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Cédric Durand, Techno-féodalisme.

Critique de
l’économie numérique
Alain Mille

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Alain Mille. Cédric Durand, Techno-féodalisme. Critique de l’économie numérique. 2021, p. 658-670.
�10.4000/questionsdecommunication.27793�. �hal-03668653�

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CÉDRIC DURAND, Techno-Féodalisme, édition ZONES, 2021,
256 pages
Notes de lecture : Alain Mille
Dans son introduction, l’auteur introduit le terme « techno-féodalisme » en le situant dans un
ouvrage de 1980, « Cyberpunk », de Loyd Blankenship qui est alors arrêté comme possible
cybercriminel par la police des USA sur la base de ce qui est écrit dans son ouvrage. Un monde
« techno-féodal » y est proposé dans un jeu par Blankenship : aucun contrepoids n’y existe face aux
firmes géantes. Les parties prenantes (actionnaires, travailleurs, clients, créditeurs) sont toutes liées
à l’entreprise sans pouvoir s’en dégager car constituant le seul îlot de stabilité dans un monde
chaotique par ailleurs. Cette dystopie de 1980 serait-elle en train de devenir une réalité en 2021 ?
L’auteur liste les indices d’une telle évolution avec la baisse des capacités de contrôle des états sur
les méga-entreprises, voire même l’inversion des rôles dans le contrôle économique. La démocratie
perd de sa substance et s’épuise, impuissante dorénavant. Le monde devient chaotique avec les
vulnérabilités climatiques et sécuritaires.
Synthèse :L’auteur se propose donc d’explorer l’hypothèse qu’un changement de logique
systémique serait en train d’advenir avec la mise en résonance de la recherche de profit et d’une
fluidité digitale profitant aux nouvelles entreprises contrôlant les données produites par les
utilisateurs de plateformes.

Chapitre 1, Misère de l’idéologie californienne


Depuis l’émergence de la Silicon Valley dans les années 70 à aujourd’hui, les promesses du
numérique se sont multipliées dans un discours libéral souvent décomplexé : l’avenir numérique est
synonyme de libération des hommes et des femmes des différentes formes d’asservissement qu’ils
doivent souffrir. Plusieurs giga-entreprises se sont développées sur ce manifeste précisément en
Californie. La Start Up est l’alpha et l’oméga de ce principe libérateur autour de la révolution
numérique, au point que le Président Macron souhaite que la France soit une start-up nation, ce qui
heureusement n’est pas le cas puisque 90 % des start-up disparaissent au bout de quelques années.
Pourtant, si depuis les années 2000, le consensus de la Silicon Valley se concentre sur la notion
d’économie de la connaissance, le constat est pour le moins contrasté. Ces idées alimentent les
systèmes de régulation économique (FMI, OMC, OCDE) dans un climat de victoire définitive du
capitalisme sur les autres formes d’organisation de la société. Ça n’empêche pas de violentes
manifestations réprimées massivement. L’exemple de la Silicon Valley devient la grande épopée des
entrepreneurs magnifiant la créativité humaine pour un progrès technique salvateur. L’idéologie
californienne exploite l’émergence des techniques portées par Internet. Cette idéologie se construit
par l’hybridation de la contre-culture hippie et des principes étendus du libre marché : opposés par
nature, c’est le numérique qui établit le pont entre ces deux pôles. L’auteur cite Ecotopia, publié en
1975 par Ernest Callenbach, comme l’illustration de l’usage de la technologie pour échapper au
productivisme, au consumérisme, à l’autoritarisme et au conservatisme des USA. Les réseaux
communautaires sont imaginés dès les années 60 dans ces milieux contestataires. Google, 50 ans

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plus tard, reprend les termes de ces libertaires pour valoriser les capacités qu’il offre à ses
utilisateurs : le numérique va « déconcentrer le pouvoir loin des États et des institutions et le
transférer aux individus1 ». Les grandes entreprises ont invité les inspirateurs de ces idées, comme
Stewart Brand qui maintenant argumente sur des solutions technologiques (bio-ingénierie et
nucléaire) pour contrôler les effets du réchauffement climatique. Au début des années 90, c’est une
lecture conservatrice de ce mouvement libertaire qui se généralise. Les start-up rentrent en bourse
avec des côtes toujours plus hautes sans relation directe avec leur activité économique réelle. L’âge
de l’information succéderait à l’âge de l’agriculture et de l’industrie. Le cyber-espace ne connaît pas
de limites et l’information y devient la condition de la connaissance. Les institutions sont mises en
demeure de laisser faire ce mouvement en limitant leurs régulations inadaptées et paralysantes. Le
marché évolue sans cesse selon une dynamique de destruction créatrice (Schumpeter). Ayn Rand
recommande que le droit de propriété soit étendu aux idées qui profiteront ainsi aux gens via les
entrepreneurs qui les développeront. Il s’agit d’opposer les pionniers (hommes d’esprit) aux
suiveurs (les masses). Les droits de propriété doivent être cédés exclusivement aux pionniers bien
entendu. Ces pionniers, maintenant à la tête des méga-entreprises du numérique se sentent investis
de la responsabilité de créer cette nouvelle civilisation capitaliste. Les USA sont les leaders de cette
dynamique, que ce soit au parti républicain comme au parti démocrate : c’est le secteur privé qui
doit être à l’initiative, il faut leur donner toute liberté d’action, et en particulier l’accès à
l’information captée sur les réseaux de communication se massifiant. L’idéal serait de doter le
marché électronique global d’un cadre juridique cohérent international. La bulle internet, la crise de
2008 ne modifient pas l’agenda impératif d’innovation (créer sans cesse de nouveaux marchés),
mais à l’initiative exclusive des entrepreneurs privés 2. La généralisation de la protection des droits
de propriété aux idées brevetées accompagne ce mouvement.
Malgré l’enthousiasme qu’il suscite, ce nouveau capitalisme reste paradoxal et l’auteur pointe 5 de
ces paradoxes. En effet, d’après l’idéologie sous-jacente à ce nouveau capitalisme, on attend : 1)
redynamisation continue de l’économie, 2) autonomie et créativité au travail, 3) ouverture et
mobilité, 4) prospérité partagée, 5) dépérissement de l’état. Au lieu de ces bonnes propriétés, on
assiste à un retour des monopoles digérant les start-up au besoin, la profitabilité augmente avec la
concentration, la socialisation du travail reprend de plus belle (de moins en moins d’autonomie dans
les faits), la mise en place d’une culture du contrôle de la manière dont les salariés ou autres parties-
prenantes utilisent bien leurs ressources et en particulier leur temps, le contrôle s’étend au
comportement émotionnel dans les rapports avec les autres (exploitation des traces d’interaction),
une baisse du niveau moyen de latitude professionnelle, y compris chez les cadres (mais pas pour
les dirigeants constituant une caste aux pouvoirs étendus), une exigence de compétences larges et
complexes pour s’adapter aux nécessités de l’entreprise, la recherche de la discipline par l’adhésion
aux valeurs de l’entreprise, l’état doit devenir le gardien des droits de ces entreprises...
L’évolution de ce nouveau capitalisme se caractérise par le pari sur les intangibles (les données, les
algorithmes…) comme étant la principale source de libération de la connaissance pour le plus grand

1 Eric Schmidt et Jared Cohen, The New Digital Age. Reshaping the Future of People, Nations and Business, Murray,
Londres, 2014, p. 6.
2 Sauf sans doute en Chine dont les institutions ont massivement investi dans la recherche, la formation universitaire,
le développement scientifique.

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nombre car pouvant circuler quasiment à coût nul. Cette circulation devrait favoriser la diffusion de
la connaissance et donc susciter les initiatives par des entrepreneurs enthousiastes de pouvoir le
faire avec un coût d’accès réduit. En pratique, c’est dans la Silicon Valley qu’il y a eu une
concentration d’entreprises qui bénéficiaient de leur co-présence. Tout ce qui est tangible
(assemblage, traitement des déchets, commercialisation, production, ..) se fait ailleurs dans des
structures qui dépendent étroitement de la partie intangible. Dans ces conditions, il n’est pas
question de généraliser l’expérience Silicon Valley qui a besoin d’être singulière pour assurer son
monopole. Concernant la dynamisation de l’économie, le constat est paradoxal : il y a bien
foisonnement d’innovations et une modification forte des modes de production, consommation et
échanges, mais les indicateurs économiques, sociaux et écologiques ne cessent de baisser. Les effets
utiles les plus puissants du numérique échappent pour une large part l’économie. Il ne s’agirait plus
de destruction créatrice, mais de création destructrice. La situation en Europe est pire que dans les
autres pays dits développés : la déréglementation n’a apporté qu’un décrochage technique et
industriel vis à vis des autres pays (USA, Chine, …). Le cas de la R&D est emblématique des
conséquences de laisser faire les entreprises dans des conditions de concurrence particulièrement
contrôlées. C’est tout le contraire qui se passe aux USA, en Chine, en Russie et même en Corée du
Nord ! L’auteur pointe également le fait que la sphère publique accompagne la féodalisation des
relations via les grandes firmes privées en adoptant également cette approche dans ses relations
avec le peuple. Habermas annonçait ce mouvement lorsqu’il constatait l’irruption de l’état dans le
salon des citoyens.
Synthèse critique : Le chapitre s’intéresse à déconstruire le mythe des promesses de liberté liées
aux high techs. Ce chapitre apporte beaucoup d’informations sur différentes facettes des high-techs.
Il n’est pas facile de savoir où l’auteur veut aller en présentant ces différentes facettes et l’on est
traversé de sentiments contradictoires à sa lecture : le potentiel créatif et le danger destructif sont
entrelacés. Je m’attendais à voir figurer Stiegler dans les références.

Chapitre 2 : De la domination numérique.


Pour étudier cette question, l’auteur interroge les rapports entre capitalisme et contrôle à l’âge des
Big Data. C’est précisément cette facette qui justifie le concept de techno-féodalisme.
L’exploitation des données massives qui sont captées par les grandes plateformes autorise de
découvrir ce qui devrait être l’avenir des comportements tracés. Mieux (ou pire!), il devient
possible de prédire la dynamique d’un comportement en réaction à l’annonce d’une innovation.
Pour maintenir sa capacité à disposer des données pour avoir cette connaissance prédictive amène
les entreprises à développer leur leadership sur le marché. Amazon, au lieu de distribuer des
dividendes réinvestit tous ses bénéfices depuis 20 ans et se développe à une vitesse vertigineuse.
Dans l’économie standard, 98 % des profits sont distribués en dividendes. La métaphore de la
conquête de l’ouest est filée en remplaçant les terres par les activités que les plateformes
envahissent pour s’accaparer leurs ressources en données : une nouvelle forme d’extrativisme.
Google, en facilitant l’installation d’Android sur les smartphones, occupe de facto le terrain de très
nombreuses activités. L’activité marchande sur le web fait partie de ces territoires à conquérir avec,
cette fois, l’extraction des données et la mise en place de rentes d’usage. Les plateformes

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marchandes et les plateformes généralistes se complètent, les premières payant les secondes pour
leurs capacités à orienter les utilisateurs du web à consommer sur leurs sites de vente. Le triplet
d’information client-message-marchandise devient une donnée précieuse qui s’échange à prix d’or.
L’information client est particulièrement sensible et pose des questions éthiques et politiques
complexes.
L’auteur s’intéresse particulièrement à cet aspect dans la section Gouvernementalité algorithmique
et capitalisme de surveillance. En effet, même si les algorithmes de fouille massive de données
prétendent être agnostiques (ne pas dépendre de connaissances a priori), en pratique, ce n’est pas
vrai et les apprentissages sont orientés par des hypothèses implicites. Orienter les comportements
en fonction des résultats probables de recommandations ou de formes d’organisation de la société
est une tentation forte qui se traduit par une forme de gouvernementalité par les algorithmes. Les
firmes s’emparent de ces données pour réaliser ce que certain.e.s appellent développer un
capitalisme de la surveillance. Cette fois, il s’agit d’orienter le comportement des utilisateurs vers
des interactions rémunératrices de manière directe ou indirecte pour les plateformes. C’est la façon
de réaliser l’économie de la connaissance (des utilisateurs) des firmes. Ces algorithmes sont
redoutablement efficaces : les videos regardées sur NetFlix le sont à 80 % à partir d’une
recommandation algorithmique. La connaissance issue du traitement des données captées par les
plateformes leur permet d’intégrer de nouveaux marchés : par exemple, Google s’est lancé dans la
voiture autonome, sans jamais chercher à construire une voiture, mais en se chargeant de tout ce qui
concerne l’interaction de la voiture avec son environnement et ses utilisateurs. Au delà des
interactions directes gérées par les plateformes, des codes additionnels permettent de donner encore
plus de contexte aux données récoltées. Il ne s’agit plus seulement de prévoir le comportement, il
s’agit de le piloter. Les objets connectés complètent encore le potentiel des variables à observer. Les
expérimentateurs qui mènent les apprentissages à partir de ces données sont le plus souvent des
économistes cherchant à optimiser telle ou telle variable liée aux comportements observables en
induisant les comportements favorables à l’optimisation. Ces expérimentations sont protégées par le
secret des affaires. Les algorithmes de type par renforcement permettent d’identifier des motifs
comportementaux correspondant à des effets recherchés. L’auteur considère qu’au delà de la
dimension surveillance surtout dénoncée dans les ouvrages sur le sujet, c’est la dimension
économique qui est la plus importante à noter comme caractéristique de la mise en place d’un
dispositif de sujétion des utilisateurs aux maîtres des plateformes numériques. L’auteur continue sa
présentation de l’émergence de cette nouvelle économie en filant la métaphore de glèbe numérique
exprimant l’idée des serfs liés à la glèbe des territoires de leurs seigneurs. Le surplus fourni par les
utilisateurs est constitué par les données qui donnent accès à la puissance du social, tandis que la
plateforme assure l’accès aux services dont ont besoin les utilisateurs dans leurs activités. Cette
boucle de rétroaction serait à la base du système d’asservissement des utilisateurs aux plateformes.
Les plateformes sont alors comparées à des fiefs : quand on utilise le logiciel Word, le coût pour le
quitter est tel que l’on continue à payer le surplus exigé. À cet exemple historique, ont succédé les
sujétions encore plus fortes liées à l’usage des services Web comme Google Maps qui s’appuie sur
des données physiques mais surtout sur des données issues des utilisateurs eux-mêmes, ce qui
constitue le surplus en nature. Ce qui caractérise ces nouveaux rapports entre entreprise et

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utilisateurs, c’est l’énorme asymétrie de pouvoir. La firme peut expulser un utilisateur, mais c’est
très difficile pour un utilisateur de quitter son fournisseur de services ! Le cas de Uber est étudié
comme cas d’école de travailleurs sujets d’une firme qui se contente de fournir la possibilité
d’exercer son activité, c’est-à-dire l’accès à la glèbe numérique. À la gouvernementalité
algorithmique correspond le management algorithmique. L’autonomie des utilisateurs des
plateformes est en trompe l’œil, avec des slogans libertaires mais une réalité d’asservissement. La
subornation économique s’ajoute pour ces utilisateurs à la subornation de services évoquée plus
haut. Une section est consacrée à l’automatisation du contrôle social. Si les transactions sociales se
sont multipliées sur Internet qui en propose un support à un coût quasi nul, la garantie de la
confiance dans ces interactions est bien plus difficile à évaluer que dans des interactions
humanisées. En conséquence, les plateformes proposent de faciliter la tâche pour évaluer le degré
de confiance des transactions menées par leur intermédiaire : chaque partie prenante peut évaluer
l’autre sur la plateforme et cette évaluation est rendue visible pour les autres d’une manière ou
d’une autre. Des systèmes de notation en découlent, ce qui attache à une personne un score de
confiance pour une transaction particulière mais qui peut être aussi partagé pour fournir cette fois-ci
un score de confiance intrinsèque jugeant d’une manière plus générale le comportement de
quelqu’un. La sophistication des algorithmes chargés de l’évaluation de ces critères de confiance ne
cesse de s’élever en mobilisant maintenant les techniques d’intelligence artificielle pour analyser les
états émotionnels via les textes échangés. Ces systèmes d’évaluation peuvent s’appliquer a priori
pour choisir un partenaire par exemple. Les dimensions éthique et politique de ces systèmes sont
particulièrement sensibles, d’autant que si les modèles d’évaluation mis en œuvre par les
algorithmes étaient dévoilés, ils seraient alors plus facilement contournables. Il y a là un obstacle à
l’explicabilité des dispositifs numériques. Si les évaluations des entreprises et celles des états se
conjuguent, alors on obtient un système comme celui de La Chine dont certains auteurs considèrent
qu’il s’agit d’une illustration de la série Black Mirror (ce qui est peut-être excessif…). L’auteur
détaille son analyse du système chinois : partir des masses (pour acquérir de la connaissance) pour
retourner aux masses (avec les inférences liées aux connaissances acquises) était un slogan imposé
par Mao-Tse-Toung. Ce système chinois est-il un modèle pour les autres pays ?
Synthèse critique : Ce chapitre introduit déjà les termes de description du féodalisme pour
présenter les plateformes, les institutions : domination, fief, seigneurs, … sans que le lecteur n’ait
encore découvert ce que l’auteur souhaitait retenir du modèle économique féodal. On ne sait donc
pas très bien s’il s’agit de métaphores ou de fonctions bien définies. L’ambivalence des services de
plateforme est développée de différentes façons, mais on ne sait pas bien comment s’appuyer sur les
descriptions faites pour penser les processus à l’œuvre. La prise de recul n’est pas facilitée.

Chapitre 3 : Les rentiers de l’intangible


Un actif intangible est un moyen de production qui ne peut pas être touché. Codes informatiques,
bases de données sont des actifs intangibles. Ce sont aussi des actifs non rivaux : avoir eu la
réponse à une requête concernant un décalage horaire, n’empêche personne d’autre d’avoir aussi
cette réponse. L’intangible existait avant le numérique, par exemple une information transmise
oralement. L’auteur pointe que les intangibles numériques sont d’une nature très différente dans nos

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pratiques : la circulation de l’information est quasi immédiate et apparemment peu coûteuse. Le
coût d’un calcul élémentaire produisant de l’information est devenu quasi nul. Quel est l’impact de
ces propriétés d’ubiquité et de très faible coût sur la manière dont le système de production
s’organise ? Ces nouvelles propriétés pour l’information s’ajoutent à la quasi abolition, dans les
années 60, de la notion de proximité : la diminution des coûts de transports des tangibles a entraîné
la fin de la nécessité de produire près du lieu de consommation. La conjonction d’intangibles très
agiles et peu coûteux a facilité la délocalisation des processus de production en créant des processus
de mobilité des produits optimisés sur des critères exclusifs de coûts et de réactivité à la demande.
La répartition de la valeur dans les chaînes globales favorise maintenant les monopoles réussissant
le pilotage de la mobilité des tangibles par l’exploitation d’intangibles quasi illimités et quasi
gratuits. De fait, le numérique permet la concentration de la connaissance entre peu d’acteurs. Il
s’agit d’une connaissance sur la connaissance (meta-connaissance) embarquée dans les algorithmes
intangibles qui eux encapsulent la connaissance spécifique aux besoins de gestion des produits
tangibles que les dispositifs industriels et de transports doivent suivre. Ces dispositifs intègrent des
automatismes mais aussi des hommes et des femmes réduites à l’exécution des plans d’action
calculés par les algorithmes selon la logique (meta) du monopole qui organise l’information.
L’auteur détaille comment l’atomisation du travail permet à de tels processus de fonctionner.
L’encapsulation des connaissances dans les algorithmes et modèles gérés par les monopoles qui se
construisent constituent une enclosure de la connaissance au profit d’un petit nombre d’acteurs.
Ceci se traduit par une extension et un durcissement du droit de propriété intellectuel. La
privatisation de la connaissance a une portée d’autant plus grande que cette connaissance peut
s’appliquer dans de nombreux contextes et territoires. La propriété de ces connaissances crée une
dépendance forte d’un nombre considérable d’acteurs, dans le monde entier, pour les exploiter. Le
fait de devoir passer par ces monopoles crée une situation de rente d’une taille encore jamais
imaginée. L’auteur fait une remarque importante : l’intangible (à très faible coût) permet de gérer le
tangible à des échelles toujours plus grandes en se reposant sur un réseau d’acteurs spécialistes des
tangibles. Chaque acteur spécialiste des tangibles devient dépendant de l’opérateur mettant à
disposition des intangibles qui lui appartiennent. Lorsque le réseau s’étend, les coûts importants
(investissements) peuvent être significatifs pour l’acteur en charge du tangible, tandis qu’ils restent
marginaux pour l’opérateur. L’opérateur ne fait qu’accroître ses capacités de gains en augmentant le
réseau, l’économie d’échelle est considérable pour lui, car il amortit de plus en plus son
investissement initial sans devoir réinvestir, tandis qu’elle est marginale pour l’acteur du tangible.
Un autre type de rente est pointé par l’auteur : la rente d’innovation. L’opérateur maîtrisant
l’ensemble du système informationnel est en situation de collecter toutes les données issues des
activités qu’il coordonne et se constitue un capital de données exclusif sur tous les processus
associés. Toute opération de recherche et développement est alors facilitée pour l’opérateur et quasi
impossible par les acteurs de production. C’est ainsi que les données issues des objets connectés aux
produits des acteurs des tangibles sont possédées par l’opérateur. Si l’acteur a la main sur les
données de ses propres produits, l’opérateur a la main sur l’ensemble des données de tous les
acteurs. L’asymétrie du système d’information fait que l’opérateur peut apprendre les processus de
ses acteurs, tandis que c’est impossible de le faire pour les acteurs.

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Un point important est précisé par l’auteur : ce n’est pas l’information en soi qui est source de
valeur (l’information est rarement vendue), mais son contrôle et la connaissance qui en provient qui
constitue la valeur déterminante. Seul l’opérateur monopolise cette capacité.
Cette partie se termine par une présentation critique l’analyse faite par Anne-Marie Slaughter
(Fondation New America) qui s’étonnait des concentrations verticales : les entreprises de
télécommunications qui achètent les entreprises qui produisent des contenus par exemple. Il
s’agissait pour elle d’un comportement archaïque digne du 19ème siècle. Et pourtant, on assiste
aujourd’hui à une verticalisation croissante avec des entreprises comme FaceBook ou Google qui
investissent dans les câbles sous-marins et prennent le contrôle d’une myriade d’entreprises
générant du contenu. De nombreux prospectivistes avaient annoncé au contraire que les très petites
entreprises, grâce à l’accès aux plateformes de gestion d’information, pouvaient rapidement
concurrencer des grandes entreprises par l’agilité ainsi acquise. Force est de constater que les start-
up qui réussissent sont celles qui deviennent très grosses et elles sont peu nombreuses. Cette partie
conclusive introduit de facto la notion de féodalisme comme étant la notion la plus proche du
phénomène observé.
Synthèse critique : Ce chapitre est particulièrement intéressant par le fait qu’il met en relation
l’intangible du numérique avec le très tangible de la vie réelle. L’écriture est parfois redondante,
mais c’est peut-être utile pour rentrer dans le propos de l’auteur. On est soulagé de savoir que l’on
va enfin découvrir l’hypothèse techno-féodale dans le chapitre suivant.

Chapitre 4 L’hypothèse techno-féodale


L’auteur avertit le lecteur que l’hypothèse n’est pas facile à penser par la science économique, dont
les acteurs contemporains main stream considèrent que les rapports marchands actuels sont naturels
et valables pour l’éternité. Il rappelle toutefois que la référence au féodalisme est régulièrement
faite pour penser notre époque : Thierry Labica, Jürgen Habermas, Katerine Verdery, David
Graeber, Alain Supiot sont cités. Dans le cadre de son ouvrage, l’auteur va s’attacher à définir le
féodalisme dans sa composante socioéconomique : un petit nombre de personnes, puissantes
militairement, confisquent les toutes petites marges que la masse des non puissants arrivent à
produire. Ils consument ces richesses de manière luxueuse et largement inutile. Les dominants
exercent simultanément un pouvoir sur les hommes et sur les terres auxquelles sont attachés ces
hommes. Il existe pourtant une marge d’autonomie paysanne : les communs médiévaux qui sont des
ressources économiques et politiques. Friedrich Engels notera que cette capacité à gérer des
communs n’était accordée ni aux esclaves, ni au prolétaires.
L’auteur cherche à clarifier si le servage est un contrat ou une prédation. La littérature voit
s’affronter les deux thèses. L’auteur démontre que la notion de contrat n’est pas tenable pour la
relation entre le seigneur et le paysan en servage. En effet, si le seigneur peut expulser le serf, le serf
ne peut que très difficilement partir du domaine du seigneur. La notion de prédation est considérée
comme plus correcte par l’auteur mais ne suffit pas à saisir la structure dans son ensemble. Mathieu
Arnoux est cité pour rappeler que la dynamique de croissance des 11ème-13ème siècles ne
s’explique pas par la démographie ou la technologie mais par l’intensification du travail paysan.

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Mais cette intensification s’explique par le fait que le seigneur lui-même commence à investir pour
pouvoir vendre les produits des paysans. Cet investissement permet une meilleure productivité des
paysans. Ce mouvement pré-capitaliste n’a pas résisté à la tentation de l’extorsion croissante rendue
possible par la force militaire du seigneur. Les siècles suivant montrent une stagnation avec des
cycles réguliers de famine, correspondant à des cycles d’expansions démographiques suivis de
régressions démographiques (famines, maladies, guerres, …).
L’auteur reprend Guy Bois pour résumer [page 197] : « C’est l’hégémonie de la petite production
individuelle (donc le niveau de forces productives que cette hégémonie suppose), plus le
prélèvement signeurial assuré par une contrainte d’origine politique (ou extra-économique) ».
Une typologie sommaire des modes de production est proposée : propriété, travail et appropriation
du surplus. Le seigneur est seul propriétaire, le travailleur n’est pas libre mais il s’organise
librement, le surplus est fourni par un sur-travail reconnu comme tel par le travailleur.
Une caractéristique du mode de production féodal est qu’il n’y a pas d’incitation structurelle à la
productivité. Les travailleurs ne sont pas payés, il n’y a pas de bénéfice direct à en avoir moins. Les
seigneurs essayaient d’être auto-suffisants pour leurs besoins et ne cherchaient pas à échanger
particulièrement avec les autres.
L’auteur synthétise les principaux éléments de la structure logique du féodalisme :
• Caractère indissociable politique et économique du Dominium ; le pouvoir sur les hommes
se confond avec le pouvoir sur la terre.
• Un principe de centralisation et de consumation des richesses par le seigneur.

• L’exploitation de la population par l’aristocratie passe par la coercition et non par contrat. Le
prélèvement est donc une prédation.
L’auteur fait le pari que « ce repérage des caractéristiques du féodalisme nous aide à mieux
comprendre les mutations du capitalisme contemporain » [page 205)].
Quelle serait alors cette logique du Techno-Féodalisme ? L’analyse de l’impact du numérique sur le
capitalisme a été faite par Viktor Mayer-Schönberger et Thomas Ramge. Ils y développent la thèse
que la conjonction des Big Data, des algorithmes et de l’intelligence artificielle altère le
fonctionnement des marchés. Grâce aux algorithmes et aux données collectée, les transactions sont
proches de l’optimalité, disent-ils. L’information prix est complétée par une multitude d’indicateurs
complémentaires accessibles pour prendre une décision de transaction marchande. Ils considèrent
qu’il s’agit d’une forme optimisée du capitalisme avec sa loi de l’offre et de la demande rationnelle
pour réguler le fonctionnement économique. L’auteur remarque qu’on ne sait donc pas comment
expliquer l’apparition des monopoles, la surveillance généralisée, et la faiblesse de l’investissement
et de la croissance…
Pour tenter d’apporter une réponse à cette interrogation, l’auteur repart des rapports de production
et des forces productives associées. L’auteur réfute l’explication qui viendrait de l’apparition d’une
manne numérique constituant une rente pour les plateformes qui assurent la collecte de données.

Notes de lectures A. Mille Techno-Féodalisme page 8/11


La notion de rente est redéfinie par l’auteur qui considère que « la spécificité actuelle [de
l’exploitation du travail] réside dans des mécanismes de capture permettant à des capitaux de
nourrir leurs profits par prélèvement sur cette masse globale, tout en limitant leur implication
directe dans l’exploitation et en se déconnectant des processus productifs. C’est la signification que
l’on donne ici à l’idée de rente. » [page 209]. Il passe ensuite en revue un certain nombre de
caractéristiques de l’économie du numérique :
• Structure des coûts numériques : ce sont les données collectées qui fournissent l’accès à la
connaissance permettant de contrôler les processus médiés sur les plateformes. Les données
originales sont uniques par définition et cette originalité leur confie un statut de rareté. Cette
rareté est protégée par les droits de propriété intellectuelle. Si, agrégée, l’énergie dissipée
devient significative, elle est imperceptible au niveau élémentaire de l’information.
L’exploitation de ces données n’en provoquant aucune altération, les économies d’échelle
sont fortes dès qu’elles sont exploitées sur des terrains plus larges. Les régulations attendues
du capital ne se mettent pas en place, puisque ce fonctionnement échappe aux lois classiques
du marché. Tout nouvel entrant sur le marché, alors que les données originales sont déjà
entre les mains d’un propriétaire ne pourra que difficilement se constituer un capital de
données aussi important.
• Un rapport de dépendance : quand un acteur de production profite des services de
plateforme pour gagner en productivité, en efficacité, en rentabilité, elle en devient d’autant
plus dépendante que la plateforme se renforce par de nouveaux services imaginés à partir de
ces données, ce qui attire d’autres entités… Pour attirer les utilisateurs sur des accès gratuits
d’autres utilisateurs payent un prix élevé pour atteindre ces utilisateurs accédant
gratuitement, ce qui permet d’augmenter le nombre d’utilisateurs qui payent… La clé du
succès est la masse de données disponibles. Les plateformes chinoises se sont développées
avec une très grande dynamique du fait que les données y sont particulièrement disponibles
car partagées avec l’état. L’auteur file la métaphore en indiquant « La vie sociale s’enracine
dans la glèbe numérique », tout comme le paysan du moyen-âge était solidement attaché à la
glèbe du territoire qui lui permettait de vivre. Le coût social est tellement fort qu’il est très
difficile de quitter une plateforme sans devoir renoncer à de nombreuses facilités. Pour un
producteur associé à une place de marché, c’est encore plus difficile, d’autant que la
plateforme possédant l’ensemble des données lui permet d’en profiter à condition de
continuer à lui verser une rente. L’auteur reprend la métaphore : « Les grands services
numériques sont des fiefs dont on ne s’échappe pas ».
• La possibilité d’une régulation prédatrice : « La prédation est un mécanisme économique
d’allocation par appropriation. » [page 224]. Un parrain de la mafia est un prédateur, un
voleur occasionnel non, car il n’a pas de relation de domination permanente avec celui qu’il
vole. C’est le modèle cynégétique, le prédateur domine de manière permanente la proie, il ne
s’agit pas d’un effet de bord d’une guerre par exemple. Pour l’appliquer au numérique, les
coûts d’appropriation relèvent du prix à payer pour acquérir une nouvelle position
numérique stratégique. Ces coûts sont irrécupérables, ils ne peuvent pas servir à autre

Notes de lectures A. Mille Techno-Féodalisme page 9/11


chose. La domination repose sur la gouvernementalité algorithmique mise en place pour
anticiper les conduites, puis contrôler les conduites en développant une vraie politique de
surveillance. La dépendance à cette glèbe numérique conditionne l’existence sociale et
entrave la dynamique concurrentielle. L’investissement dans le contrôle de la rente
numérique prend le pas sur l’investissement productif.
Synthèse critique : Ce chapitre est naturellement le chapitre clé de l’ouvrage. Le rappel des
rapports économiques à l’époque féodale entraîne l’auteur à expliquer la justesse de son hypothèse
par une mise en perspective des propriétés qui caractérisent le modèle économique féodal et des
propriétés émergentes qui caractérisent le modèle économique des plateformes numériques. La
différentiation entre l’approche proposée et les approches considérant plutôt une économie de la
rente est utile : la notion de domination des plateformes sur ses utilisateurs mériterait d’être
analysée plus finement et au moins s’appuyer sur des analyses scientifiques de ce phénomène et de
ses conséquences, par exemple [Kefi, H., Mlaiki, A. & Kalika, M. (2016). Comprendre le
phénomène de dépendance envers les réseaux sociaux numériques : les effets de l’habitude et de la
surcharge informationnelle dans le cas de Facebook. Systèmes d'information & management, 21, 7-
42. https://doi.org/10.3917/sim.164.0007 ]. En effet, si la dépendance économique est facile à
comprendre pour les acteurs producteurs-payants de contenu, les utilisateurs-en-mode-gratuit sont
plutôt considérés dans la littérature comme faisant l’objet d’une addiction, ce qui ne relèverait pas
d’un besoin obligatoire entraînant la dépendance. Peut-on quitter FaceBook à titre individuel sans
gros problème dans sa vie personnel, en utilisant d’autres canaux de communication avec son
écosystème ? Est-ce si coûteux ?

Chapitre 5 : Conclusions, Fortunes et Infortunes de la


Socialisation
L’auteur conclue sans proposer un mode de penser le futur de l’économie numérique, mais propose
une incitation à explorer ce que pourraient être les régulations sociales et politiques permettant
d’éviter la prise de pouvoir des prédateurs sur une économie évoluant vers la prédation généralisée :
un post-capitalisme ténébreux et un retour à des rapports sociaux de dominants/dominés.
Il pointe en effet que du point de vue libéral, « l’économie numérique tourne au casse-tête
idéologique » [page 228] : démanteler les monopoles des plateformes compliquerait sérieusement la
vie des consommateurs de ces plateformes et la viabilité économique d’une multitude de
plateformes ne pouvant pas croître de manière exponentielle (hyperscaling) serait trop faible pour
justifier leurs coûts initiaux. Une hypothèse à la chinoise [interprétation personnelle du reviewer de
cet ouvrage pour résumer le propos de l’auteur] ferait apparaître le spectre de l’écrasement de la
société par un état exploitant cette économie numérique pour s’assurer du contrôle social.
La conclusion est générale : « L’avènement de l’individu totalement développé suppose que l’adieu
au marché aille de pair avec un réinvestissement des subjectivités, en particulier sous la forme d’une
véritable démocratie économique ».

Notes de lectures A. Mille Techno-Féodalisme page 10/11


Commentaire général sur l’ouvrage :
L’ouvrage est particulièrement documenté et référencé pour fonder l’idée que la notion de Techno-
Féodalisme est pertinente pour bien comprendre le type d’économie qui se développer avec les
plateformes du numérique. La démonstration est convaincante même si la métaphore entraîne
l’auteur à considérer l’identité de rôle de la terre dans le cas du féodalisme et du numérique au
21ème siècle. À l’enracinement dans la glèbe terre tangible, correspondrait une dépendance à la glè
be numérique. À l’ère de l’interrogation mondiale sur les enjeux du réchauffement climatique, de
l’effondrement de la bio-diversité et de repliements territoriaux, n’est-il pas trop rapide de
considérer que l’attachement à la glèbe numérique soit aussi fort que ce que dit l’auteur ? Dans sa
conclusion, on voit également que l’avenir de ce type d’économie de prédation ne peut pas être
envisagé sereinement et que les régulations de type capitaliste ou de type marxiste ne sont pas
crédibles. Pourquoi l’auteur, ne revient-il pas sur le coin dans le système féodal que les paysans
avaient réussi à enfoncer pour imaginer et préserver un autre fonctionnement pour la gestion de
ressources, les communs. Une discussion de cette voie serait sans doute intéressante à alimenter à
partir du constat de l’auteur.
En synthèse, cet ouvrage est intéressant et utile pour proposer de penser autrement les phénomènes
actuels de l’économie de plateforme, et considérer qu’il y a là un modèle proche du modèle de
prédation féodal est intéressant pour alimenter cette pensée.
Toutefois, la conclusion est frustrante tant le lecteur est renvoyé à lui-même pour inventer une façon
d’utiliser ce modèle pour penser le futur économique de la société.

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