Les Orphelins Elémentaires

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Les Orphelins Elémentaires

A tous ceux qui se sont déjà sentis pas à leur place.

Prologue

- Êtes-vous prêt, professeur? À mon signal... 3... 2... 1... Allez-y !


Un épouvantable vacarme se fit entendre et la charge électrique pénétra dans le corps des embryons.
L'un reçut des ailes, un autre des griffes, un autre des palmes, un autre encore devint invisible...
Le docteur Erkino, centenaire aux cheveux gris filasse, contempla son œuvre, satisfait.
- Nous les appellerons les Orphelins de la Mort. Ils séviront dans le monde entier, selon mon plan,
et m'obéiront au doigt et à l'oeil. À la fin, je serai le seul qui resterai, avec les Orphelins. Mon bras
droit, cette fille ailée... la plus puissante... je la nommerai Catrin.
- Et les autres, docteur Erkino ? s'enquit un mécanicien dont le prénom était Pierre.
- Faites comme vous le souhaitez, mais j'aimerais... mmmh... des prénoms gallois, ou celtes.
- Oui, docteur.
- Et communiquez-moi vite les résultats, ou je vous... raccourcirai d'une tête, disons.
Chaque semaine, le docteur Erkino avait une méthode de mort préférée. Cette semaine-ci, c'était la
guillotine. La précédente, ç'avait été la corde. Pour son plaisir, il organisait chaque dimanche des
concours entre deux techniciens, mécaniciens, docteurs... Parfois course, d’autres fois athlétisme, et
on pourrait poursuivre longtemps la liste. Ceux qui lui avaient déplu (en lui marchant sur le pied
accidentellement, par exemple) étaient sûrs de devoir être l'un des combattants. À l'inverse, ses
favoris ou ceux qui avaient été très utiles cette semaine pouvaient dormir sans crainte. Le perdant
était exécuté selon sa méthode favorite de la semaine. Aujourd'hui par exemple, c'était un
mécanicien, un colosse blond qui avait déjà plusieurs victoires à son actif qui avait gagné.
Heureusement, car c'était lui que le docteur Erkino préférait. Il aurait tué l'autre s'il s'était avisé de
gagner.
Quelques mois plus tard...
- Vous pouvez les lâcher dans le monde humain !
- Lâchage opéré, monsieur Erkino.
- C'est DOCTEUR !!! se fâcha Erkino.
Il s'empara d'un électrocuteur sur une table et tua celui qui avait osé lui manquer de respect.
- Que ça vous serve d'exemple, grinça-t-il à l'intention de ses recrues.
Celles-ci s'activèrent plus vite et se tassèrent sur elles-mêmes, apeurées.
- Docteur ! appela un médecin, tremblant. Nous nous sommes trompés dans nos calculs... les
orphelins... ils... ils éprouvent des émotions !
-QUOI ??? rugit le docteur Erkino. Imbéciles !
Il s'empara d'un canon et les tua. Tous. Il ordonna au seul qui restait, son mécanicien favori :
- Procède au recrutement, comme d'habitude.
Pierre acquiesça, peu ému par le massacre. Il semblait habitué. Il appuya sur un bouton vert et
lança, tandis qu'un petit micro dansait sur l'écran :
- Recrutement agence O.C.P. Cherche techniciens, inventeurs, mécaniciens et gros bras. Coup de fil
au 06 15 08 50 04.
Il appuya à nouveau, sur un bouton orange cette fois. Une affichette sur laquelle était inscrit en
lettres grasses « Recrutement agence O.C.P. Cherche techniciens, inventeurs, mécaniciens et
gros bras. Coup de fil au 06 15 08 50 04. » sortit de l'imprimante, bientôt suivie par d’autres.
- Va les coller dans toute la ville. Dépêche-toi, ordonna le docteur Erkino, satisfait.
Pierre partit après avoir hoché la tête, docile. Le téléphone sonna quelques instants plus tard. Le
docteur, un grand sourire aux lèvres, décrocha et dit :
- Allô ? Ici le docteur Erkino, de l'O.C.P.
Silence.
- Oui, bien sûr ! Ce travail est grassement payé, vous pouvez me croire.
Silence.
- Oui, vous pouvez passer l'entretien demain ! Rendez-vous aux aurores, monsieur l'inventeur (si
cela ne vous dérange pas, bien sûr).
Silence.
- Parfait !
Le docteur raccrocha et alluma sa pipe. En tirant une bouffée de fumée, il répondit à nouveau au
téléphone.
- Bonjour ! Ici le docteur Erkino, de l'agence O.C.P.
Silence.
- Oh, ce job est le plus prestigieux que vous pourrez trouver. Croyez-moi, vous ne décevrez pas
votre femme.
Silence.
- Oui, l'entretien d'embauche aura lieu demain, vers sept heures. Cela vous convient-il, monsieur le
technicien ?
Silence.
- Génial ! Alors, à demain !
Il raccrochait à peine que le téléphone sonnait à nouveau.
Chapitre 1

Bonjour ! Je vais vous raconter… mon histoire. J'ai toujours été quelqu'un de… spécial, on va dire.
Mes yeux, pour commencer. Je crois que c'est à cause de ça que mes parents m'ont abandonnée. On
m'a trouvée dans un couffin posé dans un cimetière. J'ai les yeux... de feu (tout comme mes cheveux
d’ailleurs). On a l'impression qu'ils s'embrasent à chaque instant. Encore aujourd’hui, parler de mes
parents me fait monter les larmes aux yeux. Elles ne servent plus à rien, maintenant que j'ai
découvert la vérité. Mais ne nous précipitons pas. J’ai grandi dans un orphelinat vieux, gris et
délabré, qui remplissait les fonctions de collège et de lycée à la fois. Je logeais dans le deuxième
bâtiment.
Un jour, j'ai volé une photo dans le bureau de la directrice. On pouvait y observer un bâtiment
lumineux en face duquel se tenaient des petites filles aux cheveux nattés et aux grands sourires. J'ai
reconnu après un long moment les filles et le bâtiment. Parmi les filles, il y avait Mrs Bridgers, Mlle
Lavie et Miss Dame, nos tutrices et enseignantes. Quant au bâtiment joyeux et coloré derrière elles,
il s'agissait de l'orphelinat. J'ai cru un instant avoir rêvé, ou mal vu, mais pas de doute, les mêmes
volets, les mêmes fenêtres... Ou du moins les mêmes emplacements. Je n'ai montré cette photo à
personne et j'ai gardé ce secret bien au chaud contre mon cœur. C'était mon secret, la seule chose
que je possédais et qu'on ne pourrait pas me retirer.
Mon histoire commence le jour où une nouvelle arriva à l'orphelinat. L’attention vivace que tout le
monde lui portait (après tout, c’était rare d’avoir des nouvelles aussi vieilles) ne me contamina pas :
j’étais distraite par la fille qui avançait vers moi avec un pas décidé et un air menaçant. Je la
reconnus ; c'était celle qui avait voulu voler des chocolats à une petite fille de trois ans. Je l'avais
dénoncée. J'avais oublié. Pas elle. Elle me gifla si violemment que je tombai au sol. Je me relevai,
furieuse, et m'apprêtai à lui rendre la pareille. La nouvelle, se déplaçant beaucoup plus vite que ce
que j’aurais cru, s’interposa et stoppa ma main. Elle me dévisagea, bouche bée devant la force que
j’avais employée sans effort apparent. J’étais presque éblouie par le blond platine de ses cheveux.
C'est alors que je remarquai ses yeux. Ils étaient bleus, mais ruisselaient de l'intérieur, presque
comme les miens. Elle dût remarquer les miens aussi :
- Viens, il faut qu'on parle, m'ordonna-t-elle en me prenant par le bras.
Une fois à l'écart des autres, elle me chuchota, les yeux toujours recouverts d'un voile de surprise :
- Tes yeux… ils sont comme les miens…
- On est pareilles, l'interrompis-je dans un souffle, toute excitée et choquée à la fois.
- Quel est ton nom ? Demanda-t-elle, l’air aussi ravie que moi.
- Moi c'est Catrin, répondis-je. Et toi ?
- Eira, sourit-elle.
Nous revînmes auprès de nos camarades comme les meilleures amies du monde, à leur grand
étonnement.
- Que s’est-il passé ? Me demanda encore une petite brune que je ne connaissais pas.
Je tiquai deux fois. Une première à cause de sa présence en elle-même : deux nouvelles le même
jour, alors que nous ne nous en avions pas eu depuis des mois ? Et une deuxième à cause de… ses
yeux. Ils étaient semblables aux miens et à ceux d’Eira, mais étaient d’un ravissant vert forêt.
- Comment t'appelles-tu ? vérifiai-je.
- Alana, pourquoi ?
- Son nom correspond... marmottai-je dans ma barbe.
- Mais qu'est-ce qui se passe, à la fin ? finit par s'énerver ma nouvelle... je n'irais pas jusqu'à appeler
notre relation une amitié, mais... disons que cette fille avait de l'importance pour moi.
Connaissance, peut-être ?
- Je... bredouillai-je.
Une fois que l'histoire (un peu courte, je l'admets) lui fut racontée, elle s'assit sur un banc, perplexe.
Me sentant en quelque sorte responsable d’elle, je proposai de répondre à ses potentielles questions,
même si je ne garantissais pas de pouvoir y répondre. Elle répondit un peu sèchement :
- T'inquiète.
Je restai donc impuissante, mais près d'elle. Elle finit par se lever.
- Bon, on y va ?
Je lui souris.
Un peu après ça, j’échappai à la surveillance des tutrices pour me rendre dans un vieux garage
inutilisé où j’allais retrouver Eira et Alana, pour annoncer à Eira que j’avais rencontré une autre fille
comme nous.
- Génial ! Salut ! s'écria Eira.
Pendant que les deux faisaient connaissance, ou plutôt que Eira essayait de faire connaissance avec
un mur, je réfléchis. Déjà, la couleur de nos yeux devait correspondre à quelque chose. Je pouvais
faire du feu et mes yeux étaient orange. Cela signifiait-il que les deux autres avaient un pouvoir qui
correspondait à la couleur de leurs yeux ? Eira, l’eau, peut-être, et Alana… la nature ? Je les
interrompis, choisissant mes mots prudemment:
-Avez-vous des… capacités hors du commun ?
Eira, méfiante tout à coup, répondit :
-Et si je répondais oui ?
-Je te dirais que peut-être que moi aussi, et que je pense que c’est lié à nos yeux. Alana, tu
confirmes ma théorie ?
Presque, à regret, celle-ci hocha la tête rapidement. Mais cette réponse n’entraînait que d’autres
questions. Existait-il d’autres gens comme nous ? Si oui, les rencontrerions-nous un jour ? Avaient-
ils le même âge que nous ? D’où nos pouvoirs venaient-ils ? Etions-nous humaines ? Je fis part de
mes interrogations à mes nouvelles amies, et Eira eut une idée :
- En ce moment, je travaille sur la mythologie grecque, et les gens qui ont des questions sans
réponses, surtout concernant leurs origines, peuvent s'adresser à Athéna. Il existe un rituel pour
l'invoquer, attendez, il faut que je trouve...
Elle survola les pages jaunies et cornées d'un livre qui paraissait vieux comme le monde, puis leva
le doigt :
- Ah, voilà ! Je vais vous lire les instructions...
Je jetai un coup d'œil vers Alana, qui affichait une moue sceptique.
- Tu crois vraiment aux dieux grecs ? Lança-t-elle, presque moqueuse.
J'en eus assez.
- Oh, ne fais pas ta butée ! Allez, juste pour nous faire plaisir ! Tu sais très bien que nous avons
besoin de réponses, et à moins que tu aies une autre solution géniale à nous proposer pour les
obtenir, je te suggère d’arrêter d’essayer de nous ralentir, parce qu’on est toutes les trois dans le
même bateau. Tu ne vas pas me dire que tu ne t’es jamais demandée d’où tu tenais ces pouvoirs ?
Pouquoi tu n’avais pas de parents ?
Elle déglutit et acquiesça. Derrière sa carapace, je percevais tous ses doutes, ses peurs et ses
cicatrices. Elle avait du mal à s’ouvrir aux autres, mais j’étais sûre que ce n’était qu’une façade pour
camoufler toutes les fois où elle avait dû être blessée à cause de ses différences. Eira lut :
-1- : Tracer au sol un pentacle à la craie.
2- : S'agenouiller en cercle autour, un objet précieux au centre.
3- : Incanter : Risinum incantatis, Athéna, vienus asus mosis cralim !
Nous nous exécutâmes avec plaisir ; même Alana semblait se prendre au jeu.
D'étranges lumières vertes, puis bleues, puis orange apparurent lorsque nous fredonnâmes
l'incantation. Tout à coup, nos yeux se mirent à étinceler encore plus que d'habitude : Athéna,
suprême déesse, apparut sous nos yeux ébahis.
- Athéna, bredouillai-je avant de m'effondrer, épuisée par l'effort que j'avais fourni pour invoquer la
déesse.
- Prenez soin d'elle, gronda Athéna. Si elle meurt, nous mourons tous.
- Même vous, les dieux immortels ? demanda Eira, incrédule.
Athéna acquiesca d'un air grave.
- Même nous. Vous avez le droit à trois questions chacune. Que Catrin écrive ses questions sur une
feuille de papier quand elle se sera réveillée.
- Comment connaissez-vous son prénom ? demanda à son tour Alana, curieuse.
- C'est ta première question ? avertit la déesse.
- Euh, non, se rattrapa celle-ci. Qui nous a donné naissance, et pourquoi ?
- Cela fait deux questions, prévint Athéna.
- Oui oui, assuma Alana, impatiente.
Athéna soupira.
- Vous n'êtes pas humaines, techniquement. Vous avez été créées en labo chacune le même jour et
êtes des expériences. Votre amie est la plus puissante d'entre vous. On dit que vous êtes censées
sauver le monde, accompagnées par un autre trio de jeunes hommes que vous ne devriez pas tarder
à rencontrer. On vous a fabriquées pour servir d'armes mais après votre « naissance », on s'est rendu
compte que vous éprouviez des sentiments et risqueriez de les trahir. Alors on vous a abandonnées.
- Qui ? continua Alana, la voix sur le point de se briser.
Elle s’efforça de se ressaisir. Alors elles ne seraient jamais comme les autres. C'était comme ça ?
Tant pis. Il fallait accepter la vérité.
- Nous ne le savons pas encore, mais c'est une association très savante. Les dieux font des
recherches en ce moment dessus. À toi, lança-t-elle en direction de Eira. Quelles sont tes
questions ?
- Alana a déjà demandé le plus important. Je préfère garder mes questions pour un moment où j'en
aurai plus besoin.
- Décision très sage, confirma la déesse. Sur ce, je vous dis au revoir.
Je me réveillai pile à ce moment-là et eus la chance incroyable de voir la déesse s'évaporer
littéralement dans l'air.
Mes nouvelles amies me firent un résumé des révélations qu’Athéna avait partagées avec elles.
Étant donné que je m'avérais être la plus puissante, elles me nommèrent leader de notre petite bande
(à ma plus grande gêne).
- Et puis, ajoutai-je, vous ne trouvez pas ça bizarre qu'après nos seize ans d'existence, nous nous
soyions rencontrées, et toutes les trois, pile aujourd'hui ? Cela fait beaucoup d'un coup. Cette date
(le 24 juin) doit forcément avoir quelque chose de particulier, mais quoi ?
- C'est mon anniversaire, énonça timidement Alana.
- Le mien aussi, s'étonna Eira...
- Et le mien, terminai-je, interdite.
- Mais si on a été créées en laboratoire, c'est normal ! raisonna Alana.
- Oui, tu as raison ! En plus, on est deux groupes...
- C'est quoi ce charabia ? Des groupes ? Que veux-tu dire par là ? demanda Eira.
- Il y a un autre groupe de spéciaux comme nous ! Constitué de garçons ! compris-je.
- Eh oui ! triompha Alana.
- Ah, ok... approuva Eira.
Nous nous séparâmes avant de rentrer à l'orphelinat pour ne pas attirer l'attention de nos amis et
camarades qui nous avaient vues pires ennemies il y a quelques heures et faisaient peut-être déjà le
rapprochement avec nos yeux.
Alana était partie chez elle pour demander à ses parents (elle n’était en réalité pas une orpheline
mais sa tante travaillait à l’orphelinat) des vivres (au pire, elle en piquerait), des lampes torches, des
couvertures, des vêtements chauds, des cordes, des bouteilles d'eau, et tout ce qui pourrait être utile
pour notre expédition dans les souterrains de Villapolis, une ville à quelques jours de marche d'ici.
Mes amies avaient halluciné quand elles avaient entendu ma proposition innocente.
-J’ai entendu des rumeurs selon lesquelles il se passe beaucoup de choses dans les souterrains de
Villapolis, des feux inexpliqués, des égouts qui débordent et des plantes qui poussent deux fois plus
vite que la normale.. on y rencontrera peut-être nos « partenaires » ? Et puis, j'ai une intuition qui
me hurle d’y aller.
Après force supplications, j'avais réussi à convaincre mes amies.
-Vous pensez qu'on va trouver les garçons là-bas ? Demanda Eira.
-J'espère… répondis-je.
Alana renchérit :
-Et j'espère qu'ils sont beaux !
Nous la regardâmes d'un air interloqué.
-Tu es sérieuse ?
-Euh, je plaisantais... tenta de se rattraper Alana.
-Mouais, grommelai-je.
-En avant ! essaya Eira. Non, ça sonne mal. Euh...
Devant mon regard exaspéré, elle plaida :
-Oh, allez ! Sois sympa, Cat !
-Bon allez, on y va, l'ignorai-je.
Je remarquai néanmoins le surnom qu’elle avait utilisé et souris, lui tournant le dos. Elle poussa un
soupir désabusé puis nous nous mîmes en route. C'était décidé, nous ne retournerions plus jamais à
l'orphelinat, et aucune d'entre nous ne le regrettait.
Après une heure de marche, Alana commença à montrer des signes de fatigue, bientôt suivie par
Eira. Ce n'était pas mon cas (j'avais fait beaucoup de randonnées – j'avais sélectionné le programme
randonnées à l'orphelinat- et j'étais une excellente marcheuse).
Prenant mon rôle de meneuse très au sérieux, je décidai de faire une pause pour nous nous nourrir
un peu. Je regardai l'heure à ma montre... Déjà 21h25 ! Il allait être temps de trouver un abri pour la
nuit. Nous trouvâmes une grotte et une prairie juste à côté d'une falaise et y installâmes nos
couvertures pour y camper. Nous nous souhaitâmes bonne nuit puis éteignîmes nos lampes de
poche.
Le lendemain matin, ce fut le soleil et les oiseaux qui nous réveillèrent à la place de la sonnerie
assourdissante et très désagréable de l'orphelinat.
-Se lève un soleil de liberté, dis-je.
Pour une fois, aucune de mes compagnes ne me contredit. Nous admirâmes la nature qui s'éveillait,
les mille gouttes de rosée délicates sur des feuilles vertes et étincelantes et décidâmes de faire de cet
endroit notre base. Nous y déposâmes nos affaires, puis partîmes à contrecoeur de la clairière où les
animaux se réveillaient. Nous arrivâmes enfin en vue de l'entrée des souterrains et, soulagées, nous
fîmes une pause repas. Nous avions laissé la moitié des provisions dans la grotte, et cette décision
s'était révélée très sage : nous avions emporté tant de nourriture que celle-ci nous ralentissait
énormément. Après cette pause, nous nous remîmes en route et arrivâmes enfin, au bout de trente
minutes de marche à peu près. Sur la porte, nous aperçûmes des lettres et des numéros :
AZERTYUIOPQSDFGHJKLMWXCVBN3/9/8/22/10/28/23/7/5/19/20/21/13/6/14/2/16/17/11/18/2
4/26/1/25/15/4.
Chapitre 2
Je pris la peine de griffonner les numéros et les lettres qui devaient être une sorte de code sur un
carnet que j'avais emmené, puis nous pénétrâmes dans les profondeurs humides des égouts. La porte
grinça : les souterrains ne devaient pas avoir été utilisés depuis un certain temps... Alana avança la
première et nous exhorta à lui emboîter le pas d'un air bravache.Son courage me rassura et je lui
obéis. Bien obligée, Eira nous suivit. Les tunnels étaient dépourvus de lumière, très étroits. Ils
semblaient sur le point de s'effondrer sur nous à tout moment.
-Ooooh... gémit Eira.
-Que se passe-t-il ? s'enquit Alana.
-Je suis claustrophobe, avoua notre amie.
-Oh, il ne manquait plus que ça ! râla, comme à son habitude, son interlocutrice . Pourquoi tu ne
nous l'as pas dit ? Si tu avais peur, tu n'avais qu'à nous envoyer une déposition par courrier !
-Eh, mais, maintenant que j'y pense ! Comment on va faire pour recevoir des lettres, maintenant ?
m'exclamai-je, essayant de les distraire de leur dispute avec les considérations les plus triviales que
je pouvais trouver, sachant que probablement personne ne nous enverrait des lettres et que personne
ne savait même où nous avions élu domicile. Une voix grave retentit derrière moi :
-On peut vous aider.
Nous sursautâmes, troublées. Devant nous se trouvait un trio. Le garçon qui avait parlé avait des
cheveux noir de jais assez courts, des vêtements moulants, et des yeux... orange. Exactement de la
même couleur et du même flamboiement que les miens... J'en eus le souffle coupé. A côté de lui se
trouvait un garçon aux cheveux roux comme un renard. Ses yeux à lui étaient de la même couleur
que ceux de Eira, mais leurs vagues était plus lentes, plus subtiles, moins vives. Et le dernier, un
garçon plutôt grand aux cheveux châtains, avait quant à lui des yeux semblables à ceux d'Alana, à
quelques subtilités près. Le chef se présenta :
-Je m'appelle Yale, et voici Kieran (le roux) et Bastian (le brun).
Je l'imitai :
-Mon nom est Catrin (mais vous pouvez m'appeler Cat), et mes amies se nomment Eira et Alana.
Nous nous serrâmes la main et Yale demanda, en une tentative de détendre l’atmosphère :
-Bon, vous voulez qu'on l'installe où, votre boîte aux lettres ?
Nous nous mîmes à nouveau en route après quelques rires gênés malgré tout et, cette fois-ci, nous
atteignîmes la grotte et la clairière avant le coucher du soleil. Yale et ses amis apprécièrent l'endroit,
s'installèrent, et nous commençâmes notre boîte aux lettres, que nous avions décidé de construire
pour de bon sur le trajet. Ce n’était pas comme si nous avions mieux à faire, de toute façon.
- Il va falloir communiquer notre adresse, si l'on peut dire, à nos proches. D'où venez vous ?
demandai-je à Yale, Kieran et Bastian.
- D'un orphelinat, répondit Bastian tandis que Yale détournait le regard et partait faire une ronde.
- Il n'aime pas trop qu'on en parle devant lui, me glissa Kieran. Sous ses airs de dur, il est très
sentimental. Il a connu ses parents, qui sont tous les deux morts de maladie. Je n'ai jamais pu en
savoir plus.
À tour de rôle, nous racontâmes nos histoires, une fois Yale revenu. Puis, tandis que les autres
finalisaient la boîte aux lettres, j'essayai de déchiffrer le code du souterrain. Yale me rejoignit,
passant la main dans ses cheveux. Je tâchai de deviner son expression impénétrable.
- Qu'est-ce qui ne va pas ? demandai-je, vaincue.
- Oh, tout va bien, répondit Yale, très calme, je viens juste d'apprendre que je ne suis pas humain (ce
dont je me doutais) et que je ne suis que le fruit d'une expérience ratée. A part ça, tout va bien, je
t'assure !
Mortifiée et impuissante, je le regardai s'éloigner.
- Et ce sont les lettres d'un clavier dans l'ordre, et leurs numéros dans un alphabet chiffré et codé. Tu
tomberas sûrement bientôt sur un de ces messages dans un lieu bien particulier.
Stupéfaite, je voulus lui demander lequel (il avait l’air d’en savoir beaucoup plus que moi), mais il
était déjà parti. Comprenant enfin le code, je me hâtai de le recopier au propre dans mon cahier. Peu
fière de moi (c'était Yale qui avait trouvé la solution), j'allai montrer « notre » trouvaille aux autres.
Alana en profita pour me souffler :
- Niveau apparence, je ne suis pas déçue !
J'allais la réprimander lorsque je me rendis compte que :
1- Ça ne servait à rien
2- C'était désagréable
3- Je n'avais jamais fait ma petite cheffe avant et c'était ridicule.
Alors je ravalai ma remarque et me tus. Elle me railla :
-À ta grimace contrariée, ça se voit que tu fais des efforts pour ne pas me crier dessus... Mais de
toute manière, ça ne changerait rien : tu m’aimes justement pour mon tempérament un peu…
taquin ! Et puis, ajouta-t-elle d'un air malicieux, j'avoue que j'aime bien te faire enrager.
J'aperçus une silhouette au loin et en profitai pour m'éclipser, après avoir levé les yeux au ciel.
-Tiens, voilà Yale qui revient !
Chapitre 3
-Je pense qu'il est temps pour toi et les gars de rencontrer Athéna, affirma Eira, s’adressant au
discret Gabriel, avec lequel elle avait l’air de très bien s’entendre.
-Je suis d'accord, lança Alana.
Nous entamâmes la préparation du rituel et invoquâmes Athéna.
-Je vois que vous avez trouvé l'autre trio, lança la déesse.
-Bonjour à vous aussi, maugréa Alana.
-Chut ! la réprimanda Kie.
-Ne me dis pas que tu as peur, le provoqua Alana.
La déesse s'éclaircit la gorge et s'apprêta à repartir lorque je la retins.
-Attendez ! Mon amie promet de ne plus provoquer des disputes ! N’est-ce pas ?
Je fusillai cette dernière du regard.
-Il faudra qu'on ait une petite discussion... lui chuchotai-je, très en colère cette fois.
Penaude, elle se retourna vers Athéna et je l'imitai.
-Il va falloir que vous vous entendiez mieux à l'avenir. Pourquoi ne vous combattez-vous pas ? Cela
réglera vos différends.
-Quoi ? nous exclamâmes-nous en chœur, sidérés.
-Avec vos pouvoirs, bien sûr, précisa Athéna.
-Mais nous ne les avons jamais utilisés délibérément !
-Ne t’inquiète pas, c’est instinctif. Et puis, ajouta-t-elle, il y a une première fois à tout !
Sceptiques et un peu inquiètes, nous nous mîmes en position de combat. Alana (à notre grand
étonnement à tous) lança une liane très naturellement qui atterrit sur moi et commença à m'enserrer.
La rage et l’énervement que je contenais depuis quelques jours et mon instinct prirent le dessus et
m'empêchèrent de réfléchir. Je n'étais plus moi-même.
Mon feu desserra les lianes et les brûla. Mes yeux flamboyaient dix fois plus que d'habitude. Je
projetai une boule de feu vers elle et recouvrai ma raison alors que la boule fusait à toute vitesse.
Tout se mit alors à tourner au ralenti. Mon amie était plaquée sur un arbre, l'air terrifié. Athéna
assistait à la scène d'un air tout à fait détendu. Mes compagnons, quant à eux, avaient l'air affolé et
essayaient de nous venir en aide, mais semblaient retenus par un étrange sort. « Athéna ! » devinai-
je.
Je courus vers la boule et posai ma main dessus. Il était temps ; le temps se remit à suivre son cours
et la boule de feu atteignit mon amie. Les autres me regardèrent d'un air horrifié. Je marchai
calmement vers elle, lui tendis la main, et elle se releva... sans une brûlure.
-Comment est-ce possible ? demanda Bas, le premier à s'être remis du choc. Athéna prit la parole à
ma place :
-Votre amie est très douée. Elle a réussi à se rendre compte de la situation, et se déplacer assez vite
pour rendre sa boule de feu inefficace simplement en la touchant. C’est assez remarquable, pour une
débutante.
Puis elle continua, en s'adressant à moi :
-Si tu continues à exploiter ton pouvoir et à t’entraîner, d’ici quelques années, tu seras… la plus
puissante. Tu pourrais peut-être même battre certains dieux.
Elle me fixa ensuite d'un regard qui me pénétra jusqu'aux os.
-Hum hum, interrompit Yale, mettant fin à ma torture. Nous vous avons appelée pour vous poser
une question. Ce sera ma première. Qu'est-ce qu'on est censés faire ?
-En voilà une bonne question, sourit la déesse. Vous êtes censés vous préparer, vous entraîner, et
renverser les gens qui vous ont créés. Je serai votre... coach, comme vous dites, vous les humains.
C'est ça ?
-Oui, mais… bredouilla Eira, prise au dépourvu.
-Merci. Je vous rendrai visite régulièrement pour vous entraîner.
Puis elle disparut dans un tourbillon. Un silence de mort régnait sur la clairière.
-On peut dire qu'elle sait mettre l'ambiance, celle-là ! blagua Eira.
-Eh, Alana ! m'étonnai-je. Tu sais qu'Athéna avait raison ? Je ne suis plus fâchée contre toi depuis le
combat !
-Oui, c'est vrai, me répondit l'intéressée, moi non plus !
-Normal, intervint Eira, c'est une déesse, elle est censée avoir toujours raison… bon, en pratique,
pas forcément, mais… d’ailleurs, tu penses qu'elle va nous emmener sur l'Olympe, un jour ?
-Alors là, tu rêves ! la railla Yale.
-Merci...
-Désolé d'avoir déçu tous tes espoirs...
-Ah non, tu ne vas pas t'y mettre ! m'horrifiai-je. Une seule Alana nous suffit bien comme ça.
-Si tu le dis... répliqua Yale en haussant les épaules.
-Allez, commençons notre entraînement, nous harangua Bas le sportif.
Il se révéla vite très doué au tir à l'arc, tout comme moi (Kie avait déniché deux arcs je ne sais où).
Yale et moi, quant à nous, excellions à l'escrime (eh oui, je me découvrais plein de talents !). Alana
ne faisait qu'un avec son poignard, et Kie faisait des saltos arrières plus vite que son ombre.
À la fin de la journée, nous étions tous ravis et exténués. Je pris le livre usé que j’avais depuis que
j’étais petite (mon seul souvenir de l’orphelinat) et commençai à le relire pour la je-ne-sais-
combientième fois. Tout à coup, je sentis une main sur mon épaule.
- Tu crois m'avoir avec ça, Alana ? raillai-je.
Une voix me répondit, mais je ne la connaissais pas.
-Oui, je pense, ma chère... Eira, c'est ça ?
Je m'apprêtai à hurler lorsque je me retins. Ce coup-ci, il ne me faudrait compter que sur moi-
même. Je serrai les dents et testai une compétence que je n'avais jamais manipulée auparavant :
chauffer. Brûler moi-même comme un fer chauffé à blanc. Je fermai les yeux de toutes mes forces.
L'inconnu ricana. Puis il hurla. Cela alerta tout de suite mes compagnons qui coururent à ma
rescousse. Je brûlais de l'intérieur. On aurait dit une rock-star sous les feux des projecteurs. Mes
amis s'arrêtèrent pour m'admirer et le temps se figea à nouveau. J'en profitai pour courir vers le
kidnappeur et je m'arrêtai près de lui. J'observai attentivement son visage et le dessinai, au grain de
beauté près, dans mon carnet. Il en avait d'ailleurs un gros sur le nez. Je décidai donc de l'appeler
Grain de Beauté. Le temps reprit son cours et je lui lançai une boule de feu qui le fit s'évanouir de
douleur.
-C'est nouveau, ça, remarqua Yale.
-C'est vrai, répondis-je, presque indifférente. Allez, fouillons-le ! On trouvera peut-être des
indices...
-Il voulait capturer et c'est lui qui l'est ! Il est pris à son propre piège ! rigola Alana.
Je fis mine de rire avec les autres, mais au fond de moi, j'étais terrifiée. Un homme avait essayé de
m'enlever et il avait bien failli réussir. Mais le pire, c’était que je m’étais défendue. Je lui avais fait
du mal, et j’y avais même éprouvé une sorte de plaisir. Le plaisir d’avoir, pour une fois, du pouvoir
sur quelqu’un. Nous commençâmes la fouille et trouvâmes des papiers. Nous déchiffrâmes :
-Bruno Lelanc, 49 ans, association « O.C.P. (à mort les monstres !)». Ce doit être l'association qui
nous en veut. Ce qui veut dire que nous sommes considérés comme des... monstres.
Nous échangeâmes des regards tristes. Nous le supposions déjà, bien sûr, mais le voir écrit noir sur
blanc, c'était autre chose. Bas alla à sa tente et la ferma, faisant clairement comprendre qu’il ne
souhaitait pas avoir de compagnie. Eira fit de même avec la sienne. Alana, comme à son habitude,
plaisanta pour cacher sa gêne et sa peine.
-Eh voilà, comme d'habitude, il n'y a pas d'ambiance ici. Il nous a plombé le moral ! Comme
Athéna. Décidément, personne ne veut qu'on s'amuse ici. Et ils croient qu'ils vont y arriver ! Eh
bien, pour leur prouver le contraire, je vous convie tous à une boum. J'ai une playlist parfaite, vous
allez voir !
Nous sourîmes. Une fois de plus, elle avait réussi à nous remonter le moral.
-Qui m'aide pour les préparatifs ? questionna innocemment la blagueuse.
Chapitre 4
Une fois que les préparatifs furent terminés, nous contemplâmes notre œuvre. La grotte étincelait de
partout grâce aux LED qu’Alana s’était procurée je-ne-sais-où. À notre grande surprise, nous
constatâmes qu’elle avait même ajouté une boule disco. Où se l'était-elle procurée, encore une fois ?
Mystère. Nous fîmes la fête, laissant enfin retomber la pression qui nous oppressait depuis quelques
jours. (Note : rajouter des scènes de la fête, où ils se rapprochent, ils apprennent à mieux se
connaître et nous aussi, on s’attache plus à eux.) Nous avions tous oublié la présence du prisonnier.
Fatiguée, je fis une pause et rentrai dans ma tente. Profitant de ma fatigue, l'assassin que nous
avions capturé tout à l'heure me sauta dessus, puis tout devint noir. Quand je me réveillai, seulement
quelques secondes avaient passé, heureusement. Je vis l'ancien prisonnier, armé d'un petit couteau,
et ce fut ma dernière vision avant de tomber du haut de la falaise. Je ne pouvais pas m'en tirer, la
falaise était trop haute. Pas non plus la moindre corniche en vue à laquelle m'accrocher. De toute
façon, je n'avais jamais été très douée en escalade. Je vis toute ma vie passer en accéléré devant mes
yeux et me dis qu'elle avait été trop courte. Je fermai les yeux, attendant la mort. Un choc vint,
mais... j'étais toujours en l'air. Je battais des ailes avec une sérénité incroyable. Attendez... des
ailes ? Mais oui, j'avais des véritables ailes ! Je volais ! Des ailes recouvertes de plumes battaient
majestueusement dans mon dos. Leurs plumes d’un brun brillant étaient incomparablement
soyeuses. Je fis des loopings et hurlai de joie. Être dans les airs était si agréable ! Je me demandai si
mes amis possédaient le même pouvoir. D'ailleurs, je devais remonter et tout leur expliquer.
Une fois mon récit fini, Bas se jeta du haut de la falaise sans prévenir. Nous attendîmes jusqu'au
bout, persuadés que ses ailes allaient jaillir comme les miennes. Mais non. La chute approchait,
imminente. Je fondis en piqué sur lui et l'enveloppai dans mes ailes. Une fois un Bas déçu de ne pas
avoir d'ailes ramené, tous mes amis se succédèrent vainement. Il se trouvait, j'ignorais pourquoi,
que j'étais la seule à posséder ce don merveilleux. J'éprouvais un sentiment de regret de ne pas
pouvoir partager cette sensation magnifique avec mes semblables. Seuls Kie et Alana n'eurent pas
l'air déçus.
Je m'empressai de m'entraîner avec mon nouveau pouvoir. Le lendemain, Bas s'aperçut que des
griffes lui poussaient ! Eira, quant à elle, frima toute la matinée avec ses palmes. Kie se découvrit le
don de pouvoir faire dire la vérité à n'importe qui, et Alana devint invisible sous nos yeux étonnés.
Yale, lui, possédait le don étonnant de ralentir ou d'accélérer le temps.
-Bon, j'espère que c'en est fini des surprises concernant nos pouvoirs ! Mais bon, je crois qu'on va
avoir chacun des questions à poser à Athéna...
Elle nous fera bien la faveur de quelques petites questions supplémentaires !
-On est d'accord, Kie, acquiescai-je.
Nous effectuâmes le rituel que nous connaissions à présent par cœur et posâmes chacun notre tour
notre question à Athéna.
Yale commença :
-Pourquoi avons-nous chacun un pouvoir différent ?
-Il vous représente : votre caractère, votre tempérament... Par exemple, votre « cheffe » est la plus
puissante d'entre vous tous. Ils avaient préparé toute une hiérarchie. Votre amie Cat est tout en haut
avec le pouvoir du feu qu'elle peut manipuler, cracher...
-Cracher ? m'exclamai-je, l'interrompant. Je peux cracherdu feu ? dis-je en appuyant bien sur le «
cracher »...
-Oui, oui, poursuivit Athéna, impatiente. Yale est ton second, en quelque sorte. Comme il possède le
même pouvoir que toi en à peine moins puissant, il peut t'aider à le canaliser. Après il y a Kieran,
puis Eira, puis Alana, puis Bastian.
-Bas, fit ce dernier, gêné. Il détestait son prénom, mais avait dû faire un vrai effort pour contredire
la déesse.
Je pris la parole à mon tour :
-Dites-m'en plus sur mes ailes et mon pouvoir.
-Tes ailes seront dorées parsemées de brun (au lieu de brunes parsemées de doré) une fois qu'elles
auront atteint leur maturité. Ton pouvoir fait que tu peux voir le temps au ralenti et réfléchir pendant
ce temps, mais seul Yale peut ralentir ou accélérer le temps et bouger pendant, avec les personnes
qu'il aura désignées. Tu peux cracher et manipuler le feu, comme je l'ai dit tout à l'heure, et tu peux
augmenter la température de ton corps à plus de 30 000° Celsius.
Les autres me regardèrent, bouche bée et impressionnés.
Athéna reprit la parole :
-Je crois que c'est tout.
-Et c'est déjà pas mal ! s'exclama Yale, admiratif.
Je lui adressai un sourire complice.
-Et tu as la chance d'être mon second ! blaguai-je.
Tout le monde (sauf Athéna, bien sûr) rigola. Mais même la déesse esquissa un petit sourire.
-Je crois qu'elle commence à bien nous aimer, me glissa Eira.
Bas, astucieux, piégea Athéna :
-Maintenant, dites-nous-en plus sur tous nos pouvoirs... Et cela ne fait qu'une question, je précise !
Il nous adressa un clin d'œil. Athéna soupira et acquiesça.
-Bon, d'accord. Yale, j'en ai parlé tout à l'heure. Kieran, lui, manipule l'eau, et peut respirer dessous,
comme Eira. Elle a des palmes et Kieran peut faire dire la vérité à n'importe qui. Ça, je crois que
vous le saviez déjà. Alana et Bastian manipulent les plantes. Bastian a des griffes et Alana devient
invisible. En tenant la main de quelqu'un, elle peut le faire disparaître aussi. Par exemple, si elle
prend la main d'Cat, qui prend la main de Yale, tous les trois peuvent devenir invisibles. Ca peut
marcher avec toutes les personnes du monde si elles se donnent la main. Je précise, c'est une
métaphore. Elle pourrait le faire avec ce nombre, techniquement, mais dire à tous les habitants de la
planète de se donner la main et de les rassembler, sans compter les mers, et pour tous les tenir, il lui
faudrait un nombre de bras incroyable ! Non, ceci serait impossible. Bon, je crois que nous en avons
terminé. Entraînez-vous encore pour la prochaine fois, avec vos nouveaux pouvoirs. Notamment
Yale et Cat ensemble. Cat, essaie de porter le plus de monde possible en vol. Je vais vous voir de
moi-même la prochaine fois, alors ne me convoquez pas. Une dernière chose avant de vous quitter :
faites-moi chacun une démonstration de vos pouvoirs, s'il vous plaît, dans l'ordre de la hiérarchie.
Je déployai donc mes ailes et m'envolai, savourant la sensation d'être dans les airs. Yale ralentit le
temps en emmenant la déesse avec lui, Kie força Eira à dire qu'elle aimerait bien être normale
quand même , Eira se fit pousser des palmes, Alana devint invisible, et enfin, Bas se fit pousser des
griffes. Moi dans les airs, Yale avançant au ralenti, Kie auréolé d'une aura jaune, Eira avec ses
palmes, l'ombre d'Alana sans cette dernière et Bas avec ses griffes, nous étions plutôt classe. A vrai
dire, nous ressemblions même un peu à des superhéros. Athéna nous contemplait avec satisfaction.
Elle disparut enfin dans les airs. Seule une poussière dorée se tenait là où Athéna était il y a trois
secondes encore. Encore secoués par ces révélations, nous allâmes manger. Puis ce fut entraînement
sur entraînement sur entraînement, durant toute la semaine.
Chapitre 5

La semaine d'après, je commençai à m'entraîner avec Yale. Nous ne travaillions pas que sur nos
pouvoirs, non. Voici comment se déroulait ma journée d'entraînement, de 6h à 18h.
-500 tours de la « base »
-Escalade sur la grotte
-Abdos
-Bras
-Vol (mon moment préféré de la journée)
-Entraînement avec Yale
-Entraînement de brûle (ma température maximale était pour l'instant de 2005°C)
-Escalade
-Abdos
-Bras
-Vol
-Repos
(Sans compter les pauses déjeuner)
Un matin, je me levai comme d'habitude à 6h, fis mes petits exercices de souplesse, fis les 500
tours, escaladai la grotte... et puis tout à coup, j'en eus assez. Cela faisait des mois qu'Athéna avait
promis de revenir et que nous faisions ces exercices stupides qui ne servaient plus à rien (nous
étions tous devenus des véritables athlètes). Je m'arrêtai net et réfléchis en faisant quelques
flexions/extensions. Athéna nous avait interdit de l'appeler, mais pas d'aller la voir sur l'Olympe ! Je
courus prévenir mes amis(ou plutôt volai, mes ailes étant devenues mon moyen de déplacement
habituel) et, une fois tous rassemblés, je pris la parole :
-J'ai quelque chose à vous annoncer.
-Laisse-moi deviner, rétorqua Alana. Tes ailes ont atteint leur maturité ? Des plumes dorées
apparaissent.
Je ne pus m'empêcher de pousser un cri admiratif devant l'or étincelant qui dominait maintenant sur
mes ailes.
-Oh !
-J'en conclus que ce n'était pas ça, railla Yale.
Alana lui tira la langue.
-Bon, revenons à nos moutons, s'interposa Eira. Quelle était ton annonce ?
Je leur expliquai mon plan et tout le monde fut d'accord.
-Avez-vous des questions ? demandai-je, en vraie cheffe.
-Oui, répliqua Bas. Comment comptes-tu faire pour arriver à l'Olympe qui est dans le ciel ? Nous
n'avons pas d'ailes, nous !
-Bonne question, approuvai-je. Nous allons construire des ailes en métal. En revanche, vu le
matériel qu'on a, on ne pourra compter dessus qu'une seule fois, désolée. On demandera à Athéna
pour nous faire redescendre. Nous nous mîmes rapidement au travail.
Un beau matin...
-On a fini ! s'exclama Bas, victorieux.
Nous nous congratulâmes mutuellement. Nous rassemblâmes de la nourriture et des couvertures que
nous nous répartîmes, puis nous nous mîmes en route.
Une semaine et deux jours de voyage plus tard, Eira feuilleta son livre sur les dieux et les déesses et
nous indiqua :
-Parfait, l'Olympe est censé se trouver juste au-dessus de nos têtes.
-Est censé ? s'étrangla Alana.
Eira haussa les épaules d'un air désolé.
-C'est très rare que les hommes arrivent à pénétrer sur l'Olympe ! En fait... ça s'est produit une seule
fois. L'homme a eu une heure de lucidité pendant laquelle il a écrit les principaux renseignements
de son livre, dont l'emplacement de l'Olympe. Après, il est devenu fou.
-Alors, on suit les indications d'un fou ? suffoqua notre pauvre amie.
Eira, grande fan de cet homme, haussa les épaules à nouveau (d'un air pas du tout désolé cette fois).
Nous entamâmes l'ascension avec nos ailes. Nous n'étions pas pressés d'arriver en haut, de peur de
nous tromper. À mi-chemin de l'Olympe, les ailes de Kie se mirent à fumer.
-Oh-oh, mauvais signe, commenta Alana, inquiète pour son ami.
Nous partagions son inquiétude. Nous réussîmes à parcourir encore un quart du trajet... puis Kie
tomba.
Je me lançai à sa poursuite, tandis que les ailes de mes compagnons se mirent elles aussi à fumer. Je
rattrapai Kie de justesse par une main... Puis Eira attrapa celle de Kie... Et ainsi de suite, jusqu'à ce
qu'il ne reste plus que Yale qui tombait en chute libre. Je plongeai, mais il était trop près du sol. Je le
regardai, impuissante, poursuivre sa chute mortelle. Soudain, une poussière dorée surgit dans l'air et
notre protectrice attrapa Yale !
-Athéna ! m'exclamai-je, pleine de gratitude. Merc...
Elle me gifla si fort que j'en tombai à la renverse. Je remontai en flèche et m'arrêtai à un cheveu de
celle qui m'avait frappée. Je devins incandescente et je me mis à cracher du feu sur la déesse,
furieuse. Je la fis tomber vers le sol et me lançai à sa poursuite. Mais Athéna m'écarta et fusa vers
une autre planète. Malheureusement, je ne pouvais pas la suivre, dans l'espace ! Puis je repris mes
esprits. J'étais horrifiée.
1-J'avais essayé de combattre une déesse immortelle (qui plus est, une déesse qui venait de sauver
mon ami)
2- J'avais été si violente et si furieuse que cela ne me ressemblait pas.
J'eus hâte qu'Athéna revienne pour me donner des explications (si elle acceptait de me parler).
Athéna revint au bout de quelques minutes et nous expliqua tout :
-Si Cat m'a combattue, c'est que j'avais en ma possession il y a quelques minutes un objet qui excite
la colère et la violence de certains spéciaux. Désolée pour la claque, poursuivit-elle à mon intention,
je voulais juste voir si il marchait vraiment. (Elle s'adressa de nouveau à tout le monde :) Nous
avons réussi à le dérober à l'association qui vous a cré... hum, donné naissance. Je suis allée le
détruire en le mettant dans un trou noir.
Ensuite, elle passa près de nous. Une colère pure émanait d'elle . Elle gronda :
-C'était totalement irresponsable de partir comme vous l'avez fait ! Vous auriez pu tous mourir, ou
pire, être capturés par l'O.C.P. !
-L'O.C.P. ? demandai-je aussitôt, toute trace de culpabilité envolée.
Athéna avait peut-être plus de choses à cacher que ce que nous croyions...
Elle soupira, puis nous expliqua de mauvaise grâce, sa voix s'adoucissant.
-L'Organisation Contre les Particuliers. Ils ne veulent plus s'emparer de vos pouvoirs, il veulent
vous tuer et s'emparer de vos pouvoirs. Ils couperont les ailes d'Cat, par exemple.
Je réagis au quart de tour, et me mis à chauffer.
Athéna reprit totalement sa voix douce et me rassura :
-On ne les laissera pas faire, pas d'inquiétude. A propos de ça... Vous n'auriez pas dû entrer dans
l'Olympe.
Ce fut là, et seulement là, que nous nous rendîmes compte que nous avions pénétré dans l'Olympe.
Eira avait l'air d'un poisson avec sa bouche ouverte, et il y avait de quoi ! L'Olympe était un
immense bâtiment à l'aspect d'un temple, couvert de dorures et de métaux et pierres précieux.
Chacune des dorures ou sculptures représentait une histoire. Il y avait le combat de Persée contre
Méduse, Thésée contre le Minotaure, le défi de tissage entre Athéna et Arachné... Le toit était en
pierre, splendide, avec une grande arche au milieu. Le tout sur un nuage.
Athéna, amusée de nous voir si ébahis, en rajouta :
-Ceci n'est que le hall d'entrée !
-Je trouve ça magn... commença Eira.
Elle fut interrompue par une voix grave et rassurante :
-Mortels ! Vous allez devoir passer l'audience. Athéna, c'était irresponsable de les laisser venir ici !
-Oui, père, se soumit Athéna.
-Ce n'est pas sa faute ! protestai-je.
La fille de Zeus, le dieu des dieux, et aussi le dieu qui se tenait devant nous, m'adressa un regard
m'intimant de me taire.
-Je ne me tairai pas ! Zeus, ce n'est pas la faute de votre fille ! m'indignai-je.
-Cette petite me plaît, sourit Zeus. Elle a du culot ! Elle sera donc la seule à passer l'épreuve, et pas
d'audience. Si elle réussit, ses amis et elle seront libérés et nous les accueillerons les bras ouverts.
Sinon, nous les lâcherons par-dessus bord.
-Sympa, réagit Yale, les yeux dans le vague.
Athéna avait d'autres préoccupations en tête :
-Père, tu ne peux pas faire ça ! Elle est mortelle, et même toi, tu n'as pas réussi !
-Je le sais bien, rétorqua Zeus, réduisant sa fille au silence.
-En quoi consiste l'épreuve ? redoutai-je.
-Il y a un monstre dans cette salle, désigna Zeus. Tu dois le vaincre. C'est tout. Attention, pas de
triche ! Nous assisterons tous au combat, y compris tes amis. Va !
Je rentrai dans la salle, et la porte se referma dans un bruit sourd derrière moi. J'entendis un son de
cadenas qui se verrouille. La pièce était sombre, malgré le jour qui était à son apogée à cette heure-
ci de la journée.
Un rugissement sonore se fit entendre derrière moi. Redoutant ce qui était derrière, je me retournai
lentement. Une énorme bête se tenait devant moi, une tête homme, une tête lion, et une tête serpent.
Son corps était celui d'un guépard. Je frissonnai puis crachai du feu sur la tête serpent, pressée
d'éliminer le venin. La tête se ratatina puis repoussa...en deux exemplaires.
-Oh, non... soufflai-je.
Soudain, je me souvins de l'Hydre de Lerne. Ses têtes repoussaient aussi, et pour la vaincre, il avait
fallu toutes les couper d'un coup ! Mais je n'avais pas d'arme... Profitant de ce que je réfléchissais, le
monstre fondit sur moi et m'asséna un coup de patte. Il me griffa encore et encore, jusqu'à ce que
ma peau ne soit plus qu'un tissu sanglant. Mon visage était tordu par la douleur insupportable, mais
puisque Zeus me regardait, je n'allais pas lui donner la satisfaction d'hurler. Je me remis debout avec
toutes les difficultés du monde, chancelante.
Je le provoquai :
-C'est tout ce que tu as dans le ventre ?
Si il fallait vraiment mourir, autant le faire avec classe. Le guépard me griffa le visage, seule partie
de mon corps intacte jusque-là. Je sus alors que c'était la fin. Puis je me ressaisis. C'était trop bête !
J'avais réussi à échapper à l'O.C.P. jusque-là, ce n'était pas pour me faire tuer à cause de mes alliés !
La fureur prit le dessus sur la peur.
Mes yeux devinrent totalement orange et la pupille noire se dilata jusqu'à disparaître. Le feu sortit
de mes yeux, de ma bouche, de mon nez, de tout mon corps. Je vis les trois têtes se ratatiner puis
disparaître. Les restes de la bête tombèrent et je m'évanouis.
Chapitre 6
Quelques heures plus tard...
J'entrouvris les paupières, encore sonnée. Mes amis me scrutaient d'un air inquiet.
Pour l'instant, aucun ne s'était aperçu que mes paupières étaient entrouvertes, et tant mieux. Je sais
que ça paraît mal, mais je voulais les entendre. Yale commença :
-Vous êtes sûr qu'elle va s'en tirer ?
Il s'adressait à un infirmier aux traits fins, au front plissé et à la blouse blanche. Sur le badge qu'il
portait, on pouvait lire « Dr Adam Sarim » en lettres d'or.
-Oui oui, fit-il d'une voix plutôt aiguë pour un homme. Elle a juste une fêlure des côtes et d'autres
petits bobos. Pas de traumatisme crânien. En revanche, elle aura sacrément mal au crâne quand elle
se réveillera !
Et c'était vrai. Mon crâne m'élançait atrocement. En fait, tout mon corps était affreusement
courbaturé. Je souffrais comme si on me plantait mille aiguilles dans la peau. Ma respiration était
hachée. Tout à coup, Alana s'aperçut que j'avais les yeux ouverts.
-Elle est réveillée ! s'écria-t-elle, sautant de joie.
Le premier mot que je prononçai fut :
-Aïe.
Eira me sauta dans les bras et je gémis de douleur.
-Attention ! fit M. Sarim. Tu as sauté sur ses côtes fêlées !
-Oups...
-Ce n'est rien, grimaçai-je à l'intention de mon amie.
Yale me dévisageait, l'air soulagé. Toutefois, son caractère fit qu'il s'interdit de participer à
l'allégresse générale, même si je savais qu'il la partageait. J'avais fini par bien le connaître...
Athéna apparut soudain dans un déluge de poussière dorée, comme d'habitude. Elle aussi paraissait
heureuse de me voir en bon état.
-Bravo ! me félicita-t-elle, fière de moi. Père viendra te voir dans la journée.
Elle me confia encore :
-Même moi, j'ai été très surprise ; Père ne rend jamais visite aux malades ! Mais bon, il doit se
sentir un peu coupable... et, il a été très impressionné !
Elle s'adressa à mes camarades en plus de moi, cette fois-ci :
-Vous vous êtes tous bien entraînés, félicitations !
Nous restâmes bouche bée : les compliments d'Athéna étaient rares, et même le roi des dieux avait
été impressionné de nos « performances » ! Tout à coup, la porte s'ouvrit sur... Zeus.
Zeus entra dans la pièce. Son regard se posa sur moi. Sans aucun égard pour mes compagnons, il
me salua puis se tourna vers Athéna.
-Est-elle en état de sortir ?
Je répondis à la place de notre protectrice :
-Oui, je le suis. Bonjour.
-Parfait, grogna Zeus. Viens.
Athéna intervint :
-Père, attendez ! Elle n'est pas encore remise, elle ne peut pas...
Zeus la coupa :
-Elle m'a assuré elle-même que ça irait.
Je m'introduisis dans la conversation :
-Eh oh, je suis là ! Arrêtez de parler de moi comme si je n'étais pas là !
Athéna et Zeus poursuivirent leur conversation sans prêter attention à moi et la déesse finit par
s'incliner face à son père.
Zeus me prit par le bras pour m'aider, mais je me dégageai vivement. Malgré mon enthousiasme
face à l'idée de lui montrer que je n'étais pas faible, je n'avais pas encore digéré l'épreuve. Il me
laissa donc monter les longs escaliers en colimaçon toute seule avec difficulté, un peu vexé.
J'étouffai un gloussement. Ce que le roi des dieux pouvait se montrer puéril ! Mais c'était si drôle !
Je pris soudain conscience du fait que Zeus ne me faisait plus peur du tout. Quand on le voyait pour
la première fois, avec sa grosse barbe, sa voix grave et l'aura de puissance qui émanait de lui, on
aurait dit sans l'ombre d'une hésitation : « Ce gars-là est flippant ! ». Mais maintenant que je le
connaissais un peu mieux, je savais que ce n'était qu'un gros nounours qui se donnait des airs de
balourd. J'en profitai pour observer autour de moi. L'escalier et la rampe même étaient richement
décorés, et au plafond de la pièce au-dessus de nous pendait un très beau et luxueux lustre en cristal.
Il y avait des rampes dans la pièce où nous avions fini par arriver, et le parquet était si bien verni et
si lisse qu'on aurait dit une salle de danse. Comme s'il lisait dans mes pensées, Zeus s'excusa :
-Nous sommes dans la salle de danse de mon épouse, Héra, qui est partie pour quelques jours.
Comme je suis le seul à pouvoir y entrer avec elle, je n'ai pas trouvé mieux que cette salle pour te
parler en privé. Les mortels croient tout savoir sur nous les dieux, mais je ne crois pas qu'un seul
sache que la danse était la passion de mon épouse.
-Vous avez raison, m'étonnai-je, je parie que même Eira n'était pas au courant !
Zeus sourit, amusé.
-Dans ce cas, heureux d'avoir pu vous apprendre quelque chose. Et je crois que je vais t'en
apprendre une deuxième : tout le monde sur l'Olympe vous appelle...
Les Orphelins Élémentaires !
Je faillis m'étouffer de rire.
-Dites-moi, je ne savais pas que vous étiez un blagueur !
-Je suis on ne peut plus sérieux, fit Zeus, l'air sérieux, en effet...
Je m'étouffai cette fois de surprise.
-Ce n'était pas une blague ???
-Non, me confirma Zeus. Ils appellent même ça des « superélémentaires ».
-Sérieusement ? Vous placez trop d'espoirs en nous. On n'a rien demandé, nous, on est nés comme
ça ! On n'est pas des superhéros qui sauveront le monde, on est juste des ados anormaux !
Zeus essaya de me rassurer, maladroitement :
-Ne t'en fais pas... Nous... nous n'attendons... rien de vous, les Orphelins Élémentaires !
-Alors même vous, vous vous y mettez ?
-Ça fait beaucoup de « vous », blagua Zeus.
L'atmosphère se détendit un peu et nous changeâmes de sujet.
-Mais, je voulais te parler d'autre chose. Avec le Comité...
Je l'interrompis :
-Le Comité ? Qu'est-ce que c'est ?
Zeus expliqua :
-C'est un Comité des dieux, rassemblant les principaux et plus puissants dieux. Il est composé de
Hermès, Athéna, Poséidon, Héra, Hadès, Apollon et Artémis. Donc, nous avons décidé... que nous
manquions de dieux. Contrairement à ce que la plupart des mortels croient, on ne naît pas dieu ou
déesse. On le devient. Donc, comme nous manquons de dieux, nous en cherchions. Mais ce n'est
pas facile d'en trouver, car il faut nombre de qualités pour pouvoir devenir un ou une des nôtres.
Nous avons trouvé ces qualités chez toi et tes amis. Nous te proposons donc, avec l'accord de tous
les dieux principaux et puissants, de devenir une déesse. Cela rendra ta peau plus résistante et ton
intuition plus prononcée. Toutes tes capacités seront optimisées. Vois ça comme une... mise à jour.
Ainsi, ton combat contre les forces du Mal sera plus équitable. Acceptes-tu ?
-Je... J'ai besoin d'un peu de temps pour réfléchir, bredouillai-je, sonnée.
-Nous te le laisserons, garantit Zeus. Tu as raison, c'est une grosse décision, il faut un peu de temps
pour réfléchir. Mais sache que tu n'es pas du tout obligée d'accepter. Tu as le choix. Mais, si je peux
me permettre, ma décision de devenir un dieu a été la meilleure de ma vie.
-Meilleure que d'épouser votre femme ? raillai-je.
-Bien meilleure, soupira Zeus, perdu dans ses pensées.
Je ris et compris qu'il avait besoin d'être seul quelques minutes. Quand je m'apprêtai à sortir, il me
retint :
-Ne dis rien à tes amis, sois gentille, ne leur gâche pas la surprise !
-Promis ! assurai-je avant de descendre lentement mais sûrement les escaliers. Quand j'arrivai,
Athéna me prit aussitôt à part.
-Que se passe-t-il ? s'inquiéta-t-elle. Pourquoi es-tu toujours humaine ? Tu as refusé ?
-Non, non ! la rassurai-je. J'ai juste besoin d'un petit peu de temps pour réfléchir. Devenir une
déesse, ce n'est... ce n'est pas une décision à prendre à la légère ! En plus, cette proposition m'a
tellement surprise...
-Je comprends, approuva Athéna. Sincèrement désolée, je dois te laisser !
Zeus passa pour prendre mes amis les uns après les autres. Ils eurent tous besoin de temps pour
réfléchir, sauf Bas et Alana qui dirent clairement non. Leur aventure s'arrêtait ici et ils furent
raccompagnés sur la Terre, à notre grande tristesse.
-Ça faisait trop pour moi, tout ça, me confia Alana avant de partir. Je suis désolée. Vous allez tous
me manquer. Au revoir, cheffe.
Je la regardai partir. Nous versâmes tous une petite larme. Leur absence laissa un vide. Qui allait
désormais nous faire rire ? Et surtout, qui allait combattre les forces du Mal ? C'est là que je sus
quelle serait ma décision. Je me rendis auprès de Zeus et je lui dis :
-Bonjour, Zeus. Vous allez bien ?
Nous échangeâmes les politesses d'usage et je finis par lui dire :
-J'accepte. À quand la transformation ?
-Ouh là ! s'esclaffa Zeus. J'en connais une qui est pressée !
Je ris jaune, tendue.
-Eh bien... tu peux te faire transformer demain, à 6h, au plus tôt. Ça te tente ?
-Oui, de toute façon, j'ai pris l'habitude de me réveiller à 6h...
-Très bien, alors, conclut Zeus. J'assisterai à ta transformation.
(Note : transformation inévitable pour qu’elle survive ? Et après les autres se transforment pour la
soutenir et les deux partent parce que ça devient trop sérieux?)
Chapitre 7
Le soir même, je n'arrivai pas à dormir. Je prenais conscience du fait que je vivais mes derniers
moments humains. Je m'agitai encore et encore dans mon lit, mais rien à faire. Je me résignai : je ne
dormirai pas cette nuit. Je fis alors les exercices habituels, rassurants dans l'inconnu.
Flexion/extension. Flexion/extension. Flexion/extension. Pompe. Souffle. Pompe. Souffle. Pompe.
Souffle. Ciseaux. Cardio. Ciseaux. Ennui. Non, rien à faire, même les exercices ne m'occupaient pas
! Alors je sortis au clair de lune. Les étoiles étaient toutes à leur place et le ciel était splendide. Je
m'apprêtai à sauter du haut de l'Olympe et j'entendis un cri derrière moi. Zeus accourait, l'air
inquiet.
-Petite, je sais que ton amie te manque, mais ce n'est pas une raison pour te suicider !
Je ris et il me dévisagea comme si j'étais devenue folle. Je sautai. Il cria encore. Je déployai mes
ailes et ris. Encore et encore, à gorge déployée. Je fis des loopings, des tonneaux, des descentes en
piqué... tout cela sous les exclamation éblouies de Zeus. Le matin vint enfin et je me posai avec
délicatesse face au dieu. Il me félicita, puis me dit :
-Va te préparer. Il va bientôt être l'heure...
Je recouvrai aussitôt tout mon sérieux et fis mes adieux en tant qu'humaine à mes amis. Je rentrai
dans la salle. On aurait dit une salle d'hôpital. Les murs étaient peints en blanc et les lampes
projetaient une lumière diffuse au plafond. Au milieu, un lit m'attendait. Il était recouvert d'un
papier bleu comme à l'hôpital. Je remarquai des liens à côté et me demandai à quoi ils serviraient.
-Allez-y, dit Zeus.
Un chirurgien s'approcha de moi avec une seringue et je compris. Il me piqua... et tout devint noir.
-Attachez-la, ordonna le dieu des dieux.
Athéna rentra dans la salle.
-Est-elle consciente ? s'enquit-elle.
-Non, ma fille, nous venons de la droguer.
Nous rentrâmes dans la salle.
-Bonjour Eira, me salua Athéna. Bonjour, les autres.
(Je précise : cette partie de l'histoire est relatée par moi, Eira, Cat étant inconsciente.)
-Pourquoi est-elle attachée ? demandai-je, inquiète.
-Tu vas comprendre, m'expliqua Zeus.
L'opération commença et Cat commença à hurler. Je n'oublierai jamais ses cris. Ils étaient
déchirants, horrifiés, pleins de douleur.
Les hurlements continuèrent, et Cat fut secouée de spasmes, ses veines ressortant de sa peau.
-Arrêtez ! criai-je. Vous lui faites mal !
Mais personne ne m'écouta. Avec Kie et Yale, nous nous égosillâmes, en vain. Je voyais la
souffrance de Cat, que je n'avais jamais vu verser une seule larme, même quand Alana et Bas sont
partis. Elle hurlait d'une voix cassée et des torrents de larmes ruisselaient sur ses joues. Je ne pus
en supporter plus et me comportai en lâche. Je tournai le dos à mon amie souffrante et courus
jusqu'aux jardins. Kie me rejoignit.
-Yale est resté, souffla-t-il.
Quelques heures plus tard, Zeus vint nous trouver. Il nous informa :
-L'opération est terminée.
J'ouvris les yeux, et fus secouée par la douleur. Au-dessus de moi se trouvait Yale. Il était plus
inquiet que jamais, et me demanda aussitôt :
-Ça va ?
-Non... grimaçai-je, la voix pâteuse.
Je m'évanouis à nouveau.
Je me réveillai et trouvai Yale assoupi à mon chevet. Des bouquets de fleurs trônaient sur la table. Je
lus les étiquettes : il y en avait de la part de Zeus, Athéna, Hermès (tiens !), Eira, Yale, et enfin Kie.
Je souris faiblement. Yale se réveilla à son tour et s'aperçut que je n'étais plus assoupie.
-Tu vas bien ? répéta-t-il.
-Oui, oui, répondis-je.
Je voulus me lever, mais tombai... aussitôt rattrapée par mon ami.
-Il faut que tu marches avec des béquilles, m'apprit-il en en désignant une paire appuyée contre un
coin du mur.
-Pas besoin, dis-je d'un air désinvolte.
Je déployai mes ailes et me dirigeai vers la sortie.
Yale me scrutait toujours, soucieux de mon état.
-Je vais bien, lui assurai-je d'un air sûr de moi (du moins je l'espérais)...
-Eira s'est fait opérer juste après t'avoir offert ce bouquet...
-Elle va bien ? m'inquiétai-je.
-Elle n'est pas encore réveillée. Quant à moi, je me fais opérer demain, et Kie aussi.
-Oh ! Si vite ?
-Oui... me sourit mon ami.
-C'est dur, l'informai-je. Ça fait super mal.
Il éclata de rire.
-Merci de m'en informer, j'avais vu !
-Sérieusement, insistai-je.
Yale recouvra son sérieux lui aussi.
-J'ai pris ma décision.
Tout à coup, une voix d'homme retentit :
-Eira vient de se réveiller, vous pouvez aller la voir.
Il était grand, et possédait un caducée et un casque et des sandales ailées. Je devinai que c'était
Hermès d'après la description que Eira m'en avait faite.
Nous nous inclinâmes et il rit. S'adressant à moi, il dit :
-Depuis quand les déesses se prosternent-elles ?
Et, poursuivant à l'intention de Yale :
-Et les futurs dieux ?
Nous sourîmes. Je commençais déjà à apprécier ce dieu...
Je m'envolai vers la salle qu'Hermès me désigna, qui semblait être la salle d'opération de Eira. Yale
me suivit en trottinant (j'allais plus vite en volant que lui en marchant)... Eira sourit lorsqu'elle me
vit :
-Tu vas bien ?
-C'est plutôt moi qui devrais te demander ça, ironisai-je.
-Je vais bien. Mais toi ? insista mon amie. Tu n'as pas de béquilles ?
Je désignai mes ailes du menton.
-La chance ! envia-t-elle.
Je souris à mon tour. La porte s'ouvrit alors sur Athéna. Elle annonça :
-Les filles, suivez-moi.
En chemin, elle nous expliqua :
-C'est une sorte de rituel que nous avons avec chaque opéré. Nous l'emmenons à l'enclos des
animaux, et le leur le choisit. Avance toi en première, Cat. Tu as été la première à te faire opérer.
Oh, ajouta-t-elle, et votre animal peut apparaître sur votre peau comme un tattoo, quand il n'est pas
près de vous en chair et en os.
Nous nous approchâmes de l'enclos. Un loup blanc et géant s'approcha de moi.
Je demandai à Athéna sans quitter l'aigle du regard :
-Comment sait-on qu'on est choisi ?
Elle me répondit :
-L'animal te dit son nom.
A l'instant, le loup me révéla le sien et je ressentis toutes ses émotions, qui formaient de grands
tourbillons.
-Il s'appelle Alpha, affirmai-je.
Le loup approcha de moi et colla son museau contre ma paume tendue.
-Tu dois galoper, monter sur lui, m'intima Athéna. Cela scelle le lien.
Intimidée, j'acceptai. Je l'enfourchai d'un pas hésitant, indécise.
-Allez ! m'encouragea la déesse.
Yale m'adressa un signe de tête affirmatif et il commença à courir. Ses grandes pattes foulaient le sol
à une vitesse incroyable. Je raffermis ma prise sur deux poignées de poils de mon loup et il bondit.
Je savais exactement comment le contrôler. Il...il me parlait ! Incroyable ! Il me taquina :
-Eh bien ! Qu'as-tu donc à être si étonnée, affolée, apeurée, excitée... Tu es très mélangée !
J'essayai de lui parler mentalement à mon tour :
-Cela n'arrive que rarement, Alpha ! Mon nom à moi, d'ailleurs, est...
-Je te connais, Cat ! Quand tu t'es ouverte à moi, j'ai vu tes peurs les plus secrètes, ton pouvoir, tes
souvenirs, tes émotions... nous sommes connectés. Tu ressens ce que je ressens et moi de même.
Je restai muette, stupéfaite.
Nous ralentîmes tout en douceur et Athéna me demanda :
-Où veut-il dormir ?
-Près de toi, affirma mon loup.
Je traduisis et Athéna sourit :
-Très bien.
Alpha se métamorphosa en un tatouage qui s'inscrivit sur mon bras comme Athéna me l'avait dit.
-A toi, Yale ! lança la déesse.
Il s'approcha timidement de l'enclos et une bête approcha. Elle avait des ailes noires et ressemblait à
un corbeau géant.
-Mike ! s'exclama Yale. Il s'appelle Mike.
-Fais ton premier vol, lança Athéna.
Ils volèrent donc et Yale éclata de rire, à un moment. Son Mike lui parlait donc par pensée comme
Alpha à moi ! Nous rentrâmes à l'intérieur avec un nouveau tatouage et racontâmes tout à nos amis.
Comme j'aurais aimé qu'Alana soit là ! Nos auditeurs poussèrent des cris envieux à certains
moments. Les journées passaient, nous nous entraînions. Eira fut choisie par un chat géant (« Il se
nomme Ono ! ») et Bas par une sorte d'ourse blanche (« Elle s'appelle Cho ! »).
Nos amis nous manquaient.
Chapitre 8
Un beau jour...
Je fus réveillée en sursaut par des cris. J'arrivai à distinguer les mots :
-Des hélicoptères... dessus... nous... attaqués !
Je compris que des hélicos nous attaquaient par les airs. J'invoquai Alpha d'un geste machinal avant
de me rappeler qu'il était parti chasser.
-Alpha ! lançai-je. On est attaqués !
Mon relié dut sentir ma panique, car il rappliqua sur-le-champ. J'enfourchai son encolure,
m'accrochai à ses deux touffes de poils habituelles, et Alpha se mit à galoper. Athéna me cria :
-Prends de l'altitude sans Alpha et fais cramer le moteur !
J'obéis et pus ainsi profiter d'une vue imprenable sur le champ de bataille. Je distinguai des sortes de
fourmis noires au loin... et je compris.
-DES SOLDATS EN APPROCHE ! hurlai-je, paniquée.
-On s'en occupe ! brailla Athéna.
Peu rassurée, j'allai régler leur compte aux hélicos et rejoignis mes amis et Alpha pour la bataille.
Athéna me lança :
-Il ne faut pas qu'ils trouvent ce qu'il y a dans l'Olympe ! Eloignez-les !
Nous acquiesçâmes et la bataille se poursuivit sur la terre ferme. Je vis Bas s'écrouler, puis ce fut au
tour de Eira et des autres dieux. Seuls Yale et moi restions, dos à dos. Nous étions prêts à y passer
s'il le fallait. Yale tint vaillamment mais finit par s'écrouler à son tour. Désespérée, j'attendis le coup
fatal... mais il ne vint pas. Alana et Bas se tenaient devant nous, jonchés sur... des perroquets
géants ! Pendant que nous nous battions, Bas m'expliqua :
-Nous avons décidé de revenir et avons demandé à Athéna de garder le secret pour vous faire une
surprise. On a été opérés dans des salles insonorisées puis choisis par des animaux (Holly et Finn).
Mes amis, revigorés par l'arrivée de Holly, Eira, Finn et Bas, se relevèrent. Nous montâmes sur nos
reliés et poursuivîmes le combat. Nous vainquîmes après de nombreux efforts. Sales, épuisés, mais
heureux et victorieux, nos rentrâmes tous à l'Olympe. Athéna nous aborda :
-Je tenais à vous féliciter. Aujourd'hui, vous avez fait preuve de sang-froid, de courage et de
bravoure. Vous méritez cette récompense, et vos animaux aussi. Elle nous distribua à chacun un
élixir, pour les humains (enfin, les dieux), et un médaillon en or pour les animaux. Nous goutâmes
l'élixir et...
-C'est le meilleur truc que j'aie jamais goûté de ma vie ! s'exclama Alana. Cela a goût de fraise !
Nous protestâmes : pour Yale, c'était banane, pour moi, caramel, pour Bas, pommes cuites...
-En fait, ça a goût de l'aliment préféré de chacun ! devinai-je.
-Exact, confirma Athéna, un sourire aux lèvres.
-C'est Trop bien, avec un « T » majuscule, approuva Bas.
Zeus nous offrit encore mieux qu'une coupe de nectar : nos propres fontaines de nectar ! Il
construisit aussi une maison pour chaque groupe (une pour Eira, Alana et moi, et une pour Yale, Bas
et Kie) et nous y installâmes nos fontaines, un jardin splendide, une boîte aux lettres et même une
piscine ! Nous étions heureux ici. Mais cela ne pouvait pas durer éternellement.
Un jour, Hermès, qui était devenu notre ami, vint nous chercher, mais ce n'était pas pour faire la
course avec moi, Yale, Alana et Bas. Il nous ordonna :
-Allez chercher vos amis, maintenant. C'est important.
J'aquiescai et appelai Alpha.
-Que se passe-t-il ? me demanda-t-il, inquiet.
-Je n'en sais rien, Hermès nous a dit d'aller chercher Eira et Kie en vitesse, et il a précisé que
c'était important, répondis-je, aussi inquiète qu'Alpha (et ce n'était pas que parce que nous
partagions les émotions de l'autre !).
Nous continuâmes la course en silence, trop préoccupés pour penser à discuter entre nous. Nous
arrivâmes enfin.
-Venez, leur ordonnai-je. Hermès a précisé que c'était important.
Ils enfourchèrent leur chat et leur ourse sans plus tarder. Depuis le temps que nous nous
connaissions, nous avions développé un esprit d'équipe incomparable. Nous nous dépêchâmes et
j'atterris enfin. Je tentai de déchiffrer l'expression du dieu messager. Il n'avait pas l'air inquiet, mais
au contraire, plutôt excité. Ma préoccupation se dissipant un peu, je devins curieuse et ne pus
résister à la tentation de lui demander ce qui se passait. Il répondit d'un air malicieux :
-Tu verras ; suis-moi !
Ma curiosité cette fois vraiment piquée, je décidai de ne pas le retarder et dis :
-Bon, allez, qu'est-ce qu'on attend ? En route !
Hermès m'adressa un clin d'oeil et éclata de rire. Je lui emboîtai gaiement le pas et encourageai mes
compagnons à nous suivre. Timides au premier abord, ils se décidèrent finalement et nous
chantonnâmes joyeusement tout le long du trajet. Nous parvînmes à une grande salle ovale où se
tenaient... Athéna, Poséidon, Héra, Hadès, Artémis et Zeus.
-Le Comité, soufflai-je.
-Bien deviné ! lança jovialement Hermès.
Héra prit la parole d'une voix nettement plus intimidante que notre ami aux sandales ailées.
-Bienvenue, dit-elle d'une voix glaciale.
-Elle n'a pas l'air de nous apprécier beaucoup, glissa Bas, pas très assuré.
Hermès chuchota :
-Normal, vous avez accaparé toute l'attention de son mari qui n'a pas pu la ramener à l'Olympe plus
tôt que ce matin...
-Oups, grimaça Alana.
Les autres membres du Comité nous souhaitèrent la bienvenue à leur tour, bien plus
chaleureusement que la danseuse. Artémis, en particulier, me parut gentille.
Pour me rassurer, je passai brièvement la main sur mon tatouage. Je regardai ceux des dieux. Héra
arborait un paon, Artémis une biche, Apollon un mouton, Hermès un serpent, Athéna une chouette,
Poséidon un dauphin, et Hadès un gros chien à trois têtes. Zeus, lui, possédait une espèce de grand
phénix.
-Faites sortir vos animaux, intima Zeus. Comme ça, vous serez reconnus comme membres à part
entière du Comité. C'est une sorte de rituel.
Je pris place la première sur le pentacle que Zeus m'indiquait du doigt et Alpha sortit dans un
tourbillon orange. Puis ce fut le tour de mes amis. Athéna me fixait, bouche bée. Je vins près d'elle
et lui murmurai :
-Pourquoi fais-tu cette tête ?
-Tu... bredouilla-t-elle. Tes yeux ! Ils sont devenus rouges !
-C'est sûrement parce que mes pouvoirs ont atteint leur maturité, l'informai-je, pas plus étonnée que
ça.
Notre premier conseil se déroula sans anicroche dans l'ensemble au début, à part quand Bas avait
ouvertement contredit Héra qui l'avait fusillé du regard. Non, c'est plus tard que tout se dégrada.
Héra avait un sourire mauvais aux lèvres. Elle prit la parole.
-Mes chers petits, commença-t-elle d'un air narquois. Nous avons été très heureux de vous accueillir
sur l'Olympe, mais il est temps pour vous... de repartir.
(Note : ils peuvent rester plus longtemps là-bas pour que ça fasse vraiment une rupture, quelques
mois ? → description de leur quotidien pendant un ou deux chapitres et peut-être développement
sur un side character)
Chapitre 9
Un silence abasourdi accueillit sa déclaration. Yale prit la parole le premier, furieux :
- Vous-ne-pou-vez-pas, dit-il en articulant bien chaque syllabe comme s'il parlait à une folle.
Le sourire d'Héra disparut et elle cracha :
- Je fais ce que je veux !
- Pas à nous ! hurla Yale, désespéré.
Il sortit de la salle en claquant la porte, bientôt imité par Eira, Alana, Bas, Kie, puis moi. Sur le pas
de la porte, je clamai bien haut et à tous les dieux :
- Vous faites une grave erreur. Mais nous obéirons, comme les pions que vous nous avez fait
devenir. Vous nous avez enfermés dans une cage dorée. Je n'aurais pas cru qu'une idiote comme elle
(je désignai la déesse au paon du menton) pourrait nous ouvrir les yeux. Mais elle l'a fait. Adieu.
Les dieux restèrent bouche bée et je tournai enfin les talons (sans oublier de claquer la porte, bien
sûr). Je lançai à mes amis :
- Préparez vos affaires, on s'en va.
- Tu as raison, approuva Alana.
Les autres hochèrent la tête, d'accord avec nous. Une fois que chacun eut rassemblé ses bagages,
Alana me prit la main droite et Eira la gauche. Bas prit la main d'Alana et Kie celle de Eira. Je
déployai mes ailes et m'envolai. Yale agrippa mes pieds au dernier moment et je fondis en piqué
vers la terre. Le vent nous sifflait aux oreilles. Nous atteignîmes la cime des arbres. Du vert nous
entourait. Nous contemplâmes la Terre. Ce monde était moins parfait que l'Olympe, certes, mais
c'était notre monde. Je me posai et Kie souffla :
- Ça fait du bien d'être de retour à la maison.
- Home sweet home, renchérit Alana.
Pour une fois, elle ne fut contredite par personne. Tout le monde s'empressa de poser ses bagages.
Heureusement, nous avions réussi par miracle à emporter deux petites fontaines de nectar, que nous
posâmes devant la clairière. Eira sortit des graines de fleurs qu'elle avait prit la peine d'emporter. Je
lus sur la première « Tropoleum Majus ».
- C'est quoi ? m'étonnai-je.
- C'est le nom savant de la Grande Capucine ou Capucine, expliqua Eira. C'est ma fleur préférée.
Elle commença donc à planter les graines. Je la rejoignis pour l'aider. Une fois notre travail terminé,
elle s'arrêta d'un air pensif. Elle partit sans que j'aie eu le temps de lui demander ce qu'elle comptait
faire. Je la suivis discrètement dans les airs, inquiète. Toutefois, la sensation du vent qui soufflait
doucement dans mes boucles m'apaisa bien vite. Mon amie finit par rentrer dans un petit magasin
dont la devanture écaillée annonçait « Capucine et Flora, magasin de fleurs ». Elle en ressortit
quelques minutes plus tard avec de l'engrais, un arrosoir et d'autres sachets qui semblaient contenir
des graines de rose et de myosotis. Elle me repéra puis cria d'un air joyeux :
- Allez, viens !
Une fois mes ailes repliées, elle m'informa :
- J'ai choisi des roses car j'adore ces fleurs et des myosotis car je trouve leur autre nom, forget me
not, très poétique.
Je la taquinai, amusée :
- Ah, l'éternelle romantique...
Nous pouffâmes et nous parvînmes à notre clairière.
- Et si on donnait un nom à notre base ? proposa Alana qui arrivait vers nous d'un air réjoui. On
pourrait l'appeler « Fairy Clearing » !
- Bonne idée... fit Kie, qui avait surgi derrière nous sans que nous nous en aperçûmes.
Eira sursauta, surprise, et nous éclatâmes tous de rire. Nous nous occupâmes comme nous pûmes.
Puis vint le soir et le problème du repas se posa. Nous n'avions pas pensé à emporter des provisions,
et étions à court... Nous grimaçâmes. Nous avions un peu d'argent, certes, mais pas assez pour nous
payer un repas à tous ! C'est alors qu'un paquet fusa du ciel. Un petit mot était épinglé dessus :
Je suppose que vous aurez besoin de ceci. Nous vous en donnerons tous les jours, si vous en avez
besoin (et je le pense).
Zeus et le Comité (à part Héra qui boude, comme souvent. Ne vous inquiétez pas).
De la part de Hermès : je suis désolé, je ne peux pas décider. Si cela avait pu être mon choix, je
vous aurai laissés rester. Mais cela ne dépendait pas de moi... Vous me manquez déjà. Bon appétit !
Je souris malgré moi. Mes compagnons ouvrirent le paquet et y découvrirent un véritable festin !
Zeus et le Comité avaient dû mettre du temps à le préparer. Ils avaient même prévu six coupes de
nectar. Kie vida la sienne d'un trait, ravi. Nous déballâmes tout ceci et commençâmes. Une fois le
repas fini, je griffonnai un petit mot à l'intention du Comité :
Nous avons très bien mangé, grâce à vous. Merci beaucoup !
Surtout pour les coupes de nectar... Miam ! Oups ! Désolée pour la tache !
Pour Hermès : ne t'en fais pas, nous comprenons. Il était temps pour nous de revenir, de toute
manière ! J'espère juste que tu arriveras à te distraire sans nous ;-) ! On s'écrira des petits mots tous
les jours pour se tenir au courant, si tu veux. Bon, plus sérieusement, tu vas aussi nous manquer.
Bonne nuit !
P.S. : Et dites à Héra qu'elle s'est vraiment trompée.
Je déposai le mot sur un buisson, certaine qu'il aurait disparu d'ici le lendemain matin. Je me glissai
sous mon drap, et je n'eus aucun mal à m'endormir.
Chapitre 10
Le lendemain matin, le petit mot avait en effet disparu. Je souris en apercevant un petit carton
étiqueté des mots « petit dèj' » de l'écriture familière d'Hermès et me dirigeai vers mes amis pour
partager ce festin. Seul quelqu'un manquait à l'appel. Je m'enquis :
- Où est Kie ?
Eira me répondit en pouffant :
-Tu ne l'entends pas ? Il ronfle comme un tonneau !
J'éclatai de rire. La contagion gagna bientôt mes amis, et un Kieran tout ébouriffé apparut à l'entrée
de la grotte.
- Que se passe-t-il, ici ? demanda-t-il, la gorge enrouée d'avoir si bien ronflé.
Nous redoublâmes de rire et il nous dévisagea d'un air interloqué, puis se joignit à nous. Notre fou
rire persista pendant dix bonnes minutes, puis nous reprîmes notre sérieux et lui apprîmes ce qui
s'était passé. Une fois que nous nous fûmes calmés et rassasiés, je décidai de partir en vadrouille
explorer les environs. J'invoquai Alpha, pensant qu'une balade lui ferait le plus grand bien, mais il
me rassura :
- Je vais rester au camp pour dormir, je suis fatigué...
- À ta guise !
Je déployai donc mes ailes et partis. Je repérai un grand champ tout florissant. Je me réjouis, en me
disant que Eira adorerait cet endroit. Je décidai de lui en parler dès que nous serions de retour au
camp. Je flânai un peu dans ce champ, m'allongeai et profitai du soleil. Sans m'en rendre compte, je
m'endormis peu à peu. Je fus réveillée en sursaut par un cri d'Alpha:
- AU SECOURS ! VITE, LE CAMP EST EN FEU !!!
Je m'envolai à toute vitesse, affolée. Et si il était arrivé malheur à un de mes amis ? Et s'ils étaient...
je m'efforçai de ne pas penser à la vision de mes amis ensevelis sous les décombres, le feu léchant
leurs habits. J'arrivai au camp et constatai que mes amis étaient tous devant moi... sauf Eira. Je
paniquai.
- Eira ! appelai-je à m'en briser la voix. Eira !
- Elle est encore à l'intérieur ! hurla Yale pour couvrir le bruit des flammes.
Sans écouter une petite voix à l'intérieur de ma tête qui me hurlait de ne pas y aller, je plongeai dans
les flammes. J'entendis Eira hurler :
- Au secours !
- Tiens bon ! m'époumonai-je.
Je toussai et me baissai. Je collai un bout de tissu arraché à ma robe contre ma bouche et mon nez.
Enfin, j'aperçus une silhouette noire acculée par les flammes. Je déployai mes ailes, tremblotante. Si
je n'y arrivais pas, nous étions mortes. Toutes les deux. Je m'envolai sans y prendre de plaisir pour
la première fois de ma vie. La silhouette tomba par terre et je m'étouffai sous la peur. Eira était-elle
morte ? Je me serinai : « Allez, Cat, ce n'est pas le moment de flancher... »
Je pris délicatement Eira dans mes bras et la portai jusqu'au champ. Mes amis passèrent ainsi tour à
tour, jusqu'à ce que tout le monde soit rassemblé au champ. Je m'agenouillai auprès de Eira et pris
son pouls.
- Elle est vivante ! annonçai-je à mes amis, euphorique.
Je la retournais sur le dos et aperçus un petit paquet dans sa main. Curieuse, je lis
l'inscription : « Mélange de forget-me-not, de rose et de capucine ». Je souris. Alana lança :
- J'ai réussi à sauver la trousse de secours, par miracle !
Yale prit la parole :
- J'ai trouvé ça dans les flammes.
Il me tendit une carte de visite sur laquelle il était écrit : « O.C.P. 06 15 08 49 04. ».
Je serrai les dents.
- Ils auraient pu nous tuer !
- Je pense que c'était leur but, rétorqua Yale.
Je rédigeai rapidement un petit mot à l'intention d'Athéna :
« Athéna, nous avons été attaqués. L'O.C.P. a provoqué un incendie dans notre grotte et a laissé sa
carte de visite. Nous avons failli y laisser notre peau. Nous avons besoin de vous tout de suite ici. Je
vous expliquerai plus en détail de vive voix.
Votre protégée,
Cat. »
J'allai porter le mot moi-même à l'Olympe et le laissai dans les jardins. Je n'aurais pas bien été
accueillie à l'intérieur. Un mot suivit tout de suite :
« Bonjour Cat.
J'arrive tout de suite. Où êtes-vous ?
Athéna. »
« Nous sommes dans un champ en pleine floraison pas loin de chez nous .
Cat. »
Ne voyant pas de réponse arriver, je commençai à m'inquiéter. Athéna n'était toujours pas là... Je
tapotai nerveusement mes bracelets. Mes amis avaient l'air tout aussi inquiets que moi.
Trois heures plus tard, je n'y tins plus et décollai voir ce qui se passait sur l'Olympe. Tout y était
désert et vide. Je tombai enfin sur le Comité. Enfin, une personne manquait à l'appel.
- Où est Athéna ?
Sans s'étonner de ma présence ici, Zeus me répondit, tout aussi inquiet que moi :
- Elle a été enlevée.
- Comment ça ? m'étonnai-je, maintenant plus qu'inquiète.
- Des silhouettes noires ont débarqué et l'ont enlevée sous nos yeux. Ils avaient des combinaisons
qui paraissaient immunisées contre tous vos pouvoirs. Athéna m'a raconté ce qui s'était passé. Toi et
tes amis allez bien ?
- On est tous un peu secoués, mais ça va, assurai-je.
- Amène tes amis et assieds-toi dans un fauteuil. Vous pouvez disposer ! lança-t-il encore à
l'intention du Comité qui acquiesça.
Une fois mes amis arrivés et tout le monde assis, Zeus entama :
- Nous avons placé un espion à l'O.C.P. et nous avons découvert que vous aviez été rejetés parce
que vous aviez des sentiments à cause d'une erreur de calcul. Ça, je crois que vous le saviez déjà.
Ensuite, nous avons découvert qu'ils avaient relancé le projet : « Soldats Optimisés » en faisant bien
attention... et ils ont réussi.
Notre mâchoire se décrocha.
- Vous voulez dire qu'ils y a des « Soldats Optimisés » avec les mêmes pouvoirs que nous... sans
sentiments ? s'étouffa Bas.
- Je le crains, confirma Zeus. De plus, ils leur ont inventé des combinaisons noires qui résistent à
nos pouvoirs. Mais ils n'ont pas encore trouvé la formule pour contrer les vôtres. Voilà à peu près
tout ce que nous savons.
Ce fut au tour de Eira de s'étouffer :
- Vous voulez dire que ce sont ces ordures qui ont capturé Athéna ?
- Qu'est-ce qu'on attend ? lançai-je. Allons la secourir ! Nous ne la laisserons pas tomber ! Tout le
monde compte sur nous. Le sort du monde est entre nos mains, comme ils disent dans les films ! En
avant !
Je m'envolai... avant de me rappeler du plafond au-dessus de ma tête.
- Oups !
Je fis un atterrissage en catastrophe... sur le canapé. Je poussai un soupir de soulagement avant de
me tourner vers mes amis et Zeus.
- Oublions ça, d'accord ?
Ils sourirent et nous commençâmes à échafauder un plan.
Chapitre 11
Heureusement, Zeus savait où se trouvait leur base. Devant des coupes de nectar, nous nous
attelâmes à la tâche. Après une heure de travail acharné, je réclamai une pause. Mes amis et Zeus
partirent flâner dans les jardins, mais moi, je voulais admirer les tapisseries rouge et or de cette
salle. Je m'approchai de l'une d'entre elles et perçut un courant d'air. Y avait-t-il un passage secret ?
Je tâtai le mur, et... la tapisserie coulissa, dévoilant un long et noir couloir. J'allumai une flamme
pour éclairer. Dansant dans ma main, son ombre se projetait sur le mur en pierre, créant une
atmosphère effrayante. À propos du mur... je distinguai des symboles gravés en haut. Eh, mais... ce
n'étaient pas des symboles ! C'étaient des chiffres !
Je cessai de m'appuyer à la tapisserie et allai examiner de plus près ces chiffres. Tout à coup, la
porte se referma derrière moi et je sursautai. Je tambourinai en vain. De plus, mes amis ne
risquaient pas de m'entendre et de me libérer ; la tapisserie étouffait les sons. Si j'étais coincée ici,
autant en profiter pour explorer... J'eus soudain une idée à propos des nombres. Je sortis mon petit
carnet de ma poche et trouvai le code que je cherchais, celui que j'avais transcrit à l'entrée des
souterrains. Ma flamme s'éteignit et avec le froid qui régnait dans ce royaume secret, je ne parvins
pas à la rallumer. Je traduisis les nombres, ce qui donna « Le sang est nécessaire. Il peut ouvrir
toutes les portes ». Je fronçai les sourcils. Je ne comprenais pas. Je décidai de continuer d'avancer.
Je commençais à grelotter. Si je n'étais pas bientôt libérée de ce couloir, j'allais mourir de froid !
J'avançai prudemment... et je me cognai contre un mur de pierre. Quoi ? Non, ce n'était pas possible
! Je ne pouvaispas mourir ici, après tout ce chemin ! Désespérée, je m'adossai au mur. Je cherchai
fébrilement un mécanisme. Mes doigts frottaient sur la pierre rugueuse et froide. Je me coupai.
J'étouffai un cri de douleur et du sang coula sur la pierre... qui s'ouvrit.
- Oh !
Je réfléchis. Bon. Il valait mieux prévenir les autres avant de s'engouffrer dans l'ouverture béante. Si
le sang avait pu ouvrir cette porte, il pourrait sans doute ouvrir aussi celle qui menait devant la
tapisserie. Je pressai mon doigt coupé contre la porte et celle-ci s'ouvrit enfin. Je suçai mon doigt et
prévins les autres.
Zeus hallucinait.
-Tu veux dire que ce n'est peut-être pas le seul ? Dans MON palais, il y a des passages secrets ?
-Tout doux, l'apaisai-je. Venez, je connais le chemin ! Heureusement qu'ici, ce n'est pas un musée...
Alana rit. Elle avait compris la référence à « Indiana Jones ». Je renonçai à expliquer à Yale, Kie,
Bas, Eira et Zeus qui nous dévisageaient d'un air perplexe. Alana et moi fûmes prises d'un fou rire.
-Bon, on y va ? s'impatienta Yale, vexé de ne pas comprendre.
Je les menai vers le passage secret, qui s'était refermé. Je fis encore couler mon sang. Le passage
s'ouvrit à nouveau. J'allumai une flamme et Zeus me passa des bouts de bois pour que je les
transforme en torches. Une fois tout le monde muni d'un bout de bois enflammé, j'entrai
prudemment... et tombai. Il y avait des pièges ici ! J'hurlai. Des araignées rampaient lentement sur
tout mon corps. Les araignées étaient ma plus grande terreur.
-Au secours ! Au secours !
Je fis surgir une boule de feu dans ma main et la projetai sur les araignées. Celles qui restaient
reculèrent, effrayées. Je déployai mes ailes et remontai.
-Ça va ? s'enquirent mes amis, inquiets.
-Aussi bien qu'on peut aller après s'être trouvé nez à nez avec sa pire phobie, maugréai-je. Zeus, il
ne te reste pas quelques bouts de bois, par hasard ?
-Si, pourquoi ? fit-il, étonné.
-On les lancera devant nous, comme ça, ils se prendront les pièges à notre place !
-Bonne idée, approuva Bas.
Kie et les autres hochèrent la tête.
-Allons-y ! Qui est-ce qui lance bien ?
-Je faisais du lancer de javelot, avant... tout ça... dit Bas, timidement.
-Parfait ! l'encouragea Alana. Vas-y !
Son lancer était parfait. Nous nous extasiâmes et il rougit.
Après une bonne heure, nous arrivâmes enfin au bout du couloir. Il y avait un nouveau message en
langage codé, que je traduisis. Cela donnait :
« Toi, étranger à ces lieux, si tu veux savoir et obtenir ta récompense, tu devras passer trois
épreuves. Pour la première, va dans le premier couloir. Pour la deuxième, dans le second. Et pour la
dernière, dans le troisième. »
Nous échangeâmes un regard. Tout cela ne présageait rien de bon... Soudain, Zeus cria. Il était
enfermé dans une cage en or. Sur cette cage était épinglé encore un message :
« Étrangers en ces lieux, votre ami ne peut passer les épreuves. En revanche, si vous réussissez les
épreuves, vous pourrez le délivrer. »
Nous échangeâmes un regard entendu. Nous devions le secourir, que ça lui plaise ou non. Bien
entendu, il essaya de nous en empêcher :
-Si vous faites ça, vous aurez affaire au dieu des dieux...
-Oulà ! fit Alana, sarcastique. Le problème, c'est qu'il est enfermé... pas de chance !
Je renchéris :
-Nous tremblons, ô Grand Zeus !
Nous nous moquâmes et nous dirigeâmes vers la porte d'un pas mal assuré. Nous avions beau faire
les fiers, nous n'en étions pas rassurés pour autant. La première épreuve semblait être un labyrinthe.
-Un labyrinthe ? Trop facile ! lança Kie d'une voix tremblante. J'ai un bon sens de l'orientation.
Je ne demandais pas mieux.
-Alors, te voici notre guide !
Il se tassa un peu sur lui-même, angoissé de ne pas être à la hauteur. Eira, essayant de le réconforter,
me fusilla du regard. Je lui rendis un haussement d'épaules désolé et nous nous remîmes en route.
Kie nous orientait avec perfection et nous aperçûmes vite la fin. Courant, fou de joie, il tomba. Il
poussa un cri de douleur :
-Aïe !
Eira courut auprès de lui et tâta sa cheville.
-Il a au moins une belle entorse, annonça-t-elle avec une grimace. Je vais rester avec lui pour le
soigner. Continuez sans nous.
Nous poursuivîmes notre chemin, notre petit groupe réduit. La prochaine épreuve était un grande
jungle.
-Alana, Bas ? Les plantes, c'est votre truc, non ? À vous de jouer, lança Yale. Ils acquiescèrent
bravement et nous marchâmes, l'un des deux touchant parfois une plante pour nous orienter à leur
tour. Alana, curieuse, s'approcha d'une plante.
-Attention ! la prévint Bas. C'est une...
Mais trop tard. Alana avait été avalée par de grandes dents. Elle était tombée dans une plante
carnivore. Nous entendîmes des gémissements étouffés :
-Au secours ! Au sec...
Sans réfléchir, Bas plongea dans la plante pour la secourir. Quelques minutes plus tard, il revenait,
ensanglanté, avec une Alana dans le même état dans ses bras. Elle était évanouie. Il ne tarda pas à
l'être à son tour et nous dûmes, avec Yale, se séparer d'eux, bien que de mauvaise grâce. Nous
n'étions désormais plus que deux et commencions à avoir peur. Quand nous passâmes la troisième
porte, nous vîmes un spectacle à la fois impressionnant et terrifiant.
-Wouaouh. fîmes-nous en chœur, bouche bée.
Un pont de pierre large de cinq centimètres se dressait devant nos yeux ébahis.
-Nous... nous allons devoir le traverser ? balbutia Yale.
-Je crois bien, oui, fis-je d'une voix moins sûre que je ne l'aurai voulu. Allons-y !
-À toi l'honneur !
J'avançai. Le pont craqua un peu. Je frissonnai, manquant de tomber. J'arrivai au milieu du pont.
J'appelai Yale.
-C'est bon, je suis au milieu, tu peux venir !
Il acquiesça et s'avança d'un pas hésitant. Je l'encourageai :
-Vas-y !
Je repris ma route. J'arrivai enfin au bout. Yale, lui, était au milieu. Soudain, le pont ploya... puis
s'effondra. Yale hurla. Ou moi. J'étais tellement en état de choc, de panique, que j'ai beaucoup de
mal à me rappeler ce moment. Je le rattrapai grâce à un lasso de feu à trente centimètres du sol. Je
n'avais pas eu le temps de voler. J'allais le déposer près de moi, mais une barrière de verre se dressa
entre nous. Yale était tout blanc. Il perdit conscience à son tour. J'étais désormais seule.
Rassemblant toutes mes forces, je projetai Yale de l'autre côté avec le lasso. J'arrivai le bout. Là
m'attendait le moment le plus étrange de ma vie. Je me faisais face à... moi-même. Non pas un
miroir ou autre artifice, mais une vraie moi en chair et en os. Elle était vêtue des mêmes vêtements
que moi et me ressemblait en tout points. Elle ricana.
-Enchantée. Je suis une riddok. Je suis ton... sosie, si l'on peut dire.
Elle me donna un coup de poing au ventre si violent qu'il me fit reculer de quelques mètres.
-Et, lança-t-elle avec un sourire désolé, comme tu l'auras deviné... je ne suis pas de ton côté.
Elle eut un rictus mauvais. Je lui lançai un énorme coup de pied au même endroit où ell m'avait
touchée la première fois, c'est-à-dire au ventre. Tout sourire s'effaça de son visage. Elle se jeta sur
moi avec un cri sauvage, que je lui rendis. Nous fîmes un long corps-à-corps. Plus je me fatiguais,
plus elle gagnait en énergie. Je compris enfin.
-C'est fini. Tu as perdu. J'ai compris.
Je m'assis à terre, la regardai droit dans les yeux, en tailleur, et me mis à méditer, récupérant peu à
peu de l'énergie. Elle, au contraire, semblait se vider. Des cernes apparurent sous ses yeux, sa peau
se creusa. Elle était désormais blanche comme un linge. Pour finir, elle se désintégra. Une voix
résonna :
- Je te félicite ; tu as réussi les épreuves ! Tu as droit à une récompense !
Trois plumes rouge feu comme mes yeux et mes cheveux apparurent. La voix reprit la parole :
-Ce sont des plumes de phénix. À chaque fois que tu en lances une en l'air, ton vœu sera exaucé.
Je m'évanouis enfin, épuisée.
Chapitre 12
Lorsque je me réveillai, je n'étais pas dans le passage secret, ni même dans la grotte. Je clignai des
yeux plusieurs fois, ébahie par la luminosité ambiante. Ma vision se précisa peu à peu et je finis par
distinguer les couleurs principales de mon environnement. La couleur la plus présente était le vert.
Il y en avait partout, du vert clair au vert bouteille, en passant par le vert sapin. J'aperçus un écran
devant moi. Dessus, on voyait des voitures de police avec les sirènes allumées qui circulaient
partout, des ambulances qui remplissaient les rues des villes, des lumières rouges qui clignotaient et
le mot SOS qui était répété par une voix de robot monocorde. Zoom sur la tour Eiffel. Tout en haut
se trouvaient deux hommes. Le premier s'adressa au deuxième :
-Tout est prêt, Pierre ?
-Oui, docteur Erkino, répondit le nommé Pierre d'une voix posée.
Derrière eux surgirent six enfants, trois filles et trois garçons. La première possédait des ailes
semblables aux miennes, mais en noir. Tous les autres étaient les portraits crachés de mes amis,
excepté leurs expressions. Ils affichaient tous un rictus malfaisant, au lieu des sourires de mes
camarades. Je me levai. Mes jambes refusant de me porter, je tombai. Qu'à cela ne tienne ! Je
déployai mes ailes sans quitter l'écran des yeux. En face d'eux apparurent mes amis. Ils allaient les
affronter et je n'étais même pas à leurs côtés ! Je sautai dans le vide et battis des ailes. J'allais les
rejoindre coûte que coûte.
-Attends ! me lança une voix.
Mais j'étais déjà trop loin pour l'entendre. Je volai à ma vitesse maximale, indifférente à mes
courbatures et à mon corps encore blessé qui m'élançait à chaque mouvement. Cap sur Paris. Quand
enfin Paris fut en vue, ce fut encore pire que ce que j'imaginais. Le chaos avait pris possession de
Paris. Mes amis étaient dans un état lamentable, mais ils reprirent courage quand ils me virent. Mon
double maléfique se dirigea vers moi, un sourire mauvais aux lèvres.
-Alors, on est en retard ? me railla-t-elle.
Je serrai les dents. Je projetai de toutes mes forces une boule de feu sur elle, mais elle l'évita sans
difficulté.
-Comment t'appelles-tu ? lançai-je.
Son prénom pouvait receler un indice...
-Moi ? Tu peux m'appeler Nirtac.
Évidemment... :
Catrin
catriN
Nirtac
Je maugréai dans ma barbe.
Nous passâmes rapidement au corps-à-corps. Je ne m'étais pas entraînée depuis des mois et j'étais
rouillée, mais je retrouvai vite ma dextérité d'antan. Soudain, je sentis qu'on me tirait. Je regardai
dans l'air... j'étais tirée par un petit filin solidement enroulé autour de mes ailes attaché à un
hélicoptère. Mes amis étaient également attachés à côté de moi.
-Eh ! fis-je.
Si ceux qui m'avaient capturée m'avaient vraiment voulu du mal, je serais déjà droguée et ligotée. Je
repensai à a voix qui m'avait lancé « Attends ! » et aux draps propres dans lesquels j'étais quand je
m'étais réveillée.
-Nous ne te voulons pas de mal, lança la même voix que celle qui m'avait interpellée à mon réveil,
comme si elle lisait dans mes pensées.
Nirtac esquissa un rictus de colère.
-On se reverra, espèce de minable !
Chapitre 13
Après, tout est flou. Je me souviens vaguement avoir été emmenée dans la même chambre que celle
dans laquelle j'étais avant de partir aider mes amis. Une compresse fraîche sur mon front me
réveilla.
-Athéna ? murmurai-je, délirant à moitié.
Ma vision était floue.
-Elle a besoin de temps... elle va guérir, dites ? Elle va se remettre...
Toutes ces voix se mélangeaient dans ma tête. Je finis par m'endormir.
Yale hurla et me tendit la main. Au bord du gouffre, j'essayai de l'attraper, mais plus je me
rapprochais, plus il s'éloignait. Il tomba enfin dans l'obscurité.
-AAAAAAAaaaaaaaah !!! hurlai-je. Je me réveillai, en sueur.
-Cat ! s'exclama Yale. Il avait l'air pâle et fatigué, et il avait des cernes jusqu'aux joues.
-Tu as une tête de déterré.
-Ça fait toujours plaisir...
Je soupirai, fatiguée.
-Que s'est-il passé ? Où suis-je ?
-Nous sommes à Arcadia, me révéla mon ami.
Voyant que je fronçais les sourcils, il poursuivit mais fut interrompu par une créature blonde
humanoïde aux oreilles pointues et avec la taille élancée à la voix de miel :
-Arcadia est le pays des elfes. Je m'appelle Alinwë.
-Des elfes ? répétai-je, abasourdie.
-Oui. J'en suis une, et toi aussi, Cat. Ici, tu pourras t'entraîner pour développer ton pouvoir spécial
avec tes amis, et trouver ton alternative animale.
-Moi aussi ?!!! Pouvoir spécial ? Alternative animale ?
-Dis-moi, dit l'elfe appelé Alinwë, s'adressant à Yale, es-tu sûr que ce n'est pas un perroquet ?
-Certain, confirma-t-il en pouffant.
Je lui tirai la langue, mais cela ne le fit que rire encore plus.
-Je suis certain que tu as beaucoup de questions, reprit l'elfe. Et tu auras les réponses le moment
venu.
Je tournai des yeux suppliants vers Yale, qui haussa les épaules d'un air désespéré et me dit :
-Ils nous disent ça depuis qu'on est arrivés ici, et on n'a pas réussi à leur extorquer la réponse...
Je me levai d'un bond et courus hors de la pièce.
-Où sont les autres ? lui demandai-je sans cesser de courir.
-Dans une pièce au fond, suis-moi !
Yale m'emboîta le pas.
En courant, je n'avais pas vraiment le temps de regarder autour de moi, mais une couleur était
particulièrement présente dans mon environnement : du vert. J'aperçus enfin mes amis en train de
discuter autour d'une tasse de thé et je poussai un soupir de soulagement. J'étais heureuse de les
constater sains et saufs.
-Qu'est-ce qui se passe ici ? demandai-je, désemparée. On m'a dit... on m'a dit...
Les larmes commencèrent à affluer. Je ne voulais surtout pas que ceux qui me considéraient comme
leur leader me voient pleurer alors, je fis ce que je savais le mieux faire : je repartis en courant et
m'envolai le plus loin possible de cet endroit. J'atterris dans une clairière, toujours trop près à mon
goût de ce lieu étrange où je m'étais réveillée, mais j'étais trop exténuée pour faire un kilomètre de
plus. Je chancelai et tombai dans l'herbe. Je me recroquevillai sur moi-même en position fœtale et
m'endormis encore. Quand je me réveillai, la nuit était tombée et je reconnaissais plus les environs.
Saisie de panique, je me retournai dans tous les sens dans l'espoir vain de retrouver d'où je venais.
Je tentai de déployer mes ailes, mais j'avais déjà fait énormément de trajet aujourd'hui, sans compter
mon combat de la veille. J'étais incapable de voler. Je ne m'étais jamais sentie aussi dépourvue de
moyens de ma vie. Une fois qu'on développe des capacités, si on en est privé, on ne sait plus se
débrouiller sans. Dans ce cas précis, j'avais surestimé mes capacités ou au moins mon énergie et
j'étais maintenant sans défenses au milieu d'une forêt que je connaissais pas avec je ne sais quelles
bêtes aux environs. Désespérée, je passai en revue toutes mes options. Je pouvais soit grimper dans
un arbre en espérant avoir assez de force et en priant pour qu'aucune créature, ou même ennemi ne
me trouve, soit errer dans la forêt en cherchant une sortie que j'aurais probablement du mal à
retrouver dans le noir, soit essayer de contacter les autres par télépathie, mais même si j'y arrivais, je
serais bien incapable de leur décrire l'endroit où j'étais pour que l'un d'eux puisse me chercher. De
plus, ils dormaient probablement à cette heure-ci. Je me maudis à voix basse. Quelle idée j'avais eu
de partir sur un coup de tête n'importe où et de m'endormir... C'est à ce point de mes réflexions que
j'en étais lorsque j'entendis une brindille craquer derrière moi. Je sursautai et survolai rapidement les
environs du regard dans l'espoir de trouver une arme, si inoffensive soit-elle (ce que j'aurais dû faire
depuis le début). J'aperçus une branche assez épaisse par terre et je me jetai dessus. J'atterris trois
mètres plus loin. Un énorme loup venait de sauter sur moi, les babines retroussées. J'essayai
d'appeler Alpha par la pensée, mais silence radio. Il devait encore être endormi. Le gros loup fonça
sur moi et je poussai un cri en le frappant le plus fort possible avec mon poing. Cela n'eut aucun
effet. Je courus le plus vite possible en direction du bâton, que je parvins tant bien que mal à saisir.
Je sentis tout à coup une douleur foudroyante dans ma jambe et serrai les dents, des larmes
aveuglant mes yeux pour la deuxième fois de la journée. Une énorme morsure couvrait mon tibia,
dégoulinant de sang. Le loup galopa vers moi et me plaqua au sol. Je sentis son haleine chaude
contre mon visage et... Il valsa par terre. Eira à côté de lui et l'assomma à l'aide d'une massue,
qu'elle s'était procurée probablement chez les soi-disants elfes. Yale, Alana, Kie et Bas se
précipitèrent vers moi, inquiets. Je les enlaçai avec bonheur.
-Merci... merci. murmurai-je, ne trouvant rien d'autre à dire.
-Tout va bien, chuchota Eira, ayant laissé son adversaire de côté. Tu peux dormir. Alpha ne devrait
pas tarder à arriver.
Et en effet, je sentis un museau mouillé mais doux me toucher le visage alors que je fermais les
yeux.
Yale demanda :
-Est-ce que tu veux que je t'endorme ?
-Oui, acceptai-je avec soulagement.
La douleur devenait presque insoutenable. On me hissa sur le dos d'Alpha et je sombrai aussitôt.
Chapitre 14
Mes yeux s'ouvrirent sur les visages de mes amis, penchés sur moi. Curieuse, je les refermai
aussitôt dans le but d'entendre leur conversation.
-profonde, résonna la voix de Kie. Le bandage ne tiendra peut-être pas longtemps ?
-Est-ce qu'on peut faire quelque chose ? fit la voix de Yale, teintée d'inquiétude.
Je détestais le fait d'être la cause de cette inquiétude chez mes amis. En particulier chez lui. Je me
demandai distraitement pourquoi mais fus écartée de mes pensées par cette phrase :
-Non, je ne pense pas. Elle seule est capable de nous aider pour ça. J'espère qu'elle se réveillera
bientôt.
Je ressentis un sentiment familier depuis quelque temps : la culpabilité. Je rouvris aussitôt les yeux.
-Bonjour, p'tite marmotte ! fit Eira affectueusement.
-Salut... fis-je d'une voix pâteuse. Vous avez besoin de mon aide ?
Eira leva les yeux au ciel.
-À peine réveillée, et tu veux déjà aider. Tu es en convalescence !
-Oui, mais... protestai-je.
-Pas de mais, m'interrompit Yale. Eira a raison, tu dois te reposer.
J'implorai les autres du regard mais tous esquissèrent un hochement de tête négatif. Je soupirai.
-Désolée, mais j'ai l'impression que je ne fais que ça ! Vous avez besoin de moi !
-Ne t'inquiète pas, ce n'est pas urgent. contra Kie, inflexible.
J'abandonnai et pris le temps de regarder autour de moi. Je me trouvais dans une nouvelle grotte, à
moitié décorée. Les affaires de mes amis jonchaient le sol.
-Est-ce que c'est ce que je pense que c'est ?
-Une nouvelle maison, pour un nouveau départ. acquiesça Eira. On s'est dit que tu ne voudrais
probablement pas retourner chez les « elfes ».
-Vous avez eu raison, souris-je. Merci beaucoup.
C'est alors que je réalisai.
-Où sont Alana et Bas ?
-Je ne sais pas... fit mon amie en haussant les épaules. Ils sont partis tous les deux il y a un quart
d'heure en gloussant comme des...
Elle s'interrompit.
-Tu penses à ce que je pense ? trépigna-t-elle.
J'étouffai une exclamation.
-Est-ce qu'ils pourraient... oh !
Je retenais à grand peine mon excitation.
Les garçons nous dévisageaient, perplexes.
-Quoi ? interrogea Yale.
Je souris.
-T'inquiète !
Alana et Bas revinrent une bonne heure plus tard et je remarquai qu'ils se tenaient la main.
Je souris encore une fois en pointant du doigt à Eira leurs mains entrelacées. Lorsqu'ils
remarquèrent notre attention, ils s'écartèrent l'un de l'autre avec hâte, en rougissant. Yale comprit
enfin et son visage s'illumina. Il formula à voix haute ce que nous pensions tous :
-Alors comme ça, c'est officiel ?
Alana bafouilla :
-Hein ? Quoi ? Euh... oui ?
Nous rîmes et prîmes l'heureux couple dans nos bras.
Gênés, ils reculèrent et Bas dit :
- Vous savez... ce n'est pas la peine d'en faire toute une histoire, hein... c'est juste arrivé comme ça...
Eira coupa court à la discussion, aussi pressée que moi d'en savoir plus :
-Ok, pas de problème ! Nous entrainâmes Alana par le bras et lui demandâmes :
-Raconte !
Elle nous lança un sourire entendu.
-Peut-être plus tard...
-Oh, allez !
-Bon, d'accord !
Elle fit mine de soupirer mais je voyais bien qu'elle mourait d'envie de nous raconter.
Elle commença :
-Tout a débuté quand on s'est retrouvés chez les elfes... Il était blessé, et je me rendais compte que
ça me rendait plus malheureuse que ça l'aurait probablement dû. Une fois qu'il a été guéri, on a
commencé à discuter de plus en plus souvent, et de choses de plus en plus personnelles. Après, il y a
eu toute l'histoire avec Cat et le loup, et on s'est retrouvés ici. Il m'a proposé une balade pour me
changer les idées, parce qu'après ce qui t'est arrivé, j'ai commencé à douter de tout...
Nous nous serrâmes contre elle pour la réconforter et elle poursuivit son histoire :
-Donc, on a fait un tour et il m'a dit qu'il m'aimait... plus que comme une amie, et c'était
réciproque... ensuite, ce qui s'est passé, ce sont nos affaires.
Nous sourîmes, heureuses pour elle.
Toutefois, je dûs reléguer dans un coin de mon esprit un tracas qui revient au galop sitôt que je fus
seule : les sentiments qu'Alana avait décrits m'étaient familiers. Mais je ne voulais pas les ressentir,
de peur de plonger qui que ce soit dans les dangers qui m'attendaient, moi encore plus que mes
amis.
Les jours qui suivirent, je me plongeai corps et âme dans le travail pour oublier ces émotions. En
vain.
Eira me tira de mes pensées :
-Ça, va, Eni ?
-Oui, très bien, mentis-je en baissant les yeux. Pourquoi ?
Elle me dévisagea.
-Rien, c'est juste que ces temps-ci, tu as l'air... ailleurs.
Je me sentis coupable de lui mentir, mais à quoi bon lui en parler ? Elle ne pourrait pas m'aider, et
de plus, j'étais sûre que mon problème disparaitrait assez tôt tout seul. Du moins, je l'espérais. Je
revins brutalement dans le présent.
-Ah, oui... pardon si c'est ce que tu ressens. Je suis juste un peu... fatiguée.
Son regard perplexe et triste me suivit longtemps. Mon amie sentait bien que quelque chose n'allait
pas, et elle était blessée que je ne lui en parle pas. Mon quotidien devint rapidement monotone ; je
m'enfonçais de plus en plus dans ma solitude, et ne parlais presque plus. Mes amis avaient
abandonné toute tentative de me parler. Leurs regards tristes m'effleuraient de temps en temps, et ils
constituaient désormais presque ma seule source de contact avec eux.
Un beau jour, alors que j'allais remplir l'eau au puits, le seau bascula et moi avec. Je tombai dans le
puits. J'atterris lourdement et douloureusement sur le dos et perdis connaissance pendant un temps
indéterminé. Quand je me réveillai, il faisait nuit. Les murs du puits étaient glissants, lisses, et
étroits, ce qui le rendait impossible à escalader et mes ailes étaient trop grandes pour se déployer.
J'appelai, désemparée, mais le puits était à plus de deux kilomètres de la grotte, et bien évidemment,
je n'avais pas pris la peine d'informer mes « amis » d'où j'allais. Je pleurai, regrettant enfin ces
dernières semaines. J'aurais dû leur dire. J'aurais dû lui dire. J'étais devenue une épave, à peine
consciente. Et mes amis avaient continué jusqu'au bout à me parler. Ils tenaient à moi. Il tenait à
moi. Je commençai à gratter la terre sur laquelle j'étais avec mes ongles, dans l'espoir de pouvoir
creuser un tunnel jusqu'à l'autre côté. Mes doigts, gelés, commençaient à saigner, ce qui n'était pas
bon signe. De plus, la faim et la soif se faisaient sentir. Je grelottais. Des heures plus tard, je
souffrais le martyre à cause de mes doigts, que je n'avais pas réussi à réchauffer. Mais j'apercevais,
au sens propre, la lumière au bout du tunnel. Pleurant de soulagement, je me glissai à travers la
terre, n'ayant qu'une envie : m'allonger par terre et fermer les yeux, laisser la douleur derrière moi,
enfin. Mais mon besoin de vivre était trop fort. Je puisai, je ne sais où, la dernière force de me
traîner jusqu'à l'entrée de la grotte, où mes amis me trouvèrent avec joie quelques minutes plus tard.
Cette joie disparut rapidement quand ils constatèrent l'état dans lequel j'étais. Mes doigts étaient
pleins d'engelures, prêts à tomber. J'étais épuisée, affamée, assoiffée, couverte de terre et certains de
mes ongles étaient arrachés. Ils me couvrirent de couvertures, me servirent un chocolat chaud, et
Eira m'emmena prendre un bain réchauffé par mes soins, quelques jours avant, de la flamme
éternelle. J'observais tout ça avec un œil extérieur, à semi consciente. Yale me porta jusqu'à mon lit,
où les mêmes couvertures me rejoignirent. Il embrassa mon front, pensant à tort que je dormais :
-Bonne nuit, Eni.
Mon cœur battit plus fort, mais il sortit de ma chambre (enfin, de ma section de la grotte). Cette
nuit-là, pour la première fois depuis des semaines, je dormis d'un sommeil sans rêves.
Le lendemain matin, lorsque je me levai, mes amis s'empressèrent de me soutenir jusqu'à la table
improvisée, regorgeant de mes baies préférées. Je leur souris, mi- gênée mi- honteuse.
Je pris la parole :
-Les gars... je voulais vraiment vous présenter mes excuses. Je sais que mon comportement avec
vous n'a pas été des plus agréables... a même été, pour être franche, invivable ces derniers temps. Et
vous avez quand même continué à me soutenir et à m'aider quand j'avais besoin de vous. Pour ça, je
vous remerc...
Mes derniers mots furent étouffés par l'étreinte de Eira qui avait été la première à s'avancer vers
moi. Puis ce fut le tour de Kie, Alana, Bas et enfin Yale. Je lui lançai un sourire hésitant. Après hier
soir, l'atmosphère était un peu... bizarre entre nous. Il ne savait bien entendu rien du fait que j'étais
réveillée lorsqu'il m'avait dit bonne nuit, mais il sentait que mon attitude vis-à-vis de lui était encore
plus différente qu'elle n'avait commencé à être il y a quelques semaines, au moment où j'avais
réalisé que j'avais des sentiments pour lui. Je décidai alors de prendre Eira à part et de tout lui
révéler. Je ne pouvais pas garder ce secret encore très longtemps et elle était devenue mon amie la
plus proche. Aussitôt dit, aussitôt fait. Elle parut soulagée de savoir enfin ce qu'il se passait, plutôt
que fâchée que je ne lui en aie pas parlé plus tôt. Elle confirma ma pensée :
-Merci de m'avoir dit. Maintenant, promets-moi qu'il n'y aura plus de secrets entre nous, s'il te plaît.
Je ne veux pas que ça recommence. Ces dernières semaines ont peut-être été les plus longues et les
plus désagréables de ma vie, même en comptant l'époque où j'étais à l'orphelinat !
-C'est promis, fis-je solennellement. Plus de secrets.
Elle esquissa un sourire.
-Tant mieux. Pour en revenir à ton problème... tu devrais lui en parler.
-Hors de question, la coupai-je. Je suis sûre de deux choses :
1- Ce n'est pas réciproque.
2-Je ne veux pas entrainer, ni Yale ni qui que ce soit, dans mes problèmes.
Eira remarqua l'usage du surnom et je rougis.
-Oui, bon, on t'appelle bien Eira et on appelle aussi les autres Kie et Bas. Donc je ne vois pas où est
le problème.
Elle me lança un clin d'œil complice :
-Mais je n'ai rien dit ! Si tu ne veux rien dire à Yale, alors tu devrais demander conseil à Alana, elle
s'y connaît mieux que moi sur ce genre de choses. Et puis regarde, ça lui a réussi !
-Tu as raison, soupirai-je, loin d'être ravie de devoir mettre une personne de plus dans la confidence
(ça faisait un risque de plus qu'elle soit ébruitée), mais me résignant.
-Bref, bon appétit ! Je vais aller chercher à manger, et peut être même que j'irai dans un
supermarché !
-Oh oui ! la suppliai-je.
Elle rit.
-On verra...
Je la regardai partir et revins dans la section principale pour entamer mon petit déjeuner. Alana et
Bas m'abordèrent alors que j'attaquais ma troisième grappe de baies de sureau.
-Salut ! Encore une fois, on est ravis que tu sois redevenue toi-même, m'assura Alana. Dis-moi, on
avait une suggestion pour toi, vu qu'avant... tu sais, on t'avait nommée... cheffe du groupe, et tout...
Je lui fis signe d'accoucher. Elle se reprit :
-Désolée. Donc on se disait que peut-être qu'on pourrait construire notre maison ici ? Je veux dire,
notre vraie maison. Avec des planches, un toit, des vrais meubles... on est tous prêts à construire,
Bas est un pro ! Il adorait le bricolage, avant. Et pour le matériel, les humains ont laissé dans le coin
une usine désaffectée avec plein de bois ! En plus, ici on est vraiment au milieu de rien, donc c'est
un endroit sûr... t'en penses quoi ?
-Je sais pas, réfléchis-je. C'est un gros projet et ça prendra beaucoup de nos forces, mais c'est vrai
qu'avec nos capacités, c'est envisageable. Hum... laisse-moi une semaine pour réfléchir, et si c'est
bon, je présenterai ton projet au reste du groupe avec mon appui favorable. Tu en dis quoi ?
-Merci d'y réfléchir, déjà !
Les deux membres du groupe étaient ravis. J'étais heureuse d'avoir provoqué cette étincelle de joie,
pour une fois. Je tins ma promesse et y réfléchis jusqu'à la fin de la semaine, où je leur répondis
évidemment oui. Ma présentation du projet suscita beaucoup d'enthousiasme et tout le monde
repartit content (y compris moi). Nous avions fixé la date de début des travaux pour le milieu de la
semaine suivante. Puisque nous allions nous lancer dans un gros projet, autant faire ça bien. En
attendant, nous allions tous profiter de quelques jours de repos bien mérités. Environ deux jours
après la décision du groupe, Eira vint me voir :
-Salut Eni, ça va ? Dis-moi, tu as parlé avec Alana de... tu sais quoi ?
Stressée, je jetai un coup d'œil nerveux aux environs.
-Baisse d'un ton ! sifflai-je.
Mais Eira avait pris soin de choisir un endroit désert, et je n'avais en fait rien à lui reprocher. Elle
passa outre ma réaction excessive, et m'interrogea du regard. Évitant ses yeux, je baissai la tête, ce
que mon amie interpréta à juste terme comme un non. Elle soupira :
-C'est ton problème, mais ne viens pas te plaindre après que je n'ai rien fait ! Je ne peux pas tout
faire à ta place.
Fâchée par mon absence de réponse, elle s'éloigna. Je voulus la retenir, mais je ne savais pas quoi
dire. Je baissai le bras et décidai qu'il était temps de parler à Alana dès que possible.
Yale s'approcha.
-Salut ! Qu'est-ce qu'il s'est passé avec Eira ?
J'hésitai, ne voulant pas lui mentir ni, évidemment, lui expliquer la situation en détail.
-Rien, t'inquiète. Je devais parler à Alana d'un truc et j'ai oublié.
Il insista :
-Ah, oui ? Quoi donc ? Si tu veux, je peux le faire pour toi !
Agacée, je répondis :
-Non non, c'est un truc entre nous. Je pourrai lui dire moi-même.
Sur ce, je tournai les talons. Super... maintenant, j'avais mis Eira en colère et déçu Yale. Cette
histoire ne me causait décidément que des ennuis.
Chapitre 15
Pour me vider l'esprit et trouver le courage de parler à Alana, je partis faire une balade. Je pris
cependant soin d'emmener Alpha, qui se sentait un peu délaissé en ce moment, tout le groupe étant
très occupé à préparer les travaux à venir. Perdue dans mes pensées, je n'aperçus pas la silhouette
noire derrière moi et m'enfonçai dans la forêt. Le sol en terre battue crissait sous mes pieds et les
grands arbres d'un magnifique vert me protégeaient de la chaleur étouffante qui régnait. Pourtant, on
était déjà au mois de septembre... Je repensai à tout ce que j'avais vécu depuis ma rencontre avec les
autres membres du groupe. Je les connaissais depuis, quoi ? 8 mois ? Mais ils étaient devenus ma
famille... je me remémorai l'époque de l'orphelinat. L'époque où les insectes pullulaient dans mon
matelas, où nous nous faisions aboyer dessus pour le moindre pas de travers. Je me demandai ce
que les gens qui nous élevaient penseraient de moi à présent. Je n'étais pas humaine, j'avais failli
tuer des gens... et le pire, c'était que je ne m'en étais même pas empêchée seule. Yale et les autres
avaient dû me retenir, et pas qu'une seule fois. Oui, ils me détesteraient probablement en se disant
qu'ils auraient dû me tuer dès mon arrivée à l'orphelinat, et ils auraient peut-être raison. Me
distrayant de mes pensées, Alpha, la queue entre les pattes, pressa son museau mouillé contre ma
cuisse. Il avait l'air inquiet.
-Alpha ? murmurai-je d'une voix qui se voulait rassurante.
Il gémit doucement.
-Que se passe-t-il, mon beau ?
Je gratouillai doucement son menton dans l'espoir de le calmer. Il geignit de plus belle et un frisson
me parcourut. Sa panique me gagnait progressivement. Les arbres qui tout à l'heure me paraissaient
empreints de magie et de beauté faisaient maintenant planer une ombre de danger sur moi, et j'avais
l'impression que la température tout à l'heure si élevée avait beaucoup baissé. Préoccupée, je me
résolus à rentrer et affronter les foudres de mes amis (que j'avais probablement méritées). J'entendis
un petit craquement derrière moi et, peu rassurée, je me retournai après avoir constaté qu'aucune
présence ne se faisait connaître. Je grimpai sur le dos d'Alpha et sa panique le fit galoper encore
plus vite que d'habitude. Plongée dans mes idées noires qui avaient repris le dessus, je ne fis pas
attention au trajet qui passa en un éclair. Morose, je posai le pied à terre. Alana s'approcha de moi et
s'enquit doucement :
-Tout va bien ?
J'esquissai un hochement de tête, et, comprenant le message sous-entendu, me laissa tranquille. Je
regrettai aussitôt son absence. Elle, elle aurait pu chasser ma mauvaise humeur et au moins, je
n'étais pas (ou du moins pas encore) fâchée contre elle. La pierre froide qui m'entourait n'arrangeait
rien à mes frissons qui augmentaient de plus en plus. Je jetai un rapide coup d'œil à la montre de
Yale qui gisait sur le sol gris. Elle affichait 20h56. Malgré l'heure presque laquelle je ne me
couchais jamais, je décidai d'aller au lit. Demain serait un autre jour et peut-être que Yale et Eira
m'auraient pardonné. Toutefois, une fois sous les couvertures épaisses qui faisaient office de
couette, non seulement je grelottai de plus en plus, mais mes pensées, envahissant ma tête,
m'empêchaient de dormir. Je gémis de dépit et enfouis ma tête sous l'oreiller. Je sortis du lit, gelée,
et déployai mes ailes comme une cape autour de moi dans l'intention de me réchauffer. Cela ne
fonctionnant pas très bien, je résolus de leur trouver un autre usage et m'envolai dans le ciel noir
comme de l'encre. Seules quelques étoiles brillaient assez pour chasser les ténèbres et je soufflai
d'admiration en observant les cieux. C'était magnifique. Le froid ne m'avait pas exactement quittée,
mais je ne le sentais plus et c'était bien assez pour l'instant. J'effectuai des pirouettes et malgré ma
volonté de rester discrète, je ne pus retenir un rire de pure joie. Je me sentais... bien. À ma place.
J'entendis le hululement d'une chouette au loin et me dirigeai vers elle, sans la trouver. Sans plus
m'en soucier, je volai de plus en plus haut. J'aurais aimé que cet instant ne finisse jamais. J'accélérai
brutalement et plongeai en piqué. Je m'arrêtai juste avant le sol, heureusement ; c'était un coup de
chance, car l'obscurité qui régnait ne me permettait pas de voir à plus de un mètre plus loin. Je
ressentis soudain une sorte d'appel, qui me tirait vers le haut. Vers les nuages. J'y répondis presque
aussitôt, car c'était aussi naturel que de respirer. Mes ailes m'obéirent presque avant que je leur
ordonne de monter. L'atmosphère se rafraîchissait, je le sentais, mais je n'avais plus froid pour
autant. Je traversai bientôt un nuage et poussai un petit cri de surprise. C'était... mouillé. Mais pas
désagréable. Pour me décider, je retentai l'expérience. Oui, tout compte fait, j'adorais ça. Je les
traversai les uns après les autres, infatigable, et perdis la notion du temps. Je fus brutalement
ramenée à la réalité par le jour qui se levait. Le ciel était presque encore plus beau, flamboyant,
légèrement rosé au loin. Les nuages avaient presque tous disparu. Une sorte de nostalgie
inexplicable me prit. Tout à coup, Kie, paniqué, sortit et cria :
-Cataaaa !
Je m'apprêtais à descendre mais je choisis de rester encore un peu, jusqu'à la fin du lever de soleil.
Je ne sais toujours pas pourquoi aujourd'hui, mais je ne le rassurai pas. Le soleil m'hypnotisait et je
ne pouvais pas en détacher mes yeux. Une voix m'interpella doucement.
-Cat ? Tu peux descendre. Tout va bien.
Je reconnus Yale, mais en dépit de mon esprit qui me soufflait de descendre, je n'esquissai pas un
geste.
-S'il te plaît, souffla-t-il, presque suppliant.
Je perdis un peu d'altitude, assez pour qu'il me tire délicatement vers le sol. Il avait les mains
chaudes. Je pris conscience de la froideur des miennes uniquement à ce moment-là. J'étai restée
dehors toute la nuit, et j'étais glacée. Gênée, je baissai les yeux et me précipitai à l'intérieur où je
trouvai Bas, Alana et Eira. Cette dernière avait l'air si préoccupée qu'elle avait oublié notre dispute
de la veille. Loin de me rassurer, ce constat m'inquiéta. Je m'enquis :
-Que se passe-t-il ?
Tirée de ses pensées, elle paraissait à peine remarquer ma présence. Alana lui donna un petit coup
de coude. Elle avait les yeux dans le vague et le même frisson qu'hier me parcourut.
-La température, murmura-t-elle d'une voix d'outre-tombe qui ne lui ressemblait pas.
Elle avait raison. Nous étions en plein été, et depuis hier, la température baissait énormément. Mais
je paraissais être la seule à ressentir ces frissons qui semblaient s'infiltrer sous ma peau.
-Vous pensez que c'est dû à quoi ? répliquai-je sur le même ton.
-J'en sais rien, chuchota à son tour Alana.
Notre inquiétude semblait l'avoir gagnée. Bas essaya de nous rassurer, mais je voyais bien qu'il n'en
menait pas large non plus. Eira poussa un cri d'effroi qui nous tira de notre torpeur. Il neigeait. Mes
frissons me reprirent, de plus en plus fiévreux. J'essayai de les cacher aux autres ; inutile de les
angoisser encore plus, mais... je n'arriverais pas à les cacher très longtemps, car ils revenaient, de
plus en plus puissants et de plus en plus souvent. Je lançai d'une voix mal assurée :
-Peut-être devrions-nous appeler Athéna pour qu'elle nous donne des conseils ?
Les autres approuvèrent, y compris Yale et Kie qui venaient de rentrer, aussi paniqués que nous.
Nous effectuâmes le rituel assez vite et rien de notable ne se passa, jusqu'au moment où des
tremblements incontrôlables me saisirent. D'abord juste dans les mains, ils se propagèrent
rapidement jusque dans mes bras, puis dans tous mon corps. Malgré mes efforts pour les cacher,
mes amis les remarquèrent très vite et Alana demanda, maîtrisant sa voix :
-Qu'est ce que c'est que ça encore ?
J'avouai, toujours en frissonnant de tout mon corps :
-Ça fait depuis hier soir... Je n'arrivais pas à dormir à cause d'eux, alors je suis sortie prendre l'air.
Ça m'a fait du bien jusqu'à ce matin, où ils ont repris de plus en plus fort. C'est tout ce que je sais.
Eira réfléchit à haute voix.
-Ça coïncide avec la baisse de température, non ?
J'ajoutai :
-Oui, d'ailleurs, ça a commencé quand j'étais dans la forêt avec Alpha ; d'un coup, la température a
baissé, et je me suis mise à grelotter !
Tout à coup, ms frissons s'arrêtèrent. La peur me saisit. Je chuchotai :
-Vous le sentez aussi ?
-Quelque chose approche, approuva Alana.
-Quelque chose... ou quelqu'un, ajouta Kie.
Nous échangeâmes des coups d'œil inquiets et je décrétai :
-Nous devons nous cacher. Vite !
-D'accord, mais où ? rétorqua Yale.
Sans réfléchir, je les agrippai tous et tentai de m'envoler. Je retombai au sol immédiatement et
maugréai. Je saisis mes compagnons un par un et les cachai en haut des étagères en bois que nous
avions fabriquées la veille. J'eus à peine le temps de finir de tous les monter qu'un bruit de pas
retentit. J'atterris par terre et cherchai désespérément une cachette, les étagères étant pleines à
craquer. Trop tard.
Chapitre 16
Un homme apparut sur le seuil de la grotte. Il était vêtu d'un pantalon noir, assez serré mais pas
moulant pour autant, et une cape marron usée couvrait ses épaules et son visage. Il était grand,
encore plus que Yale. Je demandai :
-Que faites-vous ici ?
J'hésitai à lui de mander si il était responsable de la baisse de température, mais me repris juste à
temps ; s'il n'était qu'un humain, il ne comprendrait pas et me prendrait pour une sorcière. S'il était
extrémiste, peut-être même lui prendrai-t-il l'envie de me brûler. Je réprimai un frisson (on ne peut
plus naturel cette fois) à cette idée. Sa voix retentit. Elle était profonde mais semblait abîmée,
presque comme s'il avait trop hurlé.
-Êtes-vous Cat ?
-Oui, pourquoi ?
Je me mordis les lèvres. Une fois de plus , j'avais parlé sans réfléchir. Et s'il me voulait du mal ? Ma
théorie se trouva vérifiée quand il m'empoigna sans aucune délicatesse par le bras. J'étouffai un cri
et intimai à mes amis d'un geste discret de ne pas bouger en apercevant les mercenaires qui se
trouvaient derrière mon mystérieux ennemi. Ils étaient armés jusqu'aux dents et si nombreux que
face à eux, même avec nos pouvoirs, nous ne faisions pas le poids. Il ne servait donc à rien que nous
nous fassions tous enlever. La panique me saisit d'un seul coup. J'étais séparée de mes amis, encore
une fois. J'allais me retrouver seule, à la merci d'un ennemi dont le niveau de cruauté était encore
inconnu. Je retins pourtant mes cris jusqu'à ce que nous fûmes loin de la grotte ; mes amis auraient
accouru à mon secours. Je me débattis et hurlai de toute mon âme, jusqu'à me briser la voix, mais
les bras puissants de mon kidnappeur ne relâchèrent pas leur emprise. Enfin, les larmes me
montèrent aux yeux. J'eus envie d'éclater en sanglots, mais ma fierté repris le dessus et je me tus,
ravalant mes larmes. Une fois enfoncés au plus profond de la forêt, on me banda les yeux et on me
fit tourner sur moi-même jusqu'à ce que je perde tout repère géographique. Épuisée d'avoir crié, je
m'effondrai dans les bras du mercenaire à qui Cape Marron m'avait passée. Un peu contre mon gré
(ma fierté me hurlait de me redresser), je m'endormis. J'avai passé la nuit dehors, dans le froid, à
faire de l'exercice physique. Je me réveillai quelques heures plus tard, de ce que je pouvais estimer,
dans une pièce étroite et lugubre en béton gris, sans lumière et sans fenêtre. Elle possédait comme
seul meuble un banc qui n'avait pas l'air beaucoup plus confortable que le sol, mis à part la
couverture grise, qui semblait avoir été rapiécée de nombreuses fois et « auberger » beaucoup
d'insectes (voire des puces ?). Le béton était décoré de petites pierres bleues qui semblaient bloquer
ma magie. J'aperçus une porte avec quelques barreaux à ma droite. Prise d'angoisse, je me rendis
compte que j'étais dans une cellule. Pourquoi ? Quel crime avais-je commis ? Je me rappelai
soudain que mon crime était d'exister. Que j'étais « un monstre ». Je me sentis soudain tiraillée et
chancelai. J'étais beaucoup trop loin d'Alpha et son absence se faisait cruellement ressentir. Le
pauvre... il devait être dans le même état, mais dans une incompréhension encore plus totale que la
mienne. Je n'osais imaginer ce qui devait se passer si l'un d'entre nous mourait. Je portai la main à
mon front. Il était brûlant. J'appelai avec une voix encore cassée et faible à cause du manque de
nourriture et d'eau :
-S'il vous plaît... Aidez-moi...
Un garde blond fit son apparition. Son uniforme était très propre et il arborait un air des plus sérieux
qui m'intimida, mais je me rappelai vite que c'était mon geôlier et, ma voix ne laissant plus
transparaître que du mépris, je le toisai.
-Imbéciles, vous m'avez trop éloignée de mon Familier. Je ne serai...
J'hésitai, ne voulant pas laisser voir ma faiblesse, mais il était trop tard.
-... pas... dans mon état de santé normal et optimal tant que je ne me rapprocherai pas de lui. Vous
devez me laisser partir si vous voulez que je survive.
Le garde tressaillit. Je voyais bien qu'il n'était pas cruel pour deux sous, mais il avait reçu des ordres
et son sérieux l'emporta sur l'empathie qu'il avait pour moi.
-Je suis désolé, mademoiselle, mais je ne suis pas responsable de votre captivité. J'en toucherai deux
mots à Trystan... euh, se reprit-il, à mon supérieur.
Curieuse, je le regardai s'éloigner. Qui pouvait donc bien être ce supérieur qu'il appelait par son
prénom et semblait traiter comme un vieil ami ? Et surtout, qui me gardait prisonnière ? La journée
passa très lentement, le tiraillement dans mes côtes ne s'estompant pas mais passant peu à peu à
l'arrière-plan de mes pensées. Mon ennui fut interrompu vers midi, d'après la lumière, quand on me
glissa un plateau, gris également, par une petite trappe sous la porte, à peine assez large pour laisser
passer un chat. Toute évasion par là était donc exclue, sauf si je m'affamais assez... Mais non, même
comme ça, je n'étais pas sûre de passer, et en plus, je serais trop faible pour m'échapper. Soupirant,
j'examinai le contenu du plateau. Il comportait une carafe d'eau en plastique (donc impossible de la
casser pour récupérer un morceau de verre), un verre en plastique aussi, et une assiette en cartion
avec des pommes de terre assez appétissantes, accompagnées d'un morceau de viande. Il y avait
aussi une poire. Je jugeai le repas pas trop mal pour une prison. Honnêtement, je m'attendais à pire.
Je réfléchis tout de même. Et si la nourriture était empoisonnée ? Puis je poursuivis ma réflexion et
réalisai que s'ils avaient voulu me tuer, ils l'auraient fait beaucoup plus tôt (quand je dormais
comme une bienheureuse, par exemple). Je me grondai intérieurement pour mon imprudence et
commençai à manger. Ce n'était pas mauvais. C'était même très bon, bien meilleur que les boîtes de
conserve que nous mangions depuis des semaines. Le garde me lança :
-C'est bon, mademoiselle ?
Je l'ignorai (c'était toujours mon geôlier, après tout) mais mangeai de bon appétit et fis glisser mon
plateau vidé jusqu'à la dernière miette sous la trappe. Je ne m'étais rendue compte d'à quel point
j'étais affamée qu'en déglutissant la nourriture. J'espérai presque que le garde prenne la parole pour
me proposer de me resservir, mais mon attitude peu accueillante l'en avait dissuadé, apparemment.
Les tiraillement diminuèrent un peu. J'attendis, résolue à ne pas dormir, mais ma bonne volonté
disparut dès le premier bâillement. Je réprimai un grognement en m'allongeant sur le banc dur
comme de la pierre (il était en pierre, d'ailleurs), mais j'étais si épuisée, malgré ma petite sieste
matinale, que je m'endormis presque aussitôt que ma tête toucha le petit oreiller qui, lui, était si mou
que ma tête s'y enfonçait presque jusqu'au banc en-dessous.
Chapitre 17
Les journées passèrent à ce rythme, et je commençais presque à me plaire dans cette prison, qu'un
jour, en me réveillant, j'avais le sourire. J'avais commencé à accepter cette vie de captivité. Je me
rebellai, mais il fallait se rendre à l'évidence ; malgré le manque de lumière et de place, cette cellule
était devenue presque confortable pour moi. Je repensai au soleil de dehors, aux grands arbres, à
mes amis, à Alpha, à ma liberté. Tant de choses qui me manquaient ici et que le luxe de la nourriture
et des horaires extensibles m'avaient presque fait oublier. Je frappai contre la porte d'un coup de
poing rageur et appelai :
-Garde ! Garde ! Gaaaaaaaarde !
Paniqué, le même blondinet que les premiers jours accourut :
-Quoi ? Quoi ? Que se passe-t-il ?
Furieuse, je lui hurlai presque :
-Laissez-moi sortir !
Il bégaya, surpris :
-Mais... mademoiselle... les ordr...
-Les ordres, je sais, l'interrompis-je d'une voix impérieuse. Pourrais-je rencontrer celui qui vous
donne les ordres, justement ?
-Euh... ben... bafouilla-t-il. Je lui demanderai...
-Si il ne répond pas oui, les conséquences risquent d'être très désagréables pour toi, menaçai-je,
prête à tout pour parvenir à mes fins.
-Oui, mademoiselle.
J'eus pitié de lui. Un homme comme ça, ayant si peu d'assurance et de confiance en lui, devait se
faire écraser de tous. Et je n'arrangeais probablement pas ses affaires, mais... quel choix avais-je ?
Je devais absolument rencontrer celui qui tirait les ficelles de tout ça et le convaincre de me libérer,
de gré ou de force. Je faillis lui glisser un « Désolée ». Je me retins. Cela risquait de me faire
paraître moins crédible à ses yeux.
-Attends. Quel est ton nom ?
-Mon nom ? demanda le blondinet. Je... Je m'appelle Aaron.
Ce nom lui allait bien. Je souris.
-Moi, c'est Catrin. Enchantée.
Je n'en étais pas au point de le laisser m'appeler Cat, mais c'était une manière de m'excuser sans que
les mots sortent vraiment de ma bouche. J'attendis plusieurs heures qu'Aaron revienne, mais en
vain. Il s'était probablement débrouillé pour échanger de cellule ave un autre garde, ou s'était posté
assez loin de la mienne pour éviter de me parler. Je me reprochai de lui avoir fait confiance si
facilement. C'est juste qu'il ne semblait pas être du genre à me mentir si aisément. J'avais vraiment
eu de la sympathie pour lui, et il m'avait paru qu'il en éprouvait un tant soit peu pour moi aussi.
J'avais dû me tromper. Ça m'apprendrait à compter sur la bonté des gens (qui me retenaient
prisonnière, qui plus est) pour me libérer, ou même en général. Je fermai les yeux, en colère contre
Aaron et moi-même, mais ne trouvai pas le sommeil. Je me retournai dans tous les sens dans mon «
lit » qui ne me paraissait plus si inconfortable que ça, puis abandonnai et me levai. Je soupirai et
dressai l'oreille lorsque j'entendis des bruits de pas au bout du couloir. Aaron pressa sa tête contre
les barreaux de ma cellule et m'annonça en chuchotant :
-Mon maître a accepté de vous voir, mais il veut rester discret, donc ne faites aucun bruit !
Un sourire illumina mon visage. Enfin ! J'envisageai d'assommer Aaron lorsqu'il m'ouvrirait la
porte, pour m'échapper, mais je lui en devais une et décidai que je pouvais toujours le faire à mon
retour si je n'avais pas réussi à plaider ma cause auprès du « maître » d'Aaron. Ce dernier me
conduisit à travers un dédale de couloirs, et malgré ma volonté d'essayer de suivre le chemin,
j'abandonnai très vite ; ils se ressemblaient tous. Les autres cellules semblaient inoccupées, ou alors
très calmes. Le paysage était toujours aussi gris, jusqu'au moment où nous débouchâmes dans un
couloir beaucoup plus large et luxueux que les autres. Des tapisseries rouge et or décoraient les
murs et une moquette luxueuse, rouge aussi, tapissait le sol. On se serait cru dans un palais. Je
savourai la sensation d'être libre ou presque, si l'on exceptait mon garde, si aimable soit-il, à côté de
moi, et les menottes qu'il avait glissées à mes poignets juste avant de me faire sortir de ma cellule.
J'eus l'impression de détonner dans ce paysage si luxueux, avec mon jean sale et troué et mon pull
dans un état assez similaire. Je n'avais pas eu l'occasion de me doucher ou même de changer de
vêtements depuis mon enlèvement, qui remontait à deux bonnes semaines au moins. Je reniflai
discrètement la manche de mon pull et réprimai une grimace. Tant pis. Après tout, ce n'était pas de
ma faute. Je fus tirée de mes réflexions par le grincement de la porte en bois qui s'ouvrait. Tous mes
doutes sur l'endroit où j'étais furent dissipés par la vue de... la salle du trône. Sur celui-ci trônait un
jeune homme, plutôt grand, avec un visage délicat et des cheveux noir corbeau. Je n'arrivais pas à
distinguer ses yeux d'où j'étais. À côté de lui se tenait une véritable cohorte de gardes qui
disposèrent à son signe. Il puait l'arrogance et l'égoïsme d'ici, et malgré son apparence assez
séduisante, je le détestai aussitôt. Il se tourna vers moi et Aaron, paraissant à peine remarquer ma
présence. Il s'adressa à mon garde :
-Aaron. Elle ne t'a pas posé de problèmes ?
Il me désigna du menton. Je me raclai la gorge.
-Je suis là, je vous signale, grinçai-je.
M'ignorant, il poursuivit.
-Alors ?
Aaron, tout à coup beaucoup plus sûr de lui, rétorqua :
-Non, Trystan.
Il le foudroya du regard.
-Je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler comme ça en public !
Ah, parce que maintenant, Monsieur remarquait ma présence. Je levai les yeux d'un air de défi. Il
soutint mon regard. Je pouvais maintenant distinguer de magnifiques yeux bleu-vert. Dommage
qu'ils soient portés par quelqu'un de si détestable. D'une voix glaciale, Trystan dit :
-Tu peux disposer, Aaron.
Je m'offusquai dans ma barbe. Comment osait-il traiter son ami (d'après ce que j'avais compris)
ainsi ? Il renifla subtilement dans ma direction et eut la même réaction que moi quelques minutes
plus tôt. Je retins ma fureur et me rappelai pourquoi j'étais là. La porte claqua derrière Aaron.
-Monsieur... commençai-je.
Il m'interrompit.
-Sa Majesté.
Je déglutis. On était au XXIe siècle, et il y avait encore ce genre de personnes ? Des rois, oui, mais
si... je ne sais pas. Vieux jeu ? En plus, il avait l'air d'avoir maximum deux ou trois ans de plus que
moi. De mauvaise grâce, je répondis :
-Oui, Votre Majesté. Je suis venue pour négocier mon départ. Voilà deux semaines, il me semble...
Il me coupa :
-Un mois.
-Quoi ?
-Ça fait un mois que vous êtes ici, articula-t-il comme si j'étais bête.
Le choc prit le dessus pendant quelques secondes, puis je retrouvai ma contenance.
-Bon. Excepté ça, je...
Je pris une grande inspiration.
-J'ai besoin de partir, et pas seulement pour retrouver ma liberté. Je suis trop éloignée de mon
familier et je m'affaiblis de jour en jour...
Il réfléchit, et, toujours de sa voix posée que je détestais, rétorqua :
-Quel est mon intérêt en vous laissant partir ?
Je remarquai le vouvoiement qui m'étonna, étant donné le peu de respect que sa remarque venait de
prouver qu'il avait pour moi. Je réprimai ma colère.
-Vous ne m'avez pas tuée. Donc j'imagine que vous avez intérêt à me garder en vie, car si je me fie à
ce que j'ai sous les yeux, ce n'est pas par compassion. Or je ne survivrai pas encore très longtemps si
je reste si loin de mon familier.
Je mentais effrontément ; le tiraillement que je ressentais au début s'atténuait de plus en plus, mais
j'avais peur que ce soit signe que notre lien s'effilochait.
-Mais c'est qu'elle réfléchit, ironisa-t-il. Mais non. Nous vous apporterons votre familier au plus
vite, mais je ne peux hélas pas vous laisser partir, ce qui sur le papier nous arrangerait tous les deux.
Paniquée, je réfléchis à toute vitesse. Je ne pouvais pas le laisser retourner dans notre grotte, ou il
trouverait mes amis à coup sûr. Et j'avais besoin de sortir.
-Très bien. Je peux peut-être vous indiquer ses coordonnées ? Grâce à notre lien, j'ai senti qu'il était
parti de la grotte dans laquelle je logeais pour chasser, mentis-je.
Son regard pénétrant transperça mes yeux mais je ne détournai pas le regard.
-Si vous me mentez, les choses se passeront très mal pour vous, menaça-t-il. D'ailleurs, pourquoi
votre odeur m'agresse-t-elle les narines de si loin ?
Irritée, je rétorquai, mon ton dégoulinant d'ironie :
-Peut-être parce que Sa Majesté ne m'a pas fourni une douche ni des vêtements propres...
De la surprise transparut sur son visage mais laissa vite place à son masque d'impassibilité si
agaçant.
-J'avais pourtant ordonné que... Bon, ça ne fait rien. Dorénavant, je vous fournirai une douche et des
vêtements. Autre chose ?
J'osai timidement puis me repris ; je ne voulais surtout pas laisser entrevoir à Trystan la moindre
once de faiblesse.
-Le banc n'est pas très confortable et la cellule n'est pas assez lumineuse.
Il ferma les yeux et renversa la tête en soupirant. Je crus apercevoir sur son visage une lassitude
bien trop grande pour un garçon si jeune. Il me tendit une feuille et un stylo.
-Vous pouvez disposer, après avoir indiqué ci-dessous la location de votre familier.
Chapitre 18
J'ouvris la porte en bois sur Aaron, roulé en boule par terre. Il se redressa brusquement en entendant
la porte et, honteux, me présenta ses plus plates excuses.
-Ce n'est pas grave, fis-je. Tout le monde a le droit d'être fatigué, et me surveiller jour et nuit doit
être épuisant.
Il esquissa un sourire reconnaissant et me reconduisit à ma cellule. Le lendemain matin, j'eus la
bonne surprise de découvrir des vêtements somptueux, parfaitement à ma taille, devant la porte,
après avoir pu prendre une douche dans une salle de bains du palais, bien que surveillée par Aaron
qui, gêné, avait attendu devant la porte. De toutes façons, la fenêtre était beaucoup trop étroite pour
que je puisse m'y glisser par l'ouverture, et le double vitrage m'empêchait de la briser pour récupérer
les morceaux de verre. Je touchai la robe. La soie noire était très douce et la fausse fourrure noire
aussi qui bordait la cape destinée à être portée par dessus était sublime. Je la revêtis. Elle m'allait
comme un gant. Je soupirai de bonheur et me demandai : « Comment a-t-il pu connaître ma taille ?
». Je repensai à on œil observateur hier et rougis en émettant l'hypothèse qu'il avait pu prendre mes
mensurations d'un coup d'œil. Puis je secouai la tête. Quel imbécile. Il aurait pu, tout simplement,
me demander ! On frappa à la porte de ma cellule et, amusée, je lançai :
-Entrez !
Si ce n'était la cellule en elle-même, j'aurais presque pu penser que j'étais une invitée. Sauf que je
portais des menottes quand je sortais et que je n'avais vu personne excepté Aaron et Trystan depuis
un mois. Et, évidemment, je n'avais pas le droit de sortir. La porte s'ouvrit sur le blondinet qui
m'adressa un sourire d'excuse en me passant les menottes aux poignets que je tendis par habitude
sans même qu'il ait à me le demander.
-On va où ? demandai-je.
-Le prince a demandé à ce que vous changiez de cellule.
Le prince ? Il y avait donc un roi ? Une reine ? Je retins mon souffle lorsque nous arrivâmes devant
ma nouvelle « cellule », qui ne ressemblait en rien à toutes celles que j'avais pu voir jusque-là.
C'est-à-dire juste celle que j'avais eue à mon arrivée ici. Bien qu'elle aussi décorée de pierre bleue,
ma nouvelle demeure était énorme, et presque aussi luxueuse que la salle du trône. Un sofa
recouvert de velours rouge se tenait au milieu du salon, en face d'une télévision. Un lit deux places
meublait la chambre, qui n'était pas dans la même pièce que le salon. Il y avait aussi une salle de
bain séparée. J'étais émerveillée devant tant de splendeur mais me renfrognai vite lorsque Aaron me
rappela que c'était Trystan qui m'avait procuré cette chambre. J'envisageai de refuser la suite, mais à
quoi cela me serait-il utile ? Je soupirai et remerciai Aaron qui partit. Je m'allongeai sur le lit et
poussai un soupir d'aise. Il était extrêmement moelleux. L'oreiller, en revanche, était dur,
exactement comme je les aimais. Je me relevai pour m'affaler aussitôt sur le sofa et allumai la télé.
Je tombai sur une série de téléréalité que je décidai de regarder pour passer le temps. Après
quelques épisodes, je me lassai de la vie des stars de Kpop et entrepris de fouiller la suite pour voir
si je trouvais un téléphone ou un quelconque moyen de contacter les autres. Évidemment, Trystan
avait pris soin d'enlever tout objet utile. Je fus interrompue dans mes recherches par la porte qui
s'ouvrit (sans que personne ne frappe, cette fois). Je devinai immédiatement de qui il s'agissait en
apercevant les cheveux blond platine si caractéristiques d'Aaron. Il avait l'air inquiet.
-Quelque chose ne va pas ? m'enquis-je.
Il respirait bruyamment et était essoufflé. Il pantela :
-Mademoiselle... vous devez... partir... Immédiatement.
Pour une fois, son ton était sans appel, presque effrayant. J'entendis un hurlement au loin et me
réjouis presque ; l'heure était enfin venue de quitter le château. Dommage que ce soit pile au
moment où j'avais enfin un lit digne de ce nom. J'empoignai la jupe bouffante de ma robe
moyenâgeuse à deux mains en regrettant mon jean et entrepris de m'enfuir. Je jetai un coup d'œil en
arrière. Et Aaron ? Puis je me rassurai. Il était garde. C'était son boulot, de se battre. Il allait s'en
tirer. Ma conscience me hurlait d'y retourner mais je la fis taire en courant de plus en plus vite
malgré la robe qui entravait mes mouvements. Je traversai à toute vitesse les couloirs luxueux dans
lesquels j'avais été conduite par le blondinet la veille au soir. Je m'arrêtai deux secondes pour
reprendre mon souffle, puis courus de plus belle. Où était donc le bout des ces couloirs
interminables ? Je débouchai enfin dans une cour, énorme comme tout le reste ici, et quelle ne fut
pas ma surprise lorsque je découvrai Kie, Eira et tous les autres en train de se battre contre les
gardes du palais. Mais Al manquait à l'appel. Je fouillai la cour des yeux dans l'espoir de la trouver,
mais en vain. Eira m'aperçut en assénant un coup à un garde et son regard s'illumina.
-Cat ! hurla-t-elle. Par ici !
Je me précipitai vers mon amie qui me serra dans ses bras. Je lui rendis son étreinte.
-Où est Al ? lançai-je.
-Elle est à l'intérieur, elle s'occupe des gardes là-bas, pourquoi ? répondit-elle, perplexe.
Je l'ignorai et rebroussai chemin en courant, encore une fois. Un point de côté lancinant avait fais
son apparition dans mes côtes. Je serrai les dents et accélérai. Comment retrouver mon chemin dans
ce maudit dédale de couloirs ?
-Aaron ! hurlai-je. Aaron !
Les cris se poursuivaient sur le chemin d'Al. Qu'était devenue mon amie, qui un mois auparavant
n'aurait pas fait de mal à une mouche ? Elle allait tuer Aaron sans lui laisser une chance de
s'expliquer, comme elle l'avait fait jusque-là pour les malheureux qui gisaient sur le sol, entourés
par des ronces ou étouffés par du lierre. Il avait été gentil envers moi et avait fait du mieux qu'il
pouvait pour m'aider. Ce n'était pas sa faute, ni probablement celle des autres gardes, si son prince
ridicule avait décidé de m'emprisonner. Le moins que je puisse faire pour lui était d'essayer
d'empêcher ma sœur de cœur de lui faire du mal. Je trouvai enfin Alana, sa main tendue vers Aaron
qui gisait par terre, des lianes enroulés autour de son corps, serrant de plus en plus fort.
-Alana ! Arrête ! criai-je.
Elle se tourna vers moi, des larmes ruisselant sur ses joues.
-Cat ? Tu veux le tuer toi-même ?
-Non ! Ne lui fais pas de mal. Il a été bon envers moi et m'a aidée tout le temps que j'ai séjourné au
palais.
Je me rendis compte de mon erreur au moment où les mots sortaient de ma bouche. « Séjourné ».
Les traits d'Al se durcirent et tout soulagement disparut de son visage.
-Ils t'ont ensorcelée, siffla-t-elle entre ses dents.
Elle serra les lianes de plus belle. Heureusement, le prince n'avait pas poussé les précautions au
point d'installer de la pierre bleue dans les murs de ses couloirs. J'appelai donc mon feu et une
chaleur familière m'envahit. Je projetai une boule de feu qui atterrit juste à côté de mon amie. Elle
se tourna vers moi, furieuse. Elle n'était plus elle-même. Elle projeta à son tour des épines, qui se
fichèrent dans mon épaule. Je poussai un cri de douleur et ne retins pas mon feu, cette fois. Elle
reçut une flamme en pleine poitrine et poussa un hurlement de fureur. Une flèche blanche traversa
alors le couloir. Je poussai un soupir de soulagement en découvrant mon familier qui se frotta
doucement contre ma jambe, comme à son habitude, puis sauta sur mon amie.
-Alpha, lançai-je par pensée. Retiens tes coups. Elle reviendra à el...
Il fut tout à coup éjecté par les plantes grimpantes d'Alana. Il tomba lourdement par terre en
gémissant. Ma colère explosa et je me jetai sur mon amie. Nous nous tirâmes les cheveux et nous
griffâmes jusqu'à ce que Yale arrive et nous sépare. Eira se mit entre nous deux, mais rien ne nous
arrêtait et ils furent obligés de nous anesthésier.
Chapitre 19
Mes yeux s'ouvrirent sur les visages fermés de Kie, Bas et Eira.
-Cat, souffla Eira de sa voix douce. Tu es enfin réveillée.
-Aaron ? demandai-je, trop faible pour parler plus.
-Si tu parles du blond, alors oui, on l'a ramené, me rassura Bas. On s'est dit que tu aurais été dépitée
de t'être battue pour rien. Mais il ne s'est pas encore réveillé.
J'envisageai de leur expliquer qu'il serait probablement furieux d'être loin du château, mais me
ravisai. Cette explication-là attendrait. J'entrepris alors de leur raconter tout ce qui s'était passé au
château, ma voix au départ éraillée retrouvant de la vigueur au fur et à mesure que je parlais. Mes
amis écoutèrent gravement tout le temps que je parlais, puis commencèrent à me raconter ce qui
s'était passé ici pendant ce temps-là. Kie prit la parole :
-Quand tu es partie, tout le monde l'a géré à sa manière. La pire était Al. Elle était enfermée dans sa
bulle et ne parlait à personne, sauf Yale à la rigueur. Elle t'a suivie au début, et Yale l'a empêchée de
se jeter dans le tas. Elle ne t'aurait pas été d'une grande utilité prisonnière avec toi. Mais du coup, ils
ont pu voir où tu étais allée et nous avons monté un plan pour te sauver. Nous sommes rentrés par
les égouts, tu aurais dû nous voir ! Bref, c'est là qu'on t'a récupérée.
J'esquissai un sourire de gratitude.
-D'ailleurs, où est Yale ?
-Il est au chevet d'Al, murmura Eira. Ces deux-là sont inséparables depuis ton départ.
Une pointe de jalousie me transperça la poitrine. Eira dût s'en rendre compte et m'apaisa :
-Ne t'en fais pas, je suis sûre qu'il n'y a rien entre eux.
Je me sentis aussitôt coupable. Je n'avais aucun droit d'être jalouse ; ce n'était pas comme si nous
étions ensemble. D'ailleurs, il fallait vraiment que je parle à Al, quand elle serait réveillée. Quelques
heures plus tard, elle se réveilla. Je lui sautai presque dessus et l'entraînai à part.
-Salut, chuchotai-je. Désolée pour tout.
-Salut... hein ?
Elle sembla enfin se rappeler et me présenta ses plus plates excuses.
-Je ne sais pas ce qui m'a pris, confessa-t-elle. Ton absence... c'était vraiment dur.
-Je sais. Je te pardonne.
Je lui passai la main dans le dos en signe de réconfort.
-Sinon, ben... euh... j'aurais un truc à te dire.
La Alana malicieuse d'autrefois refit surface. Ses yeux pétillaient.
-Ça a l'air croustillant... vas-y !
-Je... on va dire que... j'aime bien Yale... et je sais pas comment lui dire.
La lueur de bonheur disparut brièvement de ses yeux et son sourire vacilla, mais une seconde plus
tard, ils revinrent et je crus avoir halluciné. Elle lança, riante :
-Dis-lui, et tu verras ce qu'il en pense ! Qu'est-ce que t'as à perdre ?
-Son amitié ? objectai-je. Ça va être super gênant entre nous si je me prends un râteau !
-Peut-être, concéda-t-elle, mais ça vaut le coup d'essayer. Si tu ne le fais pas, tu le regretteras
probablement toute ta vie ! Tu auras tout le temps de regretter après.
Je soupirai.
-Ok...
-Promets-moi de lui dire avant la fin de la semaine. Je te connais, sinon, tu ne le feras jamais !
Elle me tendit son petit doigt et j'enroulai le mien autour du sien à contrecœur. Elle me lança un
sourire complice et s'éclipsa. Eira se précipita vers moi.
-Alors, tu lui as parlé ? Qu'est-ce qu'elle a dit ?
Je lui expliquai de mauvaise grâce et elle me passa les bras autour du cou, surexcitée.
-Trop bien ! Je compte sur toi.
Quelque temps plus tard, Aaron sortit des bras de Morphée, lui aussi. Il ne parut pas aussi
mécontent d'être avec nous que ce que j'avais redouté. Il demanda juste quand est-ce qu'il pourrait
retourner au palais.
-Dès que possible, promis-je. Juste le temps que tout le monde se remette. C'est un long voyage...
Il acquiesça et me remercia :
-Merci de m'avoir sauvé. Sans toi, cette fille m'aurait probablement broyé les os.
Il frissonna.
-De rien, c'était la moindre chose, après tout ce que tu as fait pour moi au palais.
-En vérité, avoua-t-il, je n'ai pas fait grand-chose.
-Mais si, tu m'as conduite dans une magnifique suite, tu m'as permise de prendre une douche, tu
m'as apporté des vêtements propres et de la nourriture exquise...
Gêné, il se passa une main dans les cheveux.
-Mais mademoiselle, tout ça, c'était le prince. C'est lui qui a choisi les vêtements et m'a demandé de
vous les apporter, lui aussi qui approuvait la nourriture que le cuisinier préparait...
Je retins ma surprise.
-Eh bien, décrétai-je, je ne le déteste pas moins pour autant. Et puis, tu as quand même été gentil
avec moi. D'ailleurs, tu peux arrêter de me vouvoyer, s'il te plaît ? J'ai même pas seize ans ! Ah, et
tu peux aussi m'appeler Cat.
-D'accord, madem... Cat.
Je souris.
-Si tu veux, je suis sûre que les garçons pourront te prêter des vêtements. Viens, on va te présenter à
tout le monde !
Je l'entraînai vers mes amis.
-Voici Aaron. S'il vous plaît, traitez-le comme l'un des nôtres.
Ils l'accueillirent tous à bras ouverts.
Chapitre 20
Les garçons partirent discuter entre eux et nous nous retrouvâmes entre filles. Je suggérai :
-Et si on allait faire une virée shopping en ville ?
Eira objecta :
-Vous avez de l'argent, vous ?
Triomphante, je sortis de ma poche une liasse de billets.
-J'ai trouvé ça sous mon oreiller ce matin, c'est Athéna qui l'a laissé là avec un mot.
-Elle est trop sympa cette meuf, je l'adore... soupira Al. On a combien ?
Je comptai.
-600 euros ! Ça fait 200 chacune.
-Ouah, les maths... railla Al.
Eira lui donna un coup de coude sans retenir un petit gloussement. Le soleil brillait doucement et
nous chauffa agréablement le visage quand nous sortîmes. J'étais soulagée d'avoir enfin remis un
pantalon, qui contrastait énormément avec la robe bouffante que j'arborais quelques heures plus tôt.
Un T-shirt à manches courtes noir complétait ma tenue, avec bien sûr mes fidèles Converse noires
aussi, montantes. Al, quant à elle, « affichait » un chemisier décoré de roses rouges, assorti à un
jean bleu moulant. Eira portait une robe verte courte, dévoilant ses jambes minces et musclées.
Nous enfourchâmes nos familiers (moi Alpha, Eira Ono et Al Holly). Ils galopèrent (ou volèrent
pour le perroquet) jusqu'à la ville la plus proche (en l'occurrence Orléans). Nous arrivâmes en face
d'un centre commercial. Des étoiles brillaient dans les yeux de mes amies, et probablement dans les
miens aussi. Nous ressortîmes deux heures plus tard, enrichies de nouvelles expériences et surtout
de beaucoup de vêtements. Eira avait jeté son dévolu surtout sur des robes, mais avait aussi craqué
pour un joli pantalon en lin mauve et évasé. Al, elle, s'était penché sur un style plus basique avec
beaucoup (trop) de chaussettes, et des shorts en jean, avec des débardeurs. J'avais acheté des articles
plus gothiques (c'était mon style du moment), comme des mitaines et collants en résille et des robes
à col Claudine vintage (noires, bien entendu). Nous avions également fait un tour dans un magasin
de maquillage, où j'avais pris de l'eyeliner et mes amies de l'ombre à paupières. Nous revînmes à la
grotte, maintenant bien aménagée, toutes contentes. Nous avions également pris quelques vêtements
sans aucune originalité pour les garçons (surtout pour Aaron). N'empêche, j'étais curieuse de voir ce
dernier en sweat, lui qui ne portait que son uniforme sept jours sur sept. Il était en effet très
différent, plutôt mignon. Mais les blonds n'étaient pas mon style, contrairement à Eira qui rougit à
sa vue. Je lui adressai un sourire complice et elle complimenta Aaron pour cacher sa gêne :
-Le sweat te va très bien.
Il avait l'air très à l'aise dans son sweat bleu marine, en effet. Ça devait le changer de son uniforme
si serré. Bas adora le jean bleu que Al avait choisi pour lui. Mes deux amis allaient si bien
ensemble, pensai-je. Pas une seule fois n'imaginai-je Al avec quelqu'un d'autre. J'aurais pourtant dû
me préparer à cette éventualité bien avant, ça m'aurait évité bien des... bref, passons. La journée
s'écoula sans aucun autre événement notable. Pour une fois. N'empêche, ça faisait du bien de se
reposer.
Chapitre 21
Le lendemain, j'abordai Aaron. Il avait l'air un peu seul.
-Ça va ? m'enquis-je.
Il avoua :
-Ça va. Mais c'est un peu bizarre de rentrer comme ça dans un groupe. En fait, vous êtes tous amis
et vous avez des délires que je ne comprends pas parfois. Pas que je me sente exclu, au contraire,
vous avez tous été super sympas et tout, mais...
-Je comprends. le coupai-je.
Il sourit.
-Viens, je voudrais te montrer quelque chose, proposai-je.
Je l'entraînai avec moi. Nous traversâmes l'étendue d'herbe verte qui bordait la grotte et arrivâmes
au bord de la falaise. Le soleil était encore haut dans le ciel, mais serait couché d'ici une heure.
Nous apercevions la mer scintillant doucement en contrebas. Je me tournai vers un grand arbre et
incitai mon ami et grimper après moi. De là-haut, la vue était imprenable. Aaron siffla d'admiration.
-Pas mal, hein ? lançai-je.
Dans ses yeux grands ouverts brillait une lueur d'émerveillement.
-C'est magnifique, souffla-t-il.
Nous commençâmes à discuter et il finit par me raconter des anecdotes sur Trystan.
-Il n'a pas toujours été comme ça, tu sais, confessa-t-il. Nous nous sommes rencontrés quand nous
étions en primaire. Les autres enfants se moquaient de moi à cause de mon bégayement et il a pris
ma défense. Nous sommes devenus les meilleurs amis du monde. Quelques mois plus tard, ses
parents et sa grande sœur sont morts dans un naufrage. Trys s'est retrouvé sur le trône. Il a refusé de
prendre le titre de roi et est resté prince. Il avait à peine 12 ans. Maintenant, il en a 17, comme moi.
Les ennemis de son territoire ont essayé de profiter de sa faiblesse. Je ne peux pas vraiment t'en dire
plus, mais il a résisté et il a dû forger une carapace autour de lui, celle que tu as pu voir, blasée et
presque cruelle. Personne ne doit pouvoir remettre en question son autorité. Il a aussi dû s'éloigner
de tous ses proches (y compris moi) de peur qu'on nous fasse du mal. Je crois qu'il se sent seul. Un
adolescent ne devrait pas endosser une telle réalité si tôt. Il n'a pas vraiment eu le choix. C'est
pourquoi je ne lui en veux pas. Un jour, avant son accession au pouvoir, on est allés sur un bateau
de ses parents. Je faisais l'andouille et je suis tombé à l'eau. Il a plongé sans hésiter pour me
rattraper (je ne savais pas nager à l'époque). Il n'était pas tellement meilleur que moi, mais il s'est
accroché et nous a ramenés sur le rivage sains et saufs. Ne lui répète pas, mais je pense qu'il a... un
secret. Des fois, il revient d'un voyage avec des blessures partout sur le corps, bien qu'il essaye de le
cacher. Mais ce n'est pas ça le pire. On apprend quelques jours plus tard en général qu'un général ou
autre de la cour à laquelle il était allé rendre visite est grièvement blessé ou mort. Bien qu'il subisse
un entrainement physique très intensif de la part de mes collègues gardes, je ne pense pas qu'il
utilise seulement ses poings pour se battre. Donc, si vous continuez à être ennemis (ce que je
détesterais car ça me forcerait à choisir un camp ), fais attention. Ne le sous-estime pas. Je ne te dis
pas ça pour rien, je n'aime pas trahir les secrets des gens. Mais ne le méjuge pas non plus. C'est
beaucoup plus compliqué que ce qu'on pourrait croire.
Encore sous le choc de toutes ces révélations, je remerciai Aaron (qui ne bégayait plus du tout, sans
doute parce qu'il était plus à l'aise avec moi qu'avant) et descendis de l'arbre. Je tournai les talons. Je
ne savais pas comment prendre toutes ces informations. Peut-être que Trystan en savait plus sur mes
pouvoirs qu'il ne le montrait. Ça expliquerait pourquoi il m'avait enlevée. Je devais lui parler, mais
comment le trouver ? Je ne doutais pas qu'il ait survécu à l'attaque du château ; d'après ce qu'Aaron
m'avait dit, il était largement capable de se défendre. De plus, il était le prince : les gardes l'avaient
certainement mis en sécurité dès que l'alarme avait sonné. Mais bon... je devais maintenant trouver
où il était. Je décidai de retourner au château avec Aaron dès le lendemain.
Chapitre 22
Mais avant mon départ, j'avais quelque chose à faire. Je retournai à la grotte. Yale était là, en train
de réparer le système d'eau courante que Kie et Bas avaient mis au point. J'attendis qu'il ait fini et le
hélai :
-Yale ! Salut... tu as deux minutes pour parler ?
-Oui, bien sûr, répondit-il. J'arrive. Tu voulais parler de quoi ?
Je l'entraînai à l'écart du groupe.
-Eh bien... fis-je. J'ai réfléchi à notre relation, ces derniers mois... et je me disais que peut-être...
Yale avait compris. La surprise, puis la tristesse se peignirent sur ses traits. Il soupira.
-Cat, je suis vraiment désolé, mais... j'aime une autre fille. Je te remercie vraiment, je suis flatté,
mais...
Il n'eut pas le temps de finir. Mon monde se brisa et les larmes brouillèrent ma vision. Je partis
lâchement en courant. Je parvins jusqu'à Eira et m'effondrai dans ses bras. Je sanglotai :
-Je savais que je n'aurais pas dû lui dire...
Elle comprit immédiatement et me serra contre elle. J'avais du mal à respirer.
-Je... j'ai besoin de sortir...
Elle me porta presque jusqu'à l'entrée de la grotte et mes ailes surgirent de mon dos presque par
réflexe. Je fis travailler leurs muscles puissants et gagnai de l'altitude. Les larmes continuaient de
rouler sur mes joues et s'écrasaient au sol. Les autres membres du groupe étaient tous là sauf Yale.
Même Aaron assistait à ma ridiculisation publique. Je n'avais qu'une idée en tête : partir. Le plus
loin possible. Plusieurs dizaines de minutes plus tard, je commençai à fatiguer et m'assis sur une
colline. Les pensées se bousculaient dans ma tête mais une, obsédante, revenait sans cesse : qui ?
Quelle fille avait réussi à dérider Yale ? Ça devait forcément être une fille du groupe. Il n'en voyait
aucune autre ou presque. Ce n'était donc pas moi (des aiguilles semblèrent me transpercer le cœur à
cette pensée). Qui alors, de Eira ou Al ? Je compris enfin. Bien sûr. Il passait énormément de temps
avec Al, c'était le seul à qui elle acceptait de parler quand j'étais partie... il aimait Al. Et c'était
réciproque. Je fus d'abord en colère contre elle. Puis je réfléchis. Elle n'avait pas essayé de se mettre
en travers de mon chemin quand je lui avais avoué que j'aimais Yale, elle m'avait même encouragée,
bien que son chagrin était apparent. C'était Yale qui m'avait rejetée, mais pouvait-on contrôler nos
sentiments ? Non, il avait juste été honnête avec moi. Et il avait eu raison. J'attendis que la nuit
tombe pour rentrer, et je partis le lendemain avec Aaron aux premières lueurs. Je laissai un mot. Je
ne voulais (lâchement) pas affronter leurs questions et regards. En chemin, je ne pus m'empêcher de
raconter à Aaron ce qui s'était passé. Il compatit sincèrement et fut heureux d'apprendre que je n'en
voulais à personne sinon moi-même. Nous arrivâmes au palais vers 11h, épuisés. Le blondinet
poussa une exclamation horrifiée en découvrant l'état du château : il était presque carbonisé, aucune
tour ne tenait plus debout et il restait peu de chose de sa splendeur d'autrefois.
-Qui a pu faire ça ? soufflai-je.
-Qu'est-il arrivé aux habitants du château ? renchérit Aaron.
Sa voix tremblait.
-Ma... famille habitait ici. J'ai une petite sœur... elle a 11 ans ! Et mes parents sont trop vieux pour se
défendre...
-Je sais. On va les retrouver, le rassurai-je.
Nous pensions tous les deux à Trystan, sans oser prononcer son nom à voix haute. Il avait
probablement été évacué, encore une fois par les gardes, et il était capable de se défendre, lui...
Mais si il avait disparu, Aaron serait anéanti et tous les gens de son territoire aussi. Sans plus
personne pour le gouverner, il tomberait vite entre les mains d'un souverain moins clément. Et
malgré le mal qu'il lui avait fait, Aaron considérait toujours Trystan comme son meilleur ami.
-Comment les trouver ? lançai-je. Tu connais des endroits où ils auraient pu se réfugier ?
Aaron parut réfléchir et son visage s'illumina brusquement.
-Oui ! Je sais ! s'exclama-t-il. Suis moi ! En revanche, nous y serons dans une heure minimum,
voire deux.
Je soupirai mais lui emboîtai le pas. Deux heures et demie plus tard, Aaron renonça et s'assit par
terre. Nous étions fatigués de nos bonnes cinq heures de marche. Nous avions soif, faim et mal aux
pieds. Mon souhait le plus fou en ce moment même était de m'asseoir, sur une chaise confortable,
en velours et... non. J'arrêtai de fantasmer sur des chaises et dirigeai mon attention vers mon ami. Il
n'avait vraiment pas l'air bien. Il était écarlate et vacillait sur place. Tout à coup, il tomba en avant,
la tête dans la poussière. Je le rattrapai in extremis. Heureusement qu'il était assis.
-Eh, appelai-je. Réveille-toi. Aaron ?
Ma voix devint de plus en plus pressante, mais il ne se réveillait pas. Je portai la main à son cou. Je
sentais son pouls. Je retins un cri d'horreur lorsque je remarquai les brûlures sur sa peau de blond.
Étant rousse, j'étais encore plus concernée, mais j'avais pensé à prendre de la crème solaire.
Pourquoi cet idiot ne m'avait-il pas demandé une pause à l'ombre, ou je ne sais quoi ? Je jurai dans
ma barbe. Maintenant, j'étais coincée sur un chemin sableux (le sable était brûlant) avec un homme
évanoui sur les bras, à je ne sais combien de kilomètres de la moindre âme qui vive, sans ombre et
sans arbres. Je ne me rappelais plus d'où nous venions, et étais de toutes façons bien incapable de
porter Aaron pendant plus de deux heures jusqu'aux ruines du palais. Et que ferions-nous là-bas ?
Non, rebrousser chemin n'était pas une option. Sans Aaron pour me guider, je ne pouvais pas non
plus avancer, mais je n'avais aucune possibilité de m'abriter. Peut-être que si je continuais sur le
chemin, je trouverais de l'ombre ? C'était ma meilleure option. Je hissai le blondinet sur mon dos en
poussant un grognement d'effort. Sa grande taille et musculature le rendaient... très lourd. La
chaleur corporelle, plus celle du soleil, n'arrangeaient pas ma condition non plus, malgré la crème
solaire, mais quel autre choix avais-je ? Je haletai pendant ce qui me sembla durer des heures
jusqu'à ce qu'une fine silhouette d'arbre se dessine à l'horizon. J'étais à deux doigts de m'évanouir,
mais persévérai. J'atterris lourdement sur le sol (à l'ombre, enfin !) en déposant Aaron. Épuisée, je
remis une couche de crème solaire et m'endormis, adossée contre l'arbre.
Aaron me réveilla un peu plus tard. Le soleil s'était presque couché et la température avait baissé. Il
faisait maintenant aux alentours de 25° C. Le garde, lui, avait l'air d'aller beaucoup mieux : ses
brûlures avaient déjà commencé à cicatriser et il paraissait bien réveillé. Il me remercia sobrement
de l'avoir sauvé et nous nous remîmes en route. Nous décidâmes de ne voyager que de nuit pour
éviter que ce qui s'était passé se reproduise. Nous dormirions le jour. Le voyage recommença.
Chapitre 23
Quelques mois plus tard...
-Ron ! Amène l'eau, grouille !
Le blond se précipita vers moi, portant une lourde cruche d'eau. Nous l'avions trouvée quelques
semaines auparavant dans les débris des maisons que nous croisions sur notre route et pillions
désormais pour survivre. Notre périple avait assez bien avancé en, quoi, quatre mois ? Cinq ? Mes
compagnons me manquaient, mais je me concentrais sur ma survie et mon avancée en ce moment.
Je n'avais pas tellement le temps de penser à eux, et tant mieux. Nous étions arrivés en Amérique il
y a quelques jours. Nos pistes nous menaient jusqu'à New York. Heureusement, avant de partir, avec
Ron, nous avions pris un peu d'argent au cas où. J'étais loin de me douter que le trajet durerait si
longtemps, mais nous avions été prévoyants. Hier, nous avions croisé une vieille dame, pas loin
d'Atlanta. Elle nous avait indiqué une cohorte de gens richement vêtus mais démodés qui était partie
vers la grosse pomme. Ron avait supposé que c'était Trystan, et nous étions partis, direction New
York. Nous aurions pu prendre un train, ou n'importe quel moyen de transport, mais nos pieds
étaient la seule solutions, le peu d'argent que nous avions pris ayant été dépensé dans les vêtements
d'hiver et les tentes pliables que nous utilisions pour la nuit. Pour manger, c'était... la galère. La
cruche aidait (Ron trouvait des ruisseaux par-ci par-là), mais pour le reste... Nous étions parfois
assez chanceux pour trouver des arbres fruitiers ou attraper quelques poissons dans les rivières,
mais la plupart du temps, nous mangions les conserves les moins chères du marché, ou alors des
barres de céréales (très peu chères également). Des fois, je dépliais un peu mes ailes quand aucun
humain excepté Ron n'était autour, mais je restais dans l'ensemble auprès de ce dernier (il ne
pouvait pas suivre si je volais, et nous avions intérêt à ne pas nous séparer). Cependant, il m'arrivait
de voler (toujours quand il n'y avait personne autour) et de l'emporter avec moi. Nous allions plus
vite, mais je me fatiguais assez rapidement (j'étais d'ailleurs souvent assez fatiguée tout le temps,
trop pour le porter plus de quelques kilomètres). Si je partais, à quoi cela servirait-il de trouver le
prince qui me traitait comme une ennemie, voire me réemprisonnerait ? Si lui partait, de toutes
façons, il ne pouvait pas aller bien loin tout seul, sans le peu d'argent qui me restait pour acheter à
manger. De plus, une amitié sincère s'était nouée entre nous. Bref. Nous restions ensemble.
-Voilà, voilà... soupira-t-il. T'as trouvé quelque chose à manger ?
-Non, désolée, ça va encore être barre de céréales.
Il grimaça et je lui tendis la barre qu'il saisit à contrecœur.
-Si tu veux, pour me faire pardonner, je pense que je peux te porter jusqu'à New York.
Une lueur éclaira son regard.
-T'es sûre ?
-Mais oui, t'inquiète, le rassurai-je.
Il sourit et me remercia d'un hochement de tête. Nous fîmes une petite pause. Je le saisis par les
bras, vérifiai d'un coup d'œil qu'il n'y avait personne aux environs et déployai mes ailes. La
sensation familière du vent me portant m'emplit. Mon bonheur aurait été parfait si Eira, Bas, Kie...
et Al et Yale... avaient été là. Je m'étais efforcée de chasser de mon esprit ce qui s'était passé (ou
plutôt pas passé) entre Yale et moi, et la relation d'Al et de Yale. Que c'était-il passé pendant mon
absence ? J'avais l'impression de m'éloigner d'eux de plus en plus, à cause de mes absences répétées
et des histoires de cœur. J'avais fui lâchement leur regard et j'appréhendais mon retour, mais en
même temps, plus le temps s'écoulait et plus je me sentais loin d'eux. Je revins à la réalité lorsque
Ron me demanda :
-Tout va bien ?
J'hésitai mais lui fis part de mes inquiétudes.
-Je comprends, assura-t-il. Je ne peux pas dire grand-chose (je ne m'y connais pas beaucoup en
amour), mais je peux te conseiller de te concentrer sur notre objectif. C'est déjà assez dur comme
ça.
Je savais qu'il avait raison (bien sûr qu'il avait raison), mais mon esprit ne cessait de vagabonder. Je
changeai de sujet :
-Tu as dit que tu ne connaissais pas grand-chose à l'amour, mais il a bien dû t'arriver d'avoir des...
béguins ?
J'essayais de ne pas prononcer le mot crush, pas sûre qu'il le connaissait, mais je m'embourbais. Je
ne savais pas vraiment quel autre mot employer. Il lut dans mes pensées :
-Je connais le mot crush, ne t'inquiète pas. Eh bien... je suppose, mais rien qui mérite d'en parler.
Je devinai qu'il y avait anguille sous roche mais n'insistai pas. Un silence gênant s'installa. Nous
planâmes en silence jusqu'à quelques kilomètres de NYC, où les gens devinrent trop nombreux pour
que je prenne le risque de continuer à voler. Je me posai en douceur et rétractai mes ailes. Un froid
soudain me prit. La doudoune achetée un peu moins d'un mois plus tôt ne suffisait plus à me
réchauffer. Je frissonnai. J'avais une étrange impression de déjà-vu. J'avais ressenti la même chose
lorsque Trystan m'avait enlevée. Ça pouvait vouloir dire deux choses :
-Soit je suis en danger, soit Trystan n'est pas loin, murmurai-je.
-Pardon ? s'inquiéta mon ami. Tu dis que Trys est là ?
-J'espère.
Sans plus faire attention à moi, il s'élança vers la ville. Je le comprenais. Si on me disait qu'Eira
était là, je serais partie en courant aussi. Je le suivis, malgré la fatigue et le froid qui alourdissaient
mon pas.
-Attends ! l'interpellai-je. Tu ne sais pas où tu...
Je m'interrompis. Je l'avais perdu de vue deux secondes. Où était-il passé ?
-Ron ? Aaron ! appelai-je.
En vain. Mon ami avait disparu dans la foule et les gratte-ciel. Je jurai dans ma barbe. Qu'est-ce qui
lui avait pris ? Comment allais-je bien pouvoir le retrouver ? La panique s'empara de moi. J'inspirai.
« Calme-toi, Cat. Tout va bien se passer. ».
Je décidai de me rendre dans un endroit pour m'abriter. La nuit tombait. Si je ne retrouvais pas Ron
bientôt, il risquait de passer la nuit dans le froid, sans couvertures ni tentes, et avec l'estomac vide.
Nous en avions peut-être marre des barres de céréales, mais c'était tout de même mieux que rien. Je
repris mes recherches de plus belle, mais le soleil disparut progressivement à l'horizon. Je
m'installai enfin dans une rue assez peu passante pour rester discrète, mais pas trop peu pour ne pas
avoir à utiliser ma magie pour me défendre. Mon mantra : éviter d'attirer l'attention. Je me glissai
sous ma couverture, laissant celle de mon compagnon de voyage à côté, mais le froid me força
bientôt à la prendre. Je ne pouvais m'empêcher de me sentir coupable. Inquiète pour lui, je
m'enfonçai sous les couvertures. Je ne pouvais rien faire pour lui sinon prier pour que quelqu'un l'ait
trouvé.
Chapitre 24
Le lendemain matin, en croquant dans mon habituelle barre de céréales, je réfléchis à voix haute.
-Si je veux retrouver Ron, il faut probablement chercher Trystan. Il pourrait (peut-être) m'aider dans
mes recherches (si Ron n'est pas avec lui). Mais comment le trouver ?
Nos pistes s'arrêtaient à New York. Et ce n'était pas un petit village. Peut-être pourrais-je repartir à
notre point d'arrivée à New York et me mettre à la place du blondinet. Ceci dit, il connaissait mieux
Trystan que moi, donc il aurait probablement trouvé des pistes que j'étais incapable de voir. Mais
bon, c'était ma seule idée, donc je n'avais pas trop le choix. Je me levai, pliai la tente et marchai
distraitement vers le lieu convenu. Les New Yorkais me regardaient de travers sur le chemin. J'étais
en effet sale et négligée, et j'avais l'air d'une SDF avec ma tente –correction : j'étais SDF. Mais il n'y
avait aucun endroit où j'aurais pu profiter d'une douche chaude (mon rêve le plus cher). Au début, je
soutins le regard des gens avec une expression défiante, mais au bout de la dixième personne,
j'abandonnai et replongeai dans mes pensées. Ma fierté me manquait. J'arrivai enfin au square que je
recherchais. Je faillis passer à côté et m'arrêtai si brusquement qu'une femme marchant derrière moi
me rentra dedans. En marmonnant des excuses sous son regard réprobateur mais maternel, je reculai
et elle reprit son chemin. Je pris soudain conscience de ma solitude. À cet instant précis, j'aurais
tout donné pour avoir une mère, ou au moins quelqu'un qui resterait toujours avec moi peu importe
ce qu'il se passait. Jusqu'ici, mes amis avaient été pour moi comme ma famille, mais maintenant que
nous nous éloignions, je ne savais plus vers qui me tourner. Aaron était à peu de chose près le seul
pilier en qui je pouvais avoir confiance, et voilà qu'il avait disparu... je relevai la tête et me secouai
intérieurement. Ce n'était pas le moment de flancher, après tout ce chemin parcouru. Je scrutai les
rues grises et pleines de monde, dans le piètre espoir de trouver une piste, n'importe quoi, qui
pouvait me mener jusqu'à Ron. En vain. Quelques bonnes dizaines de minutes plus tard, désespérée,
je franchis la porte d'un café. Quel ne fut pas mon soulagement en découvrant Ron assis à une table
en face d'un brun que je ne reconnus pas tout de suite. Je me précipitai vers eux.
-Ron !
Il tourna la tête vers moi, interloqué, et son visage s'éclaira lorsqu'il m'aperçut.
-Cat ! Enfin... j'ai cru que nous ne te trouverions jamais ! Tu vas bien ?
-Ça va, et toi ?
Nous fûmes interrompus dans nos joyeuses retrouvailles par un raclement de gorge. Je me retournai,
face à... Trystan. Je l'avais presque oublié, lui. Je ne savais pas vraiment quoi penser du brun. Autant
Ron m'avait raconté des anecdotes touchantes sur lui, autant j'avais l'impression que je n'étais pas
face à la même personne que le garçon attentionné et abandonné qu'il m'avait décrit. Ses sourcils
noirs impeccables se froncèrent.
-Catrin, je présume ? Nous n'avons pas été présentés officiellement la dernière fois.
Le ton suffisant qu'il avait repris m'exaspéra, mais je serrai les dents et hochai la tête.
-Et toi, c'est Trystan, j'imagine ?
Il tressaillit au tutoiement mais je le toisai d'un air de défi et il ravala la réplique cinglante qui, j'en
étais sûre, lui était montée aux lèvres. Gêné, Aaron reprit la parole :
-Oui, exactement. Bon. Raconte-moi tout ce qu'il s'est passé pendant notre séparation, ceci dit
brève, mais moi, j'ai des choses à te raconter. Ah, et au fait, tu veux un truc à boire ?
-J'avoue qu'un chocolat chaud ne serait pas de refus, souris-je. Pour le reste, je te raconterai dans
deux minutes, laisse-moi juste aller aux toilettes.
-Bien sûr, répondit-il.
Lorsque je revins, les garçons semblaient être au milieu d'une dispute animée. N'osant pas les
interrompre, je me faufilai plus proche de notre table, sans trop m'approcher. N'y tenant plus, je
tendis l'oreille. J'arrivais à peu près à distinguer ce qu'ils disaient :
-...sûr qu'on peut lui faire confiance ? demanda Trystan.
-Je lui confierais ma vie, assura Ron.
-Peut-être toi, mais pas moi. Tu as toujours été trop crédule.
-Ah, parce que comme ça, on revient encore sur ce sujet ? Comme quoi tu as toujours été le plus
fort de nous deux et que je n'étais qu'un petit animal errant que tu as pris en pitié ?
Pour la première fois depuis que je l'avais rencontré, j'entendais de la colère dans la voix de mon
ami. Mais pas une colère foudroyante, passagère. C'était une vieille rancœur, pleine d'amertume et
de non-dits. Trystan serra le poing jusqu'à ce que ses jointures blanchissent. Sentant que ça allait
mal tourner, je me raclai la gorge. Aaron détourna à contrecœur les yeux de son... ami ? Ennemi ?
pour me regarder.
-Tout va bien ? m'enquis-je.
-Très bien, répondit-il, les dents serrées.
Je souris, mal à l'aise, et me dirigeai vers ma chaise. Je m'assis. Trystan me fixait, d'un regard
indéchiffrable. Aaron le toisait, comme si il le mettait au défi de dire quoi que ce soit. L'ambiance
était pour le moins étrange. Je pris la parole, comptant briser le silence gênant qui régnait.
-Hum... alors, euh... quelle coïncidence qu'on se soit croisés, hein ?
Trystan me contredit :
-On t'a suivie.
-Hein ? Mais d'où ? Comment vous m'avez trouvée, à la base ?
Avec un regard sombre, mon ami avoua :
-Quand je suis parti en courant, Trystan était par hasard juste à côté, et au bout de quelques rues, je
suis tombé sur lui. Il m'a agrippé par le bras et je lui ai tout expliqué. Il n'a pas voulu qu'on aille te
chercher tout de suite, il voulait voir d'abord si tu étais digne de confiance. On t'a regardée me
chercher en vain pendant des heures.
Scandalisée et trahie, je me tournai vers le brun dans l'espoir qu'il démente ces propos. Mais son
silence était une confirmation bien suffisante. Je me levai, furieuse et prête à partir, mais Trystan me
retint d'une parole :
-Je l'ai forcé.
Dans ses yeux, il n'y avait pas la moindre trace de culpabilité ou de remords. Amère, je me tournai
vers le blond :
-Et tu restes avec lui ? À sa botte ? Tu as vu comment il te traite ? Il se fiche de toi ! Tu n'es qu'un
esclave bien pratique à ses yeux !
Aaron semblait partagé entre sa loyauté envers son roi, son premier ami, et le traitement que ce
dernier lui faisait subir.
-J'ai besoin d'air, lâchai-je avant de tourner les talons.
Chapitre 25
Je hélai un taxi dans lequel je dépensai les rares dollars qu'il me restait (après tout, Trystan nous
devait bien de nous entretenir), et une fois arrivée aux abords de la ville, là où il n'y avait personne,
je déployai enfin mes ailes et savourai ma sensation de liberté. Je pris un peu de temps pour
réfléchir et, une fois ma décision prise, je redescendis vers le gris, la pollution et... mes problèmes.
Alarmée, je me rendis compte que j'avais donné tout l'argent que j'avais au chauffeur de taxi et
n'avais donc plus rien pour retourner au café, en espérant qu'Aaron et Trystan y soient encore. J'étais
à bien 20km de celui-ci, qui se trouvait à l'autre bout de la ville. J'envisageai le stop mais laissai vite
tomber l'idée ; les gens à New York n'étaient pas des plus flâneurs. En réalité, ils étaient même
plutôt pressés et de mauvaise humeur. Marcher, alors ? C'était beaucoup trop long et trop fatigant, je
n'avais pas d'eau, ni quoi que ce soit pour tenir la route. Je me sentais plus seule que jamais.
Désemparée, je m'assis sur le rebord du trottoir. Il se mit à pleuvoir. Le froid me saisit à nouveau.
-Oh non, murmurai-je pour moi-même.
Les frissons me reprirent. Les passants me regardaient de travers. Je n'avais qu'un besoin : échapper
à ces regards. Je me levai brusquement et me mis à courir sans direction précise. Je voulais juste
m'éloigner de tous ces gens, de tout ce gris, de tout ce stress qui enfonçait ses griffes dans ma peau
et jusque sous mes os. Je respirais bruyamment. Je crus voir une silhouette noire au coin de la rue,
mais elle disparut vite. Ce n'était que mon imagination, probablement. L'angoisse et la vitesse me
brouillaient la vue. J'avais si froid... Je continuai à courir, de plus en plus vite, mais les bâtiments
me paraissaient sans fin. Une faiblesse soudaine me prit et je m'effondrai contre le béton froid. Je
sentis à peine des bras puissants me soulever et me transporter jusqu'à... un matelas ? Je perdis
totalement connaissance et m'abandonnai à la douce chaleur cotonneuse du sommeil. Je me réveillai
au son de la voix de Ron. Il semblait se disputer avec Trystan, encore.
-... ta faute.
-Si tu ne l'avais pas amenée, on n'en serait pas là ! grogna Trystan.
-Elle m'a raccompagnée ici et je lui dois la vie, donc fais preuve d'un peu plus de respect envers
elle, je te prie !
-Parce qu'elle m'en montre, peut-être ?
-Elle fait de son mieux, et tu ne lui rends pas la chose plus facile.
-L'inverse est vrai, rétorqua le brun, amer.
-Je vais lui parler, se radoucit Ron. Mais peut-être que ce serait plus simple si tu faisais des efforts
de ton côté aussi. D'accord ?
-Très bien, accepta le prince de mauvaise grâce.
Je me relevai, ignorant la migraine lancinante qui me transperçait le crâne.
-Je vais vous épargner tout de suite la discussion avec moi ; je m'en vais. J'ai juste besoin d'un
moyen de transport pour rentrer chez moi et retrouver mes amis, lançai-je à Trystan d'un air de défi.
Un sourire satisfait fit surface sur ses lèvres. Aaron me fixait d'un regard triste. J'étais trop occupée
à regarder mon ennemi dans les yeux pour m'excuser auprès de Ron. Trystan accepta, ravi :
-Je peux te faire rentrer chez toi par avion dès demain.
-Merci, Votre Majesté, répondis-je ironiquement avec une petite révérence.
Il me fusilla du regard et tourna les talons. Je profitai du silence qui régnait pour scruter les
alentours : j'étais dans ce qui semblait être une chambre d'hôtel. Le lit dans lequel j'avais dormi était
bordé de draps blancs froissés et le papier peint était couleur crème. La chambre était dans
l'ensemble assez lumineuse, grâce à une grande fenêtre à double battant. Aaron m'interpella, furieux
:
-Cat. Tu ne peux pas partir comme ça !
-Pourquoi ? rétorquai-je. Ma mission est terminée : je t'ai conduit ici sain et sauf.
-Tu ne peux pas dire que tous ces mois passés avec moi, c'était juste pour ta « mission ».
-Non, en effet. J'ai apprécié ta compagnie, mais j'ai besoin de rentrer chez moi. Pendant tous ces
mois, je n'ai pas vu mes amis, et je suis partie comme une lâche. J'ai besoin de leur parler. J'ai
besoin de les voir. J'ai besoin d'eux. Comme tu avais besoin de Trystan.
Mon ton était sensiblement monté et j'essayai de me calmer. La panique revenait comme dans la
ville, et je ne savais pas ce que j'étais capable de faire si Ron me poussait à bout. Comme s'il avait
lu dans mes pensées, celui-ci sembla se lancer le défi de le faire :
-Je ne te laisserai pas partir. Je comprends, mais égoïstement, j'ai aussi besoin de toi ici.
-Pourquoi ? raillai-je, de plus en plus énervée. Tu ne veux pas te retrouver seul avec ton meilleur
ami ?
Il serra les dents mais ne répliqua rien. Je m'avançai vers la porte. Il ne s'écarta pas.
-Pousse-toi, grognai-je.
-Non.
-Très bien. Tu ne peux pas dire que je ne t'avais pas prévenu.
Je le poussai violemment contre le mur, avec mes mains devenues brûlantes. Il poussa un cri de
douleur, pris au dépourvu. Ce cri dût alerter Trystan qui arriva juste à temps.
-Arrête ! cria-t-il.
Il semblait toujours contrôler la situation. C'était d'un pénible... je lançai une boule e feu près de son
visage, pour voir à quel moment il allait s'avouer vaincu. À ma grande surprise, il resta très calme.
-Catrin, calme-toi. Je sais ce que ça fait.
Malgré moi, je fus apaisée par sa voix. J'essayai de retrouver ma colère, mais il continua à parler
doucement et à m'approcher petit à petit, comme un animal qu'on voulait apprivoiser.
-Tout va bien se passer.
Il me prit doucement, très légèrement, par l'épaule et me mena à la sortie de la chambre. Il me
conduisit ensuite jusqu'à une petite ruelle déserte.
-Vas-y.
-Quoi ?
-Tu peux te défouler maintenant.
-Sur toi ?
-Bien sûr que non.
Il retrouvait sa voix arrogante et capricieuse, mais je remarquai qu'il ne se formalisa pas du
tutoiement qui m'avait échappé.
-Sur les murs.
-Et si je les abîme ?
-Qui le saura ?
J'esquissai un demi-sourire.
-Très bien.
Je fermai les yeux et me concentrai sur le pouvoir liquide qui coulait dans mes veines. La chaleur
émana de mon cœur et voyagea jusqu'à mes mains, qui se mirent à chauffer. Une boule de feu prit
bientôt forme à l'extrémité de chaque main. Je tournai les yeux vers Trystan, qui m'observait avec
une curiosité qui me mit mal à l'aise.
-Tu peux t'écarter, s'il te plaît ?
Il grommela à contrecœur :
-Ok...
Maintenant plus détendue, je fixai le mur en face de moi et projetai de toutes mes forces la flamme.
Ça faisait du bien. Je poursuivis quelque temps puis eus le sentiment d'en avoir fini. Je me dirigeai
alors vers le prince, qui n'avait pas bougé.
-Comment tu savais que ça m'aiderait ?
Il sembla hésiter mais le masque impassible sur son visage se reforma :
-J'ai eu quelques expériences avec des gens comme toi. Enfin, pas exactement comme toi, mais...
bref. Ça les apaisait en général de se défouler.
Je réprimai ma curiosité qui me poussait à réclamer plus d'informations sur ces gens. Trystan lança
brusquement après quelques secondes de silence :
-Tu peux partir dès maintenant si tu veux. Ça t'éviterait les adieux.
J'eus l'étrange impression qu'il me comprenait. Il avait visé juste. Je soupirai.
-Tiens-moi au courant de comment va Aaron, s'il te plaît.
-Comment ?
-Eh bien... tu as un téléphone ?
-Oui.
-J'en ai un aussi, chez moi. Je peux te donner mon numéro, et tu m'enverras des nouvelles de lui
régulièrement.
-Et pourquoi je ferais ça ?
Il essayait de retrouver sa carapace intouchable, mais je voyais clair dans son jeu.
-Pour être aimable.
Je griffonnai mon numéro sur un petit bout de papier que je lui tendis. Il demeura impassible
quelques instants puis s'en saisit.
-Je ne promets rien.
-Bien sûr ! répliquai-je alors qu'il s'éloignait.
Apparemment, les adieux n'étaient pas trop son truc, à lui non plus. Je tournai à mon tour les talons
vers le jet qui venait d'atterrir et ravalai ma culpabilité par rapport à l'écologie.
Chapitre 26
Le trajet se déroula sans histoires et j'arrivai bientôt à quelques kilomètres de la grotte, là où j'avais
demandé au pilote de me déposer. L'angoisse me saisit. Malgré mes fanfaronnades devant Trystan,
je n'étais pas sûre d'être prête à revoir Yale. Je décidai donc de passer la nuit dans un arbre pour me
laisser le temps de réfléchir. Je déployai mes ailes et m'élevai rapidement jusqu'à un arbre assez haut
pour admirer le coucher de soleil : le ciel brûlait de nuances de rose, d'orange et même de bleu-
violet. Les traînées de nuages fins sur ce fond coloré m'éblouirent et je fus soudain assez détendue.
Un sentiment de plénitude m'envahit. J'aurais voulu rester ici pour toujours. Malgré la nuit qui
tombait et la fin de l'été qui approchait, il faisait encore assez doux. Je m'endormis, bercée par le
doux son des cigales. Je fus réveillée par le soleil matinal. Il devait être assez tôt et mes amis
dormaient probablement encore, mais je commençais à avoir faim. Je me mis en quête de baies à
manger, à défaut d'un meilleur petit-déjeuner. Une fois à moitié rassasiée, je me demandai que faire
en attendant le réveil des autres, qui n'aurait probablement pas lieu avant deux heures, les
connaissant. Une idée me vint. Je sifflai doucement et poussai un petit cri de joie en sentant la
fourrure blanche de mon relié contre ma jambe. Je m'agenouillai et posai ma tête sur son museau. Il
jappa, m'invitant à monter. J'obéis avec plaisir et il galopa pendant une bonne heure dans la forêt
avec moi sur son dos. Je l'arrêtai pour ne pas l'épuiser et le récompensai d'une caresse. Il me mena
bien vite à la grotte de mes amis, sans trop me laisser le choix. Les souvenirs m'assaillirent à la vue
de mon chez-moi. J'aperçus Al. Elle était accompagnée de Yale. Le revoir provoqua un
tressaillement involontaire. Les deux semblaient très proches et mon cœur sauta un battement
lorsque Yale déposa un baiser sur la joue d'Al. Ils étaient ensemble. Pas que je ne m'y sois pas
attendue, mais... je n'y avais tout simplement pas réfléchi. Sous le choc, je restai plantée devant la
grotte, les bras ballants. Eira me vit et courut vers moi.
-Cat ! Tu es enfin de retour...
Elle m'étreignit, la voix tremblante. L'heureux couple se dirigea à son tour vers moi et Al lança :
-On a cru qu'on allait jamais te revoir.
Hésitante, elle se décida finalement à enrouler ses bras autour de moi, brièvement. Yale semblait ne
pas savoir où se mettre et pour être honnête, j'étais un peu dans le même cas.
-Salut... tentai-je, mal à l'aise.
Eira comprit mon trouble après avoir jeté un coup d'œil à Yale, et vint à mon secours : elle m'attrapa
par le bras et m'entraîna vers la grotte.
-Viens, on va dire aux autres que tu es rentrée !
Son enthousiasme me gagna bientôt. Bas apparut.
-Cat ? lança Bas, incrédule.
Je répondis :
-Eh oui, je suis de retour. Désolée d'être restée absente si longtemps.
Eira me frappa, mi-riant, mi-furieuse.
-Pourquoi n'as-tu pas donné de nouvelles ? On était tellement inquiets...
-Je n'avais aucun moyen de communication, m'excusai-je.
Elle sourit, mais je sentais l'amertume qui perçait derrière son regard bleu. J'essayai maladroitement
de changer de sujet :
-Sinon, qu'est-ce que j'ai manqué ?
-Ben, comme tu vois, on s'est réveillés tôt aujourd'hui parce que c'est bientôt l'anniversaire de Kie,
et on voulait lui préparer une surprise... ah oui, et comme tu l'as sans doute remarqué, Al et Yale se
sont beaucoup... rapprochés, expliqua Bas.
Je jetai un coup d'œil interrogateur à Eira, qui me fit comprendre d'un signe de dénégation que notre
ami n'était pas au courant de ce qui s'était passé avec Yale juste avant que je parte. Tant mieux.
J'acquiesçai, fatiguée, après ma nuit assez courte et inconfortable dans la forêt. Je bâillai. Eira
remarqua tout de suite ma fatigue et proposa :
-Tu veux aller te coucher ? On n'a pas touché à ton côté de la grotte, ton matelas est toujours là, et...
je ne sais pas si tu as remarqué, mais les travaux ont bien avancé, donc... on a pu faire des lits !
finit-elle, triomphante.
-Pour moi aussi ? demandai-je, incrédule.
-Bien sûr ! Et puis, on s'est dit que si tu ne revenais pas, il pourrait toujours servir à des invités...
La lueur dans ses yeux s'assombrit. Je m'empressai de décliner sa proposition ; malgré la tentation,
j'étais déterminée à profiter de mes amis aussi longtemps que je le pouvais. On ne savait jamais
quand nous devrions nous séparer à nouveau, et j'avais une sorte de pressentiment qui me soufflait
que ce moment arriverait plus tôt que prévu. Une sorte d'inquiétude s'empara de moi à cette idée,
mais je la chassai vite, et la journée que je passai eut vite fait de me distraire. Eira m'emmena vers
une surprise dont elle avait l'air très fière. Je retins un cri de surprise quand j'arrivai vers la cabane
qu'elle voulait me montrer. Au milieu de la forêt, mes amis avaient construit une cabane dans les
arbres. Elle était faite de branches empilées sur une grande planche de bois et attachées entre deux
énormes arbres grâce au pouvoir de Al et Bas, j'imagine. Nous profitâmes de la merveilleuse cabane
de mon amie quelques heures puis rejoignîmes les autres pour le déjeuner. Après quelques
bouchées, Alana proposa timidement :
-Peut-être qu'on pourrait faire une sortie en ville entre filles cet après-midi, non ?
Eira semblait très enthousiaste et j'étais aussi partante ; ça nous donnerait l'occasion de renouer des
liens avec Al dont j'avais l'impression de m'être beaucoup éloignée durant mon absence. Nous nous
tournâmes vers cette dernière et approuvâmes toutes les deux, pour son plus grand plaisir. Nous
appelâmes nos familiers respectifs et nous dirigeâmes vers la ville. Une fois arrivées, Eira nous
proposa un café, qui fit l'unanimité. Assise tranquillement sur sa chaise, Al nous fit part d'une idée
qu'elle semblait couver depuis un certain temps déjà.
-J'aimerais me teindre les cheveux. Je n'ai jamais aimé ma couleur naturelle, trop basique à mon
goût. Mais à l'orphelinat, je ne pouvais pas, et après...eh bien, c'était compliqué. Je voulais vous
demander votre avis avant, et... j'ai un peu peur de franchir le pas, j'avoue.
Eira l'interrompit :
-Quelle couleur ?
-Pardon ? répondit Al, surprise.
-De quelle couleur veux-tu te teindre les cheveux ? articula Eira.
-Ah, euh... j'adore le vert... vous en pensez quoi ?
-Ça t'irait très bien, répondis-je d'une voix rassurante. Et tu sais quoi ? Puisqu'on est engagées dans
ça, autant le faire toutes ensemble ! J'ai bien envie de violet...
-Et le bleu, ça mettrait en valeur mes yeux, non ? s'interrogea Eira.
Nous acquiesçâmes. Al sourit. Elle ne l'admettrait jamais, mais je savais que notre geste comptait
beaucoup à ses yeux.
-Alors, qu'est-ce qu'on attend ? lançai-je. En route !
Nous traversâmes le petit village dans lequel nous avions atterri, riant, jusqu'à un petit salon de
coiffure qu'Al avait repéré sur le chemin. Nous avions l'impression d'être intouchables. Cette
impression ne durerait pas. Après ce jour, rien ne serait jamais plus comme avant. Eira poussa la
porte et nous grimaçâmes en constatant l'état des lieux. Le salon était tout petit, nous avions à peine
la place d'y tenir toutes les trois, et les meubles étaient couverts de poussière et de cheveux. Nous
éternuions à tour de rôle. Une vieille dame se tenait derrière le comptoir, nous jaugeant de ses petits
yeux perçants. Mais nous avions vu pire et ne nous laisserions pas arrêter par l'état misérable de la
pièce.Al se racla la gorge et demanda avec aplomb :
-Bonjour. Nous venons pour colorer nos cheveux.
La vieille dame nous toisa et répondit finalement d'une voix grinçante et désagréable :
-Il n'y a qu'une place.
-Qu'importe, répondis-je. Nous attendrons.
Al me gratifia d'un regard reconnaissant. Elle et la vieille disparurent bientôt dans une autre pièce,
qui avait l'air encore plus petite et sombre (si c'était possible), nous laissant seules dans un silence
embarrassant. Je cherchai quelque chose à dire, mais rien ne me vint. Nous demeurâmes donc dans
le silence, mon amie semblant dans le même cas que moi. Mes pensées vagabondèrent vite et se
dirigèrent vers Aaron. J'espérais qu'il allait bien. Avoir le prince pour seule compagnie devait être
difficile. Je ne comprenais pas ce que mon ami lui trouvait : il était arrogant, désagréable, et
semblait accorder bien peu de crédit à Aaron. Son histoire tragique n'excusait pas tout. Notre amie
ressortit de la pièce après ce qui nous avait semblé une éternité. Ses cheveux étaient désormais vert
clair, avec juste les racines en marron. Elle semblait ravie. Nous la complimentâmes puis Eira
m'invita à y aller et je lui adressai un sourire.
La coiffeuse m'emmena à mon tour dans la pièce, qui était peut-être légèrement moins terrible et
insalubre que je l'imaginais. Tant mieux. Elle me demanda brusquement quelle couleur je voulais, et
je répondis :
-Violet.
Elle grommela puis se mit à l'œuvre. Je ressortis quelques dizaines de minutes plus tard, avec mes
nouveaux cheveux dont j'étais absolument amoureuse. Eira, impatiente, rentra dans la petite pièce
avant même que la gérante du salon ne l'y invite.
-Waouuh ! s'exclama Al en observant mes cheveux. Elle a vraiment fait du bon travail, ça te va trop
b...
La fin de sa phrase fut coupée par la sonnerie de mon téléphone. Je fus surprise en voyant le nom de
Trystan s'afficher, puis inquiète : il ne m'aurait jamais appelée à moins d'avoir une raison
extrêmement urgente. Je décrochai.
-Allô ?
-Catrin... répondit-il, essoufflé. On nous attaque, Aaron est blessé ! Je... je ne savais pas qui
appeler...
-Où êtes-vous ? l'interrompis-je.
Chapitre 27
[...]
-Trystan, écoute moi. Je comprends que tu puisses douter mais réfléchis : pourquoi t'aurais-je
sauvé si mon but n'était pas de t'aider ? Quel intérêt aurais-je à te garder prisonnier ?
Je réfléchis. En effet, si elle ne pouvait pas vouloir me soutirer des informations ou quelque chose
du

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