PDF of Supremacistes L Enquete Mondiale Chez Les Gourous de La Droite Identitaire 1St Edition Philippe Joseph Salazar Full Chapter Ebook

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Suprémacistes L enquête mondiale

chez les gourous de la droite identitaire


1st Edition Philippe Joseph Salazar
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Grand Oral. Petit traité de prise de parole en public,


Paris-Bruxelles, Genèse édition, 2019.
Air Law, Cape Town, Juta, 2019.
Blabla République : au verbe, citoyens !
Paris, Lemieux éditeur, 2017.
Words Are Weapons. Inside ISIS’s Rhetoric of Terror,
New Haven, Londres, 2017.
Die Sprache des Terrors. Warum wir die Propaganda des IS verstehen müssen, um ihn bekämpfen zu
können, Munich, Random House/
Pantheon, 2016.
Palabras armadas. Entender y combatir la propaganda terrorista, Barcelone, Anagrama, 2016.
Parole armate. Quello che l’ISIS ci dice e che noi non capiamo,
Milan, Bompiani, 2016.
Paroles armées. Comprendre et combattre la propagande terroriste,
Paris, Lemieux éditeur, 2015.
L’Art de séduire l’électeur indécis, Paris, François Bourin, 2012.
Paroles de leaders, Paris, François Bourin, 2011.
L’Hyperpolitique, une passion française, Paris, Klincksieck, 2009.
Mahomet, Paris, Klincksieck, 2005.
Amnistier l’Apartheid. Travaux de la Commission Vérité et Réconciliation, Paris, Le Seuil, 2004.
L’Art de parler. Anthologie de manuels d’éloquence,
Paris, Klincksieck, 2003.
An African Athens. Rhetoric and the Shaping of Democracy in South Africa, Londres,
LEA/Routledge, 2002.
« La Divine Sceptique », Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2000.
Sommaire
1. Couverture
2. Du même auteur
3. Titre
4. Copyright
5. Citation
6. Prologue
7. 1. La fierté blanche, scène primitive
8. 2. « Je ne me sens pas américain »
9. 3. Armes blanches
10. 4. « Ce qui vient de dehors reste dehors »
11. 5. Long Island Massacre
12. 6. Kung-fu blanc
13. 7. « Nous sommes les derniers à pouvoircouper le courant »
14. 8. Une intellectuelle du peuple
15. 9. L’alt right qui venait du froid
16. 10. Platon chez les Vikings
17. 11. Un cosmopolite croate
18. 12. Un global white nationalist
19. 13. « L’alt right remplira le vide laissé par la gauche »
20. 14. La France à l’horizon de l’alt right
21. 15. Un rendez-vous manqué place du Trocadéro
22. 16. « Ce profond murmure dont la race berce les siens »
23. 17. En Thuringe
24. 18. « Tout est à terre, fracassé, tout est en morceaux »
25. Épilogue
26. Remerciements
27. Actualités des Éditions Plon
© Éditions Plon, un département de Place des Éditeurs, 2020
92, avenue de France
75013 Paris
Tél. : 01 44 16 09 00
Fax : 01 44 16 09 01
www.plon.fr
www.lisez.com
Dépôt légal : septembre 2020
ISBN : 978-2-259-27969-7
Mise en pages : Graphic Hainaut
Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute
représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de
ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété
intellectuelle.
Bevi ancora con me. Poi domani, magari nell’Ade, diremo anche questa.
(« Bois un autre verre avec moi.
Et puis demain, qui sait en Enfer,
nous dirons encore les mêmes choses1. »)
Cesare Pavese, Dialoghi con Leucò, Patrocle à Achille.
1. Einaudi, 1999. La présente traduction en français est de l’auteur.
Prologue
Durant ces trois années d’enquête, j’ai toujours joué cartes sur table avec
mes interlocuteurs. Je ne suis pas un journaliste. Les gens que j’ai rencontrés
s’en méfient comme de la peste. En revanche, me présenter comme
philosophe et rhétoricien, qui plus est à la faculté de droit de l’université de
Cape Town, au pays de Nelson Mandela, a semblé suffisamment les
intriguer ou les flatter pour qu’ils acceptent ma présence. Le fait que j’ai
beaucoup écrit sur la rhétorique et les ressorts de propagande du califat de
l’État islamique aussi2. Eux, qui sont-ils ? Un halo mondial d’intellectuels.
Un genre particulier : l’intellectuel militant. Leurs adversaires les appellent
« suprémacistes ». Et même si certains d’entre eux répugnent à cette
étiquette, ces gourous ou maîtres à penser de l’identité blanche ont su
capter, passionner et charger en arguments de nouvelles générations3.
Tout comme l’islam politique, une idéologie nouvelle, après avoir
longuement incubé, se lève à l’horizon de l’Europe et des États-Unis. On en
avait vu des signes avant-coureurs, brutaux et spectaculaires, avec les mass
murders du Norvégien Anders Behring Breivik, sur l’île d’Utøya le 22 juillet
2011, ou de l’Australien Brenton Harrison Tarrant, avec son mitraillage de
mosquées, retransmis en live par videolink, à Christchurch en Nouvelle-
Zélande, le 15 mars 2019. Actes représentatifs de cette idéologie en
formation ou actes de forcenés ? La résurgence extrême du Blanc
conquérant et sûr de l’être ? Signes plus profonds du retour du ou des
nationalismes raciaux en Europe et aux États-Unis ? Ou s’agit-il encore de
la réactivation d’une politique fondée sur les théories génétiques
européennes où les Français s’illustrèrent aux XIXe et XXe siècles, celle de
l’obsession scientifique des races ? Nous n’en sommes pas là, et si le tableau
était si simple, ce livre serait inutile.
En tout cas, une « fierté » s’affirme chez les jeunes Blancs américains4 et
européens5, proclamée dans des manifestations publiques sous le slogan de
« Proud To Be White » (« Fier d’être blanc »), en un mimétisme provocateur
des marches identitaires des « fiertés », LGBTQ en particulier. En somme,
mis à part les massacres commis par des fous, est-ce que tout cela se résume
à des idées recyclées montées en épingle grâce à l’excitation facile du Web ?
La réponse est non.
Car ces questions se posent désormais au grand jour sans que ceux qui les
invoquent et les provoquent, intellectuels et militants, aient plus à se
retrancher dans leurs studettes ou leurs garages pour taper sur le clavier de
leurs ordinateurs avec un public de dix followers, et tenir des conciliabules
d’affiliés autour de canettes de bière. Le succès phénoménal et mondial de
l’expression « grand remplacement » forgée par l’écrivain français Renaud
Camus (comme on le constatera au chapitre 16) en témoigne parmi mille
autres signes : la race est de retour sur le devant de la scène politique.
C’est un bouleversement idéologique qui se prépare. Ce livre-enquête en
décrit l’avant-garde.
Horloge démographique
6

Hypothèse : contrairement aux idéologies précédentes (communisme,


capitalisme, fascisme, libéralisme), celle-ci ne vise pas à un changement
radical de toutes les sociétés politiques par l’installation d’un système global
et universel, applicable à tous – une prétention idéologique qui concerne
tout autant les religions à vocation universelle (christianisme et islam). Non,
le retour de la race vise à la restauration d’une société politique et culturelle
propre seulement au « monde blanc », jadis européen, en laissant les autres
cultures et sociétés politiques s’occuper d’elles-mêmes, suivre leurs cours
sans interférer avec ce qui est affirmé comme une « renaissance » blanche et
européenne. C’est le refus d’une humanité commune. C’est une nouvelle
idéologie du séparatisme par la race qui dans tous les cas percute les
préceptes ultralibéraux de la mondialisation et ceux de l’altermondialisme.
Et c’est un phénomène international7.
Comment qualifier ces nouveaux intellectuels-militants et ce phénomène ?
On peut dire « suprémaciste » pour faire vite et commode, et c’est le titre en
drapeau de cette enquête. Mais les mots pour mieux le dire et mieux le
cerner prolifèrent, et c’est bien le problème.
Effectivement, le terme qui s’impose immédiatement à l’esprit est
« suprémacisme ». C’est un terme usuel, propagé par les médias anglo-
saxons ou les services de renseignement8, pour épingler une multitude de
mouvements9, d’où une prolifération panique d’autres mots : l’« extrême
droite radicale », la « nouvelle radicalité de droite », l’« extrémisme ultra-
droite », le « populisme violent », le « nativism », le « WSE » (« White
Supremacy Extremism »)10, « far right », le « White Domestic Terrorism »
(terrorisme intérieur blanc)11, la « radicalité » ou le « radicalism12 » et « le
nouvel extrémisme de droite13 », sans compter la dénomination, en tête
d’autruche dans le bac à sable, si française, de « groupuscules14 », etc.
Justement, le problème est dans ce « etc. » : en empilant qualificatifs sur
slogans, une fois qu’on a dit ça, qu’est-ce qu’on a décrit ? Rien. Le pire dans
la non-explication est le raccourci, qui est un cul-de-sac du savoir :
« fascistes ! », « nazis ! ». Et puis ?
L’anglicisme « suprémacisme » (en bon français on dit « suprématisme »)
est révélateur15 : d’une part il pointe vers une source importante et
désormais hautement visible de cette mouvance aux États-Unis, d’autre part
l’expression fausse le jeu car elle est appliquée (par leurs adversaires) à ceux
qui, justement, ne sont pas dans la nouvelle mouvance en question : les
suprémacistes violents évoluent à la marge de celle-ci, ce sont les terroristes
radicaux évoqués plus haut. « Suprémacisme » est le terme forgé par les
adversaires à la nouvelle mouvance, et c’est de bonne guerre, mais dans un
combat les œillères ne sont pas particulièrement efficaces pour cibler juste.
Car, vu l’histoire passée de l’Europe depuis trois mille ans, on s’attendrait
là à entendre affirmer haut et clair que la supériorité de la race européenne
va de pair avec la subjugation des autres populations.
Mais ce n’est justement pas le cas : le sort actuel et futur des autres races
(car une chose est sûre : cette idéologie croit à l’existence scientifique des
races), et le destin, chute ou progrès, des sociétés non blanches ne les
intéressent pas. Ils ne veulent pas que la race blanche s’impose aux autres
races car un nouvel effort de domination, comme jadis par le colonialisme,
ne peut que conduire, de nouveau, à leurs yeux, à la situation actuelle où la
race blanche, minoritaire au niveau mondial, est mise en péril immédiat par
les migrations, menacée à moyen terme de dissolution dans un mixage de
populations et condamnée à long terme à la disparition pure et simple. On
est effectivement loin de l’idéologie contenue dans « The White Man’s
Burden », un poème célèbre dans le monde anglo-saxon de Rudyard
Kipling, l’auteur du Livre de la jungle et Nobel de littérature. Il avait défini
une formule qui fit mouche et servi de slogan à l’Empire britannique, « Le
Fardeau de l’homme blanc », à savoir la tâche ingrate, assumée avec élan et
fierté sous le regard de Dieu, de coloniser et civiliser les peuples « mi-
démons, mi-enfants ».
Le scénario a radicalement changé.
La nouvelle idéologie blanche se décharge de ce fardeau imaginaire. Elle
n’en est plus à l’injonction colonialiste et paternaliste de Kipling aux
Européens : « Envoie tes meilleurs fils en exil, mets-les sous le harnais pour
qu’ils veillent sur ces peuplades écervelées et sauvages16. » La nouvelle
idéologie qualifie cette politique d’altruisme destructeur et masochiste.
Comment se qualifient-ils donc eux-mêmes17 ? Ils se disent souvent des
« réalistes raciaux » et rarement « racistes18 ». Beaucoup rejettent
« suprémaciste » et expliquent pourquoi. Ils s’affichent « nationalistes
blancs », mais pas nationalistes nationaux. Ils se veulent européens, mais
certainement pas, pour beaucoup d’entre eux, « indo-européens », l’Europe
du Sud, trop mixée, leur pose problème. Ils se revendiquent héritiers de la
Grèce ancienne, moins de Rome car l’idée d’un Empire les révulse souvent.
Ils sont blancs mais excluent généralement de cette catégorie les juifs et les
Sud-Américains sauf s’ils sont d’extraction européenne (mais à quel degré
de sangre, de « sang » ?). Le lien entre le christianisme historique et
l’héritage européen suscite des divisions. Ils sont souvent antichrétiens, mais
pas tous. Ils s’appellent parfois « dissidents ».
Les termes fluctuent, et c’est évidemment cette fluidité qui en fait tout
l’intérêt. S’il fallait choisir, l’expression la plus juste me semble être
« racisme intégral », c’est-à-dire une idéologie qui intègre la race comme
facteur décisif d’une réflexion sur le politique, quels que soient la définition
de « race » et le positionnement sur le terrain politique des intellectuels et
militants blancs. Mais c’est une expression que ni les militants ni les maîtres
à penser du mouvement n’emploient. Dommage.
Les termes bougent et les idées avec. L’idéologie est en effet encore
flottante. Les termes finiront par se fixer. Et l’idéologie à se solidifier.
Mais déjà une expression et un phénomène ont servi de catalyse, de déclic
et de coup d’envoi : « alt right19 ». Depuis quatre ou cinq ans, cette formule
venue des États-Unis est adoptée dans le monde entier, après avoir été
trustée par une société qui en avait déposé la marque20. « Alt right » a
supplanté comme label le déjà ancien « Nouvelle Droite » des années 1960-
1970 et ses variantes dans le vocabulaire de la jeune génération d’activistes
blancs. Les jeunes sont alt right. On ira donc à la source, et cette enquête
commencera par là.
« La curiosité sérieuse »

Une enquête ? Le style de ce livre n’est pas habituel pour un philosophe.


Certains de mes interlocuteurs ont été surpris de voir un philosophe,
« rhétoricien » de surcroît, carnet en main, se comporter en investigative
reporter. Pourtant, ce parti pris d’enquêteur évoque ce que la revue En
attendant Nadeau appelle joliment « l’écho d’Hérodote », à savoir quand un
philosophe décide ne pas écrire encore un livre farci de références expertes,
mais embrasse une tentation salutaire, inventée voilà deux mille cinq cents
ans par Hérodote : l’enquête intellectuelle de terrain21.
Ma réflexion depuis les années 1980 s’est portée, de façon concrète
chaque fois et loin des grandes théories, sur la manière dont les signes et
symboles s’assemblent dans des montages de persuasion politique, sur celle
dont la prise de parole produit des effets politiques – bref, la rhétorique.
D’ordinaire, la rhétorique, quand elle ne se lance pas dans des analyses
littéraires hautement spécialisées, s’attache simplement aux discours qui font
un effet et qui ont eu un effet historique ; elle peut étudier les harangues des
moines prêcheurs du Moyen Âge, les propos éloquents des rois de France de
la Renaissance ou les envolées lyriques des orateurs tumultueux de la
Révolution – et on pousse vers Lamartine, Gambetta, Jaurès et de Gaulle,
bien sûr. J’ai bifurqué.
Mon premier livre sur le sujet de la race, publié en 1989, s’intitulait
L’Intrigue raciale22. J’avais mené ma recherche en Afrique du Sud même,
au moment où dans les épiceries occidentales on saccageait les cageots
d’oranges en provenance de ce pays et où les graffitis « Libérez Mandela ! »
couvraient les murs des facs et des lycées. Normalien, j’étais parti au pays de
l’apartheid, suite aux conseils (non concertés mais audacieux) du philosophe
Louis Althusser, le dernier marxiste historique, et critique, mais aussi de
l’anthropologue Georges Balandier, le maître des africanistes, et de la
politique spectacle. Je m’en étais allé, n’ayant cure des commentaires de
mes condisciples – qui préparaient l’ENA pour échapper à la pauvre
condition professorale –, et je m’étais retrouvé au plus fort du régime de
Pretoria en 1978 pour mener, sur le terrain, une première enquête, et à mes
risques et périls. Je n’ai pas été déçu : elle me valut de vivre sous
surveillance, parfois étroite, parfois madrée, et de voir ma thèse saisie par les
services de sécurité.
Depuis je me suis installé dans ce pays sans pareil, au cap de Bonne-
Espérance. J’ai publié, traduit ou commenté, entre autres essais sur race et
politique, le fameux Rapport de la Commission Vérité et Réconciliation,
préfacé par le Nobel de la paix l’archevêque Desmond Tutu23. Ce rapport,
fondateur de l’Afrique du Sud actuelle, est à mes yeux un texte crucial : je le
considère comme le dernier mot de la philosophie universaliste des
Lumières, et le point final, anachronique, à la théorie de la démocratie
conçue par Jean-Jacques Rousseau. Bref, tout ce que rejette le mouvement
idéologique qui sert de fil à cette enquête.
Je suis donc allé à la rencontre des acteurs, essentiellement les gourous de
l’idéologie blanche internationale. Mon choix n’a pas été aléatoire, mais
stratégique : je voulais parler à ceux qui comptent, c’est-à-dire ceux qui
influencent par leurs écrits et leur alchimie de mots persuasifs et de
symboles forts. J’ai essuyé des refus, et j’ai souffert de ratages. Je n’ai pas
retenu pour ce livre toutes les rencontres, une dizaine au total. J’ai
également fréquenté avec l’assiduité nécessaire cette littérature qui n’est pas
forcément accessible. Toute une médiathèque alt right est en voie de
constitution, textes, manifestes, sites et réseaux, vidéos et tutos, films,
musique. Elle est déjà très riche et exerce un impact notable sur la jeune
génération des nationalistes blancs.
Ces chapitres sont ainsi le fruit de mes conversations avec eux, obtenues
souvent avec difficulté. Les raisons de cette résistance ? Certains s’inquiètent
de figurer dans un livre hors de leurs circuits d’édition, soucieux d’une
manipulation ; d’autres préfèrent s’exprimer dans le cercle de leur
influence ; d’autres encore ont dû peser le pour et le contre du bénéfice à
tirer de s’entretenir avec moi, et à apparaître dans un livre publié chez un
éditeur de poids, et décider que le jeu en valait la chandelle. Certains
connaissent une médiatisation récente, et sont probablement moins rétifs,
ou le sont plus, ça dépend du sort qu’on leur a fait.
L’alt right avait subi une infiltration très médiatisée en 2017, mais plus
cocasse ou naïve qu’autre chose, rendue publique à peine un mois après
l’événement fondateur de Charlottesville (voir le chapitre 1) et sur laquelle
j’avais écrit une analyse critique sur un site de qualité, celui des auteurs des
Presses universitaires de Yale24. Les militants et les maîtres à penser de l’alt
right en ont gardé une grande méfiance envers les outsiders.
Ma conviction fut qu’un intellectuel aime à parler avec un autre
intellectuel. Mais il ne faut pas confondre conversation avec badinage
mondain, échange de politesses ou renvoi d’ascenseur. Car l’enquête
intellectuelle – pour emprunter la formule à Pascal Engel, un ancien
condisciple et un philosophe exact – « est régie par des règles de curiosité
sérieuse25 ». Ce qui définit exactement mon approche. Elle a parfois agacé
mes interlocuteurs. Je suis très sérieusement curieux.
Ce livre fait donc suivre une piste d’idées, rencontrer des personnages sur
le vif, écouter et comprendre des situations. Ce sont des conversations qui
nous mettent véritablement au cœur de cette idéologie blanche en
émergence.
Il est rare d’observer une idéologie passant de la gestation à la naissance.
Et de la naissance à sa pleine formation. La maturité est proche, qu’on y
prenne garde.
On oublie en effet que les idéologies prennent du temps à se former,
mûrissent là où on ne les attend pas, et soudain apparaissent, fortes et
armées de paroles et d’actions – et la table est renversée, d’un coup. Une
idéologie commence à prendre de manière éparse, confuse, disséminée,
empruntant à l’histoire, aux préjugés, aux événements ambiants, à de vraies
philosophies aussi, bien sûr, mais elle prend forme comme le dit bien cette
expression venue du grec classique, comme « idéo-logie » : c’est la mise en
mots (logos) d’une idée-force, une histoire que certains se racontent au sujet
d’une idée qui les obsède, et qui partagée avec d’autres se structure
lentement mais sûrement en un discours partagé, par un effet
d’enchaînement et d’entraînement. Ce discours rameute alors à lui, sur le
terrain, des théories plus solides, plus abstraites, plus idéologiques au sens
habituel du terme, qui en deviennent l’appareil intellectuel. Se met alors en
place une vision politique et suit naturellement le désir de voir « nos idées »
triompher, et renverser l’ordre établi. L’idéologie prend alors le pouvoir.
Ce que vous allez connaître avec cette enquête est ce moment très
particulier d’une idéologie encore dans sa chrysalide. Celle de la race.
Le retour du refoulé : la classe, la race

Race ? Nous sommes tant habitués, en France, et en Europe, à calibrer


tout mouvement idéologique concernant la « race » au gabarit des années
1930-1940, et les États-Unis à celui du KKK (Ku Klux Klan), que
l’apparition d’un modèle neuf sous un vocable ancien nous échappe.
Mais il faut prendre un peu de recul historique par rapport à
l’événementiel : l’émergence de cette nouvelle idéologie blanche est un
ébranlement tectonique de grande ampleur. Classe et race sont les deux
plaques de ce glissement tectonique.
À considérer les événements sur leur longue traîne, une conclusion
s’impose : si la « classe » a été la grande affaire au fil du long XIXe siècle, de
la Révolution française au communisme stalinien, la « race » est la grande
affaire du long XXe siècle, allant de la partition ethnique de l’Europe au
traité de Versailles, poursuivie dans l’émiettement des États nationaux
formant l’Union européenne, à la résurgence transnationale d’un sentiment
commun d’appartenance non pas à des nationalités – jadis hostiles,
désormais chapeautées par les différentes institutions de la zone Europe –,
mais à une sorte de supranationalité européenne, qui n’a rien à voir avec le
légalisme des passeports et le programme Erasmus, mais qui a tout à voir
avec un sentiment de « race » commune.
Cela ne signifie pas qu’au XIXe siècle il n’y eut pas des penseurs raciaux,
bien au contraire, et qu’il y ait, de nos jours, des penseurs marxistes. Là
n’est pas la question. Car c’est la longue durée qui compte, le cadre général
et les mouvements idéologiques de fond, le grand mouvement tectonique de
ces deux plaques : la classe, la race.
Aux XXe et XXIe siècles, le discours universaliste issu de 1945, et de
l’après-chute du mur de Berlin, a collé une tapisserie verbale sur la réalité,
exprimant un vouloir politique managérial de consensus où les classes
existent à l’état fantomatique et dialoguent entre elles comme des spectres
afin que les individus, qui n’ont plus de rapport organique à leur classe
naturelle, soient efficacement gérés. Cette manipulation idéologique libérale
a rejeté dans l’ombre à la fois la véritable question des classes, à savoir leur
opposition violente, et la question raciale.
Car, d’une part, le renoncement par les marxistes à la lutte des classes, qui
imposait et justifiait la violence comme moteur des relations humaines – la
trahison du léninisme a scellé la mort du communisme politique – et,
d’autre part, son remplacement managérial par la « concertation » et puis le
« dialogue social » qui accentue la subjugation des individus, désormais
privés d’un soutien collectif de classe, ont pour résultat que la conscience
raciale du vécu social a lentement repris le dessus.
Ce mouvement tectonique qui fait ressurgir la race, comme une poussée
fait surgir une montagne, est masqué, dissimulé, refoulé par le discours
généralisé du « vivre ensemble », de la coopération internationale,
d’organismes préventifs, d’institutions de droits humains, du management
mondial des différences « sans frontières ». Cette tapisserie de mots cache
les mouvements internes qui lézardent les murs de la maison Europe.
Vis-à-vis de cette idéologie blanche, on commet donc la même erreur
qu’envers le réveil de l’islam combattant, que j’ai décrit dans mon livre
Paroles armées. Le management politique avait tapissé notre horizon
culturel avec des images lénifiantes de religions vouées à des niaiseries
touristiques, et à la kermesse d’un bon pape saluant des foules en liesse ou
du pèlerinage à La Mecque. Une religion armée a soudain ressurgi, parmi
nous. Pis, nous n’avons pas voulu comprendre qu’une religion, assimilée en
France comme toute religion à un obscurantisme pré-1789, était capable
d’actionner un formidable potentiel de persuasion hypermoderne, grâce au
cyberespace26, qui dépasse les cadres établis dans la propagation et
l’affermissement de ses convictions.
La « race » est de retour comme l’élément décisif du politique.
Certes, dire ou écrire, comme ça, sans ambages « race » est brutal et
choque nos oreilles assouplies ou assoupies par le langage tiède de la
proximité et du souci de l’autre. Le retour du refoulé est toujours brutal. Et,
la psychanalyse le sait bien, le refoulé ne revient jamais à l’identique : la
« race », ce mot tabou qui est un anathème depuis un demi-siècle au
moins27, ne revient pas porteur d’une idéologie à l’identique, en répétition
du temps récent des totalitarismes bottés et casqués, du temps lointain des
plantations d’Autant en emporte le vent, de l’époque coloniale quand
l’Européen se faisait donner du bwana tout en buvant une limonade glacée,
ou remontant le Yang-Tsé en canonnière et costume de lin blanc. La race
fait son retour autrement et différemment : ce retour du refoulé racial
répond à une angoisse et à une volonté, illustrées par une horloge
démographique, d’un puissant appel symbolique, et que l’idéologie blanche
cite comme un mantra : « Les Blancs sont 11 % de la population mondiale,
il est temps de protéger notre race, maintenant, sinon nous aurons disparu
avant la fin du XXIe siècle28. »
Il est grand temps pour nous de boucler notre bagage et de nous
transporter là où l’alt right a commencé en faisant irruption sur la scène
politique américaine.
2. Philippe-Joseph Salazar, Paroles armées. Comprendre et combattre la propagande terroriste,
Paris, Lemieux éditeur, 2015.
3. Voir mon entretien « L’irrésistible (?) ascension de l’Alt Right internationale », Le Désordre
mondial de Rachel Marsden, Sputnik, 12 novembre 2018. YouTube :
https://www.youtube.com/watch ? v=JDLklQ-uAMM&t=240s.
4. Vincent Law, « It’s OK To Be White », AltRight, 4 novembre 2017, à propos de la campagne
du même nom qui attira l’attention des médias aux États-Unis, www.altright.com.
5. Un exemple : Blanche Europe, www.blancheurope.com.
6. Voir diagramme p. 24.
7. Kai Arzheimer, « Bibliography on the Extreme Right in Western Europe », 2017, www.kai-
arzheimer.com : bibliographie sur le suprémacisme soigneusement tenue à jour par un éminent
universitaire. Simon Murdoch et Joe Mulhall, The International Identitarian Movement, HOPE not
Hate Charitable Trust, 2019 : un document de départ pour des recherches plus approfondies. Jo
Becker, « The Global Machine Behind the Rise of Far-Right Nationalism », The New York Times,
10 août 2019, www.nytimes.com. Timothy Garton Ash, « Yes, We Can Halt the Rise of the
international Far Right », The Guardian, 17 novembre 2017, www.theguardian.com.
8. Emmanuel Spraguer, « White Nationalism Threatens the State », Radical Capitalist,
25 septembre 2017, www.radicalcapitalist.org. Department of Homeland Security (États-Unis),
Strategic Framework for Countering Terrorism and Targeted Violence, septembre 2019. Tim Hume,
« Germany Is Hiring 600 Police and Intelligence Agents to Hunt Down Neo-Nazis », Vice,
18 décembre 2019, www.vice.com.
9. Caterina Froio, « Nous et les autres. L’altérité sur les sites web des extrêmes droites en France »,
Réseaux, nos 202 et 203, 2017, p. 39-78, www.cairn.info : une excellente étude avec de nombreuses
sources. Kathleen M. Blee et Kimberly A. Creasap, « Conservative and Right-Wing Movements »,
Annual Review of Sociology, 2010.
10. Mark Pitcavage, Surveying the Landscape of the American Far Right, Washington, D.C.,
George Washington University, 2019, www.extremism.gwu.edu. Il note que, du point de vue du
contre-terrorisme, les actes perpétrés par les « suprémacistes », un sous-groupe de la « far » ou
« extreme » droite, ne représentent que 43 % des attentats et conspirations.
11. Nick Lowles (dir.), Far Right Terrorism on the Rise, Londres, HOPE not Hate, 2018,
www.hopenothate.org. HOPE not Hate est le principal observatoire « antifa » anglo-saxon. Robert
Levinson, « The Fight in the Right : It is Time to Tackle White Supremacist Terrorism Globally »,
War on the Rocks, 22 août 2019, www.warontherocks.com.
12. European Centre for Democracy Development (organisme lié à l’Organisation pour la sécurité
et la coopération en Europe), Contemporary Far-Rights. Right-Wing Radicalism in Europe :
Ideology, Social Base, Prospects, 2018.
13. Theodor W. Adorno, Le nouvel extrémisme de droite (bandeau : Manuel d’auto-défense), Paris,
Climats-Flammarion, 2019. Il s’agit d’une conférence prononcée en 1967 à Vienne, qui aura mis
cinquante ans à arriver en France : « nouvel » ? Le bandeau racoleur n’est évidemment pas
d’Adorno.
14. Assemblée nationale (France), Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur la lutte
contre les groupuscules d’extrême droite en France, 6 juin 2019. On y apprend peu de chose sur
l’ultra-droite (terme employé par des intervenants, et qui signale une indécision sur la nomination du
phénomène, dont évidemment l’indéterminable « fachosphère »). Le rapport est éclairant sur les
présupposés politiques des parlementaires de par leur usage de descriptifs préconçus (« discours de
haine » par exemple), de banalités journalistiques sur l’usage d’Internet, en contraste cependant avec
l’audition précise, prudente mais ferme, de l’ancien directeur général de la sécurité intérieure, ou
l’audition informative du préfet de police de Paris et de la directrice du renseignement à ladite
préfecture.
15. « Intelbrief : The Transnational Nature of Violent White Supremacy Extremism (WSE) »,
The Soufan Center, 27 septembre 2019, www.thesoufancenter.org.
16. Voir www.kiplingsociety.co.uk. La présente traduction en français est de l’auteur.
17. George T. Shaw (dir.), A Fair Hearing, Londres, Arktos, 2018. Une collection d’articles par des
représentants de l’alt right.
18. Chase Rachels, « White Nationalism is the Surest Path to a Libertarian Social Order », Radical
Capitalist, 19 janvier 2019, www.radicalcapitalist.org. Un article nourri (47 pages) qui fait le point sur
la question scientifique de la race telle qu’elle est présentée par l’alt right, avec de nombreuses
sources.
19. Thomas J. Main, The Rise of the Alt-Right, Washington, D.C., Brookings Institution Press,
2018. L’orthographe varie, j’ai préféré « alt right » parce que souvent on l’oppose à l’« old right »
(voir le chapitre 12), qui s’écrit sans trait d’union.
20. Il s’agit de www.altright.com cofondé par Daniel Friberg, propriétaire de l’encyclopédie en
ligne Metapedia et de la maison suédoise d’édition Arktos. Le site était l’émanation de l’AltRight
Corporation. Le site altright.com n’est plus mis à jour depuis 2018. Friberg s’est séparé de la
fondation en mai 2018. Sur Arktos, voir le chapitre 9.
21. Pierre Benetti, éditorial du En attendant Nadeau, « Enquêtes », hors-série no 4, été 2019.
22. Philippe-Joseph Salazar, L’Intrigue raciale. Essai de critique anthropologique, Paris,
Méridiens Klincksieck, 1989.
23. Philippe-Joseph Salazar, Amnistier l’Apartheid, Paris, Le Seuil, 2004.
24. Philippe-Joseph Salazar, « I Infiltrated the Alt-Right. So what ? », Yale University Press Blog,
10 octobre 2017. blog.yalebooks.com. Patrik Hermansson, « My Year Inside the International Alt-
Right », 23 septembre 2017, www.alternativeright.hopenothate.com. Sur Reddit, « I’m Patrik
Hermansson. I Went Undercover Inside the Alt-Right for a Year », 85 questions-réponses, où il
explique comment il s’y est pris. Sur YouTube et https://hopenothate.com/videos/, une série de
clips, enregistrés subrepticement, réunis sous le titre « My Year in Kekistan ». Jesse Singal,
« Undercover With the Alt-Right », The New York Times, 19 septembre 2017, www.nytimes.com. Il
existe une version française du film (je n’ai pas comparé les clips), Undercover in the Alt-Right,
payante, sur www.film-documentaire.fr : le résumé parle d’« ultra-droite ».
25. Pascal Engel, « Savoir et enquêter », En attendant Nadeau, « Enquêtes », hors-série no 4, été
2019, p. 18-21.
26. J. M. Berger, Nazis vs. ISIS on Twitter : A Comparative Study of White Nationalist and ISIS
Online Social Media Networks, George Washington University, 2016.
27. Voir Katrin Elger et Yasemin Shooman, « The Concept of Race Is Taboo », Der Spiegel,
12 juin 2020, www.spiegel.de. Et Sonya Faure et Thibaut Sardier, « La fiction de la race, c’est ce qui
reste de l’ordre esclavagiste », Libération, 16 juin 2020, www.liberation.fr.
28. Horloge démographique, à la date du 30 mars 2020, à 7 h 08 GMT, www.dailystormer.su.
Voir le diagramme page suivante.
1
La fierté blanche, scène primitive
Ne touchez pas au général Lee !
Là, sur mon écran, vibre une icône : un jeune militant, mèche tombant au
travers du front, hurlant, le visage mordoré par la lumière de la torche qu’il
tient à la main, entouré de ses camarades et sur fond de nuit éclairée de
flambeaux. Peter Cvjetanovic porte un polo blanc frappé de l’emblème au
triangle bleu renversé du principal mouvement alors de jeunes de l’alt right :
Identity Evropa29. Répondant à l’appel30, les militants d’Unite the Right
convergent sur cette petite ville de Virginie dans la chaleur humide de l’été
sudiste, avec une multitude d’autres groupes, et leurs opposants, les
antifa31, montent au front.
Ce portrait du jeune activiste claque en première page du quotidien
anglais à audience internationale The Guardian dès le 12 août 2017 au
matin, c’est-à-dire quelques heures après leur marche nocturne et le jour
même de violentes échauffourées32. La photo fait le tour du monde33.
Ainsi que de nombreuses vidéos34.
L’image est devenue iconique de l’identité blanche et le militant Peter
Cvjetanovic est son poster boy35. Elle incarne la scène primitive, l’aube
fondatrice de l’alt right, le moment où les identitaires blancs ont fait
irruption sur l’autre scène, celle des médias. Depuis cette manifestation, pas
un rassemblement de taille de l’alt right, ou des suprémacistes, ou
nationalistes blancs, sans que les médias américains ou anglais la ressortent
immédiatement. Cette photo du jeune militant en revanche, c’est
l’équivalent alt right du tableau de Delacroix La Liberté guidant le peuple.
Au même moment, la France se bronze sur les plages tandis que
l’Amérique passe une nuit blanche36. Nous sommes le vendredi 11 août,
dans la nuit. L’action se déroule en Virginie, à Charlottesville. Les
principales attractions de la petite ville sont l’université publique créée en
1819 par Thomas Jefferson et la statue du généralissime Robert E. Lee
campée sur son granit rose. Excessivement chic, le campus s’épanouit dans
une province de collines verdoyantes, de forêts imposantes et de campagnes
opulentes – la Virginie, qui était l’État le plus riche du Sud au moment de la
déclaration de Sécession (1861), compte toujours parmi les districts les plus
bourgeois des États-Unis.
Mais la Virginie, c’est aussi le cœur nostalgique de l’aristocratie sudiste,
avec le souvenir du généralissime des armées de la Confédération Robert
E. Lee, dont la statue équestre est justement au centre d’Emancipation Park
(rebaptisé deux mois auparavant, mais obstinément appelé « Lee Park » par
ses habitants) et au cœur de l’événement de Charlottesville37 : depuis des
mois, la municipalité et les opposants à son héritage sudiste et esclavagiste
envisagent de la déboulonner. On ne touchera pas au général Lee ni au
bronze de son cheval Traveller. Une première petite manifestation aux
flambeaux avait eu lieu en mai, un échauffement, une répétition générale.
Cette fois-ci tous les groupes de la droite non parlementaire (comme on
dirait en France) ont décidé de venir en masse protéger la statue du héros
sudiste ces 11 et 12 août, et de s’unifier en une seule force, Unite the Right
(« Unifier la droite »).
Peter Cvjetanovic et la jeune garde alt right estudiantine d’Identity
Evropa convergent donc vers cette statue, venant de tout le pays, par
voiture, train, bus, depuis des campus à des centaines, sinon des milliers de
kilomètres.
Aux étudiants s’ajoutent le ban et l’arrière-ban des groupuscules racistes et
sectes suprémacistes38, néonazis (à l’américaine)39, manieurs tatoués de
chaînes et de bâtons, affiliés du Ku Klux Klan, qui piaffent d’impatience
depuis des années de pouvoir sortir leur attirail dans un grand événement,
qui brandissent la panoplie de leurs drapeaux, et surtout affirment mettre de
côté leurs divergences de chapelle, et faire front commun.
La trentaine de groupes engagés pour venir défendre la statue de Lee ont
probablement oublié que Lee avait condamné la Sécession, « illégale et
vouée à l’échec », et décliné l’offre de l’administration Lincoln de se mettre
à la tête de la défense de Washington, et de prendre le commandement des
armées du Nord : en homme d’honneur, il répondit que jamais il ne
pourrait « tirer l’épée » contre son pays, la Virginie.
Voilà pour la toile de fond contre laquelle s’est orchestré Charlottesville,
désormais mythique40.
La marche aux flambeaux qui enflamma le Web

Pour résumer les événements des 11 et 12 août 2017 : une marche aux
flambeaux spectaculaire, mais sans incident violent, se déroule le 11 au soir,
et sans opposition réelle sur le campus de l’université. Une vidéo montre
même un étudiant solitaire et stupéfait s’écriant : « Mais où sont les
opposants, où êtes-vous ? Les nazis sont là ! »
Durant la nuit, l’opposition finit par s’organiser grâce aux réseaux
sociaux. Se font face les groupes racistes, dont certains armés (le port d’arme
visible est légal en Virginie), et une concentration d’une dizaine de groupes
d’opposants, interconfessionnels, antifa, communiste et ultra-gauche.
L’affrontement aurait dû être évité.
Mais l’affrontement eut lieu, le résultat d’une gabegie des pouvoirs
publics, à savoir : l’indécision des responsables politiques et universitaires
tant sur quoi autoriser et quand, et surtout comment maintenir l’ordre (un
rapport officiel a formellement accusé la police de n’avoir rien fait pour
éviter que les deux manifestations ne soient au contact), ajoutée à la
confusion créée par le principal groupe de défense des droits civils (ACLU),
traditionnellement aligné à gauche, mais qui se porta en soutien au droit des
nationalistes blancs à se réunir le 12 autour de la statue (dans sa logique de
défense inconditionnelle de la liberté absolue d’expression), une autorisation
validée par le juge local en dépit du maire qui répliqua en autorisant des
contre-manifestants à se réunir, mais ailleurs que dans le parc de la statue.
Comme on dit, « a perfect storm ».
Le 12, ce fut donc la mêlée, avec de nombreux actes de violence de part et
d’autre ; une jeune femme mourut après avoir été percutée par une voiture
forçant son passage dans un groupe d’opposants, conduite par un jeune
suprémaciste. Il plaida qu’il fuyait un lynchage, et il a été condamné,
échappant de justesse à la peine de mort malgré vingt-neuf chefs
d’accusation – résumés par cette formule, désormais un tag, qui depuis a
fait fortune : « crime de haine ». Depuis, ce jeune suprémaciste est retombé
dans l’anonymat, car le héros médiatique de Charlottesville, tête d’affiche
de la « haine », c’est l’autre jeune militant alt rightiste, celui qui participait à
la marche nocturne du 11, dont la photographie a fait la une des médias et
qui soudain est devenu le poster boy de l’événement, Peter Cvjetanovic.
Peter Cvjetanovic parle

Étudiant en histoire et en science politique à l’université du Nevada


(établissement classé 418e aux États-Unis – la Virginie étant 36e), il avait
parcouru quasiment les États-Unis d’ouest en est, quelque quarante heures
sur la route, pour se joindre aux autres jeunes d’Identity Evropa et, comme
il le dit, aller écouter Richard B. Spencer, la star du mouvement, et
finalement rentrer chez lui. « C’est l’été, j’avais du temps libre, et c’était la
première fois que j’allais à un rallye comme ça. » On trouve deux entrevues
de lui sur YouTube, dans un hall de l’université, datant du dimanche 13,
soit à peine deux jours après la marche41.
Le contraste est saisissant entre son image vidéo et la photographie
colérique de la marche aux flambeaux : un visage imberbe, d’adolescent
BCBG. Durant l’entrevue, il ne hurle pas ni ne harangue son interlocuteur,
il parle posément, sans affectation, et même parfois avec des tics de gamin,
mais comme tout étudiant américain, formé rhétoriquement, il sait
s’exprimer avec fluidité.
Devenu instantanément le « visage de la haine », il avait déjà commencé à
subir un doxing (révélation de son nom, sa famille, son université, son
boulot, bref une invasion de sa vie privée) en règle, avec harcèlement et
menaces de mort, dans l’amplification virale des réseaux sociaux.
Que dit-il dans ces deux vidéos qui ont peu attiré l’attention42 ?
Que la marche aux flambeaux n’était pas prévue initialement, qu’un
chaos régnait à cause de l’indécision des autorités, qu’il était prêt avec ses
copains à rentrer chez lui, et qu’après la marche tout a dérapé dans la
violence. Que la police était inactive. Oui, des nazis, des « vrais » sont
apparus, mais « ils avaient le droit d’être là, comme tout le monde, nous
sommes aux États-Unis ». Qu’il est identitaire et non pas suprémaciste. Que
la culture blanche américaine comme la culture noire américaine, qui est
spécifique et différente des cultures africaines, sont menacées l’une et l’autre
par la mondialisation. Voilà son appartenance à l’« alternative right » (il
emploie l’expression entière). Non, il n’est pas nazi, c’est une
« monstruosité », et que ceux qui le traitent de nazi ont en fait « peur du
nationalisme » qu’ils confondent avec le national-socialisme des années
1930. Que ça n’a rien à voir. Qu’il voudrait que tout le monde s’asseye à
une même table et « en discute, en parle les uns avec les autres » sans
violence.
Il explique alors la photo : son groupe était au pied de la statue et l’antifa
leur faisait face, quasiment au contact, « eye to eye », les yeux dans les yeux.
La tension était telle qu’il hurla, à propos de la statue de Lee : « Ceci est
notre pays, on veut le défendre » (« This is my home, we want to defend it »).
Non, il ne chantait pas « Jews will not replace, which is a stupid thing to
say in the first place » (« Les juifs ne nous remplaceront pas, ce qui est une
chose idiote à dire de toute manière »). Non, dans la photo il ne chantait pas
« Blood and Soil43 » (« Sang et Sol »), parce que c’est le cri de ralliement
des « nationaux-socialistes », mais « One people as a united force » (« Un
peuple uni est fort »). On comprend alors que la marche devait être comme
il le dit : « singing songs », chanter des slogans, et puis rentrer à la maison.
Il parle de ses « croyances », sans intention de menacer quiconque, tout en
sachant qu’il est une minorité étant un identitaire.
Il croit, comme on l’enseigne aux États-Unis, aux règles fixées du débat
contradictoire entre des points de vue opposés44. Il comprendrait que
l’université le vire de son petit boulot, qui lui permet de payer ses études, si
ses vues rendaient les gens « inconfortables » au travail, il admet même
qu’on le traite en « paria ». Mais « I am not going anywhere », « je ne fuirai
pas », « c’est mon droit sous la Constitution d’être ici, d’étudier et de
commencer ma vie professionnelle ».
À la question de savoir s’il regrette : « Non, j’y suis allé pour exprimer
mon idéologie, et je le ferai de nouveau, je suis fier de mon idéologie. La
seule chose que je ferais est que j’essaierais de ne pas être en colère et ne pas
subir les effets de psychologie de foule. » « La différence est que l’antifa nous
harcèle à nos rallyes, et nous, nous n’allons jamais les harceler. L’antifa est
dangereuse, pas nous. La gauche extrême engage la violence. »
« Trump, un allié ? Non, c’est tiré par les cheveux. Il n’est pas identitaire,
il est trumpien. »
On le constate, « mon idéologie », chez cet étudiant en sciences politiques,
se résume à peu de chose, à ce bricolage évoqué dans le prologue de ce livre
– « J’ai le doit d’être ici et de défendre ce que je crois, j’affirme que je ne
peux plus être avec ceux qui sont comme moi, et je veux que ceux qui sont
blancs comme moi s’unissent. » Voilà. C’est simple et c’est une idéo-logie,
une mise en mots d’une idée sans montage compliqué, symbolisée et mise
en scène par une parade aux flambeaux.
Quelle est la leçon de ces deux vidéos à chaud – étonnamment sereines –,
le dimanche même après les violences du samedi et sous le coup de
« centaines » de menaces de mort ? Que Peter Cvjetanovic a déjà franchi la
ligne qui sépare la droite alternative (gardons son expression), celle qui se
projette en avant, de la droite encore moulée dans un imaginaire raciste,
fantasmagorique, « tatoué ». Sa confiance dans la Constitution américaine.
Sa croyance dans le pouvoir de l’échange argumenté. Il est déjà dans ce qui
est de la « métapolitique », terme clef de l’idéologie en formation : voir plus
loin que la politique.
Le style de la haine ?

Charlottesville a précipité l’apparition panique de mots d’ordre, de


slogans et, au premier rang, « hate », la haine45. Le terme « haine » est
vraiment devenu un label appliqué par l’antifa à l’alt right, et toute sa
mouvance, après Charlottesville, avant que ce mot ne colonise le
vocabulaire politique, y compris en France46.
Étrangement, « haine » n’est pas devenu monnaie courante après les
attaques et des massacres commis par les djihadistes. Il a fallu attendre
Charlottesville pour que « haine » entre dans le vocabulaire politico-
médiatique.
Ce slogan de « haine » prit une ampleur dramatique sur les réseaux
sociaux à la suite d’un post de blog extrémiste daté du 13 août, le Daily
Stormer47. Le blogueur Andrew Anglin48 y insultait la jeune femme morte
lors des échauffourées (« gros tas de lard », « sangsue sociale »,
« traînée »49). Anglin avait affiché une photo récente de la victime,
complètement différente de son profil public de vamp. Il avait pratiqué un
doxing, ce qui devenu un standard de la lutte sur le Web, où tout est
quasiment trouvable si on cherche un peu, où la vie privée si on n’est pas
sur ses gardes est en fait une somme de documents publics (doxing venant
de documents, docs, dox). Anglin « doxa » Heather, comme des militants
ultra-gauche « doxèrent » Peter Cvjetanovic. Anglin a lui-même été
« doxé » en 2019, et présenté comme un imposteur ou un simulateur, ce qui
reste à démontrer car il continue de plus belle avec un style très alt right de
sarcasme façon stand-up comedy50. Mais le blogueur alt right a mis en
branle un fait social des réseaux : depuis, le doxing est devenu la règle dans
les combats politiques entre alt right et antifa.
Autre leçon et conséquence de cet événement : le site d’Anglin fut vite
« deplatformed » (déshébergé de sa plateforme donc coupé du Web) pour
« haine », avant de se reconstituer en affichant sur son bandeau : « Le site le
plus censuré de l’histoire ».
Et cette censure de Daily Stormer a justement mis en branle un deuxième
phénomène des réseaux sociaux : le « deplatforming » (déshébergement) en
cascade de nombreux sites ou personnages de la droite radicale, ce qui
provoqua en retour des attaques et des poursuites judiciaires contre
Facebook, Google, YouTube, Twitter pour censure de la liberté
d’expression qui est farouchement protégée par le premier amendement de
la Constitution américaine, tandis que le phénomène a abouti à des mesures
législatives contraignantes dans différents pays, soit pour effectivement
censurer les sites de « haine », soit, à rebours, pour empêcher ces monopoles
des réseaux sociaux de manipuler l’information en ligne. Certains, comme
Stormfront, ont été réintégrés par peur de poursuites pour atteinte au
premier amendement.
Les blogueurs alt rightistes ont créé leur style, et en modulant les
obscénités et en ayant recours au sarcasme et aux sous-entendus. Des jeunes
youtubeurs identitaires sont des stars du réseau, tel le dernier en date, Nick
J. Fuentes. « Vétéran » de Charlottesville, il a lancé depuis sa chaîne
America First à dix-neuf ans51 : habillé BCBG, avec un débit rapide et
précis d’étudiant américain formé à la prise de parole, mêlant injure et
ironie, une agilité verbale à créer des mots qui marquent les esprits (comme
« groyper », façonné ironiquement à partir de « groupe » + « goy »), et cette
rapidité à ressortir du Web, en prise sur l’événement, tout ce qu’il faut pour
cadrer un sujet, sur un ton général de dérision du genre « on s’amuse,
voyons », principalement sur des sujets qui risquent de faire suspendre blog
ou site ; bref une éloquence qui se saisit du moment, complètement à l’aise
sur le Web. YouTube l’a déplateformé en février 2020 : son heure de gloire
est passée. Il reviendra ou un autre prendra sa place – cette rapidité de
remplacement des influenceurs du Web est une des forces de l’alt right : sa
communication est protéiforme et opportuniste, et use de nouvelles
plateformes52.
Bannon « le tiède »

Mais les leçons stratégiques à tirer de Charlottesville sont autrement plus


importantes.
Une première indication a été fournie par Peter, le poster boy de
Charlottesville : « Trump est trumpien. » Il n’est pas identitaire ou alt right.
De fait, ces événements se détachent sur la toile de fond de l’opposition
viscérale de la gauche et de l’ultra-gauche à Donald Trump depuis son
élection à la présidence (novembre 2016), et dont le conseiller souvent
associé à l’alt right par les médias était Steve Bannon. À propos de ce
dernier : il avait effectivement dirigé de main de maître un journal en ligne,
Breitbart News qui, ajouté à la dextérité des réseaux sociaux dans sa
mouvance, avait mené une campagne stratégique de « ré-information » –
corrigeant chaque écart d’information et les fake news propagées par ce qui
est désormais appelé les « MSM » (« mainstream media »), les médias aux
ordres (de la bien-pensance).
Jusqu’aux actes qui ont eu lieu à Charlottesville, Bannon a donc été perçu
ou présenté par les MSM comme étant de l’alt right. Or, il est indéniable
que l’alt right et des groupuscules extrêmes avaient placé en Trump leurs
espoirs et l’avaient activement soutenu grâce à la réputation droitière de
Bannon : un de ces groupes en ligne, après son élection, donnait même à
Trump du « God Emperor », du « Divin Empereur » (par référence
évidemment aux césars romains), ce qui avait pour effet immanquable de
déclencher des torrents d’injures à gauche. Mais tout cela est fini.
De fait, après Charlottesville, les principaux tenants de la mouvance
nationaliste blanche ont condamné Bannon comme un tiède, sinon rejeté
comme un tourne-casaque, accusé en vrac d’être un prosioniste, de n’avoir
pas réussi à convaincre Trump de sortir les États-Unis des guerres
étrangères, sans compter la promesse trahie du mur à la frontière du
Mexique, en bref d’être un RINO – Republican In Name Only, un
républicain (lisez : de droite nationaliste blanche) de nom seulement.
Breitbart News bat désormais des records de lectorat en ligne, il fait partie
aussi du lot trié sur le volet des médias accrédités par Facebook, mais il n’est
plus le média favori des alt rightistes.
Le dévolu ébaubi jeté sur Bannon par certaines droites radicales à la
chasse à l’élection en Europe (dont le parti de Marine Le Pen) est le fruit
d’une illusion qui révèle à quel point on manque parfois de perspective et de
connaissances de terrain. Projection, quand tu nous tiens…
L’autre résultat de Charlottesville est l’effet démultiplicateur de l’impact
médiatique et de la manière dont, en provoquant une prise de conscience
par la spectacularité de sa présence de New York à Berlin, de Londres à
Sydney, une rupture s’effectua, qui renforça le mouvement au lieu de
l’affaiblir.
La droite conservatrice, généralement intégriste du point de vue d’une
lecture littérale de la Constitution américaine, et qui ne laisse guère de
latitude aux interprétations modernes, regarde cette jeunesse qui émerge à
sa périphérie soit avec un scepticisme inquiet, comme l’influent think tank et
école de formation Claremont Institute53, soit avec une bienveillance
paternelle, comme le très chic et droitier Mencken Club54 avec qui une
convergence des générations et de culture politique semble s’opérer (voir le
chapitre 6).
Les purges du lendemain

Sous les flambeaux de Charlottesville, les dominos sont tombés de part et


d’autre d’une ligne bien tracée : d’un côté les racistes nostalgiques héritiers
et continuateurs avérés ou non du Ku Klux Klan (« les nazis »), les
suprémacistes à l’ancienne, souvent violents, et de l’autre les alt rightistes et
identitaires, qui développent une stratégie d’influence. La division n’est pas
générationnelle : certes, il y a plus de jeunesse du côté alt rightiste que du
côté des autres, mais les jeunes ne se sont pas coupés des gourous seniors du
mouvement, en tout cas de ceux qui se tiennent à distance des tatoués
nostalgiques du coup de poing. La prise de conscience médiatique d’eux-
mêmes provoque à la fois un effort de réflexion sur ce qu’est être identitaire,
une réévaluation des sources et des thought leaders – ceux qui apparaissent
dans ce livre –, en prise avec l’hypermodernité communicationnelle du
Web55.
Les nostalgiques défilent avec des bannières. Pour les alt rightistes, une
bannière, c’est un message cliquable.
Vue de l’extérieur, cette ligne de démarcation entre « les nazis » et les alt
rightistes semble brouillée à cause de la pléthore de noms, d’appellations, de
qualificatifs, de symboles, de slogans que le Web évidemment démultiplie, et
des emprunts à un fond parfois commun de références historiques, mais
interprétées différemment. Il est significatif que l’alt right originelle qui
fournit les marcheurs de la parade aux flambeaux, et fut l’une des forces
organisant Unite the Right, avait pratiquement disparu un an plus tard –
son site est en déshérence, de même que ceux de sa mouvance, le journal
Radix, le National Policy Institute (NPL) et le mouvement estudiantin
Identity Evropa qui a dû se refonder. Ces organisations ont servi. Elles ne
servent plus. D’autres ont pris le relais.
Leurs adversaires antifa se vantent à chaque fermeture de site alt rightiste,
mais cette réaction montre à quel point les opposants restent coincés dans
une vision surannée de l’appareil politique, chère à la tradition marxiste : la
fermeture d’un site n’est pas la fermeture d’un parti. La fermeture d’un site
permet d’en rouvrir dix autres. Il n’existe pas d’appareil politique, mais des
points d’intervention, éphémères, vifs, tacticiens56.
Il n’existe dans l’alt right jeune aucun désir – pour le moment – de parti
politique, mais une conscience stratégique de flexibilité, de mouvance, de
versatilité, fondée à la fois sur un collectif d’idées et de sentiments, et un
usage agile, expert, des réseaux sociaux. Le leader du NPL, Richard B.
Spencer, qui joua un rôle phare par ses dons d’éloquence publique, sa
culture politique et son charisme personnel, lui qui conduisit la marche aux
flambeaux, avait quasiment disparu de la scène publique en 2018, après
deux ans à avoir été le leader intellectuel des jeunes alt rightistes. D’autres
ont pris le relais, comme l’Américain Nick Fuentes, déjà cité, ou l’Irlandais
Keith Woods (voir le chapitre 13) – avec des followers en masse57. Cette
plasticité du mouvement sur les plateformes du Web irrite les opposants58 et
alarme les services de lutte contre l’extrémisme59. Il est difficile d’épingler les
papillons de la connectivité60.
Or, à l’arrière-plan, les anciens ou les seniors qui façonnent l’idéologie
n’ont pas jugé à leur goût que Spencer s’exclame devant ses adhérents,
après la victoire de Trump, « Hail Trump », en levant son verre – d’autres
firent le salut romain (novembre 2016) – même si « Hail to the Chief » est la
sonnerie qui salue l’entrée du président américain dans les cérémonies
officielles. La ressemblance entre le très chargé Heil en allemand et le banal
hail en anglais fut plus qu’un crime, ce fut une erreur tactique. Spencer ne
s’en est pas remis61.
Exit « les nazis »

Ce que tout militant antifa américain ne comprend pas, c’est que la


marche aux flambeaux de Charlottesville et les violences réelles qui en ont
découlé ne sont absolument pas considérées comme un échec politique ni
une honte morale par leurs promoteurs, c’est même tout le contraire.
Charlottesville avait pour but d’unifier la droite (« Unite the Right »), et de
ce point de vue tactique ce fut un échec. Mais cet échec même a permis un
plus grand succès stratégique encore : purger le mouvement des
matraqueurs et excités en tout genre, et permettre aux jeunes alt rightistes
de prendre la main.
Une fois ces franges ultraviolentes discréditées à l’externe, arrêtées par le
FBI, condamnées en justice, ostracisées sur le Web ou reléguées au folklore
« Proud Boys » (les « Fiers garçons », association masculiniste « pro-
occidentale », pro-Trump et en même temps fans absolus de l’actrice noire
Whoopi Goldberg), la place semble nette pour lancer la stratégie à long
terme62.
L’opposition antifa, le Black Lives Matter, les black blocks et toute la
mouvance où ces groupes évoluent ont d’abord cru à un échec des
identitaires, ou bien sont restés campés sur un cliché : des suprémacistes
menant en fait au terrorisme63. Les plus perspicaces se sont peu à peu rendu
compte que l’échec sur le moment pourrait être une victoire sur le long
terme pour l’alt right. Mais ils n’ont toujours pas compris une autre chose, à
savoir que, sans scène fondatrice forte, mémorielle, une idéologie a du mal à
prendre – et l’antifa n’en a pas. Le nationalisme blanc, oui, désormais.
Ces idées sont basiques mais le récit « héroïque » de l’alt right commence
à se tisser64, avec sa propre logique, et en s’appuyant sur des maîtres à
penser seniors qui ont préparé en amont le terrain des idées et des jeunes
qui se projettent en avant.
En dépit de la violente campagne de déboulonnage de 2020, la statue du
général Lee est restée sur place. Unite the Right aura-t-il eu le dernier
mot65 ?
Il est temps maintenant d’aller rencontrer un de ceux qui, justement,
préparent l’avenir, après cette scène fondatrice de la « fierté blanche », et
d’examiner de quoi il retourne.
29. Identity Evropa, www.identityevropa.com. Devenu American Identity Movement en mars
2019, www.americanidentitymovement.com.
30. Vincent Law, « The “Unite the Right” Rally Is going to be a Turning Point for White Identity
in America », AlternativeRight, 5 août 2017, www.alternativeright.com.
31. Mark Bray, Antifa : The Anti-Fascist Handbook, Brooklyn, N.Y., Melville House, 2017.
Anonyme, Understanding the European New Right and Why It Matters to Antifascists : A Reading
List, 7 janvier 2018, www.antifascistnews.net.
32. Jason Wilson, « Charlottesville : Far-Right Crowd with Torches Encircles Counter-Protest
Group », The Guardian, 12 août 2017, avec le fameux cliché (plan d’une courte vidéo),
www.theguardian.com. Le journaliste n’a pas encore pris la mesure de l’événement.
33. Par exemple, dans le bilan établi par Lois Beckett, « The Year in Nazi Propaganda : Images of
White Supremacy in Trump’s America », The Guardian, 27 décembre 2017, www.theguardian.com.
34. Vice News a monté un documentaire, cinéma vérité, sur l’événement pour HBO :
Charlottesville : Race and Terror, 14 août 2017, https://www.youtube.com/watch ?v=RIrcB1sAN8I
35. Cette photo illustre (entre autres) le rapport de Julia Ebner et Jacob Davey, The Fringe
Insurgency, Washington, D.C., Institute for Strategic Dialogue, 2017, www.isdglobal.org.
36. Pierre Dortiguier, « Le siècle de Charlottesville », Jeune Nation, 22 août 2017, www.jeune-
nation.com. Comment Charlottesville a été présenté par l’organe de presse du plus ancien
mouvement nationaliste français (1950). Jérôme Hourdeaux, « Néonazis et suprémacistes américains
envahissent Charlottesville : un mort », Mediapart, 13 août 2017, www.mediapart.fr.
37. Chad Crowley, « Why the Confederacy Matters », Counter-Currents, 21 septembre 2017,
www.counter-currents.com.
38. Généralement affiliés à Stormfront, site historique des suprémacistes blancs (bulletin
électronique en 1990, site en 1996), issu du Ku Klux Klan, mais désormais à couverture
internationale. Il compte plus de 120 000 abonnés, et permet d’avoir un tableau particulièrement
détaillé de cette mouvance où l’alt right côtoie les positions les plus extrêmes. Il a été brièvement
déplateformé en 2017 et résiste depuis légalement à toute tentative de dés-hébergement.
39. Kampfgruppe88, « The Ten Eternal Truths of White Nationalism », 25 mars 2011,
www.stormfront.org.
40. Lois Beckett, « The Year in Nazi propaganda : Images of White Supremacy in Trump’s
America », art. cité.
41. Peter Cvjetanovic, « Alt-Right Charlottesville Rally Participant Peter Cvjetanovic Interview »,
16 août 2017, YouTube.
42. Sonam Sheth, « White supremacist Who Marched in Charlottesville : “I’m not the Angry
Racist They See in that Photo” », Business Insider, 14 août 2017, www.businessinsider.com.
43. Comme le Patriot Front, www.patriot.us. Anciennement Blood and Soil,
www.bloodandsoil.org, désormais redirigé vers www.patriot.us. Se présente comme un mouvement
de résistance blanche pour « reprendre » (« reclaim ») les États-Unis.
44. Voir Philippe-Joseph Salazar, L’Hyperpolitique, une passion française. Technologies
rhétoriques de la domination, Paris, Klincksieck, 2009, chapitre 1 : « Technologies anglo-saxonnes ».
45. Richard Fausset, « A Voice of Hate in America’s Heartland », The New York Times,
25 novembre 2017, www.nytimes.com.
46. Vann R. Newkirk II, « The Language of White Supremacy », The Atlantic, 6 octobre 2017,
www.theatlantic.com.
47. Daily Stormer, www.dailystormer.su (en date d’avril 2020). Ce site a été souvent déshébergé et
remis sur pied ailleurs.
48. Luke O’Brien, « The Making of an American Nazi », The Atlantic, décembre 2017,
www.theatlantic.com.
49. Andrew Anglin, « Heather Heyer : Woman Killed in Road Rage Incident Was a Fat, Childless
32-Year-Old Slut », Daily Stormer, 13 août 2017.
50. Hunter Wallace, « Daily Stormer : When Did You Realize Daily Stormer Was a Fake
Website ? », Occidental Dissent, 15 septembre 2019, qui est une revue d’ultras,
www.occidentaldissent.com
51. Nicholas J. « Nick » Fuentes : Twitter, @NickJFuentes.
YouTube : https://www.youtube.com/channel/UCsJ86N5n7fcEC_Ds8dYJKzA fermé en février
2020.
52. BitChute (www.bitchute.com) ; Entropystream (www.entropystream.live) ; The Right Stuff
(www.therightstuff.biz). Et le service de microblog Parler.
53. Andrew E. Busch, « Fascism in America ? », Claremont Review of Books, 12 septembre 2017,
www.claremont.org. Cette revue est l’organe du Claremont Institute.
54. Paul Gottfried, « Charlottesville After a Year », The Unz Review, 3 août 2018, www.unz.com.
L’auteur, un juif américain, disciple de Leo Strauss, est un philosophe respecté de la droite radicale :
il analyse la postérité de Charlottesville et les différences entre ses positions et celles, variées, de
l’alt right et de ce fait fournit une analyse de l’intérieur. The Unz Review est une revue en ligne
politiquement atypique.
55. Andrew Marantz, Anti-Social. Online Extremists, Techno-Utopians, and the Hijacking of the
American Conversation, New York, Viking, 2019.
56. Philippe-Joseph Salazar, « Cyber Diasporas and New Radical Citizenries », Yale University
Press Blog, 2 décembre 2017, blog.yalebooks.com.
57. Washington Watcher II, « The Groyper Wars on Immigration Are the debate that American
Nationalism Needs », VDARE, 18 novembre 2019, www.vdare.com.
58. Tanner Mirrlees, « The Alt-Right’s Platformization of Fascism and a New Left’s Digital United
Front », Democratic Communiqué, vol. 28, no 2, 2019, p. 28-46.
59. Tess Owen, « The FBI Just Put White Nationalists and Neo-Nazis on the Same Threat Level
as ISIS », Vice, 6 février 2020, www.vice.com. Suite à l’arrestation du groupe The Base, des
extrémistes violents.
60. Jacob Davey et Julia Ebner, The Fringe Insurgency. Connectivity, Convergence and
Mainstreaming of the Extreme Right, ISD, 2017, www.isdglobal.org.
61. Entrevue avec lui sur le site en français Europe Maxima, 12 février 2017,
www.europemaxima.com. Ce site donne une liste de très nombreux autres sites d’obédience
identitaire.
62. Kyle Swenson, « The Alt-Right’s Proud Boys Love Fred Perry Polo Shirts », The Washington
Post, 10 juillet 2017, www.washingtonpost.com.
63. Julia Ebner et Jacob Davey, « The Far Right Has Learned to Mobilise and Radicalise.
Charlottesville’s a Wake-Up Call », The Guardian, 14 août 2017, www.theguardian.com.
64. Conrad Bates, « I Was at the Battle of Charlottesville, this Is My Story », AltRight, 15 août
2017, www.altright.com.
65. Situation en juillet 2020, à la suite de deux procédures judiciaires distinctes.
2
« Je ne me sens pas américain »
Washington, le printemps se fait attendre, et les 3 000 cerisiers offerts par
la ville de Tokyo en 1912 pour célébrer l’éternelle amitié nippo-américaine
n’ont pas encore éclos pour le National Cherry Blossom Festival. Il pleut.
J’attends mon interlocuteur. C’est un jeune militant de l’alt right des tout
débuts. Il est typique du mouvement, un futur leader. Nous l’appellerons
Matt.
Dans la scène mythique de Charlottesville, un groupement d’étudiants et
de jeunes joua, comme on l’a vu, un rôle clef dans la mobilisation de l’alt
right : Identity Evropa qui s’implantait sur un certain nombre de campus
américains66 ; non pas, comme on pourrait le croire, seulement dans le
Deep South romantique et brutal des plantations disparues et des croix
enflammées du Ku Klux Klan, et d’Autant en emporte le vent, mais dans la
cinquième économie mondiale, la très libérale Californie, et aussi sur la côte
est, à la fois rurale, urbaine, riche et pauvre, patricienne et populaire, vers
Philadelphie, la Pennsylvanie, la Virginie et Washington, mais aussi dans la
ligne médiane allant du Midwest blanc à Chicago la black.
Après un pic en 2017, et un déclin depuis 2018, le mouvement a changé
de nom en 2019, American Identity Movement67, à la suite d’une attaque
informatique68 et d’un doxing généralisé de tous les membres et affiliés par
une organisation de hackers antifa69. Mais les jeunes formés à l’alt right
originelle, et par implication d’Identity Evropa, n’ont pas disparu : formés
aux idées, aguerris par l’expérience de terrain, rassérénés peut-être par le
passage du temps, ils ont migré souvent des campus vers la formation
idéologique et la métapolitique identitaire70.
Contre les « normés »
Ces étudiants placardent sur les panneaux des facs des posters de statues
grecques et romaines, lumineuses de blancheur marmoréenne. Ils déploient
des bannières sur des ponts d’autoroute célébrant la « fierté blanche ». Ils se
réunissent en conclaves plus discrets. Ils sont vêtus comme voilà pas très
longtemps à la mode lancée par Tommy Hilfiger, Ralph Lauren,
Abercrombie & Fitch, la tendance « preppy » ou « casual chic » imitée des
collèges huppés de la bonne société ou des grandes écoles de l’Ivy League
(pour ceux qui n’y sont pas allés), et qui fit la fortune de ces marques : les
militants d’Identity Evropa portent coupe de cheveux tendance Quiff,
pantalons chino repassés (pas « skinny » ou « slim »), polo type Lacoste de
couleur neutre ou chemisette à rayures et col boutonné, avec un blazer
léger. À l’évidence, ils font du sport, mais pas de la gonflette. Sont parfois
même hipsters. En tout cas, tous les autres qui n’osent pas prendre parti
sont des « normies71 », les « normés » – les étudiants ou jeunes plutôt
de droite mais conformistes et prudents, les tièdes. Toute cette esthétique
vestimentaire et verbale joue un rôle : se reconnaître, nommer l’adversaire.
Développer des signes de distinction. Cris de ralliement. Les jeunes de l’alt
right forment une communauté de discours72.
Les militants d’Identity Evropa se rassemblaient donc pour débattre de la
pureté de la race blanche et des dangers du métissage que celui-ci poserait à
une race américaine née de l’immigration des dissidents religieux de
l’Europe (réfractaires protestants anglo-nordiques du XVIIe siècle,
immigrés germaniques et irlandais au XIXe siècle, allergiques à l’étatisme).
Déracinée d’Europe à la suite des persécutions religieuses au XVIIe,
politiques ou économiques au XIXe, elle a d’abord pris racine en particulier
du côté de Cap Cod, le « cap de la morue » prisé des mariniers portugais,
par exemple à Providence la bien nommée, où des estaminets servent
toujours des plats traditionnels. Imaginez un instant ce scénario : si les
dragonnades antiparpaillots de Louis XIV avaient eu lieu sous Louis XIII, il
y a de fortes chances que les futures colonies rebelles se seraient insurgées
contre Louis XVI, et qu’un petit lord à la tête vapée par la lecture de
Rousseau eût été le La Fayette anglais, et qu’au lieu de baronets allemands
ou polonais rameutés par le nobliau auvergnat il y aurait eu des cadets
d’Espagne et des hobereaux se revendiquant de l’héroïque dynastie d’Aviz
pour aller aider George Washington. Pourquoi cet aparté ibérique, qui me
court dans la tête en me préparant à ma rencontre avec Matt ?
Pour deux raisons : d’une part, l’anecdote sur la présence de Portugais au
cœur même d’une région où la race américaine, anglo, blanche, nordique,
laborieuse et idéaliste s’est enracinée met en valeur à quel point se dire
« américain » est relatif à l’origine qu’on se donne. Cette conscience des
origines diverses du peuplement américain, devenu un peuple, est un
élément clef de l’idéologie blanche : on affirme les différences, on les
célèbre, on les cultive, mais à la seule condition que les racines soient
européennes. Et comment, d’autre part, un déni paradoxal des préjugés qui
ont cours en France, dont celui par quoi on affirmerait, sans y réfléchir, que
l’alt right typique doit être un jeune Américain blond nordique, élevé aux
corn flakes et au base-ball, à la mâchoire carrée, un peu gauche aussi quand
il s’endimanche, vous prend au dépourvu et casse les clichés de manière
inattendue. C’est le cas de Matt.
Ce rendez-vous n’a pas été facile à obtenir. Après bien des essais
infructueux auprès d’Identity Evropa et du National Policy Institute, le
cœur de l’alt right au moment de l’affaire de Charlottesville, et un recours
par croisement d’informations, véritable saut d’obstacles et passage sous les
fourches caudines (rejet de courriel, réponse vague, silence prolongé,
diversion, attente, renvoi d’Untel à Untel), mon obstination avait eu raison
des empêchements, et c’est Matt qui, tout en un, incarne, là, devant moi,
l’alt right jeune et militante. Cadre discret du mouvement, car on ne trouve
son image que sur de rares photos et vidéos que j’ai épinglées. Je lui parle
d’une vidéo, prise sur un campus, où il est identifié, et il éclate de rire :
« J’étais jeune. »
Il a vingt et un ans.
First contact

Matt a fait un long trajet, fatigant, en voiture depuis la Pennsylvanie pour


répondre à mon invitation à dîner, et à converser. Après que je lui avais
suggéré plusieurs lieux de rencontre, y compris à Philadelphie, il a accepté
une invitation dans un club privé de Washington, à deux pas de la Maison
Blanche. Les grands clubs américains sont nombreux et influents : les
professions libérales, les universités de prestige, les grands corps civils et
militaires, les associations ethniques, les associations religieuses ou
intellectuelles disposent de lieux souvent imposants, parfois discrets, toujours
au centre nerveux de réseaux qui maillent le pays et les élites – avec cette
caractéristique américaine d’égalitarisme du mérite et de la réussite. Aucun
snobisme. Je lui ai donc donné rendez-vous dans un de ces clubs, pour voir
comment ce rebelle de l’alt right réagit au décor du lieu, et à ce qu’il
symbolise de cette société américaine qu’il veut radicalement bouleverser.
Je l’attends dans le hall, un peu en retrait derrière une colonne pour
observer comment il aborde la volée de marches intérieures, une fois passée
la porte tenue par le groom en livrée. Pas intimidé pour un sou. Je fais trois
pas en sa direction :
— Matt ?
— Yes !
— Philippe, good to meet you.
— Same here, sir.
Il porte cravate. Je ne le lui avais pas dit. Il savait. Je l’en remercie et il me
répond :
— J’ai vérifié le dress code sur le site.
Un autre sans faute. Mince et de taille moyenne, cheveux châtains, un
visage long, des yeux gris-vert, il n’a rien de l’American Boy typique ou
multiculturel qui peuple les films et les sitcoms américains. Il pourrait se
fondre plus aisément dans une foule parisienne.
Comme approchait l’heure, 18 heures, où la salle à manger d’apparat
allait commencer à se remplir de power couples, d’élégantes et de
mondains, je l’invite à faire rapidement la visite des lieux. Nous empruntons
le grand escalier.
Qui est Matt ?
Pour le cadrer, grâce au choix qu’il fit d’accepter cette invitation, ici, je
veux lui faire passer en revue l’histoire glorieuse, et fondamentalement
blanche, de son pays. Rien de mieux que des images. La grande salle à
manger est d’ailleurs dominée par un portrait en pied, impérial, de George
Washington.
« Sommes-nous Rome ? »
Nous arrivons à l’étage, sur les murs sont accrochés des tableaux illustrant
la grandeur militaire et politique des États-Unis, et l’enthousiasme de liberté
qui présida à la rébellion des colonies américaines (1775), puis à la
Déclaration d’indépendance (1776). Cette déclaration précéda les Articles
de Confédération et d’union perpétuelle (1777-1781), qui eux-mêmes
conduisirent à la Constitution des États-Unis (1789) : ce sont là les textes
fétiches de la culture politique américaine. Rare est le débat politique sans
que le fétiche soit brandi, ou qu’on se réfugie à l’abri de ce totem. Ces textes
sont les Saintes Écritures. Mais, comme pour toute écriture, c’est leur
interprétation qui compte, en politique.
La Déclaration est avant tout un des appels à la liberté les plus éloquents
de l’ère moderne, et certainement une des plus fermes déclarations
politiques jamais écrites depuis le XVIIIe siècle. Mais elle prend une
coloration particulière quand on la relit à la lumière de l’alt right : « Quand
dans le cours des affaires humaines il devient nécessaire pour un peuple de
défaire les liens politiques qui l’attachent à un autre […], le respect de soi-
même et le respect dû à l’humanité lui imposent de déclarer les causes de
cette séparation73. »
Mots pris à la lettre par l’alt right, surtout « séparation ». Le temps est
venu pour la nation blanche de défaire des liens au nom de son humanité.
La décence et le respect imposent cette séparation. Cette lecture littérale, ou
intégriste, de la Déclaration justifie un sécessionnisme blanc, une nouvelle
libération. Je veux donc planter Matt dans le décor même de l’empire de la
Liberté, comme les historiens américains souvent nomment leur pays. Je
veux lui en montrer les images. Et observer sa réaction.
Sur les murs du club, de corridor en corridor, de salon en salon,
l’objurgation de liberté du 4 juillet 1776, prononcée à Philadelphie, d’où
vient Matt ce soir-là, s’incarne dans des tableaux de bataille
révolutionnaires, des scènes d’héroïsme, des images aussi de compassion
pour les ravages de la guerre de libération et les misères infligées par elle. Il
semble intéressé mais sans plus.
Je perçois déjà un trait qui s’affirmera plus tard : le passé n’est pas ce qui
importe. L’alt right regarde l’avenir, et compte les leçons de l’action
présente. Je me dis que là, pour lui, qui sait, nous faisons un tour du
cimetière des occasions perdues. Et j’ai bien conscience que le passé qui
intéresse l’alt right, c’est la Grèce et la Rome antiques, parfois le Nord des
mythes vikings.
Mais « Sommes-nous Rome ? » est une litanie politique américaine, un
lieu commun, et le sujet d’une magnifique exposition itinérante (Are We
Rome ?) que j’avais visitée à Philadelphie voilà quelques années.
L’alt right probablement répondra : on a failli être Rome, mais comme
Rome on a donné la citoyenneté aux Barbares, et pis encore : bien trop tôt.
D’où, dans sa propagande statuaire par affichettes, ou bien en photo de
groupe devant la reconstruction grandeur nature du Parthénon à Nashville
(la patrie du rock !), une préférence nette pour la Grèce olympienne des
héros et demi-dieux. Rome, c’est l’empire métèque. La Grèce, c’est la filière
identitaire de Zeus à Alexandre. USA New Rome ne semble pas avoir
de prise émotionnelle sur l’alt right. De deux passés idéels, la Grèce prime.
Du passé faisons table rase

Il y a un autre passé, plus immédiat, et en allant vers l’ascenseur pour


monter à la bibliothèque, je montre à Matt des memorabilia de la dernière
guerre mondiale, de la lutte contre l’hitlérisme. Peu de réactions. Plus tard,
au cours de notre conversation, il deviendra clair que Matt n’a guère
d’intérêt pour cet autre passé alternatif commun à bien des néodroites : le
nazisme et le ressassement de la cinglante défaite infligée, une deuxième fois
en trente ans, à l’Allemagne et cette fois-là à une idéologie phare de
dimension internationale.
Contrairement à l’« old right », une expression de Greg Johnson, influent
théoricien du nationalisme blanc, pour qualifier l’extrême droite raciste à
swastikas (voir chapitre 12) – qui cultive les souvenirs, tous genres mélangés,
de la guerre d’Agression du Nord (la guerre de Sécession, pour les historiens
du camp des vainqueurs), de l’hitlérisme (connu de seconde main et vécu
comme un game Internet), du Ku Klux Klan, de la Rhodésie, de l’apartheid
sud- africain, à grand renfort de drapeaux à croix gammée, de badges à tête
de mort, de T-shirts blasonnés (tout un attirail qui ne coûte rien aux États-
Unis où, de surcroît, souvent l’emballage compte plus que le contenu), de
tatouages et de piercings, de motards ventripotents qui se disent des modèles
de héros aryen athlétique, et que Himmler probablement aurait expédiés
dans un camp pour « asociaux », bref toute la marchandisation hystérique,
et pauvre, d’un racisme de bazar qui cultive une histoire sans queue ni
tête74 –, l’alt right, elle, prend soigneusement ses distances avec un tel
passé, réel ou fabriqué.
Le seul moment où il paraît touché est lorsque, dans la bibliothèque sobre
et silencieuse à cette heure, je lui montre le bureau où travaillait un juge de
la Cour suprême, Anthony Kennedy, qui y prépara les audiences de sa
confirmation par le Sénat (1987). Ce juge fameux prit parti à la fois pour le
mariage pour tous (la formulation qu’il en donna est souvent utilisée lors des
échanges de vœux) et pour le droit inaliénable de posséder et de porter des
armes. Juger en faveur des unions homosexuelles et en faveur du port des
armes procède d’une même affirmation de liberté.
Je l’invite à s’y attabler. Matt reste méditatif. Ailleurs, des shakos de
voltigeurs aux plumes noires, posés sur des plinthes entre des livres
militaires, attirent son regard. Je voulais lui montrer une relique stupéfiante,
le point culminant de cette visite dans l’imaginaire américain de liberté,
mais elle a disparu.
Nous sommes à table, contre une haute baie vitrée ceinte de tentures et
dont le double vitrage éteint tous les bruits de la ville. Nous sommes
préservés du monde, au-delà des immeubles illuminés et des arbres du
square que la multitude des federal workers, tout le petit fonctionnariat de
la capitale de la nation, traverse rapidement, vers les bouches de métro et
les banlieues lointaines.
Matt commande un gin and tonic, traditionnel, des huîtres et, à ma
surprise, sans une trace d’accent, un filet mignon, je prends un Campari
orange, un foie gras de l’Hudson et également un filet mignon de la
meilleure race bovine américaine. Il se détend, sourit, attend.
L’alt right contre l’old right

J’ouvre mon carnet, il opine, et nous parlons, conscients cependant


qu’autour de nous les autres commensaux, washingtoniens pur sang,
pourraient trouver notre échange hors du commun, hors de propos,
déplacé, out of place.
Il faudra donc choisir nos mots et moucheter nos phrases. Matt adopte
naturellement le ton qui convient. Savoir s’adapter était, à la Renaissance,
décrit comme l’art même de vivre à la Cour, milieu dangereux où tous
épient tous et tout ce qui se dit car c’est par ce qui se dit qu’on se trahit, un
art de la « civile conversation » qui n’avait rien à voir avec les bons usages et
les manières mais comment survivre aux circonstances adverses en disant ce
qu’il faut à qui il faut, quand il le faut, en attendant son heure, une
composante de ce que Machiavel nomme la virtù. C’est déjà là une
indication, prise sur le vif, de cette jeunesse de l’alt right : elle sait s’adapter
quand les circonstances changent, et garder l’œil sur le but à atteindre.
Transposée sur le plan de l’action politique, la vertu d’adaptation est
redoutable.
Et l’alt right, après Charlottesville, s’est adaptée. J’amorce la discussion :
— Vous êtes étudiant ?
— Non.
Il m’explique qu’il n’est plus étudiant sur un des bels et bons campus de la
région. C’est un choix ; en fait, il place l’éducation technique au-dessus de
l’éducation dite « libérale » (bref les lettres et les sciences, avec le droit) pour
une raison simple, à savoir que les universités sont devenues, à ses yeux, des
bastions du « marxisme culturel ». Par cette expression, l’alt right ne se
réfère pas, comme en Europe on le ferait, au marxisme porteur de réels
mouvements syndicaux et électoraux, du communisme actif en politique,
mais à la sorte de pensée convenue qui en effet tient le haut du pavé sur les
campus américains chics, où le marxisme, interprété par une profession qui
s’accommode fort bien des bénéfices du capitalisme dur, tout en se
plaignant de la gestion mercantile des universités, n’est pas et ne peut pas
être politique au sens d’immédiate efficacité – élections – mais culturel.
Alors que veut dire « marxisme culturel » ?
Révolte contre le marxisme culturel

Il s’agit en réalité de l’empilement de tout ce que nous nommons la


postmodernité française : au premier rang, les maîtres historiques Michel
Foucault, Gilles Deleuze, Jacques Lacan, Jacques Derrida, bref la French
Theory (une invention de quelques campus d’élite, à New York et en

É
Californie) ; derrière eux, les maîtres seniors, Julia Kristeva, Étienne
Balibar, Alain Badiou et Jacques Rancière. Et puis des auteurs plus
ésotériques tels que Jean-Luc Nancy et Jean-François Lyotard ou atypiques
mais très lus comme Guy Debord.
Les vrais néomarxistes anglais sont là, qu’on range parfois sous l’étiquette
de Critical Theory, mais en tristes figurants car ils n’auront jamais le cachet
des philosophes français. Les Allemands sont à l’appel avec l’École de
Francfort, Jürgen Habermas en tête, le théoricien de la « sphère publique »,
mais il est passé de mode comme notre Louis Althusser, tandis que son
successeur Axel Honneth a quelques suiveurs. On trouve aussi l’Argentin
Ernesto Laclau dont le fondamental ouvrage La Raison populiste est
devenu un classique du néomarxisme contemporain, mais suspect de
péronisme ou de chavisme, au choix (et pourtant, que de leçons à tirer de ce
livre magistral).
À cet édifice fait de bric et de broc s’ajoute ce que le psychologue
évolutionniste et professeur d’université californien Kevin MacDonald a
longuement analysé comme « la culture de la critique », à savoir comment,
selon lui, les intellectuels juifs, depuis le début du XXe siècle, détruisent la
culture européenne originelle en pratiquant une critique systématique de ses
valeurs afin de diviser les élites non juives et en « pathologisant » les loyautés
identitaires des groupes sociaux européens de souche, afin d’assurer au
judaïsme le contrôle hégémonique des appareils culturels de ces sociétés.
MacDonald (né en 1944) est une célébrité75 : il a suscité de nombreuses
controverses dans le milieu universitaire et intellectuel américain. Ce sont
les travaux de MacDonald qui ont unifié l’édifice en un argument
synthétique, d’où son prestige, et les débats qu’il suscite en dehors du cercle
des intellectuels identitaires.
Voilà le triple fond du « marxisme culturel », expression qui, il faut en
prendre conscience, fait le buzz parmi l’alt right internationale.
De plus, sur le terrain des campus universitaires, le marxisme culturel
désigne, dans la bouche de l’alt right, tous les produits dérivés de cette offre
hétéroclite de penseurs européens contemporains. Ces produits dérivés sont
les études de « genre », les études dites « subalternes » (à propos des peuples
soumis culturellement aux normes du « Nord » opulent), les études dites
« décoloniales » ; souvent regroupées sous l’étiquette de « studies76 ». Bref,
tout l’appareil intellectuel qui favoriserait la désintégration morale de
l’identité blanche, et que rejette donc l’alt right qui parle couramment de
« lavage de cerveaux » à ce propos.
Matt est court sur les contre-penseurs de la mouvance – il suppose que je
les connais bien et préfère, en militant de terrain, aller droit au but. Et puis
ces contre-intellectuels, qui sont à l’arrière-plan, je les rencontrerai plus
tard. Je reste sur la cible.
— Pourquoi un apprentissage technique ?
— Apprendre un métier technique pour mieux servir mon peuple.
Mais est-ce la seule raison de sa défense de l’apprentissage technique ?
En l’écoutant, j’entends en fait parler l’Amérique du XIXe siècle : lors de
l’expansion vers l’ouest, accompagnée d’une vague d’immigration
essentiellement venue d’Irlande et des principautés allemandes, mais aussi
de Scandinavie, se fondèrent de nouvelles universités, en fait des « collèges »
de premier cycle portés sur la formation aux professions agricoles et
techniques (dites « mécaniques »), d’où l’étiquette, de nos jours prestigieuse,
A&M (Agricultural & Mechanical). Le capitalisme et l’industrialisation de
l’« Empire » a reposé sur ce réseau d’universités centrées non pas sur les
lettres ou la science, mais sur les professions utiles.
Leur propos n’était pas uniquement mercantile mais éminemment
civique : une fois qu’un territoire à l’ouest était viable économiquement,
avec du rail, des villes, des professions qui pouvaient créer de la richesse, on
offrait des terrains domaniaux aux collèges à fonder et le territoire devenait
un État de plein exercice. La politique commençait aussi à fonctionner.
C’est aussi pourquoi la « rhétorique », c’est-à-dire la capacité de faire de la
politique, est entrée immédiatement au curriculum de ces collèges : pour
exercer un métier profitable et pratique, il faut savoir persuader que le
produit est bon. De là à la politique, il n’y a qu’un pas. Trump est un bon
exemple de ce rapport étroit entre l’exercice des professions en prise directe
sur l’économie (le BTP dans son cas) et l’usage pratique efficace de la parole
publique. L’alt right et Trump ont en commun, de ce point de vue, une
agilité reconnue, et qui sidère leurs adversaires, à user de tous les moyens
techniques offerts par Internet et le Web – rien d’étonnant : ils sont les
héritiers directs de cette éducation A&M des pionniers, à contre-courant du
« marxisme culturel ».
Il n’existe ainsi aucune contradiction entre faire l’apologie des formations
techniques et être éloquent en public. Un des traits des militants de l’alt
right, si bien reconnu par leurs ennemis comme le mouvement antifa, c’est
leur adresse oratoire. Ils savent parler en public, construire des
argumentaires, appréhender les réactions d’un auditoire, bref, ils savent
s’exprimer. Le front antifa a d’ailleurs fait cette recommandation :
« N’essayez pas d’argumenter avec un type de alt right, mettez-lui le poing
sur la gueule. » Aveu d’impuissance rhétorique.
Je le regarde, je fais signe au serveur, d’origine latino, que nous en
resterons au G and T et au Campari pour tout le repas, alors qu’huîtres et
foie gras arrivent ; ailleurs, par exemple au bar du National Press Club,
nous aurions dîné au Jack Daniel’s. Mais là-bas trop d’oreilles traînent.
Êtes-vous un suprémaciste ?

De but en blanc je demande à Matt :


— Êtes-vous un suprémaciste ?
— Non.
Clair et net.
— Ah, vous m’expliquez ?
— Le suprémacisme consiste à vouloir prendre le contrôle de groupes qui
sont incapables de se gouverner eux-mêmes. Il est temps de revenir au core
business, au cœur du métier, à l’activité de base, l’identité européenne des
États-Unis. Et de laisser les autres s’occuper d’eux-mêmes.
Il renchérit :
— Ma tribu vient en premier.
Et il poursuit :
— Les Blancs qui sont pauvres ont honte d’être assistés.
Ce que j’interprète comme : les Noirs, qui sont incapables de pourvoir à
eux-mêmes, n’en ont aucune honte.
Tribu ? Race ? « La tribu est une relatable identity », une identité qui
établit une relation de nature avec d’autres. Et pour que cette identité
relationnelle puisse exister, j’en conclus qu’il faut que, d’une part, la
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— Miehelle on kunnia suuremman arvoinen kuin lapset, sukulaiset
ja ystävät. Kun kunnia on kysymyksessä, ponnistaa mies kaikki
sielunsa voimat, unohtaen kaikki hellemmät suhteet saadakseen
kunniansa takaisin. Mutta te näytte unohtavan, herra, kenelle
puhutte ja rohkenette ruveta minua tutkimaan. Neuvon teitä
tyytymään siihen, että saatte tutkia poikiani, muutoin minullakin
puolestani olisi syytä ruveta teiltä yhtä ja toista kyselemään. Kuinka
itse olette näin tyyni ja kylmäverinen, että kykenette tekemään
minulle kierteleviä kysymyksiä, vaikka hän makaa tuossa?

— Minä kyllä tiedän, kenen kanssa puhun ja te saatte kohta sen


tietää. Teidän kysymykseenne saan vastata, että hän, joka nyt
makaa tuossa, on ollut minulle kaikkea muuta maailmassa kalliimpi.
Nyt olen hänet kadottanut ja onnettomuuteni on niin suuri, niin
ääretön, etten vielä oikein voi sitä käsittääkään ja senvuoksi voin olla
näin tyyni ja kylmä… ainakin aluksi. Voidakseni kostaa, koetan pysyä
näin tyynenä… ymmärrättekö sen? Vielä minulla on tehtävänä
muutamia kysymyksiä, joihin teidän pitää vastata. Miksikä Irene
ehdollaan olisi…

Sanat takertuivat Haraldille kurkkuun, ne kun olisivat loukanneet


hänen tunteitansa ja häväisseet tuota rakasta olentoa, jonka
ylevyyteen hän niin lujasti luotti, että vaikka kaikki todistukset olisivat
olleet häntä vastaan, vaikka kuolleet olisivat nousseet haudoistansa
sitä vakuuttamaan, niin hän ei kuitenkaan olisi uskonut Irenen
tappaneen itseänsä.

— Miksikä hän olisi lopettanut henkensä, te kai tarkoitatte, sanoi


vapaaherra, auttaaksensa Haraldia alkuun.

— Sitä tarkoitin… niin mitäpä syytä hänellä olisi siihen ollut?


— Tekö sitä kysytte, jolla on niin suuri syy siihen? Hän teki sen
toivottomuudesta, hänen omatuntonsa kun oli ruvennut häntä
vaivaamaan.

— Huomaan, että tyttö poloinen on tunnustanut kaikki julmalle ja


armottomalle isälleen, joka ei ansaitsisi, että hänellä on sellainen
tytär. Mutta älkää yrittäkö minulle luulotella, että hän, sitten kun
rakkautemme on tullut niin lujaksi, ettei mikään maailmassa voi
meitä erottaa, olisi elämän ja onnen sijasta valinnut kuoleman. Juuri
tänä aamuna, jolloin hän odotti sydämensä ystävää ja tiesi saavansa
hänestä, ei salaista, vaan julkisen suojelijan teidän pahoja juonianne
vastaan, nytkö vasta hän olisi näin avuttomasti joutunut epätoivoon!
Niin hullu en ole, että ottaisin sellaista uskoakseni. Vaikka olisin
viipynyt poissa kauankin yli määrä-ajan, niin tiedän ettei Irene
sittenkään olisi menettänyt jaloa luottamustansa, vaan olisi elänyt
toivossa onnellisena, taivuttamatta uljasta päätään kurjan ja ilkeän
ikeenne alle… Tiedän kyllä, kuinka asiat ovat. Kamarijunkkari on
tänään häntä kosinut ja Irene on kohdellut häntä ylenkatseellisesti ja
kylmästi. Sitten kamarijunkkari varmaankin on uhannut kostaa,
ilmoittamalla hänen isästään asioita, joita Irene isänsä tähden ei ole
tahtonut minulle suoraan mainita. Kuitenkin Irene on pysynyt lujana
sekä isänsä että kamarijunkkarin tahtoa vastaan. Silloin hänen
isänsä ajatteli näin: jos nyt laitan tytön pois tieltä ja teen sen
ikäänkuin hän itse olisi lopettanut päivänsä, niin minulla ei enää liene
syytä pelätä kamarijunkkaria. Ja mainio tilaisuus teillä olikin siihen
täällä ullakolla, varsinkin kun satuitte lukitsemaan ovenkin, Te se
olitte, joka panitte paulan hänen kaulaansa ja tapoitte hänet. Valkeus
ja pimeys eivät sovi yhteen… hän oli enkeli ja te olette itse
pahahenki.
Näin puhuessaan Harald kerta toisensa perästä oli istahtanut
patjalle Irenen viereen. Hänessä kyti vielä heikko toivo, että hän
mahdollisesti virkoisi henkiin ja hän koetti joka tavalla saada hänet
tointumaan. Ahtaan hameenmiehustan ja kureliivin hän oli päästänyt
auki ja siepannut seinältä päällysvaatteita, peittääksensä niillä
vaaleaa morsiantansa, varjellaksensa häntä pakkaselta, jonka
kuitenkin toivoi häntä virkistävänkin. Tuon tuostakin hän otti vadista
vettä, kastaaksensa sillä hänen otsaansa ja ohimoitaan.

Hän oli väkisinkin koettanut pysyä tyynenä tämän rakkaan,


vaalean tytön takia. Ken olisi hänet siinä nähnyt, ei olisi voinut olla
ihmettelemättä hänen mielenmalttiansa sekä sitä eriskummallista
asemaa, johon kohtalo oli hänet heittänyt. Lähellä häntä oli kaksi
olentoa, joista toinen oli hänen pahin vihollisensa ja toinen hänen
sydämensä ainoa rakas ystävä. Edelliselle hän puhui inhon ja
ylenkatseen sanoja, toiselle ei virkkanut sanaakaan, hän kun ei
kuitenkaan olisi voinut hänelle vastata. Kuitenkin oli viimeksimainitun
hoito hänelle pää-asiana ja toisen kanssa puhuminen vain
välttämätön sivuseikka.

— Onko sinulla todistuksia, jymisi vapaaherra, vaadin sinulta


todistuksia, mokomakin rohkea ja hävytön konna, jonka armosta
olen antanut syödä leipääni, suoden sinulle tilaisuuden houkutella
tyttäreni pauloihisi!

— Mitäpä ne paulat olivat tämän kuoleman paulan rinnalla! Sanot


minun syöneen sinun leipääsi, mutta minä vastaan, ettet sinä
koskaan vastedes tule syömään minun leipääni. Sinut ajetaan ulos
ryöstetystä linnastasi ja pois ihmisten silmistä. Mutta siitä ei nyt ole
kysymys. Vaadit todistuksia; siis ei niitä ole mielestäsi tarpeeksi… ja
ehkäpä niistä huolimatta voisitkin kiertelemällä päästä maallisen
oikeuden kourista… mutta minusta ne kumminkin ovat sitovia. Ja
onpa tässä olemassa hyvinkin pätevä todistus. Vai oletko koskaan
kuullut, että kukaan, joka ehdollaan tahtoi kuolla, ensin olisi repinyt ja
pahoin pidellyt omaa ruumistansa? Katsopa, kuinka Ireneni suhteen
on julmasti menetelty, katso näitä paisumia ja sinelmiä, näitä kynsien
jälkiä kaulassa ja niskassa, katso kuinka nämä kauniit hiukset ovat
sekaisin ja takkuiset. Olet häntä piessyt ja joka tavalla rääkännyt,
laahannut häntä hiuksista pitkin lattiaa… Ja vielä puhut, ettei muka
olisi todistuksia…

Näin puhuen Harald jälleen tunnusteli Irenen otsaa ja valtasuonia


ja luuli huomaavansa, ettei enään ollut mitään toivoa. Nyt hän
vihdoin hurjistui ja huusi jymisevällä äänellä:

— Vai eikö minulla ole todistuksia, sinä kavala tiikeri ihmisen


haahmossa, sinä luonnoton ilkiö isäksi?

Näin sanoen hän hyökkäsi vapaaherran kimppuun. Niin


kärsivällinen elehvanttikin, kun sen kärsivällisyys vihdoin viimein
loppuu, hyökkää julman tiikerin päälle ja saa siitä pian voiton. Harald
paiskasi vapaaherran voimainsa takaa lattiaan ja lyödä läimähytti
häntä, niin että veri purskahti korvista, suusta ja sieraimista. Mutta
siihen hänen raivonsa myös päättyi. Vapaaherra, joka ei kuitenkaan
pyörtynyt, alkoi kovalla äänellä huutaa apua:

— Palvelijat, pian apuun, ennenkuin minut tapetaan. Rientäkää!

— Älkää pitäkö kiirettä! Vapaaherralla ei ole mitään hätää, huusi


Harald vielä kovempaa.

Askeleita ei kuulunut, eikä ketään tullut apuun. Harald piti vielä


vapaaherrasta kiinni lujilla kourillaan ja huusi kaikuvalla äänellä:
— Vai enkö minä sinua tunne? Puolisosi sinä myrkytit, kälysi…
mutta hänestä saamme vast'edes puhua… veljesipojan jätit jylhälle
kalliolle… veljesityttären annoit tappaa… vielä toisenkin kerran aijoit
murhata hänet, Stellan… ja nyt lopuksi, päälle päätteeksi olet
tappanut oman tyttäresi. Onkohan olemassa niin suurta rangaistusta
kuin olisit ansainnut? Eihän se liikaa olisi, vaikka tukasta laahaisin
sinut tuonne loukkoon ja hirttäisin niinkuin itse teit hänelle, joka
makaa tässä. Mutta minä en ole kelvollinen sinua rankaisemaan,
vaan jätän sen Jumalalle, eikä se olisikaan kylliksi kova rangaistus
sinulle… Ollakseni kuitenkin varma, ettet lähde karkuun taikka, julma
kun olet, rupea tätä minulle kallista ruumista vielä raatelemaan, niin
seuraa minua, jottei minun tarvitse sinua tukasta laahata.

Koneentapaisesti vapaaherra kulki hänen perässänsä toiseen


loukkoon. Kun Harald vuorostansa nyt alkoi laittaa paulaa, niin
vapaaherra taas yritti lähteä karkuun, mutta samassa kuului
ikäänkuin seinästä ääni, joka lausui tuon ainoan sanan: Henrik.
Ikäänkuin kiveksi muuttuneena jäi vapaaherra paikallensa
seisomaan, jotta Harald sai tehdä hänelle mitä itse tahtoi. Hän pujotti
vapaaherran paulan läpitse ja jätti hänet kainaloista riippumaan;
tämä asema oli siksi tukala, ettei hän voinut ponnistella vastaan, eikä
päästä omin voimin irti.

Harald poistui nyt ullakolta ja tapasi portailla paitsi rouva Orrbergiä


ja v. Assarin sisaruksia myös koko talonväen koossa. Kaikeksi
onneksi pojat olivat kaupungissa kestissä ja pikku Ulla nukkui vielä.
Siitä asti kun ovi särjettiin olivat he seisoneet siinä kuuntelemassa,
uskaltamatta rientää vapaaherran avuksi, taikka lieneekö heiltä ollut
tahtoa puuttunut. Kaikki he olivat pelästyksestä puhumattomina ja
Amalia itki.
Harald meni huoneeseensa ja jotta ei hänen äitinsä liiaksi
pelästyisi hän, tarttuen häntä käteen, selitti muutamilla sanoilla mitä
oli tapahtunut ja mitä vielä oli tehtävä. Haraldin annettua hänelle
liinan, johon hän saisi kätkeä kasvonsa, he molemmat astuivat ulos.
Portailla seisoville sanoi Harald:

— Jo on aika, että tulette todistajina katsomaan sellaista, jota ette


ole tienneet aavistaakaan. Älkää viipykö, tulkaa heti!

Jos Haraldin odottamaton ilmestyminen jo oli herättänyt heissä


kummastusta, niin he nyt aivan ällistyivät, nähdessään tämän
salaperäisen naisen. Ja heidän tultuaan ullakolle, niin kuka voisi
kuvailla heidän pelkoaan ja kauhistustansa, kun he tapasivat
vapaaherran siellä elävänä roikkumassa ja vähän etäämpänä
hänestä näkivät hänen tyttärensä makaavan kuolleena lattialla.

Annettuaan heidän muutaman silmänräpäyksen tuota katsella,


päästi Harald hänen ilkeästä ja häpeällisestä asemastansa. Nyt oli
vapaaherra käskemäisillään miespalvelijansa ja kamarijunkkarin
vangita Haraldin, jonka aikoi ilmoittaa Irenen murhaajaksi, mutta
nähdessään tuon salaperäisen naisen, hänen rohkeutensa
kokonaan lannistui, niin ettei hän saanut sanaakaan suustansa. Sen
sijaan Harald ryhtyi puhumaan:

— Halusta sinä, vapaaherra Arvid Henning, käskisit kaikkia tässä


läsnäolevia tekemään minulle väkivaltaa, mutta kielesi ei ota
kääntyäksensä ja se onkin parasta, koska he tuskin uskaltaisivat
taikka tahtoisivat sinua nyt totella. Siis, kuulkaa minua. Kaikkein
teidän, sekä talonväen että vieraitten läsnäollessa, minä julistan, että
vapaaherra Arvid Henning on varas, rosvo ja moninkertainen
murhamies. Katsokaa tätä hänen tytärtään, hänen omaa lastansa,
kuinka hän makaa tuossa kalpeana ja puhumattomana, katselkaa
kauhean nuoran jälkiä hänen hienossa ja valkoisessa kaulassaan,
katselkaa hänen niskassaan kynsien jättämiä jälkiä. Kaiken tämän
on hänen isänsä tehnyt ja minkätähden? Kostonhimosta sekä
maallisen rangaistuksen pelosta. Siitä varmaankin kaksi meistä voisi
antaa tarpeellisia tietoja, koska luulen heidän pitävän kunniastaan ja
kuuntelevan omantunnon ääntä… mutta kentiesi sitä ei heiltä
vaaditakaan. Siinä kyllin, että monesta seikasta käy selville, ettei
tämä nuori neiti ole tappanut itseänsä, vaan että hänen isänsä on
hänet surmannut. Ja ellei näitä todistuksia pidettäisi täydellisinä, niin
muistakaa, että oikeudessa katsotaan puoliakin todisteita päteviksi,
jos on kysymys henkilöstä, joka aikaisemmin on huomattu syypääksi
suuriin rikoksiin. Tähän asti hän on voinut salata ilkitekonsa, niin ettei
laki ole pystynyt häntä tuomitsemaan; mutta kuulkaa nyt, mitä muita
rikoksia hän on tehnyt, paitsi sitä, jonka näette tässä silmäänne
edessä. Seuraavista kahdesta rikoksesta minä tulen tekemään
kanteen häntä vastaan ja toivonpa voivani todistaa hänet syypääksi.
Katsokaa tätä naista, tunnetteko hänet?…

Kreivitär veti liinan pois silmiltään, näyttäen kasvonsa. Kylmä hiki


nousi vapaaherran otsalle ja hän vaipui vanhalle sohvalle, jolle jäi
istumaan.

Eipä paljon puuttunut, ettei kaikkein saapuvilla olevien käynyt


samoin, heidän nähdessään nuo vieläkin kauniit kasvot, jotka
muistuttivat kuollutta.

Vapaaherran kamaripalvelija, joka oli noin viidenneljättä ikäinen


mies ja oli ennen palvellut vapaaherran vanhempaa veljeä, syöksyi
nyt esiin ja heittäytyi polvilleen entisen haltijattarensa eteen.

— Armollinen kreivitär, hän huudahti.


Kyynel kimmelsi kreivittären silmässä ja hän laski kätensä
palvelijan pään päälle, koettaen sitten saada hänet nousemaan. Itse
hän ei voinut puhua, mutta hän viittasi Henrikille, että tämä jatkaisi.
Kesti vähän aikaa ennenkuin tämä jälleen pystyi sitä tekemään ja
sitäpaitsi hän silmillään seurasi Amalian toimintaa, joka, vaikka se
olikin hänestä turhaa, kuitenkin herätti hänessä kiitollisuutta.

Haraldin puhuessa tämä nimittäin oli uskaltanut lähestyä rakkaan


neitinsä vuodetta, koettamaan hänen otsaansa ja käsiään. Hän ei
tehnyt sitä uteliaisuudesta, vaan pitääksensä huolta emännästään.
Hän riensi alas ja toi palatessaan jotain väkevää hajuvettä ja muuta
sellaista, jolla alkoi häntä hieroa ja joka tavalla virkistyttää. Harald
hymyili tuolle surullisesti ja jatkoi:

— Niin, tämä on kreivitär Helena Henning. Paitsi tätä uskollista


palvelijaa on monta muuta vielä elossa, jotka voivat sen todistaa.
Hänet haudattiin, koska hänet luultiin kuolleeksi, vaikka hän olikin
vain valekuollut. Hän heräsi maanalaisessa huoneessa, jonne ei kuu
eikä aurinko päässyt paistamaan. Siellä hän tuon tuostakin näki
kaksi miestä, joista toinen on vapaaherra tuossa ja toinen, jonka
myös aijon haastaa todistajaksi, omasta pyynnöstään on jäänyt
samaan hautakammioon, josta viime yönä onnellisesta
sattumuksesta pelastin kreivitär Henningin. Tyydyttääksensä
pirullista, luonnotonta kostonhimoaan, vapaaherra neljätoista vuotta
on pitänyt häntä siellä vangittuna. Kieli tarttuisi kiinni suulakeeni, jos
rupeaisin teille kertomaan kaikkea, mitä minä tiedän ja uskon. Tässä
näette hänet, tuon rakkaan ja armaan… hän elää, mutta
huomaatteko, kuinka vapaaherra vapisee…

Kreivi Henningillä oli vaimonsa kanssa kaksi lasta. Itse hän pitkät
ajat oleskeli poissa, koska oli joutunut orjuuteen; sillä välin pidettiin
hänen puolisonsa hulluinhuoneeseen teljettynä. Vapaaherra lähti
Saksaan matkustamaan ja otti mukaansa holhokkinsa, pikku
Henrikin. Siellä hän jätti lapsen asumattomalle saarelle, mutta se
tulikin pelastetuksi. Kelpo ihmiset ottivat sen kasvattaaksensa ja se
elää vieläkin. Tyttären, joka äidin luulotellun kuoleman jälkeen myös
joutui setänsä holhouksen alaiseksi, oli tämä myös päättänyt
surmata, mutta hänen kätyrinsä, jonka kävi lasta sääli, vaihetti sen
kuolleeseen lapseen, jonka vapaaherran poissa ollessa toimitti
hautaan. Huolimatta kaikista vaaroista ja kummallisista
elämänvaiheista, tämä kreivittären toinenkin lapsi vielä elää. Kaikki
te hyvin tunnette hänet… se on Stella. Katsokaa, kuinka äiti ja tytär
ovat toistensa näköisiä, niin ette enään epäile!… Mitä poikaan tulee,
jonka muistopatsaan olette nähneet puistossa, niin hänkin, niinkuin
jo sanoin, elää vielä. No niin, minä olen Henrik Henning… tämä on
äitini ja Stella on minun sisareni… Oikeudessa olen vaativa takaisin
kaikki oikeutemme ja syytökset tätä miestä kohtaan olen myös
käräjissä näyttävä toteen. Olkoon hän kuinka viekas tahansa,
kierrelköön niin, että totuus muuttuu valheeksi ja valhe totuudeksi,
Jumala on kuitenkin oleva puolellani ja antava minulle viisautta, jotta
saan hänet kaikkine juonineen paljastetuksi.

Vapaaherra ei enää voinut seurata Haraldin puhetta. Hän makasi


vanhalla sohva-rämällä sellaisessa tilassa, että muulloin, paitsi nyt,
olisi häntä surkuteltu. Kirkkaus oli sammunut silmistä, jotka hurjasti
tuijottivat ympärillensä, tukka nousi pystyyn ja suu oli vaahdossa.
Harald huomasi hänen tilansa ja sanoi palvelijoille:

— Kantakaa vapaaherra huoneeseensa, jonka hän toistaiseksi


saa pitää omanansa. Lähettäkää heti noutamaan lääkäriä, ellei tämä
pian mene ohitse, ja hoitakaa häntä hellästi. Hän on vanha mies ja
sitäpaitsi teidän isäntänne.
Panikohan jalomielisyys nämä sanat hänen suuhunsa, vai
pelkäsikö hän vihamiehensä menettävän järkensä, niin ettei
saisikaan hänelle kostaa. Vast'edes saamme tietää hänen syynsä.

Kaikki palkolliset paitsi Amalia poistuivat, mutta kamarijunkkari


sisarineen kuitenkin jäi. Edellinen ryhtyi puhumaan:

— Luuleeko maisteri… suokaa anteeksi, että teitä vielä siksi


kutsun… luuletteko minulla olevan mitään osaa tähän?

— En tahdo luulla pahaa muista, kun olen tullut huomaamaan, että


yksi ainoa on syypää niin paljoon pahaan.

Emilia v. Assarin tunteet olivat näiden kauheitten tapauksien


johdosta peräti muuttuneet. Hämmentyneenä hän lähestyi Haraldia
ja tarttuen häntä käteen, sanoi:

— Harald Thalberg tai Henrik Henning, uskokaa pahaa vielä


toisestakin… minusta. Minä se olin, joka yllytin veljeäni menemään
niin pitkälle kuin mahdollista, ja seuraus siitä on ollut näitä hirvittävin.

— Ei, sisareni, tällä kertaa en täydellisesti sinua totellut.


Vapaaherran tullessa tänne ullakolle, toivoin vielä tapaavani Irenen
alhaalla ja silloin olisin suostunut hänen niin kauniisti lausumaansa
pyyntöön… olisin luvannut luopua tyttärestä, rupeamatta silti
ahdistamaan isää. Siitä vapaaherra ei kuitenkaan tiennyt mitään,
sillä siinä tapauksessa hän ei olisi tehnyt minkä teki.

— Turhaan sinä koetat painua lohduttaa, Emil, sillä vaikkei


vapaaherra olisikaan tavannut Ireneä täällä, niin sinä kumminkin
alhaalla olisit tavannut minut ja minä olisin uudelleen yllyttänyt sinua
pahaan. Sillä minäpä kehoitin sinua pysymään vaatimuksissasi,
vaikka tiesin ketä Irene rakasti. Tuo syyllisyyteni, jonka nyt vasta
huomaan, tekee minut onnettomaksi. Turhamaisuus ja itsekkyys
viettelivät minua… kentiesi myös rakkaus, mutta minkä arvoinen
olikaan sellainen rakkaus, joka viihtyi yhdessä näin kehnojen
tunteitten kanssa. Voi, jospa Irene vielä eläisi, taikka jos hän jälleen
virkoisi henkiin, jotta hänellekin saisin tunnustaa ilkeyteni, jotta saisin
jollakin tavalla sovittaa, minkä olen rikkonut. Näetkö, Harald, minä
rakastan sinua ja kuitenkin tahtoisin hänen tulevan vielä henkiin;
etköhän siitä huomaa että kadun? Mutta mitäpä on katumuksesta ja
kyynelistä, koska tehty kuitenkin on tehty eikä Irene enää herää.

Emiliassa olivat hänen paremmat ominaisuutensa päässeet


voitolle ja hän itki katkerasti.

Silloin kreivitär Henning tuli puristamaan hänen kättänsä. Äiti


tahtoi niin kernaasti lohduttaa sitä, joka rakasti hänen poikaansa.

— Hän toipuu, kuiskasi Amalia, hiljaa, hän toipuu.

— Vetäydy syrjään, Emil, kuiskasi Emilia veljelleen. Tämä


ymmärsi, mitä hän tarkoitti ja totteli.

Harald ja kreivitär menivät Irenen luo ja ensinmainittu oli


huomaavinaan hieman punaa hänen poskillaan. Vaikka pelkäsikin
erehtyneensä, hän kuitenkin sanoi:

— Kannetaan hänet varovasti lämpöiseen suojaan.

Neljän he kantoivat Irenen patjoineen Haraldin huoneeseen ja


laskivat sen hänen vuoteeseensa. Sitten asettivat he peilin hänen
suunsa eteen ja sen kalvoon ilmaantui hikeä. Harald koetteli hänen
valtasuontaan ja huomasi sen hiljaa tykyttävän. Jälleen hän alkoi
kastella hänen ohimoitaan vedellä ja Amalia koetti uudelleen käyttää
hajuvettä. Kaikkien iloksi loi kuolleeksi luultu silmänsä auki.

Heikolla äänellä, jonka suloinen sointu tunkeutui kuulijain


sydämiin,
Irene sanoi:

— Harald, sinäkö siinä oletkin, Harald ja tuossa on kiltti


Amaliani…… ja Emilia, oletko sinäkin täällä… mutta sinä… Stella…
oletko vanhentunut? Miksikä Stella yksin on käynyt vanhemmaksi?
Harald, ymmärrätkö, mistä se johtuu. Ensin tahdon kuitenkin sanoa,
että rakastan sinua.

— Irene, oi, Ireneni!

— Muutoin luulisin eläväni, jatkoi Irene, vaivoin kohottaen hiukan


päätään, mutta koska Stella noin on vanhentunut, niin lienenkin
kuollut. Nyt minä ymmärrän. Olen kuollut ja autuas; Jumala on
antanut minulle Haraldin huoneen taivaakseni… Mutta minkävuoksi
on Emiliakin täällä?

Emilia purskahti itkuun, mutta nyt se tapahtui ilosta. Hänelle teki


niin hyvää saada Ireneltä nuhteita. Hyvyys hänen sydämessään
alkoi jo kantaa kauniita hedelmiä.

— Sentähden Emilia on täällä, että hän on ystäväsi, ja parhaimpia


onkin, selitti Harald.

— Vai on. Hyväile minua sitten, Emilia, niinkuin teetkin ja itke


ilosta, että olemme taivaassa. Sitä vain en käsitä, miksi Stella yksin
on käynyt noin vanhaksi.

— Hän on Stellan äiti, sanoi Amalia.


— Oikeinko totta? Silloinpa ehkä vielä elänkin ja olen maan päällä.
Harald, minä rakastan sinua. Harald parka, älä ole noin
murheellinen!
Olenhan minä kuitenkin sinun omasi, joko elän tai kuolen… Mutta
olen
kipeä ja väsyksissä ja tahdon nukkua.

Hänen päänsä vaipui jälleen päänalukselle ja hän vaipui uneen.

Harald meni alas ja viittasi Emiliaa seuraamaan. Tämän iloksi hän


ystävällisesti puristi hänen kättänsä.

Alhaalla hän kysyi, miten vapaaherra jaksoi. Ei kukaan tiennyt sitä


sanoa, koska ei kukaan ollut käynyt häntä katsomassa. Pikku Ulla oli
häntä kysellyt, mutta hänelle oli vastattu, että isä tahtoo olla yksin.
Sitten hän oli kysynyt suurta siskoa ja saanut vastaukseksi, että hän
on kipeä, mutta ei ilmoitettu, missä hän on.

— Mene minun huoneeseeni, sanoi Harald, kun pikku Ulla tuli


häntä vastaan, siellä iso sisko makaa sairaana… mutta astu hyvin
hiljaa.

Pikku Ulla katsoi häntä suurilla, viisailla silmillään ja läksi.

— Tulkaa, Emilia. Menkäämme nyt tätä sairasta katsomaan.

He menivät. Huoneessaan vapaaherra makasi tiedottomana,


sellaisena kuin he olivat nähneet hänet ullakolla. Kamarijunkkari,
joka oli saanut tietää missä he olivat, tuli myös pian sinne. Häntä
kummastutti hänen nähdessään, kuinka heistä oli tullut hyvät
ystävykset.
Nyt on kirkkoonmenon aika, sanoi Harald, minun tekisi mieleni
mennä kirkkoon. Irenehän nukkuu ja kamarijunkkari kai pitää huolta
tästä sairaasta. Lähdettekö, Emilia, mukaan?

— Mutta, entä jos hän heräisi, arveli Emilia. Lähdepä, Emil,


Haraldin huoneeseen ja ota sieltä hänen pistoolinsa, jotta voit
puolustaa Ireneä.

Pian Emilia oli saanut ylleen päällysvaatteensa, hevonen oli


valjastettu ja he kaikki kolme menivät siihen huoneeseen, joka nyt oli
Irenen hallussa. Hän nukkui makeasti, näyttäen unissaan enkeliltä.

Kamarijunkkarin otettua pistoolin, Harald ja Emilia jättivät


nukkuvan hyvästi ja läksivät.

Tämä kirkkomatka tuli olemaan Emilian onnellisimpia muistoja.


Tosin hän tiesi, ettei Harald häntä rakastanut, mutta hän tiesi myös,
että tämä ymmärsi häntä. Kaikesta mikä vast'edes kohtaisi häntä
elämässä, hän saisi korvausta tästä muistosta.

Otettuaan osaa jumalanpalvelukseen, he kirkolta menivät


kappalaistalolle, jossa söivät päivällistä, lähteäksensä sitten pastorin
ja Stellan seurassa Ristilään.

Harald oli kertonut kaikki mitä siellä oli tapahtunut ja matkalla


Stella sanoi:

— Olet aina naurahtanut niin epäilevästi, kun olen sanonut, että


joskus maailmassa vielä löydän vanhempani, ainakin äitini. Näetkö
nyt, Erkki… sinä paras ja rakkain ystäväni… että olin kerran
oikeassa!
— Oikeassa olit, pikku kulta, sinä ainoa iloni ja tulevaisuuteni
toivo. Oi, kuinka rakastankaan sinua, lapsi raukka!

— Tiedätkö, Erkki, että olen vihoissani sinulle eräästä asiasta.


Muistatko, että kerran sanoit: "ajattelepa, jos tulisi joskus ilmi, että
oletkin prinsessa, kreivitär taikka korkeasukuinen neiti… ja minä olen
vain köyhä pappi ja tulen aina semmoisena pysymään"… Mutta
tiedätkö, jos minusta tulee rikas, niin silloin minä vasta tunnen itseni
oikein rikkaaksi, kun saan antaa kaikki mitä minulla on tuolle
köyhälle papille, omalle Erkilleni… ja sanoa: koska Stella köyhänä
sinulle kelpasi, niin ehkä et rikkaana häntä hylkää.

— Taikka ehkä sanoisit: ota kaikki rikkauteni ja Stella vielä kaupan


päällisiksi, naurahti pastori.

— Minähän laskin vain leikkiä, sanoi Stella, joka äkkiä oli


muuttunut totiseksi, kuinkapa minä voisin sinuun suuttua. Tiedän
kyllä, että sinä ymmärrät minua ja sinä tiedät, että minä ymmärrän
sinua.

Mutta kun hän huomasi, että hänen sanansa luultavasti kuuluivat


sukkelilta, niin hän purskahti nauruun, muuttuaksensa kohta jälleen
totiseksi.

— Mitä huokaat, Stella? Vaikka tässä tilaisuudessa lieneekin


sopivampi, että huokaat, kuin että naurat.

— Kiitos, Erkki, että minua nuhtelet, mutta toria minä oikeastansa


tarvitsisinkin. Kovin olenkin kevytmielinen, kun saatan nauraa näin
tärkeällä hetkellä… minä, joka pian saan nähdä äitini… oman äitini…
ja vaikka olen kuullut semmoista, jota Harald meille kertoi. Mutta en
oikein tahdo saada päähäni, että se on totta, mitä hän kertoi. Vai
minulla olisi vielä äiti elossa… sehän olisi liian suuri onni minulle… ja
Haraldko olisikin minun veljeni… hän, johon varmaan olisin
rakastunut, ellei hän olisi vienyt minua sinun luoksesi. Sehän olisi
ollut kauheaa. Tiedätkö, kuinka minusta tuntuu? Tuntuupa ikäänkuin
olisin kulkenut sammalen peittämän äkkisyvän kuilun ylitse pitkin
kapeaa polkua. Jos jalkani olisi astunut vähänkin harhaan, niin olisin
syöksynyt syvyyteen.

He olivat nyt saapuneet Ristilän puistoon. Pastori osoitti


sormellaan harmaata linnaa ja sanoi:

— Tuo on ollut Stellan ensimäinen koti.

Stella kalpeni ja puristi hänen kättään. Eikä hän omin voiminsa


olisi päässyt ylös portaita ullakkohuoneeseen, ellei Erkki olisi häntä
tukenut. Ovelle hän seisahtui ja viittasi Erkkiä jäämään. Muutaman
kerran hän veti syvään henkeänsä ja Erkin tarttuessa lukkoon, hän
nyökkäsi myöntäen. Harald vei tyttären äitinsä syliin.

*****

Pikku Stella, joka ei muuten hevin pyörtynyt, kuitenkin


uudenvuoden päivänä 18 .. kello kahden ja kolmen välillä iltapäivällä
tointui äitinsä sylissä, oltuaan kolmasti tainnoksissa.

*****

Irene nukkui raskaasti ja sikeästi ja kovin hän olikin virkistävän


unen tarpeessa.

*****
Harald ei unohtanut v. Nitiä. Seppä oli käynyt avaamassa lukon ja
pian v. Nit jälleen oli ullakkokamarissa, jossa Harald kertoi hänelle,
mitä päivän kuluessa oli tapahtunut. Herra v. Nit ei tahtonut mennä
vapaaherraa katsomaan.

Seppä avasi myös lukon, jolla kreivittären vasen käsi vielä oli
kytkettynä rautavitjoihin. Nyt vasta hän tunsi itsensä oikein vapaaksi
ja miltei unohti menneisyyden.

— Nuo rautavitjat aijon ripustaa seinälleni, jotta ne alati


muistuttaisivat minulle, kuinka kärsimyksiä on kestettävä, sanoi
Stella.

— Ja kuinka on opittava panemaan arvoa onneensa, jatkoi


kreivitär. En nureksi kärsimyksiäni, sillä ilman niitä en nyt voisi olla
näin onnellinen. Jumala oli minulle armollinen, eikä antanut minun
kuolla ennenkuin oli suonut minulle tällaisen onnen. Vapaus ja
tavarat eivät kuitenkaan ole mitään sen ilon rinnalla, että nyt olen
saanut takaisin lapseni. Ja kuinka olettekin hyvät ja älykkäät ja
sitäpaitsi niin kauniit ja miellyttävät! Kuinka on mahdollista, että olen
tullut näin onnelliseksi… sanokaapa te, Harald ja Stella, taikka
Henrik ja Helena…

*****

Tämän päivän iltapuolella, jonka alku oli tuottanut hänelle niin


suurta tuskaa ja surua, tunsi Harald olevansa onnellisempi kuin
koskaan ennen. Kello viiden aikaan Irene avasi silmänsä ja näytti
olevan täysin tunnoissan, koska hänen puheensa ei ollut ensinkään
sekavaa.

Harald viittasi pastoria tulemaan kanssansa ulos.


— Luuletko, hyvä ystävä, sanoi hän, että hetkeksikään olisin
jättänyt Irenen, ellei minulla olisi ollut hyvin tärkeitä syitä. Tahdoin
edelläkäsin ilmoittaa sinulle ja Stellalle, mitä täällä saisitte nähdä, ja
oli minulla vielä toinenkin asia, joka on minulle varsin tärkeä.
Tahtoisin nimittäin, että kirkko vahvistaisi rakkauden synnyttämän
liittomme, koska en kestä nähdä kuinka tyttöparka makaa siinä niin
pahoinpideltynä, kärsien ehkä vielä kovia sieluntuskiakin. Poista
hänestä nuo tuskat, sillä vaikka hän nyt näyttääkin paremmalta, niin
voipa tapahtua, että hän jälleen rupeaa huononemaan, niin että ehkä
kuoleekin. Pyydän sinua sentähden vihkimään meidät ja soisin, että
se tapahtuisi nyt heti.

— Minulla ei ole mitään syytä kieltäytyä sitä tekemästä. Irenen


isähän on menettänyt kaikki edusmiehen oikeutensa, joten en
menettele vastoin lakia. Tule siis.

He palasivat sisään ja pastori selitti muutamalla sanalla, mitä nyt


oli tapahtuva. Sitten hän tavallisuuden mukaan toimitti vihkimisen ja
nyt Irene koko ijäkseen oli tullut Haraldin aviopuolisoksi.

Lienee tarpeetonta luetella todistajain nimiä, siinä kyllin, että niitä


oli viisi ja että kamarijunkkari myös oli niiden joukossa.

Itkevistä Emilia itki eniten. Hänen kyyneleensä olivat katkerimmat,


mutta samalla myös suloisimmat. Rakkauden unelma oli päättynyt,
mutta hänen sydämessänsä kohosi rakennus, joka ei ollut mikään
tuulentupa, vaan itse kieltäymyksen temppeli. Ja nuorta avioparia
onnitellessaan hän ei tuntenut mitään kateutta.

Juuri hän olikin kehoittanut Haraldia tähän pikaiseen vihkimykseen


ja Harald oli siitä niin kiitollinen kuin saattoi olla naiselle, jota ei
rakastanut.
*****

Olemme jo sanoneet, että Haraldin sydän oli herkkä ihmiskunnan


suruille ja vaivoille ja sen huomaamme seuraavastakin.

Hän läksi ulos huoneesta ja palasi hetken kuluttua noutamaan


pastoria kanssansa alas.

— Nyt seuraa se, joka sinulle Herran palvelijana on kentiesi


tärkeintä, sanoi hän. Nyt vasta sinulta kysytään sielunvoimaa, sillä
nyt ei ole kysymyksessä kahden ihmisen yhdistäminen, vaan
kuolemaisillaan olevan valmistaminen ijankaikkisuutta varten. Mitä
olen pelännyt, on valitettavasti nyt tapahtunut. Siitä saakka, kun
vapaaherra näki maan päällä hänet, jonka oli tottunut näkemään
vain maan alla, on hän ollut aivan puhumattomana. Luulin sitä ensin
pelkäksi teeskentelyksi ja että hän oli olevinaan mielipuoli, mutta siitä
huolimatta olisin kuitenkin vaatinut sinua käymään hänen puheillaan.
Niin surkeaa kuin se onkin, olen kuitenkin nyt huomannut, että häntä
on kohdannut halvaus, ja että hänen kasvonsa ovat kauheasti
muuttuneet. Mene nyt valmistamaan häntä kuolemaan.

Pastori kalpeni ja meni. Hän viipyi kauan sairaan luona ja Harald


alkoi jo toivoa parasta.

Vihdoin pastori palasi vielä kalpeampana kuin oli sinne


mennessään ollut.

— Kaikki on turhaa, sanoi hän, ensin hän ei minua ymmärtänyt,


maatessaan siinä tunnottomana. Mutta niin pian kun hän toipui sen
verran, että tunsi minut, viittasi hän minulle, että poistuisin. Ja kun
siitä huolimatta rupesin hänelle puhumaan, niin hän kiristeli
hampaitaan, puristi nyrkkiänsä, vieläpä nauroikin ilkkuen. En voinut
hänelle mitään ja palaan nyt toivottomampana kuin olin sinne
lähtiessäni.

— Lähtekäämme ylös etsimään lohtua rakkailtamme.

Portailla tuli Emilia heitä vastaan.

— Käypä, Emilia hyvä, vilkaisemassa tuon tuostakin vapaaherraa,


sillä luulen hänen olevan kuolemaisillaan, kehoitti Harald. Palkolliset
eivät näytä hänestä piittaavan ja ehkä kammoksuvatkin häntä. Mutta
missä on pikku Ulla?

— Hän tuli vast'ikään ylös ja kyseli ison sisaren sulhasta.

— Jospa hän ei vain rupeaisi puhumaan isästään, niin että Irene


saisi sen kuulla.

Heidän tultuaan ylös, Harald kuiskasi muutaman sanan pikku tytön


korvaan. Siihen Ulla ei vastannut mitään, sanoi vain veitikkamaisesti:

— Kyllä tiedän, että sinä olet ison siskon sulhanen. Irene ei


kuitenkaan kuullut näitä sanoja, sillä vihkimyksen jälkeen hän oli
mielenliikutuksesta saanut lievän kuumekohtauksen ja tunsi
olevansa niin uupunut, että pian vaipui uneen. Harald kävi istumaan
vuoteen viereen ja tyytyi siihen, että sai suudella hänen hiuksiansa.
Stella istui äitinsä ja Erkin välissä ja näytti äärettömän onnelliselta.

Huoneessa vallitsi syvä äänettömyys, jonka joskus katkaisi


hiljainen kuiskaus. Pikku Ulla ei uskaltanut hiiskuakaan.

Heidän istuttuaan noin yhden tai kaksi tuntia, astui Emilia sisään ja
viittasi Haraldia tulemaan ulos.

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