Histoire Des Roumains de La Dacie Trajane 1
Histoire Des Roumains de La Dacie Trajane 1
Histoire Des Roumains de La Dacie Trajane 1
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HISTOIRE ,
DES ROUMAINS
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HISTOIRE
DES ROUMAINS
DE
LA DACIE TRAJANE
DEPUIS LES ORIGINES JUSQU'A L'UNION DES PRINCIPAUTÉS EN 1839
PAR
A.-D. XÉNOPOL
l'ROFESSEUR A l'UNIVERSITÉ DE JASSY, MEMBRE DE l'aCADÉMIE ROUMAINE
^ 1^
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, 28
1896
PRÉFACE
Noire et le bas Danube : l'autre, vers cette verte mer que forment
les steppes immenses de la Hongrie. Tout ce pays est l'habitat
d'une nation qu'on appelle aujourd'hui les Roumains. Du
côté de la mer Noire ils peuplent la Valachie, la Moldavie, la
Rukovine, la Ressarabie : ce sont les Roumains cisalpins. Du côté
de la plaine hongroise, ils peuplent en majeure partie l'Ardéal
(Transylvanie) et le Ranat de Témesvar : ce sont les Roumains
transalpins.
kn point de vue politique, ils sont partagés entre quatre cou-
ronnes : la Ressarabie appartient à la Russie ; la Rukovine, à
l'Autriche ; la Transylvanie et le Ranat, à la couronne de Hongrie ;
pentes occidentales des Garpathes, à tel autre siècle sur les plages
de la mer Noire. On les prendrait pour des nomades, eux les
Ruma est une forme archaïque de Borna et Rumon est l'ancien nom
du Tibre.
La langue roumaine n'est point « utie espèce d'italien mêlé de
mots grecs et slaves *. » Car elle a jailli de la souche latine, aussi
directement que l'italien ou le français, et en vertu de lois philo-
1. Expression d'une autre géographie chez nous populaire: Dussieux, édit. de 1869.
IV HISTOIRE DES ROUMAINS
la barbarie crue. C'est seulement au xvi'' siècle que son élite est
peuple français.
y a dans Edgar Quinet une page qui venge les Roumains de
Il *
toutes les sottises qui ont pu être débitées, ou le seront encore, sur
leur origine. Cette page consacre leur état civil comme peuple latin ;
1. Dans le volume les Roumains des Œuvre'i complètes. Ce volume fut édité à
Bruxelles en décembre 1856, cinq ans après le coup d'État qui fît d'Edgar Quinet
un proscrit, huit ans après la répression roumaine de 1848 qui avait fait tant d'exilés.
fREFACK V
contribué.
plus puissant que le sultan, car ses lois sont obéies des sources
du Pruth aux Portes de Fer, tandis que, dans les Etats du
Padishah, l'Albanie, par exemple, ou le Rhodope, ou la Crète
n'obéissent à personne.
Toutes les Roumanies, tous les Roumains ne sont pas réunis
Les Roumains ne sont pas seuls à faire de ces rêves d'avenir qui
1. Cette boutade d'un patriote roumain doit s'excuser ; naais n'oublions pas que
l'alphabet de saint Cyrille ouvrit au monde slave presque entier les accès de la
civilisation ; et qu'aujourd'hui 120 millions d'hommes se servent d'alphabets dérivés
de celui-là.
vin HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Saint Cyrille et saint Méthode ou plutôt par les disciples de ces Apôtres
;
2. N oublions pas que les Magyars sont des Kinnois, c'est-à-dire des Turc?, tout
comme les Ottomans. Ils sont des Turcs chrétiens.
PRKFACK rX
I
X HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Sextus Rufus s'exprime presque dans les mêmes termes translatis exinde :
mais toute Roumaine qu'un mariage amène dans une maison étran-
gère y impose sa langue. C'est ainsi que, dans toutes les plaines
que domine la citadelle roumaine des Carpathes, ne cesse de
s'étendre, comme une tache d'huile, la colonisation roumaine ou
trônes, faisant tomber les têtes. Par là fut détruite la plus précieuse
compter les présents aux vizirs, aux pachas, aux drogmans, aux
eunuques, aux femmes du harem impérial, au sultan lui-même,
car le Padishah se laissait dorer la main comme un simple vizii-.
nent que la révolte contre le Turc vaut encore mieux, avec ses
épouvantables risques, que cette agonie financière. Et Jean le Ter-
rible entraîne dans son insurrection même les paysans, qui aiment
mieux mourir en combattant qu'expirer dans les tortures par les
mains des usuriers. C'est une bataille de paysans qu'il livre aux
Turcs, dans la plaine de Kagoul (1574); il y est pris et écartelé,
paysan roumain, qu'il lui ait manqué ce qui anima plus tard la
avoir les ailes cassées. On sait comme la fortune du tsar fut sauvée ;
lassy fut de nouveau occupé, puis Bucarest. Cette fois encore les
Russes sont venus en libérateurs ; mais déjà de leur côté se révèle
pour la nationalité roumaine un grand danger. Les Russes se trou-
vent bien dans les Roumanies ; ils les organisent et s'y installent ;
En 1821, peu s'en fallut que la prise d'armes des deux Ipsilanti
n'entrainât la Russie dans une guerre en faveur des Grecs, et, par
conséquent dans une nouvelle occupation des Principautés. Les
Roumains, en aidant la Porte à étouffer chez eux le mouvement
hellénique, retardèrent la crise. La Porte reconnut ce service en
rendant les hospodars, de triennaux qu'ils étaient depuis 1711,
septennaux. Jusqu'alors, elle avait livré aux Grecs les couronnes
valaque et moldave ; désormais elle ne voulut plus que des
princes roumains.
Plus tard, sous l'empereur Nicolas P"", en 1827, la convention
d'Akkerman (17 octobre), « explicative du traité de Bucarest »,
sort des Principautés. Une des clauses du traité de Paris eut pour
objet de retirer à la Russie le protectorat sur la Roumanie pour
l'attribuer à l'Europe entière. Alors commence vraiment l'affran-
chissement des Roumains ; alors s'inaugure la série des progrès
en marqua la fin.
XXX HISTOIRE DES ROUMAINS
manquer ce but, s'il faillit être jeté par les fenêtres de la salle
tous les boïars de Bucarest. A son tour, elle fondait une école
destinée à former des acteurs ; Aristias, Grec de naissance, mais
zélé patriote roumain, y professait l'art dramatique, qu'il avait
appris à Paris chez Talma. En 1834, s'ouvrit le premier théâtre
qu'ait possédé Bucarest : on y joua en roumain presque tout le
répertoire de Molière ; et lassy ne voulut pas être en retard. En
outre, dans cette ville se fondait la « Société des médecins et
PREFACE XXXIII
Alfred Rambaud.
1. Paris, Leroux, 1885.
2. lassy, 1888.
3. A ces publications il convient d'ajouter les chapitres consacrés à la Roumanie
dans l'Histoire Générale publiée sous la direction d'Ernest Lavisse et du soussigné.
Paris, Armand Colin.
HISTOIRE DES ROUMAINS DE LA DACIE TRAJAl
INTRODUCTION,
Cette position isolée des Latins orientaux les expose à bien des
dang-ers, qui augmentent d'autant plus que la politique de races
prend le dessus dans la marche de l'histoire.
HISTOIRE ANCIENNE
FORMATION DE LA NATIONALITÉ ROUMAINE
DEPUIS LES TEMPS LES PLUS RECULÉS JUSQU'A LA FONDATION DES PRINCIPAUTÉS
1. Les pays occupés actuellement par les Roumains ont possédés aussi une popu-
lation préiiistorique, fait mis surtout en évidence par les fouilles entreprises sous la
direction de M. Nicolas Beldiceanou, professeur à Jassy, qui publiera un travail
très complet sur ses découvertes.
2. Hérodote, livre IV, passim.
10 HISTOIRE DES ROUMAINS
Terminologie géographique. —
Etant donc un peuple établi,
lesAgathyrses ont dû se confondre avec les couches qui vinrent
par la suite se superposer à eux en Transylvanie. Il n'est donc pas
étonnant qu'un nom géographique, celui d'une rivière de leur
pays, se soit conservé jusqu'à nos jours dans la bouche du peuple
roumain. C'est celui du Maris, transformé aujourd'hui en Mou-
rèche. Pourtant le Maris donné par Hérodote comme affluent
du Danube, originaire du pays des Agathyrses, n'est pas le
Mourèche actuel, affluent secondaire du Danube par l'intermé-
diaire de la Theïss, mais bien l'Olte, appelé toujours Maris
encore par Strabon, qui dit que Trajan faisait remonter sur son
cours les bateaux chargés de provisions ^ car cette indication
;
1. Sur le commerce de la mer Noire, Paris, 1787, II, p. 185. Comp. Raicevich,
Osservazioni intorno la Valachia e la Moldavia, Napoli, 1788, p. 87.
2. Strabon, Vil, 3, 13.
3. Pline, Hist. nat., VI, 20.
12 HISTOIRE DES ROUMAINS
Marsala.
Si pourtant la présence du nom de Maris dans la langue
roumaine d'aujourd'hui ne saurait étonner, il n'en est pas de
même de quelques autres termes géographiques appartenant à la
plaine des pays roumains où les vagues mouvantes des Scythes
nomades rendent plus difficile l'explication de la conservation
de la nomenclature territoriale.
Hérodote mentionne en dehors du Maris, trois autres noms de
rivières de la Scythie proprement dite, dans le passage suivant,
dont sens présente des difficultés, si l'on veut identifier les
le
noms anciens à ceux que portent les rivières actuelles « La :
Scythie fournit àl'Ister cinq rivières: une que les Scythes nomment
Porata et les Grecs Pyretos, le Tiarantos, l'Ararus, le Naparis et
l'Ordessos. La première de ces cinq rivières est très grande elle ;
rendu chez Ptolémée par 'Ispaaoç avec l'esprit dur ; chez Ammien
Marcellin avec Gerassus, pendant que Constantin le Porphyro-
génète lui donne la forme qu'il possède actuellement Sepéxoç *. Le
son initial de ce nom étant reproduit par les trois géographes les
plus anciens d'une manière différente, l'un avec t, le second avec
l'esprit dur, le troisième par un g, on peut en induire que ce son
était assez indéterminé et se sera rapproché de Vs qui apparaît
dans le Porphyrogénète et se conserve aujourd'hui. Ce nom tire
son origine de la racine sanscrite sru couler, d'où sravanti = =
fleuve.
Si pourtant Pyretos et Tiarantos sont le Pruth et le Sereth,
comment trouver alors les autres trois rivières l'Araris, leNapa- :
çara =
fort, majestueux, et scr. sôurya soleil llxr.zxXoq =
Jupi- ;
=
ter comparez le vieux persan bab, babai, le nouveau persan baba
;
Triballes qui, sous leur roi Sirmus, se sauvent dans l'île de Peuce
située dans l'un des deltas du Danube. Alexandre, après avoir
attaqué l'île sans succès, passe sur la rive gauche pour frapper les
Gètes, abritant sa descente derrière un champ de blé très étendu,
Jornandès, c. X.
2
18 HISTOIRE DES ROUMAINS
les forêtsparcontre jusqu'à la, rivière Patissus parles Daces, que les
Jazyges avaient repoussés de la plaine » *. Ce passage a toujours
vero et saltus puisi ab bis Daci ad Pathissum amnem tenent ». Le reste du passage
ne donne plus aucun sens.
LES GÈTES ET LES DAGES 1^
été mal interprété dans le sens que les Daces auraient occupé dans
leprincipe une région plus occidentale dont ils auraient été chas-
sés par les Jazyges et qu'ils seraient venus s'établir dans les
montagnes de la Tlieïss K
D'abord les Jazyges n'ont jamais passé pour avoir habité la
plaine pannonique, la Mésopotamie européenne, car Strabon in-
dique qu'ils se tenaient dans la région située entre le Borysthène
et rister^ Ils auraient donc pu repousser les Daces de la plaine
pannonique vers les montagnes de la Tlieïss, attendu qu'ils ne
l'ont jamais occupée d'ailleurs Pline affirme très clairement, que
;
être admissible que pendant que les esclaves gètes étaient ame-
nés des régions limitrophes de la Thrace, les Grecs eussent cher-
ché leurs esclaves daces dans des contrées aussi éloignées du
nord du Danube et surtout dans le fond de la Germanie.
L'identité de race de ces deux peuples, qui sera bientôt mise
hors de doute, viendra encore confirmer la nécessité d'une ori-
gine territoriale commune aux Gètes et aux Daces.
Les tribus scythes qui auront commencé à pencher pour la vie
sédentaire, se seront confondues dans le peuple des Gètes, comme
il advint de celui des Agathyrses, disparus au sein des Daces qui
1. strabon, VII, 3, 11 : « Bo'.pzSiaxoL àvyip yix-f\ç... Botoù; xa\ ap8y)v yiçâvKre touçÛho
Kptxafftpw xai T vjpcoxo'ji, ». VII, 3, 2 « Aâxoi xaTa7ioAe|j.YÎ<Tav'u£; Botouç xat Taup:oxou(; ».
:
2. Grimin a eu pourtant des précurseurs. Dans un livre très rare, Das alte und
neue leutsche Dacia, das ist Beschreibiinçj des Landes SiebenbUrgen, Nïirnberg, 1666
(se trouve à la BibliothAque de l'Académie de Bucarest, collection Stourza, n» 2680),
Sarmisagethusa est nommée Sarmis Gothusa et Décébale Dietschwaldl (p. 323).
:
15, § 8.
22 HISTOIRE DÉS ROUMAINS
=
sïrumon rivière. A ce compte-là, toutes les races pourraient
revendiquer, au moyen de ce terme, la paternité des Thraces.
Si Bilazora signifiait la blanche aurore, ce serait deux fois
absurde, d'abord parce que l'aurore n'est point blanche mais bien
rouge ensuite parce que jamais ville n'a porté un nom dérivant
;
1. Aiéf3\a, Ptolémée, 10, 8 ; Tierna, Table de Peutinger; Zerna, Ulpien cit. Tsierna,
;
lieu tous les auteurs anciens disent que ces peuples étaient des
Thraces. Ainsi Hérodote nomme les Gètes les plus nobles et les
plus vertueux d'entre les Thraces. Ménandre dans un passage rap-
porté par Strabon, dit que « tous les Thraces et surtout les Gètes
s'abstiennent du mariage ». Le même géographe, après avoir
affirmé que les Daces et les Gètes parlaient le même idiome,
ajoute que cet idiome serait semblable à celui des Thraces. Des
témoignages si concordants des auteurs qui avaient connu les
peuples dont il s'agit doivent être acceptés par tout esprit dégagé
de toute autre considération étrangère.
Cette origine est fortement appuyée par le fait que le peu qui
nous reste des langues thraces et géto-daces se ressemble
presque complètement*.
« Ilepi Twv Fetcov ô(ji6yXoTTot Toùç Ôpa^W ïévouç ». Coinp. Van den Gheyn, Les popu-
lations danubiennes, Bruxelles, 1886, p. 14.
2. Criton in Gelicis, ap. Suidas, s. v. Bowiîan.
3. iËlianus, Variœ historise, III, 39. Comp. Hérodote, IV, 17. Priscus, Excerpta
de legalionibus, dans la collection d'auteurs byzantins éditée à Bonn, volume :
Eunapius, Dexippus, Priscus, p. 183.
LES GÈTES ET LES DACES 25
1. Varro, De re rusHca, I, 57 Pline, Hist. nat., XVIII, 73 Atheneus, IV, 7 etX, 67.
; ;
2. Ovide, cit. III, 8 « Femina pro laoa cerealia muaera frangit. » Hesychius,
:
8. V. Kâvvaêiç.
3. Justinus, IX, 2, 6
; Vopiscus, Probiis, VIII Biaise de Vigenère, Description du
;
leur avait enseigné à tous deux que l'âme pendant la vie ressem-
blait à un oiseau en cage qu'elle était indestructible et douée de
;
les dieux ont disposé que celui qui a bien mérité de la lumière
divine vive sous une forme éternelle, dans un monde plus
heureux* ». Cette conception de la vie et de la mort explique
une curieuse coutume des Transes, peuple thrace, rapportée
par Hérodote. « Lorsqu'un enfant vient de naitre, tous ses
parents rangés autour de lui pleurent les maux qu'il aura à
souffrir depuis le moment où il a vu le jour et comptent en gé-
missant toutes les misères humaines qui l'attendent. A la mort
d'un de leurs concitoyens ils se livrent au contraire à la joie, le
couvrent joyeusement de terre et le félicitent d'être enfin heu-
reux, puisqu'il est délivré de tous les maux de la vie ». Cette
coutume se retrouve chez les Roumains de la Macédoine ^, pen-
dant qu'elle est étrangère à ceux du nord du Danube, différence
assez difficile à expliquer, dans le cas où l'on admettrait que les
Roumains qui vivent aujourd'hui dans l'ancienne Dacie trajane
se fussent formés comme peuple au sud du Danube.
Examinons maintenant les formes que prit la religion de Saba-
zius chez le rameau du peuple thrace qui vint occuper la Dacie.
Les conceptions primitives des Géto-Daces se rapprochaient
davantage du système dualiste de la religion de Zoroastre,
attendu qu'ils honoraient d'un côté le soleil comme dieu de la
lumière, identique chez les Thraces à celui du vin, et de l'autre
un dieu des ténèbres.
L'adoration du premier se reconnaît à la coutume des Gètes,
rapportée par Hérodote « de lancer vers le ciel des flèches lors-
qu'il tonnait ou faisait des éclairs, afin de le menacer ». Il est
évident que les Gètes voulaient, par leurs menaces, éloigner de
la face du soleil les nuages qui l'obscurcissaient et que le culte
que cachait cet usage s'adressait au soleil.
Le dieu des ténèbres, dont le nom gète ne s'est pas conservé^
était l'Ares des Grecs ou le Mars des Romains, donné
empêchait les excès dont elle avait été de tous temps l'occasion
chez les Thraces, devait devenir un puissant levier pour la régé-
nération morale du peuple géto-dace. L'idée qu'ils étaient
immortels leur faisait considérer la mort comme un bien, surtout
lorsqu'elle était reçue sur les champs de bataille, pour la défense
de leur pays. Voilà pourquoi les auteurs anciens sont unanimes
à vanter le courage des Gètes et des Daces et leur appétit de la
mort, ainsi que leur fierté et leur orgueil indomptable. L'empe-
reur Julien l'Apostat, entre autres, attribue à Trajan les paroles
suivantes «:J'ai subjugué même les Gètes (c'est-à-dire les
Daces), la plus belliqueuse des nations qui existent, non seule-
ment à cause de la force de leurs corps, mais encore par celle des
enseignements de Zamolxis qui est parmi eux si vénéré. Celui-ci
leur a inculqué dans l'âme qu'ils ne sont pas appelés à mourir,
mais qu'ils ne feront que changer de demeure, et voilà pourquoi
ils vont à la mort plus gais qu'à n'importe quel autre voyage » ^
3
34 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. L'étude la plus complète sur les Cabyres est celle de M. Lupu Antonescu,
Cultul Cabirilor in Dacia^ Bucuresti, 1889.
2. Hérodote, V, 6; Heuzey, Mission archéologique de Macédoine, p. 137; Heraclides
Ponticus, Fragmenta, XXVIII. Ed. Muller, U, p. 220 Solinus, X.
;
longue tige, ainsi que des chars à trois roues munis de faucilles
qui se mettaient probablement en mouvement avec les roues du
véhicule et qui, lancées contre les ennemis, étaient destinées
à mettre la déroute dans leurs rangs ^
On voit donc que les Daces avaient emprunté maintes choses
aux Romains dans le court espace de temps que le sort leur
accorda pour le faire. Ils avaient élevé leur organisation militaire
à un degré qui les mit en état de pouvoir lutter contre les Ro-
mains. Ils étaient pourtant loin de pouvoir se mesurer avec leurs
ennemis, soit comme tactique militaire, soit par leurs instru-
te Scire, deos quoniam proprius contigis, oportet Num quid de Dacis audisti ? »
3. Strabon. VU, 3, 10 Appianus, lll, 110 Tacitus, Annales, l, 80.
; ;
40 HISTOIRE DES ROUMAINS
Literata quse trans Danubium sunt, » donc sur la rive gauche, au nord du fleuve.
LUTTE DES GÈTO-DACES 43
i. Frôhner, tab. 36. Aramien Marcellin, XVIT, 12, dit que la même chose arriva
à un prince sarmate devant l'empereur Constantin. Dion Cassius, LXVllI, 6.
2. Priscien, VI, 13
: « Inde Bersobim deinde Aïxin processimus, » seule phrase qui
nous soit conservée des commentaires de Trajan sur les guerres daciques.
44 HISTOIRE DES ROUMAINS
que par la rivière sur les bords de laquelle elle s'élevait. Une fois
la ville détruite, le nom ancien demeura attaché à la rivière seule,
qui le porte encore aujourd'hui. La station d'Azizis ou Aziris se
retrouve dans le village d'Ijiriche, situé sur un autre affluent du
Timèche, le Poganiche, qui coule à peu de distance au nord de
la Birsava ^
C'est pourquoi ces deux stations sont indiquées par Trajan
dans ses commentaires comme se suivant immédiatement, tandis
1. Jornandes, De rébus getîcis, XIÎ, nous dit que Tapae commandait une des
entrées de la Dacie « Dacia corona montium cingitur, duos tantum accessus habens,
:
uDum per Tabas, alterutn per Bontas. » Le village actuel de Tapa domine en effet
l'entrée de la vallée de la Bistra.
2. La dérivation linguistique de Tapa, Bîrsava et Ijiriche d'aujourd'hui des noms
anciens ne présente aucune difficulté.
LUTTE DES GÉTO-DACES 45
une ténacité inouie. Les attaques des Daces contre les positions
romaines deviennent toujours plus vives, le sang coule à flots,
et chaque pas en avant fait par les Romains est marqué par la
tombe d'un légionnaire. Les Daces sacrifiaient leur vie avec une
insouciance qui ne s'expliquait que par leur croyance à l'immor-
talité. Trajan prit d'assaut une dernière forteresse qui défendait
les approches de la capitale, pendant que son général Maxime
faisait prisonnière une sœur du roi dace et retrouvait, dans la
ville où celle-ci se tenait, les drapeaux perdus par le général de
Domitien^ Cornélius Fuscus, dans sa lutte contre les Daces.
Ces derniers exploits de Trajan déterminèrent Décébale à
envoyer à l'empereur une nouvelle ambassade, composée cette
fois de personnages distingués, de nobles ou Tarabostes. Aussitôt
qu'ils arrivèrent devant Trajan, ils se mirent à genoux, tendant
vers lui les mains en signe de désespoir et implorant son pardon.
Ils n'en voulurent pas moins imposer des conditions aux vain-
queurs mais Trajan les repoussa et la guerre recommença avec
;
1. Voir le beau tableau de la colonne trajane dans Frôhner, no» 101-104. L'esquisse
de la campagne a été faite d'après les tableaux de la colonne et les données de
Pion, LXVIIU
LUTTE DES GÉTO-DACES 47
La
paix imposée par Trajan et acceptée par le roi dace stipu-
lait que
celui-ci eût à rendre toutes les armes, machines et
ouvriers qu'il avait reçus des Romains, à renvoyer tous les
déserteurs romains qui se trouvaient dans son État, à détruire
abandonner toutes les conquêtes faites
toutes les forteresses et à
en dehors de son propre pays, à reconnaître comme amis et
ennemis ceux du peuple romain et à ne plus prendre à son ser-
vice aucun Romain, civil ou militaire *.
Trajan, croyant que les Daces exécuteraient de bonne foi ces
conditions, et ayant atteint par là le but qu'il s'était proposé en
partant de Rome, prit avec lui quelques députés daces pour leur
faire confirmer devant le Sénat les stipulations de la paix, et
retourna triomphant dans sa capitale, où il prit le surnom de
« Dacicus ».
1. C. de la Berge, Essai sur le règne de Trajan, p. 51, dit par rapport à cette
expédition : « Nous sommes complètement dépourvus de renseignements géogra-
phiques sur la deuxième guerre. « Notre travail, si nous ne nous trompons, comble
cette lacune.
2. Dion Cassiu8,;;LXVIlI, 11-12.
LUTTE DES GÈTO-DACES 53
que les Romains démolissaient les murs et les portes, les Daces
mirent le feu à leur propre cité; leurs chefs, réunis autour d'un
grand vase plein de poison, terminèrent à la fois leurs jours et
leurs souffrances. La mort devait être rapide s'ils ne voulaient
point orner le triomphe du vainqueur.
La capitale était tombée et le pays presque en entier envahi
par l'ennemi. Décébale, avec les débris de son armée, ne s'était
pas enfermé dans la citadelle il s'était retiré vers le nord, pour
;
LA DACIE ROMAINE
Colonisation de la Dacie
1. Corpus Inscriptionum Laiinarum, III, 1, n»» 1222, 1366, 976, 1504, 1533, 1536,
1529, 1417, 1573, 1301, 1021 et 1022 et III, 2 tablette n»»VU et XXV.
COLONISATION DE LA DACIE 61
pire dans tout le monde romain mais il revêt dans cette pro-
;
1. Idem, III, 1, nos 4301, 1302, 1353, 1354, 860, 1088, 859; Akner und Millier,
Rômische Inschriflen in Dakien, n» 728.
2. C. J. L., III, 1, no» 87o, 882, 1107, 1108, 1131, H38, 1436; Akner und Mûller,
no 362. Comp. Coi-pus Inscriplionum Graecarum, n°^ 4483, 4502.
3. C. /. L., III, 1, no» 860, 1394, 870, 944.
4. Idem, n"» 955, 1343, 1347, 1371-74, 1379, 1382, 837, 907.
62 HISTOIRE DES ROUMAINS
Bien que romanisés en partie, ils n'en avaient pas moins conser-
vé leur caractère originel, l'élément grec n'ayant jamais été
complètement absorbé par l'élément latin. Plusieurs de ces
colons avaient conservé en Dacie l'usage de la langue grecque,
ainsi que le prouvent les quelques inscriptions rédigées en cette
langue qui ont été retrouvées sur le territoire de la Dacie ^
La présence de colons grecs parmi les éléments qui constituè-
rent à l'origine la nationalité roumaine, explique donc la
présence de quelques mots d'origine hellénique, qu'il faut bien
distinguer d'avec ceux de l'idiome grec moderne, qui furent
introduits bien plus tard dans la langue des Roumains. Tels sont
drum (route) de Bp^iJ-oç, martur (témoin) de [lipxupoq^ papura (ro-
seau) de Trdéxupoç tufa (rien, dans l'expression populaire tufa in
;
1. Voir ces inscriptions grecques recueillies en Dacie dans Akner und Miiller, nos 79,
192, 362, 541, 608, 666, 699, 850, 875, 877, 918. Ajoutez Hirschfeld, Epigraphlsche
Nachlese ziim Corpus Inscriptioniim Latinarum, Wien, 1871, n<" 25-27.
2. Voir notre étude sur les Eléments grecs anciens dans le Roumain, insérée dans
le Muséon, Louvain, 1890.
3. Florus, IV, 12 ;
Livius, XLII, 26 ;Strabon, I, 1 C. 7. L., III, 2, tab. cer. VI et
;
VIII-, idem, III, 1, no^ 1223, 1262, 1323. Comp. Ptolémée, II, 16, 11 ; Itiner. Antonini
n" 269; Tab. Peuiinger C. I. L., III, 1, n» 1322; Hirschfeld, n» 28; Appian,
;
1. C. I. Z,., III, 2, Privilégia militum, n<» XL, XXV, XXXIII : C. I. L., III, 1.
n" 1197, 1577.
2. C. I. L., III, 2, Priv. milit., no» XXXIII, XXV, XL ; C. /. t., III, 1, n»» 1342,
821, 1633, 1214.
64 HISTOIRE DES ROUMAINS
l'abandon de la Dacie, par sa population originaire d'abord, par les Romains plus
tard.
COLONISATION DE LA DACIE 65
tant par la tyrannie intérieure que par les offenses qui lui ont été
faites par les Gètes (Daces), seul j'ai osé attaquer les riverains
de rister et j'ai vaincu et anéanti totalement cette nation des
1, Eutrope, Hadrianus, VIII « Cura Dacia Diuturno bello Decebali viris (d'autres
:
veulent lire viribus) esset exhausta » Juliani imperatoris quae supersunt. Ed.
;
Teubner, p. 66.
66 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Pour ces dernières voir C. 7. L., III, I, n» 1329 et III, 2. Privilégia militum,
n° 41 ; tabulée n»» II l, VI, X et XIII.
COLONISATION DE LA DAGIE 67
la dédicace d'une pierre faite par l'épouse Digna, les fils Publius
ilîllius et Publius iËlius Valons et le neveu Udarus à ^lius Arior-
gische Latideskunde, 1874, p. 129. C. I. L., III, 1, n»» 847, 787, 1539. Orelli, Insa-ip-
Hones, n»^ 6884. C. /. L., VII. n" 944.
1. C. I. L., III, 1, nos 799, 744, 852 ; Orelli, n" 510 C. /. L., III, 1, nos 870 b, 1193,
;
6S00 et III, 1, Qo 600; Akner und Maller, n» 157 Trebellius Pollio, in Claudio, XVII ;
;
Flavius Vopiscus, in Aureliano, XXX VII Orelli, n»» 5809, 6049, 6688; Nolitia digni-
;
tatum imp. rom., éd. Boeking, p. 21, 23, 88, 96; C. I. L., III, 2, Privilégia, XIV.
1. Trebellius Pollio, Triginta Tyranni, X :« Erat (Regalianus) gentis dacae, Dece-
bali ipsius ut fertur affinis ». Comp. Aurelius Victor, taes., XXXIi.
70 îîistoiRË Des roumains
1. Digeslae, L. 15, pr., § 2 et 4 ; Strabon, I, 1 ; Orelli, n" li. C. I. L., III, 1, n" 1323 ;
Organisation provinciale. —
La Dacie fut érigée en province
impériale parce qu'elle se trouvait située sur les confins de
l'Empire, à la limite du monde barbare. Gouvernée par un legatus
Augusti, elle fut d'abord divisée, en ce qui concernait l'adminis-
tration et surtout les finances, en deux circonscriptions, Dacia,
superior et Dacia inferior plus tard, probablement à partir de
;
1. C. /. L., III, 1, no 753 ; III, 2, PrivUegia XXXIII ; C. I. L, III, 1, n<>» 1457, 1256,
1464, 6054, 6055.
74 HISTOIRE DES ROUMAINS
Organisation municipale. —
Notre étude sur l'organisation
municipale de la Dacie romaine sera bien plus féconde en résul-
tats que celle de son administration générale, pour laquelle les
documents nous ont fait défaut.
Les villes de la Dacie ont différents titres les principaux sont
;
dans la Dacie.
Toute autre est l'origine des municipes. Ceux-ci étaient des
villes ou bourgades étrangères qui, par une faveur spéciale et en
échange des charges qui leur étaient imposées, obtenaient cer-
tains droits et participaient à la vie politique du peuple domi-
nant. C'est pour cette raison que les anciens expliquent le terme
de municipe comme provenant de la locution munus capere,
c'est-à-dire prise d'une chargea L'habileté politique des
Romains avait gradué, pour les peuples soumis, la jouissance
pleine et entière de leurs droits . Ils avaient créé des municipes
avec et sans droit de suffrage ; d'autres jouissaient du jus
suffragii et du jus honorum. Plus la romanisation des provinces
soumises de progrès, plus la différence originelle entre
faisait
les colonies et lesmunicipes tendait à disparaître. La différence
de nationalité était presque la seule qui existât au commen-
cement entre les colonies et les municipes à jus suffragii et
honorum. Par la romanisation de la population étrangère
de ces derniers, toute trace de démarcation disparaissait et la
différence entre ces deux sortes de cités devenait difficile à
saisir. Dès qu'un nouveau pays s'ajoutait à l'empire romain,
aussitôt qu'un peuple étranger devait être assimilé, la différence
entre les municipes et les colonies retrouvait toute sa valeur :
1. CI. L., III, 2, tabulae n" VII: « Actum Kanabis legionis XIII geminae XVII
Kal. Junias, Rufino et Quadrato consulibus ».
2. C. I. L., III, 1, nos 1008, 1093, UOO et 1214.
3. Idetn, n"^ 1061, 1071 Ulpien Dig. cit.
;
4. Mommsen, C. 1. L., III, 1, p. 183, commet donc une erreur lorsqu'il attribue
la double qualité d'Apulum au fait « qu'une colonie aurait été établie à Apulum et
que les anciens canabenses auraient été élevés au rang de municipe ». C est juste
le contraire qui est la vérité.
0. C. I. L., III, 1, no 1407 : « G. J. Marcianus decurio coloniae et praefectus pagi
Aquensis ».
ORGANISATION DE LA DACIE 79
Organisation militaire. —
L'un des plus puissants moyens,
mis en œuvre par les Romains pour imposer leur esprit aux
populations conquises, ce fut sans conteste leur organisation
militaire.
Les cohortes, les ailes et les nombres (cohortes, alae, numeri),
trois sortes de corps auxiliaires, étaientcomposés d'étrangers^
transférés intentionnellement de leur propre pays dans d'autres
parties de l'empire, pour arriver à leur dénationalisation. Voilà
pourquoi nous trouvons habituellement des troupes cantonnées
dans des régions très éloignées de leur pays d'origine par ;
d'un pays dans l'autre. Ainsi on rencontre des légions qui, pen-
dant des siècles entiers, stationnèrent dans la même province.
Nous citerons entr'autres la XlIP légion gemina, qui resta en
Dacie à partir de la conquête romaine jusqu'à l'abandon de cette
province (106-270). La durée du service militaire étant de 20 à
25 années, l'individu entré jeune dans la légion en sortait vieux ;
Occupations économiques. —
La Dacie étant un pays riche en
mines d'or, qui avaient de tous temps été exploitées, les Romains
ne manquèrent pas de continuer l'extraction du métal précieux.
Nous avons vu Trajan lui-même envoyer dans sa province des
ouvriers dalmates experts dans le travail des mines. Les mines
étaient pour la plupart la propriété de l'État romain, attendu que
du temps des Daces elles avaient appartenu aux rois et étaient
passées du patrimoine d'un État dans celui de l'autre. Elles
étaient administrées par un procurator aurariarum, qui était
toujours un affranchi de l'empereur. Il avait sous ses ordres
plusieurs subprocuratores aurariarum, ainsi qu'une chancellerie
assez nombreuse, composée de tabularii aurariarum dacicarum
et d'adjufores tabulariorum. Le travail des mines était confié à
des esclaves nommés leguli aurariarum ^
Quoique les mines les plus productives de la Dacie fussent
entre les mains de l'empereur, il y en avait aussi qui apparte-
naient à des particuliers. Les tablettes en cire, retrouvées de nos
jours dans les mines d'Abroud en Transylvanie, nous ont con-
servé plusieurs exemplaires de contrats, par lesquels des pro-
priétaires de mines d'or en concèdent l'exploitation à des
fermiers. Ces locations sont contractées à courte échéance et
pour des prix très modiques, vu leur peu de rendement en or.
Des clauses pénales sont prévues pour le cas où l'une des deux
parties ne tiendrait pas ses engagements. Dans le cas où l'irrup-
tion de l'eau dans la mine en empêcherait l'exploitation, le
gium fabrorum duntaxat hominum CL. Non erit diBicile custodire tam paucos »,
VIE DES DACO-ROMAINS 91
i. CI. L., III, 1, nos 944^ i069, 1070, H64, 1482 et 1547 ; Akner und Mùller, n»* 35
et 262.
2. C. /. L., III, 1, no 836. On voit encore les ruines des amphithéâtres à Gradischtea
et Alba Julia.
3. Idem, nos 1445, 990.
4. Epfiemeris epigraphica, IV, n* 191 ; C. I. L., III, 1, nos io96, 1174.
5. Ephemeris epigraphica, II, no 414 ; C. /. L., III, 1, no 1006 ; Akner und Miiller,
n» 253.
6. C. /. L., III, 1, nos 1372, 1566, 1361.
Ô4 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Akner uad Millier, n° 442 : « Saltavit, cantavit, jocis omnes oblectavlt, cunctis
placuit. »
IV
j.. Spartien, Hadrianus, V ; Djon Cassius, LXVIII, 13; Eutrope, Hadrianus, VIII.
LA DAGIE ROMAINE 97
son État, ait exprimé à son entourage l'idée que la Dacie étant
trop difficile à protéger, il vaudrait mieux revenir aux limites
naturelles du monde romain, franchies par Trajan dans un
moment d'indignation bien justifiée. Mais les auteurs anciens ne
manquent pas d'ajouter qu'Adrien fut détourné de cette pensée
par ses amis, qui lui firent observer combien il serait inhumain
de laisser tant de Romains entre les mains des barbares ^ Adrien
n'abandonna donc pas la Dacie et par conséquent n'ordonna par
la destruction du pont qui la reliait à l'empire. L'assertion de
Dion Gassius qu'il l'aurait fait, doit se mettre sur le compte de
son épitomateur, Xiphilinus, moine du xi^ siècle, qui nous a
conservé, modifié et altéré, précisément le livre de Dion concer-
nant les Antonins. Xiphilinus, voyant de son temps le pont
détruit, attribua sa démolition à l'empereur qui avait voulu
abandonner la province.
Voilà pourquoi Eutrope, quoiqu'il rapporte aussi l'intention
d'Adrien de délaisser la Dacie, ne mentionne nullement la des-
truction du pont, quoiqu'il ait dû avoir Dion sous les yeux
lorsqu'il écrivait.
La province dace, loin d'être abandonnée par Adrien, n'a qu'à
du règne de cet empereur. Il construit un aqueduc
se féliciter
dans sa capitale et prend soin d'une manière si chaleureuse de
ses intérêts, que les colons frappent en son honneur des
médailles, sur lesquelles Adrien est nommé « restitutor Daciae »,
et laprovince s'y glorifie du titre de « Dacia felix ». Ces médailles
symbolisent la Dacie sous la figure d'une femme assise sur une
roche, tenant d'une main un sabre recourbé, arme nationale
des Daces, de l'autre une grappe de raisins, preuve que la culture
ultra Danubium fecerat, vastato omni lllyrico et Moesia, desperans eam posse reti-
neri, abductosque Romanos ex iirbibus et agris Daciae in média Moesia collocavit,
appelavitque suam Daciam quae nunc duas Moesias dividit ». Sextus Uufus, VIII :
« Dacia Galiieno imperatore amissa est et per Aureliaaum Iranslatis exinde Romanis
duae Daciae in regionibus Moesiae et Daroaniae factae sunt ». Les autres sources,
qui ne contiennent rien de nouveau et qui sont toutes postérieures, sont citées par
Rosier, Romunische Sludien, p. 67.
2. Vopiscus, In Aureliano, Il « Habiturus
: mendaciorum comités, quos historiae
eloqueutiae miramur auctores ».
i02 ttlStÔIRÈ DÈS ROUMAINS
scriplas habemus, etiam bella charactere historico digesta, quae velim accipias et
per ordinem scribas. Quae omnia ex libris linteis, in quitus ipse quotidiana sua
scribere praeceperat, pro tua sedulitate condisces. Curabo autem ut tibi ex Ulpiaua
bibliotheca et libri lintei'proferantur ».
2. Lactantiuâ, De morlibus perseculorum, IX.
LA DACIE ROMAINE 103
Toponymie. —
L'un des arguments les plus puissants en appa-
rence que les adversaires de la continuité des Daco-Romains
dans la Dacie invoquent en leur faveur, c'est le manque de
termes géographiques anciens dans la toponymie actuelle des
pays roumains.
En effet, la tradition locale, la persistance des dénominations
géographiques, est une des preuves les plus concluantes de la
continuité du séjour d'une population dans le même endroit.
Ainsi la nomenclature géographique de la France, de la Grande-
Bretagne, de l'Italie, de l'Espagne, se reporte très facilement et en
grande partie aux noms anciens dont elle dérive. Cela prouve
que chacune des couches des populations qui se sont stratifiées
l'une sur l'autre, transmettait à celle qui venait se superposer à
elle un certain nombre de noms d'éléments géographiques qui lui
étaient propres. On prétend qu'il en serait tout autrement dans
la Dacie; qu'ici la nomenclature ancienne a totalement disparu ;
Traian, valul (le fossé) loui Traian Vulcan, nom donné encore
;
gibbosus.
Charmache, Charmachel, Charmachag, évidemment des rémi-
niscences des Sarmis, Sarmisaghetusa, Sarmates du temps des
Daces. Enfin le village d'Ijiriche, l'Aziris des temps anciens,
situé sur le Poganiche, dont l'identification a été faite plus
haut K
Les restes incontestables de la terminologie pour les lieux
habités réduisent à néant l'argument des adversaires de la conti-
nuité, tiré précisément du défaut de noms géographiques de
cette nature. Que tous ces noms appartiennent plutôt à des
villages qu'aux grandes villes de la Dacie, ce n'est que très
naturel, attendu que les villes riches et peuplées étant surtout
l'objectif des invasions, ce furent elles qui, les premières, dispa-
rurent de la surface de la terre et de la mémoire des hommes.
Si la nomenclature ancienne des localités habitées nous a
peu donné à glaner, celle des éléments géographiques naturels
sera, par contre, assez riche en résultats.
D'abord le nom roumain du Danube, Dunare, dérive de Danu-
vius, par métathèse des deux premières voyelles, Dunavius, et
changement de v en r (comp. habet =
are espavio ;
sparia), =
Dunare.
Le Pruth, le Sereth, le Mourèche, VArgèche, dérivés ainsi que
nous l'avons déjà démontré des noms anciens de Proutos (Tiupexcç)^
avTÔv ". Que les Grecs plus anciens rendaient le b par V\i. voir Léo Granimaticus,
,
Strabon, VII, 3, § 5.
110 HISTOÎRE DES ROUMAINS
Les Goths. —
Nous avons vu que l'invasion des Goths n'amena
qu'indirectement l'abandon de la Dacie et que ce peuple ne l'avait
jamais occupée d'une manière constante. On pourrait présumer
qu'ils le firent lors de la retraite des légions. Il n'en fut pas ainsi
pourtant, puisque, même après l'année 270, les Goths conti-
nuèrent à résider sur les bords de la mer Noire, et qu'ils ne les
quittèrent qu'en 375, lorsqu'ils prirent la fuite devant les terribles
Huns. Ils passèrent alors le Danube pour entrer dans l'empire
d'orient. La Dacie, pendant cet intervalle de temps, était tombée
sous la domination de peuplades plus rapprochées de ses frontiè-
res, surtout sous celle des Sarmates. Ainsi lorsque Constantin-
le-Grand construisit lui aussi un pont de pierre sur le Danube,
entre les embouchures de l'Olte et du Jiou, il attaqua le peuple
des Goths dans le pays des Sarmates, au dire d'Orose*. Quoique
Constantin-le-Grand batte les Goths dans l'Olténie, par consé-
quent dans une partie de la Dacie, ceux-ci ne s'y trouvaient qu'occa-
sionnellement. La province appartenait aux Sarmates et les Goths
ne s'y étaient pas fixés. Aussi toutes leurs incursions après Cons-
tantin-le-Grand partent-elles toujours des bords de la mer Noire.
L'empereur Valons, pour les repousser, passe le Danube à
Noviodunum, ville placée par Ptolémée là où le fleuve se sépare
en plusieurs branches, près de ses embouchures. Lorsqu'ils sont
attaqués par les Huns, leur roi Athanaric descend rapidement
vers le Danube, où il tâche de se fortifier en creusant un fossé
allant des bords du Sereth à ceux du Danube ^ Ce fossé se
8
114 HISTOIRE DES ROUMAINS
patrie sacrée » *.
Les Goths ne s'établirent donc point dans la Dacie romaine,
même après la retraite des légions. Ils s'étaient toujours présen-
tés aux Daco-Romains en ennemis et les armes à la main, lors-
qu'ils entraient en Dacie par le défilé de la Tour-Rouge, pour y
exercer leurs brigandages. Voilà pourquoi la langue roumaine
ne possède pas de termes d'origine gothique dans son vocabu-
laire. Le seul qui soit authentique est celui de Moldova, donné
d'abord par les Goths à la rivière, puis à la région qu'elle baigne.
Cette rivière coule dans la plaine moldave, en dehors de la Dacie
romaine, vers la région habitée par les Goths, qui touche à la
mer Noire. Les pays allemands comptent encore deux rivières
du même nom la Mulde, qui se verse dans l'Elbe, et la Moldau,
:
paraît peu vraisemblable mais les Slaves n'en ont pas moins
;
Les Gépides. —
Lorsque les Huns eurent quitté la Pannonie,
vers l'an 450, les Gépides les remplacèrent. Ces Gépides n'étaient
qu'une branche du peuple des Goths, parlant la même langue
qu'eux. Jornandes, qui affirme cette identité de nationalité des
Goths et des Gépides, répète à plusieurs reprises que ces der-
niers avaient étendu leur domination sur toute la Dacie. Il en
résulte donc un contact possible entre les Roumains et la peu-
plade germaine apparentée aux Goths ^. Les affirmations de
Jornandes ne sauraient être admises sans contrôle^ attendu que
cet historien, toujours préoccupé du désir de rehausser son
peuple, est disposé à exagérer tout ce qui le concerne. Mais,
quand bien même on admettrait l'extension de la domination des
Gépides sur la Dacie trajane, il est très naturel de supposer que
les Daco-Romains ne s'empressèrent pas d'abandonner leurs
ces crises, mais l'une des plus terribles l'invasion des Tatares.
:
1. Voir une liste de noms de localités recueillie dans les montagnes de toute la
Transylvanie dans mon ouvrage Les Roumains au Moyen-âge, une énigme histo-
:
3. Mommsen et Steub sont cités par I. lung dans un article, Die ^n/aen,9e der Ro-
maenen dans la Zeitschrift fur oesler. Gymnasien, 1874, p. 98. Caragiani, Siudii isto-
rice asupra Rominilor din peninsula Balcanului, Bucuresti, 1888, p. 266. Elisée
Reclus, Nouvelle géographie universelle, Paris, 1876, I, p. 135, commet une erreur
lorsqu'il donne lès Sfachiotes et Lachiotes pour une population grecque dorienne.
122 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Menander, Bonn, p. 284, 302 ; Grégoire de Tours, IV, 23 ; Paulus Diaconus, II, 10.
124 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Jornandes, V.
2. En Dalmatie, l'élément romain, quoique disparu, a laissé son nom à la popula-
tion slavisée du pays: les Morlaques ou Mavro-Valaques.
LES AVARES ET LES SLAVES 125
vache stérile, sans lait), Glâva (dans toutes les langues slaves :
d'autres.
Il en est de même des cours d'eau de la région indiquée qui,
parmi une majorité de noms roumains, en présentent aussi de
slaves. Ainsi dans la Theïss, dont le nom roumain Tisa est
ancien, nous rencontrons les affluents de nom slave: Svidovatzul
(ruthène svid, cornouiller), Strinececul (Stri est un nom très
:
c'est-à-dire Zagora, (de 2a, au, vers, et gora, montagne dans toutes
les langues slaves), Dobriski (de dobre, dans toutes les langues
slaves bon), Cosna (bulgare cosna, panier).
: :
pitsac, filet pour prendre les poissons), Cozia (vsl. bulgare cosa, :
Cerna (dans toutes les langues slaves ciorn, noir), Putna (serbe
: :
9
130 HISTOIRE DES ROUMAINS
Les Bulgares
Les Bulgares. —
Ce peuple, de race mongole à l'origine,
mais appartenant à son rameau finnois *, s'arrêta, après une pé-
riode de longues migrations ^ sur le territoire appelé par les
Byzantins c\-(oq ou cyXoç ^, nom dérivé du slave agla = angle, sis
au sud de la Bessarabie actuelle et appelé plus tard par les
Turcs Bugeak, avec la même signification. Les Bulgares furent
soumis par les Avares, alors très puissants au nord du Danube
(vers 650). Le roi bulgare Cubrat parvient à secouer le joug des
Avares et étend sa domination sur les régions de l'ancienne
Dacie trajane. Son fils Asparuch passe le Danube et établit le
centre de la puissance bulgare en Mésie mais, comme cette ;
province était déjà occupée par les Slaves, les Bulgares y per-
dirent leur nationalité et devinrent Slaves.
Cet établissement des Bulgares au cœur même d'une province
de l'empire byzantin lui porta un coup des plus terribles. Éner-
giques et entreprenants, ils ne se contentèrent pas seulement de
la région qu'ils avaient occupée, mais s'étendirent bientôt vers
le sud, restreignant de plus en plus la domination des Grecs.
En 812, sous leur roi Crum, les Bulgares osèrent même attaquer
Constantinople. Mais si les Bulgares étaient arrivés, par le
déploiement de leurs forces, à étendre leur domination jusqu'au-
delà des Balkans vers le sud, il va de soi qu'ils durent conserver
1. Jirecek, Geschichtê der Bulgaren, Prag, 1876, p. 127, note 1. Louis Léger,
Cyrille et Méthode, Paris, 1869, p. 64 et 80.
2. Théophanes, Bonn, I, p. 122; Cedrenus, Bonn, 1, p. 628; Procope, De bello
gothico, IV, 19 (Bonn, U, p. 553) Fredegar, Hist.
; Francorum, c. 72 ; Paulus Dia-
conus, Hist. Longobardorum, V, 29.
3. Thophéanes, Bonn, l, p. 546.
132 HISTOIRE DES ROUMAINS
Timiche), Drica (le Drecon de Priscus), Arine (?), Gilpit (le Jiou?),
et la Gresia (le Criche) —
il n'en est pas moins vrai qu'il attribue
1. Idem, I, p. 374 « Interea rex collecto exercitu specie quidem quasi Rastizen
:
1. Migne, Patrologia, cursus complectus, setnes graeca, T. 116, col. 1338 ; Idem, T. 126,
col. 189.
2. Tomaschek, Zur Kunde der Haemushalhinsel, Wien, 1882, p. 43 etllspensky, Voslok
Chris lianskii, Istorija Altiona, Kiev, 1877, III, p. 315.
3. L'écrit de Kekavménos est reproduit par Vassilijewski, Sowiely raskazy wisan-
tiiskago bojarina XI wieka, St-Pétersbourg, 1881, voir les pages 106-107 pour le
passage cité. Coof. Mes Roumains au Moyen-âge, une énigme historique, Pans, 1885,
p. 54.
144 HISTOIRE DES ROUMAINS
10
146 HISTOIRE DES ROUMAINS
était bien un duc bulgare, mais qu'au lieu de régner sur les
Bulgares de la Mésie, il était tout au contraire leur vassal '.
Le second duché, celui de Glad, s'étendait dans le Banat de
Temesvar. Glad était aussi d'origine bulgare, car l'anonyme lui
donne Widdin comme patrie; son armée, dit-il, est composée de
Bulgares, de Valaques et de Cumains (ces derniers sont intro-
duits par anachronisme). Ce duché ne fut que soumis et non
détruit par la conquête hongroise, car on retrouve, du temps
d'Etienne-le-Saint un des successeurs de Glad, Ahtum, s'arrogeant
le droit de percevoir des contributions sur les sels royaux qui
descendaient le Mourèche. La vie de St. Gérard, qui rapporte
ces faits, ajoute qu'Alitum avait été baptisé dans Widdin, ville
que nous avons vue être donnée par l'anonyme comme patrie de
son ancêtre Glad, mais qu'Ahtum n'en pratiquait pas moins lapoly-
gamie, d'après les mœurs bulgares. La population du duché bul-
gare de Glad était, en grande partie du moins, d'origine roumaine;
cela nous est prouvé par la conservation de plusieurs noms an-
ciens tant de rivières, comme le Criche, le Mourèche, le Timiche,
la Bîrsava, que de villages Ijiriche, Tapa, et Tirgul-Mourechou-
:
totius mundi, quia essent Blassi et Sclavi, quia alia arma non habent nisi arcum et
sagittas et dux eoruin Gelu minus esset tenax ».
3. Anouimus, c. IX: « Quam terram habitarent Sclavi, Bulgari et Blacchi ac pas-
tores Ro)na7iorum, quia post mortera Athilae régis terram Pannoniae Romani dice-
bantur pascua esse quia grèges eorum in terra Pannoniae pascebantur. »
LES HONGROIS 151
Endiicher Mon. Arp., p. 96: « Blaccis qui Romanorum fuere pastores et coloni, rema-
nentibus sponte iu Panonia. »
l52 Histoire des roumains
conquis cette terre s'y établirent avec les Slaves après les avoir
soumis delà vint au pays le nom d'Ougrie (Hongrie)' ». Les ad-
;
1. L. Léger, La Chronique dite deNestor, traduite sur le texte slavon, Paris, 1884,
p. 19.
2. Meyer's, Conversations lexicon, 1875 Florian, sprich Floriang ; flacon, sprich
:
Invasion Hongroise. —
L'invasion des différents peuples bar-
bares n'est pas une répétition des mêmes faits et n'a pas les
1. Thurocz, II, c. xxx
; Chron. budense, p. 66 Simon Keza, p. 103. Pour plus de
:
1. L'origine des Szèkles est controversée. Voir Kéza, p. 100 ; Hunfalvy, Ethnogra-
LES HONGROIS 155
par la force et ne les mirent pas en fuite par la frayeur, comme cela
était arrivé du temps des premières invasions. Les exploits
remportés par les Hongrois ne furent sans doute pas très bril-
lants, puisque les duchés bulgaro-roumains ne cessèrent pas
d'exister et qu'ils ne furent soumis qu'à une sorte de vassalité
vis-à-vis des conquérants. Ainsi Menoumorout fut laissé à la tête
de sa principauté et fut seulement obligé de donner sa fille en
mariage à un chef Hongrois, Zulta, qui hérita du duché, sa
femme étant le seul enfant de Menoumorout. Le duché de Glad
conserva sa dynastie bulgare nous l'avons retrouvée dans la vie
;
phie Ungarns, p. 201. Sur les Hongrois dans l'Ateluzu, voir Const. Porphyrogenète,
De adm. imperio, c. 38.
1. Anonimus, ch. XI, XXllI, LI et LU.
156 HISTOIRE DES ROUMAINS
non alium Valachorum » ; 1363, Kemeny, Knezen und Kneziate in Magazin fur
siebenb. Landeskunde, II, p. 300 1274, Fejer, Codex diplom., V, 2, p. 201 ; 1425,
;
idetn, XI, p. 503 ; 1556 et 1630, Aron Densusanu dans la Columna lui Traian, IX,
p. 10 et 161 et beaucoup d'autres, qui seront rapportés plus loin, lorsque nous nous
occuperons de l'histoire de Michel le Brave et de l'état dans lequel il trouva les
Roumains de la Transylvanie lors de la conquête qu'il fit de ce pays.
2. Doc. de 1494 dans Pesty, Szorenyi Bansag es SzÔveny Tôrtemete, Budapest,
1878, 111, B, p. 117 1274, Fejer, cité dans la note préc. ; 1462, idem, X, 6, p. 796
; :
vadorum Danubii contra crebros incursus Turcarum » ; 1444, Fejer, GenusJ. Corvini,
p. 74 : Valachis castrensibus iobbagiones ab antiquo ad ipsum castrum Wilagosvar
«
spectantibus » ; 1383, Fejer, Coder, X, I, p. 132 « Fladmerus
: et omnes ceteri
Valachi morantes sub castra ». Regestrum de Varad dans Endlicher. Mon. arp.,
p. 642, art. 102 «:Castrenses Zathmar (Satu-Mare) art. 194;
» universo s cas- ;
1. Fejer, XI, p. 504 ; Columna lui Traian, 1874, p. 126 ; Kemeny, Magazin, II,
p. 315.
2. Doc. de 1427, Kemeny, cité dans note 2, p. préc. ; 1493, Duliscovitz, Istoriceskiia
certai Uqro-Russkih Ungvar, 1875, II, p. 21 1500, Pesty, 111, p. 135, 145
; 1349, ;
« praudictus Dragus et pater et Iratres sui census et débitais semper dare et justicia
consueta more OÎachorum exhibere. •-
LES HONGROIS 159
2, p. 98.
160 HISTOIRE DES ROUMAINS
Now et Star-Peceneaga.
,
Pendant que Batou Khan se dirige vers Pesth, d'autres chefs,
tels que Cadan, Orda et Bugek, traversent la Transylvanie,
franchissent les montagnes et entrent en Valachie. Un autre
chef, Bochetor, descend par les versants opposés des Carpathes
vers l'épiscopat desCumains, situé sur les confins de la Moldavie
et de la Valachie.
Partout où ils passaient, les Tatares semaient la mort et la
destruction, de sorte que les pays ravagés par eux prenaient
l'aspect de déserts. Toute la population cherchait dans les mon-
tagnes un refuge contre la cruauté et la barbarie des envahis-
seurs. Les femmes surtout étaient l'objet de leurs plus féroces
brutalités ^
Après avoir vaincu les Hongrois près de la rivière du Saïul, les
Tatares s'emparèrent de la capitale du royaume, dont le roi
Bêla IV avait fui à Venise. Les barbares parurent un moment
vouloir s'organiser. Leur duc Cadan rend en 1242, la deuxième
année de son règne, un édit daté de Zuyo, par lequel il ordonne
que les Szèkles et les Valaques reçoivent leur monnaie au cours
de celles de Byzance ^.
1. Archidiacre Thomas, Historia, c. XIV et XXXVII, dans Schwandtner, vol. ITI ;
Roçerius, Miserabile carmen, ibid. Cf. un doc. de 1241 dans Pertz, Mon. germ. hisl.,
scriptorum, T. XXIV, p. 65.
2. Uogerius, c. XXX. Lettre d'Ivo de Carnunt à l'évoque de Bordeaux de l'année
1242, dans Fejer, Codex, l\, 1, p. 237 « Mulieres autem vetulas et diformes autro-
:
Eofagis qui vulgo reputantur in escam quasi pro diario dabant nec formosis vece-
;
La Valachie et la Moldavie
avant la fondation des principautés
manie a été habitée pendant quelque temps par les Slaves, qui
disparurent jusqu'au dernier dans le sein des Roumains qui
s'étendirent toujours davantage, des montagnes de la Transyl-
vanie vers les rives du Danube et du Dniester. Cette descente
s'effectua d'abord lentement et avec circonspection, tant que les
1. Fejer, V, 3, p. 274, anno 1285: « Cum nos in actate puerili regnare coepisse-
mus, Lythen vaivoda per suam infidelitatem aliquam partem de regno nostro ultra
alpes exiatentem pro se occuparat ».
2. Fejer, III, 3,:p. 350: « In Cumanorum episcopatu sicut accepimus, quidam
populi qui Valachi vocantur, existunt ». Comp. Benkô, Milcovia sive episcopatus
Milcoviensis explanado, Vienae, 1781, I, p. 55-57. Teutseh und Firnhaber, Urkun-
denbuch, p. 43. I)oc. de 1453 dans Theiner, Mon. Hung. sacra, II, p. 267 :« Locum
Brasoviensem in diocesi Milcoviensi situm ». Pour plus de détails, voir Mes Roumains
au Moyen-âge, p. 97,
170 HISTOIRE DES ROUMAINS
L'empire valacho-bulgare
condilas, Bonn, p. 35 ;Phrantzes, Bonn, p. 414. Schol. Thucyd., Il, p. 102. L'analyse
détaillée de tous ces documents, dans notre article, VEmpire valacho-bulgare, publié
dans la Revue historique, XL VII, 1891, p. 278.
174 HISTOIRE DES ROUMAINS
de l'empereur Baudoin, le régent Henri, au pape innocent III, de l'année 203, dans
laquelle il raconte la capture de sou frère. Theiner, Mon. Slavorum meridionalium,
I, p. 40.
l'empire valagiio-bulgare 175
Theiner, Mon. Slav. merid., I, p. 40; Robert de Clary, dans les Chronigues gréco-
romaines, par Hopf, Berlin, 1873, p. 51, S2, 82-84 Ausbertus, Historia de erpedi-
;
leur Église avec une hiérarchie établie. Elle avait été respectée
même par les Grecs, lorsque ceux-ci avaient renversé leur
premier État. Ils avaient une langue écrite et un État organisé
au temps de leur premier empire. Tous ces éléments manquaient
au peuple de pasteurs à moitié nomades des Roumains de
l'Hémus. Il était donc naturel que les Roumains subissent
l'influence de la partie plus cultivée de la population de leur
pays.
Tant que l'État valacho-bulgare resta confiné dans les mon-
tagnes, l'élément roumain fut prépondérant. Aussitôt qu'il se
consolida et que sa résidence fut transférée à Tirnova, ville
presque entièrement habitée par les Bulgares, il est évident que
l'entourage même dans lequel vivait la dynastie roumaine devait
lui faire adopter la vie bulgare. Il se pourrait que Pierre et
Assan, les premiers chefs de l'empire valacho - bulgare, qui
avaient vécu comme bergers dans les montagnes jusqu'à un âge
avancé^ n'eussent pas su le bulgare. Ainsi s'expliquerait le fait que
le prêtre prisonnier ait prié Assan en roumain. Quant à lonitza,
qui était encore enfant lors de la révolte, et qui était descendu
avec ses frères parmi les Bulgares de la plaine, on ne saurait
plus soutenir qu'il ne connaissait pas leur langue. Ainsi nous
savons que lonitza faisait traduire les lettres qu'il envoyait au
pape, de la langue bulgare dans laquelle probablement il les
écrivait lui-même, en grec et de cette langue en latin ^
La décadence, toujours de plus en plus profonde, de l'empire
latin de Constantinople, n'exigeait plus une aussi forte tension de
la puissanée militaire. La dynastie régnante étant ainsi bulga-
risée, le siège de l'empire transféré parmi les Bulgares et
1. Comparez le récit de Nicétas Choniates cité, qui ne parle presque que des
Valaques avec ceux de Georges Acropolita (1220-1282) et Nicéphore Gregoras
(1295-1360) qui, quoiqu'ils exposent les mêmes faits, remplacent partout le 'nom de
Valaque par celui de Bulgare. Pachymeres (1212-1308) forme la jtransition,f mention-
nant les Bulgares et les Valaques à côté les unsdes autres.
l'empire valacho-bulgare 179
•f-
182 HISTOIRE DES ROUMAINS
part.
Si nous étudions maintenant les occupations habituelles des
Roumains qui vivent au sud des Balkans, nous les voyons tota-
lement différentes de celles qu'exercent ceux du nord du Danube.
L'agriculture y est presque complètement négligée ceux qui ;
Usée, c'est toujours à cette idée qu'il emprunta les forces néces-
saires à son développement.
La constitution de la nationalité roumaine s'effectua dans la
citadelle des Carpathes, où s'étendait l'ancienne Dacie trajane.
Au xiv^ le peuple roumain,
siècle, formé et prêt pour la
lutte, serépand dans les vallées et les plaines situées sur les
bords du Danube et de la mer Noire. Avec la fondation des prin-
cipautés commence le développement de sa vie politique, qui ne
pouvait plus prendre son essor dans les pays du centre des
montagnes, tombé sous la domination des Magliyars. Pendant
que l'histoire ancienne du peuple roumain se déroule presque en
entier dans le nid des Carpathes, son histoire plus récente a
comme théâtre d'action les plaines de la Valachie et de la
Moldavie.
Nous avons terminé l'exposition de la constitution de la natio-
nalité roumaine, et nous l'avons vue dans la lutte pour l'existence
remporter la victoire sur tous les éléments qui voulaient la
détruire. Nous allons passer maintenant à la deuxième phase de
son histoire, celle des principautés, pour nous rendre compte de
la façon dont le peuple roumain put conserver son existence
jusqu'à nos jours et constituer enfin un élément d'ordre et de
progrès dans l'Europe orientale.
LIVRE DEUXIEME
HISTOIRE MOYENNE
ÉPOQUE DU SLAVISME
DEPUIS LA FONDATION DES PRINCIPAUTÉS JUSQU'A MATHIEU BASSARABD
ET BASILE - LE - LOUP
(1290-1633)
CHAPITRE I
1. Plus haut, p. 169. Ajouter le serment du dauphin Bêla, 1234: « Falsos christianos
de terris uostris pro viribus extirpare », Theiner, Mon. hist. Hung., I, p. 124. Bulle
papale 1279, idem, I, p. 244 : « Sed vobis assistentibus dicto legato fides ejusfugatis
scismaticis gloriosum dilatetur ». Autres bulles, 1290, idem, I, p. 361-364.
2. Fejer, V, 3, p. 409, 1288 Theiner, Mon. hist. Hiing., I, p. 374, 1291
; : « Trucu-
lenta saevitia scismaticorum ».
3. La Chronique anonyme, dans le Magazinui istoric pentru Dacia, lY, p. 231 ;
Dan étant donné comme celui qui avait conclu un traité avec le
sultan Amurat II (1421-1451), il s'ensuit que ce Dan a dû régner
entre ces années donc la source où Lucari a puisé sa relation
;
Murgul suo oraiore». Lucari paraît même avoir connu la langue roumaine, attendu
que nous lui voyons, p. 116, donner l'explication du titre de Stefan Balrîn par
Stephano il vecchio.
1. Les étrangers mêmes nomment souvent la Valachie avec son nom dérivé des
montagnards. Ainsi les marchandises qui en provenaient étaient désignées en 1407
par Muntianski vosk. Akta Zupadnoi Rossii, 1, p. 32. Bonfinius chroniqueur hon-
grois du Xye siècle, Rerum hungaricarum libri XIV, Viennae 1744, p. 21, parle de
la montana Vulachia. Ortelius redivivus Nurnberg, 1665 I p, o « Erst gedachte
:
Walachey ist auch ïransalpina und Montana umb der grossen Berge Willen
genannt ».
FONDATION DES PRINCIPAtJTÉS 199
1. Pour Cîmp
Hasdeu, Arch
Diable {Idem, ., ., ^. „., _„ „.„ .
—s- ---o-
Le chaugement de capitale y est indiqué. En 1456 Vladislav émet un doc. à Tirgo-
vischtea {Idem, l, 1, p. 142). Bucarest , ne devint capitale définitive que bien plus
tard, vers 1639.
2.CoHimeZexemple peulement nous citons un doc. de 1431, Ilasdeu, Ist. ctnlica,
Joan Vlad parla grâce de Dieu prince de la Valachie transalpine et dMC de
p.l22,':3«
Fagarache et de l'Almache ». Quant au terme d'Ungrovalachie, iljrevient dans tous les
documents et se trouve encore dans la titulature des métropolitains de nos jours.
20Ô HISTOIRE DES ROUMAINS
Fondation de la Moldavie. —
Si la fondation de la principauté
valaque peut donner matière à discussion, il n'en est pas de même
de celle de la Moldavie, dont l'établissement par des Roumains
venus d'au delà des montagnes est confirmée par des documents
authentiques. Elle présente aussi ses difficultés, comme toutes
les questions relatives aux origines mais elles sont d'une
;
sent, cause pour laquelle le roi ordonne à Jean fils de Juga leur
restitution ^
Ces documents exposent comment le voévode Bog-dan de
La cronique de Poutna dans Hasdeu, Archiva istorica, III, p. 5. Comp. le poëme polo-
nais de Miron Costin, idem, I, I, p. 106.
2. Doc. de 1365 dans Fejer, IX, 3, p. 469 ; 1359 idem, IX, 2, p. 159. Le troisième do-
cument, 1355, publié par nous dans la Revistupentru istorie, archéologie si filologie, V,
p. 166 :Johanni filio Ige voevodae Olachorum de Maramarisio Querimonialis relatio
:
Gyula nobis patefecit, quod Stauus filius ejusdem Ige frater tuus, qui nuperriaie in
notam infidelitatis Bogdano quondam voevodae patruo suo, nostro et regni nostri
infideli notorio adhaerendo incidit, ipsum et filios suos propter eo quod ipsos a via
solitae fidelitatis diuturnae iungere nequivisset, de possessionibus eorum eiecisset,
domos suas concremari et comburi faciendo. (Suit l'ordre de restitution) anno
M.CCCXL-mo nonno.
202 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Non seulement les chroniques indigènes donnent cette succession des pre-
miers princes de la Moldavie. Elle se retrouve dans Giacomo di Pietro Lucari,
Rislretto, p. 104.
FONDATION DES PRINCIPAUTÉS 203
1. La chronique anonyme de la Valachie. Mag. isloric pentru Dacia IV, p. 231 dit
que Radou Negrou partit du Fagarache et de l'Almache avec un grand nombre de
peuples (eu o multzime de noroade). Thurocz, III, c. 49 (dans Schwandtner, Scriptores
rerum hungaricarum I. Le chap. III de Thurocz contient la chronique contempo-
raine de Jean de KikuUew). « Bogdan coadunatis sibi Olachis eiusdem districtus,
crescenta magna numerositate Olachorum inhabitantium illam terram, in regnum
est dilata ta ».
2. II y avait une noblesse même dans les voévodats mentionnés par le document
du roi Béla IV de 1247, nommés dans l'acte:maiores terrae. Fejer, IV, l, p. 447.
FONDATION DES PRINCIPAUTÉS 205
aussi bas que nous les montrent les temps postérieurs mais le ;
1. Poème polonais dans Hasdeu, Arh. istorica, I, I p. 161. Les Rournains se .sont
toujours nommés eux-mêmes par ce nom comme peuple. Déjà Verancius au XVI«
siècle (Voir une de ses lettres dans les Mon. Hungariae nislorica de l'Académie Hon-
groise, scriptores, 11, p. 208) disait: « quippe quibus ne ipsi Valachi utuntur, qui
se Romanos nominant ».
206 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Encore en l'année 1688, Walter, dans ses Res gestae Mihaelis (Michel-le-Brave).
caractérise de la façon suivante la puissance du ban : « Bahui sive praecipui officia-
lis, magui Walachiae parti praefecti, reditibus omnibus pro annua pensione fruentis
et stabilitae iam olira dignitatis ratione, nuuc temporis ad flniura illorum defensio-
nem ducentos Cosacos, Walachosque praesidiarios plures alentis sedis est ». Papiu
llariaa, Tesaur de monumente istorice, Bucuresti, 1862, 1, p. 8.
LES PREMIERS PRINCES 209
1. Voir la lettre du pape Clément VI à Loui?, roi de Hongrie, 1345, dans Theiner,
Mon. Hung. hist., I, p. 691.
2. Vladislav occupe le trône en 1365. Doc de cette année dans Magyar TÔrlenelmi
Tar, II, p. 186. Expédition à Widin en 1365-13()6 TransUvania, 1871, p. 267
; ; Fejer,
IX, 3, p. 558. Ordre de Vladislav de bien recevoir l'évêque catholique qui devait
venir en Valachie, 1369, Fejer, IX, 4, p. 210.
3. Theiner, Mon. Hung. hist., Il, p. 95 et 97.
LES PREMIERS PRINCES 211
1. Chronique de Johann von Posilge 1360-1415 dans les Scriptores rerum prussica-
rum, III, Leipzig, 1866, p. 244. Sur ce règne voir: Emile Picot et Georges Bengesco,
Alexandre-le-Bon. Paris, 1883.
2. Acte de 1402 dans Doghiel, Codex diplomaticus regni Poloniae, I, p. 600 :
uns les autres. Ainsi déjà les deux fils d'Alexandre-le-Bon, Elle
et Etienne, partagent la Moldavie en deux parties, l'une inférieure
avec la résidence à Kilia (avant sa cession aux Hongrois par
Pierre III), l'autre supérieure ayant pour capitale Soutschava *.
Cet exemple, une fois donné, est suivi postérieurement par
tous les compétiteurs, qui divisent la Moldavie tantôt en deux,
tantôt en trois parties. C'est ainsi, par exemple, que nous ren-
controns, entre les années 1443-1447, trois princes régnant à la
fois en Moldavie notamment dans le courant de la même année
;
« tête courbée n'est pas tranchée par le glaive ». Après avoir été
des Kloslers Moldovitza, Cernowitz, p. 61-62. Pierre 1444, Hasdeu, Arh. istorica,
I, 1, 123.
t).
faire surgir tout d'un coup, armé de pied en cap, comme Minerve
de la tête de Jupiter.
C'était pourtant la pénurie de chefs capables, et non le manque
d'énergie du peuple, encore jeune et plein de vie, qui avait
amené la Moldavie à ce degré d'abaissement. Le nerf de sa
puissance n'avait pas encore été brisé. Lorsque paraîtra l'homme
providentiel, destiné à conduire la Moldavie aux destinées aux-
quelles elle devait atteindre, on n'entendra plus des plaintes
comme celles du divan de Pierre Aron « qu'il n'y a aucune possi-
bilité de se défendre et qu'il faut baisser la tête devant l'impur ».
1. Voici le tableau des règnes compliqués de cotte période, qui seul peut donner
une idée des troubles auxquels la Moldavie fut exposée: 1433, Elie 1433-35,
;
Leprince, —
Les Roumains connaissaient, longtemps avant la
fondation des principautés, l'institution du voévode, qui représen-
tait le chef de l'État. Rappelons les voévodes Seneslau et Lyr-
thioy du document de 1247 et ceux bien plus anciens des États
bulgaro-roumains de la Transylvanie. Nous avons même vu
que les Hongrois ont trouvé l'institution du voévodat dans ce
pays, lorsqu'ils y entrèrent pour la première fois K
Les voévodes roumains qui avaient été soumis jusqu'à l'époque
de la fondation des principautés, d'abord aux Bulgares, puis aux
Hongrois, s'émancipèrent lorsqu'ils abandonnèrent la Transyl-
vanie et devinrent indépendants. Leur pouvoir s'étendit leur ;
1. Voir cette relation, qui contient en même temps une description très détaillée
de la Valachie et de la Moldavie vers le milieu du XYII^ siècle et que nous utiii-
sprons souvent dans le cours de notre exposition, dans Belfour, The travels of
Macarius, Palriarch of Anlioch, London, 1836. Le texte original arabe y est rendu
en anglais. Reproduit aussi dans VArch. ist. I, i, p. 59.
2. Ureche, éd. Picot, p. 278, dit d'un enfant illégitiuie d'Etienne le Grand, qu'il fut
élu par les boj'ards, attendu qu'ils savaient « ca din osul lui Stefan voda era ».
Chalcocondila, Bonn, p. 78 et iJuca, Bonn, p. 201, parlant de Mirfschea-le-Grand,
prince de Valachie, disent qu'il aurait laissé plusieurs enfants de ses concubines, entre
lesquels s'engagea après sa mort une lutte acharnée pour le trône de ce pays.
224 HISTOIRE DES ROUMAINS
Le domaine princier. —
L'immigration des Roumains de la
Transylvanie, dans les pays de Va'.achic et de Moldavie, eut
surtout des conséquences importantes relativement à la posses-
sion territoriale dans ces pays. Nous avons démontré plus haut
comment une partie de leur population fut réduite à un état de
soumission vis-à-vis des immigrants, ce qui donna naissance à la
classe des paysans soumis, —
et qui devinrent plus tard les serfs —
portant en Valachie le nom de roumîni et en Moldavie celui de
vecini. Une autre classe d'habitants conserva ses propriétés, les
moschneni en Valachie, les rezèches en Moldavie. Pourtant les
princes paraissent s'être attribué une sorte de propriété supérieure
même par rapport à celles des terres qu'ils laissaient à la
libre disposition des anciens habitants. Ainsi Radou-Negrou par
son chrysobule de 1292 donne aux Cimpulungiens les montagnes
que ces derniers possédaient déjà aux alentours de leur ville. Il en
est de même de la légende moldave, qui fait donner par Dragoche
à un Ruthène Etzco, qu'il rencontra le premier sur son chemin
lorsqu'il se dirigeait vers la Moldavie, la terre possédée déjà par ce
dernier. Les confirmations de la part des princes des actes do
transmission de propriété portent toutes la formule « en consé- :
voevodatus de Krajna elegissetit ». Qu'il s'agissait d'un voévode roumain. Voir doc.
de 1387, idem, II, p. 18.
ORGANISATION DES PRINCIPAUTÉS 225
1 Miron Costin dans son pohne polonais, Arch. istonca, I, 2, p. 167 ; Doc. de
1592, Arh. islorica, 111, p. 200 1519, idem, I, 1. p. 86.
;
15
226 HISTOIRE DES ROUMAINS
Hasdeu, Colximna lui Traian, 1872, p. 281 et Papadopol-Calimah dans les Convor-
biri literare, XX, p. 9; 1618, Arh. istorica, T, i, p. 23 1749, Mag. istoric, il, p. 250.
;
2. Cromer, p. 412, nous dit qu'Etienne Le Grand, sur le champ de bataille de Racova,
après sa grande victoire contre les Turcs: « plurimos agrestium, fortitudinis ergo, in
equestrem ordinem transtulit ».
ORGANISATION DES PRINCIPAUTÉS 227
Les boyards-nobles. —
On entend sous ce nom d'origine
bulgare la classe des nobles chez les Roumains. Il existe une
i. Doc. 1559, Arh. islorica, I, i, p. 119 1608, ide7n, I, i, p. 78 ; 1419, 1428, 1429,
;
idem, 1, i p. 110 et 121 et Th. Codrescu, Vricariil (recueil de documents), II, p. 248 ;
1530, Arh. islorica, I, 1, p. 133; 1586, idem, 1, 1, p. 67: 1621, tdem, I, p. 112; 1615,
Wickenhauser, Urkenden des Kloslers Solka, p. 76.
3. Doc. 1554, Uricarul, XIV, p. 83; 1608, Arh. isl., I, 1, p. 78; 1627, Uricarul
XIV, p. 101 1625, idem, p. 98 ; 1652,^ r/i. isL, 1^2, p. 191.
;
228 HISTOIRE DES ROUMAINS
opinion, —
aujourd'hui encore assez répandue, que les Rou- —
mains n'auraient pas possédé une noblesse de naissance, et
que les boyards n'auraient été que des fonctionnaires en service
ou en retraite*. Cette conception est erronée, caries Roumains,
pas plus qu'aucun autre peuple du globe, n'ont pu se passer
d'une institution, qui est le produit naturel du développement
économique.
Le prince Cantémîr établit une distinction précise entre les
fonctionnaires moldaves qu'il nomme barones, par assimilation
du mot latin au mot roumain de boyards^ boierones, et les nobles
du même pays, qu'il désigne sous le nom de nobiles, traitant ces
deux institutions à part, dans deux chapitres différents.
Il définit les Curteni comme ceux d'entre les nobles qui
n'auraient pas encore revêtu de fonctions, et ajoutant que
ces dernières n'étaient réservées qu'à ceux qui seraient d'ori-
gine nobiliaire ^
La confusion des fonctionnaires avec les nobles vient du
fait que la langue roumaine ne possède pas de terme
spécial pour désigner les nobles, et emploie toujours le mot boier
— boyard —
pour désigner les deux notions, confusion que Can-
témir a pu éviter, écrivant en latin. Ainsi les chroniqueurs parlent
plusieurs fois de boyards qui auraient été appelés par les princes
pour en faire des boyards, c'est-à-dire des nobles, auxquels les
princes confiaient des fonctions. Un document nous parle d'un
boyard, le postelnic Constantin Cantacuzène qui vieux et,
1385, 1388, Hasdeu, Ist. critica, p. 127 et 130; 1387, Arh. istorica, 11, p. 191 ; 1375,
ORGANISATION DES PRINCIPAUTÉS 229
Hasdeu, Ist. crit., p. 89; 1392, Arh. isl., I, 1, p. 18; 139S, Th. Codresco, Uricarul
III, p. 67 ; 1400, M, Cogalniceanu, Achiva romaneasca I, p. 14, etc., etc.
,
230 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Cantemir, Descr. Mold., p. 78; Ureche, éd. Picot, p. 133 et 191, Relation du
Genevois Balthasar <le Piscia, Columna lui Traian, 1876, p. 379.
2. Baltliasar de Piscia
: « Steplianus itaque cum comitiva decem niilium suorum
nobilium remansit, cum sui non redissent ut promiserant ».
ORGANISATION iJEâ PRINCIPAUTÉS 231
ce sont :
aux Turcs. Quelques autres titres furent formé par les Rou-
mains des propres mots de leur langue, tels que le Chatrar, l'ins-
pecteur des tentes, VArmache, exécuteur des peines capitales, le
Portar, qui ouvrait la porte du cabinet princier.
Les termes slavo-bulgares par lesquels sont désignés les
principaux et les plus anciens de fonctions, démontrent
titres
leur origine. Ils furent introduits d'abord en Valachie sur l'imita-
tion de l'organisation de l'État bulgare du sud du Danube, et
plus tard ils passèrent en Moldavie, où ils furent définitivement
fixés sous le règne d'Alexandre-le-Bon, quoiqu'on en rencontre
quelques-uns qui précèdent son règne.
Dans les plus anciens documents de la Valachie que l'on ait
découverts jusqu'ici, et qui datent des années 1385, 1387 et 1388,
on rencontre plusieurs jitpim, mais aucun d'eux ne porte des titres
spéciaux de fonctions. Le premier document valaque qui en
contient est de l'année 1392 il donne les noms de Vlad le vomie,
;
1. 1375, Hasdeu, Ist. crit., p. 89; 1387, Ulianitzki, p. 2 ; 1389, Doghiel, 1, p. 597 ;
1392, Arh. ist., I, i, p. 88; 1395, Th. Codresco, Uricarul, lil, p. 67 ; 1395, Ulianitzki,
p. 8. Wickenhauser, Urkunden des Klosters Solka, p. 204, dit avoir vu un chrysobule
de Roman voévode de 1393, dans lequel auraient figuré un Jean ïcstolnic et un Vlad
le vornic, le même probablement que celui du doc. de 1395 de Ulianitzki mais Wicken-
;
Organisation municipale. —
Les villes de Valachie et de
Moldavie sont pour la plupart antérieures à la fondation de ces
deux États. Aussi avons nous vu Radou-Negrou rencontrant
Cimpulung dans sa descente en Valachie puis Argèche et
;
1. Le nom se trouve dans une géographie russe du XIV* siècle annexée à la chro-
nique Voskresanskaja lelopis qui va jusqu'à l'année 1347, publiée dans Polnoe Sobi^a-
nieruskich letopisei, vol. VU. Cette notice nous a été communiquée par M. Ladislas
Pic, professeur à l'université de Prague.
ORGANISATION DES PRINCIPAUTÉS 237
àv>çopâv itpoi; tov [AïjxpoTtoXtTrjv ifiç 'OuyypoêXa'/'aî Àoyw n;aTptap-/ixw -Koà è^wp/ixô)
Sixaco). »
2.Lettre du patriarche à Mirtschea, prince de Valachie, citée plus haut, p. 147 :
3.Acta patriarchatus ConslanHnopolilani, éd. Fr. Miklosisch et Jos. Miiller,
Vindobonnae, 1860, 1, p. 387, 532 II, p. 8, 27, 32, 230, 494, 512.
;
240 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Acln palriarchalus, II, p. 170, 2il, 243, 236, 276, 528-530. Voir un doc. du
métropolitain Joseph, 1407, Arli. ist., I, 1, p. 140.
2. Lequion, Oviens chrisHam/m, 1, p. 1252. Comp. l'étude de Melchissédek dans la
Revista pentvu isloric, archeolor/ie si filologie, 111, p. 15 et suiv.
3. Allatius, de perpétua concussione, p. 1387. Ureche, éd. Picot, p. 28.
16
242 HISTOIRE DES ROUMAINS
Etat économique. —
L'état économique des pays roumains
correspondait en tout aux éléments qui les constituaient. Simples
et primitives, comme la vie entière du peuple roumain, leurs
forces productives n'étaient pas sollicitées dans trop de direc-
tions. Les Roumains s'occupaient d'agriculture, mais pas plus
qu'il n'était nécessaire pour subvenir à leurs propres besoins,
car l'exportation des céréales n'existait pas à cette époque. La
seule culture qui fît entrer des capitaux dans les pays rou-
mains était celle des bestiaux, qu'ils exportaient « tous les ans en
fort grande quantité en Pologne, en Prusse, en Silésie, en
Allemagne, en Italie et en Turquie ». La plus grande richesse
des pays roumains, c'étaient les chevaux, que Biaise deVigenère
dit être « excellents et de grande haleine* «. L'importation consis-
tait en épices. armes, tissus très fins, car ceux de qualité commune
étaient fabriqués par la main des paysannes.
Les tissus, consistant en draps recherchés, étoffes de soie,
velours, brocart, étaient importés de Gênes surtout, par la ville
porcs et les abeilles (pour le miel elle différait de celle qui était
;
fixée sur la cire), le blé, le débit du vin (ne pas confondre avec la
dime de ce produit), et quelques autres contributions spéciales,
telles que celle de l'entretien des garnisons, là où on devait en
installer, le charriage des tonneaux de vin du prince dans les
vignobles, la réparation des moulins princiers le long des rivières,
la pêche de la morue sur le cours du Danube, ces dernières —
prestations spéciales étant bien entendu toujours à la charge des
paysans. Le prince percevait, en outre l'impôt sur le sel dont la
vente formait un monopole de l'Etat, ainsi que les droits de
douanes, que les marchandises devaient payer, non seulement
à la frontière, mais encore dans toutes les villes par lesquelles
elles passaient ^
Ainsi à cette époque, malgré tous les troubles, tant exté-
rieurs qu'intérieurs dont elle est remplie, le bas peuple était
encore loin d'être opprimé par le gouvernement ou les classes
dominantes. Les boyards cherchaient leur avantage dans les
récompenses qu'ils gagnaient sur les champs de bataille, et que
les princes pouvaient largement distribuer, ayant à leur dispo-
sition l'immense étendue du domaine princier. Les princes,
d'autre part, étant indépendants ou soumis seulement à des
suzerainetés purement nominales, n'étaient pas obligés de pres-
surer le peuple, attendu que leurs revenus suffisaient amplement
à couvrir leurs besoins. L'entretien des armées, qui seul aurait
pu occasionner des dépenses continuelles et lourdes, étant pour
l'ordinaire au compte des combattants, ainsi que nous l'établirons
plus bas, on comprend facilement comment il se fit que le peuple,
qui n'était pas opprimé par la classe nobiliaire, ne le fût pas
davantage par l'autorité.
Lorsque le domaine princier aura été absorbé par les donations
successives, faites dans le courant de plusieurs siècles, et
que, d'autre part, les princes roumains, tombés sous la griffe
Plusieurs doc. contenus dans le même registre (1693, p. 35; 1693, p. HO; 1693,
p. 330 1699 ce dernier dans le registre des documents des Archives de l'Etat, 11,
;
Bellum looniae, dans Papiu Ilarian, Tesaur de monumente istorice, Bucuresti, 111,
1864, p. 240.
ougaNisation des principautés 249
des pays adjacents, Paris, 1573, p. 38 Korte, beknopte en nette Beschryving von den
;
1. Seadeddin traduit par Bratutti, Chronica delV origine e progressi délia casa
otlomana, Viena, 1649, p. 9) -94. Leunclavius, Annales sullanorum olhmanidatum,
Francofurti, 1596, p. 13.
254 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Doc. de 1387 dans Cipariu, Arhiv penlru filologie, 1867, p. 77 ; autre de 1387,
Hasdeii, Ist. crit., p. 5; 1399, 1404, Arh. isL, I, 1, p. 79 et 98. Mirtschea possédait
aussi la partie inférieure de la Bessarabie actuelle, qui tire précisément son nom
de celui de Bassarabe. En 1812 le nom fut appliqué à toute la région ravie par la
Russie à la Moldavie.
2. Seadeddin, p. 165.
256 HISTOIRE DES ROUMAINS
dant que Mirtschea était retenu à Brousse, son fils Michel, associé
par lui au trône, gouverne le pays en son absence et délivre le
document des Cimpulungiens *.
Cette soumission du prince de Valachie aux Turcs ne fut que
passagère et bien du sang devait couler encore avant que ce
pays tombât définitivement au pouvoir des sectateurs de Maho-
met. Pour secouer le joug des Turcs, Mirtschea devait se rappro-
cher des Hongrois qui, sollicités par la même crainte, vinrent les
premiers lui tendre la main.
Les Hongrois avaient d'abord continué contre Mirtschea
l'état d'inimitié dans lequel ils avaient vécu avec ses prédé-
cesseurs. Ils ne pouvaient supporter l'idée que les Roumains,
qui avaient été leurs sujets, pussent se soustraire à leur
domination. Mirtschea, qui était monté sur le trône en même
temps que le roi Sigismond, ayant été instruit des intentions
de ce prince, conclut avec le roi Vladislav de Pologne, qui
vivait en mauvaises relations avec le roi de Hongrie, un traité
dirigé contre ce dernier. Cette entente fut établie par l'intermé-
diaire du prince de Moldavie, Pierre Mouchate, parent de Mirt-
schea, en 1389 ^
Le roi Sigismond, apprenant la démarche de Mirtschea et
surtout, d'autre part, le péril dans lequel le plaçait le progrès
constant de la puissance ottomane, se décida à modifier sa
politique envers la Valachie, et, pour ne pas s'aliéner ce pays
par ses tendances dominatrices, il chercha à l'attirer en lui
proposant une alliance défensive contre l'ennemi commun.
Mirtschea, qui venait d'être battu à Cossova et qui avait le plus
grand intérêt à se réconcilier avec les Hongrois, modifia immé-
diatement, par un second traité, ses engagements par trop stricts
envers les Polonais. Le second traité de l'année 1390 stipulait
que le roi de Pologne ne pourrait déclarer la guerre à celui de
Hongrie avant que Mirtschea eût pris connaissance des motifs
qui l'y poussaient, tandis que Mirtschea pouvait conclure la paix
avec le roi de Hongrie et obliger ainsi implicitement le roi de
Pologne à rester tranquille ^ On ne saurait dissimuler la manière
1. Fejer, X, 2, p. 270.
2. Chronique des religieux de Saint- Denis, contenant le règne de Charles VI de
1380 à 1422, dans la Collection de documents inédits sur l'histoire de France publiée
par M. L. Bellaguet, Paris, I8i0, II, p. 496; Œuvres de Froissart, publiées par le
baron Kervyu de Lettenhove, Bruxelles, 1871, p. 311, 315 et 320.
17
258 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Johannes Shiltberger aus Miinchem (fait prisonnier par les Turcs après la
Asien und Africa 1394-1427, éd. Neumann, 1839, p. 51-52.
bataille), Reise in Eiiropa,
Ayant écrit ses mémoires longtemps après la bataille, il avait oublié le nom du
prince de Valachie qu'il nomme Werther ! !
man, Muza, Mahomet et Iza. Soliman avait mis la main sur les
possessions européennes, pendant que Mahomet s'était emparé
de celles do l'Asie. Ce dernier eut à lutter d'abord contre Iza, et,
après la mort de ce dernier, contre Soliman, qui voulait, en sa
qualité de fils aine, garder pour lui seul tout l'empire de son
père. Muza, l'autre frère, qui se tenait à l'écart de toutes ces
prétentions, proposa à Mahomet, auprès duquel il se tenait, de
le laisser passer en Europe, pour y exciter à la révolte les sujets
de Soliman, dont une partie était mécontente de son administra-
tion. Mahomet aurait accepté avec plaisir l'offre de son frère,
mais il ne pouvait lui procurer les moyens nécessaires à cette
entreprise, ayant lui-même besoin de toutes ses forces pour lutter
en Asie contre Soliman.
Mirtschea, qui suivait avec attention toutes les péripéties de la
rivalité des fils de Bajazet et qui connaissait les mauvaises dis-
positions des sujets de Soliman contre leur maître, n'eut pas
plus tôt appris l'intention de Muza de venir renverser Soliman,
qu'il lui vint en aide de toutes les manières. Le prince de Caste-
munui, Isfendiar, faisant des difficultés pour procurer à Muza
les navires indispensables pour passer en Europe, Mirtschea, qui
était en relation amicale avec lui depuis la bataille de Cossova,
intervient pour qu'il mît à la disposition de Muza tous les moyens
Spondanus dans Schinkaï, Cronica Romînilor, 1854, Jasi, II, p. 17. Coiup. Chalco-
condilas, p. 366.
2. Jean de Wawrin, Anchicnnes chroniques d'En g le terre, 3 vol. id. Dupont, Paris,
1858. La narration des faits concernant les Sarrazins y ont intercalée à titre de
récréation.
II
1. Voir, pour tous les auteurs cités, la dissertation de Georges Baritz sur Jean
Corvin de Huniade dans la Transilvania, 1873, p. 63 et suiv. Le diplôme de 1548 dans
Cipariu, Arhiv pentru filologie si istorie, 1868, page 695
: u Cuius etiam aliqui tua
fauiilia Daciae transalpinae, quae nunc Valacliorum patria est, principes fuerint ».
266 HISTOIRE DES ROUMAINS
sous les murs de cette ville Huniade leur inflige une sanglante
défaite, en 1456*. Cette année devait voir aussi la mort de cet
athlète de la chrétienté, qui, battu ou victorieux, ne désespéra
jamais du succès de ses armées. Le grand mérite de Hunniade,
comme aussi de tous les héros qui se sacrifièrent pour la défense
du christianisme et de la civilisation contre la barbarie musulmane,
ne fut pas tant celui d'avoir vaincu en certaines rencontres les sec-
tateurs de Mahomet, qui finissaient toujours par l'emporter, mais
bien d'avoir lutté avec une énergie, une persévérance et un cou-
rage sans exemples dans l'histoire contre cette terrible invasion
des Ottomans, les forçant de payer chaque pas qu'ils faisaient en
avant par des sacrifices si considérables, qu'ils épuisèrent leurs
ressources, ne furent plus en état de continuer la lutte et mirent
ainsi un terme à leur puissance.
Si le pays était tombé aussi bas, ce n'est pas à lui que l'on en
saurait imputer la faute, mais bien aux princes qui l'avaient
gouverné et qui avaient tout sacrifié à leur insatiable ambition.
Aussitôt qu'un homme au noble caractère monte sur le trône de
la Valachie, nous voyons ce pays opposer de nouveau aux
envahissements des Turcs une barrière infranchissable. Ceci
arriva sous le règne de Vlad, surnommé l'Empaleur par la
postérité. L'horrible réputation de cruauté que ce prince a laissée
dans l'histoire n'est que trop justifiée et le surnom qui lui est
donné n'est que trop mérité. Les chroniques contemporaines
racontent de lui des actes de férocité digne d'un tigre on dit que :
durant un court règne, qui ne compte guère que six années (1456-
1462) il ne fit pas périr moins de 20.000 hommes par les supplices
les plus atroces que l'imagination puisse inventer, accompagnant
toujours les peines qu'il infligeait à ses victimes de paroles
ironiques, qui nous montrent le tyran sous le jour le plus odieux,
riant et se moquant des souffrances de ses victimes !
'
1. Chalcocondilas, p. 512-513.
2.Pelrus de Thomasiis, ambassadeur vénitien à Bude au sénat, 4Mars 1462, Columna
lui Traian, 1883, p. 44 « per dito Valacho, Dragul (Dracui = le Diable) che hora
e homo del dito signor ré et ha tolta una sua parente per nioglie » Chalcocondilas,
p. 501. Ordre du Sénat de Brachov aux habitants de la ville de ne plus déplaire par
leur conduite au très illustre prince Vlad, 1458, dans Engel, Gesch. der Walachey,
p. 174.
VLAD l'empaleur 269
La défaite des Turcs ressort encore d'une lettre que Vlad écrivit
de Hongrie où il vivait réfugié, et dans laquelle il priait le sultan
Mahomet de l'excuser pour la faute qu'il avait commise, lui offrant,
s'il voulait le replacer sur le trône, que les Turcs avaient donné à
son frère Radou, de lui servir de guide pour une expédition con-
tre la Hongrie '. Cette lettre, surprise par le roi Mathias, amène
la disgrâce de Vlad qui est jeté en prison, où il reste jusqu'à son
rétablissement sur le trône de Valachie en 1477.
Tel fut ce Vlad l'Empaleur, qui méritait d'être connu non-
seulement pour ses cruautés, accomplies pourtant dans un noble
but, puisqu'il voulait sauver sa patrie d'un tribut onéreux et pé-
nible, mais aussi par la réussite de son dessein vis-à-vis du plus
terrible des conquérants mahométans, auquel il infligea une des
plus sanglantes défaites que les Turcs eussent jamais éprouvées.
Pour le malheur des Roumains, ce prince valeureux devait être
renversé du trône précisément par celui qni aurait dû le soutenir
dans la lutte qu'il avait entreprise, Etienne-le-Grand de Moldavie,
qui allait payer bientôt et chèrement cette faute de ses jeunes
années.
1. Cette lettre envoyée dans une traduction latine par le roi Mathias au pape Pi-
II, /14o8-i464), fut reproduite par Gobellini dans son ouvrage, Pie If pontificis maximi
commen/aru reruramemorabilium quae teraporibus suis contigerunt, Francofurti,1614,
p. 257. La chronique incrustée dans les murs de l'église de Brachov dit : « 1462,
Mathias rex Dracolam Woyvodum capit. »
III
Etienne-le-Grand de Moldavie
1. Plus haut, p. 215. Les hommages d'Etienne au roi de Pologne, Doghiel, 1, p. 602,
603. Protection de Pierre Aron par le roi de Hongrie, Epistolae Mathiae régis,
Cassoviae, 1164, p. 48. Pour la ville de Kilia Doghiel, I, p. 46. Plusieurs chroniques
:
slaves antérieures à Ureche, publiées par Jean Bogdan, Vechele cronice moldovenesti
pana la Ureche, Bucuresti, 1891, p. 144, 174, 189. Chalcocondilas, p. 506.
2. La chronique anonyme slave publiée par Jean Bogdan, p. 189, dit qu'Etienne
reprit Kilia aux Hongrois. Chalcocondilas, p. 506. Sur l'ambassade de Buczacz, voir
un doc. de l'année 1461 dans Ulianitzki, p. 57 (plus haut, p. 214, uote 3j.
18
274 HISTOIRE DES ROUMAINS
Bataille de Rasboieni. —
Etienne, pensant, par sa victoire de
Racova, avoir gagné des titres à la reconnaissance de l'Europe,
abandonna la réserve dans laquelle il s'était confiné jusqu'alors,
et, après avoir envoyé aux princes chrétiens une circulaire dans
laquelle il leur exposait la nécessité de s'unir pour « couper la
la main droite du païen », il adresse une demande de secours
d'argent au pape, en février 1475. Etienne ne s'était pas trop
pressé, attendu que les Turcs attaquent, peu de temps après, la
ville de Caffa, en Crimée. Le prince de Moldavie avait intérêt à
défendre cette ville, par la raison que son beau-père était prince
1. La circulaire d'Etienne publiée par C. Esarcu dans la Columna lui Traian, 1876,
p. 420. La réponse du pape dans la collection de Carolus Wagner, Analecta diplo-
matica, IV, p. 26, manuscrit de la bibl. de Pesth. Pour Calia et les relations d'Etienne
avec la principauté de Mangop, voir plusieurs lettres : Uu recteur de Uayuse au
Doge, 21 mars 1475 de Jaques Jusliniani de Chios au Doge, 10 juillet 1473 (dans la
;
CoLumna lui Traian, 1883, p. 43-44) de Leonordo Botta à Gai. Maria Sforza, 13 juil-
;
let 1475 de Léon Arlae despotus au Doge, juillet 1473; d'£<«e/ine à ses ambassadeurs
;
près le roi iVlathias, 20 juin 1475; de Dominique et Gaspar, amb. de Mathias à. Etienne,
1 déc. 1474 (dans Mon. Uung. hisl., V, p. 269, 271, 309 et VI, p, 306).
ETIENNE-LE-btlAND 270
Lettre du pape à Etienne par laquelle il lui dit avoir donné l'argent à son suzerain
1
indiquer.
La Moldavie était attaquée de trois côtés à la fois. En face par
les Turcs et sur ses deux flancs par Laïote Bassaraba et les
Tatares. Les paysans, qui constituaient le gros de l'armée mol-
dave, sachant leurs familles exposées aux violences des Tatares,
demandèrent à Etienne la permission d'aller les établir en sûreté.
Le prince repoussa d'abord leur requête, mais ses soldats com-
mencèrent à déserter. Etienne, inquiet, tint un conseil de guerre,
dans lequel on décida de leur donner congé pour 15 jours, délai
après lequel ils devaient revenir avec des provisions de bouche.
Les paysans, une fois partis, ne revinrent plus rejoindre l'armée,
et Etienne n'ayant auprès de lui que 10,000 nobles ne put
s'opposer plus longtemps au passage du Danube et se vit forcé
de se retirer dans l'intérieur du pays *, devant une armée quinze
fois aussi forte que la sienne. Etienne, cherchant un endroit où il
pût concentrer ses moyens de résistance, crut le trouver dans
une forêt du district de Neamtz. D'une clairière il fit une forteresse
improvisée, abattant autour d'elle les arbres, creusant un fossé
et recouvrant le tout de broussailles et d'épines, qui laissaient
passer au travers la bouche de canons de bois cerclés de fer. Cet
endroit prit plus tard le nom de Rasboieni (de rasboiu guerre, =
de Valea alba, tiré de la blancheur des ossements
bataille) et celui
dont cette vallée fut jonchée.
Les Turcs découvrant la retraite des Moldaves donnèrent
assaut à leur forteresse improvisée mais étant repoussés
;
1. Ces intéressants détails contenus dans la relation de cinq Génois qui se trou-
vaient à Soutschava précisément à l'époque de la seconde expédition des Turcs,
relation communiquée au pape par Ballhasar de Piscia 16 septembre 1476, dans la
Columna lui Traian, 1876, p. 376-380. Comp. Dlugosz, II, p. .^46, auno 1476, et
l'inscription pl.icée par Etienne à l'église construite par lui à Rasboieni, Melchissédek
dans les Convorbiri-literare, XVI, p. 36S.
282 HISTOIRE DES ROUMAINS
même année. C'est ainsi que Kilia « la clef et la porte pour tous
les pays de la Moldavie et de la Hongrie » et Tschetatea Alba
« la clef et la porte de tous les pays de la Pologne, Russie et
e chiave et porta, etc. » Nous verrons que dans les traités russo-turcs postérieurs la
Bessarabie est toujours mentionnée à part, à côté de la Moldavie. Ce nom ne désignait
alors que la partie sud de la province sur laquelle les Russes étendirent en 1812
la dénomination de Bessarabie. L'origine de ce nom, voir plus haut, p. 255, note 1.
2. Joachim Cureus dans ses Annales silesicae, apud Schinkaï, II, p. 78.
ETIENNE-LE-GRAND 285
par Schinkdi, II, p. S4. Comp. Martini Zeilleri fieschreibung des Konigreichs Polen,
Ulm, 1657, p. 57 « Moldau so einer der Polen Grab nennet ».
:
ETIENNE-LE-GRAND 287
i. Les relations sur l'essai de constitution d'une ligue anti-ottomane sont conte-
nves dans les documents suivants 1492 Akta zapadnoi Rossii, 1, p. 182
: ; 1492,
1494, 1493, 1496, 1497, 1498 (deux doc.) dans Ulianitzki, p. 122, 124, 126, 127, 132, 148
177, 178 et 182. Comp. Acla magni duc. Lithvaniae, VI, p. 224-226 (doc de 1498
et 1499).
ETIENNE-LE-GRAND 289
Caractère d'Etienne-le-Grand. —
Les premières années du
règne du prince moldave sont marquées par une fougue de
caractère, qui l'engage inconsidérément dans plusieurs luttes
assez impolitiques, celle avec Vlad l'Empaleur, par laquelle il
perd un allié qui aurait pu lui être d'un grand secours dans sa
lutte contre les Turcs celle avec Mathias Corvin, dont il avait
;
19
290 HISTOIRE DES ROUMAINS
s'accroît quand ils vivent dans les combats, et que les peines et
les fatigues auxquelles une armée s'habitue doublent sa valeur » *.
La lutte avec les Turcs calma son effervescence et ajouta à ses
talents militaires incontestables une conduite plus prudente et
plus politique. 11 s'efforça d'obtenir les secours de ses voisins et
d'autres puissances plus éloignées, mais intéressées dans sa
lutte contre les Ottomans. Si des deux côtés ses efforts ne furent
guère couronnés de succès, ce n'est pas â Etienne que l'on
saurait en imputer la faute, mais bien d'une part à la politique
astucieuse des Vénitiens et de la papauté, qui se contentaient de
le payer en belles paroles; d'autre part à l'envie que lui portaient
ses prétendus suzerains de Pologne et de Hongrie, qui préféraient
voir Etienne broyé sous le talon des Ottomans que de le laisser
monter trop haut au-dessus d'eux. Il en fut de même lorsque
Etienne abandonna l'Occident et se tourna vers l'Orient pour
constituer entre ses princes une ligue anti-ottomane. Les riva-
lités éternelles de ces derniers, qui ne pouvaient comprendre les
vues élevées du prince de Moldavie, ainsi que les coups qu'eux-
mêmes lui portèrent, firent échouer aussi cette entreprise.
Etienne, pourtant, n'était pas homme à se laisser abattre. Resté
seul en face des Turcs, il lutta héroïquement contre eux, et même
avec avantage, ayant à sa disposition un pays puissant par sa
constitution économique un peuple guerrier intrépide et
, ,
lutté près d'un demi-siècle contre les Turcs et qui avait réussi,
par des efforts surhumains, à conserver à son pays l'indépen-
dance et la liberté, enjoint à Bogdan de se soumettre à eux. Mais
il avait eu le temps de se convaincre des dispositions que les
1. Inventarium, p. 140. L'acte entier de 1506 publié dans les Acta Tomiciana,
Posnaniae, 1852-1860, 1, app. 19.
296 HISTOIRE DES ROUMAINS
Étienne-le-Jeune. —
Comme le fils de Bogdan était encore
mineur à son avènement au trône, le divan de la Moldavie
conduisait en son nom les affaires, sans l'institution d'une
régence spéciale. Dans le divan, c'était le boyard Luca Arbore
1. Idem, II, p. 264. Comp. Carra, Histoire, p. 14. Neculai Costin rend la valeur du
ducat en piastres telle qu'elle était de son temps (1707), à raison de 2 piastres 1/2 le
ducat. En 1513 le ducat valait bien moins.
2. Histoire sommaire des choses plus mémorables advenues aux derniers troubles de
Moldavie, etc., composée par M. J. B. A. en P. sur les mémoires de Charles de
Joppecourt, gentilhomme lorrain qui portait les armes, durant ces troubles, à la suite
des princes polonais, Paris, 1620, chap. XL.
SOUMISSION DE LA MOLDAVIE 299
niers, ne crussent pas que son attaque contre les Turcs indiquait
un changement d'attitude à leur égard, dans la lettre qu'il écrit à
Sigismond pour lui annoncer sa victoire, il l'insulte et traite les
1. Acla Tomiciana, VI, p. 284, 307, 308, 324 et 325 et VII, p. 61, Wapowski, Fraj/-
menlum Sigismundi Poloniae res gestas continuans (imprimé à la suite au
reçjis
tratté de Cromer, l'olonia sive de situ et génie Pulonorum, Coloniae 1580) p. 588.
Ureche éd. Picot, p. 275. Chronique de Capitanul dans le Magazin isloric pentru Daciu,
1, p. 162.
3Ô2 HISTOIRE DES ROUMAINS
malgré tous les périls qu'elles pouvaient leur faire courir. C'était
pour rassurer leur pouvoir, affermir leur autorité, qu'ils tâchaient
de s'agrandir. Mirtschea avait essayé de s'étendre au sud du
Danube, par son immixtion dans les luttes des fils de Bajazet ;
encore.
Rarèche, qui avait mécontenté les Turcs et s'était brouillé avec
les Polonais, rechercha l'alliance du grand duc de Moscovie*. Ne
réussissant pas de ce côté et ayant absolument besoin d'un point
d'appui pour résister à ses deux dangereux ennemis, il se tourne
vers l'Occident et noue des relations avec Ferdinand, le lieute-
nant de Charles-Quint dans l'empire germanique, qu'il avait
combattu autrefois. Ferdinand conclut avec lui un traité par
lequel il lui confirme la possession non seulement de Tschitschéou
et de Tschetatea de Balta, mais encore celle de Balvanyos et de
Bistritza ^ Dans les négociations relatives à cet acte, Pierre était
représenté par le vistiernic Mathieu, au sujet duquel l'évêque de
1. Lettre de Ferdinand à Char les- Quint, 11 janvier 1532, en langue espagnole, dans
les Monumenta Hungariae hislorica, diplomataria, I, p. 151.
2. Inventarium, p. 146.
3. Relation de Francesco délia Valle dans Magyar torlenelmi Tar, III, p. 9. Comp.
Wahrhafle Geschichle wie Herr Ludovico Gritti von Constantinopel in die Walachey
ankouinien und in Siebenburgen erschlagen ist den 28 september 1534.
4. Correspondance entre Rarèche et le grand duc de l'année 1532-1533, reproduite
d'après le journal de Moscou par YVricarul de Codrescou, 111, p. 101.
5. Le traité est donné par Katona, Uistoria crilica i^egum Hungariae, X, 2, p. 241.
20
306 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Un document polonais du !«' décembre 1528 dit de Pierre « qui educatu; est
apud Turcos ». Documente priviloare la Istoria Romîniler, la grande collection de
documents publiés par le miQistère de l'Instruction publique, Suppl. 11, vol. 1, p. 18.
2. Plusieurs lettres de Vévêque de Montpellier à François /"", 15, 20 février ; 7, 21
et 31 mars et 30 avril 1541, idem, suppl. I, vol. I. p. 3.
3. Lettre du 15 Février 1541 de l'évêque de Montpellier.
SOUMISSION DE LA MOLDAVIE 309
1. Traité de 1542. Voir les documents extraits des archives de Berlin dans Papiu
Uariaa, Tesaur de monumente istorice, III, p. 13: « Et quantum possibile ipsum
âlO HISTOIRE DES ROUMAINS
dre II. Les boyards, qui lui étaient hostiles^ chassèrent pour un
moment Kiajna du pays, mais elle revint bientôt, avec l'aide des
Turcs, pour replacer sur le trône son fils aîné, Pierre. Les
Turcs, qui l'avaient amené, s'étaient à peine retirés, qu'une
révolution le renverse à nouveau. Le sultan, irrité contre Pierre
et Kiajna à cause des embarras sans profit qu'ils causaient conti-
nuellement à l'empire, se décide à lui retirer son appui, lorsque
Kiajna apporte à Constantinople la somme de 2,000,000 d'aspres,
ou 80,000 ducats, moitié tribut et moitié présent. Le sultan,
gagné par l'importance de la somme, accorde de nouveau à
Pierre sa protection ^
alors le trône pour son autre fils, Alexandre, qu'elle fut forcée de
soutenir aussi, à force de présents, contre les intrigues et les
révoltes continuellement renouvelées des boyards K
Kiajna ne voulait pas seulement qu'un de ses fils régnât en
Valachie elle désirait aussi placer Pierre en Moldavie, pour
;
car la cupidité des personnages avec qui elle avait à traiter était
alors le vice endémique du pays. Elle propose au sultan de
doubler le tribut de la Moldavie, où régnait à cette époque Jean-
le-Terrible, et celui-ci fit sentir aux Turcs qu'il méritait bien son
surnom, comme nous le verrons plus bas. Malgré sa lutte
désespérée contre les Turcs, Jean n'en succomba pas moins,
trahi par les boyards, et Kiajna put voir son rêve réalisé, c'est-à-
dire ses deux fils placés sur les trônes des pays roumains,
Alexandre II en Valachie (1567-1577) et Pierre-le-Boiteux en
Moldavie (1574-1579).
Les boyards valaques, ne pouvant supporter les vexations
permanentes auxquelles les exposait le système de Kiajna, qui
continuait avec autant de largesse que de succès à corrompre la
cour ottomane, se révoltent de nouveau contre leur prince et
gagnent à leur cause, à force d'argent, Mehemet pacha, tandis
que Kiajna avait pour soutien le célèbre Sinan pacha. Les Turcs
ducat, pendant qu'aujourd'hui il vaut 50 francs ; le ducat valait donc quelque chose
comme 50 francs, et 80,000 ducats représentaient 4,000,000 de francs, ou tout au
moins la moitié.
1. Sur ces révoltes et les massacres auxquels elles donnent lieu, voir la chronique
de Const. Capitanul et la Chronique anonyme, les deux dans le Magazin istoric
pentru Dacia, 1, p. 211 et IV^ p. 2'Î4.
318 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. En tout à peu près un million de ducats; d'après l'évaluation faite plus haut,
25 millions de francs Sur la déposition de Tschertschel, voir les rapports de
! !
21
322 histoire des roumains
1. Les sources principales relatives à Despota viennent d'être publiées par M. Emile
Legrand sous le titre de Deux vies de Jacques Basilicos, seigneur de Samos, etc., Paris,
1889. Comp. Elraile Picot, Chronique d'Ureche, p. 393 et suiv.
2. De Morini quod Terouena vocant alque Hedini expugnatione deqiie praelio apud
Rentiacum brevis et vera narratio Jacobo Basilico Marcheto Despota Sami authore,
Antverpiae, 1555.
3. Reproduites par Legrand, p. 279.
4. Leunclavius, Annales sultanorum olhmanidarum, Francofurdi, 1556, p. 88.
Cf. une lettre de Ferdinand à Verantius, 22 novembre 1559, Mon. Hung. historica,
scriptores, XIX, p. 103.
5. Cette généalogie est reproduite dans VArhiva istorica, I, 1, p. 99.
De pierre raréche a mighel-le-brave 325
1. Document découvert par M. Emile Picot dans les archives de Vienne. Chronique
d'Ureche, p. 413.
2. Lettre de Despote à Zigomalas, rhéteur de l'église patriarcale, dans Crusius,
lurco-Graecia, p. 247.
3. Lettre du 22 février 1365 dans Crusius, p. 492, Comp. Vicoi, Chronique d'Ureche,
p. 423, qui rapporte le sens d'un document des archives de Vienne complétant les '
informations de Crusius. •
DE PIERRE RARÈCHE A MICHEL-LE-BRAVE 327
1. Voir le passage de Sommer relatif à l'école de Cotnari dans Emile Legrand, Deux
vies, etc., p. 35. Comp. un autre passage dans la Biographie de Despola par
Graziaui, Mem, p. 179.
328 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Lettre de Jean Sigismond au sultan et celle d'un Grec à Despote du 29 mai 1563,
publiées par C. Esarcu dans la Columna lui Traiaii, 1874, p. 5 et 9.
2. Leiinclavius, p. 58
: « Erat tum (1561) eius regionis (Moldaviae) princeps cum
titulo Despota Alexander, ob iuauditaui quandara immanitatem erga suos inlamis n.
DE PIERRE RARÈCHE A MICHEL-LE-BRAVE 329
Pour les cadeaux, voir Pétrémol à Boistaillé, 15 oct. 1563, Documente, supplément,
I, p. 49.
1. Sommer ap. Legrand, p. 57.
2. L'évêque a'Acqs à Charles IX, août 1571, Documente, supplément, I, p. 23.
Heidenstein apud Engel, Geschichte der Muldau, p. 214. Neculcea, chroniqueur
moldave, dans les Letopiseie, 11, p. 202. Strikowski dans lArhiva islorica, II. p. 10.
330 HISTOIRE DES ROUMAINS
1.Languet au duc de Saxe, 29 juillet 1574, Arhiva isiorîca, I, 2, p. 30. Cf. Lasicki,
De Polonorum in Valachiam dans Papiu llarian, Tesaur, 111, p. 256.
inçjressu
2.Pétrémol a Du Perrier, 7 avril 1565, Documente, supplément, 1, p. 21. Gorecki,
Bellum Ivoniae dans Papiu, 1. c, III, p. 215. Thuanus (De Thou), Historiarum sui
temporis, Francofurti, 1610, II, p. 14.
3. Du 2 juillet 1574, Arhiva islorica, 1, 1, p. 45.
DE PIERRE RARÈGHE A MIGHEL-LE-BRAVE 331
1. Ureche éd. Picot, p. 485; Forgacs, Rerum Hungaricarum sui temporis com-
mentarii, Posouii, 1788, p. 251.
2. Chronique turque dans Mignot, II, p. 215 ; Gorecki dans Papiu, IH, p. 240 ;
Golia laissa donc les Turcs passer le Danube et fit savoir à Jean
qu'il était arrivé trop tard pour les en empêcher, qu'ils étaient
tout au plus 30,000 et n'avait pas à s'en inquiéter beaucoup ;
qu'elle avait été sous celui de son aïeul, c'est-à-dire un pays plein
de propriétaires terriens, qui, dans leur patrie, défendaient leurs
propriétés individuelles.
Saxe, 23 mars 1576, idem, 1, 2, p. 30. Girolamo Lippomano au Doge, 1575, Docu-
mente., corps principal, III, 2, p. 374.
22
338 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Rapport au noncp papal de la Pologae, 1588, idon, III, p. 120. Les autres docu-
msnts relatifs à Brutti et a ses efforts pour propager le catholicisme, idem, p. 96-103.
Corap. la relation de Rafaël Skrznecki, iSSB, dans i'Arhiva islorica, I, i, p. 174.
2. Le métropolitain Georges Movila au pape, 13 oct. 1388. Le même au nonce de
Pologne, IS oct. 1588, Documente, III, p. 111 et 113.
DE PIERRE RARÈGHE A MICHEL-LE-BRAVE 341
Ureche éd. Picot, p. 587. Comp. Melchis&édek, Notite islorice si archeologice, p. 285.
3. Marco Venier au Doge, 3 mai 159i, idem, IV, 2, p. 177 « Poiche l'ambasciator
:
1. Ureche éd. Picot, p. 577, confirmé par Marco Zane au Doge, 18 juillet 1592,
Documente, corps principal, IV, 2, p. 162.
II
Michel-le-Brave
1. Les instructions du 10 novembre 1593, idem, III, 2, p. 38. Cf. d'autres instructioùa
du pape à i'évêque de Cervia, 1594, idem, III, 2, p. 395.
2. Jean de Marini Pauli à Rodolphe II, 1594, idem, III, p. 203.
3. Ciro Spontoni, Hisloria délia Transylvania, Veuezia, 1638, p. 14.
4. Ce traité ne nous a pas été conservé. II est mentionné dans son renouvellement
du 20 mai 1595, Documente, corps principal, III, p. 210.
5. C'est l'opinion aussi de Baronius, écrivain hongrois, dans les Documenta Hunga-
riae hislorica, scriplores, XVII, p. 144.
348 HISTOIRE DES ROUMAINS
Danube sur la glace, en mars 1595, attaque les Turcs avec une
telle vigueur que leur armée, ainsi que le prétendant Bogdan
qu'elle ramenait avec elle, prend la fuite, laissant au nombre des
morts le lieutenant de Hassan, Mustapha pacha, et Michel peut
dévaster en toute liberté les provinces de l'empire ottoman.
Hassan pacha revient pour la troisième fois à la charge, mais
alors c'est lui-même qui paie l'aventure de sa vie et de celle
de son fils, et son armée est pour cette fois complètement
détruite *.
1. Les sources pour ces différentes luttes: Marco Venier au Doge, 19 févr. 1595,
idem, IV, 2, p. 187; du 20 févr., idem, p. 188; Rapport de larab. de Prague,
7 mars 1595, idem, III, 2 p. 86; Marco Venier au Doge, 6 mars 1595, IV, 2, p. 189 ;
gestraytlt » Annales de Fugger, 21 janv. 1595, Documente, corps principal, III, p. 223
; :
« Die Moldauer und Walachen haben das Land gar bis Drinopel verhargt ».
3. Anuales de Fugger, 19 mars et 7 avril 1595, idem, p. 230. Kurzer Bericht wiç
aile Sachen in SiebenbUrgen anno 1594 fûrgelaufen, p. 9.
350 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Marco Zane au Doge, 16 févr. 1594, idem, TV, 2, p. 175 Amb. vénitien de Prague
;
au Doge, 25 avril 1595, idem, III, 2, p. 94. Rapports de Marco Venier au Doge du
19 mars, 2 avril, 18 mai 1595, ide^n, IV, 2, p. 192, 194, 198;un autre du 12 avril 1597,
idem, p. 223 dit « La Valachia et Bogdania niantegono in tempo di pace la cita di
:
1. Texte original latin, idem, III, p. 472. Le 2 juin un traité pareil est signé avec
la Moldavie, iaem, p. 477.
352 HISTOIRE DES ROUMAINS
2. Kurzer Bericht (voir plus haut, p. 349, note 3): « Der Fûrst der Walachey,
Michael genannt hat bey ihm 10,000 Wallachen, 2000 siebenbiirgische Trabanten
und 700 Pferde ».
MICHE L-LE-BR AVE 353
1. Marco Venier au Doge, 15 sept. 1595, Documente, corps principal, ITF, p. 487 ;
De Brèves à Henri IV, 13 sept. 1595, idem, supplément, I, p. 113 ; Historia von den
Empôrungen (plus haut, p. 349 note 2), p. 71
; Rapport de l'amb. vénitien de Prague,
13 sept. 1393, Documente, corps principal, III, 2 p. 132. Relation d'Etienne Tompa,
drogman de Feriial pacha, 3 fevr. 1696, idem, III, p. 274. Vittorio Siri, Del Mercario
overe historia dei tempi correnti, V, p. 478 ; Walter dans Papiu, I, p. 28, etc., etc.
2. Walter dans Papiu, I, p 32, donne ce chiffre raisonnable. Les sources hon-
groises veulent le porter à 80,000 hommes, tout-à-fait en disproportion avec
les forces de la Transylvanie (voir leur énumération dans N. Balcescu, Istoria lui
Mihaiu voda Viteazul, dans la Revista romina, 1862, p. 87. L'indication des sources,
donnée par cette reproduction de l'écrit de Balcescu, a été omise dans l'édition de
l'ouvrage du célèbre historien roumain, faite par les soins de l'Académie roumaine).
Que ce dernier chiffre est exagéré, ceci se voit d'abord dans une lettre de Batori
lui-même au grand duc de Toscane, 20 nov. 1393, Documente, corps principal, III,
p. 493, dans laquelle il dit que « noi con le forze nostre non eramo bastevoli a
tanta improssa », paroles qui n'auraient pu être prononcées par le chef d'une
armée de 100,000 combattants. Un rapport de l'amb. vénitien de Prague, 24 oct. 1595,
idem, III, 2, p. 139, dit sur l'armée de Batori que « tanta multitudine di gente
armata si stima che sia minore ».
23
854 HISTOIRE DES ROUMAINS
devait bientôt être entraîné dans une guerre contre les pays
mêmes qui avaient été ses alliés, et user ses forces dans des
combats stériles, au lieu de les employer pour le bien de la
chrétienté.
Les Turcs essaient encore de se défaire de Michel, d'abord en
détachant de lui le prince de Transylvanie, puis à l'aide d'une
conspiration ourdie par quelques boyards. Ne réussissant ni
d'un côté ni de l'autre, ils sont forcés de reconnaître l'indépen-
dance de fait de la Valachie, et s'arrangent de leur mieux pour
pouvoir continuer la lutte en Hongrie. Vers la fin de 1596, ils
rouvrent la campagne, et même avec beaucoup de succès, en
prenant la forteresse d'Erlau, le 21 septembre, et battant com-
plètement l'armée impériale, le 23 octobre, à Kerestes. Michel,
qui avait attaqué Nicopoli, pour empêcher les Turcs de se porter
avec toutes leurs forces contre les impériaux, est prié par le
sandjak de cette forteresse de se retirer, en lui promettant de
s'interposer pour obtenir la paix. Le sultan, bien qu'enorgueilli
par ses succès contre l'empereur, ne fait aucune difQculté aux
propositions du sandjak, le remercie au contraire pour l'intérêt
qu'il porte aux affaires de l'empire, envoie à Michel-le-Brave une
brillante ambassade, composée de vingt hauts personnages, et
lui fait en môme temps écrire par le patriarche de Constanti-
Annales de Fugger, 19 sept. 1395, idem, III, p. 270. Rapport vénitien de Prague,
1.
30 mai
1593, idem, ITI, 2, p. 103: « fu uiandato un huomo a quel principe dalli
popoli di Bulgaria, ofierendosi di combattere contro Turchi in ail' estremo lorpotere »
356 HISTOIRE DES ROUMAINS
nople une lettre, par laquelle il lui était signifié que le sultan lui
avait pardonné toutes ses fautes et lui avait de nouveau accordé
ses bonnes grâces *. Le parti des boyards, qui faisait opposition à
Michel, ne manque pas de dénoncer à Sigismond Batori qu'il a
l'intention de s'arranger avec les Turcs. Quant à Michel, qui avait
également besoin d'une trêve, sinon d'une paix avec les Ottomans,
pour reprendre des forces et en même temps pour s'occuper
des changements tout-à-fait défavorables à ses intérêts, qui
menaçaient de s'accomplir dans les pays limitrophes, il accepte
l'armistice qu'on lui propose. Mais afin que le pas qu'il avait
fait ne fût pas interprêté par son suzerain comme une soumission
aux Turcs, il va trouver lui-même Batori en Transylvanie.
Sigismond le reçoit avec les plus grands honneurs honneurs :
1. Rapport d'un anonyme au Doge, 10 mai 1597, idem, IV, 2, p. 223 : i II patriarca
di Const. fa communicare al Bailo che se era seritto lettera a Michali vaivoda facendo
lo sapire che il signor si e scordato le offese de lui fattegli et che a tornato iu
gratia ».
2. L'entente de Sigismond avec Michel, 4 janvier 1593, idem, III, p. 508.
MICHEL-LE-BRAVE 357
proflteor ».
358 tlISTOIRE DES ROUMAINS
elles être, sinon les dons et cadeaux que les Turcs s'étaient
habitués à recevoir des princes, en dehors du tribut. Or, Michel-
le-Brave avait entrepris la lutte précisément pour mettre un
terme à ces abus il n'entendait donc pas perdre les avantages
;
fiirstliche Durchlaucht auf den Waida in der Wallachey starcke hoffnung sezen,
und Ine allain zu diser exécution zurehnen i^?) fur genuogsamb halten, er auch
hierbay unzweifelich vil thun khindte, und villeicht zu thuen nit unegenaigt sein
mochte, etc. »
MICHEL-LE-BRAVE 361
1. Rapports de Prague, 21 oct., 9 nov., 8 déc. 1598 et 25 janv. 1599, idem, III, 2,
p. 298, 300, 303 et 306.
362 HISTOIRE DES ROUMAINS
mêmes, qui l'avaient élu, ne l'avaient fait que pour échapper aux
Allemands, leur bête noire. Le cardinal, qui se savait peu aimé
en Transylvanie et combattu par l'empereur, devait donc cher-
cher à se rapprocher des puissances qui pouvaient le soutenir :
vie et la Valachie *.
1. Michel à Rodolphe, 21 déc. 1599, idem, III, p. 391: < Durch meine Abgesandte...
Eur kays, M-tat mein auschlag ant Siebenbûrgen zu wissen gethan und Hiilf begehrt
hab ». Rapport de Prague, 3i juillet 1599, idejn, 111, 2, p. 321 » Michael voivona ha
:
tratato con sua Maesta di levar la vita proditoriamente al ditto cardinale. A questa
offerta l'imperatore ha consentito ».
2. Michel à Rodolphe, 21 déc. 1599, idem, p. 391.
MIGHEL-LE-BRAVE 365
ganz schwar und nachdengglichen ialle, das die bewusste Inipressa gegen Sieben-
burgen also lang verscboben werde ».
366 HISTOIRE DES ROUMAINS
lui envoie une ambassade. Pour l'empêcher de voir clair dans ses
affaires, Michel, la reçoit de nuit dans la ville de Ploéschti, la
tient enfermée toute la journée et la fait repartir la seconde
nuit. En sa présence, Michel proteste toujours de ses intentions
paciflques à l'égard du cardinal, et jure même de boire le sang
de son enfant s'il méditait le moindre attentat contre son sei-
gneur et maitre. L'ambassade revient auprès de Batori et lui
rend compte de la façon assez insolite dont elle avait été
reçue et congédiée d'un autre côté, Jérémie Movila découvre à
;
1. Rodolphe à l'archiduc Mathieu, 5 uov. 1599, idem, III, p. 341 : « Der Einfall woll
mit Grundt entschuldigt werden Kann ». Rodolphe à Boczkaï, 6 nov. 1599, idem,
p. 347 : Cum a Valacho jactam esse aleam intelligamus ».
'(
MIGHEL-LE-BRAVE 367
tobre 1599. Le cardinal prit la fuite et fut tué dans les mon-
tagnes du côté de la Moldavie par des bergers roumains, qui
pensaient rendre service à un prince de leur race. La Transyl-
vanie était complètement soumise, et Michel entre le 1" no-
vembre en triomphateur dans Alba-Julia, la capitale du pays.
Cette conquête de la Transylvanie était un fait d'armes d'une
importance capitale, surtout à cette époque. Ce pays était réputé
comme imprenable, même de la part des Turcs, qui ne reculaient
pas devant les obstacles'. Les petits États avaient de ce temps
une autre valeur qu'aujourd'hui. La Hollande pouvait opposer
une résistance victorieuse à la grande monarchie espagnole, et
le temps n'était pas éloigné où la Suède allait jeter son épée
dans la balance d'une guerre européenne. Le prince yalaque, par
la prise de possession d'un pays grand, puissant et riche, se
plaçait d'un seul coup dans l'esprit du monde contemporain au
rang des grands conquérants. La nouvelle de ce haut fait d'armes
grandie encore par l'éloignement, se répandit bientôt dans l'Euro-
pe entière. Il devait surtout avoir un puissant effet sur les Turcs,
qui voyaient grandir continuellement la gloire de leur vainqueur
de Calougaréni.
Michel-le-Brave ne s'était pas contenté de soumettre la Tran-
sylvanie sans l'autorisation de l'empereur, car il prenait aussitôt
après la conquête de ce pays, le titre de voévode de la Valachie,
de conseiller de sa très sainte Majesté césaro-royale, de son
lieutenant en Transylvanie et des pays dépendants. Ce titre était
usurpé. L'empereur n'avait même pas eu le temps de le lui
accorder, quoique parfois les autorités impériales le lui recon-
nussent, plutôt par peur de déplaire au terrible Valaque.
La conduite assez équivoque de Michel-le-Brave, qui outre-
passait la volonté et les intentions de l'empereur, devait susciter
en Allemagne des appréciations diverses. Quelques-uns, entre
autres le conseiller intime David Ungnad, ne voyaient dans la
hâte de Michel qu'un zèle trop ardent pour les intérêts de l'em-
pire mais l'empereur, pénétrant mieux les motifs qui avaient
;
p. 513 « Ottenuta con tanta félicita co3e gran vittoria, e impadronatosl d'una
:
provincia, l'impressa della quale è stata sempre reputata de Turchi e altri, non solo
diEBcile, ma quasi per irapossibile »,
368 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Pour les Corvins et Nicolas le Valaque, voir plus haut, p. 263-263. Pour les
autres, voir Hasdeu, Colvmna lui Ti'aian, 1S74, p. 126-128. Pour la famille INlaïJatcf.
un document de l'année 1526 dans la Transilvania de G. Baritz, Vil, 1874, p. 83 :
les nobles, reproduite par G. Baritz dans la Transilvania, 1873, p. 42. Unio triuna
nalionum de la même année, ibidem, p. 55. Dans cette dernière nous lisons « Nos :
Jjorandus Lepes vice-voivoda ïransalpinus uua cum baronibus et nobillbus nec non
Saxonibus et Siculis fuissemus congregati, iuter cetera tractantibus uti protervia et
rebellionem nefandissimorum rustilorum contritione et eradicatione, nec non Siculi
contra insultas Turcarum bas defensare partes, coram nobis et baronibus uuiversis
nobiles et Saxones inter se ipsos talem fecerant unionem quod dum et casu contin-
gente Turci bas invadere partes, tune praefati nobiles in succursum Saxonum acce-
lerare debent, praedicti etiam Saxones contra aemulos seu inimicos nobilium,signanter
autem ad conterendam nefandissimorum rusticorum proterviam, venire et accellerare
debent ».
1. Doc. de 1467, dans YArhiv filr siebenbilrgische Landeskunde, 1874, p. 580.
372 HISTOIRE DES ROUMAINS
naître que ce n'est pas un procès criminel mais bien une question
historique qui se débat entre eux. Nous voyons encore dans ces
luttes acharnées des Roumains contre les Saxons une nouvelle
preuve, après tant d'autres, que ce sont les Roumains qui
avaient été troublés dans la possession de leur pays par les
intrus saxons et non les Saxons par les intrus roumains. Les
paysans, sur le dos desquels s'appesantissait toujours de plus en
plus le joug des corps privilégiés de la Transylvanie, étaient,
à l'origine, des Roumains et des Hongrois, ainsi qu'on peut le voir
dans la révolution de 1437. L'oppression sous laquelle ils vivaient
confond bientôt leur nationalité, qui en vertu de l'immense majorité
des éléments représentés, prit bientôt le caractère purement
roumain. Les oppresseurs, au contraire, s'attachant à l'élément
dominant, devinrent tous des Maghyars. Avec le temps, nous
rencontrons en Transylvanie, au lieu de deux classes ennemies,
les nobles et les paysans, deux nationalités différentes qui à la
rivalité sociale joignent la haine nationale : les Hongrois comme
oppresseurs, les Roumains comme opprimés. Alors seulement le
terme de noble devient synonyme de Hongrois alors seulement
;
1. W. Beihlen, H
isloria de rébus transilvanicis, IX, p. 128; Stefani Szamoskôzi
(plus haut, p. 358, note 1), p. 342 ; Ungnad à l'empereur, 6 nov. 1599, Documente, corps
principal, 111, p. 348 :« Der Gemaine Maun undter die Pauerschaft soll auf sein
gewest und uberal die vom Adl zu todt haben geschlagea » ;
Boczkai à Barwitz,
1 nov. 1599, idem, p. 350 ; Forgacs à Palily, 29 nov. 1599, idem, p. 358 ; Malaspioa,
nonce du pape, 14 nov. 1599, idem, p. 514.
2. Le rapport cité de Ungnad à l'empereur, 6 nov. 1599, continue, après les
paroles reproduites dans la note précédente : « Aber der Michael hatts allspald
Conquête de la Moldavie. —
Michel avait renversé André
Batori pour s'opposer au projet que celui-ci avait fait de com-
mun avec Jérémie Movila de le chasser du trône de Valachie.
Mais maintenant qu'il s'était emparé de la Transylvanie, il devait
aller plus loin et écraser ses ennemis. Car ces derniers, se voyant
vaincus, allaient redoubler d'efforts pour échapper à une des-
truction complète.
Michel songe d'abord à chasser de la Moldavie Jérémie Movila,
son ennemi le plus acharné. Il l'avait déjà essayé une première fois
mais sans y avoir réussi, et cela n'avait fait qu'envenimer encore
leurs relations. S'il avait voulu se défaire de son odieux rival même
avant la conquête de la Transylvanie, il devait y tendre d'autant
plus maintenant que, grandi par son brillant fait d'armes, il était
moins disposé à souffrir les vexations continuelles du voévode
moldave. Voilà pourquoi, aussitôt la Transylvanie conquise, il
se prépare à soumettre la Moldavie. Afin de cacher le but de ses
préparatifs, il répand le bruit qu'il a l'intention d'attaquer de
nouveau les Turcs, de passer le Danube et de s'établir à Sophia,
où plus de 100,000 combattants vont se placer sous ses drapeaux,
pour mettre fin à l'existence de l'empire ottoman ^ En réalité,
1. En Pologne on croyait que Michel encourageait le soulèvement des paysans.
Voir Zancowitz, amb. polonais en Hongrie à son roi, 15 nov. 1599, publiée dans la
revue de M. Hasdeu, Traian, 1869, p. 32. Malaspina exclame dans son rapport du
14 nov. 1599, Docurnente, p. 514 : « Quanto ignominiosa sarebbe se un Vallaco
dominasse una provincia cosi nobile corne questa. »
2. Giovanni Marini au D"" Pezzen, 22 déc. 1599, Documente, corps principal, IV, p.
394. Comp. les actes reproduits p. 393, 397, 398, 400, 408.
MICHEL-LE-BRAVE 377
Michel assemblait des forces pour tomber sur la Moldavie qui était
devenue pour ses ennemis, les Polonais, une base d'opérations
par le moyen desquelles ils voulaient rétablir Sigismond Batori en
Transylvanie et placer Siméon Movila sur le trône de Valachie.
L'empereur finit par apprendre les véritables intentions de Michel
et craignant de s'engager dans une guerre avec la Pologne, au
moment où il avait déjà celle des Turcs sur les bras, il conseille
d'abord à Michel de ne rien entreprendre contre la Moldavie.
Au lieu de se soumettre aux désirs de l'empereur, Michel lui
demande la permission de conquérir la Moldavie « pour sa Majesté
impériale », et le prie même d'envoyer un ambassadeur en Pologne
pour assurer le roi que cette conquête se faisait pour le plus
grand bien de la chrétienté*. Michel allait même plus loin; il
proposait à l'empereur, après la conquête de la Moldavie, d'en-
treprendre celle de la Podolie, de la Lithuanie et de la Russie
rouge. Il avait, pour réaliser ces dernières visées, entamé des
négociations avec le czar russe Boris Godunov (1598-1605), celui-
là même qui avait usurpé le trône après l'extinction de la
dynastie de Rurik.Cefutàgrandpeinequel'ambassadeurpolonais,
Léon Sapiéha^ put détourner Godunov de son alliance avec le
prince de Transylvanie et de Valachie ^ Michel avait également
cherché à attirer dans une alliance contre les Polonais, les Cosa-
ques Zaporogues^ On voit donc de quel vaste réseau d'ennemis
Michel voulait entourer la Pologne.
L'empereur, effrayé par des propositions aussi extraordinaires,
ne savait comment empêcher Michel de se lancer dans des aven-
tures dont l'issue était impossible à prévoir. Mais Michel était saisi
de la fièvre des conquêtes. Sans s'assurer d'abord de la pleine
possession de la Transylvanie et sachant bien qu'il commettait
un acte souverainement désagréable à l'empereur, il ne s'en
décide pas moins à entrer en Moldavie et, le 11 mai 1600, il fait
savoir aux commissaires impériaux, que pendant son absence il
laissait, comme ses lieutenants en Transylvanie, Loupou Corniche
et le ban Mihaltschea*.
1. Rodolphe à Michel, 22 déc. 1599, idem, III. p. 397. D'autres actes relatifs à la
môme question aux p. 403, 403 IV, p. 15, 17, 38.
;
2. Plusieurs documents relatifs à ces négociations, nov. 1599 dans VArhiva islorica,
11, p. 47 et m p. 33, 52.
3. Lettredu Hetman des Cosaques au roi de Pologne, 22 Mars 1600, publiée dans
la Revue de M. llasdeu, Traian, 1869, p. 52.
4. Michel aux commissaires, 4 et 6 mai 1600, Documente, corps principal, IV
p. 45, 46.
378 HISTOIRE DES ROUMAINS
p. 67.
2. Les commissaires à Michel, 29 Mai et 7 Juin 1600, idem IV, p. 63 et 70.
3. Trois lettres de Sigismond au Khan des Tatares, dans Trûian, 1869, p. 64,100 etll2.
MlCHËL-LE-BRAVE 379
1. Voir un document de Juin 1600 dans VAi'hiva istorica, I, 1, p. 117;un autre qui
contient le même titre, daté du 29 mai 1600, se trouve inédit aux Archives de l'Etat
à Bucarest.
380 HISTOIRE t»ES ROUMAINS
1. Voir dans les Documente, corps principal, 111, les actes reproduits, p. 347, 351,
353, 357, 358, 369, 407 et 408.
MIGHEL-LE-BRAVE 381
3. Cf. les documents relatifs à cette question, idem, lll, p. 366, 370, 371, et IV,
p. 32,
382 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Pour Boczkaï, voir les actes, idem, p. 352, 33S, 401, 403, 405 et 408; pour
Malaspina, p. 345, 352, 515 pour Basta, p. 351, 391, 401
; ;IV, p. 22 et 39.
MIGHEL-LE-BRAVE 383
toutes les excuses que ce dernier leur fit, ils quittèrent la Transyl-
vanie et se retirèrent en Hongrie, à Satou-Mare ^
Cette inimitié des commissaires à l'égard de Michel-le-Brave
lui fît le plus grand tort. Gagnés par ses bons procédés, Ungnad
et Zeckel étaient peut-être les seuls étrangers qui montrassent
au voévodo une certaine sympathie, qui avait survécu même aux
différends soulevés entre eux par la conquête de la Moldavie.
Aussi les rapports des commissaires, qui avant leur retraite à
Satou-Mare étaient assez favorables au prince roumain, prennent-
ils à partir de cette date un ton d'acrimonie très prononcée,
1. Ungnad, Zeckel et Pezzen à l'empereur, 5 juillet 1600, idem, p. 84: « Ausser der
Cession die durchaus nicht zu verhotîen. »
2. Sur les pourparlers qui eurent lieu entre Michel et Pezzen, voir les actes, idem,
p. 104, 108, 118.
MICHEL-LE-BRAVE 385
qu'il eût eu l'air de s'être entendu avec lui, ne laisse plus les
commissaires retourner auprès du voévode mais afin que Michel
;
n'en fût pas froissé, il lui dit qu'il serait très utile pour le moment
que l'empereur parût brouillé avec lui, et que tant que cette
raison serait à invoquer il fallait que les commissaires ne
vinssent point le rejoindre. Les commissaires ont l'air de
regretter cette disposition arrêtée entre l'ambassadeur et Michel,
et écrivent à ce dernier que ce n'était pas de leur faute s'ils ne
venaient pas en Transylvanie, et qu'il ne devait nullement inter-
préter leur absence dans le sens des calomnies qu'on mettait sur
leur compte.
En dehors de toutes ces considérations qui suffiraient ample-
ment pour établir la connivence et même l'instigation des Alle-
mands dans la révolte des nobles de la Transylvanie contre le
prince roumain, il existe encore une preuve directe qui ne saurait
plus laisser de doute sur cette question. L'un des deux Hongrois
qui avaient accompagné les commissaires à Satou-Mare, François
Alardi, dans une lettre qu'il leur envoie, leur rappelle ce dont
ils étaient tombés d'accord avec le docteur Pezzen, dans cette
1.François Alardi aux commissaires, 6 sept. 1600, idem, IV, p. 124: « Tum ill-
raaeDom-es V-ae provinciam integram uni homini semper resistere et nocere posse,
responderunt ».
386 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Comparez les commissaires à Etienne Csaky (le noble qui le dernier quitta
Michel), 23 août 1600, et les mêmes à la diète, 5 sept. 1600, idem, IV, p. 115 et 121.
Ungnad à l'empereur, 21 août 1600, idem, p. 114.
MICHEL-LE-BRAVE 387
1. Les commissaires à l'empereur, 31 mars 1600, idem, IV, p. 31. Autre du 5 avril
1600, idem, p. 138. Thoracominus aux commissaires, 13 août 1600, idem, p. 104. Une
lettre de Vienne, 3 janvier 1600, idem, III, 2, p. 340, dit que Michel « non si posse
sostentare in quella provincia, iiavendo tullo il popolo contre ».
388 HISTOIRE DES ROUMAINS
s'il les avait mécontentés, leur jure qu'il n'avait rien de plus à
« Faisons la paix avec eux ! —C'est trop tard lui réplique le géné-
ral; prenez votre bouclier ; ceignez votre épée, et préparez-vous
à la lutte ! »
i. Ungnad à Tempereur, 14 sept. 1600, idem, IV, p. 133, encore avant la bataille :
« und obwohi nicht weiss wo und wie er daran ist, eia weill weine er, ein weill ful-
miuire er ».
2. Plusieurs actes, idem, IV, p. 139, 140, 141, 147, 149 et 153.
MICHEL-LE-BRAVË 391
d'un anonyme au Khan des Tatares, 11 août 1598 qui dit que l'armée de l'empereur,
celle du roi de Transylvanie et celle de Michel le prince de Valachie se compo-
saient :« ex Hungans, Germanis, Croatis, Italis, Hispanis, Wallonibus alysque
nationibus >.. Idem, ill, p. 297. Comparez la relation de Darahi qui décrit l'armée de
Michel avant la lutte de Schellenberg, 1599, idem, 111, p. 431 « solos stipendiarios
:
équités et pedites vigiuti ter mille Praeter istos Haydones 8,000 habebat (les Uayduks
étaient aussi payés, Ungnad à l'empereur, 3 Janvier 1600, idem, IV, p. 6); pulcherri-
mum item Kossonum ut ipsi vocant exercitum, universitas boeroQum etiaiu aiiquot
396 HISTOIRE DES ROUMAINS
qu'il était obligé de faire, une révolte de cet élément toujours tur-
bulent et toujours prêt aux changements était fort à craindre, et
pouvait saper la base sur laquelle reposait toute sa force, sa
domination sur ce pays. Il ne lui restait donc d'autres moyens
de se procurer les fonds nécessaires que de soumettre à de lourdes
contributions les paysans de la Valachie, qui avaient conservé
encore avec leurs terres leur liberté, les moschnéni. Cet élément
pouvait être soumis à la taille selon son bon plaisir sans que l'on
craignît un mouvement de désobéissance. C'est ce moyen que
Michel-le-Brave mit en pratique et sur une très large échelle,
nous devons bien le dire. Cela est attesté par des actes attristants
mais très véridiques relatés dans presque tous les documents qui
existent déjà comme dans ceux que l'on découvre tous les jours
sur le règne de Michel. Tous constatent en effet l'expropriation
des petits propriétaires paysans de leurs biens pour cause d'im-
possibilité de payer les contributions qui leur étaient imposées.
Ainsi un document de l'année 1654 confirme à la famille des
mille. » Les Rossi, nom valaqiie pour les calaraches et les boyards ou"courténi
étaient la seule milice nationale. Voir plus haut, p. 246.
1. Aloisius Hadibrati au D-" Pezzen, 22 déc. 1599, idem, III, p. 399 :« Le V. S. ill-
ma vol sapere quanto danari grusto V-da per pagare li suoi soldati sina hora II
andava ogni mese taleri 98 m. » Nous verrons que du temps de Brancovane (fin du
XVIIe siècle), le kilo de blé coûtait 1 1/2 piastre; donc pour celui de Michel-le-
Brave, où l'argent était encore plus rare, il devait ne coûter que 1 piastre. Aujour-
d'hui, il vaut tout au moins 50 francs. Si, pour éviter les erreurs, nous ne prenons
que la uioitié de ce prix, comme valeur effective de la piastre, à l'époque de Michel,
c'est-à-dire 25 francs, les 98,000 piastres représenteraient en monnaie actuelle
2,400,000 francs. Comp. plus haut, p. 316, note 2.
MICHEL-LE-BRAVE 397
offrir le double pour racheter leur terre. Les paysans d'un autre
village, Micscheneschti, qui s'étaient aussi vendus comme serfs à
Michel-le-Brave, après bien des efforts, arrivent à racheter leur
liberté d'un propriétaire postérieur de la terre, l'aga Basile Leca.
Il en est de même
des villages de Baïcoiu, de Capoteasa, de
Bourtschilelasa, de Motscheschti, etc.*
Mais Michel-le-Brave va encore plus loin dans cette spoliation
des paysans et dans sa protection des boyards. La condition des
premiers était allée toujours empirant, à mesure que les temps
devenaient difficiles. Ils avaient commencé par souffrir une res-
triction dans leur liberté de travailler. Bientôt après ils s'étaient
vus dans la nécessité de se vendre aux boyards eux, leur famille
et leurs terres, pour échapper aux vexations de toute espèce
auxquelles ils étaient exposés. Un troisième degré dans l'abaisse-
ment de leur condition, ce fut leur réduction à l'état de serfs
attachés à la glèbe, perdant ainsi la faculté de libre émigration.
Cet abus s'étendait de plus en plus et prenait le caractère
d'une coutume aussi les boyards en vinrent-ils bientôt à la
;
Pour les Kénèzes et les moschnéni, voir plus haut,p. 157 et 242. Les documents cités
1.
se trouvent Celui des Bouzescou dans le Maqazin isloric pentru Dacia, II, p. 235;
:
Apele vii, idem, p. 265; Sourlanoul, Retista p'enlru islorie, archéologie si filologie,
de M. Gr. Tocilescu, IV, p. U2; MicschenesH, Papiu Ilrrian dans le Tesaur, I, p. 387.
Baïcoiu, inédit dans la collection de M. V. A. Ureche ; Capoleasa, Bourtschtleasa,
Registre inédit de Brancovane aux Archives de l'Etat ;
Motscheschti Arhiva societatei
slûntifice si literare din Jasi, I, p. 116. Pour les détails voir l'édition rouna.aine de notre
histoire, 111, p. 405-418.
398 HISTOIRE DES ROUMAINS
du pays, 'dans ses nobles qui, d'une autre race que la sienne,
ne pouvaient jamais lui être sincèrement dévoués. Il fut donc
forcé de laisser de côté l'élément qui seul aurait pu lui donner la
force nécessaire pour accomplir ses projets grandioses, celui des
paysans qui lui offraient la Transylvanie au prix de leur sang. Il
les punissait même pour toute attaque faite contre la noblesse,
il étouffait dans leurs âmes l'espoir qui commençait à y poindre
son siècle n'était pas mûr pour une pareille conception. Il avait
entrepris une œuvre non seulement au dessus de ses forces, mais
même au-dessus de celle du temps dans lequel il vivait. Il voulut
remplacer la base réelle qui lui manquait, par des combinaisons
politiques ; il voulut fonder un état et c'était le peuple qui lui
26
402 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Voir la description de toutes les atrocités cominises, dans Michael Weiss, Brevis
consignatio tumultuum bellicoruminde ab anno Christi 1610, etc. dans Siebenburgische
Quarlalschrifl, III, 1793, p. 241-264.
2. Voir un long rapport de Forgacs à l'empereur Mathias, 21 nov. 1611, Documente
corps principal, IV, p. 447-455. Comp. Coutarini au Doge 15 oct. 1611, idem IV,
2, p. 335.
LES SUCCESSEURS DE MICIIEL-LE-BRAVK 403
nées, nous devons étudier les causes qui amenèrent son accrois-
sement continuel, jusqu'au moment où nous voyons la Valachie
faire sa première tentative pour s'en affranchir.
Radou Mihnea était au commencement l'ami des Turcs et l'en-
nemi des Allemands. Mais, à la suite du renouvellement de la paix
de Sitvatorok, en 1615, il devient tout-à-coup un des plus
chaleureux partisans de la politique allemande. Les Turcs soup-
çonnent ses intentions, le disgracient, mais se contentent pour
le moment de le transférer en Moldavie.
mains ;
il est contemporain de la première constitution de leur
nationalité Nous l'avons rencontré en nombre assez considérable
prenant part à la colonisation delà Dacie, par l'empereur Trajan.
Cet élément grec ancien, hellène, disparut pourtant complètement
au sein de la nation daco-romaine, ne laissant comme trace de
son existence que quelques mots d'origine hellénique dans la
langue actuelle des Roumains '. Mais ce n'est pas de lui qu'il
s'agit lorsqu'il est question de l'influence grecque dans les pro-
vinces du Danube. Celle-ci fut représentée, au contraire, par les
Grecs nouveaux, tels qu'ils étaient sortis des temps orageux du
Moyen-âge.
Ce fut l'église chrétienne qui mit en contact pour la première
fois les Grecs d'Orient avec les Roumains. Ce peuple qui avait
embrassé, à partir de la domination bulgare sur la Transylvanie,
le rite chrétien bulgare dans son église, était continuellement
excité par les Grecs de Constantinople à répudier l'autorité du
patriarche bulgare d'Ohrida et à reconnaître celle du leur. C'est
dans les efforts faits par les Grecs de Byzance pour mettre la
main sur l'église roumaine qu'il faut chercher le premier contact
des Grecs avec les Roumains.
Quoiqu'il existe des traces de l'influence des Grecs de Constan-
tinople sur l'église des Roumains même du temps où ce peuple
vivait confiné en Transylvanie ^ cette influence ne devint cepen-
dant puissante qu'à partir de la fondation des principautés, qui
rapprocha l'élément roumain du Danube. Aussi voyons-nous, peu
de temps après la constitution des principautés roumaines, le pa-
triarche de Constantinople réussir à imposer des métropolitains
grecs à la Valachie. Tel fut Jacynthe Cristopoulo en 1359, transféré
en Valachie de son siège antérieur de Vitzin en Albanie. Son
successeur en Valachie est encore un grec Hariton lequel est rem-
placé par un frère de Jacynthe, Antim Cristopoulo ^ En Moldavie,
quoique le patriarche de Byzance ne réussit pas à y implanter
aussi profondément son autorité, par les misssions renouvelées
qu'il envoie dans ce pays à l'occasion de l'imposteur Tagara, il
n'en arrive pas moins à se mettre en contact avec cette église. Le
refuge que le patriarche Nifon cherche en Valachie, où il réussit à
tropoUei Moldovei, Bucuresti 1888, p. 293 1615, Uricarul de Th. Godrescu, V, p. 217;
;
1. Ahnoro Nani au Doge, 28 juillet 1620, Documente, corps principal, IV, 2 p. 386.
2. Seb. Veuier au Doge, 13 nov. 1627, idetn, IV, p. 418. Comp. les actes aux pages
373, 374, 386, 390, 399, 407, 408, 422 et 423 et les chronicjues citées.
3. Document inédit dans les collections de l'académie roumaine, paquet XX,
Jio 273.
410 HISTOIRE DES ROUMAINS
rier son fils à une dame de haute qualité de Bohême, il avait ab-
solument besoin de lui procurer une position convenable et il
avait pensé à lui acquérir un trône dans les pays roumains. Voilà
où en étaient arrivés ces malheureux pays Cet aventurier fut !
1. Les péripéties par lesquelles dut passer Mathieu pour obtenir la principauté
sont exposées dans le rapport de Pietro Foscarini au doge, 8 mars 1633, idem, p. 464
et Cornélius Haga au chancelier Oxenstierna, 1632, Monumenta Htingariae (cités
p. précédente), p. 64.
412 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Deux lettres de Jérémie Movila au roi de Pologne, l'une du 16 déc. 1600, l'autre
du 30 juiû 1601, dans la Revue de M. Hasdeu, Traian, 1869, p. 136 et 156.
2. Cet. Bon au Doge, 12 juillet 1608, Documente, corps principal, IV, 2, p. 299.
Sur les Movila, voir en général Histoire sommaire des choses plus mémorables adve-
nues aux derniers troubles de Moldavie, etc., etc., composée par M. J. B. A. en P.
sur les mémoires de Charles de Joppecourt, gentilhomme lorrain qui portait les
armes durant ces troubles à la suite des princes polonais, Paris, 1620.
3. Oct. Bon au Doge, 4 août 1607, Documente, corps principal, IV, 2, p. 290.
LES SUCCESSEURS DE MICHEL-LE-BRAVE 413
Siméon. Ils appuient sur l'affront infligé aux Turcs par les Polo-
nais, par suite de leur immixtion dans les affaires d'un pays
soumis à la Porte. Les grands dignitaires et le sultan lui-môme
voyaient bien que les boyards avaient raison; mais, d'autre part,
comment refuser un don de 50.000 ducats ? Aussi laissent-ils
honneur et considération de côté, confirment le protégé de la
Pologne et repoussent le leur propre. En 1611, la guerre éclate
entre la Porte et la Pologne, et Constantin Movila, ne pouvant
plus lutter avec son argent pour conserver son trône, est forcé
de le céder à Etienne Tomcha.
Celui-ci était le fils du prince du même nom qui avait régné
quelques mois après le meurtre de Jacques Eraclide Despota *.
Il va sans dire que Constantin Movila et les Polonais, qui se
1. Almoro Nani au Doge,16 février 1619, idem, IV, 2, p. 376; Miron Costin, Leto-
pisele, 1, M. Starzer à Hans de MoUart, 30 mars 1619, dans Hourmouzaki,
p. 236 ;
1. Pourle règne de Graziani, voir les Documente, corps principal, IV, p. 595,
IV, p. 379, 380, 384-385, 387-389 et Martin Zeiller, Beschreibung des Kônigreiches
2,
Polen, Ulm, 1657, p. 57.
2. Voir sur Locadello une série d'actes dans Documente, corps principal, IV, 2,
p. 392 et suiv.
LES SUCCESSEURS DE MICHEL-LE-BRAVE 417
''
Giovanni Capella au Doge, 18 cet. 1629, Documente, corps principal, IV, 2,
1.
p. 454-457 Sébastien Venier au Doge, 1" sept. 1629, idem, IV, p. 433.
;
2. Geronimo Capello au Doge, 4 mai 1630, idem. p. 445 :« Questo è esseguito coll'
esborso di relevante somma d'oro ».
LES SUCCESSEURS DE MICHEL-LE-BRAVE 419
très lentement et qu'il faut assez souvent des siècles entiers pour
que la modification intervenue dans une institution se fasse
sentir. Au contraire, aussitôt que le monde des idées s'est mis en
mouvement, les institutions changent souvent avec une grande
rapidité et on ne reconnaît plus demain le peuple d'hier. Des
transformations comme celles que le Christianisme, la Révolution
française, la découverte de l'imprimerie et celle de la vapeur
opérèrent en quelques années, n'auraient pu être accomplies par
des siècles entiers de lent développement économique.
Le peuple roumain, dans son histoire plus ancienne et jusqu'au
seuil de notre époque, n'a presque pas connu l'influence exercée
par les idées sur le développement de ses institutions. Celui-ci
fut déterminé à peu près exclusivement par la marche de sont
état économique, tandis que, à partir du commencement du
424 HISTOIRE DES ROUMAINS
XIX® siècle, une riche source d'idées se faisant jour dans son
esprit, amena après elle cette transformation merveilleuse de sa
vie à laquelle nous assistons aujourd'hui. On ne saurait même
pas comparer le progrès effectué pendant des siècles à celui qui
fut réalisé dans le peu d'années qui nous séparent du commen-
cement de la régénération roumaine.
Malgré cette différence radicale dans le mode du développement
de la nation roumaine, il ne faut pas croire que son histoire plus
ancienne ne soit que la répétition des mêmes faits sur un même
et unique théâtre d'action. Elle n'est aussi qu'un développement
lent et insensible, mais, par cela même, plus puissant et plus
décisif que celui qui s'effectue rapidement sous l'impulsion des
idées instables. Dans bien des cas, les formations laissées
par les temps antérieurs sont des éléments dont il faut tenir
compte de nos jours et elles ne sauraient être pleinement
,
mais les sommes exigées devaient se trouver à tout prix; car étant
empruntées à des Turcs, leplus souvent à des Janissaires retirés de
l'armée, ou bien à des Grecs tout-puissants à Constantinople, de
pareils créanciers trouvaient toujours le moyen de se faire payer.
Nous avons vu que lorsque le prince partait pour l'un des pays, il
était suivi par une foule de créanciers, souvent doublés d'un com-
missaire turc chargé de surveiller l'encaissement de l'argent. Les
i. Elle était aussi plus grande que la Valachie, avant que le rapt de la Bucovine
en 1775 et celui de la Bessarabie en 1812 l'eussent réduite de plus de moitié.
2. Le rapport de Miuio, idem, IV, p. 598.
DOMINATION OTTOMANE 431
c'est après celle-ci et non après leur vie que couraient ceux qui
les opprimaient.
En résumé donc, l'oppression avide et les extorsions d'argent
des Turcs avaient pour effet de dépouiller de leur fortune des
habitants riches, qui, précisément à cause de leur richesse,
étaient particulièrement sensibles aux violences exercées contre
eux. L'appauvrissement de la basse classe devait être la consé-
quence immédiate d'un pareil état de choses, et celui-ci allait se
faire sentir d'abord par la perte de l'élément le plus sensible aux
changements économiques, la propriété immobilière qui ne
pouvait être cachée. La diminution considérable de la petite pro-
priété, tel fut le résultat le plus fatal de la domination musulmane.
1. Deux documents de l'année 166a dans l'Arh. ist., I, 1, p. 79. Quoique d'une
date postérieure, ils n'en confirment pas moins le fait, même pour une période plu.*»
ancienne.
2. Plus haut p. 396.
DOMINATION OTTOMANE 435
tout des donations de terres faites par le prince à ses hommes d'ar-
mes et aux monastères. A partir de cette époque commencent à se
multiplier les documents qui constatent des ventes depetites terres
aux grands propriétaires, aux boyards ou aux couvents. Quoique
tous ces documents afTirment que la vente avait eu lieu de plein gré
sans avoir été imposée par personne, il est évident que ce n'était là
qu'une vaine formule, destinée à couvrir assez souvent la violence
morale, sinonmême la violence physique. Lapreuvelapluscertaine
de cet état de choses, se trouve dans cette circonstance que toutes
les fois que les paysans en avaient la possibilité ils rachetaient
leurs terres, suppliant assez souvent ceux qui les possédaient
de leur concéder cette grâce. Et les paysans n'étaient pas seuls
exposés à ce péril. Il en était de même des boyards oubliés par la
cour, qui demeuraient à la campagne et n'étaient plus distingués
par la faveur des princes. Avec le temps, la terre se divisait et se
subdivisait entre leurs successeurs qui devenaient de simples
moschnéni forcés aussi de vendre leurs propriétés. On rencontre
des documents dans lesquels les descendants d'anciennes familles
vendent la 56* partie d'une terre ^
Ces petites propriétés étaient vendues aux boyards ou aux
monastères qui réunissaient toujours plus amplement dans leurs
mains d'immenses domaines, dont les restes constituent encore
aujourd'hui la grande propriété en Valachie et en Moldavie.
Ainsi nous avons vu les frères Bouzeschti possédant 128 terres
du temps de Michel-le-Brave. Le difficile pour un boyard c'était
de s'introduire dans une terre de rezèche. Aussitôt qu'il y avait
mis le pied et était devenu co-propriétaire avec les paysans, il
trouvait toujours le moyen de s'arrondir et de s'étendre à leur
compte. Les procès en délimitation lui offraient la plus large
voie à la chicane les emprunts à d'énormes intérêts faits à ses
;
1. Doc. de 1633 dans ÏUricarul de Th. Codresco, XIV, p. 98, d'autres de 1553 et
1337 dans VArh. isL, I, 1, p. 40 et 110;un quatrième de 1633 dans V. A. Ureche,
Miron Coslin, 1, p. 77.
436 HISTOIRE DES ROUMAINS
Le paysan soumis, quelle que fut la cause qui l'eût plongé dans
cet état, conservait, nonobstant sa soumission, un droit sur la
propriété qu'il avait eue. Ceci ressort de plusieurs circonstances:
ainsi, lorsque le paysan recouvrait sa liberté, soit par rachat, soit
par donation testamentaire, il était toujours clairement stipulé si
la liberté ne concernait que sa personne ou concernait également
sa terre. On trouve une foule de documents qui élibèrent les
roumîni ou vecini de leur soumission, mais seulement pour leurs
personnes et à l'exclusion de leurs terres ^ D'autres documents,
bien plus rares, contiennent des libéralités plus étendues. Deux
femmes, une certaine Bolosina, épouse du spatar Dima, et Hélène
Cantacuzène, la femme du célèbre postelnic Constantin Cantacu-
zène, dont nous raconterons plus tard le sort tragique, donnent
la liberté à leurs roumini, en leur rendant aussi leurs terres « afin
qu'ils s'y nourrissent et redeviennent des knèzes comme ils
l'avaient été auparavant^ ». Lorsque le roumîn ou vecin était
donné ou vendu par un propriétaire à un autre, il était toujours
stipulé que cette vente ou donation comprenait aussi toutes
leurs terres (les paysans soumis ne pouvant être vendus sans la
terre sur laquelle ils habitaient). Un document de l'année 1618
rapporte la vente d'un roumîn « avec les enfants que Dieu lui
donnera et sa propriété indivise autant que comporte sa juste-part
du champ, de la forêt, de l'eau, du pacage, en un mot ce qui lui
reviendra de la propriété commune ^. » Enfin, la preuve la plus
concluante peut-être du droit que le paysan soumis conservait
sur sa propriété, réside dans le fait qu'il ne pouvait jamais être
arraché à la terre qu'il habitait, ni vendu qu'ensemble avec elle *.
Ce principe, qui découlait d'un droit du paysan, fut avec le
temps interprété à son désavantage. Comme le travail que les
paysans soumis devaient faire pour le propriétaire n'était limité
par aucune disposition légale, on comprend que la plupart des
propriétaires devaient en abuser, obligeant les paysans à des
jours de corvée si nombreux que le temps du paysan était presque
1. Voir par exemple doc. de 1645 inédit aux archives de l'Etat. Registre des docu-
ments, il, n" 3, p. 4 1694, 1698 et 1699. Registre de la logothétie de Brancovane, p. [82,
;
1. Gabriel Movila, Miron Barnovski et Moïse Movila font des donations avec des
terres prises sur leur fortune privée. Voir doc. de 1618, 1628 et 1634 dans VArh.
ist., 1, 2, p. 190, 6, 187, et 1, 1, p. 71. Etienne Tomcha, 1615-16, dote le monastère de
Solca avec plusieurs terres achetées à des particuliers. Plusieurs doc. reproduits par
A. Wickenhauser, Geschichle und Vrkunden des Klosters Solka, Gzernowitz, 1877,
p. 72-80.
2. Doc. de 1435, Arh. ist., T, 2, p. 18.
3. Voir les doc. de 1530, 1572, 1636, 1616 et 1621 dans VArh. ist., I, 1, p. 67, 112,
116, 133, et Wickenhauser, Solka, p. 76.
4. Doc. de 1618, Arh. ist., 1, 2, p. 191.
5. Deux doc. de 1481, Arh. ist., I, 1, p. 75 et Melchisedek, Cron. Romanului, I,
p. 134; 1530, idem, I. 1, p. 133.
DOMINATION OTTOMANE 443
1. Doc. de 1748 dans VCricariil, U, p. 60. Grégoire Ghyca dit « Dupa mazilirea
:
Organisation politique
le bas peuple n'y jouait qu'un rôle tout à fait secondaire dans
la conduite des intérêts locaux. Si le peuple prenait aussi
quelquefois part à des mouvements politiques, c'était toujours
par la voie de la violence, les guerres civiles ou les révolutions,
et alors comme instrument des facteurs dominants, des boyards
ou du prince.
La noblesse, au contraire, eut toujours dans les pays roumains
une grande part à la conduite des affaires publiques. Son influence
prépondérante fut due en premier lieu au système de succession
au trône qui était, ainsi que nous l'avons vu, celui électif-hérédi-
taire, et qui plaçait dans les mains de la boyarie l'établissement
de l'autorité suprême des pays roumains par conséquent, par
;
ressaisir l'autorité, dont ils avaient été sevrés durant son long
règne mais qu'une punition tout aussi terrible leur fut infligée par
;
jure à ses boyards d'oublier leurs fautes, et puis il les punit il jure ;
par les quatre éléments à Aloïs Gritti de lui conserver la vie s'il
se livre entre ses mains, et il le fait tuer par les Hongrois Jérémie ;
1. Doc. de 1456 publié en entier par Ulianitzki, p. 86. Un extrait dans Ylnventa-
rium, p. 139 1523, Arh. ist., I, 1, p. 9 1628, idem, p. 175.
; ;
452 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Doc. de 1620 et 1642 dans ÏArh. is(., I, 1, p. 22 et 24. Comp. ua autre non daté,
idem, p. 36.
ORGANISATION POLITIQUE 453
Privilèges et exemptions. —
Le manque de lois et de règles
générales, le règne du bon plaisir, amenait avec lui une foule de
faveurs accordées à ceux que le prince voulait avantager. C'était
le temps des privilèges et des exemptions des charges de l'État,
accordées par le prince sans autre motif que sa volonté, que son
caprice. Les attributions les plus importantes de l'autorité,
comme des contributions et le droit de juger, précisé-
la levée
ment celles qui de nos jours semblent inhérentes à l'idée de
l'État, étaient souvent concédées à des personnes privées comme
récompenses ou donations. Les plus délicates fonctions de l'auto-
rité souveraine, celles qui touchent à la fortune et au sentiment
1. Doc. de 1610, 1639, dans l'Arh. ist., î, 1, p. 22, 87;1742, 1743, dans YUricarul,
111, Gomp. Cantémir, Descriplio Moldaviae, p. 85.
p. 9 et X, p. 194.
2. Doc. de 1400 (?), 1424, 1591, 1603, 1636, dans VArh. ist., l, 1, p. 4, 20, 105, 15
et
Melchisedek, Cron. Romanului, 1, p. 227. Comp. VUricarul, II, p. 258.
4'54 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Doc. de 1588 dans Wickenhauser, Geschichle und Vrkunden der Klosters Solka,
1877, p. 63.
2. Ureche éd. Picot, p. 535 et 569.
3. Voir la description dans Ureche éd. Picot, p. 569, au règne d'Aron-le-
Mauvais.
ORGANISATION POLITIQUE 457
1. Doc. de 1595, Arh. ist., T, 1, p. 181 ; 1599, Foaia societatei Romanismului, 1870,
p. 474 ; 1602, 6 et 13 avril, Hasdeu, Cuvente den Balrîni, I, p. 117 et 128 ; 1612, Arh.
tsl., I, l, p. 135; 1629, idem, I, 1, p. 175; 1644, Revista romina, 1862, p. 390; 1645,
Melchisedek, Cron. Husilor, p. 35 ; 1593, Uricarul, IX, p. 153.
2. Doc. de 1603 de Siméon Movila, Arh. ist., I, 1, p. 117.
458 HISTOIRE DES ROUMAINS
Mouvement intellectuel
Le slavonisme. —
Chez presque aucun peuple de l'Europe
la marche des idées ne fut aussi entravée que chez les
Roumains. Depuis l'effondrement de la Dacie dans le cataclysme
des invasions barbares, lorsque le flambeau de la culture, qui
brillaitdans la province romaine, s'éteignit et jusqu'aux temps
qui nous touchent de plus près, le peuple roumain fut agité
seulement par des mouvements physiques et son intelligence ne
prit que très peu de part à sa vie.
Le peuple roumain avait hérité des Romains, dont il était sorti,
la langue néo-latine qui lui servait d'organe et la religion chré-
tienne, deux puissants éléments de civilisation qui auraient pu
provoquer une reprise de la vie civilisée^ aussitôt que les temps
se furent un peu calmés. Les orages des invasions avaient
pourtant amené, en dehors de l'état de barbarie dans lequel
les Roumains furent replongés par le désordre de la société,
l'établissement d'une influence étrangère constante et dura-
,
ble, qui devait nuire bien plus à leur esprit que la ruine
de leur vie civilisée d'autrefois. Si l'état chaotique produit
par l'invasion des barbares dans la Dacie avait anéanti la vie
culturale des Daco-Romains, l'introduction de la langue slave
dans l'église et l'État roumains empêcha pour de longs siècles de
renouer le fil de la culture brisé par la violence de l'invasion.
Nous avons étudié plus haut comment la langue slave prit
possession de l'esprit roumain en supplantant d'une manière
violente dans l'église roumaine son ancien organe, la langue
latine. Par cet événement, le peuple roumain rompit toute
communauté intellectuelle avec les peuples de l'Occident, dont il
460 HISTOIRE DES ROUMAINS
2. Voir l'introduction à cet Evangile reproduit par J. A. Odobescu dans son article
Despre unele manuscripte, si carti liparite aflale in manasHrea Bistrita, Revisla
romana, 1861, p. 816.
3. Pour réduire les années depuis le commencement du monde en cçm de l'ère
462 HISTOIRE DES ROUMAINS
Valachie y ait apporté ses presses avec lui, et le fait est d'autant
plus plausible que nous trouvons Macaire, peu de temps après sa
dernière œuvre, élevé au rang de métropolitain d'Ungro-Valachie.
Dans le courant du xvi^ siècle, on rencontre plusieurs autres
livres slaves imprimés en Valachie, tels que les Actes des
Apôtres et un Octateuque (recueil d'hymnes à huit voix), à
Tirgovischtea, toujours par ordre du prince Mihnea, un Pente-
costaire (rituel des fêtes depuis Pâques jusqu'à la Pentecôte) en
1550, un Molitfelnic ou livre de prières et un Ciaslov, bréviaire,
entre 1561 et 1567, sous Pierre-le-Boiteux, enfin un Psautier
imprimé par le diacre Coressi sur l'ordre d'Alexandre, fils de Pierre
et de son fils Mihnea II, en 1577, ce dernier livre à Braschov.
Nous étudierons plus tard les causes qui amenèrent la déca-
dence et plus tard la ruine du slavonisme dans les pays rou-
mains.
chrétienne, il faut déduire 5508 lorsque la date lunaire est comprise entre janvier et
septembre, et 5509 pour les 4 mois septembre-décembre, ceci par la raison que
l'année de l'ère ancienne commençait au !«'' septembre et donc à partir de ce mois
jusqu'au 1" janvier, une unité était ajoutée au chiiîre de l'année d'après l'ère
ancienne.
Janv. Sept. Janv. Sept. Janv. Sept.
7015 7016 7016 7017 7017 7018 ère ancienne.
5508 5509 5508 5509 5508 5509
1507 1507 1508 1508 1509 1509 ère de J. -Christ.
Janv. Sept. Janv, Sept. Janv. Sept. , . .
MOUVEMENT INTELLECTUEL 463
1. Voir l'étude de M. Hasdeu sur cette ballade, Cuvenie den Balrtni, II, appendice.
464 HISTOIRE DES ROUMAINS
1. Les haidouks sont une espèce de brigands sui generis, qui avaient pour mission
de dévaliser les riches au profit des pauvres, une sorte d'Outlaws saxons.
2. Martin Stricovski, 1575, dit que la coutume glorieuse de chanter les faits
héroïques des ancêtres se conserve jusqu'à aujourd'hui en Grèce, Thrace, Valachie,
Moldavie et Transylvanie. Avh. isi., Il, p. 6.— Paul Strassburg, ambassadeur du
roi de Suède, 1632, rapporte que Léon Tomcha, le voévode de Valachie, le reçut
entouré de « citharoedi et musicorum chori qui valachiea lingua patrium carmen
pleno gutture cautabant >>, Monumenia Hungariae hislorica, Strassburg Pal 1621-
1632, iki kôvetsege es Rakoczy Gyorgy, p. 100.— Michel-le-Brave, dans son entrée
triomphale à Alba Julia se fait précéder d'une bande de musiciens [laoutarï) qui
chantaient des chants patriotiques. Balcescu, Istoria lui Mihaiu Voda Viteazul,
p. 379.
MOUVEMENT INTELLECTUEL 465
etc.
Ce phénomène se rencontre aussi dans le roumain actuel mais
bien rarement, plutôt comme emploi indistinct de Vn et de Yr
que comme substitution du dernier au premier. Ainsi on dit
aujourd'hui indifféremment marunt ou manunt (minutus), pana
ou para (pênes). Dans les anciens temps le rhotacisme se rencon-
trait plus souvent ainsi un document de 1453 donne le nom du
;
30
466 -
HISTOIRE DES ROUMAINS
les touchait de bien plus près que les Grecs et les Slaves. Aussi
trouvons-nous, dès l'année 1544, un catéchisme luthérien imprimé
en langue roumaine*. En 1559 paraît une nouvelle édition de
ce catéchisme qui, devenant très rare vers l'année 1607, est
copiée par le pope Grégoire de Mahatsch avec les autres textes
contenus dans ses écrits ^
Deux années après l'apparition de ce catéchisme, nous trou-
vons le même Jean Benkner chargeant les diacres Coressi et
Toudor de traduire en roumain les quatre Evangiles, dans la
capitale de la Valachie, à Tirgovischtea et les faisant imprimer
à Braschov en 1561 ^ Après la mort de Benkner, son successeur
à la mairie de Braschov, Lucas Hirscher, charge le même Coressi
de la rédaction roumaine du Psautier, ce qu'il accomplit avec
l'aide de deux prêtres de l'église des Bulgares à Braschov, Jean
et Michel, en 1577. Hirscher dit dans son introduction qu'après
s'être consulté avec Ghenadie, le métropolitain roumain de Tran-
sylvanie, et plusieurs autres membres du clergé roumain sur le
besoin d'un pareil livre, et avoir aussi pris l'autorisation de
l'archevêque de Valachie, Séraphin^ il chargea le diacre Coressi,
passé maitre en pareils travaux, de le traduire du slavon en
roumain. L'autorisation de l'archevêque de Valachie avait été
prise par Hirscher, attendu qu'il avait emprunté l'original slave
chez lui *.
Il est assez curieux de constater que pendant que le maire
l'un d'eux qui date de l'année 1567, parle d'un Coressi le logothète
avec ses enfants qui achète les terres de Barcaneschti et
Vladouleschti un autre de 1570 nous montre le même Coressi
;
Essais littéraires. —
Tandis que la littérature populaire
apparaît presque en même temps que le langage, ses formes
L'Église et la religion. —
La seule institution civilisatrice
dans ces temps de sang et de meurtres c'était l'Église. Quoique
plutôt pour la forme que dans la réalité, elle était respectée par
1. Voir les documents du 29 mai et de juin 1600 le premier inédit aux archives
;
de l'Etat, le second publié par M. Hasdeu dans son Ai'h. ist., I, 1, p. 117.
2. Voir la donation de Dan voévode au monastère de Tismana, 1424, Arh. ist., I,
l, p. 19.
3. Hasdeu, Cuvenle den Batrîni, II, p. 179.
MOUVEMENT INTELLECTUEL 475
idem, I, 1, p. 31.
2. Melchisedek, Cronica Romanului, Bucuresti, 1875 ; idem, Cronica Husilor, Bucu-
resti, 1869; Wickenhauser, Moldava, Geschichle der Kloslers Moldavitza, Wien, 1862;
idem, Geschichte der Klosters Solka, Czernowitz, 1817 rapport sur la fortune des
;
3. Cantemir, /. c, p. 146.
MOUVEMENT INTELLECTUEL 477
L'art. —
Dans tous les pays et chez tous les peuples, tant
anciens que modernes, le mouvement artistique s'est développé au
sein de la religion. Ainsi l'architecture orientale, celle des Grecs
et même celle des Romains commencent par la construction des
temples; la sculpture reproduit les images des dieux; la musique
et la danse accompagnent le service religieux. Le théâtre,
comédie et tragédie, sort des mystères de Dyonisos. L'art mo-
derne a aussi pour point de départ la foi chrétienne. Les styles
différents de l'architecture se développent dans la construction
des églises et ce n'est que de là qu'ils vont s'appliquer aux autres
monuments. La peinture, l'art principal des temps modernes^
prend naissance par la représentation de l'image des saints la ;
fique église qu'il fit édifier, il n'en prit pas moins une part très
active à sa construction et était pleinement convaincu de la valeur
esthétique de l'édifice, ce qui se voit entre autres à la pompe
extraordinaire avec laquelle il procéda à sa consécration.
Ce qu'il faut admirer surtout dans la cathédrale d'Argèche, ce
ne sont point tant la richesse et la délicatesse infinie de l'orne-
mentation, que la beauté architecturale, les proportions parfaites
de toutes ses parties, qui en constituent un tout d'une harmonie
indéfinissable. Comme dans les temples antiques, les proportions
entre les lignes sont parfaites et l'œil ne saurait trouver rien à
redresser. Les ornements sont parsemés avec discrétion, et rien
que là où une idée doit être marquée ou relevée par l'appât de
la plasticité. Les lignes, libres et élégantes, font passer insensi-
blement et par des modifications graduées le plan horizontal du
corps de l'église dans la forme ronde octogonale des tours. Une
novation hardie, c'est la forme des deux tours qui surmontent
la façade. Leurs fenêtres sont inclinées et notamment
1. Cronica anonima a tarei Romanest, dans le Magazinul istoric pentru Dada, IV,
p. 259.
31
482 HiSTOlRE DES ROUMAINS
Préface 1
Introduction 1
LIVRE PREMIER
HISTOIRE ANCIENNE
FONDATION DE LA NATIONALITÉ ROUMAINE
CHAPITRE PREMIER
Déplacement des Gètes et des Daces, 17. — Nationalité des Gètes et des Daces, 20.
— Etat économique des Géto-Daces, 24. — Religion des Géto-Daces, 27. — Orga-
nisation politique et sociale, 34.
CHAPITRE II
La Dacie romaine
T. — Colonisation de la Dacie
CHAPITRE III
Les Goths, 113. — Les Huns, 115. — Les Gépides, 117. — Les Daco-Romains dans
les montagnes, 118.
Les Avares et les Slaves, 123. — Toponymie slave de l'ancienne Dacie trajane,
124. —
Eléments slaves de la langue roumaine, 126. — Retour des Daco-Romains
à la vie sédentaire, 127.
*
CHAPITRE IV
Les pays roumains à l'arrivée des Hongrois, 148. Invasion hongroise, 153. —
— Conditions du peuple roumain dans les premiers temps de la domination hon-
groise, 156. —
Invasion des Petschenegues, 160. Les Cumains, 161. Les — —
Tatares, 163.
Région habitée par les Slaves, 165. — Région occupée par la population
roumaine, 167.
III. — L'empire Valacho-Bulgare
LIVRE DEUXIEME
de Racova, 275. —
Bataille de Rasboieni, 277. —
Perte de Kilia et de Tschetatea
Alba, 283. —
Guerre avec la Pologne, 284. —
Essai d'une ligue orientale contre les
Turcs, 287. —Caractère d'Etienne-le-Grand, 289. —
Histoire de la Valachie pendant
le règne d'Etienne-le-Grand, 293.
CHAPITRE III
II. — Michel-le-Brave
CHAPITRE IV
Page 60, ligne 18, au lieu de que celui rapporté, lire, que le nom
rapporté.
Page 62, ligne 17,aulieude celle habitée, lire, celle qui était habitée.
Page 62, ligne 26, au lieu de est écrit, lire, se trouve.
Page 86. Sur la Dobroudja. M. Grégoire Tocilescou, professeur à
l'Université de Bucarest, a entrepris des fouilles considérables et
découvert un grand nombre d'inscriptions qui ont été publiées
dans les Epigraphische Mittheilungen de Vienne, à partir de
l'année 1880. Il y a découvert aussi un monument immense,
dont les débris ont été transportés au musée de Bucarest et au-
quel il a donné le nom de monument à'Adam-Clissi, village près
duquel ont été retrouvées ces ruines. Une description de ce mo-
nument a été donnée par M. Tocilescou dans la Revista pentru
istorie, arheologie si fitologie, an. vu, fascicule 2.
Page 140, note 1, au lieu de Resiches, lire, Reiches.
Page 151, ligne 6, au lieu de prolongation, lire, continuité.
Page 210, dernière ligne, au lieu de Vladislav, Bassarabe, lire,
Vladislav Bassarabe.
Page 220. Ajoutez la note suivante :Les titres des princes
contiennent encore une particule, sur le sens de laquelle on a
beaucoup discuté. Tous les noms des princes roumains de Vala-
chie et de Moldavie commencent par le mot Iw écrit avec une to
grecque surmontée de l'accent; par exemple Iw Stefan Voewod,
:
>.
S^
.-a*^
*«*.-'%
jr
"
il'"*
H .-^
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