Mythologie Et Philosophie 234234239

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Mythologie et philosophie

Dès l'époque archaïque, les philosophes s'écartent parfois beaucoup des récits les
plus répandus, beaucoup parce qu'ils proposent leurs propres systèmes, eux-mêmes
fortement imprégnés de religion : Pythagore est ainsi, au VIe siècle av. J.-C., le
fondateur du pythagorisme. D'autres se montrent plus critiques et à la limite de
l'impiété, tel Anaxagore poursuivi en justice à Athènes au Ve siècle av. J.-C. pour
avoir affirmé que le soleil était une pierre incandescente3. Platon oppose parfois
le muthos considéré comme récit mensonger et le discours rationnel (le logos) qui
doit guider le philosophe27 ; mais cette opposition est loin d'être systématique et ne
se retrouve pas dans tous ses dialogues28. Platon lui-même, dont la pensée s'inscrit
par ailleurs dans la continuité de la religion traditionnelle29, ne rejette pas le concept
de muthos conçu comme récit et ne s'interdit nullement d'y recourir. Loin de
supprimer totalement les mythes de son œuvre, il en invente de nouveaux qui font
partie intégrante de ses démonstrations philosophiques et consistent soit en
des allégories destinées à mieux faire comprendre une argumentation (comme
l'allégorie de la caverne), soit en des récits élaborés sur le modèle des mythes
anciens dont ils reprennent les thèmes et les fonctions, et qui permettent de rendre
compte de la composante non rationnelle de certains sujets30. C'est dans ce contexte
que s'inscrivent par exemple le mythe d'Er au livre X de La République et les
différents récits du Banquet, dont le mythe de l'androgynie placé dans la bouche
d'Aristophane. Platon utilise aussi le mythe à des fins politiques, par exemple en
élaborant le mythe de l'Atlantide qui met en scène une Athènes idéalisée, conforme
aux vœux politiques de Platon, luttant victorieusement contre une Atlantide qui
incarne tout ce que Platon réprouve dans la thalassocratie athénienne de son
temps31.

Typologie des principaux mythes grecs


Récits des origines
Cosmogonies : la création du monde
Article détaillé : Cosmogonie.
Les Grecs connaissaient plusieurs cosmogonies, c'est-à-dire des récits relatant la
naissance et la mise en ordre progressive du cosmos, le monde organisé32. Celle que
nous connaissons le mieux, car elle nous est parvenue en entier, est celle que
compose Hésiode dans la Théogonie et selon laquelle existe (ou apparaît)
d'abord Chaos, puis Éros et Gaïa (Terre), laquelle
engendre Ouranos (Ciel), Pontos (Flot marin) et d'autres divinités, tandis
que Chaos en engendre d'autres, les différentes lignées donnant peu à peu
naissance, au fil des générations, à toutes les divinités incarnant les aspects
fondamentaux de la nature (Hélios, Séléné), aux divinités souveraines
(Cronos puis Zeus), mais aussi à des êtres monstrueux qui sont ensuite éliminés ou
enfermés par les dieux ou les héros (la plupart des enfants de Nyx, mais
aussi Typhée et sa progéniture).

Mais nous connaissons aussi l'existence d'autres cosmogonies. Au chant XIV de


l'Iliade, Héra feint de rendre visite à Océan et Téthys, qu'elle qualifie de « père et
mère des dieux »33, ce qui peut constituer une allusion à une cosmogonie différente
où Océan et Téthys seraient les deux divinités originelles. L'orphisme, courant
religieux qui se plaçait à l'écart des pratiques traditionnelles du culte et se plaçait
sous le patronage du poète mythique Orphée, a développé, au moins à partir de
l'époque classique34, plusieurs cosmogonies propres à son système de pensée. Nous
n'en avons qu'une connaissance lacunaire, mais nous savons qu'elles plaçaient à
l'origine du monde la Nuit ou le Temps, qui engendre un œuf donnant à son tour
naissance à Phanès ou bien à Éros35. L'orphisme accorde également une place
beaucoup plus grande à Dionysos, qui est mis à mort, cuit et mangé par
les Titans avant d'être ressuscité36. On attribuait aussi une cosmogonie à Musée, un
autre poète mythique souvent associé à Orphée. À l'époque archaïque, plusieurs
poètes, comme le Crétois Épiménide, le Lacédémonien Alcman ou
l'Argien Acousilaos, ainsi que des philosophes présocratiques comme Phérécyde de
Syros, composent d'autres cosmogonies37.

Anthropogonies : la création de l'humanité


Une anthropogonie (de anthrôpos, « homme », et gonos, « création ») est un récit de
l'apparition de l'humanité. Tout comme les Grecs possédaient plusieurs
cosmogonies, ils connaissaient plusieurs anthropogonies. Les poèmes
mythologiques les mieux conservés restent relativement vagues sur ce sujet. Dans
les épopées d'Homère, aucune indication n'est donnée sur les origines de l'humanité,
et les dieux ne se sentent pas responsables de l'existence des mortels : ils se
contentent de répondre aux manifestations de leur piété, tandis que Zeus exerce les
fonctions de juge des mortels et de médiateur entre dieux et mortels38. Hésiode, dans
la Théogonie, n'explique pas la création des hommes : ils apparaissent dans son
poème au moment du partage de Mékôné et de la ruse de Prométhée, récit qui
explique surtout les modalités du sacrifice, l'une des pratiques cultuelles
fondamentales de la religion grecque. Dans Les Travaux et les
Jours39, Hésiode relate le mythe des races, décrivant plusieurs humanités
(plusieurs genos) composées chacune d'un métal différent, la première, la race d'or,
remontant au règne de Cronos ; mais son récit a moins pour objet la création de ces
humanités que leurs vertus et la dégradation progressive de leurs conditions de vie,
ce qui apparente plutôt ce récit aux origines du mythe de l'âge d'or40. Il existait par
ailleurs une tradition sur l'origine de l'humanité nommée « mythe de l'autochtonie »,
selon lequel les premiers hommes étaient directement sortis de la terre. Ce mythe
était utilisé par les Athéniens, qui s'en servaient à l'époque classique pour justifier
leur supériorité sur les autres cités41, mais aucune source ne présente clairement de
récit selon lequel ce serait toute l'humanité qui aurait été créée de cette façon.

Les sources de la mythologie restent donc obscures sur la création des tout premiers
hommes, mais la plupart s'accordent sur les noms des ancêtres de l'humanité
actuelle : Deucalion et Pyrrha42, qui survivent au déluge et font renaître des humains
à partir des pierres, comme le rapporte Pindare dans la neuvième Olympique43. Mais
il s'agit d'une renaissance de l'humanité plutôt que de ses origines premières, et la
façon dont les hommes apparaissent avant le déluge de Deucalion est beaucoup
moins claire42.

Si nous ne possédons pas de récit bien conservé sur l'apparition des hommes, la
création de la femme fait l'objet de son propre mythe, celui de Pandore, évoquée
par Hésiode dans la Théogonie et Les Travaux et les Jours44. Dans la Théogonie,
Pandore est créée par Zeus pour châtier les hommes après la ruse
de Prométhée qui leur a donné le feu. Son nom grec, Pandora, signifie « don de tous
les dieux » : Héphaïstos la façonne dans de la terre et chacun des dieux est invité à
lui faire présent d'une qualité physique ou d'un vêtement. Mais Pandore est un piège
car, sous sa belle apparence, elle n'apporte que des soucis aux hommes ; dans Les
Travaux et les Jours, c'est elle qui soulève le couvercle de la jarre où sont gardés
maux et maladies et devient responsable de leur propagation dans le monde entier,
ce qui explique la condition misérable des hommes. Le mythe de Pandore véhicule
l'idéologie misogyne qui était celle de la société grecque antique45, mais il représente
aussi un changement dans la condition humaine, car l'arrivée de Pandore coïncide
avec l'apparition de l'obligation pour les humains de travailler pour vivre, travail et
fécondité devenant les deux aspects principaux de la condition humaine
contemporaine46.

Géographie mythique
Les divinités et héros de la mythologie grecque évoluent dans le monde réel tel que
se le représentaient les Grecs, mais aussi dans plusieurs lieux situés hors du monde
ou aux limites du monde, qu'il s'agisse des résidences des divinités ou bien de l'au-
delà.

Olympe
Les divinités grecques les plus importantes résident sur l'Olympe47. Cette
représentation de l'Olympe comme demeure des divinités olympiennes est déjà très
présente dans les principales œuvres poétiques de l'époque archaïque : l'Iliade et
l'Odyssée, puis les poèmes d'Hésiode et les Hymnes homériques, œuvres qui
influencent durablement la représentation des dieux grecs. L'Olympe où résident les
dieux chez Homère et Hésiode est à la fois un lieu réel, le mont Olympe en Grèce du
nord, et une demeure céleste située très haut dans le ciel : ces deux représentations
coexistent, non sans entraîner quelques hésitations et incohérences de détail,
l'essentiel consistant à affirmer une séparation entre cette demeure des dieux et le
reste du monde47. Mais tous les dieux grecs ne résident pas sur l'Olympe, loin de là :
seuls les douze olympiens y habitent, un grand nombre de divinités mineures
résidant sur terre ou dans la mer48.

Hadès, Tartare et autres conceptions de l'au-delà


Dès l'époque archaïque, la littérature grecque ancienne aborde la question de l'au-
delà et distingue plusieurs lieux susceptibles d'accueillir les âmes des défunts après
la mort49.

Les Enfers sont le principal au-delà en Grèce ancienne. Chez Homère, ils sont
nommés l'« Hadès », du nom du dieu Hadès, qui y réside et y règne sur les morts en
compagnie de son épouse Perséphone. L'Odyssée situe l'Hadès aux confins du
monde, au-delà du fleuve Okéanos, près du pays des Cimmériens (nom d'un peuple
réel). Ulysse, au chant XI, ne s'aventure qu'au seuil de l'Hadès et se contente de
dialoguer avec les ombres qu'il fait venir en leur offrant un sacrifice. Dès Homère, les
morts sont imaginés comme des ombres immatérielles et sans force qui errent dans
l'Hadès pour l'éternité. Plusieurs passages de l'Iliade50 mentionnent l'existence d'un
fleuve, le Styx, que l'âme du mort doit franchir avant de se mêler aux autres ombres,
mais l'Odyssée et Hésiode ne parlent pas de cette condition. Plusieurs personnages
assurent le rôle de passeur entre le monde des vivants et celui des morts. Au chant
XXIV de l'Odyssée, c'est le dieu Hermès qui conduit aux Enfers les âmes des
prétendants de Pénélope. L'autre passeur des morts le plus fréquent est le
nocher Charon. Charon n'est pas mentionné dans la littérature archaïque et apparaît
pour la première fois sur une peinture de l'Hadès par Polygnote au Ve siècle av. J.-
C. connue seulement par une description qu'en donne Pausanias51. À partir de cette
époque, il est représenté sous les traits d'un vieillard posté dans une barque et qui
fait franchir aux morts le fleuve qui coule à l'entrée des Enfers.

Un autre lieu de l'au-delà est le Tartare. L'Iliade situe le Tartare dans les profondeurs
extrêmes de la terre, aussi loin sous l'Hadès que l'Hadès est loin du ciel ; le Tartare
est fermé par un seuil de bronze et des portes de fer, et Zeus menace d'y enfermer
les dieux qui s'opposeraient à lui52. Dans la Théogonie d'Hésiode, les Titans, à l'issue
de leur bataille contre les dieux, sont capturés par les Hécatonchires qui les
enferment dans le Tartare et en deviennent les gardiens53. La Théogonie contient,
juste après, une description du Tartare, dont la géographie est assez confuse : elle
place le Tartare tantôt sous la terre, tantôt dans un endroit indéterminé aux limites du
monde54,55. Il semble que l'Hadès et le Tartare aient parfois été confondus dans
certains textes par la suite56.

En dehors des Enfers et du Tartare, la pensée grecque se représente aussi un au-


delà heureux, qui apparaît sous plusieurs formes et sous plusieurs noms. Dans
l'Odyssée, le dieu marin Protée prédit à Ménélas qu'il n'est pas destiné à mourir,
mais à vivre éternellement dans les Champs Élysées, où il n'y a ni neige ni pluie57.
Un tel sort semble réservé à de très rares mortels. Dans une autre épopée du Cycle
troyen, l'Éthiopide (connue seulement par le résumé qu'en donne Proclus), le
héros Achille, après sa mort, est emmené par sa mère Thétis vers un endroit nommé
l'Île Blanche58, qui apparaît ensuite comme un séjour heureux. Un autre endroit
jouant le même rôle de séjour éternel agréable est les Îles des Bienheureux. Ces îles
sont évoquées pour la première fois par Hésiode dans un passage de son mythe des
races dans Les Travaux et les Jours59, où il écrit qu'au moins une partie de la race
des héros y séjourne après la mort. Par la suite, la tradition littéraire tend à s'écarter
d'Homère (chez qui tous les morts partagent le même sort dans l'Hadès, y compris
les héros de la guerre de Troie60) et à considérer que des héros comme Achille
bénéficient d'une vie après la mort plus heureuse que celle du commun des
mortels61.

Panthéons et divinités
Article détaillé : Divinités grecques.
Caractéristiques des dieux grecs
Rituel religieux des mystères d'Éleusis, plaque
votive, milieu du IV
e siècle av. J.-C., Athènes, Musée national archéologique.
La caractéristique la plus visible des dieux tels que les Grecs se les représentaient
est l'anthropomorphisme : l'apparence physique des dieux, leurs actions et leurs
sentiments paraissent très proches de ceux des mortels. Hérodote emploie au sujet
des dieux l'adjectif paradoxal anthropophues, « de nature humaine »62. Cependant,
cet anthropomorphisme et cette proximité entre les dieux et les hommes n'est
qu'apparente : la religion grecque ne cesse de mettre en évidence l'écart qui sépare
les dieux et les humains63. Le corps des dieux est lui-même surhumain64 : lorsqu'ils
sont évoqués dans l'épopée, ils ont une taille gigantesque, un poids colossal ou au
contraire impossiblement léger. Dans leur corps coule non pas du sang mais de
l'ichor, et les blessures ne mettent pas leur vie en péril puisqu'ils sont immortels
(athanatoi)65. Les dieux ne consomment pas la même nourriture que les mortels :
le nectar et l'ambroisie sont leur nourriture d'immortalité66. Les épopées
d'Homère évoquent aussi une langue des dieux différente de celles des mortels67. Ce
caractère surhumain est mis en valeur par les matières précieuses utilisées pour les
statues, par exemple chryséléphantines68.

Si les dieux les plus fameux, les divinités olympiennes, sont anthropomorphes, ce
n'est pas le cas de toutes les divinités : les dieux fleuves sont souvent représentés
sous la forme de taureaux, et de nombreuses idoles des dieux n'ont pas l'apparence
d'êtres vivants69. L'apparence surhumaine des dieux est la manifestation de leur
statut supérieur et de leur omnipotence : « Les dieux peuvent tout »70.

Généalogies des dieux grecs


Tout comme il existait plusieurs théogonies relatant leur naissance, il existait
plusieurs généalogies des divinités grecques. Les manuels consacrés à la religion
grecque antique et à la mythologie grecque ont fréquemment recours71 à la version
présentée par la Théogonie d'Hésiode, la plus complète à nous être parvenue.

Giorgio Vasari, La Mutilation


d'Ouranos par Cronos, XVIe siècle, Florence, Palazzo Vecchio.
Dans sa Théogonie, Hésiode décrit la naissance des dieux au fil de générations
successives, dont il développe tour à tour les différentes branches en y intercalant
des épisodes narratifs qui anticipent parfois sur la suite de son développement. Les
tout premiers êtres qui forment l'univers ne sont pas issus d'une reproduction
sexuée : Chaos, Éros et Gaïa (la Terre) apparaissent spontanément,
et Gaïa engendre seule Ouranos (le Ciel)72. Gaïa et Ouranos s'unissent pour former
le premier couple divin, et ils donnent naissance à douze Titans, six fils et six filles.
Parmi ces titans, Cronos joue un rôle décisif dans la généalogie divine. Cronos prend
le pouvoir en châtrant son père Ouranos, dont les organes génitaux, tombés dans
l'océan, donnent notamment naissance à Aphrodite73. Par la suite, Cronos s'unit à sa
sœur Rhéa, qui donne naissance à Hestia, Déméter, Héra, Hadès, Poséidon et
enfin Zeus74, qui forment chez Hésiode la première génération des divinités
olympiennes. Zeus prend le pouvoir à son tour, cette fois définitivement75, et c'est lui
qui, en s'unissant à plusieurs divinités, enfante la seconde génération des dieux de
l'Olympe : Athéna (fille de Zeus seul : elle sort de son crâne après qu'il a
avalé Métis)76, Apollon et Artémis (enfants de Zeus et de Léto)77, Arès (fils de Zeus et
d'Héra)78, Hermès (fils de Zeus et de Maïa)79 et Dionysos (fils de Zeus et de la
mortelle Sémélé)80. Héphaïstos est engendré par Héra seule, par défi envers Zeus81.

Homère, dans l'Iliade et l'Odyssée, diverge d'Hésiode sur plusieurs détails, qui ont
aussi beaucoup influencé les représentations les plus courantes de la généalogie
des dieux. Ainsi, dans l'Iliade, Zeus est l'aîné des dieux de l'Olympe82, alors qu'il est
le cadet des enfants de Cronos dans la Théogonie83. Dans les épopées
homériques, Aphrodite est, elle aussi, une fille de Zeus84, et sa mère est Dioné85.

Héros
La conception de l'histoire du monde des Grecs anciens plaçait, entre l'apparition de
l'humanité et l'époque présente, un âge héroïque où avaient vécu des hommes
mortels, mais plus grands, plus forts et, de façon générale, dotés de qualités
supérieures à celles des hommes du présent : c'étaient les héros, issus directement
ou indirectement d'unions entre des divinités et des humains86. L'âge héroïque était
considéré comme ayant réellement existé ; il ne s'étendait pas sur une très longue
période, seulement quelques générations, et n'était pas pensé comme très éloigné
dans le passé86, puisque les héros étaient considérés comme les fondateurs des
dynasties royales de nombreuses cités grecques87. Les héros sont conçus de
différentes manières selon que l'on considère la façon dont ils étaient honorés dans
le culte ou bien les différentes évocations littéraires dont ils font l'objet.

Cultes héroïques
Les héros font l'objet d'un culte héroïque : comme le culte des morts, ce culte se
développe autour du tombeau du héros, mais, contrairement à un mort ordinaire, un
héros est, de fait, honoré comme une puissance divine à part entière, qui peut rendre
des oracles ou accorder protection ou guérison à qui vient le prier88. À l'époque
historique, certaines personnes réelles, distinguées de leur vivant par leurs exploits,
font après leur mort l'objet d'un culte héroïque (c'est le cas, par exemple, du
général Brasidas)86. Une grande partie des cultes héroïques se cantonnent à des
localités précises (un village, une cité, une région) et sont inconnus ailleurs ; seuls
quelques-uns sont connus dans toute la Grèce, le plus fameux de tous
restant Héraclès89.
Héros dans la littérature grecque
Dans la poésie archaïque, Hésiode, dans Les Travaux et les Jours, élabore un mythe
des races où il intercale les héros comme une race à part entière de demi-dieux
venue après les trois premières races métalliques (d'or, d'argent et de bronze) et
avant l'humanité de l'époque présente, qu'il qualifie de race du fer ; il caractérise les
héros par leur bravoure et leur justesse et évoque leurs exploits pendant la guerre
des Sept chefs contre Thèbes et pendant la guerre de Troie. Le mythe hésiodique a
fait l'objet de nombreuses études mythologiques90.

Dans les épopées homériques, l'Iliade et l'Odyssée, les héros sont dépeints comme
plus forts que les hommes du temps présent, mais inéluctablement
mortels : Achille et Ulysse se voient ainsi prophétiser leur mort. L'Iliade et
l'Odyssée présentent déjà deux conceptions différentes de l'héroïsme : Achille
recherche la gloire et l'obtient par ses exploits militaires, tandis qu'Ulysse ne convoite
que le retour dans son pays et recourt avant tout à la parole et à la ruse, la mètis,
pour parvenir à ses fins91. Par ailleurs, chez Homère, le terme de héros (ἥρω
ς / hḗrōs) est parfois employé de façon assez générale pour désigner des
personnages nobles ou remarquables par leur talent92.

À cette époque et aux époques postérieures, les différents genres littéraires


s'approprient les figures de l'âge héroïque et en donnent de multiples interprétations.
Ainsi, la tragédie grecque athénienne de l'époque classique se concentre sur les
malheurs des grandes lignées héroïques comme les Atrides et les Labdacides pour
évoquer des problèmes religieux, politiques et philosophiques.

Cycles héroïques
Dynasties des cités
Les récits se rapportant aux héros trouvent souvent leur cohérence dans leur lien
avec une cité, dont ils relatent la fondation et l'histoire de la dynastie royale93. Les
héros se répartissent ainsi en grandes familles, souvent nommées d'après le héros
qui est à leur origine (Labdacos et les Labdacides, Pélops et
les Pélopides, Cécrops et les Cécropides, etc.). Le destin de ces grandes lignées est
plus ou moins étroitement lié à celui d'une ou plusieurs cités.

L'histoire de Thèbes a fait l'objet de plusieurs ensembles de récits sur lesquels nous
sommes bien renseignés94. Thèbes est fondée par un Phénicien, Cadmos ; une autre
légende associée à sa fondation ou à sa refondation est celle des
jumeaux Amphion et Zéthos, qui en élèvent les remparts. L'histoire de Thèbes est
surtout indissociable de celle de Labdacos et des Labdacides, dont font
partie Laïos et Jocaste et leur fils Œdipe, qui, à son insu, tue son père et épouse sa
mère. Les enfants de l'inceste entre Œdipe et Jocaste interviennent dans d'autres
récits, principalement celui de la querelle fratricide entre les deux
fils, Étéocle et Polynice, qui est à l'origine de la guerre des sept chefs puis de
l'expédition des Épigones. Dès l'époque archaïque, l'histoire des Labdacides était
relatée par quatre épopées, aujourd'hui perdues, qui formaient le Cycle thébain.

La lignée de Tantale, roi d'Asie Mineure, est à l'origine de plusieurs familles


héroïques importantes95. Pélops, fils de Tantale, s'installe en Élide, dans
le Péloponnèse, où il a de nombreux descendants, les Pélopides, qui règnent sur
plusieurs cités du Péloponnèse. Parmi les enfants de Pélops
figurent Atrée et Thyeste, ainsi que les descendants d'Atrée, les Atrides. Les deux fils
d'Atrée, Agamemnon et Ménélas, sont fameux pour leur rôle dans la guerre de Troie.

L'histoire d'Athènes96, peu évoquée dans les textes les plus anciens et qui semble
avoir pris forme plus tard, vers le début de l'époque classique97, trouve ses origines
dans le mythe des autochtones, hommes nés directement de la terre : le premier
est Érichthonios, mais c'est aussi le cas de Cécrops, fondateur de la cité. Plusieurs
générations après viennent Égée puis son fils Thésée, auquel sont attribués de
nombreux exploits.

Prouesses collectives
Plusieurs ensembles de récits mettent en scène des héros d'origines diverses
prenant part à une entreprise collective98. Ainsi, la chasse au sanglier de
Calydon rassemble plusieurs héros autour de Méléagre pour traquer et abattre le
sanglier monstrueux. Plus connue, car évoquée par plusieurs épopées et tragédies,
la quête de la Toison d'or entreprise par Jason rassemble de nombreux héros dans
l'équipage des Argonautes qui, à bord du navire Argo, voyagent jusqu'en Colchide.
L'ensemble narratif le plus vaste dans cette catégorie est celui de la guerre de Troie.

Guerre de Troie et Cycle troyen


Articles détaillés : Cycle troyen et Guerre de Troie.
Un vaste ensemble de récits et de personnages se rattachent à la guerre de Troie99.
L'enlèvement d'Hélène, femme de Ménélas, roi de Sparte, par le Troyen Pâris,
débouche sur l'organisation d'une grande expédition militaire menée par le frère
de Ménélas, Agamemnon, rassemblant des rois venus de toute la Grèce, qui
assiègent Troie pendant dix ans. Les premières œuvres littéraires connues de la
littérature grecque ancienne, l'Iliade et l'Odyssée, deux épopées que les Anciens
attribuaient à Homère, se rapportent à ce mythe : l'Iliade relate la querelle
entre Agamemnon et le héros Achille pendant la dixième année de la guerre, tandis
que l'Odyssée détaille le long et périlleux retour chez lui d'Ulysse après la fin de la
guerre, dont elle raconte a posteriori plusieurs épisodes. En plus des épopées
d'Homère, plusieurs autres ont été composées par d'autres auteurs à l'époque
archaïque. Regroupées sous le nom de Cycle troyen, elles racontaient l'ensemble de
la guerre, de ses origines à ses conséquences lointaines ; aujourd'hui perdues à
l'exception de quelques fragments, elles nous sont surtout connues par des résumés
ou des réécritures plus récentes100.

L'étude de la mythologie grecque


Article détaillé : Mythologie.
Au XIXe siècle
Friedrich Max Müller.
Si les Grecs eux-mêmes ont très tôt entamé une réflexion sur leurs récits
mythologiques, ce n'est que dans la seconde moitié du XIXe siècle, avec le
développement des sciences humaines, que la mythologie se constitue en une
discipline à ambition scientifique, une « science des mythes » : c'est ce que Marcel
Detienne nomme, dans son livre éponyme, « l'invention de la mythologie »101.
L'émergence de l'anthropologie, parallèlement à la découverte par les ethnologues
de nombreux peuples possédant eux aussi des mythologies complexes, amène les
chercheurs à s'interroger sur l'histoire des religions et à publier les premières études
de mythologie comparée. À une époque où les Grecs anciens sont considérés
comme supérieurs aux peuplades tenues pour primitives, la science des mythes se
trouve confrontée à une sorte de scandale de la pensée, qu'énonce par
exemple Friedrich Max Müller : « les poètes de la Grèce ont une aversion instinctive
pour tout ce qui est excessif ou monstrueux. Or, les Grecs attribuent à leurs dieux
des choses qui feraient frissonner le plus sauvage des Peaux-Rouges102… » Il
s'agissait donc d'expliquer les éléments qui, dans les mythes grecs, paraissaient
absurdes et immoraux, en contradiction avec l'image qu'avait alors la Grèce antique,
celle du peuple détenteur de la Raison par excellence103.

Plusieurs écoles d'interprétation des mythes se développent alors. Friedrich Max


Müller explique l'apparition des mythes par un modèle linguistique selon lequel les
mythes se seraient développés naturellement au cours de l'apparition et de
l'évolution du langage : les noms donnés aux forces de la nature au cours de la
Préhistoire sont ensuite pris par erreur pour des noms propres et se trouvent alors
personnifiés sous la forme de divinités et de héros104. Selon Müller, les mythes
trouvent donc leur origine dans des métaphores renvoyant aux puissances de la
nature ; Müller développe une interprétation « solaire » expliquant l'ensemble des
mythes par des références au soleil et à la lumière, tandis qu'Adalbert Kuhn préfère
les expliquer par l'impression laissée sur les peuples préhistoriques par les
phénomènes naturels violents tels que les orages et les tempêtes. Les historiens
britanniques des religions, Edward Tylor puis Andrew Lang, proposent une approche
radicalement différente, qui vise à comparer la mythologie grecque à celle de
peuples non pas antiques mais contemporains, comme les Indiens d'Amérique du
Nord ou les aborigènes australiens, et qui propose une vision évolutionniste de
l'histoire, au sein de laquelle le mythe est un stade du développement de la
pensée105.

En 1825, Karl Otfried Müller publie Prolégomènes à une connaissance scientifique


de la mythologie, ouvrage dans lequel il propose une méthode d'étude historique de
la mythologie fondée sur le rassemblement des différentes sources d'un mythe et
l'étude de leurs rapports entre elles, par exemple les poètes et les mythographes qui
s'inspirent les uns des autres au fil des siècles. Müller espère ainsi remonter à un
noyau primitif du mythe, derrière lequel il pense retrouver la trace d'événements
historiques réels plus ou moins déformés106. Les travaux de Müller permettent aux
mythologues d'accorder une attention plus rigoureuse aux contextes précis,
géographiques, historiques, culturels et religieux, dans lesquels se développent les
mythes.

Aux XXe et XXIe siècles

Couverture de la première traduction française


du Rameau d'or de James Frazer.
Plusieurs nouveaux courants d'interprétation de la mythologie grecque se
développent au cours du XXe siècle.

Au cours de ses premières décennies, les historiens de la religion grecque prêtent


une attention nouvelle aux rites et aux liens qu'ils entretiennent avec les récits
mythiques. Les chercheurs britanniques regroupés sous le nom d'école
de Cambridge développent plusieurs théories divergentes à ce sujet. Selon Jane
Harrison, le rite précède le mythe et permet d'expliquer les étrangetés présentes
dans les récits mythologiques ; Jane Harrison publie plusieurs études portant sur les
rites d'initiation et les rites de passage107, qui font l'objet en France, durant la même
période, d'études comme celles d'Arnold van Gennep. James George Frazer,
dans Le Rameau d'or (The Golden Bough), considère au contraire que le mythe
précède le rite et que ce dernier permet de réactiver les puissances vitales évoquées
par le mythe108. Par la suite, Jane Harrison elle-même et les auteurs qui poursuivent
les recherches dans ce domaine, comme Bronisław Malinowski, Edmund
Leach, Walter Burkert et plus tard Georges Dumézil, mettent davantage en valeur la
complémentarité du mythe et du rite au sein d'un contexte socioculturel donné et
montrent que, selon les cas, les relations entre les deux varient énormément108.

Dans la seconde moitié du siècle, des avancées décisives, comme le déchiffrement


du linéaire B dans le domaine mycénien, l'approfondissement de l'étude du Proche-
Orient ancien (Anatolie, Mésopotamie) et l'élaboration de nouvelles méthodes de
recherche, contribuent à renouveler profondément l'étude de la mythologie grecque.

Le structuralisme, dont l'un des grands représentants est Claude Lévi-Strauss qui
publie Anthropologie structurale en 1958, abandonne l'idée de remonter à un noyau
primitif d'un mythe et considère au contraire un mythe comme l'ensemble de ses
variantes, qu'il s'agit d'étudier en les comparant les unes aux autres. Lévi-Strauss
met en avant dans ses travaux l'idée que les mythes constituent une forme de
pensée à part entière, un moyen de réflexion sur le monde et sur la société109. Si
Lévi-Strauss propose une interprétation structuraliste du mythe
d'Œdipe dans Anthropologie structurale, la plupart de ses travaux portent sur les
mythologies d'Amérique du Nord et du Sud ; mais sa méthode exerce par la suite
une influence notable sur les chercheurs dans le domaine grec, notamment Jean-
Pierre Vernant et Marcel Detienne.

Au tournant du XXIe siècle, historiens et anthropologues abandonnent peu à peu l'idée


d'une grille de lecture univoque qui permettrait d'expliquer l'ensemble des mythes
grecs, et tentent de saisir leur rôle au sein de la société grecque ancienne en
adoptant des approches pluridisciplinaires, mêlant littérature, histoire, histoire des
religions, anthropologie et psychologie.

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Mythologie grecque
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Le buste de Zeus découvert à Otricoli, en Italie,


copie romaine d'après un original grec du IVe siècle av. J.-C., Rome, musée Pio-
Clementino.
La mythologie grecque, c'est-à-dire l'ensemble organisé des mythes provenant de
la Grèce antique, se développe au cours d'une très longue période allant de
la civilisation mycénienne jusqu'à la domination romaine. La rencontre entre les
Grecs et les Romains coïncide avec celle de la mythologie grecque et de
la mythologie romaine : la première exerce une forte influence sur la seconde, qui ne
s'y réduit pas pour autant. Longtemps après la disparition des
religions grecque et romaine, la mythologie grecque est utilisée comme sujet
d'inspiration par les artistes, et continue à l'être de nos jours.

La mythologie grecque nous est parvenue grâce à un vaste ensemble de textes dont
les plus anciens sont les épopées d'Homère et les poèmes d'Hésiode, principalement
la Théogonie, mais aussi par les arts picturaux comme la céramique ou par les
monuments sacrés. L'ensemble de ces sources présente des généalogies et des
récits qui forment un système doté d'une cohérence limitée. Les mythes grecs
témoignent de la représentation que les anciens Grecs se faisaient du monde.
Néanmoins, le statut de la mythologie grecque est complexe, car la mythologie
dépasse le cadre de la religion. Les personnages et les événements mythiques
rapportés par la tradition étaient pour les Grecs, du moins dans leurs grandes lignes,
des réalités historiques relevant d'un passé lointain et servaient donc de base de
travail aux historiens antiques. Dans le même temps, la mythologie fournit une ample
source d'inspiration à la littérature et aux arts grecs antiques.

Dans la société grecque


Mythologie et religion
Article détaillé : Religion grecque antique.

Scène de libation entre Apollon et Niké au pied de


l'omphalos de Delphes, copie romaine d'un original hellénistique de style

archaïsant, Paris, musée du Louvre.


Hermès conduisant une chèvre au sacrifice, cratère campanien de Paestum, 360–
350 av. J.-C., Paris, musée du Louvre.
La religion grecque était fondée sur des rituels pratiqués en commun, mais ne
reposait pas sur un texte sacré ou sur des dogmes, et il n'existait pas non plus de
littérature proprement religieuse1. Des textes comme la Théogonie d'Hésiode et les
épopées d'Homère ne sont donc pas des textes sacrés : ce sont des œuvres
littéraires proposant une vision parmi d'autres de la création du monde et des
généalogies divines, mais elles ne se proposent pas de dicter ce qu'il faudrait
obligatoirement croire. Le lien entre littérature et religion s'établit plutôt par la
composition de textes destinés à être déclamés lors de cérémonies religieuses (par
exemple les hymnes de Pindare et, de façon plus indirecte, les textes
des tragédies, comédies et drames satyriques, puisque les représentations
théâtrales sont liées au culte de Dionysos). Les dieux et héros mythologiques
pouvaient être évoqués dans des contextes non immédiatement liés au culte
proprement dit. Mais la société grecque antique ne connaît aucune séparation entre
un domaine propre à la religion et le reste de la société : au contraire, la religion est
présente de manière diffuse dans tous les aspects de la vie sociale et politique2.

L'absence de dogme ou de canon religieux n'est pas synonyme d'absence de


croyance. En Grèce antique, la piété (eusebeia), l'une des principales notions de la
religion grecque antique, suppose de révérer les mêmes divinités que l'ensemble de
la communauté : en introduire de nouvelles est un acte d'impiété, à moins que la cité
ne les accepte officiellement, et il est tout aussi impie d'endommager les
représentations des dieux ou leurs propriétés ou de parodier les rituels3. Mais dans le
même temps, plusieurs cosmogonies et théogonies coexistent sans que cela ne
pose de problème (Homère présente dans l'Iliade Océan et Téthys comme le couple
primordial, tandis que la Théogonie d'Hésiode place le Chaos, puis Éros et Gaïa, aux
origines du monde et qu'une secte comme l'orphisme propose encore une autre
interprétation). Et la comédie grecque antique de l'époque classique peut librement
représenter dieux et héros sous des traits grotesques en leur prêtant un
comportement bouffon.

Toutes les divinités ayant reçu un culte en Grèce antique n'ont pas fait l'objet de
récits mythiques. Certaines, comme la déesse Hestia, en sont pratiquement
absentes4. De même, ni la place d'une divinité ou d'un héros dans la hiérarchie des
puissances divines ni l'abondance des récits qui lui sont consacrés ne reflètent
nécessairement l'importance réelle de son culte : ainsi, Asclépios, quoique très
inférieur à des divinités telles que son père Apollon, disposait d'un sanctuaire
à Épidaure dont la renommée s'étendait à l'ensemble du monde grec5. Enfin, alors
que la différence de statut entre les dieux et les héros est assez appuyée dans les
récits, les cultes rendus à des héros (les cultes héroïques) différaient assez peu,
dans leurs modalités, de ceux rendus aux dieux6.

Mythologie et littérature

Les premiers vers de l'Iliade d'Homère.


À l'époque archaïque et encore à l'époque classique, la poésie est le domaine par
excellence de l'évocation des mythes : au sein de la société grecque, les poètes
restent les voix les mieux autorisées à relater les récits fondateurs de la mythologie7.
Lorsque l'historien Hérodote évoque les origines de la religion grecque dans
son Enquête, c'est vers eux qu'il se tourne : « Quelle est l'origine de chacun de ces
dieux ? Ont-ils toujours existé ? Quelles formes avaient-ils ? Voilà ce que les Grecs
ignoraient hier encore, pour ainsi dire. Car Hésiode et Homère ont vécu, je pense,
quatre cents ans tout au plus avant moi ; or ce sont leurs poèmes qui ont donné aux
Grecs la généalogie des dieux et leurs appellations, distingué les fonctions et les
honneurs qui appartiennent à chacun, et décrit leurs figures8. » Les poètes
comme Homère et Hésiode ont donc nettement influencé la représentation que les
Grecs se faisaient de leurs dieux et des origines du monde, même s'ils ne
remplissaient pas une charge à proprement parler religieuse. Mais les mythes sont
présents de manière diffuse dans tous les genres littéraires : ils sont évoqués aussi
bien par les dramaturges que par les orateurs, les historiens et les philosophes.

Dès Homère, chaque auteur évoque les mythes selon ses propres critères
artistiques, le public auquel il s'adresse et le contexte dans lequel il s'inscrit, avec
une très grande liberté d'invention et de remodelage9. Dans l'Iliade, le précepteur
d'Achille est un humain, Phénix, et non le centaure Chiron comme dans d'autres
versions. Lorsqu'au chant XIX Phénix raconte à Achille le mythe de la chasse du
sanglier de Calydon10, il l'adapte afin de faire de Méléagre, le principal protagoniste
de son récit, un anti-modèle victime de son tempérament colérique, afin de montrer
à Achille qu'il a tort de persister dans sa propre colère en refusant de revenir au
combat11. La tragédie grecque représente souvent les héros de manière
anachronique, car elle est un moyen pour la cité de réfléchir sur sa société et ses
institutions12. Ainsi, dans Les Euménides, Eschyle, en relatant la purification
d'Oreste après le parricide qu'il a commis, l'utilise pour élaborer un
récit étiologique expliquant les origines du tribunal de l'Aréopage athénien.

Mythologie et arts figurés

Dionysos et satyres. Intérieur d'une coupe attique à


figures rouges, vers 480 av. J.-C., Paris, BnF.
Les textes sont loin d'être les seuls vecteurs de la mythologie grecque : celle-ci est
également très présente dans les arts figurés tels que la céramique et la sculpture. À
toutes les époques, les Grecs vivent entourés de représentations qui s'y rattachent,
qu'il s'agisse des monuments et des statues de l'espace public, ou des objets de la
vie quotidienne dans leur espace privé. Les représentations figurées mettant en
scène des sujets mythologiques ne doivent pas être considérées comme de simples
illustrations des textes : bien au contraire, elles adaptent leur sujet au contexte et au
public auquel elles se destinent, et inventent souvent des variantes qui ne sont pas
attestées par ailleurs dans les textes. Les vases destinés à recevoir le vin, par
exemple, représentent eux-mêmes des banquets ou des scènes mythologiques liées
à Dionysos, qui ne peuvent être comprises que si on les replace dans ce contexte
du banquet grec13 ; ils mettent volontiers en scène des figures comme les satyres, qui
sont assez peu présents par ailleurs dans les textes, mais qui apparaissent très
souvent sur les vases dans des scènes typiques14. Ainsi, les arts figurés disposent
eux aussi d'une grande liberté d'innovation ou de réinvention des mythes, et mettent
en place leurs propres codes et conventions pour les représenter.

Mythologie et histoire
En Grèce antique, il n'y a pas de distinction tranchée entre les événements relevant
du mythe (qui, pour l'historien contemporain, relèvent de la fiction) et les événements
historiques (qui nous paraissent les seuls réels). L'évhémérisme considère que les
dieux et héros seraient en fait d'anciens personnages réels, qui eurent leur
temporalité historique (théorie du mythographe grec Évhémère, IIIe siècle av. J.-C.).
Par ailleurs, la chronologie figurant sur la Chronique de Paros, une inscription
du IIIe siècle av. J.-C., fait se succéder dans une même continuité le règne
de Cécrops, le premier roi légendaire d'Athènes, puis le déluge de Deucalion,
la guerre de Troie, etc. et des événements historiques comme la bataille de Platées,
en indiquant leurs dates dans la computation athénienne. Les premiers historiens,
les logographes, qui écrivent dès la fin de l'époque archaïque et le début de l'époque
classique, comme Acousilaos, par exemple, se contentent de rapporter les traditions
et les généalogies locales des différentes cités dans le but de les faire connaître,
sans en critiquer beaucoup le contenu15. Les atthidographes, auteurs d'histoires de
l'Attique, prennent davantage de distance et rationalisent parfois les
éléments merveilleux des récits.

L'un des premiers historiens à opérer une véritable sélection critique des mythes
est Hécatée de Milet, au début du Ve siècle av. J.-C. Il opère un choix parmi ce qu'a
transmis la tradition et en donne un exposé systématique, cohérent, en prose, en
enlevant les éléments qui lui paraissent invraisemblables : il réduit à vingt le nombre
des filles de Danaos, qui en possède cinquante dans la tradition à laquelle il
s'oppose, et il fait de Cerbère un simple serpent à la piqûre fatale, mais il conserve
certains éléments merveilleux comme les unions entre dieux et mortelles16. Hérodote,
dans l'Enquête, rapporte les traditions dont il a entendu parler et fait état des
différentes versions contradictoires, sans toujours se prononcer sur leur véracité17.
Mais lui aussi rapporte des versions rationalisées de certains récits : l'enlèvement
d'Io qui ouvre l'Enquête, par exemple, est une anecdote historique où il n'y a ni
interventions divines ni métamorphose18. Thucydide évoque les actions des
souverains mythiques tels que Minos, Pélops ou Agamemnon en les ramenant sur le
même plan que les réalités historiques de son temps et en ignorant leurs aspects
merveilleux, mais, pour lui, ces personnages sont aussi historiques que Périclès19.

L'attitude des historiens demeure tout aussi prudente jusqu'à l'époque romaine.
Au Ier siècle av. J.-C., Diodore de Sicile fait une plus grande place au légendaire et
s'attache plutôt à rapporter les différentes traditions sans prétendre les rationaliser.
Au IIe siècle, Plutarque, au début de la Vie de Thésée, l'une des rares Vies
parallèles à traiter d'une figure légendaire, compare le passé lointain aux pays
lointains arides et inaccessibles évoqués par les géographes, puis déclare : « […] je
souhaite que la légende, épurée par la raison, se soumette à elle et prenne l'aspect
de l'histoire. Mais si parfois, dans son orgueil, elle ne se soucie guère d'être crédible
et refuse de s'accorder avec la vraisemblance, je solliciterai l'indulgence des lecteurs,
et les prierai d'accueillir de bonne grâce ces vieux récits20. » Cette volonté d'épurer le
mythe par la raison (le logos) témoigne de l'influence de Platon ; mais la prudence
de Plutarque envers les mythes n'est nullement le signe d'une méfiance envers la
religion en général, puisqu'il fait preuve d'une foi profonde et exerce un temps la
charge de prêtre d'Apollon à Delphes21.

De manière générale, les historiens grecs conservent une attitude prudente en face
des mythes, qu'il s'agisse d'y croire ou de ne pas y croire. Paul Veyne, qui s'intéresse
au problème complexe de la croyance dans Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?,
rappelle toute la distance qui sépare les historiens antiques de l'histoire telle qu'elle
s'élabore par la suite (fondée sur l'étude et la critique des sources) : « Il arrive parfois
qu'un historien ancien signale que ses « autorités » présentent des divergences sur
quelque point, ou même qu'il déclare renoncer à savoir quelle était la vérité sur ce
point, tant les versions diffèrent. Mais ces manifestations d'esprit critique ne
constituent pas un appareil de preuves et de variantes, qui sous-tendrait tout son
texte, à la manière de l'appareil de références qui couvre le bas de toutes nos pages
d'histoire : ce sont uniquement des endroits désespérés ou douteux, des détails
suspects. L'historien ancien croit d'abord et ne doute que sur les détails où il ne peut
plus croire22. »

Mythologie et politique

Cécrops, le roi-serpent autochtone, fondateur


mythique d'Athènes et ancêtre de la tribu attique des Cécropides. Illustration
d'une céramique de Palerme.
À toutes les époques, les mythes sont aussi un enjeu politique. Les orateurs
attiques s'y réfèrent et les emploient comme des arguments dans leurs discours, en
les choisissant ou en les adaptant selon les circonstances23. Dans
le Panégyrique, Isocrate évoque le mythe de l'autochtonie des Athéniens pour
justifier leur prétention à la supériorité sur les autres cités24, et, dans le Philippe,
adressé à Philippe II de Macédoine, il rappelle la parenté entre les ancêtres du roi
macédonien et les cités grecques pour le convaincre de leur venir en aide25. Les
inscriptions consignant des décrets d'alliances entre cités témoignent du même
genre de recours aux généalogies mythiques comme argument dans les accords
diplomatiques entre deux cités26.

Mythologie et philosophie
Dès l'époque archaïque, les philosophes s'écartent parfois beaucoup des récits les
plus répandus, beaucoup parce qu'ils proposent leurs propres systèmes, eux-mêmes
fortement imprégnés de religion : Pythagore est ainsi, au VIe siècle av. J.-C., le
fondateur du pythagorisme. D'autres se montrent plus critiques et à la limite de
l'impiété, tel Anaxagore poursuivi en justice à Athènes au Ve siècle av. J.-C. pour
avoir affirmé que le soleil était une pierre incandescente3. Platon oppose parfois
le muthos considéré comme récit mensonger et le discours rationnel (le logos) qui
doit guider le philosophe27 ; mais cette opposition est loin d'être systématique et ne
se retrouve pas dans tous ses dialogues28. Platon lui-même, dont la pensée s'inscrit
par ailleurs dans la continuité de la religion traditionnelle29, ne rejette pas le concept
de muthos conçu comme récit et ne s'interdit nullement d'y recourir. Loin de
supprimer totalement les mythes de son œuvre, il en invente de nouveaux qui font
partie intégrante de ses démonstrations philosophiques et consistent soit en
des allégories destinées à mieux faire comprendre une argumentation (comme
l'allégorie de la caverne), soit en des récits élaborés sur le modèle des mythes
anciens dont ils reprennent les thèmes et les fonctions, et qui permettent de rendre
compte de la composante non rationnelle de certains sujets30. C'est dans ce contexte
que s'inscrivent par exemple le mythe d'Er au livre X de La République et les
différents récits du Banquet, dont le mythe de l'androgynie placé dans la bouche
d'Aristophane. Platon utilise aussi le mythe à des fins politiques, par exemple en
élaborant le mythe de l'Atlantide qui met en scène une Athènes idéalisée, conforme
aux vœux politiques de Platon, luttant victorieusement contre une Atlantide qui
incarne tout ce que Platon réprouve dans la thalassocratie athénienne de son
temps31.

Typologie des principaux mythes grecs


Récits des origines
Cosmogonies : la création du monde
Article détaillé : Cosmogonie.
Les Grecs connaissaient plusieurs cosmogonies, c'est-à-dire des récits relatant la
naissance et la mise en ordre progressive du cosmos, le monde organisé32. Celle que
nous connaissons le mieux, car elle nous est parvenue en entier, est celle que
compose Hésiode dans la Théogonie et selon laquelle existe (ou apparaît)
d'abord Chaos, puis Éros et Gaïa (Terre), laquelle
engendre Ouranos (Ciel), Pontos (Flot marin) et d'autres divinités, tandis
que Chaos en engendre d'autres, les différentes lignées donnant peu à peu
naissance, au fil des générations, à toutes les divinités incarnant les aspects
fondamentaux de la nature (Hélios, Séléné), aux divinités souveraines
(Cronos puis Zeus), mais aussi à des êtres monstrueux qui sont ensuite éliminés ou
enfermés par les dieux ou les héros (la plupart des enfants de Nyx, mais
aussi Typhée et sa progéniture).

Mais nous connaissons aussi l'existence d'autres cosmogonies. Au chant XIV de


l'Iliade, Héra feint de rendre visite à Océan et Téthys, qu'elle qualifie de « père et
mère des dieux »33, ce qui peut constituer une allusion à une cosmogonie différente
où Océan et Téthys seraient les deux divinités originelles. L'orphisme, courant
religieux qui se plaçait à l'écart des pratiques traditionnelles du culte et se plaçait
sous le patronage du poète mythique Orphée, a développé, au moins à partir de
l'époque classique34, plusieurs cosmogonies propres à son système de pensée. Nous
n'en avons qu'une connaissance lacunaire, mais nous savons qu'elles plaçaient à
l'origine du monde la Nuit ou le Temps, qui engendre un œuf donnant à son tour
naissance à Phanès ou bien à Éros35. L'orphisme accorde également une place
beaucoup plus grande à Dionysos, qui est mis à mort, cuit et mangé par
les Titans avant d'être ressuscité36. On attribuait aussi une cosmogonie à Musée, un
autre poète mythique souvent associé à Orphée. À l'époque archaïque, plusieurs
poètes, comme le Crétois Épiménide, le Lacédémonien Alcman ou
l'Argien Acousilaos, ainsi que des philosophes présocratiques comme Phérécyde de
Syros, composent d'autres cosmogonies37.

Anthropogonies : la création de l'humanité


Une anthropogonie (de anthrôpos, « homme », et gonos, « création ») est un récit de
l'apparition de l'humanité. Tout comme les Grecs possédaient plusieurs
cosmogonies, ils connaissaient plusieurs anthropogonies. Les poèmes
mythologiques les mieux conservés restent relativement vagues sur ce sujet. Dans
les épopées d'Homère, aucune indication n'est donnée sur les origines de l'humanité,
et les dieux ne se sentent pas responsables de l'existence des mortels : ils se
contentent de répondre aux manifestations de leur piété, tandis que Zeus exerce les
fonctions de juge des mortels et de médiateur entre dieux et mortels38. Hésiode, dans
la Théogonie, n'explique pas la création des hommes : ils apparaissent dans son
poème au moment du partage de Mékôné et de la ruse de Prométhée, récit qui
explique surtout les modalités du sacrifice, l'une des pratiques cultuelles
fondamentales de la religion grecque. Dans Les Travaux et les
Jours39, Hésiode relate le mythe des races, décrivant plusieurs humanités
(plusieurs genos) composées chacune d'un métal différent, la première, la race d'or,
remontant au règne de Cronos ; mais son récit a moins pour objet la création de ces
humanités que leurs vertus et la dégradation progressive de leurs conditions de vie,
ce qui apparente plutôt ce récit aux origines du mythe de l'âge d'or40. Il existait par
ailleurs une tradition sur l'origine de l'humanité nommée « mythe de l'autochtonie »,
selon lequel les premiers hommes étaient directement sortis de la terre. Ce mythe
était utilisé par les Athéniens, qui s'en servaient à l'époque classique pour justifier
leur supériorité sur les autres cités41, mais aucune source ne présente clairement de
récit selon lequel ce serait toute l'humanité qui aurait été créée de cette façon.

Les sources de la mythologie restent donc obscures sur la création des tout premiers
hommes, mais la plupart s'accordent sur les noms des ancêtres de l'humanité
actuelle : Deucalion et Pyrrha42, qui survivent au déluge et font renaître des humains
à partir des pierres, comme le rapporte Pindare dans la neuvième Olympique43. Mais
il s'agit d'une renaissance de l'humanité plutôt que de ses origines premières, et la
façon dont les hommes apparaissent avant le déluge de Deucalion est beaucoup
moins claire42.

Si nous ne possédons pas de récit bien conservé sur l'apparition des hommes, la
création de la femme fait l'objet de son propre mythe, celui de Pandore, évoquée
par Hésiode dans la Théogonie et Les Travaux et les Jours44. Dans la Théogonie,
Pandore est créée par Zeus pour châtier les hommes après la ruse
de Prométhée qui leur a donné le feu. Son nom grec, Pandora, signifie « don de tous
les dieux » : Héphaïstos la façonne dans de la terre et chacun des dieux est invité à
lui faire présent d'une qualité physique ou d'un vêtement. Mais Pandore est un piège
car, sous sa belle apparence, elle n'apporte que des soucis aux hommes ; dans Les
Travaux et les Jours, c'est elle qui soulève le couvercle de la jarre où sont gardés
maux et maladies et devient responsable de leur propagation dans le monde entier,
ce qui explique la condition misérable des hommes. Le mythe de Pandore véhicule
l'idéologie misogyne qui était celle de la société grecque antique45, mais il représente
aussi un changement dans la condition humaine, car l'arrivée de Pandore coïncide
avec l'apparition de l'obligation pour les humains de travailler pour vivre, travail et
fécondité devenant les deux aspects principaux de la condition humaine
contemporaine46.

Géographie mythique
Les divinités et héros de la mythologie grecque évoluent dans le monde réel tel que
se le représentaient les Grecs, mais aussi dans plusieurs lieux situés hors du monde
ou aux limites du monde, qu'il s'agisse des résidences des divinités ou bien de l'au-
delà.

Olympe
Les divinités grecques les plus importantes résident sur l'Olympe47. Cette
représentation de l'Olympe comme demeure des divinités olympiennes est déjà très
présente dans les principales œuvres poétiques de l'époque archaïque : l'Iliade et
l'Odyssée, puis les poèmes d'Hésiode et les Hymnes homériques, œuvres qui
influencent durablement la représentation des dieux grecs. L'Olympe où résident les
dieux chez Homère et Hésiode est à la fois un lieu réel, le mont Olympe en Grèce du
nord, et une demeure céleste située très haut dans le ciel : ces deux représentations
coexistent, non sans entraîner quelques hésitations et incohérences de détail,
l'essentiel consistant à affirmer une séparation entre cette demeure des dieux et le
reste du monde47. Mais tous les dieux grecs ne résident pas sur l'Olympe, loin de là :
seuls les douze olympiens y habitent, un grand nombre de divinités mineures
résidant sur terre ou dans la mer48.

Hadès, Tartare et autres conceptions de l'au-delà


Dès l'époque archaïque, la littérature grecque ancienne aborde la question de l'au-
delà et distingue plusieurs lieux susceptibles d'accueillir les âmes des défunts après
la mort49.

Les Enfers sont le principal au-delà en Grèce ancienne. Chez Homère, ils sont
nommés l'« Hadès », du nom du dieu Hadès, qui y réside et y règne sur les morts en
compagnie de son épouse Perséphone. L'Odyssée situe l'Hadès aux confins du
monde, au-delà du fleuve Okéanos, près du pays des Cimmériens (nom d'un peuple
réel). Ulysse, au chant XI, ne s'aventure qu'au seuil de l'Hadès et se contente de
dialoguer avec les ombres qu'il fait venir en leur offrant un sacrifice. Dès Homère, les
morts sont imaginés comme des ombres immatérielles et sans force qui errent dans
l'Hadès pour l'éternité. Plusieurs passages de l'Iliade50 mentionnent l'existence d'un
fleuve, le Styx, que l'âme du mort doit franchir avant de se mêler aux autres ombres,
mais l'Odyssée et Hésiode ne parlent pas de cette condition. Plusieurs personnages
assurent le rôle de passeur entre le monde des vivants et celui des morts. Au chant
XXIV de l'Odyssée, c'est le dieu Hermès qui conduit aux Enfers les âmes des
prétendants de Pénélope. L'autre passeur des morts le plus fréquent est le
nocher Charon. Charon n'est pas mentionné dans la littérature archaïque et apparaît
pour la première fois sur une peinture de l'Hadès par Polygnote au Ve siècle av. J.-
C. connue seulement par une description qu'en donne Pausanias51. À partir de cette
époque, il est représenté sous les traits d'un vieillard posté dans une barque et qui
fait franchir aux morts le fleuve qui coule à l'entrée des Enfers.

Un autre lieu de l'au-delà est le Tartare. L'Iliade situe le Tartare dans les profondeurs
extrêmes de la terre, aussi loin sous l'Hadès que l'Hadès est loin du ciel ; le Tartare
est fermé par un seuil de bronze et des portes de fer, et Zeus menace d'y enfermer
les dieux qui s'opposeraient à lui52. Dans la Théogonie d'Hésiode, les Titans, à l'issue
de leur bataille contre les dieux, sont capturés par les Hécatonchires qui les
enferment dans le Tartare et en deviennent les gardiens53. La Théogonie contient,
juste après, une description du Tartare, dont la géographie est assez confuse : elle
place le Tartare tantôt sous la terre, tantôt dans un endroit indéterminé aux limites du
monde54,55. Il semble que l'Hadès et le Tartare aient parfois été confondus dans
certains textes par la suite56.

En dehors des Enfers et du Tartare, la pensée grecque se représente aussi un au-


delà heureux, qui apparaît sous plusieurs formes et sous plusieurs noms. Dans
l'Odyssée, le dieu marin Protée prédit à Ménélas qu'il n'est pas destiné à mourir,
mais à vivre éternellement dans les Champs Élysées, où il n'y a ni neige ni pluie57.
Un tel sort semble réservé à de très rares mortels. Dans une autre épopée du Cycle
troyen, l'Éthiopide (connue seulement par le résumé qu'en donne Proclus), le
héros Achille, après sa mort, est emmené par sa mère Thétis vers un endroit nommé
l'Île Blanche58, qui apparaît ensuite comme un séjour heureux. Un autre endroit
jouant le même rôle de séjour éternel agréable est les Îles des Bienheureux. Ces îles
sont évoquées pour la première fois par Hésiode dans un passage de son mythe des
races dans Les Travaux et les Jours59, où il écrit qu'au moins une partie de la race
des héros y séjourne après la mort. Par la suite, la tradition littéraire tend à s'écarter
d'Homère (chez qui tous les morts partagent le même sort dans l'Hadès, y compris
les héros de la guerre de Troie60) et à considérer que des héros comme Achille
bénéficient d'une vie après la mort plus heureuse que celle du commun des
mortels61.

Panthéons et divinités
Article détaillé : Divinités grecques.
Caractéristiques des dieux grecs
Rituel religieux des mystères d'Éleusis, plaque
votive, milieu du IV
e siècle av. J.-C., Athènes, Musée national archéologique.
La caractéristique la plus visible des dieux tels que les Grecs se les représentaient
est l'anthropomorphisme : l'apparence physique des dieux, leurs actions et leurs
sentiments paraissent très proches de ceux des mortels. Hérodote emploie au sujet
des dieux l'adjectif paradoxal anthropophues, « de nature humaine »62. Cependant,
cet anthropomorphisme et cette proximité entre les dieux et les hommes n'est
qu'apparente : la religion grecque ne cesse de mettre en évidence l'écart qui sépare
les dieux et les humains63. Le corps des dieux est lui-même surhumain64 : lorsqu'ils
sont évoqués dans l'épopée, ils ont une taille gigantesque, un poids colossal ou au
contraire impossiblement léger. Dans leur corps coule non pas du sang mais de
l'ichor, et les blessures ne mettent pas leur vie en péril puisqu'ils sont immortels
(athanatoi)65. Les dieux ne consomment pas la même nourriture que les mortels :
le nectar et l'ambroisie sont leur nourriture d'immortalité66. Les épopées
d'Homère évoquent aussi une langue des dieux différente de celles des mortels67. Ce
caractère surhumain est mis en valeur par les matières précieuses utilisées pour les
statues, par exemple chryséléphantines68.

Si les dieux les plus fameux, les divinités olympiennes, sont anthropomorphes, ce
n'est pas le cas de toutes les divinités : les dieux fleuves sont souvent représentés
sous la forme de taureaux, et de nombreuses idoles des dieux n'ont pas l'apparence
d'êtres vivants69. L'apparence surhumaine des dieux est la manifestation de leur
statut supérieur et de leur omnipotence : « Les dieux peuvent tout »70.

Généalogies des dieux grecs


Tout comme il existait plusieurs théogonies relatant leur naissance, il existait
plusieurs généalogies des divinités grecques. Les manuels consacrés à la religion
grecque antique et à la mythologie grecque ont fréquemment recours71 à la version
présentée par la Théogonie d'Hésiode, la plus complète à nous être parvenue.

Giorgio Vasari, La Mutilation


d'Ouranos par Cronos, XVIe siècle, Florence, Palazzo Vecchio.
Dans sa Théogonie, Hésiode décrit la naissance des dieux au fil de générations
successives, dont il développe tour à tour les différentes branches en y intercalant
des épisodes narratifs qui anticipent parfois sur la suite de son développement. Les
tout premiers êtres qui forment l'univers ne sont pas issus d'une reproduction
sexuée : Chaos, Éros et Gaïa (la Terre) apparaissent spontanément,
et Gaïa engendre seule Ouranos (le Ciel)72. Gaïa et Ouranos s'unissent pour former
le premier couple divin, et ils donnent naissance à douze Titans, six fils et six filles.
Parmi ces titans, Cronos joue un rôle décisif dans la généalogie divine. Cronos prend
le pouvoir en châtrant son père Ouranos, dont les organes génitaux, tombés dans
l'océan, donnent notamment naissance à Aphrodite73. Par la suite, Cronos s'unit à sa
sœur Rhéa, qui donne naissance à Hestia, Déméter, Héra, Hadès, Poséidon et
enfin Zeus74, qui forment chez Hésiode la première génération des divinités
olympiennes. Zeus prend le pouvoir à son tour, cette fois définitivement75, et c'est lui
qui, en s'unissant à plusieurs divinités, enfante la seconde génération des dieux de
l'Olympe : Athéna (fille de Zeus seul : elle sort de son crâne après qu'il a
avalé Métis)76, Apollon et Artémis (enfants de Zeus et de Léto)77, Arès (fils de Zeus et
d'Héra)78, Hermès (fils de Zeus et de Maïa)79 et Dionysos (fils de Zeus et de la
mortelle Sémélé)80. Héphaïstos est engendré par Héra seule, par défi envers Zeus81.

Homère, dans l'Iliade et l'Odyssée, diverge d'Hésiode sur plusieurs détails, qui ont
aussi beaucoup influencé les représentations les plus courantes de la généalogie
des dieux. Ainsi, dans l'Iliade, Zeus est l'aîné des dieux de l'Olympe82, alors qu'il est
le cadet des enfants de Cronos dans la Théogonie83. Dans les épopées
homériques, Aphrodite est, elle aussi, une fille de Zeus84, et sa mère est Dioné85.

Héros
La conception de l'histoire du monde des Grecs anciens plaçait, entre l'apparition de
l'humanité et l'époque présente, un âge héroïque où avaient vécu des hommes
mortels, mais plus grands, plus forts et, de façon générale, dotés de qualités
supérieures à celles des hommes du présent : c'étaient les héros, issus directement
ou indirectement d'unions entre des divinités et des humains86. L'âge héroïque était
considéré comme ayant réellement existé ; il ne s'étendait pas sur une très longue
période, seulement quelques générations, et n'était pas pensé comme très éloigné
dans le passé86, puisque les héros étaient considérés comme les fondateurs des
dynasties royales de nombreuses cités grecques87. Les héros sont conçus de
différentes manières selon que l'on considère la façon dont ils étaient honorés dans
le culte ou bien les différentes évocations littéraires dont ils font l'objet.

Cultes héroïques
Les héros font l'objet d'un culte héroïque : comme le culte des morts, ce culte se
développe autour du tombeau du héros, mais, contrairement à un mort ordinaire, un
héros est, de fait, honoré comme une puissance divine à part entière, qui peut rendre
des oracles ou accorder protection ou guérison à qui vient le prier88. À l'époque
historique, certaines personnes réelles, distinguées de leur vivant par leurs exploits,
font après leur mort l'objet d'un culte héroïque (c'est le cas, par exemple, du
général Brasidas)86. Une grande partie des cultes héroïques se cantonnent à des
localités précises (un village, une cité, une région) et sont inconnus ailleurs ; seuls
quelques-uns sont connus dans toute la Grèce, le plus fameux de tous
restant Héraclès89.
Héros dans la littérature grecque
Dans la poésie archaïque, Hésiode, dans Les Travaux et les Jours, élabore un mythe
des races où il intercale les héros comme une race à part entière de demi-dieux
venue après les trois premières races métalliques (d'or, d'argent et de bronze) et
avant l'humanité de l'époque présente, qu'il qualifie de race du fer ; il caractérise les
héros par leur bravoure et leur justesse et évoque leurs exploits pendant la guerre
des Sept chefs contre Thèbes et pendant la guerre de Troie. Le mythe hésiodique a
fait l'objet de nombreuses études mythologiques90.

Dans les épopées homériques, l'Iliade et l'Odyssée, les héros sont dépeints comme
plus forts que les hommes du temps présent, mais inéluctablement
mortels : Achille et Ulysse se voient ainsi prophétiser leur mort. L'Iliade et
l'Odyssée présentent déjà deux conceptions différentes de l'héroïsme : Achille
recherche la gloire et l'obtient par ses exploits militaires, tandis qu'Ulysse ne convoite
que le retour dans son pays et recourt avant tout à la parole et à la ruse, la mètis,
pour parvenir à ses fins91. Par ailleurs, chez Homère, le terme de héros (ἥρω
ς / hḗrōs) est parfois employé de façon assez générale pour désigner des
personnages nobles ou remarquables par leur talent92.

À cette époque et aux époques postérieures, les différents genres littéraires


s'approprient les figures de l'âge héroïque et en donnent de multiples interprétations.
Ainsi, la tragédie grecque athénienne de l'époque classique se concentre sur les
malheurs des grandes lignées héroïques comme les Atrides et les Labdacides pour
évoquer des problèmes religieux, politiques et philosophiques.

Cycles héroïques
Dynasties des cités
Les récits se rapportant aux héros trouvent souvent leur cohérence dans leur lien
avec une cité, dont ils relatent la fondation et l'histoire de la dynastie royale93. Les
héros se répartissent ainsi en grandes familles, souvent nommées d'après le héros
qui est à leur origine (Labdacos et les Labdacides, Pélops et
les Pélopides, Cécrops et les Cécropides, etc.). Le destin de ces grandes lignées est
plus ou moins étroitement lié à celui d'une ou plusieurs cités.

L'histoire de Thèbes a fait l'objet de plusieurs ensembles de récits sur lesquels nous
sommes bien renseignés94. Thèbes est fondée par un Phénicien, Cadmos ; une autre
légende associée à sa fondation ou à sa refondation est celle des
jumeaux Amphion et Zéthos, qui en élèvent les remparts. L'histoire de Thèbes est
surtout indissociable de celle de Labdacos et des Labdacides, dont font
partie Laïos et Jocaste et leur fils Œdipe, qui, à son insu, tue son père et épouse sa
mère. Les enfants de l'inceste entre Œdipe et Jocaste interviennent dans d'autres
récits, principalement celui de la querelle fratricide entre les deux
fils, Étéocle et Polynice, qui est à l'origine de la guerre des sept chefs puis de
l'expédition des Épigones. Dès l'époque archaïque, l'histoire des Labdacides était
relatée par quatre épopées, aujourd'hui perdues, qui formaient le Cycle thébain.

La lignée de Tantale, roi d'Asie Mineure, est à l'origine de plusieurs familles


héroïques importantes95. Pélops, fils de Tantale, s'installe en Élide, dans
le Péloponnèse, où il a de nombreux descendants, les Pélopides, qui règnent sur
plusieurs cités du Péloponnèse. Parmi les enfants de Pélops
figurent Atrée et Thyeste, ainsi que les descendants d'Atrée, les Atrides. Les deux fils
d'Atrée, Agamemnon et Ménélas, sont fameux pour leur rôle dans la guerre de Troie.

L'histoire d'Athènes96, peu évoquée dans les textes les plus anciens et qui semble
avoir pris forme plus tard, vers le début de l'époque classique97, trouve ses origines
dans le mythe des autochtones, hommes nés directement de la terre : le premier
est Érichthonios, mais c'est aussi le cas de Cécrops, fondateur de la cité. Plusieurs
générations après viennent Égée puis son fils Thésée, auquel sont attribués de
nombreux exploits.

Prouesses collectives
Plusieurs ensembles de récits mettent en scène des héros d'origines diverses
prenant part à une entreprise collective98. Ainsi, la chasse au sanglier de
Calydon rassemble plusieurs héros autour de Méléagre pour traquer et abattre le
sanglier monstrueux. Plus connue, car évoquée par plusieurs épopées et tragédies,
la quête de la Toison d'or entreprise par Jason rassemble de nombreux héros dans
l'équipage des Argonautes qui, à bord du navire Argo, voyagent jusqu'en Colchide.
L'ensemble narratif le plus vaste dans cette catégorie est celui de la guerre de Troie.

Guerre de Troie et Cycle troyen


Articles détaillés : Cycle troyen et Guerre de Troie.
Un vaste ensemble de récits et de personnages se rattachent à la guerre de Troie99.
L'enlèvement d'Hélène, femme de Ménélas, roi de Sparte, par le Troyen Pâris,
débouche sur l'organisation d'une grande expédition militaire menée par le frère
de Ménélas, Agamemnon, rassemblant des rois venus de toute la Grèce, qui
assiègent Troie pendant dix ans. Les premières œuvres littéraires connues de la
littérature grecque ancienne, l'Iliade et l'Odyssée, deux épopées que les Anciens
attribuaient à Homère, se rapportent à ce mythe : l'Iliade relate la querelle
entre Agamemnon et le héros Achille pendant la dixième année de la guerre, tandis
que l'Odyssée détaille le long et périlleux retour chez lui d'Ulysse après la fin de la
guerre, dont elle raconte a posteriori plusieurs épisodes. En plus des épopées
d'Homère, plusieurs autres ont été composées par d'autres auteurs à l'époque
archaïque. Regroupées sous le nom de Cycle troyen, elles racontaient l'ensemble de
la guerre, de ses origines à ses conséquences lointaines ; aujourd'hui perdues à
l'exception de quelques fragments, elles nous sont surtout connues par des résumés
ou des réécritures plus récentes100.

L'étude de la mythologie grecque


Article détaillé : Mythologie.
Au XIXe siècle
Friedrich Max Müller.
Si les Grecs eux-mêmes ont très tôt entamé une réflexion sur leurs récits
mythologiques, ce n'est que dans la seconde moitié du XIXe siècle, avec le
développement des sciences humaines, que la mythologie se constitue en une
discipline à ambition scientifique, une « science des mythes » : c'est ce que Marcel
Detienne nomme, dans son livre éponyme, « l'invention de la mythologie »101.
L'émergence de l'anthropologie, parallèlement à la découverte par les ethnologues
de nombreux peuples possédant eux aussi des mythologies complexes, amène les
chercheurs à s'interroger sur l'histoire des religions et à publier les premières études
de mythologie comparée. À une époque où les Grecs anciens sont considérés
comme supérieurs aux peuplades tenues pour primitives, la science des mythes se
trouve confrontée à une sorte de scandale de la pensée, qu'énonce par
exemple Friedrich Max Müller : « les poètes de la Grèce ont une aversion instinctive
pour tout ce qui est excessif ou monstrueux. Or, les Grecs attribuent à leurs dieux
des choses qui feraient frissonner le plus sauvage des Peaux-Rouges102… » Il
s'agissait donc d'expliquer les éléments qui, dans les mythes grecs, paraissaient
absurdes et immoraux, en contradiction avec l'image qu'avait alors la Grèce antique,
celle du peuple détenteur de la Raison par excellence103.

Plusieurs écoles d'interprétation des mythes se développent alors. Friedrich Max


Müller explique l'apparition des mythes par un modèle linguistique selon lequel les
mythes se seraient développés naturellement au cours de l'apparition et de
l'évolution du langage : les noms donnés aux forces de la nature au cours de la
Préhistoire sont ensuite pris par erreur pour des noms propres et se trouvent alors
personnifiés sous la forme de divinités et de héros104. Selon Müller, les mythes
trouvent donc leur origine dans des métaphores renvoyant aux puissances de la
nature ; Müller développe une interprétation « solaire » expliquant l'ensemble des
mythes par des références au soleil et à la lumière, tandis qu'Adalbert Kuhn préfère
les expliquer par l'impression laissée sur les peuples préhistoriques par les
phénomènes naturels violents tels que les orages et les tempêtes. Les historiens
britanniques des religions, Edward Tylor puis Andrew Lang, proposent une approche
radicalement différente, qui vise à comparer la mythologie grecque à celle de
peuples non pas antiques mais contemporains, comme les Indiens d'Amérique du
Nord ou les aborigènes australiens, et qui propose une vision évolutionniste de
l'histoire, au sein de laquelle le mythe est un stade du développement de la
pensée105.

En 1825, Karl Otfried Müller publie Prolégomènes à une connaissance scientifique


de la mythologie, ouvrage dans lequel il propose une méthode d'étude historique de
la mythologie fondée sur le rassemblement des différentes sources d'un mythe et
l'étude de leurs rapports entre elles, par exemple les poètes et les mythographes qui
s'inspirent les uns des autres au fil des siècles. Müller espère ainsi remonter à un
noyau primitif du mythe, derrière lequel il pense retrouver la trace d'événements
historiques réels plus ou moins déformés106. Les travaux de Müller permettent aux
mythologues d'accorder une attention plus rigoureuse aux contextes précis,
géographiques, historiques, culturels et religieux, dans lesquels se développent les
mythes.

Aux XXe et XXIe siècles

Couverture de la première traduction française


du Rameau d'or de James Frazer.
Plusieurs nouveaux courants d'interprétation de la mythologie grecque se
développent au cours du XXe siècle.

Au cours de ses premières décennies, les historiens de la religion grecque prêtent


une attention nouvelle aux rites et aux liens qu'ils entretiennent avec les récits
mythiques. Les chercheurs britanniques regroupés sous le nom d'école
de Cambridge développent plusieurs théories divergentes à ce sujet. Selon Jane
Harrison, le rite précède le mythe et permet d'expliquer les étrangetés présentes
dans les récits mythologiques ; Jane Harrison publie plusieurs études portant sur les
rites d'initiation et les rites de passage107, qui font l'objet en France, durant la même
période, d'études comme celles d'Arnold van Gennep. James George Frazer,
dans Le Rameau d'or (The Golden Bough), considère au contraire que le mythe
précède le rite et que ce dernier permet de réactiver les puissances vitales évoquées
par le mythe108. Par la suite, Jane Harrison elle-même et les auteurs qui poursuivent
les recherches dans ce domaine, comme Bronisław Malinowski, Edmund
Leach, Walter Burkert et plus tard Georges Dumézil, mettent davantage en valeur la
complémentarité du mythe et du rite au sein d'un contexte socioculturel donné et
montrent que, selon les cas, les relations entre les deux varient énormément108.

Dans la seconde moitié du siècle, des avancées décisives, comme le déchiffrement


du linéaire B dans le domaine mycénien, l'approfondissement de l'étude du Proche-
Orient ancien (Anatolie, Mésopotamie) et l'élaboration de nouvelles méthodes de
recherche, contribuent à renouveler profondément l'étude de la mythologie grecque.

Le structuralisme, dont l'un des grands représentants est Claude Lévi-Strauss qui
publie Anthropologie structurale en 1958, abandonne l'idée de remonter à un noyau
primitif d'un mythe et considère au contraire un mythe comme l'ensemble de ses
variantes, qu'il s'agit d'étudier en les comparant les unes aux autres. Lévi-Strauss
met en avant dans ses travaux l'idée que les mythes constituent une forme de
pensée à part entière, un moyen de réflexion sur le monde et sur la société109. Si
Lévi-Strauss propose une interprétation structuraliste du mythe
d'Œdipe dans Anthropologie structurale, la plupart de ses travaux portent sur les
mythologies d'Amérique du Nord et du Sud ; mais sa méthode exerce par la suite
une influence notable sur les chercheurs dans le domaine grec, notamment Jean-
Pierre Vernant et Marcel Detienne.

Au tournant du XXIe siècle, historiens et anthropologues abandonnent peu à peu l'idée


d'une grille de lecture univoque qui permettrait d'expliquer l'ensemble des mythes
grecs, et tentent de saisir leur rôle au sein de la société grecque ancienne en
adoptant des approches pluridisciplinaires, mêlant littérature, histoire, histoire des
religions, anthropologie et psychologie.

Sources de la mythologie grecque


Article détaillé : Sources sur la religion grecque antique.
Alain Moreau, dans le premier tome de son ouvrage Les Mythes grecs110, distingue
quatre types de sources pour l'étude de la mythologie grecque : littéraires, érudites,
artistiques (archéologiques, iconographiques) et épigraphiques.

Sources littéraires
Principalement destinée à être déclamée lors de banquets aristocratiques ou de
concours lyriques, on inclut dans la littérature antique :

• les poètes des périodes archaïque et classique, tels que :


• Homère avec l'Iliade et l'Odyssée ;
• Hésiode avec la Théogonie, Les Travaux et les Jours, Le
Bouclier d'Héraclès et le Catalogue des femmes ;
• les auteurs des épopées cycliques, dont il ne reste que
quelques fragments : Stasinos (Chants cypriens), Arctinos de
Milet (Éthiopide et Le Sac de Troie), Leschès de Pyrrha (Petite
Iliade), Agias de Trézène (Retours), Eugammon de
Cyrène (Télégonie), les auteurs du cycle thébain et des autres
épopées (Titanomachie, Prise d'Œchalie, etc.) ;
• les auteurs des Hymnes homériques ;
• Les poètes lyriques : Stésichore, Bacchylide et Pindare.
• Les auteurs tragiques : Eschyle, Sophocle, Euripide ainsi
qu'Aristophane et ses comédies.
• Les poètes alexandrins : Apollonios de
Rhodes (Argonautiques), Callimaque de Cyrène, Lycophron (Alexandra),
l'auteur anonyme des Argonautiques orphiques et, plus
tardivement, Nonnos de Panopolis (Dionysiaques), Tryphiodore (Prise
d'Ilion), Quintus de Smyrne (Suite d'Homère), Dictys de
Crète (Éphéméride) et Darès le Phrygien (Histoire de la destruction de
Troie).
• Les auteurs latins :
• les poètes romains Virgile (Énéide), Ovide (principalement
les Métamorphoses), Properce, Stace (Thébaïde et Achilléide),
Valerius Flaccus (Argonautiques), Claudien (Le Rapt de
Proserpine, Gigantomachie) et Bæbius Italicus (Iliade latine) ;
• Sénèque et ses œuvres dramatiques.
• Les anciens romanciers comme Parthénios de Nicée, Longus (Daphnis et
Chloé), Apulée (Métamorphoses) et Héliodore (Éthiopiques).
Sources érudites
Les ouvrages des historiens comme Hérodote, Diodore de Sicile (Bibliothèque
historique, principalement le livre IV), Plutarque (Vies parallèles, principalement
la Vie de Thésée), Denys d'Halicarnasse et
des géographes comme Pausanias et Strabon, qui ont voyagé dans le monde grec
et consigné les récits qu'ils entendaient dans de nombreuses cités.

Les ouvrages des mythographes, essentiellement des abrégés ou des traités


essayant de réconcilier les versions contradictoires des anciennes légendes.
La Bibliothèque d'Apollodore est le meilleur exemple de ce genre, avec
les Fables d'Hygin et les Métamorphoses d'Antoninus Liberalis.

Les scholies, qui sont des notes écrites en marges des manuscrits et ont pour rôle de
commenter ou d'expliquer le texte, voire simplement un mot ou une expression. Les
scholies contiennent de nombreuses explications mythologiques, destinées à
éclaircir le texte qu'elles flanquent, ce qui a permis de préserver de nombreux
extraits ou résumés d'œuvres perdues. Les scholies les plus riches en explications
mythologiques sont celles des textes d'Homère, d'Euripide et de Lycophron.

Sources artistiques
Les sources iconographiques, fournies par les innombrables représentations figurées
qui ornent les objets et les édifices produits par la culture grecque antique, sont
consultables dans des sommes telles que le Lexicon Iconographicum Mythologiae
Classicae.

Sources épigraphiques
Article détaillé : Épigraphie.
Postérité
Depuis l'Antiquité, la mythologie grecque n'a pas cessé d'exercer une influence
considérable sur les arts et les lettres, mais aussi plus généralement la culture de
nombreuses régions du monde.

Moyen Âge
En Europe de l'Ouest, la mythologie grecque est connue au Moyen Âge de manière
souvent indirecte, par l'intermédiaire de libres traductions ou d'adaptations latines
des écrivains grecs. Pendant la même période, les savants de l'empire byzantin et du
monde arabo-musulman lisent les auteurs grecs dans le texte.

Époque moderne
L'étude du grec ancien se répand à nouveau en Europe de l'Ouest à la faveur de la
Renaissance, occasionnant des traductions nouvelles qui popularisent massivement
les auteurs grecs. La colonisation exporte sur plusieurs continents la culture
classique et donne lieu, après la décolonisation, à des réappropriations variées des
mythes grecs aux Amériques, en Asie, en Afrique ou en Océanie111.

Période contemporaine
La mythologie grecque occupe une place importante dans « l'Antiquité
imaginaire » dépeinte par la fiction sur différents supports112. Longtemps associée à
une culture académique, la mythologie grecque inspire également la culture
populaire, mais sous des formes différentes. À partir de la fin du XIXe siècle, la
mythologie grecque est présente au cinéma dès ses débuts, à travers le genre
du péplum113. La mythologie fournit les sujets de la majorité des péplums situés en
Grèce antique, au contraire de la Rome antique que le cinéma aborde surtout par le
biais de sujets historiques. Les mythes grecs les plus représentés au cinéma à partir
des années 1950 sont les exploits d'Héraclès et la guerre de Troie114. La mythologie
grecque devient un thème récurrent de chaque nouvelle forme d'art, de la bande
dessinée au jeu vidéo. La thématique mythologique est également régulièrement
exploité dans le cadre de la littérature pour la jeunesse115 sous la forme de fiction
comme d'ouvrages documentaires de civilisation116. La postérité contemporaine de la
mythologie grecque reste extrêmement abondante et variée de nos jours. Les
Grands Mythes est une série documentaire qui raconte les épisodes de la Mythologie
grecque117.

Annexes
Sur les autres projets Wikimedia :
• Mythologie grecque, sur Wikimedia Commons
• Mythologie grecque, sur Wikiversity

Une catégorie est consacrée à ce sujet : Mythologie grecque.


Bibliographie
Dictionnaires de mythologie grecque
• Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae (LIMC), Artemis Verlag,
1981-1997.
• Michael Grant et John Hazel (trad. Etienne Leyris), Dictionnaire de la
mythologie [« Who’s Who in classical mythology »],
Paris, Marabout, coll. « Savoirs », 1955 (ISBN 2-501-00869-3), p. 131. .
• Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris,
Presses universitaires de France, coll. « Grands
dictionnaires », 1999 (1re éd. 1951) (ISBN 2-13-050359-4).
• M. C. Howatson (dir.), Dictionnaire de l'antiquité : mythologie, littérature,
civilisation, Laffont, 1994 (ISBN 978-2-221-06800-7). — Première édition :
Oxford University Press, 1989.
Religion grecque

• Jan N. Bremmer (trad. Alexandre Hasnaoui), La Religion grecque, Paris,


Les Belles Lettres, 2012 (ISBN 978-2-251-44445-1).
• Walter Burkert (trad. Pierre Bonnechere), La Religion grecque à l'époque
archaïque et classique, Paris, Picard, 2011 (1re éd. 1977).
• Louise Bruit Zaidman et Pauline Schmitt Pantel, La religion grecque dans
les cités à l'époque classique, Colin, coll. « Cursus », 1991 (ISBN 978-2-200-
33073-6 et 978-2-200-33038-5). — Édition consultée : 2003.
Manuels généraux

• Claude Calame, Poétique des mythes dans la Grèce antique, Paris,


Hachette, 2000.
• Charles Delattre, Manuel de mythologie grecque, Paris, Bréal, 2005.
• Ariane Eissen, Les Mythes grecs, Belin, 2010.
• Timothy Gantz, Mythes de la Grèce archaïque, Belin, 2004 [détail de
l’édition].
• (de) Fritz Graf, Griechische Mythologie : eine Einführung, Düsseldorf,
Patmos Verlag, 2001.
• Pierre Grimal, La Mythologie grecque, Paris, PUF, coll. « Que sais-
je ? », 2003, 19e éd., 128 p. (ISBN 978-2-13-053858-5, lire en ligne [archive]).
• Georges Hacquard, Guide mythologique de la Grèce et de Rome, Paris,
Hachette éducation, coll. « Hachette Éducation », 1990, 351 p. (ISBN 2-01-
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• Suzanne Saïd, Approches de la mythologie grecque, Paris, Les Belles
Lettres, 2008 (1re éd. 1998).
• Jean-Pierre Vernant, L'Univers, les Dieux, les Hommes, Seuil, 2002.
Études savantes

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