Vertot Histoire de L'ordre Vol I
Vertot Histoire de L'ordre Vol I
Vertot Histoire de L'ordre Vol I
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HISTOIRE
DES
CHEVALIERS HOSPITALIERS
D E
s. JEAN DE JERUSALEM,
APPELLEZ • DEPUIS
LES CHEVALIERS DE RHODES.
ET AUJOURD’HUI
A PARIS, '
J* ROLLIN, à la defçente du PontS. Michel, Quai des Auguflins,
au Lion d’Or.
Chez «/ Q U I L L A U Pere & Fils, lmp. Jur. Lib. de TUniverfité , rue
‘ Galande , à l’Annonciation.
DESAINT ,rue S. Jean de Beauvais, vis-à-vis le College.
M. D C C. XXVI.
AVEC APPRÔBATION ET PRIVILEGE DV ROT.
A SON ALTESSE EMINENTISSIME
ONSEIGNEUR,
MONSEIGNEUR,
a H
P R E F ACE,
avec trois Chevaliers tous trois freres, qui
avoient eu beaucoup de part à fa conversion :
pieufe fable qu’il faut renvoyer avec tant
d’autres qu’on trouve dans les anciens Légen¬
daires, mais dont les circonftances font plus
propres à réjouir des libertins, qu’à édifier
les gens de bien.
Cette Hiftoire contient treize Livres d e
narration, dont le dernier finit à la mort du
Grand Maître Jean de la Vallette, arrivée en
i j68. Le quatorzième eft par forme d’Annales,
ÔC renferme fommairement ce qui s’eft palfé
de plus conflderable depuis ij68 jufqu’aujour-
d’hui. Le quinziéme Livre eft un Traité du
Gouvernement de l’Ordre : & cet Ouvrage
finit par un Catalogue des Chevaliers des
trois Langues
O
de France.
(
L’on avoit eu delfein de donner une lifte
générale de tous les Chevaliers, dont les noms
le trouvent dans les Regiftres de Malte : mais
les difïïcultez qui fe font rencontrées dans
l’exécution de ce Projeta ont engagé les Li¬
braires à fe borner aux François , & à quel¬
ques Etrangers, qui leur ont envoyé des mé¬
moires.
Les Liftes inférées dans cette Hiftoire ont
coûté beaucoup de peines &de recherches 5
& on doit cette juftice à quelques Comman¬
deurs zélés pour la gloire de leur Ordre, &
PREFACE,
à plufieurs habiles Généalogiftcs, qu'ils n ont
refufé ni leurs foins, ni leurs mémoires pour
la perfeébion de cette partie de l’Hiftoire de
Malte.
C’eft à M. le Marquis d’Aubayc , que le
Public eft redevable de la Langue
ce de Proven¬
ce prefque entière. Celles d’Auvergne ôc de
France ont été prifes fur les Regiftres de
Malte, mais avec differens vuides que M. le
Bailli de Mefmes a fait remplir fur les Ar¬
chives des Grands-Prieurez. Dans ces Archi¬
ves on ne trouve point les Armes des Che¬
valiers ; elles manquent même dans les pre¬
mières années des Regiftres de Malte, aufli
bien que la datte des réceptions. L*es noms
propres, fur-tout les noms de Terre ont
été très-fouvent défigurés par les Copiftes.
Toutes confiderations, qui ont obligé à dif¬
ferens examens, néceffaires pour l'exaétitude
de l'Ouvrage 5 mais qui ont empêché les Li¬
braires de ïatisfaire à l’engagement pris avec
le Public pour le tems de la publication.
Malgré tous ces foins, on n’ofe fe flatter
d'une entière réuflite : on ne doute pas même
qu'il n'y ait des omiflions, &C des erreurs con-
fiderables qui pourront intéreffer plufieurs
Familles. On les prie d’en faire une exaéte
perquifition, de tenir leurs mémoires tout
prêts: on pourra dans la fuite donner un fup-
PREFACE. ;
plément compofé fur ces mémoires, en pre¬
nant néanmoins toutes les mefures qui feront
jugées néceffaires pour n'en point admettre
de faux.
L’on a tout lieu de croire que les Curieux
feront contens des Portraits inferez dans les
quatre Volumes de cette Hiftoire. Ils ont été
faits par d’habiles Graveurs, &C dont le travail
a été fournis àlarévifion de M. de Boullongne
premier Peintre du Roy, 6C Directeur de
fon Academie de Peinture. Les Tableaux fur
lefquels on a travaillé ont été fournis par
M. fAmbaffadeur de Malte, & par quelques
particuliers , chez qui il s’eft trouvé des
originaux. On fera fans doute furpris que
Ton ait pû avoir les Portraits des premiers
Grands-* Maîtres : mais on verra en lifant
Tome 3.
t. I*J. • cette Hiftoire, comment parles foins & la li¬
béralité du bâtard de Bourbon Grand Prieur
de France, ils ont paffé jufqu’à nous.
Les Cartes Géographiques dreffées pour
l’intelligence de cette Hiftoire, font l’ouvrage
de feu M. Delifle, dont le nom feul fait l’éloge.
Les Plans de l’Ifle, & des Fortifications de
Malte font de M. le Chevalier Tigné, Ingé¬
nieur du Roi, qui les leva lui-même à Malte,
où il fut appellé dans un tems où elle écoic
menacée de fiege.
<&J P PRO'ZJT ION.
J ’Ay lû par ordre de M. le Garde des Sceaux, l’Hifloire des Chevaliers
de L’Ordre de S. Jean de Jerufalem : d>C j’ay crû que cet Ouvrage étOIt
digne du fujet de de l’Auteur. Fait à Paris ce 21 Septembre 1723.
FONTENELLE..
PRIVILEGE GENERAL.
L OUIS PAR LA GRACE DE DlEU Roi DE FRANCE ET
de Navarre ; A nos amez de féaux Confcillers les Gens tenans
nos Cours de Parlemens , Maîtres des Requêtes ordinaires de notre
Hôtel, Grand Confeil, Prévôt de Paris , Baillifs, Sénéchaux , leurs Lieu-
tenans Civils, de autres nos Julticiers qu’il appartiendra : Salut.
Notre bien amé J A C QJJ E S QjJ I L L a U , Imprimeur & Libraire Juré
de L‘Vniverfité de Paris, Nous ayant fait remontrer qu’il lui auroit été
mis entre les mains un Manufcrit qui a pour titre , l’Hifloire de L'Ordre
Hofpitalitr & Militaire des Chevaliers de S. Jean de Jerufalem , connus depuis
fous le nom des Chevaliers de Rhodes, & à prefent appeliez. Chevaliers de Malte,
far Mr l’Abbé de Vertot; Mais craignant que quelques Imprimeurs
ou Libraires ne s’avifaifent de contrefaire ledit Ouvrage, ce qui lui feroit
un tort confîdérable, attendu qu’il ne le peut faire fans s’engager à de
très grands frais; il nous auroit en conféquence très-humblement fait
fupplier de vouloir bien, pour l’en dédommager, lui accorder nos Lettres
de Privilège fur ce néceiîaires :A ces causes, voulant traiter fa¬
vorablement ledit Quillau, reconnoître fon zele, de en même tems ex¬
citer par fon exemple les autres Imprimeurs de Libraires à entrepren¬
dre des Editions de Livres auffi utiles au Public ; Nous lui avons permis
de permettons par ces Prefentes d’imprimer ou faire imprimer ledit Ou¬
vrage ci-deflus expliqué en tels volumes, forme, marge, caraélere, con¬
jointement ou féparement, Sr autant de fois que bon lui femblera, de
de le vendre, faire vendre &: débiter par tout notre Royaume pendant
le tems de quinze années confécutives, à compter du jour de la date
defdites Prefentes : Faifons défenfes à toutes fortes de perfonnes de quel¬
que qualité de condition qu’elles foient d’en introduire d’impreffioii
étrangère dans aucun lieu de notre obéidance , comme aufïi à tous Im¬
primeurs, Libraires, de autres, d’imprimer, faire imprimer, vendre ,
faire vendre, débiter, ni contrefaire ledit Ouvrage ci-delfus fpecifié) en
tout ni en partie, ni d’en faire aucuns extraits fous quelque prétexte que
ce foit d’augmentation, correétion, changement de titre, ou autrement,
fans la permiffion exprelfe & par écrit dudit Expofant, ou de ceux qui
auront droit de lui, à peine de conffcation des exemplaires contrefaits,
de trois mille livres d’amende contre chacun des contrevenans, dont
un tiers à Nous, un riersà l’Hôtel-Dieu de Paris, l’autre tiers audit Ex¬
pofant , de de tous dépens, dommages de intérêts ; à la charge que ces
Prefentes feront enregiltrées tout au long fur le Regillre de la Commu¬
nauté des Imprimeurs de Libraires de Paris, de ce dans trois mois de la date
d’icelles ; que l’impreiîïon de cet Ouvrage fera faite dans notre Royaume,
j3c non ailleurs , en bon papier de en beaux caraéleres, conformément
aux Reglemens de la Librairie 3 de qu’avant que de l’expofer en vente ,
Ic Manuferit ou Imprimé qui aura fervi de copie à l’imprelfion dudit
Ouvrage fera remis dans le même état où l’approbation y aura été don¬
née, ès mains de Notre très-cher & féal Chevalier Garde des Sceaux de
France le Sieur Fleuriau d’A rmïnonviiu; 5c qu’il en
feraenfuite remis deux exemplaires dans Notre Biblioteque publique,
un dans celle de Notre Château du Louvre, 5c un dans celle de Notre-
dit très-cher ôc féal Chevalier Garde des Sceaux de France le Sieur
F l e u r i a u d’A rmenonville*, le tout à peine de nullité des
Prefentes, du contenu defquelles Vous mandons 5c enjoignons de faire-
jouir l’Expofant ou fes ayans caufe pleinement 5c pailiblement, fans
fouffrir qu’il leur foit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons
que la copie defdites Prefentes qui fera imprimée tout au long au com¬
mencement ou à la fin dudit Ouvrage, foit tenue pour duement ligni¬
fiée , 5c qu’aux copies collationnées par l’un de nos amez 5c féaux
Confeillers 5c Secrétaires foi foit ajouté comme à l’Original. Com¬
mando n s au premier notre Huiiîier ou Sergent de faire pour l’exe¬
cution d’icelles tous aétes requis 5c néceiîaires, fans demander autre
permiiïion , 5c nonobllant clameur de Haro, Charte Normande, 5c
Lettres à ce contraires ; Car tel eft notre plailir. Donne’ à Paris le
feptiéme jour du mois d’Oétobre, l’an de grâce mil fept cens vingt-
trois , 5c de notre Régné , le neuvième. 'Par. le Roi en ton
Confeil. Et plus tas, ligné CaRPOT, avec paraphe.
J’Ai alïocié dans le préfent Privilège Mrs Rollin Pere, Qiiillau fils,
5 Defaint, Libraires à Pans , pour chacun un quart, fuivant l’accord
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fait entre nous. A Paris ce Z3 Juillet 1716. Qv illau.
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CHEVALIERS HOSPITALIERS
DE
LIVRE PREMIER.
8 Histoire de l’Ordre
s’il pouvoic, tout le genre humain dans lunite de
creance &c dans la profelfion de la même foi. L’ha¬
bile impofteur, après avoir préparé les efprits par de
pareils difcours, bâtit fon fyftcme de differentes piè¬
ces, qu’il prit delà religion des Juifs &de celle des
Chrétiens j &pour y réuffir, il s’étoit fait aider fecre-
*AbdiasBcn- tement dans fa retraite par un * Juif Perlan, ôc par
Salon.
* * Sergius, un ** Moine Neftorien, tous deux, apoftats, très I ça-
autrement vans dans leur Religion, & qui lui avoient lu l’un ôc
Bah ira.
(A) Voyez l’autre plufieurs fois l’ancien ôc le nouveau Telia-
le Difcours
fur l’Auteur ment. * Il en ajulla enfuite les differens paffages à Ion
deJ’Alcoran, nouyeauplanj ôc à mefure que par lelecotirs de ces
qui elt à la
fin de ce pre¬ deux Renégats il avoit misau net quelque article, il
mier Volu¬
me , & à la le revêtoit d’un Hile pompeux Ôc figuré, où il ta-
tête des
Preuves. choit d’imiter tantôt le fublime du commencement
de la Genefe, ôc tantôt le pathétique des vrais Pro¬
phètes. Il publioit enfuite qu’il venoit de recevoir du
Ciel cet article ; ôc lous prétexte qu’il n’étoit que le
dépofitaire &leherault de cette doctrine celelle, il
renvoyoit ceux qui lui faifoient des objeélions à
l’Auteur prétendu de ce s révélations, ôc il faifoit
valoir fon ignorance même pour preuve du peu de
part qu’il avoit dans cette nouvelle Religion.
. Il emprunta des Juifs le principe de I’exiftence
ôc de l’unité d’un feul Dieu, mais fans multiplica¬
tion de Perfonnes divines : il enfeignoit en même
temps la creance de la Réiurreélion, du Jugement
univerfel, des récompenfes Ôc des peines de l’autre
vie. Les Chrétiens lui fournirent l’exemple d’un
Carême qu’il prelcrivit, i’ulage fréquent de la Priè¬
re, qu’il fixa à cinq fois par jour, la charité envers
les pauvres, ôc le pardon des ennemis. Et en faveur
de Malte. Liv. I 9
des Payens, il admit certaine efpece de prédeftina-
tion mal entendue, que les anciens Idolâtres appel¬
aient communément le Deftin-, decret éternel quils
croyoient fuperieur, même à la volonté de leurs
Dieux.
Ce mélange de differentes Religions, où chacun
croyoit trouver des traces de fon ancienne créance,
féduifit plufieurs citoyens de la Mecque 3 8c l’adroit
impolteur pour établir fes erreurs, Içut mettre en
oeuvre de grandes veritez, 8c même l’apparence de
grandes vertus. Le Magiilrat de la Mecque allarmé
du progrès que faifoit cette Seéte, en profcrivit
l’Auteur & fes Partilans -, le faux Prophète prit la
fuite, 8c fe retira dans une autre Ville de l’Arabie-
Petrée, appellée Yainb, & qu’il nomma depuis A/e-
dina - al - nabi, Ville du Prophète. Cette fuite fi célé¬
bré parmi les Mahometans, 8c qu’ils appellent dans
leur langue l’Hegire, a fourni depuis à leurs Hi-
ftoriens l’époque de leur Chronologie ; 8c la pre¬
mière année de cette époque Mufulmane, tombe,
* An de
lelon la plus commune opinion, dans la 11 année* Jefus-Chrift
6 il.
du feptiéme fiécle. De l’Hégire
Le péril que Mahomet avoit couru à la Mecque,
lui ayant fait connoître que par la voie feule de la Nota que
perfuafion, il ne viendroit pas à bout de fes deffeins l’année
Mufulmâns
des
O
Dl Malte. Livre I. 17
<îifcours infiniment touchant, que fit le Pape pour
porter les Chrétiens à aller délivrer la Terre Sain¬
te de la domination des Mahometans , toute
l’Aflèmblée s écria comme de concert : Dieu lé
veut. Dieu le véut; & ces trois mots fer-
virent depuis dans l’armée de devile ôc de cri de
S uerre ; & pour diftinguer ceux qui s engageoient
ans cette fàinte entreprife , il Fut ordonné qu’ils
porteraient une Croix rouge fur l’épaule droite.
Le Concile ne fut pas plutôt terminé, que les
Evêques qui y avoient affilié, apïès être retour¬
nez dans leurs diocefes , commencèrent à y prê¬
cher la Croifade , Sc ils le firent avec un fi grand
fuccês , que tout le monde vouloir prendre le
chemin de l’Afie. Il fcmbloit qu’il n’y eût plus
d’autre route pour aller au Ciel : c’étoit à qui parti¬
rait le premier : Princes , Seigneurs , Gentilshom-
rqes, Bourgeois & Payfans, chacun quittoit avec joie
ce qu’il avoir de plus cher, femme , enfans, pere
& mere : tant il ell vrai que les hommes ne lem-
blent faits que pour s’imiter les uns les autres.
A la vérité tous ce s Croifez n’étoient pas animez
par le même motif : plufieurs ne paflbient en
Orient que par des vues d’intérêt, ôc dans l’efpe-
rance de s’y établir. Il y en avoit qui ne s’enro-
loient dans cette fainte milice , que pour ne pas
être foubçonnez de lâcheté -, d’autres s’y enga*
geoient par legereté , par compagnie , & pour ne
pas quitter leurs parens & leurs amis. Des fem¬
mes même, pour n’être pas féparées de leurs
amans} enfin le Moine & le réélus ennuyés de
leurs cellules , le payfant las du travail , tous
18 Histoire de l’Ordre
éblouis par la foible lueur dun faux zele , aban-
donnoient leur état 8c leur première vocation. Tout
cela à la vérité formoit un nombre prodigieux de
Croifez • mais parmi cette foule de perfonnes de dif¬
ferentes conditions, il y avoit beaucoup d’hom¬
mes 8c peu de foldats : 8c une pareille entreprife
auroit échoué dés fon commencement y 8c avant
que les Croifés fulfent fortis de l’Europe s’ils
n’avoient été foutenus par de grande corps de
troupes réglées, 8c commandées par des Princes
8c des Seigneurs pleins de valeur 8c d’experience,
8c animez par un pur zele de délivrer la Terre
Sainte de la domination des Infidèles.
Baldric. On comptoit parmi ce s Seigneurs , Raimond de
faint Gilles , Comte de Toulouze , le premier qui
prit la Croix , 8c qui s’étoit déjà fignalé en Elpa-
gne, 8c à la tête des armées d’Alphonfe fixiéme
contre les Arabes 8c les Sarazins d’Afrique ^ Hu¬
I
gues furnommé le grand , frere de Philippe*!.
Roi de France, 8c Comte de Vermandois du chef
de fa femme ; Robert , Duc de Normandie ,
frere de Guillaume le Roux Roi d’Angleterre ;
Robert, Comte de Flandres ; Etienne , Comte de
v
v
48 Histoire de l’Ordre
qui faifoit autrefois partie de fon Domaine dans
le Brabant.
La plupart des Princes &z des Seigneurs Croi-
fez fuivirent fon exemple. L’Hôpital en peu de
tems fe trouva enrichi d’un grand nombre de
Terres ôc de Seigneuries , tant en Europe que
dans la Paleftine. C’étoit entre les mains du pieux
Gérard, Gérard, un dépôt facré Ôc un fond certain pour
Recteur de
l’Hôpital de le foulage ment de tous les malheureux. Le laint
faint Jean de
jerufalem. homme n’en étoit encore que fimple Adminiftra-
ceur féculier; mais depuis la prife de Jerufalem, le
défir dune plus grande perfeéfion le porta à propo-
fer à fes Confrères & aux Sœurs Hofpitalieres de
prendre un habit régulier , ôc à confacrer leur vie
dans l’Hôpital au fervice des pauvres ôc des pèlerins.
Les Hofpitaliers ôc les Hofpitalieres par fon
confeil ôc à fon exemple, renoncèrent au fiecle ,
prirent l’Habit régulier , qui confifte dans une fim¬
ple robe noire, fur laquelle étoit attachée du cô¬
té du cœur une Croix de toile blanche à huit poin¬
tes • ôc le Patriarche de Jerufalem , après les en
avoir revêtus , reçut entre fes mains les trois vœux
folemnels de la Religion, qu’ils prononcèrent aux
piés du Saint Sépulchre.
RreuveVI. Le Pape Pafchal II. quelques années après, ap-
prouva ce nouvel Inftitut, exempta la Maifon de
Jerufalem ôc celles qui en dépendoient, de payer
la dixme de leurs Terres, autorifa toutes les fon¬
dations qui leur avoient été faites , ou qu’on fe-
roit dan$ la fuite en faveur de l’Hôpital, Ôc or^
donna fpecialement qu’après la mort de Gérard
les Hofpitaliers feuls auroient droit d’élire un nou¬
veau
\ 4 -
de Malte. Livre L 49
veau Supérieur , fans qu’aucune Puiflance fécu- Gérard.
v
de Malte. Livre I. 67
trouva de Chevaliers dans la Mailon de Jerufa- Rai mon »
Dupuy.
lem, il marcha droit aux ennemis. Il fît une h gran¬
de diligence qu’il les furprit y força leurs lignes, ôc
tailla en pièces ceux qui dans cette déroute ne pu¬
rent regagner leurs vaiffeaux > leur flotte ayant pris
auflitôt le large Ôc la route d’Alexandrie. Le Gene¬
ral chrétien 9 fur des avis qu’il reçut que la garni-
fon d’Afcalon ravageoit la campagne 5 & fans don¬
ner de repos à fes foldats > les mena fur le champ
de ce côté-là. Il trouva une partie des foldats de la
garnifon difperfés , fk attachés au pillage. Le
Connétable à la tête de fes troupes tomba fur ces
pillards qui n’étoient point fur leurs gardes , tua
tous ceux qui voulurent fe rallier, fît un grand
nombre de prifonniers, Ôc il n’échapa que ceux
qui furent affez heureux pour rentrer dans Afca-
lon.
Ces deux victoires furent fuivies depuis d’une
troifîéme , & d’une nouvelle difgrace pour les Sa-
razins. Nous avons dit que leurs vaiffeaux , apres
la défaite de leur armée de terre y avoit mis à la
voile. Ces vaiffeaux en fe retirant tombèrent le
long de la côte d’Afcalon dans une flotte des Vé¬
nitiens y commandée par le noble Henry Mi-
chieli y Duc ou Doge de Venife , qui apres un
combat opiniâtré yen coula à fond une partie y ôc
il fe rendit maître des autres.
Guillaume des Barres , Seigneur de Tiberiade 5
venoit de fucceder dans le commandement de
l’armée de terre au Comte Garnier, mort pen¬
dant cette expédition. Le nouveau Général en¬
voya féliciter le Duc de Venife fur l’heureux fuc~
68 Histoire'de l’Ordre
'Raimond
cés de fes armes , ôc lui propofa une entrevue.
Dupuy- La flotte Vénitienne entra dans le port de Jaffa ,
d’autres difent dans celui d’Acre ou de Ptolemaide.
Le Duc y fut reçu avec tous les honneurs ôc toutes
les marques de reconnoiffance, qui étoient dûs
à une victoire fi importante , on combla fes prin¬
cipaux Officiers de préfens *, la Aorte reçut en abon¬
dance des rafraîchiffemens ôc des vivres , ôc le
Doge , pour fatisfaire à fa dévotion , fe rendit
dans Jerufalem , où il paffa les fêtes de Noël. Le
Patriarche de cette ville , Deflb.arr.es 3 ôc les* princi¬
paux Seigneurs du Pays fe prévalant de cette pieufe
difpofition, propoferent à Miçhieli de vouloir avec
fa flotte bloquer le port de Tyr pendant que l’ar¬
mée de terre affiegeroit cette Place. L’entreprife
étoit grande, ôc de difficile exécution : cependant
Defbarres lui fît goûter l’importance ôc l’utilité de
fon projet.
Mais comme le Vénitien ne fe contentoit pas
d’une gloire fterile , ôc qu’il faifoit monter fort
haut les frais de cette entreprife , il déclara que
fi le fuccés des armes leur étoit favorable, il pré-
tendoit partager cette conquête avec le Roi de
Jerufalem, ôc en avoir la moitié en toute fouve^
raineté. Il n’en demeura pas là , ôc comme il n’i-
gnoroit pas qu’on ne fe pouvoit paffer de fa flotte,
il demanda pour les Vénitiens uneEglife,une rue,
un four banal, des bains, ôc l’exercice particulier
de la Juflice dans Jerufalem, ôc dans toutes les
villes de la dépendance de ce Royaume : c’étoit
en partager en quelque maniéré la Souveraineté.
Mais comme apres tout, il étoit de la derniere
t>e Malte. Livre I. 69
confequence pour les Chrétiens de la Paleftine de Raimone»
Dupuy.
chaffer de Tyr les Infidèles , que pour un fiege
fi important 011 ne fe pouvoit palier d une flotte ;
apreNs plufieurs conférences , on convint que les
Vénitiens auroient un tiers de la Ville ; on leur
pafla même la plupart des autres conditions , tou¬
tes dures & toutes extraordinaires qu’elles êtoient,
ôc on fipia un traité qui eût été honteux , s’il
n’eût été en quelque maniéré néceffaire. Parmi
les noms des Prélats & des principaux Seigneurs
du Royaume qu’on trouve au bas de ce traité , on
n’y voit point celui de Raimond Dupuy , foit qu’il
PrîUVI
fût refté à la défenfe du Comté d’Edeflfe , foit qu’il X.
eût eu de la répugnance à foufcrire à un traité
qui donnoit atteinte à la Souveraineté du RoL
Quoi qu’il en foit 3 ce traité ne fut pas plûtôt li¬
gné que tout fe mit enfuite en mouvement ; la
flotte d’un côté & l’armée de terre de l’autre 3 fe
rendirent devant Tyr 3 & ferrerent la Place de
prés. On ouvrit la tranchée • le fiege fut long &
meurtrier, &c les Hofpitaliers acquirent beaucoup
de gloire dans les differentes attaques ; enfin les
Aflievez
A ,o
preffez en même tems 1par terre &: du
r
f ote du port ; & le voyant lans eiperance de
h .‘cours 3 demandèrent a capituler. On convint
des conditions; le traité fut exécuté de bonne 3odejmiie»
foi de part &c d’autre, aufli-bien que celui qui
avoit été fait avec les Vénitiens ; & de concert
avec leur Duc, on établit depuis dans cette ville
un Archevêque, appellé Guillaume, Anglois de
nation, & Prieur du Saint Sépulchre , qui fut fa-
cré par Guarimond, Patriarche de Jerufalem.
I iij
70 Histoire de l’Ordre
Raimond
Pendant le fiege de Tyr y JofTelin de Courte-
Dupuy. liai y s’étant fauve des priions de Balae >..rentra dans
fes Etats , ralfembla ce qu’il put de troupes r mit
lur pied un petit corps d’armée 5 vint chercher:
ion ennemi, lui donna bataille y 8c le tua de fa?
main. Cette viéloire 8c la mort de l’Emir procu¬
ra la liberté au Roi de Jerufalem. La veuve de
W'dl. Tyr. Balac r foit touchée du mérite de fon prilonnier y
/»* i y C’. z ô •
j
Kij
76 Histoire de l’Ordre
Ràimonq Le Roi, au défaut d une Croifade qu’il avdif
Dvpuy.
demandée, voyoit avec plaifir arriver tous les jours
de l’Europe comme des recrues de Noblefie, qui
venoient prendre parti dans lune bu l’autre Com¬
pagnie y mais rien ne lui caufa plus de joie que
le retour du Comte d’Anjou, qui après avoir don¬
né ordre à l’établiflement de les enfans, êc réglé
leurs partages, revint en Orient à la tête d’un
grand nombre de Gentilshommes fes Vaffaux,
époufi la Princeffe Melifende fille aînée du Roi ,5
& fut reconnu conjointement avec elle pour hé¬
ritier préfomptif de la Couronne..
Pendant que la Cour n’étoit occupée que de*
fêtes & de plaifirs, le Roi apprit avec beaucoup
de furprife & de douleur que le jeune Boëmond
fou autre gendre avoit été tué dans un combat
contre les Infidèles, & qu’il étoit à craindre que
la capitale de la Principautédeftituée de fon- Sou¬
verain , ne fût aflîegée par ces Barbares. Boë¬
mond n’avoit laiffé de fon mariage avec Alix,,
qu’une Princeffe ,:apellée Confiance, encore à lai-
mamelle.
Le Roi fon ayeul partit en diligence pour pren¬
dre la regence de fes Etats j-, mais en arrivant à An¬
tioche, il fut bien furpris d’en trouver les portes'
fermées, & fur tout d’aprendre que c’étoit par or¬
dre de la Princeffe douairière fa fille. Cette Prin-
ceffe fiere &ambitieufe;d’ailleurschagrine & jalou-
fe que le Roi fon pere eût difpofé en faveur de fa
fœur feule de la Couronne de Jerufalem, fans lui
en faire part • vouloit établir fon autorité dans la
Yjlle d’Antioche,,en qualité de mere & de tutrice
" uA
èE Malte. Livre I. 77
de fa jeune Confiance, & peut-être s’emparer de Raimok D
cet Etat, pour fe remarier dans la fuite plus avan- PüPUY*
tageufement pour elle , 6c au préjudice de fa fille.
Mais les Habitans les plus fenfez connoiffant le
befoin qu’ils avoient du fecours du Roi contre lés
entreprifes continuelles des Turcomans, à l’infçû
de la PrincefTe Douairière, introduifirent de nuit
le Roi fon pere dans la Place. Baudouin y fit re-
connoîtrc fon autorité, mit dans la Place un Gou¬
verneur, de la fidelité duquel il étoit bien affûté; 11 ? I-r
Raimond très du Pape Innocent 11. qui après les avoir féli¬
Dupuy. citez fur leur avenement à la Couronne, les ex-
hortoit dans les termes les plus touchans à veiller
à la défenfe de la Terre-Sainte, ôc à la Confervation
dun Etat qui interreffoit toute la Chrétienté. Ce
Saint Pontife, qui n’ignoroit pas que les Holpita-
liers étoient le plus ferme appui du Trône de Jeru-
falem, avoit publié peu de temps auparavant une
Bulle en forme de Conflitution, adreffiée aux Ar¬
chevêques, Evêques, ôc à tous les Prélats de l’E-
glife univerfelle, dans laquelle, entre autres articles,
après avoir exalté la charité que les Hofpitaliers
exerçoient à leurs dépens en faveur des Pèlerins ôc
des malades, il paffie aux fervices importans qu’ils
rendoient à la Chrétienté les armes à la main : » Cè
» font les Hofpitaliers, dit ce Pape, qui ne font point
»> de difficulté d’expofer tous les jours leurs vies pour
» défendre celles de leurs freres, qui font les plus
fermes foutiens de l’Eglife Chrétienne en Orient,
« ôc qui combattent tous les jours avec tant de cou-
«rage contre les Infidèles. Mais comme leurs facul-
« tez ne fuffifent pas pour foutenir une guerre prefl
» que continuelle, nous vous exhortons de les fe-
» courir de votre {uperflu, & de les recommander
« à la charité des peuples qui font commis à votre
« vigilance Paftorale. Du furplus, nous vous décla-
« rons que nous avons pris la Maifon hofpitaliere
» de Saint Jean, ôc tout l’Ordre fous la protection de
faint Pierre ôc la nôtre.
Mais cette protection ôc les Privilèges parti*
culiers que ce Pape ôc fes prédeceffeurs avoient
accordez aux Hofpitaliers, excitèrent depuis la ja-
de Malte. Livre I. 79
loufie & les plaintes de la plupart des Evêques de
Ra 1M9WB»
la Palefline, qui ne pouvoient fouffrir que le faint Dwpuv.
Siégé eue exempté ces Religieux de leur jurifdû
étion, ôc que les Papes euffent déclaré qu’ils étoient
les feuls Evêques immédiats de tout l’Ordre. Nous
aurons lieu dans la fuite de parler de ces différends,,
qui firent tant d éclat à la Cour de Rome Ôc dan*
toute l’Eglife.
A peine le Roi Baudouin avoit les yeux fermer,
qu’il fe forma dans Antioche , contre les droits de
WM. Tyr.
la Princeffe mineure,, deux differentes confpira- A 14. ch. <b
tions, ôc qui penferent allumer une guerre civile
entre les Princes Latins de l’Orient. La Douairière
d’Antioche, femblable à la plupart des Souverains
qui ne croyent point apparemment avoir deparens,
ôc aufïi mauvaife mere quelle avoit été fille in¬
grate ,. ne vit pas plutôt le Roi fon pere dans le
tombeau, quelle ne fongea plus,au préjudice de
fa propre fille, qu’à fe rendre maîtreffe de la Prin¬
cipauté. Ponce, Comte de Tripoli, ôc le jeune
Courtenai, qui venoit de fucceder au Comte
Joflelin fon pere, entrèrent fecretement dans fes
interets ^ ôc plufieurs habitans d’Antioche s’enga¬
gèrent d’introduire dans la Ville les troupes de ccs
deux Princes.
A l’infçû de ce premier parti, il s’étoit formé
arïe‘autre cabale, ôc qui n’étoit pas moins dan-
gereufe. Roger, Duc, ôc depuis Roi de Sicile, cou-
fin de la petite Princeffe , ôc de la même Maifon,
foit qu’il prétendît que la Principauté d’Antioche
étoit un Fief mafeulin , ou qu a l’exemple des
Princes ambitieux, il crûtjufles ôc permis tous les
moyens qui conduifoient au Trône, entreprit de
8o Histoire de l’Ordre
Raimond dépouiller la PrincefTe mineure. Il avoir fes par-
Dupuy. tifans dans la Ville ; & ces differens dedans fe con-
duifoient avec beaucoup d’artifice ôc de feçret.
Mais il y eut des habitans qui n entroient ni dans
l’un ni dans l’autre parti, qui découvrirent cette
double conjuration : ils en donnèrent aufli-tôt avis
au Gouverneur, que le Roi Baudouin y avoit mis
avant fa mort. Ce Commandant, quoique foutenu
de la garnifon, ne fe trouvoit pas affez fort contre
le nombre prodigieux d’habitans d’une auflî gran-
de Ville j ainfi il dépêche couriers fur couriers au
Roi de Jerufalem, pour le conjurer de fe rendre
inceffamment à Antioche, s’il vouloit en confer-
ver la Principauté à l’heritiere.
Foulques ayant reçu de fi facheufes nouvelles,
partit fur le champ avec ce qu’il put trouver de
Chevaliers en état de le fuivre, & il étoit accom¬
pagné d’Anfelin de Brie, &defrere Joubert Hof-
pitalier, qui partageoient fa faveur, 8c qu’il avoir
admis dans la confiance la plus intime. Pour fe
rendre par terre à, Antioche, il falloit que le Roi
de Jerufalem pafsât fur les terres du Comte de Tri¬
poli fon Vaffal j mais ce Comte 8c celui d’Edeffe
à la tête de leurs Troupes s’oppoferent à fon paf-
fage. Le Roi voyant une félonie aufli déclarée,
jugea bien qu’il y avoit un grand parti formé
contre fa nièce, 8c que le falut de cette jeune
PrincefTe confiftofi à prévenir les Princes, 8c à en¬
trer le premier dans Antioche. Mais comme il
n’avoitpas avec lui affez de troupes pour s’ouvrir
le paffage l’épée à la main , il feignit de ceder à la
force j .il retourna tout court fur fes pas : 8c pour
éblouir
de Malte. Livre I. 81
éblouir les eipions, il fit même reprendre à fon ef-
corte la route de Jerufalem, comme s’il eût été7au Dupüÿ.
N iij
ioi Histoire de l Ordre
Raimond événement, qu’il ne nous eft pas permis d’aprofon-
Dupuy.
dir, nous nous contenterons de dire que ces gran¬
des armées qui fe flattoient de tant de conquêtes y
ne purent prendre une feule des Places des Infi¬
dèles > 8c que les Chrétiens Latins de la Syrie 8c
de la Paleftine, furent enluite réduits à un état
quifembloit les menacer d’une ruine totale & pro¬
chaine.
On n’avoit pas moins à craindre des Egyptiens
8c du côté du midi. Le Roi pour leur oppofer une
barrière fit relever les murailles de l’ancienne Gaza,,
une des cinq Satrapies des Philiftins, fituée à fept
lieues d’Afcalon. Ce Prince en donna le gouver¬
nement en propriété à l’Ordre des Templiers*T
8c ce s Religieux guerriers, gens, dit Guillaume
de Tyr, pleins de courage, à l’exemple des Hofi
pitaliers ,, en firent une Place d’armes,, d’où ils ré¬
primèrent de leur côté les courfes de la garniforr
d’Afcalon,: 8c forcèrent enfin les Sarrafins à fe ren¬
fermer dans leurs murailles.
11 4 8. Cependant Noradin profitant de la confterna-
tionoù la retraite des Croifez avoit jetté les peu¬
ples , entra à la tête de fon armée dans la Princi¬
pauté d’Antioche, ravagea la campagne, emporta
plufieurs petites Places, 8c le Comte Raimond con-
fultant plutôt fon courage que lès forces, ayant
voulu s’oppofer à ce torrent,, perdit la bataille ;
la plupart de fes troupes furent taillées en pièces,
8c il périt lui même dans ce combat..
D’un autre côté le Sultan de Gogni ou d’Iconium ,
* Milites rempli Gazant antiquam Paleftinæ civitatem reaedificant SC
turnbus eam muni uni, Afçafonitasgraviter infeftant.-
Rob. dt menu appendixad chron, fi g. p. 6$U
de Malte. Livre ï. 105
entra depuis dans le Comté d’Edelfe, ravagea le Raimon»
Dupuy»
pays , prit le jeune Courtenai,qui mourut peu apres 11 f O.
dans les fers de ce barbare. Tout fuyoit devant
lui j les habitans des Villes ôc delà campagne, pref-
que tous les Chrétiens fe voyant fans fecours, ôc
pour fe fouftraire à la domination des Infidèles,
abandonnoient leur patrie ôc leurs maifons} cha¬
cun tâchoit de gagner des Places chrétiennes.
Baudouin Roi de Jerufalem, pour faciliter au moins-
leur retraite, s’avança à la tête de fa Nobleife ôc
des deux Ordres militaires pour leur fervir d’efi.
cortes; il mit tout ce peuple, hommes, femmes,
enfans, beftiaux , bagage au milieu de ce qu’il
avoit pu raffembler de troupes j il étoit à l’avant-
garde, le Comte de Tripoli avec Onfroy de Tho-
ron Connétable du Royaume commandoit l’ar-
riere-garde, ôc dans cet ordre ils prirent le che¬
min de la Principauté d’Antioche. Noradin qui
ne pouvoit fouffrir que cette proye lui échapât,
accourut à la tête de toute fa Cavalerie, cotoyoit
l’armée chrétienne fur laquelle, pour l’arrêter, il
faifoit pleuvoir à tous momens une grêle de flèches.
Il tenta plufieurs fois d’enfoncer les troupes chré¬
tiennes-, on ne faifoit point de lieue qu’il ne fallût
livrer un combat • les Infidèles pour retarder la
marche d’une armée déjà embaraflee de bagage,
revenoient à tous momens à la charge. Mais de
quelque côté qu’ils tournafTent, ils trouvoient tou¬
jours ou le jeune Roi, ou le Comte de Tripoli à
la tête des Hofpitaliers ôc des Templiers, qui leur
préfentoient un front redoutable, ôc pouffoient
tout ce qui ofoit approcher du corps de l’armée.
104 Histoire de l'Ordre
Raimond en forte que Noradin n’ayant pu l’entamer, & faute
1 Dupuy.
de vivres, abandonnai la fin eette pourfuite,
l'armée chrétienne arriva heureufement for les
terres de la Principauté d’Antioche..
Mais pendant que le Roi étoit occupé à tirer
ce peuple de la fervitude,.il fut à la veille de per¬
dre fa Capitale, & par une autre entreprife des In¬
fidèles deux de leurs Princes appeliez les Jaro-
quins, Turcomans de nation, & dont le pere ou?
layeul, avant que les Sarrafins eulTent repris la*
ville de Jerufalem, regnoirdans la Paleftine, prefo
fez par les reproches de leur mere,.& ayant ap¬
pris l’éloignement du Roi,,.mirent fur pied une ar¬
mée confiderable, partirent de leur pays,. paffe-
rent par Damas, entrèrent fur lés terres des Chré¬
tiens, & pénétrèrent jufqu’aux portes de k fainte;
Cité. Les habitans confternez les virent fur le foin
fe camper fur le mont Olivet. Ces barbares fe fia—
toient d emporter le lendemain par efcalade une
Place où ils fçavoient bien que leRoi n’avoit poinc;
laifie de garnifon ; mais par un excès de confiance1
fî dangereux à la guerre, ils perdirent un dé ces
momens heureux , d’où dépendent les plus grands;
fuccès. Les habitans revenus de leur confternation,.
encouragez par ce qu’il y avoit d’Hofpitaliers
ôc de Templiers dans la Ville, prirent les armes y
Sc comme ils n’étoient point en un affez grand
nombre pour défendre les murailles, au lieu d’at¬
tendre l’ennemi dans la Place, à la faveur des té¬
nèbres &c au milieu de la nuit , ils fe jettent dans>
le Camp des ennemis qu’ils trouvent enfevelis dans»
léfommeil, mettent le feu aux tentes, en coupent:
t>E Malte. Livre!. i oy
ïes cordages, ôc portent de tout côté la terreur 6c raimond
la mort. Pt7Pinr-
Les Infidèles (Surpris ôc épouvantez d une atta-
que imprévue , cherchèrent leur falut dans la fuite ;
tout fe débanda fans tenir de route certaine. Ces
barbares fuyans du côté de Jerico, tombèrent dans
un Corps de Cavalerie commandé par le Roi même,
qui ayant apris qu'ils étoient entrez dans fes Etats,
s’avançoit au fecours de Jerufalem. Plus de cinq
mille furent taillez en pièces ; d’autres furent al-
fommez par les payfans chrétiens. La garnifon
de Naploufè qui les attendoit au retour, acheva
de les difperfer, 6c les pourfuivit jufqu’au bord
du Jourdain, ou ces Infidèles , pour éviter l’épée
des Chrétiens, 6c en voulant le palfer à la nage,
fe précipitèrent 6c furent noyez.
Le Roi par repréfailles réfolut à fon retour d’aller 11 s
ravager le territoire d’Afcalon : il (e mit à la tête
de (on armée, 6c fuivi des Grands Maîtres des
deux Ordres militaires, 6c des principaux Seigneurs
du Royaume, il entra dans le pays, porta le fer
ôc le feu de tout côté , 6c ruina fur tout quantité
de maifons de plaifance 6c de Jardins, qui appar-
tenoient aux principaux habitans d’Afcalon. U s’a¬
vança enfuite julqu’aux portes de cette importante
Place, 6c apre's l’avoir reconnue lui-même, il re-
folut d’en former le fiege. Mais comme il n’avoit
pas aflez de troupes pour une fi grande entreprife,
il convoqua toute la NoblefTe de fon Royaume,
Des pèlerins qui ne faifoient que d’arriver lui of¬
frirent généreufement leurs fervices, 6c des vieil¬
lards du pays, accablez d’années, refie glorieux
Tome A O
106 Histoire de l’Ordre
R ATM ON D
Dupuv.
de la première Croifade,accoururent dans le camp.
On alfigna à chacun fon quartier , pendant que
Gérard Seigneur de Sidon, pour empêcher qu’on
ne lift entrer du fecours dans la Place , tenoit la
mer avec quinze galeres.
La Ville d’Afcalon, une des cinq Satrapies des
anciens Philiftins , étoit fituée au pied d’une coL
line 8c au bord de la mer méditerranée, à fept lieues
de Gaza, Ville chrétienne, frontière du Royaume
de Jerufalem du côté de l’Egypte, & qu’on trouve
en lortant du defert qui lepare ces deux Royau¬
mes , alors occupée par les Templiers,
La figure d’Afcalon étoit celle d’un demi cer¬
cle , formé par la Ville & les maifons ; 8c le rivage
de la mer en étoit comme le diamètre. Cette Place
étoit environnée de hautes murailles foutenues de
diftance en,diftance de fortes tours, remplies de
machines de guerre pour lancer des pierres 8c des
dards • les foftez étoient à fonds de cuve &: pleins
d eau j des ouvrages avancez empéchoient qu’on
n’approchât du corps de la Place, 8c on y avoit
ajouté les fortifications que l’art de ce tems-là avoit
pu inventer. Le Roi tout jeune qu’il étoit condui-
ioit lui-même un fiege fi important-.depuis le grand
Godefroi de Boüillon onn’avoit point vu à la Terre
fainte de Prince qui dans un âge fi peu avancé
joignît à une rare valeur tant de capacité 8c de
un-
Williel. Tyrien- talens pour la guerre. Le fiege fut long 8c très-
opiniâtre ; les attaques vives, continuelles ; la dé-
fenfe aufii courageufe, 8c des forties ou plutôt des
batailles frequentes. Les Chrétiens n’emportoient
point un pied de terrain qui ne leur coûtât beau-
de Malte. Livre I. 107'
coup de monde, 6c fouvent ils perdoient le len- Raimon»
demain ce qu’ils avoient gagné la veille aux dé- —UY‘
pens de la vie de leurs plus braves foldats. Il y
avoir déjà cinq mois que le fîege duroit avec cette
alternative de bons 6c de mauvais fuccès , lorf-
qu une puiflante flore venue d’Egypte , 6c chargée
de vivres 6c de troupes de débarquement, parut
à la hauteur d’Afcalon. Cette flote étoit compo-
fee de foixante 6c dix galeres fans les vaifleauxde
charge, qui portoient une quantité prodigieufe
d’armes & de vivres. L’Amiral chrétien qui n’avoit
que quinze galeres ne fe trouvant pas des forces
luffilantes pour difputer le paffage aux Egyptiens,
fe retira en diligence, 6c les Infidèles débarquè¬
rent leur fecours fans aucune oppofition. Il fut
reçû avec de grands cris de joye de la part de la
garnifon 6c des habitans, qui du haut des tours
infultoient à l’armée chrétienne, 6c demandoient
aux foldats quand ils retournoient à Jerufalem. Il
fembloit effectivement que ce fut le feul parti qu’il
y eût à prendre : c’étoit au moins le fentiment des
Grands 6c de laplûpart des Chefs de l’armée. Mais
le grand Maître des Hofpitaliers, foutenu du Pa¬
triarche 6c de la plupart des Evêques , fe trouva
d’un avis contraire. * Il reprefenta au Roi qu’une pa- L ^lll'ch Ty/S
reille démarche ne ferviroit qu’à avilir le courage p. 928.-
de fes foldats, 6c à rehaufler celui des ennemis,
6c infpireroit peut-être ati Soudan le deffein de
former à fon tour le fiege de Jerufalem. On tint
là-deflus plufieurs confeils : enfin le Roi après
* In oppofita fententia Dominus Patriarcha, Dominus quoque Ty-
rienfis erant cum Clero, confortem habentesDominum Raimundum Ma-
giitrum hofpitalis cum fratribus fuis. Will, Tyrt L. 17,c- -8 s p. 91$*
K ’J
no Histoire de l’Orî^rï
^Duput? fçûi^nc empêcher le Pape de prononcer* que
—-■ le Patriarche & les Evêques de la Paleftine voyant
bien par eux-mêmes & par les avis fecrets quils
recevoient de leurs amis, qu’ils n’obtiendroient
jamais un jugement, prirent congé du fouverain
Pontife, 8c s’en retournèrent chargez, dit cet Hi-
L.ri, c.j. florien , de confufion. Il ajoute que de tous les
Cardinaux, il n’y en eut que deux qui euflent été
allez équitables &c affez fideles à Jefus-Chrift pour
fe déclarer en faveur du Clergé * que le Pape 8c
tous les autres, corrompus par les prefens des HoP
pitaliers, fuivirent, dit-il, les traces de Balaam fils de
l. is, c.,^ Bo^or: comparaifon bien odieufe , ôc d’autant plus
que de ce s deux Cardinaux, félon cet Auteur, fi fi¬
deles à Jefus-Chrift, l’un,qui étoit Od:avien,fe
porta depuis pour Antipape fous le nom de Viéior'
III. &: caufa un fchifme affreux 8c de grands mal¬
heurs dans l’Eglife, &: l’autre, qui étoit Jean de
Morfon, Cardinal du titre de faint Martin, fut:
un des miniftres de fon ambition, 8c le principal!
fauteur du fchifme.
77777* Pour juftifier entièrement la mémoire d'Adrien^
nous ne pouvons nous difpenfer de raporter que
ce Pontifeun des Papes le plus defintereffé qui
eût été affis fur la chaire de faint Pierre, bien-
loin d’enrichir fa famille aux dépens des tréfors
du faint Siégé, n’en fit aucune part à fes parens,.
qu’il pouffa même ce defintereffement jufqu a la
dureté : 8c quoique fa mere qui lui furvécut fut
réduite dans une extrême pauvreté, il fe contenta
par fon teftament de la recommander aux charités
de 1! Eo-life de Cantorberi, Mais fi on en croit Bofio,
£> e Malte. LivreI. ni
Raimon»
îl fuffifoit qu’il le fût déclaré en faveur des Hof¬ Dupuy-
pitaliers pour s’attirer toute l’amertume quidiftille,
dit-il,, de la plume de eet Hiftorien* partial.
Apre's tout le Patriarche de Jerufalem & fon
Hiftorien ne pouvoient ignorer que les prédecef-
feurS d’Ànaftafe avoient déjà accordé aux Hofpi-
taliers la plupart des privilèges en queftion, &
fans qu’on fe fût jamais plaint qu’ils les enflent
achetez à prix d’argent. Mais il eft affez vrai-fem-
blable que les Papes engagez dans de fâcheufes
guerres, foit contre les Empereurs d’Occident y
foit contre les Normands de la Pouille & de la Si¬
cile > & même contre les habitans de Rome, n’a-
voient pas été fâchez de fouftraire les Holpita-
îiers & Templiers de la jurifdiétion des Ordinai¬
res , de par là de s’attacher plus particulièrement
un Corps militaire aufliconfiderable, dont lapuif
fance de les richefTes augmentoient continuelle¬
ment dans toutes les parties de la Chrétienté.
Je ne m’engagerai point à raporter les diffe¬
rentes fondations faites en ces tems-là en faveur
des Hofpitaliers de faint Jean : cela me meneroit
trop loin. Mais je n’ai pas crû me devoir difpen¬
fer d’obferver qu’une partie de ces grands biens
des Hofpitaliers de des Templiers y venoient princi¬
palement des Princes, des Seigneurs de des Gen¬
tilshommes , qui en prenant l’habit de la croix de
ces deux Ordres 3 y donnoient la plûpart de leurs
* Nella narratione délia quai iftorïa il fus dette Aechivefcovo di Tire ,
aggrava molto lamano addoflo a gli Hofpitalieri fcrivendla in queftopar-
ticolare piu tofto corne Prelato 8c Archivefcovo Orientale 8c confe-
quentemente couie mterelfato 8c appafionato che corne iftorico. Bofio,
Tome I. CL
nt Histoire de l'Ordre
Raimond
D^puy. grandes Seigneuries. Ce fut ainfi qu’en ce tems-
là Guy, Comte jk Souverain de Forçaiquier , en
prenant la croix Sc l’habit d’Hofpitalier, donna à
la Religion de faint Jean Ton Château de Manof-
Preuve que, qui confiftoit dans des Terres & Seigneuries
XV. fi confiderables, qu’on en a fait depuis un Bail¬
liage avec le titre de Bailli pour le Commandeur.
Les Grands d’Efpagnc ne le cederent point aux
François dans ces fentimens d’eftime pour les deux
Ordres militaires , ,6e l’Hiftorien d’Arragon nous
aprend que vers îan 1153, Dom Pedro Dartal, pre¬
mier Baron de ce Royaume, donna aux Hofpita-
liers 6e aux Templiers la Cite de Borgia avec fes
dépendances , qu’ils changèrent depuis avec Rab
mond Berenger, Prince d’Arragon ^ contre Dum*
bel, le Château d’Alberic 6e celui de Cabanos.
Ces donations frequentes en ces tems-là furpren*
dront moins, fi on fait attention au digne ufage
qu’en faifoient ces Religieux militaires. De tous
ces grands biens les Hospitaliers 6e les Templiers
n’en tiroient pour eux qu’une fubfiftance frugale ;
tout le refte étoit confacré ou à la nourriture des
pauvres , ou à foutenir la guerre contre les Infw
deles.
Cependant ce s guerriers fi fiers 6e fi terribles
dans les combats, devenoient d’autres hommes
quand ils rentroient dans leur Couvent. A peine
avoient-ils quitté les armes , qu’ils reprenoient
avec l’habit régulier tous les exercices de leup
première profeflion. Les uns s’attachoient au fer-
vice des malades-, d’autres étoient occupez à r
cevoir les pèlerins > ceux-ci nettoyent leurs arnica
de Malte. Livre I. 12.5
ou racommodoient eux-mêmes les harnois de Raimond
Du PU Y.
leurs chevaux, 6c tous dans ces differens emplois 1 mW <1 i«r—
LIVRE SECOND-
L ES Hospitaliers neurent pas plutôt
rendu les derniers devoirs au Grand Maître,
qu’ils s’affemblerent pour l’éleélion de Ton lue-
cefleur. On propofa pour remplir cette grande
AvGER
place, Frere Auger de Balben. Le defintereffe- deBalben*
ment, la modeftie ôc même l’humilité * qui re-
gnoient dans ce premier fiécle de 1 Ordre, em¬
pêchèrent qu’on ne vît paroître aucun concurrent.
Balben fut élu par acclamation, &: avec les fufîra-
ges unanimes de tout le Chapitre. C etoit un Gen¬
tilhomme François de la province de Daufiné, an¬
cien compagnon d’armes de Raimond Dupui >
d’un âge fort avancé , révéré dans l’Ordre par fa
pieté ôc par fa prudence, ôc dont les avis étoient
même d'un grand poids dans le Confeil du Roy.
L’hiftoire nous en fournit une preuve au fujet
du fchifme qui s’éleva dans l’Eglife apres la mort
du Pape Adrien IV. Le Cardinal Roland, Chan¬
celier de l’Eglife Romaine avoir été élevé fur la
Chaire de S. Pierre par les fuffrages de la plus
grande partie des Cardinaux, & il en étoit digne
par fa pieté, ôc par une grande expérience dans
le gouvernement de l’Egliïe, où il avoit toujours
eu beaucoup de part. Il prit le nom d’Alexandre
III. Cependant au préjudice d’une éleélion fi ca¬
nonique , le Cardinal Oétavien emporté par fon
ambition, ôc foutenu par la plupart des Sénateurs
* Ad hoc etiam milites templi Hierofolymitani , ac fratres de HofpL
tali fub religiofo habita continenter viventes, ubique fe multiplicande
in religiofîtate fe defendebant. Chron. GttilUde Nangis ad an», im.
Riij
j^4 Histoire de l Ordre
Aü G E R & des Grands de Rome qui étoient fes parens >
diBalben.
s’étoitfait nommer Pape fous le titre de VicftorlII.
par les Cardinaux Jean de Morfon du titre de S.
Martin êc Guy de Crème du titre de S. Calixte.
L’Empereur qui dans fes démêlez avec la Cour de
Rome,avoit éprouvé la fermeté du Cardinal Ro¬
land 5 favorifoit l'intrufion de l'Antipape j les Rois
de France, d’Angleterre, de Naples & de Sicile (e
déclarèrent pour Alexandre. Cette concurrence
partagea toute l’Eglife, &c produifit le fchifme fu-
îiefte dont nous parlons..
Le Pape qui defiroit d’être reconnu par l'Egide
Latine de l’Orient, y envoya pour Légat, Jean,.
Prêtre Cardinal du titre de S. Jean & de S. Paul.
Des vaiffieaux Génois pafferent le Légat dans la
Phénicie, & il débarqua à Gibile qu’on appelloit
autrefois Gébal. Il envoya auffi-tôt au Roy une
copie de fes pouvoirs,, & demanda a ce Prince, de
pouvoir exercer fa légation dans tout le Royaume.
Mais comme les avis fe trouvèrent partagez dans
le Confeil, le Roy lui fit dire de refter à Gibile
jufqu'à ce qu’il fût mieux inftruit de ce qui s’é-
toit paffé dans leleétion des deux prétendans.
i I 6 o, Cependant on convoqua un Concile à Nazaret,
Ii6i. où fe trouvèrent Amauri, Patriarche de Jerufalem,
Pierre Archevêque de Tyr, tous les Evêques de
la Paleftine, &: les Grands Maîtres des deux Or¬
dres militaires. Le Roy y voulut affilier avec fon
Confeil & les principaux Seigneurs du Royaume.
Il étoit queftion dans cette affiemblée de décider
fous quelle obedience la Paleftine fe rangeroit.
Les avis fe trouvèrent partagez ^ les uns £e décla*
de Malte. Liv. II. ijj
rcrent en faveur d’Alexandre , d’autres lui préfe- Auge*.
JdbBalben
roient l’Antipape • 6c outre differents faits qu’ils
alleguoient pour juftifier que fon éleéhon étoit
canonique , ils repréfentoient que ce Cardinal,
du vivant d’Adrien, avoit toujours défendu avec
un grand zele, les interefts de l’Eglife 6c du Clergé
de la Paleftine. Mais on a pu voir dans le Livre
précèdent que ce prétendu zele n’avoit abouti
qu’à fe déclarer avec le Cardinal de Saint Martin
dans l’affemblée de Ferento contre les Hofpita-
liers.
Tel étoit le principal motif, qui attachoit quel¬
ques Evêques au parti du Cardinal Odravien. Le
Roy qui craignoit que cette diverfité de fentimens
n’introduisît le fchifme dans fes Etats, ouvrit un
rroifiéme avis. Il propofa aux Peres du Concile de
ne fe déclarer pour aucun des prétendans jufqu a
ce que l’Eglife dans un Concile général en eût
décidé • que cependant en confideration du mé¬
rité du Légat, on pourroit lui permettre d’entrer
dans Jerufalem, d’y faire fes Hâtions, 6c de vifiter
les Lieux faints ; mais en qualité de particulier, ôc
fans exercer aucun aéte de fa légation.
» Le fchifme ne fait que naître ( lui fait dire
« Guillaume deTyr ; ) on ne connoît point encore
» affez diftinétement de quel côté eft le bon droit.
» Pourquoi dans une affaire de cette importance
» fe déterminer fi promptement ? D’ailleurs, ajou-
» ta ce Prince, quel befoin a l’Eglife de la Pale-
« ftine d’un Légat, Officier de la Cour de Rome >
« Ne feait-on pas que fes femblables n’entrent ja-
«mais dans un Royaume, fans, par leurs exa&ioos*
136 Histoire de lOrdre
Av g-er „ ruiner les Eghfes 6c les Monafteres ? Et l’Etat
deBalbek. , . r,■ \ ° • ti ,.i r r
-- » epuile par les guerres continuelles qu il faut iou-
« tenir contre les Infidèles , pourra-t’il fournir les
fournies immenfes quon exige , lous prétexte de
« fubvenir aux frais néceflaires de la légation?
Un motif fi preffant, 6c qui interelfoit particu¬
lièrement le Clergé , Ôc appuyé par un Prince ré¬
véré par les grandes qualitez , ramena la plupart
des Evêques à Ion avis -, ôc il auroit palfé tout d’une
voix , fi l’Archevêque de Tyr foutenu du Grand
Lvv' Maître des Hofpitaliers ne s’y fut généreufement
-oppole. L’Archevêque repréfenta avec beaucoup
de force que l’éledion d’Alexandre étoit canoni¬
que , faite avec le confentement de la plus faine
partie du Clergé 6c du peuple de Rome 3 que le
trouble qu’un Cardinal ambitieux excitoit dans
l’Eglife , ne difpenfoit point les fideles de lobé if-
fan ce a&uelle que tous les Chrétiens dévoient au
légitime Vicaire de Jefus-Chrift 3 que la voie de
fufpenfion dans cette occafion ne mettroit point
leurs confidences en fureté 3 6c qu a Ion égard ,
il étoit réfolu d’adhérer à un Pape qui avoit eu
dans fon éledion la plus grande partie des fuffra-
ges des Cardinaux, 6c les vœux de tous les gens
de bien. Enfin ce Prélat parla avec tant de zele
6c de fermeté , que le Roy fe rendit à fon avis.
Le Légat fut admis dans le Royaume 3 mais il n’y
eut pas long-teins exercé les fondions y ôc exigé
les droits de fa légation, fans être à charge à ceux-
mêmes qui d’abord avoient témoigné plus d em-
prefleïnent pour fa réception : ce font les propres
termes de Guillaume, Archevêque de Tyr.
Le
de Malte. Livre IL i37
Le Patriarche de Jerufalem e'crivit en fon nom Auceh
DE BALBEN.
& au nom de fes fuflfragans au Pape Alexandre ,
pour lui faire part de ce qui s^étoit pafle en fa
faveur dans le Synode de Nazaret. » Ayant ap¬
>5 pris , lui dit-il dans fa lettre , que votre élec¬
»
de Malte. Livre II. 151
empêchât de pénétrer dans la Paleftine. le Grand Gl(lBERT
Maître, foit par complaifance, foit emporté par 'p’Assalit.
Ton courage, entra avec ardeur dans tous les def.
feins du Roi. C’étoit à la vérité un homme plein
de valeur, hardi, entreprenant? mais dun genie
peu mefuré, & capable de fe laiffer feduire par
des efperances fbuvent mal-fondées. Il donna au
Roi de grandes louanges fur la hardiefTe dun pa¬
reil projet, qui répondoit, dit-il, à la grandeur
de Ion courage : & il témoigna à ce Prince com¬
bien il fe tenoit honoré de la part qu’il vouloit
bien qu’il y prît. Mais, quoique ce Grand Maître
fût à la tête d’un puiffant corps de guerriers, fon
autorité étoit temperée par celle d’un Confeil,
qui ne fe déterminoit dans toutes fe s entreprifes ,
que par le plan fixe de fa réglé & de fes fîatuts :
quelque impatience queût le Grand Maître de
prendre les armes , il commença à craindre que
les Hofpitaliers ne fiffent difficulté de s’engager
dans une expédition qui n’avoit pas directement
pour objet la défenfe des faints Lieux, & la con-
fervation des Pèlerins & du Peuple chrétien.
Le Roi & le Grand Maître eurent à ce fujet
plufieurs conférences. Le Grand Maître reprefen-
ta au Roi que pour engager le corps de l’Ordre
dans cette ehtreprife, dont les frais feroient confi-
derables, il falloit intereffier le Confeil par l’efpoir
d’une récompenfe folide, & qui le dédommageât
de fes avances; & ils convinrent que fi l’armée
chrétienne pouvoit faire la conquefte de la ville
de Belbeïs, autrefois appellée Pelufium, le Roi - t ^_
en cederoit à l Ordre la propriété. Le Grand Mai-
iji Histoire de l’Ordre
Gilbert
e’Assalit.
tre fie parc de cette propofition au Confeil de
l’Ordre : il y reprefenta l’importance de cette Pla¬
ce , 6c tout l’avantage que la Religion pourroit
tirer d’une pareille conquefte, &: fur-tout , qu’en
cas que les TurÆmans qui devenoient de jour
en jour plus redoutables , fe rendirent maîtres de
la Paleftine, l’Ordre pourroit transférer fa réfi-
dence dans cette Place, d’ou il ne lui feroit pas
difficile, dans des conjonctures plus favorables,
de rentrer dans la Terre Sainte, 6c d’en chaffèr
les Barbares à leur tour.
Les plus anciens Hofpitaliers, gens qui joi-
gnoient à une delicateffie d’honneur, l’obfervance
lcrupuleufe de leur Réglé, lui reprefenterent qu’ils
étoient Religieux, 6c que l’Eglife ne leur avoir
pas mis les armes à la main pour faire des con¬
quêtes. Qu’ils ne pouvoient s’en fervir que pour
la défenfe de la Terre Sainte; d’ailleurs , quon ne
pouvoir pas attaquer une nation, quoiqu’infîdelîe,
qui fe repofoit fur la foi d’un traité de paix qu’on
venoit de figner.
Mais d’autres Hofpitaliers , les uns amis du
Grand Maître, 6c quelques-uns gagnez par le Roi
même, fe déclarèrent pour la guerre : ils foutin-
rent que quelque traité qu’on eût fait auparavant,
foit avec les Turcomans, foit avec les Sarrafins,
ces infidelles, quand ils s’étoient pu flater de fur-
prendre les Chrétiens , les avoient toujours violez^
que ces Barbares n’avoient pas obfervé avec plus
de fidelité le dernier traité, 6c qu’on avoir des avis
certains que leurs garnifons ne laiffioient pas de
faire des courfes fur la frontière. Qu’un de leurs
partis
\
>
i8o Histoire de l’Ordre
Joubert. jes Eghfes publiques. Le Concile ordonne que
dans tous les lieux où les Lépreux vivront en
communauté, ils puiffent avoir une Eglife , un
cimetiere 6c un Prêtre particulier : c’elt la pre¬
mière conftitution que l’Eglife ait faite en faveur
des Lépreux , quoiqu’en difent certains Hifto-
riens modernes. *
La jaloufie que le Clergé de la Paleftine con-
- . - fervoit contre les Ordres militaires, n’avoit point
1178. empêché Tannée precedente Renaud Seigneur de
Margat, de faire aux Hofpitaliers une nouvelle
donnation , ou, pour mieux dire, de faire avec
ces Chevaliers un échange de ce Château fitué
fur les confins de la Judée, ainfi que nous l’appre¬
nons de l’auteur des Aflifes de Jerufalem, Ces
Religieux le fortifièrent , y mirent garnifon, 6c
en firent depuis de ce côté là un des plus puilfans
boulevars de la Chrétienté en Orient.
Cette acquifition ne fut pas capable de com-
penfer la perte que l’Ordre fit la même année de
Frere Joubert Ion Grand Maître , auffi fage 6c
auffi habile dans le gouvernement , que grand
Capitaine. Les Hiftoriens contemporains rapor-
tent que Saladin ne pouvant fouffrir que les Hofi
pitaliers euffent fortifié une Place fur la frontière
de fes Etats, la fit affiéger par un de fes Généraux.
Ce fiége fut long 6c meurtrier : le Grand Maître
* Ecclefiaitici quidam quæ fua funt, non quæ Jeiu-Chriftiquærentes,
Leproiïs quicum fanis habitare non pofluntj 8c ad Ecclefiam cum aliis
convenuey Eccleiîas 8c cæmeteria non permittunt habere , nec proprio
juvare minifterio Sacerdotis s quod quia proculàpietate chnftiana alic-
num dignofcitur 3 de benigmtate apoftolicà condicuimus, ut ubicum-
que tôt Emul fub communi vita fiierint congregati, quod Ëcclefîam fibi
cum cæmeterio conftituere , 8c ptoprio valeant gaudere prelbytero line
cofMadiëhronèa(liq;ua jpermittantur habere. 3. Conc, Lut. ch, if.
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7
de Malte. Liv. IL 181
JOUBERT.
des Hofpitaliers qui s’étoit enfermé dans cette
Place, foutint plufieurs allants avec beaucoup de
courage* La plupart de fes Chevaliers animez par
fon exemple, Ôc qui combattoient fous fes yeux,
fe firent tuer en défendant les brèches, fans que
le Grand Maître voulut entendre parler de capi¬
tulation. Enfin les Infidèles firent de fi puiflans
efforts , qu’ils emportèrent la Place l’épée à la
main , taillèrent en pièces ce qui reftoit de Che¬
valiers , firent prifonnier le Grand Maître : ôc leur
Commandant, pour fe venger de la réfiftance du
Grand Maître, le fit jetter dans un cachot, où on
le lailfa mourir de faim. C’eft ainfi que cet illuflre
Chevalier couronna une vie employée à la dé-
fenfe des Autels, par une mort précieufe devant
Dieu. D’autres Auteurs prétendent qu’il ne tomba
point entre les mains des Infidèles -, mais que
voyant la décadence du Royaume de Jerufalem,
il en mourut de chagrin.
Le Chapitre s’étant affemblé après fa mort, fit
Roger
remplir fa place par Frere Roger Desmoulins
Desmou¬
Chevalier, qui par fa conduite ôc par fa valeur, lins.
r
de Malte. Livre II 183
Roger
Grands Maîtres le lignèrent par le confeil, difent- Desmou¬
ils dans cet aéte , ôc par la volonté exprefle des lins.
chemens.
Les Chrétiens latins, tous foldats, & qui vou-
loient que leur Prince fût Capitaine, portèrent
leurs plaintes au Roi, de la lâcheté de Ion beau-
frere.3 & la plûpatt des Seigneurs protefterent
hautement qu’ils ne marcheroient jamais en cam¬
pagne fous fes ordres. Le Roi, pour les fatisfaire,
retira le pouvoir qu’il lui avoit confié ^ & comme
fouvent les Princes ne mettent point de bornes,
ni à leurs faveurs, ni à leur refTentiment, on le pri¬
va du Comté de Jaffa, comme incapable de dé¬
fendre cette importante Place, qui étoit une des WilL Tyr.
clefs du Royaume. Le Roi défigna en même tems 1.23.
pour fon fucceffeur, le jeune Baudouin , fon ne¬
1183.
veu, fils delà Princeffe Sybille , & du Marquis
de Montferrat, fon premier mari, quoique ce
jeune Prince eût à peine cinq ans. Ce change¬
ment remplit l’Etat de divifions. Guy de Lufignan
fe retira à-Afcalon, où il fe fortifia d’abord con¬
tre le parti qui lui étoit oppofé. Mais, comme
ce Prince étoit plus capable de faire éclater fon
mécontentement par de vains difeours, que de
le foutenir les armes à la main, il revint bien-tôt
à la cour -, & en échange d’une Couronne &: d’une
Souveraineté qu’on lui avoit fait efperer, & qui
n’a jamais de prix, il fe contenta de la Comté de
Jaffa, qu’on lui avoit enlevée, & qu’on lui rendit
avec le titre de penfionnaire du Roi.
Baudouin , qui n’étoit plus en état d’agir par 1184.
lui même , remit le foin du gouvernement au
191 Histoire de l’Ordre
Roger Comte de Tripoli, moins par confiance , que dans
Des m o u-
l ins la crainte , s’il en étoit exclus, qu’il n’excitât de
nouvelles brouilleries dans l’Etat. Raimond Fau¬
teur fecret de toutes les cabales de la Cour ,
refufa d’abord la Regence qu’il fçavoit bien
que perfonne n’accepteroit à fon préjudice.. Il
fallut que le Roi lui en fît de preflantes inftan-
ces, & il ne confentit à fe charger du gouverne¬
ment , qu’à condition que les Hofpitaliers ôc les
Templiers s’engageroient de défendre toutes les
Places qui pourroient être attaquées. Cependant,
pour affermir fon autorité, il obtint une nou¬
velle trêve de Saladin, mais que ce Prince infi¬
dèle , pour fe dédommager des frais de la guerre,
n’accorda qu’à prix d’argent.
L’objet des Chrétiens , en demandant cette:
trêve, étoit de s’en fervir pour avoir le tems de
fe procurer une nouvelle Croifade, ôc les fecours*
des Princes d’Occident. Il étoit queftion d’y en¬
voyer une AmbafTade folemnelle, ôc de charger
de cette négociation des perfonnes habiles, ôc
qui fçûifent s’attirer de la confideration par leur;
rang ôc par leur mérité.
Heraclius, Patriarche dejerufalem, s’offrit pour
1184. cet emploi ^ homme vain, préfomptueux, Ôc qui
fe vanta de ne revenir qu’à la tête d’une armée,,
compofée des plus puiffans Princes de l’Europe,
Celui de ces Souverains fur lequel il camptoit le
plus, étoit Henry II. Roi d’Angleterre , petit-fils
de Foulques, Comte d’Anjou, ôc Roi de Jerufa-
lem, ôc par confequent, coufin germain de Bau¬
douin. Ce qui augmentoit encore la confiance
du
de Malte. Livre IL 193
du Patriarche , c’eit qu’il avoit appris que le Prin¬ R O GE R
Desmou¬
ce Anglois n avoit reçû l’abfolution du Pape au lins,
1
204 Histoire de l’Ordre
Roger
Desmou-
comptoit dans fon armée prés de cinquante milld
LINS. chevaux fans l’infanterie ; 8c la plupart de ces
troupes étoient compofées des anciens habitans
du pays ou de leurs enfans , que les Rois de Jeru-
falem depuis la conquête de Godefroi de Bouillon
en avoient chaffez. Tous revenoient à la fuite de
Saladindans l’efperance d’une prochaine conquête,
8c de rentrer dans l’heritage de leurs peres.
Le Sultan favorifé fecretement par le Comte
de Tripoli, ne trouva point d’obftacle à fa mar¬
che , 8c venoit pour former le fiége de la ville
II87. d’Acre. Le Roi en avoit confié la défenfe aux deux
Grands Maîtres, qui s’avancèrent au devant de
l’ennemi avec un grand nombre d’Hofpitaliers
8c de Templiers : l’Etat n’avoit point de ref-
ContinW ill fource plus affinée. Les deux Grands Maîtres
Tyr. Liv. /.
ch. f. ayant fait prendre les armes à la garnifon 8c. à
tous les habitans, fortirent la nuit de la Place.
Les Chrétiens tenant d’une main leur épée , Ôc
du feu dans l’autre, furprennent les Infidèles, en¬
trent dans leur camp , abattent les tentes, cou¬
pent la gorge à tous ceux qu’ils trouvent endor¬
mis , mettent le feu par-tout. La terreur 8c la con-
fternation fe répandent dans l’armée ennemie ; mais
le jour qui commença à paroître, 8c la préfence
de Saladin les rafiura * chaque corps fe rangea
fous fes enfeignes ; on en vint à un combat réglé,
8c on chercha à envelopper les Chrétiens.
Quoique les Infidèles Biffent fuperieurs en nom¬
bre , les Religieux militaires qui n’avoient jamais
compté leurs ennemis, font ferme, pouffent l’en¬
nemi qui fe trouve devant eux , s’attachent au
de Malte. Livre IL 105 Rogfr
cojrps même que Saladin avoit rallié : tout com- D e s m o u-
bat, tout fe mêle • on tue tout • des ruiifeaux de ——-
fang coulent de tous cotez 5 point de quartier ni
de prifonniers : une fureur égale animoit les fol-
dats de chaque parti. Si Saladin dans cette aétion
fit voir autant de conduite que de courage , les
deux Grands Maîtres de leur côté, ôc foutenus de
leurs braves Chevaliers , firent des prodiges de
valeur. Le Grand Maître Defmoulins , à la tête
des Hofpitaliers, perça plufieurs fois les efcadrons
ennemis ; rien ne tenoit devant lui. Le Comte de
Tripoli qu on prétend qui fe trouva mafqué dans
cette occafion, & qui combattoit en faveur des
Infidèles, pour fe défaire d un Guerrier fi redou¬
table , tua fon cheval, qui en tombant fe rem
verfa fur le Grand Maître j & le poids de fes ar¬
mes l’empêchant de fe relever, les Infidèles le per¬
cèrent de mille coups après fa mort , foie pour
1187.
venger celle de leurs compagnons, ou que ces
Chronqae
barbares craigniflent encore qu’un fi grand Ca-
fdtaine ne fe relevât. * Plufieurs Hofpitaliers , en
de Nangis.
Roger de tioveden ,
dm terra in qua pedes Domini iteterunt , fuerit fub pedibus jmmiçi,
p. 6)0,
de Malte. Livre II. 2,17
à cheval, tant que la Terre Sainte feroit foulée E R M I N-
11 8 8.
Il fe tint dans leurs Etats differentes affemblées
pour trouver les fonds néceflaires à un fi grand
armement ^ & en France & en Angleterre, on
convint que tous ceux qui ne fe feroient pas croi-
fez, donneraient au moins la dixme de tous leurs
biens, meubles & immeubles ; ce qui fit appeller
cette forte d’impofition là Dixme Saladine ,
parceque le principal objet de la levée de ces
deniers étoit de fournir aux frais de la guerre qu’on
devoit faire à ce Prince, Les Ordres de Cîteaux,
des Chartreux, de Fontevraux, Ôc la Congréga¬
tion des Freres Lépreux furent exempts de cette
fubvention. Pierre de Blois prétendit à leur exem¬
ple ? que le Clergé Séculier n’y devoit pas être
de Malte. Liv. II. 119
Eumïiî-
afïiijetti -, il en écrivit à Henri de Dreux Evêque gardDaps
d’Orléans, & coufin germain du Roi Philippe : Le
» Prince, lui dit - il dans fa lettre, * ne doit exi-
« ger des Evêques 8c du Clergé que des prières
» continuelles pour le fuccès de fes armes : * * fi le
» Roi veut s’engager dans cette entreprife, qu’il
» n’en prenne pas les frais fur les dépouilles des
» Eglifes 8c des pauvres ; mais fur fes revenus par-
» ticuliers, ou fur le butin qu’il fera fur les enne-
» mis, 8c dont on devroit enrichir l’Eglife , loin
» de la piller fous prétexte de la défendre. Elle eft
» libre, dit-il dans un autre endroit, par la liberté
» que J. C. nous a acquife -, mais fi on l’accable
» d’exa&ions, c’eft la réduire enfervitude comme
» Agar. On voit ici un jeu de mots dont nous
avons déjà parlé ; 8c que fous les termes équivo¬
ques d’Eglife 8c de liberté ^ il femble que l’Eglife
chrétienne délivrée par Jefus-Chrift, ne foit corn-
pofée que du feul Clergé, ou que le Sauveur des
hommes nous ait délivrez d’autre chofe que du
péché.
L éloquence de Pierre de Blois mal employée
en cette occafion n’empêcha point qu’on ne le¬
vât des fommes immenfes en France 8c en An¬
gleterre. On établit des Commiffaires pour cette
colleéte, entre lefquels étoient un Hoipitalie-r 8c
un Templier députez des deux Ordres militaires
* Reverendiiïime de dile&iflîme Pater mi, tuæ diferetioni committo
îleligioforum quietem, pacem iîmplicium, çaufam Çhriiti 3 de Eccle«
fiæ libertatem. Epifi. iii-
LIVRE TROISIEME.
J E ne sçai fic’cft à l’éloignement des tems ou
à la négligence des premiers Hiltoriens, que
nous devons attribuer l’ignorance où nous Tom¬
mes de la Maifon fk de l’origine des premiers
Grands Maîtres, & fur-tout du fuccefleur de Duifi
fon. Ce fuccefleur dans les anciennes chroniques y
s’appelle Frere Alphonse de Portugal. On le Aiphonsê
croit communément iflîi des Princes de cette Portugal
nation ; mais on ne nous a point inftruits de quelle x l
branche il fortoit ; on convient feulement que
c’étoit en ligne indirecte. Des Auteurs modernes
prétendent qu’il portoit le nom de Pierre, & qu’il
étoit fils d’Alphonfe premier Roi de Portugal.
Quoi qu’il en foit, tous les Ecrivains qui ont parlé
de lui, nous le reprefentent plein de valeur & de
pieté, également exact dans la difcipline régulière
ôc militaire , fcrupulêiix obfervateur des ftatuts ,
mais naturellement fier & hautain j & on s’apper-
çut depuis fon élévation au Magiftere, qu’il mê-
loit la dureté de fon humeur dans les ordres qu’il
Jonnoit au fujet du gouvernement.
Il ne fut pas plutôt reconnu pour Grand Maître,
que l’elprit rempli de certaine idée de perfection
peu pratiquable parmi des Guerriers, ôc dans la vue
<ie réformer des abus qui s’y étoient introduits,
il convoqua un Chapitre général dans la ville de
Margat y où l’Ordre depuis la perte de Jerufalem
avoit transféré fa réfidence. Pour ne pas faire éclar
ïjé Histoire de l’Ordre
Alphonse ter fonprincipaldeflern,iln’attaqua d’abord qu’un
d E
Portugal certain abus qui confondoit fou vent la Noblefle
féculiere avec les Chevaliers profer. Ces Gentils¬
hommes, à leur retour en Occident, & dans leurs
provinces, affeéloient de porter la Croix de S. Jean
de Jerufalem. Pour l'intelligence de ce fait parti¬
culier, il faut fçavoir que ce qui fe trouvok de
Nobleffe dans les Croifàdes ou dans les pelerina-
ges, étant arrivez dans la Paleftine, fe rangeoienc
volontiers fous les enfeignes= de la Religion. Il y
en avoir même qui envoyoient leurs enfans en¬
core jeunes jufques dans la Paleftine, pour être éle¬
vez dans la Maifon de S. Jean , Sc fous la difci-
pline des Chevaliers, comme dans la plus excel¬
lente école où ils puflent fe former dans Part mi¬
litaire.
On fouffroit aux uns & aux autres, tant quils
demeuroient à la. terre Sainte , 8c qu’ils combat-
toient fous les étendarts de l’Ordre ,, d’en porter
la Croix } mais à leur retour en Europe > s’étant
faits un droit de cette indulgence, le Grand Man
tre , pour empêcher qu’on ne les confondît avec
les Chevaliers profez, fit ftatuer par le Chapitre,.
qu’ils ne feroient confiderez que comme troupes
auxiliaires, 8c qu’ils ne pourroient porter la Croix
que lorfquils combattraient contre les Infidèles
fous les étendarts de la Religion.
De cet article particulier de réformation , lé
Grand Maître pafla à d’autres qui concernoient
principalement les Chevaliers profez y 8c pour les
faire recevoir plus aifément, il commença par fa
propre maifon 8c par fon équipage, qu’il réduifit
de Malte. Livre III. 157
à un Major-dome, un Chapelain, deux Chevaliers, Alphonse
d E
trois Ecuyers, un Turcopolier ôc un Page. A cha¬ Portugal
cun de ces differens Officiers de fa maiion , il ne
laiffia qu’un cheval pour les porter. A l’egard de fa
perfonne, il ne referva c^ue deux chevaux de main
&: une mule, équipage a la vérité très modelte ,
mais peu convenable au Chef d’un grand Ordre
militaire , ôc qui étoit tous les jours à la tête des
armées..
De ce reglement particulier fe faifant un droit
de réformer tous les Chevaliers, apres leur avoir
reproché ce qu’il appelloit leur luxe, ôc même leur
moleffie, il propofa differens réglemens : alimens,
habits , équipages , tout paffa par un fevere exa-
men ôc par une réforme auftere : on ne peut pas
dire que ce Grand Maître n’eût pas de trevs bon¬
nes intentions ; fon deffein étoit de faire revivre
la difcipline établie par Raimond Dupuy , ôc qui
deNs ce tems là étoit fort relâchée. On rapporte
qu’entendant quelques murmures dans l’affem-
blée, il leur demanda s’ils étoient plus délicats
que leurs prédéceffeurs, ôc s’ils navoient pas fait
aux pieds des autels une profeffion folemnelle des
mêmes vœux de la Religion. On lui reprefenta en
vain la différence des tems, ôc que le genre de vie
qu’il propofoit, n’étoit pas compatible avec les
fondions d’une guerre continuelle, ôc dans une
conjondure où depuis la perte de Jerufalem ils
étoient tous les jours à cheval ou dans la tranchée.
Pour lors prenant un ton de voix plus élevé : Je
t , ,
•veux 3 dit il fierement être obéi cr fans réplique
A.ces mots, toute l’affemblée éclata en plaintes
Tome L Kk
/
258 Histoire de l’Ordre
Alphonse
d E
ôc un ancien Chevalier lui fie fentir que le Cha¬
Portugal. pitre n etoit pas accoutumé à entendre parler fes
luperieurs en Souverains.
L’aigreur fe mêla bien-tôt à des conteftations fi
vives , ôc fut enfiiite pouffée fi loin, que les Che¬
valiers de concert, ôc avec trop d’obftination, re-
fufèrent d’obferver les reglemens qu’il propofoit.
Le Grand Maître de Ion côté , quoiqu’il ne fût
iortiqu indireéfement d’uneMaifon Royale, pour
prouver fa légitimation, affeétoit tout l’orgueil
du trône. Les uns ôc les autres ne voulant rien
relâcher, on en vint enfin à une révolte déclarée.
L’Ordre tomba dans une efpece d’anarchie, ôc le
Grand Maître ne trouvant plus d’obéiffance dans
fes Religieux, abdiqua fa dignité, ôc le retira en
Portugal. Il y fut encore plus malheureux, ôc il
périt depuis dans des guerres civiles ou il s’étoit
engagé. C’eft ce que nous apprenons de differens
Hiftoriens, quoiqu’ils ne conviennent ni de fon
propre nom, ni de celui du Prince qui lui avoit
donné la vie.
L’Ordre, apres fon abdication, choifit pour fon
Geofroy fucceffeur Frere Geofroy le Rat, de la Langue
■ie Rat.
de France, vieillard vénérable, doux, affable, peu
i!9S- entreprenant, ôc qui par là mérita les fuffrages de
fes confrères. Il fe fit prcfque en même tems une
nouvelle révolution dans la principauté de la pe¬
tite Arménie, Ôc dont par ion habileté il arrêta
les fuites. Nous avons dit que deux freres, Sei¬
gneurs des plus confiderables de cette nation,
l’un appellé Rupin de la Montagne, ôc le Cadet,
Livron ou Leon, apres la mort du renégat Melier,.
de Malte. Livre III. 259
s’étoient emparez de ce petit Etat. Boëmond III. Geofroy'
e Rat.-
Prince d’Antioche, & devenu Comte de Tripoli ,
pouffé d’une ambition démefurée & dans la vue
d’agrandir Tes Etats aux dépens de Tes voifins, fous
prétexte d’une conférence, Ôc de prendre avec le
Prince d’Armenie des mefures contre les Infidèles
leurs ennemis communs , avoit attiré ce Prince
dans Antioche , ôc l’y avoit fait arrêter. Livron
quelque tems apres tourna contre lui fon propre
artifice , & fous prétexte de traiter de la liberté
de fon frere , il le trouva le plus fort au rendez-
vous 3 tailla en pièces l’efcorte de Boëmond, le
fit arrêter & conduire dans une Place forte 011
il le retint prifonnier, (ans vouloir d’abordenten-
dre parler d’aucune négociation de paix.
Chaque nation prit les armes en faveur de fon
Prince. Les Infidèles leurs voifins n’auroient pas
manqué de profiter d’une guerre fi préjudiciable
aux Chrétiens • mais le Patriarche & le Grand
Maître qui en prévirent les fuites funeftes, inter¬
vinrent dans ce différend. Le Prince Livron ne
vouloit d’abord écouter aucune proposition, foit
que gouvernant l’Etat pendant la prifon de fon
frere, il eût de là peine à fedéfaifir de l’autorité
Souveraine, foit auflî peut-être, comme l’évene-
ment le fit voir, pour tirer de plus grands avan¬
tages du traité. Quoiqu’il en foit, il ne voulut point
confentir à l’échange des deuxprifonniers, qu’aux
conditions que la principauté d’Antioche releve-'
roit dans la iuite de celle d’Armenie, & que pour
gage d’une fincere réconciliation entre les deux
Maifons, le fils aîné du Prince d’Antioche avant-
Kkij,
iéo Histoire de l’Ordre
Geofroy
ls Rat.
que fon pere fortît de prifon, épouferoit Alix fille
unique de Rupin , 6c que les enfans qui forti-
roient de ce mariage, feroient reconnus après
leur pere pour heritiers préfomptifs de la Princi¬
pauté d’Antioche, 6c fans pouvoir rien prétendre
à celle d Arménie qu après la mort de Livron
même. Quelques dures que fuiTent ces conditions,
Boemond, dans l’impatience de recouvrer fa liber¬
té , foufcrivit à tout • 6c après la confommation
du mariage, les deux Princes prifonniers furent
échangez. Celui d’Antioche de retour dans fes
Etats, pour avantager le Prince Raimond fon fé¬
cond fils , lui donna le Comté de Tripoli ; 6c de¬
puis la mort de fon aîné , 6c au préjudice des en-
fans que ce jeune Prince avoit laiiTez de fon ma¬
riage avec la Princeffe d Arménie, il voulut en¬
core le faire reconnoître pour fon fucceffeur à la
Principauté : ce qui caufa de grands démêlez dont
nous aurons lieu de parler dans la fuite.-
A la faveur de la trêve qui fubfiftoit encore
avec Safadin, 6c les autres SuccefTeurs de Saladin,
les Chrétiens de la Paleftine 6c les deux Ordres
militaires qui en faifoient toute la défenfe, jouif-
foient d’un peu de relâche: les uns 6c les autres
dévoient ce repos paffager à une famine affreufe
ï i 9 6*
dont en ce tems-là l’Egypte fut affligée. On fçait
que ce grand Royaume doit toute fa fertilité à
des inondations régulières du Nil, qui en ré¬
pandant fes eaux fur Ta furface de la terre, y laiffc
un limon mêlé de nitre, qui engraiffe la campa¬
gne 6c porte l’abondance dans toutes les Provin¬
ces où il coule, Cette inondation avoit manqué
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Hofpitalis farrcp Joannis, impetum paganorum fuftmuerunt, & pro mu-
ro fuerunc fugientibus quoties illas iuas faciès ©Itendebant. Matt. Paris
iv Henr 3. ad ann. 12.19.
Jemplani triginta très capti tant, vel interfedti cum Marefchallo Hof-
pitalis fanCti joannis, Si Fratribus quibufdam ejufdcm Domûs. Uem ibU*
i.p. 3o(T.
de Malte. Livre III. 517
GU£RI
fortie qui précéda la prife de cette Place, le Ma¬ D E
réchal de cet Ordre fut tué à la tête de la compa¬ Montaicu
Tome L Tt
350 Histoire de l’Ordre
Guéris Médecins crurent que l’air de la terre feroit plus
Montaigu favorable aux malades que tous les remedes de
leur art : on débarqua dans le port de Tarente où
le Lantgrave mourut laiffant veuve Ton époufe
Elifabeth fille d’André Roi de Hongrie , Princeffe
âgée feulement de vingt ans & d une grande vertu.
L’Empereur en fut quitte pour quelques accès .de
fievre • mais le Pape Grégoire IX. qui venoit de
fucceder à Honoré III. Pontife qui traitoit les
Souverains avec hauteur , perfuadé malgré la mort
du Lantgrave que la maladie de l’Empereur étoit
feinte , l’excommunia folemnellement dans ht
grande Eglife d’Anagni où il fe trouvoit alors. Le
louverain Pontife fît précéder cette funefte céré¬
monie par un Sermon où il prit pour texte ces pa¬
roles de l’Evangile : Il ejl necejjaire cptil arrive des
fcandâles-y 8c s’étant fort étendu fur la viéioire que
S. Michel avoit remportée fur le dragon, il tomba
tout court fur l’excommunication qu’il alloit ful¬
miner contre l’Empereur. Je rapporte cet échan¬
tillon du ftile de ce Pape , parceque le ftile &it
fouvent connoître l’efprit 8c le cara&ere de cha¬
que fiecle. Grégoire écrivit enfuite une lettre cir¬
culaire à tous les Evêques pour leur faire part de
la féverité quil avoit crû devoir obferver à l’égard
de ce Prince : il avoit pris, dit-il dans cette lettre,
pour dernier terme de fon départ le mois d’Aouft
de l’année my - 8c à peine a-t’il tenu la mer pen¬
dant quelques jours, que fous prétexte de maladie,
il a débarqué, 8c eft retourné pour jouir à l’or¬
dinaire d’une vie oifive. Ce Pontife écrivant en
particulier aux Evêques de la Pouille , leur dit
de Malte. Livre. III. 331
« Voyant que l’Empereur Frédéric négligeoit fon G üdeer 1N
« falut, Ôc differoit d’accomplir le vœu qu’il avoit Montàigu-
» fait de pafferà laTerre Sainte, Nous avons tiré
« contre lui le glaive médecinal de Saint Pierre ,
« publiant en elprit de douceur la Sentence d’ex-
« communication;.
L’Empereur furpris & irrité de la conduite du
Pape, envoya de Ion côté une Lettre patente en _
forme de manifefte à tous les Souverains delaChré- 1118>
denté, dans laquelle, après avoir pris Dieu à té¬
moin de la maladie qui l’avoit forcé à débarquer,,
il fe plaint amèrement de la précipitation du Pape,
Sc il declaroit qu’il fe remettroit en mer fi-tôt qu’il
auroit récouvré fa fanté. Dans la Lettre qu’il écri-
voit en particulier au Roi d’Angleterre , ôc que
Mathieu Paris nous a confervé, il fe répand en
invectives contre la Cour de Rome : » Les Ro^
« mains, dit-il, brûlent d’une telle paffion d’amaf-
« fer de l’argent de tous les pays de la Chrétienté,
5» qu’aprés avoir épuifé les biens des Eglifes par¬
ticulières ,ils n’ont point de honte de dépouiller
» les Princes fouverains, & tâchent de rendre les
«Têtes couronnées, tributaires. Vous en avez
« vous-même, dit-il, au Roi d’Angleterre , ,une
« preuve bien fenfible dans la perfonne du Roi
« Jean votre pere. Vous avez celui du Comte de
« Touloufe, ôc de tant d’autres Princes dont ils
« ont mis les Etats en interdit, ôc qu’ils n’ont ja-
«mais voulu lever jufqu’a ce qu’ils ayentpris des
« fers, ôc fe foient fournis à la fervitude, Que ne
« peut-on pas dire des exactions inouies qu’ils exer-
« cent fur le Clergé 5 ôc des ufures manifefEes on *
T t ij j
331 Histoire de l Ordre
GU ERIN
DE
» palliées dont ils infeétent tout le monde chré-
Montaigu «tien } &au travers de ces brigandages, cesfang-
« fues veulent faire pafler la Cour de Rome pour
» l’Eglife notre Mere. L’efprit & la conduite de
» lune & del’autre nous en apprend la différence-, la
« Cour de Rome envoyé de tous cotez des Légats
» avec pouvoir de punir, defufpendre &d'excom-*
« munier, au lieu que la véritable Eglife remplie
>5 d un efprit de charité, n en envoyé que pour ré-
«pandre la parole de Dieu j lune ne cherche qu’à
«amafîer de l'argent, &: à recueillir ce qu’elle n'a
«point femé j de l’autre a dépofé fes tréforsdans
« de faints Monafteres pour la nourriture despau-
» vres de des pèlerins de maintenant ces Romains
» indignes de ce grand nom, fans courage de même
« fans noblefle, enflez feulement dune vaine feien-
» ce, veulent s’élever au-defïus des Rois de des Em¬
pereurs. Enfin, ajoute ce Prince, l’Eglife a été
« fondée fur la pauvreté & la fimplicité, de perfon-
«ne ne lui peut donner d’autre fondement que
celui qui y a été mis de la main de Jefus-Chrift,
» qui en efl: en même tems la pierre fondamen-
» taie de l’architedte. *
Quoiqu’on ne puiffe pas exeufer l’aigreur dont
cette Lettre eft remplie, il eft pourtant certain
que les Papes fe fervirent fouvent de ce prétexte
des Croifades, pour tenir les Princes de leurs fu-
jets dans la dépendance de la Cour de Rome j il
n’eftpas moins vrai aufli que la plupart des Sou¬
verains de leur côté n’étoient pas fâchez de voir
*Sed aliud fiindamentum nemo poedt ponere , prêter îllud quod po-
fîtum eft à Domino Jefu ac ftabllitum. Mau, Taris in lien, il l.ann.n 18.
H7.J& 34&
de Malte. Liv. III. 333
GV E R I H
les Ducs, les Comtes & les au très grands Valfaux de D E
leursCouronnes, s’éloigner pour ces expéditions Montaigv
T t iij
334 Histoire de l’Ordre
Guérin garder. Sur céladon a réfolude marcher à Jerufa-
DE
Montai gu lem, & pour en faciliter les approches & la con¬
quête , il a été arrêté qu’on s’afFureroit de Cefa-
rée ôc de Jaffa , dont il faudroit enfuite relever
les fortifications.
Cette Lettre finit par des inftances très-preflan-
tes pour obtenir de nouveaux fècours:le Papein-
lera une copie de cette Lettre dans une des {rennes
qu’il adreffoit à toute la Chrétienté, en datte du.
23. Décembre 1217 : d’où il n’eft pas difficile de con¬
clure que fon intention étoit qu’on rompît la trêve
faite avec les Infidèles.
Cependant il continuent à fulminer contre l’Em¬
pereur avec plus d’animofité que de zele : il l’ex¬
111 8.
aj. Mars. communia même de nouveau le jour du Jeudi
Saint. Mais les Barons Romains ôc tout le peuple
fcandalifez de !la palïionde ce Pontife, ôc qu’il
traitât fi indignement un Empereur Chrétieii ôc
un Roi des Romains, prirent les armes en fa fa¬
veur. Le Pape qui vit avec douleur qu’il n’étoit
pas le plus fort dans la Capitale du monde chré¬
tien, fut obligé de fe retirer à Perotife avec toute
fa Cour. L’Empereur ne fe contenta pas de l’avoir
chade de Rome. Ce Prince naturellement cruel
ôc vindicatif, maltraita tous ceux qu’il foupçonna
d’être attachez au fouverain Pontife j les Hofpi-
taliers ôc les Templiers dévouez aux interets du
faint Siégé, éprouvèrent dans les Etats que l’Em¬
pereur portedoit en Italie, de cruelles perfècutions
de la part de fes Officiers ; * on chafla ces Cheva-
t
de Malte. Livre III. 343
GU ER IM
tiens latins, rejetta avec mépris les offres que lui D E
firent les Hofpitaliers ôc les Templiers, de contri¬ M OWIAIGU
%
de Malte. Livre III. 553
Le Pape renvoya l’examen de ces griefs à Jac- Be*jr-ani>
I J u DE I E X I S
ques de Pecoraria Cardinal, que ce Pontife avoir -—’’
chargé des affaires de la Palestine. L’Evêque d’Acre
porta à fon tribunal un long mémoire de ces griefs,
ôc dans lequel l’Ordre de laint Jean étoit peu mé¬
nagé. Le Cardinal le fit communiquer à Frere An¬
dré de Foggia qui réfidoit alors en Cour de Rome,
en qualité de Procureur general des Hofpitaliers.
Ce Religieux foutint les interets de fon Ordre
avec le zele qu’il devoit, ôc fit voir que l’Evêque
de faint Jean d’Acre, fous l’apparence de griefs
nouveaux, nefaifoit que renouveller les anciennes
prétentions du Clergé de la Paleftine,rejettées dans
l’aflemblée de Ferentino. Le Pape fur le rapport
de ce Cardinal, renvoya le jugement de cette af¬
faire au Patriarche de Jerufalem, à l’Archevêque
de Tyr ôc à l’Abbé de faint Samuel d’Acre. L’Evê¬
que ne pouvoit pas fouhaiter des juges moins full
peéte} cependant ce s Prélats, quoi qu’intereflez
dans la même affaire, mais juftes témoins qu’ils
ne fubfiftoient eux-mêmes que par le fecours des
Chevaliers, obligèrent leur confrère à fe défifter
de fes prétentions.
Je ne fçai fi c’eft à ce Prélat ou à quelqu’autre
ennemi de l’Ordre qu’on doit attribuer des avis
qu’on donna en ce tems-là au Pape que les Hof¬
pitaliers. s’abandonnoient aux plus grands defor-
dres, &: qu’un Prince grec ôc fchifmatique, qui
étoit actuellement en guerre contre les Latins, en
tiroit des fecours d’armes ôc des chevaux. Grégoire
lX. quioccupoit alors la Chaire de S. PierrerPon-
cife plein de feu ôc d’ardeur, en écrivit aulfi-tôt
Tome I. Yy
354 Histoire de l’Ordre
Bertrand
de Texis.
au Grand Maître 8c à tout l’Ordre, en des termes
remplis d’un zele amer. L’exa&itude qu’exige le
devoir d’un Hiftorien fîdele ne permet pas de paf-
fer fous filence Ton Bref, qui le trouve d’ailleurs
tout entier dans l’Annalifte de l’Eglife.
« Nous avons appris avec douleur, dit ce Pape^
I 2, 3 8.
» que vous retenez dans vos Maifons des femmes
» dune vie déréglée, &: aveclefquelles vous vivez
Preuve » dans le defordre ; que vous n’obfervez pas plus
IX. » exactement le voeu de pauvreté, 8c que des par-
» ticuliers parmi vous polfedent de grands biens
55 en propre ^ que moyennant une rétribution an-
55 nuelle, vous protégez indifféremment tous ceux
55 qui ont été admis dans votre Confrairie ; que
5> lous ce prétexte, vos Maifons fervent d’azile à
55 des voleurs, à des meurtriers & à des hereti-
55 ques j que contre les interets des Princes latins,
55 vous avez fourni des armes 8c des chevaux à
55 Vatace l’ennemi de Dieu 8c de l’Eglife ; que vous
55 retranchez tous les jours quelque chofe de vos
55 aumônes ordinaires *, que vous changez les tefi
55 tamens de ceux qui meurent dans votre Hôpi-
55 tal, non fans foupçon de faulfeté $ que vous ne
»5 foulfrez point que ceux qui s’y trouvent, fe con-
55 felfent à d’autres Prêtres qu’à ceux de votre Or-
55 dre ou à ceux qui font à vos gages. On dit même,1
55 ajoute le fouverain Pontife, que plufieurs de vos
5J freres font fulpeéls d’héréfie.
Le Pape à la fin de ce Bref, exhorte le Grand
Maître! corriger de fi grands abus : il ne lui donne
pour y travailler que l’elpace de trois mois, finon
par le même Bref en date du 13 Mars U38, il or-
de Malte. Livre III. ^
donne à l’Archevêque de Tyr de fe tranfporter Bertrand
de Texis.
dans la Maifon Chef d’Ordre , ôc de s’appliquer
inceffamment en vertu de l’autorité apoftolique à
là réforme de ce grand corps de Religieux mili¬
taires, tant dans le chef, que dans les membres.
Il eit furprenant, apres les témoignages hono¬
rables qu’en 12.18, André Roi de Hongrie, ôc té¬
moin oculaire, avoit rendus à la vertu de ces Che¬
valiers , qu’on trouve dans les Brefs de ce Pontife de
fi cruels reproches contre cet Ordre. Peut-être
étoient-ils l’effet de la haine & de la calomnie de
leurs ennemis : peut-être auffi eft-il vrai-fembla-
ble que le Pape n’auroit pas fait un fi grand éclat
fans être convaincu de leurs déréglemens. Un fi
grand changement dans leurs Maifons , s’il étoit
vrai, doit faire trembler les Societez les plus faintes
ôc les plus aufteresôc leur apprendre qu’en moins
de vingt ans, elles peuvent dégénérer de leur pre¬
mière régularité, ôc tomber dans les defordresles
plus affreux.
Quoi qu’il en foit de la vérité ou de la fauffeté
de ces accufations , il eft certain que dans le mê¬
me fiécle, ôc fous le même Pontificat, l’efprit de
pénitence ôc de charité étoient encore en honneur
parmi les Hofpitaliers, ôc que plufieurs Chevaliers
de ces temsdà font encore aujourd’hui rêverez
comme des Saints.
Tels font les bienheureux Hugues , Gérard
Mecati de Villemagne, Gerland de Pologne, tous
Hofpitaliers de l’Ordre de S. Jean, quivivoient dans
ce fiecle, qui méritèrent d’être canonifez par les
;voeux & les fuffrages anticipez du peuple chrétien.
N
* Histoire de l’Ordre
Bertrand
Le bienheureux Hugues Précepteur ou Com¬
de Te x is.
mandeur de la Commanderie de Gennes, fe dé¬
voua au fervice des pauvres ôc des Pèlerins dans
l’Hôpital dont il avoit la diredion. Le procès ver¬
bal de fa vie que drefTa après fa mort Othon de
Fiefque Archevêque de Gennes par ordre ex¬
près du Pape Grégoire IX. rapporte que fa vie
étoit une pénitence continuelle, accompagnée de
ferventes prières & d’une charité fans bornes en¬
vers les pauvres ôc envers les Pèlerins. Selon la
relation de cet Archevêque, il ne mangeoit jamais
de viande : fon jeûne duroit toute l’année, fi on
en excepte le faint jour du Dimanche. Il portoit
en tout teins un long cilice lié fur la chair avec
une chaîne de fer, une table lui fervoit de lit, ôc
il l’avoit placée dans une grotte audeffous de l’Hô¬
pital, ôc du côté qui regarde la marine. Il paffoit
les jours entiers ou dans la priere ou dans le fer-
vice des malades ; ôc s’il furvenoit des Pèlerins, il
leur lavoir les pieds, ôc les baifoit avec une pro¬
fonde humilité. Ce fut dans la pratique continuelle
de ces vertus que le bienheureux Hugues confom-
ma fon facrifîce.
Le bienheureux Gérard Mécati vivoit à peu
près dans le même tems. Il étoit né à Villemagne ,
Bourgade qui n’eft éloignée que de trois ou de
quatre milles de la célébré ville de Florence. Il en¬
tra de bonne heure dans l’Ordre des Hofpitaliers
en qualité de Frere fervant, ôc il en remplit le titre
ôc les fondions avec un zele ôc une charité ardente
envers les pauvres. Après avoir paifé une partie
de fa vie dans les Hôpitaux de la' Religion, le defir
de Malte. Livre III. 557
d’une plus grande perfection , l’amour de la re¬ Bertrand
de Te x i s.
traite & de la folitude , lui firent obtenir de fes
Supérieurs la permiflion d’achever fes jours dans
un deTert. Il s’enferma dans une pauvre cabanne,
n’ayant pour vêtement qu’un long cilice, & pour
nouriture que des herbes & des fruits fauvages.
Paul Mimi dans fon Traite de la Noblefle de
Florence , parle du bienheureux Gérard en ces
termes : » Ge'rard Mécati natif de Villemagne ,
fut Frere fervant dans la très illuftre milice des
» Chevaliers de faint Jean de Jerufalem , & on peut
« avec juftice le nommer un fécond Hilarion. Ce
m fut vers l’an 1141, que ce pieux folitaire acheva de
» vivre, & paffadans la focietê des Saints.
Frere Gerland de Pologne, d’autres difent d’Al¬
lemagne , Chevalier de l’Ordre, qui vivoit dans le
même tems, ne fe rendit pas moins illuftre par fa
pieté que par fa valeur. Il avoit conlommé une
partie de fa vie dans les guerres contre les Infi¬
dèles. Ses Supérieurs l’envoyerent depuis à la fuite
de l’Empereur Frédéric II. pour y maintenir les
intérêts de la Religion : il y devint bien-tôt l’ex¬
emple de toute la Cour -, & après s’être acquitév
de fes emplois à la fatisfa&ion du Grand Maître,
il fe retira avec fa permiflion dans la Comman-
dene de Catalagirone. Il y menalerefte de fes jours
une vie toute angelique. Je ne parle point, ni de
fon application à la priere , ni de fes aufteritez
continuelles, je m’arrêterai feulement aux vertus
de fon état & d’un véritable Holpitalier. C’étoit
le pere des pauvres, le protecteur des veuves, le
tuteur des orphelins, l’arbitre général, & l’amia-
358 Histoire de l Ordre
Bertrand
I)F I PYH.
Ble compofiteur
1
de tous les différends : tous_ exem-
pies qui juftifient que dans ce tems-la lelprit de
charité, 6c l*amour de la pénitence n’étoient pas
éteints danslOrdre, comme un délateur inconnu
l’avoit voulu perfuader au Pape. A l’egard du re¬
proche que ce Pontife fait aux Hofpitaliers da-
voir fourni des armes & des chevaux à un Prince
Grec appelle Vatace , outre que je n’y trouve gueres
plus de fondement que dans les autres acculations
dont on avoit tâché de noircir leur réputation,;
tout ce que le Pape dit de ce Vatace, qu’il traite
dans fon Bref d’ennemi de Dieu 6c de l’Eglife, dé¬
pend d’une fuite d’évenemens que par rapport à
î’hiftoire que j’écris , il eft à propos d’éclaircir.
Pendant la derniere révolution & le tumulte
que caufoit dans Conftantinople la prife de cette
Capitale de l’Empire par les Croifez, des Princes
Grecs 6c la plupart iffus deMaifons Impériales, pour
fe fouftraire à la domination des Latins, fe retirè¬
rent en differentesprovinces de l’Empire3s’y canton*
nerent & s’en firent les Souverains. Ifàac Comnene,
d’autres l’appellent Alexis, alla fonder un nouvel
Empire fur les confins de la Cappadoce &: de la
Colchide, 6c dont la ville de Trebifonde fituée fur
la mer noire, devint la Capitale. Les Princes Mi¬
chel 6c Théodore Comnene s’emparèrent de l’Em¬
pire 6c de l’Albanie , 6c Théodore Lafcaris le plus
puiffant 6c le plus redoutable de ces Princes, après
avoir conquis la plus grande partie de la Bithinie,
défait les Turcomans qui l’occupoient, tué de fa
main dans une bataille le Sultan d’Iconium ,. prit:
les ornemens impériaux à Nicée, fe fit déclarer
de Malte. Livre III. 3^9
Empereur, 8c laiffa depuis ce grand Titre à Jean Bertrand
de Te x i s»
Ducas Ton gendre, furnommé Vatace : ce quipour-
roit faire ioupçonner que ce Prince n’étoit de la
Maifon Impériale des Ducas que par les femmes.
Au fchîlme pre's , c’étoit un des plus grands
Princes de fon fiécle , fage, laborieux, vigilant,
toujours attentif aux évenemens, 8c ne perdant
jamais de vue la difpofition des Etats voifins du
fien. Toutes ces provinces lui préfentoient égale¬
ment des ennemis. Il en regardoit les poffeffeurs,
foit Chrétiens ou Mahometans comme autant d’u-
furpateurs j mais fage dans la diftribution de fes
deffeins , il prenoit fi bien fes mefures, quil n’a-
voit jamais en tête qu’un feul ennemi à la fois. Il
ne manquoit gueres de prétextes pour faire la
guerre • 8c s’il ne la faifoit pas heureufement, il
manquoit encore moins de reffources pour faire
la paix. C’eft ainfi que pour empêcher que les
Papes ne fiffent palier des fecours aux Empereurs
Latins de Conftantinople , il affeéta de faire pa-
roître un grand zele pour la réunion de l’Eglife
Greque avec l’Eglife Latine, 8c il pouffa la feinte
julqu'à faire tenir à ce fujet des conférences dans
fon Palais où il afliftoit, 8c où pour concilier les
efprits il affeéloit le caradrere de médiateur defiiv
tereffé: Ce fut par une conduite aufli habile , au¬
tant que par fa valeur, qu’après avoir chaffé les
Empereurs Latins de l’Afie mineure , il porta fes
armes en Europe, 8c les fut attaquer jufques dans
le centre de l’Empire.
Tel étoit ce fameux Vatace avec lequel on ac-
cufoit les Hofpitaliers d’entretenir des relations.
3éc Histoire de l’Ordre
Bertrand Mais fi on fait réflexion que ce Prince Grec étoir
de T e x is.
fouvent aux mains avec les mêmes Infidèles auf-
quels les Chevaliers de faint Jean faifoient une.
guerre continuelle • doit-on trouver étrange que
dans une caufe commune, ôc en qualité dalliez^
ils euflfent affilié ce Prince de chevaux ôc d'armes i
D’ailleurs je ne fçai comment les Hofpitaliers ayant
des Maifons dans Conftantinople , on pouvoir
leur faire un crime de garder quelques mefures
avec un Prince fi puiffant, ôc qui étoit à la veille
de fe rendre maître de cette Capitale de l’Empire,.
Cet Empire conquis fi glorieufement par les
Croifez dès la première année de leur établiffie-
ment, étoit bien déchu de fon ancienne grandeur
& de fa puiffance. Outre les Ifles de l’Archipel dont
les Vénitiens ôc les Génois s’étoient emparez, on
vient de voir que le Marquis de Montferrat avoit
eu pour fa part des conquêtes, la Theffalie ôc les
Provinces voifines érigées en Royaume , ôc que
des Princes Grecs de leur côté avoient mis en pie'-
ces ôc démembré ce malheureux Empire.
Baudouin le premier Empereur Latin n’eut pas
été plutôt reconnu pour Empereur, que dans l’im¬
patience de fignaler fonavenement à cette grande
dignité, il forma le fiége d’Andrinople dont les ha-
bitans s’étoient foulevez. JoaniffieRoides Bulgares-
ôc des Valaques, quis’étoit fouflraitde la domina¬
tion des Grecs ^ Prince vaillant, mais féroce ôc
cruel, ôc qui craignoit que l’Empereur ne l’attar
quât à fon tour, vint au fecours des affiegez.. Il'
étoit à la tête d’une armée nombreufe, compofée
des Bulgares ôc des Valaques fes fujets, &il avoit à
de Malte. Livre III. 361
"Bertrand
fa folde des Grecs 6c même des Turcomans. Bau¬ de T e x 1 s.
douin à fon approche leva le fiege , s’avança à fa
rencontre, 6c lui donna bataille. Ses troupes en¬
foncèrent tout ce qui fe préfenta devant eux. Bau¬
douin emporté par fon courage 6c par l’efperance
de la viéLoire y s’abandonna imprudemment à la
pourfuite d’un ennemi qui fuyoit avec art, 6c pour
l’attirer dans une embufcade. Le nouvel Empereur
de Conftantinople trop éloigné du gros de fon ar¬
mée , fe vit enveloppé par les Bulgares 6c par les
Valaques, qui apres avoir taillé en pièces les
troupes qui l’avoient pu fuivre, le firent prifon-
nierr Joaniffe le tint quelque tems dans le fond
d’un cachot chargé de chaînes : il ne l’en tira que
pour Le faire périr par un cruel fupplïce. Apres lui
avoir fait couper les bras 6c les jambes, on le jetta
dans une valée, où cet infortuné Prince vécut en¬
core trois jours expofé aux bêtes féroces dont il
Revint la proye , 6c qui en firent leur pâture.
Le Prince Henri fon1 frère lui avoit fuccedé, 6c
gouverné l’Empire avec differents fuccès pendant
Fefpace de dix ans. On prétend que les Grecs s’en
défirent par le poifon. Ce Prince étant décédé
comme fon frere aîné fans enfans, laiffa le trône
à Pierre de Courtenai fon beau-frere-, Prince du
Sang Royal de France. Ce nouvel Empereur , à la
faveur d’un traité d’alliance fait avec Théodore
Comnene , paffant par fes Etats pour fe rendre à
Conffantinople , fe vit arrêté dans les montagnes
d’Albanie, 6c le perfide Grec le fit mourir. La
Couronne regardoit Philippe Comte de Namur,
fils aîné d e l’Empereur Pierre-, mais ce jeune Prince’*
Tome L Zz
$6i i Histoire de l’Ordre
Bertrand préférant apparemment une Principauté tran-
de T e xi s.
quile ôc un Etat folideù un Trône chancelant, ôc
au vain titre d’Empereur, céda fes droits au Prince
Robert Ton frere, qui arriva à Conftantinople vers
la fin de l’année 112,0. If eut pendant Ton régné
deux eripemis redoutables à combattre. Jean Du-
cas & Théodore Comnene le cruel .Meurtrier de
l’Empereur fon pere, ôc l’un ôc l’autre fans agir de
concert, lui enlevèrent chacun de leur côté la
plupart des Places qui couvroient celle de Conf¬
tantinople. Un troifiéme ennemi & bien plus dan¬
gereux que les deux premiers, mit le comble à fes
difgraces, Il y avoit dans Conftantinople une jeune
Demoifelie d’une rare beauté , originaire de la
province d’Artois ôc fille de Baudouin de. Neu¬
ville, Chevalier qui s’étoit. trouvé à la conquête
de Conftantinople. Cette Demoifelle devoit épou-
fer au premier jour un Seigneur Bourguignon avec
lequel elle étoit déjà fiancée. Ses parens l’ayant,
prefentée à l’Empereur pour obtenir fon agrément,
ce jeune Prince fut frappé de l’éclat de fa beauté;,
une paffion violente s’empara de Ion. ame *, Ôc
quoiqu’il n’ignorât pas que la jeune Neuville étoit
engagée avec un Seigneûr de fa Cour , ne trou¬
vant point d’autre voye pour fe fatisfaire, il ré-
folut de l’époufer. La mere Ôc la fille éblouies à leur
tour par l’éclat d’une, Couronne, mépriferent leurs
premiers engagemens • la mere conduifit fa fille
dans le lit de l'Empereur. Sanut dit formellement
qu’il l’avoit époufée. Baudouin d’Avefile au con¬
traire femble vouloir faire entendre qu’il n’en,
coûta pas fi çfier à ce Prince pour en jouir. Quoi
(
1
4
di} continen¬
utile, 6c qui fut exécuté avant fon départ, mais
tes fummam
dans lequel les Templiers par jaloufie contre les Jua peregn-
Hofpitaliers, ne voulurent point à leur tour être nationis. AL.
Paris y in
compris- ainfi, au milieu de ces deux trêves, les Henr.IIIad
Templiers &les Hofpitaliers reftoient en guerre ann. 1241- p>
S66. & s67.
chacun de leur côté, les uns contre le Sultan de
Damas, & les autres contre celui d’Egypte, 6c ces
divifions auroient été funeftes àl’Etat,fices Sul¬
tans & la plupart des defcendans de Saladin &de
Safadin n’avoient pas été divifez en même tems
par des guerres civiles. Ce fut à la faveur de ces
troubles que les Chrétiens latins fe virent enfin
maîtres 6c feuls habitans de Jerufalem. Le Patriar¬
che avec tout fon Clergé y revint 3 on bénit de nou¬
veau les Egliles-, on y célébra enfuite avec une
joye infinie les faints Myfteres, 6c le Grand Maître
des Hofpitaliers porta au Patriarche tout l’argent
qui étoit dans le tréfor de l’Ordre, pour contri¬
buer à relever les murailles de la fainte Cité.
Mais le travail malgré tous les ouvriers qu’on Preuve
IX.
y employoit, avançoit lentement, 6c à peine
avoit-on fait quelques légers retranchemens, que
la Paleftine fe trouva inondée par un déluge de
368 Histoire de l’Ordre
G UA RI N
Barbares appeliez Corafmins. C etoient des peu¬
ples fortis récemment de la Perfe, & ifliis , à ce
qu’on prétend, des anciens Parthes : du moins ils
en habitoient alors le pays, appellé YracAgemy,
ou Hircanie Perfienne. D’autres les placent dans
le Couvarzem proche de la Corofane 3 mais je ne
fçai fi ce s Corafmins n’étoient pas plûtôt origi¬
naires du Royaume de Carizme, que Ptolomée
appelle Chorafmia, d’où ces Barbares la plupart
Paftres, & qui n’avoient gueres de demeures fi¬
xes, pouvoient êtrepaffez dans quelques-unes des
Provinces de la Perfe. Quoiqu’il enfoit, ils avoient
été enveloppez dans cette fameufe révolution qui
étoit arrivée vingt ans auparavant dans la haute
Afie , dont Genchizcan premier Empereur des
anciens Mogols Tartares, s’étoit rendu maître.
Oélay fils de Genchizcan, fucceffeur de ce con¬
quérant ou le Prince Keiouc fon fils, Caan ou
Grand Can, d’autres dilènt, Tuly troifiéme fils de
Genchizcan qui avoir eu la Perle dans fon parta¬
ge , irrité contre ces peuples qui avoient tué ceux
de fes Officiers qui levoient les tributs, les chaffa
des pays de fa domination.
Ces peuples payens de religion, cruels, féroces,’
ôc barbares entre les plus barbares, roulèrent en
differentes contrées, fans pouvoir trouver de de¬
Bibliothèque meure fixe & affinée , ni aucun Prince qui les
orientale, p. voulût fouffrir dans fes Etats : odieux aux Maho-
100/,
metans, comme aux Chrétiens par leurs brigan¬
dages & leurs cruautez,ils étoient regardez comme
ennemis du genre humain. Il n’y eut que le Sul¬
tan d’Egypte , qui pour fe venger des Templiers
ôc
de Malte. Livre III. 369
& de la ligue qu’ils avoient faite avec fes ennemis Guérin
les Sultans ou les Emirs de Damas, de Carac & Afatt. Paris
d’Emeffe , confeilla à Barbacan Chef &c General ad arm. 1244.
p. 618.
des Corafmins de (e jetter dans la Paleftine • il lui foinville vie
en reprefenta la conquête facile , les Places dé- de S. Louis»
manteleés ôc couvertes de tous cotez, peu de trou¬ p. 98.
pes dans le pays, de la divifion parmi les Chefs,
à quoi il ajouta des prefens confiderables, & la pro*
meiTe d’un puiffant fecours,& de joindre un corps
de troupes à fon armée.
Il n’en falloit pas tant pour déterminer des peu¬
12/- 4 5**
j
ples fauvages & barbares, qui à la pointe de l’épée,
cherchaient des terres qu’ils puffent habiter : ils
avoient pénétré jufques dans la Mefopotamie.
Barbacan en partit auffitôràla tête de vingt mille
chevaux, &: entra dans la Paleltine avant qu’on
en eût eu la moindre nouvelle. Mais les cruautez Sarwt*p°2i7*"
de cette nation, le feu qu’ils mettoientpar tout,
les annonça bien-tôt. Jerufaiem étoit encore ou¬
verte de toutes parts j les Grands Maîtres de l’Hô¬
pital & du'Temple s’y trouvoient alors, mais
prefque fans troupes. Dans une conjoncture fi
îurprenante, ils crurent qu’ils n’avoient point
d’autre parti à prendre, que de conduire les ha-
bitans à. Jaffa, Place fortifiée & hors d’infulte^de
tenir enfuite la campagne, & de raffembler toutes
les troupes pour s’oppofer aux entreprifes des en-
nemis. Tout fortit de Jerufaiem fous la conduite
des Chevaliers, excepté un petit nombre d’habG
tans qui avoient peine à abandonner leurs maifons’,
& qui à la hâte éleverent de foibles retranche-
mens dans les endroits les plus ouverts. Cepen*-
Home J.~ A a a-
370 Histoire de l’Ordre
Guarin dant les Corafmins arrivent, emportent ces re-
tranchemens, entrent dans la Ville l’épée à la
main, mettent tout à feu & à fang, fans épargner
ni lage ni le fexe -, 8c pour tromper les Chrétiens
qui s'étoient enfuis, ils plantèrent fur les tours
des étendarts avec la Croix. Ceux quiavoient pris
le devant, avertis qu’on voyoit encore les Croix
arborées fur les murailles,touchez du regret d’avoir
abandonné leurs maifons avec tant de précipita¬
tion , 8c croyant que les barbares avoient tour¬
né leurs armes d’un autre côté, ou qu’ils avoient
été repouffez par les Chrétiens qui étoient reliez
dans la Ville , y retournèrent malgré tout ce
que purent leur dire les deux Grands Maîtres, 8c
le livrèrent eux-mêmes à la fureur de ces barba¬
res , qui en pafferent prés de fept mille par le fil
de l’épée. Une troupe de Religieufes, d’enfans 8c
de vieillards qui s’étoient réfugiez au pied du faint
Sepulchre &dans l’Eglife du Calvaire, furent im¬
molez dans le lieu même où le Sauveur des hom¬
mes avoit bien voulu mourir pour leur falut, 8c
il n’y eut point de cruautez 8c de prophanations
que ces barbares n’exerçaffent dans la fainte Cité.
Cependant les Templiers ayant appris qu’un
détachement des troupes du Sultan d’Egypte les
Epift. Frede- avoit joints, appelèrent à leurs fecours les Sultans
rici Imperat,
Mm. Pans
de Damas 8c d’EmefTe fes ennemis. Ces Infidèles
in Henr.IlI. leur envoyèrent quatre mille chevaux comman¬
p* 618. dez par Moucha un de leurs Généraux. Les Sei¬
gneurs du pays ayant fait prendre les armes à leurs
vaffaux 8c aux milices, fe rendirent dans l’armée
Chrétienne ; il y eut d’abord differentes efearmou-
de Malte. Liv. III. 371
ehes entre les deux partis, dans lefquelles les Co- Guarin.
rafmins, quoique fuperieurs en nombre, ne laifl
ferentpas de perdre plus de monde que les Chré-
tiens. Enfin par la précipitation du Patriarche, &
contre Tavis des principaux Officiers, on en vint
à une a&ion générale. L’armée chrétienne étoit
partagée en trois corps : le Grand Maître des Hof- „ .
X O X tOîHVîUc
pitaliers avec les Chevaliers de Ton Ordre, ôc fou- yfe de faim
tenu par Gaultier III. Comte de Jaffa , &: neveu Louis par du
du Roi Jean, avoit la pointe gauche -, Moucha à la Cm&e‘ ?'"■
tête desTurcomans, commandoit la droite, & les
Templiers ôc les Milices du pays étoient dans le cen-
tre.Le courage ôc l’animofité étoient égales ; mais le
nombre des combatans étoit bien different : les
Corafmins avoient dix hommes contre un ; ôc pour
furcroit de difgrace, dès quon en fut venu aux
mains,. foit lâcheté ou trahifon , la plupart des
foldats de Moucha prirent la fuite.
Les Chrétiens réfolus de vaincre ou de mourir,
n’en parurent point ébranlez j la bataille dura pref-
que deux jours 3 les Chevaliers des deux Ordres,
y firent des prodiges de valeur ; enfin épuifez de
forces, & accablez par la multitude, prefque tous
furent tuez ou faits prifonniers, ôc il néchapa de
cette boucherie ôc d’un maffacre fi général que
vingt-fix Hofpitaliers • ( quelques relations difent
feulement feize , ) trente-trois Templiers ôc trois
Chevaliers Teutoniques : les deux Grands Maîtres
des Hofpitaliers ôc des Templiers& un Com- foiwvifo
mandeur des Teutoniques furent tuez à la tête de
leurs compagnies. Les Hofpitaliers firent peu après
remplir la place de leur Grand Maître par frere
 aa iji
372, Histoire de l’Ordre
Bertrand
de Comps.
Bertrand de Comps , vieux Chevalier que fa
i
valeur 6c fonexpérience eleverent à cette dignité,
1143. 6cdont unSeigneur de fon nom avoit déjà été revêtu.
Cependant une défaite fi générale mit le com¬
ble aux malheurs de la Terre Sainte. LTmpereur
Frédéric dans une Lettre adreffée au Comte de
Cornouailles Ion beaufrere, déplore cette malheu^
reufe journée, 6c en rejette la faute fur les Tem¬
pliers , qui apres avoir rompu la trêve qu’il avoit
faite, dit-il, par l’avis des Hofpitaliers avec le Sul¬
tan d’Egypte, fe font fiez avec trop de {implicite
au lecours 6c aux promeifes des Sultans de Damas
6c de Carac. * *
Frere Guillaume de Château-Neuf, Précepteur
de la Maifon Holpitaliere de S. Jean de Jerufalem,
6c depuis Grand Maître de l’Ordre, dans une Lettre
qu’il écrit à un Seigneur de Merlai, attribue pa¬
\
reillement cette cruelle mcurfion des Corafmins à
la Ligue qu’on avoit faite avec le Sultan de Damas
? ^ 4 4*
“
contre celui d'Egypte fon ennemi ;6c félon la Re¬
lation de ce Chevalier qui setoit trouvé à cette
fanglante bataille, le Grand Maître y avoit été tué
avec le Grand Maître des Templiers , 6c il n’en
étoit échappé lui-même qu’avec quinze autres
Hofpitaliers qui regrettoient, dit-il , le fort de
ceux qui étoient morts pour la défenle des faints
Lieux 6c du peuple chrétien.
\
de Malte. Livre III. 383
IERRE
j>le premier. Mais, ce n’eft pas en cela feul que V ILLE-
» depuis long-tems les Templiers & les Holpi- bri DE*
» taliers ne font point fcrupule de violer les ftatuts ~
« de leur profeffion. Dou vient ,par exemple, que
«ces Chevaliers qui par leurs loix,ne doivent au
« plus abandonner pour leur rançon que leur ca-
«puce ou leur ceinture, nous offrent aujourd’hui
» de fi groffes fournies, fi ce neft pour fe fortifier
«par leur nombre contre notre puiflance ? Mais
» allez leur dire que, puifque la juftice de Dieu
»> les a livrez entre mes mains, ils n’en fortiront
« jamais tant que je vivrai, & qu’à l’exemple de
«leurs prédecefleurs, je ne fçai point diftinguer
« un Chevalier prifonnier, d’un Chevalier mort fur
« le champ de bataille.
En vain les Miniftres du Sultan lui’reprefente-
rent qu’il perdoit par cette conduite des fommes
confiderables qu’il pouvoit retirer pour la liber¬
té des Chevaliers. Ce Prince Infidèle qui n’igno-
roit pas les différends que l’Empereur avoit avec
le Pape, ni à quel point les Chevaliers étoient
dévouez au faint Siégé, rejetta avec obftination
Sc avec mépris toutes les offres qu’on lui put faire.
Les Députez furent obligez de s’en retourner fans
avoir pûrien obtenir3 mais,comme avant dépar¬
tir , ils fe plaignoient aux Miniftres de ce Prince
de la grande dépenfe qu’ils avoient faite inutile¬
ment enprefens dont ils avoient profité,ces Mi¬
niftres , comme pour les en dédommager, leur di¬
rent en fccret, qu’il n’y avoit qu’un feul moyen
de retirer leurs prifonniers, c’eft que l’Empereur
demandât au Sultan leur liberté ; d’où il eft aife
384 Histoire de lOrdre
Pi ijcr i de conclure, dit Mathieu Paris, étroite liaifonqui
1
de Ville-
iri AE. étoit entre Frédéric ôc le Prince Mahometan. Mais
comme ces Députez de leur côté n’ignoroient pas
Ex cujus rei
que l’Empereur étoit en guerre avec le Pape, ôc
Icnare colligi
potefl quanta que leurs Supérieurs ne pouvoient avoir de rela¬
famlliarltas tion avec ce Prince qui étoit aéluellement excom¬
Fredencum
cutn Suit an: s
munié , ils s‘en retournèrent avec la douleur de
copiilavit p. laiffer leurs freres dans les fers des Infidèles.
Le Roi faint Louis depuis qu’il eut pris la ré-
folution de palier en Orient, employa deux années
à regler le dedans de fon Royaume, ôc à affûter le
dehors par une paix générale avec fes voifins. Ce
Prince, apres avoir fatisfait à ces premiers devoirs
les plus indifpenfables pour un Souverain , fe ren¬
dit le iz de Juin de l’année 1148 à faint Denis:il
étoit accompagné de Robert Comte d’Artois ôc
de Charles Comte d’Anjou fes freres, ôc y reçut
d’Eudes de Chateauroux Légat du Pape,rOriflame^
efpece d’étendart en forme de Baniere, avec l’Au-
môniere ôc le Bourdon, fuivant ce qui fe prati-
quoit à l’égard des pèlerins. Alphonfe Comte de
Poitiers troifiéme frere du Roi, quoique croifé,
reflra encore pour quelque tems en France auprès-
de là Reine Blanche leur rnere, à laquelle le Roij
avoir laiffé la Regence de l'Etat en fon abfence..
Louis s’embarqua enfuite à Aiguemortes, Port
fameux alors , mais qui par la retraite de la mer
qui s’eft éloignée de quatre lieues de cette côte,
fe trouve aujourd’hui dans les terres. Le Prince”
mit à la voile le 18 d’Août:la navigation fut heu-
reufe ,& il arrivaà la rade de LimifTo dans Ifle de'
1
C c c ij
38g Histoire De l’Ordre
Pierre long-tems fans apprendre cette deTertion generale;
DE VIL LE-
BRI D È» 6c deux efclaves des Infidèles dès huit heures du
matin , rapportèrent que la Ville avoit été aban¬
donnée. Le Roi, après avoir pris les précautions
nécefiaires pour s’affurer de la vérité dun événe¬
ment fi furprenant, entra dans la Place à la tête
de Tes troupes ; le Légat purifia la principale Mof-
quée ouïe Te Deum fut enfuite chanté iolemnel-
lement. La Reine , le Légat, le Patriarche 6c les
Evêques fixèrent leur féjour dans cette Ville, 6c
le Roi qui craignoit les fuites du débordement du
Nil, 6c inftruit par les malheurs que l’opiniâtreté
du Légat Pelage avoit caufez à l’armée de Jean de
Brienne 6c aux Croifez , réfolut d’y paffer le refte
de l’été, dont les chaleurs exceflives en ce pays-là
ne permettoient pas même de tenir la campagne.
Alphonfe Comte de Poitiers frere du Roi, que
ce Prince avoir laiffé en France, s’embarqua le r6
d’Août avec la Pr inc elfe Jeanne fa femme , fille
unique de Raimond Comte de Touloufe , 6c ils
arrivèrent deux mois après à Damiette. Le Comte
de Poitiers débarqua avec un puifTant fecours que
Joinville appelle barrière-ban de France, dont l’ar-’
rivée augmenta l’ardeur 6c la confiance du Roi.
Ce Prince fe voyoit à la tête d’une puiffante ar¬
mée , foutenu des deux Ordres militaires qui con-
noifibient le pays 6c la maniéré de faire la guerre
aux Infidèles ; la mer étoitouverte;l’embouchure
du Nil libre pour recevoir de nouveaux fecours,
6c la terreur 6c la confternation fembloient être
paflees du côté des ennemis.
foinville.-p.
3S* Il ne fut plus queftion que de feavoir fi on iroir
de Malte. Livre III. 389
les attaquer dans Alexandrie ou dans le Caire mê- p R R E
rj. 1 , . de Ville-
me. Pierre de Dreux, ancien Comte de Bretagne bride.
étoit d’avis qu’on tournât le premier effort des ar¬
mes chrétiennes contre Alexandrie dont le port
pouvoir être d’une grande commodité pour la
flotte ôc pour les convois. Mais le Comte d’Ar¬
tois Te déclara pour le fiege du grand Caire fur le
principe que la prife de la Capitale entraîneroit
celle des autres Places, au lieu que la conquête
<l'Alexandrie, difoit-il^ n’exempteroit pas l’armée
de faire enfuite le fieg;e du grand Caire. On fe
rendit à cette raifon, & peut-être à la hauteur &
à l’opiniâtreté dont ce jeune Prince foutenoit or¬
dinairement les avis. Cette Place étoit éloignée de
Damiette d’environ cinquante lieues, & l’on ren-
controit à moitié chemin la ville deMaffoure, où
les Infidèles s’étoient retranchez fur les bords d’une
branche du Nil, appellée le Thanis.
Le Roi à la tête de fon armée, partit de Da¬
miette le 20 de Novembre *, il apprit en chemin Joinville./>.
la mort du Sultan, caufée par la cangrene qui s’é- 27%
toit mife à une de fes jambes. Mais le peuple qui
ne peut confentir que les Princes meurent comme
les autres hommes, & d’une mort ordinaire, pu¬
blia qu’il avoir été empoifonné par un valet de
chambre corrompu par le Sultan de Damas fon
ennemi. Quoi qu il en foit, l’armée avançoit tou¬
jours fans rencontrer à la vérité d’obllacle dans
fa marche, mais auffi fans trouver de vivres dans
le voifinage. Le pays étoit defert & abandonné ;
une profonde folitude regnoit de tous cotez, &
nulle apparence d’ennemis en campagne. Cette
Ccc îij
390 Histoire de l’Ordre
Pierre tranquillité ne dura pas long-tems -, à mefure que
d e Ville-
bri d e. les Chrétiens approchoient de la Maffoure , ils
eurent à foutenir jour & nuit des efcarmouches y
c’étoient tous les jours de nouveaux combats , &
on eut même peine à éviter la trahifon de quel¬
ques Sarrafins, qui, fous l’apparence de transfuges,
penferent furprendre les Templiers. Cinq cens-
/o inville.p. Cavaliers Egyptiens, lous je ne Icai quel prétexte,,
3î' s’étant venus rendre au Roi, ce Prince les reçut
ôc fans s’en défier, les laiffa en corps d’ordonnance *
ils marchoient même ordinairement à l’avant-
garde, comme connoiffant mieux le pays que les
Occidentaux. L’armée, apres un mois de marchey
approchoit de ce canal tiré du Nil, appellé Thanis,
lorfque ces traîtres, voyant un elcadron des Tem¬
pliers plus avancé que les autres, tirèrent leurs eu
meteres , & le chargèrent brufquement. Mais ils
avoient à faire à des Guerriers qui ne s’épouven-
toient jamais du nombre de leurs ennemis : cet
elcadron fit ferme, les Chevaliers fe battirent avec
leur valeur ordinaire, Ôe donnèrent le tems à leurs
camarades d’accourir à leur fecours. Les Infidèles
furent bien-tôt enveloppez de tous cotez ; on
tailla en pièces ces traîtres ; tout palfa par le fil
de l’épée, excepté ceux qui en voulant traverfer
le Thanis pour rejoindre leur armée , fe noyèrent,
dans ce canal.
Le Roi prévoyant que la difficulté du paffiage
pourroit le retenir long-tems dans cet angle que
formoient deux bras du Nil, s’y fortifia avec foin.
Cette précaution étoit néceffiaire contre des enne¬
mis qui le venoient attaquer à toute heure jufques.
de Malte. Livre III. 391
dans Tes retranchemens -, il y eut un grand nom¬ d ePierre
Ville-
bre de combats Ôc d actions particulières. Comme bride.
il étoit queftion de palier un canal large, profond,
& qui n’étoit point guéable, le Roi entreprit d’y
faire une digue ou une chauffée ; mais les Infi¬
dèles interrompoïent continuellement fes travaux
par des feux gregeois qui bruloient fes machines. f0inville,p,
Enfin un Arabe, Bédouin, moyennant cinq cens 41.
Aiatt. Paris
befans d’or, enfeigna un gué, ôc le Comte d’Ar¬ p 7*9* •
/.
>
ê
de Malte, Livre III. 399
difpute qui s’émût entr’eux au fujet de cette chafle, Guillau¬
me deCha-
on en vint aux voyes de fait, ôc que les François TEAUNEUF.
le titre de Commandeur.
Cependant ce titre n’étoit pas alors à vie, il étoit
amovible, & fut fubftitué à celui de Précepteur
dont on s’étoit fervi jufqu’alors.
On réduifit enfuite ces Commanderies fous
differens Prieurez. Le Prieur étoit chargé d’en faire
la vifite, & d’envoyer à la T erre Sainte, en troupes
ou en argent, les contributions ordinaires de cha¬
que Commanderie de fon Prieuré , appellées
Rtfponfions , qui pouvoient être augmentées félon
lesbefoins de l’Ordre , & en confequence des Or¬
donnances & des Decrets du Chapitre général.
Ce Chapitre tenu alors à Cefarée , voulant
autorifer cet elprit de défapropriation , fondé
furie voeu de pauvreté que faifoient tous les Che¬
valiers, leur défendit de tefter, d’inftituer des he¬
ritiers , & de faire aucuns legs. Par ce Statut, il
ne leur eft pas même permis de laiffer par tefta-
ment aucune gratification extraordinaire à leurs
domeftiques, fans un confentement exprès du
Grand Maître. Telle étoit alors la difeipline de
fOrdre, necefïaire non-feulement par rapport à
Fobfervation du vœu de pauvreté, mais encore eu
égard aux guerres que cet Ordre foutenoit con¬
tinuellement contre les Infidèles. Nous allons en¬
trer à prefent dans des tems encore plus fâcheux,
où ces Religieux militaires continuèrent à donner
de nouvelles marques de leur zele &: de leu.c
valeur. Eeeij
404 Histoire de l'Ordre
Hugues
D £ Re VLL.
Bendocdar, qui avoic eu tant de parc à la dé¬
faite de Robert Comte d’Artois , regnoit alors en
Egypte : c’étoitle quatrième desMamelus,quiétoit
monté far le Trône , & il s’en étoit emparé par la
mort de Meléch Elvahét qu’il avoit fait maffacrer
fous prétexte que ce Sultan ne vouloit pas rompre
une trêve qu’il avoit faite avec les Chrétiens la¬
tins de la Paleftine.
lz 63. Bendocdar ayant été mis en fa place par les
Mamelus, fignala fon avenement à la Couronne
par une guerre cruelle & fanglante quil fit aux
Chrétiens, & ^fur-tout aux Chevaliers des deux
Ra n. ad Ordres. Le Sultan de Babilone, dit le Pape Ur¬
ann. 1263. n. bain IV. écrivant à faint Louis, eft venu contre
1, ?.
la foi des traitez, camper avec une armée formi¬
dable entre le Mont Thabor & Naïm, & fes trou¬
pes , en haine du nom Chrétien, ont porté le fer
& le feu jufqu aux portes d’Acre : il a même fait
( rafer l’Eglife de Nazareth & celle du Mont Tha-
Q
bor. Ses loldats tuent indifféremment tout ce qu’ils
rencontrent, fans diftinélion d’âge ou defexe.La
condition de ceux qui meurent par le fer des
Barbares n’eft pas la plus à plaindre -y il n’y a point
de fupplices qu’ils ne faffent fouffrir à leurs pri-
fonniers, pour les obliger à changer de Religion.
Le Sultan ayant refolu de chaffer entièrement
les Chrétiens delà Paleftine, afliegéa la fortereffe
Sanut /. 3.
par. i2. c. S. d’Affur qui appartenoit à l’Ordre desHofpitaliers.
C’étoit une des plus fortes Places de la Paleftine ;
Il6$. & le Grand Maître, outre la garnifon, y avoit mis
90 Chevaliers: ils fe firent tous tuer l’un après
l’autre dans les différons affauts qu’ils foutinrent3
de Malte. Livre III. 405
Ôc le Sultan nentra dans la Place, qu’en partant Htr gtte s
DE ItEVEL.
fur les corps de ces intrépides Chevaliers, qui fous
le mérité de l’obédience , alloient avec joye au
combat ôc à la mort.
Les Templiers l’année fuivante ne furent pas
mieux traitez,& ne témoignèrent pas auffi moins
de valeur ôc de fidelité pour leur Religion. Ils
étoient maîtres d une autre Fortereffe appellée
Sephet. Bendocdar y mit le fiége, ôc apres une
longue défenfe, le Prieur du Temple qui en étoit
Gouverneur, voyant tous fes ouvrages ruinez, fut
obligé de capituler. On étoit convenu par la capi¬
tulation de le faire conduire avec les Religieux >
4ôc le relie de fa garnifon, qui étoit encore de
fix cens hommes jufques dans la Place la plus
voifine qui appartînt aux Chrétiens. Mais le Sou¬
dan ne fe vit pas plutôt maître de Sephet, qu’il
fit defarmer les uns &les autres, ôc il ne leur don¬
na que la nuit luivante pour fe refoudre à mourir
ou à fe faire Mahometans. Le Prieur du Temple
qui étoit un faint Religieux, aflillé de deuxFran-
Pofthos ve-
cifcains, employa ce peu de tems fi heureufement, ro fratrttn
Jacobum de
ôc il exhorta fes confrères ôc fes foldats avec tant Podio &: fra-
de zele ôc de pieté à préférer la Couronne du mar¬ trem Jeie-
miam, quia
tyre aune vie perirtfable &c deshonorée par une hon- cæteros infi-
de fïrmave-
teufe apoftafie, qu’ils fe lairtferent tous le lende¬ ranc,& Prio-
remTempla-
main égorger plutôt que de vouloir changer de riorura ex-
Religion. Le Soudan irrité de leur fermeté, & de coriari fece-
runt j deinde
la confiance du Prieur du Temple, apres lui avoir fu(tigari,po-
(tremo ad lo-
inutilement offert des richeffes ôc desdignitez,le cum cæcero-
fit écorcher tout vif - ôc comme s’il eût craint en¬ rum deduéli
capite exft
core qu'il n eût échappé à un fuppîice fi cruel, il Tuât- Sanut ib.
Lee iij
406 Histoire de l’Ordre
HU O U Es
commanda quon lui coupât la tête. Il fit fouffrir
PE Revel,
les mêmes tourmens à deux Religieux de faint
François qui avoient fervi d’aumôniers dans la
Place. » Par la mort de tant de Chevaliers des
» deux Ordres, dit le Pape Clement IV. dans une
» de fes Lettres, voilà le noble College des Hof¬
pitaliers, & l’illuftre Milice du Temple prelque
Preuve «détruits* 3c fans parler de la perte de ces deux
XIII. » Places, des armes 3c des équipages, comment
«apresune fi grande perte, trouver allez de Gen-
« tilshommes &: de perfonnes nobles pour rem¬
placer ceux qui ont péri dans ces deux occafions?
Quoique les Historiens contemporains dès le
douzième fiecle donnaient le titre de Grand y
au Maître des Hofpitaliers, comme on l’a pu voir
dans cette Hiftoire * cependant les Papes, foit pour
fe conformer à l’ancien ufage, loit par rapport à
leur fuprême dignité, ne traitoient le Supérieur
Général de l’Ordre, que de Maître des Hofpita¬
il6j. liers de faint Jean. Ce fut le Pape Clement IV.
dont nous venons de parler, qui pénétré des fer-
vices des Hofpitaliers, donna à leur Chef la qua¬
lité de Grand Maître, comme on le trouve
dans un Brefde ce Pontife en datte du 18 Novem¬
bre 1167 > & ce Pape dans une autre Bulle,ajoute:
«LesFreres de l'Hôpital de Saint Jean de Jerufa-
« lem , dit-il, doivent être confiderez comme les
« Macabées du nouveau Teftament.Ce fontces gé-
« 11ereux Chevaliers, qui ayant renoncé aux defirs
« du fiecle, 3c abandonné leur patrie 3c leurs biens*
« ont pris la Croix pour fe mettre à la fuite de
« Jefus-ChrifL Cefl: deux dont le Sauveur dfs
de Malte. Livre III. 407
*» hommes fe fert tous les jours pour purger fort DE Hu g ir e s
ReVEL.
» Eglife des abominations dés Infidèles , & qui pour
» ladéfenfe des pèlerins & des chrétiens, expofent
« fi courageufement leurs vies dans les plus grands
1269.
« dangers. C’eft ainfi qu’en parle ce Pape dans fa
Bulle donnée à Viterbe en datte du 4 des Ka-
lendes de Juin & de lan premier de fon Pontificat*
Mais quelque honorable que fufTent ces éloges
8c ces titres , la Terre Sainte 8c les Ordres en
particulier, preffez, 8c pour ainfi dire, accablez
par la puiflance formidable de Bendocdar, avoient
befoin pour leur fecours de quelque chofe déplus
effectif que de louanges fteriles. Le Soudan fe pré¬
valant de la confternation où étoient les Chré¬
tiens , leur venoit d’enlever le port de Jaffaj quinze 7. Mars
jours après, il emporta le Château de Beaufort. 1268. if. Avril.
Mais la conquête la plus importante qu’il fit, fut 19. May*
celle de la célébré Ville d’Antioche, qui ne lui
coûta pas feulement les frais d’un fiege. Il s’en
rendit maître par la trahifon du Patriarche, d’au¬
tres difent, par la lâcheté des habitans. Ils n’en
furent pasmieux traitez,foi tque le cruel Soudan
aimât à répandre du fang, foit qu’il fût bien-aife
de diminuer dans cette grande Ville le nombre
des habitans chrétiens : il en fit pafTer dix-fept mille
par le fil de l’épée 8c en amena cent mille en ef.
clavage.
Bendocdar tourna enluite l’effort de fes armes
contre la forterefTe de Crac, qui appartenoit à l’Or¬
dre de faint Jean. Les Chevaliers foutinrent le fie¬
ge pendant près de deux mois contre toute lapuifi
lance de ce Prince, à l’exemple leurs freres, qui
408 Histoire de i/Ordre
Hugues
de Revel.
avoient défendu Afliir • & fans vouloir entendre
■ parler de capitulation, ils fe firent tous tuer fur
la brèche, 3c le Soudan n’entra dans la Place,
quaprèsla mort du dernier de ces généreux guer¬
riers.
I270. Tel étoit alors letat de la Terre Sainte, fans
Souverain, fins armée, fans fecours,n’ayant pour
toute reffource que les Ordres Militaires qui fe
voyoient accablez par les armées nombreufes des
Infidèles* Je tirerois volontiers le rideau fur des
endroits fi trilles, fi les loix de l’Hiftoire ne m’obli-
geoient de rapporter également les differens éve-
nemens, 3c les mauvais fuccès comme les bons.
Parmi ces guerres continuelles, 3c au milieu du
tumulte des armes, le Grand Maître aulïl attentif
à la confervation de la difcipline reguliere, qua
la défenfe des Places confiées à la valeur de fes
Chevaliers, convoqua & tint jufqu à cinq Cha¬
pitres généraux. Il s y fit plufieurs Reglemens très
utiles, 3c on confirma en même tems les anciens
ufages de l’Ordre, entre lefquels on voit que pour y
être reçu en qualité de Chevalier, il falloit être
ilTti dans un légitimé mariage, tant du côté paternel
que maternel, de Maifons nobles, de nom 3c
darmes. La même condition étoit requife pour
les Religieufes de l’Ordre ; & dans un de ces Cha¬
pitres, il fut permis au Châtelain d’Empofte d’ad¬
mettre à la profeflion les Demoifelles qui feroient
paroftre une véritable vocation, 3c qui poftule-
roient pour être reçues, foit dans le Prieuré de
Sixene, foit dans les autres Maifons de Filles qui
dépendoient de fa Châtellenie 3c de fon Prieuré.
de Malte. Livre III. 409
Hugues
Il fut défendu dans les mêmes Chapitres & fous le d e Revel.
Magiftere du Grand Maître de Revel de donner
l’habit à aucun Religieux qui auroit fait profeflion
dans un autre Ordre. Enfin , par les mêmes re-
glemens, les Hofpitaliersne pouvoient point.choi-
nr des Confeffeurs étrangers & hors de l’Ordre,
fans une permiflion expreffe du Prieur de l’Eglife,
Supérieur des Chapelains, qui tenoit lieu d’Evêque
&: d’Ordinaire dans l’Ordre, & qui par la concef-
fion des Papes, en a voit l’autorité, & même les
ornemens quand il officioit.
De ces foins & de ces reglemens religieux , le
Grand Maître pafla à de plus importans, qui re-
gardoient la confervation & la défenfe de la Terre
Sainte • & de concert avec le Grand Maître des
Templiers, il fit une trêve avec le Soudan d’Egypte,
dans la vue d’en profiter pour tirer du fecours du
côté de l’Occident, fansdequel il étoit impoffible
aux Chrétiens Latins de fe maintenir plus longT
tems dans la Paleftine.
L’un & l’autre Grand Maître pafferent depuis
en Italie pour le folliciter plus vivement. L’élé¬
vation deThéalde ou de Thibaud Archidiacre de
Liège fiir le trône de S. Pierre, les détermina à en¬
treprendre ce voyage. Les Cardinaux, apre's avoir
laide le S. Siégé deux ans neuf mois fans fe pou¬
voir accorder, Ôc fans donner un Chef vifible à
l’Eglife, convinrent enfin de la perfonne de Thi¬
baud , Archidiacre de Liege, de la noble Maifon
des Vifcomti , & ils lui envoyèrent à la Terre
Sainte où fa pieté l’avoit conduit alors, le decret
de fon éleélion. Perfonne ne pouvoit être un meiL
Tome L Fff
410 Histoire de l*Ordre
H IT G U E S leur témoin de l’extrémité &: des juftes befoins des
D E REVEL .
Chrétiens de ce pays-là. Ce faint Pape en étoit
pénétré • & avant que de partir , il promit aux
Grands Maîtres d’employer toute 1 autorité que
Dieu venoit de lui donner dans l’Eglile pour leur
procurer du fecours. On prétend qu’en montant
dans le vaiffeau qui le devoit porter en Italie , il
employa pour confirmer fa parole cette expreflion
du pfeaume 136 : O Jerufalem 3Citéfainte, (î je t oublie
jamais, que je fois moi - même oublie parmi les hommes.
Ce fut à ce S. Pontife appellé Grégoire X. que les
deux Grands Maîtres qui le fuivirent de près, s’a-
dreflerent en arrivant en Italie. Il avoit déjà pré¬
venu leurs prières &: leurs remontrances ; ôc à peine
avoit-il débarqué, que fermant l’oreille aux com*
plimens des Cardinaux & des courtifans, il tra¬
vailla uniquement pendant huit jours à chercher
les moyens de fecourir la Terre Sainte. Il s’aflîira
d’abord de douze galeres armées, dont Pife, Ge-
nes, Marfeille & Venife dévoient fournir chacune
trois. Pour fubvenir aux frais de la guerre, il em¬
prunta de Philippe le Hardi Roi de France fils de
S. Louis vingt-cinq mille marcs d’argent -, & pour
fureté de cette fomme, les Templiers engagèrent
Rainaldi ad à ce Prince toutes les Terres qu’ils pofledoient
.
ann. 1272 nj
dans fes Etats.
& t.
Les deux Grands Maîtres en arrivant en Italie,
apprirent avec bien de la jove les mefures que le
Pape avoit déjà prifes en faveur de la Terre Sainte.
Cependant après lui avoir baifé les pieds, ils lui
reprefenterent que ce fecours pouvoit à la vérité
reculer pour quelque tems la perte du peu de
DE Malte. Livre III. 411
Places qui reftoient aux Chrétiens • mais qu’il fal- Hughes
di Revel.
Ioit des forces plus confiderables, s’il prétendoic
chafTer les Infidèles de toute la Paleftine.
Le Pape entra dans leurs vues • & apres en avoir
conféré avec les Cardinaux, il convoqua un Con¬
cile général à Lyon , comme le moyen le plus fur
pour exciter le zele des Fideles, & pour produire
une nouvelle Croifade. C’eft ce que nous appre¬
nons d une Lettre de ce Pontife au Roi de France
Philippe III. dit le Hardi. » Pendant leféjour que
» nous avons fait à la Terre Sainte, dit Grégoire
» dans fa Lettre, nous avons conféré avec les Chefs
» de l’armée chrétienne, avec les Templiers & les
» Hofpitaliers, & les Grands du pays touchant les
» moyens d’en empêcher la ruine totale. Nous en
*> avons traité depuis avec nos Freres les Cardû
» naux , & nous avons trouvé qu’il y faut envoyer
» inceffamment quelque fecours fur les galeres, en
» attendant un plus confiderable que nous efpe-
» rons procurer par FafTemblée d’un Concile gé~
»> néral.
Ce Concile ne fe tint qu’en 1274 : le Pape s’y 1274.
rendit, & en fit l’ouverture le2 de Mai. Il voulut
que les deux Grands Maîtres s’y trouvaient pour
reprefenter eux-mêmes l’état déplorable de laTerre
Sainte ; 8c fi on en croit un ancien manufcrit in¬
titulé Cérémonial des Cardinaux ^ qui fe trouve dans la
Bibliothèque du Vaticanfous le numéro 4734* ce
Pontife leur afïîgna dans le Concile une place dif
tinguée & au-deffiis de tous les Ambafïadeurs, des
Pairs de France , & des autres grands Seigneurs
qui étoient venus à cette célébré affemblée.
Fff ij
412, Histoire de l’Ordre
Hugues Je n’entreprens point de rapporter ce qui s’y
be Rèvel.
païTa dans les differentes Sellions : je remarquerai
leulement que dans la derniere il fut arrêté qu’on
prêcheroit la Croifade dans toute la Chrétienté ;
ôc pour fournir aux frais immenfes qu’exigeoit un
fi grand armement , on impofa fur toutes les Di-
gnitez Ecclefiaftiques , ôc fur tous les Bénéfices,
des fommes confiderables par forme de décimes
payables en fix ans.
Philippe Roi de France avoit déjà pris la Croix.
Rodolphe qui de fimple Comte de Hafbourg ,
venoit d’être élu Empereur d’Allemagne, la reçut
des mains du Pape, ôc Michel Paleologue,qui dès
l’année 1161 avoit furpris Conftantinople , pour
être reconnu par les Princes d’Occident en qua¬
lité d’Empereur , offroit de joindre fes forces à
celles des Croifez, & de fe croifer lui-même. Mais
perfonne ne prit la Croix avec plus de zele que
Charles Duc d’Anjou frere du Roi S. Louis , ôc
Roi des deux Siciles, qui fe prétendoit Roi de Je-
rufalem en vertu d’un tranfport ôc d’une ceflion
que lui en avoit fait au Concile même , Marie
Princefle d’Antioche, fille de Boemond IV. & de
la PrincefTe Mélifende, quoique Hugues III. Roi
de Chypre foutînt que la Couronne de Jerufalem
lui appartenoit comme iflii en droite ligne d’Alix
de Champagne, fille de Henri Comte de Cham¬
pagne, &dlfabeau fille d’Amauri troifiéme Roi de
Jerufalem. Ce Prince fe fit couronner en cette quali¬
té dans la ville de Tyr, ôc le Roi de Sicile de fon côté,
en attendant qu’il pût paffer à la Terre Sainte pour
prendre pofleifion des débris de ce malheureux
de Malte.. Livre III. 413
HVG UE S
Royaume 3 y envoya en qualité de Ton Lieutenant de Revel.
Roger de faintSeverin. Les Seigneurs du Royaume
fe partagèrent entre les deux prétendansj&le Grand
Maître des Templiers à Ton retour du Concile , fe
déclara pour le Roi de Sicile. Mais le Grand Maître
de Revel 6c les Chevaliers de faint Jean refterent
neutres conformément à leur réglé 6c aux flatuts
de l’Ordre, 6c ils proteflerent qu’il ne leur étoit
point permis de prendre les armes contre aucun
Prince chrétien. Cette conduite, quoique égale¬
ment fage 6c équitable, leur attira le reffentiment
de Charles d’Anjou , qui fît faifir tous les biens
que l’Ordre poffedoit dans fes Etats.
Bendocdar n’auroit pas manqué de profiter de
ces funefles divifions qui partageoient tous les
Chrétiens Latins de la Paleftine } mais il mourut
en ce tems-là d’une blefifure qu’il avoit reçue dans
une bataille où il fut défait par les fucceffeurs de
Genchizcan.
L’Hiftoire marque dans l’année fuivante la mort I 2, 7 8«
du Grand Maître Hugues de Revel, confumé par
les foins pénibles du gouvernement, 6c par les
cruelles inquiétudes des fuites déplorables qu’il
prévoyoit pour l’avenir. Les Chevaliers affemblez
en Chapitre dans leur Maifon de faint Jean d’Acre,
firent remplir fa place par Frere Nicolas Lorgue, Nicolas
LO RG U E.
Religieux d’un caraétere doux 6c infinuant, 6c qui
employa tous fes foins pendant fon miniftere pour
éteindre les divifions qui étoient entre les Che¬
valiers de fon Ordre, 6c ceux du Temple.
Quoique la trêve que les deux Grands Maîtres
avoient faite avant leur départ pour l’Occident
Fffiij
414 Histoire de l’Ordre
Nicolas avec Bendocdar fubfiftât encore , un Capitaine
L o r g u e.
de Melec-Saïs Ton fucceffeur , Toit quil en eût des*
ordres fecrets de Ton maître , Toit par un efprit de
brigandage, la rompit 8c vint faire des courfes , 8c
ravager la campagne jufqu’aux portes de Margat,.
fortereffe appartenante aux Hofpitaliers de S. Jean.
Les Chevaliers , furpris de cette incurfion au
I;Z1 8. milieu de la trêve , fortirent de la Place en bonne
ordonnance, chargèrent ces pillards , tk en taillè¬
rent en pièces la meilleure partie. Le Sultan vou¬
lant avoir fa revanche , envoya aux environs de
la Place un plus gros parti compofé de cinq
mille hommes. Les Chevaliers firent une nouvelle
fortie } mais avant que d’avancer contre ces In¬
fidèles, ils laifferent une partie de la garnifon pro¬
che des portes de la Ville , &c dans une embuf-
cade, pour faciliter leur retraite. Ils marchèrent:
enfuite droit aux ennemis j & apres une legere
efcarmouche , ils fe retirèrent avec une frayeur
apparente, &: comme s'ils euffent été épouvantez,
du nombre fuperieur des Infidèles. Les Sarrafins
pleins d’audace 8c de confiance , les ponfferent -y
lès Chrétiens continuèrent àfe retirer devant eux
jufqu a ce qu’ils les eufTent attirez au de-là de Tem-
bulcade : pour lors ils firent face, 8c chargèrent
en tête les ennemis,, pendant que les troupes qui
étoient dans Tembufcade^en fortirent : pouffant
alors de grands cris , ils prirent les Infidèles en-
queue. Ceux-ci furpris , 8c marchant la plupart:
Lins ordre 8c fans précaution comme à une vi¬
ctoire certaine, furent bien-tôt enfoncez : ce fut:
moins dans la fuite un combat qu’une déroute*
de Malte. Livre Iïï. 415
Les Sarrafins cherchèrent à leur tour leur falut dans Nicgias
Lorgui.
la fuite ; il y en eut beaucoup de tuez, & plufieurs
furent faits prifonniers avec l’Emir qui comman-
doit ce détachement.
LeSultanpiquédecettederniere déroute, réfo-
lutde s en venger par la ruine même & la deftruc-
tion de cette fortereife ; mais ayant été retenu par
des affaires importantes dans fes Etats, il ne put
executer fondeifein que trois ans après qu’il vint lui-
même aflieger laPlace à la tête d’une armée formi¬
dable. Le Grand Maître y tenoit toujours un gros
corps de troupes. Melec - Sais tenta d’abord d’em¬
porter la Place par efcalade. Ses foldats fe pre-
lenterent avec des échelles au pied des murailles,
êc tâchèrent d’en gagner le haut *, mais ils trouvè¬
rent par tout le même courage ôc la même réfif-
tance. Les Chevaliers ne les lailfoient monter que
pour les précipiter de plus haut; les pierres, les feux
d’artifice, l’eau bouillante, tout fut mis enufage;
& le Sultan apres avoir perdu beaucoup de monde
fut obligé de faire fonner la retraite. Il fallut que
ce Prince en revînt aux réglés ordinaires : il ou¬
vrit la tranchée, & bâtit les murailles avec les ma¬
chines & les pierriers dont on fe fervoit en ce tems-
là. Mais ils avançoient peu; les Chevaliers faifoient
tous les jours des forties, & après avoir nettoyé la
tranchée, ils portoient fouvent la terreur jufqu au
milieu du camp des Infidèles. Ils brûlèrent même
plus d’une fois toutes les machines, & ils auroient
réduit le Sultan à lever le fiege, s’ils neuffent pas
eu un ennemi caché, qui les furprit, ôc dont ils
ne purent fe défendre.
416 Histoire de l’Ordre
Nicolas
Lorgui.
Pendant que Melec-Saïs les amufoît, pourain-
fi dire, par de fauffes attaques > Tes troupes tra¬
vaillent jour ôc nuit à creufer des mines qu’ils
pouffèrent jufques fous les murailles de la Pla¬
ce , en forte quelles ne pofoient plus que fur
des appuis de bois : il envoya enfuite fommer le
Gouverneur & la garnifon de lui ouvrir les portes.
Us reçurent avec raillerie cette fommation, & ils
demandèrent à l’Officier fi fon maître avoit crû
leur devoir faire un pareil compliment avant que
de lever le fiege. Mais il falut changer bien-tôt
de langage ^ cet Officier leur dit que la fortereffie
étoit minée par tout -, il leur offrit de les conduire
dans la mine, ôc de leur faire voir qu’il ne tenoit
qu’au Sultan de faire mettre le feu aux appuis, Ôc
de s’ouvrir par-là un paffage dans la Place : le Gou¬
verneur envoya auffi-tôt avec cet Officier deux
Chevaliers qui furent convaincus dans ce moment
de la vérité de fa relation. Il fallut traiter ôc aban¬
donner la Place, ôc apres que les Chevaliers en
furent fortis, le Soudan la fit raferpour leur ôter
rz 8 s-
l’efperance d’y rentrer dans une conjoncture plus
favorable.
Fan taie on.. /..
Un Hiftorien prétend que des Chevaliers Alle¬
3' p* ’$S•
mands, qui fe trouvèrent à la défenfe de cette Pla¬
ce, pour en conferver la mémoire, bâtirent de¬
puis dans leur pays une fortereffe fur le mêmeplan*
qu’ils appellerent Mergatheim, qui apres avoir
appartenu long-tems à l'Ordre defaint Jean,eft
tombée depuis, entre les mains des Chevaliers-
Teutoniques.,
Le Sultan après la conquête de Margat s’em¬
para
de Malte. Livre III. 417
para du Château de Laodicée,& il le dilpofoit à faire Nicolas
L O R G U E.
le fiege de Tripoli , lorfqu un des principaux Emirs,
appelle'Melec, le fît périr, & le plaça fur le Trône
fous le nom de Melec-Meffor. Ce nouveau Sou¬
dan apre's avoir établi fa puilfance dans l’Egypte,
reprit les deiTeins de fon prédeceffeur de chaffer
les Chrétiens de la Paleftine, & forma le fiege de
Tripoli qu’il emporta d’affaut , Sc qu’il fit razer,
comme Melec-Saïs avoit fait Margat. Il auroit pu
étendre plus loin fes conquêtes ; mais craignant
de s’attirer toutes les forces d’Occident par quelque
nouvelle Croifade, il fit une trêve avec Henry IL
Roi de Chypre fils de Hugues III. qui depuis là
malheureufe cataftrophe des Vêpres Siciliennes,
aü préjudice de Charles Duc d’Anjou,Roi de Si¬
cile , s’étoit fait reconnoître 8c couronner Roi de
Jerufalém, Ôc avoit chalfé de la Paleftine le Lieu¬
tenant ôc les troupes du Prince François. *
Telle étoit la fituation des affaires de la Terre
Sainte: de tant dePlaces que Godefroy de Bouil¬
lon 8c fes fucceffeurs avoient conquifes, il ne ref-
toit plus que la feule Ville de faint Jean d’Acre.
Tous les Chrétiens Grecs 8c Latins de differentes
Nations s’y étoient réfugiez, 8c ce qui eut dû en
faire la force, caufoitfa foibleffe, par la divifion
qui étoit entre les Chefs de ces differens corps ,
qui fe prétendoient indépendans les uns des autres.
Le Grand Maître des Hofpitaliers touché de la
perte de Margat, 8c prévoyant avec douleur la
* Apud Aconurbem Syriæ Rex Cypri fecit fecoronari in præjudicium
regis S'iciliæ, in Regem Jerufalem , & quia id Templarii, & fratres
Hofpitales permiferant , rcs eorum Sc boaa per Apuliam & terrain
regniSiciliæ m manu regia capiuntur»
Tome L G g g.
418 Histoire de l’Ordre
Nicolas ruine entière du Chriftianifme dans la Terre Sainte
L
G u £‘ pafTa en Occident pendant la trêve, pour en tirer
quelque fecours. Il s’adretfa au Pape Nicolas IV.
qui étoit alors fur la Chaire de faint Pierre, &lui
reprefenta dans les termes les plus touchans, l’ex-
trêmité à laquelle les Chrétiens de la Paleftine
étoient réduits, & le befoin qu’ils avoient d’un
puiflant fecours de troupes 8c d’argent. Mais il
n’en put obtenir qu’environ quinze cens hommes,
la plûpart bandits Ôc gens ramaffez , fans cou¬
rage 8c fans difcipline. Le Pape fe difpenfa même
de fournir de fon tréfor l’argent néceffaire pour
les foudoyer* ainfile Grand Maître ne remporta de
fon voyage que des marques d’une compaffion
fterile, 8c quelques Lettres de recommandation
pour les Princes Chrétiens , mais qui ne fu¬
rent pas plus utiles , outre que le mauvais luc-
cès de tant de croifades ou il étoit péri un nom¬
bre infini de Princes, de Seigneurs 8c de peuples
de tout l’Occident, avoit fort ralenti le zele 8c
l’ardeur des Chrétiens. Le Grand Maître ne put
donc ramener avec lui que quelques troupes le¬
vées à la hâte, &que les Vénitiens payèrent en
Orient fur leurs Galeres.
Ce foible fecours étant arrivé à Acre, ne fit
qu’augmenter le trouble 8c la divifion. Le Grand
Maître accablé d’années, 8c encore plus de la dou¬
leur de ne voir aucune reffource pour le falut de
cet Etat, mourut peu après fon retour; heureux en
ce qu’il quitta la vie avant que fon Ordre quittât
laPaleftine, 8c qu’il ne fut point témoin de la perte
de la Terre fainte.
‘jlHiniiiiiiii'fJl
.iinirm
de Malte. Liv. -III. 419
Ce Grand Maître, pendant fon gouvernement, Nicolas
L o r g u e.
8c de lavis du Confeil de l’Ordre, fit plufieurs re~
glemens tre's utiles. Ce fut lui qui prefcrivit la
forme du Sceau des Grands Maîtres, ôc de celui
du Trefor ou du Confeil. On lui attribue auffi l’ar¬
ticle des Statuts qui défend aux Freres de fe trou¬
ver en armes dans le Chapitre ou dans l’endroit
où fe doit faire l’éleétion du Grand Maître, 8c on
voit au titre 18, une énumération que ce Grand
Maître, avant que de mourir, publia des fautes 8c
des crimes qui emportoient la privation de l’habit.
Le Chapitre apres fa mort élut pour Grand Maî¬
Jean di
tre, Frere Jean de Villiers de la Langue de Fran¬ Villiers.
ce. Ce fut pendant fon Magiftere que des foldats
1 z 8 9.
Chrétiens de la garnifon d’Acre furent caufe de la
rupture de la trêve. Nous avons dit que ce n’é-
toient la plupart que des bandits, 8c des gens ramaf-
fez de differens endroits, que le libertinage 8c l’oifi-
veté avoient fait enrôler, mais fans courage 8c fans
difcipline ; 8c comme ils ne recevoient point de
folde réglée, ils fortoient fouvent de la Ville, fe
répandoient dans la campagne, & votaient indiffé¬
remment les Chrétiens 8c les Infidèles : ils venoient
au préjudice de la trêve de piller les bourgades
des Sarrafins *. Le Soudan envoya demander rai-
fon de ces brigandages à ceux qui commandoient
dans la Place ; mais il n’y avoit point alors de Gou¬
verneur en chef: la Ville étoit remplie de Chy-
* Mille quingenti ftipendiarii in Terræ Sandïæ fubfidium à Papa Ni-
colao miiïi contra voluntatemcivium ,Templi &c Hofpitalis militia ar-
mati de Acon excuntes trebas tum Soldano initas îmunpunc verfus
Cafalia &c Sarracenorum oppida incurfantes , abfque mifericordia Sarra-
cenos utriufque fexüs quos repenunt, occiderunt > qui pacificè fub trçbis
initis quiefcere fe credebant. K
Gggij
4.20 Histoire de l’Ordre
Jean de pr jQts, de V enitiens, de Génois, de Pifans, de Flo-
~ rencins, d Anglois, de Siciliens, d’Holpitaliers, de
Templiers, de Teutoniques, tous indépendans les
uns des autres : chaque Nation occupoit un quar¬
tier de la Ville où ils étoient cantonnez lâns aucune
fubordination. Le Légat & le Patriarche avec le
Cierge' s’étoient auiïi retranchez dans un endroit
particulier- tout cela formoit un corps considéra¬
ble d’habitans , qui n’étoit que trop capable de dé-
fendre la Place, s'ils euffent été unis.
— Mais la jaloufie entre tant de Nations differen-
119 tes, & les intérêts particuliers de leurs Chefs, les
rendoient fufpeéts & odieux les uns aux autres • Sc
au lieu de concourir au bien commun, c etoit af
fez qu’une nation eut ouvert un avis pour qu’une
autre s’y opposât. On en venoit même fouvent aux
voyesdefait} cette malheureufe Ville renfermoit
dans fon enceinte fes plus cruels ennemis. Elle les
trouvoit fur-tout dans un grand nombre des foL
dats de la garnifon, &: même parmi la plupart de
fes habitans , gens noircis des crimes les plus af¬
freux. Le meurtre, raffaifinat &c le poifon demeu-
roient impunis ; les criminels trouvoient un azile
toujours sûr dans les autres quartiers de la Ville
où ils n’avoient point commis de crime. La cor¬
ruption des moeurs etoit générale prefque dans
toutes les conditions, fans en excepter ceux-mê-
mes que leur profeflion engageoit à une conti¬
nence parfaite. On faifoit gloire du vice, qu’on
déguife fous le nom de foibleffe humaine, & il y
avoit même des hommes affez effrontez pour ne
fe pas cacher de ce péché affreux que la nature
/
de Malt e. Li v. III. 411
ne fouffre qu’avec horreur ^ en forte que de tous les Jean de
Vil lier. s.
peuples Chrétiens ou Mahometans qui occupaient
la Syrie la Paleftine, les habitans de Saint Jean
d’Acre paffoient pour les plus médians. Ainfi il ne
faut pas s’étonner fi cette multitude confule de fce-
lerats & de bandits refufa de donner fatisfadion au
Sultan fur les plaintes qu’il faifoit, comme le pro-
pofoient les Chefs des trois Ordres militaires. Les
Infidèles fur ce refus,J déclarèrent la oguerre à des
gens qui étoient fans Chef, fans armée, fans for¬
ces, &: qui ne cherchoient dans la prife des armes
que l’impunité de leurs crimes palfez , ôc les oc-
cafions d’en pouvoir commettre de nouveaux.
Le Soudan bien inftruit des divifions qui re-
gnoient parmi les habitans d’Acre, mit fur pied
une puiifante armée pour former le fiege de cette
Place , ôc pour chaifer entièrement tous les Chré¬
1291.
tiens Latins de la Syrie : mais ce Prince mourut
en chemin. On prétend qu’il fut empoifonné par
un Emir Lieutenant Général de fon armée, qui fe
flattoit par fa mort d’occuper fa place. Le Prince
eut encore affez de vie pour le faire arrêter ; il
Chron.(j Ht
fut écartelé par fes ordres, ôc le Soudan, avant que de Nangis.
d’expirer, conjura le Prince Calil Ion fils de ne le
point faire enterrer, qu’il ne fe fût rendu maître
de cette Ville.
L’armée apres fa mort reconnut le jeune Prince Preuve
XIV.
pour Sultan, fous le nom de Melec-Seraf. Il s’a¬
vança aufii-tôt du côté d’Acre qu’il alfiegea le 5
d’Avril de l’année 12,91. On prétend qu’il avoit dans
fon armée 160000 hommes de pied, & 60000
chevaux,
Ggg üj
411 Histoire de l’Ordre
Jean de
VlLLIERS*
Les attaques furent vives 6c continuelles, 6c la
nuit comme le jour, les Infidèles ne donnoient
point de relâche aux afliegez. Us employoient en
même tems la fappe 6c la mine , battoient conti¬
nuellement les murailles avec des pierriers, & avec
toutes les autres machines de guerre , qui en ce
tems-là étoient en ufage. Comme la mer étoit
libre 6c que les Chrétiens avoient un grand nom¬
bre de vaiflfeaux dans le port, la plupart des habi-
tans, 6c fur-tout les plus riches s’embarquèrent
avec leurs femmes, leurs enfans 6c leurs meilleurs
effets. Les uns cherchèrent un azile dans rifle de
Chypre, 6c les autres fe réfugièrent dans des ports
de la Grece ou de lltalie. Il ne relia dans la Place
qu’environ nooo hommes de troupes réglées, 6c
compofées la plupart des Hofpitaliers, des Tem¬
pliers , des Teutoniques, 6c de quelques foldats
féculiers qui combattoient fous les enfeignes de
ces trois Ordres.
Chenic.Naz- Henri II. Roi de rifle de Chypre ^ 6c qui pre-
gis. ad ann.
O
$.
12 0
noit toujours le titre de Roi de Jerufalem, débar¬
qua dans le port d’Acre à la tête de deux cens Ca¬
valiers, 6c de cinq cens hommes de pied. C’étoit
un foible fecours contre la puiflance formidable
du Sultan ^ d’ailleurs on n’étoit pas prévenu en fa¬
veur du courage du Prince chrétien. Ainfi la gar-
nifon qui vit bien qu elle ne pourroic pas fe dé-
fendre long-tems fans un Commandant qui fçûc
faire la guerre, élut d’un commun confentement
pour Gouverneur de la Place Frere Pierre de Beau-
jeu Grand Maître des Templiers, Capitaine qui
avoit vieilli dan$ le commandement des armées.
de Malte. Liv. III. * 415
VlLLIERS.
rieurs en nombre aux Chrétiens, il refta à la fin
peu de monde pour la défenfe de ce porte , & le
Maréchafdes Hofpitaliers , Chevalier d’une haute
valeur , étant tombé de plufieurs coups qu’il reçut
en même tems, le Grand Maître des Templiers
adrefliant la parole à celui des Hofpitaliers: » Nous
«ne pouvons plus tenir, lui dit-il, & la Ville eft
» perdue, fi en attaquant le camp même des en-
«nemis, vous ne trouvez moyen de caufer une
» diverfionqui ralentifle leur ardeur, &: qui nous
» donne le tems de fortifier le porte que nous
» défendons.
Le Grand Maître des Hofpitaliers prit avec lui
ce qu’il trouva de fès Chevaliers en état de mon¬
ter a cheval, partit fur le champ, ôc étant forti
par une porte oppofée à l’attaque, il le flatta de
lurprendre le camp ennemi * mais on y faifbit trop
bonne garde. Le Sultan pendant l’aflaut avoit fait
monter achevai toute fa cavalerie} le Grand Maî¬
tre qui n’avoit pas cinq cens chevaux , fe vit bien¬
tôt chargé, & obligé de fe retirer ; ôc comme il
rentroit dans la ville, il apprit avec douleur que
le Grand Maître des Templiers venoit d’être tué
d’une flèche empoifonnée; que la plupart de fes
Templiers avoient été taillez en pièces, & que
l’ennemi maître de la Ville, y mettoit tout à feu
Sca. fang. Comme il ne lui reftoit plus d’autre parti
que de fauver au moins fa troupe , il tourna du J Z fl
LIVRE QUATRIEME
L ES Hospitaliers qui s’étoient réfugiez
dans l’Ifle de Chypre, incertains de leur defli-
ii 9 i.
mêmes ce Supérieur.
Le Souverain Pontife en confequence de ces
differens
de Malte. Liv. IV. 433
differens avis, dépêcha aufii-tôt des Légats & des Jean de
VllLIfcRS.'
Nonces à la plupart des Princes d'Occident pour
les porter à terminer promptement leurs guerres
particulières, & à lever cet ob'ftacle qui empêchoit
une Croifade générale. Il fit reprefenter en par¬
ticulier à Philippe le Bel que les autres Souverains
de l’Europe avoient les yeux arrêtez fur lui pour
fe regler fur fa conduite j & que s’il prenoit la
Croix, il devoit être perfuadé que ces Princes, à
fon exemple , fe croiferoient , & qu’outre le mé¬
rite d’une fi fàinte entreprife, il auroit la gloire de
fe voir comme le Roi des Rois, & à la tête de la
plûpart des Souverains de la Chrétienté.
Mais ce Prince d?un efprit folide', & peu en prife
à ces fortes d’adulations , crut que les foins qu’il
devoit au gouvernement de fon Etat étoiènt fes pre¬
miers devoirs. Le Pape n’en ayant pas reçu de ré-
ponfe conforme à fes efperances , lui récrivit que
fi les affaires de fon Royaume le retenoient né-
ceffairement en Europe , il ne pouvoir au moins
fe difpenfer, pour fournir aux frais de l’armement,
de rendre les fommes que Philippe III. fon pere
avoit levées fur le Clergé de fon Royaume fou;s
prétexte d’une pareille Croifade, mais qui n’avoit
point eu d’execution; Le frlence que les Hiftoriens
ont gardé au fujet de cette fécondé Lettre, fait aE
fez connoître qu’elle n’eut point de fuccês.
Le Souverain Pontife ne termina pas fes offices
auprès des Princes feuls de fon obedience , & qui
étoient dans la Communion de l’Eglife Romaine.
Gomme dans ce projet d’une nouvelle Ligue il
s’agiflbit dm recouvrement des faints Lieux égale-
Tome IJ 1 i 11
434 Histoire de l’O r d r e
J EAN.DE ment rêverez de tous les Chrétiens Grecs & La¬
V IL LIE RS.
tins, & de lune & l’autre Communion, il en écri-
vit à Andronic Paleologue Empereur de Conftan-
Du Cange. tinople, à Jean Comnene Empereur de Trebifonde,
Famil.By- aux Rois d’Arménie , d’Iberie ôc de Géorgie ,
ZAnt. p. 192.
quoique Schifmatiques , 6c qui Envoient le rit
Grec. *
Le Pape pour fufciter de nouveaux ennemis aux
Sarrafins, porta fes vues jufques dans le fond de
la Perfe -, 6c ayant appris qu’un Tartare delcendu
de Gencliizcan appelle Argon, quoique payen 6c
Vading. n. idolâtre , n’avoit point d’éloignement pour les
4& f- Chrétiens, il lui envoya en ambaffade deux Freres
Mineurs pour travailler à fa conversion, & pour
tâcher en même tems de l’engager à porter fes
Hditon armes dans cette partie de la Syrie voiîine de la
Seigneur de Perfe, pendant que les Chrétiens attaqueroient
Churchij eh.
4D
la Paleftine.Mais les deux Francifcains trouvèrent
ce Prince mort dès l’année précédente.
Ce fut à quoi fe terminèrent alors tous les offi¬
ces de ce Pape , qui pendant le fiege de S. Jean
d.’ Acre, navoit jamais voulu contribuer de fes pro¬
pres fonds au fecours des affiegez. Les mefures
qu’il prit depuis, & même tant d’ambaffades, qui
avoientplus d’éclat que defolidité, furent encore
déconcertées par fa mort; 6c la difficulté d’unir
tant de Princes de differentes Religions, ou qui
avoient des intérêts oppofez , fit enfin échouer
fous fon fucceffeur le projet d’une Croifade. Aucun
Prince ne prit les armes , 6c tous les Chrétiens
d’Occident demeurèrent dans une trifte indiffé¬
rence pour le recouvrement de la Terre Sainte.
de Malte, L i v. IV. 435
Jean de
Il n’y eut que les Holpitaliers, qui, pour déférer VILL1ER5.
aux ordres du Grand Maître, s’étoient déjà rendus
à Limilfo dans Tille de Chypre.
Ce Grand Maître tint peu à prés un Chapitre
général. Depuis la fondation de l’Ordre on n’a-
voit point encore vû une aiïèmblée compofée d’un
fi grand nombre de Chevaliers de differentes na¬
tions : tout l’Ordre étoit palfé, pour ainfi dire, dans
Tille de Chypre. Le Grand Maître parut dans Taf-
femblée avec une contenance trille, mais qui ne
lui faifoit rien perdre de cet air de grandeur que
donne la vertu, ôc que les plus grands malheurs
ne peuvent abattre : ôc adrelïant particulière¬
ment la parole aux Chevaliers qui venoient d’ar¬
river d’Occident : » Votre diligence, leur dit-il,
» à vous rendre à nos ordres, ôc le courage dont
» vous paroiffez animez , me font voir , malgré
« toutes nos pertes, qu’il y a encore au monde de
** véritables Holpitaliers, capables de les réparer.
» Jerufalem, mes chers Freres reft tombée, comme
» vous fçavez, fous la tyrannie des Infidèles ; une
» puilfance barbare, mais formidable nous a for-
» cez d’abandonner pied à pied la Terre Sainte.
» Depuis plus d’un fiecle, il a fallu livrer autant
« de combats que nous avons défendu de Places.
» S. Jean d’Acre vient d’être témoin de nos der-
» niers efforts , ôc nous avons laide enfevelis fous
« fes ruines prefque tous nos Chevaliers. C’elf à
» vous à les remplacer-, c’eft de votre valeur que
» nous attendons notre retour dans la Terre Sainte,,
» ôc vous portez dans vos mains la vie, les biens
» ôc la liberté de vos Freres, ôc fur-tout de tant
lui ij
436 Histoire de l’Ordre
Jean d
VlLLIEKS-
» de Chrétiens qui gémiffent dans les fers des In-
« fideles.
Les plus anciens Commandeurs , au nom de
l’affemblée, ne répondirent à un difcours fi tou¬
chant que par une généreufe proteftation de fa-
crifier leurs vies pour délivrer la Terre Sainte de
la tyrannie de ces barbares ; & on voyoit couler
des yeux des plus jeunes Chevaliers des larmes de
fang, Ôc toutes brûlantes , que l'impatience de
fe venger des Sarrafins faifoit répandre à -cette
courageufe jeuneffe. Mais comme avant que de
recommencer la guerre il falloit donner une for¬
me confiante à ce nouvel établiffement, on exa^
mina d’abord dans quel endroit l’Ordre fixeroit fa
réfidence.
Nous avons dit que le Roi de Chypre leur.avoit
affigné pour retraite Limiflo, ancienne Ville, dé¬
corée d’un titre épifcopal 5 & fituée au côté méri¬
dional de rifle. Mais des Corlairps Arabes & Sar¬
rafins l’avoient ruinée depuis long-rems. Ce né-
toit plus alors qu’un grand Bourg ouvert de tous
cotez ; &: on voyoit feulement au milieu un Châ.
teau affez fortifié& afiez garni d artillerie5pour em¬
pêcher l’abord ôc les defcentes des Corfaires. -Quel¬
ques Chevaliers qui s’y trouvoient un peu trop à
1’etroit, proposaient qu’on fe retirât dans quelque
port d’Italie j mais le Grand Maître ôc les premiers
de l’Ordre rejetterent avec une généreufe in¬
dignation cet avis. Ils repréfenterent que leur
devoir Ôc l’efprit de leur Inftitut ne leur permet-
toit pas de s’éloigner du voifinage de la Terre
Sainte , ôc qu’ils dévoient toujours .être à portée
de Malte,. Liv. IV. 4J7
Jean d -e
de profiter des occafions qui fe préfenteroient VlLLIERS.
d’y porter de nouveau leurs armes. Cefentiment
fut reçu avec un applaudiflement général, 6c il
s’en fit même un Reglement, & comme un Statut
perpétuel. Quoique la Religion n’eût pas dans
cette Bourgade des logemens fuffifans, les pre¬
miers foins du Grand Maître furent de pourvoir
à celui des pauvres &des pèlerins: on reprit peu
de tems après toutes les fondrions de l’hofpitali-
té. Et à i’égard des Chevaliers & des Religieux
militaires, il fut arrête qu’on armeroit inceflam-
ment lesvaifieaux de l’Ordre, quiavoient paflfé les
Chevaliers, (oit de la Paleftine , ou de l’Europe
dans l’Ifle de Chypre- qu’ils s’en ferviroient pour
efcorter les pèlerins, qui, nonobftant la perte de
Jerufalem, ne laifloient pas de vifiter les Lieux
faints,comme celafe pratiquoit avant la première
Croifade, & en payant aux Infidèles le tribut or¬
dinaire, qu’ils exigeoient à l’entrée de cette Ville.
On ne fut pas long-tems fans voir fortir des
differens ports de l’Ifle plufieurs petits bâtimens
de differentes grandeurs, qui dans les tems de pafi
fage , c’efi-à-dire, vers la fin des mois de Mars ôc
d’Août s’avançoient le long des côtes de l’Europe
pour y recueillir les pèlerins, &tjui par le même
efprit de charité, les ramenoient dans leur patrie.
Des Corfairesinfidèles accoutumez à faire de ces
pèlerins leur proye ordinaire , tombèrent fur ces
premiers vaiffeaux de la Religion; mais ils y trou¬
vèrent des défenfeurs dont ils n’avoient pas encore
éprouvé la valeur & la réfiftance. Plufieurs de ces
armateurs furent enlevez par lesHofpitaliers,qui
Il 1 11J
43$ Histoire de l’Ordre
Jt AN DE
VlLLIERS.
revenoient fouvent en Chypre avec des prifes çon-
fiderables. Ils s’attachoient fur-tout aux v aideaux
du Soudan d’Egypte, l’ennemi déclare des Hofpi-
taliers. Ces priles augmentèrent infenfiblement les
armemens de l’Ordre. On bâtit depuis des galeres j
on conftruifit quelques vaiffeaux j bien-tôt il for-
tk des efcadres confiderables des ports de Chy¬
pre, & le pavillon de faint Jean à la fînfe fît ref
pe&er dans toutes ces mers.
Tel fut le commencement des armemens ma¬
ritimes dans l’Ordre de faint Jean de Jerufalem..
La perte d’Acre & la retraite forcée des Hofpita-
liers dans l’Ifle de Chypre, pour ne pas lai fier lan¬
guir leur courage , leur fît prendre le parti de la
mer: 6c je ne fçai fi les grands fuccés qu’ils y ont
eus depuis quatre cens ans , 6c fl ce nombre infini
de Chrétiens qu’ils ont préfervez d’un affreux ef-
clavage , ou dont ils ont rompu les chaînes, ne
dédommagent pas avantageufement cet Ordre
de la perte de tant de Chevaliers qui avoient péri
à la défenfe de faint Jean d’Acre.
Melec-Seraph, ce Soudan d’Egypte qui en avoir,
fait la conquête , irrité des prifes que les Hofpi-
caliers faifoient fur fes fujets, & de voir renaître,
pour ainfi dire, un Ordre qu’il croyoit avoir en¬
tièrement détruit, réfolut d’en pourfuivre les reftes*
jufques dans lTfle de Chypre, ôc de les en chaf-
fer. Il arma une puiffante flotte chargée de trou¬
pes de débarquement} mais des guerres civiles
qtfi furvinrent dans fes Etats, l'y retinrent malgré
lui , 6c: la mort de ce Prince qui fut tué dans
une bataille qu’il perdit contre des rebelles, dé-
de Malte. Liv. IV. 439
Jean de
livra les Hofpitaliers 6c les Templiers des périls Villiers.
\
Malte. Liv. IV.
de 495
animer les peuples mêmes les moins guerriers. Foulques
de
Les Hiftoriens fe font contentez de rapporter cjue VlLLARET.
“ “ leurs mœurs.
Il paroît même que ce Pontife , foit par rap¬
port à cette affaire,, ou à celle de Boniface, dont
le Roi vouloin qu’on condamnât la mémoire com¬
me d’un impie ôc d’un heretique ,1e trouvant trop
obfedé parles miniftres de ce Prince, eut bien vou¬
lu depuis Ijong-tems être hors de fes terres-, qu’il
fè déguila même pour forcir de Poitiers, ôc que
des l an 1.306, il prit avec quelques Cardinaux, le
chemin de Bordeaux, fans autre efeorte que de
quelques mulets qui portoient Ion or ôc ion ar¬
gent. Mais ayantr été reconnu en chemin par des
cm iffair.es du Roi, il crut devoir retourner dans
la Ville d’où il étoit parti. *
Philippe.,qui étoit vif ôc impatient, ôc qui ne
s’accommodoit pas des lenteurs du Pape, par un
ordre fecret, ôc qui fut exécuté un Vendredi 13
d’Oélobre , fit arrêter en un fçul jour, le Grand
Maître ôc tous les Templiers, qui fe trouvèrent à
Paris , ôc dans les differentes Provinces de Ion
Royaume : on faifit en même teins tous leurs biens,
qui furent mis à la main du Roi. **-.
Une conduite fi extraordinaire eau fa une furprife
^ Tune Papa ôc Cardinales- venerunt PiClavim , ubi lorgiorem mo*.
ram uodicitur j>quàm voluiflent fecerunt,Rege Francorum &c cjus-Com-
piieibus-& minidris illic eos quafi detinentibus violenter. Nam Papa,
ut dicirur, fub alterius fiCtione perfonæ aljquando centavit cum paucis,
fummàriis tamen oneratis argento 5<auro pra^cedentibus, verfus Burde-
galàrn profitifci-, fed. à qiubufdam qui, pro rege erant agnitus > cum rebus
quas îlluc volebat transferre cumpulfuselt Piétavim remeare Frima vita
Ciementis V. ex Balttzio. p.-jr- - - • • ‘
,
lippe le Bel- Queux reconnurent du Trefbr du Roi
à aucuns avoir donné qui au Roi avoient fait con¬
trariété, laquelle chofe étoit moult domageable au Ccfmog. L
Royaume : & en ceci, dit Bellelorêt, entendoit-on 3. Tra té des
Templiers,
Boniface VIII. ennemi mortel de ce Roi, & avec p. /tof.
lequel il avoit querelle ordinaire.
D’autresHifloriens,fans remonter ju(qu’audif¬
férend de Boniface,ont prétendu que ce Prince,
pour foutenir la guerre contre les Flamands, ayant
affoibli la monnoye fans en réduire la valeur, les
Templiers qui s’y trouvoient interreffez, avoient
été les auteurs fecrets d’une (édition qui s’étoit
élevée à ce fujet à Paris, ou du moins qu’ils l’avoient
fomentée par des difcours trop libres contre la
perfonneduRoi. Le peuple, toujours peuple, c’eft-
à-dire , toujours mécontent du gouvernement
quel qu’il foit, foutenoit qu’il ne falloir point cher¬
cher d’autre motif de l’arrêt des Templiers, que
51Z Histoire de l’Ordre
FoT7LQT7E$ l'avarice de ce Prince & de fes miniftres, & l*avî-
DE
VïLLARET* dite qu’ils avoient d’envahir les biens immenfes
de cet Ordre. Là-defluson citoit l’exemple récent
des Juifs tolerez dans le Royaume y mais que
Philippe l’année précédente avoit fait arrêter en un
feul jour , comme il venoit d’enufer à l’égard des
Templiers ôc qu’aprês les avoir dépouillez de tous
leurs biens, on les avoit obligez de forcir du Royau¬
me avec leurs familles, demi-nus, ôc feulement
avec un médiocre viatique pour leur fubfiftance
pendant le chemin.
Des gens pafiionnez rappelloient encore ce qui
s’étoit paifé en Italie ôc a Anagnie, patrie & ré-
fidence de Boniface VIIL dont le trefor avoit
été pillé par des avanturiers François &c Italiens,,
que le Roi tenoit fecretement au-delà des monts
fous les ordres de Nogaret ôc de Colonne. On
prétendoit que ce Prince s’étoit approprié la meil¬
leure partie de ce trefor, le plus riche qui fut dans
la Chrétienté, foit en or, en argent, ou en dia-
ma ns & en pierreries
Fr e u v e Il nous eft refté de ces tems-là un Mémoire
VIL anonyme, quipourroit faire foupçonner que dans
les motifs qu’on propofoit a ce Prince pour l’en¬
gager à pourfuivre la condamnation, des Terru-
pliers, il y en avoir qui n’étoient pas tout-à-fait
defintereflez. Comme depuis que les Templiers
avoient été arrêtez, on ne failoit plus myftere en
France du deffein qu’on avoit formé d’abolir en¬
tièrement leur Ordre, un de ces hommes qui ne
fondent leur fortune que fur la ruine de celle des
autres, propofa au Roi Philippe le Bel, de créer
ôc
D E M A L T E. Ll V. I V. 513
Foulques
ôc de fonder un nouvel Ordre fous le nom d'Ordre d E
Royal, d’obtenir du Pape qu’il y attachât les grands VlLLARET.
*
de Malte. Liv. IV. 515
mination que produifent toujours de grandes ri- Foulques d E
cheffes, les avoir fait paffer pour les plus fuperbes VlLLARET.
1
é
quitté l’habit & fait rafer les longues barbes qu’ils Foulques
d E
portoient, fuivant l’ufage des Orientaux. Les Tem¬ VlLLARET.
pliers au contraire qui avoient révoqué leur pre¬
mière confeiïion, & qui perfifterent dans les pro-
teftations qu’ils avoient faites de leur innocence,
furent traitez avec toute forte de rigueur. Cin¬
quante-neuf, parmi lefquels il y avoir un Aumô¬
nier du Roi, furent dégradez comme relaps, par
l’Evêque de Paris , & livrez au bras féculier. On
les conduifit hors la porte S. Antoine où ils fu¬
rent brûlez tout vifs ôc à petit feu. Au milieu des
flammes, tous invoquoient le faint nom de Dieu;
& ce qui efl: de plus furprenant, il n’y eut aucun
de ces cinquante-neuf, qui, pour fe délivrer d’un
fi affreux fupplice , voulût profiter de l’amniftie
/
530 Histoire de l’Ordre
Foulques autorité dont il fût revêtu,il fentoit bien qu’il feroit
D h
ViLLARET. difficile de fe difpenfer de les entendre lur les dif¬
ferentes caufesderécufation,ni de refufer aux pré¬
venus la confrontation contre leurs accufateurs 3c
& les témoins ; toutes procedures qui emporte-
roient beaucoup de tems, 3c lailferoient le luccés
de ce grand procès incertain.
L'affaire traîna près de fix mois,qui furent ap¬
paremment employez en conférences, 3c peut-être
en négociations fecretes, pour obtenir des Prélats
que dans une affaire qui paroiffoit aufli éclaircie,
Les Médi¬ onpaffàtpar-deffus les formes ordinaires .Du moins
tations de
Camerarius, Alberic de Rofate, célébré Jurifconfulte, rapporte
5. v. /. /. c. 4. que fur ce que les Peres du Concile foutenoient
qu’on ne pouvoit jamais condamner les accufez
Et fiviâjuf-
tttiA Ordo illc fans les avoir entendus, le Pape s’écria que fi par
defirai non le défaut de quelque formalité, on ne pouvoit pas
pojfit ,fiat ta-
men ztà ex¬ prononcer judiciairement contre les Templiers,
pédient. œ, ne la plénitude de la puiffance Pontificale fuppléeroit
fçandalifetur
cants fil: hs
à tout, & qu’il les condamneroit par voye d’cx-
no fier R ex pedient, plutôt que de chagriner Ion cher fils le
Gail. £,
Roi de France.
En effet ce Pontife, le zz du mois de Mai de
l’année fuivante, après s’être affuré auparavant dans
unConfiftoire fecret des Cardinaux 3c de plufieurs
131 z. Evêques, que lacomplaifance ramena à Ion avis ,
tint folemnellement la fécondé Seffion du Con¬
Preuve
cile , dans laquelle il caffa 3c annulla l’Ordre mi¬
IX. litaire des Templiers. * Et quoique nous riayonspû>
dit-il dans fa Sentence, prononcer félon les for-
* Summus Pontifex multis Prælatiscum Cardinalibus coram fe in pri-
vato Confiftorio convocatis, per provifïonem potiufquam condemnationis
viam, Ordinem Templariorum caffavit, &: penitus annulavir. vit*
ÇU/nentif V. p, 8j. Autore quodam Veneto cottaneo.
de Malte. Liv. IV. 531
mes de droit, nous les condamnons par prowifion, Foulques
d E
(efr par l autorité Apofiolique , réferwam à Nous VlLL ARET.
bles des Maifons, tous les fruits & revenus des ter¬
res, en un mot tous les effets mobiliers jufqu’au jour
que les Hofpitaliers en avoient pris poffemon. Mais
ni ce Prince ni le Roi fon pere ne profitèrent pas
feuls d’une fi riche dépouille : & il y a des Hifto-
Ü/. Dupuy,
pag. fp.
riens qui rapportent que le Pape en eut fa bonne
part.
Charles II. Roi de Naples &c de Sicile, & Comte
de Provence & de Forcalquier en ufa à peu près
de la même maniéré dans les Etats qu’i^ avoit en
France. On y brûla un grand nombre de Tem¬
pliers qui ne voulurent pas convenir des crimes
qu’on leur imputoit. A l’égard de leurs biens, M.
Dupuy nous apprend qu’on laiffa les immeubles
Nofirada- aux Hofpitaliers jmais que pour l’argent & les effets
mus Htfioire
de Prorence,
mobiliers , ils furent confifquez Ôc partagez entre
Ann. 1307. le Pape & ce Prince. Mais il paroît que le Roi de
Naples différa pendant fk vie à mettre les Hof¬
pitaliers en poffefïion des Châteaux qui fe trou>
voient dans les Royaumes de Naples éc de Sicile.
Car l’Hiftoire nous a confervé une Lettre de Clé¬
ment qui exhorte le Roi Robert fon fuccefîeur à
imiter la conduite de Philippe le Bel, &àfedé£ii-
fir promptement des biens en fond des Templiers :
d’ou on doit conclure que Philippe les avoit remis
avant fa mort auxCommiffaires. Mais le différend
au fujet des frais ne fut terminé que fous le régné
de fon fucceffeur, comme nous le venons de rap¬
porter.
Quoique le Pape, à l’inftance des Rois d’Arragon,
de
DE M ALTI, Liv, IV. 545
Foulques
de Caftille, de Portugal & de Majorque eût par d E
faBulle excepté du tranfport& de la celfion que le VlLLARET.
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DISCOURS
SUR LA LC O R AN,
"Prononcé dans t Academie des belles Lettres le Mardi
14 Novembre 17x4, d toauerture de t Academie^
par Monjteur b Abbé de Vertot.
%
562 Dis co tf R s sur l’Al coran.
aux hommes que les pépins des fruits qu’ils mangeront dans
le paradis, fe changeront en autant de jeunes filles d’une
beauté divine, créées exprès pour leur félicité, fi douces
6c fi complaifantes, que fi une goûte de leur falive tomboit
dans la mer, elle feroit capable d’en enlever toute l'amer¬
tume; 8c quoique dans un ufage frequent du mariage toujours
vierges 8c jamais meres.
Uotting. Hijl. Si cette dodrine flatoit des hommes fenfuëls, des femmes
Orient. I. l.
âgées au contraire, 8c qui par - là le croyoient exclues de
c. 4.
ce lieu de délices , en furent allarmées. Une d’entre-elles*
à ce qu’en dit Lamay dans fon Lathaif, en porta des plain¬
tes au Prophète , qui pour les rafiurer lui dit, qu’elles
reflufeiteroient toutes à l’âge de quinze ans, 6c avec une
beauté parfaite 5 ce qui confola 8c réjouit les vieilles 8c
les laides.
Par oppofition au paradis, Mahomet repréfente l'enfer
Aie. c. 7. comme une fournaife ardente , couverte 6c environnée en
37* 43. 44- tout temps de nuages épais, 8c d’une fumée chaude 6cfalée.
47
» 5®* 74.
77. 78. 90. Pour rafraîchifiement il fait avaler aux damnez une liqueur
noirâtre toujours brûlante femblable à de la poix fondue ,
qui circulera dans leurs veines : 6c il ne laifie à ces mal¬
heureux pour ombrage qu’un certain arbre qu’il appelle
Zacowm , dont les fruits, dit-il, repréfentent des têtes de
diables.
Il effc aifé de voir au travers de toutes ces fables , que
ces fontaines du paradis de Mahomet, font empruntées de
ces paroles de l’Ecriture,qui dit: Que les élus feront abreuvez
d’un torrent de délices , de torrente voluptatis potabis cos :
8c à l’égard de ces jeunes perfonnes deftinées à leurs plai-
firs, tout cela a été formé fur le plan du paradis terreftre
de Cerinthe, qui afiiiroit qu’après la réfurredion générale,
il y auroit à Jerufalem 8c dans la Paleftine un régné tenu
porel de Jésus-Christ ; que les hommes alors jouiroienc
pleinement des mêmes plaifirs dont ils fe feroient privez
pendant leur vie , 8c que le jour de leurs noces dureroit
pendant mille ans entiers.
A ne confulter fimplement que le texte de l’Alcoran, 8c
à le prendre à la lettre, rien n’efl: plus greffier que ces pro-
mefîes ? qui n’ont pour objet que la fatisfadion des fens.
Discours sur l’Alcoran. 563
Aufli Mahomet voyant bien que cette forte de béatitude
ne fatisferoit pas les efprits éclairez , pour contenter les
uns 8c les autres, il ajoute dans le chapitre intitulé Jonas}
Que dans ces jardins de délices les bienheureux répéteront
fans cédé ces paroles : Vous êtes Saint 3 Seigneur , notre
Dieu 3 & louan te éternelle au Maître de toutes les créatures.
Et le Schéikb Alalem s’écrie : Le paradis 3 Seigneur, nef
fouhaitable que pareequon vous y voit ; car fans l'éclat de
votre beauté il nous feroit ennuyeux j ce qui peut faire croire
que ces differentes peintures des plaifîrs fenfuels 8c des peines
corporelles de l’autre vie n’étoient que des allégories dont
Mahomet envelopoit fes difeours ^ figure familière aux
Orientaux , 8c qu’il ne faut pas toujours prendre à la lettre
félon certains do&eurs de cette Sede. Ce qui a fait dire à
un Mufulman fpirituel ôc dévot : O vous qui me conviez^ à
jouir des délices du paradis, ce nef pas le paradis que je cher¬
che , mais feulement la face de celui qui a fait le paradis.
Quelque foin que prît Mahomet d’ajufter le plan de fon
paradis aux goûts differens des hommes , entreprife qui
n’étoit pas aifée, 8c comme d’ailleurs il n’ignoroit pas qu’en
matière de Religion, tout ce qui porte le caradere de nou¬
veauté efi: juftement fufped , il déclare dans l’Alcoran
qu’il prétend moins annoncer une nouvelle loi, que de faire
revivre celle que Dieu avoir donnée à Adam 8c aux pre¬
miers hommes, 8c qui par Noé 8c fes defeendans étoit paffée
à Abraham 8c à Ifmaël leurs ancêtres : Loi, dit-il, plus
ancienne que ni celle des Juifs, ni celle des Chrétiens,
Il ajoute que cette loi quoique divine avoir été altérée 8c
corrompue par les fuccefleurs des Patriarches , qui avoient
fubftitué au culte du vrai Dieu des Simulacres 8c des/ldoles,
dont ils avoient fait l’objet de leur Religion 5 que Dieu
pour ramener les hommes de leurs égaremens leur avoir
envoyé d’abord un grand Prophète appellé Moyfe, qui
leur avoir donné de fa part une nouvelle loi, 8c que ce
Prophète avoit autorifé fa miflîon par des miracles écla-
tans j mais que le peuple d’Ifraël auquel il étoit envoyé,
avoit dans la fuite des temps préféré à une loi fi fainte des
traditions humaines, 8c que plufieurs fois cette nation étoit
retombée dans l’Idolâtrie..
B b b b ij
564 Discours sur t’AtcoRAï.
Que le Souverain Créateur des hommes dans des temps
marquez par fes décrets éternels avoit fufeité un fécond
Prophète plus grand que Moyfe, appellé J e s u s , fils de
Marie , conçu, dit-il, par un foufle divin, fanspere comme
Adam, 6c d’une mere toujours vierge : mais que quoique
ce nouveau Prophète n’eût publié qu’une loi remplie de
douceur 6c de charité, 6c que pour la faire recevoir il eût
fait à la face de toute la Judée des miracles furprenans,
cependant que fa million malgré tous ces miracles n’avoic
pas eu un fuccès plus heureux que celle de Moyfe $ que les
Prêtres 6c les Pharifiens l’avoient voulu fait mourir ; mais
que dans le moment de fon fupplice 6c de fa paillon Dieu
l’avoit enlevé au Ciel 6c dérobé à la fureur de (es enne¬
mis : autre fable encore empruntée en partie de la doctri¬
ne de Cerinthe. Mahomet ajoute que les Chrétiens
depuis fon Afcenfion avoient altéré fa loi, qui s’étoit per¬
due par de faulTes interprétations, 6c qu’elle n’étoit plus
canonique. Qu’enfin Dieu l’avoit envoyé comme fon der¬
nier Prophète, 6c plus grand que Moyfe 6c que J e s u s ,
pour purifier la Religion des fables que les hommes fous
le nom de traditions 6c de myfteres y avoient introduites,
6c pour les réduire tous dans l’unité de creance 6c dans
l’obfervance de la même loi , dont il n’étoit que le mi-
niltre 6c le porteur des ordres du Ciel.
C’eft de ces difFerens principes que l’habile impofteur
avoit bâti fon fyftême. Le Juif lui avoit fourni celui de
Ne confie! e- l’exiftence d’un feul Dieu, mais fans multiplication de per-
rerez - vous
fonnes : il défend expreflèment dans l’Alcoran qu’on at¬
jamais que
Dieu eft feul tribue à Dieu ni fils ni filles j 6c par cette défenfe il don¬
& fans pofte- ne l’exclufion aux trois prétendues Déefîès des Arabes
rité . . .
Joué Toit Dieu
Idolâtres, 6c il ruine en même temps le myftere de la Tri¬
il n’a ni fils ni nité 6c le mérité de la pafiion de J e s u s-C hrist.
filles autres Il paroît qu’il avoit tiré ce premier axiome de l’unité
que les gens
de bien qui de Dieu , des paroles du Deuteronome où. il eft dit : Ecou¬
l’adorent, & te 3 Ifraël, notre Dieu efi un j ce qu’il a parodié par ces
qui obfervent
les Coramati-
paroles arabes la illach, illalach , il n’y a point d’autre
demens. uilc. Dieu que Dieu ^ 6c pour recommander en même temps fa.
c- 37- vers la million, il ajoute dans la même langue, ou, Mahammeâ
fin.
refont, 6c Mahomet eft l’envoyé de Dieu : autres paroles
Discours sur l’Alcoran. 56;
vifiblement copiées d’après celles qu’on lit dans l’Evan¬
gile de faine Jean : C’eft-là la vie éternelle, qu’ils vous re-
connoilîent feul vrai Dieu 6c J e s u s-C hrist que vous
avez envoyé, & quem mifîfti filium. Mahomet pour le
concilier les Juifs 6c les Chrétiens , empruntoit également
des faits 6c. des pallages de l’ancien 6c du nouveau Tefta*
ment.
Ce fut par complaifance pour fes compatriotes, 6c fur-
tout pour les Juifs Arabes, qu’il retint l’ufage de la cir¬
concilion , quoique dans i’Alcoran il n’en foit fait aucune
mention • mais depuis plufieurs fiecles cette pratique étoit
déjà établie indifféremment parmi la plupart des Arabes.
Dans fesPht-
Origéne qui n’étoit pas éloigné de l’Arabie, rapporte localies ch. zj.
que tous les îfmaelites qui habitent, dit ce fçavant hom¬ Hijl. Eccl. f>.
103,
me , cette région , fe font circoncire dès qu’ils font parve¬
nus à leur treiziéme année. Saint Jerome confirme la mê¬ Ch*f. le.
PREUVES DU I LIVRE
D E
PREMIERE PREUVE,
Q& répond à la page 15. de l'Pïiftoire.
1
de l’Histoire de Malte. 5-79
Donationes etiam quas religiofi Principes de tributis, feu vedigali-
bus fuis, eidem Xenodochio délibéraverint, ratas haberi decernimus,
Obeunte autem te, ut ejus loci Provifor atque Præpofitus ,nullus quâli-
bet fubreptionis allutiâ, feu violentiâ præponatur, nifi quem Fratres
ibidem profeffi, fecundùm Deum providerint eligendum. Præterea
honores omnes, five poffeffiones quas idem Xenodochium ultra, feu
eitra mare, in Aliâ videlicet, vel in Europâ, aut in præfenti habet, aut
in futurum, largiente domino poterie adipifei, tamtibi, quàm Succef-
foribus tuis, hofpitalitati pio ltudio incumbentibus, 6t per vos eidem
Xenodochio in perpetuum confirmamus. Adhæc adjicientes decerni¬
mus, ut nulli omnino hominum liceat idem Xenodochium temerè per-
turbare, aut ejus poffelîiones auferre, vel ablatas retinere, minuere ,
vel temerariis vexationibus fatigare. Sed omnia integra conferventur,
eorum , pro quorum fuftentatione 6c gubernatione conceffa funt, uli-
bus omnino profutura. Sanè Xenodochia, five Ptochia in Ocçidentis
partibus, penesBurgiun fandi Ægidii, Allen, Lifan, Barum, Hifpa-
lum, Tarentum 6c Meffanam, Hierofolymitani nominis titulo celebra-
ta , in tuâ 6c Succefforum tuorum fubjedione ac difpolitione, licutho-
die funt, in perpetuum manere fiatuimus. Si qua igitur in futurum Ec-
clefialtica, fecularifve perfona, hanc noltræ conftitutionis paginam
feiens, contra eam venire tentaverit, fecundo tertiove commonita, Il
non fatisfadione congrua emendaverit, potellatis honorifque fui di-
gnitatecareat, eaque fe Divino judicio obnoxiam exiftere de perpetra-
ta iniquitate cognofcat, 6c à Sacratiffimo Corpore 6c Sanguine Dei, 8c
Domini Redemptoris noftri Jefu Chrilti aliéna fiat, atque in extremo
examine dillridæ ultioni fubjaceat. Cundis autem eidem loco julta
fervantibus, fit pax Domini noftri Jefu Chrilti , quatenus 8c hic fru-
dum bonæ adionis percipiant, 8c apud diltridum Judicem, præmia
æternæ pacis inveniant. Amen, Amen.
Item, D’autant que par quelques rôles & cayers des Langues, il a,
cté demandé qu’on eût à mettre quelque différence entre les Freres Cheva¬
liers & les Servans d'Armes, Meilleurs les Révérends feize ont pour cet
effet enjoint & ordonné qu'aucun de nos Freres Servans d'Armes ne puiffe
porter a l'avenir fur fon habit la Croix de notre Ordre, faite de toile de lin *
plus grande que la moitié d'un demi pied de Canne de Sicile, & que celle de
nos Freres d'Offce ne foit plus grande que le quart d’un pied, fans que pas um
d’eux fe doive hcentier de porter la Croix d’or, ou dorée. Qui fera le contrai-*
re , qu'a chaque fois qu’il en fera convaincu , s’il eft Commandeur, il
perde tout le revenu d’un an de fa Commanderie, applicable au commun
tréfor. Si c’eft un Frere conventuel , qu’il perde un an d’ancien¬
neté , 8c fi un Frere d’office ou d’état, qu’il en foit privé de même:
F autorité toujours réfervée au Grand-Maître d’en difpenfer qui bon,
lui femblera. Enjoignant & commandant aufdits Freres Servans d’Ar¬
mes & d’Office, que toutes les fois qu’il fera queltion de faire ftipuler
quelque A de ou Contrat pour eux, ils [oient obligez, dy faire fpecifer leur
qualité. Que fi quelque Frere de notre Ordre en peut découvrir on
furprendre quelques - uns contrevenans à ce Réglement ^ qu’en tel
cas il lui foit permis d’en lever l’information de fa propre autorité ,
8c d’avertir le Grand-Maître & le Confeil de ladite contravention,
afin d’en ordonner la punition comme bon leur fembleta. Baudoin ou
Naberat, page 160 des Statuts & Ordonnances„
I N nomine fandæ & individuæ Trinitatis, Patris & Filii <Sc Spiritus
Sandi. Tempore quo Calixtus Papa fecundus, & quartus Henricus
Romanorum Imperator Augulluspace eodem anno inter Regnum
& Sacerdotium luper annuli & baculi controverfia , celebrato Romæ
Concilio, Deo auxiliante, peradâ, alter Romanam Ecclefiam, al-
îprque Regnum xegebat, Dominions Michaelis Venefiæ Dux, Dalmatias
Eeee ij
^ 89 Preuves du I* Livre
atque Cfoatîse Regni Princeps, innumerâ claflium militiæque multi-
tudine, priùs tamen ante importuofas Afcalonis ripas, Paganorum
claflium Regis Babyloniæ graviflimâ flrage fa&â , demum in Hierufa-
lem partes , ad neceflarium Chriftianorum patrocinium vi&oriofus
advenit. Rex quippe Bdduinm Hierufalem fecundus, tune temporis,
peccatis noftris exigentibus, fub Balac Principe Parthorum, Pagano¬
rum laqueo cum pluribus aliis captivus tenebatur. Propterea nos-qui—
dem Gormundtts, Dei gratiâ fan&æ civitatis Hierufalem Patriarcha 4
cum noftræ Ecclefiæ Fratribus fuffraganeis, Domino Wilelmo de Bnn»
Conftabulario , 6c Pagano Cancellario, nobis cum totius regni Hiero-
folymitani fociâ Baronum militiâ conjundâ , Achonein Ecclefia.
Fandæ Crucis convenientes : ejufdem Regis Balduini promiflion.es
fecundùm literarum fuarum 6c nunciorum prolocutiones, quas eideny
Veneticorum Duci fuosper nuncios, ufque Venetiam, Rex ipfeman-»
daverat, propriâ manu,, 6c Epifcoporum flve Cancellarii manu pa*
cifque ofeulo , prout Ordo nofler exigirdatis : Omnes vero Baro*
nés, quorum nomina fubfcripta funt, fuper fanda Evangelia fubferi-*-
ptas depadionum conventiones, fandiflimo Evangeliftæ Marco , præ-
dido Duci fuifque fuccefforibus, atque genti Veneticorum limul fta-
luentes affirmavimus, quatenus fine aliqua contradidone, quæ dida
6c quemadmodum inferiùs fubfcripta funt, ita 6c rata , 6c in futurunx
allibata, flbi fuæque genti in perpetuum permaneant. Amen. In om¬
nibus feilicet fupradidi Regis, ejufque fucceflorum fub dominiov
atque omnium fuorum Baronum civitatibus, ipfl Venetici Ecclefiam
%& intégrant rugam , unamque plateam flve balneum, nec non 6c fur*
num habeant, jure hereditario in perpetuum poflidenda , ab omnj
exadione libéra , fleut funt Regis propria. Verùm in platea Hierufar-
iem tantum ad proprium habeant, quantum Rex habere folitus efh-
Quod fi apud Accon, furnum, molendinum , balneum , ftateram ,
modios 6c buzas ad vinum, oleum, vel mel menfurandum in vico
|Cuo Venetifacere voluerint, omnibus inibi habitantibus abfque contra-
didione quicunque voluerit coquere, molere, balneare, ficut ad prer-
pria Regis libéré liceat. Sed modiorum , ftateræ atque buzæ menfuris,.
hoc modo uti liceat. Nam quando Venetici inter fenegotiantur, cum
propriis, id eft, Veneticorum menfuris menfurare debent : cum ver6'
Venetici res fuas aliis gentibus vendunt, cum fuis , id efl:, Veneti¬
corum menfuris propriis vendere debent. Quando autem Venetici ab
aliquibus gentibus extraneis quàm Veneticis, commercio aliquid ac-
cipientes comparant, cum Regiis menfuris datoque pretio accipere
licet. Ad hæc Venetici nullam dationem, vel fecundùm ufum , vel
fecundùm ullam rationem, nullo modo, intrando ,Itando, vendendo,
comparando vel morando, aut exeundo , de nulla.penitùs caufa ali-
quam dationem perfolvere debent, nifi folum quando veniunt, aut
exeunt cum fuis navibus peregrinos portantes: tune quippe fecundùm.
Regis confuetudinem, tertiam partem ipfi Régi dare debent. Unde
jpfe Rex Hierufalem , 6c nos omnes , Duci Veneticorum de fundo
r>E l’Histoire de Malte. ygp
Tyrl, èx parte Régis, fefto Apoflolorum Pétri & Pauli, trecentos in
unoquoque anno bizantios Sarracenatos, ex debiti conditione per-
folvere debemus. Vobis quoque, Duci Venetiæ, 8c veftræ gcnti pro-
mittimus, quod nihil plus accipiemus ab illis gentibus , quæ vobif-
cum negociantur , nifi quantum foliti funt date, & quanta accipimus
ab îilis qui cum aliis negotiantur gentibus. Præterea illa-rn ejufdem
plateæ, rugæque Achon partem unum caputin manlione ?etnZanniy
aliud vero in fandi Dimitri Monafterio firmantem -, 8c ejufdem rugæ
tdiam partem , unam materiariam 8c duas lapideas manfioneshaben-
tes, quæ quondam cafulæ de cannis elfe folebant, quam Rex Bal~
duims Hierufalem primitus beato Marco , dominoque Duci Ordolœfi,
fuifque fuccefforibus in Sydonis acquifitione dédit -, ipfas inquam par¬
tes , beato Marco , vobifque Domimco Michaëh , Venetiæ Duci, veftris
quoque fuccefforibus per præfentem paginam confîrmamus : vobifque
poteflatem concedimus, tenendi, pofiidendi, 8c quicquid vobis inde
placuerit, in perpetuum faciendi. Super ejufdem autem rugæ alia par¬
te, à domo hemurdi de novo Caftello , quæ quondam Johanms fuerat
fnham> ufque ad domum Guibem de Joppen generis Laudæ , redo
tramite procedente ,. vobis eandem quam Rex habuerit poteflatem pe-
rûtùs damus. Quin etiam nullus Veneticorüm in totius terræ Regis,
fuorumque.Baronum dominio , aliquam dotionem in ingrediendo ,
vel ibi morando , aut exeundo per ullum ingenium dare debeat : fed
lie liber ficut in ipfa Venetia fit. Si vero aliquod placitum, vel ali-
cujus negotii litigationem, Veneticus erga Veneticum habuerit, in
curia Veneticorüm diffniatur. Vel fi aliquis adverfus Veneticum que-
ïelam aut litigationem fe habere crediderit, in eadem curia Veneti-
corum determinetur. Verùm fi Veneticus fuper quemlibet alium ho-
fninem, quàm Veneticum , clamorem fecerit, in curia Regis emen-
detur. Infuper ubi Veneticus ordinatus vel inordinatus, quod nos
fine Imgua dicimus, obierit , res fuæ in poteflatem Veneticorüm re-
ducantur. Si vero aliquis Veneticorüm naufragium paffus fuerit, nul-
lum de fuis rebus patiatur damnum. Si naufragio mortuus fuerit, fuis
Jheredibus aut aliis Veneticis res fuæ rémanentes reddantur. Præterea
iuper cujus gentis Burgenfes in vico 8c domibus Veneticorüm habi¬
tantes, eandem juflitiam 8c confuetudines quas Rex fuper fuos , Ve-
Detici habeant. Denique duarum civitatum Tyn 8c sîjcs.loms tertiam.
partem , cum fuis pertinentiis, 8c tertiam partem terrarum omnium
libi pertinentium, à die fandi Pétri, Sarracenis tantum fervientium,
quæ non funt in Francorum manibus , alteram quarum, vel fi, Deo
auxiliante , utramque per eomm auxilium , aut aliquod ingenium in
Chriftianorum poteflatem Spiritus S an dus tradere voluerit : illam ,
inquam , tertiam partem , ficut didum eft, libéré 8c regaliter , ficut
Rex duas, Venetici habituri in perpetuum , fine alicujus contradi-
dionis impeditione , jure hereditario poflideant. Univerfaliter igitur
fiipradidas conventiones ipfum Regem, Deo auxiliante, fi aliquando
fjgreffurus de captivitate eft, nos G or mm dus Hierufalem Patriarche
E eee iij
ypo Preuves du I. Livre
confirmârê per Evangelium faciemus. Si verô alter ad Hierofolyml-
ranum regnum , in Regem promovendus advenerit, aut fup'eriùs or-
dinatas promifiiones antequam promoveatur , ficut antè didum efl ,
ipfum confirmare faciemus ; alioquin ipfum nullo modo ad regnum.
provehi affentiemus. Similiter eafdem & eodem modo confirmationes,
Baronum fuccelfones, & novi futuri Barones facient. De cauffa verà
Antiochena, quam vobis RegemBaLdumumfecundunijfub eadem confti-
tutionis depadione promififîe benè fcimus, in Antiocheno Principatu.
ie vobis Veneticis daturum : videlicet lie in Antiochia, ficut in cse*
teris Regis civitatibus , fi quidem Antiocheni Regalia promilFtonum
foedera vobis attendere voluerint : nos idem Gormundus Hierufalem.
Patriarcha , cum noftris Epifcopis, Clero , Baronibus, populoques
Hierufalem, confilium 8c auxilium vobis dantes} quod nobis Domi-
nus Papa inde feripferit, bonâ fide totum adimplere 3 8c hæç omnia
fuperiora , ad honorem Veneticorum promittimus.
Ego Gormundus Dei gratiâ Hierofolymorum Patriarcha, propriâ no^
ftrâ manu fupradida confirmo;
Ego Ebremarus Cæfarienfis Archiepif. hæc eadem fimiliter confirma*
Ego Bernardus Nazarenus Epifcopus fimiliter confirmo.
Ego Afquitinus Bethleemita Epifcopus fimiliter confirmo.
Ego Rogerius Liddenfis fandi Georgii Epifcopus fimiliter confirme),.
Ego Gildoinus Abbasfandæ Mariæ val’is Jofaphat fimiliter confirmo*
Ego Gerardus Prior fandi Sepulchri fimiliter confirmo.
Ego Ricardus Prior Templi Domini fimiliter .affirmo.
Ego Arnaldus Prior montis Sion fimiliter affirmo.
Ego Wilelmus de Buris 3 Regis Conftabularius3 fimiliter affirmo.
Data apud<^^»> per maniis Pagani, Regis Hierufalem Cancel^.
larii, anno millejïmo cemejïmo vigefimo •tertio , indiUione fecundâ*
Ex Gmllelmo Tyr. lib. iz. pag. 830,
PREUVE S DU II LIVRE
P £
L’HISTOIRE DES CHEVALIERS HOSPITALIERS
IDE s JEAN DE JERUSALEM-
■>. --- . ' , ,j ■■ jh1 '-*r
PREMIERE PREUVE,
DE S JEAN DE JERUSALEM-
• .. " ' - -"lu, ■ ■■, „
I N N OC EN TIV S PAPA T £ RT IV S.
Pour la troijle'me Preuve qui a rapport a la: page 18$ de l’Hiftoire, voyez, la
citation qui ejl a la marge de la meme page.
HUITIEME PREUVE#, .
pag 35z.
O N Z I E5 M E PREUVE.//#, p. 3S6.
O Donis Epifcopi Tufculani ad Innocentium IV. Papam.
Magifter Militum Templi 8c Marefcallus Hofpitalis fcripfe^
runt Régi, quod Soldanus Babyloniæ cum magno exercitu ad par¬
tes Gazæ venerat ad concihandum fibi Soldanos Halapiæ 8c Da-
mafci, &timebantne fortè Joppen vel Cæfaream intenderet obfi-
dere. Poftea etiam fcripfit Régi idem Magifter, quod quidam Admi-
raldus Soldani Babyloniæ ad ipfum venerat, nec tamen ex parte
.Soldani veniebat, ut dicebat, nec litteras ejus habebat, fed vene¬
rat ad in quirendum voluntatem Regis Franciæ, quia dominus fuus
libenter cum eo pacem haberet : 8c ut dicitur à quibufdam, ad re-
quifitionem didi Magiltri Soldanus ad ipfum miferat didum Admi-
raldum, quod fadum valde Régi difplicuit 8c omnibus Baronibus :
8>c incontinenti Rex per litteras fuas inhibuit dido Magiftro , ne de
cetero taies nuncios recipiat, vel cundis colloquium habere præfu-
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620 Preuves du III. Livre
mat fine mandato fpeciali ipfius. Ex S; te. Tome 7. nage 2 rq.
PREUVES DU IV LIVRE
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Extrait d’un Regiftre ohm des Arrêts depuis l’an 1299. jufques
en 1318. Hifi. p. 543.
Arrefia fier Curiam data in Parlam. Oftavar. hyem.fefii B.Martini
anno 1312./à/. 140. verf
Vicecomiti Northamptoniæ.
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Carte Particulière de la Syrie et de l’Isle de Chypre Dressée pour t In tel(uj en t r de L'Histoire deMalte
Par Guillaume Delisle Premier Geoqraphc du Roi , de LAccademie Roy aile des Sciences.! 726-
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., - Par Guillaume Delisle Premier Géographe du Roi de l’Academie Ru. des Sciences .
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