patented
might not perchance already have been made or brought into
operation elsewhere, was almost an unsolvable one. Since then,
inventions have augmented yearly in steadily increasing proportion.
The main difficulty, however, not only rests in the impossibility of
mastering the matter submitted, but equally so with the upholding of
firm principles relating to the criterion of originality. If the inquiry do
not altogether deviate from its primitive object by patenting any and
every innovation in construction, form, or execution, which is
presented, we fall into such uncertainty when sifting actual
inventions from the mass of things which are not to be considered as
undeniable improvements—owing to the continually increasing and
diversified combinations of generally known elements or material
and altered constructions or modes of application—that it is hardly
possible not to be occasionally chargeable with injustice. Every day
shows more clearly how annoying a responsibility grows out of such
a state of affairs, and it is highly desirable that the authorities no
longer be conscious of doing injustice in their duties on account of
rules which cannot properly be put into practice.
As for the often much-commended so-called “application system,”
it would by no means really answer the purpose; even without
considering the theoretical objections which might be raised against
it. Its practical results have been far from giving satisfaction
wherever it has been adopted. The complaints of the abuses and

Vous aimerez peut-être aussi