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entreprises au Cameroun ?
Sonia Tello Rozas, Bernard Gauthier
Dans Revue d'économie du développement 2012/1 (Vol. 20), pages 5 à 39
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 1245-4060
ISBN 9782804172015
DOI 10.3917/edd.261.0005
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6 Sonia Tello Rozas, Bernard Gauthier
Rotating Savings and Credit Associations known as tontines in Cameroon and elsewhere in
French-speaking Africa are one of the most popular mechanisms to finance projects in countries
where access to credit markets is constrained. In this study, we analyze the effect of participation
to business tontines on the performance of firms. Using a data set on manufacturing firms, we
examine in particular the hypothesis that social networks associated to tontines allow to gain
access to credit, to surmount deficiencies in the formal credit market and improve performance.
We observe that tontines positively affect firms’ growth and employment. Moreover, our results
support the hypothesis that tontines’ resources are used to finance cash flow instead of increasing
capital or investments.
1 INTRODUCTION
1 Dans la littérature, ces associations sont souvent connues sous le nom de ROSCA
(« Rotating Saving and Credit Associations »). Ce terme, utilisé pour la première fois par
Geertz (1962), varie selon la région (voir annexe 1). Quant au terme utilisé en Afrique
francophone (tontines), il aurait émergé en 1653 du nom de son initiateur, un banquier
napolitain, Lorenzo Tonti, qui voulait « vendre » son invention au cardinal Mazarin. Il
s’agissait d’une opération financière consistant à la formation d’une cagnotte consti-
tuée de plusieurs personnes versant des cotisations (Desroche, 1990).
Les tontines favorisent-elles la performance des entreprises au Cameroun ? 7
(par exemple, Besley et al., 1993; Callier, 1990; Calomiris et al.1998; Kovsted
et al.1999).
En ce qui a trait aux AECR constituées par des entrepreneurs (AECR
entrepreneuriales), peu d’études existent sur celles-ci malgré leur intérêt. La
plupart des travaux sur les AECR analysent en effet les associations formées
par des ménages (AECR personnelles). Ces études montrent que la participa-
tion à ces groupes permet d’accroître la consommation de biens durables (Bes-
ley, 1993), le rendement de l’épargne (Levenson et al., 1996) et la protection
contre les imprévus (Calomiris et al., 1998). Par ailleurs, en raison de la diffi-
culté d’accès à des données sur la participation des entreprises aux AECR, les
études empiriques sont encore peu nombreuses. Ainsi, le rôle et les effets des
AECR sur la performance des entreprises sont encore méconnus. 2
Dans cette étude, nous analysons les AECR entrepreneuriales au Came-
roun. De par leurs caractéristiques, nous considérons que ces associations
sont essentiellement des réseaux sociaux. En effet, la participation aux AECR
est fonction de la capacité des agents à s’organiser collectivement (Levenson
et al, 1996). Les objectifs de notre article sont doubles. Premièrement, nous
cherchons à caractériser les Associations d’épargne et de crédit rotatif for-
mées par des entreprises et à identifier les particularités des entreprises y par-
ticipant. En effet, en profitant de l’accès à une riche base de données sur les
tontines entrepreneuriales, nous souhaitons contribuer à la littérature avec
une analyse détaillée de ce type de réseaux financiers et des agents qui en font
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2 Citons, entre autres, quelques auteurs qui ont traité le sujet, sans l’approfondir :
Levenson et al. (1996), Handa et al .(1999) et Akoten et al. (2006).
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réseaux sur l’accès au crédit 3. L’auteur indique que ces associations consti-
tuent la réponse de certains agents (par exemple, des femmes) au manque de
liens avec la communauté d’affaires (business establishment). Pour leur part,
Akoten et al. (2006), en analysant l’impact des contraintes du crédit sur les
performances des entreprises dans l’industrie de l’habillement au Kenya,
indiquent que les AECR constituent la forme la plus importante de crédit
dans ce pays, mais ils n’approfondissent pas le sujet.
Finalement, afin de comprendre la dynamique des AECR, il est utile
d’examiner leur typologie. La littérature fait état de deux façons de les classer.
Tout d’abord, si l’attribution de la cagnotte est observée, certaines AECR ont
recours au tirage au sort et d’autres, à un système d’enchères. 4 Le choix entre
l’un et l’autre de ces deux types dépend des objectifs poursuivis par les parti-
cipants. Les AECR par tirage au sort sont souvent utilisées comme mécanis-
mes d’épargne pour la consommation d’un bien spécifique (Besley et al.,
1993), alors que celles par enchères serviraient particulièrement d’instru-
ments d’assurance pour se protéger contre les chocs exogènes (Calomiris et
al., 1998). Ensuite, si l’utilisation de la cagnotte est prise en compte, les AECR
personnelles se distinguent des AECR entrepreneuriales. Dans les premières,
les ménages utilisent l’argent pour satisfaire leurs besoins individuels ou
familiaux (Besley et al., 1993; Calomiris et al., 1998; Armendariz de Aghion et
al., 2005). Dans les secondes, qui regroupent des responsables d’entreprises
(Geertz, 1962; Ardener, 1964), les fonds seraient généralement orientés vers
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3 Dans cet article, les réseaux sont instrumentalisés par des mécanismes de socialisation.
4 Dans les AECR par enchères, la personne proposant l’offre la plus élevée reçoit la
cagnotte correspondant à la période, moins sa mise, c’est-à-dire qu’elle doit payer pour
avoir la priorité d’attribution.
5 Rappelons que les Associations d’épargne et de crédit rotatif sont connues au Came-
roun sous le nom de tontines, appellation que nous utiliserons tout au long de l’article.
Les tontines favorisent-elles la performance des entreprises au Cameroun ? 11
3.2 L’échantillon
Afin d’analyser les caractéristiques des tontines entrepreneuriales au Came-
roun, nous utilisons les informations de la première étape de l’enquête du
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(1) Moyenne excluant deux valeurs extrêmes dont le pourcentage est supérieur
à 126,05 %.
Caractéristiques générales
L’examen de l’âge des entreprises nous permet de constater que les firmes
tontinières sont plus jeunes par rapport à l’âge moyen des entreprises de
l’échantillon, ainsi qu’à celui des entreprises non tontinières de taille micro,
petite et moyenne. En effet, alors que la moyenne d’années de fonctionnement
des entreprises dans l’échantillon est d’environ 11,3 ans, celle d’une entre-
prise non tontinière de micro, petite et moyenne taille est de 9,7 ans alors que
celle d’une entreprise tontinière est de 7,4 ans.
Soulignons que l’échantillon se compose d’entreprises formelles et infor-
melles. Étant donné les nombreuses définitions utilisées pour déterminer le
statut formel ou informel d’une entreprise (Bigsten et al., 2004), deux caracté-
ristiques ont été retenues pour définir cet état : l’existence d’une comptabilité
annuelle et le statut juridique (Gauthier, 1995a, 1996). Une entreprise sera
Les tontines favorisent-elles la performance des entreprises au Cameroun ? 15
Effets de réseau
Nous explorons, dans cette partie, le fonctionnement des réseaux à l’aide des
données relatives à l’accès des entreprises aux mécanismes de financement
informel. En tenant compte que les marchés financiers informels se coordon-
nent par l’entremise d’interactions personnelles et de partage d’information,
nous analysons les relations établies par les entreprises avec d’autres agents
économiques tels que la famille, les fournisseurs et les clients (voir les
tableaux A2.4 et A2.5 en annexes).
Parmi les sources de financement informel, on observe que l’épargne per-
sonnelle constitue la source la plus importante pour démarrer une activité
commerciale (environ 60 % du coût de démarrage). Pour leur part, les prêts
provenant de sources bancaires financent peu le démarrage d’entreprises.
Notons aussi que le financement provenant de la famille et d’amis, bien que
nettement moins important que les sources de financement personnel, n’est
Les tontines favorisent-elles la performance des entreprises au Cameroun ? 17
4 ANALYSE ÉCONOMÉTRIQUE
Afin d’approfondir l’analyse sur les caractéristiques des tontines, nous étu-
dions d’abord dans cette section les facteurs qui favorisent la probabilité de
participation à ces réseaux financiers à l’égard de deux modèles économétri-
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ques : probit et tobit. Puis, nous examinons les effets des tontines sur la per-
formance des entreprises au moyen de la méthode des moindres carrés
ordinaires (MCO) et des doubles moindres carrés (DMC). La description des
variables utilisées dans les régressions est présentée à l’annexe 3.
où t est une variable dépendante binaire dont la valeur est 1 quand l’entre-
prise fait partie des tontines et 0 si elle n’y participe pas. Donc :
(3) t = 1 si t i* = x i b + e i > 0
t = 0 autrement.
En supposant une distribution normale standard cumulative, nous esti-
mons l’expression (2), c’est-à-dire, la probabilité de participation aux tontines,
à l’aide d’un modèle probit. Le tableau 3 présente les effets marginaux de la
régression. En considérant d’abord les caractéristiques de l’entreprise et son
accès au marché financier formel (colonne 1), nous constatons que la probabi-
lité de participation aux tontines diminue avec l’âge de l’entreprise. Ceci est
conforme au résultat d’Akoten et al. (2006) selon lequel les jeunes entreprises
profitent davantage de sources informelles pour financer leurs activités. Dans
le même sens, Bigsten et al. (2003a) ont étudié les contraintes de crédit des
entreprises manufacturières en Afrique et ils ont constaté que la possession
de dettes auprès des banques était positivement liée à l’obtention de prêts
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priétaire. Dans le même sens de nos résultats, Bigsten et al. (2000c) font res-
sortir les implications économiques de l’ethnicité en Afrique. Ces auteurs ont
étudié le cas des entreprises manufacturières au Kenya et ils ont montré
l’existence d’un lien entre l’origine ethnique, le statut de l’entreprise (formel
ou informel) et sa productivité.
Toujours en ce qui concerne les caractéristiques des propriétaires, la pro-
babilité de faire partie d’une tontine augmente lorsque le propriétaire est de
sexe féminin. Ce résultat corrobore les résultats d’autres auteurs (Akoten et
al., 2006 ; Handa et al., 1999 ; Kimuyu, 1999 ; Fafchamps, 2000). Par exem-
ple, Fafchamps (2000) indique que les AECR deviennent des alternatives de
second rang, utilisées principalement par des femmes pour réaliser des opéra-
tions contractuelles. Cette proposition est corroborée en partie par Handa et
al. (1999). Ces auteurs montrent, au moyen d’analyses empiriques, que les
femmes participent davantage aux AECR et que, le plus souvent, elles pren-
nent des responsabilités dans leur organisation.
Finalement, les coefficients des variables bien maison et bien ferme, qui ne
sont pas statistiquement significatifs, suggèrent que la propriété de biens
offerts en garantie ne perturbe pas l’accès au crédit tontinier. Comme nous
l’avons souligné dans la section précédente, les défaillances des marchés
financiers formels, telles que l’exigence de biens offerts en garantie ou des
coûts de transaction dans l’obtention des prêts, sont observées dans plusieurs
pays africains. Bigsten et al. (2003a) indiquent, par exemple, que la plupart
des prêts formels sont garantis par la possession de biens et que la valeur des
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Les résultats sont cohérents avec ceux du modèle probit. En effet, les
variables capcameroun (l’entreprise est privée et leurs propriétaires sont des
Camerounais) et femme (la propriétaire est une femme) ont un effet positif et
statistiquement significatif sur le temps de participation aux tontines au seuil
de confiance de 1 % et 5 % respectivement. L’effet est aussi positif et significa-
tif pour les entreprises œuvrant dans le secteur des métaux, négatif et statis-
tiquement significatif dans le cas où les propriétaires possèdent une ferme.
Autrement dit, le temps de participation à une tontine est plus faible lorsque
le propriétaire possède un bien (par exemple, une ferme) qui peut être utilisé
comme garantie pour obtenir un prêt bancaire.
Les tontines favorisent-elles la performance des entreprises au Cameroun ? 25
(7) P ( t = 1 x 2, z ) = G ( t * = x 2 β 2 + z φ + e 2 > 0 )
aux tontines. Cette régression est effectuée sur toutes les variables exogènes
(x), ainsi que sur les variables instrumentales (z). En d’autres termes, nous
estimons P ( t = 1 x, z ) = G ( xb, z φ ) pour obtenir les probabilités Ĝ i . Ensuite,
l’équation (6) est estimée à l’aide du modèle des doubles moindres carrés
(DMC). Dans celui-ci, nous utilisons Ĝ i comme instrument de la variable
tontine.
Le tableau 5 présente les résultats des régressions sur les trois premiers
indicateurs de performance, soit le niveau de la productivité de l’emploi
(valeur ajoutée par employé), de l’investissement par employé et du capital
par employé. Les résultats des régressions font ressortir l’importance de
l’accès aux sources de financement formel. Comme l’indique le tableau 5, les
entreprises disposant d’une autorisation de découvert bancaire présentent un
niveau significativement plus élevé de productivité des travailleurs. De plus,
les estimations présentées dans les colonnes 2 et 3 montrent que l’accès aux
prêts bancaires a un effet positif et statistiquement significatif autant sur
l’investissement par employé que sur le capital par employé.
5 CONCLUSION
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Région Appellation
Afrique Chilemba (Zambia)
Bakary, dambele, nath, piye (Senegal)
Djanggi, mandjoun, ntsuia (Cameroun)
Esusu (Nigéria, Bénin, Liberia)
Gamya (Égypte)
Kitimo, ikilemba (Congo)
Mahodisana, stokfel (Afrique du sud)
Ndjonu (Sierra Leone)
Oha (Niger)
Setuk, khatta (Soudan)
Susu, osusu, adashi, dashi (Nigeria)
Tontine (Cameroun, Togo, Rwanda et ailleurs en Afrique francophone)
Upatu (Tanzanie)
Asie Arisan, paketan (Indonésie)
Bisi (Pakistan)
Cheetu (Sri Lanka)
Chit (Singapour)
Dhiku, dhikuti (Népal)
Hui, kongsi, hui (China)
Isu (Taiwan)
Ho, hui (Vietnam)
Kameti, chit, found groups, kuri, chita, chitu (république de l’Inde)
Ko, kou, mujin (Japon)
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